LE PERSONNAGE DE LYSSA
S L’HERACLES FURIEUX. D’EURIPIDE
On connait Vimportance dans la myt hologie greeque des abstrac
tions (1) personnifiges : Thémis et
{es plus célébres. La poésie la pl
sans attendre Hésiode,
Vépopée homérique fait
Personnifications :
seeur d’Arés (2) ou
Némésis n’en sont que les exemples
lus archaique en est déja pleine et,
qui opérera une véritable codification,
déja un usage abondant de semblables
que l'on songe & Deimos et Phobos, a pe
4 Pallégorie des Pridres et au rdle d’Até (3).
les Tragiques elles foisonnent ; de méme chet
'Biréné et le Ploulos ne se laissent pas oublier
Elles trouvent place, bien entendu, sur les monuments figurés, et
Hes’ vases peints, surtout partir d'une certaine époque, les
Présentent en foule (5). A vrai dire, dés que l'on y regarde d’un ee
Pres) les. distinctions, tranchées on apparence, sont parfois
imalaisées. On a longtemps oublig que) ek
une abstraction personnit ®, mais une réelle divinité, la déesse
Rhamnonte (6). La ligne de démareation est loin d’étre hole
ute existe-t-il encore plus d’abstractions person
ele croyons de prime abord, car des noms propre’
(1) Nous ne pations pas j
dans te Thegenie Crneoene
(2) Voir Hliade, 1, 440-441,
(8) Wiade, 1X,’ soe
(4) Votr notre Pinas
(9) On connatt leur
a
et Terre
(Félements personnines, comme Ciel et
lis forment une tout autre catégorie.
Tete & prophite, Paris, 1956, p. 196 qq sine
importance dans la céramique * sidcle. rd, Le
Ripe Micries par 14 ees, Pars
- 1943, et surtout Je beau livre de M. Louis St
Personnifies
sd. 1967
Ports avec 1a Céramique, Paris, 1926, 2 mary
t ce quoubi Je livre ag, Tournier, par ailleurs excellent,
pee eee ate oan fa?LYSSA DANS L'HERACLES FURIEUX D'EURIPIDE, 131
dorigine étrangére ou simplement. préhellénique, auxquels nous ne
connaissons pas de signification, pouvaient fort bien & Vorigine en
avoir une. Un autre seuil, également délicat, est fourni, dans
Vordre du langage, par le passage du nom commun au nom propre.
Tele phrase de Pindare — le cas se présente assez souvent — est
@interprétation, et _méme d’édition, malaisée, faute de pouvoir
décider avec certitude si l'on a affaire & yépug ou Xégtc, A Moiga ou
uoipa. Ajoutons la difficulté analogue, dans un ordre de complexité
croissante, qu’introduit la pratique, soit de la généalogie, soit de
Vallégorie : quand Théognis dit que Képoc engendre “Yéprc, &
Vinverse de Solon et de Pindare (1), s'agit-il d'une réelle généalogie
tres divins ou d'une allégorie assemblant, par la grace du pote,
de simples fictions, filles de son imagination? Mais les ceuvres les
plus intéressantes, du point de vue de la personification sont,
comme on peut le présumer, les ceuvres dramatiques.
Le personage de Lyssa, dans I'Héraclés furieur d’Buripide, se
trouve au point de rencontre de ces divers problémes et fournit. par
lianéme une ample matiére & notre curiosité. On se souvient de
Vaffabulation du drame. Au retour d’une expédition qui met fin au
cycle des Douze Travaux, Héraclés trouve son épouse Mégara et
ss enfants sur le point d’étre mis & mort, ainsi que son pére
nourricier Amphitryon, par Vusurpateur Lycos. Le héros les
élivre et tue Lycos. II semble done qu'il va enfin pouvoir vivre
heureux parmi les siens. Mais ce serait compter sans la haine
@'Héra. En effet, & peine un chant du Chovur (2) a-t-il trouvé place :
Heracles est en train d’offrir, & son autel domestique, un sacrifice
actions de graces, lorsqu'apparaissent, sur le toit du palais, aux
Yeux épouvantés des Vieillards du Choeur, deux messagéres de
malheur, Iris et Lyssa, envoyées par Héra pour faire sombrer
Héraclés dans la crise de folie furieuse au cours de laquelle il égor-
sera sa femme et, ses fils. Sur I'apparence d’Iris, que l’épopée a
rendue familiére A tous, le texte ne comporte aucune indication,
Mais le Cheur, une fois la double apparition entrée dans le palais,
dscrit Veftrayant aspect de Lyssa :
Béfaxey Ev Sigpoisw & monbozovos,
figuac 8 evBidoot
(1) Théognis, v. 153 ; Solon, P.L.G.4, fr. 65 Pindare, OF. XIIL, 10.
