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CHAPITRE III EMERGENCE DE LA DOCTRINE ET DE LA THEOLOGIE DE LA TRINITE CHEZ LES PERES DE L’EGLISE c e de Nazianze la définit comme discours sur Dicu, sur son existence et sa nature. Toutefois, dans Vintelligence de la foi et par la foi que le mystére trinitaire trouve toute sa vérité. Grégoii les Péres de I" iglise n’ont cessé de souligner Pinadéquation de notre intelligence et surtout de notre langage & pouvoir saisir et exprimer de maniére vraiment satisfaisante les profondeurs de ce mystére. Quant au mystére de Dieu un et trine, nous ne pouvons qu’affirmer avec Grégoire de Nazianze que Jes mots, bien justes, demeurent infiniment en dega de la réalité qu’ils visent. Saint Hilaire de Poitiers l’exprime aussi de cette fagon : « Glisse-toi au creux de ce mystére, centre le seul Dieu inengendré et le seul Dicu unique engendré, immerge-toi dans les flots secrets de cette merveilleuse naissance. Mets-toi en route, marche, ne prend point reliche ! Je le sais, tu narriveras pas, mais tout de méme tu as pris ton départ, et je t’en félicite, car celui qui poursuit I"Infini de sa foi aimante, méme s*il ne atteint jamais, profitera pourtant de sa recherche. Il y aura gagné avoir approfondi le sens des mots ». Grégoire de Nazianze disait que ce qui compte, ce ne sont pas des mots, mais les réalités, pas les discours sur Dieu mais Dieu lui-méme (la vérité). Car contrairement aux Arianistes et aux Eunomiens qui enseignaient la possibilité d’une connaissance totale, adéquate et compréhensive de Dieu dans cette vie, Basile et Grégoire de Nazianze avaient développé la doctrine de Vincompréhensibilité divine. Cette incompréhensibilité divine devient ainsi paradoxalement le plus haut degré de la connaissance de Dieu. Dans ce sens, le mystére de Dieu ne peut étre pénétré que dans le respect et le silence, par la priére et l'adoration. La vraie théologie se fait done en silence et & genou, La connaissance de Dieu, affirme J. Moingt, n’est plus uniquement de l’ordre du discours ni du savoir, mais de la praxis. Il n’importe pas tant de connaitre que de se faire connaissant, reconnaissant ; la question de Dieu devient le probléme de la vérité des « adorateurs de Dieu » (In 4, 23). C’est l'adoration, plus que le discours qui pose la question de Dieu dans sa vérité. Dieu se dévoile dans le silence qui meut a l’adoration, il s’atteste dans les chemins d’adoration qui sillonnent le monde ; I'un de ces chemins raccorde tous les autres a Phorizon de histoire ; c’est celui que suit le chrétien, dans le dépouillement de tous les dieux, le chemin oi Jésus, en marche vers sa destinée de Christ, s’éprouvant abandonné de Dieu, passa a son Pere”. Etant donné l’importance que jouérent les hérésies dans Ia précision de la doctrine et dans Télaboration de la théologie trinitaire, il convient de consacrer la premiére partie de ce chapitre sur les hér sies, 1- Les hérésies et leur impact sur le mystére de Dieu un et trine En effet, aprés la mort des premiers témoins de la résurrection, les croyants n’avaient plus de référence et des autorités nécessaires pour confirmer ce qui était écrit et qui se racontait au sujet de ® C£,, J. Moingt, « Montre-nous le Pére », in RSR, 65/2, 1977, p. 335. 26 ‘Iésus. Certains commengaient & propager des doctrines contraires A la foi. La doctrine trinitaire s’est développée pour faire face A ces discours déviants qui mettaient surtout en question la divinité du Christ et celle de 1’ sprit Saint, La doctrine de la Trinité est dés lors lige historiquement et organiquement au débat christologique. Elle est née non seulement de la conscience qu’avait 'Eglise de la divinité du Christ, c’est-i-dire de la conscience que le Christ était Dieu mais aussi du besoin qu'elle ressentait (A cause des hérésies aux conceptions erronées de sa relation avec Dieu) de clarifier sa relation 4 Dieu, Parmi ces hérésies, nous avons le gnosticisme et le docétisme, l’adoptianisme, le monarchianisme et le subordinatianisme. L.1- Les grandes