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RFP - 744 - 1007 L'Impact de La Scène Primitive Sur La Pulsion de Savoir
RFP - 744 - 1007 L'Impact de La Scène Primitive Sur La Pulsion de Savoir
Sophie de Mijolla-Mellor
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ISSN 0035-2942
ISBN 9782130576310
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Sophie de Mijolla-Mellor
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une position complexe. Tout d’abord, sa nature composite1 la renvoie à une
composante pulsionnelle, la pulsion scopique (Triebe der Schau), susceptible
de se sublimer indépendamment. De plus, elle est d’entrée de jeu une subli-
mation au moins partielle puisqu’elle correspond à un « mode sublimé de
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l’emprise », mais par là elle est aussi mise en rapport avec la difficile notion
de sublimation de l’agressivité. Son objet est directement et originairement
sexuel [savoir sur le sexuel] et son but n’est pas sublimé puisqu’il renvoie tant
au pouvoir [savoir pour pouvoir] qu’au but œdipien lui-même [être le seul à
conserver l’amour de la mère, connaître l’objet de son désir].
L’impact de la scène primitive sur la pulsion de savoir est loin d’être
univoque.
J’envisagerai trois « choix »2 possibles :
–– le renforcement de la névrose ;
–– la répétition sublimée du traumatisme grâce à la création littéraire ;
–– la dérivation sublimatoire sous la forme de la pulsion de recherche.
Freud, on le sait, lui donne une valeur étiologique majeure : « Ce ne fut pas un
seul courant sexuel qui émana de la scène primitive mais toute une série de courants ;
la libido de l’enfant, par cette scène, fut comme fendue en éclats » (1918 b-1914,
1. « La pulsion de savoir, écrit Freud, ne peut pas être comptée parmi les composantes pulsion-
nelles élémentaires de la vie affective et il n’est pas possible de la faire dépendre exclusivement de la
sexualité. Son activité correspond d’une part à la sublimation du besoin de maîtriser, et, d’autre part elle
utilise comme énergie le désir de voir » (1905 d).
2. Ce terme pour rappeller que ce qui est destin pour la pulsion est cependant aussi un « choix »
pour le sujet. Voir S. de Mijolla-Mellor (2009), Le Choix de la sublimation, Paris, puf.
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p. 356). La séquence étiologique est la suivante : scène primitive – histoire des
loups – conte des sept chevreaux que reflète la suite des pensées durant la forma-
tion du rêve : désir de satisfaction sexuelle par le père, compréhension du fait que
la castration en est une condition nécessaire, peur du père. L’angoisse devient alors
une transposition régressive du désir de servir au coït du père.
Freud sait qu’il « construit » la scène primitive comme une hypothèse et
ce n’est que dans une seule occurrence du texte qu’il va jusqu’à dire qu’il la
« reconstruit »1, à partir des fragments suivants, dans un vrai travail d’archéo-
logue ou de paléontologue : « Un événement réel – datant d’une époque très
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lointaine – regarder – immobilité – problèmes sexuels – castration – le père
– quelque chose de terrible » (op. cit., p. 347).
Mais que « savait » l’Homme aux Loups ? Rien d’autre qu’une théorie
sexuelle infantile qu’il n’a d’ailleurs pas trouvée tout seul mais qui lui a été
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obligeamment fournie par la vieille nourrice pour mettre fin à ses masturbations
séductrices. Freud reconnaît qu’« il y avait de quoi se mettre en colère contre
elle » (p. 338), début du changement de caractère de l’enfant jusque-là docile, et
le reste s’emboîte puisque le rêve, neuf mois plus tard, vient réactualiser la scène
où la « castration » de la mère est visible, constatation de visu de la réalité de la
menace, par ailleurs corroborée par l’observation de petites filles en train d’uriner.
