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TRAITE COMPLET peta FABRICATION DES BIERES, at or a. DISTILLATION DES GRAINS, POMMES DE TERRE, VINS, BETTERAVES, MELASSES, ETC. b hess, 639 ae TRAITE COMPLET DE LA FABRICATION DES BIERES FT DE LA DISTILLATION DES GRAINS, POMMES DE TERRE, VINS, BETTERAVES, MELASSES, ETC. comramant ‘TOUS LES PRINCIPAUX PROCEDES, MACHINES ET APPAREILS UsiTés EN ANGLETERRE, EN ALLEMAGNE, EN BELGIQUE, BN FRANCE, EN HOLLANDE, ETC. v'on annéch ox ourrinenris-técistarions sun css psx inpusTuiss, ' EF DE QUELQUES CONSIDERATIONS SUR L'IRFLUENCE QU'exGRCENT Las LoIs wiscates sum Leon péveLoPramenr 2F LA MATURE DE LEURS PRODUITS. Par ©. Lacambre, rale des arts et manufactures de Paris, a Ia dite Heote ingéni le Vancienne Société dea Baassences ssvees, te. ee. TOME DEUXIEME. BSruzelies, LIBRAIRIE POLYTECHNIQUE D'AUG. DECQ. RUE DE LA MADELAINE, 9. 1834. Wl. o ~, “ul Pao COoRae LIVRE DEUXIEME. DE LA DISTILLATION. AVANT=PROPOS. Sayais d’abord pensé de publier séparément la fabrication des biéres et la distillation, par le motif que ce sont deux indus- tries bien distinctes et séparées par la plupart des législations qui les régissent dans les différents pays. Mais comme malgré cela art du bresseur et celui du distillateur de grains, de pommes de terre, de betteraves etc., se trouvent souvent réunis dans une méme usine ou un méme établissement agricole, et quiils sont fréquemment dirigés. ou exploités par les mémes industriels, j'ai pensé que pour un assez grand nombre d’entre eux il serait utile de les réunir dans un méme ouvrage, par le motif qu’en combinant bien mon plan d’ensemble, cela me permettait de traiter plus complétement chaque partie tout en réduisant plusieurs chapitres communs a ces deux industries, quill edt été indispensable de reproduire tout au long dans chaque livre si je les avais publiés séparément. Si done quelques brasseurs et quelques distillateurs, qui mexercent qu'une de ces deux industries, eussent pu se passer de l'une ou l'autre partie de ce traité, si elles avaient été publiées séparément , ils me pardonneront bien , je l'espére, s'ils réflé- chissent qu’a peu prés pour le méme prix, ils ont ainsi les deux traités réunis en ‘un seul, et que la plupart d’entre eux trouve- 1 u ront des choses fort utiles dans la partie qui ‘ne les concerne point d’une maniére spéciale. Comme je l’ai annoncé dans la préface générale de cet ouvrage (1), ou j'ai expos¢ les motifs qui m’ont déterminé & adopter le plan que j'ai suivi pour ce traité; j'ai divisé ce livre, comme le premier, en trois parties, en suivant sensiblement le méme ordre de matiére que pour la fabrication des biéres. Comme dans la premiere partie de cet ouvrage, je serai sobre de dissertations et de digressions inutiles, et pour éviter autant que possible des redites, je prendrai fréquemment la liberté de renvoyer le lecteur d’une partie 4 l'autre de cet ouvrage. Si parfois malgré cela, on remarque quelques répétitions, c'est que je les ai jugées utiles, pour faciliter intelligence de ce que je dis aux personnes peu familiarisées avec les questions que je traite. (1) Pourfintelligence de la division de cet ouvrage voir cette préface, tome 1°", LIVRE DEUXIEME. DE LA DISTILLATION. PREMIEME PARTIE. DE LA DISTILLATION EN GENERAL. CHAPITRE PREMIER. @rigine historique, importance, générale des opéra: ition et mature Origine historique. — Lorigine de l'art de préparer les boissons fer- mentées avec des fruits, et méme avec des céréales, comme on a vu au commencement du 4" volume, se perd dans la nuit des temps. Les Grees et les Romains préparaient des vins de raisins, et rlous ont méme transmis les régles pratiques qu’ils observaient pour cette fabrication. Les Egyptiens connaissaient déja la transformation des céréales en boissons alcooliques, et la biere, disent plusieurs historiens, était méme Tune de leurs boissons favorites : mais nous ne possédons aucun ‘docu- meat, qui puisse nous faire soupgonner que ces peuples aient connu ~ Yart de séparer de leurs boissons fermentées, le principe vivifiant auquel est due la propriété enivrante de toutes les liqueurs et auquel ona donné les noms d’eau-de-vie ou d'alcool, suivant son degré de force, c’est-~a-dire de spirituosité. Les peuples de I’Asie mineure, paratt-il, connaissaient depuis un temps immémorial l'appareil distillatoire que nous appelons Alambte —4e- simple, et ils sen servaient pour séparer I'huile essentielle des plantes aromatiques, comme nous le faisons nous-mémes aujourd'hui; mais il rest pas 4 notre