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Archipel

La communauté chinoise de Surabaya. Essai d'histoire, des


origines à la crise de 1930
Claudine Lombard-Salmon

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Lombard-Salmon Claudine. La communauté chinoise de Surabaya. Essai d'histoire, des origines à la crise de 1930. In:
Archipel, volume 53, 1997. pp. 121-206;

doi : https://doi.org/10.3406/arch.1997.3396

https://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_1997_num_53_1_3396

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Abstract
Claudine Salmon
Although a large body of literature has been produced on the Chinese of Java, there are very few
studies of the history of their various settlements. We present here a detailed study of the Chinese
community of Surabaya whose historical development appears to be specific to East Java. In the first
part, we discuss the sources concerning the beginnings of the community and briefly allude to an early
Islamisation process which allowed the settlers to intermingle with local society. In the second part, we
single out three big Peranakan families (the Han, the Tjoa and the The), whose history (which lasts
from the end of the 17th or the beginning of the 18th century to the early 1930s) may be regarded as
representative of the different ways the Chinese and their descendants adapted themselves to the host
society. In the third part, we put the attempts of the community to re-establish its Chinese roots into
relation with political issues on the Mainland and in Java. The first attempt started in Surabaya in 1864
with the foundation of the Hokkien Kong Tik Soe or "Temple of the Merits of Fujian", which was aimed
at reviving Chinese funeral and marriage customs and curbing the process of Islamisation. The second
attempt, much broader in scope, was aimed at promoting Chinese education by the foundation of
various private schools (one of them, the Hoo Tjiong Hak Tong, 1903, was closely linked with Mainland
revolutionnaries), reviving Confucianism as a reaction against Westernization (foundation of a temple
dedicated to Confucius in 1898), establishment of a Chinese Chamber of Commerce (1906) intended
to help the local Chinese merchants to promote their enterprises both in the South Seas and in China.
Since the last decades of the 19th century there has been a continuous stream of migrations from the
Mainland that gradually modified the social and economic structure of the Chinese community and
finally caused it to split up. In the fourth part we deal with the Totok (or newcomers) who started to
organise themselves into a great number of smaller associations (on the basis of geography,
profession or lineal descent) ; we also pay attention to the Peranakan who resented the competition of
the newcomers decided to struggle separately. This restructuration was disrupted by the recession of
the 1920s, the depression of 1930, which affected the Chinese of Java and especially of Surabaya,
and was finally stopped with the occupation of the Dutch Indies by the Japanese.
The conclusion suggests that since Independence, the history of the Indonesians of Chinese descent
in Surabaya cannot be dissociated from that of the city as a whole.
Claudine SALMON

La communauté chinoise de Surabaya

Essai d'histoire, des origines à la crise

de 1930

Pour qui a étudié l'histoire de la communauté chinoise de Jakarta,


caractérisée par l'abondance de temples anciens - cinq ont été retracés pour le
XVIIe s. et sept pour la seconde moitié du XVIIIe s., et parmi ces derniers,
deux temples ancestraux et deux de guilde^ -, ce qui frappe le plus, au
premier abord, lorsqu'on se penche sur la communauté chinoise de Surabaya,
c'est précisément la rareté de ces temples et, d'une façon plus générale, leur
faible importance dans la vie communautaire. Le plus ancien (situé Jl. Coklat),
le Hok An Kiong ou «Temple du bonheur et de la paix», dédié à Tianhou,
déesse protectrice des marins et des marchands navigants, selon la tradition
orale remonterait à la seconde moitié du XVIIIe s. Dans l'état actuel des
choses, l'inscription la plus ancienne date seulement de 1832 (v. pi. 1 et 2)(2\
De même, les sources européennes, si riches en ce qui concerne les Chinois
de Batavia, sont à l'égard de ceux de Surabaya, extrêmement pauvres. Les
voyageurs, qui passèrent par cette ville, ne semblent guère avoir pris plaisir à
arpenter les rues du quartier chinois, ni à observer les fêtes religieuses et les
spectacles, à en juger par le peu de descriptions qu'ils nous ont laissées.
Cette communauté chinoise, il est clair, ne se laisse pas aisément percevoir
dans une continuité historique (3). Ceci est sans doute à mettre en rapport avec

1. Cf. C. Salmon & D. Lombard, Les Chinois de Jakarta. Temples et vie collective, Paris, Éditions
de la Maison des Sciences de l'Homme, Études Insulindiennes - Archipel 1, 1980.
2. Il s'agit d'un panneau en l'honneur de la divinité qui a été offert par Zheng Shaoyang, alias
Zheng Yuanzhen (The Goan Tjing, 1795-1851) qui avait la charge de capitaine depuis 1825.
3. Il n'existe, à notre connaissance, aucune étude d'ensemble sur cette communauté.

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l'histoire même de la ville qui subit à plusieurs reprises des éclipses W, mais
aussi avec le fait que, jusqu'au milieu du XIXe s., il existait une forte tendance
à l'assimilation dans le milieu local, et avec le fait que les Hollandais, qui ne
sont intervenus que très tard dans la vie politique et économique de Java Est,
n'ont pas pu, de la même façon qu'à Batavia, modifier les rapports entre
Javanais, Madourais et Chinois.
Après un coup d'œil rapide sur les premières communautés (XVe-XVIIe s.),
on verra l'élaboration d'une nouvelle communauté au XVIIIe s. et, plus
particulièrement, l'ascension de quelques grandes familles qui, par un phénomène
de «peranakanisation», vont dominer la scène politique jusque dans les années
1920. Ensuite, on envisagera plus brièvement trois mouvements de resinisation
qui sont à mettre en rapport avec diverses vagues d'émigration : après 1850, à
la suite de la révolte des Taiping en Chine (1850-1866), qui se trouve
correspondre grosso modo avec le début de l'expansion économique de Surabaya;
vers la fin du XIXe s., avec la montée d'une nouvelle classe marchande et, à
partir des années 1920, avec l'émergence de nouveaux venus qui s'organisent
en marge de la vieille société peranakan^.

I. Aux origines de la communauté chinoise de Surabaya


Dès le début du XVe s., il existait à Surabaya, tout comme à Tuban et à
Gresik, des communautés chinoises originaires du Guangdong et du Fujian, et
plus particulièrement des préfectures de Zhangzhou et de Quanzhou. Les
fonctionnaires qui accompagnèrent l'eunuque Zheng He (1371-1433) dans ses
expéditions maritimes dans les Mers du Sud rapportèrent que Gresik, aussi

4. Sur l'histoire de la ville, voir notamment J. Hageman, «Bijdragen tot de kennis van de
Residentie Soerabaja», Tijdschrift voor Nederlandsch-Indïê, XX (2), 1858, pp. 85-104; XXI (1),
1859, pp. 17-34, 105-128; (2) 1859, pp. 129-164; XXII (1), 1860, pp. 267-277; G.H. Von Faber,
Oud Soerabaia, Uitgegeven door de Gemeente Soerabaia ter gelegenheid van haar zilveren jubi-
leum op 1 april 1931, Soerabaia, Kolff, 1931 ; -, Nieuw Soerabaia. De geschiedenis van Indië's
vornaamste koopstad in de eerste kwaarteeuw sedert hare instelling 1906-1931, Soerabaia,
Bussum, 1936; H.J. de Graaf, «Soerabaia in de XVII eeuw, van Koninkrijk tot Regentschap»,
Djawa, XXI, 3, 1941, pp. 199-225 ; William H. Frederick, Indonesian Urban Society in
Transition : Surabaya 1926-1946, Unpublished PhD University of Michigan, Ann Arbor, 1979, 2
vol. ; -, Visions and Head : The Making of the Indonesian Revolution, Athens Ohio, Ohio
University Press, 1989 (version imprimée du précédent); Ôki Akira, «The Transformation of the
Southeast Asian City : The Evolution of Surabaya as a Colonial City», East Asian Cultural
Studies, 27, 1-4, mars 1988, pp. 13-47; D. Lombard, «Recherches d'histoire urbaine : le cas de
Surabaya», in Luigi Santa Maria, Faizah Soenoto Rivai and Antonio Sorrentino eds., Papers from
the III European Colloquium on Malay and Indonesian Studies (Naples, 2-4 June, 1981), Naples,
Instituto Universitario Orientale, Dipartimento di Studi Asiatica, Series Minor XXX, 1988, pp.
171-180; A.C. Broeshar, J.R. van Diessen, R.G. Gill & J.P. Zeydner, Soerabaja. Beeld van een
stad, Purmerend, Asia Maior, 2e impression, 1995 (Ie impression 1994).
5. Nous tenons à remercier Madame Myra Sidharta qui nous a introduite auprès des membres des
familles The et Tjoa, feu K.P. Handayakusuma et M. Han Sam Kay de Malang qui nous ont fourni
de nombreux documents sur la famille Han, Madame Silas qui nous a accompagnée à plusieurs
reprises lors de nos enquêtes (en 1981, 1983 et 1986), notamment à Sidoarjo chez sa parente
Madame Go Giok Yan, veuve de M. The Sioe Koen, les gardiens du temple ancestral des Han qui
nous ont aidée à ouvrir les tablettes, Monsieur Steve Tjahjanta qui a pris pour nous de nombreuses
photographies, feu le journaliste Tan Siok Gwan, Monsieur Go Gien Tjwan originaire de Malang
et enfin toutes les personnes de Surabaya et des environs qui gentiment ont consacré de leur temps
pour répondre à nos questions et sans l'aide desquelles cette recherche n'aurait pu aboutir. Nos
remerciements enfin à Madame Mary Somers Heidhues pour ses commentaires.

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appelée en chinois Xincun ou «Nouveau village», était sous le contrôle d'un


chef cantonais, qu'un bon nombre de ces émigrés suivaient les préceptes de la
religion musulmane et que plus de la moitié de la population de Surabaya,
comptant alors quelque mille familles, était composée de Chinois^. L'un
d'eux précise que ces derniers «étaient tous musulmans (7)». Cette assertion
est corroborée par Yan Congjian, un auteur du XVIe s., qui écrit : «Les
Chinois qui résident à Surabaya pratiquent l'islam, observent le jeûne et
respectent les interdits de cette religion (8)».
L'intensité des rapports économiques et politiques entre ces ports de Java
et la cour des Ming<9) n'a pas laissé, à vrai dire, beaucoup de souvenirs dans la
mémoire collective locale, si ce n'est un temple dédié à Zheng He où l'on peut
encore voir une grande pièce de bois de plusieurs mètres de long, supposée
avoir appartenu au bateau de l'eunuque et plusieurs kramat, ou tombes sacrées,
de style musulman (10). Rien ne permet de dater la fondation de ce complexe
religieux qui se trouvait, à l'origine, plus près du bord de la mer, en un lieu-dit
Moro Krembangan^11), et qui fut déplacé dans les années 1930, vers le sud, à
proximité du cimetière musulman qui longe la Jl. Demak (en direction de
Gresik), lorsqu'on aménagea le terrain d'aviation. Ce lieu de culte n'est pas
sans rappeler ceux également dédiés à Zheng He et à un de ses suivants, que
l'on peut encore voir à Ancol (près de Jakarta) et à Gedung Batu (près de
Semarang) et dont l'existence est respectivement attestée à la fin du XVIIe et
au début du XVIIIe siècles <12). Parallèlement, Gresik garde le souvenir d'une
certaine Nyai Pinatih, convertie à l'Islam, et dont le tombeau est devenu une
sorte de kramat où les fervents viennent régulièrement se recueillir (v. pi. 3).
Dans l'histoire locale, elle est restée célèbre pour avoir adopté Raden Paku,
premier seigneur de Giri, et pour avoir un temps rempli à Gresik les fonctions

6. Ma Huan, Ying-yai Sheng-lan, The Overall Survey of the Ocean's Shores (1433), translated and
edited by J.V.G. Mills, Cambridge University Press for the Hakluyt Society, 1970, pp. 89-90.
7. Cf. Gong Zhen, Xiyang fanguo zhi, édition commentée par Xiang Da, Beijing, Zhonghua shuju,
1954, p. 8.
8. Yan Congjian, Shuyu zhouzi lu, «Notes d'enquêtes sur les contrées étrangères» (préface de
1574, 1ère éd. 1591), édition ponctuée par Yu Sili, Beijing, Zhonghua shuju, 1993, p. 295.
9. Chiu Ling Leong, « Sino-Javanese Relations in the Early Ming Period», in Symposium on
Historical, Archeological and Linguistic Studies on Southern China, South-east Asia and the Hong
Kong Region, Papers Presented at Meetings Held in September 1961 as Part of the Golden Jubilee
Congress of the University of Hong Kong, F.S. Drake, General Editor, Hong Kong University
Press, 1967, p. 221, a calculé qu'il n'y a pas eu moins de soixante-dix missions entre 1368 et 1526
et que, pendant les vingt-deux années de l'ère Yongle (1403-1424), il y en avait pratiquement une
annuellement.
10. F.J. Rothenbuhler, «Rapport van de staat en gelegenheid van het Landschap Sourabaija»,
Verhandelingen van het Bataviaasch Genootschap 41, 3e partie (1881), p. 2, rapporte qu'il était
fréquent de trouver des jonques chinoises à l'intérieur des terres lorsqu'on creusait le sol. Le nom
actuel du temple est Tempat Ibadat Sam Po Tai Djien Mbah Ratu. Le plus ancien document qu'on
puisse y trouver est un brûle-encens daté de 1937. De part et d'autre de Zheng He, sont honorés
Raden Panji et Raden Ayu Pandan Sari, héros pré-islamiques, ainsi que Mbah Sayid Sekh
Maulana.
11. Moro, malais muara, signifie précisément «estuaire».
12. Cf. C. Salmon & D. Lombard, op. cit, pp. 86-97 ; cf. aussi C. Salmon, «Cults Peculiar to the
Chinese of Java» in Asian Culture (Singapour), June 1991, pp. 9-12 et W. Franke, C. Salmon &
A. Siu, Chinese Epigraphic Materials in Indonesia, Singapore, The South South Society, vol. II
(2), sous presse, K 1.1.

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de syahbandar ou «maître du port». D'après les chroniques du petit État de


Ryû Kyû, consignées en chinois, il apparaît que Nyai Pinatih n'était autre que
la fille aînée de Shi Jinqing, Chinois originaire du Guangdong qui, de 1405 à
1421, administra le port de Palembang. On sait par ailleurs que les sunan de
Giri avaient aussi à leur service des Chinois; l'un d'eux, Endraséna, laissa son
souvenir dans les babad^\
On perd ensuite les traces des descendants de ces premières communautés
chinoises. Il ne fait guère de doute que, en partie islamisés, ils étaient désireux
de participer à l'administration locale et de se fixer définitivement dans le
pays d'accueil ; ayant pris des titres vernaculaires, et ayant épousé des femmes
du lieu, ils se sont progressivement fondus dans la société locale au point de
ne plus s'en distinguer <14).
Il est significatif de constater que l'histoire des grandes familles peranakan
de Surabaya, telles qu'on peut encore les observer à l'heure actuelle, ne
remonte pas au-delà de la fin du XVIIe s., voire plutôt du début du XVIIIe s.
Les cimetières qui auraient pu fournir des indications précises sur celles
établies de longue date - telles les Tan, les Liem, les Kwee, les Ong, les Oei, les
Han, les The, les Tjoa, les Tjioe, les Teng, les Oen et les Tjia - ont
graduellement disparu. On ne sait même plus où se trouvait le premier d'entre eux qui,
au milieu du XVIIIe s., était suffisamment rempli pour qu'on en crée un autre,
connu sous le nom de Xinzhong ou «Nouveau cimetière», que l'on trouve
mentionné pour la première fois sur la tablette funéraire d'un certain Chen
(Tan) Heguan né en 1672 et mort en 1744 (15). Bien qu'aucune indication ne
soit donnée concernant la localisation de ce «Nouveau cimetière», tout laisse
à penser qu'il fut installé derrière le quartier chinois de l'époque, alors
constitué par l'actuelle Jl. Karet (v. pi. 5) et les ruelles avoisinantes, à l'endroit qui
est encore connu maintenant sous le nom de Pasar Bong, qui signifie
littéralement «Marché aux tombes chinoises ».
Sur un plan manuscrit de Surabaya de 1821 dressé par A.V. Moesbuge et
D.V. Hoeve (recopié en 1825 par N.H. Bornhoff), figure nettement
l'emplacement de ce cimetière appelé Chineesche kerkhof. Il était délimité à l'ouest et
au sud par le quartier chinois, au nord par les immeubles donnant sur la Jl.
Kembang Jepun et à l'est, par la Jl. Slompretan. A l'époque, il existait déjà un
marché appelé Pasar Bong sur un terrain situé à l'est de la Jl. Slompretan, juste

13. Sur Nyai Pinatih, voir Tan Yeok Seong, «Chinese Elements in the Islamisation of South East
Asia. A Study of the Strange Story of Njai Gede Pinatih, the Grand Lady of Gresik » in
Proceedings of the Second Bienial Conference of the International Association of Historians of
Asia, Oct. 6-9, 1962, Held at Taiwan Provincial Museum, Taipei, pp. 399-408 ; sur Endraséna voir
H.J. de Graaf, « Soerabaia in de XVII eeuw, van Koninkrijk tot Regenschap », pp. 203-204.
14. Sur ce processus d'islamisation, voir D. Lombard & C. Salmon, «Islam et sinité», in L'Islam
en Indonésie II, Archipel 30, 1985, pp. 73-94; version anglaise légèrement différente in Indonesia
57, 1994, pp. 115-131.
15. Il était de coutume en Chine, à la mort d'un parent, de faire exécuter une tablette en bois
portant son nom à l'extérieur et ses dates de naissance et de mort, avec parfois l'emplacement de sa
tombe, à l'intérieur, et de placer celle-ci sur l'autel des ancêtres de la maison familiale ou, pour les
plus argentés, dans le temple ancestral de la famille. Cette tablette, censée conserver l'âme du
défunt, était l'objet d'un culte de la part des descendants de celui-ci. Celle dont il est question ici
est conservée dans le temple ancestral des Han, voir plus bas.

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en face. Le même cimetière apparaît encore sur un plan imprimé de 1905, avec
toutefois une superficie moindre, étant déjà entamé sur son pourtour par des
constructions (16\ Le processus s'est poursuivi et, à l'heure actuelle, il ne
reste, semble-t-il, plus qu'une seule tombe, celle de Han Bwee Kong (1727-1778)
qui fut le premier des Han à remplir une fonction officielle, celle de capitaine
de la communauté chinoise (voir plus bas). La tombe est à présent d'un accès
difficile, vu qu'elle est perdue dans le labyrinthe que forment les ruelles du
marché aux étoffes.
Le seul autre vestige archéologique connu, que nous avons repéré en 1981,
est une autre tombe, enfouie à un mètre de profondeur, dans la cour arrière du
temple ancestral des Han situé Jl. Karet. Il s'agit de celle d'un certain Ke
Anzhang originaire de Jinjiang, dans la préfecture de Quanzhou, au Fujian. La
date n'est malheureusement donnée que par deux caractères cycliques, qui
correspondent soit à 1636, soit plus vraisemblablement à 1696 (v. pi. 4). Soixante
ans plus tard, c'est-à-dire en 1756, la famille Han était déjà en possession des
lieux depuis plusieurs années (voir plus bas).
Pour les années 1680, les sources hollandaises laissent voir que les princes
javanais avaient encore, dans certains endroits, le monopole de l'affermage des
taxes et que les syahbandar des ports de Java Est qui pour la plupart étaient
des Chinois peranakan convertis, qui avaient le statut de priyayi et portaient
éventuellement un titre javanais, achetaient ces fermes. Tel Tan Jep-ko, alias
Ronggo Wirasadana, syahbandar de Gresik qui payait directement au susuhu-
nan une redevance de 400 réaux par an, tel Souw Hie-ko, syahbandar de
Surabaya, qui en versait une de 200 réaux au régent Yangrana. La famille Tan
semble avoir été puissante à Java Est durant les vingt dernières années du
XVIIe s. et pendant les trente premières du siècle suivant. C'est parmi ses
membres que se recrutèrent les syahbandar et les capitaines de Gresik,
Sumenep et Surabaya <17).
Le nombre de Chinois établis (avec leurs familles) dans les ports de Java
Central et Java Est était encore relativement faible à la fin du XVIIe s.
Nagtegaal donne, pour l'année 1691 quelques chiffres sur les communautés les
plus importantes : 247 à Jepara, 154 à Semarang, 122 à Rembang, et 76
seulement à Surabaya (contre 10 ou 12 en 1683) <18).
Lorsque F. Valentijn visite Surabaya vers 1707, il a l'occasion d'entrer en
rapport avec le chef de la communauté chinoise, un certain Tam (Tan?) Keko,
connu familièrement sous l'appellation de Kenio. Ce dernier mettra une
maison à la disposition du pasteur afin qu'il puisse présider le culte. Valentijn fait
au passage (19^ quelques commentaires sur la qualité des habitations du quartier
chinois (situé à l'est du Kali Mas) qui, pour une grosse part, sont de belles

16. D'après une note parue dans le Bintang Soerabaia du 8 août 1890, il semblerait qu'on ait cette
année-là déplacé à Kupang (au sud de la ville) les tombes des anciens capitaines sans descendance
qui étaient tombées à l'abandon.
17. Luc Nagtegaal, Rijden op een hollandse tijger. De noordkust van Java en de V.O.C. 1680-
1743, proefschrift, université d'Utrecht (1988), pp. 1 14, 84.
18. Luc Nagtegaal, Rijden op een hollandse tijger, p. 111. L'auteur ne dit pas comment il a obtenu
ces chiffres.
19. F. Valentijn, Oud en Nieuw Oost-Indien, 's -Gravenhage, 1858, vol. III, pp. 299-301.

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maisons en brique, tout comme celle du capitaine (2°). On sait par ailleurs qu'à
la suite d'une tentative d'incendie criminel en 1727, les Chinois décidèrent de
construire un mur de briques pour protéger leur kampung (21). ■
Bien que les observations de Valentijn ne soient pas ici aussi riches que
celles qu'il donne sur les communautés chinoises de Batavia et de Ambon, il
remarque néanmoins l'importance du rôle économique joué par les Chinois à
Java Est : «Le commerce du riz dont ils s'occupent est ici très actif. En temps
de paix, la ville peut, tout comme Passouroewan, fournir 2 000 kojans et elle
en fournit encore bien 1 000 à présent ; le kojan est la last de Java qui fait
5 000 livres, alors que la last chinoise est de 3 750 livres et la nôtre de 3 000
seulement». Ce qui signifie qu'en temps normal les marchands chinois
brassaient 5 000 tonnes de riz et, en temps de guerre, autour de 2 500 tonnes. Ces
marchands, il semble bien, avaient le quasi-monopole de ce commerce. Cette
impression est corroborée par des informations concernant la fin du XVIIIe s.
Il était d'usage, nous dit-on, que l'administrateur du Oosthoek, ou «Pointe
Est», complète ses émoluments, devenus assez maigres, surtout sous le
gouvernement de Van der Para (1761-1775), par des entreprises personnelles et
par des commissions émanant des marchands locaux. C'est ainsi que le
capitaine des Chinois de Surabaya lui donnait, chaque année, une somme de 25 000
rixdales afin d'obtenir le monopole de fait du commerce du riz dans la région,
et par voie de conséquence, le contrôle des prix sur le marché, puisqu'il avait
aussi aménagé un entrepôt où il stockait la marchandise.
Lorsque Dirk van Hogendorp fut envoyé comme administrateur de la
«Pointe Est» en 1794, il refusa l'argent que venait lui apporter le capitaine du
moment (Han Chan Piet [1759-18271 ?), voulant garder le contrôle du prix du
riz et surtout obliger ledit capitaine à le baisser considérablement. Cette
volonté qui allait à l'encontre d'un système économique bien établi n'aboutit pas ; le
capitaine se plaignit et finalement ce fut Hogendorp qui dut quitter son poste
en 1798 (22). Bien que plusieurs points dans cette affaire nous échappent, en
particulier les rivalités entre fonctionnaires hollandais, il est néanmoins
intéressant de souligner ici que, quelque cinquante ans après l'établissement de la
Compagnie à Surabaya, les Chinois contrôlaient encore l'économie de la
région. Notons que F.J. Rothenbuhler qui succéda à Hogendorp (1799-1809),
adopta vis-à-vis des Chinois une attitude toute différente, cherchant plutôt à se
les concilier. Il s'était de plus marié à une Chinoise originaire de Semarang,
Kwee Tjien Nio, dont la sœur, Kwee Kiok Nio, devait, au début du XIXe s.,
épouser Tjoa Khik Yong (1791-1863), le fils d'un riche fabricant de sucre de
Surabaya (23).

20.
Sourabaija»,
Selon F.J.
3e partie,
Rothenbuhler,
1881, p. 68,
« Rapport
il y avait dans
van de
toute
staat
la ville,
en gelegenheid
au tout début ven
du XIXe
het s.,
Landschap
749
maisons en dur appartenant aux Hollandais, aux Chinois ainsi qu'aux régents et à leurs familles. Il
précise qu'elles étaient leur propriété. Quant au reste de l'agglomération, il se composait de
maisons en bambou.
21. Luc Nagtegaal, Rijden op een hollandse tijger, p. 209, citant une lettre du résident Santijn de
Surabaya au marchand-chef Ter Smitten de Semarang en date du 26 août 1727.
22. G.H. von Faber, Oud Soerabaia, p. 23.
23. Cf. une histoire manuscrite, en hollandais, et sans titre, de la famille Tjoa, rédigée par Tjoa Sie

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Les Chinois étaient associés à la gestion de certains monopoles, notamment


celui des salines (24\ Le port de Surabaya était contrôlé par un syahbandar qui
percevait les droits sur les produits de transit. Dans son rapport de 1728, le
marchand en chef Jan Santijn raconte comment le capitaine des Chinois du
moment, un certain Ong Swan-ko(25), était venu le trouver pour lui demander
de transmettre à la Compagnie une requête contre Tan Pekong, alors
syahbandar du lieu, accusé d'avoir perçu des taxes abusives et d'avoir ensuite réussi à
partir pour Batavia. Jan Santijn, qui donne son avis sur l'affaire, émet
l'opinion qu'il faudrait rappeler au syahbandar ses obligations, mais recommande
également de n'entreprendre aucune action qui pourrait aller à l' encontre du
contrat entre la Compagnie et Mataramt26).