La scène primitive confirme en outre une autre « information » toute aussi
fantaisiste mais qui, elle, n’est pas typique, celle de « mettre les gens la tête
en bas » pour se saisir de leurs organes génitaux, propos tenus par la sœur de
l’Homme aux Loups et qui conduit Freud à faire l’hypothèse qu’elle aussi
avait observé une scène « a tergo »2. La prégnance de la théorie sexuelle infan-
tile de la castration pour Freud est telle qu’il n’évoque pas, au sujet de la scène
primitive, la « solution » anale, que pourtant l’enfant avait alors manifesté
en ayant une selle et qu’il retrouvera plus âgé dans ses obsessions sacrilèges
(le Christ avait-il eu un derrière, avait-il chié ?). Il faut par ailleurs attendre
l’âge de quatre ans pour que l’Homme aux Loups tire de la scène primitive les
1. Voir p. 347 : « Une reconstruction (gw, XII, 60, “Rekonstruktion” seul emploi de ce mot dans
tout le texte) à tenter » alors que, page 361 où le traducteur utilise à nouveau le terme de « reconstruire »
à deux reprises, Freud a en fait plus modestement parlé de « Konstruktion » (gw, XII, 79).
2. « Nous rappellerons à ce propos que la sœur du malade, en séduisant son frère alors âgé de 3 ans
et 3 mois, avait proféré contre la brave vieille bonne une singulière calomnie : celle-ci, prétendait la fillette,
mettait les gens la tête en bas et leur saisissait les organes génitaux. L’idée doit ici s’imposer à nous que
peut-être la sœur, à un âge également tendre, dut être également témoin de la même scène que son frère
plus tard, et que c’est de là qu’elle aurait pris l’idée de “mettre les gens la tête en bas” pendant l’acte sexuel.
Cette hypothèse nous fournirait de plus une indication sur l’une des sources de la précocité sexuelle de cette
sœur » (op. cit., p. 366). Comme il est peu probable que les parents se soient livrés à une telle gymnastique
dans leurs ébats sexuels, il s’agit probablement de l’explication que cette petite fille pleine d’astuce se don-
nait de la meilleure manière d’assurer que le pénis, obéissant aux lois de la pesanteur, ait la tête en haut.
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d’un rêve et auquel Freud attache une valeur toute particulière notant : « la
séduction par sa sœur n’était certes pas un fantasme » (Op. cit., p. 335).
À la fin du texte de l’observation et des nombreuses discussions qui l’ac-
compagnent, Freud conclue non seulement sur ce que savait l’Homme aux
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Loups, mais aussi sur la manière dont il avait acquis ce savoir. Ce passage
bien connu est intéressant à citer car il ne fait aucune place à la théorisation
sexuelle entendue au sens d’une investigation. L’enfant y apparaît doté d’un
savoir d’origine phylogénétique1 que les informations ultérieures ne font que
confirmer (même si en l’occurrence il s’agit d’une erreur) et d’un savoir ins-
tinctif de type animal.
Dans ce cas, Freud va encore plus loin que lorsqu’il signale que l’en-
fant puise dans ce savoir pour « compléter » ce que l’information lui a appris
puisqu’il considère que ce cadre (schéma, catégorie) constitue une contrainte
formelle pour toute espèce d’expérience.
« Là où les événements ne s’adaptent pas au schéma héréditaire, ceux-ci subissent dans
l’imagination un remaniement, travail qu’il serait certes profitable de suivre dans le détail.
Ce sont justement ces cas-là qui sont propres à nous montrer l’indépendante existence du
schéma. Nous avons souvent l’occasion d’observer que le schéma triomphe de l’expérience
individuelle ; dans notre cas, par exemple, le père devient le castrateur, celui qui menace
la sexualité infantile, en dépit d’un complexe d’Œdipe par ailleurs inversé. Dans d’autres
cas, la nourrice prend la place de la mère ou bien toutes deux fusionnent. Les contradictions
se présentant entre l’expérience et le schéma semblent fournir ample matière aux conflits
infantiles » (ibid., p. 418-419).
Cette rigidité éclaire le caractère typique des « théories sexuelles infanti-
les », puisque l’enfant investigateur ne dispose d’aucune autre liberté que celle
des cadres a priori d’un savoir phylogénétique ! Il croit chercher, pourrait-on
1. « J’ai achevé de dire ce que je voulais rapporter de ce cas morbide. Deux des nombreux problèmes
qu’il soulève me semblent cependant mériter encore une mention spéciale. Le premier est relatif aux sché-
mas phylogénétiques que l’enfant apporte en naissant, schémas qui, semblables à des “catégories” philoso-
phiques, ont pour rôle de “classer” les impressions qu’apporte ensuite la vie. Je suis enclin à penser qu’ils
sont des précipités de l’histoire de la civilisation humaine. Le complexe d’Œdipe, qui embrasse les rapports
de l’enfant à ses parents, est l’un d’eux ; il en est, de fait, l’exemple le mieux connu » (op. cit., p. 418).