connaissance qu’ils 'aient utilisé pour la séparation de Valcool des boissons fermentées. L-Alambic, parait-il, est d'invention arabe, et le nom lui-méme a été importé chez nous, de chez ce peuple avec l'appareil. Nous devons trés-probablement 'acqui excursions que firent les Francais en Arabie, 4 l’époque des Croisades ; car cet appareil est originaire de ces contrées, et c'est de cette époque que date pour nous sa connaissance. On sait, en effet, que les croisades, ces guerres absurdes dirigées par la piété de nos monarques et preux chevaliers, contre I'hérésie asiatique, ne furent pas stériles pour le déve- loppement de nos connaissances en général et de notre industrie en particulier. L’Asie est pour nous le berceau des arts et des sciences ; c'est 14 que puisérent les Egyptiens qui, depuis, nous transmirent quel- ques lambeaux des sciences de I'Inde, par l'intermédiaire des Grecs et des Romains. Mais cette source, la plus reculée que nous puissions assigner aux développements de l'esprit humain, n'a point tari subite- ment, et Egypte, la Gréce et Rome avaient brillé a une époque oi I'Asie conservait encore quelques traces de son ancienne splendeur. Ce fut done 4 l’époque oi les croisés allérent porter leurs armes bénies sur le sol natal des arts, que l'industrie s‘enrichit chez nous de nouveaux moyens et commenca 4 prendre quelques développements. L'Alambic fut_ une conquéted cette époque, et il servit chez nous aux meémes usages qu’en Arabie, jusqu’a ce que l'alchimie, qui suivit de prés les croisades, s'emparat de cet appareil pour la recherche de la pierre philosophale. Vhistoire ne nous a point transmis le nom de l'homme ingénieux qui, le premier, sépara alcool du vin avec cet appareil; mais tout nous porte a croire que c'est dun alchimiste que nous devons cette impor- tante découverte. Avant le xu* siécle , nous ne trouvons nulle part des documents qui puissent nous faire supposer qu'on connaissait I'alcool ou l'eau-de-vie. Arnaud de Villeneuve, Raymond de Lulle, sont les premiers auteurs qui aient donné la description des procédée employés, de leur temps, pour la distillation des vins. Leurs ouvrages datent du xu siécle, ce sont Jes plus anciens que nous ayons sur cette maliére. Pendant plusieurs siécles les vins furent en possession de fourair au commerce et a l'industrie, tous les liqnides alcooliques qu'on con- sommait ; et durant cette époque o8 l'art de la lation s'exerca sur —b- Jes vins souls, il ne se compose que de Vopération physique qui a pour but, et pour résultat, la séparation de l'alcool. Mais la science ayant depuis indiqué la présence de alcool dans toutes les boissons qui avaient subi la fermentation spiritueuse, l'art ne tarda pas 4 enseigner les moyens de l'extraire, et ouvrit ainel une nouvelle et vaste carridre 4 cette iodustrie déja trés-importante. La plupart des contrées non viti- coles, qui avaient trouvé Je moyea de préparer une boiscon analogue aux vins de fruit, avec les produits de leur sol, apprirent bientét Aen isoler l'alcool. De 1a l'art de distiller les céréales et les pommes de terre, qui est sans contredit la branche la plus importante de l'industrie dont nous avons & nous oeewper dans ce livre. Et cette importance est si grande, 4 mes yeux, non-seulement au point de vue de cette industrie en elle-méme, mais encore et surtout sous le point de vue de I'éco- nomie agricole et méme politique et sociale, que je crois devoir m'y arréter un moment avant d’aller plus loin. Isapertamce de Ia distillation cm général, et de Ia dis- UHation des grains en particulier. « Hy a des industries qui ont une connexilé intime ayec l'agricul- Jure, telles sont les distilleries, les sucreries, et les {éculeries. Les tra- vaux de ces fabriques ne s‘ouvrent guére qu’en automne et cessent géaéralement avec le printemps, juste au moment ou les travaux des champs commencent a exiger un plus grand nombre de bras. « Ces industries ne sauraient donc tre trop recommandées aux culti- vatewrs, puisqu'elles leur fourvissent les’ moyens d’occuper en hiver les populations qui les entourent, de nourrir une plus grande quantité de bestiaus et de oréer une masse plus considérable d'engrais. ‘» Ces mols extiraits d'un rapport, au minisire de l'agriculture et du commerce de la république frangaise, fait par M. le représentant Pom- mier, au nom de la commission spéciale de statistique et de législation, en réponse A la circulaire ministérielle du 96 avril 1848, posant Ia ques- tion de savoir, quels sont les meilleurs moyens 4 prendre pour faire