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L’hiéroglyphe du serpent par Eugéne CANSELIET Le nom de l'Abraxa, Vimportance de Vanneau ma- gique dont la pierre porte la figure du serpent qui se mord la queue, anneau qui procure gloire, puis- sance et richesse. (Lecture, par Marcelin Berthelot, du papyrus V, au musée d’antiquités de Leide - Lug- duni Batavi.) ore épigraphe sitdt épinglée, l’idée nous est venue qte nous souléverons quelque surprise, cn pré sant d’entrée que le serpent fournit l’explication du retour de la pensée alchimique, lequel se pro- duisit voici déja plus de vingt ans. Alors, voyions- nous plut6t une matiére d’engouement collectif qui s’éteindrait bientét, dés qu’il aurait atteint un certain paroxysme né d'une inévitable et rapide saturation. Ce rassasiement, oserons-nous dire, pourrait bien naitre et se doubler, hélas! d'une sorte d’écoeurement, sous I’afflux des réimpressions de traités anciens, cifficiles et, disons- le tout net, assez peu digestibles, méme pour les néophytes de la meil- Jeure volonté, Le sentiment désagréable nous gagne malgré tout, qu'on ne pou- vait mieux faire que de submerger le vaste champ du marché com- mercial, afin que fat freiné, sinon bloqué, le large mouvement de louable curiosité, vers l’alchimie traditionnelle. Cela d’autant plus que jaillissait de la sorte une abondante source de profits, 4 la fois cer- tains et substantiels, Evidemment, il convenait qu’on produisit et qu'on vendit intensément, tandis que la situation se montrait favo- rable... * Pe Certes, ainsi que le déclara le savant Magophon (a l'état civil Pierre Dujols de Valois) en son Hypotypose fameuse du Mutus Liber, on n’entre pas « au débotté dans le Palais du Roi sans observer les convenances et se soumettre aux lois de I’étiquette »! Par le Regis 270 Palatium, I'érudit bibliopole, comme Eyrenée Philaléthe en parti culier, entendit aussi bien le domaine de la Philosophie, que celui du laboratoire, aux seuils desquels il faut se présenter riche de patience, d’humilité et, par suite, bien convaincu que fa précipitation est l'euvre du diable — precipitatio a diabolo. Le vieil adage est vrai, qui proclame la supériorité de la lenteur et du calme, sur la hate et l’agitation, en toute entreprise, et qu’ex- prima le fabuliste en ces deux vers : Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage. C'est nourquoi vis-a-vis des conceptions violen‘es de la recher- che actuelle, celles de la quéte alchimique semblent étre de la plus grande douceur ; et c’est pourquoi aussi : Patience passe science. Ce serait une faute grave, qu'on se ruat sur les textes du temps jadis, certes aussi savants qu'indispensables, sans qu’on se fit aupa- ravant et longuement familiarisé avec les ouvrages modernes qui ouvrent fort bien la voie de I’élucidation. Parmi ceux-ci, encore convient-il qu’on sache bien choisir, avec discernement, les seuls auteurs qui obéissent a I’ancestrale et immarcescible tradition. Ils sont tous réunis dans la Bibliographie succinte, par Séverin Batfroi, ajoutée & son livre Alchimie et Révélation chrétienne 1, qui vient de paraitre et qui se classe justement au nombre des meilleurs volumes de didactique alchimique parus au cours de ces vingt der- niéres années. Les périodiques de valeur n’y sont pas oubliés, dont Atlantis, dans la plénitude du demi-centenaire, et Narthex, tout jeune en ses débuts prometteurs. Oui ces auteurs sont 1a, qu! constituent la liste, par ailleurs obligatoirement incomplete et renfermant, néan- moins, ceux de qui nous avons suffisamment la connaissance : René Alleau, Jacques d’Arés, Louis Charpentier, Jacques Duchaus- soy, Elie-Charles Flamand, René Gilles, Robert Hollier, Serge Hutin, Louis Kervran, Jean Phaure, Caude d’Ygé, ... et, par bonheur, combien d’autres qui ne nous viennent pas immédiatement a l'esprit. - te Au demeurant, pendant ces quatre lustres qui s’écoulérent si vite, nous ne laissames pas de remarquer le lert mais continuel mouve ment de |: pénétration alchimique, par constaates imbibitions. Cel- les-ci, le fils de science le sait, conduisent immanq: solution radicale, ou, si on le préfére, & l’absorption indissoluble. Cela fit que novs nous souvinmes, simultanément, du physique apoph- 1. Guy Trédaniel, éditions de La Maisnie. Bee tegme que présente la page de titre du joli et rarissime livre d’Henri de Linthaut, Sieur de Mont-Lion, médecin, se livrant & son lumineux Commentaire sur le Trésor des Trésors de Christofle de Gamon’. Le cartouche d’illustration est beau, qui nous soumet, a mi-page, deux cornes d’abondances spiralées, debout et croisant en X leurs extrémités amincies d’énormes coquilles de triton nodifer. Depuis cette espéce de queue, jusqu’a Vouverture évasée et pourvue d’un feston, une