LA VIE EN AMERIQUE LATINE
LA VIE POLITIQUE
Le mois politique
L’Amérique latine 2 la Société dos Nations
On a fait justement ressortir les honneurs exceptionnels dont I’Amérique
Jatine a été comblée & Geneve. Par M. Villegas, elle occupait la présidence du
Conseil, par M. Guani et par le éolonel Nemours, la présidence et la vice
présidence de l'Assemblée. Enfin, I'élection de Cuba, par un nombre de voix
remarquable, pour le siege vacant au Conseil, a marqué un nouveat: succes,
Gea marques d'estime ont été obtenues, non par une coalition continentale,
mais grace a des votes européens. Les serutins ont méme souligné Je man=
gue de solidarité des Américains : M, Guani, par exemple, n/a eu que trois
ooge americaines ; il a été, par contre, soutenu par presque toutes les puis
cancet d'Europe, contre le candidat européen.
‘Dar ailleurs, Je paradoxe persiste que seules les affaires de l'Europe — et
Jes plus graves — sont soumises & ce Conseil. extra-européen. Le Temps
marque son inquiétude devant cette composition de l'artopage :
(I suffit d’examiner, dit-il, la composition du nouveau conseil de la Société
des Nations pour se rendre compte que esprit européen y est sensiblement
cn recul, Sit’on sien tient & la régle du tour alphabétique, la présidence du
Conseil de Geneve reviendra cette année au délégué de Ia Chine. Indépen-
damment des puissances & mandats permanents la Grande-Bretagne, le
France, I'Italie, I'Allemagne et Ie Japon, "Europe y sera représentée par la
Pologne, qui a un mandat semi-permanent, par la Roumanie, Ia Hollande et
la Bislaaie ; Amérique par le Canada, Dominion britannique, par le Chili,
Ja Colombie et Cuba ; enfin le contingent asiatique par Ja Chine, qui est en
pleine guerre eivile, dont on ne sait trop si elle a un gouvernement ou si elle
a trop de gouvernements pour que l'un d'eux puisse réellement parler et agir
au nom du peuple chinois tout entier. Il faudra attendre de voir & louvre le
Conseil dele Société des nations ainsi composé pour se rendre compte dans
quelle mesure il pourra résoudre dans un esprit européen les problémes
essentiellement européens qui constituent sa tache principale. »
Du moins les Américains se sont-ils montrés dune diserétion extréme et,
sileur labeur est remarqué dans les Commissions, leur mutisme est complet
4 /Assemblée, sur les questions principales.
REVUE De T/AMURIQUE Lanny, O° année, vols IV. 29,450 REVUE DE L/AMERIQUE LATINE
Les lacunes produites par Pabsence des états principaux du Nouveau
Monde continuent 8 distinguer la représentation américaine& Genéve, Malgré
les nouvelles optimistes annongant un vote imminent du parlement argentin
en faveur du retour 4 la S.D.N. on n'était encore, ati 20 septembre avis,
de rien de tel. L’Alliance Continentale, récemment fondée Buenos Aires, a
pris position contre Vadhésion de Argentine & organisation genevoive,
U1 est vrai que la Société des nations, impuissante A régler le fond des
affaires européennes, est encore plus incompétente pour les affaires d’Ameé-
tigue, Lsffaire du Nicaragua, qui devait étre soulevée, disait-on, a été
passée sous silence.
