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Edmund Husserl La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale ‘TRADUIT DE L’ALLEMAND er PREFACE PAR GERARD GRANEL Gallimard I LA GRISE DES SCIENCES COMME EXPRESSION DE LA GRISE RADICALE DE_LA VIE DANS L'HUMANITE EUROPEENNE 1. ¥ AML -VRAIMENT, SI 1'0N CONSIDERE LA CONSTANCE DE LEUR REUSSITE, UNE CRISE DES SCIENCES? Il faut s'attendre — et je m’y attends — qu’en ce liew consaeré aux sciences le titre de la présente conférence (« La crise des sciences européennes et la psychologie? ») éveille lui seul une certaine opposition. Est-il séreux de parler purement et simplement d'une crise de nos sciences? Gette expression, qu’on entend aujourd'hui partoul, n’estelle pas outtanciére? Car la crise d'une Science,’ cela ne signifie rien de moins que le fait quz sa seientificité authentique — ou encore la fagon méme dont elle a défini ses tches et élaboré en consequence, sa ‘méthodologic — est devenue douteuse. Or cela peut bien valoir pour la philosophie, qui menace bel et bien de nos jours de succomber au scepticisme, & V'itrationalisme, au mysticisme, Cela peut également valoir pour la, psycho- logie, dans 1a mesure od elle éléve encore des prétentions philosophiques et me veut pas se contenter de figurer armi les Sciences positives. Mais comment pourrait-on parler, de but en blane et avec grand sériewx, d'une crise es sciences en général, c’est-a-dire aussi bien d'une crise des sciences positives? Car cela comprendrait une crise de la mathématique pure, une crise des sciences exactes ce la nature, que nous ne pouvons cependant cesser d'adininer comme etant les modéles d'une scientificité rigoureuse et au plus haut point féconde. Certes ces sciences se révelent 1. Tol tlt ies initia eye des conferences de Prague. 8 La crise des sciences européennes modifiable quant au style d’ensemble de leur théorie ob de di ee aystematiques, est tout recemment lear etna i ia do vucy qurelles ont brisé la menac seulement, de cu Boi eset surells ee que Von appell 1a de slerone aes que —~ menagante en eee don 18 mea usr lanaaiey wo Taccomplisement ot Fon Er uta conservé, pendant. des-sié style a etatix contre Fides! de la physique classique, combat victor yatre combat qoi se poursolt encore pour labor Pi gad une. forme aulhen- Glabores nforme a son sensy sigaifentls done ques Mi a eis mathtmatique precedents n'éaient, pas physique of Tiquess ou encore que, malaré_ certains Saar arte, poulctre. certaines cles, eles rmangues de een Hans te champ de travail qui Gait auraicnt Pas etn riques Gvidentes? Ces vues theoriques Te Leu des yee eontraignantes également pour nous, ne, ont es des eres ces caleres? EL ne compre, aq nous sommes jen par consequent, en nous replagsnt 2 eee Classes, comment dans cette attitude dans Vattituds de de grandes decoavertes — grandes, ob pour toujours valables — & quoi s'ajonte Yabondance des pour toujours vaaues qui ont fit at bon droit Vemerveik tnventions teclaid’ tions -pricedentes? Que le physique Tement des gipermtation Gans un Newton, ou. dans un Arouye sa renetiegtan ou dans qui que co soit autre Planks om dase Tat pourtant. tonjours et lle demeure dans Te futur, Citte demenre meme si ceux qui pensent cience exacte. lGapérer A disirer porvenir & une forme ‘ou a un style ultime, au ‘sens absolu du terme, dans 'édifi- ao un ae ihcorte ensemble, ont: raion Hion de Ta Undone fut aussi monifostement pour un autre eri nage de setenees_quo nous avons Thabitade Jo grand, groups scees positives, je Yeux di pow compter ar cdten de Fesprit— en fnissant il de Ob tos scents eGapottue de la reference do ges scimers abs atexasitode propre aux schemes, de I. Vict Seecdouteus fe Fest, du reste d@jé com Ia ee co iciplines bio-physiques relation des fa nitare) & ones des seienees mathematic cconerttes » 36° Je la nature. La rigueur de Ia scien Fe eae tee disiplines, evidence de les prestic fete de yous, celle des succes, contraignonts— Hons, théorique CSgnants —~. qu'sles oblennent sans durablement ie question, Crest seulement & Végard Comme expression de la crise de la vie 9 de a paychologis quelque sits tention 3 cons pur ess Seite Tepe le scone astm nan na pens peut-étre pas si aflirmatif. Cependint, alton conse Tecart mane entre la pyc ek Is ares sciences Guan @ I mitode et nt 8 urs restalionsrespestives comme ant un art nature, pre ail correspondrait& un_ développement aaniee bs gy condi ahoo &epoyhalno aust une ertaine Valid generate, Quot quillen eoity We contraste entre in «scene» de