banderole se développe, autour des deux grands vases, offrant, en langue italienne, la devise que voici POCO A POCO - Peu a peu Locution bréve, complétant Ia scéne petite et centrale qui montre une dextre sortant des nuages et abreuvant, & l'aide d’une aiguiére de prix, la plante apparemment assoiffée de liquide. * ae Si longue qu’apparaisse la digression & laquelle nous nous som- mes laissé entrainer, nous ne doutons pas, a la fin, qu'elle soit tres utile. Nous a-telle tant éloigné de la portée totale de I’hiéroglyphe que nous avons évoqué en commengant notre chronique et qui exprime, plus fortement que la parole, un point de la doctrine précé- demment examiné ? Assurément, pour notre part, avons-nous, A plusieurs reprises, rappelé le symbole du serpent qui fait le cercle, ne serait-ce que dans l’Alchimie expliquée sur ses textes classiques. Ne devons-nous semblablement, sans craindre qu’on nous reproche de quelquefois nous répéter, ne devons-nous recorder, inlassablement, les lois essen- tielles qui sont la base du seul départ pour la route meilleure ? Le néophyte laborieux et sincére ne se plaindra jamais que nous reve- nions sur quelque arcane majeur de la Philosophie, d’autant plus que ce nous est l’occasion d’y apporter, le plus souvent, un peu dexplication nouvelle. Spécialement est-ce bien ici le cas pour l’antique loi de la Phi- losophie naturelle, qui fut tant invoquée par les anciens alchimistes, et qui a été poussée a reconsidérer son attitude 4 l’égard de I’alchi- mie, et c’est de 1a que sont venus peu & peu, I’intérét puis I'influence qui ont mi et qui meuvent encore le plus grand nombre demeurant soumis, d’autre part, a l’activité cosmique des « universaux ». Marcelin Berthelot fut le premier savant qui nota I’hiéroglyphe de l’ophidien gnostique dévorant sa queue, a sa juste valeur, et cela fort résolument, sur la page de titre de son livre inestimable et pas- sionnant, C’est ainsi que nous y voyons l’Ouroboros du papyrus de 2. A Lyon, par Claude Morillon, imprimeur de Madame la Duchesse de Mont- pensier, 1610, 3. Les origines de Valchimie, Paris, Georges Steinheil, 1885. 272 Cléopatre se fermant en cercle sur les trois monosyllabes grecs ev to nav, en to pan — un le tout — que l'illustre chimiste souligna lui- méme de la légende explicative : Unité de la matiére. * a Tout prés de Nice, au couvent des Fréres mineurs de Notre-Dame de Cimiez, dans la chapelle, dans Ia sacristie et jusqu’au-dessus des cellules du premier étage, il est possible d’admirer toute une suite de petites scenes qu’accompagnent des légendes latines ou italiennes. Le souci capital et quotidien s’exprimait sans cesse, pour les moines qui en avaient ainsi, sous les yeux, I'important ensemble dans ses moindres détails. Parmi ceux-ci, le serpent, par son comportement étrange, n’est assurément pas le plus petit que nous aurions a signaler. En effet, sur le mur de la chapelle, on peut voir le reptile qui se met en cercle afin d’atteindre l’extrémité de sa queue. La devise italienne révéle le dessein de cette attitude singuliére : Altro schermo non trovo che mi scampi Je ne trouve pas d’autre moyen qui me sauve Ilest certain que la matiére ne peut se sauver qu’en se détruisant elle-méme par le processus naturel de la mort et de la putréfaction. A ce propos, on a vu déja ce que nous pensons de la crémation qui ne saurait élaborer la véritable cendre. En revanche, c’est par ]’intime collaboration de la Nature avec I’Art que peuvent étre obtenues la sauvegarde et la pérennité de la substance dés lors animée. Le mythe de Cadmus voile le début de cette grande aventure dont nous allons traduire les premiéres circonstances, en versifiant & notre tour, afin de satisfaire a la plus grande exactitude. Nous donnons le latin dans le bas de la page, de sorte qu’on ait le loisir de vérifier : Une forét antique se dressait, par nulle hache violée Et une caverne au centre, remplie de branches vertes et d’osier, Formant, par lassemblage des pierres, un arc surbaissé, Abondamment pourvue d’eaux fécondes ; la, caché par Uantre, Etait le serpent de Mars, remarquable a Vor de ses aigrettes. Ses yeux brillent de feu, son corps est gonflé de poison, Et ses trois langues dardent ; ses dents se montrent en triple rangée. Nous rendrions le passage en entier, jusqu’a I'immolation du serpent sur le chéne, si nous ne craignons pas d’ennuyer le lecteur. 4, Silva vetus stabat nulla violata securi Et specus in media, virgis ac vimine densus, Efficiens humilem lapidum compagibus arcum, ‘ Uberibus fecundus aquis, ubi conditus antro Martius anguis erat, cristis presignis et auro ; Igne micant oculi ; corpus tumet omne veneno, Tresque vibrant linguz ; triplici stant ordine dentes. 