Le conflit du Pacifique
Nos premitres conclusions du mois dernier sur le changement d’ambasse-
deur du Chili & Washington se confirment d'aprés les plus récentes dépeches,
Dineident semble avoir été provoaué par le discoure tréa ferme du présideus
Teguia, recevant les lettres de créances de M. Diaz de Medina, représentant
diplomatique de la Bolivie. Le chancelier du Chili avait ordonné & M. Crus
chaga Tocornal, son ambassadeur & la Maison Blanche, de protester auprés
de Varbitre contre le ton du président du Pérou. Mais M, Cruchaga avait
Iugé cette démarche inopportune, Sans doute avait-il intercepté aussi la réponse
au sujet du fonctionnement de la Commission des limites, car cet organisme
qui devait se réunir et fonetionner d'aprés dee régles minutieuses suggérées
par M. Kellogg, demeure, si l'on peut dire, en pleine inactivité
M, Carlos Davila, le nouvel ambassadeur chilien, vient diarriver A son
Poste, muni, dit-on, d'instructions précises de son gouvernement, La presse
Saccorde a prévoir que ces instructions comportent la liquidation « des bons
olfices » dans un sens tout & fait acceptable par les Etats-Unis. Le gouver-
nement du Pérou, qui avait mis toute sa confiance dans M. Coolidge, ne
Deut pas voir sans appréhension une telle éventualité. Le ton nerveux de la
presse et les discours du Parlement trahissent cette inguiétude. On ne sait
as trop, en effet, 4 quoi peut aboutir la politique du président Leguia,
République Argentine
La formule présidenticlie Melo-Gallo a déja franchi plusieurs obstacles,
Des sceptiques doutaient qu'elle puisse tenir jusqu’a sa proclamation,
Or, la cérémonie de Santa-Fé a eu lieu et un cortege de 18.000 personnes
a acelamé les candidate anti pcrsonnalistey qui vont commencer leur tournée
de propagande dans tout le pays. Diautre part, la Convention des droites,
tenue a Cordoba, a décidé d’appuyer MM. Melo et Gallo et les deux leadere
‘ont aceepté son concours. Les conservateurs ont, en outre, décidé de former
la Confédération des Partis de Droite et ont remis un triumvirat la diree-
tion de toutes leurs forces politiques. Ce directoire est composé de M, Julio
Roca, président, MM. Juan Ramon Vidal et Rodolfo Moreno, vice-présidents,
Mais l'accord voté entre les Droites et l'anti-personnalisme a été soumis A
une premitre épreuve dont il est sorti quelque peu félé. Les lihéraus-
conservateurs de San-Juan sont opposés au gouvernement Cantoni tandisLA VIE EN AMERIQUE, LATINE 451
que celui-ci, pour des raisons de tactique électorale, est soutenu par les
mélistes, Le choc s'est produit au Sénat, quand il s'est agi de voter sur la
validation des mandats sénatoriaux de San-Juan. MM. Melo et Gallo et
quatre de leurs partisans ont donné leurs voix & M. Cantoni, tandis que’
conservateurs, irigoyenistes et socialistes mélaient leurs bulletins contre
la validation, Cet échec des chefs anti-personnalistes a fait apparaitre une,
grave lézarde dans leur bloc politique. Il a été en partie réparé par la réélee~
tion immédiate des deux sénateurs invalidés, Mais il n’en reste pas moins
que la politique dé San-Juan reste la pierre d’achoppement de la campagne
Melo-Gallo, Le Sénat a connu rarement une séance plus violente que celle de
Vinvalidation, lorsque MM. Cantoni et Porto ont df étre arrachés parla
force de leur fauteuil, apres le vote qui les excluait de l'Assemblée. Ils vont y
faire incessamment un retour triomphal.
s*, Deux importantes questions, qui mélent le politique et 'économique,
‘ont été discutées ou vont l'étre par Je parlement argentin. On sait que la
Chambre vient d'approuyer le projet concédant lexelusivité a Etat de
H'exploration et exploitation du pétrole, des moyens de transports en forme
de monopole et la prohibition de l'exportation de Phuile minérale,
Ce vote semble avoir été inspiré par la crainte des complaisances exces-
sives des gonvernements de Salta et de Jujuy en faveur des sociétés nord-
‘américaines, en particulier de la Standard Oil. Mais le Senat ratifiera-t-il
ce vote? L'opinion domine jusqu’ici, a la Haute Assemblée, que l'on ne peut
ainsi empiéter sur les droits économiques des provinces. Il sera difficile de
faire passer cette loi au Sénat.
Liautre question a Tordre du jour est celle du traité de commerce avec le
Chili. Le président Ibanez va proposer, dit-on, de donner le libre’ passage
dans la Cordiliére, de telle sorte « qu'il n'y aurait plus de Pyrénées » entre
les deux pays. Cet acte serait doublé d'un pacte d’amitié. On observe d’ail-
Jeurs un rapprochement politique sensible entre les chancelleries de Buenos
Aires et de Santiago, Les visites mutuelles des cadets argentins et chiliens
‘ont été l'occasion de manifestations populaires trés importantes. Sans
pouvoir parler encore dalliance, il semble qu'on aille vers une entente étroite
entre les deux républiques de l'extréme-sud.
