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REGARDS SUR LA PEINTURE En vente un jeudi sur deux - N° 97 alte par: Editions FABBRI 118, rue du Temple - 75139 PARIS-CEDEX 03 Directeur Direction éaitoriale Gaspare De Fiore Isabela Reco TTextes Giovenne Bergamaschi Maquette {isa Cogoro Cesare Baron! (Droction Gaspare Do Fiore sreanque) Giana. Fobba Paolo Calet ‘Traduction ot ‘Table ehronologique Secrétalre de rédaction Sabine Vali Cosarina Caramel Direction do la division des fasclcules Réalisation étoriale Gullana Zeca Betanton! Astenseo ar. Milan ‘Abonnez-vous & REGARDS SUR LA PEINTURE [ocover directement chez vous RECARDS SUR LA PEINTURE au prix Dloqué do 28 france le numéro pour l'ensemble de le collection. (Offre spéctale : vous recemes on cadeas ~ au méme moment de leur ‘panlion chor les marchands de journaux es élégantecofieets de [REGARDS SUR LA PEINTURE, 12 numéres = 200 trance #36 ruméres = 000 ance 24 numeros = 600 trates © Toute la collection = 1080 francs, ‘Vouilesindiquer clsitement le numéro a parti duquel vous sovhaiter recevoir voit abonnement Ecivor 4 OGFREGARDS SUR LA PEINTURE, 176/179, avenue Joan Jeures - 76019 PARIS, en jeignant votre eeglement, sans oublir Yor ‘om, adresse et code postal Pour compléter votre collection [Les aumetos paras peuvent ee obtenus chez tous les mazchands de Journaux ci, 4 astm, chez Yectour a pr en rigueur au moment de Ja commande. Is resieront disponibles pondaat six mols aprds la auton du dormer fagcicule dela sere. 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RENOR 21. DAVID TOYA 28, BOCCIONI 8. MICHEL-ANGE 29, TURNER 9. MANET 30, DURER 10, REMBRANDT 31. KOKOSCHKA 11, CEZANNE 32 INGRES 12. DALI 33. CONSTABLE 13, LE CARAVAGE 34. GRUNEWALD 14 SEURAT 38. LE GRECO 18. RAPHAEL 36. KLMT 18. TOULOUSE-LAUTREC 37. BONNARD IT. LE DOUANTER ROUSSEAU 38, A DE MESSINE 18. DEGAS 39, HOLBEIN 19, VELASQUEZ, 40, MATISSE. 20, CANALETTO 41, COURBET 21, BRUEGEL 42, KLEE 48. GIORGIONE, 72, LEGER 44, BRAQUE 73, LONGHI 48. REDON 74, LE TINTORET 48. LATOUR 78, MONDRIAN 47. MODIGLIANI 18, MAGRITTE 48. CRANACH 11. DE CHIRICO 49. LE LORRAIN 78. MEMLING 80. MIRO 79, KIRCHNER §1. PIERO DELLA FRANCESCA 80. ROUAULT 82, FOUQUET 81, FRAGONARD 53, PISSARRO 82. VERMEER 84. GERICAULT 83, SISLEY 88. COROT 84, VERONESE 86. MUNCH 85. UTRILLO 82, BOTTICELLI 86. GAINSBOROUGH 68, KANDINSKY 87, POUSSIN 89, VAN EYCK 88. SOUTINE 60, RUBENS 89. VLAMINCK 61. VAN DYCK 80. MURILLO 62, BOSCH 81, UCCELLO 63, TIEN 92, ENSOR 64. ERNST. 93, GUARDI 68, WATTEAU 94, LIPPL 66, CHARDIN 95. JUAN GRIS 67. MASACCIO ‘96, BRONZINO (68, DUCHAMP 69, MANTEGNA 10. BACON 71. MARTINI Is s‘accordaient si parfaitement dans leur travail qu'il état presque impossible de distinguer ce que chacun avait fait dans le méme tableau. ariette, Abécidaire XVIIF siéele, publi en 1851-1862. LE NAIN Lia grande exposition sures fréres Le Nain au Grand Palais de Paris, organisée par Jacques Thuillier ‘et Michel Laclotte (octobre 1978 —jan- vier 1979), a permis ¢’établir un cer- tain nombre de certitudes quant & Videntification des trois peintres et & Yattribution des ceuvres a l'un ou & Yautre. Dans le catalogue, Jacques Thuillier explique qu'en fait Louis le Nain “n'existe pas”. II existe les trois fréres Le Nain. Et en toute conscience, personne ne peut dire laquelle des trois mains a peint la Famille de paysans. Btablir la biographie des Le 1- Nain signifie donc aujourd'hui parler d'un groupe, d'une équipe unie et inséparable jusqu’en 1648, année de Ja mort d’Antoine et de Louis. Lhe nom atsaae be Nain, né donc vers 1867-70, apparait dans le registre des impéts de la ville de Laon de 1592 a 1595. C'est la premiére men- tion connue d’Isaac, probablement originaire d'un autre bourg et établi & Laon par la suite. En 1898, nous le retrouvons dans le role de sergent royal au magasin de sel de Laon ; c'est de cette année que date peut-étre son mariage avec Jeanne Prévost, femme de trés bonne famille, apparentée & des magistrats et des hommes d'église. Les Le Nain n’étaient donc pas des fils de paysans, mais des membres de la bourgeoisie terrienne de la vile Crest entre 1595 et 1610 que naissent probablement leurs cing fils Isaac, Nicolas, Antoine, Louis et ‘Mathieu. La fortune de la famille pros- pére sous la gestion habile d'lsaac, qui en 1607 achéte la maison od il habitera longtemps: une maison & trois étages avec écurie et cave; en 1618 il achéte et loue la ferme “La Jumelle” prés de Mons-en-Laonnois. Nous ne savons rien de l'aspect, du caractére ot des études de ses fils & cette époque. Et encore moins de leurs aptitudes. Nous savons seule- ment qu’en 1623, 'ainé, Isaac, quitte la famille (nous n’aurons plus aucune nouvelle de lui) et quentre 1620 et 1628, la mére meurt, vraisemblable- ment de la peste qui sévit dans toute VEurope entre 1625 et 1629. C'est & cette date que Leleu situe la formation artistique" d’Antoine, Louis Mathieu il parle d'un “peintre étran- ger” qui leur enseigna les régles de Vart pendant presque une année. Si carriére dans Vadministrtion publi- que, participe lui aussi a ce parfait et | exemple d’harmonie familiale. Crest en 1632, selon Leleu, que commence vraiment histoire pour Jamot ce “peintre étranger” était | artistique des Le Nain: “Dans ce Yun de ces Flamands vagabonds auteurs de bambochades, pour Thuil- lier il s'agit au contraire d'un “peintre histoire et certainement aussi d'un portraitiste”. I est de fait qu’en 1629 nous retrouvons les fréres Saint- Germain-des-Prés parmi importante communauté artistique locale, réali- sant des ceuvres religieuses et non populaires. Le 18 mai, “Antoine Le Nain peintre” est admis comme “maistre au dit art et mestier en vertu de lettres de don par luy obtenus du Roy”. Il est done clair quill ne s'agit pas de paysans, mais de profession- nels munis de hautes protections. Ils embauchent rapidement des appren- tis, ce qui témoigne de la quantité de travail réaliser; en 1630, Isaac le pere vient a Paris pour partager les biens de la famille avec ses fis. Lacte est signé devant le notaire : le patri- moine restera indivis ; Isaac garde de quoi vivre et son logement 4 Laon ainsi que la