(2) On connatt ta valeur extra-temporelle des slasima.132 JACQUELINE DUCHEMIN
xbvipov de ent Ab6q
Nuxtds Dopydy Exaroyxepsnors
Spray layhuam Avoca ussuapwnic (v. 880 sq.)
Savancant sur un char aérien, & la main Paiguillon qui symbolise
'a folie, elle est semblable & une Gorgone, dit le poste ; ave Ia
centaine (1) de serpents sifflant autour de sa , elle nous fait
Songer aussi A une Brinys, & V'une de celles qui, chez Eschyl,
Poursuivent le malheureux Oreste. Mais, au rebours des Erinyes,
Lyssa est chargée malgré elle de la eruelle vengeance d’Héra, En
vain voudrait-elle s'y dérober, elle est obligée d’obéir. Aussi, apr’s
ie Protestation solennelle & la face du Soleil, elle s‘élance, plus
impétueuse que les vagues déchainées, que la terre ébranlée ou que
Naiguillon de la foudre (xepauvot 7? olatpog &Bivac xvéwv, v. 862)
Ou'est done cette Lyssa, dont la personnalité n'est pas des plus
familiéres aux mythologues 7 Euripide prend soin de nous préc
sa généalogie, par Iris d'abord, par elle-méme enauite
TES ebyevais uby narpde bx ce pnrépoc ;
mépona, Noxrbc Otpsoeis =? dg! atuuroc (v. 843-844)
Mais si nous cherchons, comme il serait. & premiére vue naturel,
quelque supplément information dans la Théogonie, nous n'y
‘rouverons aucune indication, Iris, certes, est nommée dans la
descendance de Terre et Flot, oii elle figure comme fille de Thaumas
ot Scour des Harpyes, Mais de Lyssa il n'y a point de trace, male’
route Uepparence de veaisemblance de Vrebte pastiche des généa-
logies hésiodiques. Elle nous apparait donc comme une simple
Personnification de la Fureur ou de la Rage, dont le nom est bien
ce nt ts Homire : une erage bratale s (xpareph rbooa) est entrée
dtrciat yd Heeler pendant ta bataille et, plus tard, devant Troie,
Gtreint le cour d'Achille (2). Chez Bacchylide, le vieux roi
Proitos invoque Léte (3), iyi demandant de délivrer ses files,
rendues folles et métamorphosées par Héra :
thom Buordvoio Aboxs
méeqpov0s tavayeiy.,.
hit Vimitation
239 et XX1, 542, cf, ‘ snot, & pr079s
iu meme Hector. Nous Gian”, apete Ax: 305, Nbaaav Exav shofy, ro
®) X (xp, roe oe tote @apeés edition eka teaaretlon ae
Proltides ont été métamorphostes on génisses:LYSSA DANS L'HERACLES FURIEUX D'EURIPIDE 133
Eschyle aussi le connait, l'employant tantot 4 propos d’Io
taraudée par le taon :
Ee 38 Ipsuov gkpoua boone mveiuar: udeyp (Prom., 883),
tantot pour Oreste en proie aux Eriny
wah Woon yal wdrang x werdv 96606
nvel, caphooer nai BudxecBar mbdwe
youpdre mderyyy. yuavOby Béuas (Ch., 288 sqq-)
La métaphore, longuement filée, semble vraiment préparer les
voies 4 quelque personnification. Un fragment des Zavrpiat (1),
dans la tétralogie de Penthée, selon une restitution certaine de
Lobeck, décrit les effets de la rage ou de la Rage :
be nov 3° avo.
Smtpyeran omupayyds ele Axpov xdon
uévequa Adcons, axoprion Bédos Ayo.