II. La montée de nouveaux entrepreneurs : trois familles représentatives


Une des particularités de la communauté chinoise de Surabaya est qu'on
peut y suivre trois grandes familles, celles des Han, des Tjoa et des The, qui
ont réussi à se maintenir avec plus ou moins de succès pendant presque trois
siècles, en dépit des secousses économiques successives et qui ont encore leur
ancrage dans leurs temples ancestraux. Leur histoire se reflète dans les
documents qu'elles ont elles-mêmes conservés ainsi que dans les sources
hollandaises. En ce qui concerne les premiers, il s'agit de quelques inscriptions
tombales, mais surtout de généalogies (27) et de tablettes funéraires (28) conservées
dans les temples ancestraux qui ont subsisté jusqu'à maintenant. Ils sont tous
trois situés dans la Jl. Karet qui se trouve être, on l'a vu plus haut, la plus
ancienne rue du quartier chinois, et ont été fondés respectivement en 1876
(pour ce qui est du Han Sie Lok Hian Tjok Biauw, v. pi. 6, 7), en 1883 (pour
ce qui est du Tjoa Tjhin Tjhik Kongsoe, v. pi. 28) et en 1884 (pour ce qui est
du The Sie Siauw Yang Tjo Biauw, v. pi. 20, 21) <29).
Wan en 1940, p. 13. La famille Kwee était l'une des plus anciennes de Semarang. Son histoire
remonte au XVIIe s.; cf. W. Franke, C. Salmon, A. Siu, Chinese Epigraphic Materials in
Indonesia, II (1),K 1.2.
24. Realia, register op de générale resolutïen van het Kasteel Batavia, 's-Gravenhage, 1882-85,
vol. II, p. 67.
25. Luc Nagtegaal, Rijden op een hollandse tijger, p. 208, fait brièvement allusion aux contrats
passés entre la Compagnie et Ong Swan-ko.
26. Cf. « Copie : Memorie van overgave van het afgaande opperhoofd van Soerabaja, Jan Santijn
aan zijn opvolgen Rijklof Duyvensz (fragment), 1728 », ARA Coll. Baud, n° 984.
27. Jusqu'à une époque toute récente, les familles peranakan conservaient jalousement leurs
généalogies. Le fait que maintenant on les montre volontiers, prouve sans doute qu'elles ont perdu
beaucoup d'importance dans l'organisation familiale et sont désormais rangées avec les objets du
passé. L'adoption de noms indonésiens a contribué à transformer les mentalités. Il n'est plus
possible de tenir des généalogies selon la tradition chinoise; de plus, les familles ont progressivement
éclaté et souvent les descendants d'un même ancêtre ne se connaissent plus.
28. Bien que depuis plusieurs années on ne fasse pratiquement plus de tablettes ancestrales pour
les défunts, celles qui subsistent restent souvent empreintes de religiosité et, en principe, ne
peuvent être ouvertes.
29. Pour les familles Tjoa et The, nous disposons en plus de quelques études modernes ; outre le
texte de Tjoa Sie Wan mentionné ci-dessus note 23, il faut encore citer pour cette même famille
une petite histoire en indonésien par The Boen Liang, «Riwajatnja Familie Tjoa di Soerabaja» in
Mata-Hari (extra-nummer), Semarang, 1 Augustus 1934, 19 p. Quant aux The, ils ont publié, lors
du cinquantenaire de leur temple ancestral, un petit livre commémoratif en indonésien intitulé :

Archipel 53, Paris, 1997


128 Claudine Salmon

Si les renseignements contenus dans les tablettes ancestrales sont sûrs, ceux
renfermés dans les généalogies ne laissent pas de poser des problèmes. En ce
qui concerne la famille Han par exemple, nous avons réussi à en retracer cinq,
deux en chinois et trois en malais (3°). Il s'en faut que les renseignements
qu'elles nous fournissent coïncident parfaitement, ce qui rend l'interprétation
parfois difficile. Pour ce qui est des Tjoa, il n'existe plus, semble-t-il, qu'un
tableau romanisé adapté du chinois au XXe s.(31).
Ce qui est intéressant toutefois, c'est que les familles Han et Tjoa font
remonter l'histoire de leurs ancêtres jusqu'en Chine, alors que les deux
généalogies des The ne commencent même pas avec le premier immigrant à Java,
mais seulement avec des personnes nées à Surabaya et sans qu'aucune
indication de génération ne soit donnée (32). Le fait que les premiers emigrants Han

Boekoe-Peringetan, The Sie Siauw Yang Tjohbiauw (Vereeniging The Goan Tjing), 1883-1939,
Soerabaja, 1939, 109 p. Voir aussi, Ong Hokkam, «The Peranakan Officers' Families in
Nineteenth Century Java», in Papers on the Dutch-Indonesian Historical Conference Held at Lage
Vuursche, The Netherlands, 23-27 June 1980, Leiden Jakarta, Published by the Bureau of
Indonesian Studies under the Auspices of the Dutch and Indonesian Steering Committees of the
Indonesian Studies Programme, 1982, pp. 278-291.
30. En ce qui concerne les trois généalogies en malais, la première suspendue dans le temple des
Han, se présente sous la forme d'un grand tableau donnant, en cercles concentriques, les noms des
descendants du fils cadet de Han Siong Kong, Han Bwee Kong. La deuxième (appelée ci-dessous
généalogie de Surabaya), conservée en 1981 dans la résidence du secrétaire du temple, Han Poo
Tjoan (mort en 1985, nom indonésien K.P. Handayakusuma, un petit-fils de Han Tjoei Wan, 1815-
95, voir plus bas), se compose de 136 grandes feuilles dactylographiées; elle se rapporte à la
même branche de la famille, mais donne en plus, de façon non systématique, les lieux de
naissance, de résidence et de mort des intéressés, le nom de leurs épouses et parfois aussi quelques
indications sur la profession des pères de ces dernières. La troisième, conservée dans une famille de
Sidoarjo, est en très mauvais état; elle concerne uniquement la descendance de Han Tjien Kong ou
Soero Pernollo, le fils de Han Siong Kong qui s'est converti à l'islam (nous devons ce document à
Madame Silas de Surabaya qui a bien voulu nous introduire dans cette famille). Pour ce qui est des
deux généalogies en chinois, la première, comportant une préface de 1926 et des appendices
concernant les tombes, les tablettes ancestrales et une liste des membres de la famille Han qui ont
fait carrière comme fonctionnaires, nous fut d'abord procurée par Chen Dasheng de l'Académie
des Sciences Sociales du Fujian en 1989 et une photocopie nous en fut ensuite donnée, lors d'une
visite à Tianbao la même année ; les descendants de Guanyou y sont divisés en quatre branches ;
celle concernant les ancêtres de Han Siong Kong s'arrête brutalement à la génération de son
grand-père, Xiu, pour lequel le nom de son épouse est mentionné, mais non ceux de leurs deux
fils. La seconde généalogie conservée en Hollande (dont nous avons obtenu une copie grâce au Dr.
Go Gien Tjwan) est beaucoup plus courte et pose plusieurs problèmes ; elle se compose de deux
parties ; la première, avec un petit texte introductif, donnant la liste des ancêtres en Chine et celle
des descendants de Han Siong Kong en Indonésie ; les informations concernant les ancêtres en
Chine concordent avec celles contenues dans la généalogie de Tianbao. La seconde se rapporte
apparemment à un cousin de Han Siong Kong, Boe Siong (Wuxiong) qui était natif de Tianbaozhai
(un village muré avec une porte comportant une inscription datée de Qianlong 2 soit 1737 (voir
illustration in Archipel 41, p. 57). Boe Siong est supposé être arrivé à Sumenep, Madura, à une
date qui n'est pas précisée, y avoir ouvert une boutique et s'être marié avec la fille d'un Chinois
du lieu, un certain Lu Fosi. Nous avons réussi à retrouver quelques tombes de la fin du XIXe s., à
Malang et à Kalianget, Madura, dont les noms coïncident avec ceux de cette dernière généalogie
(cf. W. Franke, C. Salmon & A. Siu, Chinese Epigraphic Materials in Indonesia, II (2), L 11.2.2;
L 11.2.5 ; L 8.1.1). En étudiant de plus les deux généalogies en chinois, il apparaît que Han Siong
Kong et Han Boe Siong avaient le même ancêtre, Junbei, nom personnel Nanya.
31. Cette généalogie, assez courte, est suspendue dans le temple des Tjoa, tout comme celle des
ancêtres de Nyai Roro Kiendjeng (voir pi. 24).
32. L'une a été reproduite dans l'ouvrage commémorant le cinquantenaire du temple des The,
tandis que l'autre est conservée à Sidoarjo, chez Madame Go Giok Yan, la personne qui nous a
également procuré la généalogie des Han convertis à l'islam.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 129

et Tjoa aient apporté avec eux leurs généalogies laisse penser qu'ils n'étaient
pas issus des couches les plus humbles; par contre, si les généalogies des The
sont discrètes sur l'origine de la famille, c'est sans doute qu'ils ne se
connaissaient pas d'ancêtres éminents en Chine.

Peranakanisation et javanisation : les deux faces de la famille Han


L'histoire de la famille Han telle qu'elle nous apparaît est exceptionnelle
dans la mesure où elle se laisse percevoir dans la longue durée et, en ce qui
concerne Java, en plusieurs endroits simultanément. Ce qui frappe peut-être le
plus c'est que les Han résolvent leurs problèmes par des migrations
successives en Chine d'abord, puis dans le monde indonésien, et n'hésitent pas à
consentir les acculturations nécessaires pour être acceptés dans le pays
d'accueil (33).

Des ancêtres fort respectables en Chine


Les Han se disent originaires de l'agglomération de Tianbao dans la
préfecture de Zhangzhou, au Fujian, où leur ancêtre, Guanyou, vint s'établir sous les
Yuan, pendant l'ère Taiding (1324-27), et acheta un terrain. Guanyou est
également regardé comme le fondateur du Baofu an, un petit temple bouddhique
dédié à Guanyin (voir la photo de l'effigie datée de 1325 in Archipel 41, p.
55). Toutefois on peut retracer leurs origines plus haut jusqu'à la dynastie
Tang, lorsque leur shouzu ou «premier ancêtre», le général Han Zhaode (nom
personnel Qi) vint de la province du Henan avec le fameux général Chen
Yuanguang (m. en 711) pour ouvrir la région de Zhangzhou et s'établit à
Lianpu (actuelle Yancuo), dans cette préfecture. Comme premier ancêtre dans
la province du Fujian (xianzu), ils honorent un certain Han Hong qui, en 1121,.
fut reçu sixième au concours de doctorat (jinshi) et servit comme secrétaire du
ministère des Finances avant de retourner dans son village natal, Lianpu (34).
Sous les Ming, les Han se dispersent dans plusieurs villes des provinces du
Fujian, Guangdong, Huguang et Zhejiang où ils sont employés dans
l'administration. Pendant l'ère Jiajing (1522-1566), à l'initiative d'un certain Han
Shifeng de Tianbao, un bon nombre des membres de la famille se réunissent
une première fois pour chercher la tombe de Han Hong, s'y recueillent
ensemble et compilent une généalogie qui fut remaniée en 1647 et poursuivie
ultérieurement en Indonésie <35).

Le premier emigrant ?
Han Siong Kong (Han Songgong, nom posthume Chunde) qui était né à
Lubianshe, Tianbao, en 1673, partit pour les Mers du sud à une date qu'il n'est

33. Nous avons déjà eu l'occasion de présenter les Han de Java Est dans cette revue {Archipel 41
1991, pp. 53-87). Nous ne reprendrons ici que ce qui est nécessaire pour mener à bien une
comparaison avec les familles Tjoa et The.
34. La monographie de la préfecture de Zhangzhou {Zhangzhou fuzhi, 1111) mentionne le nom de
Han Hong parmi les lauréats à l'examen de la capitale pour l'année en question (juan 16, p. 6b).
Toutefois son lieu d'origine n'est pas mentionné.
35. Cf. ci-dessus note 30.

Archipel 53, Paris, 1997


Généalogie simplifiée
20e g. Han Siong Kong (1673-1743)
21e Tjoe Kong
Kien Kong
Tjien Kong (ou Soero Pernollo, 1720-76)
Hing Kong (ou Djajeng Tiitono?)
Bwee Kong (1727-78), ép. Chen Ciguan (1730-78)
Pien Nio
Poen Nio
T I T I
22e KheeI Bing (1749-68) Tiang King (1751-1816) Chan Piet (1759-1827) Phik Long (1761-88) PingTjeng
ép.Liem Tjien Bok ép. Njoo Hiet Nio ép.QueekToanNio ép. Tjan Tjien Kai (1763-1839)
(m. en 1768) (1758-82), Oei, Kho (1755-1830), lie, Oei (1765-1802) sans
capitaine Juana & Khouw. lieut. puis descendant
cap. Surabaya (1778-1810)
I
23« SoeSik (1767-1827) Ik Kong ép. Liem Ing Tjhiang Kiam Tjiong
ép.Liem Tjien Bok capitaine Juana r-Ing Liong (1786- (61s de Chan
(1769-1842) -Kok
cap.
lieut.(1867-97)
Ueut. Tie
Ping
Surabaya
(1844-67)
(1805-44)
(m. en(1838-44)
1897) 1847)ép.Kwee Piet)
«lieutenant-capitaine» (1790-1868).
Surabaya (à partir de 1 813) cap. Pasuruan
(1828-48)
•Ing Sioe (1788-1814)
24e Tiauw Kie (1790-1871) Liong Tjiang (1837-64) Siok Kie (fils de Tjan G wan
ép. Yap (1798-1841) de ép. Oen adopté par Ing Liong,
Sampang. Lieut Surabaya Liong Kong (1840-1908) cap. Pasuruan (1828-48)
(1828-55) ép. Bee. Ueut (1867-78) — Tjhee Bing i
rTiauw Hien (1790-1884) Surabaya — Tjhee Yong
ép. The. lieut (1828-54) — SiokHian (1838-1911)
1

cap. (1854-74) & cap.


honor. Surabaya
Tik Tjiong (converti à l'Islam)
Poen Tjhee (converti à l'Islam)
25e Tjoei Wan (1815-95) ép.Ong, Ting Tjiang ép. Tjoa Siauw An lieut Kim Hoay
liem & Tan Tiam Nio. Ueut Ueut Surabaya (1854-74) Malang (1889-97)
Surabaya (1854-74) Ting Tjoen
Ting Hway-i
26e Khong Gie (1851-1932) Tjiong Ling Tjiong Khing -Biauw Sing
ép. The Hien Nio ép. Ling Nio, fille de ép. Goat Nio, fille de ép. liem. Ueut
Khong Ling (1856-1941) The Boen Hie. lieut The Boen Ke. Ueut ProboUnggo ?
ép. la fille de The Boen Ke (1889-95), cap. honor. (1889-1906), cap. Biauw Ing
& Kwec King Tjay. lieut Surabaya (1906-14) & major ép. Kwee
Kertosono Surabaya (1914-24) Ueut Kutaraja,
Kwat Tjhee (m. 1901) Aceh (1913)
Kwat Tjay (1873-1930)
ép. la fille de Pwie Swie Hien
27e Ing Hwie (m. 1909) Tiauw Tjong
Ing Swie (1894-1940)
Twan Hwie (1884-1933)
28e Bing Siong
Sources : Tablettes des ancêtres; incnptions tombales; généalogies; Regerings Almanak.
de la famille Han

1
Kik Ko (1766-1813) Thee Long (1766-1815) Tok Sing GakLong Khoen Long TiangAn Swie Kong
ép. Liem Khiam Nio ép. Oei Tjien Kin (1768- (1773-1839) ép. Lie (1774-1828) musulman
(1771-94). cap. 1826). cap. Surabaya ép. Liem Ien ép. Tjan Tjoe descendant
Pasuruan, Tumangung Nio (m. 1801) Ioe (1780-1809)
Probolinggo (1810-13) lieut Gresik
I I
-Tjan
Liem. Goan cap. ép. Oei, SamTjiat Toen Ho (1799- Goan Tien Wirjoadi-
SamHoo 1851) ép. Oei Koesomo
Probolinggo (1847-60)
-Tjan Sing
ép. Ong

■Hi an Tjiang — Kong Ling Khik Siauw fils KiaiMas


HokTjiang de Khay Tjiang Asemgiri
Khing Tjiang (1834-97)
Siok Kie
-Khay Tjiang

rGiok Tjien Tjing Hwan See Tjan (fils


GiokTjoh Tjing Soen de Tjay Khing
cap. Besuki
sans descendant
Swie L(T)ien Swie (H)ien
\

Hoo Lam Hoo Tjoan Hoo Tong Hoo Hal


(m. en 1893) cap. Pasuruan ép. Ong Ik Nio cap. Probolinggo
(1881-86) (1870-85)
Tiauw Tjhing
132 Claudine Salmon

pas possible de préciser, aux alentours de 1700. Selon un petit texte en chinois
introduisant la liste des tablettes ancestrales conservées dans le temple de
Surabaya (voir pi. 8), il s'établit à Lasem et, en 1743, mourut à Rajegwesi
(actuelle Bojonegoro, une petite ville située au sud-est de Lasem). Il fut
enterré à Binangun, près de Lasem, où de fait on peut encore voir sa tombe qui a été
réparée en 1766. La tradition veut qu'une forte pluie se soit mise à tomber lors
de l'enterrement et que son cercueil, abandonné par ses enfants dans la forêt,
ait été enseveli magiquement. Le défunt se serait vengé de ce manque de piété
filiale en maudissant toute sa descendance. Jusqu'à présent, les Han n'osent
toujours pas passer par Lasem (36\ Toutefois la tablette de Han Siong Kong est
conservée dans le temple ancestral des Han de Surabaya.
Han Siong Kong avait eu cinq fils et, selon les sources, deux ou quatre
filles (37). Un de ses fils Tjien Kong (ou Soero Pernollo, 1720-1776) se
convertit à l'islam (38\ tandis que les autres, Tjoe Kong, Kien Kong, Hing Kong et
Bwee Kong conservaient leurs coutumes et croyances traditionnelles. Ces cinq
frères et leurs descendants garderont des rapports entre eux malgré leurs
options religieuses différentes. Les convertis auront tendance à épouser des
Javanaises, alors que les autres prendront femme dans le milieu chinois per-
anakan. Toutefois, une réelle distinction apparaît au niveau des généalogies.
Les convertis, qui rapidement se font une place dans l'élite locale, constituent
leur arbre généalogique à la façon des familles priyayi, tandis que les enfants
restés de culture chinoise, continuent à porter des noms chinois. Les cinq fils
de Han Siong Kong sont nés à Lasem d'une mère dont on ignore même le nom,
vu qu'elle ne possède pas de tablette funéraire. Toutefois, la généalogie de
Surabaya note, sans plus de précisions, qu'elle portait le patronyme Tan<39).

Les Han et la mise en valeur du Oosthoek jusqu'en 1813


Les deux fils aînés de Han Siong Kong, Tjoe Kong et Kien Kong, restèrent
à Lasem tandis que les trois autres allèrent s'établir à Java Est. Han Bwee
Kong ou Han Bwee Ko (1727-1778) s'établit à Surabaya (dans la rue
principale du quartier chinois d'alors, act. J1. Karet, là où est à présent le temple
ancestral des Han) où il devint capitaine à une date qu'on ne peut préciser, tandis

36. On dit à Surabaya que ce sont les Han convertis à l'islam qui entretiennent la tombe. On
trouvera une photographie de cette tombe dans Archipel 41, p. 67.
37. Quatre selon la tablette ancestrale de Han Siong Kong conservée dans le temple ancestral de
Surabaya (Geniang, Wainiang, Renniang et Tianniang) et deux selon les généalogies en malais
(Pien Nio et Poen Nio). On ne connaît rien d'autre sur elles.
38. Selon J. Hageman, «De Adipatti van Bezoeki op Java 1811-1818», in 7/JV./., 1865, p. 447,
deux fils de Han Siong Kong se convertirent, à savoir King Sing (apparemment Kien Kong) ou
Djajeng Tirtonoto et Hing Sing ou Soero Pernollo. Hageman a confondu les noms, car selon les
généaologies, c'est Tjien Kong qui est identifié à Soero Pernollo; cf. aussi Heather Sutherland,
«Notes on Java's Regent Families», Indonesia, 16, 1973, p. 145, qui se base sur Hageman.
Derrière la graphie hollandaise Soero Pernollo, se cache bien évidemment le nom javanais Suro
Pranolo.
39. En ce qui concerne l'origine de la famille Han de Java, J. Hageman, « De Adipatti van Bezoeki
op Java 1811-1818», p. 447, rapporte que vers 1742, peu après le massacre des Chinois, un certain
Han Hin Song (Han Siong Kong ?) se convertit sous le coup de la peur et épousa la fille du régent
de Rajegwesi.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 133

que Hing Kong et Tjien Kong, ou Soero Pernollo, s'établirent à Besuki (4°).
Selon Hageman, Soero Pernollo entra au service de Hendrik Breton qui fut
successivement nommé résident de Rembang, Opperhoofd de la «Pointe Est»
en 1763 et Raad van Indië en 1768. Soero Pernollo devint son bras droit
comme gezaghebber de ses trois vaisseaux et ensuite comme collecteur des taxes
maritimes à Surabaya ainsi que comme chef de la police de Panarukan, avec le
titre javanais de Ingebei Soero Pernollo (1768-76). Il devait être finalement
son héritier. Par l'intermédiaire de Soero Pernollo, Han Bwee Kong obtint, dès
1768, un contrat de location du district de Besuki pour lequel il devait payer
en échange 1 000 rixdales et fournir 10 koyan de riz annuellement à la
Compagnie. En 1777, il loua également le district de Panarukan contre une
somme annuelle de 500 dollars espagnols (41).
Han Bwee Kong fut apparemment le premier membre de la famille Han à
être nommé capitaine. On ne sait pas exactement comment il fit ses débuts à
Surabaya. Il est à penser qu'il fut aidé par son beau-père, un certain Chen
(Tan) Heguan (1672-1744), dont la tablette est conservée dans le temple
ancestral des Han, dans un petit autel particulier situé à l'arrière de l'autel
principal où sont rangées les tablettes des Han et de leurs épouses (42\ On a vu
plus haut que dès le début du XVIIIe s., plusieurs personnes portant le nom de
Tan occupaient à Surabaya des fonctions importantes. Han Bwee Kong se
maria avec Chen Ciguan (1730-1778), au plus tard en 1748, vu que l'aîné de
leurs enfants, Kwee Bing naquit en 1749 (v. pi. 10) <43). Selon la généalogie de
Surabaya, Han Bwee Kong eut douze fils (l'un étant mort semble-t-il en bas
âge) et deux filles (en fait au moins onze). Parmi eux, cinq furent nommés
capitaines à Juana, Surabaya, Pasuruan, Probolinggo et Gresik respectivement.
Le plus jeune, Han Swie Kong, devint musulman, épousa une javanaise et
s'établit à Prajekan (voir la généalogie de la famille Han). La tombe de Han
Bwee Kong et de sa femme se trouve toujours dans l'ancien cimetière de Pasar
Bong. Elle fut érigée par leurs dix fils (l'un d'eux ayant été donné en adoption)
et leurs onze filles ainsi que par leurs petits-fils, dont un était regardé comme
étant l'héritier principal (Guozhu, nom personnel Soe Sik, v. pi. 14). Sur
l'inscription, le capitaine est identifié sous le nom de Zhensi, «celui qui ébranle
Surabaya» (v. relevé de l'inscription pi. 9 et, dans Archipel 41, photo, p. 67).
Après sa mort survenue en 1778, Han Bwee Kong fut remplacé par son
troisième fils, Han Chan Piet (1759-1827) qui hérita des titres de location des
districts de Besuki et Panarukan et fut nommé lieutenant à Surabaya avant
d'être promu à la charge de capitaine, fonction qu'il garda jusqu'en 1810. En
1796, les Hollandais lui conférèrent même un droit exclusif à vie sur ces deux

40. Cf. J. Hageman, «De Adipatti van Bezoeki op Java 1811-1818», p. 447.
41. Realia, Register op de générale resolutiën van het Kasteel Batavia, 1632-1805, 's-Gravenhage-
Batavia, vol. II, 1885, p. 64.
42. Bien que l'usage d'introduire les tablettes des parents des épouses dans le temple ancestral de
la famille du mari soit fréquent à Surabaya, il aurait été jugé incongru en Chine. Voir la
reproduction de sa tablette ancestrale dans Franke, Salmon & Siu, Chinese Epigraphic Materials in
Indonesia, II (2), L 1.13.
43. Idem, L 1.13.3-5.

Archipel 53, Paris, 1997


134 Claudine Salmon

districts (44). Toutefois, six ans plus tard, une décision du gouvernement en
date du 3 juillet 1800, recommandait qu'après la mort du capitaine, on veille à
placer ces deux districts sous l'autorité de deux régents (45). Après que
Daendels eut été nommé gouverneur général des Indes néerlandaises, il eut
l'idée, on le sait, de vendre des districts entiers à des particuliers afin d'obtenir
les fonds nécessaires à son gouvernement. C'est ainsi qu'en 1810, Han Chan
Piet, qui venait de donner sa démission de capitaine de Surabaya (46\ acquit les
territoires de Besuki et de Panarukan. Encouragé par les succès de ces
mesures, Daendels décida de vendre aussi le territoire de Probolinggo, dont les
revenus étaient maigres, à Han Kik Ko (1766-1813), un des frères de Han
Chan Piet, qui était alors capitaine à Pasuruan et qui s'était parallèlement lancé
dans l'exploitation de la canne à sucre (47>. Il fut installé en grande pompe dans
ses nouvelles fonctions, reçut la permission de porter les armes, de s'installer
dans la résidence du régent et, enfin, de prendre le titre de Baba
Tumanggung (48\
Les avis des Européens sur ce système de gestion instaurant «des États
dans l'État» sont partagés. Certains y ont vu un mode de gestion permettant la
mise en valeur de régions arriérées, tel l'officier français Ch. F. Tombe <49), tel
encore David Hopkins qui, dans un rapport à Raffles, notait que sous Han Kik
Ko, la superficie des rizières avait augmenté dans le district de Probolinggo,
tandis que l'irrigation et les transports y avaient été considérablement
développés (5°). D'autres, au contraire, ont considéré cette autonomie comme une sour-

44. John Bastin, «The Chinese Estates of Java during the British Administration», in Essays on
Indonesian & Malayan History, Singapore, Donald Moore Books, 1961, p. 92.
45. Realia, vol. Ill, 1886, p. 220.
46. « Memorial of J.A. van Middelkoop Late Landrost of the Eastern Part of Java to his Successor
Mr P.A. Goldbach, 24 novembre 1810», in Mackenzie Collection (Private 6, p. 210), India Office
Library; cf. aussi J.A. van der Chijs éd., Nederlandsch-Indisch Plakaatboek, Batavia, 1897, vol.
16, 5 Hooimaand 1810, pp. 254-55.
47.H.J. Domis, De Residence Passoeroeang op het eiland Java, 's-Gravenhage, H.S.J. de Groot,
1836, pp. 18-19, note qu'en venant de Bangil près du poste dit Bandongan, il a encore vu le
moulin à sucre de feu Han Ti Ko (alias Han Kik Ko), en face de son ancienne demeure.
48. J.A. van der Chijs éd., Nederlandsch-Indisch Plakaatboek, Batavia, 1897, vol. 16, 23
Lentemaand 1811, pp. 620-21 . Voir planche pour un relevé de sa tombe à présent disparue.
49. Ch. F. Tombe, Voyage aux Indes Orientales pendant les années 1802, 1803, 1804, 1805 et
1806, Paris, Arthur Bertrand, 1811, t. II, p. 25, raconte comment, venant de Banyuwangi et ayant
traversé une zone déserte, il est heureux d'arriver dans la région de Panarukan : «Enfin à 3 heures
de l'après-midi, nous sortîmes du désert. Nous entrâmes dans une plaine immense, parsemée de
bosquets et de champs de riz. Quel contraste avec la solitude que nous quittions ! Quelle
jouis ance n'éprouve-t-on pas à la vue de la nature vivante, embellie par l'art, après soixante-douze heures
de séjour et de marches dans les forêts désertes ! Nous passâmes ensuite près d'un village, dont je
ne me souviens plus le nom. Nous le laissâmes sur notre droite, et à 5 heures du soir, nous
arrivâmes à Panaroukan, chef-lieu de l'ancien royaume de ce nom, dont un riche Chinois est le chef.
Nos mandors nous conduisirent chez lui. Il nous attendait, et d'excellents lits étaient préparés dans
des chambres. Il occupe une maison très vaste, bâtie en planches, et dont la façade ressemble à
celle d'un théâtre. Il nous fit servir de suite du thé et des fruits confits.»
50. Cité d'après J. Bastin, «The Chinese Estates of Java during the British Administration», p. 96.
Ce dernier auteur (p. 95) donne d'intéressantes précisions sur l'introduction de nouvelles cultures :
« At the time of the sale of Besuki lands were producing not only padi and large quantities of
maize, but also various fruits, which were exported to Pasuruan, Surabaya, and Madura. So successful
had the fruit industry become that immediately prior to the British invasion the Chinese had
forced the people to plant water-melons, which were sold for a total sum of 4 000 Spanish dollars.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 135

ce d'abus de pouvoir et, sans doute aussi, comme une menace latente pour
l'autorité coloniale. Pour la période de Raffles, la population de ces domaines
particuliers a été estimée à 80 000 habitants, dont la moitié était établie sur le
territoire de Probolinggo. Le gouvernement anglais qui souhaitait racheter ces
territoires trouva en 1813 une conjoncture favorable; en effet, les partisans de
l'ancien régent de Pasuruan, qui, avec l'installation de Han Kik Ko, s'étaient
trouvés dépossédés de leurs revenus, avaient, semble-t-il, fomenté un
soulèvement qui se termina par la mort du Baba Tumanggung et le rapatriement de sa
famille à Pasuruan (51). Par ailleurs, il semblerait que les redevances que les
deux propriétaires devaient payer annuellement au gouvernement aient été
assez lourdes par rapport aux revenus réels. Peu après la mort de son frère,
Han Chan Piet fit une déclaration officielle sur laquelle on peut certes aussi
s'interroger : il faisait savoir qu'il n'était plus en mesure de payer son dû et
demandait à rétrocéder le domaine (52\

Industrie du sucre et contrôle de la communauté


Ce brusque changement dans la politique de mise en valeur de la « Pointe
Est» n'allait pas signifier pour autant la fin des entreprises Han dans la région.
On va voir qu'ils avaient un certain nombre de propriétés privées sur
lesquelles ils pratiquaient l'agriculture (riz, canne à sucre, indigo, maïs,
cocotiers...) et qu'ils avaient aussi recours aux contrats de location de terres
proposés par le gouvernement, pour stimuler la production du sucre et, à un moindre
degré, celle du café et de l'indigo.
On ne sait pas quand les Han commencèrent à acheter des terres dans les
environs de Surabaya et, un peu plus au sud, dans la région de Sidoarjo et de
Pasuruan. Han Kik Ko avait des terrains dans la banlieue de Surabaya (53) et
aussi à Pasuruan. C'est sur ce dernier terrain, situé en un lieu-dit Kraton, que
fut établi ca. 1799, un des premiers moulins à sucre de la région. En 1808,
apprend-on, l'entreprise travaillait sur un domaine loué au gouvernement qui
comprenait 12 villages et 2 538 personnes. Après la liquidation de la
rétrocession de Probolinggo, trois fils de Han Kik Ko se virent allouer, pour leur vie
durant, l'usufruit du moulin et des 182 hectares de rizières situées à
proximité <54).

