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BIBLIOTHEQUE D'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE esgois Countise PLATON SOURCE DES PRESOCRATIQUES EXPLORATION Textes réunis par Monique Dixsavt et Aldo BRANCACCI LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN 6, Place de la Sorbonne, V° 2002 REMERCIEMENTS Cet ouvrage est en grande parte le résultat d'un colloque franco italien organisé par Aldo Brancacci et Monique Dixsaut ct tenu & Rome les 24 et 25 novembre 2000. Que soient ici vivement remerciés tous ceux, participants et auditeurs, qui ont contribué 8 en faire un lieu d"échanges non seulement savants mais amicaux et chaleureux. En application du Code de la Propricté Intelectuelle et notamment de ses articles L. 122-4, L. 122-8 et L. 338 reproduction imtégrale ou partielle fate sans le consentement de auteur ‘oa de ses ayants droit ou ayants cause est illicte, Une telle representation ‘oy reproduction constituerait un délit de contrefagan, puni de deux ans nt et de 150 000 euros d'amende [Ne sont autorisées que les copies au reproductions strictememtréservées usage privé du copiste et non dest ¢ utilisation collective, ainsi ‘que les analyses et courtes citations, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de I'auceur et la source toute représemtation ou «emprisonn © Librairie Philosophique J. VRIN, 2002 Imprimé en France ISSN 0249-7980 ISBN 2-7116-1582-0 INTRODUCTION La NomIow vt PRESOCRATIQUE terme « Présocratiques », par lequel nous désignons habituellement “pat lequel nous désignerons peut-étre encore pendant quelque temps les phitosophes grecs deI'époque archaique, est une dénomination récent oropre az vingtiéme sicle. Elle est devenue canonique & partir de la © édition de Pouvrage d'Hermann Diels, Die Fragmente der Vorvokratiker (1903), quia é le premier et qui reste unique recueil critigue des textes de ces philosophes'. Considéré & unanimité comme Fun des monuments de la philologie classique allemande avee les Dovographi Graeci du méme Diels, les Stoicorum veterum fragmenta de von Amim, les Epicurea d'Usener, les Vorsokratiker se distinguent routefbis de tous ces ouvrages par deux traits fondamentaux, qui contien- nent in nuce les raisons des discussions successives sur la justesse et a comvenance de l'emploi du terme « présocratiques », Celui-ci ne désigne pas une tradition philosophique déterminge comme « stoiciens », «épi- ‘uricts » ou « soeratiques », mais indique une catégorichistoriographique {ui détermine immédiatement son objet et, par conséquent, rassemble et "nifieles philosophes auxquels ele se réfere par convention. Ce termene se », dans un passage présentant des difficultés extuelles rendant sa compréhension difficile Mais nous ne disons pas non plus que ce qu'on fait par appétit épend de soi; en conséquence, certaines pensées et certaines passions ne dépendent pas de nous, ni les actes conformes 2 ces pensées et & ces raisonnements, mais, comme l'a dit Philolaos, certaines raisons sont plus fortes que nous. (Ethigue & Eudéme, 11.8 1225 a 30-33, ad. V. Décarie) |. Mame Water Burkert ne peu pas ne pas sconnaiee amoncellementd'invaisem bance (oe Loran Scene, 1972p. 2280, 48) ew impossible de savoir oh Piola ces originate (de Crotone u de Taree”), quand ia veu (este ua contemporain de Pythagoreetd’Empédocle ou de Socrate”), pain et comment ites vem 8 Thebes, La scholie &Piédon 6 qui combine des informations vent poqus différentes, ours ‘econtdictions. Pour rendre comnts fis fait que Siumias et Cbs, sistent av ‘deroers moments de Socrate en 399, ont po ptr Y'oteile&Phloluos The et fat ‘u'll aura 1 un Pythgorcien chassé de Malle ds sod par une révote conte les Pythagonien quel on ite vers450, ona fit hypothe que Philolaosvéct ene 470 et 400. Mais eeue hypothtse n's aucun pos, compte tn da fait que Ton ne sat ien des ventures d'un Phlolospythagoricien avant son sSjour3 Thebes” 2 Allaliite méme s Paton lise planer le doute, on pourrait pens Ane obscure imentonnell, celle qui caractérise les maximes »pythagoriciennes, Mais ees Tune foisde pus. qu'une hypabise 3.Voir L.Briston, «Nessa di un mito filosofico: Giambliso (VP.146) 50 Aglaphamos, Tra Orfeo ¢ Piagora. Origine incon di clare nll” Antichta [AR deh ‘Seminar Napoltani 1996-1998), cuca di Marsa Tonorel Chin, Alfedina Storch Marzo, Amedeo Visconti, Napoli, ibliopolis, 2000, 9. 237-253, PLATON, PYTHAGORE ET LES PYTHAGORICIENS 31 Rien n’assure donc qu’en Mét., AS, 98523-98608 Aristote parlait ate Philolaos : aucun commentateur ancien, si prompt habituellement lenifier les sources d'Aristote, ne propose cette identification. Par nillearS, une reconstruction de ta doctrine supposée de Philolaos sur Yilimité et la Limite fait intervenir six « fragments»: un qui vient de Diogene Laerce (VIM, 84-85), autre de Jamblique (Commentaire sur invoduetion arthimétique de Nicomaque (7, 24-25) et les cing autres de Stobée (Anthologie b, Te, Td). Or ces auteurs, qui ont vécu pour runaudébut du ui sigcle de notre dre, pour autre la fin de méme sigcle et pour le demier au début du v*, ont pu s‘inspirer dapocryphes qui foisonnaient dés le début de l'Empire. De ce fait, on touverait dans ces ents non pas Varrigre-plan du Philébe, mais lune des. premigres intexprétations de ce dialogue Philolaos estprésent dans le catalogue des Pythagoriciens, et il est cité pourla premiere fois comme tel par Diogéne Laérce (VIII, $4), qui semble Tui aussi s*eure inspiré d’ Aristoxtne de Tarente, lequel aurait connu person- nellement deux disciples de Philolaos (VIII, 46). On notera que, dans sa tres breve notice, Diogéne Laérce mentionne le nom de Philolaos en rapport wee "anecdote des livres que Platon avait fait acheter par Dion et dont il slat servi pour écrire le Timee. ‘Toutce qui vient d'etre dit passera pour ere le résultat d'une position hyper-crtique. Mais aucun des fragments considérés comme authentiques par Walter Burker et done Cari Huffman ne posséde une légitimité propre ils ne peuvent pas re interprétés que par un recours constant & des ignages d’époque ultérieure Théodore de Cyréne Dans le Théétete, Théestore de Cyréne est décrit comme un expert en Sométrie, astronomie, calcul et musique. On y apprend qu'il s'est intéressé au probleme des longueurs irationnelles (Théétéve, 147 d), Plus loin, on apprend qu'il fut le disciple (herairos) de Protagoras (Theététe, l61b, 162a, 164e, 1835), lequel avait pourtant critiqué les méthodes uxquelles ont recours Tes mathématiciens. On retrouve le nom de Théodore dans le catalogue de Jamblique, mais jamais, chez Platon, il n'est ‘qualifié de pythagoricien?, On a impression que, dans le cas de Théodore, leéflexe conditionné : mathématicien / pythagoricien a joué a plein. 