Fant-il écrire simplement 4Soon¢, donnant & labstraction la valeur
un terme figuré ? Faut-il aller plus loin et 1a personnifier ? Ceci
nous parait & tout le moins possible, en particulier & cause du
Tapprochement qui ne manque pas de s'établir entre le xéyrqux
Aboone du v. 3 et le xévrpov du v. 882 d’Héraclés : il semble par
ailleurs, et nous aurons a y revenir, qu’Euripide, dans tout ce
Passage, ait songé avec précision & Eschyle, et non pas uniquement
AV Orestie,
Un fragment de Sophocle (2) pose une série entitre de problémes
du méme ordre. Il s’agit d’un passage dans lequel un personage
déclare a ses enfants que Cypris a bien des noms et bien des visages :
"O naidec, zor Kumprc od Kiimprs wévov,
40 doch nonROy dvowdrov Exdvon0s.
“Eorw pay “Aidyg, Bort 8° dqBir0s Bix,
Bor BE Aboaa paving, tort 3 Tepes
dxparog, Bor" oluwyuss...
Nous avons respecté ci-dessus l'orthographe de Nauck. Mais nous
ne Verrions — loin de la! — aucun inconvénient & écrire :
(1) Fr. 133 Werner = 169 Nauck* (ubi xéerqua ¥. 3). La tradition donne
qui n'offre aucun sens.
(2) Nauck, fr. 855. On connalt T'importance des personnifications chez134 JACQUELINE DUCHENUN
“Eoww uly “Audys, tact 3° dGtr0¢ Bia,
for BE Aboox uaviac, tot 3° “lucpo
Expuros, or? Oluaryuse...
Bia, fille de Styx et de lignée divine att
peut étre parfaitement dite %g0
nifié dis Hésiode (2), et Sxparos n'
tée dans la Théogonie (I),
“Iwepos est, lui aussi, person-
contredit point. Seul Olueypss
Pourrait peul-ére faire question : entre bien des analogues possbles,
iTnous suffira de rappeler un célébre fragment de Pindare personni-
fiant le eri de guerre :
KOSH "Anaad, Hoxuov Quydene... (3).
Nous croirions d’autant plus volontiers, dans ce fi ment de
Sophocle, & une personnification générale, que le poste déclare
explicitement que Cypris porte bien de noms, mieux, qu’elle
Porte le nom propre de bien des
ON tort mod bvoudrwv émovouas.
Euripide, si l'on met
dont nous nous occup
iioox 04 Adcox, et Io
nom propre ou de no
VOreste, Blectre déc
démente : Tau, 32
Vemploi du nom eo)
Probablement de mi
Prophéte de Diony,
noms communs :
“ part, évidemment, I’épisode de U'Héradlés
ons, fait en différents passages allusion 4
ane peut: toujours étre stir de la valeur de
m™ commun qu'il lui donne. Au y. 254 de
lare & son frére, sentant revenir la crise
ueréBou Abeoay, dort Gwgpovdy, passage ol
mmmun ne semble faire aucun doute. Il en est
Heme au v. 851 des Bacchantes, oit le soi-disant
Sos prie le dieu d’aifoler Penthée :
Mpditz 8 Lxernaov gpeviov
Sele Bapeiy rece (4)
Par contre, dans la méme tragédie, le début, du 1V¢ stasimon fait
bien appel & la d
le
léease Lyssa et & ses chiennes rapides, chargées 4!
Poursuivre leur proie comme avee un aiguillon
Tre Deal Abcous aves, ta ete Bens,
Slaaoy 80" Eyovm Kedu0v xbpa,,
dvorrphoare yy
() La descendance de st; 3 383
ndanee de Styx est donnée en détail, Théo ., 383 sqq-
. Théogonie, 64, 201. er ot y 45.
£8) Le estell: Sur ces divers ra hements, ef, notre Pindare, p-
aime aatetion aH. Gregoire, nmPmoeHEMeDts, cf, notre Msante : nov
aduitions plutot cis aig. Tee * douce folie s, et bien insu
We délire au pied téger »,LYSSA DANS L'HERACLES FURIEUX D'EURIPIDE 135
Eni tiv dy yovarxouing otoht
dvoad3n xarkaxonov Mawddov (v. 977 sq.)