Signalons enfin approbation par le Sénat argentin du traité de limites
avec la Bolivie, Ce vote a été acquis 4 l’unanimité des partis, 4 l'exception
du secteur personnaliste qui se propose de faire sur la question une suren-
chére nationaliste. Une commission mixte de techniciens va déterminer, sur
Ie terrain, le tracé de la frontiére d’apres les indications du traité.
Bolivie
Lorsqu’au mois d’aoiit, au coeur des vacances, les journaux sont pauvres
informations, ils accueillent avec complaisance les nouvelles de I’étranger,
quiils négligent a V'ordinaire, Aussi, quand parvint 4 Paris l'annonce d'un
soulévement des Indiens de Bolivie, les chroniqueurs se jettrent sur leur
Gustave Aymard et servirent 4 leurs lecteurs les récits les plus colorés : ils
Tappelérent savamment que les indiens formaient les six dixitmes de la452 REVUE DE L’AMBRIQUE LATINE
population; ils prévoyaient que la révolte pouvait gagner 200.000 hommes;
ils racontaient d'horribles détails sur le cannibalisme des insurgés qui
avaient briilé et dévoré leurs prisonniers. Il a fallu de nombreux et énergi-
ques démentis de toutes leo Iégations de Bolivie en Europe et on Amérique
pour ramener de plus exactes proportions ce gros incident,
Remarquons d’abord que le mouvement a duré dix jours & peine et qu'il a
suffi d'une division de l'armée pour le dominer. La révolte a été eirconserite
a deux provinces, celles d’Oruro et de Potosi, c'est-a-dire & la région minitre,
habitée par des indiens qui passent pour tout a fait tranquilles. Ce sont, en
‘effet, les Quechuas qui se sont réyoltés, tandis que les Aymaras, réputés
belliqueux, sont demeurés sages. C'est que les premiers, ceux du centre et
du sud, s'ils sont apathiques, sont aussi ouverts aux influences et A la
propagande, Or, dans toute Ia région miniére, fonetionne une organisation
communiste, dirigée par Manuel Martinez et Luis Navarro, Ona pris, pour
ainsi dire, la main de ces agents des Soviets dans le sac. Le gouvernement «
déposé sur le bureau du Sénat des documents contenant la preuve formelle
de la complicité des Soviets dans les récents événements.
De ces documents qui furent envoyés au gouvernement bolivien par le
ministre de Bolivie a Paris, il ressort nettement que les Soviets ont payé
une somme d’un million de franes & Manuel Martinez, chef des. communistes
bolivions, pour organiser et diriger les complots. Aprés avoir pris connais-
sance de ces pitces, le Sénat, aprés délibération, a fait connaitre au gouver-
nement que la teneur de ces documents justifiaix la déclaration de l'état de
sige on Bolivie et que le Sénat serait heureux que le cabinet bolivien agisse
avec énergie contre le communisme.
