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BILLETS DE LA BANQUE DE BOLOGNE
Depuis quelque temps !’administration de la banque de Bologne
a donné lieu a des difficultés et & des discussions que la guerre n’a
point éteintes, et qui intéressent A plusieurs égards la science. En
effet le probléme posé touche de la maniére Ja plus intense & la
théorie des banques, et le nom des économistes distingués qui ont
pris part Ala controverse indique assez qu’il s'agit d’une question
nouvelle et difficile, dans laquelle des hommes d’un grand mérite
ont soutenu des opinions opposées.
Deux brochures de M. Gerosamo Boccardo ', qui nous été adres-
sées, nous mettent en quelque sorte en demeure de nous occuper
de ce probléme, sur lequel nous allons essayer de formuler notre
opinion en toute franchise, en ce qui touche directement A la
science.
Voici les faits tels qu’ils sont exposés dansla premitre brochure
de M. Boccardo ;
En 1855, la création d’une banque de circulation pour les qua-
tre légations, et indépendante de la banque de Rome, fut autorisée
par le gouvernement pontifical. Son capital, qui n’a été complété
qu’en 1858, était fixé & 200,000 écus, et elle était autorisée & émet-
tre des billets au porteur jusqu’é concurrence de trois fois cette
somme. Les opérations de la banque, et partant Ja circulation de
ses billets, se sont restreintes dans la place de Bologne.
Vers le milieu de 1856, la banque de Bologne, dont le capital
effectif n’était encore que de 300,000 écus, éprouva des difficultés
dans le payement de ses billets et eutrecours a des attermoiements.
Au milieu de ces difficultés, la banque imagina de payer ses billets
de 10, de 20, de 50, de 100 écus romains ? en piéces frangaises de
1. LaBanca delle quattro legazions ed il cambio de’ suot biglietti.—La Banca
delle quattro legazions, la moneta ed il credito.
2. L’éou romain est une pidce d’argent au titre de 917 milliémes et du poids
2° skRIg. T. XXIV, — 15 octobre 1859, 430 JOURNAL DES ECONOMISTES,
20 francs, non au cours fixé par le tarif légal, mais 4 un cours mo-
bile, appelé probablement prix courant du jour. D'aprés le tarif, la
piéce de 20 francs vaut un écu, 3.72. La banque a remboursé ses
billets en piéces de 20 francs au cours de 3.75 et méme de 3.81.
Les porteurs se plaignent de cette pratique, ou méme ils plaident
contre la banque de Bologne pour qu'elle rembourse ses billets
soit en écus effectifs, soit en pitces de 20 francs au change de 3.72.
Ont-ils tort? ont-ils raison? M. Martinelli, de Bologne, et M. Fer-
rara, dont nous regrettons de ne pas posséder les écrits sur cette
matitre, disent qu’ils ont tort ; M. Boccardo soutient qu’ils ont
raison.
A la rigueur on pourrait établir, et telle est notre opinion, que
Ja question est purement juridique, puisque apres tout et en défi-
nitive, il s’agit de 'interprétation du contrat qui lie la banque de
Bologne et les porteurs de ses billets. Mais ce contrat intéresse au
plus haut degré l’économie politique.
Parlons d’abord d’un fait énoncé dans la publication de M. Boo-
cardo et qui appelle quelques éclaircissements. La cote de change
sur laquelle la banque de Bologne rembourse ses billets est rédigée
par elle-méme, soit; mais il nous semble difficile que le cours
exprimé par cette cote soit purement factice et euvre de la banque
elle-méme. S'il avait un tel caractére, il n’y aurait pas & hésiter :
la banque aurait tort et devrait étre condamnée, en vertu des prin-
cipes généraux qui régissentles contrats, car il ne saurait dépendre
de une des deux parties qui concourent a un contrat d’en altérer
Jes conditions 4 son avantage et au préjudice de l’autre partie, & sa
volonté.
Done nous supposons que la banque de Bologne ne commet pas
Yénormité de rembourser ses billets suivant un change arbitraire-
ment variable, & sa volonté, et qu’elle se contente de les rembourser
au change réel, établi sur le marché par le jeu libre de l’offre et de”
Ja demande.
