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RFP - 695 - 1647 A Propos de La Création
RFP - 695 - 1647 A Propos de La Création
Claudette Lafond
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ISSN 0035-2942
ISBN 2130552528
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http://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2005-5-page-1647.htm
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Claudette LAFOND
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1. É. Sechaud, p. 24.
Rev. franç. Psychanal., 5/2005
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tique sacrificielle (bouc et bouc émissaire)”1, écrit Freud dans “Personnages
psychopathiques à la scène”. Elle est de l’ordre du rituel. Avec elle, on retrouve
les multiples facettes du mouvement projectif, la toute-puissance, le meurtre,
l’expiation, c’est-à-dire, en filigrane, la référence paternelle. Le héros – “le per-
sonnage”, selon Freud – est avant tout transgressif et pas seulement répara-
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teur : “Les héros sont d’abord des rebelles envers Dieu ou quelque chose de
divin, et le sentiment de détresse du plus faible face à la violence de Dieu doit
devenir, par satisfaction masochiste et jouissance directe du personnage, dont
la grandeur est cependant soulignée, source de plaisir. C’est cela la disposition
prométhéenne de l’homme...” »2
S’opposer à Dieu, n’est-ce pas le fantasme infantile de tout créateur ? Cette
opposition n’est pas sans équivalence imaginaire au meurtre. Ce Dieu rappelle
la toute-puissance de la mère et du père de la préhistoire personnelle. En rela-
tion avec ces objets nostalgiques par excellence, on se souviendra des propos de
Freud, dans Malaise : « Quant aux besoins, leur rattachement à l’état infantile
de dépendance absolue, ainsi qu’à la nostalgie du père que suscite cet état, me
semble irréfutable, d’autant plus que ledit sentiment n’est pas simplement dû à
une survivance de ces besoins infantiles, mais qu’il est entretenu de façon
durable par l’angoisse ressentie par l’homme devant la prépondérance puis-
sante du sort. Je ne saurais trouver un autre besoin d’origine infantile aussi fort
que celui de protection par le père. »3 On serait enclin à penser que la sublima-
tion préserve cet objet. La sublimation ne s’oppose pas à Dieu ni à toute forme
de pouvoir-substitut qui garantit la protection, la sécurité. On pourrait y voir
des relents de l’autoconservation, une sorte de trajectoire évolutive linéaire,
dévotement « aconflictuelle ».
Du point de vue de la causalité psychique, ne perdons pas de vue que
l’objet originel du désir n’est pas celui de la pulsion mais de l’autoconservation.
Si l’économie psychique est mobilisée par la poursuite de cet objet, cela
n’empêchera pas l’activité sublimatoire. Mais passer de l’objet originel à l’objet
primaire, c’est permettre à l’investissement pulsionnel de concerner un objet
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pensée d’Évelyne Sechaud : « Le vide est aussi un vide structural qui tient à
l’organisation psychique : la perte est celle du moi, avec des failles qui se mani-
festent principalement dans les capacités de penser et qui sont liées aux vicissi-
tudes des relations précoces qui ont induit des distorsions dans le traitement
des motions pulsionnelles. Les œuvres réalisées sont alors des tentatives de
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1. Comme l’étymologie du mot « nostalgie » l’indique (nostos signifiant « retour »), nous dési-
rons retourner à ce paradis perdu, avec une douloureuse algos, déception. La déception peut enclen-
cher un processus de deuil, à la condition qu’elle soit re-connue.
2. É. Sechaud, Rapport, p. 77.
3. R. M. Rilke, Lettres à un jeune poète, p. 26.
4. P.-C. Racamier, Revue française de Psychanalyse, t. XXIX, no 1, 1965, p. 70.
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obscur soit au service de la déliaison, qu’il soit une manière mortifère
d’empêcher l’œuvre d’exister ou encore, une fois qu’elle existe, de la détruire
ou de la protéger contre la destruction de l’autre. Dans ces derniers cas, il ne
s’agit plus de création ou de sublimation puisqu’il n’y a plus de sujet ; seule
subsiste la pulsion destructrice qui tient lieu d’être au monde. Il est vrai que
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les mauvaises critiques peuvent être féroces, mais leur férocité est d’autant
plus assassine qu’elle fait écho à une destructivité intérieure. L’issue qui rend
possible la sublimation ou la création est au-delà de la destruction.
L’évitement de ce combat titanesque par une soumission aux dieux condui-
rait certains vers des activités sublimatoires plutôt que créatrices. S’agit-il d’un
choix ? L’histoire singulière de chacun pourrait peut-être y répondre. Assuré-
ment que ce sont deux manières distinctes d’être au monde, l’une du point de
vue pulsionnel et l’autre du point de vue de la relation d’objet comme la carac-
térise E. Castellano-Maury1.
