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MANAGERIS Synthèse
The Innovator's
Dilemma
Clayton M. Christensen

Ouvrage sélectionné par : Reinhard Angelmar,

Professeur de Marketing à l'INSEAD
I D É E S C L É S

C
ertaines innovations entraînent des bouleversements qui
remettent en cause les leaders du marché. Ce fut par
exemple le cas d'IBM, qui a réagi bien trop tard à l'ap-
parition des mini-ordinateurs. Généralement, on attribue ce
phénomène à la complaisance générée par le succès.
La réalité n'est pas si simple. En effet, l'analyse montre que, face
à certaines innovations, ce sont les "bonnes" pratiques de mana-
gement qui conduisent à l'échec.
7 Seules certaines innovations aux caracté- Page 4, [a]
ristiques bien particulières entraînent la
chute des leaders.
Dans la plupart des cas, les leaders conservent leur position
lorsqu'une rupture technologique apparaît sur un marché.
Mais certaines innovations, dites "perturbatrices", provoquent
systématiquement des bouleversements entre concurrents.
Elles se caractérisent par :
- une performance initialement inférieure à celle de la tech-
nologie en place ;
- des avantages sur la technologie en place, mais sur des
aspects jugés secondaires ;
- une progression des performances qui les conduit finalement
à rejoindre les besoins du marché.
7 La chute des leaders s'explique par Page 6, [b]
l'application rigoureuse des règles d'un
management efficace.
En effet, l'innovation perturbatrice est rejetée par les clients
pour son manque de performance. De plus, ses perspectives
de profit sont initialement très incertaines. Il est donc ration-
Le dilemme de l'innovateur nel pour les leaders de la délaisser. Mais ils laissent ainsi mal-
encontreusement la place à de nouveaux entrants.
7 Découvrez comment éviter les pièges des Page 8, [c]
innovations perturbatrices :
- dédiez une organisation indépendante à cette technolo-
gie ;
Clayton M. Christensen est Associate Profes- - cherchez à créer un nouveau marché, plutôt qu'à adap-
sor à Harvard Business School ter l'innovation au marché existant ;
- méfiez-vous des pratiques de planification traditionnelles,
Éditions Harvard Business School Press, et cherchez plutôt à maximiser votre rapidité d'appren-
1997, 225 pages. tissage sur le nouveau marché.

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S Y N T H È S E D E L’ O U V R A G E

1. L’innovation Figure B : Quand la technologie progresse plus

perturbatrice rapidement que les besoins
Les technologies perturba- — Exemple du secteur des disques durs —
trices apparaissent initia- Trajectoires de l’offre et de la demande
lement comme sous-per-
formantes. Mais se déve- en capacité des disques durs

AAAAAAAAAA
10 000
loppent rapidement, et
finissent par remplacer les

AAAAAAAAA
AAAAAAAA
technologies en place.
ces”

AAAAAAAAA
AAAAAAA
AAAAAAA
1 000
pou
[a] Dans la plupart des cas, on ie “14
log
hno systèmes
constate que les leaders conservent Tec des gros

AAAAAA
AAAAAAA
AAAA
de du marché ” Technologie “3,5 pouces”
Deman
leurs positions lors de l’apparition de Capacité des
disques durs 100 ou
ces
ateu
rs
8 p rdin ces”
nouvelles technologies. “ o

AAAAAAA
AAAAAA
AAAA
(megabits) ie in i u
log des m 5 po Demande du marché des portables
Prenons l’exemple du marché des no ché
ech du mar “5 ,2
T nde
engins de chantier. Lorsqu’elles sont a gie Technologie “2,5 pouces”

