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LIRE ENTRE LES IMAGES” par Christa Blimlinger Lidée qu’il est possible d’érire des images est déja au départ de la «caméra-stylo » d’Alexandre Astruc. A quoi correspond le projet d’un « essai filmique », tel qu’il J’annonce dans son manifeste L’Avenir du cinéma’, paru en 1948: « Voici donc o& nous en sommes {...}: la caméra dans la poche droite du pantalon, l’enregistrement sur une bande image-son des méandres et du lent et frénétique déroulement de Notre univers imaginaire, le cinéma-confession, essai, révélation, mes- sage, psychanalyse, hantise, la machine 4 lire les mots et les images de Notre paysage personnel... »? L’ceuvre doit selon Astruc offrir une sorte « paysage intérieur » de |’auteur, conserver la trace d'un je dont la Ge texte a été publié une premitre fois en 1992, en allemand, pour introduire un livre sur i au cinéma, Schreiben Bilder Sprechen {« Zwischen den Bildern/Lesen », in Christa linger et Constantin Wulff (éd.), Schreiben Bilder Sprechen. Texte zum essayistischen Film, Sonderzabl, 1992, pp. 10-311, issu d'un colloque et anes de films a -(Autriche). I ne tient donc pas compte de ce qui a été publié depuis, notemment le sujet. En revanche, il cperche 2 confronter deux approches différentes (frangaise et d'une problématique et d'une forme cinématographique. Pour donner une idée du fe, rappelons par exemple que le second livre de Cinéma de Gilles Deleuze venait tout Publié en allemand. re Astruc, « L'avenir du cinéma », La Nef, n° 48, 1° 3, €té 1992, pp. 151-158). (Cf. aussi Alexandre Astruc, « c, la caméra-stylo », rééd. dans Trafic, n° 3, €c6 1992.) } (rééd., p. 157). conscience de soi se dépose dans le travail de l’écriture. doit se libérer de la « dictature de la photographie », ouvrit vers la représentation abstraite de la réalité et permettre au dire je « comme le romancier ou le poate, et {de} signer de s les cathédrales oscillantes de sa pellicule comme van Gogh a; de Iui-méme avec une chaise posée sur un carrelage de cuisine. s d’Astruc sur le langage de |’essai allaient corps dans le jeune cinéma francais des années 50 et 60. Lui-n en tant que réalisateur, renoncera toutefois 4 ce programme devenir I’un des « plus farouches détracteurs »* de ce qu'il ava phétisé. Partant de I’aveu de Chris Marker : « Je suis un essayiste », cert critiques de l’époque diagnostiquérent dans le « Cinéma 16 jeunes auteurs comme Alain Resnais, Agnés Varda ou Henri, essayisme apparenté a la littérature auto-expérimentale d'un Mi Leiris ou d’un Henri Michaux : l’attention portée au réel et a ses.¢ ments s'accompagne ici d’un intérét particulier pour le souve langage’. Cette attitude trouve une illustration exemplaire dans le Alain Resnais, Toute la mémoire du monde (1956), qui prene objets l'art et le document eux-mémes : la Bibliotheque Natio décrite dans de longs mouvements de caméra comme un laby la mémoire humaine. Le commentaire de Rémo Forlani =| be aus temps oii toutes les énigmes seront résolues », une V ‘felve plutét de la science-fiction — s’articule 4 des vues Les conception André Bazin, adaptant librement une formule de Lettre de Sibérie (1958) de Chris Marker comme un « et fit de sa « beauté sonore » un élément essentiel du film, pour souli- gner le réle du langage (verbal) comme interpréte privilégié de l'intel- ligence'. André S. Labarthe, dans son Essai sur le jeune cinéma francais? sintéressa lui aussi au langage filmique a caractére autobiographique développé par Marker, qui dessine avec des pPaysages imaginaires un monde poétique intérieur : « A travers la Sibérie c'est au bout de Lui- méme que Marker nous conduit, au coeur d’une mythologie dont, en fait la “ réalité” vaut bien celle de la Sibérie. »> André S. Labarthe essaye de cerner la forme distinctive des films d/auteur de