gestion des affaires. Nico- Jas, qui entre-temps a commencé une temps commencérent 4 fleurir trois habiles peintres natifs de Laon qui estoient freres et vivoient dans une parfaite union...” C'est cette année-la Portrait de jeune homme - Pars, Musée d 1 dos Desi. (al) - Hale sur ole 102 152 em rics qu’Antoine signe le contrat pour la réalisation du portrait collectif de la municipalité de Paris et pour huit por- traits en buste des maires et des échevins: une commande presti- gieuse qui témoigne de Fexcellente réputation de atelier. Le paiement | est élevé : 800 livres. C'est toujours de | la méme année que date la com- mande de la décoration de la chapelle de la Vierge des Petits-Augustins : date déduite des armes du marquis de Mirabel qui fut ambassadeur d’Es- pagne a Paris de 1631 a 1632. En 1633, Mathieu devient “peintre ordinaire de la Ville de Paris", charge qui prévoyait aussi la conservation et la restauration des biens artistiques rmunicipaux. La méme année, il devient en outre “lieu- tenant de la compagnie bourgeoise du sieur de Ry”, une milice civique qui témoigne de “esprit martial” du plus jeune des Le Nain. En 1636, leur pére Isaac meurt; les cing fils, toutefois, ne se partagent pas Phéritage :ils maintien- nent le capital indivis et louent des terres et des maisons, gardant pour eux la demeure de Bourguignon ot ils iront souvent travailler et se reposer. ‘De 1638 a 1643, toute la région de Laon subit les désastres de la guerre, les pillages, la violence des troupes. L’économie de cette région fertile en blé et en vigne semble surle point de s'écrouler. Et c'est & ces an- nées de misére et de peur qu’appar- tiennent les peintures paysannes des Le Nain. Apres Vénus dans|a forge de Valcain de 1641 sortent en effet de ate- lier des trois fréres des chefs-<’ceuvre inoubliables: La Charette (164), Le Repas des paysans, La Famille heu- reuse ou Retour du baptéme, Paysans dans une grotte, Composition musi- cale, Femme avec cing enfants (tous de 1642). La Madeleine repentante, le Corps de Garde ou La Tabagie, les Enfants dansant et les Petits joueurs de cartes datent de 1643. A partir de 1644, Laon com- mence a se reprendre, mais les dévastations restent graves. Jean de Saint-Péres écrivait en 1647 que le pays n’était plus celui d'avant et que les troupes avaient partout saccagé les biens des pauvres gens, dépouillé Jes champs, massacré les hommes et violé les femmes... Les tableaux pay- sans des Le Nain nous parlent de cela sans hurlement et sans rhétorique, avec Vévidence tragique du grand silence qui tombe aprés que tout a été consumé, Comme le remarque Jac- que Thuiller, ils ont vu la misére et ils Yontpeinte, Ils ont montré les paysans dans la spoliation qui suit les sacca- ges. Liart des Le Nain évolue donc de la scdne de genre a une méditation remplie de compassion sur le destin de Thomme, rejoignant — on ne sait par quelles voies — le climat spirituel du Caravage, et parallélement 'enga- gement ardent de leur contemporain | saint Vincent de Paul. Le Portrait d’Anne d’Autri- che, cité comme étant de la main de Mathieu et célébré par Louis XII (elon lequel la reine n’avait jamais été montrée sous une aussi belle lumiére), semble dater d'avant 1643. Mais c'est & partir de 1644 que les tableaux pour les personnages importants réapparaissent vraiment = des tableaux religieux comme la Crucifixion de Notre-Dame et des portraits comme ceux (aujourd'hui perdus) du Marquis de Trévilles et dune Vieille dame (que nous connaissons a travers une copie); ce qui n’empéche pas la production de sujets populaires comme le Vieux joueur de flite. Ajoutons que c’est des années quarante qu'il faut dater la Nativité de la Vierge de Notre Dame, redécouverte aprés 1955. En 1646, Nicolas, marié et pére de nombreux enfants, se rend & Paris pour toucher sa part de l’héri- tage; le 4 décembre, Antoine, Louis et Mathieu signent un acte de dona- tion réciproque, témoignant du fait que tous trois vivent et travaillent ensemble en parfaite harmonie, Le document affirme ailleurs que les trois fréres vivent et travaillent ensem- ble depuis longtemps sans jamais s'étre séparés, Leur dernier tableau signé et até que nous connaissions, Portraits dans un intériewr, date de 1647. En 1648, Académie royale de peinture et de sculpture est fondée; les Le Nain y sont admis le 1* mars avec, entre autres, Philippe de Champaigne. $ Cestentrele 25 ete 26 mai quiilfaut dater la fin de cette longue et extraordinaire association —frater- nelle: Louis et Antoine meurent sou- dainoment ~ peste? épidémie ? — ot Mathieu reste seul. bes deux peintres sont solennellement enterrés 4 Saint- Sulpice ; ils sont cités dans le registre | de église sous le titre de “peintres du Roy en 'Académie”. ‘Mathieu hérite d'une fortune conséquente. 1! abandonne probable- mentle métier de peintre, ous'ilpeint, il le fait pour lui-méme. Il se lance dans une cartiére mondaine et mili- taire, et meurt trente ans aprés ses fréres, riche et solitaire. Son héritiére est une nigce par alliance, Anne Thuilleau. Dans son atelier, il reste alors 200 tableaux dont nous ne savons plus rien. LA NATIVITE DE LA VIERGE Le theme religieux dissimulé et suggéré dans les scenes de genre, les repas ou les familles de paysans devient évident dans ce tableau réalisé au cours des années quarante. Comme la Nativité du Louvre, il révéle un style soutenu, une composition plus équilibrée et plus articulée que de coutume, une palette plus riche et plus vibrante, qui fait penser la main ou du moins a intervention de Mathieu plutat qu’a celle de Louis. Qu’est-ce qui différencie cette toile des autres ceuvres attribuées aux trois fréres? En premier lieu, la composition, organisée en plans successifs: au premier plan, la Golly. le monde des le Nain et surou cli a= Hui 1S em nature morte avec le berceau couvert d'un linge brun; puis le groupe formé de la nourrice et de Ia petite Marie; ensuite les trois anges (qui, comme tous les enfants des Le Nain se caractéri- sent par une beauté particuliére et luminouse) et enfin, a 'arriere- plan, le groupe composé de la mére de Marie alitée et de deux femmes en train de l'assister. ly