refluer dans les campagaes le trop pleia des populations ouvriéres des grands eentres maoufagturiers, prouvent combien aujourd'hui en France, on attache d'importanee aux industries agricoles. Or de toutes les industries rurales agricoles, il n’en est point assurément qui ait autant d'importance que la distillation. En effet, cette industrie peut $e pratiquer en tout lieu et s'exercer sur de vastes éehelles dans presque tous les pays. Elle s‘exerce sur une foule de produils naturels du sol queHe permet de transporter au loin en tes transformant en des matidres moins pondéreuses et en augmentant considérablement leur valeur. Or, quelle autre industrie agricole réunit tous ces avantages au méme degré que la distillation : nulle, jose le dire hardiment. Que le lecteur me permette d'entrer ici dans quelques détails pour démontrer ce que je viens d'avancer ; car ce sujet mérite bien de fixer Yattention des industriels et des agronomes, aussi bien que celles des économistes et des législateurs qui ont beaucoup dit et beaucoup fait, pour et surtout contre cette industrie, par le motif malheureusement que la plupart d’eatre eux, jusqu’a ce jour, ont été guidés par des vues morales et fiscales, fort louables au fond, mais qui les ont amenés souvent a des conclusions peu sages, 4 mon avis, car elles ne reposent sur aucun principe solide d’économie politique, et n’ont produit que de mauvais résultats matériels, sans atteindre leur but moral. En 1837, un ministre belge, pour obtenir une augmentation d'impét sur les boissons distillées, fit un tableau effrayant de la progression des crimes et délits, commis dans le royaume, sous le régime de la-loi de 4833. On s'alarma au nom de Ia morale publique et on vota une majoration de droit sur la fabrication. Ce n'est pas tout; pour rémédier au mal d'une maniére infe jle,on mit un droit de consommation sur toutes les boissons distillées ; mais le mal résistait au reméde, et le nombre des délits augmentant sans cesse, on augmenta encore le droit qui fut successivement porté de 22 centimes a 40, puis 4 60, et enfin a 4 franc, taux actuel. Eh bien! le croirait-on, le mal existe toujours! peu importe dit-on, le reméde appliqué & haute dose finira par devenir excellent (1). Voila le résumé des motifs que les législateurs ont partout et toujours fait valoir pour justifier la majoration des droits sur les boissons distil- lées ; mais malheureusement il faut autre chose que des lois fiscales pour modifier la morale publique. C'est ce que je démontrerai plus loin, ici je me bornerai 4 exposer sommairement les avantages de cette indus- trie, considérée au point de vue économique et agricole. D'abord la distillation en isolant le principe le plus remarquable que Ia fermentation alcoolique développe, permet d’utiliser bien des pro- duits du sol, qui ayant subi un commencement d'altération, seraient impropres tout autre usage : C’est la distillation, qui en séparant I'al- cool des vins communs ou altérés, donne a ces derniers des débouchés (1) Il vient de paraitre une nouvelle brochure, intitulée : Réforme générale des impéts, signée A. Godin, qui toujours dans le méme but de morale publique, pro- pose trés-sérieusement de doubler impdt actuel en Belgique. -—7- et des emplois qu’ils ne pourraient avoir sans elle. La distillation est donc pour les pays viticoles une branche industrielle d’ane grande uti- lité; mais Vart du distillateur ne borne point la. les ressources qu'il présente 4 V’agrioulture. En effet, la distillation des grains et des pommes-de terre, qui peut s‘appliquer partout et toujours, non-seulement permet, mais encore est souvent le seul moyen, de mettre en culture ou d'améliorer le sol de bien des localités éloignées des centres de populations et qui manquent de voies de communication faciles. Que sont, en effet, la plupart de ces distilleries rureles, si ce n'est de grandes exploitations agricoles qui transforment les produits de leur propre sol-en fumier, en bétes grasses et en alcool. Ces deux derniers produits d'un transport plus facile que Yeurs denrées en nature viennent alimenter les villes, et le fumier, cette base essentielle de toute culture, leur reste pour améliorer leur sol. Ces distillateurs analysent, en quelque sorte, les produits de leur sol trop pondéreux pour les exporter en nature; ils en extrayent la quintes- sence, qu’ils expédient au loin & peu de frais, et toutes les matires minérales de leurs récoltes, tous les résidus qui constituent du fumier _ leur restent pour engraisser leurs terres. C'est ainsi