La révolte dec indiens a done posé deux prablémes : celui de la propagande
bolcheviste et celui de la situation des indigtnes. Il est certain qu'il reste
beaucoup a faire en faveur de cette race, qui forme l’élément dominant par le
nombre dans la population. Les gouvernements dits démocrates ont moins fait
pour les indiens que les anciennes aristocraties. La condition des indigenes
est certes plus pénible que celle des paysans de l'ancienne Russie. Il semble
difficile que les partis d’agitation ne tirent pas profit de la négligence et de la
légereté de l'administration. On ne sait jusqu’a quel point la propagande
bolcheviste peut, dans l'avenir, réussir auprés des indiens, surtout des
Aymaras du nord, qui sont plus violents et plus combatifs que les Quechuas
du centre et du sud, Les événements du mois d’aott doivent enseigner
a prévoir-
Le gouvernement, vainqueur rapide du soulevement de Potosi et d’Oruro,
‘a poursuivi également son avantage contre ses adversaires communistes et
saavedristes, les conjurés de juillet. M. Abdon Saavedra a été expulsé et l'on
a arrété les freres Navarro. Le message présidentiel, Iu au Congrés le 7 aot,
ne fait nulle allusion aux troubles du mois précédent. Il propose, en politique
extéricure, la ratification du traité de frontiéres avec I'Argentine et un
nouvel accord sur les chemins de fer avee le Brésil. Puis il s'étend longuc-
ment sur la situation économique, faisant ressortir Vaugmentation des
exportations et des recettes douaniéres. Remarquons, en passant, le chapitre
du message consacré aux pétroles : la Standard Oil s'est emparée de leurLA VIE EN AMERIQUE LATINE 453
‘exploitation et la grande compagnie nord-américaine poursuit une vaste
‘organisation industrielle dans le pays,
Brésil
Le Gomité de la Troisieme Interuativuale ayant décidé, au début deMannée,
de revigorer la propagande bolcheviste en Amérique du Sud, précisa, dans sa
‘séance du 13 avril, que le premier effort serait tenté au Brésil. Les gens de
Moseou s'appuyaient sans doute sur I'importance de ce pays, sur son
étendue qui rend difficile Ia répression des révoltes et sur un tout récent
passé d/agitation, Quatre délégués a la propagande furent désignés et nantis
d'un premier fond de 125.000 dollars. Ces apétres devaient partir sous des
noms d’emprunt, de Hambourg, de Génes et de Barcelone, puis, dés leur
arrivée au Brésil, prendre contact avec les chefs de l'opposition, quelles que
fussent leurs opinions ou leurs tendances. Ils recevraient, par la suite, des
eaisses d/armes et de munitions savamment camouflées pour équiper les
mécouteuts, de fagon a provoquer des désordres dane lee grandes villes de la
cote ct dans des cités de Vintéricur, stratégiquement désignées. Dans
Amazone fut nommé un certain Michel Schapiro, soi-disant tchéco-
slovaque. On sait aussi que 129 cellules communistes ont été secrétement
eréées au Brésil et que Moseou les dota de 50.000 dollars, indépendamment
des 125.000 dollars accordés aux quatre chefs de la propagande, L'organisa~
tion, dans la pensée des Soviets, devait étre complétée pour le 1** juillet,
afin de faire éclater une insurrection le mois suivant. Déja le bolcheviste
Kraiewski, chef de la propagande a Buenos Aires oil ill tient bureau
avenue de Mai, s'était rendu a Rio et avait regu, au Palace Hotel, la visite
des principaux communistes brésiliens.
Tous ces fuits, rassemblés par le colonel Carlos Reie, officier de 1a police
fédérale, et soumis par Iui au gouvernement ont décidé le président
Washington Luis a réclamer du parlement une loi spéciale pour la répres~
sion du communisme, Cette mesure de protection n'est pas seulement
dintérét national, mais aussi continental. En effet, le sixitme Congres
exéeutif de Moscou avait pris les résolutions suivantes :
1 Organisation des campagnes par des agitations bolchevistes ;
2° Formation d'une base secréte dlopération et une action diplomatique
bolcheviste, grace & la reconnaissance, par Uruguay, du gouvernement des
Soviets:
3° Formation par les groupes communistes d'Europe de cadres spéciale-
ment piépaids & Vorganisation des ccllulec américaines :
4 Croisitre de propagande par le navire soviétique « Tovarisch » ;
5° Liaison entre Moscou et l'Amérique du Sud par l'intermédiaire de
PArcos.
6 Participation des délégués sud-américains au Congrés des Komintern.
Liensemble de ces graves informations a décidé le gouvernement du Brésil
& réclamer la fermeture sine die des Maisons Syndicales oii sont préchés le
crime et Ia rébellion, et la censure contre les organes qui répandent les
doctrines de Moscou. Cette censure ne sera pas préventive, mais les journaux
qui pousseront au désordre pourront étre saisis et suspendus.454 REVUE DE L’AMERIQUE LATINE
Liopposition, naturellement, a prétendu que ces mesures n'étaient qu'un
prétexte & restreindre la liberté d’opinion et que les craintes du gouvernement
étaient le “produit de son imagination. Au Sénat, les sénateurs Irineu
Machado et Antonio Moniz ont violemment protesté contre le projet anti-
communiste, Mais M. Barbosa Lima a provoqué une profonde sensation
en déclarant : « Il faut que le Sénat sache bien que plusieurs de ses membres
sont compromis dans l’affaire de la propagande bolcheviste. » Finalement, le
projet a été adopté par 37 voix contre 2.