caractéristiques du gnosticisme Dans le premier tome de leur livre Histoire des dogmes, tome consacré au Dieu du salut”, B. Sesboué consacre une étude au gnosticisme. Selon lui, quelques traits caractérisent particuligrement le gnosticisme ancien : un grand usage des représentations mythologiques ; une interprétation trés imaginative des Ecritures, qui donne une place privilégiée aux premiers chapitres de la Genése et pratique la symbolique des nombres ; un godt pour l"apocalyptique ; un ésotérisme fondamenta se traduit par un élitisme, car le gnostique bénéficie de la révélation d’un secret réservé des initiés ; une attitude anti-cosmique et anti-charnelle : car pour le gnostique, le monde visible est mauvais, parce qu'il est le fruit d'une déchéance ; de ce fait, homme est prisonnier dun corps incapable de salut, ce qui engendre une interprétation docéte de la christologie : 'humanité du Christ n’est qu’une apparence (dokein) et elle n'a pu souffiir sur la croix ; une attitude anti-historique : homme est prisonnier du temps et doit en étre libéré ; une attitude antinomique ou dualiste : le monde est un mélange de deux natures contraires et inconciliables (lumiére et ténébres) ; le gnostique doit done échapper au monde inférieur et libérer sa parenté spirituelle avec le monde supérieur ; une métaphysique d’intermédiaires enfin, & travers lesquels le gnostique doit remonter v ‘on origine et sa fin, Comme on peut le constater, les conséquences de la pensée gnostique ont des implications cosmologiques, anthropologiques, et sotériologiques. Du point de vue cosmologique, la matiére, considérée comme ceuvre dun démiurge ou d’un dieu imparfait, devient la substantialisation du mal. Par conséquent, tout ce qui appartient a la eréation visible est mauvais pour la simple raison que cette création est le fruit d’une chute et d°un péché, Du point de vue anthropologique, I’ime de ’homme est considérée comme une étincelle divine emprisonnée dans le corps matériel. Le salut consiste alors a libérer I"Ame du carcan du corps divines et la faire remonter vers les sphé Du point de vue sotériologique, ce salut concerne seulement I’esprit et non pas le corps. C’est un salut qui se fait par une connaissance mystique (la gnose) communiquée a certains (les initiés) par un médiateur et non pas par la foi (croyance des simples gens). Cette doctrine dédaignait le corps et niait la résurreetion de la chair. C’est une doctrine qui posait un réel probléme pour la croyance a incarnation de Dieu en Jésus. Pour Valentin par exemple, Je Christ serait descendu sur homme Jésus lors du baptéme et l’aurait quitté avant la mort sur la 8 Voir, B. Sesbous et J. Wolinski, Le Diew du salut 27 croix. Pour le gnosticisme, le respect de la transcendance de Jésus fait que son humanisation authentique soit considérée comme radicalement impossible. Une des hérésies gnostiques formellement identifiée a pour nom le docétisme. Le docétisme est une hérésie lige directement au gnosticisme, avec une incidence directe sur la christologie. Pour les docétistes, Jésus est venu du monde divin et n’avait pas un corps matériel. Son corps n’avait que lapparence d’un corps physique. Le docétisme voulait sauver la divinité de ‘Tésus en niant son humanité réelle 1.2- Le combat de I’Eglise contre les hérésies gnostiques Les hérésies gnostiques ont été combattues entre autres par Ignace d’Antioche et Irénée de Lyon, Le premier rappelait 4 qui voulait l’entendre que le Christ est vraiment Kyrios sarkophoros (Seigneur sarkophore, celui qui a vraiment porté notre corps). Il est vraiment né de la Vierge Marie et les disciples ont rendu témoignage au réalisme méme de ’inearnation puisqu’ils ont fait avec lui Pexpérience d’un étre humain véritable. Pour Irénée de Lyon, le Christ est la fois Fils d’homme et Fils de Dieu. Par sa doctrine de la récapitulation, Irénée de Lyon affirmait l'unité entre l’ceuvre de la création et celle de la rédemption (Punité du plan divin du salut), et considérait que le Christ résume en lui toute ’humanité. Il est le