Le voisinage du nom propre Adeox et de ladjectif auaadby, quatre
vers plus loin ne géne aucunement le poste, qui passe avec une
évidente facilité de 1a personification divine & la notion exprimée
(1). On sait que Wilamowitz,
propos de I'Héraclés précisément (2), faisait allusion & une conception
répandue de Lyssa chasseresse et pourvoyeuse de la mort, caractires
assurément illustrés par le passage lyrique des Bacchantes.
Evidemment, c'est dans l'Héraclés Mainoménos qu’est atteint le
sommet de la personnification euripidéenne, et l'évocation des
Bacchantes ne peut @tre, vu la date respective des deux tragédies,
qu'un rappel fait par le potte d'une de ses ceuvres antérieures — a
Supposer que la personnification de Lyssa soit & porter entiérement,
au crédit de Voriginalité d’Euripide, I nous faut en tout eas nous
Poser ici la question, en faisant intervenir un ordre tout différent
de documentation, celui des monuments figurés et, trés précisément,
des vases peints. On sait que Wilamowitz, dans sa monumentale
édition commentée de notre drame, pensait (3), sur l'analyse de
certains détails, qu’Kuripide s'était inspiré d'un modéle et que
telui-ei ne pouvait étre cherché ailleurs, vu la célébrité de cote
trilogie, que dans la Lycurgie d’Eschyle, M. Louis Séchan, dans son
ouvrage fondamental sur La Tragédie grecque dans ses rapports
‘wee la Céramique (4), étudie un certain nombre d’couvres figurées
Se rapportant & cette trilogie, probablement aux Bassarides (5).
Une amphore de Ruvo (6) présente, au-dessus de l’édifice oit le
Peintre a montré le roi des Edoniens en train d’immoler son fils, un
buste féminin, qui passe en général pour une représentation de
par le nom commun et ses di
(1) Cette remarque renforce encore Vextréme probabilité, au v.889 d’Héraclis,
dela conjecture ruaadBes dyo6péizes de Wakefeld, lé oft la tradition manuserite
donne iSaox 86 0° dsusbporec.
(2) Heraktes, 11, p. 215-216, Nous ne pouvons assurément mesurer la part
ts croyances et. superstitions populaires dans une semblable concey u
est toujours loisible de penser, sinon trés aisé de prouver, qu’elle avait bien son
‘importance,
(8) Herakies, 11, 2, p. 204 sq.
(4) Ct, supra, p. 130 n. 5.
(5) M. Séchan pense en effet que c'est dans les Bassarides que le podte
Rentrait Lyeurgue en proie & la démence. Voir op. ci. p. 66 sa. Certains, on
Sait, ont attribue eet épisode aux Neaniskoi.
(8) Monument B, analysé p. 70 et reproduit fig. 19; H. Sichtermann,
ische Vasen in Unteritalien, K 48, pl. 80-81.Serre
meat:
136, JACQUELINE DUCHEMIN
Lyssa. Par ailleurs les deux peintures les plus importantes figurent
Sur une autre amphore de Ruvo (1), ainsi que sur une amphore
@Anzio, du Musée de Naples (2). Sur l'une et autre piéce,
Lycurgue a déja tué son fils et se prépare & frapper sa femme.
Dans les airs, une figure ailée darde contre lui une lance ou un
aiguillon tenu dans la main droite, tandis que la gauche est soit
entrelacée de serpents, soit porteuse d’une torche, Les comments:
teurs voient dans cette figure soit une Erinys, soit Lyssa, et, bien
ue les euvres examinges soient, toutes du v* siécle (3), il n'y a pas
Kew de penser qu’elles s'inspirent d’une autre couvre que celle
dEschyle. Ajoutons que divers détails relevés sur plusieurs exem-
Plaires donnent & penser que la
milieu d'un sacrifice, et si, de
Teconstitutions de la Lycurgie
démence frappe Lycurgue au
fait, on a pu estimer que certaines
étaient un peu trop influencées par
la connaissance de V’Héraclés furiewx, le détail précis et, important
Gu sacife, visiblement suggéré par les peintures de vaser, appuit
la thése de Wilamowitz, Euripide imitateur @'Eschyle, puisque
Ccst au milieu d'un sacrifice qu’ Héraclés est atteint par Ia folie (4)
Nous avons vu d’autre part que, selon une hypotheése vraisemblable
Eschyle avait personnifig Lyssa dans le fragment des Zavzplat :
Gest justement un rapport d'expression aver PHféraclés. qui nows
Bier teed) Araliaetirs cotta’ personification Toate
les aux Erinyes d'Eschyle.