#*« La Conférence Internationale Parlementaire vient de se tenir & Rio.
C'est la premiére fois qu'une réunion intercontinentale a pour sitge une
eapitale latino-américaine,- Les questions inserites & son ordre du jour
étaient pour la plupart de l'ordre économique; nous n'ayons done pas & les
étudier ici. Mais nous ne pouvons pas ne pas remarquer au passage que,
commé presque toutes les assemblées internationales, cette Conférence a
produit des frictions désagréables qui, sans elle, auraicnt pu étre évitées,
Le délégué italien a soulevé assez maladroitement Ia question du controle
de l’émigration et de la protection nationale qui doit s’étendre a l'émigrant.
Cela détermina un beau tumulte qui a eu son écho dans tout le continent,
La Prensa de Buenos Aires a été jusqu’a réclamer expulsion de lambassa
deur d'Italie « dont lactivité devient intolérable ». Ii semble que, dans le
fond, iln'y ait eu que des intempérances de langage, ce qui ne surprend
as chez des parlementaires qui jouent aux diplomates. Mais cela suflit &
faire toucher du doigt le danger que représentent pour Ja paix et I'entente des
peuples des réunions qui peuvent amener, des froissements entre des pays
destinés a s'entendre.
Guha
La campagne se poursuit, violente, pour ou contre Ia réforme de la Cons-
titution, On sait que les trois partis politiques, libéral, conservateur et
populaite, ont approuvé la réforme tentée par le général Machado et, pour la
défendre et la parfaire, ont formé une vaste confédération « Pour la réforme
constitutionnelle », Le Ministre de l'Intérieur vient de soumettre au Congres
son projet complémentaire de réforme qui vise la réduction des sitges parle-
mentaires, l'élection des sénateurs et la nomination des hauts magistrats.
Mais si la réforme a été adoptée par la majorité des trois partis, elle a
Feneontré une opposition minoritaire dans chacun de ces partis ct clest avec
ees mécontents, conservateurs ou libéraux, que le colonel Mendieta, chef de
Topposition, a formé un yuatritme parti politique, Union nationaliste, dont
le but unique est de combattre la réforme de la Constitution.
Mexique
Pour succéder a M. James Sheffield, ambassadeur des Etats-Unis a México,
démissionnaire, le Président Coolidge a choisi M. Dwight Morrow, banquier
new-yorkais et associé dans la banque Morgan. M. Dwight Morrow est,
depuis longtemps, un des amis personnels du Président. Il se retirera de la
banque Morgan pour accepter le poste diplomatique qui lui est offert.LA VIE EN AMERIQUE LATINE 455
Nicaragua
Le général Moncada, ancien chef de l'armée libérale, qui avait préconisé la
soumission aux Etats-Unis, signé la paix de Tipitapa et blamé le général
Sandino de sa persistante révolte, vient de recevoir le salaire de sa bonne
yolonté envers les occupants étrangers : ceux-ci Vont expulsé, parce que son
activité politique, en vue de la prochaine campagne présidentielle, déplait au
président Diaz, Admirable préface aux élections « libres et indépendantes »,
garanties par la parole de M. Stimson |
Par ailleurs, les troupes du général Sandino ne sont ni dispersées, ni
soumises. On a signalé, le 18 septembre, un engagement entre un détache-
ment de 20 fusiliers marins américains, aidés de 25 policiers nicaraguayens,
et une formation d'une centaine de libéraux « se livrant, dit le rapport
américain, au banditisme », Un fusilier marin américain a été tué et un autre
mortellement blessé. La police nicaraguayenne a eu également un tué. Les
libéraux auraient eu une vingtaine de tués et une cinquantaine de blessés.