ces groupes de s moet ot goatraie la «non-scientific «dela philosophic me out Fe méconn. Nous accordions par conséquet un cain Ee a piu das caste Ge savanis Fars do cur methods. Per mowrenant SCIENCE EN TANT QUE PERTE DE SON IMPORTA: sous may cangsns a dition de or gontralement la crise de. notre cultuke ot du tole quion mp, ah de ao ee araitre des motifs suffisants pour s ttre, lao BEE ae outs es ces Duke eriligue sen ease ef out dels conan er moles wouter bey fa lire au sens — inattaquable — de la ret ‘tude de leurs wiawn i: Ge changement complet dans Ja direction de la medi- avons Tintention davinmplin A cours de cette tache bute dea paychologi, Cotte rte de miladte dont sie ue non selement dency jours, mais dca depuis des rs Dr wr lta propre poste se shnstign eee putin mse uur dun cra nomi dubscuntsdagatiqus et sny salon dine 3s modemes,¥ comprisieselencee mathemaliques, 10 La crise des sciences européennes et. corrélativement. qu'elle est importante aussi pour faire pperaitre une sorte d'enigme du Monde inconnue aux poques antérieures. Toutes ces obscurités nous raménent en ellel & Pénigme de la subjectvite eb forment par const quent un ensemble avec Cénigme de la thématique el de la méthode de la psychologie. Cela dit. pour donner simplement, tne promiéro indication sur le sens profond de V'intention qui préside & ces conferences. ‘Nous prendrons notre point de départ dans un renverse- ment qui eut lieu au toumant du sizele dernies dans Vatti- tude a Vegard des sciences. Ce renversement, concerne la fagon générale d'eslimer les scionces. Tl ne vise pas leur ni, HI vise que Tee seiner o> quo Io geienoy en général avait, signifié ot peut. signifier pour Vexistence Finmaines La fagon exchusive ‘dont la vision globale du Monde qui est celle de Thomme moderne s'est lnissée, dans Ja deuxitmo moitié du x1xF siécle, déterminer et aveugler ar les sciences positives et par la « prosperity » qu’on leur Gevail, signifiait que Ton se détourait avec. inifféren ‘des questions qui pour une humanité outhentique sont les questions décisives. De simples sciences de faits forment Une simple humanité de fail. Ce renversement dans Ia facon Westimer publiquement. les seinees. était en particulier inévilable aprés la guerre et, comme nous le savons, elle est devenue peu a peu dans les jounes générations une torte de sentiment dhostilite. Dans la ‘détresse de notre vie, = crest'ce que nous entendons partout — cette science n'a tien 4 nous dire. Les questions qu'elle exclut par prin- cipe sont pré s questions qui sont les plus bri lantes notre époque malheureuse pour une humenité abandonnée aux houleversements du destin. : ee sont Tes questions qui portent sur Ie sens ou sur absence de set de “toute celle” existence humaine. Ces questions niexigent-elles pas elles aussi, dans leur genéralité et lour nécessilé qui s"impose & tous les hommes, qu’on les médite suflisamment el qu’on leur apporte une réponse qui pro- vienne d'une vue rationnelle? Ces questions atteignent finalement homme en tent. que dans Son comportement & Vogard do son environnement. humain et extra-humain ige décide librement, en tant qu’il est libre dans les poss\- Dilités qui sont Tes siennes de donner & soi-méme ct de donner a son monde-ambient, une forme de raison. Or sur la raison et la non-raison, sur nous-mémes les hommes en tant que sujels de cette liberté, quiest-ce donc-quo-la _cionee a'4 nous dire? La simple science des Corps manifes- Comme expression de la crise de la vie u tement n'a rien & nous dire, puisqu'elle fait abstraction de tout ce qui est subjectif.. En ce qui concerne d'autre part les sciences de esprit, qui pourtant dans toutes leurs disciplines, particulidres ou générales, traitent de homme dans son existence spirituelle, par conséquent dans l'horizan de son historicité, il se trouve, dit-on, que leur scientifizité rigoureuse exige du chereheur qu'il mete serupuleusement. hors-cireuit tout prise de position axiologique, tcute question sur la raizon et Ja deraion de Vhumanité et des formes de culture de cette humenité, qui foit son thome. La vérilé scientifique, objective, lusivement la constatation de ce que le monde — qu'il s'agisse du monde physique ou du monde spirituel — est. en fait. Mais est-il possible que le Monde et V’étre-humain en lui aient. véri- tabloment, un sens si les sciences ne Inissent, valoir comme vrai que co qui est constatable dans une objectivité de co type, si Uhistoire n’a rien de plus & nous apprendre que le faiL que toutes les formes du monde de Vesprit, toutes les, régles de vie, tous les idéaux, toutes les normes qui con- nérent a chaque dpoque aux hommes leur tenue, se forment comme les ondes fugitives et comme elles a nouveau se défont, qu'il en a toujours été ainsi et quril en sera tou- jours ainsi, que toujours & nouveau la raison se changera en déraison ét toujours les bienfaits en fléaux? Pouvons- nous trouver 1a notre repos? Pouvons-nous vivre dans ce monde dont l’événement historique n’est rien d’autre qu'un enchainement incessant d’élans illusoires et d’amires déceptions? 