The increase in cultivation had been effected by advancing money and tools to the people, who
had been attracted to the Chinese estates from the Oosthoek districts by means of free distributions
of rice during periods of famine, and from Madura whence many had fled to escape military
service.»
51. Peu avant que n'éclate le soulèvement, le résident de Surabaya, Goldbach, écrivait en ces
termes à Raffles : «If there be a place where rebellion may be apprehended, it is in Probolingo
where there are still a number of relations of the former Regent, who (through his removal) have
been deprived of the best dessas and rice-fields and whose discontenment with the Chinaman-
landholder have been very evident.» Cité d'après R. Dubois St Marc, «Probolingo under British
Occupation», China Journal of Sciences and Arts, 24, 1936, p. 143. Pour d'autres interprétations
des causes du soulèvement, voir J. Bastin, «The Chinese Estates of Java during the British
Administration». Voir le relevé de la tombe de Han Kik Ko et de son épouse, pi. 12.
52. J. Bastin, «The Chinese Estates of Java during the British Administration», p. 99.
53. Sur le plan de Surabaya de 1821, le nom de Han Kik Ko figure encore comme propriétaire
d'un terrain à l'est du quartier chinois, en bordure de la Rivière Pako.
54. Robert Elson, Javanese Peasants and the Colonial Sugar Industry, Impact and Change in an

Archipel 53, Paris, 1997


136 Claudine Salmon

De la même façon Han Chan Piet, qui lui aussi était déjà propriétaire de
terres dans la région de Surabaya (55), se vit offrir, après avoir rétrocédé ses
deux districts, divers terrains, dont un connu sous le nom de Manukan (à
l'ouest de Surabaya) et qui produisait du riz. Il échut à son fils Han Kok Tie
(1805-1844) qui fut un temps lieutenant à Surabaya, puis passa aux mains du
fils de ce dernier, Han Liong Kong (1840-1908), qui lui aussi assuma la
fonction de lieutenant (56). On sait également qu'en 1815, Han Chan Piet se porta
acquéreur d'un autre domaine à Petunjungan qui, après sa' mort, passa
successivement à son fils Han Kok Ping (? - 1897), un temps lieutenant de Surabaya,
et à son petit-fils Han Siok Hian (1838-191 1)<57>.
Han Soe Siek (1767-1827), lieutenant à Surabaya, avait également des
terres dans les environs de la ville et peut-être aussi dans la région de
Sidoarjo <58>. Son fils aîné, Han Tiauw Kie (1790-1871) qui, à la mort de son
père, «hérita» de sa fonction de lieutenant, créa en 1835 à Ketapang (région
de Tanggul Angin), une des premières grandes fabriques de sucre (59). Le fils
et le petit-fils de ce dernier, Han Tjoei Wan (1815-95, v. pi. 16), un temps
lieutenant à Surabaya, et Han Khong Gie (1851-1932) comptaient parmi les
grands fabricants de sucre. Ils accrurent leur capacité de production grâce à
des contrats de location de domaines. Trois des fils de Han Khong Gie : Ing
Hwie (m. en 1909), Sing Hwie et Toan Hwie (1884-1933) travailleront avec lui
et l'aideront à développer l'entreprise dans d'autres directions. Ainsi par
exemple, ils géreront les monts-de-piété et investiront dans l'immobilier. Ing
Hwie et Toan Hwie créeront en effet chacun une entreprise immobilière (Jbouw
maatschappij) en vue de l'achat de parcelles et de la construction
d'immeubles, tant à Surabaya qu'à Lawang et Singasari^60). Afin qu'une partie
de ce capital puisse demeurer indivis, Han Khong Gie, créa en 1901, la
Vereeniging Lam Yang Tjoe Soe ou « Association du temple ancestral des Mers
du sud», à laquelle il légua, dit-on, quelque six cents maisons dont les revenus
seuls devaient faire l'objet de partage entre les héritiers (61).
Le second fils de Han Soe Siek, Han Tiauw Hien (1790-1884), qui fut un
temps lieutenant à Surabaya, avait aussi hérité de terrains dans la région de
Ketapang où il produisait du riz et de la canne à sucre. Cette dernière
production devait être développée par ses trois fils, Ting Tjiang, Ting Tjoen et Ting
Hway, qui, vers 1870 au plus tard, avaient passé des contrats avec Tanggul
Angin (au sud de Sidoarjo) et pareillement investissaient leurs profits dans

East Java Residency 1830-1940, Singapore, Oxford University Press, 1984, pp. 20-21.
55. Le nom de Han Chan Piet apparaît également sur le plan manuscrit de 1821.
56. Cf. De Locomotiev, 4 août 1904.
57. Cf. Notulen van de Bataviaasch Genootschap van Kunsten en Wetenschappen, 1905, Bijlage
X.
58. Son nom apparaît également sur le plan manuscrit de Surabaya de 1821.
59. Cf. G.H. von Faber, Oud Soerabaia, p. 179.
60. Information orale recueillie à Surabaya en 1983.
61. Les statuts de la Vereeniging Lam Yang Tjoe Soe ont été publiés dans le Javasche Courant en
date du 1er février 1901. L'association existait toujours en 1990 et avait son siège Jl. Ketapang ; au
cours des ans, une partie des biens immobiliers lui appartenant ont été vendus. Voir la photo de la
façade dans Archipel 41 , p. 73.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 137

l'immobilier. Un fils de Han Ting Hway, Han Tjiong Khing, devint un des
plus gros propriétaires fonciers de Surabaya (62\ Parallèlement, il exerça des
charges administratives pendant plus de trente ans (1889-1924), assumant
successivement les fonctions de lieutenant, capitaine et major. Avec son mandat,
se termina à Surabaya, le système d'administration indirecte de la communauté
chinoise.
Il s'en faut qu'il soit toujours facile de suivre les descendants de Han Bwee
Kong dans leurs diverses entreprises. Ainsi par exemple, on perd rapidement
les traces des petits-enfants de Han Kik Ko à Pasuruan. On ne sait pas
comment se transmit leur héritage dont il a été question plus haut. Certes Han Ing
Liong (1786-1847), fils d'un frère de Han Kik Ko, fut nommé capitaine de
Pasuruan (ca. 1828-1847), ce qui laisse supposer qu'il avait des attaches dans
cette région. De fait, il adopta un des petits-fils de Tik Ko, Siok Kie, qui plus
tard devint capitaine à Pasuruan (1862-1869) tout en gérant diverses affaires,
dont des fabriques de sucre à Sukorejo (district de Pasuruan) et une entreprise
de location de voiture de chevaux de poste pour le trajet Surabaya-Pasuruan,
qu'il administrait avec deux de ses parents, établis respectivement à Sidoarjo
et à Surabaya (63). Quelques-uns des petits-fils de Kik Ko allèrent s'établir
ailleurs (notamment à Probolinggo, Surabaya et Madura), tandis que d'autres
faisaient souche à Pasuruan, mais la généalogie de Surabaya les ignore.
Il semble bien pourtant, à en juger par les prénoms qui permettent en partie
de distinguer les générations, que les trois magnats du sucre de Pasuruan : Han
Hoo Lam (m. en 1893), Han Hoo Tjoan (qui fut capitaine de 1881 à 1886) et
Han Hoo Tong, issus de deux frères ou de deux cousins, Han Swie Lian et Han
Swie Hien, ne soient autres que des descendants de Han Kik Ko. En effet la
généalogie de Surabaya mentionne un arrière-arrière petit-fils de Han Kik Ko,
Han Swie Tian, qui était installé à Plered près de Pasuruan où précisément les
trois magnats avaient un contrat d'exploitation de canne à sucre (64). Ils en
avaient d'autres à Sarirejo, Ngempit, Pengkol et Klurahan^65). Tout comme
leurs parents de Surabaya, ils réinvestirent dans l'immobilier. Han Hoo Tong
avait à cet effet créé une entreprise intitulée Bouw Maatschappij Han Hoo
Tong qui, après sa mort, fut reprise par sa veuve Ong Ik Nio et un de ses fils,
Han Tiauw Tjhiang^66). Ce dernier était également célèbre pour ses
investissements dans les chevaux qu'il faisait courir à Singapour et jusqu'en Péninsule
malaise (Ipoh, Kuala Lumpur et Pinang)^67). Les trois magnats, qui étaient
quasi inséparables dans les affaires, créèrent aussi des associations funéraires

62. On peut suivre les propriétaires à travers les rubriques annuelles du Regerings Almanak
concernant l'état des propriétés particulières dans la circonscription de Surabaya; on trouve
également dans cette collection, d'une façon non moins systématique, mention des contrats de location
de domaines auprès du gouvernement pour la culture de la canne à sucre.
63. Bintang Timoer, 1er mars 1865.
64. Cf. Handboek voor Cultuur-en Handelsondernemingen in Nederlandsch-Indïè , Amsterdam,
1888, p. 241.
65. Ces trois contrats sont mentionnés dans le Regerings Almanak des années 1870-80.
66. Ci.Javasche Courant, 17 août 1917.
67. Cf. Tan Hong Boen, Orang-orang Tionghoa jang terkemoeka di Java, Solo, The Biographical
Publishing Centre, [1935], p. 35.

Archipel 53, Paris, 1997


138 Claudine Salmon

qu'ils dotèrent de fonds. La première, établie en 1906, et intitulée Han Soen


Wan Kong Soe ou «Temple ancestral de la prospérité des Han», était
consacrée à feu Han Hoo Lam et à sa descendance ainsi qu'à ses frères (68). Mais
quatre ans plus tard, Han Hoo Tong en créait une autre sous le nom de Han Tat
Wan Kong Soe ou «Temple de la réussite des Han», pour rendre un culte à
Han Swie Hien et Han Swie Lien, ainsi qu'à leurs descendants <69). A la fin
des années 1920, lorsque les effets de la grande crise se firent sentir à Java,
des petits-fils des trois magnats, Han Kian Kie et Han Kian Hien, amorcèrent
une conversion en investissant, le premier à Pasuruan dans une entreprise à
buts variés, le second à Wonorejo, dans une exploitation de culture et
commercialisation du riz(7°).
A cette enumeration, il faudrait sans doute ajouter un certain nombre de
petites entreprises dont l'exploitation a été de plus courte durée et aussi, à
partir de la fin du XIXe s. et au début du XXe s., quelques grandes sociétés
brassant du capital extérieur à la famille Han, telle la société anonyme de Candi
fondée en 1911 avec les The et les Tjoa, comme on le verra plus bas. Il
faudrait, sans doute aussi étudier de la même façon les entreprises créées très tôt
dans d'autres districts, tels ceux de Probolinggo, Besuki, Jombang, Mojokerto,
Blitar, Yogya, Semarang et, en dehors de Java, à Madura (Sumenep, Sampang)
et Banda Aceh, où émigrèrent des membres de la famille Han entre la vingt-
deuxième et la vingt-cinquième générations (71). Toutefois nous nous
limiterons ici à cette première vision du monde des hommes d'affaires pour
envisager maintenant l'autre face de la famille Han, celle des convertis.

Islamisation et pouvoir administratif


II est difficile d'obtenir une image complète du processus d'islamisation de
la famille Han. Il apparaît qu'après la conversion de Han Tjien Kong, un des
fils de Han Siong Kong, le phénomène s'est reproduit aux générations
suivantes. Un fils du capitaine de Surabaya, Han Bwee Kong, Swie Kong,
embrasse l'islam, épouse une Javanaise puis s'établit à Prajekan. De même
feront encore deux des quatre fils de Han Soe Siek, Tik Tjiong et Poen Tjhee,
et à la 26e génération, Han Piet Nio, une petite-fille du lieutenant Han Tiauw
Kie. Mais les renseignements sur les descendants des convertis sont maigres.
Si nous suivons relativement bien l'histoire des enfants et des petits-enfants
de Han Tjien Kong, alias Soero Pernollo, c'est qu'ils ont joué un rôle
important dans l'histoire de Java Est en tant que fonctionnaires (v. généalogie plus
bas). A ce titre, ils ont eu droit à quelques précisions dans les généalogies de
Surabaya. De plus, ils ont constitué la leur et ont fait l'objet de divers
commentaires dans les sources occidentales.
Le fils aîné de Soero Pernollo, Baba Sam, ou encore Han Sam Kong, fut
d'abord ronggo de Besuki sous le nom de Soemodiwirjo (1772-76), puis

68. Cf. Javasche Courant, 23 janvier 1906, où sont publiés les statuts.
69. Cf. Javasche Courant, 12 juillet 1910.
70. Cf. Javasche Courant, 13 décembre 1929 et 12 novembre 1935.
71. Après l'indépendance de l'Indonésie, eut lieu une nouvelle vague de migrations vers l'Europe,
essentiellement les Pays-Bas, mais aussi l'Amérique et l'Australie.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 139

tumanggung de Bangil sous les titres successifs de Ngabehi Soerowidjojo


(1776-88) et de Tumanggung. Soeroadinegoro (1788-1808). Par la suite, il
devint Adipati Soeroadinegoro (1808), puis exerça la fonction de régent à
Malang, à Sidayu et enfin à Tuban (1809-1818) (72>.
Durant son séjour à Bangil, ce fonctionnaire fit forte impression sur les
voyageurs français qui traversèrent son district. Labillardière, en 1794, note à
son sujet : «Ce Tomogon était un homme de beaucoup d'esprit, parlant bien le
hollandais, et très au courant des nouvelles d'Europe. Chinois d'origine, il
avait été obligé d'embrasser la religion musulmane pour obtenir le titre de
Tomogon (73).» L'officier français Ch. F. Tombe qui, au début de l'année
1805, s'arrête aussi à Bangil, nous a laissé du tumanggung un portrait encore
plus attachant : «Ce vieux prince est le frère aîné de celui de Besouki, par
conséquent originaire chinois : il passe pour être plus instruit que son frère. Il
m'a dit lui-même qu'il parlait toutes les langues orientales, notamment celles
de Madure et de la Chine; cette dernière langue est la langue de ses ancêtres.
Mais ce qui me surprit le plus, c'est qu'il avait des notions géographiques de
l'Europe; il m'en parla comme un homme qui avait voyagé, principalement en
Italie, dont il me cita les principaux lieux. Lui ayant témoigné mon étonne-
ment, il me dit que, traduisant un peu la langue hollandaise, un résident lui
avait prêté différents ouvrages traduits du français dans lesquels il avait puisé
des notions sur l'Europe, et une très haute idée de la France par la guerre
d'Italie, dont il avait lu tous les détails; il me cita même les affaires d'Arcole
et de Lodi ; il me parla beaucoup, et avec enthousiasme, de Sa Majesté
l'Empereur Napoléon ; il l'avait suivi dans le cours de ses glorieuses
campagnes, et il le considérait avec raison comme un génie surnaturel... Paris lui
parut une ville plus qu'extraordinaire par sa grandeur, la hauteur de ses
maisons, sa population, sa police (74).»
En tant que fonctionnaire, le tumanggung s'intéressait visiblement à la
façon dont l'Europe était administrée et, de fait, il était réputé pour le talent
avec lequel il gérait son district. Rothenbuhler, dans un rapport rédigé en 1809
notait : «Le district de Bangil est le plus prospère et le mieux cultivé de tous
ceux que j'ai vus dans l'île de Java» ; et de faire l'apologie de la petite ville en
ces termes : «J'étais surpris de voir une ville si belle et si grande dans un si
petit district <75).» On s'en étonnera peut-être un peu moins, si l'on sait que le

72. Cf. Mackenzie Collection, Private 82 (n° 26, p. 268 sq) : «Of the Present State & Management
of the district of B angel = Bangil, with an account of the origin & history of the celebrated Kiai
Dipatty Sooro-Adi-Nogoro = Kyai Dipati Sura Adinegara, Knight of the Order of Holland at
present Tumanggung = Tumengung of Tuban = Toeban » (India Office Library, Londres).
73. J.J. de Labillardière, Relation du voyage à la recherche de la Pérouse, Paris, An VIII de la
République, t. II, p. 313.
74. Cf. Ch. F. Tombe, Voyage aux Indes Orientales pendant les années 1802, 1803, 1804, 1805 et
1806, t. II, pp. 44-45 et l'auteur d'ajouter : «Voulant savoir jusqu'où ses connaissances allaient en
géographie, j'ouvris une de mes malles, et lui montrai une carte d'Europe, et une de France; après
les avoir examinées, et s'être orienté, il m'y indiqua toutes les villes qu'il m'avait déjà citées. Sur
le désir qu'il me manifesta d'en avoir de semblables, je les lui donnai, ce qui lui fit un extrême
plaisir. »
75. Mackenzie Collection, Private bag 82 (n* 26, p. 267) : «Geographical and Statistical
Description of the Regency of Bangil Part of the District of Passarouang ».

Archipel 53, Paris, 1997


Membres musulmans fonctionnaires de la famille Han
2 Ie génération Han Siong Kong
(1673-1743)
I
22° Han Tjien Kong ou Soeroe Pernollo
(1720-1776)
au service de Hendrik Breton
23" Han Sam Kong ou Baba Sam (1752-1833) Han Mi Djo
Soemodiwirjo, ronggo de Besuki (1772-76) Raden Soer
tumanggung de Bangil (1776-1808), Adipati Soeroadinegoro (1808) tumanggung
régent de Malang, Sidayu et Tuban (1809-18)
24e Soero Adiwidjojo Wiro Adinegoro R. Soerio Adiningrat Soerio Dimidjojo Raden
(n. 1787) (n. 1789) (n. 1787) (n. 1788) ronggo
tumanggung de Bangil, adipati, tumanggung, « Binnen Bupati » tumang
régent de Tuban régent de Bangil régent de Puger ( 1 804-
(1813-
Soe
25* Raden Karama
régent de Probolin
26* Raden Saleh Raden Gairoe R. Dongko Soemo Raden Alie
wedono de Dringu patih de Lumajang wedono de régent de
(Probolinggo) Probolinggo Besuki
Raden Salman
wedono de Sumber
Sources : Genealogy of the Muslim Han ; Rothenbuler, « List of the Regents » ; Hageman, « De Adipatti van Bezoeki » ; Su
La communauté chinoise de Surabaya 141

tumanggung, tout comme un de ses fils, avait la passion de l'architecture,


comme nous le dit Tombe : «II me fit part que son fils aîné, bel homme,
presque blanc, parlait parfaitement le hollandais, et connaissait l'architecture
civile. Il l'avait fait instruire à Surabaye par un Hollandais, ancien employé de
la Compagnie. Il me voulut prouver le talent de ce fils en me montrant le plan
du grand bâtiment qu'il faisait élever vis-à-vis de son palais et à côté du
hangar où nous étions, et dont il surveillait et dirigeait également les travaux. Ce
plan était très bien dessiné et levé, et les dimensions étaient écrites en
hollandais <76).»
Autre fait intéressant : si le tumanggung était admiratif de l'administration
napoléonienne et de sa police parisienne, Tombe de son côté, s'étonnait de
l'ordre régnant à Bangil : «Une remarque que je fis chez ce prince, c'est que
ni lui ni ses gens, ni même aucun des Malais qui viennent chez lui, ne sont
armés d'un poignard; au moins ils le cachent tellement, qu'on ne l'aperçoit
pas ; ce qui m'a singulièrement surpris ; car dans toutes les îles de la Sonde et
des Mers de Chine, il n'est aucun naturel, sans exception, qui n'ait un
poignard ou un klebanV1).» L'admiration pour les talents d'administrateur du
tumanggung se transmit jusqu'aux plus hautes sphères du gouvernement
colonial. En 1808, Daendels vint en personne visiter son district et examiner ses
livres. Considérant ses résultats excellents et son caractère agréable, il l'invita
à Semarang où il lui remit une décoration. L'année suivante, lorsqu'il revint à
Surabaya, il lui conféra le titre de « Adipati Soeroadinegoro»^78).
Le tumanggung avait plusieurs épouses et de nombreux enfants. La
généalogie de Sidoarjo en compte vingt-sept. Interrogé sur ce sujet par Tombe, le
prince répondit « qu'une de ses femmes légitimes était enceinte du soixante-et-
unième, que vingt-neuf étaient morts et que des trente-et-un qui lui restaient,
douze étaient chez son frère, le Tomogon de Besouki, lequel s'était chargé de
leur éducation» (79). Rothenbuhler dans un rapport sur les régents de la
«Pointe Est» (daté de 1809) dénombre ainsi ses enfants (8°). De sa première
femme, il avait trois fils et deux filles et de ses autres épouses onze garçons et
dix filles, soit au total vingt-six enfants. Son fils aîné, celui dont Tombe a
vanté les talents d'architecte, Soero Adiwidjojo (né en 1787) et qui avait épousé la
fille du ronggo de Malang, devint tumanggung de Bangil après la mutation de
son père. Le second, Wiro Adinegoro (né en 1789) était «Adipati de Bangil»
et avait épousé la fille d'un Peranakan de Surabaya. Le troisième, Raden
Soero Diwiro (né en 1791) était marié avec la fille de Raden Soero de
Pasuruan. Quant aux fils de ses autres épouses, deux seulement avaient déjà

76. Ch. F. Tombe, Voyage aux Indes Orientales pendant les années 1802, 1803, 1804, 1805 et
1806, t. II, p. 45.
77. Ch. F. Tombe, Voyage aux Indes Orientales pendant les années 1802, 1803, 1804, 1805 et
1806, t. II, p. 46.
78. Cf. ci-dessus note 72; cf. aussi J.A. van der Chijs éd., Nederlandsch-Indisch Plakaatboek,
Batavia, 1897, vol. XIV (1808), p. 775.
79. Ch. F. Tombe, Voyage aux Indes Orientales pendant les années 1802, 1803, 1804, 1805 et
1806, t. Il, p. 45.
80. Mackenzie Collection, Private bag 82, p. 269 et suiv. : «List of the Regents belonging to &
under the East Point and their children», traduit du hollandais en 1812.

Archipel 53, Paris, 1997


142 Claudine Salmon

des fonctions. Il s'agissait du tumanggung Soerio Adiningrat (né en 1787) qui


était alors régent de Puger (région de Jember) et avait épousé la fille du rong-
go de Besuki, Baba Pandang, et de Soerio Dimidjojo (né en 1788) qui était
alors «Binnen Bupati» et était fiancé à la fille d'un Peranakan de Surabaya.
Les autres étaient encore trop jeunes pour avoir des fonctions, leur âge allant
respectivement de dix-neuf mois à deux ans. Pour ce qui était des filles, trois
seulement étaient mariées. L'aînée, Lapmah (née en 1784), l'était à un
Peranakan de Surabaya, la seconde, Roekminah (née en 1788), au fils du
régent de Pasuruan, Pandji Brotto Koesoemo, et la dernière, Katarnah (née en
1790), au fils du régent de Sidayu, Sosro Diningrat. Quatre des fils de Soesro
Adinegoro, après avoir été respectivement «régents et sous-régents»,
connurent, semble-t-il, des difficultés en 1822 <81) et vinrent s'établir à Surabaya où,
en 1859, le gouvernement continuait à leur verser une pension.
Remontons en arrière pour retrouver le frère cadet de Soeroadinegoro,
Soero Adiwikromo, alias Han Mi Djoen ou Baba Midoen (aussi appelé Kiai
Madiroen dans la généalogie de Sidoarjo). Il fut successivement ronggo de
Besuki (1776), tumanggung de Puger et de Bondowoso (1796) et, selon la
généalogie de Surabaya, régent de Tegal, sous le nom de Raden
Soeroadikromo. Il avait épousé la sœur du Sultan Pakunataningrat (1812-54)
de Sumenep et avait aussi des liens familiaux avec Walter Markus Stuart,
résident de cette dernière ville <82). Tombe lui rendit également visite lors de son
passage à Besuki : «Nos mandors nous conduisirent au palais du Tomogon,
mais il était absent... Il était allé visiter le prince de Sumenep, son beau-
père... A cinq heures du soir, on vint nous prévenir que le prince était de
retour... Il nous attendait sous un hangar vis-à-vis de son palais. Il fit servir du
thé et des fruits confits... Ce prince âgé de quarante à quarante-cinq ans, est
originaire Chinois, et n'avait jamais eu qu'une femme légitime, avec laquelle
il vivait encore, quoique la polygamie soit en usage chez les Mahometans; il
n'avait pas eu d'enfants. Il passe parmi les Hollandais de Java, pour un homme
instruit, et possédant des connaissances de physique et de mathématiques. Son
aïeul, chef chinois, s'était mis à la tête d'un parti de sa nation et de naturels,
dans une guerre qu'eut à soutenir un des empereurs de Mataram, contre
plusieurs rois voisins, et ayant obtenu de grands succès, cet empereur, en
reconnaissance, le promut à la dignité de Tomogon, sous la condition qu'il
abjurerait sa religion, ce qu'il accepta; de sorte que ses enfants lui succédèrent (83)».
Tombe a été frappé par l'habillement du tumanggung qu'il nous décrit en ces
termes : «Le costume de ce prince était composé d'un pantalon de nankin
jaune à pieds, et à la française, avec des mules ; ce qui formait un contraste assez
singulier avec ses moustaches, son turban, et son gilet malais à manches».
Avant de quitter Besuki qu'il présente comme «un village assez considérable
traversé par plusieurs branches d'une même rivière et dont les environs abon-

81. Cf. J. Hageman, «Bijdragen tot de Kennis van de residentie Soerabaia», TJV.7. 1 (1859), p.
118.
82. Cf. Heather Sutherland, «Notes on Java's Regent Families», p. 145.
83. Cf. F. Tombe, Voyage aux Indes Orientales pendant les années 1802, 1803, 1804, 1805 et
1806, t. II, pp. 29-31.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 143

dent en riz», Tombe visite le palais du tumanggung «bâti en pierres blanches,


et à l'européenne», avec sur le devant «une grande cour, fermée par une grille
en bois», mais aussi la mosquée et les tombeaux des ancêtres de ce
dernier (84).
Il est vrai, comme le note Tombe, que Raden Soero Adiwikromo n'eut pas
d'enfants, mais il en adopta au moins deux. Le premier, Raden Panderman,
était un des fils de son frère. Il succéda à son oncle dans ses fonctions à Besuki
puis devint tumanggung de Puger et Besuki (1804-13) et adipati de Puger
(1813-18). Le second, Raden Soetik, était fils du Sultan de Sumenep. Il
deviendra régent de Probolinggo (1816) avec le titre de pangeran et adipati de
Besuki (1818-43). A en croire la généalogie conservée à Sidoarjo, les
descendants de ces deux enfants eurent aussi de brillantes carrières administratives en
particulier dans la «Pointe Est» et plus spécialement à Besuki qui semble être
resté une sorte de fief de la famille musulmane. L'influence madouraise dans
la région de Besuki était encore bien forte lors du passage de R.M.A. Purwa
Lelana dans les années 1860-70 qui se plaint d'avoir eu de la peine à
communiquer avec les gens du lieu(85).
Les Han musulmans ont aussi laissé leur souvenir dans la région de
Prajekan (près de Besuki) où un petit-fils de Han Bwee Kong, Kiai Mas
Asemgiri alias Kiai Kiem Mas (1834-97), vécut retiré après avoir cherché la
connaissance auprès de divers maîtres de Java. Il a composé deux poèmes en
malais qui sont des sortes de traités de méditation et sa tombe est devenue un
lieu saint où, jusqu'à présent, des milliers de fervents, peranakan et javanais,
viennent se recueillir chaque année (86\
Ce double processus d'intégration de la famille Han, tel qu'on vient de le
voir, n'est certes pas unique dans l'histoire de Java. Toutefois il n'est pas
facile de pouvoir en observer d'autres d'aussi près. Nous allons voir en ce qui
concerne les Tjoa que l'histoire n'éclaire que la face peranakan.

Commerce, fermes et industrie du sucre : le cas des Tjoa


Avec les Tjoa, on a affaire à l'émergence rapide d'une grande famille dont
le pouvoir économique a d'abord été acquis, semble-t-il, grâce à une alliance
en milieu priyayi. Toutefois, nos sources sont telles que nous ne percevons
dans les débuts que la branche aînée de chaque génération favorisée par le
système d'héritage, de sorte qu'il est difficile d'avoir une idée de l'évolution de la
famille dans son ensemble.

Des ancêtres aisés en Chine


Les Tjoa (Cai), tout comme les Han, sont originaires de la préfecture de
Zhangzhou au Fujian. Bien que la généalogie conservée en Chine ait été en

84. Idem, p. 31.


85. Marcel Bonneff, Pérégrinations javanaises. Les voyages de RM A. Purwa Lelana au XIXe s.
(c. 1860-1875), Paris, Editions de la Maison des Sciences de l'Homme, Etudes insulin-
diennes/Archipel : 7, 1986, pp. 167-68.
86. Cf. P.K.A., «Keramat Tjekong Mas di Pradjekan», Liberty, Surabaya, 3 juillet 1965, pp. 16-
17 ; Liek S., «Makam K. Mas Prajekan dapat kunjungan ramai», Jawa Pos, Surabaya, 22
novembre 1979.