a done un jeu de plans que nous ne retrouverons pas dans les intérieurs ou les scénes champé- tres de la vie paysanne souvent attribués 4 Louis. ly a ensuite une recherche parti- culiére de la lumiére et une richesse rare de tons de couleur. VENUS DANS LA FORGE DE VULCAIN Ce tableau est un exemple de la collaboration entre Louis et Mathieu Le Nain. La lumiére qui révéle les figures du premier plan et dessine les silhouettes des deux hommes a V'arriére-plan est de Louis tandis que la palette vigou- reuse et colorée ainsi que le type des personnages appartiennent a Mathieu, qui semble toutefois s'étre inspiré de Vonet (peintre francais influencé par le carava- gisme, l'art bolonais et le chroma- tisme vénitien. Au-dela de la contradiction évidente entre les figures des personages, cette ‘ceuvre révéle un aspect différent de la peinture des freres Le Nain, que ce soit par son sujet mytholo- gique (ce qui réfute V'idée du provincialisme des trois fréres) que par sa facture qui se différen- cie de celle des “bambochades dans le style francais”. Cette toile peut étre rapprochée de la Forge de Louis et semble reprendre les themes des scenes champétres, en particulier dans la figure de Yhomme assis, et dans limmobilité des personnages. Mais il n'y a plus ici les plis lourds des habits en haillons des paysans, les coiffes et les corsets des femmes: les figures montrent des torses et des bras nus dont I’anatomie est en definitive plutét approximative. Dans le visage de Venus et dans son corps emtouré d'un drap rouge, nous retrouvons le modéle de Marie-Madeleine tandis que dans les visages des hommes, nous retrouvons les types immor- talisés par Louis dans ses meilleurs tableaux. Mais il est Evident que les fréres Le Nain réussisent mieux les scénes figées dans l'immobilité du temps et de atmosphere sociale des intérieurs paysans. La figure centrale a en effet un geste plutét gauche, et les i, Musée Apolon dans la forge de 290 x2 ado. Dane Vinus dane autres personnages sont décidé- ment étrangers les uns aux autres. Nila composition, ni leur concep- tion, ni leurs poses ne réussissent alles lier, Le seul élément qui les unit est la lumiére provenant d’une double source, de Vextérieur & droite, et du feu de la forge & Varridre-plan. Ici, l'isolement des personnages est pas transcendant, il ne révéle pas leur solitude mélancolique, leur détachement du monde bourgeois: Vénus semble se trouver la par hasard et méme Cupidon qui 'accompagne a I’air un peu perdu, n’arborant pas le sourire caractéristique des enfants des Le Nain, Par contre, les deux figures de V'arriére-plan qui semblent inspirées des expérien- ces de Georges de La Tour, contemporain des fréres Le Nain, sont beaucoup plus intéressantes avec leurs silhouettes dessinées par la lumiére qui définit leur volume en contrejour. _UA CHARRETTE Sur 'arriére-plan d'une cabane en ruine et d'un tas de foin, Louis Le Nain compose un tableau de petites dimensions qui réussit pourtant a acquérir une monumen- falité particuliére. La scéne’n’est pas vue de face, mais légerement en raccourci: au premier plan, a droite, une paysanne assise sur le sol, serre dans ses bras son enfant, donnant presque l'impres- sion de s'appuyer sur le chien qui se trouve dans son dos, Derriére elle, la charrette sur laquelle quatre enfants se tiennent debout, se détachant sur le tas de foin de Yarriéze-plan, est rendue dans la précision de sa matiére. Les enfants, exemples typiques des figures enfantines des Le Nain, véritables anges sans ailes, ont un regard chargé d'une mélancolie 16Al - Hule su toile du lowe 5 x 72cm - Pars, Mus Lovtew me en valeur senhment de feré et inéne de neblesse ‘4 monde aoysan gu, sen ouséie semble eee profonde et résignée. Derriére eux, le plan des maisons des paysans en raccourci perspectif nous conduit vers un autre groupe composé d'une femme et de deux enfants entourés de quelques brebis, qui se découpe sur le fond un mur en ruine. Remarquons enfin le traitement chromatique qui, comme toujours dans les tableaux attribués a Louis, est orchestré sur des tons particuliérement sourds : ocr terres naturelles, terres brilées, harmonisés par quelques tons gris, jaunes et verts. sur fle, 51x 59 on - Saint tage. le compostion 5, pour ker Tou maiié a paysoge de LES PAYSANS DEVANT LEUR MAISON ILs'agit d'une scéne typique de la vie paysanne attribuée a Louis Le Nain, dans laquelle il n'y ani mouvement, ni horizon ; les figures immobiles, disposées dans le tableau sans ordre précis apparent, semblent s"ignorer les unes les autres ; le temps, l'atmos- phere semblent s'étre figés. Mais si l'on observe bien, c'est juste- ment cette immobilité, cette absence de coordination dans la composition qui donne tout son sens et toute sa valeur au tableau. A gauche, une vieille femme pensive, repliée sur elle-méme; a droite, lointain, un enfant assis sur le sol qui nous regarde avec des yeux voilés d'une profonde tristesse ; debout prés de lui, un paysan immobile, le regard au loin; derriére, sur l'escalier de Ja maison en pierres, une femme avec un enfant regarde au-dela de 16AI Ia - Hull sur tole, 55,2 70,5 em Francisco, Museum of legion af Honour fgwe hpi igue ypique rerfermd,ollaner ranger & facion dy tobleau. Ce pouran! morqué dine des pls intense frees le Ja toile, vers 'observateur, comme le font les autres figures placées devant les fenétres et la porte. Au milieu, entre les figures, un espace vide, comme si les éléments étaient renversés, les personages constituant le décor qui organise et situe le paysage. Silfon est surpris par cette composition, c'est que l'on n'a peut-étre jamais vu de paysans vivre dans V'atmosphére parti- culiére de la campagne. ‘uss pow ses genre dans lesqueles ie vosteéchantlon de pes populares, snepront es themes ches aux peinres de bombochodes ¢ Nan intrecson, dun point de we remorquer que ces lbleous senvoien! 