la génération de la Nouvelle Vague, ot se mélent les élé- ments documentaires et fictionnels. Ce texte fait référence a des cinéastes aussi différents que Louis Malle, Jean Rouch, Alain Resnais ou Jacques Rozier et Jean-Luc Godard, qu’apparente aux yeux de Labarthe le souci de rendre justice 4 la réalité mieux que le cinéma narratif classique ne pouvait le faire. S'il n'est pas question ici des difficultés rencontrées par tel ou tel dans le traitement de cette forme composite, Labarthe n’en souligne pas moins quelques facteurs essentiels — comme par exemple la telativité de certains idéaux de la mise en scéne. Ce cinéma doit beau- coup, selon lui, au documentaire : « {...] le passage au relatif est le signe dune conciliation entre la fiction pure et le documentaire pur. >‘ Renvoyant a Lettre de Sibérie, Labarthe met en évidence une nouvelle forme composite, qu’il appelle le « cinéma science-fictif ». Cela signi- fie « que les films des nouveaux auteurs se présentent chacun comme une maniére particuliére de méler la science (le documentaire) et la fic- tion, >’ C'est négliger toutefois que le langage des films de Marker et de Resnais, justement, ne se signale pas seulement par un tel mélange : sa premiére caractéristique est qu'il s'énonce dans la forme du souvenir — une forme inspirée de la littérature, et qui s'affirme ici comme trace imaginaire entre l'image et le son. Jean Vigo, définic essai documenté » é - 0 oct. 1958, 1. André Bazin, « Chris Marker. Lettre de Sibérie », in France-Observateur, 3 16éd., André Bazin, Le Cinéma frangais de la Libération @ la Nouvelle Vague (1945-1958), Cahiers 1983, pp. 179-181 ¥ ( : AndeéS, Labarthe, Esai sr le jewne Cinéma frags, Le Tera Vague, 1960. André Bazin, dans son article sur Lettre de Sibérie', d synesthésique des enchainements image-son. Le montag ceil », décrit par Bazin comme un montage « horizontal nouvelle entité audio-visuelle : l'image, ici, ne renvoie pas ment) a celle qui la précéde ou la suit immédiatement, dire latéralement a ce qui en est dit (dans le commentaire tion des deux plans ne sert plus a compléter |’énonciation, n brouiller par un exces de significations. On peut voir dans ceuvre, ot le texte (littéraire) gagne en importance jusqu’a dev point de départ du travail filmique, lanticipation d'un moderne qui travaille avec le langage et la voix, qui foncti correspondances et dissociations : Resnais, Varda, Huillet ou Godard, avec Marker ou aprés lui, recourent usage du parlant, du sonore et du musical, par lequel les di niveaux perceptifs se trouvent découplés. La disjonction du so du visuel, dit Deleuze, produit un « régime de la déchirure »* : il plus un tout, seulement deux pistes dissymétriques. Une séquence centrale de Lettre de Sibérie met en de fonctionnement du montage « classique » : en voyant la scéne défiler trois fois de suite, assortie 4 chaque fois d'un taire différent — depuis |’explication communiste orthodoxe | compte rendu apparemment objectif —, le spectateur peut m filtrage opéré par le texte parlé (en voix off) sur les significa Vimage. a ; Le procédé est différent dans F for Fake d’'Orson Welles ( vitesse du montage fait ici que le spectateur, en quelque trouve constamment frustré dans ses attentes’, Par la mani séme des indices, Welles entretient un suspense dont on 1 et la complexité qu’aprés avoir vu le film a plusieurs © - évident que 1a consistance' de ce film est donnée p non seulement les plans individuels s’enchainent dé mais le film tout entier ¢ | sys PE SEE Nasi8 ix © Senin bik n, « Lettre de Sibérie », of. cit. évidence I ce images et de sons qui renvoient les uns aux autres. Welles matérialise Ja naissance du film lui-méme pour expliquer ce qui se passe (dans le film), d’ott viennent les vues, pour parler de la falsification et, & travers Jes images, de sa