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Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/rei/7267
DOI : 10.4000/rei.7267
ISSN : 1773-0198
Éditeur
De Boeck Supérieur
Édition imprimée
Date de publication : 15 septembre 2018
Pagination : 77-110
ISBN : 978-2-8073-9206-9
ISSN : 0154-3229
Référence électronique
Gilles Paché, Laurence Saglietto, Alban Quillaud et Dominique Bonet Fernandez, « Logistique et
technologies disruptives dans les réseaux globalisés de production : le rôle clé des données
massives », Revue d'économie industrielle [En ligne], 163 | 3e trimestre 2018, mis en ligne le 01 janvier
2022, consulté le 07 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/rei/7267 ; DOI : https://
doi.org/10.4000/rei.7267
INTRODUCTION
L’internationalisation des échanges est une constante majeure des éco-
nomies capitalistes depuis les années 1950, à l’origine d’un processus de
globalisation que D’Agostino (2008) présente comme l’émergence et la
consolidation d’un marché mondial des biens, des services et des capitaux,
qui s’affranchit des frontières politiques des États et se structure en réfé-
rence à des stratégies transnationales d’un nombre croissant de firmes.
Celles-ci s’appuient massivement sur des ressources et capacités logis-
tiques à conquérir des marchés de consommation sur une échelle élargie,
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La rupture dont il est question s’avère capitale pour comprendre les évo-
lutions en cours en matière d’organisation industrielle et, plus spécifique-
ment, en matière de transformation des réseaux globalisés de production,
à la recherche d’une plus grande agilité pour conserver des positions
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supply chain cockpits. Une analyse rapide pourrait laisser croire qu’il s’agit,
encore une fois, de la dernière famille d’outils en vogue, dont il faut recon-
naître que la recherche en sciences de gestion est coutumière (Thévenet,
1985). Cela n’est manifestement pas le cas. Les trois dispositifs innovants
s’inscrivent au contraire dans un même fil conducteur, celui d’une orches-
tration des flux à grande échelle, au sein de réseaux globalisés de valeur,
grâce à une maîtrise de données massives considérée comme l’élément
central de la création de valeur.
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Coe (2014) met l’accent sur les caractéristiques majeures de l’évolution des
réseaux globalisés de production en référence à une approche aujourd’hui
consacrée en économie industrielle. Il s’agit de réseaux dont les nœuds
(unités de fabrication, systèmes logistiques, unités de commandement,
etc.) transcendent les frontières nationales en intégrant des parties de ter-
ritoires nationaux disparates. L’émergence de chaînes de valeur mondiales
souligne la présence de schémas relationnels qui visent à englober toutes
les parties prenantes d’un processus de création de valeur dans des sys-
tèmes de production sans frontière, ce qui pose de redoutables problèmes
d’organisation et de pilotage. Pour Coe (2014, p. 234), il est alors néces-
saire de s’appuyer sur « des systèmes informatiques intégrés et des plates-
formes logicielles communes à travers le réseau globalisé de production qui
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2. TECHNOLOGIES DISRUPTIVES
EN CONTEXTE LOGISTIQUE
Du fait de la spécialisation des agents économiques, et de leur recentrage
continu sur leur cœur de métier, les réseaux globalisés de production n’ont
eu de cesse de se fragmenter, tant au plan organisationnel qu’au plan terri-
torial. Dès la fin des années 1950, Jacques Houssiaux pressentait ainsi l’ap-
parition d’un nouveau modèle de sous-traitance industrielle fondé sur des
logiques de quasi-intégration dont il faut reconnaître aujourd’hui l’omni-
présence (Baudry, 2013) 3. Dans le domaine de la logistique, la fragmentation
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Dans la mesure où nul PSL ne peut posséder tous les actifs tangibles (de
transport, de préparation de commandes ou de stockage) nécessaires à
l’exécution d’une prestation logistique complexe, l’aspect capacitaire en
termes d’intégration, et par là même d’échange de données, d’informa-
tions et de connaissances, est essentiel. Les fonctionnalités le plus souvent
offertes sont la gestion d’une partie des données de référence principales
ayant trait à la logistique, l’optimisation des flux de transport, la gestion
de la facturation, la visibilité et le reporting, ainsi que des plans d’améliora-
tion continue dans un objectif explicite de réduction des coûts de gestion
des opérations d’acheminement. Les tours de contrôle tentent de couvrir
l’intégralité des aspects, autant au niveau des processus que des réseaux
globalisés de production. Cependant, les limites posées par la nature du
contrat noué entre le chargeur et son PSL, ainsi que le manque d’inclusion
du PSL dans le processus pluridisciplinaire, aussi bien en amont qu’en aval
de ce dernier, peuvent constituer dans certaines circonstances de réels
freins à la pleine réalisation du potentiel de création de valeur.
