Actes de la recherche en

sciences sociales

Le champ des avant-gardes

Madame Annie Verger

Citer ce document / Cite this document :

Verger Annie. Le champ des avant-gardes. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 88, juin 1991. Les avant-
gardes. pp. 2-40;

doi : https://doi.org/10.3406/arss.1991.2979

https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1991_num_88_1_2979

Fichier pdf généré le 22/03/2019

Abstract
The Field of the Avant-gardes.
Working on a sample of 50 artists selected on the basis of the consecration given by a certain number
of competing institutions, this article sets out to distinguish the different tendencies of the avant-garde,
to draw up an inventory of reception centres (art galleries, cultural centres, etc.), and to constitute the
field of the cultural agents (gallery conservators, art critics, dealers, etc.), in short to map the terrain of
artistic celebrity. By means of factorial analysis of correspondences it is possible to define the
theoretical space of aesthetic, political and technical differences and bring to light the structure of the
power relations among all the agents who help to produce the definition of the avant-garde. This brings
out a first opposition between the pole of national success and the pole of international competition,
and a second opposition between an avant-garde which has emerged in southern France and the
Parisian avant-garde. It can also be seen that over the last ten years the relative demobilization of left-
wing committed artists has modified the power relations to the advantage of the agents who hold the
monopoly of the dominant definition of the avant-garde and the artists who have deployed strategies
aimed at the international market.

Resumen
El campo de las vanguardias.
Esta investigación que trata de una muestra de 50 artistas seleccionados a partir de la consagración
aportada por cierto número de instituciones en competencia se propone distinguir las diferentes
tendencias del vanguardismo, hacer el inventario de las estructuras de recepción (museos, centros
culturales, etc.), constituir el campo de los agentes culturales (conservadores, criticos de arte,
comerciantes, etc.), en resumen, determinar los terrenos de la celebridad. El análisis factorial de las
correspondencias permitió définir el espacio teórico de las diferencias estéticas, políticas y técnicas y
poner al día la estructura de las relaciones de fuerza entre todos los agentes que competen para
producir la definición del vanguardismo. Se presenta así una primera oposición entre el polo del éxito
nacional y aquel de la competición international y una segunda oposición entre una vanguardia
aparecida en el sur de la Francia y la vanguardia parisiense. Vemos igualmente que, después de una
década, la relativa desmovilización de los artistas comprometidos a la izquierda modificó las relaciones
de fuerza al beneficio de los agentes que detienen el monopolio de la definición dominante del
vanguardismo y de los artistas que emplearon unas estrategias en dirección del mercado international.

Zusammenfassung
Das Feld der Avantgarde.
Basierend auf einer Auswahl von 50 Künstlern entsprechend ihrer Anerkennung durch bestimmte
konkurrierende Institutionen, hat sich diese Untersuchung zum Ziel gesetzt, die verschiedenen
Tendenzen der Avantgarde auszumachen, eine Bestandsaufnahme der Strukturen der Aufnahme
(Museen, Kulturzentren usw.) vorzunehmen, das Feld der kulturellen Akteure (Konservatoren,
Kunstkritiker, Kunsthändler usw.) zu konstituieren, kurzum : die Terrains des Renommees zu
bestimmen. Anhand der faktoriellen Analyse der Korrespondenzen ließ sich der theoretische Raum der
ästhetischen, politischen und technischen Differenzen definieren und die Struktur der
Kräfteverhältnisse zwischen allen Akteuren darstellen, die an der Definition der Avantgarde beteiligt
sind. Sichtbar wird dabei ein erster Gegensatz zwischen dem Pol des nationalen Erfolgs und dem des
internationalen Wettbewerbs ; ein zweiter Gegensatz läßt sich ausmachen zwischen einer im Süden
Frankreichs auftauchenden Avantgarde und der Pariser Avantgarde. Erkennbar wird auch, daß die in
den letzten ca. 10 Jahren eingetretene relative Demobilisierung der linksgerichteten Künstler die
Kräfteverhältnisse zugunsten der Akteure verändert hat, die über das Monopol auf die dominante
Definition der Avantgarde verfügen, sowie zugunsten der Künstler, die Strategien in Richtung auf den
internationalen Markt entwickelt haben.

Résumé
Le champ des avant-gardes
Cette recherche qui porte sur un échantillon de 50 artistes sélectionnés à partir de la consécration
apportée par un certain nombre d'institutions en compétition se propose de distinguer les différentes
tendances de l'avant-garde, de dresser l'inventaire des structures d'accueil (musées, centres culturels,
etc.), de constituer le champ des agents culturels (conservateurs, critiques d'art, marchands, etc.), bref de
déterminer les terrains de la renommée. L'analyse factorielle des correspondances a permis de définir
l'espace théorique des différences esthétiques, politiques et techniques et de mettre au jour la structure des
rapports de force entre tous les agents qui concourent à produire la définition de l'avant-garde. Il apparaît
ainsi une première opposition entre le pôle de la réussite nationale et celui de la compétition internationale
et une deuxième opposition entre une avant-garde apparue dans le sud de la France et l'avant-garde
parisienne. On voit également que, depuis une dizaine d'années, la relative démobilisation des artistes
engagés à gauche a modifié les rapports de force au bénéfice des agents qui détiennent le monopole de la
définition dominante de l'avant-garde et des artistes qui ont déployé des stratégies en direction du marché
international.
 !
jette dans le vide !
Shunk

Illustration non autorisée à la diffusion

IÄ*iÜ

Illustration non autorisée à la diffusion

 Le champ des avant-gardes 3

L le groupe des lumino-cinétistes dont la réputation est jugée

surfaite. Les monographies des artistes cités sont constituées à
partir d'articles publiés dans Chroniques de l'art vivant (3). Elles
reprennent plutôt le discours des critiques sur la production et
font passer au second plan les informations biographiques, si bien
que les données permettant de situer socialement l'artiste sont
incomplètes. Cet ouvrage a fait date parce qu'il était à peu près
le seul à offrir un schéma du champ artistique français après le
déclin de l'Ecole de Paris. Cependant, "l' ordre intelligible" mis au
jour tient essentiellement à la connaissance indigène que l'auteur
a du milieu de l'art (4). Son témoignage est celui d'un acteur
engagé. Sa désignation comme membre du comité d'organisation
de l'exposition "12 ans d'art contemporain en France" en 1972 -
année de la parution de cet ouvrage- lui confère une autorité dans
le champ de l'art vivant.
Plus récemment paru, l'ouvrage de Catherine Millet
intitulé L'art contemporain en France (5) constitue une histoire de
l'art depuis 1960 jusqu'en 1987. Elle s'accompagne d'une
réflexion sur la peinture, sur la fonction de l'art, sur ses rapports
avec la société. L'auteur compte parmi les agents déterminants
dans le champ de production des avant-gardes. Rédactrice à la
revue Chroniques de l'art vivant à 21 ans, fondatrice et directrice
de la publication de art press à 25 ans, sa carrière de journaliste
et de critique d'art se confond avec la génération des artistes
apparus dans les années 70. Ouvrage précieux, constitué de
témoignages de première main, envisagé comme un "récit" dans lequel
l'auteur s'engage ("pour moi", "en vérité", etc.). Il est servi par une
chronologie faisant état; année par année , des événements
marquants, des expositions, des oeuvres, des publications, et des
manifestations organisées à l'étranger. De plus, l'index est un
instrument d'appréciation de l'art contemporain : tous les artistes
qui ont compté pendant ces décennies sont cités, y compris les ci-
nétistes et ceux qui ont disparu depuis longtemps du champ des
avant-gardes (Bazaine, Manessier, etc.). Cependant, si l'on en
juge par l'avertissement, Catherine Millet analyse "une relation
nouvelle entre l'art et la société" en interrogeant les faits, les
événements, les oeuvres sans privilégier l'histoire individuelle des
participants (absence de biographies détaillées ou de
monographies pour illustrer l'apparition de nouvelles tendances). Elle ne
fait, en cela, que porter au jour la transformation du champ de la
critique d'art. Dans les années 50, les problèmes posés par la
peinture abstraite restée hermétique aux profanes avaient plutôt
incité les critiques à combler l'absence de lisibilité immédiate de
l'oeuvre par une surabondance d'informations concernant le
pas
d'organisation
nature
prestige
encore
Grand
France
appartenances
etc.,
l'espace
sélection
intellectuel
plastiques
plus
d'occuper
recherche
représentant
rétrospectives,
de
s'aventurer
l'art,
marchands,
sdes
substituer
engagés
sociologiquement
aura
l'enquête,
publications
Certains
compte
chronologique
plutôt
dans
tableau
distribuant
marque
esthétique
"l'art
pratiques
opposés
représentants
établie
Clair
exemplaire
cest
nationale
dominante
garde
améliorées.
Rome
de
l'Etat
débats
permis
enseignent
l'indices
attribution
voir
salis,
2-J.
Chêne,
1972
1—
yoAnsstémacadémie
i'approche
tuéSi,
til'Institut
Jean
rejeté.
quement
célébrités,
en
légitimation
l'opposition
A.
simple
au
de
Clair,
laarts
comme
que
(2),
indique
supplément,
jusque-là
àcomplexes
d'avant-gardisme
font
esthéticiens,
diachronique
et
àdes
Verger,
lasupplantés
(l'image
délivré
opposition
les
ladernière
Deuxième
sur
l'art
de
Ce
1972.
répondre
Clair,
support
de
même
prix
découverte
ont
ou
l'ENSBA
àpertinents
n'avait
fin
etc.-
supérieure
Certaines
tels
plastiques.
un
des
Art
latient-elle
-rythmée
France
Rome-
avant-gardes
sur
taxinomies
52
de
qui
et
du
familiers
des
lade
vivant,
aujourd'hui
par
du
production
encore
parce
"tenté
concept".
se
aux
seulement
que
inévitablement
jusqu'en
ensemble
artistes
l'art,
direction
de
une
Art
de
et
l'ordre
en
sociologique
est
L'enseignement
etque
artistes
Grand
le
19e
l'avant-garde
qui
décennie.
bases
exemple
trouve
lapas
etc.).
ladu
l'imaginaire
France,
certains
Rome
communs
àartistique
terrain
et
toujours
tome
catégories
en
àse
agents
plus
les
depuis
qui
de
nouvelle
siècle,
celui
(institutions
du
de
entre
tendances
que
les
par
position
de
pour
par
ou
des
champ
produisent
des
difficulté
conservateurs,
France,
dans
au
Rome
sont,
pressenti.
relations
les
scientifiques.
prix
Les
au
compte
de
définir
1968
laforte
pour
(nomination
laissent
sens
II,
artistique
qu'il
les
Il
ses
considérés
diplômes
les
d'autres
existantes
de
;Beaux-Arts
la
apparemment
instances
comportement).
objet
une
pratique
environ
de
leL'auteur
titres
et
artistes.
l'art
un
"l'art
artistes
en
siècle
les
aujourd'hui,
stigmatisé,
national).
l'effet
des
n'adoptera
(1).
classant
déclassements
recherche
des
par
distinctions
champ
l'art
méthodes
agénération
faire
entre
par
l'invitation
cercle
se
revanche,
critères
une
Enjeux,
nouvelle
observé.
un
ont
choisi
aux
sont
de
entre
l'histoire
etles
spécialistes
utilisées
contemporain.
transformations
comme
trouvant
LeLes
unique.
et
àleordre
officiel,
à:l'art,
confrontés
des
sont
entrer
une
dernier
nouvelle
diplômes
l'univers
leBeaux-Arts
journellement
artistique
été
chaque
la
exclues,
de
des
ale
principe
champs
:modes
Ministère
et
proposant
Dans
des
Néanmoins
ceux
les
lequi
pôle
comme
notamment
Pour
de
instruments
années
parce
Paris,
fois
et
c'est
dizaine
classés
génération,
diamètre
inl'avant-garde
sociologue
les
représentants
stigmates
abstraits
intelligible"
pour
critiques
les
nouvelles
ne
considérablement
pensionnaires
événementielle
instrument
déclassant
cette
d'un
Les
produisait
Encyclopaedia
décision
publiant
et
diamétralement
dont
pas
politique
l'avertissement,
successifs-
contrariée
honorifiques,
génération
semble
l'héritage
efforts
titres
par
comme
redeviennent
tous
à1984,
Ainsi
des
-par
de
de
des
artiste
La
60.
contemporaine
artistique
qu'il
par
l'Académie
d'années,
de
école
indicateurs
d'avant-garde
lales
deprincipe
-historiens
laconsécration
aux
Ainsi,
horizontal
producteurs
des
de
ces
sélection
démarche
proposé
résultats
affinité
nomenclature
Paris
production
exemple
des
pp.158-169.
qui
définissant
conjugués
la
Paris,
arts
d'art,
pas
ilpar
et
pour
l'art
se
ainsi
la
dans
dans
cette
officielle,
instances
critique"
s'est
problèmes,
des
de
l'illusion
doit
la
sait
:de
culture
lemais
témoins
définition
l'ouvrage
lepublié
deétaient
doit
avoir
visions
et
exemple
ont
etUniver-
français
pôle
vision
l'avant-
par
de
l'Ecole
Prix
Ed.
rendre
les
des
lelistes
n'est
un qu'il
Jean
était
bien
rôle
des
les
été
de
du
en
de
la
le
ety producteur et l'histoire de sa vie. Dix ans plus tard, les sciences
humaines et notamment la psychanalyse ont introduit de nouvelles
méthodes pour offrir un modèle d'explication de la production
artistique. La lecture particulièrement attentive des articles et des
catalogues permet de constater que les nouveaux venus dans la
critique font, la plupart du temps, l'économie des conditions
sociales de production des producteurs d'art.
Enfin, la recherche entreprise ne s'est pas donné
pour objet les plasticiens dans leur totalité -définis
comme une population - mais le groupe des
producteurs d'art qui sont en concurrence pour la
consécration décernée par un ensemble d'institutions,
elles-mêmes en compétition. L'observation montre
qu'un nombre limité d'artistes occupe les positions
les plus enviées sur le marché national et
international. Le parti adopté a donc été d'établir un
échantil on de 50 artistes, d'après les invitations à certaines
manifestations nationales et les sélections
institutionnelles périodiquement établies pour représenter

3-Créée en novembre 1968 par Aimé Maeght, cette revue a.

contribué au renouvellement du vivier des artistes français.
4-Jean Clair, né en 1940, est entré jeune dans les luttes pour
moderniser les institutions culturelles (avec les critiques Gerald Gas-
siot-Talabot, Michel Troche et le conservateur Pierre
Gaudibert). Docteur en esthétique, il a été conservateur au
Musée national d'art moderne entre 1968 et 1970, puis rédacteur en
chef de la revue Chroniques de l'art vivant (cf. notice
biographique publiée dans J. Clair, Art en France, une nouvelle génération,
op. cit.).
5-C. Millet, L'art contemporain en France, Paris, Ed.
Flammarion, 1987.
4 Annie Verger

Tableau 1
Les instances de consécration
Le graphique comporte en abscisse 30 manifestations artistiques
et 3 grandes institutions culturelles :
Mythologies quotidiennes, juillet-octobre 1964
Musée d'art moderne de la Ville de Paris -
Un comité d'organisation - 34 artistes.
Documenta de Kassel 3, 1964
Fondateur, Arnold Bode - 41 artistes français (21 USA, 56 RFA).
16e salon de la Jeune Peinture, janvier 1965
Musée d'art moderne de la Ville de Paris -
Administrateur, Michel Troche - Président, Louis Fabien.
17e salon de la Jeune Peinture, janvier 1966
MAM de la Ville de Paris - Président, Gilles Aillau.
Le monde en question, juin 1967
ARC (MAM de la Ville de Paris)- Comité de sélection -
26 peintres ou groupes d'artistes.
18e salon de la Jeune Peinture, janvier 1967
MAM de la Ville de Paris - Président, Gilles Aillaud.
34e Biennale de Venise, 1968
Michel Ragon démissionne de son mandat
de commissaire général du Pavillon français.
Documenta de Kassel 4, 1968
4 commissaires - 10 artistes français (43 USA , 17 RFA).
Salle rouge pour le Vietnam, élaborée entre février et avril 1968
Devait faire partie du 19e salon de la Jeune Peinture
Sera présentée entre le 17 et le 23 février 1969 à l'ARC -
Comité d'artistes - 24 oeuvres.
Distances, 1969, présentée en deux fois
1. : du 20 au 31 mars (14 artistes) ; 2. du 1 au 13 avril (14
artistes) - A l'ARC,
:
à l'initiative de 2 exposants (Joël Kermarrec et Jacques Poli).
Salons de Mai, de 1964 à 1977
Récapitulation de toutes les participations des artistes
de l'échantillon à ce salon - Au Grand Palais.
Biennales de Paris, de 1963 à 1977
Récapitulation de toutes les participations des artistes
de l'échantillon aux Biennales - 1977 représente le butoir de l'âge
pour un certain nombre d'artistes.
Support/Surface, 13 septembre-15 octobre 1970
Bioulès, Dezeuze, Devade, Saytour, Valensi, Viallat à l'ARC.
Art en France, une nouvelle génération,
Jean Clair, Paris, Ed. du Chêne, 1972
L'index des noms cités (56) a été une des sources d'informations.
Douze ans d'art contemporain en France (1960-1972),
mai-septembre 1972
Grand Palais - Un comité d'organisation -
72 artistes ou groupes d'artistes.
Documenta de Kassel 5, 1972
Secrétaire général, Harald Szeemann -
11 artistes français (79 USA, 30 RFA).
36e Biennale de Venise, 1972
Dernière Biennale avant le changement de réglementation.
Amsterdam-Paris-Düsseldorf, 1972
Sélection d'artistes européens invités au Salomon
R.Guggenheim de New York
L'exposition doit aller ensuite à Los Angeles et à Saint-Louis.
Daniel Templon, l'art au présent, 2 octobre-10 novembre 1974
Palais Galliéra.
Art sociologique, 17 juin-31 août 1975
Palais Galliéra - Hervé Fischer, Fred Forest, Jean-Paul Thénot.
37e Biennale de Venise, 1976
Commissaire du Pavillon français, Pierre Restany.
Documenta de Kassel 6, 1977
11 commissaires - 14 artistes français (52 USA, 56 RFA).
Mythologies quotidiennes 2, 28 avril-5 juin 1977
ARC - Exposition organisée par Gerald Gassiot-Talabot, Jean-
Louis Pradel, Hervé Télémaque, Bernard Rancillac - 86 artistes.
Tendances de l'art en France 1968-1978/9, 1979-1980
ARC - 1. Les partis-pris de Marcelin Pleynet, 13 sept.-21 oct.
1979 ; 2. Les partis-pris de Gérald Gassiot-Talabot, 26 oct.-5 déc.
1979 ; 3. Partis-pris autres, 14 déc. 1979- 20 janv. 1980.
Le champ des avant-gardes 5
38e Biennale de Venise, 1978
Commissaire du Pavillon français, Jean-Jacques Lévêque.
39e Biennale de Venise, 1980
Commissaire du Pavillon français, Gilles Plazy.
Statements New York 82-Leading Contemporary Artists from
France, 1982
Manifestation artistique organisée par l'AFAA (Association
Française d'Action Artistique, organisme rattaché au Ministère
des relations extérieures) - 21 artistes français sont exposés dans
16 galeries de New York - Commissaires, Catherine Millet puis
Otto Hahn.
40e Biennale de Venise, 1982
Commissaaire du Pavillon français, Dominique Bozo.
Nouvelle Biennale de Paris, 1985
Halles de La Villette - Direction générale, Georges Boudaille.
1977 L'époque, la mode, la morale, la passion - Aspects de l'art
d'aujourd'hui, 21 mai-17 août 1987.
MNAM, Centre Georges Pompidou - Commissaires de
l'exposition, B.Blistène, C.David, A.Pacquement, C.Van Assche.
Expositions individuelles des artistes constituant l'échantillon
entre 1964 et 1987 : soit à l'ancien Musée National d'Art
Moderne; au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris ou à
l'ARC ;soit au Centre National d'Art Contemporain (CNAC),
Rue Berryer ; soit au Centre Georges Pompidou après 1977.
Le repérage de la présence des artistes à une ou plusieurs
manifestations s'est effectué à partir de deux sources : 1. la liste des
participants publiée dans les catalogues de ces expositions; 2. les
biographies publiées dans les catalogues des artistes. Parfois les
deux sources ne coïncident pas exactement. Par exemple, pour la
Biennale de Venise, il y a une sélection officielle par pavillon
(c'est-à-dire par pays) qui concerne de un à trois artistes à
chaque Biennale. Cependant, les sélections nationales sont
accompagnées d'une exposition, souvent thématique, dans le pavillon
central. A cette occasion, plusieurs artistes sont invités à montrer
une oeuvre. D'autre part, depuis 1964, certains pays ont
présenté un mouvement ou un groupe d'artistes choisis par un critique,
à l'extérieur de la Biennale (cf. la présentation des choix de Jean-
Louis Froment à l'église San Lorenzo pour la Biennale de 1980).
Les artistes qui ont été invités à Venise dans une de ces
circonstances l'inscrivent dans leur biographie.
Dans le cas de l'art de comportement, des manifestations
peuvent être "off, c'est-à-dire dans le cadre d'une manifestation
de type Kassel mais sans invitation officielle.
L'exposition "12 ans d'art contemporain en France" a été
l'objet d'une sélection officielle (liste publiée dans la presse) ;
cependant, un certain nombre d'artistes ont refusé l'invitation si
bien que la liste publiée dans le catalogue ne correspond pas
exactement à la sélection initiale.
On remarquera que ce premier tableau ne comporte que
49 noms d'artistes parce qu'il enregistre les productions et non
les personnes. Ainsi, Anne et Patrick Poirier se trouvent
confondus parce qu'ils se présentent toujours étroitement associés dans
leurs oeuvres. En revanche, ils sont observés séparément lorsqu 'il
s'agit de considérer leurs caractéristiques sociales.
Les critiques et les historiens d'art pourront également
contester la distribution des 50 artistes en cinq tendances. On a
choisi les définitions les plus souvent proposées. Chaque fois les
sources qui ont permis de construire l'espace des avant-gardes
ont été indiquées. Parfois des artistes ont été agrégés à des
tendances bien qu'ils affirment n'avoir jamais participé aux activités
du groupe (Jean-Michel Meurice, par exemple, dit n'avoir jamais
fait partie du groupe Support/Surface). Ce sont les spécialistes
qui les ont associés dans des expositions (Partis-Pris, etc.).
Une bibliographie des biographies ayant servi à établir tous les
tableaux a été constituée ; elle est cependant trop longue pour
accompagner le tableau. De nombreuses vérifications ont été
effectuées afin de ne pas léser les artistes, c'est-à-dire, oublier de
les citer dans les manifestations les plus légitimantes ou, pire, les
inscrire dans une partie du champ dans laquelle ils ne veulent
surtout pas apparaître.
6 Annie Verger
la France à l'étranger, entre 1964 et 1987. Ils
constituent l'ensemble des représentants significatifs des
positions d'avant-garde.
Les indices qui ont permis de choisir la date de
1964 comme point de départ de la recherche sont
nombreux. Certes, la consécration d'un artiste
américain à la Biennale de Venise cette année-là - alors
que la récompense était régulièrement attribuée à
un Français depuis la fin de la guerre- a eu valeur de
symbole dans le milieu de l'art ; toutefois, les
indicateurs ont été construits à partir de données
économiques : Raymonde Moulin a montré que la crise
financière de Wall Street de mai 1962 avait atteint la
Bourse de Paris et entraîné peu après une "crise" du
marché de la peinture contemporaine en France (6).
Signe tangible de la transformation du champ :
Daniel Cordier ferme sa galerie parisienne en juin 1964
et adresse une "Lettre pour prendre congé" à ses
confrères avant de s'installer à New- York. D'autres
indices ont permis de constater que le marché
français ne capitulait pas la même année, Aimé et
Marguerite Maeght inaugurent leur fondation à
Saint-Paul de Vence. Cette date correspond
également à l'arrivée d'une génération qui multiplie les
formes d'expression (plastiques mais aussi politiques
et économiques) (7) et s'adapte aux contraintes
récemment imposées par le marché étranger. Enfin, le
Musée d'art moderne de la Ville de Paris s'ouvre à
l'art vivant avec "Mythologies quotidiennes" en
juillet 1964.
L'étude porte sur des artistes dont
l'émergence sur le marché de l'art s'est effectuée avant
1980. On sait que les mouvements novateurs s'é-
moussent et entraînent leurs représentants dans le
déclin historique des avant-gardes. Après 1980, les
expositions choisies comme indicateurs, c'est-à-dire
"La France à New- York" en 1982, la Biennale de
Paris en 1985 ou encore "L'époque, la mode, la morale,
la passion", présentée au Centre Georges Pompidou
en 1987, ont plutôt été retenues pour vérifier la
longévité de certaines carrières. Une nouvelle
génération apparaît dans les manifestations artistiques
françaises au début de la dernière décennie, mais elle
n'a pas été introduite dans cette recherche. Les
indicateurs permettant de désigner les valeurs d'espoir
n'ont pu être établis à partir des sources
documentaires existantes parce qu'elles n'étaient pas
exhaustives jusqu'à une période très récente (8).
6-R. Moulin, Le marché de la peinture en France, Paris, Ed. de
Minuit, 1967, p.455.
7-Le 15e Salon de la Jeune Peinture qui s'est tenu en janvier 1964
est considéré par les spécialistes comme une salon de rupture
"écartelé entre Bonnard et Bacon" (comme l'écrit Jean-Jacques
Lévêque) in F. Parent et R. Perrot,Le Salon de la Jeune Peinture,
une histoire, 1950-1983. Paris, EdJ.P, 1983.
8-Les documents produits par les organismes publics attestent la
transformation du champ culturel, notamment en raison de la
régionalisation. Ils doivent être régulièrement tenus à jour si l'on
veut construire la liste des artistes émergeant après 1980 et
occupant une position durable dans le champ de 1 avant-garde. Les
ouvrages d'histoire de l'art concernant l'art vivant sont rares ; il
faut attendre 1987 pour trouver une chronologie et un index
couvrant cette période (cf. l'ouvrage déjà cité de Catherine Millet qui
n'est publié qu'en octobre 1987 ou encore, Groupes,
mouvements, tendances de l'art contemporain depuis 1945, ouvrage
collectif produit par l'ENSBA sous la direction de Mathilde Ferrer,
publié en mai 1989 mais qui n'aura un index qu'à la 2e édition).
Il reste la presse spécialisée ; cependant, elle est trop engagée
La construction de l'échantillon
l' avant-garde
Pour construire
française,
l'échantillon
30 manifestations
des 50 représentants
artistiques
de
(en abscisse sur le tableau 1) ont été sélectionnées à
partir des déclarations d'intention des organisateurs
-toujours clairement indiquées dans les avant-propos
des catalogues-, de la composition des comités
d'organisation ou de sélection et des conditions d'accès,
c'est-à-dire du "droit d'entrée" des artistes.
Le principe de la best-seller list n'est pas sans
danger, même explicité par la publication des critères
de sélection (9). Les difficultés viennent notamment
du fait qu'à chaque opération, la légitimité des
institutions ou des expositions retenues doit être
démontrée et que le travail proprement scientifique de
collecte et de croisement des données disparaît
derrière le graphique ; on prend le risque de voir la liste
définitive - débarrassée de tous ses échafaudages-
comme le résultat d'un choix arbitraire, voire d'un
goût personnel.
Classer les manifestations classantes
Ces manifestations peuvent être considérées comme
des indicateurs pertinents parce qu'elles ont fait
date : elles ont déclassé les tendances consacrées,
imposé une nouvelle conception de l'art français et
introduit les artistes sur le marché étranger. Les
événements artistiques choisis ont été maintenus dans
l'ordre chronologique pour observer l'évolution des
luttes pendant la période considérée. Entre 1964 et
1972, les expositions restent représentatives du
champ artistique français : elles conservent la forme
du salon (Salon de mai, Salon de la Jeune Peinture)
ou du manifeste (Le monde en question -1967-, Salle
rouge pour le Viêt-nam -1969-, etc.). L'exposition
"72/72, 12 ans d'art contemporain en France"
exprime et clôt en même temps cette époque.
Commandée par le chef de l'Etat, elle tente d'enrayer le
déclin d'un marché autrefois hégémonique, en
désignant les artistes les mieux placés pour entrer
dans la compétition internationale. En revanche,
entre 1972 et 1987, ce sont les grandes
manifestations comme la Biennale de Venise et la
Documenta de Kassel (10) qui dominent ou encore les
opérations de prestige telles que "Amsterdam-Paris-
Düsseldorf en 1972 ou "La France à New York" en
'
1982 , etc. Elles éclipsent l'activité artistique
nationale.
Choisir 30 manifestations artistiques c'est en
même temps faire l'inventaire des structures d'ac-
dans les débats de l'avant-garde pour satisfaire, seule, aux
exigences de la recherche scientifique. L'observation des
manifestations à l'étranger ne permet pas de constater qu'un groupe de
jeunes artistes français se soit imposé dans le champ de l'avant-
garde internationale depuis une dizaine d'années.
9-L'exemple du Kunst-kompass , établi périodiquement par le
journaliste allemand Willi Bongard, a montré les limites de cette
opération et, notamment, de l'estimation chiffrée de la valeur des
artistes. Cf.A. Verger, L'art d'estimer l'art, Comment classer
l'incomparable, Actes de la recherche en sciences sociales, 66/67,
mars 1987, pp.105-121.
10-Manifestations créées en 1895 pour la Biennale de Venise et
en 1955 pour la Documenta de Kassel.