Archipel 53, Paris, 1997


Généalogie simplifiée de la famille Tjoa
1 8e génération Tjoa Tjhong (1702-41), né à Tjoa Poa, Fujian
I
Kwie Soe (1739-93) s'établit à Surabaya, ép. Nyai Roro Kiendjeng
20e Phik Kong (1768-1837) épouse Lie Oen Kiong et une javanaise
21e KhikYong Lik Nio Khik Bing Piet Nio Tjiet Nio King N
(1791-1863) épouse
Kwee Kiok Nio de Semarang et
22e TjienHoo Sien Nio JepNio Djien Sing (1824-1909) Djien Houw
(1814-90) (m. 1900) ép. capitaine à Surabaya (1874-89), (m. en 1848)
Tan King Po puis capitaine honoraire; épouse
The Kiam Nio (née en 1840)
23e Sien Hie ( 1 836- 1 904) lieutenant Sien Tik( 1850- 1928) Sien Ing
à Surabaya (1869-84) puis lieut. honoraire lieutenant à Gresik (1888-1909) lieut. à Surabaya
épouse 2 filles du lieut. Han Tjoei Wan puis cap. honoraire (1890-98)
Kian Nio et Kiong Nio (1859-98) épouse Han Tho Hwa Nio
24e Tjwan Khing Tjwan Lok Tjwan Bie Tjwan Djie Tjwan Bo Tjwan Swie *Tjwan Sioe *Tjwan
(1857-1932)' (1860-1926) ép.The (1883-1934) (1888-1942)
Liong Nio
25e SieTiat SieTat Sie Wan Sie Ling Sie Lian Sie Tjong Sie Bian
(m.ca.1970)
26e Sien Tong Siok Kie
* : Le rang de naissance n'a pu être déterminé.
sources; généalogie conservée dans le temple ancestral; The Boen Liang, op. cit.; Tjoa Sie Wan, op.cit.; Regerings Almanak
La communauté chinoise de Surabaya 145

partie détruite pendant la Guerre des Taiping (1850-60), la famille est arrivée à
reconstituer l'histoire de ses ascendants venus s'installer dans un petit village
du nom de Tjoa Poa (Caifan), «Versant de la montagne des Tjoa»(87), très
vraisemblablement dans la seconde moitié du XVe s/88). Ils s'y adonnaient à
l'agriculture et devaient connaître une certaine aisance, vu que la famille avait
un temple ancestral et que Tjoa Tjhong (1702-1741), le père du premier
immigrant à Java connu, avait laissé un testament.
L' extraordinaire destinée de Tjoa Kwie Soe (1739-1793)
Les débuts de l'histoire de Tjoa Kwie Soe ont peut-être été embellis au
cours des temps (v. pi. 26); il est à noter que nous n'avons pas eu accès à des
sources écrites antérieures au XXe s. Lorsqu'il arriva avec sa jonque à
proximité de Sidayu, vers 1753, il rencontra une barque dont les occupants lui
demandèrent de les laisser monter à bord et de les cacher. Les Hollandais
avaient pris le pouvoir à Surabaya en 1743, et avaient gardé le système de
double régence instauré par Mataram, pour mieux contrôler la région. Lorsque
le premier régent (de la branche aînée, Kesepuhan) mourut au début des années
1750, le second régent (de la branche cadette, Kanoman) pensa qu'il allait
pouvoir obtenir la régence à part entière. Mais la Compagnie ne l'entendait pas
de cette oreille et nomma un remplaçant, Setionegoro, originaire d'Ambarawa.
Furieux de cette décision, le régent de la branche cadette se révolta. C'est
pendant cette période troublée que la jonque de Tjoa Kwie Soe arriva et sauva les
fugitifs parmi lesquels se trouvait Nyai Roro Kiendjeng, une fille de l'ancien
régent de Pasuruan, Kiai Toemanggoeng Angga Djaja.
Lorsque les Hollandais eurent repris le contrôle en 1758, ils nommèrent à
nouveau deux régents, Raden Adipati Tjondro Negoro et Toemanggoeng
Djojodirono, qui se trouvaient être les frères de Nyai Roro Kiendjeng (89). En
récompense de son aide, Tjoa Kwie Soe se vit alors autorisé à épouser Nyai
Roro Kiendjeng, à la condition qu'après sa mort, cette dernière serait enterrée
parmi les siens. De fait, on peut encore voir sa tombe dans le cimetière
musulman d'Ampel, fortement restaurée dans les années 1930, aux frais de la famille
Tjoa (v. pi. 25).
On retrouve ensuite Tjoa Kwie Soe établi dans la rue principale du quartier
chinois de l'époque (actuelle Jl. Karet), où il possède une maison et s'adonne
au commerce du riz en gros. Grâce à ses bonnes relations avec la famille des
régents, il obtient un certain nombre de fermes, dont celle des taxes. Sur la fin
de sa vie, tout comme Han Kik Ko à Kraton, il amorce dans la région de
Sidoarjo, une exploitation de canne à sucre et fait construire un moulin à
traction animale (90\
87. Il est difficile à localiser avec certitude, car dans la préfecture de Zhangzhou on trouve
plusieurs villages portant ce nom.
88. Estimation faite à partir du nombre de générations, tel qu'il est donné par Tjoa Sie Wan,
op. cit.
89. L'anecdote est rapportée dans The Boen Liang, Riwajat familie Tjoa, sans pagination. Sur la
nomination des deux frères de Nyai Roro Kiendjeng, voir aussi Heather Sutherland, «Notes on
Java's Regent Families», p. 142.
90. Idem.

Archipel 53, Paris, 1997


146 Claudine Salmon

Selon une brève généalogie conservée dans le temple ancestral des Tjoa à
Surabaya, Kwie Soe aurait eu au moins deux fils, Phik Kong (1768-1837) et
Kie Sing. Mais l'histoire n'a conservé le souvenir que de l'aîné. Kwie Soe, le
fit éduquer à la chinoise et lui fit honorer la tablette funéraire de son propre
père dont il avait fait faire un double - la tablette originale étant conservée
dans le temple de Tjoa Poa. Lorsque Tjoa Kwie Soe meurt en 1793, il laisse à
son fils aîné un héritage confortable qui va lui permettre de développer ses
affaires, notamment de construire une maison dans le quartier chinois et de se
trouver à la tête de deux magasins <91).

De l'accumulation des terres a l'industrie du sucre


Phik Kong eut deux épouses ; la première, Lie Oen Kiong, lui donna un fils
et une fille, et la seconde, une «Javanaise», un fils et quatre filles. Il
dédommagea le cadet en lui versant une somme d'argent et, par voie testamentaire,
transmit tous ses biens à son fils aîné Khik Yong (1791-1863, v. pi. 27). Ce
dernier allait développer les propriétés foncières de la famille. Il acheta
jusqu'à quinze maisons et parallèlement acquit des terrains pour l'exploitation
agricole. En 1848, il devint propriétaire du domaine de Keputran Kidul ; quatre
ans plus tard, en 1852, il obtint, contre paiement de 300 000 fl. aux frères
Liem Ping Wan et Liem Ping Lie, le domaine de Darmo, avec sa fabrique de
sucre et sa distillerie d'arak(92). Pour être bien certain que sa propriété ne
serait pas émiettée, il la légua par testament en 1852 aux deux fils de sa
première épouse, Djien Hoo (1814-90) et Djien Sing (1824-1909), le troisième,
Djien Houw, étant mort en 1848.
Dès lors, les deux frères gérèrent leurs entreprises avec l'aide de parents ou
de membres peu fortunés des familles avec lesquelles ils avaient des alliances
par mariage. Tjoa Djien Hoo resta à Surabaya où il mena une vie à l'écart des
tentations du pouvoir, passant, dit-on, beaucoup de temps à des lectures de
chinois et de javanais. Son frère cadet, au contraire, fut promu capitaine en 1874
et le resta jusqu'en 1889. Leurs enfants eurent aussi leur intérêt principal dans
l'exploitation du sucre. Toutefois, tous ne réussirent pas de la même façon.
C'est surtout le fils aîné de Djien Hoo, Sien Hie (1836-1904), qui est resté
célèbre pour avoir considérablement agrandi son exploitation. En 1874, il
possédait à Tamangsari, dans la région de Sidoarjo, la plus grande fabrique de
sucre privée de Java Est<93). Un peu plus tard, il créa une autre fabrique près
de Pojejer, dans la région de Mojokerto et exploita aussi des rizières et des
champs de canne à sucre à Karah. Parmi ses nombreux enfants, treize fils et
onze filles, cinq sont surtout connus. L'aîné, Tjwan Khing (1857-1932), se
tourna d'abord vers les fermes, en particulier celle de l'opium à Surabaya, ce
qui lui permit d'accumuler rapidement du capital, puis d'investir dans les
terres. En 1889, il acheta le terrain de Ngagel (act. dans la partie sud de la ville

91. The Boen Liang, «Riwajatnja Familie Tjoa di Soerabaja», où est reproduite l'attestation de
propriété de la plus ancienne maison des Tjoa (celle où est à présent le temple ancestral), datée du
4 novembre 1793 ; Tjoa Sie Wan, op.cit.t quant à lui, parle de deux maisons.
92. Tjoa Sie Wan, op.cit. (ci-dessus note 23).
93. Cf. Coloniaal Verslag, 1875, Bijlage RR, 1-2.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 147

de Surabaya), ancienne propriété de Rothenbuhler. Il la revendit en 1917,


lorsque le gouvernement eut projeté d'établir un premier complexe industriel
dans cette zone. De la même manière, Tjwan Lok (1860-1926) eut le contrôle
de la ferme de l'opium à Gresik, où son oncle, Sien Tik (1850-1928), occupa
la position de lieutenant de 1888 à 1909, puis de capitaine honoraire. Il obtint
des concessions pour exploiter certaines forêts et fut aussi le fournisseur
d'institutions publiques (94\ II investit également dans les terres. En 1886, il acheta
à Gimberg, qui avait alors des difficultés financières, son imprimerie et, en
1887, fit paraître le premier journal en malais émanant de la communauté
chinoise, le Bintang Soerabaia(95\ Les trois autres fils, Tjwan Bie, Tjwan Djie
(1883-1934) et Tjwan Bo (1888-1942), vivaient également du rapport de leurs
propriétés. Le premier exploitait la canne à sucre et des rizières à Jagi (au sud
de Surabaya); le deuxième avait des fabriques de sucre à Candi et à Porong,
dans la région de Sidoarjo, et un domaine à Patemon ; le troisième possédait le
domaine de Simo au sud de Surabaya (96). La dernière tentative d'expansion
dans l'industrie sucrière fut faite, semble-t-il, en 1911, lorsque le fils de Tjwan
Djie, Sie Lian (m. au début des années 1970), créa la N.V. Suikerfabriek
Tjandi, avec comme associés : Han Ing Ling, Han Sing Kien et The Bo
Tjwan <97). En 1922, la société subit les effets de la dépression et demanda
notamment à l'association du temple ancestral des The, qui lui avait consenti
un prêt en 1917, de réduire le taux d'intérêt de 9 à 7 % (98>.
Tout comme les Han et les The, les Tjoa ont voulu avoir un temple
ancestral ("). L'initiative en revint à Tjoa Sien Hie. Cet homme d'affaires était,
comme son père, quelqu'un de cultivé. Il avait reçu une éducation chinoise
auprès d'un précepteur et se plaisait à faire revivre certaines coutumes.
Toutefois, ce temple était aussi une association dotée du pouvoir de gérer des
biens collectifs. Et de fait, plusieurs membres de la famille léguèrent à cette
institution des propriétés considérables (10°).

Un siècle a la tête de la communauté : le cas des The


La famille The (Zheng) contraste avec celles des Han et des Tjoa dans la
mesure où ses origines sont obscures. Il n'y a pas eu chez les descendants des
premiers immigrants le désir de vivre l'histoire de la famille dans sa continuité,

94. The Boen Liang, «Riwajatnja Familie Tjoa di Soerabaja», s.p.


95. La vente de l'imprimerie se fit aux enchères et Tjoa Tjwan Lok obtint en même temps le droit
de continuer la publication du Bintang Timoer (journal en malais fondé en 1861); cf. Bintang
Timoer, 20 déc. 1886; l'année suivante, le nom du journal fut changé en Bintang Soerabaia : il
dura jusqu'au milieu des années 1920.
96. The Boen Liang, «Riwajatnja Familie Tjoa di Soerabaja».
97. Cf. Handboek voor Cultuur- en handelsondernemingen in Nederlandsch-Indië , 1939.
98. The Sie Siauw Yang Tjohbiauw (Vereeniging The Goan Tjing) 1883-1939, Boekoe-Peringetan,
Soerabaia, 1939, p. 37.
99. Les statuts en ont été publiés dans le Javasche Courant du 12 janvier 1883.
100. Le Javasche Courant du 16 avril 1915 publie les nouveaux statuts de l'association dans
lesquels figurent la liste des propriétés acquises au cours des ans, soit seize en tout; certaines sont
constituées par des parcelles de terrain à l'intérieur de la ville, tandis que d'autres sont situées
dans les environs.

Archipel 53, Paris, 1997


Généalogie simplifiée de la famille The
The Lam Khee (né en 1754 à Surabaya) The Lam
ép. Ang Pong Nio (née en 1767) ép. Liem Gie Nio, fil
capitaine à
Ing Lim (né en 1785 à Surabaya) Hway Khing GoanTjing (1795-1851)
ép. Kwee Bin Nio (née en 1786), fille de ép. Lie Tjay Nio ép. Liem Sim Nio et Lie Tjhoen
Kwee Koe Tjong capitaine à Surabaya cap. (1826-27), major à Surabay
Boen Pin Boen Hoo Boen Ping King Tiong Boen Hie Boen ke
(né en 1810) (né en 1814) (né en 1817) (1816-89) (1820-99)
épouse ép. Han Bong Nio ép. So Khing Nio ép. Han le Nio ép. Han Kang N
Liem Djie Bao (n. en 1814) fille de Semarang lieut. (1846-5 lieut. (1846-63)
de Han Chan Piet et cap. h. (1857-59) cap. h. (1863-74
Han Hing Nio (n. cap. à Surabaya major (1874-88
1824) fille du lieut. (1859-89) major h. Suraba
Han Tiauw Hie
I
l)TwjieLiong rl)YanHie 1) Tjwie Siang 1) Toan Tjiak 1 ) Toan Lok
(né en 1839) (1857-1922) ép. (né en 1843) ép. Kwee Twan Nio lieut. (1874-88)
ép.Tjoa Him Nio, Han Khian Nio, fille ép. Liem Twan Nio et Han Swan Nio cap de Surabaya
Han Tjwan Nio du lieut. Han Ting (née en 1850) major de Surabaya (1888-1911)
et Tan Sie Tjiang(néenl860) 2) Tjwie Jang (1888-1911)
(né en 1845) 2) Toan Tjin ■ 2) Toan Ing
2) Tjwie Hang 2) Yan Kie ép. Ong Se Nio 3) Toan Kie lieut. (1890-190
ép. Kwee le Nio (né en 1862) (née en 1848) 4) Ik Tjiang cap. (1904-07)
ép. Liem Swie Nio 3) Tjwie Liang 5) Ik Sioe major (1907-13
et Han Thiam Nio (né en 1847) (m. en 1936) major t. Surabay
ép. Tjioe Tin Nio ép. Kwee Giem
(née en 1853)
HinTjhing HinTjiang Sioe Khoen Ing Soen IngBie(m.en 1
(né en 1901) ép. la fille de Be
(de Semarang)
cap. à Surabaya
Sources : généalogie des The et des Han ; Regerings Almanak.
La communauté chinoise de Surabaya 149

mais seulement la volonté, au milieu du XIXe s., de regrouper la descendance


à partir du premier capitaine et de mettre ainsi à l'honneur ceux qui avaient
réussi à se faire une place confortable dans l'industrie du sucre, tout en
rivalisant avec les Han pour garder le contrôle de la communauté.

Désir d'oublier le passé de la famille ?


N'ayant pas été autorisée à ouvrir les tablettes funéraires conservées dans
le temple ancestral situé Jl. Karet, nos seules informations proviennent d'un
ouvrage commémoratif dudit temple ainsi que de deux généalogies. L'une est
conservée à Surabaya et a fait l'objet d'une reproduction, intitulée Stamboom
dari famille The Sing Koo ou « Arbre généalogique de la famille de The Sing
Koo», dans le Boekoe-Peringetan mentionné plus haut; l'autre, sans titre et
manuscrite, appartient à une autre branche de la famille The et est la propriété
d'une personne de Sidoarjo.
La comparaison des deux généalogies montre que les plus anciens ancêtres
dont on ait gardé le souvenir, à savoir The Sing Koo, alias Lam Sin, le premier
des The à avoir rempli une fonction officielle à Surabaya, et The Lam Khee,
étaient, vu que leurs prénoms ont un élément commun, de la même génération.
Ils pouvaient être soit des cousins issus de deux frères, soit les fils d'une seule
et même personne, auquel cas, il faudrait regarder Lam Sin comme l'aîné.
Etant donné que Lam Khee était, selon les informations de la généalogie de
Sidoarjo, né à Surabaya en 1754, on peut penser que les The étaient déjà
installés dans cette ville au moins au début du XVIIIe s. Quant à Lam Sin, alias
Sing Koo, on ne connaît pas sa date de naissance, mais on sait qu'il s'était
marié à Surabaya avec Liem Gie Nio dont la famille était bien établie dans
cette ville. Le père de Gie Nio, Liem Ing, mort en 1790, et qui aurait été
capitaine (101), avait épousé Han Tjwan Nio, une fille de Han Bwee Kong
(1727-1778).
Tout ceci montre bien qu'au moment où on saisit les The, ils font déjà
partie de l'élite de la communauté. Toutefois, on ne sait rien sur leurs activités
économiques à cette époque. Ce n'est qu'à la génération suivante que l'on
perçoit, pour une branche au moins, un démarrage spectaculaire dans l'industrie
du sucre, avec The Goan Tjing (v. pi. 22). Ceci laisse supposer que le premier
capitaine The avait dû, lui aussi, investir dans ce secteur et qu'il avait légué
ses entreprises à ses deux fils, Goan Tjing et Goan Siang.

Contrôle de la communauté et pouvoir dans l'industrie du sucre


The Goan Tjing (1795-1851) était, en 1837, co-propriétaire de la fabrique
de sucre de Candi (dans le district de Sidoarjo) avec un certain J.E. Banck qui

101. Sur un relevé du texte de la stèle funéraire de Liem Ing alias Liem Tjhan Sam, autrefois
située dans le nouveau cimetière, juste à côté de celle du capitaine Han Bwee Kong, conservée
chez feu le secrétaire du temple ancestral des Han, son titre de capitaine ne figure pas. Toutefois à
en juger par sa tombe aussi grande que celle du capitaine Han Bwee Kong, on peut penser qu'il
jouissait d'un certain statut social (v. pi. 19). D'après les tablettes conservées dans le temple des
The (v. pi. 23), il apparaît qu'un parent de Liem Ing, Liem Tianglo ou encore Lin Huaijing avait
également pris femme chez les Han. Celle-ci appelée Han Sik Nio (nom posthume Djioe Soen) ne
figure pas dans la généalogie de Surabaya.

Archipel 53, Paris, 1997


150 Claudine Salmon

possédait en plus celle de Buduran^102). Il avait, à la veille de sa mort, nous dit


Aquasie Boachi, une extraordinaire richesse constituée par des fabriques, des
terres et de l'argent liquide, et sa fortune était estimée à cinq millions de
florins (103). En 1826, il avait succédé à son père comme capitaine de la
communauté et, l'année où il créa la fabrique de sucre de Candi, il fut promu major et
le resta jusqu'à sa mort. Son frère cadet l'assista successivement en tant que
lieutenant avec Han Tiauw Kie, lui-même grand fabricant de sucre, puis
comme capitaine. The Goan Tjing qui, comme son père, avait pris femme dans la
famille Liem, n'eut pas moins de huit fils et quatre filles. Parmi les garçons,
seuls les quatre premiers, Boen Hie (1816-89), Boen Ke (1820-99), Boen King
(1826-95) et Boen Tiong (1829-90), furent associés de près à ses affaires avant
de passer à leur tour, généralement ensemble, des contrats d'exploitation avec
le gouvernement, notamment dans la région de Porong, Candi et Ketanen (dans
le district de Mojokerto). Dès avant la mort de leur père, Boen Hie et Boen Ke
furent nommés lieutenants, et un peu après le retrait de Goan Siang, Boen Hie
fut nommé capitaine honoraire puis capitaine.
Désormais le pouvoir administratif restera dans les mains des deux fils
aînés, puis dans celles des fils et petits-fils de ceux-ci. On n'est pas très bien
renseigné sur les enfants de Goan Siang. Il est à penser toutefois qu'un certain
The Sien qui fut lieutenant de 1839 à 1845, était un de ses fils. Mais après lui,
on perd définitivement les traces de cette branche de la famille qui se trouve
exclue de la généalogie et du temple ancestral fondé officiellement en 1883
par les quatre fils aînés de Goan Tjing. De fait, ce dernier rendait déjà un culte
aux tablettes de ses parents et gardait dans sa maison tous les objets
nécessaires aux cérémonies religieuses (instruments de musique, argenterie). Dans
son testament, daté de 1850, The Goan Tjing avait demandé à ses enfants de
maintenir ce lieu de culte. Lorsque l'association pour l'entretien du temple
ancestral eut été fondée, les quatre fils aînés la dotèrent de biens. Ils firent
construire, à la place d'une écurie sise Jl. Kembang Jepun, une maison de
rapport qu'ils donnèrent à l'association dès 1884 (104).
A la génération suivante, on trouve les fils aînés de Boen Hie et de Boen
Ke : Toan Tjiak d'un côté et Toan Lok et Toan Ing de l'autre, à la tête des

102. Cf. G.H. von Faber, Oud Batavia, p. 179.


103. Aquasie Boachi, « Mededeelingen over de Chinezen op het eiland Java», Bijdragen tot de
Taal- Land en Volkenkunde van Nederlandsch Indie, IV, 4 (1856), p. 291. L'auteur de cet
intéressant article était un prince d'Ashanti qui, venu comme ingénieur à Java, rédigea différents articles
scientifiques et mourut à Buitenzorg en 1904.
104. Les statuts en ont été publiés dans le Javasche Courant du 15 juillet 1884 et une version
malaise est reproduite dans le Boekoe-Peringetan, pp. 29-33. Le don de la maison sise Jl.
Kembang Jepun est également mentionné dans cet ouvrage, p. 34. D'autres donations furent faites
ultérieurement. En 1915, l'association racheta la maison de feu le capitaine Liem Ing, située Jl.
Karet, juste en face du temple des The (idem, p. 37), et, à cette occasion, transféra sa tablette ainsi
que celles d'autres membres de la famille Liem dans le temple des The, où on peut encore les voir
actuellemen (v. pi. 23). Cette association, comme celle des Han et des Tjoa, eut un rôle financier
non négligeable. On a déjà vu qu'en 1917, elle avait prêté 10 000 florins à la société Candi et dans
les années 1930, elle plaçait ses liquidités dans les banques. De fait, de nombreux membres de la
famille The travaillaient comme employés bancaires et il y eut, au début des années 1930, des
malversations financières de la part de certains dirigeants de l'association ; cf. Boekoe-Peringetan, p.
44 sqq.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 151

activités économiques et administratives de la famille. Toan Tjiak, en plus de


ses contrats avec le gouvernement, possède quelques propriétés particulières
sur lesquelles il cultive la canne à sucre et le riz, notamment à Patemon, et ses
fils diversifient les activités en se lançant parallèlement dans l'exploitation
forestière, tel Ing Soen qui, à la fin du XIXe s., passe des contrats pour couper
du bois dans la région de Jombang^105). Des deux fils aînés de Boen Ke, Toan
Ing était le plus connu des Européens. J. van Maurik, qui lui rendit visite à la
fin du XIXe s., note son goût pour les antiquités et décrit sa maison comme
étant un petit musée (106).
Arnold Wright lui consacre une note biographique dans laquelle il retrace
brièvement l'histoire de la fabrique de sucre de Candi et remarque qu'à
l'époque de son passage (ca. 1908) «elle était entourée d'une plantation de
1 000 acres, sur un terrain splendide produisant jusqu'à 180 piculs de sucre par
acre, alors que la moyenne était dans tout Java de 90 à 120 piculs». Il ajoute
que la fabrique était entièrement administrée par des Européens et avait une
production annuelle de 100 000 piculs. Il nous apprend aussi que Toan Ing
était franc-maçon et qu'il était commissaire de la municipalité de Surabaya,
ceci en plus de ses nombreuses fonctions au sein de la communauté chinoise,
telles celles de président du comité du Temple à Confucius et de la Tiong Hoa
Hwe Koan(107). Il avait épousé la fille du capitaine de Sidoarjo, ce qui
facilitait l'exploitation de sa fabrique de sucre, précisément sise dans ce district.
Son fils Ing Bian (m. ca. 1929) hérite de ses affaires, tandis que celui de Toan
Lok, Ing Bie (m. en 1938), remplit pour la dernière fois la fonction de
capitaine avant la disparition définitive de ce système d'administration indirecte.
Comme à l'ombre de cette branche puissante de la famille The, se
développe, plus discrètement, celle des descendants de Lam Khee (né en 1754). Le fils

105. Cf. Regeerings Almanak pour les années 1884 et suivantes.


106. Justus van Maurik, Indrukken van en Totok, indischen typen en schetsen, Amsterdam, van
Holkema & Warendorf, 1897, pp. 344-47.
107. Arnold Wright éd., Twentieth Century Impressions of Netherlands India, Londres, 1909, p.
545 : « Major The Toan Ing, the head of the Chinese community in Sourabaya, is the
repres nta ive of a family which has held high official position for the past hundred years (...) It was the
present Major's grandfather who may be said to have laid the foundation of the family's material
property, for he it was who, some eighty years ago, built the sugar factory which has since proved a
continual source of wealth. The factory is "Tjandi", and is situated at Sidoardjo, in the residency
of Sourabaya. In the early days the power was supplied in a very primitive fashion through the
agency of bullocks ; later a water-wheel did the work, while now the building is equipped with the
best modern machinery. The factory is surrounded by a plantation of about 1,000 acres of spendid
land which produces as much as 180 piculs of sugar the acre, whereas the average yield per acre
for the whole of Java is from 90 to 120 piculs. The factory which is managed entirely by
Europeans, has an output of 100,000 piculs per annum. Major The Ing Toan is a Mandarin of the
Empire of China, this title having been conferred upon him by the Emperor. He is a director of the
Hokkien Kong [Tik] Soe, a society whose object is to regulate Chinese observances and to see that
no Chinaman, however poor, is buried without a proper tribute of respect. The society has done a
great deal also towards bringing the dress of Chinese ladies more in accord with modern ideas.
The Major is a Commissioner of the Sourabaya Municipality, a member of the Society for the
Prevention of Cruelty to Animals, and a freemason. He is the patron of the Temple of Confucius
and of the Tiong Hwa Hwee Kwan Society, and generally may be said to take the greatest interest
in all matters affecting the welfare of the Chinese community which he also worthily represents.
The Major married the daughter of the Chinese Lieutenant of Sidoardjo and has one son - The Ing
Bian - who is being educated in both English and Dutch languages.»

Archipel 53, Paris, 1997


152 Claudine Salmon

de celui-ci, Ing Liem (né en 1785), épouse, nous dit-on, la fille de Kwee Koe
Tjong, capitaine à Surabaya (108). Ses enfants et surtout ses petits-enfants
travaillent aussi dans l'exploitation du sucre, soit comme propriétaires de terrains
particuliers, tels les fils et les petits-fils de Boen Pin qui ont des biens tout
autour de Surabaya, notamment à Bubutan, Bagong Dukuh, Karah, Wonokirti
Bong et Gudo^109), soit comme administrateurs de plantations, tels le fils aîné
de Boen Hoo, Yan Hie (1857-1922), qui passe une grande partie de sa vie à
Sidoarjo d'où il surveille les fabriques de sucre de Tanggul Angin et de
Ketintang qui sont alors la propriété du lieutenant Han Tiauw Hien (1790-
1884). On peut encore voir la maison qu'il se fit construire en 1896 au bord de
la grand route (juste en arrivant dans la ville lorsqu'on vient de Surabaya) et
dans laquelle sont conservés les portraits du propriétaire et de l'administrateur.
Enfin, pour avoir une image plus complète, il faudrait aussi pouvoir suivre
tous les membres de la famille The qui étaient allés s'établir dans d'autres
villes de Java, telles Sidoarjo, Pasuruan, Probolinggo, Mojokerto, Blitar,
Malang, Bondowoso, Babat, Semarang..., tout en gardant des liens avec leurs
parents de Surabaya O10). Nous ne citerons, à titre d'exemple, que le cas de
The Tik Goan, un arrière-petit-fils de The Goan Tjing, semble-t-il, qui avait
hérité des fabriques de sucre de son père Siok Lian, dans la région de Surabaya
et qui, après avoir épousé une fille de Oei Tjie Sien (1835-1900), autre
fabricant de sucre de Semarang, alla s'établir dans cette ville où il fut nommé
lieutenant (1901-1904) <in).

Place de ces trois familles dans la vie locale


Pour conclure sur ces trois familles d'entrepreneurs, nous voudrions faire
quelques remarques sur leur rôle dans la vie économique locale, leurs
structures sociales, leur culture et enfin leur pouvoir dans la communauté.

Pouvoir économique
L'insertion de ces trois familles dans l'économie locale s'est faite par
adaptations successives. Elles sont passées par le commerce du riz à grande
échelle, les fermes et l'acquisition de terres, pour mieux se lancer dans l'agriculture
commerciale : canne à sucre, arbres fruitiers dans la «Pointe Est», riz, indigo,
cocotiers aux alentours de Surabaya, puis café dans les régions plus fraîches de
Malang. Il va de soi que ces choix successifs ont été dictés par la politique
menée en matière économique par les différents dirigeants locaux et coloniaux.

