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Le Témoignage Des Images: Une Interprétation Esthétique de Ricœur
Le Témoignage Des Images: Une Interprétation Esthétique de Ricœur
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Proceedings of the European Society for Aesthetics, vol. 3, 2011
Claudia Elisa Annovazzi Le Témoignage des Images: l'Esthétique de Ricœur
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sur l’image, en rapport avec les œuvres littéraires; aussi bien que dans la ré-
sistance même de la pensée ricoeurienne au mot ‘esthétique’, qu’il a utilisé
peu de fois pendant sa recherche. On ne le trouve que quelquefois dans La
métaphore vive et dans Temps et récit et il constitue l’objet de la dernière
partie de l’entretien publié sous le titre de La critique et la conviction2.
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Nous commençons à entrevoir le rôle joué par cette étrange préférence ac-
cordé par Ricœur au rapport de la métaphore avec son lecteur et qui oublie
la relation de l’œuvre avec son auteur. En reliant l’énoncé métaphorique
à une réalité déjà connue et qu’il s’agirait seulement de porter au langage,
les théories sémantiques retombent dans une théorie associationiste qui
conçoit la métaphore comme la substitution, toujours réversible, d’un
terme connu avec un autre également connu. Et cela signifierait un re-
tour à la conception classique des métaphores mortes qui ne parviennent
pas à la compréhension du pouvoir d’innovation des fictions poétiques. La
métaphore ricoeurienne est, au contraire, vive, parce qu’elle donne vie à
une nouvelle vision de la réalité, qu’on ne peut pas substituer aux termes
précédents parce qu’ elle est le produit de leur vision entrecroisée. Ricœur
dit à ce propos que
il est plus éclairant de dire que c’est la métaphore qui crée la ressem-
blance, plutôt que la métaphore ne formule quelque ressemblance
existant auparavant; […] le point décisif est que la métaphore d’inter-
action, étant insubstituable, est aussi intraduisible, sans perte de con-
tenu cognitif; étant intraduisible, elle est porteuse d’information;
bref, elle enseigne (Ricoeur 1975, p. 113).
3. Du langage à l’image.
On peut déjà aisément entrevoir dans ces derniers mots la question qui
agite la théorie de l’imagination depuis sa naissance dans la pensée platoni-
cienne jusqu’à aujourd’hui. Dans un essai contenu dans Du texte à l’action,
intitulé L’imagination dans le discours et dans l’action, Ricoeur traite des
apories dans lesquelles tombent les théories traditionnelles de l’imagina-
tion qui interprètent l’image soit comme une perception atténuée, soit
comme une pure fiction, soit comme illusion, soit comme quelque chose
qui ne concerne pas du tout la réalité. Or, selon Ricoeur, pour éviter les
apories dans lesquelles tombe la théorie traditionnelle de l’imagination il
faut faire le lien suivant:
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4. Métaphore et art.
Selon cette interprétation du procès métaphorique et de l’imagination
créatrice qui y est en jeu, l’epiphore, qui produit l’intuition iconique et
donne un sens à l’énoncé, est accomplie par le lecteur de la métaphore.
L’auteur ne lui donne que la diaphore, qui fonctionne donc comme un
schème, dans le sens kantien: un schème pour produire des images. L’auteur
ne fournit donc aucune image de ce qu’il veut représenter, mais il ne donne
au destinataire de sa œuvre autre chose que le schème, par le biais duquel
3
À ce regard il faut souligner, en répondant à l’observation que m’a adressé mon cher
ami et estimé collègue Alberto Martinengo, au cours du débat tenuà la European society for
Aesthetics Conference, que cette capacité des métaphores d’engendrer des images constitue
la raison de ce statut liminaire entre herméneutique linguistique et esthétique de l’image.
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il peut se faire une idée de ce que l’auteur entend. Il ne s’agit donc pas
d’une image de quelque chose, mais seulement d’une image pour, c'est-
à-dire, une image avec laquelle le lecteur peut entrevoir, en la répétant,
l’expérience de compréhension faite par l’auteur à l’égard de choses mu-
ettes par excellence, des choses pour lesquelles il n’il y a ni mots ni images.
La théorie de la métaphore, donc, nous donne un accès partiel à «cet art
caché dans les profondeurs de l’âme humaine», comme l’appelle Kant dans
le célèbre passage de La critique de la raison pure4 , qui est l’imagination
productrice et qui manifeste une contrainte commune à toutes les sortes
d’invention.
Ces dernières réflexions nous ramènent aux méditations plus intimes
faites dans les entretiens rassemblés dans La critique et la conviction. In-
terrogé sur son rapport avec l’art, il propose des observations qui vont dans
la même direction que celles que l’on vient de citer sur la métaphore et qui
nous conduisent vers le deuxième point de mon exposé. Ricœur dit:
C’est lorsque la peinture a cessé, au XXe siècle, d’être figurative que
l’on a pu prendre enfin la pleine mesure de cette mimesis, qui a juste-
ment pour fonction, non pas de nous aider à reconnaitre des objets,
mais à découvrir des dimensions de l’expérience qui n’existaient pas
avant l’œuvre. C’est parce que Soulages ou Mondrian n’imitent pas
la réalité, au sens limitatif du terme, parce qu’ils n’en font pas une
réplique, que leur œuvre a la puissance de nous faire découvrir, dans
notre propre expérience, des aspects encore inconnus (Ricoeur 1995,
p. 262).
