La Supplication : « Monologue sur le fait que, dans la vie, des choses horribles se
passent de facon paisible et naturelle » (p. 166-168) et « Monologue sur le fait
qu’un Russe a toujours besoin de croire en quelque chose » (p. 172-176)
Dans La supplication en général et « Admiration de la tristesse » en particulier,
le lecteur est frappé de constater que les témoins évoquent et méme citent un
nombre important d’écrivains. Des auteurs connus et reconnus, tels Dostoievski,
Tolstoi et Tchekhov cétoient d'autres moins célébres comme Boulgakov et
Akhmatova. Pourquoi des littérateurs sont-ils si abondamment cités dans un livre qui
est censé décrire la catastrophe de Tchernobyl a travers les sentiments et les
émotions de ceux qui l’ont vécu. Pour tenter d’apporter quelques éléments de
réponse a cette question, les témoignages intitulés « Monologue sur le fait que, dans
la vie, des choses horribles se passent de fagon paisible et naturelle » de Brouk et
« Monologue sur le fait qu’un Russe a toujours besoin de croire en quelque chose »
de Revalski peuvent étre d’une aide précieuse.
En effet, les témoins, la protectrice de l'environnement et I’historien, s’y
livrent & un véritable exercice de démystification de la culture soviétique dont ils
s‘efforcent de dévoiler les aspects les plus enfouis. D’abord, Revalski en souligne la
dimension mortifére. II la présente comme une incitation a se dérober a la réalité de
la mort par le déni. tajculturé soviétique cultive'le secretjlfinconscier
i |, ce dernier disparaissant au profit du groupe. Ensuite, elle
inocule le péché d’hubris en donnant ‘illusion a homme soviétique qu'il maitrise
Vatome et que, partant, il peut prétendre prendre la place de Dieu : « L’homme était
considéré comme le maitre, la couronne de la création. Et il avait le droit de faire ce
qu'il voulait de la planéte. » (p. 175).
\'é¢rivain aun réle déterminant’a jouer. Il est le champion
de la vie face aux forces d'une culture qui refuse de voir la mort telle qu’elle est.
D’abord, il s‘impose comme celui qui fouette les consciences pour dessiller les yeux
mains, les amenant ainsi a loin du fard
d’une culture mystificatrice ou idéalisante. Le cas d’Adamovitch est éloquent a cet
effet. Il « a sonné le tocsin » (p. 166), contribuant ainsi 8 délier les langues. D’ou
Vattaque virulente dont il fait objet. Autrement dit, ‘homme de lettres est la voix de,
awvérite ; il est celui qui incite le peuple a lever le voile, 8 oser voir la dure réalité de la
tragédie de Tchernobyl.
Mieux encore, ’écrivain est celui qui combat les forces mortiféres pour
célébrer la vie. Revalski évoque cette littérature clandestine du « samizdat » (p. 174)
qui a contribué & révéler au monde entier la réalité atroce du régime stalinien. Er
atteste la référence 4 Chalamov et Soljenitsyne, auteurs respectivement de
1a Kolyma et L’Archipe! du Goulag. Mais surtout, I'écrivain est celui qui donne
vécu. En disant que « Tehernobyl est un sujet a la Dostoievski » (p. R
montre que la tragédie de la vie ne fait sens, c’est-a-dire ne met a di
que quand elle est vécue comme une ceuvre littéraire.