Cette sérieuse rencontre dément quelque peu l'optimisme du ministre des
Etats-Unis @ Managua qui télégraphiait, la veille, que le mouvement du
général Sandino avait pu étre localisé et que le chef rebelle, réfugi¢ &
Quililali, «s'occupait & embarquer de petits chargements de café sur le
Rio Coco », Pour le surplus, le rapport concluait : « L’ordre regne &
Ocotal »
Paraguay
Le gouvernement du Paraguay a décigné cing délégués, MM. José
P, Guggiari, Eusebio Ayala, Francisco Chavez, Manuel Dominguez, Fulgen~
cio R. Moreno, pour le représenter A la Commission. d'Arbitrage qui doit se
réunir A Baenos Aires. On sait en effet que le Paraguay et la Bolivie ont
soumis au jugement de la République Argentine leur différend sur la fron-
titre du Chaco septentrional. La délégation bolivienne, qui vient d'etre
nommée, comprend notamment MM. Esealier et Sanchez de Bustamante.
Les parties ont décidé de joindre l'arbitrage le réglement du pénible
incident de frontiére au cours duquel un officier paraguayen a été tué par un
soldat bolivien.
Une crise partielle a menacé le Cabinet. On a enregistré d'abord ‘la
démission du Ministre de la Guerre, M. Riart, qui a été remplacé par le
docteur Blisco de Rosa. Puis ce fut le tour du docteur Rivarola qui voulait
quitter le Ministére de Iatévieur, mais qui a retiré sa démission sur les
instances du Président. Gette crise n'est pas sans rapport avec les incidents
extérieurs et aussi avec le malaise du parti libéral dont le président,
M, Eusebio Ayala, n’a retiré sa démission qu’a la demande de ses amis.
René RICHARD.456 REVUE DE LAMERIQUE LATINE
LA VIE BCONOMIQUE ET SOCIALE
La politique de Yimmigration
La question de V'immigration a donné lieu a d’intéressants débats a la
Conférence Parlementaire Internationale du Commerce, qui vient de se tenir
& Rio de Janciro. Les délégués ont été unanimes, en particulier, pour éearter
toute proposition portant atteinte a autonomic et la souveraineté des pays
‘sud-américains.
Avant de se séparer, la Conférence a adopté les résolutions suivantes :
1° que les Etats établissent des statistiques en matiére d'émigration et
dimmigration, selon des méthodes aussi identiques que possible, et que dans
eS statistiques soient introduites les améliorations reconnues nécescaires
dapras les essais de coordination poursuivis ces derniéres années +
2° que, dans les commissions internationales d’études sur les migrations
humaines, Ja représentation des pays d’émigration et d’immigration soit
assurée sur des bases parfaites d'égalité, la présidence de ces commissions
devant appartenir a des pays non directement intéressés dans les solutions
étudiges ;
3° qu’entre les pays d'émigration et immigration s'établissent des rela~
tions commerciales aussi actives que possible au moyen de traités particuliers ;
4? que, dans les statistiques d’émigration et d'immigration, les diverses
catégories de travailleurs intellectuels, qui devront étre nettement définies,
soient désormais comprises et que ces statistiques soient, autant que possible,
complétées par des renseignements faisant connaitre quels sont les différents
emplois pour les travailleurs intellectuels qui peuvent étre offerts par certains
pays et auxquels il peut étre satisfait par d'autres ;
5° que les Etats intéressés veillent a assurer aux travailleurs intellectuels,
qui exercent leur activité hors de leur pays d'origine, une situation en
rapport avec la nature et Ia valeur des services qu'ils peuvent rendre:
6" que les conventions en matiére d’émigration et d’immigration ne puis-
sent jamais imposer & un pays juridiquement organisé et jouissant de la
plénitude de sa souveraineté des mesures de nature & soustraire les émigrants
4 Ja legislation et a la juridiction du pays auquel ils s'incorporent.
Lexposé de la these brésilienne de l'émigration a été fait, a la Conférence
de Rio, par M. José Maria Bello.
Il est intéressant de rappeler & ce sujet quelle est la réglementation actuel-
lement en vigueur au Brésil, d'aprés les instructions données par le Ministre
des Affaires Etrangéres du gouvernement fédéral a ses agents consulaires &
Vetranger, en janvier 1926, en conformité avec le décret-loi du 31 décembre
1924 et 'ordonnance ministérielle du 30 juin 1925 sur immigration,
Aux termes de ces instructions, tous individus désirant pénétrer au Brésil
comme immigrants, c'est-A-dire les passagers de seconde ou de troisieme
classe, doivent faire viser par les consuls brésiliens un certificat de bonneCA VIE EN AMERIQUE LATINE 457
conduite et une carte d’identité, La premiére de ces pitces est fournie par les
autorités de la localité ot Wintéressé a cu sa dernitre résidence pendant au
‘moins six mois. Quant a la carte d’identité, elle doit porter, en dehors de la
photographie du titulaire, son age, sa nationalité, son état civil, son métier,
ayee Pempr ale ct la description de sco marques opéciales.