1LOn comprend que Vinterpétation do W. Burkert ait rencontté Toppesiton de 1.A.thilip, Prthagoras and Earls Puthagoreaniom, Toronto, Unis. Press 19665 et de 5 Bune, The PresocraticPiloophers, Landon, Rutledge, 1979, 1982 2 Arisote nee mentonne pss 2 Luc BRISsON Archytas de Tarente On saitpeu de choses sue histoire de Tarente, dans le premier quart ds side, Touchée par influence du Pythagorisme ele mente cependant pasdans Morbite de Crotone. A patirde 470, c'est une démocraie modrse (Aristo, Potirigque. VIS 1320 69-17) avecune Assemblée, un Conseil et des magistraturesannuciles,parmi lesquells la Stratégie etait la plus importante: Mexistence ¢ Ephores n'est pas attestée, mais reste probable est d'alleas comme Stratége!, i faut fe rappelr, qu” Archytasexerga pendant sept années consécutives une autorté quasi absolve sri ite Cedutéire ace momenta gwcurent lieu ls interventions Archyta, vee qui, au cours de son premier séjour en Scie auprés de Denys ancien Platon avait conclu des accords®,On comprend dés lorsque Denys le jeune sitfaitintervenir Archstas et ses amis pour demander a Platon de revenir en Sicile. Archédéme’ vient & Athénes, ct Archytas Iuieméme envoie des lettres & Platon®. Et, apres avoir expulsé Platon de la citadelle, Denys le jeune commence parle metre en residence survcille che? Archédéme* Pour assurecson slut, Platon fait lors app &Archytas imagine done, pour assurer mon salut, de recourit au stratogeme Suivant, Jenvoie a Archytas eA mes autres amis de Tarente une Terie déerivant la situation dans laqueli je me trouve. Eux, sous le ouvert d'une ambassade dépéchée par leur cits, envoient un navire Ateente eames avee Pun des leurs, Lamisque, leguel, une fois artivé, va interesder auprés de Denys le jeune en ma faveur, en disant que je soubaiteis partir et le priant de ne rien faire pour s°y opposer. Denys le jeune donna son accord de me congédier apres m'avoir remis ce qu'il fallat pour le voyage; quand aux biens de Dion, je nen réclamai rien et personne ne men remit rien. (Lettre Vil, 350 a-b, trad. L. Brisson) |. Magiseatur mili, une des plasimponanes 2 Athens. Piles ft du strtbge pendant plus de dix ans consécui 2wAvant de prendre la mer pour men aller, fava en effereabli dos ens «hospital amitié enue Arhytas eles gens de Taente dun cee Denys fe jeune de Faure.» (Lenre VIL. 338 tod. par L: Bison) Dans le discours Sur amour (Erik's) {1X1 (446) ainda Démoshee, ces a fEguentarion de Plaon gui ara fat aie 3 ‘Archyasdudmitales progres comme adminisrateur dea ctéde arene! 3 Arthédere, elu des Sicens donk, pensstije fas le ps de eas, Yun des Aisciples ¢ Arehytas.»(Lenre VIL 339... Brisson 4 Voir Letre VIL 3393 5. VoirLerte VI 3696 — PATON, PYTHAGOREET LES PYTHAGORICIENS 33 (Crest done Archytas, que connait bien Platon, qui lui permet de repartir de Sicile. Mais rien chez Platon ne laisse entendre qu’ Archytas ait && un py’hagoricien, Cela dit il semble qu'il y ait eu entre les deux hommes des relations sur Te plan de la doctrine et de Penseignement !; la Leute VIL laisse aussi entendre que l'enseignement dispensé a Denys le jeune par Arehytas ou ses associés fut catastrophique?, Cette information a donné Jicw dans Antiquité & une sorte de petit roman, ot Archytas et Platon ‘Schangent des lettres Aristote considére Ia théorie de a définition proposée par Archytas ‘comme anticipant sa propre doctrine du composé impliquant la matizre et le lorme*. Jamblique cite Atchytas dans le catalogue des Pythagoriens, probablement 2 la suite d’ Acistoxéne, Archytas est qualifié de « pythago- ricen» pour la premitre fois chez Diogene Laérce (VIII, 79) qui semble la {encore s'appuyer surle témoignage d’Aristoxéne. Pourtant, dans sa Vie de Prchagore,ileconvient d'y insister, Jamblique semble etre trés géné par la we d’Archytas. Pour lui, il y a deux Archytas: le viel Archytas, condisciple d’ Empédocle auprés de Pythagore (§ 104) et qui fut chassé de Crotone par le soulevement contre le pouvoir pythagoricien, et le jeune Archytas, celui que connut de Platon (§ 127, 160. 197). Le vieil Archytas, ‘mert la fin du vi sigcle ou au début du v¢ sigcle, ne peut en effet avoir conn Platon, né en 428 et mort en 348° |.On en voudea pour preue le at qu'Archédbme soit ptsenié comme un disciple ‘stron & Arohyas (etre Vil, 339, Lek letresenvoyées par Archyls et les autes tunis de Plaontmoignen des progr fats par Denysen philosophic Uetire VI 339.) 2. Voie 38et 331b.Limage d Arehyasquiressor dec lelie e! ase gate, ‘nume bien monte GER. Lloyd «Plato and Archyiasinthe Sevemh eter», Phones 35.1990, p. 158-174 5. Sure sje. voir Lue Bison, Lees 1987, 19992, Lerre XH (sive det letre Aeehyash 267-274 ‘S.Metphvsiqu, H2, 108332226, Aristte ne cite Archytas que dans deux sues rasages En Rhctorgue HI 11, (412913. il la econnat un epi sagace pour avoir “tli onesimiltade entre deux objets fr iffrens «Un abitre et un atl son choses ‘deigues carfunet Vane saslerefupe de tut ce qui souteNijusice » Een Polingue Vit 61340626 semble atnbuerTinsention def eréelle (platage) Par aillers in Probleme section XIV, 9,918 2283) gist pas arneicien semble a atebuee Une xpication elaive aux fis que les pares exteres des plants des anima sont de forme aire. 5. Sur Archyts faust ere beaucoup pls prudent que ne 'est Charles Kahn dans Prthagoras and the Pythagoreans. A Brief Mitors. qut dans un chapite ini = Pythagorean philosophy nthe ine of Archyss and Plo» inspire un live de Carl Hatfman paaive M4 Lue saisson Timée de Locres Dans le Timée, le personnage éponyme est décrit dans les termes suivants : En effet, Timée que voici, qui vient de la cité si bien poticée de Locres en Italie, 08, par Ia fortune ot par la naissance, il n'est infétieur & personne, s'est vu dans sa cité confier les plus hautes charges et décerer les plus grands honneurs en outte. Il s'est, & ron sens. élevé aux sommets de la philosophie dans son ensemble (Timée, 19 20, tad, L. Brisson) A instar d'Archytas, comme un homme politique et un il nest pas qualifié de « pythagoricien » par Paton. De plus, comme n'a vu, il n'est mEme pas nommé dans e catalogue des Pythago- riciens;ce qui tres probablements'explique par "hypothése faite plus haut suivant laquelle est postérieur Aristoxéne l'apocryphe mis sous son nom. etque l'on aeonsidéré comme la source du Time de Platon’. Au tout début de son Commentaire au Timée de Paton, Proclus admet cette filiation.et & Fepoque modeme Alired E. Taylor®, dans son commentaire, «repris cette hypothese. Mais est impossible de prowver que tel ou tel élément du Timée soit pythagoricien. On y trouve des références a des points de doctrines mathé- ‘matiques atibuées par Euclid, dans ses Eléments, aux Pythagoriciens; mais rien ne dit que Platon les ait emprunté directement aux Pythago- riciens; i faut en effet se garder une fois de plus d’assimiler automat , Conve Pax 1: Le Plaonisme dévol, textes réunis par Monique Dissut, Pais, Vein Tradion de a pensée clase, 1993p 339-386: repris dansmes Lectures de Paton. Pats Vrin 2000, p. 28-41 2-Diogene Laztce donne Aleimos de Sil comme source de Taccustion de plagiat, donPion se serait rendu coupube cone Epicharm et pr vie de conséquence conte Pyihagore. Raster et histone (in «debut ies), Alemos de Sie arate icine de Sip, loisitme chef de Ecole mgatique; disciple de Doge leCynique et (Eade de Mégare, St surat notanmen refuse Ia disinction platnicienseente Te sensbee'ielliibie- auras tendanee 3 deat cet Aleios aver Vater di Contre Amvaas. dont Diogéne Laere ite un large exten I, 9-17 5. Pour une snalse ence sens dh émoignage dAleimos, voir atic de K. Gases, Die PlutonReferate des Alkimos bei Diogenes Laentios (II 9-17), dans Zee Melonges Ede Sircker, Amtwerpen-Usecht, De Nedevlandsche BoeKhande, 1973, pours 36 Lue BRISSON En fait, elle se bome & illustrer de fagon malveillante les rappons qu’ Aristote avait remarqués entre les doctrines platoniciennes. et des pythagoriciennes. Au début du chapitre 6 du livre A de la Métaphysigue {cité supra, p. 22), Aristote explique que Platon fit bypothse des formes, intelligibles pour échapper au changement perpétuel qui affect les choses, sensibles, en objectivant les definitions communes auxquels tentait de parvenir Socrate i fait done I une distinction trés nette entre les formes inelligibles séparées de Platon et les nombres des Pythagoriciens qui se trouvent dans Tes choses sensibles, En revanche, Aristote insiste dans le notion pythagoricienne de passage qui suit sur le fait que Platon a annes participation en se bornant en changer le nom les Quant & cette