apparues en 1837, les pelleteuses
fonctionnaient à vapeur. Dans les
années 1920, l’essence a remplacé la
vapeur. Le moteur à essence a permis
d’améliorer considérablement les per-
formances en termes de capacité, de
rapidité, de fiabilité et de prix. Ce fut
une réelle rupture technologique, qui
bouleversait les compétences acquises.
Mais les leaders du marché ont tous
su en tirer parti : 23 des 25 plus
importantes entreprises du marché
ont développé et commercialisé avec
succès la pelleteuse à essence. Par la
suite, deux autres innovations
majeures se sont produites sur le mar-
ché : l’apparition du moteur diesel,
puis du moteur électrique. Là enco-
re, il s’agissait de bouleversements
Figure A : Le phénomène de technologie
“perturbatrice”
AAAAAA
Dem olo Demande du marché des notebooks
10 chn
Te
é
arch s
u m teur
a nde d-ordina
Dems micro
de
1
1975 1980 1985 1990
Pour chaque nouvelle génération d’ordinateurs,
on constate qu’est apparue une technologie
initialement sous-performante, mais qui a
progressivement rejoint les besoins de ce marché.
technologiques. À chaque fois, les Sur le marché des pelleteuses, ce
leaders sont parvenus à maintenir fut le cas lorsque la technologie
leur position sur le marché. hydraulique a remplacé l'articulation
par câbles. Cette innovation a pro-
En revanche, il existe certaines voqué un véritable bouleversement :
innovations qui remettent en cause le lorsqu'elle s'est imposée sur le mar-
positionnement des acteurs du mar- ché, aucun des nouveaux leaders
ché. n'était présent avant son apparition !
Et parmi les 30 entreprises du mar-
ché traditionnel, seules 4 ont survé-
cu à l'innovation !

Positionnement d’une technologie “perturbatrice” Ce bouleversement s’explique

par rapport à la technologie dominante par une différence majeure entre la
et aux besoins du marché technologie hydraulique et les trois
HAUT DE GAMME autres innovations : les pelleteuses
hydrauliques étaient initialement
IE
PERFORMANCES

LOG moins performantes que les pelle-

H NO TE BESOINS DU
TEC MINAN MARCHÉ PRINCIPAL teuses traditionnelles. Elles étaient
DO IE certes moins coûteuses et plus
LOG E
HNO ATRIC maniables, mais leur capacité était
TEC TURB BAS DE GAMME
PER moindre et leur portée trop faible.
Elles ont ainsi été totalement rejetées
par les entreprises de travaux publics :
TEMPS celles-ci valorisaient en effet avant
La technologie “perturbatrice” est initialement sous-performante tout la productivité. De ce fait, les lea-
par rapport aux besoins du marché principal, mais ses progrès ders ont choisi de ne pas investir
la conduisent finalement à y répondre, tandis que la technologie dans cette technologie.
dominante devient sous-performante.

MANAGERIS N° 55-1 The Innovator's Dilemma

4
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Mais de nouveaux entrants, spé- Figure C : Des ruptures technologiques non

cialisés sur cette technologie, lui ont
trouvé un nouveau marché : les petits
entrepreneurs qui creusaient jusque-
là leurs tranchées à la main. Ceux-ci
avaient en effet besoin de machines
peu coûteuses, maniables et facile-
perturbatrices
— Exemple du secteur des disques durs —
Impact de deux ruptures technologiques
sur la densité d’enregistrement

AAA
AAA
1 000 Têtes magnéto-
ment transportables. La technologie résistantes
hydraulique s’est ensuite améliorée au

AA
A A
point d’atteindre les niveaux de per-
100

AAAAA
AAAA
formances requis par les clients tra- Couche mince
Densité
ditionnels. À ce stade, les leaders (Millions de Megabits

A A
AAA
avaient pris un tel retard qu’ils ont été par inch carré)

totalement distancés par les nou- 10

AA
AA
Ferrite-oxide
veaux entrants.