Il n'est prévu d'exception a ces obligations qu'en favcur des personnes
ayant déja résidé au Brésil et qui en ont été obsentes pendant moins de
six mois.
Les immigrants au deli de 60 ans ne sont pas autorisés A entrer au Brésil,
a moins de justifier de ressources suffisantes, par eux-mémes ou par leurs
familles, De méme, les femmes et les mineurs de 16 ans doivent fournir la
preuve quiils sont envoyés au Brésil par une personne diment autorisée d.cet
effet ou qu'ils ont les moyens de gagner leur existence
Les consuls brésiliens sont tenus de vérifier 'authenticité des certificats et
des cartes soumises & leur visa, de n’accorder ce visa qu’aux émigrants
provenant des ports mentionnée dano le décret-loi du 31 décembre 1924 et de
veiller 4 ce que les émigrants ne soient pas embarqués sur les navires de
compagnies non autorisées pour ce transport.
Les cireulaires ministérielles mentionnent, en outre, que tous les immi-
grants au Brésil sont assurés d’exercer librement dans ce pays leur activité,
‘4 la condition de se conformer aux lois d’hygiéne et de sécurité publique,
quiils jouiront de la liberté de religion ct de conscience et que, pour les droits
civils, ils seront placés sur le méme pied que les autres citoyens.
Les immigrants, & leur arrivée dans le port de Rio de Janeiro, sont
soumis au controle du service de I'Intendance de I'Immigration et doi-
yent subir un examen médical & la Ika das Flores. L'Etat prend a
sa chuige leurs dépenscs de aéjour dane Wile, ainsi que les frais de leur
traitement, s'il y a lieu, et de leur débarquement, Ils sont, de plus, astreints
a certaines prescriptions d’hygiéne et leurs bagages sont désinfectés. Ceux
dentre eux provenant d'un pays, oi une épidémie a éclaté, peuvent aussi
subié une quarantaine et des soins appropriés,
Les services officiels d'immigration et de peuplement facilitent, en outre,
Ie placement des immigrants, agriculteurs ou ouvriers. C’est ainsi, notam-
ment, que ceux qui arrivent avec leurs famille et veulent s'établir comme
propriétaires de petits lots de terre (en moyenne 25 hectares) dans des colonies
> ea formation, sont transportés et hébergés gratuitement jusqu’au lieu de
destination.
wee
L’Argentine attire, comme on sait, un courant migratoire d'Europe plus
important encore que le Brésil, La diminution enregistrée ces dernitres
années par rapport & celles d’avantguerre ne s'est pas maintenue. Les
données officielles pour le premier semestre de 1927 accusent, en effet, un
aceroissement de 40 0/0 environ sur les chiffres correspondants de 1926.
Cette énorme augmentation, qui est appelée vraisemblablement a se pour-
suivre dans la suite, est de nature A retenir attention des pouvoirs publics,
qui doivent chercher les moyens de canaliser et de distribuer ce flot d'immi-
grants, au mieux des intéréts du pays.458 REVUE DE L/AMERIQUE LATINE
Ua Prensa, de Buenos Aires, observait réceemment & ce propos que les
méthodes suivies en matitre de peuplement et de colonisation dataient d'un
demi-siecle et ne répondaient plus aux circonstances, « Le gouvernement
= éetivait ce journal — eroit avoir tout fait quand il a interdit acces du
tertitoire argentin aux individus atteints de maladiea contagicuses, trop
wieux ou trop peu instruits. Pour I'installation des agriculteurs, pour la
colonisation de grande envergure, rien n'est prévu, Pour le débarquement en
Argentine, il nVexiste qu’un seul port, celui de Buenos Aires ; les projets de
Voyages directs & Rosario, appuyés par les Chambres de commerce espagnole
et italienne de cette ville, n'ont pas été réalisés. Le dommage est diautant
plus\grand que les étrangers sont retenus par la eapitole fédérale et qu'un
certain nombre d'entre eux s'y fixent, aul lieu de se rendre dans un centre
agricole... »
La Prensa exagere, cependant, quand elle s'en prend & «inaction impar-
donnable» du gouvernement. La preuve que celui-ci ne se désintérease pas de
4h question nous est fournie par le projet de M, Manuel Montes de Oca, envi,
segeant un plan de colonisation sur une grande échelle, qui doit étre entrepris
avec l'étroite collaboration des Compagnies de chemins de fer,
Av cours d'une conférence que les représentants des différentes entreprises
ont cue avec le Président Alvear, assisté du Ministre de Agriculture, un
Waste programme a méme été adopté, Nous en reproduisons les grandes:
lignes, d’aprés le Times of Argentina
Tes compagnies constitucront, sous forme de soviété, un organieme spécial,
ke Consarcio Verroviario de Colonicacion, qui sera administré par des repre.