panicipation, Platon ne modifiait que le nom Pythagoriciens en elfetdisent que les étres existent par imitation des nombres: pour Platon, ¢' est changé, Toutefois cette parti intelligibles, quetle peut en éire la gu'ils laissent dans Iindécision Tricot modifigey st par une participation, te mot seut ation ou imitation des formes ature? C'est I une (Mer, 86, 987 b 10-1 Coladit,ilestbien difficile de se représenter de quelle fagon Ie type de rapport établi entre les nombres et les choses sensibles dans lesquellesils se trouvent peut étre identique &celui des formes intelligibles avec les choses sensibles dont elles sont séparées. Le rapprochement parait scolaire Description dumonde sensible ‘anecdote relative au plagiat dont le Timée serait le résultat comporte plusieurs versions, La source la plus ancienne se trouve représentée par trois vers satyriques de Timon de Philionte’cités par Aulu-Gelle: Platon auraitacheté pour une grosse somme d'argent un petit po’me qui lui aurait servi éerire le Timée. Timon ne précise pas quel état l'auteur de ce petit livre. Mais Jamblique', Proclus? et Vauteur des Protégoménes i la 1. Surce passage, voir lecommanaite de H, Cherniss, Arite's Critcum of Plato and ‘the Academy 1944), New Yor, Russell & Rus 196, p. 475, 426, 2 Pour plus précsion, cf Alice Swit Riginos, Platonica. Te Anecdotes Concerning the Life and Writings of Pato, Columba Stasi the classical ton 3, Leiden, Bil 1976, pl6S-174 3, Philosopheseepigue (320-230 av.1-C.) gu arate esate de Pye et i xivitdes So Sarresjenenamétes conte les philosoptesdogmatiqus dont Paton 4.tuNicomachiartimetcam,p 0S 1017 Peli SumTim 18:13 Diehl ft PLATON, PYTHAGORE ET LES PYTEIAGORICIENS 7 niilosophie de Plaron' estiment qu'il s‘agit de Timée de Locres?; selon ‘eu. Paton se serait inspiré de la doctrine de Pythagore, sans aller jusqu’ copier écrit Sula foi d’Hermippe de Smyre?, Diogéne Laérce (IIL, 85) considére iepythagoricien Philolaos comme I'auteur de ce livre. Or, Diogéne Laéree connalt deux versions de cette acquisition; soit Platon aurait acheé ce sre, Soit Philolaos le lui aurait donné pour avoir obtenu de Denys le pardon d'un de ses disciples, Enfin, s‘appuyant sur Satyros, un jeune contemporain d'Hermippe, Diogene Laérce (IL, 9, ¢f. VIII 15 et84) rapporte que Platon demanda i Dion acheter & Philolaos cris livres concernant la doctrine de Pythagore: | ne parle pas ict ouvertement de plagiat, mais accusation semble aller Uesoi Quelle que soit la version retenue, cette anecdote était transmise pour lusrer la conviction largement répandue, méme chez les Platoniciens, suivant laquelle le platonisme dérivait du pythagorisme*. Elle constitue le socle sur lequel repose le phénoméne exégétique des «doctrines non ss» de Platon’, Méme si ’on refuse d'admettre I'authenticité de cette anecdote, on ne peut Sempécher de se demander si Platon s'est inspiré d'une cosmologie ricienne, & supposer bien sir que cette cosmologie ait vraiment eXisté et si oui jusqu’od. Tl est en effet une chose étrange, sur laguelle il convient insister = quand Platon veut discuter des théses de ses prédéces- sur le monde sensible, il a recours aux Milésiens ou a Anaxagore, ais Pythagore ou un Pythagoricien. Par ailleurs, Te seul passage © Arisiote qui donne une présentation explicte et globale de la cosmologie py thagoricienne este suivant oir. $3839 Westerink Towle Segond 2 Unfavrda début dui sisteas-1-C, 5. Hermippe de Smyme (ur site ay 1-C,) se ratache & Ecole pri ‘crv sur ie de plosophes et de lgislters norment, une euvze immense dont inspieebeavcoup Plutargue, Amsteur de sensationnalisme, Hermippe false dlibé- ‘nent histo Sir ce prctenda rapron, of H.Chemiss, Ariat» Critic of Presocatc Phitsophy, Baumne, Johas Hopkins Press, 1935, p 43-46, 223-226, 386-392; Aries Cruiser Pato and he Academy 18-194 et The Ride ofthe Barly Academy (1985) Neu York, Russell & Russell, 1962p 48-59; cesecondouvage add uaduten angais pat “ouver Boulahia sus etre: L'Enigme de Uancieme Académie, Pas, Vrin, 199, Pine 5 Sur le suet, vo L Brisson, « Présupposs et conséqucnces d'une inerpréation ‘Sots de Platlon» dns Lectures de Platon,p. 43-110. #8 LUC BRISSON Quant au systéme des Pythagoriciens, d'un edté, il offte des diffcultés moindres que tes prévédents (ceux de Speusippe, Platon fet Xénocrate), mais, d'un autre cts, il en présente d'autres qui lui ‘ont partieulires, Prendze le nombre non séparé du sensible, c'est faire disparate {que nous avons signalées: par contre, admetire que les corps sont ccamposés de nombres et que le nombre composant est le nombre ‘mathSimatique,e"est ce qui est impossible. En effet, il n'est pas vrai de dire qu'il existe des grandeurs inséeables: et, quand bien méme ‘on admetrait V'existence de grandeurs de cette sone, les unités, en tout eas. n'ont pas de grandeur: et comment une étendue peut-elle ‘tre composée dindivsibles” Or, alors que le nombre arthmétique, ‘du moins, est une somme d'unités, ces philosophies veulent que les fires soient fe nombre méme, et, de toute fagon, appliquent aux corps les propositions des nombees, comme sls étaient composés de ces nombres, I est done nésessaire, sl est vrai que Le nombre est un éte réel et par soi, qu'il le soit de une des manigres que nous avons distinguées, e, s'il ne peut 2tre aucune de ces maniéres, il fest manifeste que 1a nature du nombre nest pas celle que lui cconstruisent ces philosophes qui en font un eure séparé. (Mer, M8, 1083 b 8-23, rad, Tricot modifiée) Ce texte, suivant Raven', contient huit assertions 1) Les Pythagoriciens reconnaissent une seule espéce de nombre, le nombre mathématique 2) ce nombre n'est pas séparé des sensibles; 3) les corps en sont composés, ce sont des agrégats d” unités 4) ily aurait des grandeurs (physiques) indivisibles: 5) le nombre arithmstique est pluralitéd’unitésindivisibles 6) les unités auraient une grandeur: 7) les choses sont nombres: 8) les Pythagoriciens appliquent aux choses physiques des théoremes arithmétiques. 1), 2), 3) sont données comme des theses pythagoriciennes également en 1080 16-18; 5) en 1080. 19-20, et 32-33: 7) en 987 b 28 et passi 8) en 989'b 29-34. Quant a4) et6),ce sont des conséquences inévitables de | laconjonction de 3),7)avec 1)et 5). Dans cette perspective, le nombre est ccongu comme corporel, En dautres termes, le nombre n'est pas différent du comps physique. Les arguments de Zénon pourraient bien s‘attaquer & ces 1.AE. Raven, Pihagoreansand Eleatcs An account ofthe interaction Benseen the me “opposed school daring te ifand earl fourth contries B.C. [1948], Amsexda, Haken 196, p. 53-58, Surce texte, of uss H, Chemis, Avsole's Critic of the Presoeratics 39-40 ‘assurément une grande partie des impossibilites PLATON, PYTHAGORE ET LES PYTHAGORICIENS 39 theses pythagoriciennes. car elles développent une critique contre une conception marquée par un synerétisme archaique qui ne distingue pas entre le plandes choses physiques. celui des notions mathématiques, et celui de tse, Zénon associe aux multiplicités sensibles, afin d’en rendre compte comme de réalités, des multiplictés « de chases qui sont (a: dna)», do, ‘esullzn les contradictions qu'il met en lumigre. Il s‘agit donc bien d'une critique des objets visibles et de ce qui les conceme, etc'est unc controverse sut]'explication du monde physique que mettent en ceuvre les arguments de Héate; voila d’ailleurs ce qui justfie leur examen par Aristote dans sa Physique. Sur ce point aussi, Piaton, dans le Parménide, se youve en gon avee ce que nous savons par ailleurs D'unautre c6té, Pidée d’ utiliser non Ie seul langage ordinaire, mais les syahématiques, pour décrire le monde sensible