cueil qui sont devenues emblématiques (Musée d'art
moderne de la Ville de Paris, Grand Palais, Palais
Galliera, Centre Georges Pompidou, Halle de la Vil-
lette, etc.) ; c'est recenser les groupes de producteurs
d'art présentés par les institutions ou les galeries ;
enregistrer les tendances et constituer le champ des
agents culturels (conservateurs, critiques, directeurs
de galerie, etc.).
L'observation des modalités de sélection qui sont au principe des
expositions retenues montre que l'entrée dans le champ des
manifestations légitimes dépend de facteurs divers. L'âge est un
premier indicateur : il marque des limites (par exemple, pour être
admis au Salon de la Jeune Peinture ou à la Biennale de Paris, les
exposants ne doivent pas avoir plus de 35 ans). La comparaison
des listes d'invités (se succédant d'année en année) permet
d'enregistrer la fragilité des valeurs d'espoir, la longévité de certaines
carrières, le poids relatif des anciens et l'émergence de nouvelles
générations. Les contraintes peuvent être imposées par les
artistes eux-mêmes qui créent des jurys d'admission pour leurs
pairs. Il arrive même parfois que les membres fondateurs d'une
tendance se montrent intransigeants à l'égard de ceux qui
tenteraient de dévoyer les principes affichés ; ils pratiquent la mise à
l'écart ou l'exclusion.
Les enjeux sont plus importants lorsqu'il s'agit de
déléguer des ambassadeurs de l'art contemporain à l'étranger. Par
exemple, le choix de l'artiste exposant au Pavillon français de la
Biennale de Venise engage l'Etat qui entre en compétition sur ce
terrain avec d'autres pays pour l'attribution du Grand prix. Les
critères de sélection sont établis par un comité de spécialistes
culturels qui désigne le meilleur représentant des intérêts français.
Enfin, le droit d'entrée est encore plus difficilement obtenu
lorsque ce sont des spécialistes étrangers (conservateurs de musée,
marchands, critiques, etc.) qui invitent. Les artistes sont choisis
parce qu'ils sont accordés à la définition internationale de l'avant-
garde la plus récente. Ils se trouvent pris dans des luttes de
classement entre les pays engagés en faveur de l'art contemporain
pour savoir qui détient le monopole du pouvoir de consécration.
Du nombre des élus dépend la réputation de chaque pays. La
comparaison des listes d'invités à la Documenta organisée par la
ville de Kassel entre 1955 et 1982 permet d'observer les
renversements d'influence entre l'Europe et les Etats-Unis.
La constitution de l'espace des avant-gardes tient en
grande partie à la mobilisation de groupes d'agents
engagés dans des luttes pour transformer le champ
de l'art contemporain. En 1964, la défaite de l'Ecole
de Paris devant la peinture américaine provoque un
ensemble de réactions de la part des jeunes qui
estiment être les seuls en mesure de revenir dans la
course et de certains responsables d'institution qui
dressent des bilans et encouragent les changements
esthétiques. Ainsi, les raisons de s'associer pour
retrouver une place honorable sur le marché
international sont multiples. La mise au jour des affinités
esthétiques, politiques, économiques qui
rapprochent des conservateurs de musée, des critiques
d'art, des directeurs de galerie, etc., ou encore des
prises de position qui les opposent, permet de décrire
l'espace des 50 artistes qui comptent.
Une famille d'esprit : les nouveaux
organisateurs d expositions
L'observation détaillée des manifestations
artistiques retenues montre que certaines expositions ont
laissé percer l'impatience des jeunes ; elles ont été
conçues par des conservateurs en début de carrière,
des critiques d'art, des artistes, qui aspiraient à
changer le comportement des responsables culturels.
Rappelons que la politique menée en France depuis
la fin de la guerre pour célébrer les grands aînés, sans
Le champ des avant-gardes 7
encourager véritablement la nouvelle génération,
devait trouver sa sanction à Venise en 1964. L'échec
de Roger Bissière -inscrit dans la lignée des abstraits
européens- devant l'américain Robert Rauschen-
berg -représentant du Pop'art- a entraîné le
déclassement d'un courant esthétique mais, en même
temps, a favorisé le renouvellement de l'avant-garde
française. Les luttes engagées par les organisateurs
d'expositions "nouvelle manière" ont eu pour objet,
notamment, le rajeunissement des institutions
spécialisées dans l'art contemporain. Constatant que
celles-ci géraient le patrimoine constitué récemment
avec les méthodes canoniques des musées nationaux,
ils ont cherché à introduire l'art vivant par le biais des
salles d'actualité plus spécialement réservées aux
premières expositions. D'autre part, ils ont souhaité
développer l'animation culturelle dans les musées
pour rapprocher le public de la production actuelle.
Ces responsables -qui ont à l'époque entre 30 et 40
ans- partagent une certaine forme d'indignation, la
faculté de s'adapter à la création sous toutes ses
formes et un comportement hétérodoxe à l'égard de
la culture des musées. Ils forment "une famille d'es-
prit" (11).
L'esprit de famille qui lie les différents comités d'organisation
tient en grande partie à la mobilisation d'un groupe de
responsables culturels qui veulent transformer la politique du Musée
d'art moderne. Depuis son inauguration en 1947, celui-ci se
consacrait exclusivement à l'Ecole de Paris -pour les achats
comme pour les célébrations-, ignorant les nouveaux artistes et
les étrangers. D'autre part, le Musée d'art moderne de la Ville de
Paris, ouvert en 1961 pour présenter des collections provenant
principalement de legs, ne se préoccupait pas davantage de l'art
actuel. En revanche, la politique de développement culturel
entreprise par André Malraux avec la création des Maisons de la
culture commençait à produire ses effets. Après 1964, l'obsoles-
cence de l'Ecole de Paris oblige les administrateurs
municipaux (12) à réexaminer le problème de l'avant-garde et à
introduire des techniques d'action culturelle au sein même des
musées. La création du CNAC -Centre national d'art
contemporain- (13) et de l'ARC -Animation recherche confrontation- en
1967 répond aux nouveaux besoins (14). Cette deuxième
structure occupe une position originale ; elle est accueillie par le
Musée d'art moderne de la Ville de Paris pour y mener une
expérience-pilote alors que son administration et son financement
dépendent directement de la Direction de l'action culturelle de la
Ville de Paris. Les missions confiées aux organisateurs
concernent les jeunes qui ne fréquentent pas habituellement les musées
et les artistes qui n'ont pas encore montré leur travail. Le
"musée-temple" exclusivement fréquenté par les classes cultivées est
11-Expression employée par Gerald Gassiot-Talabot dans l'a-
vant-propos du catalogue de "Mythologies quotidiennes", juillet-
octobre 1964.
12-La Direction des Beaux-Arts de la Ville de Paris devient en
1967 l'Action culturelle de la Ville de Paris. L'année suivante, le
nouveau directeur Alain Trapenard, conseiller technique au sein
du cabinet d'André Malraux entre 1963 et 1969, soutient la
politique de l'ARC.
13-B.Gautier, catalogue du CNAC, Paris, 26 septembre 1969.
Le Centre national d'art contemporain a pour mission de
proposer l'acquisition d'oeuvres d'artistes vivants, français et étrangers
aux commissions habilitées par l'Etat ; de combler les lacunes
constatées dans les collections nationales ; de prêter des oeuvres
aux musées et aux Maisons de la culture ; d'organiser des
expositions en France et à l'étranger.
14-P.Deparis, Histoire de l'ARC, mémoire de maîtrise,
Université de Paris 1, 1975. Cette étude montre que 75% du public se
situe dans la tranche des 18-30 ans. L'information des activités de
l'ARC est essentiellement dirigée vers le public des Maisons des
jeunes et de la culture, vers les mouvements d'éducation
populaire, les associations de jeunes et les centres culturels
communaux de la région parisienne.
8 Annie Verger
Questions de terminologie
La
lpar
cérémonie
etc.),
groupe
'observateur.distribution
l'histoire
Ilunydeainaugurale
leader
des
producteurs
de
attributions
des
l'art
(écrivain,
artistes
(festival,
a posé
cosignataires
indubitables,
critique
selon
quelques
happening,
les d'art,
tendances
problèmes
d'un
attestées
exposition,
manifeste.
artiste,
répertoriées
àparetc.),
une
repas,
Par un
la
suite, le droit d'entrée est accordé à certains artistes par
cooptation. Ainsi, l'appartenance à la tendance peut être
enregistrée à partir des publications successives (catalogues,
témoignages, etc.). Le terme générique est adopté, semble-t-
il, sans contestation, ni dénonciation a posteriori. On peut
prendre pour exemple la tendance du Nouveau réalisme.
Pierre Resta ny écrit : "J'ai publié le premier manifeste du
nouveau réalisme à Milan le 16 avril 1960, en prévision d'une
exposition qui eut lieu le mois suivant à la Galerie Apollinaire
et qui groupait : Arman, Dufrêne, Hains, Yves Klein, Tingue-
ly, Villeglé. C'est à cette occasion que j'employai pour la
première fois le terme 'nouveaux réalistes'. Le groupe a été
officiellement constitué le 27 octobre 1960 au domicile d'Yves
Klein...".
Parfois, la définition des critères d'appartenance à
une tendance n'est pas immédiate. Un critique d'art
enregistre des transformations esthétiques (par exemple,
académisme de l'abstraction/retour de la figuration) ; il crée une
locution qui atteste le changement Michel Ragon écrit : "Ce
n'est qu'en mars 1961, dans un article publié par le journal
Arts, queje lançai le mot nouvelle figuration qui devait faire
fortunc.Pourquoi nouvelle figuration ? Eh bien pour
distinguer celle-ci de la figuration traditionnelle qui, malgré le
succès dans le milieu de l'avant-garde de Fart abstrait, n'avait
certes pas dételé. A ses débuts, la nouvelle figuration fut un
courant né spontanément qui montrait des tendances fort
différentes. L'une de ses particularités, qui achevait
d'embrouiller les choses, c'est qu'elle réunissait d'anciens peintres
figuratifs traditionnels, comme Rebeyrolle, et d'anciens
peintres abstraits, comme Alechinsky". Michel Ragon
n'envisageait tout au plus, à cette époque, que le passage d'une
abstraction pure à une abstraction allusive
("Demi-figuration, donc, aux formes plus suggestives que descriptives,
violentes, avec des couleurs crues"). Or, l'invitation de Paul
Rebeyrolle à l'exposition "Nouvelle Figuration 2" en 1962 à la
Galerie Mathias Fels est, de fait, l'indice de la
transformation esthétique. Bien que considéré comme "traditionnel" par
Ragon, cet artiste est au principe de l'association dite de la
Jeune Peinture et d'un nouveau courant figuratif qui
s'impose à partir de l'exposition "Mythologies quotidiennes" en
1964 et conserve le nom inventé pour d'autres raisons. Autre
expression créée par Gerald Gassiot-Talabot pour désigner
cette tendance : "La Figuration narrative" (il s'agit d'une
exposition à la Galerie Creuze en octobre 1965 intitulée "La
Figuration narrative dans l'art contemporain"). Il est plus
difficile d'établir une liste exhaustive des représentants de
cette tendance parce qu'il s'agit d'une nébuleuse constituée
de groupes divers qui se font et se défont au gré des actions
en cours. H n'y a que la rétrospective qui permet d'observer
l'évolution du groupe, de répertorier les permanents,
d'enregistrer les adhésions et les départs.
Support ¡Surface (ou Supports¡Surfaces) a été créé par
un groupe d'artistes et présenté à l'ARC le 13 septembre
1970. Le nom de ce mouvement a été trouvé par Vincent Biou-
lès. Un texte a été rédigé le 23 septembre par Louis Cane
(absent de l'exposition), Marc Devade et Daniel Dezeuze. Les
cosignataires y développent les principes constitutifs. Après
remplacé par le "musée-chantier" ou le "musée-forum". Le
conservateur, Pierre Gaudibert, écrit : "Je ne pense pas à la classe
ouvrière, mais à un public que l'on peut délimiter comme une
cible, c'est-à-dire essentiellement les classes moyennes en
expansion, les nouvelles classes moyennes" (15). L'expérience qui
consistait à démocratiser l'art a reposé en grande partie sur le
militantisme et le bénévolat.
L'exposition qui inaugure la liste des 30
manifestations artistiques est "Mythologies quotidiennes",
ouverte en juillet 1964 au Musée d'art moderne de
huit expositions, un constat collectif conduit, le 14 juin 1971,
à décréter la "désintégration" du groupe et à interdire
l'utilisation du titre Support/Surface, afin de ne céder à aucune
récupération par l'idéologie dominante. Cependant, 20 ans
après, l'observation des sources documentaires
essentiel ement fournies par les catalogues montre que la liste des
participants s'est accrue. Les conditions d'utilisation du titre se
sont apparemment assouplies en raison, notamment, du
travail de critiques d'art et de conservateurs de musée qui ont
accompagné l'activité de ces artistes.
Il a été beaucoup plus difficile d'utiliser un terme
générique pour désigner un ensemble d'artistes objectivement
réunis par le marché — comme l'atteste, entre autres, le choix
des organisateurs de ProspectRetrospect - mais
farouchement attachés à la maîtrise et à la conduite de leur carrière.
Les représentants les plus éminents de l'avant-garde
française veillent à ce que des étiquettes (commodes pour le
chercheur mais inacceptables pour le praticien) ne leur soient
attribuées. On a enregistré les invitations collectives, les
classements ainsi que l'analyse des historiens de l'art vivant qui
proposent des mises en forme et des réajustements
périodiques. Ainsi, plusieurs publications (articles et ouvrages de
référence) font état d'un "art comme concept" (J. Clair) ou
encore expriment l'idée qu'"une grande partie de l'art
moderne, en valorisant la conception, voire l'idée première qui
déclenche le processus de création, disqualifie le support
matériel de l'œuvre d'art" (C. Millet). On a donc utilisé le terme
de concept pour désigner les artistes qui se situent plutôt du
côté du pôle du marché international et s'opposent nettement
aux représentants de la Nouvelle figuration. Cependant, afín
de prévenir les critiques des artistes et des spécialistes de l'art
contemporain, on rappelle que si les 17 artistes sont
fortement córreles dans l'analyse factorielle des correspondances,
ils ne forment pas pour autant un groupe esthétiquement
homogène. Certains ont participé à des mouvements d'avant-
garde internationaux tels que Le mouvement Fhtxus (Festival
international Fluxus à Wiesbaden créé par George Maciunas
en septembre 1962) : ainsi George Brecht et Ben. Mais dans
le classement établi par Ben et publié dans le catalogue "à
propos de Nice", celui-ci se range dans la catégorie "
conceptuel (l'idée seule suffit)".
— BMPT Buren, Mosset, Pannentier, Toroni. Le groupe
apparaît au Salon de la Jeune Peinture en 1967. Par la suite,
Buren expose avec les artistes conceptuels. (Cf. l'ouvrage
Concept Art de Klaus Honnef ou l'exposition "18 Paris IV 70"
organisée par Michel Claura).
- Certaines oeuvres de Gérard Titus-Carmel - notamment
les environnements olfactifs de 1970 - ou les ambiances de
Robert
conceptuel " (C.Malaval
Millet). "ont quelque chose à voir avec l'art
Les autres artistes entrent dans les catégories suivantes.
-Les objecteurs : terme inventé par Alain Jouffroy qui
présente, en 1965, une sélection d'artistes dans trois galeries,
notamment Jean-Pierre Raynaud.
-Individuelle Mythologien : section créée par Harald Szee-
mann à la Documenta 5 de Kassel, en 1972. Le Gac et Bol-
tanski y sont invités.
-L'art corporel : actions de Gina Pane (pour le Body art et
l'art corporel, cf. Chroniquesde l'art vivant,40, 41, juin et
juil et 1973).
-L'art sociologique : manifeste publié dans Le Monde le 10
octobre 1974 (Hervé Fischer, Fred Forest Jean-Paul Thénot).
Pour l'analyse du passage de l'art conceptuel à l'art
sociologique, cf. B. Teyssèdre, L'art sociologique, Opus international,
55, avril 1975.
la Ville de Paris. Le comité d'organisation se
compose de conservateurs de musée - Marie-Claude
Dane, François Mathey -, de François Wehrlin, du
critique Gérald Gassiot-Talabot et de trois artistes,
Peter Foldès, Bernard Rancillac et Hervé Téléma-
que. Tous vont exercer peu après des responsabilités
15-P.Gaudibert, Catalogue de VARQ1973-1983, Paris, Ed. des
Amis du Musée d'art moderne de la Ville de Paris, juin 1983.

dans le champ de l'avant-garde : François Wehrlin -
directeur de la Galerie Louis Carré- va diriger la
Fondation Maeght l'année suivante ; François Ma-
they devient conservateur en chef du Musée des arts
décoratifs en 1966. Ace titre, il n'est pas directement
concerné par la peinture ou la sculpture. Cependant,
il réserve une salle pour présenter l'art vivant de
manière permanente. Il est invité, en même temps , à
participer au jury de la Biennale de Venise. Gérald
Gassiot-Talabot est membre fondateur de la revue
Opus international qui paraît peu après et entend
exercer une "vigilance critique" à l'égard de la
société.
Cette exposition révèle l'émergence d'une
"vague d'objectivation" qui rompt avec l'abstraction
lyrique, tendance dominante. Les artistes sont
sélectionnés parce qu'ils reviennent tous à la réalité
quotidienne même s'ils emploient des procédés
plastiques différents. La mise en relation des oeuvres
de 34 plasticiens dévoile les affinités esthético-
politiques : le regard porté sur le monde qui les
entoure, l'engagement et la puissance de conviction, la
lucidité et l'humour, la fraternité. Ces valeurs
affichées dans les nouvelles formes d'expression, qui
utilisent l'image analytique ou critique, sont au principe
des manifestations telles que "Le monde en
question" (1967), "Distances" (1969), etc.
L'ARC a été un pôle d'attraction entre 1967
et 1972 (16). Le corpus des expositions organisées
pendant cette période porte au jour la politique de
l'institution : les relations avec les avant-gardes
apparaissant à l'étranger pendant la même période sont
peu fréquentes (Biennale internationale de
l'estampe ; 3e Salon international des galeries pilotes ;
Alternative suédoise) (17). Les artistes déjà
consacrés ne sont que rarement présentés (une exposition
Rauschenberg en 1968 et deux rétrospectives -Lucio
Fontana et Andy Warhol). Les exposants
constituent un vivier d'artistes débutants -français et
étrangers venus à Paris pour y accomplir une partie de leur
carrière ou accueillis comme réfugiés politiques. La
plupart luttent contre le conservatisme. Leurs
combats visent à la fois l'oppression des peuples : "Le
monde en question" (1967), la "Salle rouge pour le
Viêt-nam"
(1969) et la société française "Qui tue ?
Ou, vérités sur un fait divers" -travail collectif sur
l'affaire Gabrielle Russier- (1970), "Monumensonges"
(1971). Ce groupe d'artistes a représenté une
fraction non négligeable de l'avant-garde, même si,
depuis une dizaine d'années, il s'est transformé en
"vieille garde" des idéologies.
Gérald Gassiot-Talabot a mis en évidence les
traits distinctifs de l'institution : "Ases débuts, l'ARC
a été cet impétueux et pertinent mouvement de
justice critique, ce ballon d'oxygène inespéré et il
coïncide pour moi avec les années fécondes, avant et
après 1968, où nous nous retrouvions à un déjeuner
mensuel, Pierre Gaudibert, Michel Troche, Jean
Clair et moi, comme un petit groupe occulte de
16-La direction de l'ARC a été exercée par Pierre Gaudibert
pendant cette période. Suzanne Page lui a succédé de 1973 à
1990.
17-Des expositions comme "Arte povera" à Gênes en 1967,
"Quand les attitudes deviennent forme" à Berne, "Konzeption-
conception" à Leverkusen en 1969 , qui font date, ne sont pas
montrées à Paris.
Le champ des avant-gardes 9
concertation, dont les moyens d'agir étaient
précisément FARC, la Création artistique, Chroniques de
l'art vivant et Opus international (18).
Les conditions de production de l'avant-garde
ont changé ; cependant, ce courant a résisté. En
1977, Suzanne Page -directrice de l'ARC- invite
Gérald Gassiot-Talabot, Hervé Télémaque, Bernard
Rancillac à présenter un bilan en forme de remake,
"Mythologies quotidiennes II" qui groupe 86 artistes
(9 faisaient partie de l'exposition de 1964). Elle
offre ensuite à des personnalités qui ont participé à
l'évolution de l'art en France entre 1968 et 1978 de
choisir avec "parti pris" les tendances et les artistes
déterminants. Gérald Gassiot-Talabot a sélectionné
les représentants de la Nouvelle figuration et de l'art
sociologique.
Lorsque la gauche arrive au pouvoir, en 1981,
cette famille d'esprit -qui s'était auparavant
caractérisée par son engagement politique- est sollicitée
pour conduire une réflexion approfondie sur les arts
plastiques (mission confiée à Michel Troche par Jack
Lang le 24 juillet 1981). Par la suite, Michel Troche
est nommé conseiller artistique du ministre de la
Culture et Gérald Gassiot-Talabot, délégué adjoint aux
arts plastiques. Ils exercent des responsabilités dans
l'inspection de la création artistique et dans la
gestion des fonds publics (achats d'oeuvres, subventions
aux artistes, actions diverses, etc.) (19).
Les artistes
et le jugement de leurs pairs
Le deuxième groupe d'expositions choisies pour
construire l'échantillon est composé de
manifestations organisées par les plasticiens eux-mêmes. Ce
sont, en général, les salons qui permettent d'entrer
dans la compétition sans attendre la consécration du
marché. La liste de ces manifestations, actualisée en
1990 (20), montre qu'elles sont restées très actives
en France. On compte, en effet, 27 salons à Paris
(certains ne se tiennent que tous les deux ans), 11 en
banlieue et 9 en province. Les critères de selection
varient selon les circonstances. Ils peuvent être
définis selon l'âge (être né avant telle date ou, au
contraire, être un artiste confirmé), le lieu
d'habitation (par exemple, habiter dans le 14e
arrondissement), le prix de la cotisation, etc. L'admission passe,
en général, par la présentation d'un dossier avec
curriculum vitae à un comité de sélection. Depuis le 19e
siècle, la nécessité même d'un comité, puis la
définition de ses pouvoirs, restent l'objet de conflits. Par
exemple, la Société des artistes indépendants créée
18- Catalogue de l'ARC (1973-1983), op.cit. Le premier numéro
de la revue Opus international paraît en avril 1967.
19-M. Troche, Commission de réflexion sur les arts plastiques :
Premier rapport 15 février 1982. Rapport d'activités 1984, Centre
national des arts plastiques, Ministère de la culture.
20-"Salons et Biennales", document établi par le Centre
d'information et de documentation (CID ) de l'Ecole nationale
supérieure des Beaux-Arts, publication annuelle à l'usage des
étudiants.
 10 Annie Verger

Illustration non autorisée à la diffusion

en

le

Ils
lieu

générique à la Galerie Braun en 1941 ; ils étaient soutenus par

André Lhote. Leur défense du cubisme et de Picasso a été
aspectsen
Salon
créée
"jeunes
moderne de
pendant
antagoniques
peintres
la1943
Jeune
par
ladePeinture.
guerre
latradition
etgénération
complémentaires
(22).
L'Association
française"
Le-née
premier
entre
qui:duLeasalon
Salon
1904
défendu
Salons'est
etdede1909-
mai
l'art
mai
tenuaetdes
été
enle considérée comme une "forme de résistance" (citation de Bazaine
en 1942, inR.Genaille, Lfl^em/MreconfómDorame, Paris Ed
Nathan, 1955, p.284).