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Même dans ce cas Ricoeur ne suit pas beaucoup cette merveilleuse intu-
ition. Néanmoins, en ayant établi la référence entrecroisée entre histoire
et fiction, Ricœur nous donne la possibilité d’appliquer les catégories de la
fonction de représentation propre de l’histoire aux récits de fiction. Tout
d’abord, il faut résumer brièvement les concepts qui gravitent autour de la
notion de représentation liée au passé historique.
Avant tout, l’historien adresse sa recherche à une réalité passée et ab-
sente, dont il n’y a que des traces. Ces traces sont pour l’historien des docu-
ments, des évidences qui fonctionnent comme garantes de ce qui est passé.
Cependant les traces ne suffisent jamais à la reconstruction de l’image du
passé, dont l’historien est à la recherche. L’historien consacre une partie
importante de sa vie à la recherche et à l’étude des traces pour se former
une image vraisemblable de ce qui est passé. Et malgré cela, malgré son
travail et la preuve fournie par la trace, rien ne peut assurer que la recon-
struction de l’historien soit exacte. Ni exactement identique, ni exacte-
ment différente, l’image du passé élaborée par l’historien est seulement
probable et vraisemblable6.
Encore, elle ne peut être communiquée que dans le récit rapporté par
l’historien, inséparablement entrelacé avec les contingences liées à sa sin-
6
Cf. Ricoeur 1985, pp. 183-184.
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gularité historique. De plus, puisque nous ne sommes pas tous des histo-
riens, la trace, nous dit Ricoeur, est visible par tous, mais elle est déchif-
frable seulement pour quelques-uns (Ricoeur 1985, p. 181). Pour la plupart,
il n’il y a d’autres possibilités de connaitre ce qui s’est passé qu’en ayant
confiance en l’historien. Le lecteur est naturellement doué de la faculté
de juger de manière critique le récit de l’historien. Mais s’il veut juger le
témoignage de l’historien, il ne dispose d’autre moyen que de le confronter
avec les autres preuves, qui sont elles aussi seulement probables et révoca-
bles et qui ne fournissent aucune certitude même à celui qui reçoit le té-
moignage de l’historien (Ricoeur 1985; pp. 232-236, p. 271). De toute façon,
puisque l’original sur lequel on peut vérifier la correspondance de la recon-
struction de l’historien n’est plus là, autant le lecteur que l’historien lui-
même doivent appuyer leur jugement sur une base considérable de hasard
et de confiance, qui portent à se former une opinion concernant une cer-
taine image du passé.
6. L’herméneutique du témoignage
Ce sont-là les aspects principaux concernant la fonction de représentation
des récits historiques. On pourrait bien passer tout de suite à la superpo-
sition de ces caractères au récit de fiction. Mais tout d’abord on ne peut
pas éviter une observation. Les caractères de la fonction de représentation
de l’histoire sont clairement les caractères du témoignage. Cette réflexion
ne peut étonner personne. Mais elle est beaucoup plus signifiante si on
la relit à travers l’interprétation du témoignage donné par Ricœur dans
un essai de 1975, L’hermeneutique du témoignage7. Suite aux questions ou-
vertes par Jean Nabert, Ricoeur s’interroge sur les conditions de possibil-
ité pour la philosophie de se confronter avec les témoignages de l’absolu
dans l’histoire. C’est pourquoi il analyse d’abord les signifiés du concept
commun, et ensuite ceux du concept biblique du témoignage.
Au niveau du sens commun, le concept de témoignage présente trois dif-
férentes dimensions sémantiques: empirique, juridique et pratique. Dans
son sens empirique, le témoignage est le récit rapporté par un témoin qui
était présent à d’autres qui n’étaient pas présents lors des événements.
Mais on montre tout de suite que le témoignage, même à ce premier niveau
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L’herméneutique du Témoignage, in Ricoeur 1994, pp. 87-139.
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n’est pas si simple: le témoin ne peut pas rapporter les faits; il rapporte
son interprétation des faits. Sur cet élément d’incertitude jaillit le sens ju-
ridique du témoignage. Ceci concerne le jugement inévitablement risqué
que le témoin et ses auditeurs doivent hasarder sur les faits et, dans le cas
de l’auditoire, même sur le témoin. Cela nous conduit au troisième signifié
du témoignage dans un sens commun, c'est-à-dire le témoignage pratique:
seules ses œuvres peuvent manifester la croyance du témoin et sceller sa
bonne foi8.