semble venir de Pythagore -s Pythagoriciens. Toute la qu de savoir si cette influence fut cut pour relais des mathématiciens comme Théstete qui, cus, suraient pu s'inspirer de découvertes faites par les Pythagoriciens en 1hématiques, mais en les intégrant dans un ensemble n'ayant plus rien de hagoricien, Cette seconde hypothe me parait laplus vraisemblable, Doctrine de la transmigration de U'ame On estime que ta transmigration de I'ame était un dogme chez les Omphigues et chez les Pythagoriens? et que Paton l'aurait repris & son ‘compe, L’enjeu est important dans la mesure oit Ia transmigration de "ame ‘rez Platon, la base de la doctrine de la réminiscence qui elle-méme impligue la notion de forme intelligible séparée qui peut éxre contemplée parame méme séparée du corps. Mais aucun des témoignages avancés pour prouver que les Pythago: srOnaient a doctrine de la transmigration n'est décisif. pyggbiogtne Lee cite des vers de Xénophane qu'il rappone a Pythagore Alors qu'un jour il passat prés dun jeune chien que Ion battait, il fut, raconte-ton, pris de pitié et prononga ces mots: « Arritez ces coups de biton, car c'est Mime d'un etre qui m'est cher, Je la reconnais en Fentendant sboyer ». (VIII 36) |. Suri sue voi M, Caveing, Zénon dé. Prolégomines aus doctrines da contin, re hstorqueecortgue des Fragment et Ténolgnages, Pais, Vin, 1982; 26, Pars 2 oir Love and Seience 3c 8 fgon beaucoup moins rgoureuse et prudent, ©.Cssaio, «Le metempsicosi ta Orfeo ¢ Piagora» dans Orphisme et Orphée. en honneurde ean Rudhar ed pat Ph Borgeaud, Gentve, Dror, 19,9. 119-188 40 Luc BRISSON ‘On remarquera qu’aucun nom propre n'est cité dans ce fragment qui pourrait faire référence un autre personage que Pythagore. De plus, il pourrait s‘agir la d'une critique du genre de celle qu’Aristote adresse aux Pythagoriciens, = Au début du De anima, Arisote fait cette remarque polémique Or nos théoriciens s‘efforeent seulement de déterminer de quelle sorte d'éte est lime, mais pour le corps qui doit la recevoir, ils ‘Wapportent plus aucune détermination; comme s'il se pouvait, conformément aux mythes pythagoriciens, que n’impore quelle lime pénétre dans n'importe quel corps! (De anima, I, 3, 407 6 20- 23, wad, Barbotin’ of: aussi Il. 2, 414 21-22) Mais rien ne permet de déterminer si Aristote veut parler Ia individ ou d’espice, Ce qu'il dénonce, c'est erreur qui consiste A ne pas distinguer animal de "homme. = Lorsqu’il décrit arrivée de Pythagore & Crotone, Porphyre rapporte coquedit Dicéarque, le disciple d’Aristore Quant & ce qu'il dissit aux gens de son entourage, nul ne peut le formuler avee certitude: et en effet il égnait parm eux un silence cexceptionnel, Toutefois les points les plus pénéralement admis sont les suivants: d'abord que T'dme est immortelle: ensuite, Gu’elle passe dans d'autres espéces animales; en outre, qu’d des pétiodes déterminées ce qui a &é renait, que rien n'est absolument nouveau, qu'il faut reconnaitre La meme espéce & tous les Eres qui fegoivent vie. Car ce sont 1a, 8 ce qu'on rapporte (phéretai) les dogmes que Pythagore le premier introduisit en Grbce. (Porphyre, Vi. Pst, 19, tad. E. des Places modiige = Dicéarque, fr. 33 Werhli) Comme Je reconnatt Iui-méme Walter Burkert, il n'y a sur un plan philologique aucun moyen de déterminer ce qui, dans cette citation, vient de Dieéarque. De plus, il convient de remanquer le scepticisme dont fait preuve ce témoignage quis’en remet&ce qu'on rapporte (phéretai) — Enfin, méme si Hérodote (IV, 95-96) affirme que les Grecs qui vivent dans la région de la mer Noire rapportent & Pythagore les pratiques immortalité en vigueur chez les Gates (Gétal athanatizontes, voir IV 93). la tradition postérieure tend & négliger de rapporter également & lui la doctrine de la transmigration. Par ailleurs, aucun témoignage ancien n’attibue explicitement la doctrine de la transmigration a Orphisme. Seule est explicitement | attibuée i’ Orphisme la doctrine d'une pré-existence de ’amme quin’est pas | forcément individuelle, et celle dune rétribution dans autre monde. PLATON, PYTHAGORE ET LES PYTHAGORICIENS 41 - Aristote explique ainsi comment ame entre dans un corps Sous ce méme grief tombe aussi la doctrine exprimée dans les vers attribués a Orphée: d'apres elle, Mme provient de univers lextérieue et pénttee dans les Stres vivants par la respiration, les dans le cas des vents lui servant de vehicule ~ chose impossibl plantes et de certains animaux, puisque tous ne sont pas Joués de respiration! C'est ce qui a échappé aux tenants de cette opinion. (Aristore, De anima, 1,5, 410b 27-41 | a 2, rad. A-Jannone) Comme je lai dit plus haut, il est impossible ici encore de savoir si \risiote parle ici de individu ou de Iespéce. Cette me semble (si Ion se trouve toujours dans un contexte pyihagoricien, mais la chose est loin détre certaine) subir un chatiment ‘rsqu’elle se trouve dans un corps qui constitue pour elle une prison son, Cranyle 400 b-c; Phédon 62’). Tout le probleme est de savoir si cette punition est individuelle ou collective, et si elle découle d'une faute sntesigure qualifige, Et surtout, il convient de noter que les initiations sont destinges & laver les ames de leurs fautes pour leur assurer une survie heureuse. Relisons ces quelques lignes de la Republique Us produisent d'sutre past une foule de livres de Musée et d"Orphée, fils de la Lune et des Muses. diton, Ils reglent leurs sacrifices sur Fautorité de ces fives et font aceroire non seulement aux pariculiers, mais encore aux cités, qu'on peut par des sacrifices et des jeux divertissants Gre absout et purifié de son crime, soit de son vivant, soit méme aprés sa mort. IIs appellent initiations ces qui nous delivrent des maux. de l'autre monde et qu'on, er sans satendre a de teribles supplices. (Il, 364€ re peut née 3658) (Onn peut trer de ce passage aucune allusion précise dune théorie de la Uwansmigration : seule est évoquée survie heureuse, tout comme dailleurs, semble-til, dans les Lois (IX, 870 d-e), dans le papyrus de Derveni et dans cs feuiles d'or, od aucune trace de transmigration ne peut étre décelée. De sureroit, Platon se montre ici és ironique & ’égard de ces individus qui Promettent de laver les fautes commmises par des cités et des individus en ettanten euvre des « sacrifices et jeux divertissants ». On notera que les ‘utes commises parlescités ne peuvent étre punies dans le contexte de la ‘ransmigration ; une cité ne peut renaitre. De plus, on promet aux individus aul serontexempiés de chitiments dont ils sont menacés, dans cete vie et Torsquisseront mors. La seule fagon d'airmer que "Orphisme defend une doctrine de la ‘rungmigraion des &mes serait de penser que sont orphiques les préues et 42 {LUC BRISSON les prétesses qu’évoque Platon dans le Ménon (81 a-e),oude titer ence sens le temoignage d’Hérodote (Il, 123) qui raméne la doctrine de la transmigras tion aux Egyptiens, ~Or, voici ce qu’on peut lire chez Héredote Au dite des Eayptiens, ce sont Déméter et Dionysos qui régnent ddans les Enfers. Les Egyptiens. sont aussi les premiers & avoir Enoncé cette doctrine, que l"dme de l'homme est immortelle: que, lorsque le corps peril, elle entre dans un autre animal qui. & son tour, est naissant; qu’apres avoir parcouru tous les des de la tere, deta mer et de I'air elle entre de nouveau dans le corps dun homme haisssant: que ce circuit s'accomplit pour elle en trois mille ans. IL fest des Grees, qui, ceus-ci plus 161, ceus-Ia plus tard, ont professé te doctrine comime si elle leur appartenait en propre je sais leurs roms, je ne les cris pas, (Uf, 123, rad. Legrand) 1 semble que les Egypiens naiem pas cru en la transmigration de Vame; et pour ce qui ext de It demite phrase i est présompruca . Fag, 8Ross = Philopon, Commenture sur Isagoge de Nicomague de Gérase, 18 2.2 Hoche. Texte adit et commen par At, Festopibre, dans La Revéarion d'Hermes imégite,t It Lediewcosmigue, Pars, Gabalda 1989, . 