sommet de la réalisation de l’unique économie du salut, car ¢”est lui qui répare et restaure ce qui a été perdu en Adam). Contre le docétisme, Irénée de Lyon affirmait que Jésus est vrai homme et vrai Diew en soulignant la réalité de la chair et du corps dans I'humanité du Christ, Dieu-homme. Pas de distinction pour lui entre le Christ impassible et le Christ passible comme le soutenait les docétistes. C’est en réagissant contre les dangers représentés par le gnosticisme dans les communautés chrétiennes que la « grande Eglise » a formalisé et parfois établi les grands repéres de son orthodoxie : Gtablissement du canon des Ecritures contre les amputations auxquelles procédaient Marcion ; Gtablissement des formules de foi qui deviendront des symboles ; émergence d’un épiscopat représentant la succession apostolique du ministére, dont on comprend qu’il a été institué pour maintenir la vérité de la foi. Cette régulation nouvelle de la vie de foi n'a pas été sans la perte d’une certaine « liberté créatrice » au bénéfice d'une institution préoccupée de son autodéfense. Mais il s‘agit d’une réaction « viscérale » sans laquelle le rejet massif de la gnose, exprimé par Justin, Irénée et leurs successeurs, ne pourrait s*expliquer. Comme I’a si bien écrit R.M. Grant : Le refus de la gnose par I’Eglise, comme par la synagogue, a eu une grande portée, C'est d’abord la reconnaissance par les chrétiens, d’origine oceidentale ou juive, de la réalité du temps et de l’espace, et plus encore dirais-je, le fait qu'on n'a pas cessé de vénérer en Dieu le Pére tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre. Contre toutes les attaques gnostiques, I'Eglise a conservé I’ Ancien Testament, et a soutenu fermement que Mhistoire de Jésus ne devait pas étre comprise en termes purement symboliques”. 1.3- L’adoptianisme L’adoptianisme affirmait de son c6té que Jésus est le « fils adoptif » de unique Dieu et non pas un dieu. C’est un homme normal, fils de Joseph et de Marie qui a posé toutefois des actes et a RM, Grant, La Gnose et les origins chrétiennes, cité par B. Sesboué, Op. cit, p. 37. 28 prononcé des paroles plus extraordinaires que les gens de son époque. La raison en est qu’il était hu et adopté par Dieu. Ses paroles et ses actes sont les preuves de sa spéciale élection. Il avait la mission un prophéte et son réle dans le salut se réduit 4 étre un exemple moral. L’adoptianisme est une hérésie basée sur Punicité de Dieu. Ses partisans furent Théodose de Byzance, excommunié par le pape Victor (186-198) et Paul de S: d’Antioche (en 264 et 268) ont attaqué et condamné Paul de Samosate. mosaste, évéque d’Antioche (260-272). Les deux conciles 1.4- Le monarchianisme Le monarchianisme était arrivé 4 mettre plus en relief l’unicité de Dieu et son unique volonté plus que sa division, Pourtant, au départ il désignera plutat toute hérésie ou deviation doctrinale qui niait ou limitait autant que faire se peut la distinction des personnes contre le polythéisme des cités et le dualisme gnostique. On distingue deux types de monarchianisme : le monarchianisme patripassien et le monarchianisme modaliste. Dans sa défense de Municité de Dieu et de la divinité du Christ comme réaction contre la théorie montante du Logos, le monarchianisme patripassien tend a atténuer la distinction entre le Pére, le Fils et Esprit Saint, Pour cette doctrine, Dieu est le monarque absolu et le seul et unique Dieu. C'est lui le Pére qui s’est inearné en l'homme Jésus. Le Fils n’a done point de réalité, il n’est pas une personne séparée du Pére, mais un simple aspect (modus) du Pare. La rédemption est 'ceuvre du Pére seul, par conséquent, c’est le Pére lui-méme qui a souffert, est mort sur la croix et est ressuscité, Cette hérésie prdne ainsi la patripassianisme. Quant au monarchianisme modaliste (le modalisme ou le sabellianisme), il n’est rien d’autre qu'une radicalisation et une extension du monarchisme. Avec le modalisme, le débat s"étend a l’Esprit Saint, Le monarchianisme modaliste estime qu’il n’y a qu’une seule