3. LA FOXDATION DE L'AUTONOMIE DE L'HUMANITH ELRO- PEENNE PAR LA NOUVELLE CONCEPTION DE L'IDEE DE LA PHILOSOPHIE A LA RENAISSANCE. Iin’a pas toujours été vrai que la science comprenne son exigence de vérité rigoureusement fondée au sens de celle objectivité qui domine méthodologiquement nos sciences positives et qui, déployant son action largement au-dcla d'elles, procure 4 un positivisme philosophique, un positi- visme en tant, que vision du monde, sa resource et les moyens de s'étendre partout. I] n'a pas toujours été vrai que les questions spéeifiquement humaines se voient Dannies du domaine de la science et que la relation intrin- séque quielles entretiennent avec toutes les sciences, y 2 La crise des sciences européonnes comps celles dans Tesquelles ce n'est pas homme qui Poet eee ne (par exemple Tes sciences de la nature), fournit Mots ea Sehors de toute considération. Tant que de ee Poor ge passbrent pas cinsi [a science put reven- les choscne signification pour cette humanit6 européenne Se ule [tenaibsance se donne une forme entiorement Gu ae (Ste, comme nous Te savons, cllo put reven- oats Gieetion do cette eatreprise. Pourguol «ello ciate ce vole conducteur, pourquo! en sommes-nous venis Pemde Sideation essenticlio de T¥dée dela science, & a i EARS “Vositviste, I est important pour Te projet, de ces tation pose lr comprendre 8 partir des motifs les plus Peet i Phumanty Sit align SGmn ee un relosmmenat revolutO en elles dourne contre les modes existence qui talent aie ii ies fens, ceux do Moyen Age, elle les déprécie, iusave id fe donner une nouvelle forme dans te bert coe Meat auvclle gdmire et elle de Phumanité antique. Le jed'existence quelle vou imiter pour elle-méme. sec done quelle sist comme etant essential dans Pee Satiquet Apres. quelques hésitations i! apparut horns gentle n't rien d'autre que forme « pilo~ su et ede Foxistence, cest-dire le fait do > donner sppbiaue » de. opme sa vie durant une rege tire dela pure Borer soa philosophic. La philosophie Uhéorétique ralsony Ui deat en preter. On. veut metre en _cravre cst of at Mauchie: de troiter du monde en se libérant une Lacon yeh et de a tradition en génbral,une connats- destiens dy mile du monde et de Fhomme, dans une Sa erry de preluees, qui finalethent reconnaisso dans le monde lui-méme Ja raison intime qui Thabite, dase gute qui est la slenne el gon plus haut principe Te eee hilocophie en tank que theorie rend libre non pict ea ie chereheur, elle tend libre tout étre cutive spaleren tare ext. philosophique. De autonomic théoré- dont Mesoule Petohomie pratique, Selon Vidéal qui guide Pape oiReunee, Vhomme antique est celui qui se forme Io 1a Renae a penetration théorique de Ta bre rison Fem Freique, pour le « platonisme » renouvels, qu’ ce a eae der une nouvelle igure, & partir de la bre convient de sour des vues thoriques) d'une philosophie Taso 4 Peon seulement &sobmbme ethiquerment, mais & universtic’dn monde humein ambiant, & lexisLence poti- {que et sociale de Vhoranité. Comme expression de la erise de ta vie 13, PES tase ur eat que reprise de l'antiquité, mais formellement elle conserve dans les premiers siécles de la modernité Ie sens d'une ae, la recherche infini, et cependant rationnellement que ce soient les problémes de fait ou roblémes par consequent, historiquement considéré, wun conce tantét de facon plus striete tantot de fagon plus large, et. Form cles toutes co questions que on sppele sven tera toutes ses figures particuliéres. C'est la raison en effel “4 La crise des sciences européennes connaissance (c'est-i-dire de Ia connaissance vraie et authentique : de I conneissance rationnelle), & une axiologie vraie ct. authontique (les véritables valeurs en lant, que valeurs de la raison), au comportement éthique (le bien-agir véritable, e'est~i-dire l'agir a partir de la raison pratique). Dans tout ceci la raison est. un titre pour des Idées et des idéaux « absolus », « éternels », « supra-tempo- rels », « inconditionnellement