Dans tous les secteurs, on consta- 1

te des phénomènes similaires : la plu-
part des innovations ne remettent
pas en cause les positions établies ; en
revanche, certaines innovations bou-
leversent totalement le marché.
L’analyse de ces innovations, que
l’on nommera "perturbatrices", révè-
le que celles-ci partagent un certain
nombre de caractéristiques com-
munes (figure A) :
• Lors de son apparition, la
technologie perturbatrice
est moins performante que
la technologie en place.
Habituellement, les innovations
ont pour vocation d’améliorer la per-
formance des produits. Elles per-
mettent de mieux répondre aux
attentes des clients.
L'innovation perturbatrice, au
contraire, donne initialement nais-
sance à des produits moins perfor-
mants, selon les critères d'achat domi-
nants. Par exemple, les pelleteuses
hydrauliques avaient une capacité et
une portée inférieures à celles des
pelleteuses traditionnelles.
Cette sous-performance conduit
généralement les leaders à juger l'in-
novation peu intéressante.
• La technologie perturbatrice
donne naissance à de
nouveaux critères de choix.
La deuxième caractéristique d'une
innovation perturbatrice est qu'elle
présente des avantages secondaires sur
la technologie en place. Elle répond
mal aux besoins des clients, mais per-
met par exemple un moindre coût
d'achat ou une plus grande simplici-
té d'utilisation. Par exemple, les pel-
1975 1980
Ces deux ruptures technologiques sont allées dès leur
apparition dans le sens du “progrès”.
Aucune n’a remis en cause la position des leaders du marché.
leteuses hydrauliques étaient plus
maniables et plus facilement trans-
portables.
La technologie perturbatrice
donne ainsi naissance à de nouveaux
marchés, qui valorisent particulière-
ment ces nouvelles caractéristiques.
Par exemple, sur le marché des
copieurs, la concurrence s’est long-
temps jouée sur la vitesse de copie et
la qualité de résolution. Les clients
étaient alors les centres de reprogra-
phie des entreprises, qui produisaient
de grandes quantités de copies grâce
à des photocopieurs volumineux. Les
photocopieurs personnels ont repré-
senté une innovation perturbatrice
sur ce marché. Ils produisaient des
copies de moindre qualité, à une
vitesse considérablement inférieure.
Mais ils ont fait apparaître un nouveau
critère de choix, la taille, qui a donné
naissance à un nouveau marché : les
petites entreprises.
• Sa vitesse de progrès est
plus rapide que l’évolution
des besoins du marché.
La troisième caractéristique d'une
technologie perturbatrice est que ses
progrès la conduisent à rejoindre les
besoins du marché principal.
Certes, les technologies en place
progressent elles aussi. Mais elles
progressent souvent plus rapidement
que les besoins du marché : elles
deviennent ainsi inutilement surper-
1985 1990 1995
formantes sur les critères de choix tra-
ditionnels.
À ce stade, l'innovation pertur-
batrice devient alors dominante : elle
est en effet aussi satisfaisante selon les
critères de choix traditionnels, tout
en proposant les avantages supplé-
mentaires qui lui sont propres. Ainsi,
les pelleteuses hydrauliques ont atteint
la capacité et la portée nécessaires aux
grands entrepreneurs. Elles présen-
taient en outre l’avantage de la mania-
bilité et de la taille. C’est alors que les
nouveaux entrants ont remplacé les
leaders, qui avaient pris du retard sur
la nouvelle technologie.
La figure B illustre ce phénomè-
ne dans le secteur des disques durs,
dans lequel le critère de choix prin-
cipal est la capacité de stockage.
Régulièrement, de nouvelles tech-
nologies sont apparues : elles per-
mettaient de réduire la taille du disque
dur, mais ne procuraient pas la capa-
cité de stockage demandée par le
marché. Rejetées par les fabricants de
la génération d’ordinateurs en cours,
elles ont trouvé leur marché auprès
d’une génération alors émergente.
Par exemple, lorsque les disques de
5,25 pouces sont apparus, ils ont été
jugés insuffisants par les fabricants
de mini-ordinateurs. Mais ils ont
donné naissance à un marché alors
émergent : les PC.