221-228, stout p. 222-223. 46 Luc RISsoN Sur ce point encore, on a voulu retrouver chez Platon Pinfluence dun. Pythagore fabriqué de toutes pidces a partir de Platon (One peut nier que se soit exerose sur Platon influence de Pythagore cet des Pythagoriciens. Mais dés que l'on cherche a préciser la nature et importance de cette influence, la plus grande retenue s"impose sil'on veut viter de se laisser aller des excés dans lesquels sont tombés bon nombre d'interprbtes anciens pour des raisons polémiques (Aristote, Aristoxéne, par exemple) ou idéologique (Jamblique et les Néoplatoniciens posté- rieurs), et dont les modemes reprennent sans esprit critique les alfirma tions. Seule ‘application d’une méthode historique prudemte et Tucide permet d'éviter cette dérive. ai enté dans ce texte de moniter pourquoi un lecteur de Platon peutet doit échapper aun réflexe conditionné consistant & rapporter une source pythagoricienne tout ce qu'il lit sur transmigration de "me et sur les mathématiques au sens large. Un tel réflexe ne permet de ‘mieux comprendre ni Platon ni Pythagore ni les Pythagoriciens; il ccontribue &recouvrir d’hypothéses d'autres hypothéses tout aussi fragile, Si ce travail contribue & mettre un terme & cette profusion de suppos tions qui nourrissent une histoire de la philosophie d’autant plus sédui sante qu'elle est virtuelle, i aura été salutaire SEMAINEIN ET DELOUN + ONTOLOGIE ET LANGAGE CHEZ HERACLITE ET PLATON Francesco ARONADIO Trois objects Ce travail a wois objectifs. En premier lieu, je voudrais mettre en “svidence ladifférence entrees fagons dont Platon et Héracte ont compris, la relation signifianie entre nom et chose. J'ai parlé de «fagon de comprendre » cette relation parce que, des deux, seul Platon nous a fourni lune théorisation, tandis que chez Héraclite nous ne trouvons que des ences dans lesquelles le lien nom-chose nest pas thématisé, mais est ‘au contraire utilisé comme instrument d'explication et est, du coup, considéré comme évident en soi. Sa conception sur ce point est, donc, ‘implcite, et le but de cette analyse sera de I'expliciter: cela seta possible en poursuivant deux autres objects [Nous essaierons ici en effet, dans un deuxiéme temps, d'utiliser la {question & peine indiquée comme une perspective permettant de considérer les conceptions que les deux philosophes ont du rapport entre ontologie et langage. Enfin, troisimement, nous rechecherons, & partir de T'étude de ces problémes, une indication concemant les différents modes et la signi- fication de la présence dans les textes platoniciens de références a Héraclite. Approche méthodologique Pour ce qui est de approche méthodologique, je voudrais préciser en liminaire que, sil est évident qu'une telle confrontation entre doctrines qu't Ia condition de combiner philosophiques ne peut €ue complet ranalyse historico-philosophique et I'analyse théorique, en cette occasion 48 FRANCESCO ARONADIO je n’adopterai que la seconde. Je ne m'occuperai pas, sinon de fagon marginale, de Phéraclitgisme, c’est-d-dire des traditions par lintermédisire desquelles une version bien particuligre de la philosophie 'Héraclite est parvenue & Platon. Du reste, dans le cus du probleme staité ici, une telle « mise entre parentheses » des considérations historico-philosophiques est 1gitimée, comme nous le verrons, par la correspondance substantiel le témoignage platonicien et tout ce que l'on peut savoir directement & partir des fragments d'Héraclit Coxveraence EXTRE LETEMOIONAGEDE PLATONETA PENSEED'HERACLITE Le premier moment de lanalyse va porter sur le Crarvle, pour voir si, effectivement, on peut dire que dans ce dialogue Platon a ten compte des «conceptions linguistiques » dHéraclite (et non de simples dérivations et des manipulations postérieures de la pensée du peésocratique), Je sais bien qu'une tlle opération s‘expose aux effets du cercle herméneutique, et que de plusc’est un « dialogue entre philosophes » qui est étudié. Toutefois, il cst vrai également que Menquéte peut gagner en crédibilicé grice & la coherence eta homogénéité dans l'utilisation des instruments d'exégese ete’estce que je tenterai de faire & présent Lathese souenue parle personnage de Cratsle A premifre lecture, les deux thtses classiques sur Torthores 6n dnometén dans le Crayle peuvent sembler opposées a these naturaliste (phusey soutenue parle personnage de Cratyle, et celle conventionnalste (these) choise par Hermogéne.Ainsi présente le debat semble concerer Vorigine naturelle ou cuturelle des noms. A une autre occasion’. nous avons dsj fait remarquer comment le dialogue se développe & deux niveau: sous lecoafltentre Hermogéne et Cratyl se site un niveau plus en profondeur, od Socrate s‘oppose aux deux theses soutenues par ses imterlocuteurs. Aux yeux de Paton, cellesci peuvent re rapprochées. en cfc, par le fait q’elles présente toutes les deux le nom, et 5a relation avecla chose dan fe cadre d'une appatenance présupposée& un domaine non linguistigue, Pour Hermogéne, le nom appartient av domaine de homme et de ses activités, pour Cratyle, il appatient au domaine des 1. Plone, Caio, Invodunone, aduionee noe a F. Aronadio, Roms-Bari, 1996, Pxxtng (wor également p47, 2); e me permets de mentonnerEgalement mon atc précédent: «ll “Cra, W Hinguaggio e Ia sinusst dell'sidor + Elenchos Yi. 1987, 329-362. CONTOLOGIE ET LANGAGE CHEZ HERACLITE ET PLATON 49 chow et de leur réalité; pour Hermogéne, la relation qui ie le nom la chose est extrinséque parce que c'est "homme qui décide s'il doit nommer etcomment il va nommer quelque chose, pour Cratyle, le rapport entre le -nomet lachose est intrins&que vu que toute chose aun nom. Il est probable «que Platon a voulu rejeter opposition phusei /thesei? et montrer, par une analyse remontant aux racines philosophiques des deux positions?, ‘comment derrire leradicalisme ingénu d’Hermogene et derritre lacohérence ‘sue de Cratyle se cache une conception plus profonde de la réalité, qui ccomporte le méme refus de laisser place & une dimension autonome du nom ‘ot da langage), et difere finalement seulement sur la nature de la relation nomchose, Platon, donc, veut Schapper & laltemative naturalisme/ conventionnalisme? et se déplace sur le plan de opposition inti: ‘gue’ extrinseque, oii alternative trouve son fondement philosophique = iL re faut pas se demander comment est imposé le nom, si c'est par convention ou par nature, car il convient d’enquéter préalablement pour Savoir quel statut ontologique est reconnu au nom, et, par conséquent, quel relation on lui atribue aver la chose. 1 Le fac que opposition phe thes ne sit pas ta ce pour comprende fe ts mena Carte ext solign gale par Holy. Plaonente le mare cole et fabriguant de mots. Remargues ur lec» granimata » abe pages 105-36 de Philosophie age et granoaire dans Vomiuté. Brytlles-Grenoble, 1986 p.126: celarei la ‘nse cependsnt quand présente la thee de Paton comme une reletre di raturalime Se Cayle fen vue-de la fondaion de ls Fore di nom) et at conveniionnalisie Hemogene pour une justifiationihgonque dela technique anomaturgiqe, cst dire Pour une consition da langage ouverte 8k econnaissance de la plaice des codes Tinguisiqas) La thise soutenae 6) es ‘ oppsiton a Maur couple, ininseque/ ext permet, comme nos le xerons ps td, de cisingier deux problématgues dot Ia inerence ne peut Ee pergue sop adopte Topique comune aut deux imteriuteurs de Soeraescesroblématiques sont celles et relation ente le nom ta chose et celle a jee oncioanelled un nom 2 Lathesed'Hermogene et ramenéeen 3868 a elativsme protgoeéen (la Vide Lune eléonologigue et non pas gnosclogiqu. comme Vateste la référence qui suit Exthydeme) Quant Craty levees lrméme, en 40 , qu epee qi a une dete envers erat, mime sdansledaiogue Paton r-€ublitpas de connexion sete ene Fs thes Tingotigacs de Crate ets philosophic de MEphésien: le texte platnicen ait ouvert allusion dune onologie, propre en vérit a 'hracliisme pac gu's Herat, comme “ant adocrine i sen de Fond la Welanschanang inplicte dans Tatiuse eras enne ms contre qac le glissenent de ce couple nseque. 