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dire, mais il ne trouvera jamais rien d’autre que ce qu’il sait déjà par héritage.
Trouver l’objet, là encore, c’est toujours le retrouver. Cette perspective amoin-
drit la portée de l’autre origine du savoir, on pourrait même dire qu’elle la rend
inutile. Freud l’explicite en ces termes :
« Si l’on considère le comportement de l’enfant de 4 ans en face de la scène primitive
réactivée, si même l’on pense aux réactions bien plus simples de l’enfant de 1 an et demi
lorsqu’il vécut cette scène, on ne peut qu’avec peine écarter l’idée qu’une sorte de savoir
difficile à définir, quelque chose comme une prescience agit dans ces cas chez l’enfant.
Nous ne pouvons absolument pas nous figurer en quoi peut consister un tel “savoir”, nous
ne disposons à cet effet que d’une seule mais excellente analogie : le savoir instinctif – si
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étendu – des animaux. Si l’homme possède lui aussi un patrimoine instinctif de cet ordre,
il n’y a pas lieu de s’étonner de ce que ce patrimoine se rapporte tout particulièrement aux
processus de la vie sexuelle, bien que ne devant nullement se borner à eux. Ce patrimoine
instinctif constituerait le noyau de l’inconscient, une sorte d’activité mentale primitive,
destinée à être plus tard détrônée et recouverte par la raison humaine quand la raison aura
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1. On ne s’étonnera pas que ce cas ait donné lieu, du fait aussi de son prolongement au-delà de
l’analyse avec Freud, à des réinterprétations, la plus radicale étant celle de N. Abraham et M. Torok
(1976) dans Le Verbier de l’Homme aux loups, Paris, Aubier.
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J’en viens maintenant à l’image résurgente chez l’adulte, si l’on en croit le suc-
cès de la « littérature du crime », du fantasme de meurtre allié à la scène primitive
au point de s’y confondre. Il correspond à ce vécu énigmatique observé et pourtant
co-ressenti par l’enfant de ce quelque chose qui peut mettre les adultes hors d’eux-
mêmes, qu’il s’agisse d’une scène érotique ou d’une dispute violente tout aussi
érotisée d’ailleurs par les protagonistes eux-mêmes. Il faut donner tout son déve-
loppement à l’idée freudienne que l’enfant perçoit et interprète les relations sexuel-
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les adultes comme acte de violence visant à soumettre l’autre (Freud, 1908 c, p. 23)
et envisager aussi qu’il puisse y voir un acte pouvant entraîner la mort de l’autre. À
ce titre, on peut considérer que le fantasme de scène primitive, loin de se limiter à
une confrontation physiquement agie, se verrait assimiler à une scène de meurtre.
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ordinaire document sur le sexe et la mort, tels qu’ils peuvent être vécus et fan-
tasmés par une petite fille qui était persuadée qu’elle deviendrait écrivain quand
elle n’écrirait plus seulement ce que, comme Hans, elle nomme ses bêtises.
Chez Agatha Christie, le fantasme de la scène primitive meurtrière n’est
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pas donné tel quel : il est à reconstruire à partir de la trame romanesque et plus
encore, à partir du succès extraordinaire qu’ont eu ces histoires1 dont la lecture
permet de retrouver les émois d’enfance vis-à-vis des énigmes qui nous ont
fait rêver et théoriser. De cette hypothèse, Agatha Christie offre une illustration
romanesque adulte et pose la question de l’origine de l’étrange plaisir si large-
ment partagé qui sous-tend l’énigme policière et s’exprime dans la question si
banale qu’elle est devenue l’énoncé d’un genre littéraire, le « whodunit » (« qui
l’a fait ? »).
Trois intrigues policières de l’auteur peuvent à des titres différents étayer
l’hypothèse du fantasme de scène primitive comme meurtre.
Dans l’une, La Fête du potiron, l’enfant témoin d’un meurtre bavarde et
devient à son tour victime ; dans une autre, La Dernière Énigme, c’est une
adulte qui retrouve sous une forme fragmentaire et quasi hallucinatoire le sou-
venir d’une scène semblable dont elle aurait été témoin dans sa petite enfance ;
dans la dernière, Le Train de 16 h 50, le témoin est adulte mais ce qui justifie
qu’on évoque le fantasme de scène primitive à propos de ce qu’elle décrit est
la structure de la scène elle-même. Les deux premiers romans sont approxima-
tivement contemporains et figurent parmi les dernières œuvres d’Agatha Christie.