The Innovator's Dilemma MANAGERIS N° 55-1

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Par la suite, ces technologies ont
progressé jusqu’à rejoindre les besoins
de la génération précédente. Ainsi, les
disques de 5,25 pouces ont fini par
remplacer les disques de 8 pouces
pour les mini-ordinateurs.
Ces innovations ont eu un carac-
tère perturbateur fort : chacune a
entraîné un renouvellement total des
acteurs du marché ! Pourtant, ces
mêmes acteurs avaient tous su adop-
ter les ruptures technologiques qui
constituaient un progrès selon les
performances attendues par le mar-
ché existant (figure C).
Ainsi, l’échec des leaders face aux
technologies perturbatrices s’explique
par un phénomène simple : la tech-
nologie apparaît initialement comme
peu prometteuse. Mais elle se déve-
loppe à la faveur d’un nouveau mar-
ché, qui valorise ses spécificités. Et
progresse au point de supplanter la
technologie traditionnelle. À ce stade,
les leaders ont pris un tel retard qu’ils
ne parviennent pas à s’imposer dans
ce nouveau contexte.
2. L’échec des
leaders
Les leaders délaissent la
technologie perturbatrice
car leurs clients la rejettent
et ses perspectives de profits
sont incertaines.
[b] Nous allons voir que l’échec
des leaders face à une innovation
perturbatrice n’est pas lié à une
défaillance de management. Mais au
contraire à l’application rigoureuse
de règles de management jugées
généralement efficaces.
7 Une décision
rationnelle
Lorsqu’un leader subit un échec
pour n’avoir pas su évoluer avec
l’apparition d’une nouvelle techno-
logie, comme IBM avec les mini-
ordinateurs, l’explication la plus cou-
ramment avancée est l’arrogance, ou
l’aveuglement provoqué par le succès.
MANAGERIS N° 55-1
6
Figure D : Les causes d’échec des leaders
En réalité, lorsqu’une technologie
perturbatrice apparaît, les leaders ont
d’excellentes raisons de ne pas la
développer (figure D) :
• Les clients rejettent
l’innovation perturbatrice.
Un précepte de bon manage-
ment consiste à focaliser ses res-
sources sur les produits qui répondent
aux besoins des clients.
Or les meilleurs clients des entre-
prises établies rejettent les innovations
perturbatrices. À leur apparition,
celles-ci offrent en effet des perfor-
mances insuffisantes. Ainsi, les entre-
prises de terrassement n’ont montré
aucun intérêt pour les pelleteuses
hydrauliques lorsque celles-ci sont
apparues. Elles attendaient plutôt des
fabricants qu'ils fassent progresser
les performances des pelleteuses à
câbles !
Ainsi, le principe de primauté du
client conduit les entreprises en place
à se détourner des technologies per-
turbatrices.
• L'innovation présente un
potentiel médiocre en
termes de profit.
Une entreprise bien gérée affec-
te ses ressources à des développe-
ments qui généreront des profits,
selon les souhaits de ses actionnaires.
Or les produits résultant de tech-
nologies perturbatrices génèrent des
marges moindres : leur prix de vente
est bas, en raison de leurs perfor-
mances réduites.
En outre, ils se vendent initiale-
ment dans des volumes limités :
n’atteignant pas les niveaux de per-
formance souhaités par le marché
principal, ils s’adressent à de nou-
veaux marchés, de taille réduite. Les
volumes générés ne peuvent contri-
buer que marginalement au besoin de
croissance de l’entreprise. Et leur
potentiel est très incertain.
Ainsi, une analyse objective du
potentiel de profit de la technologie
perturbatrice conduit à lui accorder
une priorité moindre qu’au dévelop-
pement de la technologie dominan-
te.
Il est donc très difficile pour un
dirigeant de prendre la décision de
développer une technologie pertur-
batrice : celle-ci ne répond ni aux
besoins des clients, ni à ceux des
actionnaires.
Même un dirigeant visionnaire,
qui serait malgré tout convaincu du
potentiel de la technologie, aurait
du mal à la faire développer par son
entreprise. En effet, une fois la déci-
sion prise, des arbitrages quotidiens,
à tous les échelons de l’entreprise,
devront être faits entre la technolo-
gie perturbatrice et l’amélioration de
la technologie en place. Face à ces
choix, chaque chef de projet, chaque
employé, aura tendance à privilégier
la technologie dominante : il est en
effet évident aux yeux de tous qu'el-
le répond mieux aux besoins des
clients et génère plus de profits.
7 Le scénario de
l’échec
Pour toutes les raisons décrites ci-
dessus, on constate que l’apparition
d’une technologie perturbatrice se
déroule souvent selon le scénario sui-
vant :
The Innovator's Dilemma
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- L’innovation perturbatrice est
généralement imaginée au sein de
l’entreprise leader. Son départe-
ment R&D, souvent puissant, en
est à l’origine.
- Le marketing la teste auprès des
clients, qui la rejettent. En consé-
quence, les budgets de dévelop-
pement ne sont pas débloqués. La
technologie perturbatrice reste