273 Aussi bien Claude d’Ygé, il y a trente ans, eat-il pu inclure ce texte poétique dans son Anthologie qui est depuis longtemps épuisée et qui paraitra bientét chez Dervy-Livres, l’excellente maison d’édi- tions dirigée par Madeleine Renard. En accord avec cette personne éclairée, nous avons jugé nécessaire que le premier ouvrage de I’her- métiste disparu, en 1964, fat enrichi de son essai, combien intéressant, dont le titre n’est pas sans grandement séduire : Le véritable Savinien de Cyrano Bergerac et ’'Hermétisme de « L’Autre Monde » Bien que le philosophe des Estats et Empires de la Lune et du Soleil ait fort lestement disserté sur le serpent, nous ne nous y arréterons pas et reviendrons a Fulcanelli qui déclara, au tome deuxigme des Demeures Philosophales : «...et les Métamorphoses d'Ovide sont celles de l'wuf des philo- sophes (ovum, ovi)... » Aprés le Maitre, nous nous devons de ne pas hésiter A recons- tituer la phrase de si parfaite cabale, grace & l'aide simultanée des deux langues latine et francaise. Ovide nous fournit le génitif de pos- session Ovi et la préposition de qui régit I’ablatif de relation décliné, préférablement, selon Ja langue grecque : Ovi de Metamorphoseis — Au sujet des Métamorphoses de I'Euf. Comme le serpent qui est ovipare, dans la Nature, celui de Valchimiste, dans le Grand Guvre, prend naissance d’un ceuf, vérita- ble chaos cristallisé, A la fagon d’une géode. Ce minéral est le dragon qui, sous le choc du fer, met au jour le serpent. A dessein, les artistes confondirent fréquemment, les deux premiers individus du bestiaire alchimique, et c’est & quoi Flamel ne manqua pas, sur sa cinquiéme image, parmi celles du fameux manuscrit d’Habraham juif, prince, prétre, lévite, astrologue et philosophe, laquelle nous avons reproduite ci-contre. Explication du présent embléme ou est la figure d'un dragon attaché sur une croix avec des clous de fer qui est notre soufre : la téte de serpent est penchée du cOté de lOrient et sa queue vers le couché du soleil. La croix étoit faitte de bois de chaine. Assurément, le pieux Flamel voulut aussi que fat représenté, par la méme occasion, le signe du salut — signum salutis — dont le Seigneur avait chargé Moise, qu'il le réalisat, selon qu’il est dit au chapitre XXI du Livre des Nombres. En obéissance & cette injonc- tion : Moise fit donc un serpent d’airain, et le placa en guise de signe : lorsque les blessés le regardaient, ils étaient guéris — Fecit ergo Moyses serpentem zneum, & posuit eum pro signo; quem cum per- cussi aspicierent sanabantur. 7 274 Livre d'Abraham, cinquiéme planche. Lithographie. (Ecole de Gustave Doré ?) (Document Lucien Carny.) (Photographie Guy Beatrice.) En somme, ce signe était le Christ lui-méme, comme le déclara saint Barnabé, dans son Epitre catholique, c’est-a-dire universelle : Ce méme (Moise) fait que cela présente la figure de Jésus. Moise fait done un serpent d’airain, et il le place glorieusement, et méme, par le crieur public, il convoque le peuple — Ipse id facit, ut oste.:tat figuram Jesu. Facit ergo Moyses serpentem zneum, ac gloriose collacat ; atque per preconem convocat populum. Au demeurant, il n'est pas jusqu’au disciple bien-aimé qui ne porte témoignage : Et comme Moise éleva le serpent dans le désert; de méme il importe que soit élevé, le Fils de Vhomme — Et sicut Moyses exaltavit serpentem in deserto ; ita exaltari oportet Filium hominis. En conclusion, il est non moins opportun de noter que saint Jean utilise la périphrase qui se montre, a la fois, ineffable et terrible : Le Fils de l'homme! Devant la sécheresse mortelle de ce faux été, et quand il est question de canicule, 4 propos de bottes, nous ne nous réjouissons pas que se trouve illustré, ce que nous avons dit des conséquences ftinestes qui sont A redouter, & cause de la pollution des ondes. Savignies, ce 25 juin 1976, Eugéne CANSELIET. Légende de illustration de la page 274. Livre d’Abraham, cinquiéme planche. Ici Flamel suspendit le serpent au bois de la croix, de méme que déja il avait voulu que le rosier échelat le chéne vieil et creux. Les deux clous de la fixation sont énormes et de fer forgé, tels qu’on les voit toujours sur les pein- tures primitives. Le métal fagonné au feu et au marteau, seul peut pénétrer dans la forte piéce qui fut prise au coeur le plus dur du grand arbre des toréts de Europe. On trouvera, trés discrétement indiqués sur la composition, les hiéroglyphes du systéme des sages, les astres et les planétes du monde en réduction ; le soleil en haut, puis, de gauche a droite, Mars, la Terre, Mercure, la Lune et les petits points de pulvérisation. Enfin, tout en bas et de nouveau, le ménisque lunaire, avec le symbole du grossier concassage. 275 3a

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