108. Les Kwee de Surabaya étaient issus de la grande famille Kwee de Semarang, cf. ci-dessus
note 23. Nous n'avons pas retrouvé par ailleurs mention de ce capitaine. Mais pour le XIXe s., on
trouve au moins trois membres de la famille Kwee parmi les chefs de la communauté : Kwee Le
Bing qui fut lieutenant de 1827 à 1846, Kwee Kang Boen qui fut d'abord lieutenant (1856-1873)
puis capitaine
XXe s., Kwee honoraire
Liang Thaij(1874-1876),
qui eut la fonction
Kwee Tjande capitaine
Hoe qui fut
(1913-1926)
lieutenant (cf.
(1896-1911)
Regeringset,Almanak
pour le
voor Nederlandsch-Indie, Batavia).
109. Leurs noms apparaissent dans le Regerings Almanak pour les années 1880.
110. Ils sont mentionnés à plusieurs reprises dans le Boekoe-Peringetan.
111. Arnold Wright, Twentieth Century Impressions of Netherlands India, p. 546. En 1910, The
Siok Lian et son fils fondent un temple ancestral indépendant; cf. Javasche Courant, 3.6. 1910,
pp. 612-613.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 153

Toutefois, on est frappé par la ressemblance des comportements économiques


de ces immigrants avec ceux des grands marchands restés dans le sud du
Fujian ; on voit ces derniers également monopoliser le commerce du riz sur
toute la côte de Chine et, en incluant Taiwan dans leur réseau, s'adonner à la
culture fruitière dans la région de Zhangzhou, développer l'exploitation de la
canne à sucre, tant au Fujian qu'à Taiwan, et finalement contrôler le commerce
du sucre (112). On s'aperçoit que l'on retrouve des modèles très voisins aux
deux extrémités de la Méditerranée chinoise. Tout porte à croire que les
premiers moulins à sucre établis dans la région de Surabaya et de Pasuruan
avaient été construits par des artisans venus de Chine. Le Plakaatboek garde le
souvenir de réglementations faites pour encourager l'immigration de Chinois
capables de faire marcher les moulins (113). Par la suite la traction animale fut
remplacée par la force hydraulique, puis dans les années 1860, par la machine
à vapeur et finalement par la force électrique. Avec l'introduction des
techniques occidentales pour raffiner le sucre, les propriétaires chinois durent faire
appel à des experts européens. Ce n'est que très tard, au début de ce siècle, que
les enfants des grandes familles iront eux-mêmes acquérir en Hollande la
science requise (114).
Assez curieusement, ce développement du capital dans la communauté
chinoise n'entraîna pas de création de banques locales. C'est Oei Tiong Ham
(1866-1924), fils de Oei Tjie Sien mentionné plus haut, qui, travaillant
également dans le sucre, fonda à Semarang en 1906 la N.V. Bankvereeniging Oei
Tiong Ham et ouvrit une filiale à Surabaya (115). Par contre, les entrepreneurs
de Surabaya virent très tôt l'intérêt qu'ils pouvaient tirer des entreprises
immobilières. Ils en créèrent un grand nombre autour de 1910* sans doute en
rapport avec l'extension de la ville. Toutefois, la plus ancienne dont nous
ayons retrouvé la trace fut fondée en 1899 et, qui plus est, par une femme
assistée de ses fils. Il s'agit de la N.V. Bouw Maatschappij Tan Tiam Nio. Tan
Tiam Nio était la troisième épouse du lieutenant Han Tjoei Wan (1815-1895,
v. pi. 17) et était la fille du capitaine de Gresik. A la mort de son mari, ce sont
les enfants des deux autres épouses qui continuèrent l'exploitation du sucre.
Tan Tiam Nio mit dans ladite société ses biens immobiliers et son capital et

112. Cf. Ng Chin-keong, Trade and Society, The Amoy Network on the China Coast 1683-1735,
National University of Singapore, Singapore University Press, 1983.
113. J.A. van der Chijs, Nederlandsch-Indisch Plakaatboek, Batavia, 1895, vol. 13, 27 Julij 1802,
p. 482, où il est dit que l'on autorise l'utilisation de coolies chinois dans les moulins à sucre ; les
jonques en provenance d'Amoy, au Fujian, pourront en amener chacune 600, pour les grandes, et
400, pour les petites.
114. Tel Han Tiauw Tjong (1894-1940), né à Probolinggo, qui alla poursuivre ses études en
Hollande et, en 1921, fut diplômé de l'Ecole Supérieure Technique de Delft. Sa thèse sur
l'industrialisation de la Chine {De industrialisatie van China) fut publiée en 1922 chez Martinus Nijhoff,
avec une préface en français du Ministre de Chine à La Haye, Wang Kuangky.
115. Les banques établies ultérieurement le seront aussi par des gens venus d'ailleurs, telle la
Banque Be Biauw Tjoan fondée d'abord à Semarang en 1916 et qui ouvrit également une
succursale à Surabaya. Cette dernière connut de sérieuses difficultés à la fin des années 1920 et dut
finalement fermer ses portes. Elle était alors gérée par Be Tjiat Tjong (né en 1889) qui était, tout
comme Han Tiauw Tjong, diplômé de l'Ecole Supérieure Technique de Delft. Sur la triste fin de cette
banque, voir Kwee Yan Tjo, De Javasche Bank contra Bank Be Biauw Tjoan, Semarang, Terminus
[ca. 1930].

Archipel 53, Paris, 1997


154 Claudine Salmon

détint ainsi 98 des 100 actions (v. pi. 17) ; ses deux fils, Han Kwat Tjee et Han
Kwat Tjay, n'en possédaient qu'une chacun, mais ce sont eux qui prirent la
direction de l' affaire (116).
Chaque percée dans un nouveau secteur économique supposait une bonne
connaissance du système juridique hollandais. Bien que jusqu'au début de ce
siècle, les Chinois n'aient pas eu, sauf à de rares exceptions, la possibilité
d'étudier le droit dans les écoles hollandaises, ils s'y intéressèrent très tôt et
certains devinrent des sortes de «conseillers juridiques», tel l'entrepreneur
Tjoa Tjwan Lok (1860-1926), qui, dit-on, n'hésitait pas à prodiguer son
assistance à ses confrères.

Structure familiale et alliances matrimoniales


La famille, on l'a vu, reste, sauf peut-être à partir du début du XXe s.,
l'unité de base sur laquelle se construisent les entreprises économiques.
Généralement, la coopération se pratique entre le père et les enfants, mais
parfois aussi entre frères, voire entre cousins. L'ouverture sur les autres familles
se fait essentiellement par des mariages ; ceux-ci jouent un rôle fondamental
pour s'établir comme ce fut le cas pour Han Bwee Kong et The Sing Koo, mais
aussi pour se maintenir et développer sa fortune. Il est significatif que les Han,
les The et les Tjoa échangent sans cesse leurs filles, et toujours en veillant
bien à ce que les unions renforcent la cohésion sociale et la force économique.
De plus, la polygamie permet de parfaire encore les alliances ; elle permet
aussi d'avoir un pied dans le monde peranakan et un autre dans la société locale.
Bien que l'on ne puisse se faire une image parfaite de ces alliances, car
l'origine des épouses ne nous est pas toujours connue, il apparaît que pendant tout le
XIXe s. et encore au début du XXe s., une grande partie des unions des fils
aînés se faisait à l'intérieur des trois familles. Toutefois, on note aussi une
ouverture sur l'ensemble de la communauté par des mariages avec des femmes
appartenant à d'autres grandes familles de Surabaya et de Java (Sidoarjo,
Gresik, Pasuruan, Kediri, Blora, Semarang et Batavia) et de Madura
(Sumenep). Quant aux filles des trois familles, les généalogies ne permettent
pas toujours de les suivre.
Une autre façon de contrôler la transmission des biens est de favoriser le ou
les fils qui semblent les plus capables, en ayant recours, tout comme cela se
pratiquait déjà en Chine, aux testaments. Néanmoins, dans bien des cas aussi,
les familles suivent les règles chinoises d'héritage, c'est-à-dire du code des
Qing. Il en existait apparemment plusieurs traductions partielles pour ceux qui
avaient perdu l'usage du chinois. Toutefois, Tjoa Sien Hie qui, on l'a vu plus
haut, avait reçu une certaine éducation chinoise, éprouva le besoin de donner
une nouvelle version des chapitres se rapportant aux questions d'adoption et
d'héritage afin, dit-il dans sa préface, de clarifier certains points (117).

116. Les statuts de la société furent publiés dans le Javasche Courant du 1er Août 1899. Elle
existait encore en 1983.
117. Tjoa Sien Hie, Luitenant titulair en Mandarijn 5 klas, Atoeran Hak Poesaka orang Tjina. Dan
hal mengangkat anak, tersalin dari Kitab hoekoem Taij Tjhing Loet Lie, Soerabaia, Gebr.
Gimberg, 1900 (voir pi. 31); le texte malais était accompagné d'une traduction en hollandais.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 155

Rien n'est dit expressément en ce qui concerne les héritières. Mais à en


juger par les biens que certaines femmes possèdent, en particulier des biens
immobiliers et surtout des terres dans les environs de Surabaya - qui figurent
dans les registres hollandais sous leur nom personnel -, on est amené à
conclure que certaines disposent de réelles fortunes, telles Kwee Kan Nio qui, en
1865, est propriétaire du domaine de Negelom dans le district de Jengolo, telle
Tan Kwi Nio qui, en 1888, cultive la canne à sucre sur son domaine de Simo (à
l'ouest de Kupang) qui est géré par Tjoa Sien Gwan^118), telle encore Tan
Swan Nio qui en possède un à Dermo qu'elle fait administrer par son
parent (?) Tan Tong Liep, riche propriétaire foncier et fermier du
mont-de-piété de Pasar Bong, telle encore Han Swie Nio (arrière-petite-fille de Han Kik
Long) qui en 1892 possède des terres à Ketintang qu'elle fait gérer par un
certain Lim Twan Kioe... Elles sont également propriétaires de magasins - les
plus anciens dont on ait gardé le souvenir, des pharmacies traditionnelles,
remontent aux années 1840, telle celle de Njonja Hoo Ban In (1842) pour
laquelle on fait de la réclame dans le Bintang Soerabaia. Elles ont aussi des
entreprises - en 1907, par exemple, Han Hing Nio fait du sucre dans la région
de Malang. De plus, elles sont à même de faire des dons. On peut le constater
par ceux qu'elles font aux temples ancestraux. The Giok Nio, enfant unique (?)
de The Boen Tiong (1829-90), hérite des biens de son père (elle possède en
son nom des terrains à Embong Malang et à Patemon qu'elle fait gérer par son
cousin The Twan Tjiak, un petit-fils du major The Goan Tjing) et, bien que
mariée au lieutenant Tan Thwan Hing, fait don à l'association du temple des
The en 1911 de 2 500 florins en échange de quoi son fils, Tan Siok Poo,
devient membre du comité de gestion. La même année, la veuve du major The
Boen Ke, Han Kang Nio, donne à la même association, une somme de 1 250
florins (119). Ces donations leur confèrent parfois aussi des pouvoirs
particuliers dans la gestion des temples ancestraux ce qui représente une innovation
par rapport à la tradition chinoise. Ainsi par exemple, parmi les membres
fondateurs du temple des Tjoa, figurent à côté d'un fils et d'un petit-fils de Tjoa
Khik Yong - Djien Sing et Sien Hie - une de ses ses filles, Siet Nio (m. en
1900, épouse d'un certain Tan King Po) et Yap Ping Tik (parent par alliance),
que les statuts de 1883 présentent tous les quatre comme de droit (12°). Dans la

G. Schlegel, sinologue hollandais bien connu, qui fut un temps aussi Conseiller des Affaires
chinoises auprès du gouvernement colonial, écrivit un compte rendu fort élogieux de cette double
traduction (T'oung Pao, Série II, vol. 1, 1900, pp. 501-502) dans lequel il dit notamment : «Nous ne
pouvons qu'applaudir aux efforts que font nos lettrés chinois dans nos colonies, de rendre
accessible à leurs compatriotes illettrés ainsi qu'aux Européens, une exacte idée de la législation et de la
littérature chinoise ».
118. Cf. Handboek voor Cultuur-en Handelsondernemingen in Nederlandsch-Indïê, 1888, p. 278.
119 Cf. Boekoe-Peringetan, p. 36.
120. Il était fréquent à Surabaya, de trouver dans le temple ancestral d'une certaine famille, des
personnes portant un autre nom, pas seulement au niveau de la gestion, comme c'est le cas ici,
mais aussi parmi les personnes autorisées à déposer leurs tablettes après leur mort. On a eu
l'occasion de voir que les descendants de Han Bwee Kong avaient fait une place spéciale à la tablette de
Chen Heguan ; pareillement, les The acceptèrent d'abriter les tablettes des Liem (cf. Boekoe-
Peringetan, p. 36), et les Tjoa celles des Tan à partir d'un certain Tan Ing Liong et aussi celle des
Yap. Le temple ancestral des Liem se trouvait en face de celui des The (v. pi. 18) ; il fut
désaf ecté, sans doute en rapport avec la dislocation de la famille qui commença vers 1905.

Archipel 53, Paris, 1997


156 Claudine Salmon

branche des Han de Malang, les filles se réintroduisent dans la généalogie avec
leurs époux et leurs enfants, et ce dès la fin du XIXe s., ce qui, là aussi,
représente une nouveauté par rapport aux habitudes chinoises. Elles influent
également pour faire introduire dans les temples ancestraux de leurs belles-familles
les tablettes de leurs propres ancêtres. Chose encore plus surprenante, certains
temples ancestraux sont construits pour des femmes et leurs proches parents,
tel celui édifié en l'honneur de Te(e)ng Oei Nio, épouse de Teng Hin Kok (qui
fut successivement lieutenant, 1874-1893, et capitaine honoraire, 1893-1913, à
Surabaya) (121). L'année suivante un parent (?) du capitaine, un certain Teng
Eng Kiong entreprend même d'ériger une association en l'honneur de sa
femme encore vivante (Vereeniging Tan Han Nio) destinée à fonctionner
également comme un temple ancestral, et il obtient l'accord des autorités
hollandaises (122).
L'adoption, qui a été instituée en Chine pour permettre aux personnes sans
enfants d'avoir tout de même une descendance, est une pratique courante. On
est particulièrement bien renseigné pour les Han grâce à la généalogie de
Surabaya qui note chaque cas. D'une façon générale, les enfants adoptés sont
choisis dans la famille ; c'est presque une obligation pour ceux qui ont de
nombreux enfants d'en céder à leurs frères qui n'en ont pas. Toutefois, certains
enfants peuvent être pris à l'extérieur et perdre ainsi leur patronyme d'origine
pour prendre celui des parents adoptifs.

Langues et cultures
II est difficile de se faire une idée de la complexité du monde culturel dans
lequel ces familles évoluaient. Il semble qu'il y ait eu au moins trois facettes,
la chinoise, la locale et l'occidentale dont l'importance varie selon les
circonstances et l'époque. Au niveau de la langue, par exemple, le chinois parlé
disparaît graduellement à partir de la troisième génération pour ne plus être
utilisé que par écrit, dans la vie officielle et religieuse. Il y avait des secrétaires et
des traducteurs pour communiquer les avis touchant l'ensemble de la
communauté, de même des spécialistes étaient chargés de rédiger en chinois le
contenu des tablettes funéraires et de calligraphier les inscriptions tombales. Dans la
vie quotidienne, le malais gagnait, semble-t-il, du terrain. Si, à la fin du
XVIIIe s. ou au début du XIXe s., des membres de la famille Han
correspondaient en javanais (123) et si Tjoa Djien Hoo (1814-90) se plaisait à lire des
textes chinois et javanais, en 1850, The Goan Tjing rédigeait son testament en
malais (124). On sait que c'est dans cette langue que des auteurs de la famille
Han, tel Kiai Mas, dans la seconde moitié du XIXe s., et Han Bing Hwie, vers

121. Cf. Javasche Courant, 29 avril 1887, qui donne les statuts de l'association en hollandais et
Bintang Timoer, 9 mai 1887, qui en publie la traduction malaise.
122. Cf. Javasche Courant, 10 août 1888, Vereeniging Teeng Oei Nio; Bintang Soerabaja, 16
nov. 1888.
123. On a notamment conservé une lettre de Han To Ko (probablement Han Tok Sing, 1773-1839,
un fils de Han Bwee Kong); cf. Th. G. Pigeaud, «Javanese and Balinese manuscripts etc.,
Descriptive Catalogue», in Verzeichnis der Orientalischen Handschriften in Deutschland, Bd.
XXXI, Wiesbaden, 1975, p. 206.
124. Cf. la reproduction de la dernière page de son testament dans le Boekoe-Peringetan, p. 6.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 157

1920, composent leurs poésies <125). Enfin en 1887, Tjoa Tjwan Lok publie le
Bintang Soerabaia. Certes, certains apprennent toujours le chinois, tel Tjoa
Sien Hie, mais rien ne prouve qu'ils l'utilisaient oralement. Lorsque celui-ci,
en 1887, reçoit dans sa demeure le général Ong Ing Ho (Wang Ronghe), venu
de Chine en visite semi-officielle, ce dernier est accompagné de son interprète
(126).
Lors des grandes fêtes collectives du XIXe s. marquant les nominations des
chefs de la communauté chinoise avaient lieu des processions qui rappelaient
celles organisées en Chine pour les mandarins se rendant à leur nouveau poste.
Plusieurs chefs s'étaient d'ailleurs vu conférer des titres honorifiques par le
gouvernement mandchou. Ainsi, par exemple, The Goan Tjing qui aurait reçu
un titre de l'Empereur Xianfeng (1851-61) (127> ; tel encore Tjoa Sien Hie qui,
à la suite de la venue de Ong Ing Ho, fut nommé mandarin de 5e classe. Mais
le même Tjoa Sien Hie entretenait aussi des rapports privilégiés avec
l'aristocratie locale, avec laquelle sa famille se sentait toujours liée. Il avait ainsi reçu
du régent de Bangil un superbe gamelan qui, jusqu'au début des années 1980,
était encore la propriété de ses descendants (voir pi. 30) (128).
Les chefs de la communauté se font construire, comme il était de rigueur,
des maisons de style colonial, d'abord en ville, puis à la campagne. Les
temples ancestraux même, sauf celui des Tjoa qui est établi dans la maison
d'origine, montrent un mélange de styles. À l'intérieur de celui des Han, par
exemple, les colonnes ne sont plus en bois comme c'était traditionnellement
l'usage, mais en fonte, et proviennent de Glasgow (v. pi. 7). Sur les portraits
des ancêtres de la famille Han, on peut suivre également l'évolution de
l'habillement ; des costumes de mandarin de Han Bwee Kong, Han Soe Siek et
Han Tjoei Wan, on passe au vêtement occidental avec Han Kwat Tjhee (m. en
1901), administrateur de la N.V. Maatschappij Tan Tiam Nio.

Pouvoir au sein de la communauté


Si on se penche maintenant sur la répartition du pouvoir entre les grandes
familles, on s'aperçoit que pour le XVIIIe s., qui ne nous est connu que de
façon très fragmentaire, il y eut, en dehors des Han qui détinrent la fonction de
capitaine pendant une bonne partie de la seconde moitié du siècle, quelques
autres grandes familles qui émergèrent, telles celles des Tan, des Liem et des
Kwee, toutefois pas suffisamment longtemps pour que leur histoire se soit

125. Han Bing Hwie a notamment composé un poème sur l'arrivée à Java de Han Siong Kong :
«Sair Penghidoepan Han Song Kong atawa Tiongkok-Java», in Tjerita Baroe, série 13, 5 juin
1924, 32 p. Malheureusement, la chronologie n'est pas conforme à la réalité; l'auteur fait arriver
le héros à Java à la fin du XVIIIe s.
126. Sur la visite de Ong Ing Ho à Surabaya, voir le Bintang Timoer (n° des 9, 10, 12, 14 et 22
février et 8 mars 1887) ainsi que le Bintang Soerabaia du 19 août de la même année.
127. Cf. Boekoe-Peringetan, p. 3.
128. On en trouve une photographie dans The Boen Liang, «Riwajat familie Tjoa». Les grandes
familles peranakan ne dédaignaient pas non plus la musique occidentale. M.T.H. Perelaer, Het
Kamerlid van Berkenstein in Nederlandsch-Indïé, Leiden, 1883, pp. 157-165, donne une
pittoresque description d'une soirée dansante chez le major The Boen Ke, à laquelle prend part le
Français Montauban qui, parlant des sœurs du major, s'écrie : «Mais ce sont les Parisiennes de
l'Asie».

Archipel 53, Paris, 1997


158 Claudine Salmon

conservée jusqu'à nous. A partir de 1825, nous pouvons suivre dans le détail
les diverses nominations des chefs de la communauté qui sont mentionnés dans
le Regerings Almanak. Le titre de major semble avoir gardé un caractère
spécialement honorifique et ne sera conféré de façon régulière qu'à partir de
1874.
Il apparaît très nettement que les The, qui ont pris de l'ascendant dès le
début du XIXe s., gardent pratiquement sans interruption le contrôle de la
communauté jusque vers 1920. Ils fournissent continuellement des capitaines et
des lieutenants, ils se caractérisent encore par le fait qu'ils comptent le plus
grand nombre de majors : le premier fut nommé en 1837, le deuxième en 1874,
le troisième en 1888 et le dernier en 1907.
Les Han viennent en deuxième position en ce qui concerne le XIXe et le
XXe s. Il y a certes un bon nombre de lieutenants et de capitaines, très souvent
honoraires, à émaner de cette famille, de sorte que celle-ci partage
pratiquement toujours le pouvoir avec les The; toutefois, le titre de major ne leur fut
conféré qu'une seule fois en 1914.
Les Kwee produisent quatre lieutenants (nommés respectivement en 1827,
1856, 1898 et 1913) sans qu'on puisse seulement savoir quels étaient leurs
liens de parenté ni même s'ils descendaient du capitaine Kwee Koe Tjong dont
le nom est attesté pour le XVIIIe s. Les autres familles n'apparaissent que dans
la seconde moitié du siècle dernier et de façon sporadique (les Liem en 1860,
les Tjoa en 1869, les Tan en 1874, les Tie en 1884, les Teng en 1889 et les
Tjan en 1894), voire même au début du XXe s. (les Tjia en 1906 et les Oei en
1913). Autant qu'on puisse savoir, ces dernières familles appartenaient aussi
au monde peranakan et s'étaient lancées dans l'exploitation d'entreprises
agricoles et de fermes. Ainsi par exemple, les Teng avaient en 1889 le monopole
du transport du sel entre Madura et Surabaya (129), tandis que Tan Hie Sioe (né
ca. 1874 et nommé lieutenant en 1906), qui appartenait à une famille établie à
Java depuis quatre générations, gérait des monts-de-piété, possédait de grandes
plantations de tabac et avait aussi obtenu du gouvernement des concessions
d'exploitation forestière (13°).
On voit donc que la répartition du pouvoir était doublement articulée. Elle
reflétait les alliances économiques au sein de la communauté et, en même
temps, une politique d'équilibre menée par le gouvernement colonial qui
entendait choisir ses « fonctionnaires » en fonction de leur contribution au
développement économique tel qu'il l'entendait.

129. Cf. De Indische Tolk van het Nieuws van de Dag, 15 octobre 1889.
130. Arnold Wright, Twentieth Century Impressions of Netherlands India, p. 546 : «Mr Tan Hie
Sioe, Lieutenant of Chinese at Sourabaya, is a man of some thirty-five years of age who has
travelled extensively. His ancestors migrated from China some four generations ago, and the various
members of his family have made Java their home ever since. His commercial interests are varied.
In addition to having control of a number of pawnshops, he owns large tobacco plantations, from
where considerable quantities of leaf, bearing the trade mark " Soedinegoro " find their way
annually to European markets. He has also a concession for cutting teak.» Les lecteurs français
seront peut-être contents de savoir que le consulat français de Surabaya est installé dans
l'ancienne résidence de Tan Hie Sioe.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 159

III. Vagues de resinisation


Parallèlement à ces puissantes familles peranakan, vivait à Surabaya toute
une population chinoise sur l'histoire de laquelle les sources sont beaucoup
plus discrètes. Pour le milieu du XIXe s., J. Hageman en dresse un tableau qui,
même s'il est loin d'être parfaitement exact, nous donne tout de même une
idée de son ampleur, de sa structure professionnelle et culturelle.
Si l'on en croit les chiffres qu'il avance, en 1850, cette population s'élevait
à 3 158 personnes et, en 1856, elle était passée à 3 885. Or, précisément
pendant le début des années 1850, période qui correspond en Chine à la révolte
des Taiping, on enregistre l'arrivée de quelques centaines de nouveaux venus
(104 en 1850, 244 en 1852, 104 en 1853, 42 en 1854, 23 en 1855 et 1 1 en 1856
- les chiffres n'étant pas donnés pour l'année 1851), qui, à n'en pas douter,
ont dû influer sur la vie de la collectivité. Hageman note en plus que, vers
1857, près de la moitié de la population masculine était née en Chine, ce qui
explique, comme on va le voir plus bas, qu'il y ait eu vers cette époque-là une
première tentative pour resiniser la communauté. Mais avant de voir comment
ce remodelage s'est effectué, nous voudrions brièvement rapporter ce que nous
dit encore Hageman sur le profil économique et culturel de cette
communauté <131).
Au sommet on compte, dit-il, quelque 16 fonctionnaires, tous issus de
familles peranakan, 7 grands propriétaires fonciers, 4 fabricants de sucre
d'importance et environ 80 personnes impliquées dans l'exploitation des
fermes ; pour les autres professions, la répartition est comme suit :

38 grands marchands et commerçants naviguant,


403 petits marchands et boutiquiers,
4 boulangers,
10 enseignants,
1 seul moine pour toute la circonscription,
13 forgerons, fabricants de voitures et teinturiers,
266 coolies et manœuvres,
3 restaurateurs et marchands de soupe,
80 vieillards et hommes sans profession (132).

A cette liste, il faut encore ajouter les marchands ambulants ou klontong,


généralement des nouveaux venus qui, avant de pouvoir s'installer à leur
compte, travaillaient d'abord en rapport avec des boutiquiers qui leur
avançaient la marchandise à crédit (133>.
En ce qui concerne leur vie sociale et culturelle, Hageman remarque, qu'en
général, les Chinois se marient soit avec des Chinoises nées sur place, soit
avec des Javanaises et que très peu restent célibataires. Pour ce qui est de leurs

131. J. Hageman, «Bijdragen tot de kennis van de Residentie Soerabja», TH.L, 1859, 1, p. 18.
132. On trouvera une liste plus détaillée en ce qui concerne les professions artisanales dans G.H.
von Faber, Oud Soerabaia, p. 184.
133. Cf. notre article : «Commerces ambulants et insertion sociale à Surabaya vers la fin du
XIX* s.-». Archipel 37, 1989, pp. 297-326.

Archipel 53, Paris, 1997


1 60 Claudine Salmon

croyances, il précise : «Quelques Chinois sont devenus musulmans et vivent


comme les Javanais, tandis que d'autres ont été baptisés et sont vêtus à
l'européenne. Leur nombre respectif ne s'élève pas au-delà du trentième de
l'ensemble de la population. Parmi ceux qui sont nés en Chine, le culte le plus
répandu est celui de Tay Pak Kong (Toapekong), tandis que ceux nés à Java
ont des croyances qui tiennent à la fois aux traditions chinoises et à la foi
musulmane (134).»

Pour un retour aux coutumes et à l'éducation ancestrale


Visiblement, c'est pour réagir contre ces derniers comportements religieux
que fut créée en 1864, l'association intitulée Hokkien Kong Tik Soe ou
«Temple des mérites du Fujian», dont le but était de raviver les coutumes
chinoises en matière de funérailles et de mariages, et d'aider les Chinois peu
argentés à pratiquer les cérémonies religieuses requises.
Plus de deux cents personnes répondirent à l'appel de cotisations lancé
sous le haut patronage des chefs de la communauté. Les statuts de
l'association, et leurs amendements ultérieurs, furent déposés chez un notaire et des
règlements intérieurs en chinois composés à l'usage des membres. La Hokkien
Kong Tik Soe eut d'abord son siège dans le temple Hok An Kiong ou «Temple
du bonheur et de la paix», avant d'avoir son propre bâtiment Jl. Bibis, où fut
aménagé un temple ancestral collectif à l'usage des personnes qui avaient
cotisé (voir pi. 33). Deux autres textes en chinois, mettant en garde les Peranakan
contre le culte des tombes sacrées, ou kramat, ainsi que contre les selametan
ou repas communiels, furent placés dans le temple. Le premier visait à attirer
l'attention sur les abus commis par les gardiens de ces tombes qui souvent
extorquaient des sommes d'argent considérables aux fervents désemparés ; la
deuxième partait en guerre contre la pratique des selametan et la venue dans
les familles de maîtres de religion musulmans pour lire les prières. Soucieuse
de faire respecter les coutumes chinoises, l'association acheta un terrain dont
elle fit un cimetière afin que les familles pauvres n'enterrent plus leurs défunts
avec ceux des musulmans. En outre, tous les objets nécessaires aux cérémonies
(instruments de musique, catafalque, cercueils, tablettes ancestrales, etc.)
furent mis à la disposition du public à des prix variant avec les ressources des
individus (v. pi. 34) (135). De la même manière, les cérémonies de mariage
furent réglementées et les femmes peranakan invitées à se resiniser, au moins
dans leurs costumes (136).

134. J. Hageman, « Bijdragen tot de kennis van de Residentie Soerabaja », p. 19.


135. Le cimetière était situé à Kupang, au sud de la ville. L'association revendait et parfois
donnait des parcelles selon les cas. Elle réussit à faire fructifier son avoir et passait pour l'association
la plus riche de Surabaya. Arnold Wright, Twentieth Century Impressions of Netherlands India, p.
517, note : «The committee of the society brought such a well developed commercial instinct into
the management of their affairs that, by selling burial sites and in other ways, the society's
original capital was doubled. Forty years after its establishment, the society was in so flourishing a
condition that it was arranged to return the first subscriptions to the donors or their descendants,
and after considerable difficulty this was done. The funerals conducted by the society are of three
classes : poor Chinese are buried, and mourning for the family supplied, free of cost.» Vers 1908,
le président de l'association était le major The Toan Ing.
136. Pour plus de détails sur ce mouvement de resinisation voir notre article «Ancestral Halls,

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 161

L'exclusivisme des fondateurs de l'association ne se manifestait pas


seulement à l'égard des Peranakan javanisés, mais aussi à rencontre de tous ceux
qui n'étaient pas Hokkien. Ainsi se trouvaient de facto tenus à l'écart les
immigrants du Guangdong (Hakkas, Cantonais et Teochius) qui, dans la
communauté, venaient en deuxième position. Dès le début du XIXe s., semble-t-il,
ceux-ci s'étaient organisés pour rendre un culte à leurs défunts et gérer leur
propre cimetière. A une date qu'il est difficile de préciser, ils créèrent aussi un
temple ancestral collectif, le Guangdong gongci, situé en face du Fu'an gong
où il existe toujours. Le plus ancien panneau à y être conservé est daté de
1856, mais l'association n'a été officiellement enregistrée qu'en 1893 (137).
D'autres groupes sociaux, moins facilement repérables, s'organisèrent
également en dehors de la Hokkien Kong Tik Soe. Dès 1877, était fondée la
société Gie Khie, «Esprit d'équité», qui, vu son nom, pourrait bien avoir été en
même temps une société secrète, sous couvert de société funéraire. Les
règlements stipulent que le comité décide du nombre total des membres qui sont
divisés en trois groupes selon les obligations auxquelles ils sont astreints. De
plus, il est clairement dit que les Chinois qui ont embrassé l'islam ne peuvent
pas en être membres (138). D'autres associations portant des noms similaires
(Po Gie, «Récompense de l'équité», Gie Hoo, «Equité et harmonie», Tik Gie,
«Vertu et équité», Hoo Hap, «Union harmonieuse», etc) et qui furent créées
dans les années qui suivirent, nous sont connues également comme sociétés
funéraires. Les statuts de l'une d'elles, la Tik Gie, fondée officiellement en
1893, sont très intéressants dans la mesure où ils codifient minutieusement les
cérémonies (139). Les familles peranakan aisées, à l'instar des Han, des Tjoa et
des The, construisent leurs propres temples ancestraux, mais peu semblent
avoir survécu (voir la liste chronologique de ces constructions donnée en
appendice, p. 177).
Parallèlement à ce renouveau des cultes à rendre aux morts, se dessine un
regain d'intérêt pour la culture chinoise. L'imprimeur J. Albrecht, dans une
petite étude sur l'instruction primaire chez les Chinois de Java, note que la
plupart des instituteurs étaient nés en Chine, mais ajoute : «Quelques-uns, nés
à Java, ont passé quelque temps dans la mère patrie. A Sourabaja, j'en ai
connu un né à Java, qui avait pris part aux examens littéraires en Chine et les
avait subis avec éclat. Le titre de siou tsai lui avait été conféré, et bien que ce
titre soit le moins élevé des grades littéraires, il est néanmoins une haute
distinction à cause des grandes difficultés qu'il faut surmonter pour le conquérir

Funeral Associations, and Attempts at Resinicisation in Nineteenth-Century Netherlands India»,


in Anthony Reid & Kristine Alilunas Rodgers éd., Sojourners and Settlers. Histories of Southeast
Asia and the Chinese, Asian Studies Association of Australia in association with Allen & Unwin
(Southeast Asia Publications series : 28), 1996, pp. 183-214.
137. Les statuts de l'association ont été publiés dans le Javasche Courant du 21 mars 1893, sous le
nom peu clair de « Vereeniging Kwie Tang, Tjing Bing en Tiong Hie Tiong te Soerabaja» ou
« Association du Guangdong à Surabaya, pour la fête des morts et... » Voir pi. 32.
138. Javasche Courant, 27 mars 1877 : «Règlement for de Gie Khie te Soerabaja», article 8. Elle
existe encore sous le nom de Garuda.
139. Les statuts de la Po Gie furent publiés dans le Javasche Courant du 24 août 1884 et ceux de
la Tik Gie dans celui du 21 novembre 1893.