nature divine, cest le monade ou Pétre absolu de Dieu. A un moment donné, Dieu sort de son silence et de son immobilité pour intervenir dans VPhistoire des hommes, Devenu actif, il porte le nom de Fils, de Logos. Comme logos, il crée et entreprend le salut de -humanité en adoptant par le fait méme trois modes : comme pére dans l’Ancien Testament lors de la promulgation de la Loi, comme Fils dans le Nouveau Testament lors de I’Incamation de Jésus-Christ, et comme Esprit Saint dans l’Eglise, lors de la Pentecéte. Ces trois modes sont les trois visages, masques, figures ou trois noms de Dieu. Cest une triade temporaire car lorsque le temps de la création sera terminé et le salut achevé, l'unité de Dieu sera reconstituée. Fondamentalement, il n’existe done pas de Trinité, Cette hérésie a surtout été défendue par Sabellius, un Libyen d'origine, établi a Rome, qui fut condamné et rejeté par le pape Callixte (217-222). Selon Sabellius, Dieu le Pére Iui-méme s’appelle « le Fils » en tant qu’il a pris chair de la Vierge Marie ; et il s’appelle «le Saint Esprit » en tant qu’il sanctifie et vivifie la créature raisonnable. C’est une doctrine qui va tout de méme contre I’affirmation du Seigneur Jésus lui-méme : « En vérité, cn vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de Iui-méme, mais seulement ce qu'il voit faire le Pare ; car ce que fait le Pére, le fils le fait pareillement » (In 5, 19). 7 Comme réaction contre le modalisme qui voit dans le Verbe et I’Esprit Saint des modes action du Pére, le vrai subordinatianisme (IIle et IVe siécles) qui fait d’eux des entités distinctes subordonnés au Pére, sans toutefois élever le Christ au méme rang que Dieu, lui donnait un grade de 29 second rang (un deuxiéme dieu), une divinité inférieure, entiérement subordonnée, dépendante et done inégale a celle du Pére, On croyait ainsi trouver des arguments dans la Bible méme oft Jésus parle et se comporte de maniére A faire penser qu’il était inférieur au Pére (Jn 8, 42), soumis a lui et obéissant dans tous les sens. Le fait que le Logos ait sa source en Dieu fait penser qu’il est une eréature, quoique de trés haut rang. Arius va radicaliser ce point de vue dans sa christologie, Toutes i inefficace I’intervention rédemptrice du Fils ces différentes hérésies ou interprétations rendaient ai dans I’ économie du salut. 2- La doctrine et la théologie trinitaires des Peres de I’Eglise Le recours au NT dans le chapitre précédent nous a permis de relever les premiéres confessions trinitaires dans ’Eglise primitive. Il est clairement apparu que la liturgie était le lieu privilégié de leur élaboration. Avec I’époque des Péres de I’Eglise, on va passer de la confession trinitaire a la doctrine trinitaire. En effet, pour reprendre I’affirmation de W. Kasper : « I n'y a de doctrine trinitaire que 1a ott le Pere, le Fils et I’Esprit ne sont pas seulement connus dans leur dignité divine, une, identique et commune, mais oii s‘instaurent des réflexions sur le rapport entre le Diew unique et la Trinité des personnes et sur les relations mutuelles entre le Pére, le Fils et "Esprit Saint», La différence fondamentale entre la confession trinitaire et la doctrine trinitaire réside dans le fait que la confession trinitaire exprime de fagon assertorique ce qui, dans les documents de la révélation est attesté de fagon narrative, alors que la doctrine trinitaire, elle, s'exprime de fagon spéculative, Elle fait entrer les diverses affirmations de la confession dans un rapport spéculaire. En se reflétant les unes dans les autres, elles montrent qu’elles se situent dans une correspondance réciproque et dans une connexion intérieure, et qu’elles forment un ensemble et une totalité structurelle. La doctrine trinitaire cherche par conséquent 4 accorder ensemble les affirmations trinitaires de Eo plausibles pour la foi. Les Peres de I’Eglise ont été les premiers & entreprendre ce travail d’élaboration, ure et de la tradition, & montrer leur justesse et leur logique immanente et & les rendre ainsi de la doctrine