la résistance aux occupants s'est rapidement effritée dans des
luttes esthétiques réapparues en 1946. Les abstraits se retirent et
Fougeron s'oriente vers le réalisme socialiste. On reproche à ce
salon un certain conformisme qui conduit à la politique de "juste
milieu" (23). Néanmoins, le Salon de mai reste pour beaucoup
un passage obligé dans l'échantillon, les deux tiers y ont exposé
jusqu'en 1977 (Debré et Soulages ont participé assez longtemps ;
: cependant restent des sympathisants. Ils constituent un
la tendance Support/Surface est la moins bien représentée).
Mais un salon peut parfois être le terrain privilégié des
groupes engagés politiquement. Lorsque les instances du parti
communiste -qui proposaient aux artistes de gauche des espaces
d'exposition, un public acquis, des commandes, une critique et
des publications- perdent le monopole de la définition de l'art
engagé, après 1956, cette structure offre opportunément à ces
producteurs le moyen de s'autonomiser. C'est pourquoi l'enjeu
majeur est le renversement de majorité au sein des comités de
sélection. Auparavant, les salons consacrés aux artistes de moins
de 30 ans étaient organisés par des critiques et choisis par un
jury de personnalités. Après le quatrième Salon des Jeunes
Peintres, le fondateur Pierre Descargues (du journal Arts) est évincé
par les artistes et notamment par le groupe de La Ruche. Les
statuts de l'association stipulent que le comité de sélection du
cinquième salon sera composé de 22 peintres élus par leurs pairs.
En 1955, ce comité est réduit à 12 membres élus pour deux ans
qui sont renouvelés par moitié chaque année. Cette première
lutte étant gagnée, les rapports de force s'organisent au sein du
comité entre les juges qui occupaient le terrain -c'est-à-dire les
Réalistes poétiques- et les nouveaux entrants (24). On considère
généralement le seizième Salon de la Jeune Peinture (1965)
comme celui qui inaugure les changements esthétiques et
politiques (25).
23-G. Habasque, 18e Salon de mai, L'Oeil, 90, juin 1962. La
critique porte essentiellement
"inamovibles" et que le choixsur
du les
juryinvités.
soit trèsIl semble
éclectique,
qu'ilsans
y ait des
parti pris déterminé.
24-Cueco est élu président du 14e Salon de la Jeune Peinture,
en 1963 (cette opération est considérée comme une étape de
transition). L'année suivante, il fait entrer dans le comité les
représentants de la Nouvelle figuration selon le principe du cheval
de Troie.
Ernest Pignon-Ernest, Sérigraphie d'un Christ mort collée dans les rues de Naples, Pâques 1988.
Illustration non autorisée à la diffusion
Le champ des avant-gardes 11
Les principes de constitution de l'Association dite de
la Jeune Peinture fondée en 1953 ont une dimension
politique. Les adhérents sont ou ont été membres du
parti communiste ; certains démissionneront en 1956
lors des événements de Hongrie (26) ; la plupart
groupe d'artistes engagés qui manifestent leur
solidarité avec les peuples opprimés. Par exemple, ils
exécutent publiquement "le Mural de la Havane" en
1967, avec leurs confrères cubains (27), ou encore ils
présentent la "Salle rouge pour le Viêt-nam" à l'ARC
en janvier-février 1969. Les 24 participants s'auto-
désignent comme exposants et membres du jury. Ils
se mobilisent pour une lutte qu'ils considèrent
comme exemplaire. Les critères d'acceptabilité sont
"la justesse et la lisibilité du contenu idéologique" et
non la "valeur" ou la "qualité plastique" des
oeuvres (28). Les événements de mai 68 offrent aux
artistes l'occasion de participer aux luttes sociales au
côté d'autres catégories. Réunis temporairement
dans l'atelier populaire des Beaux-Arts, ils inventent
des modes d'expression qui échappent à la fois au
musée (affiches en sérigraphie sans signature) et au
25-Ce salon fait date en raison de l'"Hommage au vert",
organisé par 17 membres du jury qui s'imposent des contraintes
plastiques (couleur verte et format obligatoire) pour tourner en
dérision le post-bonnardisme triomphant.
26-F. Parent et R. Perrot, Le Salon de la Jeune Peinture, op. cit.
27-Plus de 90 plasticiens ont participé à cette action ; notamment
Paul Rebeyrolle, le groupe de La Ruche et certains représentants
de la Nouvelle figuration.
28-Extrait du Catalogue, Paris, 1968. Texte rédigé collectivement
par le comité du Salon de la Jeune Peinture.
12 Annie Verger
syndicalisme. Ernest Pignon-Ernest représente ce
courant. Membre du parti communiste et adhérent
à la CGT, il évolue du pôle du militantisme lorsqu'il
dessine une affiche du 1er mai à la demande de la
CGT, au pôle de la production artistique avec ses
Actions-gestes. Il a collé des sérigraphies représentant
les morts de la Commune sur Tes marches du Sacré-
Coeur en 1971 ; les victimes de l'apartheid sur les
murs de Nice lors du jumelage de la ville avec Le Cap
en 1974 ; ou encore des avortées étendues sur les
trottoirs a" Avignon, en 1975. Autant d'images au
statut incertain ; matériellement irrécupérables, elles
n'intéressent que partiellement le marché de l'art
(dessins préparatoires, photographie des situations,
etc.) ; sans consignes précises, elles n'appartiennent
pas non plus à l'univers politique.
Le groupe Support/Surface qui expose à
l'ARC pour la première fois en septembre 1970
impose des modalités d'entrée encore plus rigoureuses.
Les luttes pour occuper la position la plus avancée
dans l'avant-garde reproduisent celles qui ont
opposé un courant révolutionnaire (l'URSS, PCF/PCI,
Cuba, etc.) à un autre (la Chine, la grande
Révolution culturelle prolétarienne, la pensée maotse-
toung) (29). Dans le premier cas, l'artiste est au
service des masses et doit faire passer le contenu
idéologique avant les préoccupations formelles ;
dans le deuxième cas, il importe dans le champ
spécifique de la peinture les théories du matérialisme
dialectique sur les rapports de production. Ce
nouveau groupe assimile toute pratique manquant de
fondements théoriques à un modernisme qui n'est, à
tout prendre, qu'un académisme déguisé (30). Les
conditions d'accès sont strictes. Est invité
"quiconque fournira un travail tel qu'il a été défini (...) :
pratique articulée à une théorie matérialiste, pratique
théorique elle-même articulée à la pratique sociale :
la lutte des classes ". L'histoire des relations internes
à ce groupe est faite de dénonciations des hérétiques,
de scissions, de conflits autour de l'utilisation du
titre par les artistes mis en minorité, etc., ou au
contraire, d'énonciation des parrainages
intellectuels - Philippe Sollers et la revue Tel Quel par
exemple.
Les luttes menées par les artistes n'ont pas été sans conséquence
sur leur carrière. Ainsi, l'absence de certains est remarquée mais
elle s'explique. On peut citer l'exemple de Pierre Buraglio qui a
fréquenté l'Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts comme
d'autres représentants de l'avant-garde (Buren, Viallat, Gina
Pane par exemple) et a commencé sa carrière chez Jean Fournier
en 1966 après avoir obtenu un prix de peinture à la Biennale de
Paris. S'il ne fait pas partie de l'échantillon, c'est
vraisemblablement en raison de sa préférence pour les salons (Grands et jeunes
d'aujourd'hui ; Réalités nouvelles ; Salon de mai), de sa collabo-
29-TEINTURE cahiers théoriques et le mouvement de juin 71
ne sont aujourd'hui qu'un aspect idéologique de la lutte politique
qui va en s'accentuant depuis mai 68. Ce que nous tentons ici se
donne pour but de diffuser et d'appliquer la pensée maotsetoung
à travers notre pratique de peintres, en particulier dans tout le
champ de l'idéologie et avec tous les moyens qui nous sembleront
les plus efficaces", L.Cane (novembre 1971), PEINTURE cahiers
théoriques, 2/3, janvier 1972, p. 145.
30-Pour retrouver l'esprit des luttes de l'époque, il faut lire les
déclarations du Comité de rédaction de PEINTURE cahiers
théoriques
'droite', 2/3,
de l'art
janvier
Opus1972,
international,
p. 162, qui range
Alain "au
Jouffroy,
panthéon
Raoul-Jean
du front
Moulin, André Fermigier du Nouvel Observateur, Jean Clair des
Chroniques de l'art vivant et Jean Bouret des Lettres françaises".
ration au comité du Salon de la Jeune Peinture avec Gilles Ail-
laud et de son engagement politique entre 1969 et 1974 au
détriment de sa carrière personnelle. Il n'a presque pas exposé à
l'étranger (Biennale de Sâo Paulo en 1979) et il a attendu plus
longtemps la consécration avec une exposition individuelle au
Centre Georges Pompidou en 1982. D'autres raisons font que
des artistes reconnus ne figurent pas dans l'échantillon.
L'observation de la biographie de Patrick Saytour (publiée par l'ELAC
en 1984 dans le catalogue "Bertholin, Gherban, Saytour")
montre qu'il appartient au groupe Support/Surface de la première
heure -"Coaraze",
"Support/Surface" à l'ARC
"100 peintres
en 1970.dans
Cependant,
la ville à Montpellier",
il n'est pas présent
dans les manifestations de référence. Dans le numéro 154 d'art
press paru en janvier 1991 et consacré à "Support(s)-Surface(s)
'revisited'", Claude Viallat explique que la personnalité de
Marcelin Pleynet a beaucoup compté lors de la formation du groupe.
Il rappelle notamment que ce critique "a rejeté Saytour" (p. 16).
Ainsi, il est possible qu'indirectement l'avis d'un des agents du
champ de l'avant-garde ait pesé sur la carrière de cet artiste (par
exemple, il ne le choisit pas dans son Parti pris). Sa reconnaissance
est plus tardive : "Après le classicisme" à Saint-Etienne , "Une
idée en l'air" à New- York et "Nice à Berlin ", en 1980.
"72/72" :
un parti pris délibéré
C'est sur le fond de ces luttes que se détache la
mission de présenter le panorama d'une génération,
confiée en 1969 à un commissaire général par le
président Georges Pompidou, c'est-à-dire d'élaborer
"une grande exposition réunissant une sélection
d'oeuvres de tous les principaux peintres et
sculpteurs vivants qui habitent et travaillent en France,
qu'ils soient français ou qu'ils aient précisément
cherché dans notre pays le milieu approprié à
l'exercice de leur art" (31). Il s'agit de "72/72, douze ans
d'art contemporain en France".
Le choix des artistes a été effectué par un
comité d'organisation présidé par François Mathey
-investi de l'autorité que lui confère sa présence dans
les jurys internationaux- assisté de François Barré,
Jean Clair, Daniel Cordier, Maurice Eschapasse,
Serge Lemoine, Alfred Pacquement, tous exerçant
des responsabilités dans les institutions culturelles
ou dans le négoce de l'art français. Cette exposition
a un statut particulier ; elle ne peut être considérée
comme un baromètre de l'avant-garde
internationale (à l'image de la Documenta de Kassel, par
exemple), ni comme une compétition entre différents pays
comme à la Biennale de Venise. Il s'agit d'une
entreprise de célébration commandée par l'Etat ; elle
bénéficie du soutien des institutions les plus légitimes
-la Réunion des musées nationaux- et du prestige
que peuvent conférer les galeries d'exposition du
Grand Palais.
Les informations manquent sur les
propositions de chacun des membres du jury pour établir la
liste des invités et sur les tractations inévitables en
raison de l'importance des enjeux. Cependant, on
sait qu'une première négociation eut lieu entre
Georges Pompidou -lequel envisageait une
rétrospective englobant toute l'abstraction de 1945 à 1970
(environ 250 artistes)- et le commissaire général
François Mathey qui devait finalement imposer son
point de vue, c'est-à-dire montrer l'avant-garde
plutôt que l'art déjà consacré par les musées en adop-
31-F. Mathey, préface au catalogue de 72/72. Douze ans d'art
contemporain en France, Paris, Ed.des Musées nationaux, 1972.

Le Grand méchoui (Fresque de 63 mètres
de long sur 1,60 mètre de haut. Vinyl sur toile).
"C'est l'histoire du grand troupeau de moutons qui, effrayé
par la confusion politique née de la guerre d'Algérie,
a préféré s'en remettre pour son destin à un homme
providentiel. Bien sûr, ce troupeau que l'on voit d'abord
défiler sous l'arc de triomphe poursuit sa destinée
historique : pourvoyeur en défilés, matière première du
pouvoir économique, consommateur-consommé, viande rôtie
du grand méchoui dévoré par des rats. C'est donc, en fait, la
grande fête du capitalisme triomphant".
L'extrait choisi se situe à la fin de la fresque ; les
moutons qui se sont embarqués dans la "Nouvelle société"
après mai 68, ont traversé la participation, l'éloge du profit,
le bonheur et ils débouchent sur la culture. Seul personnage
démasqué : le ministre de la culture de l'époque, Jacques
Duhamel. Lors de l'inauguration de l'exposition 72/72, le
ministre confronté à sa représentation.
tant "un parti pris délibéré" (le choix se réduisant à
72 artistes "opérationnels").
En revanche, cette manifestation permet
d'enregistrer les attitudes politiques affichées puisque les
artistes sollicités se trouvaient obligés de prendre
publiquement position pour ou contre la participation.
Le refus est devenu, dans ces circonstances, un
indicateur aussi déterminant que l'acceptation. La liste
intégrale a été publiée en mars 1972 dans le
numéro 33 de la revue Opus international ainsi que les
décisions des invités. Certains ont décliné l'invitation
parce qu'ils ne désiraient pas se compromettre dans
une opération officielle -considérée comme le retour
de l'art d'Etat- alors que le climat politique était
encore marqué par les événements de mai 68 (32). Les
informations recueillies montrent que le refus peut
signifier le radicalisme le plus total (Le FAP -Front
des artistes plasticiens- entend ne pas être complice
de "l'ordre gaullien") ou, au contraire, la marque de
l'individualisme apolitique (ne rien devoir à l'Etat).
Une autre attitude a prévalu, qui consistait à
accepter l'invitation puis à retirer l'oeuvre exposée,
autrement dit,
méchoui" deàlaparticiper
Coopérative
puis des
à décrocher
Malassis),("Le
cette
Grand
provocation entraînant des mouvements de solidarité de
la part d'artistes comme La Villeglé, Dufrêne,
Etienne Martin ou Alechinsky. D'autres encore ont
préféré marquer leur désapprobation en retournant
l'oeuvre contre le mur (Kermarrec).
La liste définitive est le résultat d'un savant
dosage qui tient compte des différentes tendances
esthétiques : 39 % des artistes sélectionnés
appartiennent au courant de l'Abstraction et du
Nouveau réalisme (Degottex, Messagier,
Alechinsky, Klein, César, Arman, etc.) ; 23 % sont des
Le champ des avant-gardes 13
Devant le Grand Palais. Les Malassis ont décroché
Le Grand méchoui ; ils se servent de la peinture critique
comme bouclier et illustrent ainsi le thème "Police et Culture"
développé depuis 1969.
sonnalités isolées (post-surréalistes, sculpteurs,
etc.) ; 20 % représentent la tendance de la Nouvelle
figuration, qui reste bien représentée en dépit de
l'attitude hostile déclarée d'un certain nombre de ses
membres ; 13 % se composent des représentants du
mouvement Fluxus, des Mythologies individuelles
du comportement et du Concept et 5 % sont issus du
groupe Support/Surface. Ainsi, l'exposition
consacre en même temps des valeurs établies et la dernière
des avant-gardes légitimée à l'étranger la même
année (Ben, Boltanski et Le Gac sont invités à la
Documenta 5).
Les protestations soulevées par cette opération de prestige ont
porté au jour les luttes entre les différents agents. Dans un
dossier spécial publié dans le numéro 107 de la revue Cimaise, son
fondateur Jean-Robert Arnaud (en même temps membre du
Comité professionnel des galeries d'art) a rassemblé les réponses
à un questionnaire envoyé aux principaux directeurs de galerie.
La composition du jury a suscité les plus vives critiques,
notamment en raison de la présence de Daniel Cordier. A l' époque
celui-ci était contesté car, dans le milieu de l'art, personne n'avait
oublié sa "lettre ouverte" aux confrères pour signifier la mort de
l'Ecole de Paris et la suprématie de celle de New York. Son rôle
au sein du comité de sélection était considéré comme une
provocation et la liste des invités suspectée de dissimuler les "poulains
de sa défunte galerie" (Georges Boudaille). Dans l'ensemble, les
directeurs de galerie devaient contester l'objectivité de cette
opération : "Nous savons tous que ce n'est pas ainsi que cela se passe.
C'est : passe-moi mon Messagier, je te prends ton Requichot"
(Jean Polac, directeur de la Galerie Ariel).
32-Ont refusé l'invitation : Adami, Aillaud, Arroyo,. Barthélémy,
Bioulès, Buren, Cane, Cremonini, Dezeuze, Dubuffet, Filliou,
Ipousteguy, Jacquet, Le Parc, Mosset, Raysse, Recalcad, Say-
tour, Toroni, Valensi (les artistes soulignés font partie de
l'échantillon).
14 Annie Verger
Le résultat de la sélection :
50 artistes d'avant-garde
La liste des 50 artistes (en ordonnée sur le
graphique) a été établie à partir de la fréquence des
invitations dans les manifestations considérées.
Cependant, il convient de nuancer par le
commentaire les effets de la méthode quantitative parce que
le milieu de l'art apprécie inégalement les instances
de consécration et évalue à sa manière la nature des
prestations. Il va sans dire qu'une exposition
personnelle au Centre Georges Pompidou est
indéniablement plus légitimante que l'invitation à participer à
une exposition de groupe dans un salon. La
fréquentation répétée pendant plus de 20 ans des grandes
manifestations nationales et internationales est
considérée comme un indice déterminant. (C'est
Jean Le Gac qui arrive en tête avec 16 citations). En
revanche, certains artistes ont moins occupé le
terrain (cités entre trois et cinq fois) ; ils ont toutefois
été retenus et se sont trouvés en quelque sorte
survalorisés par rapport à d'autres, en raison du rôle
qu'ils ont joué à une certaine époque, notamment
comme membres fondateurs d'une tendance (pour
le mouvement Fluxus ou l'art sociologique, par
exemple). Le seuil minimum a été fixé à deux fois
pour Ernest Pignon-Ernest. Plus jeune, il n'apparaît
que dans la deuxième période mais il est désigné par
Gerald Gassiot-Talabot pour son activité novatrice
entre 1968 et 1978 ; il a une exposition personnelle
en 1979 dans une institution culturelle importante et
sa pratique originale hors des espaces
habituellement reconnus lui fait occuper une position
particulière dans le champ des avant-gardes.
Afin d'obtenir des résultats plus significatifs, on a tenté d'
assouplir les critères de sélection pour doubler la taille de l'échantillon,
c'est-à-dire de faire appel à l'histoire de l'art pour réparer des
oublis. Par exemple, on a réintroduit la tendance du cinétisme qui
avait joué un rôle notoire au début des années 60 mais qui avait
disparu depuis ; certains artistes invités seulement une fois aux
manifestations importantes ont été admis. La comparaison des
deux sélections a montré que l'accroissement du nombre de
producteurs d'art entraînait un vieillissement de l'ensemble du
groupe ; alors que, dans le premier échantillon, 11 artistes étaient
nés entre 1919 et 1929, dans la version élargie, 25 artistes étaient
nés entre 1899 et 1930 tandis que les artistes de l'après-guerre
restaient moins nombreux (un dans la première sélection et 9
dans la deuxième). L'observation des lieux de naissance a révélé
que les 50 premiers artistes sélectionnés se distribuaient assez
régulièrement entre Paris et la banlieue, le Midi-Côte d'Azur, le
reste provenant de la province et de l'étranger, tandis que pour
les 50 suivants, un déséquilibre apparaissait entre les différentes
origines géographiques ; le nombre des Parisiens diminuait
tandis que celui des étrangers augmentait (6 et 23). Cette
modification est notamment due à l'extension de l'échantillon à la
tendance des cinétistes (Agam, Cruz-Diez, Kowalski, Le Parc,
Soto, Takis, Vasarely, etc.). On a donc préféré revenir à la
première sélection parce qu'elle révèle une des caractéristiques de
l'avant-garde qui est de concentrer l'essentiel des bénéfices
économiques et symboliques au sein d'un groupe d'une extrême
faiblesse numérique. Précisons que le tableau 1 ne fait
qu'enregistrer la présence des artistes dans l'une ou l'autre des
manifestations de référence mais que leur entrée dans le champ des 50
sélectionnés est due à la recherche de multiples facteurs qui
seront analysés et montrés à l'aide d'autres tableaux.
Les terrains de la renommée : galeries
notoires et institutions publiques
La construction de l'échantillon de 50 artistes
d'avant-garde s'est essentiellement appuyée sur la
politique culturelle menée par les institutions -bilans,
constats, compétitions, célébrations, etc.- et sur
l'activité des producteurs. Il restait cependant à vérifier
la validité de cette sélection. La confirmation ne
pouvait venir que du marché privé, toujours considéré
comme le baromètre le plus sensible des ascensions
et des déclins.
Les indices de la consécration des plasticiens sur le marché des
avant-gardes ont été élaborés à partir des biographies (32) les
plus récemment publiées dans les catalogues ou les
monographies. A quelques exceptions près, la plupart datent de 1987-
88 (34). Le comptage des expositions individuelles organisées
dans les galeries privées à Paris, en province et à l'étranger, a
permis d'établir une grille quantitative (35) (cf. tableau 2, p. 38). Ce
tableau rend compte du prestige personnel et de la renommée
des tendances. Tous les artistes de l'échantillon ont beaucoup
exposé à Paris ; les groupes qui dominent sont cependant les
peintres abstraits et les Nouveaux réalistes. Les différents courants
sont assez équitablement représentés dans les régions. Si l'on
observe la répartition des manifestations à l'étranger, les USA
arrivent en tête pour le nombre d'expositions consacrées à l'art
français contemporain ; cependant, ce sont l'Abstraction, le
Nouveau réalisme et la tendance au concept qui sont invités par les
marchands américains. Les artistes de la Nouvelle figuration ou
du groupe Support/Surface sont moins reconnus, à l'exception
toutefois des artistes étrangers ayant fait la majeure partie de leur
carrière en France mais qui bénéficient d'un double statut.
L'observation des itinéraires artistiques -à partir des
50 biographies- a permis de constituer le champ des
galeries d'art contemporain pendant la période
considérée (cf. tableau 3, p. 39) : 134 galeries ont été
répertoriées à Paris et 69 dans les régions (dont 39
dans le Sud-Est) ; 325 galeries ont été citées pour les
autres pays. Certains marchands qui ont plus
particulièrement participé au travail de soutien, de recon-
maissance, d'implantation, et de promotion de
.l'avant-garde, dominent par le nombre de
manifestations consacrées à l'art vivant. A Paris, c'est Daniel
'Templon (36) qui arrive en tête avec 55 expositions
(toutes tendances confondues), puis Jean Fournier
;(30), Maeght (23), Beaubourg (18), Stadler (18),
Yvon Lambert (14), Galerie de France (14), Sonna-
ibend (12), Mathias Fels (11), Piltzer-Rheims (11),
33-11 faut préciser que le terme de "biographie" habituellement
employé dans un catalogue d'exposition ne répond pas à la
définition officielle du dictionnaire "histoire de la vie d'un
personnage", mais s'applique essentiellement à la liste chronologique
des apparitions dans le champ de production artistique.
"Curriculum vitae" conviendrait mieux pour exprimer "la carrière de la
vie", mais cette locution est plutôt réservée à la description
administrative de la carrière ; elle ne peut donc convenir aux artistes
qui redoutent d'être assimilés à des fonctionnaires.
34-Lorsque la dernière biographie publiée est antérieure à cette
date, cela signifie que l'artiste n'a pas eu d'expositions ni de
catalogues depuis quelques années. Ce ralentissement d'activité peut
s'inscrire dans le déclin d'une tendance ou encore indiquer une
nouvelle stratégie individuelle.
35-11 est prudent de noter que les biographies ont été rédigées
par les intéressés et qu'elles peuvent avoir été aménagées a
posteriori pour donner plus de cohérence à la carrière. Les omissions
ne sont pas rares car la stratégie dépend de l'estimation des
bénéfices symboliques. Le calcul du nombre d'expositions pour
vérifier la position des artistes peut être contesté. Il a été établi en
fonction des données publiées par les catalogues et les
monographies. Une bibliographie des biographies a été constituée.
36-36 % des artistes de l'échantillon ont exposé au moins une fois
chez Templon. Cependant, si l'on considère le groupe des artistes
sélectionnés, on constate que ceux qui conceptualisent sont
dominants (50 %), ainsi que les représentants de l'Abstraction et du
groupe Support/Surface (44 %) alors que les Nouveaux réalistes
et la Nouvelle figuration sont nettement moins bien représentés
(6 %).
 A.
Arnaud (10), 1ns Clert (10), Rive droite (10), Lucien
Durand (9), Iolas (8), Gillespie-Laage-Salomon (8),
Flinker (7), etc. Une observation plus précise permet
de classer "qui expose qui", en détaillant la liste des
artistes choisis par les marchands réputés. Par
exemple, la Galerie Jean Fournier défend plutôt
l'Abstraction ; Iris Clert a attaché son nom aux Nouveaux
réalistes ; la Galerie Maeght soutient la Nouvelle
figuration et Daniel Templon assure la promotion des
artistes conceptuels ainsi que des représentants des
Mythologies individuelles, du "Narrative art", etc., et
du groupe Support/Surface (37).
Les informations concernant la province
montrent la disparité des situations. Plus de 50 % des
galeries d'art contemporain sont implantées dans la
région du Sud/Sud-Est. Si l'on réunit la totalité des
expositions repérées dans les biographies, entre
1964 et 1987 , 65 % des manifestations d'art
contemporain ont eu lieu entre Montpellier et Nice
(Marseille, Vence, Nice sont en tête du classement) tandis
que les 35 % restant se répartissent dans l'ensemble
de la France (Bordeaux, Toulouse, Lille et Nantes
ont fait plus d'efforts que les autres villes pour
défendre certaines tendances).
Le comptage des galeries privées à l'étranger
a permis en même temps de repérer les passages
obligés pour entrer dans le jeu des sélections
internationales. Ceux-ci confirment le poids des pays engagés
dans la promotion de l'avant-garde. Il s'agit des
Etats-Unis et notamment de New York qui compte
39 galeries (les plus importantes étant Sonnabend,
Kootz, John Gibson, Leo Castelli, etc.) ; de la
République fédérale d'Allemagne qui possède plusieurs
capitales de l'art contemporain (Cologne,
Düsseldorf, Berlin, Munich, Francfort, Hambourg) et des
galeries prestigieuses (Paul Maenz, Konrad Fischer,
Schmela, etc.) ; de la Suisse (la Galerie Bonnier à
Genève, Bischofberger à Zurich) ; de l'Italie (Studio
Marconi, Galerie Apollinaire à Milan, Sperone à
Turin), etc (38).
Pour mesurer la notoriété de l'avant-garde
française à l'étranger et notamment le poids relatif
des différentes tendances, d'autres indicateurs ont
été utilisés comme par exemple la sélection des
organisateurs de l'exposition ProspectRetrospect à
Düsseldorf en 1976. Il s'agit d'un classement -établi
par des marchands allemands- de neuf pays
européens, selon le nombre des institutions ayant
organisé des manifestations jugées rétrospectivement
capitales. On a ainsi confronté la liste des 50 artistes
classés par tendances et les quelques 45 institutions
européennes qui ont fait les réputations dans la
deuxième moitié du 20e siècle (cf. tableau 4, p. 40).
Ce sont les Nouveaux réalistes et la tendance au
concept qui ont été les p]us souvent invités en RFA,
et notamment à Kassel. Les artistes abstraits ont
presque disparu de l'avant-garde ; la Nouvelle
figuration y est présente, en partie, grâce aux étrangers
(Adami, Arroyo, Erro) parce qu'ils ont mené une
37-Ces comptages concernent la période 1964-1987.
L'orientation des choix esthétiques peut avoir changé depuis cette enquête.
38-La sélection internationale de ces galeries, obtenue à partir
de la compilation des biographies, s'est trouvée en quelque sorte
légitimée a posteriori par la publication très récente de The
World's 200 Best Contemporary Art Gatteries,~Paris, Ed. Media
Marketing, 1991.
Le champ des avant-gardes 15
carrière à la fois nationale et internationale. Force
est de constater qu'en 1976, six ans après son
apparition, le mouvement Support/Surface n'a pas encore
fait de percée à l'extérieur (39).
Enfin, les relations établies entre les
institutions d'Etat et les artistes ont été également
enregistrées. L'arrivée de la gauche au pouvoir a été
marquée par la publication de catalogues indiquant
toutes les interventions opérées dans le secteur
public des arts plastiques (40) : recensement des
partenaires du Centre national des arts plastiques
(CNAP) créé en 1982 ; publication des aides
individuelles à la création artistique ; achats du FNAC
(Fonds national de l'art contemporain) ; commande
publique nationale et 1 % (41) ; achats des FRAC
(Fonds régional d'art contemporain) ; prêts
d'oeuvres aux musées, ambassades et ministères ;
expositions au CNAP ; éventuellement réalisation de murs
peints à Paris et en province ; aides diverses et
notamment aide à la première exposition ; promotion
à la télévision et attribution du Grand prix national.
On constate que les luttes pour produire la
définition dominante de l'avant-garde ne s'expriment pas
de la même manière lorsqu'il s'agit de constituer le
patrimoine de l'art vivant. Les commissions d'achat
ont retenu toutes les tendances. Cependant la mise
en place des 22 FRAC -considérés comme autant de
musées d'art contemporain décentralisés- a été plus
délicate parce que les listes d'oeuvres établies par les
comités techniques ont souvent résulté des luttes
entre les représentants venus de Paris et les agents
régionaux (élus locaux, mais aussi conservateurs de
musée, directeurs d'école d'art municipale, etc.). La
publication des achats des FRAC (42) montre que
presque tous les artistes de l'échantillon ont été
choisis. La tendance au concept et Support/Surface
dominent ; la Nouvelle figuration n'est pas négligée.
Les Nouveaux réalistes sont peu achetés,
vraisemblablement en raison de la cote qu'atteignent leurs
oeuvres, qui reste trop élevée pour ces opérations
culturelles (43).
39- A. Verger, Modes d'évaluation des manifestations d'art
contemporain,^ in La mise en scène de l'art contemporain, Actes
du colloque "Evaluation sociologique et analyse institutionnelle
des manifestations artistiques", Bruxelles, Ed. Les Eperonniers,
1990.
40- L'organigramme des arts plastiques du Ministère de la
culture a été publié dans le numéro 3 û'ARTS info, en janvier 1983.
La Délégation aux arts plastiques était dirigée par Claude Mol-
lard et son adjoint, Gerald Gassiot-Talabot. Le chargé de mission
et conseiller artistique du ministre était Michel Troche.
41-Rappelons qu'un crédit s'élevant à 1 % du devis total des
constructions scolaires doit être réservé aux travaux de
décoration muraux et sculpturaux. Le fondement de la réglementation
date du 18 mai 1951. Ci. Art et architecture, bilan et problèmes du
1 %, Paris, Éd. CNAC, 1970.
42-Les données ont été collectées dans le Catalogue des
interventions individuelles et collectives du CNAP (1982-1983) publié
par le Centre national des arts plastiques. Elles ont été
actualisées chaque fois que la revue ARTS info a présenté une région
en donnant la liste des artistes choisis. D'autre part, le catalogue
de l'exposition, Relance de la commande publique : "100
commandes publiques" qui s'est tenue en décembre 1985 et janvier
1986, a permis de mesurer le prestige de certains artistes dont la
production a été associée à des monuments historiques ou à des
sites classés.
43-La politique d'achat pour les FRAC demanderait un
développement particulier parce que les considérations qui sont au
principe des sélections sont multiples et variées. La constitution de
16 Annie Verger
t/3
La structure
"O
du champ des avant-gardes 03
Si l'échantillon de 50 artistes constitue bien
l'ensemble des représentants significatifs des positions
d'avant-garde et si les données retenues pour d
caractériser la position qu'ils occupent forment bien
l'univers des propriétés pertinentes, l'analyse facto-
rielle des correspondances doit définir l'espace
théorique des différences esthétiques, politiques et ft
techniques et mettre au jour la structure des rapports £
de force entre les agents ("artistes entre eux, et
marchands, critiques, chefs d institutions culturelles,
etc.) qui concourent à produire la définition de l'a-
vant-garde. Depuis plus de 20 ans, ce qui a
transformé le champ de production artistique, c'est le
pouvoir efficient des spécialistes internationaux qui
jugent et classent périodiquement les pays engagés
en faveur de l'art contemporain.
Pour construire l'analyse factorielle des correspondances (*), un
certain nombre d'indicateurs ont été retenus. Les éléments
principaux qui participent à l'élaboration statistique des facteurs sont
le sexe, l'âge, le lieu de naissance, l'état civil, les professions des
parents, le niveau d'études -études générales (absence de
baccalauréat, baccalauréat, études supérieures- elles-mêmes divisées
entre le secteur littéraire et le secteur scientifique) et études
spécialisées (réparties entre les écoles d'art, les écoles nationales
supérieures et les formations en arts appliqués) ; l'adresse (qui
permet de distinguer Paris de la province, mais aussi, la région
Midi-Côte d'Azur du reste de la province) ; l'opinion politique
déclarée ; "le second métier" lorsqu'il est effectif.
Une deuxième série d'indicateurs concerne la carrière
artistique : appartenance à l'une des tendances répertoriées
(Abstraction, Nouveau réalisme, Nouvelle figuration, la tendance au
concept et Support/Surface) ; date d'émergence de l'artiste dans
le champ de l'avant-garde ; entrée dans une galerie, en France (la § 5
distinction entre Paris/province et province/Midi-Côte d'Azur a
été là aussi retenue) et à l'étranger ; invitations dans les
manifestations artistiques nationales et internationales ; expositions dans
des institutions publiques françaises ; commande publique et
autres distinctions de l'Etat ; cote sur le marché.
Les éléments supplémentaires qui n'interviennent qu'à
titre illustratif sont les articles consacrés aux artistes de li.
0t
l'échantil on dans les revues d'art contemporain ; les auteurs de ces articles
(critiques professionnels ou occasionnels) ; les préfaciers des O<tu.OC
catalogues et les auteurs de monographies ; les concepts qui sont
au principe de chacun des courants d'avant-garde et les pratiques
artistiques révélées par les techniques employées.
ODC _S
Q.
8 CD
Les artistes et la méthode
L'observation de la carrière de 50 artistes réputés -
la plupart (44) exerçant encore une activité
professionnelle -imposait des précautions particulières :
l'anonymat ne pouvait être préservé. Il a été admis
que les variables démographiques, sociales,
culturelles, idéologiques et économiques seraient recueil-
collections d'art contemporain essentiellement composées
d'artistes vivants n'a pas été sans luttes. Elle a opposé dans les
comités techniques les sélectionneurs venus de Paris aux
représentants des régions ; elle a mis au jour tous les combats
esthétiques ; elle a confronté les has been aux nouveaux venus ; elle
a géré un budget entre le marché privé et la demande publique,
etc.
*-Le travail d'analyse statistique a été fait avec l'aide de Salah
Bouhedja et de Michel Ponchie.
44- On compte dans la liste-type quatre artistes décédés : Yves
Klein (1962), Robert Malaval (1980), Marc Devade (1983) et Gi-
na Pane (1990).
 Plus de 5 achats par les FRAC
Yves M¡CHAUD
né Midi-Côte
ClaudeDEZEUZE
FOURNET ne participe pas aux manifestations en France
DEVADE profession libérale gal.YVON LAMBERT
né 43-49
Bernard TEYSSEDRE gal.GILLEPSIE-LAAGE-SALOMON
»OLLA
expose dans une galerie de midi-côte d'azur BIOULES
Daniel ABADIE + 100 000f
CANE Etudes sup. lettres, philo. ART PRESS Utilise des matériau
études Beaux Arts DEBRE
gal.LUCIEN DURAND enseigneJACCARD
Ecole Art gai. BEAUBOURG BARRE
Utilise la peinture à l' h uile HANTAI
émerge à + 35 ans MEURICE KLEIN émerge à 31-32 ans gal.TEMPLON
mosset! Michel RAGON né 19-29
n'expose pas à la DOKUMENTA émerge à 26-28 ans Catherine MILLET
n'expose pas dans les institutions à l'Etranger
n'expose pas dans les musées de RFA profession intellectuelle
études ENSBA SOULAGES ARTSTUDIO Pierre RESTANY
Bernard NOEL
par les |FRAC Anne TRONCHE ARMANdans les galeries desUSA
expose
n'expose pas dans des musées Européens pas d'achat expose à la Biennale deBRECHT hab Etrange
VENISE SANEJOUAND expose dans les galeries de RFA
second métier autre CIMAISE masculin MALAVAL
marié JOURNIAC
NR état civil. ^ 6gai.. BAUDOIN LEBON
-1 et 2 achatsné par36-38
les FRAC cadres hab entreprise
Province - ARTITUDES" Pas etudes , óoc JeanJ
spécialisées , , ' LEVtQUE
IP,,,.n,IF
POLI participe10 aux Parti-Pris0O0f
à l'ARC II bachelier
Utilise le dessin NR csp ART VIVANT BEN
0O0à50 Expose au Centre Georges Pompidou
expose dans une galerie de province MONINOT gai . MATHIAS FELS FISCHER expose dans lesexpose
galeries
n'expose pas aux USA AILLAUD non Distinctions Etat 1 . . _ expose dans les galeries d'ITALIE MESSAGER
bachelier ' e xposition 72/72 , .. ._ dans dedesSUISSE
musées Européen
n'expose pas en RFA ZEIMERT KERMARREC commerce RANCILLAC choisl P" le FNAC + I% TINGUELY POIRIER P.A.
acrylique SCHLÖSSER PIGNON-ERNEST
Marc LE BOT VELIKOVIC François PLUCHART POIRIER Sans Opinio
, STAMPFLI OPUS INTERNATIONAL né Province né 39-42
ERRO émerge à 29-30 ans BUREN expose dans les musées de RFA ROI TANSKT
enseigne ENSBA i-KurviArsur-K
FROMANGER hab Paris MontParnasso Etudes sup.sciences PANE Georges DUBY
EIGHTY jpFAYE RAYNAUD CONC
xofession intermédiaire né
Jean CLAIR Z***n GALERIE DE FRANCE
Banlieue tisserand ExP0Se à 1ARC TITUS-CARMEL LE GETTE
GAC expose à la DOKUMENTAde Kassel
émerge à 22-25 ans Divers Gauche né Etranger hab Paris N-E Gilbert n , expose pas dans
, ,
une galerie . de. province
n'expose pas dans les galeries à l'Etranger ARROYO émerge à 33-35 ans LASCAULT
expose au CNAC Utilise l
gai. FLINKER ADAMI enseigne Université
3 a 5 achats par lesFRAC
50 000àl00 000f Salon de MAI hab Paris Marais
MONORY Alain JOUFFROY
Utilise une technique mixte
G. GASSIOT-TALABOT
chef d'entreprise
IMAGES ANALYTIQUES
NOUV. FIGURATION participe au Salon de la JEUNE PEINTURE études Professorat Sec. Maïten BOUISSET
Michel TROCHE GiUes DELEUZE
IMAGES CRITIQUES T
employé commerce
employé
études Arts Appliqué:
gal. MAEGHT
+0U-PCF
4 articles ou plus OPUS INTERNATIONAL Alain ROBBE-GRILLET
Jorge SEMPRUN Jacques DERRIDA
Michel TOURNIER J.F.LYOTARD
avant-garde
produite à Paris
18 Annie Verger
lies à partir de sources écrites et publiées, c'est-à-dire
que la prosopographie viendrait au secours de
l'enquête sociologique.
Les informations recueillies ont des origines multiples ; elles
proviennent essentiellement du champ de la production artistique :
dictionnaires d'artistes français et étrangers, annuaires
professionnels, art diary, publications par des revues spécialisées de
fiches techniques (voir art press) ; ouvrages spécialisés dans la
cote des artistes vivants ; catalogues des expositions collectives et
individuelles -et plus particulièrement les avertissements, les
préfaces et les avant-propos- , annuaire des écoles d'art en France,
listes des participations aux jurys, achats des FRAC, prises de
position publiées dans les revues, pétitions, etc. Il s'agit
d'informations concernant la vie professionnelle à l'usage principalement
des critiques d'art ou des agents institutionnels.
Les informations provenant du Who's Who (pour les
artistes ou leurs parents) ou de différents secteurs de l'activité
intellectuelle ont été recueillies. On peut citer la consultation des
listes d'enseignants d'université, les résultats aux concours de
l'éducation nationale (CAPES et agrégation), etc. Jusqu'à une
période récente, on tenait pour opposés les professeurs de dessin et
les artistes. Or, le rapprochement de documents tels que la liste
des lauréats à l'agrégation d'arts plastiques et la liste des
participants à l'exposition
passion" au Centre Georges
"1977-1987-
Pompidou,
L'époque,
a révélé
la mode,
quelacertains
morale, la
artistes (comme Alberola, par exemple) pouvaient être en même
temps agrégés et sélectionnés pour représenter l'avant-
garde (45).
La difficulté majeure a été -comme on l'a déjà noté pour
les biographies publiées dans les catalogues et ouvrages-
d'observer la carrière de chacun des 50 artistes. Lorsqu'on étudie les
entretiens obtenus par des critiques d'art et périodiquement publiés
dans les revues spécialisées, on constate que la plupart des artistes
désirent conserver "l'illusion de l'autonomie absolue" (46V Ben
écrit : "La biographie est une chose honteuse... je refuse d écrire
ma biographie parce que cela me donne l'impression de faire le
contraire de ce queje prétends faire, et qu'alors mes idées ne sont
qu'un prétexte à écrire mon nom et que l'ego que je veux détruire
est toujours le même..." (47). Ou encore, lorsque la journaliste
û'art press Delphine Renard pose la question à Daniel Buren :
"Pourquoi cette occultation de la biographie ? ", celui-ci répond :
"Ce n'est pas une raison pour infliger aux autres ce qu'on estime
soi-même sans intérêt. Ce n'est déjà pas mal de leur infliger ce
qu'on a le culot de montrer. Il n'y a d'autre part aucune volonté
de ma part d'occulter une 'biographie' du travail, mais là, il faut
être sérieux et indiquer le mieux possible ce qui a été fait. Sinon
et pour me paraphraser, l'énoncé des lieux et années des travaux
-ce à quoi toute biographie généralement se borne- équivaut au
mieux au 'pedigree du chien'" (48). Louis Cane écrit : "Le travail
de l'analyse, dans la mesure où il exhume le temps de ma
biographie, avec sa constitution dans le langage, rapporte ce temps dans
un certain temps historique plus général et sans doute commun
à tous les hommes" (49). Les auteurs de la bio-bibliographie la
plus complète de Christian Boltanski font la remarque suivante :
"Les recherches qu'il nous a fallu entreprendre et la
reconstitution patiente des faits rejoignent par leur esprit certaines oeuvres
de Christian Boltanski, où la multitude des détails
autobiographiques le cachent plus qu'ils ne le révèlent" (50). Enfin, ce n'est pas
l'"Hommage à Freud" (1972) -où Michel Journiac se travestit
45- C'est notamment pour ces raisons que l'avant-garde apparue
après 1980 ne figure pas dans cette recherche. Les indicateurs
scolaires -enseignement général et spécialisé- ont changé ; les
conditions sociales de production sont à revoir. Le rôle de l'Etat
s'est accru depuis 1981, les foires internationales se sont
développées , etc.
46- P. Bourdieu, L'invention de la vie d'artiste, Actes de la
recherche en sciences sociales, 2 , mars 1975, p. 69.
Al -Tout Ben, Paris, Ed. du Chêne, 1974.
48-D.Renard, Daniel Buren, matériau rayé non identifié, art
press, 69, avril 1983, p.22.
49-C.Millet, Un peintre en analyse, art press, 24, janvier 1979,
p. 15.
50-S.Paull , H.Würz, Boltanski, les modèles, Paris, Cheval
d'attaque, 1979.
successivement en son père et sa mère- qui permettra de mieux
saisir les déterminants sociaux des chances d'accès à la position
occupée.
Les entretiens effectués à l'occasion de la présente étude
ont été soit sollicités en bonne et due forme (Claude Viallat, par
exemple), soit menés à "bâtons rompus" c'est-à-dire au gré des
amitiés (Jean Le Gac, Gérard Tisserand, Ernest Pignon-Ernest,
etc.). La proximité de l'enquêteur au milieu de l'art présentait
d'autres inconvénients, comme par exemple d'obtenir des
informations confidentielles non utilisables, d'adopter le point de vue
des interviewés, d'incliner vers une tendance, etc. L'observation
d'un échantillon d'artistes vivants et couvrant plusieurs
générations ne tient pas uniquement compte de l'avant-garde la plus
actuelle. Il y a donc un jeu de rivalité entre les nouveaux venus et
les déclassés, chacun connaissant la place exacte qu'il occupe dans
le champ de l'art contemporain. L'entretien ne peut échapper à
la concurrence permanente et aux jugements produits par les
enquêtes sur leurs confrères. Certains ont même proposé leur
vision du champ de l'avant-garde en désignant les concurrents les
plus proches et les producteurs les plus opposés.
Les entretiens et questionnaires recueillis ont montré que
les artistes sélectionnaient les réponses pour conserver la maîtrise
de leur biographie. Plus généralement, l'observation des
éléments collectés a révélé les points de moindre résistance ou, au
contraire, les bastions inébranlables. Les artistes ne cachent pas
leurs origines géographiques, leur date de naissance, leur
formation. Comme ils dominent sur le marché de l'art, ils ne portent
plus les stigmates d'un provincialisme attardé, de l'autodidaxie,
ni même du handicap de l'âge. En revanche, les origines sociales,
l'état civil, les croyances religieuses ou philosophiques, les
opinions politiques, le capital économique ou social restent la
plupart du temps des sujets tabous.
Les agents qui constituent le champ de l'avant-garde
n'y occupent pas une position durable : l'âge, la
maîtrise et la reproduction d'un savoir-faire,
l'identification à une tendance qui a compté, etc., sont autant
de facteurs d'exclusion. Les artistes passent plus ou
moins rapidement de la position d'eclaireur à celle
de notable (cote élevée, galerie canonique attitrée,
représentation officielle à l'étranger, etc.). Les
critiques et les marchands évoluent en même temps ;
découvreurs au début, ils deviennent -à plus ou moins
long terme- instances de consécration. Les
indicateurs de l'espérance de vie dans cet espace sont
délicats à établir. S'il est relativement facile
d'enregistrer l'entrée (première exposition dans un
lieu qui compte, année d'ouverture d'une galerie,
date d'édition, critique inaugurale, etc.), il est plus
malaisé d'établir la fin d'une carrière d'avant-garde.
Néanmoins, certains indices renseignent sur les
manières de disparaître : absence d'invitation à une
exposition internationale, fermeture d'une galerie,
dernier numéro d'une revue accompagné de l'édito-
rial expliquant les raisons de l'arrêt de la livraison ou
encore rétrospective envisagée comme un coup de
chapeau à un courant qui a compté, etc. La
longévité de la carrière semble fortement corrélée à la
fonction exercée. Ceux qui durent le plus longtemps sont
ceux qui exercent des pouvoirs et qui défendent des
intérêts spécifiques, comme par exemple les
directeurs de galerie. Pour anticiper les transformations
du marché en France et à l'étranger, ils doivent se
séparer des valeurs les moins productives et investir
dans les tendances montantes (51). Ceux qui restent
le moins longtemps sont les artistes qui sont
entraînés dans les déclassements périodiques ; certains
cependant ont su faire du "coup symbolique" qui les
avait introduits dans cet espace leur raison sociale ;
ils sont devenus des professionnels de l'avant-garde.
51-W. Bongard, Kunst & Kommerz, Zwischen Passion und
Spekulation, Oldenburg, Gerhard Stalling Verlag, 1967.