2 des consequences uleieues et 3 Uncoupled opposésqu parsers un godt sopbisigue en ce sen gi rsgue de ransfmer la consideration da langage eh une question porement fechnigue,négligcant ans imporance onrlogiue ‘[Liauteur di nine ms fe substan «ntinséité» serait wop barbare en Fras oma tradi partou par ie inensique». Nowe de 'éieur 50 FRANCESCO ARONADIO int de plus pres a la thése preiée dans le du naturalisme, mais. dans Je vais m’attacher & pré dialogue & Cratyle, non plus & la lumigre optique de ce len intrins2que. Une premigre formulation est fournie au «début du dialogue par a bouche d'Hermogéne, qui récapitule pour Socrate, ‘outre sa postion, celle de son interlocuteur: selon Cratyle,diti, il y a une justsse du nom qui appartient & chacune des choses qui y est ej prédisposée par natur ‘Ce qui revientdire que, pour chaque chose, Ia justesse du nom (done Je nom comect) est immédiatement (phusei) donnée (pephukuia). Cette these, comprise de fagon naturaliste, signifie que l'origine des mots se {rouve dans les choses elles-mémes, ce qui implique que les hommes ne peuvent pas « faire naitre », donner des noms, C'est en effet ce que déduit ‘Hermogene quand il souligne que dans 'optique de Cratyle A certains, selon [appellation dont Je nom n'est pas ce gui perme is sont convenus, de les appeler en émettant une parte d voix, mais qu'une eertaine justesse des noms, pour les Grees et pour les Barbares, Ia méme pour tous, est deh prédisposée Cen'est cependant pas dans cette direction que Platon fera avancer parla suite le personnage de Socrate lors de sa confrontation avec Cratyle. Une preuve indirecte en est que la question de T’origine naturelle des noms est ‘posée dans deux circonstances ol elle joue un role somme toute marginal dans Ja section étymologique, ol Socrate s'épuise & remonter vers une institution originelle des noms mais s‘efforce en réalité ironiquement de , quand il est mélé d'aromates, est guerre pais, satiéé faim: il se rnommé suivant le parfum de chacun deux” Nous nous rouvonsici face une formulation du théme conceptuel du Hen Panta :ledieuest¥"un, et es couples 4’ opposition sont les nombreuses choses qui dans leur totaité sont identiques &1'un, Dela méme maniére, le feu’ est un, mais prend des formes multiples. De méme que tous les arémes que prend le feu prennent des noms divers, de méme toutes les choses prennent des noms qui peuvent s’opposer entre eux. «Jour et « nuit » shiver» et «été »,ec., sont les noms qui indiquent I’€re de la réalité du ‘cOté du Panta = ils sont dans une relation insime ave I'étre en ce sens qu'ils cexpriment les formes multiples que celui-ci peut prendre. Je ne crois pas ‘vil soit Iégitime ou soubaitable d'interpréter ce fragment comune preuve «une dévalorisation dela « connaissance sensible » et, en conséquence, de la portée (épistémotogique. ontologique?) des noms : du moins le texte re nous autorise pas & le faire. Nous pouvons, par contre, nous contenter encore une fois d'une interprétation minimale, ob est fait abstraction du probleme dela higrarchisation entre les dimensions de l'un et des multiples: |. Danse premiera, le snsd fragment sera suvant:lestres son les éleats 3 utr desquels i et possible de connate les noms, compris eux aussi comme des éces, "Svsracton fate delaconnaiseance qe noss en avons 9 alachose alors nous Pouvons tenconnste le om»), Dans le seondcas, accent serait missle ait qu'on posse une erain notion de Dit, td Ia pens fat que ceraies choses doivent («si nous ‘onnsisons a chose alors achosedeitexistr»). 2.22861 DK-= fr. 109 Conche: & Ao: lon cigpann, ye Bipae, mONEHOE tle, wigoe ide otto Suuonep Snérov ewpYY Paap duqerat a0" fbowry bxsoroe. 3: Linertion de Diels esten géndeal accede DONTOLOOIE ET LANGAGE CHEZ HERACLITE ET PLATON 35 ‘on constate seulement que, par rapport & cette articulation du réel, est Gablie ici une connexion étroite entre les noms et la réalité, et plus précisément une relation entre les noms et des choses opposées' Cette méme relation, du reste, ne peut étre pensée par Héracite comme ne relation fixe, rigide, donnée par nature, car autrement le lien nom-chose constituerait une identité élémentaire et forte, dans un univers dans lequel au contraire unique identié est le résultat de différences. Les noms des ares ne désigntent pas la nature ’essence unique de chaque ardme, quien séalité n'a pas d'essence qui lui soit propre mais est seulement une forme prise parle feuslesnoms dans leur multiplicitérévelent (ou plutot signifient, ‘comme nous le verrons clairement plus loin) la nature changeante du feu et individuellement en indiquent un aspect. On pourrait lire dans cette perspective le fr. 48 Pour lar, le nom est vies mais Veuve est mor Grace au ff, 51 nous savons que I'are est en soi « harmonie de tensions ‘opposées »*, symbole donc de la structure du réel. Dans le fr. 48 cette symbolique est également maintenue: Yopposition nom-wuvre, onoma- ergom est, pour la nature en soi contraie de are, une fagon de se présenter, ilse manifeste en méme temps comme vie et comme mort. Je ne crois pas {que nous soyons autorisés & découvrir ici une opposition entre le nom, trompeur, et Ia vraie réalité de la chose*: toujours en tenant compte du fi. 51, nous pouvons dire que celui qui ne comprend pas renforce les op- positions, et que celui qui comprend les tient unies; ergon n'est pas plus vrai que l'onoma, ils sont en opposition dynamique. L'are est tension hurmonieuse entre la corde et Ie bois, tout comme entre le nom et Peffet produit :ilsagit de quatre (entre autres) types de manifestation de Vétre de YYare, qui, comme celui de tout sire, est toujours une concordia discors ‘L’opposition présumée entre plan linguistique et plan de Ta réalité apparait seulementaux yeux de ceux qui séparent ces deux plans, tandis qu’ Heéraclite ‘émoigne justement de ce que Calogero appelait la coalescence de la parole, xion est la forme mayenne vere Ssopsie: Ia ité des noms que pred le ev nest pa résentée comme est de'atviéde Pomme (peu-ue induiten ereur para endance 8 selaisser guider pales Elements sensor) 4 centre, le fragment semble woulair die que c'est la eli ell-méme quien changeant end chaque fos des contours et des noms fens 2.22 B48 DK =f. 128 Conehe x9 roi oo Bog prov 8 Oba 3.G£ 22 51 DK =f 125 Conche oi fon dnt Bngepsevy iaerd fysdayét reaivrponog dgusin Sauna oo xt oon is ne comprennent pas comment ce ‘oppose soi méme saccorde avec si: ajusement par atons de sens conte, somame do Vac et delay.) 4-Comme désie le faire au convaire A. Palio, « Erle logos, dans Sage cnt semantia, Messin Firenze 19839. 