En cette hypothése, il nous semble que la pratique de la ban-
que de Bologne serait équitable et devrait étre défendue. En effet,
comme maison de commerce, il lui convient de suivre les usages
du commerce. Dés qu’il conviendrait aux commergants de Bologne
de 266,437, Elle vaut dono 8 franos 30 contimes. — C’ost Vancionne piastre
espagnole,DES BILLETS DE LA BANQUE DE BOLOGNE. wh
d’adopter dans leurs payements la coutume de payer leurs engage-
ments courants d’une certaine maniére, i] n’existe nul motif pour
que Ja banque résiste & une pareille coutume, et il convient qu’elle
Ja suive. Il convient qu’elle la suive : 4° parce que Yon doit sup-
poser que cette coutume est la plus avantageuse 4 la communauté
commerciale au service de laquelle la banque s'est placée; 2° parce
que dans tous les contrats manifestés par des factures, billets, lettres
de change, etc., il est entendu par les parties contractantes que les
payements auront lieu selon l’usage de la place. Or tout contrat
doit étre exécuté, autant que faire se peut, selon 1a commune in-
tention des contractants. Si toute obligation particuliére de 100 écus
est habituellement éteinte par un payement en piéces de 20 francs
au change courant de la place, la banque a raison; sinon, non.
Cet usage dans les payements semble exister aujourd’hui & Bo-
logne. Existait-il avant 1’établissement de la banque? nous Vigno-
rons : ce serait cependant un point important a éclaircir dans cette
discussion. S'il était constaté que cet usage existAt avant ]’établis-
sement de la banque, nous n’hésiterions pas 4 dire non pas que
usage soit bon, mais que la pratique de la banque est pleinement
justifiable. Sila banque, agissant sous l’empire de la liberté com-
mereiale, avait introduit cet usage, devenu général, il serait dif-
ficile de V'accuser d’injustice dans la maniére de payer ses billets.
Mais, bien que nous ne puissions nous appuyer dans nos conjec-
tures sur aucune autorité, nous craignons qu’il n’en soit autrement.
Ainsi nous croyons que la banque de Bologne jouit d’un monopole
légal; & la faveur de ce monopole elle a pu introduire et généra-
liser sur la place l’'usage de payer en pices de 20 francs, au change
courant, et 4 la faveur du méme monopole, elle a pu exercer sur ce
cours une action toute-puissante, de maniére A surélever artificiel-
Jement la valeur de telle ou telle monnaie, selon ses intéréts. S'il
en était ainsi, cette banque aurait donné un nouvel exemple des
inconvénients et des abus de toute sorte que peut amener le mo-
nopole, eta ce titre elle mériterait d’étre l'objet des plus graves cen-
sures de la part des économistes.
Le cas serait plus difficile si la banque, agissant sous empire de
la liberté, mais investie par le fait d’un monopole, avait introduit
cet usage, parce qu’alors on ne pourrait pas a juste titre lui en im-
puter la responsabilité exclusive.
Quoi qu’il en soit, l'usage existe et il a eu pour conséquence un
écart sensible entre le change auquel on paye les obligations & Bo-82° JOURNAL DES ECONOMISTES.
logne et le change légal : autrement les plaintes et demandes adres-
sées & la banque n’auraient pas de cause. En cet état de choses,
quelle décision est conseillée par l’équité ? — Il s'agit de contrats :
recherchons la commune intention des parties.
Tous ceux qui ont souscrit et regu des obligations payables &
Bologne, depuis plus de deux ans que régne l'usage dont on se
plaint, ont entendu évidemment payer et étre payés conformément
& cet usage ; ils se trouvent dans la méme situation que sila mon-
naie courante avait perdu peu & peu une partie de sa valeur, par
un affaiblissement de son titre ou de son poids, antérieurement &
tous les contrats habituels de commerce qui existent aujourd”hui.
Dans cette situation il nous semble équitable que chacun paye et
soit payé comme il a prévu et compté qu'il payerait et serait
payé.
Ici nous ne faisons aucune distinction entre les billets de banque
et les autres effets de commerce. En effet, si ces billets different du
papier de commerce quant ala forme et notamment’ quant a I’é-
chéance, comme le rappelle avec raison M. Boccardo, ils n’en diffe-
rent en rien quant a la nature, c’est-d-dire quant au contrat. Comme
les effets de commerce ordinaire, les billets de banque représentent
un crédit, prét ou dépdt (peu importe le nom du contrat quand il
s’agit de monnaie); et ce prét ou dépét est, par la nature méme des
choses, & aussi courte échéance que quelque effet de commerce que
ce soit: c'est un contrat toujours ouvert, parce qu'il est incessam-
tment renouvelé par le porteur, qui, ayant pu demander un instant
auparavant le remboursement du billet, ’a conservé.