Timporte pourtant d'user de prudence avant de conclure. Le
seul fragment des Zavepias est, aprés tout, une base fragile. On
pourrait aussi bien penser qu’ partir d'un xévrqua Aveons 9
boone jugé Suggestif, «'
Ph S: itt,
semble, & vrai dire, que nous avons plu 7
verses remarques, une série de repéres faisa
{i} Monument D, du British Muy sohmial, Der
) n Umesh Museum. Cf. p. 72 et fig. 21 M. vil.
Parcloomaerund ein Unive Pl.2-3; M. Borda, Ceramiche Apule(1968),pLV!
fp eemment E, Ct'p. 72 ot ag i
thedterce “8! 8tatral des peintures
ou thédtrates. Voir Lert,
rar icle de Ch. Pic
(2) Sur tous ces points, vo} autiiase
(9) Gt. supra, p. 19g” YL: Stehan, op. cit. 1:8 partie, chap
riques
de vases a représentations allégoriqu
‘ard sur Thédtre ef AllégoriLYSSA DANS L’HERACLES FURIEUX D'EURIPIDE 137
foi de l'évolution continue qui, dés avant '’époque d’Eschyle, et
longtemps encore aprés Euripide, porte esprit grec, dans ses
différentes manifestations, cuvres des postes ou des eéramistes
notamment, d’un élan irrésistible vers la personification des
abstractions. D’Hésiode, et méme d’Homére, & Eschyle, plus encore
4 Sophocle et enfin a Euripide, la tradition littéraire suit une
ligne ininterrompue, comme aussi celle des peintures de vases.
Mais il n’y a pas deux voies paralléles qui jamais ne se rencontrent,
DeTune a l'autre les influences sont constantes. Il est certes naturel
de penser que les ceuvres littéraires surtout ont inspiré les peintres.
Mais on sait que ceux-ci ne se sont pas astreints 4 une imitation
servile ni a une stricte illustration. Par exemple, M. Séchan
mentionne (1) des peintures tres vraisemblablement inspirées par
VHippolyte a Buripide et qui présentent le personage de Lyssa,
bien que celui-ci ne figure pas dans le drame : il doit s’agir d’une
addition de Vartiste, destinée & personnifier soit la folle passion de
Phadre (2), soit, peut-etre la rage de Cypris cherchant a perdre le
fils de Thésée, Il est d’ailleurs fort probable que |’influence,
comprise globalement, des personnifications thédtrales ne contri-
bua pas peu développer le goat des peintres de vases pour
de semblables figures. La chronologic du moins semblerait l'in-
diquer, puisque les piéces citées par les érudits comme des illus-
trations des drames classiques leur sont le plus souvent postérieures
un bon siécle. Nous savons aussi que ces personnifications avaient
Pris, en tout cas & une époque tardive, une importance considérable,
Puisque, d’aprés Pollux (3), 4 qui nous devons par ailleurs tant de
précieux renseignements sur organisation et sur tout le matériel
des représentations théatrales, on voyait figurer parmi les Exoxeua
péc@na non seulement Lyssa, mais d'autres abstractions, dont
Oistros (4) ou Mania, toutes figures apparaissant en chair et en os
() P. 134, n. 5.