Sentants élus de ces compagnies. Il aura pour objet Pintroduction et I’établic-
Sement en Argentine de familles étrangires, en vue de Ia colonisation
agricole. Le Consortium servira 3 cette fin d'intermédiaire entre le eouverne-
ment argentin et les gouvernements étrangers et il entrera également en
Tapport avec toutes les entités finaneiéres, commerciales et autres, qui
Pourront l'aider dans sa tAche,-Chaque compagnie exereera un contréle
Supérieur sur les colonies établies dans sa zone propre, aprés entente avec le
Consortium. Elles ne feront aucun bénéfice sur les terrains concédés us
colons, qui jouiront, en outre, de facilités de paiement particulieres, Dee
aNaneee Pourront Btre également accordées aux familles nécessiteuses pour
leurs dépenses de premiere installation, leurs achats. de matériel, dé
bétail, ete.
Le projet prévoit, d’autre part, la eréation de coopératives de consommation
et, lorsque les colonies seront devenues des centres suffisamment importaute,
edification de batiments publics, tels qu’éeoles, églises, postes de police, ete,
Te consortium sera constitué pour dix ans et ne pourra étre discous avant
cette date sans un accord unanime de ses membres, Les compagnies partici-
Peront au capital proportionnellement a l'importance de leurs réseaux,
Comme on peut en juger d'aprés ce bref résumé, il sagit la d'un programme
Parfaitement concu et d'une portée considérable. Si, comme tout permet de le
sroire, il est mis en pratique, l facilitera notablement Ia solution du probleme
des «latifundia » en Argentine, et ce pays en retireta certainerent de
notables avantages pour son développement agricole.
> Axcez MARVAUD.LA VIE EN AMERIQUE LATINE 459
LA VIE HISTORIQUE
i. Nueva crénica de la conquista del Tucuman
par Roberto Levillier
Les peuples neufs comme les anciennes nations éprouvent le légitime désir
de connattre les hauts faits de leur passé récent ou reculé, Aussi l/histoire
atelle été un des premiers genres littéraires réellement vivants dans la
jeune République Argentine. Son développement correspond justement a ce
xnxt sitele que Von a appelé, non sans quelque exagération, le Sitcle de
THistoire. Les nécessités de I'évolution du genre d'une part, Vinfluence de
Paris d’autre part, ont fait que la science historique a passé par des phases
analogues en Argentine et en Europe.
histoire argentine a connu l'age des grands récits, d'une documentation
rapide, mais admirables par la solidité de leur composition, intelligence
des vues d’ensemble, et Péclat du style; Bartolomé Mitre, Vicente Fidel
Lépez ne sont pas toujours indignes d’étre comparés a Thiers et A Michelet.
Elle a appris ensuite, avec Paul Groussac, Wart de critiquer les sources
manuserites ou imprimées. Ce maitre de esprit eritique, disciple de Renan
et de Taine, est aussi, surtout peut-étre, un artiste, Illa édifié une ceuvre
durable la fois par sa rigueur scientifique et par la perfection de la forme,
Ia, par la sévérité impitoyable de ses critiques et de ses sarcasmes, mis la.
jeune histoire argentine, jusqu’alors portée davantage vers 'apologie que
vers la science impartiale, & une rude ct