à l’état de projet au sein de l’entre-
prise leader.
- Des entrepreneurs créent de nou-
velles sociétés, pariant sur la nou-
velle technologie. Ce sont
d’ailleurs souvent des ingénieurs
issus des leaders, frustrés que leurs
projets n’aient pas abouti. Ces
nouveaux entrants développent la
technologie, la commercialisent
sur un marché initialement mar-
ginal, et l’améliorent jusqu’à
rejoindre les besoins du marché
principal.
- C’est alors que les entreprises
leaders essayent d’attraper le train
en marche. Mais il est souvent
trop tard : les nouveaux entrants
ont alors acquis une avance consi-
dérable dans la connaissance du
marché et la maîtrise de la tech-
nologie.
Ce phénomène s’est produit de
façon accélérée dans le secteur infor-
matique. Chaque évolution techno-
logique "perturbatrice" a vu l’émer-
gence et le succès de nouveaux
entrants :
- Le marché des gros systèmes
informatiques était dominé par
IBM. Lorsque les mini-ordina-
teurs sont apparus, ils représen-
taient une innovation perturba-
trice : leur capacité était très
largement inférieure à celle des
gros systèmes. Et aux besoins des
clients d’IBM. Mais ils présen-
taient d’autres atouts : leur taille
et leur prix. Digital Equipement,
suivie de Wang, Nixdorf et Hew-
lett-Packard, ont su les exploiter
en trouvant de nouveaux clients.
La capacité des mini-ordinateurs
a ensuite progressé jusqu’à
rejoindre les besoins des clients
des gros systèmes. IBM a mis plu-
sieurs années à s’imposer sur le
marché des mini-ordinateurs.
The Innovator's Dilemma
- De même, les micro-ordinateurs
étaient une innovation perturba-
trice pour le marché des mini-
ordinateurs. Digital Equipment,
Wang, Nixdorf et Hewlett-Pac-
kard ont tous manqué l’émer-
gence de ce marché. C’est Apple,
rejoint par Commodore, Tandy
et une division indépendante
d’IBM dédiée aux PC, qui en ont
pris la tête.
- Enfin, à l’arrivée des portables, de
nouvelles sociétés se sont impo-
sées : Toshiba, Sharp, etc. Aucun
leader du marché des micros
n’était présent.
Qui sera le leader du marché des
ordinateurs de poche ?
3. Réussir face à
une innovation
perturbatrice
Pour développer une inno-
vation perturbatrice, il
faut :
- créer une organisation
indépendante ;
- chercher de nouveaux
clients à partir du produit;
- procéder par essais suc-
cessifs.
L’échec des leaders face à une
innovation perturbatrice est-il une
fatalité ? Non. Mais il faut adopter une
approche de management bien par-
ticulière, adaptée à la spécificité de
la situation. Nous allons voir com-
ment.
7 Identifier
l’innovation
perturbatrice
Seules les innovations réellement
perturbatrices justifient de remettre
en cause les pratiques traditionnelles
de management. En effet, la grande
majorité des innovations ne présen-
te pas de caractère perturbateur :
elles conduisent naturellement à amé-
liorer les performances des produits
existants, selon les attentes des clients.
On constate dans ce cas que les lea-
ders réussissent parfaitement à évo-
luer vers la nouvelle technologie. Par
exemple, les leaders du marché des
pelleteuses mécaniques ont conservé
leurs positions lors des apparitions
successives du moteur à essence, puis
diesel, puis électrique.
Pour savoir quelle approche
adopter, il est donc essentiel d'iden-
tifier si une innovation est perturba-
trice ou non.
Pour cela, il faut bien sûr exami-
ner si elle en présente les caractéris-
tiques :
- Est-elle sous-performante par rap-
port aux besoins du marché prin-
cipal ?
- Les produits qui en sont issus
présentent-ils un avantage secon-
daire par rapport à ceux du mar-
ché principal (taille, prix, sim-
plicité, etc.) ?
- Ses performances progressent-
elles rapidement ?
Un indice supplémentaire aide
à les identifier : elles apparaissent
généralement lorsque la technolo-
gie en place est surperformante par
rapport aux besoins du marché. En
effet, dans ce cas, tout progrès de la
technologie en place sera peu valo-
risé par le marché. Tandis que les
progrès de la technologie émergen-
te lui permettront de rejoindre les
besoins du marché et de faire alors
valoir ses avantages spécifiques.
Prenons l’exemple des voitures
électriques : s’agit-il d’une innova-
tion qui perturbera le marché auto-
mobile ? Plusieurs indices font pen-
ser que ce pourrait être le cas :
• La technologie des voitures à
essence a dépassé les besoins du
marché.
Les principaux critères de per-
formance des automobiles sont
l’autonomie, la vitesse et l’accé-
lération. Or, dans ces domaines,
la croissance des besoins est limi-
tée par le code de la route. Les
performances dépassent désor-
mais les besoins.
• Les voitures électriques sont sous-
performantes.
Les véhicules électriques ne
constituent pas une amélioration
par rapport aux véhicules à essen-
MANAGERIS N° 55-1
7
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Figure E : La voiture électrique sera-t-elle une - maximiser votre rapidité d'ap-