Les fonctionnalités des tours de contrôle sont les suivantes : (1) la col-
lecte des données nécessaires, qu’elles soient propres à la firme ou qu’elles
viennent de sources externes (Heaney, 2014) ; (2) la détection des aléas
éventuels et des risques (Cap Gemini, 2012 ; Bentz et Kammerer, 2014), sur
la base de paramètres et critères fixes et prédéterminés, et la génération
d’alertes pertinentes (Pearson, 2014) ; (3) la prise de décision, la mise en
œuvre d’actions correctives (réactives ou proactives) suite aux alertes, et
la proposition d’idées nouvelles, par exemple afin de refléter de nouvelles
capacités (Bentz et Kammerer, 2014) ; (4) la communication des aléas et
des actions correctives aux parties prenantes via différents canaux de com-
munication (Pearson, 2014). Face à la multiplicité des besoins exprimés,
les tours de contrôle s’appuient sur des processus centralisés, standardisés
et en partie automatisés, par le biais de systèmes d’information intra- et
inter-organisationnels intégrant différents aspects en termes de pratiques
de gestion. Ils peuvent être résumés en six points complémentaires :
− La connectivité inter-systèmes, par le biais d’interfaces EDI et/ou
Web, mais aussi humaines, pour la saisie de données ou le charge-
ment de documents numérisés.
− La gestion des données de référence principales de types variés ayant
trait aux données fournisseurs, usines, clients et PSL, en termes de
tarifs et de temps de transport.
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Chacun des aspects peut faire appel à des systèmes d’information diffé-
rents, ou être partiellement regroupés dans un même système sous forme
de modules interfacés. Plus largement, les tours de contrôle s’appuient
souvent sur un ensemble de systèmes d’information intra- et inter-orga-
nisationnels qui, certes, aide à digitiser une partie des données inhé-
rentes aux chaînes logistiques tout en créant de la valeur, mais qui semble
aussi montrer certaines faiblesses au regard d’une demande toujours plus
forte de la part des chargeurs en termes de synchronisation. Pour des rai-
sons de compétitivité, et bien que chaque solution soit fortement spéci-
fiée selon les besoins de chaque client, les PSL essaient de construire leurs
offres sur un socle commun et une organisation pouvant, au besoin, être
partagée entre différents clients, tout du moins dans sa dimension « répé-
titive » et peu cognitive. Certains autres services, tels que l’amélioration
continue de la collecte et de l’interprétation des données, ou de gestion
commerciale et contractuelle, sont, quant à eux, fortement dédiés (Cap
Gemini, 2012). En résumé, la dimension disruptive du dispositif inno-
vant « tour de contrôle » peut être synthétisée par les caractéristiques
suivantes : (1) la conception d’une architecture systèmes d’information
adaptée aux besoins de chaque client, plutôt que des solutions partagées
comme les PSL originels les proposaient aux industriels et aux grands
distributeurs ; (2) une véritable culture de la transparence fondée sur la
communication continue des aléas aux partenaires et la suggestion de
correctifs dont le PSL dispose de la maîtrise de conception au sens de
Tixier et al. (1983).
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C’est au célèbre lessivier Procter & Gamble que l’on doit d’avoir institution-
nalisé les business spheres dès le début des années 2010. Sur un plan tech-
nologique, il s’agit d’une salle sphérique équipée d’écrans géants où les
informations de gestion sont affichées sous forme de graphes en vue d’exa-
men, de traitement et de prise de décision (il en existe plus d’une qua-
rantaine dans le monde en 2018). Développées en partenariat avec BOI,
Cisco, HP, SAP, Nielsen et TIBCO Spotfire, les business spheres s’apparentent
sur le plan managérial à des espaces de réunion interconnectés et interac-
tifs à travers le monde dont l’objet est de proposer une visualisation aisée
de données massives. L’idée clé est que le croisement de ces données per-
met d’en extraire de nouvelles informations et connaissances, qui sont, au
final, sources de valeur actionnariale et partenariale pour la firme, grâce
à des programmes de digitisation efficace et un investissement significa-
tif dans des systèmes analytiques avancés en vue d’aider efficacement à la
décision (Bughin, 2017).