Des étiquettes imposées
Je ne peux pas différencier "concept" de
conceptual, j'entends les deux choses de
la même manière et je sais que c'est une
origine américaine. L'Amérique a voulu
et pris le pouvoir culturel pour conforter
son pouvoir économique... ils lançaient
des étiquettes à tout va pour occuper le
terrain. On voyait apparaître les
étiquettes avant même de savoir ce que ça
recouvrait Ce que je crois, c'est qu'en
prenant ce terme, on fonctionne selon le
schéma qui nous est imposé. Si on adopte
ce langage, on va être à la traîne des
Etats-Unis en permanence. C'est fausser
l'histoire de l'art et cela se joue sur des
problèmes de langage.
En 1964, nous arrivent
massivement le prix de Rauschenberg, le Pop art,
les Etats-Unis, etc. Les pauvres Français
qui n'ont pas vu venir le coup se
lamentent, croient pouvoir résister. Arrive une
nouvelle couche de critiques... Catherine
Millet... une nouvelle couche de
galeries... par exemple, Daniel Templon.
Eux, plutôt que de se lamenter... ils sont
jeunes, ils veulent faire quelque chose...
ils ouvrent la fenêtre, ils vont voir où ?
aux Etats-Unis. On va vivre pendant
toutes ces années, nous, les artistes,
souvent à cran, les dents serrées... on va
vivre sur ce que j'appellerais le
provincialisme français. Dès lors, au
niveau de la critique et de l'histoire de l'art,
toute chose qui apparaît en France va
être constamment analysée au
baromètre de ce qui se fait aux Etats-Unis et ça
dure de nos jours.
Il faut partir de nos propres star-
ting-blocks et pas de ceux des autres...
l'Allemagne, par exemple, fait un retour
sur son passé avec l'Expressionnisme,
c'est avec ça qu'ils sont revenus au
créneau. Les Italiens font pareil. C'est pas
pour rien que Chia regarde du côté de
Chirico. Les Anglais, ils partent de
quoi ? de Wittgenstein, du paysagisme
anglais, d'un certain dandysme
londonien avec Gilbert et George... enfin
chacun essaie... la France, pas du tout
Deuxième chose, le mot "
conceptuel", moi, je ne l'ai jamais pensé comme
explicitant ce queje faisais... J'étais à Bé-
thune - nous sommes dans les années
63, 64, 65, 66 - et là, je tombe sur le
Nouveau roman. Moi ça m'éclaire, parce que
je vais lire les théories sur le Nouveau
roman... les livres de Ricardou, de Robbe-
Grillet, les analyses de Bruce Morissette,
les très fines introductions que font des
types comme Blanchot, Genette dans le
livre de poche et subitement je découvre
l'art., bien sûr... il s'agit de littérature
mais enfin je découvre l'art, je vois qu'il
y a des procédures, des procédures
intellectuelles mais des procédures
amusantes aussi... des espèces de montages
incroyables... bon, tout ça c'est dans le
domaine du récit, de la fiction, de la
littérature et naturellement, pendant
toutes ces années, ça n'influence
strictement pas ma pratique picturale, je ne
vois pas le lien possible... Comme je suis
en province je n'ai pas de contact ou très
peu -j'ai exposé à la Biennale - mais tout
ça était tellement nul... je tiens un
cahier... avec l'idée que - comme l'histoire
de l'art me l'a enseigné... comme Klee -
je vais réfléchir... et là, il y a quelque
chose qui se passe pour moi et qui est
important, c'est qu'en tenant ce cahier, son
caractère faux m'apparaît terriblement,
d'abord parce que je ne suis pas encore
un artiste... il y a une petite déviation qui
va se faire du côté de la fiction ; c'est là
que naît dans ce cahier la première
mouture - qui servira pour le premier envoi
- et dont la première phrase est
empruntée à Beckett tirée deMolIoy... ce n'est pas
pour rien queje lisais le Nouveau roman.
J'arrive à Paris... la première
chose queje vais lancer, c'est ce texte qui
était né en même temps queje fabriquais
les bâches... ce texte fictionnel est à deux
niveaux... il y a un niveau pragmatique,
qui raconte des procédures techniques et
un deuxième niveau - qui va être si
important pour moi -, celui de la fiction. Je
crois que j'invente là — et je l'ai souvent
revendiqué - cette idée de la fiction dans
les arts plastiques et l'utilisation de
l'imparfait qui va avec.
Si une critique française avait eu
le sentiment qu'il fallait quand même
faire quelque chose pour essayer de
dégager ce qui se passait vraiment là, sans
lui donner une étiquette venue d'Outre-
Atlantique, peut-être aurait-elle cherché
du côté du Dadaïsme et des procédés
verbaux, textuels, dictant une pratique ;
mais -je crois que c'est commun aux
critiques d'art et aux artistes français -
contrairement aux artistes américains
qui jouent ou rejouent l'histoire de l'art,
nous ne nous cherchons pas des grands-
pères, nous pensons toujours que nous
ne devons pas en avoir... je ne saurais pas
dire exactement pourquoi.
Sup ort/Surface, par exemple. Ils auraient dû
raccorder à Matisse, dire comment le fond était
venu à la surface, vraiment de chez
Matisse... ils l'ont fait un peu... Pleynet l'a
fait, mais tout de suite, il a été voir
Greenberg. Donc, là, il n'y a même pas eu
la résistance, le minimum de résistance
qui est nécessaire pour que des artistes
trouvent leur véritable régime.
Alors l'art conceptuel, le mot
"conceptuel", à quel moment est-ce que
j'en ai conscience, à quel moment je
l'entends... ça, je ne peux pas le dire avec
précision, mais je sais que moi, je n'ai
jamais fait l'amalgame, Confer, toutes
mes interviews.
-Je me permets de rappeler ¡a citation de
Catherine Millet / "On a même été tenté de
rattacher Le Gac à un mouvement dérivé de
l'art conceptuel et qui s 'appelle 'le narrative
art"1 (L'art contemporain en France,
p.186).
Cela illustre ce que je viens de dire. Je
participe à une exposition aux Etats-
Unis, une exposition "Paris-Düsseldorf-
Amsterdam". Là-bas, John Gibson
prend contact avec Daniel Templon et
propose de m'exposer... L'exposition à
laquelle il me fait participer regroupe un
certain nombre d'artistes qui
n'apparaissaient pas jusque-là sous une
quelconque étiquette conceptuelle ; ils
trouvent un titre qui me plaît
énormément, c'est story art, nous sommes en
1973. Donc, lui-même, Gibson, qui était
très au fait de l'art conceptuel et de
toutes les nuances qui existaient aux
é»^^^
Le champ des avant-gardes 19
Etats-Unis, regroupe dans sa galerie des
artistes... il doit bien déceler qu'il y a
quelque chose de différent... L'ennui,
pour moi - résidant à Paris - c'est que
les autres expositions vont s'appeler
narrative art - parce qu'il y avait à la même
époque en France, l'art narratif, la
Figuration narrative -.Cependant, le mot
"narratif me plaisait parce qu'il y avait
Barthes et compagnie qui travaillaient
sur la narration, la narration dans le
Nouveau roman, c'était un problème
excitant Ricardou mettait en évidence pas
mal de fonctionnements textuels... et le
texte et les images me semblaient et me
semblent toujours receler tous les
possibles.
Mon travail va être véhiculé en
Italie sous ce terme narrative art et on va
voir des expositions nombreuses, parce
que c'est une étiquette américaine, il faut
bien le dire, et si je suis acheté en
Allemagne, si je rentre dans quelques
collections italiennes, chez des collectionneurs
hollandais, c'est parce que mon
marchand américain est là, ce n'est pas
Templon qui pouvait le faire parce qu'il
n'avait pas cette crédibilité, à ce
moment-là... de toute façon , Gibson, sa
technique était celle de beaucoup de ga-
leristes américains... on pense souvent
qu'exposer aux Etats-Unis, c'est rentrer
aux Etats-Unis, c'est-à-dire que le monde
là-bas va "Paris-Düsseldorf
vous voir, mais pas-Amsterdam"
du tout ; par
exemple
a été esquinté par la critique qui n'a vu
que des sous-fifres du land art, de je ne
sais quoi, aucun n'en a réchappé ; et
exposer chez Gibson, ça ne m'a pas fait ven-
dre une seule oeuvre d'art aux
Etats-Unis, mais par contre, ça
légitimait son marché européen - Gibson
venant en Europe - et ça marche toujours
comme ça... L'Allemagne, l'Italie ont fait
par la suite un effort pour légitimer leur
propre art, en partant de leurs propres
racines, il n'empêche qu'à ce moment-là,
eux aussi, n'identifiaient ou ne
reconnaissaient les artistes que lorsqu'ils
faisaient le tour par les Etats-Unis.
-Comment es-tu rentré chez Templon ?
Je suis rentré chez Templon parce que
c'était la seule galerie qui pouvait m'ac-
cepter, c'était la seule galerie aussi qui
pouvait m'identifier, peut-être avec cette
erreur sur l'art conceptuel. Templon
était aussi à l'affût des choses qui se
passaient, c'est vrai que cela a pu reposer sur
une erreur d'interprétation.
Je voudrais conclure comme cela.
A savoir que ce provincialisme des
artistes - non seulement des critiques -
mais aussi des artistes, a fait que j'ai pu
être identifié et exposé, par exemple, par
Daniel Templon. Mais ça jette toujours
ce nuage d'encre, selon moi, dans la
mesure où une activité comme la mienne se-
rait dans la dépendance de l'art
conceptuel, ce que je refuse
complètement Lorsque l'art conceptuel est
apparu ici, je m'en suis félicité parce que,
peut-être, je n'aurais pas pu continuer
sans ça, que je serais passé inaperçu, je
l'admets volontiers... mais pas
davantage.
Extrait d'un entretien avec Jean Le Gac,
mars 1991.
20 Annie Verger
Toutes les stratégies des agents visent à occuper la
position dominante et à la tenir le plus longtemps
possible.
Les pôles de la réussite : avant-garde
nationale/avant-garde internationale
L'analyse des correspondances met en évidence une
première opposition (le premier facteur
représentant 8,5 % de l'inertie totale) entre deux états
successifs du champ de l'art contemporain. L'un
perpétue le principe des avant-gardes nationales
apparues en URSS et en Europe dans les années 20.
L'autre place les pays et leurs représentants dans la
compétition internationale (52V Cette opposition se
manifeste dans la distribution des lieux d'exposition.
En effet, à gauche sur le premier axe factoriel
horizontal, figurent les centres qui accueillent les
manifestations en France (MJC, centres culturels,
Maisons de la culture, etc.) ainsi que les institutions
culturelles fondées à Paris pour soutenir les jeunes
artistes (individuellement ou en groupe, comme par
exemple, dans les "Partis pris" à l'ARC). En se
déplaçant le long de l'axe, on peut observer que les
institutions françaises qui ont mené une politique
d'ouverture vis-à-vis des artistes étrangers -le
CNAC, le Centre Georges Pompidou- sont attirées
vers le pôle du marché international et viennent se
placer aux côtés des plus grandes manifestations
telles que la Biennale de Venise et la Documenta de
Kassel ou encore des institutions culturelles
européennes. De la même manière, les 15 galeries
sélectionnées se trouvent distribuées entre ces deux
pôles.
Les instruments permettant d'objectiver la position des galeries
ont été moins aisés à établir. Les critères les plus communément
retenus pour estimer la valeur d' un commerce ou d'une
entreprise se sont souvent révélés inopérants, qu'il s'agisse de la
situation géographique, des dimensions de la galerie -l'histoire du
marché de l'art a montré que les réputations les plus solides
s'étaient faites dans les quartiers les moins acquis à l'art
contemporain (Aimé Maeght dans le 8e arrondissement) et dans les locaux
les plus petits (par exemple, Iris Clert rue des Beaux-Arts) -ou de
la date de fondation- on sait que l'ancienneté n'est pas forcément
un atout pour une galerie qui défend l'avant-garde. Le nombre
de personnes employées n'est pas davantage un indicateur
pertinent parce qu'une galerie est très souvent gérée par une seule
personne ou par un couple (le propriétaire et sa femme) ; le
chiffre d'affaires est rarement connu. On a choisi de recueillir toutes
les informations publiées dans les revues (53), les catalogues
consacrés à l'anniversaire d'une galerie ("Les 5 ans de la Galerie
Yvon Lambert" ; "Daniel Templon, 10 ans" ; "Galerie Stadler, 30
ans de rencontres, de recherche, de parti pris", etc.), les biogra-
52-Dans la première moitié du 20e siècle, les avant-gardes
artistiques sont engagées dans les luttes politiques de leurs pays et, en
même temps, elles révolutionnent les systèmes de représentation,
si bien que les relations entre artistes étrangers s'expriment,
indépendamment des frontières et des politiques nationales, soit
par la solidarité et l'adhésion aux combats contre le
conservatisme, soit par les échanges intellectuels pour défendre
l'abstraction (correspondances, conférences, cours, etc.). En revanche,
après la Deuxième Guerre mondiale, c'est le marché qui produit
la définition dominante de l'avant-garde internationale.
53-La Galerie , 97, 98, 99, "La situation vraie des galeries",
enquête menée par Jean-Jacques Lévêque en 1970. Cimaise, série
d'articles consacrés aux galeries réputées de Paris entre 1964 et
1974. art press, le guide des galeries publié en 1977-1978. Beaux-
Arts magazine, articles parus depuis le n° 1 en 1983 jusqu'à
aujourd'hui.
phies {Iris-Time (Artventure)) et les notices, etc., pour rendre
compte des positions déterminées par l'analyse des
correspondances.
La distribution des institutions et des galeries selon
le premier axe factoriel horizontal permet de
constater que , depuis les années 60, les stratégies d'entrée
dans le champ de l'avant-garde sont dirigées vers le
marché national ou vers le marché international.
Peut-on dégager un ordre de la constellation des 15
galeries arrivées en tête des classements ?
Dans la partie gauche du graphique se
trouvent les galeries canoniques -Maeght et Galerie de
France- et celles qui ont été créées entre 1942 et
1960 (Lucien Durand, Jean Fournier, Karl Flinker) ;
à droite, les galeries plus récentes, apparues entre
1955 (Stadler) et 1977 (Gillepsie-Laage-Salomon)
ainsi que les principaux marchands de l'avant-garde
française et étrangère : Iris Clert, Ileana Sonnabend,
Yvon Lambert, Daniel Templon et Baudoin-Lebon.
Au centre, deux galeries occupent une position
originale (la Galerie Mathias Fels ouverte en 1961,
excentrée par rapport aux quartiers spécialisés dans le
commerce de l'art et la Galerie Beaubourg, fondée
en 1973 par Patrice Trigano associé à Pierre et
Marianne Nahon, qui anticipe le développement
artistique autour du Centre Georges Pompidou).
Bien qu'attendue, l'opposition entre les galeries les plus
anciennes situées du côté du marché national et les plus récentes,
du côté du marché international, montre que les manières de
gérer le commerce de l'art ont changé. Pour la période d'après-
guerre, le paradigme est la Galerie Maeght parce qu'elle
représente l'état du marché français avant l'apparition de la
concurrence étrangère (54).
La figure d'Aimé Maeght est centrale. Fils de cheminot
décédé à la guerre, aîné de cinq enfants, il fait des études de
lithographie et devient imprimeur à Cannes (55). Ses rencontres avec
Bonnard et Matisse l'introduisent dans le milieu de l'art. La
compétence artisanale, les amitiés, l'engagement pendant la guerre (il
aide Jean Moulin) les relations cultivées (il édite les poètes
Reverdy, René Char, Roger Caillois, etc.) constituent son capital
social. Son ascension est liée à celle des artistes de la première moitié
du 20e siècle qu'il a fréquentés au début de leur carrière ; ce
placement dans l'amitié autant que dans l'art a obtenu un rendement
exceptionnel après la guerre lorsque des peintres tels que
Braque, Matisse ou Miro ont été consacrés à Venise. De plus, Aimé
Maeght a continué l'édition de livres rares, de revues - Derrière le
miroir, Chroniques de l'art vivant.
Les galeristes plutôt tournés vers le pôle du marché
national ont en commun une certaine forme d'humanisme. Ils ont
presque tous à voir avec la littérature et l'édition. Les fondateurs
de la Galerie de France sont Gildo Caputo -fils de peintre et
petit-fils d'un éditeur italien- et Myriam Prévot-Douatte qui a fait
des études de philosophie. Par Pierre Seghers, elle entre en
relation avec René Drouin (défenseur de l'avant-garde depuis 1939).
La politique menée par cette galerie veut être celle d'une maison
d'édition. Un autre marchand, Jean Fournier, commence par
ouvrir une librairie rue du Bac et y expose des peintres. Il dit qu'il
54-Afin d'éviter les erreurs d'interprétation du graphique
(comme, par exemple, se servir d'informations très récentes pour
juger d' une position construite à partir de données antérieures),
il convient de distinguer la Galerie Maeght -ouverte à Paris en
1947 et qui a été une entreprise personnelle pendant 35 ans- de
la Société Galerie Maeght créée en 1981 pour gérer la succession.
Les trois responsables -dont l'un vient du Conseil d'Etat- ont eu
pour tâche de moderniser l'entreprise ; l'image de la galerie s'en
est trouvéene transformée.
ou-PCF' doit pas être apprécié
De la mêmed'après
manière,
les données
l'indicateur
politiques
"+
actuelles. La corrélation entre le marché et l'espace politique
correspond au climat intellectuel de l'après-guerre (amitié avec
Aragon, Malraux, etc.).
55-Aimé Maeght (1906-1981), Hélène Lassale, rubrique "Les
vies ", in Universalia, Paris, Encyclopedia Universalis, 1982.