valables », De méme lorsque Thomme devient un probléme « métaphysique » cest-i- dire un. probléme spécifiquement, philosophique, elors Crest en tant qu’éire raisonnable qu'il est mis en question, et si c'est son histoire qui est. en question, alors il sagit du sens » de Phistoire, de la raison dans Phistoire. Le pro- bléme de Dieu contient manifestement, le probleme de la raison « absolue » comme source téléologique de toute raison dans le monde, le probléme du « sens » du monde, Natureliement la question de Vimmortalité est elle aussi une question rationnelle, et tout autant celle de la iberté. Toutes ces questions « métaphysiques » au sens large, crest-i-dire les quostions spécifiquement philosophiques fu, sens habituel du terme, dépassent, le Monde on-ti qu'Universum des simples faits. Blles le dépassent_ pré~ cisément en tant que questions qui remuent V'idée de la rai- son. Et elles en revendiquent, toutes une dignité plus hhaubé que celle des questions de fait, qui se trouvent subor- données & elles également dans Vordonnance des questions. Le positivisme pour ainsi dire décapite la philosophic, Déja dans Vidée antique de la philosophie, qui a son unité dans Iunité indissociable de tout 'Btre, Se trouveit visée du méme coup une ordonnance signifiante de Vétre, et par conséquent des problémes-d’étre. Crest ainsi que la meta- physique, la science des questions ultimes et les plus hautes, parvint & la dignité de Reine des Sciences, dont, esprit, Seul confére leur sens ultime a toutes les connaissances, celles de toutes les autres sciences. (est, également, cette ache qu’hérita la philosophie qui se renouvelait, et meme elle crut avoir découvert la vraie méthode. universelle grace 4 laquelle une telle philosophie systématique, culmi- nant dans la mélaphysique, pouvait étre édifiee, et cela sérieusement, en tant que philosophia perennis.. Gela nous permet, de comprendre I’élan qui anima toutes les entreprises scientifiques, aussi bien celles des simples sciences-de-faits du dogré inférieur, au cours du xviut si¢cle, ce siécle qui se nommeit lui-méme le siécle philosophiquey el qui alteignit des cercles toujours plus vastes, qui Comme expression de la crise de la vie 15 sfenthousiasmaient pour la philosophie et pour toutes Tes sciences particulitres en tant que rameaux de celle-i. Do la cette chaleur et cette bousculade vers Ia culture, ce zéle pour une réforme philosophique de Pédueation 2b dé ensemble des formes sociales et politiques de humanité gui font de T'époque de l’Aufklarung sit souvent di tine époque si dizne d'tre honorée. Un témoignage impé= issable de eet esprit, nous le possédons dans Thyme magnifique «A la Joie » que l'on doit Schiller et & Beethoven. Nous ne pouvons plas entendro cot, hymne aujourd'hui qu’avee douleur. On ne peut imaginer contraste plus grand que celui de la situation de ce temps avee notre Situation présente 4, L'éeHBe D'UNE NOUVELLE SCIENCE QUI COMMERGAIT BIEN ET LE MOTIF INECLAIRCI DE CET CHES, Or si cette nouvelle humanité, animée dun esprit aussi haut, dans Tequel elle trouvait son bonheur, ne s'est pas maintenue, cela n'a puso produire que parce qu'elle a perdu ce qui lui donnait son élan sla Toi dang la phil Sophie uniyerselle de son idéal ct dans la. portés ‘le la nouvelle méthode. It c'est bien en ellet ce qui s'est produit. Isest révélé- que estle méthode ne pouvait. dépio; elfets comme atitant de réussites indubitables que dans les Sciences positives. Il en allait autroment dans la méta- physique, dane dans les problémes philosophiques au sens particulier du terme, bien que Ié-aussi les débuts n’aient pas mangué d'etre pleins despérance et méme apparem- ment de reussir. La philosophie universslle, dans laquelle ces problémes — malgré unb certaine obscurité — étaient Tigs aux sciences de fait, prt la forme de systimes piloso- phiques impressionnants, mais qui malheureusement man- Guelent d'unilé entre eux ct méme qui divergeaient. § lait encore possible au xvie siéele d'étre convainca que Von parviendrait 4 Tunification, & un édifice qui saccrot- trait théorétiquement de génération en génération, ot tel qu'aueune eritique ne pitl'ébronler, comme e'ctait incom. testablement. le cas, pour V'admiration générale, dans les sciences positives, fla longue une telle conviction ne it se maintenir. La eroyance-en Midéal de la philosophie et de Ja méthode, qui depuis Ie debut de la: modernité Girigeait, tous les mouvements, cette eroyance devint

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