4 Selon Watson (2012), la business sphere offre aux dirigeants la possibilité d’exploiter
plus de 500 millions de points de données par mois. Ceux-ci incluent des données sur
les magasins des détaillants et des données de progiciels de gestion, d’expédition et
d’inventaires internes. La business sphere est un moyen rapide et précis d’identifier
les opportunités et les domaines où les inventions sont nécessaires. C’est une solution
innovante qui répond un objectif : la numérisation « bout en bout » de l’entreprise.
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Les attentes des firmes en termes de pilotage amélioré des flux néces-
sitent des informations en temps réel sur les indicateurs de performance
du réseau globalisé de production provenant de diverses sources (mobiles,
progiciels de gestion, informations internes, etc.), une capacité d’alerte
potentielle, une capacité d’analyse anticipée et une capacité d’analyse
de l’environnement pour soutenir une planification commerciale à long
terme. C’est ce qu’offre comme opportunité le cockpit, grâce à une interface
graphique très intuitive jouant le rôle de couche de planification d’entre-
prise supérieure qui couvre tous les domaines logistiques tels que la fabri-
cation, la demande, la distribution physique et le transport (Setia et al.,
2008). Le cockpit permet de créer des zones de travail individuelles afin
que plusieurs planificateurs puissent travailler simultanément sur diffé-
rents segments du réseau globalisé de production et en avoir une vision
très fine, jusqu’au plus petit détail, afin de minimiser la complexité des
relations entre ses composants. Les bénéfices d’un supply chain cockpit pro-
viennent de la vue d’ensemble des alertes qui s’affichent par applications
et par priorités (Dickersbach, 2009). En résumé, la dimension disruptive
du dispositif innovant « supply chain cockpit » peut être synthétisée par les
caractéristiques suivantes : (1) une réelle aptitude à fournir aux utilisa-
teurs des capacités de visualisation à la fois globale et locale du réseau
globalisé de production ; (2) une forte agilité en matière de modification
des paramètres logistiques face aux aléas potentiels grâce à un système
d’alertes d’utilisation très ergonomique, ce qui correspond à la stratégie
disruptive par la simplicité d’usage de Christensen et Raynor (2013).
3. ANALYSE COMPARATIVE
DES TROIS DISPOSITIFS INNOVANTS
L’introduction de nouveaux modèles d’analyse, en matière d’optimisation
et de prédiction, qui sous-tendent la gestion des données massives renvoie
à une dimension disruptive prégnante au regard des modèles dominants.
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Les décisions en question peuvent être de trois natures avec trois horizons
temporels différents : opérationnel de court terme, tactique de moyen
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En tant que dispositifs innovants, les tours de contrôle, les business spheres et
les supply chain cockpits sont déployés autour d’un « centre informationnel »
qui agrège un nombre important de données clés provenant de l’intérieur
et de l’extérieur de la firme, à travers l’ensemble des systèmes de progiciels
de gestion, au cœur de l’architecture informatique de pilotage des flux (Son
et al., 2015). Les centres informationnels sont utilisés pour rassembler et
distribuer de l’information et permettre aux personnes formées d’utiliser
les fonctionnalités de visibilité afin de détecter et agir sur les risques, ou
les opportunités de développement, le plus rapidement possible. Les centres
informationnels sont généralement configurés pour surveiller, mesurer et
gérer tous les flux de produits grâce à la traçabilité des coûts au niveau le
plus fin, tout le long de la chaîne logistique. Ceci sous-tend la gestion inté-
grée de l’ensemble des relations internes/externes à partir d’une visuali-
sation de nombreux tableaux de bord, ainsi que les événements imprévus
à haut risque. C’est par l’existence de tels centres informationnels que les
firmes peuvent déployer leur capacité d’orchestration verticale des flux au
service de réseaux globalisés de valeur, qu’elles soient PSL ou chargeurs :
− Concernant les tours de contrôle, on peut parler de signaux explicites
en matière de capacité nouvelle d’orchestration dans la mesure où le
dispositif innovant provient de PSL qui, historiquement, ont déployé
une fonction d’intermédiation logistique exigeant des systèmes d’in-
formation extrêmement sophistiqués afin d’assurer un suivi des flux
en temps réel pour le compte de leurs clients. Dès le milieu des années
2000, Bitran et al. (2007) ont d’ailleurs clairement indiqué que l’in-
tégration informationnelle dont un PSL est initiateur en termes de
partage d’information et de connaissance avec les membres d’une
chaîne logistique conditionne sa performance de « maestro », autre-
ment dit de pilote aux interfaces. Les tours de contrôle s’inscrivent
par conséquent dans une continuité historique dont le caractère
disruptif s’appuie sur la maîtrise de conception désormais laissée
au PSL, alors qu’auparavant, seule une maîtrise d’exploitation, sous
contrôle strict du client chargeur, lui était accordée.