"établit avec ses artistes des rapports extrêmement chaleureux et
affectueux". De la même manière, Lucien Durand souligne "qu'il
n'a pas d'ambition d'argent" et que "ses clients sont tous devenus
ses amis". Ils insistent tous sur les relations privilégiées qu'ils
entretiennent avec leurs protégés. Ce sont les représentants d'une
certaine époque, alors que le marché français -sans concurrence
externe- autorisait ce commerce de proximité, à mi-chemin entre
l'atelier de l'artisan (lithographe, photographe, marchand de
couleurs) et la librairie-salon tenue par un couple de dilettantes.
Dans un entretien publié dans Beaux-Arts magazine
(n° 28), Yvon Lambert explique pourquoi les modalités du
marché de l'art ont changé : "Depuis les années 60, les choses sont
devenues beaucoup plus professionnelles. On ne connaissait pas
ce mot, 'professionnel'. Quand Sonnabend est arrivée avec une
armada de secrétaires, une puissance financière... C'était
vraiment le début d'une autre ère. Il y avait bien des galeries
importantes, rive gauche, financièrement solides, mais les conditions de
travail tenaient essentiellement de l'artisanat. Aujourd'hui, être
'professionnel', c'est une des conditions, non des moindres, pour
le succès d'une galerie, pour qu'elle vive".
Le pôle du marché international attire les directeurs de
galerie qui ont l'esprit d'entreprise. Ils sont en majorité étrangers
et sont venus s'installer à Paris pour des raisons diverses.
Rodolphe Stadler est issu du milieu d'industriels de Lausanne ; après
des études de droit, il décide d'ouvrir en 1955 une galerie à Paris
en collaboration avec Michel Tapié (56). Il distingue deux types
d'investissement pour un marchand : la galerie d'actualité et la
galerie de recherche. Le premier exige d'être à la mode, c'est-à-
dire d'être constamment ajusté à la définition dominante de l'a-
vant-garde produite ailleurs ou de posséder les informations qui
permettent d'anticiper l'ascension d'un artiste. Le deuxième
offre le risque d'alterner des succès et des échecs. La recherche
consiste à défendre des artistes inconnus sans savoir si leur
reconnaissance par les milieux d'avant-garde sera immédiate ou
différée. Rodolphe Stadler a plutôt adopté la deuxième solution. Il a
eu du succès entre 1957 et 1962 avec le groupe Gutai, dans les
années 60 avec des peintres américains, puis, après mai 68, en
soutenant une forme d'expression à la limite de l'acceptable, l'art
corporel (Urs Lüthi, Gina Pane, Michel Journiac, etc.).
C'est aussi à droite de l'axe factoriel que se situent les
femmes responsables de galeries (Iris Clert, Ileana Sonnabend et
les trois associées -Nancy Gillespie, Elizabeth de Laage, Gabrielle
Salomon). Iris Clert est née à Athènes et descend de grands
propriétaires terriens et de banquiers. Elle s'est installée à Paris en
1955, après avoir beaucoup voyagé, sans compétence spécifique
mais en commençant par défendre ses compatriotes (57). Elle a
réussi à construire sa réputation en peu d'années, en s'intéressant
au groupe des Nouveaux réalistes et notamment en soutenant
des opérations iconoclastes : le monochrome et le "Vide" d'Yves
Klein ou le "Plein" d'Arman. Ileana Sonnabend présente
quelques affinités avec Iris Clert parce qu'elles sont toutes les deux
plutôt perçues comme des "impresari". Fille d'un riche industriel
roumain, elle voyage beaucoup dans sa jeunesse ; elle se marie,
jeune, avec Leo Castelli, né à Trieste dans un milieu d'affaires.
Celui-ci fait la connaissance de René Drouin avec lequel il va
ouvrir une galerie de peinture place Vendôme, en 1939. On peut
considérer qu'Ileana Sonnabend s'oppose à Aimé Maeght
comme paradigme du marchand défendant l'art international. Si
Aimé Maeght fait autorité dans le champ artistique français parce
que, comme technicien, il a côtoyé les peintres et les sculpteurs
qui formaient l'avant-garde de la première moitié du 20e siècle
et, comme marchand, il a contribué à accroître la valeur des
grands aînés, Ileana Sonnabend est d'abord une collectionneuse
et elle n'est pas attachée à un courant national (pendant la guerre,
elle a été naturalisée américaine). Elle ouvre une galerie à Paris
en 1962 pour faire partager ses goûts et imposer les jeunes
peintres américains. Elle introduit dans le commerce de l'art des
56-Michel Tapié est le petit neveu de Toulouse-Lautrec. Il avait
auparavant collaboré à la Galerie Drouin et à la Galerie Rive
Droite.
57-Iris Clert, Iris-Time (Artventure), Paris, Ed. Denoel, 1978. En
exergue, cette réflexion : "L'aventure individuelle étant lettre
morte de nos jours, comment réaliser son ambition si l'on ne fait
pas partie d'un clan ? Comment réussir dans la vie sans argent, si
l'on n'est ni juif, ni protestant, ni franc-maçon, ni corse, ni
enarque, ni homosexuel, si l'on n'est affilié à aucune maffia politique,
culturelle ou financière ? C'est impossible à moins d'être grec, ce
peuple d'individualistes farouches qui jamais ne s'entraident mais
veulent réussir seuls avec la protection des dieux ".
Le champ des avant-gardes 21
techniques empruntées à l'entreprise -investissement, création de
réseaux d'échanges en RFA, en Italie, en Grande-Bretagne,
etc. (58). A cette époque, elle occupe une position unique face
au marché artistique français qui a fait ses preuves mais qui reste
fermé aux influences extérieures. Elle devient la cible des artistes
de gauche pendant les événements de mai 68 parce qu'elle est
considérée comme l'alliée objective des USA en tant qu'elle
représente à la fois l'avant-garde internationale et l'esprit du
capitalisme.
Du même côté, mais occupant une position plus centrale
dans le graphique, se situe Daniel Templon. Ses origines sociales,
l'absence de capital économique pour entamer une carrière de
marchand qui commence modestement dans la cave d'un
antiquaire de Saint-Germain-des-Prés, ses premiers conseillers
(Georges Boudaille et Marc-Albert Levin, critiques aux Lettres
françaises), toutes ces données auraient dû contribuer à le placer
à gauche de l'axe factoriel (59). Or, il présente davantage
d'affinités avec les marchands étrangers qu'avec, par exemple, Lucien
Durand qui est situé symétriquement par rapport au deuxième
axe. Il fait partie de la nouvelle génération qui s'installe au
moment du déclin de l'Ecole de Paris et qui doit éviter de conserver
les stigmates du marché français. Il y parvient par des procédés
qui tiennent davantage à l'économie qu'à l'art, c'est-à-dire,
davantage
"déblayer" (rupture
au management
avec la tradition)
qu'au dilettantisme.
; "voyager"Sa(entrer
méthode
dans le
circuit des instances de légitimation internationale) ; "adhérer à
l'art américain" ("80 % de l'art, après 1940 est américain"). Il
prend pour modèle Leo Castelli qu'il rencontre à New York, en
1972 : "J'ai regardé comment il travaillait. Ses qualités qui m'ont
le plus impressionné, outre sa culture et son professionnalisme,
sont un goût très sûr, sans concession, allié à une grande
ouverture d'esprit et une grande finesse. L'art américain après 1960,
c'est lui qui en est le promoteur". S'il est plus proche des
marchands situés dans cette partie du graphique, c'est qu'il défend
l'entreprise privée contre les institutions culturelles (il dénonce le
rôle du Centre Georges Pompidou considéré comme "une lourde
machine étatique aux possibilités finalement limitées"). Il n'est
effrayé ni par la perspective de gagner de l'argent avec l'art
(contrairement aux marchands français qui n'aiment pas livrer d'
informations sur leur chiffre d'affaire) ni par celle d'imposer en
France des artistes étrangers.
La position de la Galerie Gillespie-Laage-Salomon est
originale. Les deux directrices sont à la fois des historiennes de
l'art (l'une est titulaire d'un DEA en peinture du 20e siècle) et
des marchandes (Nancy Gillespie s'est formée à New- York et a
travaillé avec Leo Castelli). Or, leur fonction dans l'analyse fac-
torielle est fortement corrélée avec les "études supérieures let-
tres,philo", avec la position de l'universitaire Bernard Teyssèdre
et celle des marchands Yvon Lambert et Daniel Templon. La
programmation depuis l'ouverture de la galerie en 1977 reflète
cette double spécificité que constituent l'intellectualisme et le
professionnalisme ; la recherche est mise en évidence (Dessins
contemporains européens et américains, Photographie Art, Mos-
set, Beuys, etc.) ; l'intérêt pour l'avant-garde internationale et
notamment allemande est attesté par la présence d'artistes tels que
Baselitz, Immendorf, Lüpertz, Penck, etc.
Tous les marchands situés dans cet espace ont contribué
à transformer le champ de production artistique qui se
caractérise désormais par la mise en concurrence des pays industrialisés
n'ayant pas, jusque-là, investi dans l'art contemporain, par le
classement de ces états, de leurs institutions et de leurs artistes et par
le fait que le monopole de la définition dominante de l'avant-
garde est détenu par un nombre limité d'agents.
58-A la question de Catherine Millet, "Est-ce que la fonction de
la galerie évolue ?" Ileana Sonnabend répond : "Evidemment. On
finit par être impresario. On s'occupe de toutes espèces de
choses, des voyages des artistes, de leur hôtel, de leurs conditions
de travail avec d'autres galeries, des conditions de distribution.
Autrefois, c'était plus simple. Les artistes n'avaient pas besoin
d'être présents. Ils envoyaient leurs oeuvres ; on les plaçait, on les
éclairait comme il fallait ...". (art press,!, 1973).
59-La biographie de Daniel Templon a été établie à partir des
textes suivants : C. Millet, Daniel Templon, l'art au présent,
Palais Galliéra, artpress,\3, décembre 1977, pp.6-7 ; C. Millet,
Daniel Templon, interview , Cimaise, 181, avril-mai-juin 1986 ; Ch.
Clerc, L'ambition de Templon, Figaro-Magazine, 19 septembre
1987. Son père est employé de mairie ; il a commencé des études
de droit après le baccalauréat en 1964 et a été instituteur
suppléant à Nanterre avant d'ouvrir une galerie à 21 ans.
22 Annie Verger
Engagement politique
et indépendance artistique
-Quels rapports la Coopérative des Malassis entretenait-elle avec
le Parti communiste ?
Le Parti communiste quand il a quitté le Réalisme socialiste
n'a plus de position théorique mais a - quand même - des
choix politiques. Il a son organisation de masse, l'UAP,
l'Union des artistes plasticiens, qui représente une espèce de
figuration qui vient un peu de La Ruche, vaguement... Les
responsables du Parti communiste défendent, à un moment,
des gens abstraits... le PC préfère cent fois une peinture
apolitique à une peinture politique. Un exemple : dans ces
années-là, il y a ce discours de Duelos qui dit à peu près :
"Vraiment cet homme de progrès qui est Vasarely va dans le
sens de l'Histoire" et il y a le même discours chez les gens de
droite qui chantent Vasarely. C'est-à-dire que le PC, ayant
rompu avec le Réalisme socialiste, préfère des choses qui ne
parlent pas de politique.
Il y a naturellement des gens - Michel Parré, Cueco, Latil -
qui sont au Parti communiste. Tisserand s'est fait vider, lui,
bien avant Moi, à cette époque-là, je n'y étais pas. Je vais y
passer juste un an, en 1969. Donc, ces gens qui sont au Parti
communiste sont en difficulté sur le plan culturel avec le
Parti.. Tous les rapports sont toujours très compliqués chaque
fois que l'on rencontre des gens du Parti. Quand ils viennent
nous voir pour nous demander une image de Lénine ou de
Marx pour la vente du livre marxiste, on leur répond - c'est
la période du Portugal et à cette époque, le Parti communiste
avait beaucoup de réticences vis-à-vis de cette révolution - :
"En tant que groupe des Malassis, on ne fait pas d'image à la
demande, mais simplement, quand on nous pose un problème
- cela va être le cas de Grenoble plus tard ou encore pour
Allende - nous faisons notre image à nous qui est le résultat de
notre analyse à nous cinq -juste ou fausse, mais enfin on
l'assume - mais on n'illustre pas les théories de quelqu'un
d'autre". Donc on leur propose... une image de Karl Marx avec un
oeillet rouge dans la bouche. Naturellement, ils tiquent, parce
que c'est cautionner la révolution des oeillets. On leur dit :
"Bon, très bien, si ça, ça ne vous plaît pas, on a une autre
¡mage", immédiatement on leur propose Karl Marx avec une
chéchia et qui dit "Va bon Portugal". Ils préfèrent
naturellement Karl Marx avec l'oeillet Ce qui va être réalisé
d'ailleurs. Et toujours, toujours, il y a eu des frictions avec le Parti
communiste...
I^e Parti communiste, à ce moment-là, vraiment, n'a pas du
tout de gens qui leur appartiennent dans toute cette aventure
de la Nouvelle figuration, sauf le phénomène Ernest Pignon-
Ernest, qui, lui, travaille avec les comités d'entreprise du
PC... Donc, on ne peut pas retrouver du tout de peintres
dans la Nouvelle figuration au Parti communiste. Nous,...
- quand même, quand on fait "Le Grand méchoui", l'Appar-
temensonge, c'est sûr qu'indépendamment tous les
organisateurs de Maisons de la culture de la région parisienne ou
d'ailleurs nous demandent de faire des expositions... -
toujours on négocie nos images dans leurs lieux et ils vont
L'opposition cardinale des instances de consécration
paraît fortement corrélée avec les différentes
opinions politiques. Elle se traduit notamment par
l'opposition entre la tendance de la Nouvelle figuration,
a gauche de l'axe factoriel horizontal et la tendance
au concept (Fluxus, BMPT, Mythologies
individuelles, art corporel, art sociologique,etc.) à droite.
Autour du premier pôle sont réunis les artistes qui
affichent ouvertement des positions de gauche. Un
certain nombre a appartenu au parti communiste
("+ ou - PCF' signifiant dans le graphique : est
inscrit, a été exclu, ou encore a rendu sa carte lors de
l'intervention de l'URSS dans les pays de l'Est, etc.).
Ils ont milité comme artistes dans les collectifs et
dans les brigades antifascistes latino-américaines,
ont fondé des coopératives (les Malassis) (60) et sont
trer nos choses, mais c'est toujours vu par la direction "avec
des pincettes". Le rapport est comme ça.
-Quelles relations entreteniez-vous avec le groupe
Support/Surface ?
Pour expliquer les différences qui existent entre ces deux
groupes d'artistes, il faut faire un peu d'histoire. Quand on
est à la Jeune Peinture, on garde le pouvoir au moins dix ans.
On est tous au comité... Au moment de la Salle Verte, il y a
l'analyse d'Aillaud qui est importante. C'est quelqu'un qui
écrit. Et tout ce qui s'est passé par rapport à
Sup ort/Surface, il faut le voir avec le comité de la Jeune Peinture... on
organise à la Jeune Peinture des expositions où,
volontairement, on invite des gens d'une autre génération. Les gens les
plus vieux sont Aillaud, Cueco et moi. Parré a dix ans de
moins. En 1965, notre lien, un peu dérisoire, produit
l'Hommage au Vert C'est un moment où l'ARC n'existe pas. Il n'y
a rien à Paris. On va être les premiers à montrer de l'art
contemporain. Il n'y a pas de lieu en France pour le Pop. C'est
le moment où on fait venir le Pop anglais, Equipo Crónica,
les Italiens. On les connaissait par une sorte de militantisme.
Moi, je pars en Union soviétique voir les Kabakoff ; par
Arroyo, on a la branche espagnole ; Aillaud a toujours été très
lié à l'Italie. Par d'autres, par Diras, on a des contacts avec
les Anglais. On connaît très bien les Pop anglais : Caulfield,
Blake, on est lié à tous ces gens-là. Le Salon de la Jeune
Peinture, c'est le seul lieu qui existe. Et à un certain moment, on
veut faire - naïvement - une exposition qui devrait être une
espèce d'éclatement de la situation. Pour faire cet éclatement,
on invite la bande Parmentier-Buren, etc., on invite des gens
comme Malaval, Rancillac... il y a Sarkis aussi, etc., et on le
fait dans une sorte d'idée que l'on va faire la fin de l'art
moderne... le côté ridicule de cette fin de l'art moderne... C'est-
à-dire la position de la Jeune Peinture, c'est pas un
anti-modernisme bête mais c'est déjà une analyse que l'art
moderne, c'est terminé... C'est une des positions qu'Aillaud
défend et illustre dans sa peinture, "l'assassinat de
Ducha m p".
Les Supports/surface sont politiquement
généralement maoïstes et très liés à Tel Quel et on réfute leurs
analyses. On a un bulletin, le Bulletin de la Jeune Peinture, Troche
est secrétaire général. Support/Surface est là, avec nous. On
les a quelquefois considérés comme une branche de la
peinture américaine, ce qui n'est pas très juste... Pour nous,
Support/Surface est la queue du modernisme... c'est encore une
manifestation dans la tradition de l'art moderne.
Une des clés de ce noyau-là (Jeune Peinture qui se
continue avec les Malassis) c'est que la valeur esthétique, le
langage esthétique n'a pas d'importance. C'est là-dessus que
l'on fait la Salle rouge... ça se passe dans mon atelier rue du
Val-de-Grâce parce qu'il est assez grand et là tout le monde
amène ses idées, on les met au mur, on en parle, les défend
dans le sens de l'idéologie, des choses comme ça, mais jamais
quelqu'un ne va parler d'esthétique. Parce qu'on est dans une
période où le politique prime, l'essentiel c'est le politique. (...)
Extrait d'un entretien avec Lucien Fleury, membre de la
Coopérative des Malassis, avril 1991.
affiliés à un syndicat de plasticiens (SNAP-CGT).
D'autres ont exprimé, à plusieurs reprises, des
positions proches du parti socialiste - ils ont
participé aux commissions de réflexion sur la culture en
1981. Par ailleurs, les événements de mai 1968 ont
favorisé l'apparition de groupes d'extrême gauche
60-La Coopérative des Malassis doit son nom au plateau des Ma -
lassis parce qu'un des membres fondateurs avait son atelier à Ba-
gnolet dans lequel se tenaient les réunions de l'association.
Cependant, ce nom illustre pertinemment la position
inconfortable des artistes engagés, après mai 68. Cette coopérative est créée
en 1970, à la suite de la présentation à l'ARC de l'oeuvre
collective consacrée à l'affaire Gabrielle Russier. Les membres la
composant sont Henri Cueco, Lucien Fleury, Jean-Claude Latil,
Michel Parré, Gérard Tisserand (et la première année, Christian
Zeimert).