Mais autant il nous semble équitable que la banque de Bologne
rembourse conformément 4 l’'usage ceux de ses billets qui circu-
lent actuellement, autant il nous semble irrégulier et peu —
dans |’intéret public et dans celui de la banque elle méme, de s"é
ter du change légal, lorsque, & tort ou A raison, ce change fe
Nous croyons, par conséquent, que la banque et, & son défaut, le
pouvoir législatif devraient s’empresser de ramener toutes choses
& Pétat normal par une mesure trés-simple : en annoncant qu’
dater d’une époque prochaine, le 1** janvier 1860, par exemple, les
billets seront payés au change légal, et que les effets admis al’es-
compte seront payés de Ja méme maniére. Ainsi tous les contrats
existants seraient exécutés équitablement et les nouveaux contrats
consentis & la suite de ceux-ci auraient une forme mieux définie et
irréprochable,DES BILLETS DE LA BANQUE DE BOLOGNE. 33
On a prétendu que dans ces conditions la banque de Bologne ne
pourrait pas existgr. S’il en est ainsi, cette banque n’est pas viable
et doit liquider, car s'il importe beaucoup & ’intérét public qu'il y
ait une banque d’escompte, il importe davantage encore d’avoir
sur Je marché une monnaie dont le titre et le poids soient certains
et bien définis. L’existence de cette monnaie certaine est la premiére
condition du développement et de la prospérité légitime de la
banque. :
Autant que nous pouvons en juger a distance et sur des docu-
ments incomplets, il nous semble que la banque de Bologne s’est
trop préoccupée du désir de maintenir en circulation une forte.
somme de billets, lorsque, aprés l’exportation de la monnaie locale,
qui a été la conséquence de la premiére émission, elle s'est appli-
quée A importer de Yor étranger et & lui donner un cours supérieur
au change légal. Mieux valait suivre l’impulsion donnée par le pu-
blic et réduire la somme des billets en circulation, e(t-on da la
retirer tout entiére. — A quoi, dira-t-on peut-dire, aurait servi la
faculté d’émettre des billets accordée la banque? — A rien, j’en
conviens, mais pourquoi? Parce que le marché de Bologne n’aurait
pas ou besoin de billets de banque ou n’aurait pas eu conflance en
ceux qu’on lui offrait. Or, dans l'un comme dans V’autre cas, la
circulation des billets de banque n’était pas légitime, car elle
n’est légitime qu’autant qu’elle est complétement libre et volontaire.
Des exemples importants, nous en convenons, ont pu engager
Ja banque de Bologne dans une mauvaise voie et l’autoriser, sinon
& élever le change de la piéce de 20 francs contre I’écu d’argent, &
importer du moins des pidces de 20 francs, La banque de France
et la banque nationale du Piémont se sont livrées depuis quelques
années, d’une fagon habituelle, 4 des importations de ce genre;
mais c’est une pratique qui nous semble fort peu recommandable.
Lorsque le marché de Paris et celui de Génes exportent des espéces
et présentent des billets de banque au remboursement, il nous sem-
ble que le parti le plus sage que!’on puisse prendre, serait de réduire
Jes escomptes et d’élever au besoin le taux de Vintérét. Alors, il est
vrai, on occasionnerait bien quelque géne dans la clientéle des
banques et une baisse des marchandises, mais les exportations de
monnaie ne tarderaient pas a s’arréter.
Lors, au contraire, que les banques prétendent maintenir le chiffre
de leurs escomptes, elles importent de la monnaie et s'indemnisent
en élevant le taux auquel elles accordent du crédit. 1 en résultewh JOURNAL DES ECONOMISTES.
que le commergant, insuffisamment averti par V’élévation du
taux de !’escompte, ne réduit pas assez vite ses opérations, et que
la crise se prolonge. Lorsque les opérations de ce genre pren-
nent un certain développement, Jes achats d’espéces par les banques
peuvent devenir une cause d’exportation : on transporte au dehors
ces espéces expressément pour les leur vendre, comme on ]’a vu
“dans le cas de la banque de France.