10, 56 FRANCESCO “Z0NADIO de laréalitéct de la vésité!. Le philosiche d'Ephése semble traiter le nom ‘Fume chose de la méme maniére ques proprités ou que ses parties: au ne ttre que celes-i lu aussi appivent a la chose. Il n'est pas extin- séque, ce n'est pas une étiquete ajoues et interchangeable’ sv contraire est comme je Iai dict, un iew ephénomenotogie de la chose. Le roms ninséque lachose,non pas parce qu'il en exprime T'essence ou lanature,puisque la chose singulire 2's comme idemtté propre que celle des termes opposés, Le noms inrissqu lachose justement pace qu'il est unilatéral et tendu enire deux eoatstes, comme la chose, et pat conséquent est un signe indirect de unité composée du réel dans sa rota Le jeu des synapses, des « nauis» du célebre fr. 10, montre bien comment pour Hérsclte la réalité aie n'est pas celle de la chose singulitre, d'un élément de Poppositns, elle ouve son identité non pas en soi, mais dans sa relation & autre Prise isolément, chaque chose est opaque, parce que ce n'est pas en la egulant que on russ en déchiffer lnature. De méme, lenom dune chose este opague dans sa singular; si on écoutede fason isolge, on n‘cbtiex:qu'une simple indication. Le nom insttue pas une référence lachoseomme peut seul le penser celui qui sovtient que le nom est une rélité ewrinséque a la chose, une rGalité capable alors de connoterlachose, der sélectionner un aspect gre & cete rétérence, Si au contre, la chose esten soi opaque, le nom ne peut éte congu comme une opération ou come une elaboration: il devra panager Topacité deta chose et it ne pourra ra faire de plus qu’indiquer celle -Méme les noms dont on se sert pour d&signerla vine réalit (hen, logos ppur.0u Zeus), sls son pris isolément e sont que des indices de ralités partculires qui posséden eur identit dans un jeu opposition (par ex., Iehenavec le pana); siau contraire cesont des noms déivant de la néoes- sitéde dépasser'unilatralité des choss, et de chaque vue sur elles, alors ils possédent une signification plus prfonde, parce qu'ilsn'indiquent pas quelque chose de particulier, mas sigritient le systeme des paticuarts Ala lumitre de ces analyses donc, on peut alfimer que Platon a parfaitement sasi et rendu dans le Crane infrastructure conceptuelle de TFattitude d’Héracliteenvers lesnoms,enévitande la considrer pani du point de vue de la justesse naturelle des noms (naturalisme) et en se concentran au contre sur Ia relation qui ie le nom A la chose: une relation ni correct ni incorrecte, maisiatinséque une relation qui n'est ni révlaice de Vessence ni trompeuse, nis qui est une simple indication, ‘un fic parm autre fits, un « nom propre » qui ne connote pas mais fine pardevenirune proprité(parmid utes) dela chose, Mais l'interpétation 1.6 Calogero, Storia deiaiogicaamica.s. passi DONTOLOGIE ET LANGAGE CHEZ HERACLITE ET PLATON 3 platonicienne se rév@le la plus fine et la plus adéquate lorsqu’elle fit ‘comprendte comment, dans la pensée héraclitéenne, on peut découvrir la fférenciation manquée entre langage et réalité, comprise comme reconnaissance manguée de I'autonomie ontologique du nom. Se profile ici 8 horizon la possibilité de présenter un autre élément imterprétation, J'ai dja fait allusion aux deux plans qui structurent la composition du dialogue portant le nom de Craryle ; on peut maintenant se demander si Platon a voulu, consciemment, distinguer entre un héracli- twisme des épigones, discuté sur le plan « superficiel » du dialogue et personnifié par Cratyle et sa these de la orthores 16m onomatdn, et la pensée 4 Héraclite,discutée au niveau profond de I’eruvre quand ilest fait référence a fondement ontologique de cette conception du nom’. En effet, de méme que la conception naturaliste nous est apparue comme étant une radicali: Sation et une banalisation du caractére intrinstque du nom, de méme la doctrine du flux chaotique de toutes les étres,ridiculisée dans Ia section ymologique, pourrait avoir &€ considénée par Platon comme une radicalisation de la these du flux universe! plus justement attribuable & Heéraclite, Comme pourle versant linguistique, la différence dépendrait duu fait que leshéraclitéens ont insisté essentiellement sur un théme conceptuel ‘qui apparaissait dans la pensée du présocratique comme la conséquence ‘d'un autre theme. Reprenons le cas du nom: le point central de Mattitude béraclitéenne est sa conception d'un lien intrinséque, afin de mettre en ‘vidence Vappartenance du nom au domaine des choses. Dece point de vue, Héraclte pouvaitaffirmer qu’entre le nom et la chose existait une relation Sroite, pouvantétre également de type oppositionnel, commec’estjustement Te propre du domaine des singularités: en fait, Mhéraclitéisme aurait waveiey dow Ev Aeapote be NR re xpuns 33a argo, eee 60 FRANCESCO _ARONADIO cacher, il ne peut tout simplement pas renoncer & indiquer les noms dont parle 'oracle signifient, renvoient autre chose, font débuter un parcours de renvois dans la trame du réel, parce qu’ils ne se limitent pas 8 indiquer la cchose mais la signifient. dans le double sens qu'eux-mémes s'offrent ‘comme signe d'autre chose et que la chose nommée est « faite signe » de quelque chose dauur. Le sémainein a donc, dans cette interprétation, une importance particule :onne peutcertes pas dire qu'il consttue un terme technique de kt Philosophie d’ Héraclte, etdu reste on ne doit pas attendee & wouver dans ses Fragments une terminologie linguistique spécifique, s'il est vrai, comme on aditauparavant, qu'il n'a pas thématisé fe langage. Toutefois ce verbe gree ‘semble bien exprimer la valeur propre des noms pour le présocratique : celle due parfaitementinsérés comme indices dans le tissu des relations et d'avoir par conséquent la possibilté de provoquer un mouvement de renvoi nom limite lachose mais propre 4étre considéné comme lieu de relation, les noms s offranteux-mémes comme lieu de elation Cette fonction particuliére d'expression indicale (que le nom qui semaine’ ne perd pas, puisque ce qu'il acquiert est seulement la capacité d'indiquer non plus fa chose mais la relation) a &€ reconnue comme résultant de I'interpréiation fournie par Platon & propos de la thése du caractére intrinséque du Tien, I faut done peésent examiner si le sémainein 4, dans le langage platonicien, les m&mes earactérstiques que celles qu'on lu @ attribuées ici: en d'autres termes il faut comprendre: a) si, dans la ‘mesure od, dans le Crazyle, Platon s'oppose a la these du lien 'intrinséque, il nie que la fonction du nom soit justement seulement de sémainein, et ') si Platon caractérise par ce verte la relation nom-chose de expression indicate. Si dans les textes platoniciens nous touvions des confirmations our ces deux points, la fiablité de la lecture platonicienne de la pensée <'Heéractite serait prouvée et, par la méme occasion, la distance prise par Platon par rapport aux «theses linguistiques » de son prédécesseur se ‘vermait confirmée et renforose, Dy sintanveswav adiaovn LLARELATION NOM CHOSECHEZ PLATON Laltérté entre langage et réalisé Pourrevenir al'examendeI’échange entre Socrate et Cratyle, construit parPlaton avec un talent raffiné een méme temps avec une grande rigueur logique, on peut noter que les points importants de la position de Cratyle sont justement les points fondamentaux de lattitude d'Héracite et que ONTOLOGIE ET LANGAGE CHEZ HERACLITE ET PLATON 6 potrtant|'interlocuteur de Socrate est dpeint comme un dogmatique dune clairvoyance plur6t faible, trait qui se préte bien, sur le plan dramatique, & Jamise en scene de la futation de Soerare. ‘Considérons les points sur lesquels Socrate réussit 8 obtenir Massen- timent de Cratyle : tout d’abord, dans le passage qui suit immédiatement celui qui aété lu précédemment, Cratyle reconnait que Une chose est le nom, une autee la chose dont i est le non Forcant un peu l'argumentation, Socrate réintroduit ici le théme de imitation et alfimme que les