(2) Artémis sladressant A Thésée la désigne par les termes oe yuvawehe
Olespov. Le personnage de Lyssa figure, en fait, dans des représentations de
4a mort du heros,
(3) IV, 142,
(4) Un vase important du Musée de Munich, analysé par M. Séchan, op. cil
P.405 sq. et reproduit pl. VII, montre, a cdté de Médée égorgeant ses enfants,
un char attelé de dragons (celui-la méme sur lequel elle s’enfuira), et sur
lequel se dresse, comme aurige, Ia figure d’Oistros (le nom est porté en toutes
lettres au-dessus du personage), personnification du Taon ou de I'Aiguillon,
REG, LXXX, 1967, nee 379383, oe138 JACQUELINE DUCHENIN
parmi les personages, et ce assez souvent pour étre prévues par
les professionnels chargés de monter les spectacles
On le voit, le probléme du personnage de Lyssa, de son origin
de sa nature, etla question connexe Louchant loriginalité d'Euripide
ne sont pas tout a fait aussi simples qu’on pourrait le croire au
Premier abord. Etait-elle déja personnifiée par Eschyle ? Sans étre
absolument sre, la chose est: possible, vraisemblable méme. Par
ailleurs, d’autres. détail
qu’Euripide connai
» eb non des moindres, nous montrent
S*sseur et qu'il savait transposer habilement tel ou tel tr
simplement, s’en inspirer pour
une création personnelle. Nous
avons déja noté Vhabileté de la généalogie pseudo-hésiodique
Prétée par Iris 4 Lyssa, faisant de celle-ci la fille d’Ouranos et de la
Nuit, c'est-A-dire opérant une contamination entre des éléments
authentiques empruntés a la Théogonie et rappelant tant soit peu
la généalogie d’Iris elle-méme,
Terre et Flot, et parent
nombre des monstres
issue & la deuxiéme génération de
€, par des cousinages indiscutables, de bon
détruits par Héraclés (1). La resemblance
PME We entohiNiesirik avec Veacendanns, ioe Brinyes
Pei ieuntes Main lsicractoraide Lyson nous offre occation dal
MpProchement de plus avec Pceuvre d’Eschyle, non plus avec la
Lycurgie ou VOrestie, mais avec Ie Prométhée enchainé (2). On
celte piéce, ot Ion voit Héphaistos
Titan, contraint d’obéir aux ordres de
le personnage muet de Bia (3). C'est un réle
» talonnée par Iris et bien malgré elle.
encore, Euripide s'est souvenu d’Eschyl
Gest b-dire de 1 Passion turieuse
405) monre sete ventana
venlée une Erinys,& moina que vs
nly) OPtB05, Cetbir, Hiyene se Keme, le Lion de Nemée, tous monstes
Terre ot Flot natt Echidne, elle mame tne de Phorkys et Két6, enfants
Ty garth Vote Theoenie, 258 ‘
New fayette I protitnes ‘cet omant cette pice et son authentic
Porras ea dleciter i Mate any Prochement. que nous signalons
Pourrait tre vers au data ‘
{0 Krales ot Bia, chez Héeiode,
{27M SYS tu dane son pales
‘es luttes primordiales,
ne amphore du Musée de Naples (P- ou
m char identique, devant lequel est Fe
he soit Lyssa, Ato ou Mania.
ous les
’ sont enfants de Styx, fille d’Océan. Zeu! pos
Pour remercier leur mere de son concoursLYSSA DANS L'HERACLES FURIEUX D'BURIPIDE 139
La dette d'Euripide & V’égard d’Eschyle est done, de toute
évidence, importante (1). Pouvons-nous cependant, sans preuves
décisives, Yamplifier outre mesure, jusqu’é enlever au troisiéme des
grands Tragiques la paternité d'une si extraordinaire création
dramatique ? Force est bien, de toute maniére, de reconnaitre que
celie-ci est unique dans les tragédies conservées. Méme si les hypo-
theses précédemment formules s’avéraient exactes, & la lumiére de
nouvelles découvertes, nous devons conserver & Euripide le bénéfice
du personnage auquel il a donné du moins les traits définitifs sous
Iesquels nous le connaissons. Méme si, comme cela est possible ou
probable, il n’a pas inventé de toutes pieces la figure de Lyssa, il
V'a, dans un éclair de son génie, véritablement faite sienne. Chemin
faisant, nous avons pu étudier, & propos d'une figure peu connue et
non dépourvue d’intérét, le mécanisme selon lequel les pottes
dramatiques et les artistes ajoutent, sous forme d’abstractions
persomnifiges, des divinités mineures & la mythologie greeque.
Jacqueline DucHemt.
(1) Dang un volume qui vient de parattre et dont nous avons eu connaissance
Pendant que te présent. article était & Pimpression, T. B. L. Webster (The Trage-
dies of Euripides, London, 1967, p, 189 et n, 24) consacre quelques lignes au
Personnage de Lyssa. Ses conclusions sont fort voisines des ndtres touchant
Vinfuence a’Eschyle. Aux Xantriai il joindrait peut-dtre les Tozotides, si toute-
fois on admet qu'un certain vase de Boston (voir références n. 24) est bien en
Tapport avec cette demnitre piéce.