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La Collectivité européenne d’Alsace : un

département à dispositions particulières


Étienne Schmitt

Suite à un compromis institutionnel entre le gouvernement et les élus


alsaciens opposés à la dissolution de leur région dans la nouvelle région
Grand Est1, la collectivité européenne d’Alsace [CEA] a été créée au 1er
janvier 2021. Promulguée le 2 août 2019, la Loi relative aux compétences
de la Collectivité européenne d’Alsace –​dite « loi Alsace » –​qui l’institue lui
attribue des compétences spécifiques, dont la promotion du bilinguisme et
la coopération transfrontalière.
Présentée par l’État comme la vitrine institutionnelle du « pacte
girondin » –​nom donné à la nouvelle étape de la décentralisation promue
par le Président Emmanuel Macron, puisqu’elle reposerait sur un « pacte »
conclu entre l’État et les territoires, affirmant un principe de différenciation
par lesquels ces derniers se verraient confier des compétences singulières
pour répondre aux réalités locales –​, cette nouvelle collectivité territoriale
née par la fusion des départements du Bas-​R hin et du Haut-​R hin crée des
attentes au sein de la population alsacienne.
Superficiellement, la différenciation telle qu’évoquée par le
gouvernement semble être un bon instrument pour concilier le principe
d’unité de la République avec la reconnaissance culturelle, économique et
politique de l’Alsace, notamment en lui rendant une intégrité territoriale
coextensive avec une entité politique. Inscrite dans l’article 15 du projet de
loi constitutionnelle déposé le 9 mai 2018, la différenciation permettrait
à certaines collectivités territoriales d’exercer des compétences « dont ne
disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie », et ce
afin de « tenir compte des spécificités de cette collectivité territoriale et

1 Celle-​ci a été créée en 2015 par la fusion des régions Alsace, Lorraine et Champagne-​
Ardenne.
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des enjeux qui lui sont propres »2. Quoique la révision de la Constitution
n’ait pas encore eu lieu et que la différenciation reste à cette date au stade
principiel, la CEA sert utilement de laboratoire à l’application du pacte
girondin.
Cependant, il est probable que l’expérience ne soit pas concluante. En
effet, la CEA demeure éloignée des demandes formulées par les acteurs
politiques alsaciens. Qui plus est, on peut s’interroger quant à la légitimité
de cette nouvelle collectivité alors que celle-​ci était censée répondre à
un « désir d’Alsace » qu’a reconnu explicitement le gouvernement dans la
Déclaration commune en faveur de la création de la collectivité européenne
d’Alsace du 29 octobre 2018 (dite « Déclaration de Matignon ») ; c’est-​
à-​dire la volonté populaire de conserver une collectivité territoriale qui
réponde aux spécificités culturelles et politiques alsaciennes3. Si la CEA
résulte d’une délibération concordante des conseils départementaux du
Bas-​R hin et du Haut-​R hin, elle n’a fait l’objet d’aucune consultation
populaire. S’il fallait identifier ce « désir d’Alsace », une enquête d’opinion
de 2018 révélait que 84 % des Alsaciens étaient en faveur d’une sortie du
Grand Est, tandis que 58 % désiraient plus d’autonomie4. Puisqu’elle reste
intégrée au Grand Est, la CEA ne semble répondre que partiellement aux
demandes de la population. D’ailleurs, le statut de la CEA a également
soulevé de vives critiques dans la mesure où les acteurs politiques alsaciens
réclamaient une collectivité à statut particulier au titre de l’article 72 de
la Constitution, en cela similaire à la Collectivité de Corse (c’est-​à-​dire
une collectivité unique qui réunisse les compétences des départements et
celles de la région, en plus de compétences spécifiquement attribuées à
la collectivité à statut particulier), et non un département à dispositions
particulières tel que consenti par le législateur. Si ce dernier a voulu

2 Assemblée nationale, Projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus


représentative, responsable et efficace, n° 911, déposé le 9 mai 2018.
3 « Les Alsaciens ont fortement exprimé leur volonté d’incarner leur spécificité
dans une institution nouvelle. Les parties signataires souhaitent donner corps à ce
“désir d’Alsace”. Berceau de la construction européenne, l’Alsace est un territoire
ouvert et attractif, trait d’union entre la France et l’Allemagne. L’affirmation de son
ancrage rhénan au sein de la région Grand Est constitue une réalité qu’il convient
d’appréhender et d’exploiter pleinement » ; cf. Déclaration commune en faveur de la
création de la collectivité européenne d’Alsace, 2018, p. 1.
4 IFOP/​Club Perspectives Alsaciennes, Enquête auprès de la population alsacienne, 20
février 2018, https://​w ww.ifop.com/​publ​icat​ion/​enqu​ete-​aup​res-​de-​la-​pop​ulat​ion-​
als​acie​nne/​[consulté le 25 avril 2019].
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marquer l’exceptionnalité alsacienne, les ambitions locales ont été


rétrogradées pour aboutir à cette collectivité dont le statut et l’échelon de
gouvernement sont inférieurs à ceux espérés.
Doit-​on alors conclure que le principe de différenciation ne résout
qu’imparfaitement les enjeux auxquels l’Alsace est confrontée ? Le
gouvernement ayant présenté le principe de différenciation comme le fer
de lance d’une décentralisation « girondine » au sens où elle émanerait
des collectivités territoriales, l’exemple de la CEA laisse dubitatif. S’agit-​
il d’une véritable dévolution à la française ou d’une décentralisation
managériale ?
Afin de répondre à cette question, seront brièvement évoqués
les évènements qui ont mené jusqu’à la création de la CEA, puis les
spécificités institutionnelles de la nouvelle collectivité. Cette mise en
contexte permettra de souligner les rapports de force qui ont œuvré dans
la création de la nouvelle collectivité, mais également les enjeux qui y
perdurent. La démarche favorisera ainsi une déconstruction du principe
de différenciation appliqué à la CEA, permettant d’évaluer s’il favorise
réellement une autonomisation de l’Alsace.

I. De la Région Alsace à la Collectivité européenne


d’Alsace : retour sur évènements
La création de la CEA peut s’analyser comme une forme de
compromis trouvé entre un régionalisme alsacien revendicateur de
l’intégrité territoriale de l’Alsace et l’État central qui cherche un terreau
fertile pour expérimenter son nouveau « pacte girondin ». De manière
factuelle, elle fait suite aux mobilisations contre la fusion de la Région
Alsace avec la Lorraine et la Champagne-​A rdenne entre 2014 et 2015,
puis à un contexte houleux entre 2015 et 2018.

I.A. Une fusion contestée


La loi no 2015-​29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des
régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le
calendrier électoral, qui commande plusieurs fusions de régions, est
motivée par un discours performatif : il s’agit d’améliorer la gouvernance
territoriale ainsi que l’efficacité et l’efficience des politiques publiques en
favorisant l’échelon régional. Qui plus est, le gouvernement du Parti

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