propre histoire. Il arréte certaines images su la table de montage, pour les retenir un instant dans leur évanescence et les soumettre 4 son regard. Ce que découvre ici le spectateur, toutefois, ce n'est pas la distinction entre le « vrai » et le « faux » (non plus aie celle du « documentaire » et du « fictionnel »), mais le fonctionne- ment du montage. Le code classique voit/étre vu conduit par exemple 3 réunir en un segment narratif « trompeur » une série d’images qui montrent d’abord Picasso regardant a travers des jalousies, puis une belle femme (la sculpteuse Oja Kodar). Quand Welles ironise sur la mystification du spectateur et démasque le fake, la transparence de la représentation et la toute-puissance du narrateur se trouvent simulta- nément relativisées. Le dowte devient ainsi le pivot d’un rapport contrapunctique entre Limage et le son. Il ne remet pas seulement en cause l’idée d'une reproduction prétendument objective d'un fragment de réel, mais pousse consciemment le photographique 4 sa limite, a la lisiére de Vimaginaire ou du non-représentable. Les interstices ménagés par de tels réagencements ouvrent l’espace ot se déploient Vindécidable, le non-€vocable, l’inconciliable ou !’impossible. Figures de penste Les films d’essai ont ainsi quelque chose de provocateur, voire par- fois de destructeur ; ils résistent & la \dérive des images documentaires vers le pittoresque ou le spectaculaite, et révoquent en doute l’univo- cité de la photographie. Ils impliquent le spectateur dans le discours filmique, grace 4 un montage « d’oreille 4 ceil » (Bazin) qui améne la bande-image et la bande-son, le texte iconique et le texte liecéraire dans un rapport de complémentation et de mise en question réci- proque. Des confrontations dynamiques et une progression sinueuse empéchent le spectateur d’associer inconsciemment Vimage et le son. Ine s‘agit pas seulement des liens entre ce qui ést dic (off) et ce qui €st vu, mais des transformations qui affectent simultanément l'image et le langage, et qui doivent étre pensées dans le fapport de Raters ue matiéres'. Le visuel devient ainsi, de plus en teutre at eects ou un « SonImage » — selon la raison so Baca pan Gbdar asa société de production. Parce = justemen film d’essai part de la juxtaposition de deux « voies » argemen pendantes, le systéme signifiant ne se const que dans Vinten c de ces deux niveaux comme surgissement d une tierce réalité : sont tracées des images lisibles ou mentales (Gilles Deleuz figures de pensée qui démontent les systémes de perception tionnels. Dans le film d’essai, la vision radicale et le travail salient dans un processus dialectique. Depuis Montaigne, cette forme de réflexion — une sorte de flaney intellectuelle, au cours de laquelle l’individu s'interroge aussi bien Vintérét de vivre que sur l’ordre social — a conservé certains traits : ses armes sont l’humour, l’ironie et le paradoxe ; son principe est contradiction, la collision. Quand Pasolini, 1 conceptue dans son film de compilation La Rabbia (1963), entreprend de réévaluer certaines images du monde & travers un col mentaire élégiaque et, pourrait-on dire, « enragé », il décrit son comme relevant de |'essai plus que du récit®, comme lceuvre du Joutnaliste plutde que d’un créateur. On peut certes voir dans ce jul ment dépréciatif un « understatement », de la part d’un poste fourna principalement des films de fiction — mais Pasolini, ce fai Sacrifie aussi 4 un theme traditionnel. Dans l’espace germanophon Particulier, l’essai littéraire a longtemps été décrié comme un pre hybride, qui se Perd trop facilement dans les associations décou quelque part entre l'art et la science. Exhortant l’esprit a la liberté Adorno, essai ne se laisse pas assigner son domaine de compeéte la chance et Je jeu lui sont essentiels, il s'abandonne a un Snubs