noms, comme les exécutions pictural peuvent étre considérées comme des mimémara, mais Cratyle est assez clair Torsgu’il dit que, dans le cas des noms, les imitations sont toujours wrectes*, Cette reconnaissance de la non-idemtité nom-chose, et Paccent rmis sur Ia nécessité du lien qui les unit, cadrent parfaitemem avec la conception héraclitéenne du nom comme expression indicale : la force du nom consiste pour Héraclite, comme on 'a vu, dans sa capacité d'indiquer lanature de lachose, parce qu’ilesten relation avec elle’, Dans cette phase du dialogue, trés déticate parve qu'il s'agit du début de Ia réfutation de la thdse de la nature intrinséque du lien, ta stratégic de Platon écrivain me semble éue la suivante : sur le plan dramatique, le personnage de Cratyle est conduit par le harcélement de Socrate & donner son assentiment & certaines petites propositions, et il est amené 2 laisser de c6té les impli cations radicales gu’il voudraiten tier: surle plan conceptuel, e point fort, de la thése mise & I'examen, point fort qui correspond & a position d'Héraclte, mais exempte des exagérations probables de ses adeples, est risen évidence, 1 Plat, Crat, 4302638 +20. — Jp oi 90 yew Be Gene 19 duos eso, JRBO He io of 0 Ss danv:(« SOCR. — ne rasa pas gue chose est le dem, une sate don ies e nom») Ces ii que Cate monte sa faiblesse dlestique eta matare Senvle de son beac: Socratedémontretafaclement que Valente admise ne peut signfier que la distntion entre deur domains (langage ot réalite). Un bypethstique peronnageeHéraciteaurait peut ete insist at ali eave ent le nom ela cone tr identi abso del trame de relations 8 Ingle renoven,indstncement, les roms, leschose er eur elations. 2.Gf Platon, Crt, $300 8-e2: KP. — “AWE Bag wh. Dawpaee, Ev pv roe oyun f rire, 9 an Spode Bowe, i BL oie Suga’ ob. A doaypaIOW 8 5 dpc (« CRAT, —-Mais attention, Soest peur que dans as exécwtions pista estpassiblede faite eae. dedstibuede fagonincomecte, tnd que pour es nem imposible, est écesaite qu cela advienne toujours corectement.»), 3.0n a ww plus haut coment cest également une fabless du nom puisgue cela expose, a mame tire que les autres termes de la elation, au rngue dire so et pris comme élément en si reconnalsste See nn i eee 2 FRANCESCO ARONADIO Laconsciencequ’a Platon de ce point se manifeste dans le passage qui suit, lorsque, avec le verbe deiknunai, la position centrale du fait d"indiquer trouve sa place, Dans ce passage, Socrate passe de Ianalyse de la relation chose-nom 2 la reconnaissance du nom comme terme d'une relation, ‘argumentation peut ure reconstruite ainsi : admetions (provisoirement) ue la relation nom-chose consiste dans indication de lanature dela chose test done nécessaie, unilatérale et biunivoque sil faudra également que le premier terme de cette relation, c"esta-dire le nom, soit reconnaissable justement comme indicateur; admettons encore (toujours provisoirement®) ue l'unique fagon de se référer & une chose est de l'indiquer: alors, les ‘noms eux-mémees pourront &tre indiqués, mais une fois indiqués comme ‘ indique; sies mots indiquent toujours quelque chose 4ui est, alors ces mots indiquent un nom, qui peut done étre reconnu en tant ‘que nom, indépendamment méme de la chose que ce nom pour sa part indique. On peut titer de ce passage deux éléments importants : le premier cconceme la conception platonicienne, le second I'interprétation platoni cienned'Héraclit. Le premier démontre la nécessité de reconnaitreIaltérité centre langage et réalité, méme si on accepie la conception héraclitéenne, {qui ainsi, se névele incohérente; le second est 1a compréhension que le fait Gindiquer est te wait distinctif et profond de la thése de la nature intrinséque du lien, dans 1a mesure oi "indication est unique terain sur Jequel les deux interlocuteurs réussissent pour le momenta s'entendre, Un peu plus loin, Socrate, par une minutieuse série d’arguments, contraint/"interlocuteur &admettre, d’abord, qu’un nom peut indiquer ne chose seulement sil ne la reproduit pas exactement (sinon, on arive au paradoxe du dédoublement de 1a chose, comme le montre Je célebre exemple des deux Cratyles), ensuite, que le nom n'indique pas, puisque c'est grice & usage commun (10 ethos, 434-435 b) de certains sons en rélérence certaines choses (ow. certains concepts) que subsiste la relation nom-chose, 1.Cene thise de ta comespondance bivnivagee nomchose sera_abundonnée end320-433, 2.Liindcaion, méme seulement sous la forme de imitation, sera dfiniiverent remplacée par estension (kas) en 4354 3.Eneffet le rappor que Paton Gali jusemet quad il arodut la notion usage, ene Hate &émission de avon ts récepion, entre ce que el qi parle vet die et ONTOLOGIE EF LANGAGE CHEZ HERACLITE ET PLATON 6 En substance, done, & la lumidre de tout I'éhange entre Socrate et Crayyle, il reson, semble-ti, qu’'ils se heurtent principalement sur la jpossibilicé que les noms constituent un lieu d'opérations humaines et ne Soignt pas congus comme des étres « objectivement » pourvues de capacité réentielle: le pivot de la conception platonicienne, dans la premiere partie du dialogue opposant Socrate & Hermogéne, est au contraire le fait {gue le nom est un instrument (organon, 388 a-b) par intermédiaire duquel Jes hommes expriment un certain décodage des éléments du réel, en cesseyantd’en repérer les connexions. Discemer les choses et air de fagon Tinguistique sur elles veut dite opérer des sélections, ct pas seulement ;ecveillir des données. Dans 1a perspective héraclitéenne, le nom est, commie on T’a vu, une sorte de « symptome » de létre, il est une caracié= "stique de la chose et, en ant que tl, il renvoie & la trame du réel: Te nom, est ainsi soustrait& 'opération de "homme, qui ne doit pas eroire qu'il ‘construit, mais qu doit se mettre « i1'écoute » avant de pouvoir parler avec sagesse. Sien effet le nom estun indice, son lien avec Ia chose ne sera pas Giférent de celui de n'importe quelle autre proprisié ou étiquette ou perception de lachose, il partage le caractére éphémere et non fiable de leur lgrentarié, et ecaractere permanent et révélateur de leur appartenance au syste du logos-réalité, Si le nom est un instrument, au contrite, on en econnaitra Ia spécificité ontologique, et on pourra done évaluer et amdliorer sacapacité de faire référence ila alt. Orthores ‘a démonstration de P'altérité du langage par rapport & la réaliéinctut la reconnaissance de caractéristiques ontologiques propres au nom. Le nom ne repioduit pas la nature de la chose, mais posséde une nature linguistique spécifique, une constitution: comme pour tout autre instrument, les matériaux dont il est composé eta fagon dont lest forgé ou assemblé sont ‘dcterminants pour obtenir un usage réussi, Ty aura done de plus ou moins bons instruments, & des degrés divers. Platon place au sommet un nom und fart dvaue (389 d), qui porte en soi toutes les caractéristiques u’an tel instrument doit posséder en Iui-méme, pour fonctionner au mieux, C’est Ia dimension de Iép8éenc_ des noms, comme on peut le constater en 389 d-390. : un nom est comect quand il est bien constitu. ce qe celui qui entend connate sient inéressan i semble presgue que Plato sit svn et vraiment es pres de a potion d"signifi” a sensmodeme |. Un peu pls foinsen39Da, utilise us expression 708 Stuart 2.65 Paton, Cra, 38943-39042:70.— "Ap" aly, & var, wa ro baione fon egeioc Suoua row wouobery Gey ele tebe G86yOUE Hei Tae ANP et Eriovaer ‘ern mm Bhénovra npg abto doen & For Sigua, nave ot Oxiuaca moely Te en i ide png oo Soparan Here: Be Uh el YE abeoe BUNA Haare 8 Be ee

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