qu’ils peuvent rendre tous les ans 4 leur sol ce qu’ils lui ont enlevé ‘et souvent plus quils ne lui enlévent en matiéres azotées de toutes natures, ce qui leur permet d'améliorer leurs terres, tandis que s'ils exportaient leurs produits en nature, comment dans les localités qui ne sont pas 4 la portée des grands contres de population, pourraient-ils améliorer leur sol ou méme lentretenir dans un état normal de fertilité ; car alors, ‘comment lui restituer ce qu'on lui enléverait 4 chaque dépouille? Or, comme on sait, le sol n'est pas inépuisable, et si on ne lui restitue pas less matiéres minérales et animales qu’on lui enléve avec chaque récolte, il ne tarde pas a s‘appauvrir et a s'épuiser entigrement : ils devraient done sans tarder, se procurer au loin, et a grands frais, dos engrais qu’ils auraient exportés, ou bien moins exiger de leur sol en réduisant leurs cultures 4 des assolements moins épuisants, et par conséquent, moins riches, ce. qui, en derniére analyse, serait une diminution dans le revenu net du sol, et par conséquent, une perte réelle pour la fortune publique. La plupart des distillateurs et des agronomes savent fort bien cela, ils n'ignorent pas importance et I’étendue des services que les distil- leries rurales de grains et de pommes de terre ont déja rendus, et ceux bien plus grands encore qu’elles sont appelées 4 rendre Vagriculture 5 mais les Iégislateurs, sans doute, ne le: comprennent pas aussi bien —8— malbeureusement ; car les lois qui régissent ces industries en sont une preure manifeste. Ba effet, si les législateurs étaient bien pénétrés des avantages, selon moi, immenses et incontestables qui pourraient résulter pour lagri- culture, de l'extension qu'il serait facile de donoer a ces établissements par une protection sagement combinée, ils u‘hésiteraient pas 4 modi- fier des législations qui, tout en ayant lair de les protéger, les place dans des conditions telles que leur existence est sérieusement com- promise (4). En effet, il n'est malheureusement que trop vrai, que depuis cing six ans, un grand nombre de distilleries agricoles belges et hollandaises, ont travaillé & perte; est-il besoin d’aillears d’avancer ce fait, lorsqu'il a été constaté que depuis trois 4 quatre ans, un quart au moins de ces distilleries ont cessé de travailler dans ces deux pays, et nous démon- trerons dans Ia troisiéme partie que la cause principale de cet état déplorable de t'industrie agricole la plus importante, sous tous les rap- ports, réside dans Ia législation, qui cependant, de tous temps, aeu en vue les intéréts agricoles; mais, comme on verra, elle péche par sa base, car elle n'atteint pas son but et a amené des résultats diamétra- Jement opposés 4 ceux qu'elle s'est proposé d’obtenir. C'est ce que M. Cloquet, distillateur belge et agronome fort éclairé, a démontré dans un mémoire trés-logique qi \dressé an congrés agricole qui, en septembre 4848, s'est réuni 4 Rruxelles, Nous aurons plus loin revenir sur cette question de législation, et 4 ce sujet jaurai occasion de revenir aussi sur le mémoire en question; mais qu'il me soit permis, en attendant, d’en citer ici un petit passage qui corrobore mon opinion au sujet de Vimportance que j'attache aux distilleries agricoles. Voici comment s'exprime, dans son rapport, ce distillateur agronome : « Le développement normal et complet des distilleries agricoles, Cest-a-dire de celles auxquelles est joint une exploitation rurale, don- nerait immédiatement 4 agriculture les avantages suivants : 4° il Permettrait de modifier en l'amétiorant le systéme de culture de plu- sieurs de nos régions agricoles, par Vintroduction de l’engraissement du bétail 4 V’étable et d'un assolement rationnel admettant les racines fourragéres; % il faciliterait la mise en valeur d'une grande partie des terres cultivables, actuellement improductives. » Apres avoir démontré la véracité de ces faits et envisageant la ques- (1) Voir plus loin la législation belge sur les distilleries, of ve que jen dis au chapitre m de la troisi -9- tion sous le point de vue purement agricole, M. Cloquet s'attache a prouver que toutes les distilleries de grains devraient se trouver dans les campagnes oi les engrais manquent et sont de premitre nécessité, et non dans les grands centres de population oi les fumiers et autres substances qui peuvent en tenir lieu, sont toujours en surabondance. Puis il démontre que la réductionde 18 pour 100 sur le droit d’accise en faveur des distilleries agricoles proprement dites, est insuffisante pour les