innovation perturbatrice ? prentissage sur la nouvelle tech-
nologie.
Trajectoire de la technologie Nous allons examiner chacun de
par rapport aux besoins du marché ces aspects.
VITESSE DE POINTE (km/h)
150
Marché CRÉER UNE ORGANISATION
100 DÉDIÉE

Pour parvenir à développer une

50
0
1970 1980
250
AUTONOMIE (km)
200
150
100
50
0 te, de taille réduite, est plus faci-
1970 1980
ACCÉLÉRATION (Temps pour passer de 0 à 100 km/h)
60
50
40
30
20
10
0
1970 1980
ce. Ils sont moins performants à
la fois en autonomie, en accélé-
ration et en vitesse. Compte tenu
des faibles volumes produits ini-
tialement, ils ne peuvent pas non
plus offrir de nombreuses options.
• Les voitures électriques présen-
tent des avantages secondaires.
Même s'ils ne sont pas actuelle-
ment compétitifs, ils présentent
l'avantage d'être moins polluants
et moins bruyants.
• Leur capacité de rejoindre les
besoins du marché est incertaine,
mais très possible.
Les véhicules électriques n'at-
teindront probablement jamais
les performances des véhicules
à essence. Mais l'important est
ailleurs : atteindront-ils le niveau
demandé par le marché ? Pour
apprécier la réponse à cette ques-
tion, il est utile de tracer la tra-
jectoire de progrès de la tech-
technologie perturbatrice, il faut lui
consacrer une organisation dédiée.
1990 2000
Pour plusieurs raisons :
• Cela lui évite d'être quotidien-
nement en concurrence avec la
Marché
technologie dominante. À défaut,
les arbitrages s'effectuent inévi-
tablement en faveur de la tech-
nologie qui génère les profits et
répond aux besoins de clients.
• Une organisation indépendan-
1990 2000 lement motivée par des enjeux à
l’échelle de marchés naissants.
De plus, sa structure de coûts est
adaptée à des volumes faibles.
• Une organisation indépendante
peut se consacrer à rechercher
de nouveaux clients : contraire-
ment à l'organisation établie, elle
Marché
n'est pas contrainte de répondre
1990 2000
en permanence aux sollicitations
des clients existants.
nologie. Celle-ci, décrite en figu-
re E, laisse penser que la répon- Figure F : Réussir
se est vraisemblablement positi- face à une
ve. technologie
Il paraît donc sage, pour tout perturbatrice
constructeur automobile, de consi- - Conseils aux leaders pour
dérer la technologie électrique maintenir leur position -
comme une innovation perturbatri-
ce. • Créez une organisation
indépendante, dédiée à la
technologie perturbatrice
7 Les clés du succès
• Cherchez un marché
[c] Pour mettre toutes les chances intéressé par les
de votre côté face à une innovation spécificités de la
perturbatrice, vous devez adopter technologie perturbatrice,
l'approche suivante (figure F) : plutôt qu'à pousser la
- créer une organisation dédiée à technologie vers les clients
cette nouvelle technologie ; existants
- chercher à développer un nou-
veau marché, plutôt qu'à vendre • Ne vous fiez pas à la
l'innovation sur le marché exis- planification : élaborez
tant ; plutôt des plans
d'apprentissage

