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GLOTO
GLOTO
combattre
la glottophobie
Collection dirigée par
Philippe Corcuff et Lilian Mathieu
Conception graphique :
Caroline Keppy
Sandrine Roux
ISBN : 978-2-84597-544-6
Version numérique : 2017
978-2-84597-624-5
Discriminations :
combattre
la glottophobie
Philippe Blanchet
petite
encyclopédie
critique
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Discriminations : combattre la glottophobie
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petite
encyclopédie
critique
La glottophobie en pratique :
étude d’exemples 105
Bibliographie 178
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Discriminations : combattre la glottophobie
Partie I :
Introduction
Les pratiques
linguistiques,
un domaine
de discrimination
largement ignoré 3
1
Une absence
dans les textes
juridiques
français
Ainsi par exemple, la loi française, qui réprime la discrimina-
tion en tant que délit pouvant entrainer de lourdes amendes
et des peines de prison, la définit de cette façon :
« Constitue une discrimination toute distinction opérée
entre les personnes physiques à raison de leur origine, de
leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse,
de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur
état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques
génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité
sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs
activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-
appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation,
une race ou une religion déterminée »5
5 Code pénal, partie législative, livre II : Des crimes et délits contre les per-
sonnes, titre II : Des atteintes à la personne humaine, chapitre V : Des at- 13
teintes à la dignité de la personne, Section 1 : Des discriminations.
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neutre, dont l’effet négatif est le même que celui d’une dis-
crimination intentionnelle, dite directe.
La ou les langues et autres variétés linguistiques utilisées
(de façon « vraie ou supposée ») par ces personnes n’appa-
raissent pas dans cette loi de 2001 qui a pourtant été com-
plétée en 2006 par les « motifs » de discrimination suivants :
l’orientation sexuelle, l’apparence physique, le patronyme et
l’âge, puis en 2014 par celui d’identité sexuelle. L’occasion
s’est donc présentée deux fois d’y ajouter les « motifs » lin-
guistiques, mais personne n’y a pensé – ou trop peu de gens
et pas assez influents. Du point de vue légal, en France, les
discriminations linguistiques, ça n’existe pas, c’est donc
autorisé. Le fait même de punir les discriminations est d’ail-
leurs très récent, comme on le voit, et constitue en France
les suites d’une impulsion venue de l’Union Européenne.
La création de la Haute Autorité de Lutte contre les
Discriminations et pour l’Égalité (HALDE) date de 2004 et
ce n’est qu’en 2011 qu’elle a été intégrée à la mission du
Défenseur des Droits. Comme l’a montré F. Dhume (2014,
20), l’idéologie stato-nationale française fondée sur l’éva-
cuation des différences oppose une contradiction et une
réticence fortes à envisager la question des discriminations
puisque cette question met en lumière l’existence effective
de différences et leur utilisation condamnable :
« La question des discriminations fait l’objet d’une recon-
naissance-limite, tant dans le champ politique et institution-
nel que dans le champ scientifique. Si, en France, le terme
est de plus en plus utilisé, la légitimité de cette problémati-
sation politique demeure faible ».
2
Une certaine
négligence
dans les
travaux érudits
sur les
discriminations
Si l’on regarde maintenant du côté d’un ouvrage érudit, de
référence, on constatera non pas une ignorance au premier
sens (celui de la loi : ça n’existe pas comme phénomène
répréhensible) mais au deuxième : ça n’a pas grande impor-
tance. Dans le très bon Dictionnaire des racismes, de l’exclu-
sion et des discriminations (Benbassa, 2010), on trouve un
article d’une page (429-430) intitulé « Langues et oppres-
sions linguistiques ». Celui-ci ne pose pas, malgré son titre,
la question en termes d’oppression, et encore moins en
termes explicites de discrimination. Il souligne néanmoins,
en des termes très prudents, que :
« la constitution des États-Nations suppose ordinairement
l’hégémonie d’une langue nationale et s’accommode mal
de la persistance de langues minoritaires (…) peut induire
une politique (…) de purification de la langue nationale (…)
susciter des réactions fortement négatives : pression exer-
cée pour l’assimilation linguistique complète et exclusive,
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dévalorisation des langues d’origine, etc. »
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6 Une recherche rapide sur internet montre que beaucoup de pages qui lui
16 sont consacrées ignorent totalement cet aspect de son action et que plu-
sieurs institutions notamment éducatives l’honorent sans réserve.