me sans scrupule a ce que d’autres ont déja 2 ACS Ray / mond Bellour, « { pees te Georges-Pom, Se Bee 941), La double hélice », in Passages de l'image, pidou, Paris, 1990, pp. 37-56 (repris oe inscrivent dans un rapport } elles ont trait & des Deleuze, L’ Y « Die Ko directement dans le vif du sujet, et cesse quand il pense avoir dit ce qui avait 4 dire'. Le méme esprit habite le film d’essai, qui considére ses découvertes comme des vérités Provisoires, qui wines au chan- pe < a ae + « Je ne puis assurer mon objet. Il va trouble et ancelant, d’une ivresse ni 2 Lite ; aes observées présentent ae a sachet eS ae wos SSI EES a igeant, parce qu’elles sont exposées a l’action transformatrice du regard. Montaigne ne s'intéresse pas a l’essence de l’objet, il le saisit dans son Passage. _ «Essai» signifie a l'origine « considération, examen »’, une recherche et un questionnement ouverts, qui ne visent pas a dépister Téternel dans |’éphémére, mais plutde a éterniser l’éphémére (Adorno) ; le langage et la pensée sont un — ce n’est pas un hasard si Montaigne puise volontiers dans I’héritage de la chétorique’, quand il aborde les choses, pour a travers elles s’ouvrir a la pensée, pour se com- prendre lui-méme. L’essai ne peut s’affranchir du sujet qui écrit, les considérations qu’il développe sur le monde ne sont nullement for- tuites ou contingentes : il est, comme dit Musil, plus qu’une simple expérience [Versuch], « car un essai n’est pas l’expression provisoire ou accessoire d'une conviction qu'une meilleure occasion permettrait d’élever au rang de vérité, mais qui pourrait tout aussi bien se révéler ereur (a cette espéce n’appartiennent que les articles et traités dont les doctes nous favorisent comme des « déchets de leur atelier ») ; un essai est la forme unique et inaltérable qu'une pensée décisive fait prendre a la vie intérieure d’un homme. »? Liérriture du « je» Comme un vagabond intellectuel, |’essayiste entraine le lecteur/spec- tateur sur des chemins inconnus : il se soumet constamment a l'auto- 1. Theodor W. Adorno, « Liessai comme forme », in Notes sur la littérature, erad. S. Muller, Flammarion, 1984, 2. Michel de Montaigne, Essais, Livre III, chap. 2 x : 3. Du latin « exagium » (pesée, poids). Cf, Meyers Grasses Taschenlexikon, Mannheirm/Viennel ache Francfor/M. __ 4 Cf. Ralph-Rainer Wuthenow, postface & la traduction allemande des Essais (Prancfort/M 6, pp. 299 s4.). : Robert Musil, L’Homme sans qualité, eead. Ph. Jacottet, Ed, du Seu, 1957, € 1s P33: expérimentation, pour inscrire son « je » dans ses réflexion ainsi chez Montaigne : « Qui sera en cherche de science, qu'il | oti elle se loge : il n'est rien de quoi je fasse moins de profess) sont ici mes fantaisies, par lesquelles je ne tache point de do connaitre les choses, mais moi. »' Dans leur mode d’écriture, I’ Yautoportrait se rejoignent. Comme I’autobiographie, l’autopo caractérise par la scission du fe qui écrit et du ye qui est écrit. de savoir « d’ou I’on parle ». Dés lors qu’un essai intégre son pro mode d’énonciation dans le champ de sa réflexion, il dépasse cett sion de la pensée entre le « soi » et |’« autre » : les positions se résor bent pour autant qu’elles se déterminent réciproquement’. La re tation de la réalité sociale devient expression de la subjecti laquelle elle se trouve médiatisée. L’autoréflexivité est la condition que l’essayiste développe ses considérations sur le monde. 