opposés au communistes orthodoxes. Ils ont été
trotskystes, situationnistes, anarchistes, marxistes-
léninistes ; ils ont soutenu la Grande révolution
culturelle prolétarienne et la pensée maotsetoung et
ont constitué des comités d'agitation culturelle.
Au pôle opposé, les documents publiés
retenus pour l'analyse n'ont jamais livré d'informations
sur la position politique des artistes (61). On les a
classés dans la catégorie "sans opinion politique
déclarée". De ce côté se trouvent également les artistes
qui sont notoirement à droite, qui sont, par exemple,
inscrits sur la liste de soutien au RPR ou qui ont fait
une déclaration publique.
On peut se demander pourquoi les principes de constitution du
champ artistique français comportent une dimension politique.
Sans reprendre l'histoire de l'engagement des plasticiens dans les
luttes révolutionnaires des années 20, il est possible cependant
d'expliciter les origines du courant qui propose le militantisme
comme modalité d'entrée principale. A la fin de la Deuxième
Guerre mondiale, la reprise des activités artistiques en France
devait s'accompagner d'une mise au jour de l'attitude des artistes
sous l'Occupation. Pour connaître le climat de l'époque, on doit
revenir aux ouvrages d'art contemporain publiés dans les années
50 (62), parce que le point de vue des historiens (eux-mêmes
engagés dans la guerre et dans la Résistance) était marqué par des
considérations éthiques en même temps qu'esthétiques.
Défendre le cubisme et l'abstraction, autrement dit l'art moderne,
pendant que le gouvernement de Vichy envisageait la création d'un
Ordre national des arts graphiques et que les Allemands parlaient
d'art dégénéré, était considéré comme un acte de courage, salué
par la suite à la Libération. Certains groupes formés pendant la
guerre (comme par exemple, les "20 jeunes peintres de tradition
française"-soutenus par l'organisation Jeune France proche de la
revue Esprit) se sont présentés avec la caution des résistants. En
1945, le Salon de la victoire rend hommage à Matisse et à Bon-
nard. En 1946, l'Exposition de la Résistance, organisée par
l'Association des francs-tireurs et partisans français, consacre
Picasso, Fougeron, Grüber, etc. Ces circonstances historiques -
qui faisaient que le contenu même de l'oeuvre d'art pût être cité
comme pièce à conviction- ont maintenu la génération de l'après-
guerre dans une relative dépendance à l'égard du champ
politique. Il en est resté une sorte de contrôle implicite qui, par la suite,
a pris pour cible le capitalisme (63). Le repli sur le marché
national n'est pas dû à un conservatisme esthétique mais plutôt au
refus de trahir des positions de classe. L'apparition du marché
étranger, à partir de 1964, divise et oppose les agents. D'un côté,
il y a ceux qui transposent les stratégies politiques dans le champ
artistique. Ils commercent avec les pays engagés dans des luttes
et prennent part aux combats avec leurs moyens (Mural de la
Havane, Salle rouge pour le Viêt-nam, etc.) ; dénonçant le
capitalisme, ils s'excluent d'eux-mêmes du marché international de l'art
qui exige la neutralité, notamment vis-à-vis des USA engagés
dans la guerre au Viêt-nam. Mais en même temps, ils sont
exposés en permanence aux regards des autres -confrères, militants,
responsables politiques, etc.- et doivent rendre compte de leurs
prises de position : accepter ou non d'exposer dans un lieu
institutionnel, manifester leur solidarité à chaque instant, etc. Ils sont
61-Parfois même l'artiste se déclare étranger à la politique. On
peut prendre comme exemple l'interview de Georges Brecht par
Ben. A la question, "Es-tu préoccupé par la vie politique ou la vie
sociale ?", Brecht répond : "II m'est impossible de penser
politiquement", art press, 2, février 1973.
62-R. Genaille, La peinture contemporaine, op.cit. L'auteur,
ancien élève de l'ENS et de l'Ecole du Louvre, spécialisé dans
l'histoire de l'art du 16e siècle, reprend dans cet ouvrage le thème des
causeries sur l'art contemporain tenues pendant deux ans à ses
camarades de captivité. En rédigeant a posteriori les notices
concernant les artistes, il accorde une intérêt particulier aux
positions adoptées pendant la guerre, dans les deux zones et à
l'étranger.
63-J.Verdès-Leroux, Au service du Parti. Le parti communiste,
les intellectuels et la culture (1944-1956 ), Paris, Ed.Fayard/Mi-
nuit,1983. L'auteur a montré, dans cet ouvrage consacré aux
relations entre les intellectuels et le parti communiste, l'imbrication
de l'art et de la politique.
Le champ des avant-gardes 23
toujours à la merci d'une "dérive droitière" dénoncée par plus à
gauche qu'eux. L'objet de l'art pour les artistes engagés est "le
dévoilement historique de la vérité" (texte publié en 1965 par le
comité de la Jeune Peinture) (64). De l'autre côté , il y a la
génération apparue après 1964 qui veut reconquérir une place
honorable, alors que l'axe New-York-Düsseldorf (tracé par les
marchands) tend à se substituer à Paris et pour laquelle la
politique ne constitue donc plus une modalité principale d'entrée dans
le champ.
Taxinomies artistiques
et affinités sociales
Les modalités de sélection retenues pour construire
l'échantillon induisent une distribution des 50
artistes selon les tendances répertoriées par l'histoire
de l'avant-garde
l'art contemporain.
se mesurent
Les effets
notamment
propres àau champ
l'inégalité du nombre des représentants par tendance.
L'analyse factorielle des correspondances -comme
principe d'explication qui dessine des groupes
d'affinités- reproduit-elle l'ordre des historiens de l'art ou
bien -comme espace théorique des différences
construit à partir d'un ensemble fini de variables
explicitement définies- porte-t-elle au jour les
véritables enjeux de l'avant-garde française, elle-même
prise dans la compétition internationale ? Le
deuxième axe factoriel vertical (qui représente 6,8 %
de l'inertie totale) oppose principalement la
tendance de la Nouvelle figuration à celle de
Support/Surface. Elles restent toutes les deux
compactes. Leurs représentants se trouvent superposés
au centre du nuage ou très proches les uns des
autres ; les excentrés sont relativement rares.
Le dialogue entre le critique Jean-Louis Pradel et Gérard
Tisserand, représentant de la Nouvelle figuration (reproduit dans le
catalogue de Bagnolet, janvier 1977) illustre d'ailleurs
particulièrement bien l'antinomie de ces positions esthétiques. A la
question : Quand tu es en plein travail, à quels plaisirs (turpitudes)
t'abandonnes-tu qui malgré tout t'aident, te distraient quelque
peu ou te font renoncer ? ", Gérard Tisserand répond que son
souhait le plus cher est "d'être enterré dans un suaire 'Support-
Surface', les cordons tenus par MM. MacAvoy, César, Dubuffet,
Vasarely, entouré par quatre Gardes républicains mis à pied et en
grand uniforme". Cette sorte d' Enterrement à Omans "revisité"
caricature les luttes qui sous-tendent les relations artistiques au
sein de l'avant-garde. Le créateur se place au centre, drapé dans
la dépouille de ses ennemis les plus irréductibles, il s'imagine
déjà immortalisé puisque les grands ancêtres le portent en terre et
que la République lui rend les honneurs.
Ainsi, le jugement que le milieu de l'art distille en
permanence sur lui-même -entre concurrents, entre
professionnels, etc.-, étayé par la fluctuation des
cotes, produit des classements implicites. L'étude
détaillée des groupes d'intérêts constitués par les 50
artistes qui comptent montre que l'espace des
avant-gardes n'est pas homogène. La temporalité a
une grande importance dans ce champ puisque les
positions consacrées se trouvent aussitôt menacées
par les valeurs d'espoir. La distribution des artistes
dépend donc en partie de leur âge. Cependant,
d'autres facteurs de concentration ou de dispersion
ont joué. En effet, l'axe factoriel vertical pourrait
s'interpréter comme un axe de la géographie
artistique, une opposition se dessinant entre l'avant-garde
64-Voir également pour tous ces problèmes, F. Docquiert, La
peinture politique contemporaine en France, doctorat 3e cycle,
Paris, Université Paris X, 1977.
24 Annie Verger
produite à Paris (soit parce que les artistes sont nés
à Paris ou en banlieue, soit parce qu'ils sont venus y
faire leurs études et s'y sont définitivement installés)
et l'avant-garde qui tente de s'imposer dans le sud de
la France au début des années 60 (de Montpellier à
Nice) : l'Ecole de Nice s'oppose, en quelque sorte, à
l'Ecole de Paris (65).
Trois nébuleuses peuvent être observées : la
première est composée de 18 artistes, tous
appartenant à la tendance de la Nouvelle figuration ; la
deuxième englobe la tendance au concept
(Fluxus,BMPT,Mythologies individuelles, art
corporel, art sociologique, etc.) et une partie du Nouveau
réalisme (13 artistes) ; la troisième associe
Support/Surface, l'Abstraction et l'autre partie du
Nouveau réalisme (19 artistes).
Un groupe Malassis
La première nébuleuse contenue entre l'axe facto-
riel horizontal (pôle du marché national) et l'axe fac-
toriel vertical (pôle de l'avant-garde parisienne)
correspond à la Nouvelle figuration. Cette tendance
est apparue officiellement en novembre 1961 à la
Galerie Mathias Fels ; le critique Jean-Louis Ferrier
y présentait des oeuvres significatives (66). Il semble
difficile de circonscrire précisément la population
composant ce courant esthétique parce que les
critères d'appartenance sont divers. Ils vont de la
pratique des procédés plastiques qui réhabilitent l'objet,
l'image et la narration, à l'engagement politique. Les
stratégies d'entrée dans le champ passent plutôt par
les salons, si bien que beaucoup d'artistes ont été
invités ; certains ont changé de style ; d'autres ont
disparu. Sur la centaine de noms relevés dans les
catalogues des différentes expositions, 18 seulement
sont devenus les représentants légitimes.
Il s'agit de la génération des artistes nés entre
1930 et 1938. Même si actuellement ils ne
constituent plus l'avant-garde, ils ont été très présents
entre 1964 et 1972. Ce qui les caractérise, c'est
d'abord la formation. Jusqu'à une période récente
Ç1959 , scolarisation obligatoire jusqu'à 16 ansV les
etudes artistiques pouvaient commencer après le
certificat d'études. On entrait aux Beaux- Arts à 14
ans (67) ; on y séjournait longtemps, soit dans une
65-A condition de ne pas prendre ici "Ecole de Paris" au sens
restrictif habituellement employé et renvoyant à une période de
l'art bien délimitée.
66-Si le nom de cette tendance est inventé par Michel Ragon, la
première exposition est due à Jean-Louis Ferrier. Il présente les
oeuvres du groupe Cobra, de Bacon, Dubuffet, Giacometti, La-
poujade, Maryan, Matta, Saura et de Staël. L'année suivante,
Michel Ragon organise la deuxième exposition à la même galerie ;
l'entrée de Paul Rebeyrolle dans ce groupe constitue un
tournant. La Nouvelle figuration est désormais associée au Salon de
la Jeune Peinture.
67-Dans une étude plus ancienne sur la formation artistique, j'ai
montré que deux sortes d'élèves fréquentaient les Beaux-Arts,
soit des enfants des classes inférieures quittant l'école à 14 ans
pour entrer en apprentissage, certains métiers (coiffure, couture,
etc.) exigeant de solides connaissances en dessin, soit des fils de
famille qui, après avoir épuisé toutes les filières de l'enseignement
général, venaient aux Beaux-Arts pour trouver une structure
moins contraignante. Si bien que des classes habituellement
séparées pouvaient être mélangées sans que les effets du
classement social jouent comme dans d'autres formations.
école de province plus ou moins importante, soit aux
Beaux- Arts de Paris (certains pouvaient y rester plus
de 10 ans). Dans cet univers séparé où les diplômes
de l'enseignement général n'étaient pas
indispensables, le capital scolaire est relativement faible. Sur 18
artistes, un seul a une licence (de philosophie),
quatre ont le baccalauréat. Les autres ne font pas état
de ce titre, certains ont atteint le niveau de la
seconde ; d'autres sont titulaires du BEP et du BEPC.
En revanche, ils ont presque tous poursuivi des
études spécialisées dans les écoles d'arts appliqués
(Ecole Boulle, Nissim de Camondo , etc.) et à l'ENS-
BA. Le capital scolaire des cinq étrangers est plus
élevé : tous titulaires du baccalauréat, ils ont
poursuivi des études supérieures (professorat de dessin,
journalisme, architecture, Arts et Métiers).
L'autodidaxie qui permettait d'échapper en
quelque sorte à la contrainte scolaire, entretenait
l'étudiant dans l'illusion de la liberté créatrice et du
"créateur incréé". Sans pousser à la caricature,
certains représentants de la Nouvelle figuration ont
conservé quelques stigmates du style de vie artiste
(une manière de s'habiller en velours côtelé noir, de
porter une veste de charpentier, de conserver la
barbe et en même temps de se méfier des
intellectuels, de forcer le trait, de faire des calembours,
etc.) (68). D'autre part, l'aspiration légitime pour
tout artiste est de vivre de sa production. Comme
l'échantillon est constitué des 50 artistes les plus
connus, on peut supposer qu'un certain nombre y
sont arrivés ; or, les biographies montrent que même
les plus dotés ont recours à un second métier (pour
la Nouvelle figuration environ un artiste sur deux a
une activité professionnelle régulière). Les
ressources peuvent venir des secteurs d'activité proches
de la création artistique (décors de théâtre, arts
graphiques, etc.) ou de l'enseignement. Dans cette
tendance, il n'y a pas de professeurs d'arts plastiques du
second degré (par absence des diplômes requis et/ou
par aversion de ce type d'apprentissage de
masse) (69) ; il y a plusieurs enseignants d'école
d'art ; et c'est dans ce groupe que se recrute le plus
grand nombre de professeurs à l'Ecole nationale
supérieure des Beaux-Arts de Paris (Cueco, Kermar-
rec, Velickovié). On continue, en quelque sorte, la
tradition du maître. Par la suite, l'obligation de
poursuivre des études jusqu'au baccalauréat produira des
effets sur le champ de production artistique,
notamment avec l'apparition des enseignants-plasticiens
universitaires.
L'échantillon proposé résultant
d'éliminations successives , on peut estimer que les détermi-
68-La description physique des artistes sélectionnés s'appuie sur
des documents : les photographies qui viennent illustrer les
catalogues (elles permettent de voir l'évolution de l'artiste de la
formation à la maturité), les comptes rendus d'exposition dans les
revues spécialisées, les photographies de vernissage et
notamment celles d'André Morain dans son ouvrage, Les
Ambassadeurs, Paris, Ed. La Différence, 1989. Ou encore, les
autoportraits, les mises en scène corporelles (body-art), etc. Pour
les relations au champ intellectuel, on peut se référer aux travaux
des Malassis sur "Livre d'école, livre de classe" (1969) ou encore
aux oeuvres iconoclastes de Zeimert et du groupe Panique.
69-Le problème des diplômes requis pour enseigner dans
l'éducation nationale a été particulièrement posé après mai 68 lorsque
les arts plastiques sont entrés à l'université. Certains artistes
recrutés pour enseigner dans les UER d'arts plastiques ont dû
renoncer par manque de titres universitaires.

nants sociaux ont déjà pesé en amont. Bien que
fragmentaires, les observations concernant le rang
des artistes dans la phratrie permettent d'avancer
que rares sont les aînés qui s'engagent dans une
carrière artistique. Les informations recueillies dans le
Who's Who aussi bien que dans les biographies des
artistes issus des classes dominées, montrent que ce
sont les premiers-nés qui reprennent la profession
du père et du grand-père ou qui accèdent à une
position équivalente alors que les cadets sont moins
astreints à la reproduction sociale. Celle-ci étant
assurée par l'aîné, une certaine transgression
professionnelle peut être tolérée pour les autres enfants. Il
semble même parfois que le prestige obtenu d'une
manière hérétique, c'est-à-dire sans les marques de
l'effort et du mérite, éclipse la position obtenue
grâce aux titres et aux diplômes. Le champ des arts
plastiques réunit des individus qui, dans des filières
plus orthodoxes, auraient été opposés et l'avant-
garde se présente comme un espace favorable aux
trajectoires atypiques.
Pour la Nouvelle figuration, les catégories
socio-professionnelles des parents se recrutent
majoritairement dans les classes moyennes (10 sur 18
représentants de cette tendance) : petits artisans
(peintre en bâtiment), employés (à la SNCF ou
comptable), employés de commerce et professions
intermédiaires, enseignants (instituteur, professeur
de dessin, formateur). Il y a deux fils d'ouvrier
(chauffeur de louage et ouvrier d'abattoir) et six fils de la
bourgeoisie (un architecte renommé, un président
d'honneur de la Compagnie des experts-joailliers, un
industriel, etc.). L'analyse factorielle rend assez bien
compte des situations. La superposition des points
réunit les "frères d'arme" (Parré, Cueco, Tisserand)
issus des classes moyennes. A la périphérie, les
artistes plus isolés dans leur stratégies artistiques
(Monory, Moninot, Poli) ; au centre Gérard Fro-
manger (70) : sa trajectoire est atypique au regard de
sa classe (issu de la bourgeoisie, élevé chez les
jésuites, cadet, titulaire du baccalauréat, etc.) mais
conforme aux traditions du champ artistique
(ruptures successives, investissement, engagement , etc.).
Comme le politique est le principe de classement
principal pour cette tendance, on peut expliciter les
affinités qui rapprochent des individus d'origines
sociales aussi diverses et éloignées.
C'est une génération qui a connu dans son enfance la Deuxième
Guerre mondiale. Adami raconte avoir passé les deux dernières
années de la guerre dans une cave à Milan ("Toute ma vie et mon
travail sont marqués par cette période et la confusion et la
violence de la fin de la guerre, être enfermé, et assister à toutes sortes
de morts et de massacres..." (71)) ; les artistes français ont vécu
la guerre d'Indochine pendant l'adolescence puis la guerre
d'Algérie ("J'ai été envoyé en Algérie, j'étais plutôt non violent, sans
conscience politique, juste le sentiment simple que les Algériens
avaient raison, qu'ils menaient une guerre juste... Dans un truc
disciplinaire, j'ai été sauvé par le gong, le cessez-le-feu et
l'indépendance...", Ernest Pignon-Ernest, La peau des murs).
Apparaissent également d'autres combats contre des didactures ("Je
me suis formé à l'intérieur de l'Espagne franquiste jusqu'à mon
arrivée en France et, à partir de ce jour, ce souvenir, les
frustrations collectivement subies, l'espoir et le pessimisme ont fait
devenir ce pays et son histoire, pour moi, une réalité constante dans
ma pratique de la vie et de mon travail. Je pense donc que cette
70-La biographie de Gérard Fromanger est publiée dans le n° 4
de la revue Eighty, sept-oct. 1984.
71-C. Flohic, entretien avec Adami, Eighty, 10, nov.-dec.1985
Le champ des avant-gardes 25
dialectique est possible parce qu'une nouvelle cachée me suffira
dans la cinquième page d'un journal pour que se déclenche le
besoin, le désir de parler, de dire, de peindre", Eduardo Arroyo,
Trente-cinq ans après). Enfin la guerre menée au Viêt-nam par
les Américains a déclenché dans toute l'Europe un élan de
solidarité avec le peuple opprimé. Pour le comité de la Jeune
Peinture, l'estimation de la valeur de l'oeuvre doit moins dépendre de
l'économie que de l'idéologie. Reprenant les propos du délégué
du Viêt-nam à Cuba selon lesquels "un tableau peut valoir une
grenade ou un fusil", le comité organise l'exposition "Viêt-nam,
un dessin pour leur combat".
Le pôle le plus politique du champ des avant-gardes
se présente plutôt comme un espace de promotion
sociale, de démocratisation et d'intransigeance
morale. Les positions éthiques semblent, plus
qu'ailleurs, influencer les investissements artistiques.
Il semble apparemment difficile d'expliquer
pourquoi le champ des avant-gardes peut favoriser
la promotion sociale parce que la formation
artistique n'est pas, a priori, un modèle de filière
professionnelle pour les enfants issus des classes
inférieures. Pour que les parents acceptent de
rompre avec l'habitude, c'est-à-dire de renoncer à un
apprentissage bien encadré pour lui préférer des
études floues au devenir incertain, il faut quelques
raisons affectives qui affleurent dans les interviews.
Par exemple de Cueco, on sait "qu'il naît à Uzerche
(Corrèze) en 1929 dans une famille d'origine
espagnole. Peintre sans notoriété, le père souhaite que
son fils réussisse là où il a échoué. 'Mon père m'a
porté sur les fonts baptismaux de la peinture comme on
donne un fils à l'armée ou une fille à la religion ' dit
volontiers Cueco" (72). Le choix de cette carrière
peut également être la conséquence d'une absence
totale de représentation de l'avenir des enfants de la
part des parents qui laissent ceux-ci gérer au mieux
leurs aptitudes. C'est le cas d'Ernest Pignon-Ernest :
"Ma mère était coiffeuse, mais elle a dû abandonner
on était cinq mômes. Mon père, maintenant à la
retraite, a travaillé quarante ans aux Abattoirs de Nice,
il a été champion de France de boules(...) J'ai un
frère, Francis, qui était tailleur mais qui fait de la
représentation maintenant, un autre Henri, qui est
serrurier, une soeur Monique, qui est coiffeuse, une
autre Suzanne, qui est auxiliaire puéricultrice(...) un
milieu complètement étranger à la peinture (...)
après le BEPC je suis allé travailler chez un
architecte. J'avais quinze ans je crois, j'ai commencé à
tirer les plans (...) j'ai gagné ma vie avec ça (...) je
m'emmerdais, je traînais au 'Club des jeunes'(...)
grâce à de l'argent gagné dans l'architecture, j'avais
de quoi vivre un an, je suis parti dans le Vaucluse
seul. Je voulais faire le point. Arrêter de travailler
pour peindre c'était grave, même socialement,
d'autant que je n'avais jamais pensé que je pourrais
gagner ma vie avec la peinture, ça a dû inquiéter mes
parents..." (73).
Pour les artistes issus des classes dominées, le
champ politique permet d'accéder à un espace
auquel ils n'étaient pas destinés, sans avoir à se renier.
S'inspirant de la pratique syndicale et d'une culture
de banlieue -"la ceinture rouge" de Paris- dans la-
Tl-Cueco, catalogue de l'ATAC (Association technique pour
l'action culturelle),Paris, décembre 1974/janvier 1975.
73-M.O. Briot, C.Humblot, Lapeau des murs, Ernest
Pignon-Ernest, Paris, Ed. Limage, 1979. Biographie rapide à travers des
bribes d'une interview avec Catherine Humblot (1977), p.34.
26 Annie Verger
quelle certains ont vécu, ils appliquent des principes
qui n'ont à l'évidence pas cours dans le milieu de l'art.
Ils revendiquent l'égalité des chances (le /salon est
toujours envisagé comme un instrument
démocratique qui permet d'apparaître jeune -entre 22 et 25
ans- dans la competition), pratiquent la solidarité
entre artistes, par exemple à la Ruche (74), font des
exercices collectifs (séances de dessin en commun,
expositions à thème élaborées par un comité qui juge
de la justesse du contenu idéologique et non du
résultat esthétique, participation à la rédaction de
revues, collaboration avec d'autres formes d'art
comme le théâtre, etc.) et dénoncent l'art conceptuel
("Si l'on veut que l'art cesse d'être individuel, mieux
vaut travailler sans signer que signer sans travailler",
Gilles Aillaud). Cependant les dispositions éthiques
acquises pour certains au sein du parti communiste
(soit par tradition lorsque le père est lui-même un
communiste de la première heure, soit par adhésion
personnelle) entravent la gestion proprement
artistique de leur carrière. Elles exigent, d'une part, de
ne pas trahir les idéaux de la classe ouvrière et,
d'autre part, de ne pas se montrer ingrat à l'égard des
structures (institutions, galeries, etc.) qui ont été au
principe de l'ascension artistique. Ceci explique sans
doute l'absence quasi totale de cette tendance dans
les institutions et les galeries étrangères, notamment
en RFA et aux USA On devine la répulsion
réciproque qui existe à l'époque entre des artistes engagés
dans un soutien actif au Viêt-nam et aux pays latino-
américains et des marchands qui n'apprécient pas
l'image critique que l'on donne de leur pays. En
revanche, l'étude détaillée des chronologies publiées
dans les catalogues des 18 artistes de la Nouvelle
figuration permet de tracer les frontières d'un
territoire politico-culturel (75). Elles englobent l'Italie
-presque tous les artistes ont exposé à Milan, Turin,
Bologne, Padoue, Venise, Rome - et les pays latino-
américains (Caracas, Mexico, La Havane, Sâo Pau-
lo, Buenos-Aires, Montevideo) (76).
Les carrières des cinq artistes étrangers
appartenant à ce courant esthétique ne s'alignent pas
exactement sur celles des Français, parce qu'ils voyagent,
ont des ateliers dans différents pays et participent
74-La Ruche a été créée à Paris vers 1902. Le bâtiment de trois
étages avait été construit par l'équipe d'Eiffel pour servir de
pavillon des vins à l'Exposition universelle de 1900. Il avait été
démonté par la suite et transporté sur un terrain appartenant au
peintre Boucher dans le 15e arrondissement. 140 ateliers ont été
construits sur un plan circulaire, autour d'un escalier central
(d'où le nom attribué par comparaison avec une ruche). Des
artistes prestigieux y ont séjourné : Fernand Léger, Chagall, Sou-
tine, Archipenko, Zadkine, etc., et des personnalités telles que
Biaise Cendrars, Max Jacob, peut-être Lénine.
75-On peut observer qu'entre 1967 et 1972, les artistes engagés
n'exposent pas dans les pays capitalistes à l'exception de
participations collectives telles que "Painting in France 1960-1967' aux
USA ou "Kunst und Politik" à Karlsruhe et Wuppertal en 1970.
Par la suite, il semble qu'ils sacrifient moins à l'orthodoxie.
76-11 faut noter les relations privilégiées que les artistes engagés
français entretiennent avec, d'une part, les artistes du PCI et,
d'autre part, les collectifs fondés par des artistes
latino-américains. En 1958, les dirigeants de la révolution cubaine engagent
une politique culturelle systématique. A partir de 1962, des
expositions latino-américaines ont lieu avec des concours et des prix.
Les artistes étrangers sont invités à Cuba. Au Chili, la victoire de
l'Unité populaire permet de développer des relations artistiques
avec les pays engagés. Les derniers Etats généraux de la Havane
ont lieu en octobre 1973.
aux luttes politiques d'une autre manière (77). Ils ne
sont pas tenus par des consignes implicites
concernant les pays capitalistes si bien qu'ils exposent en
même temps dans les plus grandes galeries
américaines ou allemandes (Adami à la Galerie Schmela à
Düsseldorf en 1972 ; Èrro à la Gertrud Stein
Gal ery à New- York en 1964 ; Stampfli à la Galerie Bis-
chofberger à Zurich en 1969) ou dans les institutions
(Arroyo et Velickovic à la Kunsthalle de Düsseldorf
en 1972).
Cette tendance se distingue de toutes les
autres, particulièrement par le fait qu'elle déploie ses
activités essentiellement en France et notamment en
province. Les prises de position politique des artistes
dénonçant l'impérialisme et l'économie capitaliste
détournent d'eux et contribuent à éloigner les
marchands étrangers et les galeristes français qui
commercent avec les Etats-Unis et la RFA. Il n'est donc
pas surprenant que dans le tableau "Les tendances
artistiques et leurs galeries à Paris" la Nouvelle
figuration domine chez Aimé Maeght parce que celui-ci
continue à promouvoir l'école française comme par
le passé (bien qu'il ait abandonné l'abstraction pour
le réalisme).
Cependant, le terrain privilégié des artistes de
gauche est institutionnel. Les stratégies calquées sur
les organisations politiques ont pour cible les classes
qui sont généralement exclues du champ culturel.
Elles ont, entre autres,pour objet de trouver des
porte-parole et de redistribuer les bénéfices acquis.
On peut prendre à nouveau pour exemple Ernest
Pignon-Ernest. Les chances objectives d'occuper une
position dans le champ de l'avant-garde étaient
minces compte tenu des conditions sociales de
production qu'il a lui-même analysées ; il ne doit son
accession à cet espace qu'à l'engagement politique et
au militantisme. En retour, l'artiste met son savoir-
faire au service de groupes sociaux dominés
(travailleurs immigrés, femmes, ouvriers, etc.) en les
associant à la production d'images critiques
montrant les effets de la domination, en devenant leur
délégué.
"J'aime beaucoup aussi quand on est nombreux, en équipe, c'est
d'ailleurs indispensable quand il y a 500 ou 1000 images. Et puis
c'est la confirmation, cette implication, que c'est leurs images
aussi, qu'ils l'ont reconnue, qu'ils s'y reconnaissent. Quand les gens
qui vont travailler le lendemain passent une nuit blanche à coller
ces trucs de 2m50, c'est qu'ils s'y reconnaissent, que quelque
chose est dit qu'ils voulaient dire.... Après l'inquiétude, les doutes,
ce sentiment quand tu les vois nombreux s'investir sur le projet,
compter dessus, en faire leur projet, cet engagement plus
redoutable, je crois, qu'avec un tableau face auquel la plupart du temps
on est seul responsable, c'est une grande joie, le tirage d'abord
puis les collages, de grandes respirations, une chaleur fraternelle
de faire ensemble qu'on retrouve dans la politique" (78).
Ernest Pignon-Ernest représente un cas-limite. Peu
d'artistes ont cherché à réduire autant que lui la
distance entre la production artistique et la représen-
77-Adami écrit un ouvrage sur l'histoire des trois Reich avec le
poète Helmut Heissenbuttel pendant son séjour à Munich, à la
fin des années 60. Arroyo travaille sur le thème de l'exil et
notamment sur les travailleurs turcs pendant son séjour à Berlin en
1976. Erro a quitté l'Islande pour vivre en Norvège, en Italie, en
Israel, à Paris où il s'installe en 1964, en URSS et aux USA, à
Berlin, en Thaïlande et en Extrême-Orient. Velickovié est
yougoslave ; il peint l'enfermement, l'oppression, la torture.
78-M.-O. Briot, C. HumbXoi, La peau des murs, op.cit., pp.54-55
 Le champ des avant-gardes 27

Illustration non autorisée à la diffusion

intention l'alibi du 'plus grand (79). Cette 79-P. Gaudibert, Action culturelle intégration et/ou subversion,
politique culturelle d'ouverture correspond aux Paris, Ed.Casterman, 1972, p. 37.
voeux d'André Malraux. Dans son intervention au 80-Voir La province bouge, Chroniques de l'art vivant, 33, octo-
Sénat en 1968, "Mettre la culture au service de tous", brel972.
28 Annie Verger
symboliques que le plasticien arrivé a recueillis, il
accompagne son exposition pour établir des relations
avec un public non averti mais disponible (puisqu'il
s'agit la plupart du temps des habitués des MJC) en
se présentant comme le porte-parole des
artistes (81).
"Je vous dirais également, si vous le vouliez, les petits soirs de
l'Animation culturelle... Dans ces veillées culturelles, visite de
l'artiste en vrai, j'essaie d'engager la conversation, de faire simple et
vivant, au ras de la réalité quotidienne ; l'animateur
profes ion el renvoie habilement le groupe à sa propre image... le peintre
local oppose un Vermeer qu'il sort, le sournois, de sa poche.. .les
diapos, par rafales, font mouche... Oui, mais parfois, à Bar-le-Duc
ou ailleurs, il y a les enfants, les filles du cycle court, les perdus
pour l'école, ceux que le filet n'a pas retenus. Ils ne trichent pas,
c'est dur et compact. Au bout d'une heure, on a plus avancé
qu'après un an de faculté" (Cueco, novembre 1974).
Les artistes engagés ont su ajuster leur production
aux attentes et aux limites économiques de ce
nouveau public ; ils mettent sur le marché des oeuvres
accessibles en développant le principe des multiples,
des reproductions en sérigraphie à tirage limité, etc.
L'iconographie propre à la Nouvelle figuration
semble plutôt refléter les aspirations de ces classes
moyennes qui se mobilisent pour des faits de société
et pratiquent la participation critique, qu'il s'agisse
de T'affaire Gabrielle Russier", traduite en bande
dessinée par la Coopérative des Malassis, en 1969,
de r'Appartemensonge" dénonçant les promoteurs
immobiliers, en 1971, ou encore, du "Grand
méchoui" dévoilant la mainmise de la droite sur la
société, en 1972. Le choix de faire simple et lisible les
conduit à privilégier le document photographique, la
peinture acrylique, les murs peints et à réaliser des
commandes publiques et des 1 %. Mais , en même
temps, toutes ces techniques pour aller vers les
classes moyennes et emporter leur adhésion sont
autant de facteurs de déclassement dans le champ
spécialisé de l'art. C'est Gérard Tisserand qui dit : "Le
seul fait de s'engager dans une 'peinture politique'
nous coupe du marché traditionnel. Le fait d'être un
fabricant d'images figuratives agressives et de grands
formats nous met en retrait du milieu des
collectionneurs, le non-intérêt des partis de gauche,
municipalités, syndicats ne nous permet pas de nous montrer
sauf dans de rares exceptions courageuses. Les
organismes officiels nous invitent quelquefois en alibi
pour leur ' Sacrée Sainte Société Libérale Avancée'.
Quels succès?" (Catalogue La Coopérative des
Malassis, janvier 19/7).
Le déficit de sympathie qui s'est accentué
depuis dix ans entre les partis communistes et le reste
de la société en Europe n'a pas joué en faveur d'un
mouvement artistique trop ouvertement engagé.
Après 25 ans de présence sur le marché, la Nouvelle
figuration n'a pas encore connu le succès
économique (82). Dans un article consacré au 20e anniver-
81-11 faut noter le rôle qu'a joué le mouvement d'éducation
populaire "Peuple et culture" créé en 1945 par Benito Cacères, Jof-
fre Dumazedier et Joseph Rovan, dans l'animation culturelle,
notamment pour les arts plastiques.
82-On peut comparer l'enquête faite par art press en avril 1977
à celle de Beaux-Arts magazine, 57, en mai 1988. ( Voir les
articles "68 et les artistes" de Françoise Bataillon, pp.57-67 et "La
Nouvelle figuration à petits prix" d'Isabelle de Wavrin, p. 29) . On
voit que, globalement, la valeur économique de cette tendance
évolue lentement.
saire de mai 68, la revue Beaux-Arts magazine a
comparé les cotes des représentants de cette
tendance à celles des Nouveaux réalistes ; dans le même
laps de temps, les premières ne faisaient que doubler
pendant que les secondes décuplaient. Dans
l'analyse factorielle, les cotes assez élevées sont plutôt
dues à la production des artistes étrangers.
En résumé, ce qui distingue -et
vraisemblablement ce qui sanctionne- la plupart des représentants
de la Nouvelle figuration, c'est la manière d'accéder
au champ de l'avant-garde avec une sincérité trop
évidente (pour ne pas dire de la naïveté). Compte
tenu de la méthode de recherche qui s'est donné pour
principe de ne retenir que les éléments
biographiques publiés, on a constaté que la plupart de ces
artistes n'avaient rien à cacher et notamment pas leurs
origines sociales puisqu'en les affirmant ils restaient
solidaires de la classe dont ils étaient issus. En les
dévoilant, ils montrent également qu'un climat familial
favorable, cultivé pour les uns, populaire pour les
autres (83), peut être au principe de la vocation.
D'autre part, ils n'ont pas cessé de batailler pour
établir les conditions d'un rapport démocratique entre
les producteurs d'art et tous les autres agents du
champ artistique, en empruntant au champ politique
ses pratiques. Ils révèlent les problèmes de la vie
professionnelle de l'artiste (ateliers, protection sociale,
relations avec les institutions culturelles, notamment
avec le Centre Georges Pompidou, etc.) (84). Ils
revendiquent le partage du pouvoir au sein des
institutions culturelles avec les agents chargés de la
programmation, de la commission d'orientation pour
les collections de l'Etat, des achats de l'art vivant, des
commandes publiques, etc. Autant de pratiques,
taxées de corporatistes, qui les séparent du reste des
producteurs d'art.
L'avant-garde la mieux dotée
Attiréepar le pôle du marché international, la
nébuleuse englobant la tendance au concept (Fluxus,
BMPT, Mythologies individuelles, art corporel, art
sociologique, etc.) et celle du Nouveau réalisme se
développe plutôt entre l'axe factoriel horizontal à
droite, et l'axe factoriel vertical (pôle parisien). On
constate que les peintres abstraits et les Nouveaux
83-Adami doit à son grand-père -élève d'un poète, parlant latin
avec ses amis- de lui avoir appris à communiquer par le dessin
(Eighty, 10, 1985). Fromanger est un "descendant de plusieurs
générations
'acheté' par lede sultan
peintres
ottoman
et de sculpteurs,
Abd Hui Hamid
son grand-père
pour décorer
avait son
été
palais de Constantinople..., son épouse russe arménienne
s'installe à Paris avec ses trois fils" (Eighty, 4, 1984). Gérard Tisserand
évoque son grand-père maternel, horloger-rhabilleur qui avait la
carte n° 2 de la CGT et qui était chef d'orchestre de fanfare et
compositeur de marches militaires. D'autres encore se
présentent comme fils d'instituteur et petit-fils de paysan.
84-Questionnaire adressé à Pontus Hulten et à ses
collaborateurs pour traiter des problèmes posés par la création du Centre
Georges Pompidou avant la réunion des Etats généraux de Cré-
teil en janvier 1977. Un des thèmes centraux est : "Pensez -vous
acceptable que ce que prépare ou organise le Musée national
d'art moderne -MNAM- se fasse dans le plus grand secret en
tenant à l'écart l'ensemble des artistes ?", "Y-a-t'il dans la
commis ion d'achat des artistes plasticiens ?", "Existe-t-'il ou est-il prévu,
à l'intérieur du MNAM, une commission chargée des rapports
avec les artistes et de leurs intérêts ?", etc.