trinitaire, Platt que de remonter & I’époque des Péres apostoliques avec Ignace @’Antioche, nous commencerons avec les Péres apologistes chez qui cet effort d’élaboration dune doctrine est clairement perceptible. L’étude de J. Daniglou a clairement établi que les premiers essais tatonnants d’une réflexion théologique sur la confession trinitaire de I’Eglise se trouvent dans le judéo-christianisme. Il est vrai que nous n’en avons qu’une connaissance trés fragmentaire, parce que les traditions correspondantes n’ont pas été maintenues plus tard, mais ont méme été refoulées consciemment*’. Sans doute qu’a cette époque, les données fondamentales de la doctrine trinitaire étaient des conceptions apocalyptiques et rabbiniques de deux figures d’anges, qui comme témoins ou paraclets se trouvent A droite et & gauche du tréne de Diet 2 W. KASPER, Le Dieu des chrétiens, Coll. Cogitatio Fidei, n° 128, Paris, C ® J, DANIELOU, Théologie du judéo-christianisme, Tourn, 1958, 1, 1985, pp. 363-364. 2.1- Les Péres apologistes ou le christianisme au regard de la raison Le discours chrétien commence comme une bonne nouvelle, annonce du salut. A suivre sa pente naturelle, il aurait di se consacrer & mettre en lumiére la logique profonde des « économies » divines comme le fera Irénée. Mais les objections du monothéisme juif et les interrogations critiques de Vesprit grec obligeront les penseurs chrétiens & inaugurer un autre type de discours, le discours apologétique, dans lequel, sans renoncer & leur foi, ils feront une place particuligre a la raison. Sous Péclairage de I’étude de J. Wolinski", nous nous intéresserons aux raisons qui ont justifié le recours 41 la raison et & la théologie du Verbe développée par les apologistes, avant de voir I’émergence du concept d’économie trinitaire avec Irénée de Lyon. 2.11- L’accusation d’athéisme et le recours & la raison Face la triple accusation portée contre les chrétiens : lathéisme, lanthropophagie et Vinceste. Face 4 la premiére accusation, Athénagore proposa une réfutation significative. Selon lui, les chrétiens ne prétendent pas, comme I’athée Diagoras, qu’il n’y a pas de Dieu du tout, Ils reconnaissent au contraire « un Dieu unique, créateur de cet univers », un « Dieu Pare de cet univers », comme Vaffirme Platon. Aprés avoir mis en avant l'accord des chrétiens avec la majorité des penseurs, podtes et philosophes paiens, Athénagore proclame la supériorité des chrétiens sur eux. Les paiens raisonnent par simples conjectures, les chrétiens sappuient sur les prophétes, par la bouche de qui a parlé I'Esprit Saint, Aux opinions humaines est opposé ce qui vient de Dieu méme. La démarche des apologistes est simple. Elle consiste dans un premier temps a rassembler les preuves qui relévent de la raison et peuvent toucher les paiens, a partir de démonstrations empruntées aux auteurs paiens eux-mémes, puis a intégrer a ce premier acquis d'autres éléments proprement chrétiens, tirés de la révélation. Que cela modifie profondément les premiéres données ne semble pas leur poser de question. La premiére affirmation sur 'unicité de Dieu reste maintenue, mais elle s’enrichit d’une signification nouvelle censée ne pas contredire celle dont on est parti Que nous ne sommes des athées, puisque nous reconnaissons comme Dieu I’étre unique ineréé, étemel, invisible, impassible et illimité [...] qui a créé Punivers, qui l’a ordonné et le gouverne par V'intermédiaire du Verbe issu de lui, jen ai des preuves suffisantes. En effet, nous recomnaissons aussi un Fils de Dieu. Et que personne ne trouve ridicule que Dieu ait un Fils..."* Avant Athénagore, Justin procéde de la méme fagon. Il affirme lui aussi que les chrétiens ne sont pas athées, puisqu’ils adorent « le eréateur de univers », puis il compléte cette premiere affirmation en lui ajoutant la mention du Christ et de I’Esprit, dans la ligne de la régle de foi Nous, nous ne sommes pas athées, puisque nous adorons le Créateur de cet univers [...] Le maitre qui nous a donné cet enseignement et qui a été engendré pour cela, Jésus-Christ, celui qui a été crucifié sous Ponce-Pilate, procurateur de Judée au temps de Tibére César, nous avons reconmu, cn lui le Fils du vrai Dieu : nous le mettons a la deuxiéme place, et au troisiéme rang, l'Esprit prophétique...