Archipel 53, Paris, 1997


162 Claudine Salmon

dans les examens (14°).» Cet enseignant, dont Albrecht ne nous donne pas le
nom, semble bien être Tjioe Ping Wie (m. ca. 1894) (141> qui, selon Kwee Tek
Hoay, était natif de Surabaya et avait bel et bien fait des études en Chine. Il
avait ouvert dans le Gang Khawal, une école avec un curriculum très moderne,
la Lam Yang Hoen Boen Kwan ou «Ecole des Mers du sud», au plus tard à la
fin des années 1870. C'est à cette époque que remonte le culte du dieu de la
littérature, Wenchang, et de Confucius. Toujours selon Kwee Tek Hoay, Tjioe
Ping Wie aurait fait publier à Shanghai, en 1881, une petite notice en chinois
sur Confucius et l'aurait ensuite distribuée dans la communauté chinoise de
Surabaya (142). En 1887, le même personnage imprimait chez Gimberg un
calendrier mural en chinois à l'usage des marchands et donnant, outre les
équivalences entre les calendriers hollandais et chinois, les fêtes selon les nations ;
l'année y était comptée en fonction du règne de l'Empereur Guangxu (1875-
1908) et, fait tout à fait nouveau, en fonction de la date de naissance de
Confucius (143>.
Toutefois, le premier temple à avoir été dédié à un dieu de la littérature en
1884, le fut à Wenchang, d'où le nom de Boen Tjhiang Soe {Wenchang ci). Il
était situé Jl. Kapasan, sur un terrain qui avait été donné par le major The
Boen Ke, et, bien que cela ne soit pas dit expressément, le bâtiment abritait
très certainement une école. Les stèles commémoratives de 1884 et 1887 ne
comportent pas de textes susceptibles de nous renseigner sur la façon dont
l'édifice a été créé. On ne trouve que deux listes de donateurs avec en face le
montant de leurs dons, soit pour la première quelque 250 noms, et pour la
seconde, quelque 230, ainsi que ceux de l'administrateur Go Tek Lie et de son
adjoint Louw Toen Siong sur lesquels on ne sait rien ; à en juger par le
montant de leurs cotisations, ils devaient compter parmi les très grands marchands
du moment. On note dans les deux cas que la date est comptée selon le règne
de Guangxu et, nouveauté, à partir de la naissance de Confucius.

Restructuration de la communauté autour de trois associations


Dans les vingt ou trente dernières années du XIXe s., se constituent des
entreprises commerciales d'importance dont les propriétaires sont en grande
partie des nouveaux venus ou Totok : tel Go Hoo S wie qui s'établit à Java vers
1874 venant de Amoy et qui, dès les années 1880, ouvrait à Surabaya une
firme d'import-export connue sous le nom de Yan Tjwan Eng. Son but était
d'exporter du café et du sucre en direction de la Chine, des Straits Settlements
et de l'Inde Britannique, et d'importer des allumettes, du riz et de la farine.

140. J.M.E. Albrecht, «L'instruction primaire chez les Chinois de l'île de Java», traduit du
hollandais et annoté par A. Marre, in Annales de l'Extrême-Orient, Paris, 1881, tiré à part, p. 5.
141. Voir la description que nous en a laissée un ancien élève, traduite en français dans C. Salmon
& D. Lombard, «Confucianisme et esprit de réforme dans les communautés chinoises d'Insulinde
(fin XIXe s.-début XXe s.)», in En suivant la voie royale, hommage à Léon Vandermeersch, sous
presse.
142. Kwee Tek Hoay, « Merajaken kalahiran Nabi Khong Hoe Tjoe menoeroet itoengan Yang
lek», Moestika Dharma, Batavia, Oct. 1934, p. 1189.
143. Cf. une annonce publiée dans le Bintang Soerabaia du 9 décembre 1887.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 163

Parallèlement Go Hoo Swie s'adonnait aussi au commerce des produits du sol


à l'intérieur de l'île (144>. Tel encore Tjan Tiauw Tjwan qui établit à Surabaya
en 1889 une firme portant le nom de Ban Hong Hin, qui servait
d'intermédia re dans les échanges entre la Chine et les Indes néerlandaises. Il travaillait
avec un partenaire établi sur le continent et un autre à Malang, s'intéressant
tout particulièrement au commerce du riz, mais aussi à celui du tabac, du
poisson sec et des produits chinois en général. Au début du XXe s., il avait ouvert
des succursales à Amoy et à Bagan Si Api-api (Sumatra, pour le poisson
sec)(145). Il sera successivement vice-président et président du Temple à
Confucius officiellement ouvert en 1906. On pourrait citer aussi Tan Tjoen
Goan (oncle de Tan Ling Djie, futur membre du politbureau du PKI) qui, dès
1873, se lançait dans le commerce en gros des produits alimentaires, des
alcools et des céramiques qu'il expédiait jusqu'en direction des Moluques et
de Kalimantan (146). Non moins importantes étaient les firmes établies par Djie
Hong Swie (originaire de Fuqing, dans le nord du Fujian) qui s'installa en
1886, par Tjio Poo Liauw, arrivé de Quanzhou en 1889 (147)) et par Ong Tjien
Hong, originaire de Amoy qui créa la firme Chop Hoo Bee, et qui tous
s'adonnaient à 1' import-export à grande échelle. Ong Tjien Hong notamment brassait
le commerce du riz avec Rangoon, le Siam et Saigon ; il avait de plus acheté
une fabrique de sucre à Malang et possédait des décortiqueries de riz autour de
Surabaya (148>.
Ce sont ces nouveaux entrepreneurs qui vont peu à peu prendre la direction
réelle de la vie collective, même si officiellement les chefs de la communauté

144. Arnold Wright, Twentieth Century Impressions of Netherlands India, p. 550, lui consacre une
petite notice : «As general exporters and importers this firm was established in 1889 by Mr Go
Hoo Swie, its present proprietor. Coffee and sugar are exported to China, the Straits Settlements,
and British India, while rice, matches, and flour form the chief articles imported. The firm also
carries on an extensive trade in native products in the interior of Java, its trade mark, " Yan Tjwan
Eng", being exeedingly well known. Mr Go who is a native of Amoy, arrived in Java in 1874. He
is a member of the advisory Board of the China Life Insurance Company in Shanghai. In
Sourabaya he holds the office of President of the Confucian Temple, and is a member of the
Chinese Chamber of Commerce. »
145. Idem, p. 548. En 1934, sa firme avait un magasin situé dans Kampung Baru au n° 45.
146. Idem, p. 549. En 1929, il rachète le journal Sin Jit Po et, le 29 novembre de cette même
année, fonde la N.V. Handel Mij en Drukkerij Sin Tit Po. Dès le premier décembre, le quotidien
paraît sous le nouveau nom de Sin Tit Po. Tan Tjoen Goan recruta son neveu Tan Ling Djie (1904-
1970) et l'envoya comme correspondant en Europe.
147. Djie Hong Swie arrivé à Java en 1886, pour s'occuper de deux magasins appartenant à des
membres de sa famille, faisait de 1' import-export avec la Chine et avait des agences dans tout Java
Est. Il eut six enfants qui reçurent une éducation occidentale ; cf. Wright, Twentieth Century
Impressions of Netherlands India, p. 550. La famille Tjio était déjà très nombreuse à Surabaya à la
fin du XIXe s., si on en juge par les noms des donateurs inscrits sur les stèles des temples à
Wenchang et à Confucius. Ils créèrent une dizaine de firmes d 'import-export qui commençaient
toutes par le mot Hap (Hap Lie, Hap Tik, Hap Eng, etc.) ainsi qu'une très grande entreprise, la
Djoe Tik fondée en 1885. Vers 1908, cette dernière faisait le commerce entre Surabaya, Singapour,
Hong Kong, Saigon et Bangkok et possédait ses propres bateaux pour le trafic du riz et du sucre.
Pour plus de détails sur ces grand marchands voir Arnold Wright, Twentieth Century Impressions
of Netherlands India, pp. 548-50.
148. Cf. Arnold Wright, Twentieth Century Impressions of Netherlands India, p. 548 et 547 pour
une reproduction de son magasin (façade et intérieur); voir aussi W. Feldwick éd., Present Day
Impressions of the Far East and Progressive Chinese at Home and Abroad, London, 1917, p.
1167.

Archipel 53, Paris, 1997


164 Claudine Salmon

sont toujours des représentants des grandes familles peranakan. On les voit
successivement donner de leur personne pour l'établissement d'une école
chinoise digne de ce nom - la Hoo Tjiong Hak Tong ou « Ecole pour l'harmonie
des masses », fondée en 1903 -, transformer le Temple du Dieu de la littérature
en Temple à Confucius, en 1899, créer la première Chambre de commerce
chinoise de la ville en 1906 et prendre à deux reprises, en 1902-1904 et en 1908,
la direction de boycotts contre la firme hollandaise Handelsvereeniging
Amsterdam <149).

De la Hoo Tjiong Hak Tong a la Tiong Hoa Hak Tong


A la différence de Batavia, où l'histoire de la Tiong Hoa Hwe Koan ou
«Association chinoise» qui créa les premières écoles chinoises modernes est
bien connue, celle des premières organisations à but éducatif de Surabaya reste
assez obscure (15°). Il semble bien que la Hoo Tjiong Hak Tong ait été créée en
1903 indépendamment de celles de la T.H.H.K., association fondée à Batavia
en 1900, à l'initiative de quelques riches marchands progressistes, dont
certains liés, il semble bien, au parti révolutionnaire dit Zhonghe tang, «Parti de
l'équilibre et de l'harmonie», fondé en Chine par le Cantonais You Lie. Ce
parti avait pour particularité de semer des idées progressistes sous couvert de
mouvements réformistes (151). En 1906, elle se doublera d'une Zhonghe xue-
tang (voir pi. 39) dont le nom rappelle encore plus visiblement celui du parti.
Les statuts de cette école furent enregistrés en 1904 (152). Elle était alors
présidée par le lieutenant Liem Sioe Tien (en poste de 1898 à 1904) et était située à
Keputran. Selon le Buku peringetan, parmi les autres membres fondateurs se
trouvaient notamment Tio Siek Giok et Tio Tjie An qui seront plus tard

149. Le boycott, qui fit alors beaucoup de bruit, était en fait le résultat d'une limitation injustifiée
de la durée du crédit octroyé par la grande firme d'import-export, la Handelsvereeniging
Amsterdam, auprès des grossistes chinois. La campagne commencée en 1902 dura jusqu'en 1904
sous la direction de Tio Tjee An et Tio Siek Giok qui plus tard seront dans le comité de la
Chambre de commerce. Tio Siek Giok (cf. Arnold Wright, Twentieth Century Impressions of
Netherlands India, pp. 548-49) était en fait spécialisé dans la vente en gros de produits
alimentaires et de vins et était également l'approvisionneur attitré des chemins de fer de Java ainsi que
des cantines militaires. Il possédait de plus un domaine dans la région de Mojokerto où il cultivait
des kapokiers, des caféiers, des poivriers, des cacaotiers, etc. L'affaire passa au tribunal et la firme
hollandaise fut condamnée à verser une indemnité; pour plus de détails, voir J.B. Houten, «De
Chineezen beweging te Soerabaia tegen de Handelsvereeniging Amsterdam», Weekblad voor
Indië, 29 mai 1904, pp. 4-7; cf. aussi Lea Williams, Overseas Chinese Nationalism. The Genesis
of the Pan-Chinese Movement in Indonesia, 1900-1916, Glencoe, Illinois, The Free Press, 1960,
pp. 188-89.
150. Cf. Nio Joe Lan, Riwajat 40 taon Tiong Hoa Hwe Koan Batavia, 1900-1939, Batavia, 1940 ;
cf. aussi Lea Williams, Overseas Chinese Nationalism. The Genesis of the Pan-Chinese Movement
in Indonesia, 1900-1916, et notre article dans Archipel 2, 1971, pp. 55-100. En ce qui concerne
Surabaya on possède toutefois un petit opuscule publié pour commémorer le cinquantenaire de
l'école de la T.H.H.K. et qui contient une brève histoire des débuts de l'éducation moderne : Buku
peringetan hari ulang tahun ke 50 (1903-1953) T.H.H.K. Surabaja, Surabaja, T.H.H.K., 1953, pp.
12-13. A en juger par la maigreur des documents reproduits, il est à penser qu'au moment de la
préparation de l'opuscule les archives de l'association n'existaient plus.
151. Pour plus de détails sur l'histoire de ce parti en Asie du Sud-Est, voir C. Salmon & D.
Lombard, «Confucianisme et esprit de réforme dans les communautés chinoises d'Insulinde».
152. Ils furent publiés dans le Javasche Courant du 20 mai 1904.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 165

membres de la Chambre de commerce chinoise. Au début l'enseignement était


donné en hokkien, mais progressivement le mandarin lui fut substitué. En
1905, elle passa sous la présidence de Tan Hian Goan (originaire de Gresik)
qui comptait au nombre des grands entrepreneurs du moment et se trouvait
associé à la famille du capitaine Liem(153\ et il la garda jusqu'en 1918. C'était
un homme très entreprenant, économiquement et politiquement; en 1892, il
avait créé la N.V. Handel Mij San Liem Kong Sie qui fut peut-être la plus
grande exploitation de bois de Java et joua un rôle important dans la Chambre de
commerce chinoise (154). Tan Hian Goan était aussi un révolutionnaire comme
on le verra plus bas. L'école fut bien accueillie; en 1908, elle se fondit
officiellement avec une autre intitulée Ik Joe Hak Kwan (Yiyou xuetang, «École
des amis du progrès ») (155) et prit le nom de Tiong Hoa Hak Tong, tandis que
l'on construisait de nouveaux bâtiments dans le quartier chinois d'une part
dans la Jl. Bibis près de la Hokkien Kong Tik Soe et dans la Jl. Kapasan près
du Boen Bio(156). En août 1908, un certain Tjeng Siauw Kok, sans doute un
enseignant, accompagne jusqu'en Chine les douze premiers élèves diplômés
qui vont poursuivre leurs études à Nankin. La même année, la direction de
l'école organise une foire pour collecter des fonds et l'année suivante on
commence à y enseigner l'anglais (157). En 1916, Tan Hian Goan est nommé
président de la Hak Boe Tjong Hwee, une association ayant pour but de coordonner
l'éducation en chinois donnée dans les écoles de la T.H.H.K. Ces écoles
servirent puissamment à la resinisation de la communauté. En 1914, la branche de
Surabaya ouvrait même une école du soir, la Chin Boen School ou « École pour

153. Arnold Wright, Twentieth Century Impressions of Netherlands India, 1909, p. 546, présente
son exploitation de bois comme la plus importante et la plus moderne de tout Java Est : « For
many years, the firm have held enormous forest concessions from the government in Semarang,
Kediri, Rembang and Sourabaya districts, but it was not until five years ago that the partners
increased the scope of their undertakings by erecting large saw-mills. Previously their activities
had been confined to the purchase and export of timber. The saw-mills are well situated at
Petjindelan, on the banks of a navigable river, providing easy communication with the harbour,
and they are connected by several special lines with the State Railways in the forests. The
machinery with which they are equipped is of modern English manufacture.» Voir aussi l'étonnante
description de l'exploitation qu'en donne pour les années 1920 Allister Macmillan, Seaports of the
Far East. Historical & Descriptive Commercial & Industrial Facts, Figures & Resources, London,
W.H.L. Collingridge, 2d éd., 1925, p. 372. Il est dit notamment que l'établissement occupait une
superficie de 20 000 mètres carrés, employait 300 ouvriers et utilisait les machines les plus
modernes sous la direction de techniciens européens. L'entreprise existait toujours sous le même
nom dans les années 1980, mais elle était désormais située Jl. Cepu.
154. Lorsque Tan Hian Goan abandonna ses fonctions, il reçut une décoration du ministre de
l'Éducation de Chine qui lui fut remise en grande pompe ; cf. Buku peringetan hari ulang tahun ke
50 et Weekblad voor Indie, 1918-19, p. 445.
155. Cf. Darmo Kondo, Solo, 2 mars 1905 ; Javasche Courant, 14 février 1908, n" 13. On ne sait
pas comment cette «Ecole des amis du progrès» fut créée. Peut-être s'agit-il de l'école
confucéen e dépendant du Wen miao et inaugurée, selon la presse de Singapour, le 10 mars 1902; cf. Liang
Yuansheng, Xuanni fuhai dao Nanzhou - Rujia sixiang yu zaoqi Xinjiapo huaren shihuishiliao
huibian, « Confucius passe les mers en direction des îles du sud. Recueil de matériaux pour
l'histoire des Chinois de Singapour et de la pensée confucéenne», Xianggang, Zhongwen daxue chu-
banshe, 1995, pp. 140-141.
156. Cf. le Javasche Courant du 14 février 1908.
157. Cf. Buku peringetan hari ulang tahun ke 50.

Archipel 53, Paris, 1997


166 Claudine Salmon

stimuler la culture »(158). D'autres écoles moins ouvertes se créèrent


parallèlement dans les années qui suivirent (159).

Le Boen Bio, nouveau centre de la vie culturelle et politique


Avec le mouvement réformiste venu du continent et la réappréciation de la
pensée de Confucius, se dégagea peu à peu un intérêt nouveau pour le sage, à
travers la diaspora en général et à Java en particulier. Toutefois, Surabaya est
la seule ville d'Asie du Sud-Est où le projet de créer un temple à Confucius se
réalisa. Il est difficile d'en reconstituer l'histoire avec précision. Ce lieu de
culte fut en fait établi dans le Boen Tjhiang Soe, «Temple à Wenchang».
Progressivement, semble-t-il, le Dieu de la littérature dut céder la place à
Confucius et sa statue fut finalement transportée dans un autre temple (16°). Le
processus dut prendre un certain temps. Ce qui est sûr, c'est que le nom du
temple fut changé en Boen Bio (Wen miao) ou «Temple de la culture», dès
1899, comme l'attestent un panneau en bois encore visible actuellement (voir
pi. 36) et une note parue dans la presse chinoise de Singapour (161). Toutefois,
le culte à Confucius et à ses 80 disciples, tous représentés par des tablettes,
comme cela se faisait en Chine, n'a été officiellement ouvert que le 27 octobre
1906, après que les bâtiments de l'ancien Boen Tjhiang Soe eurent été agrandis
et les autels pour les tablettes aménagés (v. pi. 35). On s'est plu à voir là
l'influence du passage du célèbre réformateur Kang Youwei (1858-1927) à
Java en 1903 U62), mais il est plutôt à penser, comme nous l'avons montré
ailleurs (163>, que c'est le résultat d'un mouvement plus général qui prit appui
dans la société marchande de la ville. Les rapports faits dans la presse que
nous avons pu consulter ne parlent que des initiatives locales. Ce qui est assez
extraordinaire, c'est qu'une masse énorme de la population, sans distinction
entre Totok et Peranakan, se cotisa pour accomplir l'œuvre O64).
The Toan Ing, qui était alors capitaine, participa à la cérémonie
d'inauguration en disposant les tablettes sur les autels, tandis que Lin Kunlian, le maître
de cérémonies, suivi d'une assistance de quelque 700 personnes, faisait ses

158. Cf. Buku peringetan hari ulang tahun ke 50. Elle existait encore à la fin des années 1930 ; son
nom est cité dans Liu Huanran, Heshu dongyindu gailan (titre anglais : Sketch of the Netherlands
East Indies), Singapour, 1939, p. 87.
159. Voir la liste donnée par Liu Huanran, op. cit. ■
160. Elle aurait été replacée dans un petit temple du Kampung Dukuh, le Hong Tik Hian (Fengde
xuan), construit en 1899 en l'honneur d'une divinité du sud du Fujian, Guo shengwang. Au-dessus
de l'autel central, figure un panneau horizontal daté de 1893, ce qui laisserait supposer qu'un plus
petit temple ait existé antérieurement. Quoi qu'il en soit, on trouve bien, sur l'autel latéral droit,
une petite statue de Wenchang.
161. Ce texte a été reproduit dans Liang Yuansheng, Xuannifuhai dao Nanzhou, pp. 137-138. Il a
été également traduit en français dans C. Salmon & D. Lombard, « Confucianisme et esprit de
réforme dans les communautés chinoises d'Insulinde (fin XIXe-début XXe s.)».
162. Cette idée a surtout été répandue dans les années 1930 ; cf. « Karangan orang-orang Tionghoa
di Soerabaja setengah abad jang laloe», Sin Po hebdomadaire, 28 nov. 1936, p. 1 sq.
163. C. Salmon & D. Lombard, «Confucianisme et esprit de réforme dans les communautés
chinoises d'Insulinde (fin XIXe-début XXe s.) ».
164. On peut en juger par le nombre impressionnant des noms de donateurs qui figurent sur les
stèles de 1906. Ces stèles sont reproduites dans W. Franke, C. Salmon & A. Siu, Chinese
Epigraphic Materials in Indonesia, vol. II (2), L 1.2.6 (1-2).

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 167

prosternations et dirigeait les chants (165>. A noter que le temple renferme un


panneau calligraphié de la main de l'Empereur Guangxu et qui se lit :
Shengjiao nan ji ou «Nos enseignements ouvrent le sud» (voir pi. 37) (166);
celui-ci a dû être donné au moment de l'inauguration du temple ou de l'école
qui avait eu lieu quatre ans plus tôt. Lorsqu'en 1909, une requête fut faite pour
officialiser l'existence du temple, Lin avait été remplacé à la présidence par
Go Hoo Swie, ce grand marchand venu de Amoy dont il a été question plus
haut (et qui auparavant était vice-président) (167). Chose intéressante, parmi les
membres du comité de gestion, se trouvaient des gens comme Tjio Poo Liauw,
membre de la société secrète révolutionnaire Guangfu hui, «Société pour le
retour à la lumière» (fondée en 1904), et Tio Siek Giok, futur membre du
Tongmeng hui, qui seront ensuite très actifs dans le mouvement
révolution aire et joueront un rôle dans la chambre de commerce. Parmi les nombreux
donateurs certains sont de vrais réformistes, mais d'autres seront connus plus
tard comme des tenants du mouvement révolutionnaire de Sun Yat Sen, tels
Tan Hian Goan, Lie Siong Hwie (dont on reparlera plus bas) et Tan Ping An.
On trouve aussi parmi les fondateurs l'école Tjiong Hoo Hak Tong et une
curieuse association réformatrice intitulée Soe Boen Hwee (Siwen hui ou
«Association des confucianistes ») d'origine apparemment japonaise (168> et
qui garda le contrôle des activités confucéennes du temple jusqu'en 1917
lorsque son nom fut changé en celui de Khong Kauw Hwee (Kongjiao hui ou
«Société de religion confucéenne»). Jusqu'à présent, le temple est encore orné
de panneaux offerts par des personnalités du continent - dont l'ancien
inspecteur de l'Éducation au Jiangxi, Chen Baoshen (Tan Po Tim, 1848-1935,
devenu plus tard directeur général de la Compagnie des chemins de fer du Fujian)
venu vendre des actions en 1907 <169).

165. Cf. Ile Po, Solo, 30 octobre 1906.


166. A noter qu'un panneau identique fut également donné par l'Empereur Guangxu à l'école
chinoise de Pinang en 1904; on en trouvera une reproduction dans Wolfgang Franke & Chen Tieh
Fan, Chinese Epigraphic Materials in Malaysia, Kuala Lumpur, University of Malaya Press, II,
1985, p. 923, H 1.62.
167. Les statuts du Temple à Confucius ont été publiés dans le Javasche Courant du 21 janvier
1910.
168. Il n'a, semble-t-il, jamais existé de société de ce nom en Chine. Par contre, il s'en créa une au
Japon en 1880 dont le président était, en 1881, un frère de l'empereur du moment. Elle prônait ce
que l'on appelait le « mouvement de la vertu » (daode yundong) et s'opposait au mouvement
démocratique ainsi qu'au courant des gens influencés par les idées venues d'Europe; cf. Wang
Jiahua, Rujia sixiang yu Riben wenhua, Zhejiang renmin chubanshe, 1990, pp. 170-171 (nous
remercions Madame Duanmu Mei de l'Académie des Sciences sociales de Beijing pour cette
référence). Elle fut dissoute en 1918 et une nouvelle association fut créée par regroupement avec la
Hanwen xuehui (Société pour l'étude du chinois) et la Dongya xueshu yanjiuhui (Société de
recherche sur la science extrême-orientale). On peut donc avancer l'idée que des Japonais ou
éventuellement des ressortissants japonais de Taiwan établis à Surabaya auraient également
participé à ce mouvement de renouveau de la pensée confucéenne. A présent plus personne à Surabaya
n'a de lumière sur les origines de cette association. Pour quelques informations supplémentaires
sur les rapports entre Surabaya et Yokohama (où il existait une communauté chinoise très
dynamique économiquement et très active politiquement, voir C. Salmon & D. Lombard,
«Confucianisme et esprit de réforme dans les communautés chinoises d'Insulinde (fin XIXe -
début XXe)».
169. Toutes ces inscriptions se trouvent reproduites dans W. Franke, C. Salmon & A. Siu, Chinese
Epigraphic Materials in Indonesia, vol. II (2), 1997, L 1.2. 3 ; L 1.2.9 ; L 1.2.10.

Archipel 53, Paris, 1997


168 Claudine Salmon

II apparaît en filigrane que, par-delà ce culte à Confucius, le Wen miao


était le foyer d'une vie politique intense. Si les réformateurs et les
révolutionnaires de tendances diverses ont pu trouver commode de s'associer plus
longtemps que dans les autres villes d'Insulinde (notamment Singapour), c'était
sans doute pour mieux échapper au contrôle des autorités coloniales.

La Siang Hwee et la coordination du commerce chinois


En 1906 également, cinq marchands dont Ong Tjien Ong (on a vu son nom
plus haut), Tio Tjee An, qui était au comité du Boen Bio, et Lie Siong Hwie
(né à Haicheng au Fujian en 1859) et qui travaillait à Surabaya pour la firme
Kian Goan, tout en dirigeant ses propres affaires (17°), sont à l'origine de la
Chambre de commerce ou Siang Hwee, dont les statuts seront officialisés
l'année suivante. Tout comme dans les autres grandes villes d'Asie du Sud-
Est, la Chambre de commerce a pour mission de faciliter le travail des
marchands, de coordonner leurs relations avec la Chine et, d'une certaine façon,
d'exercer un contrôle politique sur la communauté. L'association, située Jl.
Kembang Jepun (dont les bâtiments étaient dans les années 1980 occupés par
la KADIN ou Kamar Dagang Indonesia, voir pi. 38), avait quelque mille
membres et un comité d'une cinquantaine de personnes. En 1908-09, Lie Siong
Hwie en était le président ; or il était en même temps un tenant du mouvement
révolutionnaire de Sun Yat Sen, comme Ong Tjien Ong, Tio Siek Giok, Tjio
Poo Liauw et Tan Hian Goan, qui étaient aussi dans le comité de gestion.
Il y avait en quelque sorte une coordination entre la T.H.H.K., la Chambre
de commerce et le Soe Po Sia ou «Club de lecture» créé en 1909 (et situé Jl.
Cantian) qui était le siège des révolutionnaires soutenant, en Chine, la lutte
contre les Mandchous. Il semble qu'à la différence de Singapour par exemple,
il n'y ait pas eu à proprement parler de lutte ouverte pour le pouvoir entre
réformateurs et révolutionnaires, mais plutôt un glissement progressif des
premiers vers les seconds. Tan Hian Goan, le président de la T.H.H.K. (voir ci-
dessus) compte au nombre des fondateurs du Soe Po Sia. De plus, il crée en
novembre 1909, en collaboration avec Ong Tjien Hong, Lie Siong Hwie, Tio
Siek Giok et Tjio Poo Liauw, une imprimerie et une librairie à l'usage du Club
de lecture (la Drukkerij Kantor en Boekhandel Soe Swi Han Boen Sin Po(m\
avec un capital de 100 000 fl.), pour publier un nouveau journal intitulé Han
Boen Sin Po, «Nouveau journal en chinois», qui en fait comptait aussi une
édition en malais. Le rédacteur en chef était un ancien professeur de la
T.H.H.K. Ses propos étaient assez violents et il fut finalement expulsé par le
gouvernement colonial (172).