− En revanche, pour les business spheres et les supply chain cockpits, on
peut parler de signaux plus implicites en matière de capacité nou-
velle d’orchestration dans la mesure où le dispositif innovant pro-
vient de chargeurs qui introduisent ici une véritable disruption.
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Du tableau 2 il est possible de tirer la figure 2, qui synthétise les trois péri-
mètres clés (relation client, pilotage, information) pour lesquels les effets
des trois dispositifs innovants étudiés sont les plus significatifs. Au niveau
du pilotage, plus spécifiquement, les effets les plus remarquables sont une
réduction des coûts logistiques suite à une meilleure orchestration des flux,
une prise de décision rapide face aux différents risques rencontrés, et une
optimisation de la gestion des stocks et des équipements. En revanche, une
zone d’incertitude reste encore présente en matière d’Internet des objets,
actuellement en phase d’émergence. Toutefois, comme le notent Durand
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4. DISCUSSION
La digitisation et la digitalisation se traduisent par de nombreux change-
ments dans le pilotage des réseaux globalisés de production. Le déploiement
des technologies est immédiat, tant dans leur diffusion, grâce à l’accessi-
bilité quasi universelle permise par les réseaux Internet, que dans leur
utilisation, compte tenu du fait que les technologies deviennent de plus
en plus ergonomiques et faciles d’apprentissage et d’utilisation. Dans le
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L’offre actuelle est plus riche, et les développeurs présents sur le mar-
ché ont essayé d’intégrer plus de fonctionnalités par des développements
propres ou des rachats. Les logiciels suivent finalement une séquence
logique des tâches logistiques à accomplir, de l’ingénierie à la séquence
chronologique de l’exécution physique d’un ordre, jusqu’aux activités tac-
tiques et stratégiques, ainsi que les solutions de type cloud jouant le rôle
d’agents-frontières en collectant les données massives, et en proposant
une visibilité totale aux membres du réseau globalisé de production. Les
nouveaux agents économiques se fondent généralement sur les dernières
technologies existantes, en termes de connectivité, de gestion de bases de
données et d’intelligence artificielle. Une masse critique est certes tou-
jours nécessaire afin d’obtenir de la création de valeur supérieure à un
modèle intra-firme, mais les technologies de la connectivité progressant à
grands pas, cette masse critique sera bientôt atteinte, et les synergies affé-
rentes deviendront réelles. De plus, les agents spécialisés dans le stockage
dématérialisé de données ont une approche beaucoup plus modulaire de
l’intégration et de l’interaction des logiciels, facilitant le déploiement de la
vision pluridisciplinaire du management des chaînes logistiques.
6 Voir notamment les multiples exemples historiques donnés par Durand et Milberg
(2018).
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Il n’en reste pas moins vrai que des liens réciproques existent entre les
attentes de performances financières et opérationnelles, le choix de stra-
tégies génériques et la gestion du changement au sein de la firme. En
termes de performance financière, il s’agit surtout de la capacité à mesu-
rer la valeur comptable et actionnariale. La performance opérationnelle
fait appel aux différentes fonctions productives, et donc aux facteurs de
production mobilisés. L’évolution de la performance sur la base des capa-
cités opérationnelles de la firme, en fonction des attentes de performance
financière, vont dès lors influer sur les stratégies de la firme, ainsi que sur
les moyens mis en œuvre pour appliquer lesdites stratégies ; en d’autres
termes, la gestion du changement est par nature le fruit d’un processus de
nature disruptive au sens de Christensen (1997), autrement dit une rupture
dans une trajectoire. Il s’agit sans doute là d’une piste féconde d’investiga-
tion pour élargir le débat de la gestion des données massives, dont la capta-
tion et le traitement impliquent une transformation radicale des systèmes
d’information, d’une perspective purement instrumentale à une perspec-
tive organisationnelle.
CONCLUSION
Les trois dispositifs innovants évoquées dans le présent article, à savoir
les tours de contrôle des PSL, d’un côté, les business spheres et les supply
chain cockpits des chargeurs, de l’autre, tendent à indiquer qu’une nou-
velle génération d’outils d’intégration fonctionnelle et informationnelle
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