6 décore le salons des polos pomiciens LA HALTE DU CAVALIER Ce tableau traite d'un théme extré- mement simple, apparemment banal: la halte d'un cavalier qui se Tepose assis sur une pierre, & coté de deux jeunes bergers et d'une paysanne qui vient de remonter de eau du puits. L/artiste représente les personnages qu'il connait et quill aime: la paysanne a gauche, souriant et immobile comme si elle posait; les deux petits bergers, représentants typiques des enfants, des Le Nain. Le cavalier est assis sur une pierre a droite, un petit chien prés de lui et derriére, se découpant sur l'arriére-plan d'un ciel parsemé de nuages légers, apparait la téte de son cheval. Le paysage est préfére Louis champs de Picardie, encadrée a horizon par la si des collines. Comme toujours, horizon est trés bas. Ce qui tend ce tableau particuligrement intéressant, cest le souffle ample, presque classique, de la compo- sition ; c’est lui qui donne cette monumentalité particuliére aux figures qui se découpent sur le ciel, observées d'un point de vue assez bas, isolées les unes des autres. Malgré le réalisme extréme avec lequel les personnes et les choses sont décrites, la scéne finit par prendre une valeur presque abstraite, renforcée par Yharmonie des couleurs et par la qualité cristalline de la lumiére qui unifie les différents éléments, PAYSAGE A LA CHAPELLE Ce tableau constitue encore un exemple de la conception du paysage des Le Nain: une image des souvenirs de la nature picarde, des années heureuses de Tenfance et de la jeunesse. Les Le Nain réussissent a rendre cette atmosphere avec leur style particulier, celui de “bambocha- des dans le style frangais”. A droite, une vieille femme assise prés d'un mur constituant un veritable élément de décor théatral, tourne son regard au loin, dans l'espace de l'observateur; & gauche, un jeune paysan dirige le sien vers la campagne lointaine. a moitié de Tespace de la composition est occupée par le ciel, 'autre moitié par la perspec- tive profonde de la campagne: le rythme horizontal des lignes des champs, des rangées et des colli- nes s'harmonise avec les lignes verticales des figures, toujours immobiles. C'est en fixant latten- tion sur les figures des jeunes paysans du premier plan et en délaissant tout élément intermé- diaire que les Le Nain réussissent donner limpression que le paysage s'enfonce doucement jusqu’a lhorizon et & créer ainsi de la profondeur, Le naturalisme des Le Nain qui fait —u— 2 Hulle wr tole, lx $5 em - Horfard (Conn, Wadsworth Athen triompher la nature, véritable protagoniste de ce tableau, apparait comme une élaboration frangaise du caravagisme, mais il annonce aussi, dans le rendu Iuministe du paysage, la peinture paysagiste du xix’ sidcle et en patticulier celle de Corot. pieres, dail le Ganodagolne de de man sil, snlrese aux scines de croctve cal dela peinure flomonde et holandoie Les hires Le Nain conrbeni cuss @ le fernaton de sa vison rélste poriculére qu échoppe 6 lo siggeston romanique ou académique pow donna corps 8 une re ‘uthenkque de lo réolte CCheonte Jeon Francois Wilt: Las glaneuses, 1857 - Hull sur tie, 83,5 1 em -Pors, Musée Orsoy Avec leurs sctnes au interpret le regio presque “sac fs hres Le Noin ppewen! are consdéés cone ke 1 réolme kangais dy sible, dont Court son les piepauererésenicnts LE REPAS DES PAYSANS Dans cette toile, les fréres Le Nain disposent autour d'une table des figures d’hommes assis en train de manger et une figure de ferme debout derriére eux; et comme habitude, ils insérent au milieu des figures d’enfants. La scéne est éclairée par une source de lumiére provenant de la droite qui révéle les volumes des personna- ges. Liexécution est trés soignée, définissant avec précision les plis de la nappe et des haillons qui recouvrent les hommes dans les nuances du clair-obscur ainsi que les détails des mains, les expres- sions des visages et élément de Ja nature morte sur la table. Ine s’agit évidemment pas seule- ment d'une scéne de genre; ily a dans cette toile la recherche d'une atmosphére spéciale : la disposi- tion des personages, leurs attitu- des, leurs regards évoquent un 1642 - Hullo sur tole, 97 x 12 sé Le visage de thomme semble sounre ave : pon let yeux gronds fe fobleny, ténoin don événement| passe le gu Homenscocn von in sentiment particulier: 1a religiosité. ly a en effet quelque chose de religieux dans la solemnité de la figure qui, au centre, léve son verre de vin et coupe le pain, deux éléments, deux symboles que nous retrou- verons souvent chez les Le Nain. Les trois fréres utilisent aussi beaucoup la musique: ici, l'enfant situé derriére les trois paysans assis en cercle tient un violon dans ses mains. Il a cessé de jouer pour écouter les paroles de homme au centre de la compo- sition, Dans les tableaux qui suivront, il y aura de nombreux enfants jouant du pipeau ou du fifre, ceci contribuant a faire participer Yobservateur ala scéne, et surtout a suggérer, justement par la présence de tels instruments, le silence profond des vastes paysages, portal, évoque les Palecns Emma LA FAMILLE DE PAYSANS Méme s'il dérive sans doute de scénes de genre analogue peintes par des auteurs de “bambocha- des”, le tableau des Le Nain se différencie de ces derniéres pour plusieurs raisons. En premier lieu parce que, probablement trés influencés par Bruegel et Bassano et par les expériences caravages- ques, les auteurs ont donné a leur tableau un format plus grand que celui des “bambochades” offrant aux figures une plus grande monumentalité; ensuite parce que les personnages ont tne dignité nouvelle, presque sacrée, donnant 4 la composition un souffle classi- que trés éloigné de celui du prototype. Les scénes de genre des Le Nain sont donc le fruit d'une inspiration qui n'a rien voir avec l'esprit simplement anecdoti- que des figurations des bambo- chades et des scénes de genre de eur époque. Dans cette Famille de paysans, auteur saisit un instant de la journée de ces gens simples et humbles représentés dans leur dignité et leur solennité. Au centre, l'enfant joue du pipeau; pres de lui, sa mére est en train de servir du vin; derriére la table dressée, le pére coupe une grosse miche de pain; trois figures enfin posent au premier plan: une femme et deux petits enfants. Derriére la mére, les silhouettes de deux enfants se découpent devant le feu de la cheminée, Les Le Nain semblent emprunter ici un motif cher 4 Georges de La Tour, en peignant le profil de la petite fille éclairé par la flamme de la cheminée avec le bord luminewx du voile qui encadre son visage. 