Illustration non autorisée à la diffusion
Le groupe des producteurs d'art, réunis pour
la commodité
"concept," est de
hétérogène.
l'exposé sous
Il compte
le terme17générique
artistes de
d'origine et de formation diverses. Ceux-ci ont en
commun le projet d'imposer de nouvelles règles pour
déclasser les jugements fondés sur l'appréciation
esthétique. C'est, par exemple, le groupe BMPT -
Buren, Mosset, Parmentier, Toroni - qui utilise le
18e Salon de la Jeune Peinture en 1967 pour
dénoncer les techniques d'interprétation de l'oeuvre d'art
produites par les spécialistes. Ces artistes exécutent
des toiles en public pour montrer que l'acte de
peindre ne dépasse pas le simple geste d'étaler la
peinture sur un support et, qu'au-delà de la pratique, la
production de la valeur de l'oeuvre est le résultat d'
opérations symboliques extérieures à l'objet pictural.
Par la suite, Daniel Buren est présenté à l'étranger
avec les artistes conceptuels américains, anglais et
allemands (85). On trouve également, dans l'espace
compris entre les deux axes factoriels (pôle du
marché international et pôle parisien) un "objecteur"
(Jean-Pierre Raynaud), des membres du
mouvement Fluxus (Ben, Brecht),des artistes exprimant
Le champ des avant-gardes 29
Nouveaux réalistes nettement plus âgés (1919 à
1927). Contrairement aux membres de la Nouvelle
figuration, ils se livrent peu, si bien que l'analyse des
conditions sociales de production a été rendue
difficile par l'absence d'informations publiées. La
dissimulation semble pour certains avoir été érigée en
principe, comme l'explique Annette Messager :
"C'est pourquoi l'art ne va pas du tout dans le sens
de la vie. L'art est contre la vie. Je pense d'ailleurs
qu'il ne faut pas trop dire, trop montrer, trop
dévoiler.. Simplement quelques indices, très dérisoires...
L'art est plutôt du côté de la conspiration, de la
conjuration aussi" (86).
C'est dans ce groupe que les catégories
socioprofessionnelles des parents sont les moins connues.
85-18 Paris IV 70, exposition organisée par Michel Claura, Paris,
1970. K. HonneÇ Concept Art, Cologne,Ed.Phaidon, 1971. Über
Kunst, Künstlertexte zum veränderten Kunstverständnis nach
1965, Cologne, Ed.Gerd de Vries, 1974.
86-A. Messager, Comédie tragédie, 1971-1989 ; Catalogue du
Musée de Grenoble, 1989, Entretien avec B. Marcadé, p. 123.
30 Annie Verger
La lecture particulièrement attentive des articles,
des préfaces de catalogues, des notices
biographiques périodiquement produits par les
commentateurs attitrés (critiques d'art, écrivains,
conservateurs, etc.) permet de constater que les
modalités d'interprétation de l'oeuvre n'incluent pas
impérativement l'histoire de vie. L'analyse facto-
rielle des correspondances qui enregistre et traite
des données très diverses a montré que la
distribution des artistes dans l'espace des avant-gardes
n'était pas véritablement faussée par la méconnaissance
de certains indicateurs parce qu'elle résultait de
configurations plus flexibles (87). Bien que les
informations concernant le métier de certains parents
d'artistes soient incomplètes, on peut estimer que la
classe supérieure est assez bien représentée, qu'il n'y
a pas beaucoup de parents appartenant aux classes
moyennes et que trois artistes seulement sont fils
d'ouvrier.
Ce groupe se caractérise par rapport aux
autres par sa tendance à la déspécialisation. Jusqu'à
cette génération, les études artistiques supplantaient
l'enseignement général. L'observation du capital
scolaire que représente ce groupe montre qu'il y a
moins de non-bacheliers et beaucoup plus de
titulaires du baccalauréat et de détenteurs de titres
universitaires délivrés notamment par les écoles
d'ingénieurs, l'Ecole normale supérieure, le
Séminaire Saint-Sulpice (études de philosophie et de
théologie), Sciences Po, etc. En revanche, les études
spécialisées semblent moins indispensables à la
carrière : quelques artistes, en fin d'études secondaires,
ont commencé à exposer dans les salons réservés aux
jeunes sans avoir suivi des cours dans une école d'art.
Robert Malaval est représentatif de ce courant :
"Tout d'un coup je me suis dit ' Mais dans le fond, on
a le droit de faire de la peinture même sans savoir,
sans avoir étudié le dessin et toutes ces choses !' et
je me suis mis à peindre" (88).
Lorsqu'il y a une formation artistique, elle est
d'excellent niveau (à Paris et dans les écoles
supérieures) mais elle est détournée de ses objectifs. Tous
ceux qui ont acquis des savoir-faire et des savoirs
techniques - Daniel Buren et Gina Pane à l'Ecole
nationale supérieure des Beaux- Arts, Annette
Messager, Anne et Patrick Poirier à l'Ecole nationale
supérieure des arts décoratifs , Gérard Titus-Carmel
à l'Ecole Boulle et Jean Le Gac au Lycée Claude-
Bernard- ont adopté une attitude hérétique à l'égard
des représentations esthétiques, techniques et
pédagogiques produites par ces institutions (89). Ceux
qui ont appris les règles canoniques de la peinture
font des rayures ou déplacent des rochers ; les Prix
de Rome de sculpture construisent des ruines ; les
graveurs font subir des mutations aux objets les plus
prosaïques ; les professeurs de dessin se prennent
pour des aventuriers.
Cependant, le commerce de l'idée -"L'idée
seule suffit" (Ben, Brecht)- a pu devenir un mode
ST-On a eu l'occasion de vérifier que la position indiquée par
l'AFC à partir d'un ensemble incomplet d'indicateurs n'était pas
considérablement remise en cause lorsqu'à posteriori on
comblait les lacunes et on entrait des informations indispensables
comme le niveau scolaire ou les CSP des parents.
88-G.Lascault, Malaval, Paris, Ed.Art press-Flammarion, 1984,
p.28.
d'expression légitime, parce que les conditions de
réception de ces oeuvres ont évolué, autrement dit
parce que le seuil d'acceptabilité s'est déplacé. A
partir des années 60, des pratiques étrangères au champ
esthétique sont admises : valorisation des codes
esthétiques mineurs par le Pop'art, promotion des
rebuts par les Nouveaux réalistes, suprématie de la
signature (" Ben signe tout même Dieu"),
décloisonnement des genres et des catégories par John Cage
et Alan Kaprow, etc. En même temps, la définition
dominante de l'avant-garde s'est trouvée concentrée
aux mains d'un petit groupe de professionnels
-directeurs de galerie, conservateurs de musée,
collectionneurs, critiques, etc. - apparu dans les jurys
internationaux (90). L'observation de certaines de
leurs biographies montre que ces nouveaux venus ne
possèdent pas toujours le capital social ni les codes
en vigueur dans le milieu traditionnel de l'art (91),
mais qu'ils sont dotés des dispositions objectivement
exigées par le champ : ils ont l'âge des artistes dont
ils assurent la promotion (la génération Templon),
ils savent accompagner les artistes dans leur
démesure (comme par exemple Harald Szeemann
conservateur à Berne qui autorise Christo à emballer son
musée), ils prennent des risques en se rapprochant
des autres secteurs de l'économie, etc.
Les stratégies des artistes pour entrer dans le
champ des avant-gardes apparaissent à travers les
listes d'expositions personnelles publiées dans les
catalogues. Les indicateurs étant l'invitation aux
différents salons (Salon de la Jeune Peinture, Salon de
mai, Salon Comparaisons, Grands et jeunes d'au-
89-Lorsque Buren, Mosset, Parmentier, Toroni (BMPT) sont
intervenus au 18e Salon de la Jeune peinture, en 1967, ils ont
distribué un tract ainsi libellé : "Puisque peindre est un jeu, puisque
peindre, c'est accorder ou désaccorder des couleurs, puisque
peindre, c'est appliquer (consciemment ou non) des règles de
composition, puisque peindre, c'est valoriser le geste, puisque
peindre, c'est représenter l'extérieur (ou l'interpréter, ou se
l'approprier, ou le contester ou le représenter), puisque peindre, c'est
proposer un tremplin pour l'imagination, puisque peindre, c'est
illustrer l'intériorité, puisque peindre, c'est une justification,
puisque peindre, sert à quelque chose, puisque peindre, c'est peindre
en fonction de l'esthétique, des fleurs, des femmes, de l'érotisme,
de l'environnement quotidien, de l'art, de dada, de la
psychanalyse, de la guerre du Vietnam, nous ne sommes pas peintres ".
90-W. Bongard, Zu Fragen des Geschmacks in der Rezeption
bildender Kunst der Gegenwart (Les questions de goût dans la
réception des arts plastiques contemporains ), Künstler und
Gesellschaft (Revue de sociologie et sociopsychologie de Cologne),
17,1974, p. 252 : "On n'a pas besoin d'entreprendre une étude
sociologique approfondie et d'user de ruses de détective, pour
retrouver qui sont les connaisseurs (conoscitori dans le texte) qui
établissent la valeur ou la non-valeur des arts plastiques
contemporains. Il s'agit avant tout de ceux qui ont professionnellement
affaire à l'art contemporain, à savoir les directeurs et
responsables de musées, les directeurs d'expositions, les critiques et pro-
priétaires de galerie, auxquels s'ajoutent quelques
collectionneurs passionnés. Il ne faudrait pas oublier et surtout
ne pas négliger l'influence de quelques artistes dont le jugement
est apprécié par quelques propriétaires de galerie. Il s'agit d'un
tout petit groupe de personnes qui décide de ce qui est reconnu
aujourd'hui et sera reconnu comme grand art par opposition à
moins grand ou insignifiant ".
91-"En quelque sorte, Daniel Templon est un émigré dans la
culture. Il ouvrit une galerie sans capital, ni économique -n'ayant pas
du tout d'argent, il n'avait pas à craindre de le risquer-, ni surtout
culturel, n'appartenant à aucune famille, au sens propre et au
figuré, qui aurait pu lui imposer la préservation de son patrimoine.
Il arrivait les mains vides, cela lui faisait l'esprit curieux", C.
Mil et, Dix ans, Paris, Ed.Templon, 1978, p. 5.
 31

Illustration non autorisée à la diffusion

en

galerie à

dans le

;
Alexandre
Rodolphe Stadler,
Iolas Ileana
et Gillespie-Laage-Salomon (92)'
Sonnabend, Jean Fournier, au Solomon
en 1972. EnR.croisant
Guggenheim
"Amsterdam-Paris-Düsseldorf
quelques
Museum
listes de
d'expositions
New- York,
créées.'
c'est-à-dire dans les galeries récemment
personnelles (comme, par exemple, celles de Buren,
92-Ala question précise de savoir comment un jeune artiste était Boltanski,
obtient
dans les
le paradigme
institutions
Le Gac,decomme
leslaPoirier
consécration
danset les
Raynaud),
galeries
internationale
(Bruno
on
ddéplchoisi,
aautres
çait pour
une
: visiter
"On
directrice
entend
son atelier
de
parler
galerie
que
d'unsur
m'a
jeune
des
expliqué
informations
qui monte...
qu'elle des
fournies
ne se par Bischofberger à Zurich, Konrad Fischer à
Düsseldorf, Paul Maenz à Cologne , et à la John Gibson
sans
informations qu'on
implicites circulent...".
qui
puisse
fontétablir
Ilque
n'y l'on
a avec
pasattend
de
précision
principes
qu'une
comment
établis
réputation
mais
elle naît
des Cette
s'esquisse
règles Gallery à New York).

attitude est confirmée par Albert Baronian, président des

Galeries d'art actuel de Belgique (Découverte et défense des artistes
contemporains : le métier de galeriste, in La mise en scène de l'art figuration
intégrés
l'existence
doit
Ce groupe
sa
au position
marché
parce
etd'artistes
le àinternational
maintien
que,
la dissimulation
s'oppose
parmi
de les
cedeaux
Français,
marché.
l'art
des
représentants
etenjeux
qu'ils
C'est
ce sont
ont
et
une
des
partie
detendance
les luttes.
la Nouvelle
mieux
liéeL'en-
avec
qui
contemporain, op.cit).
32 Annie Verger
trée dans le champ s'opère comme par inadvertance (lorsque
Jean Le Gac raconte ses débuts, il parle "d'une période queje
dirais autistique"). Us produisent la croyance en des activités
dérisoires, régressives et narcissiques qui n'appartenaient pas
jusque-là au champ de production artistique, alors que les autres
ont fondé leur analyse et leur pratique sur renonciation politique
des facteurs de domination. Le principe de classement principal
est le comportement (au sens ethnologique et non
socio-politique). Annette Messager a pu dire : "Je me suis toujours
intéres ée aux arts dévalués. En tant que femme, j'étais déjà une artiste
dévaluée. Faisant partie d'une minorité, je suis attirée par les
valeurs et les objets dits mineurs..." (Catalogue, p. 114). Gina Pane
parle de l'emploi de la blessure comme "d'un signe de l'état de
fragilité extrême du corps". La banalité et la précarité des
matériaux et des formes -rayures, boulettes, sucres taillés, charbon,
bouts de bois et galets, oiseaux emmaillottés, etc.- sont, contre
toute logique, au principe de la production de la valeur. Le
travail "in situ" de Daniel Buren est présenté partout en Europe et
aux USA, à partir de 1968 ; les 300 pots de fleurs rouges remplis
de ciment de Jean-Pierre Raynaud sont exposés à la Kunsthalle
de Düsseldorf en 1968 et acquis immédiatement par le musée de
Krefeld ; ou encore les "boîtes à biscuits datées, contenant des
petits objets des moments de la vie de Christian Boltanski" sont
exposées à la Biennale de Venise et à la Documenta de Kassel en
1972.
L'analyse factorielle met particulièrement bien en
évidence les affinités et les distances entre les différents
représentants de cette tendance. Au centre du nuage, Jean Le Gac,
Paul-Armand Gette, Gina Pane et Christian Boltanski ; ils ont
débuté ensemble en signant des interventions (La concession à
perpétuité à Ecos dans l'Eure en 1969 et 9 Promenades à Paris et
dans les environs) ; Annette Messager et les Poirier ont reçu la
même formation. On remarque que les origines sociales ne sont
pas un principe de classement apparent dans cette région. Les
artistes de la classe supérieure y sont comme "naturellement"
inscrits. Par exemple, la mutation d'une activité scientifique ou
littéraire en production artistique sans passer par les opérations
tâcheronnes de l'apprentissage semble aller de soi. Il y a des
manières aristocratiques d'occuper durablement le terrain avec le
minimum de traces et d'effets, comme l'a montré Marcel Du-
champ. Les artistes des classes moyennes et inférieures qui se
trouvent là n'ont pas employé les stratégies attendues. Il est
intéressant d'observer les positions symétriques par rapport à l'axe
factoriel vertical, occupées par Cueco et Le Gac. Si l'on compare
leurs trajectoires, on constate qu'il n'y a pas d'écart considérable
à l'origine (l'un est fils de peintre en bâtiment à Uzerche ; l'autre,
élevé dans le milieu des mines de Carmaux) ; la culture familiale
est populaire. En revanche, ce sont les modes d'accès à la culture
dominante qui diffèrent. Cueco choisit l'itinéraire "artiste" : il
monte à Paris, fait des petits boulots, participe aux salons, a des
prix décernés aux jeunes peintres (Malborough Fine Art, Fénéon,
etc.), entre à La Ruche, s'inscrit au PC, fait de l'animation
culturelle et de la peinture engagée (voir le "Grand méchoui" avec la
Coopérative des Malassis en 1972). Le Gac suit la filière
opposée : au lieu d'aller aux Beaux-Arts de Toulouse, il entre au lycée
d'Albi pour avoir le baccalauréat ; sur les conseils d'un professeur
de dessin, il prépare le concours d'entrée au lycée
Claude-Bernard pour être à son tour enseignant. Cette position de dominé -
que représente pour le milieu de l'art le poste de professeur de
dessin à Béthune- lui permet d'aborder l'espace des avant-gardes
comme un sportif qui se mesure aux champions en se servant de
son adresse et non de sa force : "...j'ai utilisé la seule forme
d'ouverture qui me semblait possible à cette époque où toutes les
portes du monde de l'art m'étaient fermées : les envois
postaux.. .j'appelais cela tout simplement des lettres anonymes.
Grâce aux adresses du fichier de la Galerie Givaudan... j'ai fait
des envois pendant trois années.. .la réponse a été immédiate, j'ai
senti que quelque chose se passait. Harald Szeemann m'invita à
la Documenta de Kassel en 1972... je me trouvais là, dans une
situation étonnante, à 36 ans, j'allais exposer pour la première fois
et dans une grande manifestation internationale et je n'avais pas
d'oeuvre..."
(Eighty, n° 13).
Jean-Pierre Raynaud -certificat d'études et diplôme de
l'école d'horticulture- accomplit l'acte symbolique qui consiste à
faire de ses instruments de travail (à savoir les pots de fleur) des
objets-fétiches. Il passe ainsi sans transition de l' univers routinier
de l'apprentissage à celui de l'avant-garde. D'après sa biographie
la plus complète (93), on sait que son père est mort lors du
bombardement de l'usine dans laquelle il travaillait en 1943 et que
Jean Pierre Raynaud devient pupille de la nation. A la fin du
service militaire en 1961, il abandonne l'horticulture et n'exerce
aucune occupation pendant un an. Si l'on compare les stratégies des
artistes issus des classes dominées (Pignon-Ernest, Malaval,
Raynaud), on voit qu'il y a toujours refus de la trajectoire annoncée
et arrachement (Pignon-Ernest s'isole pendant un an dans le
Vaucluse, Malaval élève des vers à soie dans les Basses-Alpes,
Raynaud s'arrête, etc.). Ensuite, ils font un coup spectaculaire,
comme coller des sérigraphies sur les murs de Paris dans
l'anonymat le plus total, ou produire une anomalie monstrueuse
-l'aliment blanc- ou mettre un terme à son devenir en bétonnant les
pots de fleurs. Ces coups de force permettent de réduire les
modalités d'entrée dans le champ artistique. Ils dispensent de la
formation spécialisée et du porte à porte auprès des galeristes.
L'itinéraire de Jean-Pierre Raynaud passe d'abord par les
expositions de groupe ("Mythologies quotidiennes", 1964) et les salons
(Jeune sculpture et Salon de mai, 1966). L'année suivante, il
représente la France à la Biennale de Sào Paulo. Sa carrière
internationale commence en 1968, au Moderna Museet de Stockholm
et au Stedelijk Museum d'Amsterdam. On pourrait décrire
d'autres ascensions de ce type, parce que le marché de l'art est
favorable aux actes individuels et aux oeuvres de rupture.
Cette tendance est la mieux dotée parce qu'elle
accumule les bénéfices à la fois symboliques et
économiques. Lorsque les artistes ont un second métier -
compte tenu du capital scolaire que représente cette
tendance -, ils sont enseignants dans les UFR d'arts
plastiques, à l'ENSBAou dans le second degré. Bien
qu'ils n'aient pas recherché le marché de la province,
ils sont en tête des collections créées pour constituer
les Fonds régionaux d'art contemporain (FRAC). Ils
sont choisis par le FNAC (Fonds national d'art
contemporain) et exécutent des 1 %.
Une avant garde de combat
La troisième formation qui est attirée par le pôle
supérieur de l'axe factoriel vertical s' oppose aux
autres nébuleuses. Elle est née de luttes pour
concurrencer Paris, de combats idéologiques entre
gauches et elle est esthétiquement dominée par
P Abstraction. Le mouvement Support/Surface qui
est au centre du nuage reste homogène (les 8 artistes
sélectionnés se trouvent très proches les uns des
autres) ; il est pénétré par la tendance minoritaire de
l'Abstraction
Hantai" côtoient: Olivier
Louis Debré,
Cane etMartin
Christian
Barré,Jaccard
Simon;
Yves Klein est aspiré par ce groupe ainsi que Mos-
set qui échappe totalement à sa tendance d'origine.
Pour l'Abstraction, la sélection réduite à quatre peintres peut
paraître sévère parce que le paysage artistique d'après-guerre était
riche de promesses. Les artistes abstraits dominaient dans les
deux manifestations créées en 1945 au Salon des réalités
nouvelles (créé pour s'opposer au Salon d'automne plutôt spécialisé
dans le réalisme) et au Salon de mai. L'effacement progressif de
cette génération, à partir de 1964, ne s'est pas produit
uniformément. Certains artistes ont subi le déclassement de l'Ecole de
Paris alors que d'autres acquéraient individuellement une
réputation internationale. Martin Barré, Olivier Debré, Simon
Hantaïet Pierre Soulages sont restés en lice parce qu'au moment
où de nouvelles tendances se dessinaient, leur production
anticipait les reclassements. Vers 1970, la peinture abstraite
américaine dominait le marché international et était défendue, en
France, par de nouveaux directeurs de galerie, notamment par
Daniel Templon. Seuls les artistes français pouvant soutenir la
comparaison ont été promus et reconnus comme des
précurseurs. On pourrait s'interroger sur le destin de personnalités tout
aussi célèbres dans les années 50, qui ont gardé une réputation
93-E.de Martelaere, Jean-Pierre Raynaud, Bruxelles, E.M.A.
1975 ; G.Fabre, G.Duby, Jean-Pierre Raynaud, Paris, Ed.Hazan,
1986, p. 136 ; D.Durand-Ruel, Y.Tïssier ; B.Wauthier-Wurm-
ser, Jean-Pierre Raynaud-La maison 1969-1987, Paris, Éd. du
Regard, 1988.