protéger contre la concurrence des grands établissements, surtout dans les conditions de capacité de cuve-matiére etc., que leur impose la loi pour leur accorder la remise en question. L'auteur de ce mémoire entre A ce sujet, dans des détails de chiffre qui prouvent clairement ce quill avance. . M. Cloquet qui, dans son intéressant mémoire professe de fort bovs principes d’économie rurale, lesquels sont parfaitement d'accord avec les vrais principes d’économie politique; car, l'on arrive aux mémes conclusions que lui en partant du rapport de la commission de légis- lation, dont j quelques mots au début de cet article. Nous venons de dire en peu de mots quelle importance ont les dis- tilleries sous le point de vue agricole, un mot maintenant sur leur importance industrielle et commerciale. Considérée d'une maniére générale, toute opération qui change Ia forme des choses pour augmenter leur valeur, est une véritable: pro- duction ; considérée d'une maniére relative, c'est une richesse d’autant plus grande pour un pays que la nouvelle production a plus d'impor- tance et qu'elle s'exerce elle-méme sur des produits indigenes, comme c'est généralement le cas pour la distillation. Or, sur quelle échelle ne s‘exerce pas la distillation des vins dans le midi de 1 Burope et de la France surtout, dont les eaux-de-vie s'exportent dans tous les pays et constituent uo des revenus les plus importants des pays viticoles. Mais In distillation des grains, dans la plupart des Etats du nord de Europe, se pratique sur une échelle bien plus vaste encore. L’Angleterre, la Prusse, la Suéde, le Danemark, la Saxe, le Hanovre, la Belgique et la Hollande surtout, fabriqueat des quantilés énormes de boissons distil- 1ées, qu'on exportent en grande partie dans les pays transat}antiques. Le geniévre de Hollande ne constitue-t-il pas 4 lui seul un commerce immense, et n’est-il pas l'une des principales source de richesse de ce pays. Je me bornerai ici a ces considérations générales, persuadé que tous détails a ce sujet seraient au moins superflus. — 10 - Definitions ct mature gémérale des epérations. La distillation proprement dite, considérée d'une maniére ‘absolue, est une opération physique par laquelle on sépare d'une substance des principes volatils; considérée au point de vue de l'industrie qui nous occupe, c'est une opération par laquelle, au moyen de la chaleur, on sépare l'alcool des liquides et autres matiéres qui en renferment. Mais comme on sait, il n'y a que les matiéres qui ont subi la fermentation vineuse qui en renferment, et ne peuvent subir de fermentation alcoolique que les matigres qui renferment du sucre; celles qui n’en renferment point doivent donc étre préalablement transformées en matiéres sucrées : c'est cette transformation des matiéres féculentes en matiéres plus ou moins sucrées, que les distillateurs, de méme que les brasseurs, désignent communément sous le nom de macération, et que les chimistes désignent généralement aujourd'hui sous le nom de sac- charification ou de fermentation saccharine. Cest l'ensemble des opérations chimiques et physiques, que nous venons de désigner, qui constituent ce qu'on entend généralement, et ce qu'on doit entendre, par distillation des grains, des pommes de terre et autres matiéres féculentes. Les produits de la premiére distillation des matiéres premiéres qui ont subi la fermentation alcoolique, ne se composent pas uniquenient alcool, et regoivent différentes dénominations selon leur degré de spirituosité et leur origine ; c'est ainsi qu'on désigne sous le nom de flegme les produits de la premiere distillativn, lorsqu'ils n'ont qu'un faible degré de spirituosité, ceux qui ont le degré de concentr: voulu pour la consommation de bouche, ont recu les noms d’eau-de-vie ou de geniévre, suivant qu’ils proviennent de la distillation de fruits ou de matiéres féculentes. Les vins, les cidres, les bidres, les grains et autres matigres premiéres dont jentretiendrai le lecteur dans ce volume, donnent a la distillation des eaux-de-vie ou produits alcooliques qui ne différent que par la pré- sence d'une trés-faible proportion d'huiles volatiles diverses, qui leur communiquent toutefois, des govts bien différents, qui rappellent ordi- nairement leur origine, ce qui leur donne souvent un cachet particulier bien caractérisé. Généralement tous les produits d'une premiére distillation se trou- vent mélangés avec une plus ou moins grande quantité d'eau, et quand on veut obtenir des produits plus purs et plus concentrés, on distille ordinairement