MANAGERIS N° 55-1 The Innovator's Dilemma

8
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Figure G : Il est impossible de prévoir le marché
d’une technologie perturbatrice
— Exemple du secteur des disques durs —
Écart entre les prévisions de Disk / Trend Report et la réalité
AA 260
AA
AA AAAA
AAAAAA
108 107
AA AAAA AA
AAAAAAAAA
A
2,5 14 5,25
pouces pouces pouces
Innovations
d’amélioration
L’efficacité de cette tactique s'est
vérifiée à plusieurs reprises. C’est par
exemple ainsi qu'IBM a réussi à
s’imposer sur le marché des PC. Lea-
der du marché des gros systèmes,
elle s’était fait distancer lors de l’appa-
rition des mini-ordinateurs. Mais lors
de l'apparition des micro-ordinateurs,
elle a décidé de créer une division
dédiée au PC. Celle-ci figure parmi
les leaders de ce marché.
CHERCHER À DÉVELOPPER UN
NOUVEAU MARCHÉ
Une erreur classique consiste à
s'efforcer d'adapter l'innovation aux
besoins des clients existants. Ces
efforts sont vains : la technologie
perturbatrice ne présente pas d'avan-
tage pour les clients traditionnels.
Il faut au contraire chercher à
développer un nouveau marché. En
effet, l'atout de l'innovation tient à ses
avantages spécifiques. Il faut donc
rechercher de nouveaux clients, atti-
rés par ces avantages secondaires
pour les clients traditionnels.
Il faut ensuite observer le com-
portement de ces nouveaux clients,
afin de comprendre l'usage qu'ils ont
de l'innovation. Puis concentrer ses
efforts de développement sur la
réponse à leurs besoins propres. Ainsi,
les promoteurs des pelleteuses hydrau-
liques ont rapidement compris qu'ils
devaient valoriser la facilité de trans-
The Innovator's Dilemma
135
100
18
3,5 1,8
pouces pouces
Prévisions
Innovations Réalité
perturbatrices
port permise par la technologie, plu-
tôt que de se battre sur la capacité.
Essayons d’appliquer cette
approche à la voiture électrique.
Il est évident qu’il ne faut pas
chercher ses premiers clients sur le
marché automobile traditionnel. Il
faut plutôt identifier des clients inté-
ressés par un véhicule qui accélère len-
tement, pollue peu et a une autono-
mie de 150 km. Ce pourrait être des
parents américains souhaitant ache-
ter à leurs enfants un véhicule pour
effectuer les trajets entre la maison et
le lycée. Ou encore des taxis dans des
villes polluées et très encombrées
d’Asie du Sud-Est. Il faudrait ensuite
observer le comportement de ces uti-
lisateurs, et en déduire d’autres oppor-
tunités.
ÉLABORER DES PLANS
D’APPRENTISSAGE
Les entreprises établies doivent se
méfier de leurs pratiques tradition-
nelles de planification. Ces approches
peuvent être performantes sur des
marchés raisonnablement connus :
en l'absence d'incertitude forte, elles
permettent efficacement de piloter les
efforts. Mais le marché d'une inno-
vation perturbatrice ne peut pas être
anticipé : personne ne sait par avan-
ce par qui et en quelle quantité elle
va être utilisée.
Ce phénomène peut être illustré
dans le secteur du disque dur. Sur ce
domaine, les prévisions de la revue
"Disk / Trend Report" sont recon-
nues pour leur précision. Pour les
innovations classiques, elles se sont
avérées remarquablement fiables,
avec une marge d’erreur d'au maxi-
mum 8 %. Elles ont en revanche été
systématiquement erronées dans le cas
d’innovations perturbatrices : l’erreur
a été de 35 % à 550 % selon les cas !
(figure G). De façon générale, les
experts se trompent presque toujours
dans leur analyse des potentialités
d’une innovation perturbatrice.
Il faut donc agir en sachant que
ses prévisions seront vraisemblable-
ment erronées. Cela a plusieurs impli-
cations pratiques :
• Il faut s'efforcer d'accélérer son
apprentissage du nouveau mar-
ché. Pour cela, il faut clarifier les
hypothèses clés sur lesquelles se
fondent les décisions de déve-
loppement. Puis agir afin de tes-
ter au plus tôt ces hypothèses.
• Il faut se préparer à ajuster son
offre de façon inattendue. Cela
implique de privilégier une archi-
tecture de produit et un équipe-
ment de production facilement
évolutifs.
• Il faut se préparer à surmonter
des erreurs. Il faut donc à tout prix
éviter d'engager dès le départ
toutes ses ressources disponibles.
Et n’engager des investissements
irréversibles que le plus tard pos-
sible.
■ ■ ■
Face à une innovation perturba-
trice, les dirigeants doivent admettre
que les règles du jeu auxquelles ils ont
été formés ne s’appliquent pas. Qu’il
est juste de ne pas écouter le client.
Qu’il faut investir même si le poten-
tiel de profit est incertain. Et qu’il
faut agir avant de planifier… C’est à
ces conditions que les leaders pour-
ront éviter d’être un jour, à la surpri-
se générale, détrônés par de nou-
veaux entrants. ■
MANAGERIS N° 55-1
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C O M M E N TA I R E
Par Reinhard Angelmar
Professeur de Marketing à l'INSEAD
BIBLIOGRAPHIE :
• INNOVATION : THE