170. Depuis son arrivée à Java en 1879, Lie Siong Hwie a travaillé pour la firme Kian Goan de
Semarang fondée par Oei Tiong Ham dont on a vu le nom plus haut. Vers 1906, il prit la direction
de la succursale de Surabaya, mais il figure parmi les donateurs n'ayant contribué à l'érection du
Temple à Confucius que pour la modeste somme de 20 florins. Quelque deux ans plus tard, il était
nommé président de la chambre de commerce chinoise de Surabaya. En 1918, il succède à Tan
Hian Goan en tant que président de la T.H.H.K.
171. L'annonce officielle de l'imprimerie et de la librairie parut dans le Javasche Courant du 30
novembre 1909 ; elle est suivie de la liste des administrateurs : président Tan Hian Goan,
commissaires : Ong Tjien Hong, Lie Siong Swie, Tio Siek Giok et Tjio Poo Liauw.
172. Cf. Lea Williams, Overseas Chinese Nationalism, p. 109.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 169

Si la T.H.H.K. et la Chambre de commerce regroupaient encore des


Peranakan et des Tokok, le « Club de lecture » au contraire semble avoir été le
domaine quasi exclusif de ces derniers. C'est à partir des années 1910 que le
clivage entre les deux communautés s'agrandit comme on va le voir en
examinant la création de nouvelles associations.

IV. L'éclatement progressif de la communauté


La population chinoise n'a cessé de s'accroître. Estimée à un peu plus de
12 000 personnes en 1900, elle était de 16 685 en 1913 et de 22 118 en 1920.
Considérablement gonflée par les flots d'émigrants au début des années 1920,
elle atteignit un peu plus de 35 000 personnes en 1928. Cette seule
augmentation démographique aurait suffi à modifier les rapports sociaux à l'intérieur de
la communauté, vu l'écart grandissant entre la classe misérable et un groupe
de nantis. Mais à ce phénomène s'ajoutèrent encore les répercussions des
changements politiques et économiques tant en Chine qu'en Indonésie.
Le triomphe des révolutionnaires et l'établissement de la république de Sun
Yat Sen, en 1912, renforcèrent la position des éléments progressistes dans les
grandes villes de Java, en particulier à Batavia et à Surabaya. Lors du Nouvel
an chinois, en février 1912, des troubles éclatèrent dans ces deux villes. A
Batavia, ils furent causés par le refus des autorités de laisser arborer le
nouveau drapeau de la République aux cinq couleurs et, à Surabaya, par
l'interdiction de faire exploser des pétards dans les rues. Ce furent, semble-t-il, dans
cette dernière ville, des Cantonais, pour la plupart ébénistes, qui prirent la
direction des opérations, après avoir tenu une réunion au Soe Po Sia. Ils
résistèrent à la police dans la rue et, n'ayant pas reçu l'aide des chefs de la
communauté qui refusèrent d'intervenir en leur faveur, ils saccagèrent la résidence du
capitaine Han Tjiong Khing (située Jl. Ngemplak), puis demandèrent aux
patrons des magasins de fermer leurs portes en signe de protestation.
Finalement la police décida d'arrêter tous les artisans du bois, soit quelque 800
personnes, bien qu'elles n'aient pas toutes été impliquées dans le
mouvement (173). C'était, à Surabaya, la première fois qu'un antagonisme aussi
violent éclatait entre les Totok et les chefs peranakan, mais c'était aussi la
première fois qu'on assistait à une manifestation essentiellement nationaliste.
Dans les années qui suivirent, on vit ces activités se poursuivre tant au sein
de la communauté totok que peranakan. Le premier consul chinois, Tang
Caizhi^174), brillant journaliste et ancien réformateur converti aux idées de
Sun Yat Sen, arrive en 1914; son discours est notamment reproduit dans le
numéro du 6 juillet du journal sino-malais Tjhoen-Tjhioe, « Printemps et
automnes», qui vient juste de commencer à paraître à Surabaya; il s'y
présente comme étant chargé d'aider ses compatriotes dans leurs actions sociales (au
niveau de l'éducation) et économiques (au niveau du commerce, de la finance,

173. Cf. «De Chineesche relletjes», Weekblad voor Indië, jrg. VIII, 1912, pp. 1109-1112 et 1131-
1134.
174. Né en 1879 dans la province du Henan, il avait d'abord étudié en Angleterre, puis était allé,
en 1891, continuer ses études au Japon et, en 1901, s'était rendu à Sydney pour animer un journal
chinois; cf. Tjhoen Tjhioe, 8 juillet 1914.

Archipel 53, Paris, 1997


170 Claudine Salmon

des transports maritimes et des entreprises agricoles). Parallèlement à ce


mouvement de reprise en main en provenance de la Chine, on assiste à la naissance
de divers types d'associations qui toutes ont pour but d'aider les Totok à
s'intégrer dans la société d'accueil et de protéger leurs intérêts en marge des
Peranakan.

Mouvement associatif chez les Totok ,


On trouve, d'une part, des associations à base géographique et linguistique,
regroupant souvent des personnes travaillant dans le même secteur
économique et, d'autre part, des associations d'entraide établies sur des bases
diverses pour gérer la misère qui s'installe au début des années 1920.

Associations régionales et professionnelles


En ce qui concerne les premières, leurs fondations s'étalent sur une période
allant de 1911 au début des années 1930. Les travailleurs du bois d'origine
cantonaise, dont il vient d'être question, sont parmi les premiers à s'organiser.
Leur association intitulée Loe Pan Kong Ngay Koan ou «Association de
l'artisanat de Lu Ban» (Lu Ban était le patron des travailleurs du bois), officialisée
en 1913, aurait été créée à la fin de 191 1 (175>. Elle était située dans la Jl.
Jagalan, dans le prolongement de la Jl. Pasar Wetan où ils habitaient, tandis
que leur lieu de travail se trouvait dans le vieux quartier chinois, entre la Jl.
Karet et la Jl. Slompretan.
En 1913 également, les Hokchia (ou Chinois originaires de Fuqing dans le
nord du Fujian) fondaient une association intitulée Giok Yong Kong Hwee
(Yurong ou Giok Yong étant le nom littéraire de Fuqing), et située dans la Jl.
Liong (actuelle Jl. Teh)(176)- Elle regroupait essentiellement des marchands
pratiquant le commerce des étoffes, de la quincaillerie et de l'argent; certains
s'adonnaient en effet aux prêts à la journée, qu'ils pratiquaient sur les
marchés, s'adressant aux petits marchands et aux colporteurs locaux qui
travaillaient sans capital personnel (177). Ils n'étaient pas très nombreux et vers
1930, le total des membres ne dépassait guère 1 000 personnes. Ils passaient

175. Cf. Javasche Courant du 17 juin 1913. L'ébénisterie à Surabaya semblait déjà bien
développée à la fin du XIXe s. Justus van Maurik, Indrukken van en Totok, Indischen typen en schetsen, p.
346, note que dans la maison du lieutenant The Toan Ing figurent des meubles sculptés, de façon
très artistique, par un certain Poei Tjing Tik qui par la suite eut la mauvaise idée de faire de faux
billets de banque. Parmi les chefs-d'œuvres de ces artisans, un est encore visible dans le Hok An
Kiong (Fu'an gong); il s'agit du «bateau des immortels» (xiandiao) suspendu juste au-dessus de
la porte d'entrée du temple. Il a été offert en 1889 par la communauté marchande cantonaise (voir
pi. 40). L'association était encore très dynamique à la fin des années 1920 ; en 1927 en particulier,
elle créa une école du soir à l'usage de ses membres et revendiqua une augmentation des salaires.
176. Ses statuts ont été publiés dans le Javasche Courant du 9 février 1915. A l'époque son
président était Oei Kang Goan, un des fondateurs de la Chambre de commerce, qui possédait une
entreprise de construction. En 1938, l'association gérait une école primaire et publiait un journal le
Yurong ribao qui de quotidien devint mensuel et prit le nom de Yurong yuebao; cf. Xinjiapo
Fuqing huiguan qishi zhounian jiniankan, 1910-1980, Singapour, 1980, pp. 130-131.
177. Ce système de prêt a été violemment critiqué, voire interdit par les autorités pendant les
années 1920 ; ils faisaient eux-mêmes du colportage dans les campagnes ce qui leur donnait aussi
l'occasion de vendre à crédit aux villageois; cf. notamment V.B. van Gutem, «Tjina Mindering,
Eenige aantekeningen over het Chineesche geldschieterswezen op Java», Koloniale Studiën, jrg 3,
1919, 1, pp. 106-150.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 171

pour s'intégrer très vite en épousant de préférence des Javanaises et en se


convertissant parfois aussi à l'islam (178). En fait, leur installation à Java et à
Surabaya en particulier remonte surtout aux trente dernières années du siècle
dernier. La famille Djie par exemple était bien établie vers 1909 ; Djie Hong
Swie, arrivé en 1886, possédait à lui seul cinq magasins (voir pi. 43) et en
gérait deux autres appartenant à des parents. Sa quincaillerie, sise Jl.
Songoyudan, portait le nom de Tjin Lien Hoo, tandis que sa boutique d'étoffes,
située Pasar Bong, portait celui de Tjin Tek Hoo^9\
On ne compte pas, semble-t-il, de nouvelles associations régionales
pendant la période de la Guerre de 1914-18, mais seulement une curieuse
organisation dont les statuts ont été publiés en août 1914, la Tong A Kiauw Siang
Hiap Hwee ou «Association pour l'entente entre les immigrants d'Extrême-
Orient». Il s'agissait en fait d'une tentative pour développer les échanges
économiques entre marchands japonais et chinois établis à Java (il pouvait s'agir
de firmes ou d'individus) et pour faciliter l'accès au crédit. Il y a de fortes
chances que ce projet, prévu pour une durée de 29 ans, n'ait pas fait long feu,
en raison de la détérioration rapide des rapports entre la Chine et le Japon (18°).
Par contre, dès la fin de la guerre, on voit les immigrants chinois reprendre
leurs activités associatives. En 1919, ce sont les gens originaires de Zhangzhou
(Zhangzhou huiguan, au Fujian), spécialisés dans le commerce des produits du
sol, qui se regroupent O81), suivis de peu par les Hakkas qui forment la Hui
Chao Jia Huiguan ou «Association des gens de Hui(zhou), Chao(zhou) et
Jia(ying)» (ca. 1920), les Hainanais (ca. 1923), les gens de Anxi (au Fujian, en
1925), les Cantonais qui, ca. 1925, fondent une association intitulée Guang
Zhao huiguan, les gens de Quanzhou (au Fujian) et les Hakkas de Dabu (au
Guangdong) qui forment une association à l'échelle de Java Est (Dabu
tongxiang hui), mais ayant son siège à Surabaya. Les derniers à s'organiser
furent peut-être les gens de Fuzhou (capitale de la province du Fujian) qui, le
13 avril 1930, inaugurèrent leur association sous les auspices du consul de
Chine. La Ho k Tjioe Tong Hiong Hwee était située dans Jl. Kapasan et
regroupait les orfèvres originaires de Fuzhou mais établis en différents points
d'Indonésie, voire même de Malaisie^182).
L'esprit régionaliste se développe d'autant plus que chaque association qui
en a les moyens crée sa propre école : ce sont les Hakkas qui commencent en
1921, suivis par les Cantonais en 1926. Un morcellement supplémentaire s'éta-

178. Cf. Overzicht van de Maleisch-Chineesche en Chineesche Pers, 1921, n° 20, p. 23 citant le
Sin Po du 31 octobre 1921.
179. Voir ci-dessus note 147.
180. Les statuts en ont été publiés dans le Javasche Courant du 14 août 1914. De plus, la présence
des Japonais à Surabaya devint rapidement menaçante. En 1925, ils avaient déjà établi une école :
la Nippon Jinkai (cf. Sin Bin, 26 septembre 1925) et parlaient d'établir une grande entreprise de
pêcherie {Sin Bin, 5 novembre 1925) ; enfin, l'année suivante ils prévoyaient la fondation dans
cette ville d'une chambre de commerce japonaise (cf. Djawa Tengah, 4 octobre 1926).
181. Leur association était déjà officialisée en 1924 ; cf. Thay Kong Siang Po, 22 septembre 1924.
182. Cf. Soe Pin Sin Po, 14 avril 1930. Les noms des membres, classés géographiquement,
figuraient sur une stèle datée de 1938 et située dans l'arrière-cour du siège de l'association. Elle
existait encore au début des années 1990. Voir pi. 45.

Archipel 53, Paris, 1997


172 Claudine Salmon

blit avec la création d'organisations de «clans», visant bien sûr à


l'établissement de temples ancestraux, telle la Gucheng huiguan «Association de la ville
de Guzhou», fondée en 1920, qui rassemblait traditionnellement les personnes
portant les quatre noms de famille Liu, Guan, Zhang et Zhao^183), telle encore
la Yougui tang, regroupant les Tan, qui vers 1927 avait fondé sa propre école.
Si on met à part l'école de la T.H.H.K., dont il a été question plus haut, et qui
recevait les enfants sans distinction, il faudra attendre 1930 pour voir une
deuxième école se créer dans le but d'éduquer en mandarin et sans
discrimination d'aucune sorte les enfants de la communauté. Il s'agissait de la Hwa
Kiauw School ou «Ecole des Chinois d'Outre-mer», sise Jl. Bibis Comboran;
elle était entièrement sous le contrôle des enseignants qui l'avaient créée (184).

Groupements d'entraide
La multiplication des associations se poursuit également dans d'autres
directions au fur et à mesure que la communauté s'appauvrit avec l'arrivée
d'immigrants démunis en nombre grandissant, mais aussi sous l'effet d'une
concurrence accrue avec les hommes d'affaires japonais extrêmement
compétitifs (185) L'année 1921 marque le début des problèmes économiques. On voit
quelques patrons s'organiser par profession, tels les fabricants de meubles can-
tonais qui fondent la Tong Seng Kong Hwee pour mieux défendre leurs
intérêts (186).
Mais plus dramatiques sont les efforts faits pour aider les chômeurs. Dès
1921, se crée une sorte de syndicat appelé Kang Tong (gong dang) ou
« Association des travailleurs », pour assister les ouvriers nécessiteux ; un texte
paru dans le Soe Pien Djiet Po du 20 juin 1923 précise que, pour se conformer
aux principes du Guomin dang, celle-ci, dans ses statuts, prendra le nom de
«coopérative professionnelle». On ne sait pas grand chose sur les
organisateurs, mais il ne fait guère de doute qu'ils devaient être engagés politiquement.
Ils donnaient des représentations théâtrales afin d'obtenir des fonds pour leurs
œuvres sociales. Selon le Sin Po (édition chinoise) en date du 16 août 1923,
une organisation rivale, la Tjit Giap Hoe Tjoe Sia ou «Association d'entraide
professionnelle», créée vers le même moment, refuse quant à elle toute
collaboration avec le Guomin dang et le Kang Tong. Les Cantonais veulent aussi
faire bande à part en fondant la Tiong Hoa Ping Bin Sip Gee Hwee ou
« Société d'entraide pour les Chinois pauvres » ; selon le Soe Pin Djit Po du 20
janvier 1923, elle se donne pour objectif d'aider les Cantonais sans profession
à apprendre un métier. Elle utilise les locaux de la société funéraire Gie Hoo
Hwee Koan dont il a été question plus haut. Toujours en 1923, une autre
association de secours, connue seulement sous son nom indonésien deVereeniging
Kaum Miskin Tionghoa ou «Association des Chinois pauvres», se réunit dans

183. Elle était située Jl. Waspadan; ses statuts avaient été publiés dans le Javasche Courant du 13
avril 1920 ; une stèle placée à l'intérieur de l'édifice, datée de 1920, en commémore la fondation.
184. Cf. Liu Huanran, Heshu dongyindu gailan, p. 97, où est donnée une liste chronologique des
écoles établies à Surabaya.
185. Voir ci-dessus note 180.
186. Les statuts de cette association sont publiés dans le Javasche Courant du 18 novembre 1921.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 173

le siège d'une autre association de secours, la Poo Lam Hwee ou «Association


pour protéger le sud», en vue de demander l'assistance du consul chinois par
les voies officielles ; quelques mois plus tard, la Vereeniging envisage de se
fondre avec la Gie Hin, une organisation funéraire située Kampung Dukuh,
qui, à n'en pas douter, vu son nom, était en même temps une société secrète,
sur la fondation de laquelle on n'est pas bien renseigné mais qui existait déjà
au tout début du siècle (187).
Des éléments communistes se mêlent aux associations d'entraide mais
assez rapidement ils sont poursuivis par la police. Le Soe Pin Sin Po du 30
octobre 1923 rapporte notamment que «le célèbre bolchevique» Tio Tek Sioe
a été démis de ses fonctions de président de l'association d'assistance aux
chômeurs appelée Sit Giap Kiong Tsee Sia.
L'année 1923 est, semble-t-il, tout particulièrement dramatique en Chine
et, rien que pour le mois de septembre, le nombre des immigrants débarqués à
Surabaya atteint, selon les informations du service de l'immigration, le chiffre
de 807 personnes. Devant la misère grandissante, les sociétés secrètes jouent
un rôle de plus en plus important. En 1924, se crée la Xiaodao hui ou « Société
des petits couteaux » qui est en même temps une société de voleurs regroupant
150 hommes sous la direction de deux Totok et d'un Peranakan. Ils opèrent
dans le quartier chinois, essentiellement dans la Jl. Kapasan, le quartier de
Kampung Dukuh et la Jl. Jagalan^188). Le Sin Po (version malaise du 9
septembre 1926) rapporte encore la fondation d'une nouvelle association de
travailleurs chinois (Chineesche Arbeiders Vereeniging), la tenue d'une première
assemblée dans les bâtiments du Soe Po Sia à Cantian, et l'élection d'un
président, un certain Kwee Khing Tjan. Le but de celle-ci est très voisin de celui
des précédentes ; il s'agit toujours de rassembler des fonds pour les chômeurs.
Un peu différente est la tentative faite en 1927 par le président de la Siang
Hwee, Tio Lien Kheng (un Peranakan né à Surabaya mais éduqué à la
chinoise) (189), pour créer une Kiauw Lam Tjong Hwee ou «Fédération des Chinois
d'Outre-mer»; son objectif est de coordonner les activités à l'intérieur de la
communauté et d'aider les nécessiteux, notamment en organisant leur
rapatriement dans leur contrée d'origine. Il est douteux que cette fédération ait réussi
réellement à contrôler les diverses tendances et à harmoniser les écarts
sociaux.

Vie collective chez les Peranakan


On voit parallèlement les Peranakan se lancer dans une vie associative
active. Dès 1914, sous l'effet des transformations politiques qui viennent de
secouer la communauté, ils essaient de se ressaisir en organisant une Hoa
Kiauw Tjong Hwee ou «Fédération des Chinois d'Outre-mer»; elle est placée
sous le patronage du major The Toan Ing et du capitaine Han Tjiong Khing,

187. Cf. Bintang Soerabaja, 8 janvier 1924.


188. Cf. Tay Keng Siong Pao, 16 mai 1924.
189. Cf. Javasche Courant, 23 mars 1927. Chose intéressante, Tio Lien Kheng était également
actif dans diverses sociétés telles que Yoe Tik Hwee Kwan, Poo Gie, Kian Gie, Khong Kauw Hwee,
T.H.H.K... ; cf. Tan Hong Boen, Orang-orang Tionghoa jang terkemoeka di Java, p. 53.

Archipel 53, Paris, 1997


174 Claudine Salmon

tandis qu'en fait elle est dirigée par le marchand The Kian Sing (né à Surabaya
[1880-1937], et d'éducation chinoise) qui, en 1917, devient le directeur du
journal sino-malais Pewarta Soerabaja (fondé en 1905) (19°). Bien qu'il ait
attiré dans le comité plusieurs marchands influents et également membres de la
Chambre de commerce, tels Tjio Poo Liauw, Pwee Swie Goan, Tio Tjie An et
Tan Hian Goan, il semble que graduellement la fédération se soit surtout
occupée des problèmes propres aux Peranakan.
En ce qui concerne les œuvres sociales, ils réussissent à créer un orphelinat
(1922), le Thay Tong Bong Yan qui existe toujours dans la Jl. Undaan
Kulon (191). En 1931, il compte 41 garçons et 20 filles. Le combat pour la
création d'un hôpital demande plus de temps (192). Bien qu'une campagne eût
été lancée dès le milieu des années 1920, à l'instar de Batavia où le Jang seng
le venait d'être fondé, en 1925 (à l'instigation du Dr Kwa Tjoan Sioe,,1893-
1948), ce n'est qu'en 1929 que les statuts du Soe Swie Tiong Hwa le Wan,
déposés à l'initiative du Dr Oei Kiauw Pik, sont officialisés (parmi les
membres du comité figure l'homme d'affaire local bien connu Liem Seng
Tee^193)); toutefois, l'hôpital n'est réellement ouvert qu'en 1931, dans la Jl.
Undaan Wetan, où il existe toujours, et se trouve désormais dirigé par une
association appelée Perkumpulan Adi Husada<194). L'hôpital depuis son début
dispense des soins sans distinguer l'origine des patients.
Quelques associations à but éducatif sont également créées, mais les
réalisations sont tardives. L'influence grandissante de la culture occidentale sur les
Peranakan qui, depuis 1908, ont fait des études dans les écoles sino-hollan-
daises, freine le développement de l'enseignement du chinois; dès les années
1920, les méthodes d'enseignement des professeurs de la T.H.H.K. sont
fortement critiquées. L'idée lancée à Malang, par Koo Liong Ing (1898-1980), de
créer des écoles sino-malaises pour les enfants des Peranakan pauvres est for-

190. Cf. Javasche Courant, 9 avril 1914. Pour plus de détails sur la biographie de The Kian Sing,
voir Leo Suryadinata, Eminent Indonesian Chinese. Biographical Sketches, Singapore, Gunung
Agung, 1981, pp. 142-143.
191. Si les statuts de l'orphelinat ont bien été publiés en 1922, il existait déjà antérieurement une
institution charitable qui avait été créée en 1902 à l'initiative de The Gwat Nio, épouse du futur
major des Chinois, Han Tjiong Khing ; cf. Oei Liong Thay, «Thay Tong Bong Yan», Sin Po
(hebdomadaire), 16 octobre 1937, p. 20.
192. Notons toutefois que dès 1911 une association d'entraide avait été fondée sous le nom de
Tong Tjie le Sia pour créer une sorte de dispensaire à l'usage des Chinois nécessiteux de la ville.
L'initiative en revenait à plusieurs grands marchands dont Lie Siong Hwie ; cf. Javasche Courant,
24.10. 1911.
193. Liem Seng Tee (1893-1956) est venu de Chine alors qu'il était encore enfant. Après avoir
travaillé chez différents fabricants de cigarettes, il réussit à fonder à Surabaya, en 1927, sa propre
entreprise qui en 1930 devint la N.V. Sampoerna. Elle existe toujours et est gérée par ses
descendants. Liem Seng Tee est resté célèbre pour avoir aidé les Indonésiens, mais aussi les Chinois du
continent dans leur lutte politique et pour avoir financé plusieurs projets philanthropiques et
apporté une aide financière au journal malais Soeara Oemoem qu'animait alors le nationaliste
Soetomo. Voir notamment Leo Suryadinata, Eminent Indonesian Chinese. Biographical Sketches,
p. 76. On peut encore voir sa tombe au sud de Surabaya près de l'ancien cimetière public de
Banyuurip Kidul. On lit sur la porte d'entrée Makam Embah Sampoerna, «Tombe du patriarche de
Sampoerna».
194. Cf. Javasche Courant, 20.9. 1929, n° 76 Extra-Bijvoegsel où sont reproduits lesdits statuts.
Sur les débuts du mouvement pour créer l'hôpital, voir aussi Sin Po (quotidien) 24 nov. 1927. Les
nouveaux statuts ont été publiés dans le Tambahan Berita-Negara R.I. du 19.9. 1975, n° 75.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 175

tement critiquée à Surabaya par l'homme d'affaire The Kian Sing qui
préférerait voir les écoles de la T.H.H.K. enseigner le hollandais...
Ce seulement vers la fin des années 1920 que les Peranakan prennent
conscience de leur retard et de leur position désavantageuse. Ils sont culturel-
lement de plus en plus coupés des Totok et, en outre, commencent à ressentir
âprement la concurrence de ceux-ci dans le commerce. Politiquement, ils
découvrent aussi que l'Indonésie est le pays où ils veulent passer leur vie ; très
peu en effet envisagent d'aller s'établir dans le pays de leurs ancêtres.
■Toutefois, au milieu des années 1920, rares sont encore ceux qui posent
réellement les problèmes de l'avenir en tenant compte des Indonésiens et de leurs
luttes pour l'Indépendance. Il semble bien que les seuls efforts de
rapprochement faits de ce côté proviennent des éléments communistes. Tan Ping Tjiat
(né à Surabaya vers 1885 et mort à Batu en 1964) est un exemple de ces
Peranakan qui rejoignirent les Indonésiens dans leur combat politique en
devenant membre du PKI en 1924. Arrêté après les soulèvements de 1926-27,
il revient sur ses convictions politiques et passera le reste de sa vie à Batu
(près de Malang) où il gérera la Batoe en Omstreken Belangan (B.O.B.), une
association pour promouvoir le développement culturel et le tourisme dans la
région, avec le concours d'autres Indonésiens et de Hollandais (195). Il faut
noter également que depuis le milieu des années 1920 certains hommes de
lettres et journalistes écrivent pour mobiliser leurs lecteurs vers un combat de
type nouveau. Njoo Cheong Seng originaire de Java Est (1902-1962) publie
notamment dans la presse de Java des nouvelles courtes traitant des problèmes
sociaux du moment, dont une évoquant la misère des pêcheurs madourais, au
moment où les grandes entreprises de pêcherie s'organisent (196).
Lorsqu'en 1929, les Peranakan originaires de Menado forment leur
Vereeniging Tionghoa Menado ou «Association des Chinois peranakan de
Menado», la nouvelle provoque une forte réaction dans la presse locale,
notamment dans Liberty (sept. 1930, p. 45) ; ce magazine proteste contre le fait
qu'il existe déjà beaucoup d'associations ne défendant chacune que les intérêts
d'un groupe particulier alors qu'il serait temps de penser à en fonder une
regroupant tous les Peranakan. Le rédacteur de Liberty fait peut-être allusion à
la Chung Hua Hui, association politique créée en 1926 à Java Central, au
profit de l'élite peranakan occidentalisée, celle qu'on appelle couramment Kaum
Packard, «Groupe des Packard». L'idée était donc de créer une association
qui, comme le dit le Sin Tit Po (28 décembre 1931), «doit résulter de l'amour
qu'on porte à son pays natal et non pas du fait qu'on est d'origine chinoise ».
Et de fait, c'est pendant le mois de décembre de cette année-là que
s'organise la Nanyang Societeit, sous la présidence de Liem Koen Hian (1896-1952),
le futur fondateur du Partai Tionghoa Indonesia (Parti chinois-indonésien). Il
ne semble pas que cette société ait jamais été enregistrée. Un de ses objectifs
était d'engager une lutte contre le groupe des «nantis» qui seul représentait la

195. Cf. Leo Suryadinata, Eminent Indonesian Chinese. Biographical Sketches, p. 135; cf. aussi,
pour les statuts de ladite association, Javasche courant, Extra-Bijvoegsel, 26.1. 1934, n° 8.
196. « Achmad dan Kasjiah. Satoe tjerita fantassie», Sin Bin (Bandung), 17 oct. 1925.

Archipel 53, Paris, 1997


176 Claudine Salmon

communauté au niveau de la municipalité, et d'entreprendre une campagne


pour faire passer ses propres représentants (197). Sur le plan social, cette
association aide les pauvres et le 1er juillet 1932 ouvre la Nanyang Armenschool
qui accueille les enfants sans distinction de « nation » et dispense un
enseignement en malais, reprenant en quelque sorte les idées lancées quelques années
auparavant par Koo Liong Gie.
À noter que c'est également en juillet 1932 que le système d'administration
de la communauté chinoise par des officiers peranakan est officiellement aboli
à Surabaya, tout comme à Batavia. Le dernier major n'avait d'ailleurs pas été
remplacé après sa mort survenue en 1924. Et c'est le lieutenant Tan Thwan
Djien, qui avec le nouveau titre de hoofd, fait la transition (1926-34) vers une
administration de type direct (198).