* Pour Justin, une telle démarche n’est pas contraire a la raison, parce qu’il admet que tous les hommes participent au Verbe. Les philosophes ont connu partiellement la vérité par le moyen de la semence du Verbe qui est répandu en toute race d’hommes. Il n’est done pas étonnant que tout ne soit pas faux dans leur philosophie. Mais les dogmes des chrétiens sont plus « augustes », parce qu’ils * "L économie trinitaire du salut (Ile sigcle) in Le Diew du salut, pp. 135-176, 38 ATHENAGORE, Suppligue au sujet des chrétiens, 10, 1-2 SS JUSTIN, P” Apologie, 13, 1-3 possédent « le Verbe tout entier ». C’est pourquoi la pleine vérité ne vient que par les prophétes et les Apétres. Jus in admet done une connaissance indirecte de Dieu chez les philosophes, méme si finalement elle est déclarée insuffisante au regard de la révélation accordée par le Christ. Selon Wolinski, la critique de la philosophie et de toute parole humaine sur Dieu se fonde sur une di mn d°un grand intérét. Justin affirme qu’il est impossible de donner un nom & Dieu, et déclare que les mots que I’on emploie & son sujet ne sont que des qualifications, prenant leur sens dans les interventions de Dieu en notre faveur : Mais le Pére de I’univers, qui est inengendré n’a pas de nom qui lui soit imposé, car recevoir un nom suppose quelqu’un de plus ancien qui donne ce nom. Ces mots Pere, Dieu, Créateur, Seigneur, Maitre, ne sont pas des noms mais des qualifications, tirées de ses bienfaits et de ses ceuvres”, L’approche de Dieu qu’inaugure Justin dans ce passage est intéressante pour deux raisons. Tout d’abord, il parle de Dieu a partir de ses bienfaits. Dieu sera connu par le moyen de ce qu’il réalise dans ’ecuvre du salut. L’homme renonce connaitre Dieu par lintermédiaire d’un concept qui lui dévoilerait d’un seul coup son mystére, il envisage de le connaitre a partir de ses dons, q Fintroduiront peu 4 peu 4 la connaissance qui est le fruit d’une relation vivante avec lui. On est ici en présence, en germe, de la théologie d’Irénée et de ses « économies ». L’autre mérite que présente la pensée de Justin se situe dans la place de choix faite au Fils dans le processus de la connaissance du Pére. Car, poursuit Justin : Quant & son Fils, le seul appelé proprement Fils, le Verbe a la fois existant avec lui et engendré par lui avant les eréatures, quand au commencement il créa et ordonna par lui univers, il appelé Christ parce qu'il a regu l'onction et que Dieu a mis l’ordre dans I'univers par lu, ete nom Iui-méme comporte un sens inconnaissable, de la méme fagon que l’appellation "Dieu" [...] Quant a Jésus, c’est un nom et une signification connue : a la fois homme et sauveur. Car [...] il est devenu homme selon la volonté de Dieu le Pére, et il a été enfanté pour le salut des eroyants™. Le caractére savamment dégradé qui, a travers les noms du Fils, nous fait passer de able (I’on discours sur le Dieu Pére de 'univers est inséparable d’un discours sur le Fils. Le texte distingue par Pinconnais ion du Fils préexistant) au connu (le Jésus de histoire) illustre combien le ailleurs deux états du Fils, d’abord le Verbe « existant avec » le Pére, puis, le Verbe « engendré par Jui avant les eréatures », a partir du moment out le Pére crée et ordonne l’univers. Engendré, c’es dire devenu Fils. Dans cette perspective, le Verbe est étemel, mais le « Fils » ne I'est pas, en ce sens que la génération du Verbe comme Fils est rattachée a la « création ». C’est 18 un point de vue qui surprend. Il est pourtant partagé par les autres apologistes, et par Tertullien, Il constitue le point original de la théologie du Verbe (Logos) chez les apologistes”, 2.12- La théologie du Verbe chez les Péres apologistes La littérature apologétique du II° siécle ouvre une nouvelle étape dans I’élaboration du