3 —1B— 2 (Détil - Hullo sur tole, Musée dy loumre 13x11 cm - Pris, le fonile de poysans, we dénsemble. ly 2 dns cte sce la recherche dle fan la dale, Fovke provencn! dela feme de la charinge, sr lial #6 dlecoupen les gues de fore plo, Te palate des le de Pore [de catde Serre (2, dv maron et des buns, mis en par les blancs des chemiese des voles 4) i 4 eed ms LA FORGE La Forge est un des tableaux les plus connus des Le Nain. IL reprend un théme deja traité par Velasquez dans son célébre Apollon dans la forge de Vulcain et par de nombreux autres peintres des Pays-Bas, On retrouve en effet influence hollan- daise dans ce tableau qui consti- tue l'un des chefs-d’ceuvre des tableaux consacrés 4 la vie paysanne. Les peintres qui se sont inspirés dans leurs ceuvres des travaux et de la vie a la campagne sont nombreux: il suffit de penser, par exemple, 4 Millet ou & Van Gogh. Mais aucun n’a réussi a rendre comme les Le Nain esprit, le caractare, la religiosité et la fois le repli sur soi, le silence et la réticence, la patience et la dignité du monde paysan. C’est en cela que consiste leur importance dans histoire de la peinture, et leur différence par rapport a d'autres auteurs, apétres du réalisme dans les arts figura- tifs. Il n'y a pas de recherche de brio ou de mouvement, il n'y a pas de défoulement pictural. C’est la candeur de la composition, la simplicité du dessin, la sévérité des couleurs qui régnent. L’écrivain Champfleury qui consi- dérait Chardin comme le continua- teur de la tradition des Le Nain, remarquait toutefois que ces derniers restaient supérieurs par leur caractére moral plus prononcé et par leur bonhomie plus ancienne. Quant au critique Fizerens, il se demandait devant la Famille de paysans s'il n'entendait pas l'Angelus de midi et les personages remercier le Seigneur pour la nourriture quills allaient manger.. Dans la Forge, toutes ces caracté- ristiques sont présentes, avec en plus une composition particuliére- ment significative et un traitement pictural d'une grande qualité. Les auteurs cadrent la scéne de prés puisque leurs personages occupent presque tout l'espace du tableau; les couleurs sont harmo- nisées sur les tons des terres et mises en valeur par les taches rouges de la chemise de l'homme alla forge, de la manche de Yenfant et du gilet de homme au premier plan avec une fiasque dans la main; ily a aussi quelques gris et le vert du corsage de la ferme, Mais c'est surtout la composition, la disposition et latti- tude des personnages qui donnent son sens ala scéne. homme au centre s'adresse a Yobervateur protagoniste comme si, interrompu- dans son travail, il lui demandait la raison de sa visite ; la paysanne, les mains croisées sur sa poitrine, nous regarde aussi de son regard mélancolique et résigné, sans curiosité ; les enfants en train d'aider le forgeron font de méme. Les vioges de Phomme & la ferge la gauche et de le femme f droite! son fours vers Tobseneut comme pour Finkrreger supis por san imypon soudaine; cs le monde popula, poysan a tovaileur, qu regarde avec méonce we. Le vsage de homme, encod de ses cheveux ef de so borbe lore parle des le Ne ferme, doileus,lgrement pec Par contre, les deux figures de droite ignorent la présence de Tiintras :le vieil homme de profil regarde au loin, devant lui et serre Ja main du petit enfant qui est 4 ses cétés et qui fixe on ne sait quel ailleurs. Dans l'espace étroit de la forge, Jes Le Nain réussisent ainsi a nous raconter les deux ames de ces paysans et de ces artisans, orgueilleux et humbles a la fois, indifférents et concernés, enter més dans leur monde de simplicité AA | ay =<%i< et de mélancolie. Ce tableau (a propos duquel Sainte-Beuve écrivait: "Le mot chef-dceuvre west pas de trop”), parmi les plus admirés fut acheté par le roi Louis XIV, et lorsqu’au xne siécle Ja Forge entra au Louvre, les spécialistes et le public se rendi- rent compte que dans l'art frangais du xvir sidcle, a cété des Lebrun, La Hyre, Champaigne, il y avait aussi les Le Nain et que leur peinture était différente de celle des autres. le fablea est crchesté sur des tons chavd pew, bases sur Face (les teres dombve e! les bran, mis en valeur por le rouge du ile de omme (28 droite ede la chemi da forgeron les gris vert du corel! de fa de Fenton, ands que ks minosté de lorie plan ext ebleue por de lges touches ares nuancéee de bly MADELEINE REPENTANTE La production des fréres Le Nain comprend aussi des couvres de caractére religiewx, comme La Nativité, La naissance de Marie et cette Madeleine repentante de la collection Nathan de Zurich, la scéne se situe dans une grotte qui s‘ouvre sur un paysage de grandes plaines. Marie-Madeleine est assise sur le sol, la téte appuyée sur sa main gauche, le crane entre ses genoux, devant Yevangile ouvert et le crucifix. Toute la scéne est envahie d'une lumiére brillante qui modale, dans les transparences et les reflets, le visage ovale de la femme, la couleur carnée de ses épaules et de ses bras, le riche drapé de son manteau blanc et de sa robe verte. la structure triangulaire qui bloque la figure de Marie-Made- leine est mise en valeur par I'hori- zontale de la planche de bois située derriére elle (sur laquelle sont posés un flacon et le livre) et par la verticale sombre formée par loqulle conespend on le crucifix, Le paysage s'ouvre & droite: une étroite bande de terre, Yétendue des champs et le grand espace du ciel qui les domine avec le ton gris bleu des nuages. Ce tableau se charge de sens et d’émotion essentiellement grace au visage de la femme, a son expression mélancolique, profon- ément triste, qui la rapproche des paysannes de nombreux tableaux des Le Nain, Car, encore une fois, on ne peut pas ne pas remarquer que le sentiment religieux, le sacré de la représen- tation sont plus sensibles dans les tableaux que les Le Nain consa- crent ala vie, aux repas ou au repos des paysans que dans des tableaux comme celui-ci, PAYSANS DANS UN PAYSAGE la ligne d’horizon coupe moitié le rectangle