Le «malaise» des années 1920 et la crise de 1930, qui peut être regardée
comme le prélude à la Seconde Guerre mondiale et à l'occupation de
l'Indonésie par le Japon, allaient parachever la déchirure du tissu social et
économique. La période troublée qui suivit l'Indépendance de l'Indonésie entraîna
de surcroît des déplacements de populations considérables de l'intérieur de
Java en direction de Surabaya, mais ausssi de cette dernière ville en direction
de l'étranger. La disparition des associations, la prohibition du chinois et le
remplacement des noms d'origine chinoise par des noms indonésiens ont
encore opacifié les réalités, de sorte qu'il est devenu difficile de retrouver derrière
les noms des entreprises actuelles les vestiges du passé. Il en existe pourtant
quelques cas notoires, telle l'entreprise d'exploitation forestière San Liem
fondée en 1892 par le révolutionnaire Tan Hian Gwan (m. 1926, dont on a vu le
nom plus haut), le lieutenant Liem Bong Lien (m. 1913) et Liem Sian Yoe qui,
après avoir longtemps fait le commerce du bois de teck de Java en direction de
l'Europe, de l'Amérique, de l'Afrique du sud, de la Chine et et du Japon (voir
ci-dessus), exploite désormais le bois de Kalimantan, à une plus petite échelle,
sous la direction d'un petit-fils et arrière-petit-fils Liem Bong Lien ; telle
encore la fabrique de cigarettes « Sampoerna » à présent dirigée par les
descendants de Liem Seng Tee dont il a été question plus haut.
La plupart des grandes familles peranakan continuent à décliner doucement
et on assiste à nouveau, depuis l'après-guerre, à la montée de nouveaux
entrepreneurs, arrivés de fraîche date pour la plupart - les plus actifs originaires de
la région de Fuqing -, sur lesquels on sait encore, il faut l'avouer, assez peu de
choses. Les réseaux de ces hommes d'affaires ont également changé de forme.
L'importance accrue de Jakarta et le déclin de Semarang font que les grands
hommes d'affaires de Surabaya doivent avoir désormais un pied à la capitale
pour réussir dans leurs entreprises.
197. Cf. Soeara Oemoem, 22 décembre 1932. Sur le rôle politique ultérieur de Liem Koen Hian,
voir notamment Leo Suryadinata, «The Search for National Identity of an Indonesian Chinese : A
Political Biography of Liem Koen Hian», Archipel 14, 1977, pp. 43-69.
198. Le Soeara Oemoem du 5 juillet 1932 rapporte de plus qu'on ferma définitivement l'office du
major qui se trouvait à Ketapang et que les archives furent transférées dans la maison personnelle
du sieur Tan Thwan Djien.

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 177

II nous semble que pour cette dernière période, l'histoire de la communauté


d'origine chinoise de Surabaya soit devenue assez insaisissable en tant que telle,
et qu'elle se confonde à nouveau avec celle de la ville dans son ensemble.

Temples ancestraux et associations funéraires peranakan


(Sont notées en italiques gras les associations qui existaient encore en 1989 ; sont précédés d'un
astérisque, les temples fondés par ou pour des femmes. Sont notés entre crochets les caractères
chinois dont la restitution reste hypothétique).

1. 1856 Guangdong gongci MJ&£:fâ (enregistrée sous le nom de Vereeniging Kwie Tang, Tjing
Bing en Tiong Hie Tiong [Javasche Courant - ci-dessous, J.C. - 21.3. 1893]. Act. Hui Chao Jia
huiguanSPSHSiEilif , Jl. Slompretan).
2. 1864 Hokkien Kong lïk Soe fëWJftWffîl (enregistrée chez un notaire hollandais de Surabaya en
1864 ; existe désormais sous l'appellation de Yayasan « Mulia Dharma », Jl. Bibis).
3. 1 876 Vereeniging Begrafenisfonds derfamilie Han Boei Ko &-WM (association funéraire et
temple ancestral de la famille Han [Han Sie Lok Hian Tjok Biauw StiSI&fffôJëf fondés
officiellement par une décision gouvernementale du 10 nov. 1876 [Règlement dari Vereeniging
Begrafenisfonds derfamilie Han Boei Ko di Soerabaia]. Situés Jl. Karet).
4. 1883 Vereeniging Tjoa Tjhin Tjhik Kong Soe ^MW/àM (temple ancestral des Tjoa aussi
appelé Tjoa Ke Tjoe Soe m^EMi fondé par Tjoa Djien Sing flCHS, capitaine à Surabaya
[1874-89], sa sœur Siet Nio [m. en 1900], et son neveu le lieutenant Tjoa Sien Hie %£MM
[1869-84]) [J.C. 12.1. 1883]. Situé Jl. Karet.).
5. 1884 Vereeniging The Goan Tjing (temple ancestral des The ou The Sie Siauw Yang Tjo Biauw
WÏÏMêfâM, fondé par les 4 fils du major The Goan Tjing MïtM [1795-1851] [J.C. 15.7.
1884]). Situé Jl. Karet).
6. 1887 *Vereeniging Teng Oei Nio (dédiée à la veuve de Teng Hin Kok Jjtf&lJS, lieutenant puis
capitaine [1889-1913] à Surabaya [J.C. 29.4. 1887]).
7. 1888 ^Vereeniging Tan Han Nio (dédiée à l'épouse de Teng Eng Kiong fêftfêffî, riche marchand de
Surabaya) [J.C. 10.8. 1888 ; Bintang Soerabaia - ci-dessous, B.S. - 16.11. 1888]).
8. 1 889 Vereeniging Sin Tjoan Hoei (dédiée à The Kong Yam et à son épouse Lie Soe Nio ainsi qu'à
leurs descendants; comprend un temple ancestral et un cimetière privé gérés par leurs fils Swie
Liong (ffl) 3SÉ et Swie Khing [J.C. 2.2. 1889] ; la tablette de The Swie Liong se trouve
désormais dans la Hokkien Kong Tik Soe).
9. 1889 Vereeniging Tjin Tjhik Kim Siong (association funéraire et temple ancestral, pour rendre un
culte à Tjioe Ping Bang et à son épouse Oei Ting Nio crées à l'initiative de leurs fils (Zhou)
Swie Thong (M) %&M, Swie Hong et Swie Tjhong, riches marchands de Surabaya [J.C. 9.8.
1889]).
10. 1890 Vereeniging Tien Lie Tjoe Soe fô.$Êfàffî] (temple dédié à Tan Liok Goo, M.f\M, gérant
des biens de la Hokkien Kong Tik Soe et à son épouse Kwee Piet Nio, fondé par leurs trois fils
Khing Ing, Khing Tjoan, Khing Yan [J.C. 7.2. 1890]).
11. 1893 Vereeniging Tan Kiem Yong (dédiée au père de Tan Kok Thaij MMM fondateur et
président de l'association et administrateur du temple Hong Tik Hian MM& [J.C. 8.8. 1893]).
12. 1 893 Vereeniging Tan Hwa Siang (érigée par son fils Tan Tong Liep WMti, propriétaire foncier
et fermier du mont-de-piété de Pasar Bong [B.S. 30.10. 1889], membre fondateur de la Hokkien
Kong Tik Soe, et ses 3 petits-fils Boen Tjiang XWi, Boen Sin JÇffi, Boen Hie $M [J.C .5.5.
1893]).

Archipel 53, Paris, 1997


178 Claudine Salmon

13. 1893 Vereeniging Hong Hien fêËJPI (association funéraire érigée par The Toan Lok H£fë $ê [cap.
1888-1911], The Toan Ing JŒféH [lieut. 1890-1904] pour fonder un cimetière à Gunung au sud
de Surabaya [J.C. 24.11. 1893]).
14. 1895 Vereeniging Thee Tjhie Soe OJKMM] (dédiée à Thee Kang Khing et à ses 2 épouses Lie
Tjhan Nio et Kwee Hang Nio et fondée par leurs descendants [J.C. 15.1. 1895]).
15. 1896 Vereeniging Oei Boen Giau ff^D (dédiée à Oei Boen Giau et son épouse Lie Tioe Nio et
fondée par leurs fils Tjiok Khing et Tjiok Bie [J.C. 20.3. 1896]).
16. 1896 Vereeniging Tjoe Soen Hin Ong (association funéraire érigée par Oei Tiong Khai et ses fils
pour entretenir la tombe de leur père et grand-père Oei Boen Hiau, parent du n° 15 [J.C. 24.7.
1896]).
17. 1896 Vereeniging Ing Swan Tjoe Soe WWW%) (temple dédié au propriétaire foncier Tan
Tik Hok $$MiM et à son épouse Lauw Wat Nio et fondé par leurs quatre fils, Kim Lin Sfeftl,
Kim Swie 3£ïÉ, Kim Sing &$<; et Kim Tjhoen ^#; existait encore dans les années 1930 [J.C.
29.7. 1898]).
18. 1899 Vereeniging Tan Tik Djoe (dédiée à Tan Siauw Hien et à ses descendants et fondée par ses 3
fils Tan Hie Sioe MM& homme d'affaires et lieutenant [1906-1911 ; cf. ci-dessus note 130],
Hie Sing, Hie Wan. En 1916 est réaménagée pour recevoir les tablettes du frère de Tan Siauw
Hien, Siauw Ing et de ses descendants [J.C. 17.9. 1899 ; 28.1. 916]).
19. 1899 Vereeniging Tjia Ke Tjoe SoeMWfâffî (dédiée à Tjia Tjien Tiong SfigJÊ, membre
fondateur de la Hokkien Kong Tik Soe et à ses descendants et fondée par ses 3 fils Sien le, Sien
Tjaij #f;t[lieut. 1906-1912] et Sien Bo [J.C. 21.1. 1899]).
20. 1 899 Vereeniging Tjoa Hian Tjaij Kong Soe (dédiée au père et grand-père de Tjoa Tjan Goan
HtR7C, propriétaire foncier, et à ses descendants, ainsi qu'à ses proches parents Tjoa Tjan Tiat,
Tjoa Tjaij Sing et et à leurs descendants masculins; l'association était dotée de nombreux biens,
certains donnés par des femmes) [J.C. 16.6. 1899] ; les nouveaux statuts de 1909 [J.C. 19.3.
1909] précisent que les femmes sont admises dans le comité de gestion, la première est Tan
Bwan Nio).
21. 1901 Vereeniging Lam Yang Tjoe Soe ifâWfàffi (« Association du Temple ancestral des Mers
du sud », fondée et dotée de biens par Han Khong Gie $$JK$î [1851-1932] afin que ses
descendants lui rendent ultérieurement un culte ainsi qu'à son épouse The Hian Nio [J.C. 1.2
1901]).
22. 1902 Vereeniging Tjien Sing Kong Soe tfgfiS&fêlj (dédiée à Oei Wie Khee jftR& ancien
propriétaire de la firme Oei Wie Khee & Co fondée en 1865 [A. Wright, Twentieth Century
Impressions of the Far East, p. 549] et à son épouse Tan le Nio [m. en 1870] et érigée par leurs 3
fils Kang Ting, Kang Yen, Kang Hway KM) [J.C. 6.8. 1902]).
23. 1902 Vereeniging Ong Yong Lien Kong Soe"3L%tWL (dédiée à Ong Yog Lien, son épouse Liem
Twan Nio et fondée par leurs fils Liang Ping, Liang In, Liang Hwie [J.C. 8.8. 1902]).
24. 1902 Vereeniging Tan Ing Bie Kong Soe E^^kH^^ (dédiée à Tan Ing Bie et administrée par
Tan Thian Tjo Mffîfâ et Tan Tjing Hie [J.C. 7.11. 1902]).
25. 1902 Vereeniging Tiang Sing Kong Soe%.*k£ifâ (dédiée à Tjioe Kim Lian M^M, riche
marchand résidant à Pasar Besar m. en 1897 et érigée par ses 3 fils Boen Tiong XJÈ, Boen Bik, -
Boen Pit £* [J.C 28.1 1902]).
26. 1904 *Vereeniging Tan Sont Tjo SoeWT}^.^ (association funéraire pour l'entretien à venir des
tombes de Tan Som Nio, Tjia Hwie Nio et Tan Ho Djan et de leurs descendants masculins,
dirigée par la dame Tan Som Nio et gérée par la dame Tjia Hwie Nio [J.C. 1.7. 1904]).
27. 1904 Vereeniging Sing Ang Tong (temple et association funéraire pour l'entretien des tablettes et
des tombes des fondateurs : Ko Djiong Liang, Ko Tjhing Yan, Ko le Siong, Ko Swie Sing et Ko
Yong Liang [J.C. 7.6. 1904]).

Archipel 53, Paris, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 179

28. 1905 Vereeniging I Bo Yang Ik (temple et association funéraire pour l'entretien futur des tablettes et
des tombes du marchand Tjioe Boen Tiong WSC& de son épouse et de leurs descendants,
fondés par le marchand assisté de ses deux fils Hwee Liong et Hwee Kong [J.C. 15.12. 1905]).
29. 1907 Vereeniging Tan Tong Liep $U%it3 (temple et association funéraire fondés par les fils
(dont Tan Boen Hie W$M et Tan Boen Tjing ffîXfë , 1852-1927) et petits-fils du propriétaire
terrien et membre fondateur de la Hokkien Kong Tik Soe Tan Tong Liep pour leurs ascendants
jusqu'aux arrières-arrières-grands-parents et pour leurs descendants [J.C. 16.8. 1907]. Le temple
qui se trouvait à l'origine Jl. Bongkaran a été réinstallé Jl. Residen Sudirman n° 33, dans les
années 1970.
30. 1910 Vereeniging Begrafenisfonds Bie Tjhiang HH (association funéraire en l'honneur de The
Tian Soe et sa famille à l'exclusion de ses filles mariées et fondée par (The 3$) Siok Lian et Tik
Goan WM ) [J.C. 3.6. 1910]).
31. 1912 * Vereeniging Tee Tjhie Soe Kong Sie (fondée par Kwee Hong Nio, ses trois fils Tee Tjie
Tiong, Tee Tjie Kie, Tee Tjie Ting pour les mânes de Tee Kong Khing et de ses filles Kian Nio
ainsi que pour tous leurs descendants masculins [J.A. 3.12. 1912].
32. 1913 Vereeniging Begrafenisfonds der Familie Tan Boen Hie W$Cfê (association funéraire
pour l'entretien des tombes de la famille de Tan Boen Hie, propriétaire foncier fils du n° 29 [J.A.
21.2. 1913]).
33. 1916 *Vereeniging Liang Tjie Tjoe Tjhoe (temple et association funéraire fondés à l'initiative de
Kwee Lioe Nio, veuve de Tan Tjing Bwee, pour rendre un culte à leurs mânes et à celles de leurs
descendants [J.A. 24.11. 1916]).
34. 1917 Vereeniging The Tjan Hoo Soe Tjong (dédiée au culte des parents du marchand de bois The
Tjan Hoo, The Swie Hok M^Û et Oei Kang Nio [J.A. 30.3. 1916]. Appartenait aux
descendants de la branche de The Lam Khee).
35. 1917 * Vereeniging Thio Lip Tjhiang Kong Soe SH^H^^I (fondée par Tan Hing Nio pour
rendre un culte aux mânes de son défunt mari, des siennes et de celles de leurs descendants [J.C.
3.8. 1917]).
36. 1919 *Vereeniging Kwee Yan Khing Tjoe Tjhoe^j^MW^ (fondée par Oen Lian Nio pour
rendre un culte aux mânes de son défunt mari ainsi qu'aux siennes et à celles de leur
descendance masculine [J.C. 9.9. 1919]).
37.1919 Vereeniging Tjhoe Tjhoe [Soe] Tan Boen Tjing (^'XfÊW^) (association funéraire
pour l'entretien des tombes de Tan Boen Tjing et de son épouse The Ing Nio [J.C. 9.9. 1919]).
38. 1921 Vereeniging Ong Ke Tjoe Soe 3i$fcWfâ (temple et association funéraire fondés par Ong
Pik Kian et Ong Pik Gwie pour l'entretien de leurs tablettes et de leurs tombes et celles de leurs
descendants [J.C. 24. 3. 1921]).
39. 1923 Vereeniging The Sie Khe Sing (association funéraire pour l'érection de tombes des trois
frères marchands The Kian Sing|$IlJ$ (1880-1937), The Kian Aan, The Kian Bien [J.C. 27. 3.
1923]).

Archipel 53, Paris, 1997


A

mardhani
An
Majapahit)
1 . Effigie
Kiong. de
[photo
vénérée
(ép.
Durga
D.Singasari
Lombard]
Mahesasura-
dans le Hok
ou

2. Façade du Hok An Kiong, Jl. Coklat, d'après un cliché du KITLV (début XXe s.).

Archipel 53, 1997


3. Tombe sacrée de Nyai Pinatih, « la grande dame de Gresik », fille de 4. Tombe de Ke Anzhang (Jinjiang,
Shi Jinqing, chef du port de Palembang (XVe s.), [photo C. Salmon] temple des Han (1636 ou plus vrais
5. Le cœur de l'ancien quartier chinois, act. Jl. Karet. [photo D. Lombard]

6. Façade du temple ancestral des


Han, situé Jl. Karet. [photo D. Lombard]

Archipel53, 1997
Illustration non autorisée à la diffusion

7. Intérieur du temple des Han. [photo S. Tjahjanta]

8. Liste des tablettes ancestrales conservées dans le temple, [photo S. Tjahjanta]

l'^:

Illustration non autorisée à la diffusion

Archipel 53, 1997


9. Relevé de la tombe de Han Bwee Kong et de son épouse (1778) ; sous l'inscription, iiuiun i.«->
descendants chargés de l'entretien, [col. K.P. HandayanaJ

Archipel 53, 1997


10. Relevé des tombes du fils aîné de Han
Bwee Kong, Khee Bing (nom posthume
Qingyuan) et de sa 2e épouse Lin
Chengniang (nom posthume Wenshu)
morts en 1768, érigée par leur fils aîné
Soe Sik (sous l'inscription, noms des
descendants de ce dernier, [col. K.P.
Handayana]

T
A

m. il

Bwee
posthume
Zhenjie
11. Relevé
Kong,
(1802).
Chunde),
de Phik
[col.
la tombe
K.P.
et
Longde
Handayana]
du
son
(1761-88,
4e épouse
fils de Zeng
nom
Han

Archipel 53, 1997


12. Relevé de la tombe du 5e fils de Han Bwee Kong,
Kik Long (nom posthume Baolu), cap. de Pasuruan, tué
en 1813 et de sa femme Lin Jianniang (1771-1794, fille
du n°19), nom posthume Yiliang. L'inscription érigée
par leur fils aîné et leurs deux filles est datée de 1794.
[col. K.P. Handayana]

6e
13.fils
Relevé
de Han
de laBwee
tombe
Kong,
de Lin
TokHuirou,
Sing, lieut.
épousepuis
du
cap. à Gresik (1801). On remarquera le titre local
de « (Nyo)nya (nii kapitan) et celui de « Ruren »
décerné aux défuntes épouses de fonctionnaires,
[col. K.P. Handayana]

Archipel 53, 1997


14. Portait
lieut. Surabaya
de Han
(18107-27).
Soe Sik[col.
(1767-1827),
K.P. Handayana,
petit-fils
photodeD. Lombard]
Han Bwee Kong, 15. Portrait de son épouse Lin
Lombard]
NAA
I
(BpymcAt &
vn&dsn, op
rido.
.
BevV
EEN DU
Volgen
Sotrai
16. Portrait du petit-fils de Han Soe Sik, Han Tjoei Wan (1815-95), 17. Action de 1 000 gulden d
lieutenant à Surabaya (1854-74). [col. K.P. Handayana ; photo D. Lombard] Tan Tiam Nio, épouse du n° 1
18. Façade de l'ancien temple
ancestral de la famille Liem (Jln
Karet), dont le premier ancêtre
connu, Lin Huaijing, avait épousé
Han Sik Nio. [photo C. Salmon]

19. Relevé de la tombe de Liem


Ing (nom posthume Tjhan Sam),
qui aurait été capitaine à
Surabaya, et de son épouse Han Tjwan
Nio, fille du capitaine Han Bwee
Kong, nom posthume Shude
(1790). [col. K.P. Handayana]

Archipel 53, 1997


-y

20. Façade du temple ancestral des The situé en face du n° 18. [photo D. Lombard]

21. Inscription commémorant la fondation du temple par les quatre fils de The Goan Tjing : Boen
Hie, Boen Ke, Boen King et Boen Tiong (1884). [photo S. Tjahjanta]

Illustration non autorisée à la diffusion

Archipel 53, 1997


S"
•S* D
TttLEW DAUIB UtttU f
Illustration non autorisée à la diffusion
a 7c su m m ±
/oean M&joot fAe Çoan Tjincj.
22. Portrait de The Goan Tjing, reproduit dans le Boekoe-peringetan. 23. Tableau représentant le
dans le temple, [photo S. Tjahja
24. Généalogie des ancêtres de Nyai Roro Kiendjeng, ép. de Tjoa Kwie Soe (1739-93), suspendu
dans le temple ancestral des Tjoa. [photo D. Lombardl

25. Tombe de Nyai Roro Kiendjeng, sise dans le cimetière de Ampel. [photo D. Lombardl

Archipel 53, 1997


26-27. Portraits de Tjoa Kwie Soe (1739-93) et de son petit-fils Khik Yong (1791-1863) conservés
dans le temple des Tjoa. [photo D. Lombard]

Archipel 53, 1997


•3"
28. Autel ancestral des Tjoa. [photo D. Lombard] 29. Autel ancestral de la famille de
30. Éléments du gamelan possédé par Tjoa Sien Hie (1836-1904). [photo D. Lombard]

31 . Couverture de la traduction partielle du « Code des Qing » par Tjoa Sien Hie (1900).

ATOERAN

HAK OllAM;
POESAKAT.NNA

Dan liai iiiengangkal ;mak


TERSALIN DAM K1TAB IIOEKOEM

TAU TJHIIG LO ET LIE

LuUeoant
B1TJARA
TJOAlilulair
MELAIJOE
SIEN
OLKII
en Handarjjn
EN HIE
OLLAHDA.
5 Mas,

Teetjitak mda
GEBH. 6IMBEKG & Co.
SOERABAIA
1800.

Archipel 53, 1997


32. Autel ancestral du Guangdong gongci fondé en 1856. [photo D. Lombardl

33. Façade du Hokkien Kong Tik Soe, fondé en 1864. [photo D. Lombard]

Archipel 53, 1997


34. De la resinisation des funérailles (ca. 1900 ?). [cliché fourni par M. Charras]

35. Façade du Boen Bio ou Temple à Confucius, Jl. Kapasan. [photo D. Lombard]

Archipel 53, 1997


36. Panneau attestant la fondation du temple à Confucius en 1899. [photo M. Bonneff]
37. Panneau donné par l'empereur Guangxu (1875-1908) vraisemblablement lors de l'inauguration
du temple (1906) ; au centre, sceau impérial, [photo D. Lombard]

Archipel 53, 1997


38
[photoFaçade
D. Lombard]
de l'ancienne chambre de commerce chinoise fondée en 1906, Jl. Kembanga Jepun
*

io^wix de k Tji°ng H°° Hak Tong lors de Ia visite <1907) du diplomate Qian Xun (1853-
1927) [d'après Nio Joe Lan, Riwajat T.H.H.K., 1940, p. 354]

Archipel 53, 1997


40. « Bateau des immortels » (xiandiao) offert par la communauté cantonaise de Surabaya au Hok
An Kiong en 1889. [photo C. Salmon]
41. Spectacle de marionnettes (potehi) au Hong Tik Hian, Kampung Dukuh. [photo D. Lombardl

Archipel 53, 1997


SOERABAJA
CMn«esch« kamp

42. Le « quartier chinois » au début du siècle.


43. Slompretan avec, au premier plan, une boutique de Djie Hong Swie, venu de Chine en 1886.
[cartes postales du début du siècle]

Archipel 53, 1997


44. Vue sur la rue commerçante de Kembang Jepun. [photo M. Charrasl

45. L'association des marchands


d'or originaires de Fuzhou fondée,
en 1930, dans la Jl. Kapasan ; en
1986, siège d'une société
d'entraide, [photo D. Lombardl

Archipel 53, 1997


204 Claudine Salmon

Liste des caractères chinois

Ban Hong Hin Han Junbei


Han Khai Tjiang
BoenBioXM
Boen Tjhiang Soe~%Wfà Han Khing Tjiang t&M.
Chen Baoshen WMM Han Khoen Long $t JËJt
Chen Ciguan Wfâ1^
Chen Yuanguang W-ït^t Han Khong Ling ^M
Dabu tongxiang hui Han Kien Kong It H.
Djie Hong Swie
DjoeTikKongSie Han Kok Ping ft

GieKhie HH Han Phik Long ftllJtft


Giok Yong Kong Hwee Han Ping Tjhing ^^PIE
Go Hoo Swie Han Poo Tjoan ^^^:
Han Renniang ^^^ê
GongZhen^ HanShifeng^iSS
Gucheng huiguan "è^H" Han Sie Lok Hian Tjok Biauw
GuangS
Guangdong gongci Jf Han Sik Nio (Djoe Soen) W»
Guangfu hui ^H# Han Sing Hwie$t$c$§
Guang Zhao huiguan H Han Siok Hian ^MW
Guomin dang M&M
Guo shengwang f|$!S3E Han Siong Kor
Han Boe Siong HSÏfô HanSoeSiek(Guozhu)^M ' M±
Han Boen Sin Po WCM Han Soen Wan Kong Sc
Han Bwee Kong (Ko) $t
Han Chan Piet^^^ Han Tat Wan Kong Soe
Han Gak Long $$&$ Han Thee Long fèlÔÊP

Han Guanyou fëW&të Han Tiang King $$


Han Hing Kon

Han Hong fttfê Han Tiauw Tjong ^H


HanHooLamU^il Han Ting Hway ffifë&BË
Han Hoo Tjoan fëfêM Han Ting Tjiang W&M
Han Ting Tjoen &W&.
Han Ik Kong HM^3fe
HanIngHwie$t7*fli' Han Tjan Gwan 'ÇfeWLjt
Han Tjien Kong &M<à
Han Ing Liong WïKfêk Han Tjiong Khing &^
HanlngSioe^Mfcg Han Tjiong Ling fâ^3$
Han Ing Tjhiang ^^C H Han Tjoe Kong Hfë&-

Archipel 53, 1997


La communauté chinoise de Surabaya 205

Liem Sioe Tien ##^


Han Toan Hwie $&Wffî Liem Tianglo #11^
Lin Huaijing $$H#S

Han Zhaode (Qi) St^ Loe Pan Kong Ngay Koan HSEX1
Louw Toen Siong lÈWtâà

HapLieftlffl
HapTikffiiB
Heshu dongyindu gailan ^MMWJ£M$£ Oei Tiong
Oei Tjie Sien
Hokkien Kong Tik Soe
Hok Tjioe Tong Hio
Hong Tik Hian JK Ong Ing Ho (Wang Ronghe) i3tf □
HooBie ftJH Ong Tjien Hong ^M'M
HooHap
Hoo Tjiong Hak Tong
Hui Chao Ma Huiguan Siï Poo Lam Hwee ^^"É"
Ik Joe Hok Kwan &&#fig Rujia sixiang yu riben wenhua
Jang Seng le ^.âEM
jinshi JÊi San Liem Kong Sie
Kong Tong XM Shengjiao nanji
KangYouwei Mfë%<! Shi Jinqing ifàMW
KeAnzhangM^ shouzu "tïîH.
Khong Kauw Hwee îLÉfci!' Shuyu zhouzi lu ^^M^
Kian Goan ]ÊM. Siang Hwee $5"^
Kiauw Lam Tjong H sioe tjai^yt
Kwa Tjoan Sioe fâikM Soe Boen Hwee ffijtii
Kwee(Guo)fP
Kwee Biet Nio H$®£ê
Lam Yang Hoen Boen Kwan Soe Swie Han Boen Sin Po
Lamyang Tjoe Soe
Soe Swie Tiong Hwa le Wan
Liang Yuansheng
Lie Siong Hwie ^ Tan Hian Goan WMït
Tan Hie Sioe WMW
Liem (Lin) # Tan Ping Tjiat^^fÈî
liem Bong Lien
Liem Gie Nio ^fëÉI&ll Tan Tjoen Goan ^
Liem Ing (Tjhan Sam) P Tang Caizhi
Liem Koen Hian #S^^
Liem Seng Tee #^^Ë Te(e)ng(Tang)0
Liem Sim Nio $^Lx#ll Teng Eng Kiong M

Archipel 53, 1997


206 Claudine Salmon

Tjoa Sien Tik ^^^


Tengmeng hui Tjoa Tjhin Tjjhik Kong Soe %m
Thay Tong Bong Yan fàWWfc Tjoa Tjoan Lok ^è^
The (Zheng) M Tjiong Hoo Hak Tong 4"|Q^
TheBoenHieUBlSCii TongA Kiauw Siang Hiap Hwe
The Boen KeUB&ll
The Boen King WfàM Tong Seng Kong Hwee
The Boen Tiong HP^CJÈ
The Goan Siang WHjtffî Wang Jiahua3Ei^
The Goan Tjing MïtM Xiyangfanguo zhi
The Kian Sing J$g|J$ xiandiao fllj H
TheLamSinlSP'MSI xianzu
The Sie Siauw Yang Tjo Biauw Xiaodao hui
Xincun H? tit
The Tik Goan M XinzhongffiM
Xuannifuhai dao Nanzhou
TheToanLoklÉffféit
The ToanTjiang WM&& Yan Congjian WfâèM
Yougui tang W^l^
Tianbaozhai You Lie XW
Tie (Chi) ?6 Yu SiU
Tik Giefêil Zhangzhoufuzhi
Tio Lin Keng <8kffllM Zhangzhou huiguan fê'Ni^
Tio Siek Giok «MïîrS Zheng He HPln
Tio Tjee An 5S^f^ Zheng Shaoyang Hg^ H
Tiong Hoa Hwe Koan tfcHHitil Zhonghe tang tf^J^I
Tiong Hoa Ping Bin Sip Gee Hwee

Tjan Tiauw Tjwan ^IBII


Tjhoen-Tjhioe #|^
Tjia (Xie) gtf
Tjien Lien Hoo JMffî
TJienTekHoo&WSfc
Tjin Boen Hak Tong WiX

Tjiong Hoo Hak Tong ^fP


Tjit Giap Hoe Tjoe Si
Tjoa (Cai) M
Tjoa Djien Hoo Çg&
Tjoa Djien Sing
Tjoa Sien Hie
Tjoa Sien Ing %

Archipel 53, 1997

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