1a Dans le film d’essai, l’exploration socio-historique et |’explora de soi se rejoignent. L’expérimentation et l'examen que comp Vessayisme renvoient a son véritable objet : les conditions qui déte nent la forme d’énonciation langagiére (littéraire ou cinémat¢ phique). Quand Roland Barthes, dans sa legon inaugurale au de France, disait n’avoir produit «que» des essais, «un ambigu, ou l’écricure le dispute a I’analyse », il meceait précis Vaccene sur le plaisir du texte; « L’écriture fait du savoir une paradigme que je propose ici ne suit pas le partage des fonct J Bascapas a mettre d’un cété les savants, les chercheurs, et de l’autrt écrivains, les essayistes ; il suggére au contraire que 1’ Fetrouve pattout ot les mots ont de la saveur, »* Par sa structure méme, le fi! a lm d’essai s’ on Ghiontiseie cede he Im d’essai s'oppose a la convention té. II tente de constituer sa co ide, ot, Michael V/ sD Brame 0h. 10° 31989. CORY & The Essayisic in Barthes, Laon, fl. du Seuil, 197 partir d'un systéme dallusions, de répétitions, d’oppositions et de cor- respondances entre des éléments homologues. Suivant la legon de ‘Montaigne, Rae = vise pas 4 donner un récit suivi a caractére autobiograp ique, mais a Composer un autoportrait : des notations qui relevent dosage de V'analogie et de la métaphore que de la narration’. Les films dessai récusent la linéarité, ils sone pour ainsi dire tra- més : Chris Marker, par l’imagination et la réflexion, combine ses sou- venirs en chaines associatives. Si l’on peut comprendre la photographie comme une archive pour histoire, alors les films de Marker revien- nent toujours a « réécrire » le souvenir tiré des images. Il dit ainsi quelque part dans Sans soleil: « On ne se souvient pas, on réécrit la mémoire, comme on réécrit |’histoire. » Ce phénoméne d’« aprés- coup » tappelle la théorie freudienne de la formation du mécanisme psychique par stratification : de temps en temps, le matériau de traces mnésiques se trouve réorganisé selon de nouveaux rapports, subit une «séinscription »*. En ce sens, des films comme Sans soleil, F for Fake (Orson Welles) ou Histoire(s) du cinéma de Godard peuvent étre lus comme des inventaires autobiographiques de perceptions filmiques. De méme que Godard dans Scénario du film Passion (1982) médite sur Vacte d’écrire dans le travail cinématographique, Lettre @ Freddy Buache (1982) devient un essai sur le cinéma, un film qui, sous couleur dévoquer Lausanne, choisit l'artifice de la lettre parlée (par la voix inimitable de l’auteur) pour appréhender le film comme quelque chose en train de naitre et de se transformer. « Il suffirait de trois plans », dit Godard a l’adresse de Buache. Ailleurs: «Tu te souviens de la phrase de Lubitsch : si vous savez filmer des montagnes, filmer de Veau et du vert, vous saurez filmer des hommes. Je pense que cest tout 4 fait vrai. {...] Ga m’intéresse de regarder les choses un peu Scientifiquement, d’essayer de trouver dans tous ces mouvements de foule, de rythme, de trouver le départ de la fiction. Parce que la ville, est de la fiction. Le vert, le ciel, la forét, c'est le roman, l'eau, crest le foman. C'est ¢a la nécessité de la fiction. » Bellour, « Aucoportraits »» ; 1. CE Michel Beaujour, Mirvirs d’enore, Paris, 1980 ; Raymond p. 287 1g. pour cette ques- Images. Photo. Cinéma. Vidéo, Paris, 1990, pp: 271-337, PI Freud, La Naissance de la psychanalyse, P-U-F., 1956, p- 129- nic ie ata | reconscruit Lausann ¢ bas, dans une approche chromatique : entre une vi restre et aquatique, une ville bleue, céleste, et le gtis du bé Tl ne s'agit pas seulement, ici, dit Deleuze, d ‘ajouter une autre image, mais « de classer des types d'images et de ci ‘c une « image mentale », qui prend pout ces types >'. Ainsi nai de pensée des objets qui ont une existence propre en dehors de sée. Une telle image, sée un nouveau rapport, selon Deleuze, « aura nécessairement a) direct, tout a fait distinct de celui d images. »* as d’emblée dans le film, elle le a La voix de Godard n’est p% pour ainsi dire, et le teste ; elle dépouille les sujets de leur objective, tout en jouant avec les conventions formelles de l’imag mée — comme par exemple quand la caméra remonte de l’asphalt faite des arbres, en