du tableau: la partie supérieure est occupée par le ciel ct la partie inférieure par le paysage. Un paysage qui est celui de la Picardie, région of les Le Nain sont nés et qu'ils aiment représenter a I'arriére-plan de leurs tableaux. Les rayons d'une lumiére froide, qui contribue & donner la toile une forte unité tonale, filtrent a travers un ciel strié de nuages. Les tons verts et bruns de la campagne, qui s'étale silencieusement a perte de vue jusqu’aux collines violacées sont harmonieusement orchestrés avec les gris et les bleus pales du ciel. La composition du tableau est basée justement sur le rapport entre le rythme horizontal du paysage, avec les lignes des champs, des haies et des collines, et le rythme vertical des quelques figures qui l'animent. Cette verti- calité commence avec le haut pan de mur & gauche contre lequel est assise une vieille paysanne au sévére habit sombre. La lumiére du soleil descendant filtre a travers Vouverture du mur et éclaire les figures des trois petits paysans au premier plan. Le plan intermédiaire de la vaste campagne s’étale et prend une grande profondeur dans l'espace defini et compris entre V'arriére- plan du ciel et les figures du premier plan. Les trois petits paysans (un quatriéme, au deuxiéme plan, avance en direction opposée, éclairé par les rayons du soleil) sont représentés avec le soin affectueux qui caractérisent les images d’enfants des Le Nai une petite fille, un peu en arriere, un petit berger un peu plus haut, a droite, enveloppé dans son manteau, et au centre, un petit gargon en train de jouer du pipeau, Hull stl, a 57 em - Washington Notional Galery ofA Poysos. Sioatiche Kunssormlurgen. Loewe du pent holandais, veld do Dresde, auefe monte Fence des modes fonands et hlondes ls poysoges des ons det lobleaur des Le Nain Feytons don un PORTRAIT DE FEMME AGEE tH 05 en -W Dans son roman, Les Galanteries de la Cour, publié en 1644 et donc contemporain de la production des Le Nain, Du Bail parle des talents patticuliers des trois fréres: “le premier réussit mieux que tout autre a Paris grace a la vraie ressemblance de ses portraits qui sont fait d’aprés nature; le second, lui, fait des merveilles en ce qui concerne les petites toiles dans lesquelles les nombreuses attitu- des différentes qu'il représente toujours d'aprés nature, conquié- rent les sens. Quant au troisieme, il est pas moins bon que les deux autres, capable de grands prodiges et de dessiner et dinventer remarquablemert..." Dans I'Histoire de Laon, cauvre du s-Hle sw grands tableaux, comme ceux qui docte chanoine Leleu, nous appre- _‘0i¢. 99* 635 cm-Lomies Natonal Galery: représentaient les mystéres, les nons qu’Antoine excellait dans les : ¥ martyres des saints, les batailles miniatures et les portraits en Lira bbeary Io. solg et les sujets du méme genre. buste, et que Mathieu, le plus i I est difficile de faire la place de jenne, était plut6t porté sur les rover di sa Louis dans cette production et il est particuliérement ardu d’opérer une distinction entre eux dans les ceuvres consacrées a la représen- tation de la vie paysanne ; en outre, il est pratiquement impossi- ble de reconnaitre l'auteur des portraits. Ce portrait d'une vieille religieuse révéle une recherche assidue du rendu de la ressemblance des traits physionomiques, mais aussi des caractéres psychologiques du personage : il y a d'un cété Pintensité de l’expression caracté- tistique des fréres Le Nain, mais de Yautre une certaine pauvreté dans le rendu pictural et surtout dans la matiére qui fait méme penser une copie d’époque. On ne peut qu'admirer, malgré tout, outre 'enquéte psychologique, la structure des plans de couleur, avec les formes presque géomé- triques du voile noir, du col blanc, de l'habit et des poignets. _LEMYSTERE LE NAIN Lee tixe que nous avons voulu donner & ce texte ne fait pas référence aux nombreuses affaires de renaissance d'une personnalité artis- tique aprés des sigcles d'oubli aux- quelles nous avons assisté & partir du xvar siécle — pensons a Piero della Francesca, par exemple, et pour res- ter proche des Le Nain, a Georges de La Tour - ni aux ambiguités psycholo- giques, sociales et existentielles du type de celles du Caravage. Ilne ren- voie pas non plus au phénoméne étrange de la mise en commun, & tra- vers un seul nom et un seul corpus artistique, de trois figures différentes. Non, le “mystare” réside dans l'couvre elle-méme, dans ses caractéristiques, dans son évidente différence par rapport ce qui se produisait & Paris durant les années ot les trois fréres y vécurent et y peignirent. Le mystére se trouve dans ce profond silence qui baigne leurs images sim- ples, Le mystére est contenu dans les visages etles regards de ceux quine sont pas des personnages, mais des personnes, chargées de conscience et de mémoire, de sentiment et de pensée. Devant ces enfants qui nous regardent encore avec le désarroi de Vinnocence blessée, devant ces hom- mes humiliés et offensés, mais tou- jours dignes, nous nous demandons quelles ont pu étre les sources d'ins- piration, quelles ont été les raisons d'un tel choix, quelle futa réponse du public, Nous nous demandons aussi quelle conscience les peintres eux- mémes avaient de la signification et de impact de leurs images, au-dela de la qualité artistique dont elles fai- saient preuve et que tout peintre patenté du xvur devait nécessaire- ment posséder. Cene sont pas des questions ciseuses. Y répondre signifie aussi comprendre pourquoi aujourd'hui ce sont ces images des Le Nain qui nous charment et nous émeuvent et non les ceuvres de caractére religieux ou mythologique qui depuis quelques décennies sont réapparues et sur les- quelles es trois fréres ont construit eur reputation et leur prestige. Nous regardons aujourd'hui Jes Le Nain avec des yeux assez diffé- rents de ceux des xvi et xvi" siécles. Ce qui nous semble grand et extraor- LES FRERES LE NAIN ET LEUR TEMPS ‘EUR VIE ET LEURS CEUVRES, HISTOIRE LES ARTS ET LA CULTURE 1595 Frans asec de es, Anse, Leu tien. Date aor de gone (Cet ene cate die gu nat cg le nace ai, eget cya alls, de nae ods, edict dete, ‘es V are ee Fe ep ‘ase espa, stale