une seconde et souvent une troisiéme fois le premier produit; ce sont ces opérations qu'on nomme cohobation ou rectification. CHAPITRE DEUXIEME. Dep matiéres premiéres prepres a la distillation en . séneral. Comme on sait, on peut tirer de l'alcool d'une multitude de sub- stances végétales de natures bien différentes : 1° de toutes les boissons et liquides alcooliques, comme les bidres, les vins, cidres, etc.; 9° De tous les fruits, racines et autres matiéres sucrées , comme les raisins, les cerises, les betteraves, les topinambours, les sucres et siraps; 5e Enfin de toutes les matiéres féculentes, comme les céréales, le riz, les pommes de terre, les féves, haricots, etc. D'aprés cela, on voit que les matires premieres propres a la fabricatien de V'alcool, se divisent naturellement en trois classes bien distinctes. Dans la preméére classe se rangent toutes les matiéres qui renferment Yalcool tout formé, et doanent immédiatement, par une simple distil- lation, tout l'alcool qu’elles renferment. Dans la seconde classe viennent se placer toutes les matiéres sucrées, qui par une fermentation conve- nable donnent des produits alcooliques propres a 1a distillation. Bofin les substances féculentes, qui pour fournir de 'alcool, demandent deux opérations chimiques préalables, qui les transforme d'abord en glucose, puis en alcool, constituent une troisiéme classe qui est Ia plus impor- tante. Nous diviserons donc ce chapitre en trois sections correspondant chacune A l'une des trois classes que nous venons de mentionner et de définir. SECTION PREMIERE. Bes boissons ct maticres aleeoliques. Les soules boissons et matiéres alcooliques qui méritent d’étre men- tionnées ici d'une maniére spéciale sont, en suivant Yordre de leur importance pour la distillation : Jes vins, les marcs de raisin, les bidres et les cidres; encore, ces trois derniéres matiéres n’ont-elles qu'une importance bien secondaire. - 12+ Bes vine considérés comme mati¢res premitres de la distillatk Deux circoustances principales doivent guider le distillateur dans le choix ou le prix de ses vins. La pr ¢ et 1a plus importante est celle qui se rapporte a la richesse alcoolique des vins, la seconde est relative la qualité des produits que le fabricant peut en tirer. Plus un vin est riche en alcool, et plus aussi i] offrira davantages au distitfateur. Il est facile de s‘assurer de la quantité d'alcool que le vin renferme au moyen de l'appareil que M. Gay-Lussac a perfectionné pour ces essais, et qui donne directement, par une distillation en petit, le volume d’al- cool anhydre contenu dans une quantité donnée de vin. fi suffit pour cela de distiller le tiers du vin, de prendre ia richesse du produit de ta distillation au moyen de l'alcoométre Gay-Lussae et de diviser par trois la proportion que I'instrument indique. La valeur du vin considérée soug le rapport de la qualité des pro- duits obtenus, ne peut pas s'apprécier aussi facilement; elle dépend de plusieurs circonstances tout a fait indépendantes de la fabrication et que la dégustation seule peut faire connattre. Les vins blanes ne donnent généralement pas une plus grande qualité d'alecol que les rouges; mais, communément, ils sont de meilleuro quantité pour la distillation, par Je motif que n’ayant point euvé oa ayant cuvé moins longtemps que les vins rouges sur les raffles et les pellicules des raisins, ils rériferment moins de tes huiles essentielles qui se trouvent au-dessous de la pelli- cule du grain et se dissolvent dans le mont 4 la faveur de Ia tempéra- ture ot de l'ateool que développe la fermentation (1). Les vins qui ont un godt de terroir prononcé, te communiqoent . généralement 4 l’eau-de-vie qu’on en retire. Cest ainsi que certains vins du Dauphiné donnent une odeur d'iris de Florence ; ceux de St-Pierre en Vivarais, donnent une eau-de-vie qui a l'odeur de violettes, et les vins de Cotes-Réties qui ont le godt de pierre a fusil, et ceux dela Moselle celui d'ardoise, communtquent plus ou moins leurs bouquets a leurs (1) M. Aubergieg a consiaté que les hatles eseentieties qui dennent un goat désagréable aux eaux de vie proviennent de la pellicule. Hes pepine distillés seuls avec de l'ean ou de alcool, ont donné un liquide d'une saveur d'amande amére trés-désagréable, dit M. Dumas, et la grappe, par 4a distillation seule, a donné une liqueur légérement alcoclique, n‘ayant ni odeur ni la saveur de V'eau-de~ de mare. Tandis que l'enveloppe des grains de raisins stparte des grains et de seule & la fermentation of distillée ensuite, a