Illustration non autorisée à la diffusion
Galerie
Buffet
la
obligatoirement par Paris ; la province n'est, tout au plus, qu'un
vivier de jeunes talents, une étape transitoire dans
l'ascension et une chambre d'écho. Dans ce combat
inégal, la Côte d'Azur présente cependant quelques
avantages. "Sorte de Los Angeles aux dimensions
européennes", la région de Nice compte plusieurs
musées d'art moderne et la Fondation Maeght ; elle
attire les artistes déjà reconnus (Matisse et Picasso y
ont vécu entre 30 et 40 ans) ainsi que les
collectionneurs ; elle est trop éloignée de la capitale pour
subir son diktat. Dans sa rivalité avec l'Ecole de Paris,
au début des années 60, l'Ecole de Nice a montré
qu'elle possédait au moins deux atouts : le
cosmopolitisme et le régionalisme. Sa perméabilité aux
influences étrangères qui fait que certains artistes sont
venus s'installer dans la région (94), tandis que d'au-
94-Ben né à Naples, de nationalité suisse, arrive en France à 14
ans ; il est installé à Nice. Georges Brecht, américain, habite Vil-
lefranche de 1966 à 1967.
Le champ des avant-gardes 33
ont été retenus pour 1 échantillon parce qu'ils
bénéficiaient de ces atouts. Niçois, Arman a été choisi par
des galeries étrangères dès le début de sa carrière
(Milan, Düsseldorf, Gstaad, New York et
notamment la Galerie Sidney Janis en 1963) ; il a trouvé
une clientèle américaine, a émigré aux USA en 1958.
Admis comme "artiste en résidence" à l'Université de
Los Angeles en 1967, il a pris la nationalité
américaine en 1972. Egalement né à Nice, Yves Klein
expose en même temps à la première Biennale des
Jeunes à Paris et chez Leo Castelli à New York, en
1959. Sa mort prématurée en 1962 ne fera
qu'ac roître sa réputation et sa valeur marchande. Des
expositions rétrospectives sont organisées dans les
musées internationaux les plus prestigieux (en 1967,
au Jewish Museum de New York). Suisse, Tinguely
est membre fondateur de cette tendance ; il s'installe
à New York en 1960.
Les relations avec le marché parisien sont
moins évidentes. Les Nouveaux réalistes ont été in-
34 Annie Verger
troduits dans la capitale par Iris Clert (qui, elle-
même, cherchait à s'imposer comme galeriste
étrangère dans ce milieu) ; cependant, l'Ecole de
Nice ne reçoit les marques de la consécration qu'en
1977 lorsque le Musée national d'art moderne
présente au Centre Georges Pompidou un panorama de
la création artistique depuis 1947 dans cette ville,
intitulé "à propos de Nice" et dans la perspective plus
générale d'un bilan d'expériences hors Paris. A
l'étranger, la reconnaissance vient de la RFA qui
organise un échange d'artistes entre Nice et Berlin en
1980.
La réputation de cette école s'est construite
sur la capitalisation des valeurs et non sur le
déclassement des aînés. Ainsi, les artistes nés entre 1919 et
1928 (7) côtoient, dans le graphique, ceux qui sont
nés entre 1934 et 1939 (6) et les plus jeunes - nés
entre 1942 et 1945 (6). Un grand nombre d'artistes
sont nés dans le Midi (de la Côte d'Azur au Langue-
doc-Roussillon et, au nord, jusqu'à Lyon et Rodez) :
Daniel Dezeuze, Vincent Bioulès, Claude Viallat,
Louis Cane, Noël Dolla, Robert Malaval,
Jean-Michel Sanejouand, Yves Klein, Arman, Pierre
Soulages. Certains y habitent en permanence. Les autres
sont nés à Paris (3), en province (3) et à l'étranger
Les traditions de protestantisme en
Languedoc ainsi que le rattachement relativement récent du
Comté de Nice à la France (1860) font que l'autono-
misation artistique s'inscrit naturellement dans les
luttes régionalistes, réactivées après 1968. Dans l'
enquête proposée par Ben aux créateurs niçois à
propos des relations entre l'art et la culture
occitane (95), on relève trois attitudes : celle de
l'indigène, descendant de Niçois depuis quatre
générations au moins, parlant l'occitan et menant un
combat contre toutes les formes de centralisme
économique ou culturel ; il a reçu une formation
artistique à Nice, reste au pays et participe au réveil des
langues régionales et des cultures ethniques. Il se
trouve plutôt situé vers le pôle supérieur du
deuxième axe factoriel. Celle du Niçois qui fait
carrière : il dénonce les dangers du régionalisme, des
particularismes et choisit le terrain de l'avant-garde
internationale en s'expatriant. Dans l'analyse facto-
rielle, il est attiré par le pôle du marché
international. Enfin, il y a ceux qui occupent une position
originale : souvent Niçois d'adoption, ils
additionnent les profits de leur appartenance à la région Lan-
guedoc-Roussillon/Nice-Côte d'Azur aux bénéfices
de la reconnaissance nationale. Les artistes classés
par Ben comme des Nouveaux réalistes (Malaval,
Ben, Gette), des conceptuels (Georges Brecht, Ben)
ou encore des producteurs qui privilégient l'attitude
au détriment du résultat par référence à Marcel Du-
champ (Happenings, Actions-gestes,
appropriations, signatures, déconstructions, etc.) en s'écartant
des courants abstraits, se trouvent plutôt associés aux
artistes parisiens (Mythologies individuelles,etc).
Ce qui peut expliquer -dans l'analyse factorielle- leur
position excentrée par rapport à l'Ecole de
Nice (96).
La lecture des contributions met en évidence
95-Prises de position par rapport au renouveau de la culture
occitane, Catalogue de l'exposition" A propos de Nice", Paris,
Musée national d'art moderne, 1977, p. 39.
l'opposition cardinale entre les tendances de
Support/Surface et de la Nouvelle figuration. Cette
opposition trouve son fondement dans le champ
politico-esthétique constitué au début des années
20. Le processus révolutionnaire qui impliquait la
transformation des rapports de classe a eu, en autres,
pour effet de privilégier le spectateur de masse au
détriment du consommateur de valeurs
esthétiques (97). Dans ce contexte, l'avant-garde russe a dû
redéfinir la fonction de l'oeuvre d'art. Pour Male-
vitch et Rodtchenko, elle doit perdre sa fonction de
représentation pour devenir autonome en se
concentrant sur son propre matériau et sur les modes
de production. Cette position est combattue dès
1922 par la Nouvelle association des peintres qui
dénonce l'analyse reflexive et la peinture non objective
et opte pour un moyen d'expression édifiant, qui doit
être réaliste et représentatif pour instruire les
masses.
On ne peut comparer les luttes entretenues
entre artistes d'extrême gauche et de gauche en
France dans les années 70 à celles qui ont opposé les
constructivistes aux jdanoviens. Les représentants
de la Nouvelle figuration apparaissent après 1956,
alors que "l'art de parti" est déjà considéré comme
obsolète. Cependant, bien qu'hostiles au réalisme
socialiste, ils ne veulent pas abandonner à la rive
droite le monopole de la peinture figurative. Ils se
placent plutôt - du point de vue esthétique - dans la
lignée du courant minoritaire de gauche qui n'a pas
suivi les consignes communistes après 1945 (Grüber,
Lorjou, Rebeyrolle) mais qui a cependant participé
à la démocratisation de l'art en produisant des
images lisibles et critiques (création du "Manifeste
de l'homme témoin" en 1948 ou encore du Salon des
peintres témoins de leur temps en 1951).
Le mouvement Support/Surface est plus
récent. Le manifeste fondateur est rédigé le 23
septembre 1970 à l'occasion de l'exposition à l'ARC ; il est
signé par Louis Cane (absent de l'exposition), Marc
Devade et Daniel Dezeuze. Ce groupe lutte contre
toute pratique subjective dans le champ de la
peinture et impose un travail théorique fondé sur le mar-
xisme-léninisme. Il crée en mai 1971 (avec
notamment la participation de Marcelin Pleynet)
une revue - PEINTURE cahiers théoiiques (98)-
96-"Créer, c'est ne pas se laisser classer et pourtant voici les
tendances de l'avant-garde à Nice classées par Ben" : 1 -Nouveau réa -
lisme (objets/appropriation/focus sur la réalité) ; 2-Conceptuel
(l'idée seule suffit) ; 3-Mythologie individuelle
(obses ions/analyse) ; 4-Happening et Action-gestes ; 5-Support-Surface et
Peinture/Peinture analytique et didactique ; 6-Abstraction
nouvelle et divers ; 7-Art sociologique ; 8-Poésie visuelle ; 9-Cédille
qui Sourit/Fluxus/Anti-Art/Anti-professionnalisme/Musique
post Cage ; 10-Esthétisme ; 11 -Travaillant avec la photo ; 12- Art
naïf et Art brut.
97-Pour replacer ce débat dans son contexte, voir l'ouvrage de
Nikolai'
Taraboukine, Le dernier tableau (Paris, Ed. Champ
Libre, 1972 pour la traduction).
98-Comité de rédaction : Bioulès, Cane, Devade et Dezeuze.
"L'existence même de cette revue a comme source la pratique
d'un certain nombre de peintres (Supports/Surfaces) et comme
moteur la théorie du marxisme-léninisme et la pensée Mao Tsé-
toung ... En tant qu'avant-garde (à un premier niveau à l'égard
de l'avant-gardisme académique du marché, à un second niveau
à l'égard du groupe Supports/Surfaces) la revue expose un
travail négatif (contre la bourgeoisie monopoliste, contre l'idéologie
dominante) dont la force d'impact est limitée au champ spécifi-

Exposition "Claude Vialtal", cape, entrepôt Laine, Bordeaux, 1980.
proche de Tel Quel dirigée par Philippe Sollers. Six
artistes retenus pour cette tendance ont occupé des
positions-clés, comme membres fondateurs
(Bioulès, Dezeuze, Devade, Viallat), comme inventeur du
titre générique (Bioulès), comme théoriciens (Cane,
Devade), mais également comme nouveaux venus
dans les luttes pour la maîtrise des moyens de
production spécifiques aux arts plastiques.
C'est sur ce point précis que les deux groupes
s'affrontent. Plus jeunes et plus radicaux, les artistes
du mouvement Support/Surface ne veulent pas
réduire la peinture et son sujet à l'idéologie. "Le
peintre n'a plus à justifier un savoir. Il n'est pas un
illusionniste, un montreur de phantasmes, un
fabricant d'images" (Viallat). Ils cherchent à rendre
l'oeuvre autonome, à décomposer le tableau en autant
d'unités significatives et à observer l'économie des
échanges. "De même que les idées se pensent dans
la langue, la peinture doit se penser dans ses moyens
(ceux que lui fournit historiquement son code) ; elle
d'ne
action"
doit pas être un fétiche mais une possibilité
(Viallat, 1970). Deux artistes, Christian Jaccard
que qui est son objet : la peinture. Mais ce champ étant
surdéterminé économiquement (galeries, musées : économie de marché),
sa force d'impact peut se développer et acquérir la force d'un
'buffle', d'un 'bulldozer' de déblaiement dans le champ
économique et social. ...Aussi bien, le combat mené par PEINTURE
cahiers théoriques s'inscrit d'emblée aux côtés du combat de la
classe ouvrière". Une partie de la revue VH101, 5, printemps
1971, est consacrée à ce mouvement.
Le champ des avant-gardes 35
et Jean-Michel Meurice, bien que n'ayant pas
appartenu à ce groupe, se sont trouvés agrégés par les
caractéristiques de leur formation et de leur
production (99").
L observation des métiers des parents - dans
cette région - fait apparaître un certaine
concentration des professions artistiques et libérales (juriste,
notaire, médecins, pharmacien, dentiste,
architectes) exercées en province, parfois depuis
plusieurs générations. Leurs enfants ont un capital
culturel hérité (100). Lorsqu'ils ont fait des études
spécialisées, elles sont de haut niveau. Claude
Vial at a étudié à l'ENSBA dans l'atelier de Legueult et
a été logiste. Louis Cane est diplômé de TENSAD
(architecture intérieure, section peinture murale et
fresque) en 1968 ; il est également logiste à TENS-
BA. D'autres ont des diplômes d'architecture
(Barré, Debré) ou ont fait les Beaux-Arts (Bioulès,
Hantai, Jaccard, Dolla, etc.).
Le pôle supérieur de l'axe factoriel vertical re-
99-Ils doivent leur entrée dans ce groupe à des conservateurs de
musée et des critiques qui les associent aux membres confirmés.
Cf. B.Ceysson, Nouvelle peinture en France, pratiques ¡théories.
Catalogue de l'exposition au Musée d'art et d'industrie à Saint-
Etienne, 1974. B.Lamarche-Vadel, Exposition Dezeuze, Dolla,
Jaccard, Pincemin, Galerie Gerald Plitzer, 1975.
100-Marc Devade est l'arrière-petit-neveu de Degas ; Olivier
Debré a pour ancêtre le peintre E.B. Debat-Ponsan ; Yves Klein
et Vincent Bioulès ont des parents artistes, etc.
36 Annie Verger
présente le capital intellectuel le plus élevé. Certains
artistes ont fait des études de lettres (Daniel De-
zeuze obtient un doctorat en 1970, Marc Devade
étudie la philosophie avec Jankélévitch, Olivier De-
bré a une licence de lettres). Dans cette région , on
trouve également Yves Klein qui a été à l'Ecole
nationale des langues orientales, puis, en se déplaçant
le long de l'axe factoriel vertical, Michel Journiac qui
a fait de la philosophie au séminaire Saint-Sulpice ;
Jean-Michel Sanejouand, des études de droit et de
sciences politiques, George Brecht qui a une
formation de chimiste. L'intellectualisation du champ de
production artistique correspond à l'émergence
d'une nouvelle génération. Dezeuze et Devade sont
parmi les plus jeunes de l'échantillon (ils sont nés en
1942 et 1943) ; ils finissent leurs études vers 1968 et
passent directement de la réflexion théorique (101)à
la pratique artistique. Ils sont intéressés par les
travaux de Merleau-Ponty et de Leroi-Gourhan , par le
structuralisme, la psychanalyse, la linguistique et la
sémiotique. Les données illustratives montrent que
ce pôle attire les revues considérées comme les plus
intellectuelles, PEINTURE cahiers théoriques , art
press , Artstudio , Attitudes (102). On constate
également que les critiques d'art, les écrivains et les
universitaires (qui n'interviennent dans l'espace des
artistes d'avant-garde qu'au titre de "propriété des
peintres") dominent dans cette région. Ce sont des
critiques occasionnels (sollicités pour écrire la
préface d'un catalogue ou d'une monographie parce que
leur signature est une légitimation prestigieuse), des
critiques professionnels (enregistrés à l'Association
internationale des critiques d'art- AICA), des
conservateurs de musée, historiens de l'art,
esthéticiens qui ont asssocié leur nom à une tendance.
Cette nébuleuse réunit des artistes jeunes et vieux qui montrent
de l'intransigeance à l'égard des pratiques artistiques et
commerciales en vigueur. On les a comparés à des "moines-soldats" de
l'art, pour leur radicalisme (le monochrome (Klein), "la mise à nu
de 'l'appareillage' traditionnel de la peinture" (Dezeuze), la
"plongée dans la couleur" (Devade), etc.). Par ailleurs, ils ont
mené un combat pour déclasser la peinture engagée et l'art
conceptuel. Cependant, l'analyse factorielle des correspondances porte
un éclairage nouveau sur les luttes déclarées entre ces différents
groupes. Elle montre que le procès intenté aux artistes de la
Nouvelle figuration pour dénoncer la collusion du pouvoir bourgeois
et des militants communistes "trompés par une poignée de cadres
révisionnistes" est dressé par une fraction d'intellectuels issus de
la classe qu'ils désavouent. On comprend pourquoi les positions
des deux groupes sont irréductibles. Les uns ne veulent pas
recevoir des leçons de morale politique (affrontement entre marxistes
orthodoxes et marxistes-léninistes) ; les autres refusent d'entrer
dans la logique de la reconnaissance artistique sur des positions
idéalistes (condamnation du révisionnisme). Les représentants
de Support/Surface se différencient des artistes engagés par leur
comportement. Ils ont trouvé dans la pédagogie le moyen de
prolonger leurs recherches théoriques. Bioulès, Dezeuze, Dolla, Jac-
card, Viallat enseignent dans les écoles d'art du sud de la France.
On peut, par exemple, comparer les positions de Noël Dolla et
d'Ernest Pignon-Ernest : mêmes origines géographiques et
sociales, même âge. L'un est resté à Nice, a reçu une formation ar-
101-Devade publie deux poèmes dans le numéro 18 de Tel Quel,
en mars 1964 (il a 21 ans). Il devient "peintre professionnel" à la
fin de 1967. Dezeuze voulait s'inspirer des Cahiers pour l'analyse
publiés par les élèves de l'ENS pour créer une revue.
102-art press, I, dec. 1972 -janv. 1973, rédactrice en chef,
Catherine Millet . Artstudio, 1, été 1986, directeur de publication
Daniel Templon. Artitudes, 1, octobre 1972, rédacteur en chef,
François Pluchard ( plus spécialisé dans l'art corporel et l'art
sociologique ).
tistique à l'Ecole nationale des arts décoratifs, a été l'élève de
Claude Viallat. Il est devenu, à son tour, enseignant à Nice.
L'autre est autodidacte ; son itinéraire esthético-politique le conduit
à Paris. Il a le statut de l'artiste de gauche (atelier à la Ruche,
salons, etc.). Bien que socialement proches, ils s'opposent dans
l'espace des avant-gardes.
Mais les représentants du groupe Support/Surface se
distinguent également des artistes de la tendance au concept parce
que le dogmatisme dans ce champ est coûteux. Ils n'ont pas
mené la carrière internationale de leurs confrères parce qu'ils
n'avaient pas les qualités exigées par le milieu de l'art, à savoir une
certaine neutralité. Leur cote ne s'est pas envolée jusqu'à ce jour.
L'Etat n'a pas investi considérablement dans cette tendance les
achats du Fonds national d'art contemporain sont faibles, la
commande publique inexistante.
Néanmoins, l'espace compris entre l'axe factoriel vertical
(pôle du Midi-Côte d'Azur) et l'axe factoriel horizontal (pôle du
marché international) représente le plus fort capital économique
et symbolique (cote au-dessus de 100 000 francs, achats de
l'Etat, de nombreux critiques, des signatures prestigieuses, etc.)
parce que les artistes de réputation internationale (Pierre
Soulages, Arman, Yves Klein) s'y trouvent réunis.
Evolution des conditions
de production de Pavant-garde
L'analyse structurale des avant-gardes a fait
apparaître une logique bien que les rapports de force
évoluent. L'opposition cardinale dans cet espace est
constituée par l'affrontement entre les artistes qui
revendiquent la maîtrise des moyens de production
et des instruments de reconnaissance sociale et les
agents qui détiennent le monopole de la définition
dominante de l'art contemporain. Dans les années
60, cette opposition n'est pas franchement établie
parce que les artistes engagés font passer les combats
des groupes opprimés avant leurs propres luttes. A
cette époque, ils se fondent plutôt dans des pratiques
collectives au point, pour certains, de refuser la
reconnaissance accordée par les spécialistes de l'art,
sans pour autant tirer profit de leur engagement dans
le champ politique. En 1975, la mise en chantier du
Centre Georges Pompidou qui a pour mission
notamment d'améliorer les conditions de diffusion de
l'art contemporain constitue un événement pour ces
producteurs d'art. Ils y voient l'opportunité de
transformer les luttes et de s'instituer en groupe de
pression. Pendant deux ans, ils vont solliciter le directeur
Pontus Hulten pour organiser des Etats généraux.
Ceux-ci auront lieu en janvier 1977, mais à Créteil.
Le questionnaire adressé au conservateur et à ses
collaborateurs lors de cette manifestation permet de
dresser l'inventaire des droits requis : parité entre les
agents institutionnels et les artistes, concertation,
entrée des producteurs dans les commissions
d'orientation et d'achats, définition des critères de choix
des responsables d'expositions temporaires, en un
mot : "droit de regard". D'autre part, les producteurs
engagés dans cette lutte exigent l'accès libre et
gratuit à toutes les activités du centre, la mise à la
disposition de moyens matériels, la liberté d'expression et
la liberté esthétique, l'autonomie, la maîtrise de la
diffusion (103) Restées sans effet, ces
revendications sont reprises en 1981, lors de l'arrivée de la
gauche au pouvoir (Etats généraux de Créteil de
novembre 1981Y Elles se transforment en véritable
définition des 'droits sociaux" des artistes, considérés
 Le champ des avant-gardes 37

comme des travailleurs. Attributions d'ateliers, velles tendances, à percevoir avant les autres les
intégration des plasticiens au régime général de la valeurs montantes, les engagent et les classent à leur
Sécurité sociale, information fiscale et juridique tour dans le champ de l'avant-garde internationale.
récurrente des artistes sur leurs droits, prise en Ces comités se composent généralement de
considération du second métier, représentation artistique représentants de la Délégation aux arts plastiques,
accrue dans les instances de décision, voire parité, d'inspecteurs de la création artistique, de personnalités
etc. La médiation entre l'Etat et les artistes est, à dont l'expérience est notoire (critiques d'art,
cette époque, facilitée par des agents institutionnels collectionneurs, etc.). Etre choisi pour un artiste, c'est
qui avaient milité depuis longtemps pour la entrer dans un club sélect, c'est suivre l'itinéraire
démocratisation de l'art. Ils réalisent les bénéfices de cette consacré (Kassel, Düsseldorf, New- York). Jamais les
attente en entrant dans les organismes de décision et relations entre un producteur d'art et des instances
contribuent concrètement à transformer les de consécration n'ont été aussi explicitement
conditions sociales de production. La politique menée par exposées que par Deryck Healey , à la Galerie Totem II
la Délégation aux arts plastiques s'appuyant sur la Canale à Venise pendant la Biennale 90. Sur les murs
décentralisation a favorisé la création de lieux de la galerie (et sur des panneaux amovibles pour les
d'expositions : Fonds régionaux d'art contemporain changer journellement) étaient présentés les noms
(FRAC) et Centres d'art qui sont autant de vitrines en toutes lettres des personnalités dominantes dans
de l'art actuel, notamment pendant l'été. L'insertion le milieu de l'art international , "The Famous
de l'art contemporain dans un monument historique Names". Les instances de consécration se sont
(comme, par exemple, les présentations du FNAC au substituées à l'oeuvre parce que le producteur a tout à
château de Oiron) offre aux créateurs des occasions attendre de celles-ci.
prestigieuses. La commande publique a été réactivée
depuis 1981. Cependant, cette institutionnalisation
a, en quelque sorte, désamorcé le militantisme des
artistes. Ils pantouflent dans les postes d'enseignant
et dans les commissions professionnelles et ne
représentent plus l'avant-garde politico-esthétique des
années 70. La relative démobilisation d'un groupe
qui, par la force des choses, a vieilli, a modifié les
rapports de force au bénéfice des agents qui détiennent
le monopole de la définition dominante de l'avant-
garde. Une translation vers le pôle du marché
international de l'art s'est effectuée. Ceux qui comptent
désormais dans le champ de production et de
diffusion sont les conservateurs de musée qui entrent
dans les jurys internationaux, les concepteurs
d'expositions à thèmes, les chefs d'institution, les
critiques d'art qui font autorité dans les commissions
d'achats, les marchands de tableaux tournés vers le
marché international (104), etc. Les artistes
fortement córreles avec les agents efficients occupent
cette position parce qu'ils ont saisi, dès leur
apparition dans le champ, les véritables enjeux. Ils n'ont pas
forcé l'entrée en corps constitué, ni participé aux
négociations dans des organisations professionnelles ;
ils se sont plutôt montrés bons gestionnaires de leur
propre carrière. Ils ont réduit leurs stratégies à
l'essentiel : être choisi. Qu'il s'agisse d'entrer dans les
collections publiques, de représenter la France à
l'étranger ou d'appartenir à une galerie, les modes
d'accès restent toujours la sélection par un comité de
spécialistes. L'aptitude de ceux-ci à dégager les nou-

103-Ce questionnaire ne comprenait pas moins de 84 questions.

On jugera de la crédulité des rédacteurs en lisant la question 23 :
"Au contraire, en s'éloignant du modèle américain, en se
désintéressant de la compétition pour la suprématie internationale, en
ne se laissant pas influencer par des pressions gouvernementales,
en ne tenant pas compte des intérêts du marché de l'art, en ne
s'appuyant pas sur le copinage ni sur vos seuls goûts esthétiques
ou ceux de vos collaborateurs, votre politique culturelle sera-t-
elle une vraie politique culturelle non élitiste, basée sur une
information non partisane et la plus objective possible de la création
contemporaine ?".
104-Notons que cette transformation du champ de production
se traduit également par le déclin progressif des salons organisés
par les artistes et le succès croissant de la Foire internationale de Voir tableaux en annexe pages suivantes.
l'art contemporain (FIAC) à partir de 1975.
38 Annie Verger

Tableau 2 PARIS PROV USA RFA ITAL SUISSE BELG. P-BAS SCAND. G.BRET AM.SUDCANAD JAPON
La représentation
des 50 artistes dans les
galeries privées
Source-La représentation
àdesParis,
50 artistes
en province
dans les
et agaleries
l'étranger
privées,
a été établie à partir des biographies
publiées dans les catalogues les plus récents.

FROMANGER
KERMARREC

'IGNON-ERNEST

TISSERAND

POIRIER A.&P.

SANEJOUAND
TITUS-CARMEL
 Le champ des avant-gardes 39

Tableau 3
Les tendances
et leurs galeries parisiennes
Source-La liste des galeries a été établie
à partir des biographies les plus complètes
publiées dans les catalogues
des 50 artistes.
CONCEPT
MYTHOLOGIES
ART
(FLUXUS,ART
SOC10LOGIQUE3MPT,
INDIVIDUELLES,
CORPOREL,
ABSTRACTION NOUVEAUX REALISTES NOUVELLE FIGURATION OBJECTEURS.) SUPPORT/SURFACE
JEANFOURNIER 30 17 IRIS CLERT 10 10 MAEGHT 23 15 TEMPLON 55 31 1TÏMPLON 55 16
GALERIE DE FRANCE 14 9 BEAUBOURG 18 6 BEAUBOURG 18 6 STADLER 18 18 JEANFOURNIER 30 10
ARNAUD 10 7 SONNABEND 9 7 LUCIEN DURAND 9 7 SONNABEND 12 9 YVON LAMBERT 14 10
TEMPLON 55 6 IOLAS 8 3 MATHIAS FELS 11 6 MAEGHT
RIVE DROITE
23 7
10 5 PILZER RHEIMS 11 9
GILLESPIE LA AGE S. g 4 RIVE
ARNAUD 10 2 FLINKER 7 5 IOLAS 8 5 BEAUBOURG 18 1
PILZER RHEIMS 11 2 DROITE LE DESSIN
10 2 DU DRAGON 5 5 GALERIE DE FRANCE 14 1
KNOEDLER 2 2 FLINKER 7 2 GALERIE DE FRANCE 414 43 BEAUBOURG
YVON LAMBERT
18 4
14 4 LUCIEN DURAND 9 1
CHAUVELIN 2 2 DENISE RENE 3 2 GIVAUDAN ARCURIAL 6 1
ARIEL 2 2 COUTURIER 2 2 LAPLACE 3 4 3 MATHIAS FELS 11 4 RENCONTRES 5 1
ABEL RAMBERT 2 2 LAWRENCE 2 2 LARCADE GILLESPIE
3 3 JEAN FOURNIERLAAGE S. 8 4 BAUDOIN-LEBON 4 1
RENONETPOYET 1 1 TEMPLON 55 1 RANSON 4 3 30 3 GIVAUDAN 4 1
REGARDS 1 1 MATHIAS FELS 11 1 RIVE DROITE 3 3 ARCURIAL 6 3 MOLLET VIEVILLE 3 1
PAULFACHETTI 1 1 SAINT GERMAIN 3 1 10 3 BAUDOIN-LEBON 4 3 JEAN SIX 2 1
MOSTINI 1 1 LA HAUT PAVE ARCURIAL
2 1 GALERIE 6 2 DANIEL GERVIS 3 3 LE HAUT PAVE 2 1
MICHEL WARREN 1 1 SCHOELLER B
2 1 HERVE ODERMATT GERMAIN
2 2 ISY BRACHOT 3 3 ANDRE WEIL 1 1
MAEGHT 1 1 COLETTE ALLENDY 1 1 JACOB 2 2 3 3 GALERIE B 1 1
LYDIA CONTI 1 1 DES SOLITAIRES 1 1 JEANNE BUCHER 2 2 LOFT 3 3 LACOURIERE FREHAUT 1 1
L'ETOILE SCELLEE 1 1 ENTRE 1 1 MOMMATON 2 2 SYLVIA BOURDON 3 3 REGARDS 1 1
JACQUESBARBER 1 1 GALERIE J 1 1 SAINT GERMAIN 2 2 RENCONTRES 5 2 VAL.DESCOMBE$ 1 1
ERVAL 1 1 KMER 1 1 BAMA
3 2 DU FLEUVE 3 2 WEILLER 1 1
BING 1 1 L'OEIL AGNES
1 1 BAMA B 1 1 3 2
BEGGRUEN 1 1 TARICA 1 1 BELLECHASSE 3 1 MOLLET VIEVILLE 3 2
TCHOU 1 1 BERLIKOWSKI 1 1 LARA VINCY 2 2
VERBEKE 1 1 BERNHE1M JEUNE 1 1 N.R.A. 2 2
ED. DE MESSINE 1 1 BOULAKIA 1 1 GALERIE DE FRANCE 14 1
TRIGANO 1 1 BROWNSTONE 1 1 ARNAUD 10 1
GARY 1 1 CHERVAU 2 1 LUCIEN DURAND 9 1
1900/2000 2 1 CII1RVEN 1 1 LARCADE 4 1
1 1 DENISE RENE 3 1
CLAUDE BERNARD j BROWNSTONE 2 1
CLAUDE LEVIN 1 1 AARP 1 1
DE LARCOS 1 1 1 1
DU FLEUVE 3 1 AVANTPREMIERE 1 1
EDOUARD SMriTI 1 1 BONNIER 1 1
FRANCE BORDAS 1 1 CHANTAL CROUSEL 1 1
GALERIE C 1 1 CLAUDINE BREGUET 1 1
JEAN BRIANCE 1 1 CREATIS 1 1
JEAN SIX 2 1 DANGUY 1 1
JEANTAFFARY 1 1 DE L'UNIVERSITE 1 1
KLEBER 1 1 DURAND DESSERT 1 1
KRIEF RAYMOND 1 1 HECATE 1 1
LA HUNE 2 1 JP DELAV1GNE 1 1
LA POCHADE 1 1 KATIAPISSARO 1 1
LA ROUE 1 1 LA HUNE 2 1
LEGENDRE 1 1 LILIANE FRANCOIS 1 1
MESSIDOR 1 1 PHOIBOS 1 1
NIEPΠ1 1 SAMY KINGE 1 1
R.CORDIER 1 1 SHANDAR 1 1
RENCONTRES 5 1 SIMONE HELLER 1 1
ROI DE SICILE 1 1 STEVENSON PALLUEL 1 1
SAINT PLACIDE 1 1 LELONG 2 1
SCHOELLER 2 1 1900/2000 2 1
SOLEIL DANS LA TETE 1 1 SYLVANA LORENZ 1 1
TEMPLON 55 1 MJDUMAY 1 1
VERCATER 1 1
MO'ITE 1 1
LELONG 2 1
SERGE GARNIER 1 1
40 Annie Verger

Tableau 4
Les 50 artistes
et les instances de consécration
internationales
ProspectRetrospect-Eurova
Düsseldorf,
Source-Catalogue
1976. de l'exposition
1946-1976,

I i
AD AMI
TINGUELY
AILLAUD
ARROYO IHI
li I

ERRO mm
FROMANGER
KERMARREC
MONINOT

PIGNON-ERNEST
RANCnXAC

BEN
BRECHT
I

JOURNIAC
MOSSET
MESSAGER
GETTE
LEGAC #♦•

A&P POIRIER

I
TITUS-C
SANEJOUAND
DEZEUZE
DEVADE
BIOULES ARMEL

VIALLAT