ATTACKER'S ADVANTAGE,
Richard N. Foster, éd. Summit Books,
1986.
• WELLSPRINGS OF KNOWLED-
GE, Dorothy Leonard-Barton, éd. Har-
vard Business School Press, 1995.
(synthèse MANAGERIS disponible)
• TECHNOLOGICAL
FORECASTING FOR DECISION
MAKING, Joseph P. Martino, éd.
North-Holland, 1983.
• WINNING THROUGH
INNOVATION, Michael L.
Tushman et Charles A. O'Reilly III,
éd. Harvard Business School Press,
1997.
Publication mensuelle composée de deux
synthèses, éditée par MANAGERIS,
SARL au capital de 50 000 F,
RCS B 388 524 290
135, rue du Mont-Cenis • 75018 Paris
Tél : (33) 01 42 57 70 67
Fax : (33) 01 42 57 70 38
Directeur de la publication :
Marie-Caroline Lambert.
Relations avec les abonnés :
Sabine de Virieu
Copyright 1997.
Commission paritaire : 74245
ISSN : 1243-3462
Prix de l’abonnement (22 synthèses) :
France : 3 981,90 F TTC ;
dont TVA : 2,10 %.
Belgique : 19 117 FB
Suisse : 852 FS
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Prix du numéro mensuel :
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- tarif non abonné : 775,96 FTTC
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MANAGERIS N° 55-1
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C R I T I Q U E D E L’ O U V R A G E
Reinhard Angelmar est Professeur de Mar-
keting à l'INSEAD. Il enseigne des cours
sur l'innovation à l'INSEAD, à l'universi-
té de Paris IX - Dauphine et dans le cadre
de séminaires intra-entreprises.
C
e livre traite d'un phénomène
bien connu : des entreprises lea-
ders, encensées par les media, qui
se font brutalement reléguer au second
rang par des nouveaux venus. Cela est
généralement expliqué de deux façons :
- soit par des motivations économiques,
qui soulignent que le danger de canni-
balisation et la perte de valeur d'actifs
existants réduisent la motivation des firmes
existantes, et non celle des nouveaux
venus ;
- soit par des enjeux de pouvoir et des rigi-
dités organisationnelles au sein des leaders.
P
armi ces facteurs explicatifs, Chris-
tensen ne retient que l'intérêt éco-
nomique, auquel il ajoute un autre :
l'évolutions de technologies et des besoins
des clients. La chute des leaders devient
alors un drame en deux actes. Au premier,
le leader se trouve confronté à une inno-
vation "perturbatrice". Peu performante aux
yeux des clients actuels, celle-ci présen-
te pour lui un faible intérêt économique.
Par conséquent, il n'y investit pas. Cepen-
dant, d'autres entreprises trouvent là une
opportunité à la mesure de leurs maigres
ressources. Le second acte se joue quelques
années plus tard. Entre temps, les produits
du leader et des nouveaux venus se sont
améliorés. La performance du leader reste
supérieure à celle des nouveaux venus.
Mais les besoins des consommateurs ont
évolué plus lentement. De ce fait, les pro-
duits des nouveaux venus leurs convien-
nent parfaitement, et en plus ils sont
moins chers ! Exit l'ancien leader et vive
le nouveau.
C
e livre contribue très utilement à
notre compréhension du phéno-
mène. D'abord, il souligne que
même les leaders bien gérés peuvent chu-
ter. Il n'est point nécessaire de les acca-
bler de luttes de pouvoir intestines et
autres turpitudes. La bonne rationalité
économique suffit. Ensuite, il précise les
caractéristiques des innovations qui posent
problème aux leaders : la définition d'in-
novation "perturbatrice" est très utile. La
troisième contribution de ce livre consis-
te à intégrer le facteur temps : le modèle
d'évolution des technologies et des besoins
des consommateurs doit désormais faire
partie des outils de base pour la prise de
décision, au côté des trajectoires tech-
nologiques classiques et des courbes en
S. Enfin, il propose aux leaders des prin-
cipes pour mieux gérer les innovations per-
turbatrices.
L
e parti pris de Christensen est que
seules les innovations perturbatrices
posent problème aux leaders. Mais
selon son modèle, cela s'explique par un
accroissement excessif du prix et des per-
formances par rapport aux attentes des
clients. Une telle évolution traduit tout de
même une faille dans la gestion des inno-
vations "de progrès".
P
ar ailleurs, l'auteur donne parfois
l'impression de décrire des méca-
niques implacables, sans prise
humaine. Cependant, aussi bien les tra-
jectoires des produits que celles des besoins
des consommateurs sont des construits.
D'ailleurs, Christensen lui-même cite
l'exemple de Microsoft et Intel qui gèrent
délibérément l'augmentation des besoins
en matériels et en logiciels. L'on aurait aimé
que les possibilités de gestion de ces tra-
jectoires soient évoquées davantage.
C
ependant, même si l'on est en
désaccord avec certaines des
hypothèses de ce livre, force est
de reconnaître qu'il propose un cadre
conceptuel intégrateur et séduisant car
appuyé par quelques études détaillées et
de nombreux exemples. C'est un livre
important et utile. ■
The Innovator's Dilemma