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Pourquoi parle-t-on de la «langue de Moliére»? Par Le Figaro et AFP agence Publié hier 10:3, Mis 3 jour hier 3 10:39 RS es ha Portrait de Jean-Baptiste Poquei, dt Moire (1622-1673), par Aimée Pret (eemage vi AFP Le dramaturge laisse en héritage un francais qui allie classicisme et vivacité. Le 15 janvier prochain, nous célébrerons les 400 ans de la naissance de Moliére, immense homme de lettres francais. Que notre langue soit sumommée «langue de Moliére» est une reconnaissance du talent d'un auteur classique parmi les classiques, et agile dans le maniement de tous les registres. «C’est depuis le XIXe siécle qu’on dit langue de Moliéte. On a inventé une tradition ininterrompue de l'esprit francais, depuis les Gaulois, en passant par Rabelais, Jusqu’a lui, Et au XVille s‘impose cette idée, autour de La Fontaine, Boileau, Racine et Moliére, d'une génération de classiques», explique Georges Forestier, professeur de lettres. »LIRE Al M fu fe ler Moligre: passeur d’une langue qui s’écarte des normes Qu’a apporté ce génie de la comédie au frangais tel que nous le connaissons? «Quill touche un public trés large, encore aujourd'hui, fait de Moliére un passeur d'une langue qui est partie intégrante de notre patrimoine», estime Céline Paringaux, agrégée de lettres, «Mais sil est une incarnation de la langue classique, en réalité la langue de ses piéces est extrémement riche et s'écarte volontiers des normes en train de s'établir & son époque. On le voit dans Les Femmes savantes: le personnage qui porte le bon sens est Martine, celle qui écorche le frangais du grand grammairien Vaugelas, celle qui fait des fautes partout», ajoute-t-elle. Réconcilier les différents niveaux de langue Moliére n’a pas eu son pareil pour s’adresser a tous les publics, populaire dans des tournées partout en France, de Carcassonne Grenoble et & Rouen, ou royal a la cour de Versailles. Son frangais est compris et fait rire dans toutes les couches de la société, «ll réconcilie la langue des bateleurs avec celle des aristocrates et bourgeois», souligne Martial Poirson, qui publie le 21 janvier «Moliére, la fabrique d'une gloire nationale» (Seuil). Une gloire qui, de plus, va rayonner au-dela des frontiéres: «Mollére a servi trés tt, et de son vivant, doutil d'ambassade. Le frangais va se diffuser dans toutes les cours d'Europe, jusqu’a celle de Russie. Sur le continent, cette langue de Moliére va se positioner comme celle des classes dominantes, vecteur d'une distinction sociale», affirme ce professeur de lettres, Leffet comique, chez lui, provient aussi de la parodie de certaines maniéres de s’exprimer qui complexifient inutilement ou défigurent la langue: pédantisme et afféterie, charabia, archaismes, emprunts étrangers mal maitrisés... Le frangais le plus clair, das lors, y apparait en majesté, «Corneille peut paraitre trés vieillot» «Malgré les trois siécles et demi qui nous séparent de lui, il nous parait contemporain. C'est un bricoleur de génie qui 1'a jamais envisagé de devenir un classique. I! avait le talent pour épingler les snobs, les ambitieux, les hypocrites... Et nous en connaissons toujours!», selon Georges Forestier, biographe du plus célébre des hommes de théatre frangais. «Sa grande invention, c’est sa capacilé a faire parler les personages selon leur condition. Les gens du monde, les pédants a lintérieur des gens du monde, le paysan, le médecin. Avec des mots, des tons, des accents différents». Pour Martial Poirson, «Moliére ignorait son génie: il était en train de I'inventer. Le caractére inoxydable de sa langue le distingue. Racine est complexe. Corneille peut paraltre trés viellot. Moliére reste vivace». Le frangais aurait pu aussi étre «la langue de Voltaire», encore plus proche de la nétre. Mais, ajoute ce dramaturge, «alors que Voltaire fut un trés grand auteur de théétre, il n'a pas cette postérité. On retient ses contes. Dans ses piéces & succés, son ironie ‘mordante a quelque chose de dégradant, et on la supporte mal» Chez Moliére, d'aprés Céline Paringaux, «on trouve aussi bien du familier que du soutenu, de la prose que des vers, ‘méme de l'occitan et du picard dans Monsieur de Pourceaugnac. La palette est tellement large que les lecteurs et spectateurs de toutes les époques y ont trouvé leur bonheur».

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