donné une eau-de-vie it eemblable a celle du mare, eaux-de-via respectives, ce qui leur donne un cachet. qui permet sou- vent aux gourmets de reconnaitre leur origine. Kunkel, paratt-il, est le premier chimiste qui ait reconna la pré- sence,d'une buile essentielle dans les eaux-de-vie et epéolalement dans celles qui proviennent des marcs de vendange dont nous parlerons plus Toin. II est trés-facile de constater la présence de l'huile dans les eaux de-vie, car pour cela il suffit d'y ajouter cing a six fois leur volume d'eau et de les soumetire 4 une distillation. lente, l'aloool bien plus volatil que 'buile se dégage en se débarrassant de cette derniére qui, dés qu'on adistillé un quart ou un tiers du volume total, se réunit 4 la surface de Vequ qui reste en gouttelettes visibles 4 l'ceil nu. Une chose fort essentielle encore a observer dans le choix des vins pour Ja distillation, c'est de bien reconnaltre, par la dégustation , dans quel état de conservation ils se trouvent;.car du vin altéré donttera bien rarement une bonee eau-de-vie; ainsi les vias qui ont une odeur . de moisi, de fit ou.de lie donneront toujours de mauvaises’ qualités deau-de-vie, aussi n'emploie-t-on guére oes qualtes de vin que pour préparer des esprits. Quant a lacidité des vins elle dénote généralement une perte nota- ble d'alcool qui s'est transformé en acide acétique, mais cette altération n'est pas aussi nuisiblea la qualité de l'eau-de-vie que celles dontje viens de parler; car comme on verra plus loin, il est souvent possible avec des vins aigres d'obtenir d’assez bonne eau-de-vie. Les quantités d'alcool que renferment les différentes espéces de vin étant trés-variables il est néces- saire, quand on les achéte, d’en déterminer Ja quantité par des essais préalables faits en petit. Nous venons de voir comment au moyen d'une distillation en petit on peut déterminer exactement la teneur d'un vin ou alcool ; mais ce procédé demande un appareil distillatoire spécial et une opération plus ou moins longue. Voici un procédé qui est trés- expéditif et que pour ce motif je crois utile d'indiquer ici, quoiqu'il soit moins exact que le premier. Lorsque la matiére colorante et la matiére extractive du vin en ont été précipitées par la litharge, alcool pur peut en étre séparé directe- ment par la simple addition d'un corps avide d'eau, tel que le sous- carbonate de potasse, de la méme maniére qu'on le sépare de l'eau-de- vie. Or, il suffit d’agiter pendant quejques instants le vin avec un exces de litharge porphyrisée pour qu’il soit bientét décoloré. Alors on filtre ou on décante pour séparer I’excés de litharge et le tartrate de plomb. On introduit ensuite la liqueur filtrée dans un tube qui renferme de la potasse du commerce bien séche; celle-ci se dissout, s'empare ainsi —4— de l'eau que renferme le vin et en met Valcool en liberté. Il faut bou- cher le tube et l'abandonner pendant quelques heures au repos. L’alcool se sépare peu a peu, et si on a préalablement déterminé le volume du vin, on peut en mesurant I'aloool obteau, recomsatire assez approxi- mativement la richesse du vin éprouvé (4). Ce procédé n'est pas rigoureusement exact : comme nousavons dit, Valeool qui se sépare ainsi, retient plus ou moins d'eau selon les cir- constances; en tout cas, il dissout de l'acétate de potasse, et Ia dissolu- tion aqueuse de carbonate de potasse retient elle-méme plus ou moins dalcool. Si donc on veut déterminer d'une maniére rigoureuse la quan- Lité d’alcool que renferme un vin ou tout autre liquide, il faut recourir 4 la distillation, retirer. 8 oules trois quarts du liquide, et ajouter au produit distillé assez d'eau pour reproduire le volume primitif du vin. En déterminant alors la densité du liquide distillé et recourant aux tables, qui expriment Ia richease de l'alcool a diverses densités, on a immédiatement la teneur du vin en alcool. M. Brande a déterminé de la sorte la teneur en alcool des vins sui- vants : atcoor oun 100 ———— Martala, Lissa, Vin deraisinsec. 2.) 2 ee Porto, Madére. © 6 1 ee ee eee ee 22 & 23 Vindegroscilles. 2 2 2. 2 ee ee 0 Xérds, Ténériffe, Potards, Madére rouge, Madére du Cap, Lacryma-Christi, Constance blan. . . . . - - . 20 Constance rouge. . « ee ~ 49 Bacellas, Muscat du Cap, Carcavello, Vin de Roussillon, Vin duRbis. 2. soe 18 Alba-flora, Malage, Ermitage blanc, Maly pee Schiras, Lunel, Vin de Bordeauz, Syracuse. . . . . . 18 8 16 Bourgogne, Sauterne, Nice. . . . 2... ss.) Mb AS Grave, Barlac, Tinto, Champagne. . . . 6. 