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Vesthétique
lest diffcie de commencer par esthétiqueelle-méme,
avant d’en aborder les principales notions, En méme
‘temps, il y aurait quelque chose d’absurde a terminer
des Eléments d 'esthétique par une définition aprés-coup
de leur discipline, quand tout par ailleurs la supposerait
déja connue. En termes de méthode, il n'y a done pas
autre chemin, méme s'il est un peu artificiel, que de
commencer par un essai de définition de l’esthétique. Le
lecteur trouvera dans ces premiéres pages de nombreuses
approches qui seront reprises et approfondies dans les
pages qui suivent.
Lresthétique est une discipline relativement récente (on
Peut dater le mot du milieu du XVIIF sigcle), et a la fois
trés ancienne (les premiers philosophes grees du V*siécle
avant J.-C. s"interrogeaient déja sur le beau). Parler de
1P« esthétique de Platon », par exemple, c*est faire unfucnenrs D'usrudnigue
bel anachronisme, et en méme temps ce n'est pas faux.
i suffit dene pas confondre naissance et nomination. La
naissance de lesthétique comme réflexion philosophique
au sens large est en effet contemporaine de la naissance de
la philosophie occidentale en général, ce qui est somme
toute logique. En revanche, la nomination d’une branche
spécifique de la philosophie comme discipline autonome
ne date effectivement que de 1750, avec I'Esthétique de
Baumgarten, Pius encore que le terme ailleurs, c"est
PPinstitution qui est une invention récente : la premiére
revue scientifique d'esthétique ne parait en Allemagne
qu’en 1904, tandis que la premiére chaire d’esthétique
en France napparait a la Sorbonne qu’en 1921... Ainsi
done, quelle est 'origine du mot « estiétique » ? Quelle
est sa signification ? Quelles différences, notamment,
centre Vesthétique, la théorie du beau et la philosophie
de Vart ? Quelles autres différences, & un autre niveau,
centre Pesthétique, Ia critique d'art et histoire de Part ?
1.1.Ce qu'elle signifie
Lors d'un diner en ville, une collégue et néanmoins
amie « esthéticienne » (c’est-d-dire enseignant l’esthé-
tique) s’était retrouvée, par hasard, placée & table aux
cotés d'une «esthéticienne » (¢’est-i-dire pratiquant des
soins esthétiques). Une fois le premier moment de surprise
passé, il faut bien reconnattre qu’elles n’avaient plus grand
chose a se dire... Faut-il done le préciser ? L'esthétique
dont il est question ici reléve de la philosophie, et non
de la coiffure ou de Ia chirurgie. En méme temps, ces
disciplines ont bien une origine linguistique commune,
celle dela sensibitité et de la beauté (exactement comme
le cosmos grec, signifiant le bel univers ordonné, a pu
donner en frangais deux adjectfs& la fois, « eosmique »
ft « cosmétique »), Soient done pour commencer trois
sens possibles du mot esthétique : science da sensible,
théorie du beau, philosophie de Part, ;
1.1.4. Sclence du sensible
Sil est vrai que tout commence avec Pétymologie,
alors celle du mot « esthétique » est particuliérement
intéressante. Du grec aishisis (sensation, sentiment,
sensibilité), aiséhiton (sensible), et plus précisément de
adjectif isthéikos («qui peut tre pergu par les sens),
Vorigine linguistique met d’emblée accent surle sensible,
Cest ce qui explique, par exemple, qu'on puisse encore
trouver en 1781, au début de la Critique de la raison pure
de Kant, le titre d’« Esthetique transcendantale» atribué
une théorie de espace et du temps comme formes at
Priori dela sensbilté@ note qu’iln'est absolument pas
question ici ni d'art, ni de beaute). Cela étant, le mor ne
‘ent pas de Kant, mais dun autre phitosophe allemand de
's premiére moitié du XVUF sitele, Baumgarten (1714.
1762). Kant disait ailleurs de lui qu'il était « excellent
analyste », et n’hésitait pas 4 se servir de son manuel de
métaphysique, Sion veut done mettre une date prévise