dogme en mettant au premier plan le mot Logos, ou Verbe. Par Li est posée la question de la préexistence du Christ qui résume toute la nouveauté du discours des Péres apologistes. La perspective s*élargit sans cesse : de la proclamation du kérygme, on remonte vers la naissance virginale de Jésus, qui devient * JUSTIN, 12 Apologie, 6,1 8 hid, 6, 35. ¥ J, WOLINSKI, Op. Cit, p. 153. trés présente chez Justin, et lon pose la question de ce qu’il en était du Christ « avant » cette naissance. Le mot logos, fréquent dans le NT, n’est utilisé que quatre fois pour désigner le Christ. Il s’agit alors de montrer que son mystére déborde les limites d’un homme comme les autres. La référence au prologue de St Jean (Jn 1, 1-13) ne se fera que progressivement. Justin, qui connait I’évangile de Jean et sans doute des thémes proches de ceux du prologue, ne cite jamais celui-ci. Son emploi du mot Jogos pour dire qui est le Christ a une motivation mis logue avec la philosophie de son temps. Dans un passage du Dialogue avec Tryphon, Justin utilise le mot logos parmi d'autres titres appliqués au Christ & partir de I’ Ancien Testament ‘Comme principe avant toutes les eréatures, Dieu engendra de lui-méme une certaine puissance de Verbe que I’Esprit Saint appelle aussi la gloire du Seigneur, ou encore tantot Fils, tant6t Sagesse, tant6t Ange, tantdt Dieu, tant6t Seigneur et Verbe.... Elle peut recevoir tous ces noms parce qu’elle exécute la volonté du Pere et qu’elle est née de la volonté qui provient du Pere [...] Ainsi voyons- nous d’un premier feu naftre un autre feu sans que soit diminué le feu auguel il a été allumé. J’en aurai pour témoin le Verbe de la Sagesse [...] Ila dit par Salomon : "Le Seigneur m’a établi principe de ses voies en vue de ses ccuvres" (Pr 8, 22 ; Justin cite ici Pr 8, 21-36". Comme le montre la fin du passage, Justin reporte ici sur le Christ envisagé comme Verbe tout ce qui est dit de la Sagesse en Proverbes 8, 21-36. Il pose ainsi la question de la préexistence du Verbe , en isagée en liaison avec la création, & cause du Pr 8, 22 : « Il m’a créée commencement de ses voies, en vue de ses aeuvres ». Ce verset devient dés ce moment le verset par excellence de la préexistence lige & la création 2.2- Economie trinitaire et salut en Jésus-Christ selon Irénée Le grand mérite que ’Eglise doit 4 Irénée de Lyon, c’est celui d’avoir développé pour la premigre fois une vaste vision du mystére chrétien, en réponse aux system: gnostiques qui prétendaient, eux aussi, offrir aux hommes une réponse d’ensemble & leurs questions. Cette théologie se caractérise par une place importante faite & la Trinité, mais dans un rapport constant avec l’eeuvre du salut, Pour notre propos, avant de nous intéresser A la théologie trinitaire développée par Irénée, il convient d’enquéter sur les premiers emplois du mot « trinité » dans la théologie chrétienne, 2.21- Les premiers emplois du mot « trinité » Selon étude de J. Wolinski, le mot « trinité » ne se trouve pas dans ce qui nous est parvenu de I’ wuvre d' Irénée, S'il est utilisé assez souvent pour parler des trois personnes divines dans l’ccuvre WOrigéne conservée en latin, il ne figure que trois fois dans ce qui nous en reste en grec. Le mot posséde un statut théologique affirmé chez Tertullien, mais, & une exception prés, seulement dans le Contre Praxéas (9 emplois trinitaires). En orient, le mot se lit pour la premire fois « trias » chez Théophile d’Antioche. Il est loin 4’y signifier comme aujourd’hui le mystére d’un seul Dieu en trois Personnes. Utilisé dans un passage qui voit dans les trois premiers jours de la création (Gn 1, 3-14) trois figures (iypoi) représentant le Pare, le Verbe et la Sagesse (c’est-a-dire I’Esprit Saint), le mot ne fait rien de plus que de désigner les trois, On pourrait le traduire par triade. Mais le texte est intéressant & un titre. II passe tout naturellement de la triade & une tétrade par adjonction de -homme “JUSTIN, Dialogue avee Tryphon, 61, 1-3.

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