À supposer que la différence entre les deux soit départagée par le meurtre,
les uns supporteraient plus l’effroi du crime que les autres. Pour certains,
le crime s’impose comme trop subjectivé pour qu’ils renoncent à la création
et au meurtre qu’il exige. Il y a donc péril dans la demeure du moi. Ce péril est
issu de la tentation meurtrière en direction de l’objet primaire – parricide,
matricide2 ou « parenticide ». Il est facile de comprendre que ces meurtres ima-
ginaires, mais combien traumatisants, supposent et exigent une réparation du
sujet. L’œuvre en tant que résultat d’une fonction objectalisante avec, en outre,
une reconnaissance sociale, contribue à cette réparation. La réparation se
magnifie dans la rencontre jubilatoire d’une œuvre. Cependant, chaque nou-
velle création réactive le danger.
Par ailleurs, qu’adviendrait-il si l’idée du meurtre (père, mère, parent) était
induite par les détenteurs de pouvoir ?... N’est-ce pas Zeus lui-même qui
s’opposait aux initiatives de Prométhée ? L’origine de l’opposition se
trouverait-elle chez le détenteur de pouvoir ? Pouvoir auquel on se soumet
volontiers en échange d’un sentiment d’appartenance. « La reconnaissance de
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de Zeus : il s’agit de la boîte de Pandore dont l’ouverture contribuera aux mal-
heurs de l’humanité. Quel est donc le contenu psychique de cette boîte de
Pandore qui, au pire, empêcherait la civilisation en instaurant la barbarie ou, au
mieux, permettrait la sublimation tout en rendant subversive la création ?
L’enjeu implique l’action du surmoi et l’instauration de la loi. La question
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la pulsion sa vigueur révolutionnaire, en la disciplinant par une exigence subli-
matoire jusqu’à la créativité. Le processus créateur permettra d’échapper à la
pathologie du sujet nostalgique avec son désir d’omnipotence syntone à l’objet
primaire. Dans la mesure où le deuil sera suffisamment fait (pas totalement fait
mais suffisamment), une mobilité pulsionnelle sera assurée. Se séparer et main-
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tenir l’objet, tel est le travail psychique auquel est convié le sujet qui débute par
une identification aux parents précédant tout investissement d’objet. Ce fonde-
ment identificatoire n’est sans doute pas étranger à l’idée de Hannah Ségal, à
propos de l’équivalent psychique de la création d’une œuvre d’art : « Créer une
œuvre d’art est l’équivalent psychique d’une procréation. C’est une activité
bisexuelle génitale nécessitant une bonne identification au père qui donne, à
une mère qui reçoit et qui porte l’enfant. »1
Évelyne Sechaud tient compte de la place centrale de l’identification au
père, dans les termes suivants : « Les identifications paternelles déplacées sur
d’autres figures donnent aussi au créateur une filiation dans le domaine qu’il a
choisi. »2 C’est ce qui permet l’acte sublimatoire, mais ce qui peut aussi entraver
l’acte créateur, car ce qui est en jeu, c’est le développement de l’identité par
l’intégration de l’objet, sans assujettissement à cet objet. Dans le cas contraire,
c’est la régression à la situation tyrannique.
Jean-Louis Balacci n’oublie pas que la figure du père est structurante non
seulement par l’idéal transmis, mais aussi par l’impact précoce du fonctionne-
ment psychique. « Si la sublimation “dès le début” participe à l’apparition de
l’idéal, derrière laquelle se cache l’identification au père de la préhistoire
personnelle3, c’est dire que la sublimation ne peut se réduire au jeu de
l’investissement et de l’identification, mais qu’elle implique d’emblée une réfé-
rence paternelle antérieure à son investissement. Sa mise en place devra tenir
compte d’une tiercéisation précoce du fonctionnement psychique. »4 Avec cette
tiercéisation, nous sortons de la relation duelle et tyrannique.
On ne peut garder sous silence le parallèle entre la cure et la création.
« Laissez à vos jugements leur développement propre, silencieux. Ne le contra-
riez pas car, comme tout progrès, il doit venir du profond de votre être, et ne
peut souffrir ni pression ni hâte... Il faut que vous laissiez chaque impression,
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et à se laisser aller aux pensées qui montent en lui. Toutefois, qu’en est-il du
danger qui alimente les résistances et à la cure et à la création ? Nos soupçons
vont du côté des intensités pulsionnelles. C’est, sans doute, un truisme de dire
qu’on redoute l’hémorragie pulsionnelle et la répression surmoïque, mais on
doit ajouter à cela que l’affrontement avec le père de la préhistoire personnelle
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mation, car, telle que présentée, elle peut éloigner du sexuel, éviter le refoule-
ment et diriger la libido sur un autre but qui pourrait être la conservation du
patrimoine ou encore un travail exégétique de qualité qui contribuerait à la
sauvegarde de l’héritage culturel. En rapport avec la création, la conformité est
davantage problématique. Peut-être pouvons-nous, d’une manière toute rela-
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tive, résoudre cette difficulté en nous centrant sur l’écoute nécessaire au patient
et sur les exigences que demanderait l’avenir de la psychanalyse.
Claudette Lafond
10135 Saint-Denis
Montréal QUE H3L 2H9
Canada