eee Ppa nse Infrmce, aie Aopen eax Pa ‘aceon de ance api Le xa chalet morc apes, star dpa ie dinero espns ee fl at ‘presse aca ues inp eee son ‘Sete reson! nae a cian earns snes x prox dap quate ‘See Besides focal urna er gue, scan parses tonpes ‘gpa eee pee cpus Tans de arora dean punt Co Trt et monn provsdene Demarest Tends le W Sialeepene: De Sage dem Yeager: Le ope de Bachs Ducts: appar etn eFespet de Coarpuie Nad en de ababes 1629 dune Lode Macs abv Patna ‘Pa @M quien cue aux pettants Wagon fal a fd ila Madi Germnnewe ce carest on sieer x pent fas ne ae open me Coral seas remere ne eastiue,ile t nem ppreat ards Ubeor qa ncteae dace Chinn Neste cones de Dusenat lates pts ler 1633. Lestees om ean ne ne rpesen ala caine, La gerade Trane ans part Lge de Mlbran Wrote: ease gee iain xt espe de Ses le Pap esp des muse eles terns ‘nel Soe Bere [ose 8 Soca sot ad see écste [Bina inne praceone ar ple meu tua a bigs nd cla sere ‘Is sigenclecteent tn Wu de red ‘anc, oar Soe Mi pals "Tene president pend we pr ace igor de ‘rene Aon ‘cpl de uid ese Ty, lal Ligue Gatasme EP Rakes rile Eom de Sine Undone tangs ence ane parse Cale: Lect Tee de Bine vat ‘oution ondarme agus on pubé Fakes ot nat aad pce “Wtsnt Es Crate erat db ea, Tenterden Mak MaDe Diels ces ase Magen Che Las guts hip Sire Sse Deca: Mads rie 642 Tesoro dent de ape depen a Fale ordain tot de Gace eure [itor micetet a Fenmearec cig Gaus ene Coun te Plena en Aagetene Yanan: a Rede dnt ete Corel: Foe Menten fe Guomanent ake —30— Ginaire constituait pour les amateurs et les chroniqueurs du xvn" siécle Yaspect le moins noble et le moins estimable de leur production. On ne voyait en eux que des peintres de bambochades a la fran- gaise. Ce qui expliquerait lopinion de Champfleury et de Jamot selon laquelle leur premier maitre pouvait étre un des nombreux peintres aven- turers errant 4 travers l'Europe, émule de Pieter van Laer, en d'autres termes, un personnage défrayant la chronique dans les tavernes et les cuisines, qu'l peignait de fagon bur- esque ou pittoresque. Mais dans les tableaux paysans des Le Nain, nousne trouvons rien de tout cela: pas d’hé- tesse rubiconde ou d’hommes d'arme fvres ; aucune ostentation dynamique, aucun bal rustique. Les paysans des Le Nain sont immobiles, propres, dignes, monumentaux, LA REPRESENTATION SOLENNELLE DU MONDE RURAL Ceest cette qualité spirtu- relle, cette dignité dans la misére qui allaient racheter les fréres Le Nain non pas de l'oubli, mais de la médio- crité des jugements critiques. A la fin du xvurr siécle, avec la philosophie des Lumiéres et l'utopie du “bon sau- vage’, les figures des trois fréres ‘commencérent a prendre une épai seur et un role moraux autant qu'arti tiques. Puis il y eu la révolution et beaucoup d'ceuvres des Le Nain dis- parurent, notammentles tableaux eli- giewx décorant les églises et les cou- vents. Ne restérent alors que les petits tableaux des collections privées, ceux que les critiques militants du | xox siécle commencérent donc & étu- dier et & admirer. La Forge provenait, | avec le Repas des paysans, de la col- lection du duc de Choiseul, qui entra ensuite en possession du prince de | Conti, On peut dire que ce tableau fut a Yorigine de la recherche acharnée des autres oeuvres des Le Nain et de la difficile élaboration critique qui | dura plus d'un siécle. Le xn° siécle | démocratique ot attentif aux problé- mes sociaux futle plus fécond dans ce | travail de recherche et de reconstruc- tion, surtout gréce a Champfleury. Vitale Bloch remarque qu’aprés 1848, | 1a constellation politique incitait a la ‘bagioce locos de gue sgn tua Madeline open ta Tirsgns ot et ans men dla Tie Poa ae mar def eer ce le ane Aden ds Barger Verve Pages| Ape ark rbot pet ent roid ae ‘Goer our te Dane aro pat oa Se a eae a eer as qe pete Geter en soma) is tos es spent et, ‘et ener ie! Fore an ore or dos XH, Rgenco hme Chit, Man eve premier ine Fontan de Maras uber Senile bromete rare ‘uae da Tee ane Arie a Sue eda ansterg. ug ela ie I ai andcbone pon Ce 1a gare cae Se te Deana em tins dears st (0 rome pose a cena purl a Kegetene a Ds den compere Prevesti et Maxed Dae una leche Neon Late 2 a even ene da Cont Ronee eserte 1 Gro te eae ple Iisa da pope Pay 1 Poa Dae sr lee V648—Lervuisrerrojgpele gripe deTAcaimie ‘ar de Wexphae quimet fn ala gee de Tree ane Mar dime roped pace soapure Mase 6a ou, Tal da Hye pat gu Epa reco mbar Los Pe ama [sie a, Anion mera aleect canes es Paps: bt de Tagine Ietancae one 1652 Motiev ex Puc eeee wae mato ‘ese omplche Contes de lade, enter Mor de. ce Tour (dee Pc free pout ty Lerner Tarde dete ‘Gonwella pone ex Anger pismo later Tense de ox prcsiete Cetera Le arate }654 rene potable amare de Suit Cen Rembrar Betboentt e e deDrd Sa oppor le ae Cnr Lact, Bile Sar exameos a pein Ge x tener de Ce 1677 mete var. Oa Tetene Tine Sua Supice, _Guowe Goi XV ow ald acerca Yoox ac mor dura Thane sae pala Bad agus ‘Sia Sen et date st HL recherche de la vérité, du réalisme dans V'art. Champfleury et Thoré-Bur- ger furent ce qu'on appellerait aujourd'hui des hommes de gauche et leurs convictions politiques corres- pondaient 4 leur recherche du “vrai” dans Var figuratif. Champfleury partit done alla recherche de tous les possi- bles Le Nain : il fouilla dans les archi- ves, relut attentivement l'Histoire de Taon du chanoine Leleu, chercha & ébaucher une biographie et une chro- nologie et publia enfin en 1862 un livre: Les Peintres de la réalité sous Louis XII Les Fréres Le Nain. Ce livre constitue une pre- miére étape solide dans la reconstit tion de 'tinéraire des Le Nain, mais il reste imprécis en ce qui concerne la distinction des trois personnalités dans le corpus pictural, méme si Y'on remarque déja la tentation de 'auteur de distinguer couvres et caractéres, de donner un nom aux ceuvres des trois peintres de Laon. C'est ce a quoi sera consacrée la deuxiéme étude sur les Le Nain, celle de Paul Jamot de 1922, qui servira de base & I’établisse- ment du catalogue des tableaux de la grande exposition de Paris de 1934 sur les “peintres de la réalité”. Dans la vision de Champ- fleury, et dans celle de jamot aussi, la