montrant au passage un panneau d’interdictior « Défense de monter ». Une telle intégration du niveau graphique est caractéristique : les inscriptions et les intertitres ont chez Godard | valeur autonome, d’une autre maniére cependant que dans les muets. Dans le cinéma moderne, le sens écrit subit un « brouillag il s’inscrit dans un rapport de tension avec l'image et le son. Lauteur (I'€pistolier) Godard, parlant le plus souvent en voix rapporte les images 4 des couleurs, des formes, de la lumiére et aes lignes, et montre qu'il comprend aussi Je son et la musique comme un langage : on le voit en studio, retourner le disque (le Boléro de Ravel), le remettre inlassablement au début, tandis que la musique sé dis de plus en plus de l'image d'un Godard qui, écouteurs sur les oreil semble plongé dans une recherche obsessionnelle. ‘ Godard se youe plus explicitement encore a l’essai, a l’acte dé dans Scénario du film Passion. Il s'agit ici de développer l’ceuvre, de pte= eens cree cl Peis cllelenn eee qui intéresse Godard, ici, c'est Ten cite Pe, Be ml idée que Ja voix pourrait étre visib aa le mouvement qui conduit de I’écriture a l'image 4 alamage lisible. L’écran blanc devane lequel Godard s’installe en tant que Jean-Luc Godard dans Scénario du film Passion, et sur lequel le probable doit devenir possible avec l’aide de la caméra, cet écran se transforme pour le cinéaste en mallarméenne « page blanche ». Godard est entouré d'une multitude d’appareils, dont il semble pouvoir disposer a sa guise pour montrer (notamment la réalité présente du travail cinématogra- phique), pour montrer et démontrer, au lieu de raconter. L’ceuvre en cours d’élaboration (et parfois celle dont on parle) y est trés souvent référée 4 l’écriture, au texte’. Utilisant l’écran comme une feuille de papier et le couvrant comme un écran d’ordinateur avec les lettres de Valphabet (non sans un clin d’ceil 4 Rimbaud: « A blanc, E noir, I rouge »), Godard rapproche !’image de |’écriture. Sur la phrase : « Tu ne veux pas éctire, tu veux voir, re-ce-voir », il fait surgir une image de Passion, un photogramme arrété dans lequel, par un effet de cligno- tement, il suscite le mouvement d’une pulsation muette. L’image- mouvement révéle ainsi la dialectique du souvenir, composé d’imagi- nation et de pensée. Nouvelle lisibilité Limage visuelle, dans le cinéma « moderne », n'est pas comme chez Eisenstein une image « lue », que la musique oriente dans un sens défini, irréversible, elle n'est pas davantage une image od, comme au début du parlant, la parole était vwe en fonction de l'image : c'est une image qui révéle une nouvelle lisibilité des choses, tandis que l'acte de Parole devient une image sonore autonome. L’image « archéologique » €st en méme temps /e et vue, dans la mesure ot elle rompt Venchatne- ment d'une narration classique qui prétendait se produire elle-méme, ©u plutée : par elle-méme. La lecture devient une fonction de Teel, ine « perception de perception »?, qui n’atteint la perception qu ‘a tra- _ Yet son contrair ‘imagination, la mémoire, le savoir. Cette lecture, . ‘inement, ce retournement de l'image, c'est ce que Deleuze une « nouvelle Analytique de l'image >. d Bellour, « Autoportraits », op. cit., p. 333. ¢, L'Image-temps, op. cit., p. 319. Le cinéma de Marguerite Duras, né de son travail littéraire, C essentiellement lié au montage « horizontal » (Bazin). Dans les films Aurélia Steiner-Vancouver et Aurélia Steiner-Melbourne (1979) les i surgissent comme une « conséquence de l’écriture » (Duras) : de méme que, dans India Song (1975), les images d’une villa du bois de Boulogne parvenaient a évoquer la chaleur étouffante de Calcutta, nous voyons ici la Seine, au cours d'un paisible trajet en voiture, se transformer en une plage australienne. La narratrice fictive, dans Avwrélia