1 ee 13a is Cestie,Fronignan, Champagne mouscux « soe WRB Tokai... . CO Tl faut remarquer, néanmoins, que ces nombres expriment en cen- tidmes la quantité d'alcoo! 4 0,898 que les vins analysés renferment, et non {a proportion d’alcool absolu. Il en est de méme de la table sui- vante, dressée par M. L. Beck, aux Etats-Unis. (1) Un moyen bien plus simple encore consiste a prendre son degré d'ébulli- tion A Talcoométre de M. Vidal. Voir plus loin Ia maniére de se servir de cet instrument auquel on a donné le nom d’ébullioscope Vidal. faitement pur, vieux a 28 ans. R. Seal... 43, Madére sere commun... .. 14» de la maison 13. Madére . Hougton et Ce, 22,98 || 16. Bucell: Farqubar, agé de 47. Vin d'Bsy 48, Porto, eo = 24,79 20. . 21 TorresVedrae, |)! 22, Sauterre..... 41. Bl.-Blackbura, vieux. Palmer - Margeur. 42, Madére qu’onditétre par- 23. Vin d'Amérique de 2 ans. Les résultats contenus dans ce tableau, s'accordent généralement avec ceux de M. Brande. Mais il est a remarquer qu’on ajoute le plus souvent une certaine quantité d’eau-de-vie dans les vins d'Espagne, de Portugal, de Sicile et autres, quand on les destine aux marchés étrangers. Il est probable que I'habitude ot l'on est d’effectuer ce mélange tient 4 ce que leur force fait leur réputation, et peut-tire aussi 4 ce qu’on a besoin de moins de soin pour les consgrver et les préparer 4 Vexportation, quand on y ajoute de l'eau-de-vie. — - Nl faut dotic regarder les chiffres donnés par ces deux tables, comme exprimant la composition des vins qu’on trouve dans le commerce, plutét que celle des vins naturels, qui sont un peu moins riches en alcool en général. Des mares de rai ot Men de vin. Les mares de raisins et les lies de vins n'ont pas une grande impor- tance pour les distillateurs,et donnent des eaux-de-vie de fort mauvaise qualité; cependant on est parvenu par la rectification a en extraire de Falco! fort propre a,une foule d'usages, on s'en sert méme pour la préparation de certaines liqueurs. D'ailleurs, ces substances ne donne- — 16 — raient-elles que de l'alcool propre a.1’éclairage, ou 4 la préparation des vernis, qu'elles auraient des débouchés plus que suffisants. Les mares de raisins dont nous parlons ici, ont fermenté avec le meat du raisin, et renferment plus ou moins de moat fermenté, c'est- a-dire du vin, selon qu'ils ont été soumis a une plus ou moins forte pression. Pour achever de l'épuiser, dans bien des contrées viticoles, dés qu'il a 616 pressé on le met dans une cuve avec de l'eau dans la- quelle on le laisse déiremper 94 4 48 heures pour y bien laver le marc qu’on y brasse A deux ou trois reprises. Le liquide, plus ou moins vineux, qui en résulte et, qu’on nomme piquette dans le midi de la France, est dans bien des contrées con- sommeé en nature par les vignerons et les populations ouvritres; mais dans le Languedoc, le Roussillon et dans d'autres contrées, la piquette entre souvent en distillation mélangée aux lies de vin et aux vins altérés qui, comme le marc de raisin, donnent des produits de mauvaise qua- lité. Dans quelques distilleries, le mare et'la piquette sont soumis ensemble A la distillation; dans d'autres, comme on verra par la suite, on épuise lé mare par pression ou Iévigation et le liquide seul qui en provient passe a l'alambic. Mais ce n'est pas ici le lieu de discuter les avantages et les inconvénients de l'un et Vautre systéme, c'est ce que nous ferons au sujet de la distillation proprement dite de ces matiéres. Biéres. Les biéres comme les vins renferment des quantités notables d’alcool ct donnent une espéce d'eau-de-vie d'assez bonne qualité, quand elles sont elles-netmes de bonne nature; mais généralement ce n'est pas le cas; on ne distille ordinairement que les biéres gatées, les bidres pota- bles ayant une valeur plus grande que les produits alcootiques qu'on pourrait en retirer. En Belgique, il n'y a que les distilleries qui sont établies dans les grands centres de population qui emploient des quantités notables de bitres, encore n’est-ce ordinairement que des fonds de tonneaux, comme on dit, qui ont souvent un goft détestable. Mais dans quelques pays no- tamment en Angleterre, en Baviére et dans le Hanovre on distille gén¢- ralement toutes les biéres qui sont altérées, tandis qu’en Belgique et en. Hollande on en fait du vinaigre. Pour connatire Ia valeur réelle de ces matiéres premidres tout distil- lateur qui a occasion de s'en procurer des quantités un peu importantes, doit avoir recours a l'un des essais dont nous.avons parlé au sujet des

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