production des Le Nain s'expliquait en termes de conscience sociale, de refus des conventions et des idéolo- gies classistes du xvir siecle. Trois peintres, en somme, qui a Paris, au beau milieu de la culture et des usa- ges artistiques de 'époque, affirment avec vigueur et courage la dignité et Végalité humaine des pauvres, des déshérités et qui, au cceurméme dela métropole, chantent un hymne aux joies simples de la vie rustique, a la sainteté du travail paysan.. Mais alors, que faisaient-ls Paris, puisqu’ilsn'avaient pas besoin de gagner d'argent, vu Ja situation économique de la famille ? Et surtout, comment expliquer les commandes des hommes d'église et de la noblesse méme si & l'époque de Champfleury on n’en connaissait pas encore d'exemples ? Comment expli- quer, enfin, qu’a la mort d’Antoine et Louis, Mathieu n'a presque plus rien peint et a passé de longues années & la recherche d'un titre de noblesse ? Jamot répondait & cette demniére question en attribuant a Mathieu le réle le moins sympathique, celui de peintre mondain et allégorique et en inventant — avec un extraordinaire pouvoir de suggestion et un grand talent littéraire — la figure du vrai génie des trois, Louis. Pour lui, Louis était le peintre des “pures élégies paysannes”, le rebelle aux conven- tions, le poste de la maison. Antoine wétait qu'un “petit maitre” de scénes de genre; Mathieu faisait des por- traits, des retables et des scénes mythologiques tandis que Louis représentait les tres belles scénes paysannes de Laon. LE MYSTERIEUX APPEL DU CARAVAGE Lia recherche a en grande pattie démenti ce que Thuiller a défini comme “une fascinante hypothése”, ‘mais cela n’enléve rien au fait que ces, tableaux existent et qu’ils sont diffé- rents du reste de la production de Yépoque et de celle des Le Nain. Et nous voici de retour au “mystére” dont nous parlions au début. Ce n'est pas Torigine de ce genre artistique qui est mystérieuse. Dans le Paris courtisan de Louis XII, prospérait aussi une production mineure de scénes paysannes et de gravures populaires. Les Flamands post-caravagesques, tels que David TTeniers, duquel s'inspirait dizecte- ment un peintre comme Sébastien Bourdon, étaient aussi trés recher- chés. La production de ces tableaux satisfaisait les collectionneurs bour- geois. C'est pourquoi, remarque Jac- ques Thuillier, le choix populaire des Le Nain pourrait indiquer non pas une exigence intime ou un got original, mais le besoin de plaire aux collec- tionneurs parisiens ainsi qu'une sage et fructueuse gestion de leurs inté- xéts, Cette hypoth8se tout fait crédi- ble nexplique toutefois pas la singu- larité de cette production, son altérité étrange qui frappe quiconque voit le Repas des paysans, la Famille de pay- sans ou la Forge, Vitale Bloch insiste sur le fait que Yon cherchera en vain dans le —32— vaste répertoire de la réalité euro- péenne des analogies avec ces sc8- nes de genre sérieuses, immobiles, on il r’artive rien... Ou plutét, of Yon récite quelque chose qui va bien au-dela du fait, du phénoméne mesu- rable ot interprétable, et oii tout le récit et son sens se concentrent dans un visage, un sourire, un regard. Les tableaux paysans des Le Nain sont en réalité des actes sans paroles, des interrogations sur les raisons de 'étre mumain, de son histoire, de son exis- tence et enfin sur le dest Ce sont les questions que se pose Pascal, ce sont les interroga- tions inquiétes des grands mystiques. ‘Thuillier remarque justement que ce siécle, dont la recherche principale fut Y'analyse des passions humaines, sut interroger aussi le monde quoti- dien. Les peintres ont cherché cette contemplation méditative a une épo- que ob la grande “invasion mystique” imposait dans la France d'Henri IV et de Louis XIII sa dévotion sensible. Voeuvre des fréres Le Nain, ajoute Thuillier, témoigne de cette médita- tion secréte, et sait chercher sous Yaspect banal du spectacle quotidien, Ja part de vérité humaine et divine qui s'y cache. Il semble bien que ce soit 18 la ditection & suivre pour saisir, du ‘moins en partie, le “mystére” Le Nain. Paradoxalement, ces “peintres de la réalité” nous parlent de la chose la moins concréte et vérifiable, l’ame, cette Ame qui toutefois sert a identi fier "étre humain parmi tous les habi- tants de la terre. Mais le secret de 'éme est aussie signe de Vindividualisation de chaque créature humaine, du nou- veau-né au vieillard, de lhorame & la femme, Trouver l’éme chez une per- sonne signifie rendre cette personne unique, précieuse et irremplacable. Cela signifie révéler, sous les appa- ences et au-dela des circonstances historiques, sociales, culturelles, une existence irrémédisblement _parti- culiére. C'est ce qu’ont fait les fréres Le Nain: ils ont trouvé Véme de ces pauvres yens et ils en ont fat ainsi des personnes, chacune avec une his- toire, une mémoire, des espoirs, une résignation et une foi. LE NAIN DANS LES MUSEES EN FRAN [AVIGNON « Niusée Carat, MERU» Masoe Bostuet [NEVERS «Egle Sunt-Pere ORLEANS» Musée des Benux Arts PARIS Elise SuintJacques du Haut Ps; Masée da loue Note Dame REIMS e Musée Saint-Denis (musée des Beans) RENNES « Masée des Boasx-Ars AVETRANGER AMSTERDAM « Rijksmaseum BIRMINGHAM + Barber Institute of Fine Arts BOSTON Museum of Fine Arts CARDIFF « National Museum of Art CASTAGNOLA (Suisse) « Collection Thyssen- Bomemisza CHICAGO « The Art Intute of Chicago CLEVELAND (OHIO) « Museum of Modern Ar DETROIT « Institute of Arts DUBLIN « National Gallery f Ireland HARTFORD (CONNECTICUT) » Wadsworth Atheneum KARLSRUHE « Staatliche Kunsthalle LONDRES « National Gallery; Victoria and ‘bert Museum LOS ANGELES County Museum of Art ‘MOSCOU + Musée Pouchikine [NEW YORK «Farkas Foundation; Metropolitan Museum PHILADELPHIE « Philadelphia Museum of Art PITTSBURG (PENNSYLVAMIE) « The Frick Art Museum ROME « Galetie Nationale d'Art Ancion SAN FRANCISCO « Museum of Légion of, Honour; The Fine Art Museum SAINT PETERSHOURG « Musée de IErmitage ‘STOCKHOLM « Nationalmuseum ‘TOLEDO (OHIO) « Museum of Kit ‘WASHINGTON (D.C, « National Gallery of Art ‘ZURICH + Galerie Nathan

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