Steiner-Vancouver, parle du tec tangle blanc de la cour, puis de sa mére morte dans les camps, de cette mére dont le nom (c'est aussi celui de la femme qui parle) est inscrit sur une feuille blanche, puis 4 nouveau des yeux fermés sur le tec tangle blanc de la mort — tandis que des images presque abstraites de vagues sur le sable, d’allées de bouleaux, évoquent Vindicible de cette histoire. La voix parle d’un hors-champ « absolu », que Pascal Bonitzer a appelé « off off »'. Comme I’explique Deleuze, la voix off entre chez Duras dans un rapport de confrontation avec les images visuelles : elle perd sa toute-puissance et conquiert ainsi son autono- mie. C’est pourquoi Deleuze parle d'une image « héautonome >, dont les composantes visuelle et sonore sont séparées par « une faille, un interstice, une coupure irrationnelle »*. Ces deux pistes autonomes, Marguerite Duras les appelle le « film eee film des voix >: « Les deux films sont a ieee on ne re voix] ne sont pas non plus des voIx e eins ae le du mot: elles ne facilicent pas le i, a eis a peas ones elles lentravent, le troublent. On existene:chacun d'une a au film de l'image. »° Les deux a q lien freicsnimiedes ae eee autonome, correspondent aon i. truction réciproque. L’ima; E a Se dans ore a “ee &r€ger, acquiert par 1A ae evenue audio-visuelle, loin de sa Parle de la « vision d'un € densité nouvelle. C’est pourquot De et des « voix voyeuses » et pacisle » quand Marguerite Duras invoque conne la parole comme du visible : « Ce a 1. Cf Pascal Bonic he 201, Le Ri G.Dilaae ri oy ha Fi mike leuze, L'Image-iemps, pa eran Sank Gallimard, 1973, pp. 103 sq (cité dans 60 Ja parole profére, c'est aussi bien V'invisible que la vue ne voit que par la-voyance, et-ce que la vue voit, c'est ce que la parole profére d’indi- cible. »' Cette esthétique des correspondances rappelle l’usage que Baudelaire fait de l’allégorie’. L’objet touché par lintention allen8 rique, comme le constatait Walter Benjamin, « est a la fois brisé et conservé. L’allégorie se cramponne aux tuines. Elle offre Vimage du désordre figé. »* Redoublement et ré-enchainement On pourrait aussi décrire Alexander Kluge comme un allégoriste, qui s'approprie fragments et ruines pour les assembler en une structure hybride* : son film La Force des sentiments ne se contente pas de recycler du « footage » visuel dans une nouvelle séquence discursive, il remanie aussi une sorte de musique « de récupération » — faite de vieux tubes, arias, d'enregistrements historiques — pour former une strate de sens indépendante, face a l'image visuelle. Un texte est allégorique quand il se trouve redoublé ou relu a travers un autre’, sa saveur consiste 4 réveiller un passé lointain et 4 le remettre en jeu pour le présent. Ce que Deleuze appelle une « nouvelle Analytique de l'image », sur le retournement et le ré-enchainement des images, se refléce également dans les films de Kluge et se trouve verbalisé sous forme de Projet dans ses écrits ; quand Kluge dit qu'il lui faue « détruire toute tne série d'images »° pour donner le mouvement @ l'homme, il prend Position contre les formes, les codes et les modes de lecture convention- nels dont se nourrit le cinéma narratif classique (et la tradition te ‘mande de la Ufa en particulier), dont vit aussi une culture audio- Visuelle qui dice; . re le documentaire et Ia fiction. ? qui distingue soigneusement ent! Deleuze, L'Image-temps, op. cit., p. 340. i See 2 CE Veronika Rall « Die Cenwe des Textes. Zu Marguerite Duras Die grit AMES Film, 0° 46, pp. 11-118. Sur ce point, p. 113- ter Benjamin, « Zentralpark », in I//vminationen, in Francfort/M., 1977, PP: 235 44 21. Liebman, « Why Kluge ? », in October, n° 46, PP 5-22. Sue © «The Allegorical Impulse + T ‘a Theory 1980, pp-67-86. 0s 54, i

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