Mieux vaut, pour une banque sensée, ne pas prétendre a tant
@habileté et surtout ne pas élever la prétention de dominer et diri-
ger le mouvement des échanges. I] est plus sage de le suivre et de
se régler sur lui. Pour cela il suffit d’accepter une réduction de la
somme des billets circulants, lorsque le public en demande le rem-
boursement, et d’en émettre davantage lorsque le public en demande
davantage. Il est douloureux sans doute de voir diminuer le capital
dont on dispose; mais cela vaut mieux que de vouloir forcer en
quelque sorte le crédit. Une réduction opportune du crédit dont on
use est souvent le meilleur moyen de s’assurer un crédit étendu
pour un temps ultérieur.
M. Boccardo a traité dans ses deux mémoires sur la banque de
Bologne la question de droit en méme temps que la questién éco-
nomique. Nous nous sommes borné aux considérations d’écono-
mie ét d’équité, laissant la question de droit strict aux jurisconsul-
tes locaux. En France, nous croyons qu'il n’y aurait pas question et
que les tribunaux se pronoriceraient nettement contre la banque,
appliquant & la rigueur Ja lettre de la loi, a tout risque.
Nos conclusions, un peu moins rigoureuses peut-étre que celles
de M. Boccardo n’en différent guére. Toute la partie du mémoire
de cet habile économiste qui se rapporte a Ja théorie des monnaies
nous semble irréprochable : nous partageons pleinement son opi-
nion sur Ja critique des importations de monnaie par les banques
et sur injustice qu’il y aurait 4 faire payer au public, autrement
que par l’élévation du taux de l’escompte, les frais de ces imports-
tions ; mais il nous semble qu’il a commis une erreur en exagérant
la différence qui existe entre les banques constituées par société
anonyme, qu'il appelle « publiques, » et les banques ordinaires, lA
od il n’y a point de monopole.
En effet, si des particuliers n’ont pas pu maintenir en Ecosse une
circulation de billets 4 yue et au porteur, cela tenait simplement &
ce qu’ils venaient en concurrence de banques puissantes, déja mal-
tresses du marché, auxquelles il suffisait de refuser ces billets pour «LA NOUVELLE GRENADE ET SES REFORMATEURS.. 8%
qu’ils ne pussent circuler. A plus forte raison il a été impossible de
faire circuler des billets sur une place livrée au monopole, comme
Paris. Mais il n'est pas douteux qu’une banque particuliére bien
accréditée ferait circuler sans peine ses billets sur un marché libre
et non occupé d’avance. Quant A la nature du contrat qui lie une
banque et le porteur de'son billet, nous ne voyons nullement en
quoi il differe de celui qui lie un banquier a celui qui a déposé chez
lui des fonds en compte courant.
Tl est un autre point, étranger 4 la question, sur lequel nous ne
saurions partager l’opinion de M. Boccardo. Cet économiste pense
qu’avec une monnaie d’un seul étalon les crises seraient moins dé-
sastreuses et moins fréquentes qu’avec le double étalon. Les crises
commerciales naissent rarement de causes purement monétaires, et
elles ne tiennent probablement ni a l’étalon unique ni aT’étalon
double ; mais il nous semble que si l’étalon monétaire avait quel-
que influence sur les crises, l’étalon unique les provoquerait pluttt
que J’étalon double, parce qu’il donne une monnaie d’une valeur
plus véritable,
COURCELLE SENEUIL.
LA NOUVELLE GRENADE
ET SES REFORMATEURS
ETUDE POLITIQUE, ECONOMIQUE ET FINANCIERE
1.—On a cru faire une épigramme bien amére en disant que Phomms
est une bate d’habitude ; on s’est trompé. Si homme se laisse guider par
Vhabitude, c’est que la nature le veut ainsi, mais il n’est pas béte pour
cela ; il le serait, au contraire, et de la pire maniére s'il n’avait pas d’ha-
bitudes ; heureusement qu’il ne peut pas ne pas en avoir. Un moment de
réflexion suffit pour convaincre de la place essentielle et nécessaire quo
Jes habitudes tiennent dans notre existence. Nous ne savons bien une
chose que quand nous en avons acquis une sorte d’habitude. A cet égard
notre imagination, notre raison, notre conscience méme, ne different pas
de nos organes physiques. Un bon musicien est un homme qui a rompu
ses oreilles, ses yeux et son intelligence & la mesure, aux signes et au
sentiment de la musique, comme ses doigts au maniement de 1’ =