Le concept biblique de témoignage confirme et approfondit les aspects
apparus dans le sens commun du témoignage. La figure du prophète bi-
blique présente deux nouvelles appréciations du témoignage. D’abord, le
témoin n’est pas quiconque s’avance et dépose, mais celui qui est envoyé
pour témoigner9. Ensuite, le témoin est, dans le cas du prophète comme
dans le cas de Socrate ou du Christ, un martyr de la vérité, qui donne sa vie
pour le devoir de témoigner, qui, de par sa vie, témoigne la profondeur de
sa foi dans ce qu’il témoigne10. Ce discours sur la martouria ton ergon, le
martyr et le témoignage des œuvres est risqué, et Ricœur le sait bien; mais
son but n’est pas de rapporter immédiatement les caractères bibliques du
témoignage au niveau de la vie commune; l’aspect extrême que les dimen-
sions bibliques du témoignage assument, fait apparaitre des éléments déjà
présents mais de manière moins évidente dans le concept commun du té-
moignage11.
De cette manière il faut souligner aussi le sens néo-testamentaire du té-
moignage. Ricœur se focalise sur l’Evangile de Jean. D’abord, il émerge
une sorte de court-circuit entre témoignage intérieur et témoignage ex-
térieur: Jean témoigne que Jésus est le Christ, mais il n’a pas d’autres
preuves pour appuyer son témoignage, autres que les œuvres accomplies
par le Fils et sa conviction, une voix intérieure -dont il ne peut pas se
débarrasser- qui lui dit que les œuvres de Jésus sont celles de l’envoyé de
Dieu. Mais Jésus lui même n’a que ses œuvres et sa conviction intérieure
qui lui prouvent qu’il est l’envoyé de Dieu12. Témoignage intérieur et té-
8
Cf. Ricoeur 1994, pp. 110-117.
9
Cf. Ricoeur 1994, p. 118.
10
Cf. Ricoeur 1994, pp. 116-117.
11
Cf. Ricoeur 1994, p. 116 et p. 118 en particulier.
12
Cf. Ricoeur 1994, pp. 124-125.
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historique s’est désormais chargée de tous les signifiés parus avec la notion
du témoignage. Cela nous pousse à penser que la fonction de l’art peut être
investie de tous les caractères qu’on a vu vis-à-vis du témoignage. Et dès
lors on peut se demander: l’artiste lui-même n’est-il pas appelé à la respon-
sabilité de donner son témoignage à ces dimensions du réel qui ne sont pas
visibles aux yeux de la description, à l’égard de la vie quotidienne?15 C’est
vrai, ces dimensions ne sont pas évidentes, elles ne sont pas sous les yeux
de quiconque. L’artiste lui-même doit risquer son jugement sur cette réal-
ité et il n’a pas de preuves absolues qui lui confirment son jugement. Il est
contraint dès lors à communiquer son témoignage avec ses propres con-
victions intérieures et avec ses propres caractères, son expérience vécue,
ses spécificités de compréhension et de communication.
Son témoignage ne sera jamais adéquat à la vérité qu’il veut transmettre.
Il l’a compris à l’improviste, mais elle est passée. Il a employé le reste de sa
vie pour la reconstruire et la communiquer aux autres. Il n’est pas sûr que
son auditoire comprenne son témoignage. Et malgré tout, l’artiste peut
témoigner. Il peut témoigner des dimensions du réel qui ne pourront être
sauvées que par l’art. Il donne son témoignage risqué, confiant dans sa
capacité de témoigner, dans la capacité du vrai de se témoigner dans son
témoignage même, dans la capacité de son auditoire de comprendre cette
vérité. Il donne son témoignage, enfin, à tout ceux qui n’ont pas d’autres
chances d’atteindre ces réalités fragiles si ce n’est en s’en remettant aux
capacité extraordinaires de l’artiste.
De cette manière l’art peut non seulement offrir son témoignage à ces
réalités, qui trop souvent sont oubliées par le monde moderne technique,
15
Cet aspect de mon propos, bien que proche des conceptions romantiques du génie,
n’encoure pas les mêmes critiques que l’on pourrait rattacher, comme un éminent col-
lègue — que je remercie à ce titre — m’a fait observer pendant notre travail lors des
European society for aesthetics conferences. En s’appuyant sur le schématisme kantienne,
la théorie poétique ricoeurienne n’exige pas que le spectateur de l’œuvre d’art répète la
même expérience vécue par l’artiste, mais elle demande seulement qu’il reconstruise dan
sa vie et dans son monde une expérience nouvelle, par le biais du schéma de l’œuvre pro-
posé par l’auteur. L’objectivité de l’expression artistique, si bien soulignée par Ricoeur,
constitue une défense indépassable contre toutes tentatives de fusion spirituelle entre au-
teur et spectateur. Cf. à ce propos les leçons tenues par Ricoeur au Centre des Recherches
Phénoménologiques de Paris, en 1973-74, publiées en traduction italienne par R. Messori: P.
Ricoeur 2002, p. 45.
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References
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bolique du mal. Paris: Aubier-Montaigne.
— (1975). La métaphore vive. Paris: Seuil.
— (1983). Temps et récit. Paris: Seuil.
— (1984). Temps et récit. Tome II. La configuration dans le récit de fiction.
Paris: Seuil.
— (1985). Temps et récit. Tome III. Le temps raconte. Paris: Seuil.
— (1985). Du texte à l’action. Paris: Seuil.
16
Semprun 1994, p. 25.
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