Ils mettent en scène, directement ou indirectement par le souvenir, une petite
fille rêveuse et solitaire dans laquelle on reconnaît aisément Agatha elle-même,
comme si le fantôme de son enfance et la violence des fantasmes qui l’ont peu-
plée venaient à nouveau, dans son grand âge, refaire surface et se métamorphoser
en création littéraire.
1. Je me réfère bien sûr à toute la littérature d’énigme et plus particulièrement aux « reines du
crime » anglo-saxonnes. Voir S. de Mijolla-Mellor, Meurtre familier, Paris, Dunod, 1995 et Un Divan
pour Agatha Christie, Bordeaux, L’Esprit du temps, 2006.
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croise très rapidement le sien. Ce dernier ralentit puis s’arrête et repart tan-
dis qu’un deuxième train le dépasse mais plus lentement que le précédent.
C’est alors qu’un troisième train se rapproche du sien et semble dangereu-
sement dévier vers lui. Puis les deux trains roulent parallèlement l’un dépas-
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des luttes sexuelles, vont rarement jusqu’au meurtre.
En revanche, lorsque l’enfant lie à ces scènes la possibilité de faire un
enfant, l’absence de ce dernier est un problème. Dans un premier état de l’inves-
tigation sexuelle, l’enfant identifie les rapports sexuels, le fait de procréer et
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le fait d’être marié, ce qui le laisse perplexe lorsque les bébés prévus tardent
à venir. C’est de même l’absence de cadavre qui fera conclure à la police que
Mrs Gillicudy a été le jouet d’une illusion en croyant apercevoir un homme
étranglant une femme. C’est donc en partant de la reconstruction de la seule
manière possible de se débarrasser du corps avant l’arrêt du train que Miss
Marple va parvenir à remonter jusqu’à l’identification de l’assassin. Mais le
corps va finalement être découvert grâce à l’intérêt que deux enfants portent à
fouiner dans les lieux abandonnés qui les mène à conduire l’investigatrice dans
une vieille bâtisse où, comme dans le rêve de Freud, il est « coffré » à l’inté-
rieur d’un sarcophage, trahi seulement par son odeur nauséabonde. Partant de
la constatation « tous les hommes vus de dos se ressemblent », Miss Marple
monte un scénario où elle prétend avoir avalé une arête et, alors qu’elle est ren-
versée sur sa chaise tandis que le docteur lui tient le cou, Mrs Mac Gillicudy
entre dans la pièce et pousse un cri : « C’est lui !… L’homme du train ! »
(p. 163). Se dégageant alors rapidement, Miss Marple accuse : « Ses yeux ont
vu ! » La scène est un bluff destiné à amener le coupable à confirmer sa culpa-
bilité ce qu’il ne manque pas de faire dans la rage.
La carpe de la vérité, comme dans la construction analytique, a été attrapée
grâce à l’appât du mensonge. La scène primitive demeure ce qu’elle est : un fan-
tasme insaisissable, l’image d’un dos anonyme qui peut être celui de n’importe
quel homme et pourquoi pas de celui que l’on aurait le moins soupçonné. C’est en
s’offrant comme victime à son tour dans une simulation de la scène que l’enfant
investigateur, dont Miss Marple occupe ici la place, en construit le sens, celui d’une
scène où un homme tue sa femme. L’image pourrait être celle du baiser d’un cou-
ple amoureux brièvement entretenu au passage d’un train mais elle ne nous touche
que grâce à l’histoire de meurtre qui se superpose et nous ramène obscurément aux
émois devant l’inconnu que le fantasme de scène primitive suscite.
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de la manière dont il a pu combattre ce risque d’une résurgence de l’étrange lié
à l’incomplétude de la forme. Il recommande comme « utile pour stimuler l’esprit
à diverses inventions » de s’efforcer, lorsque l’on regarde un mur maculé de
taches ou composé de pierres de nature variée, de ramener à des formes nettes
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1. J. Lacan (1973), Du regard comme objet a, Séminaire XI, Paris, Seuil.
2. Lorsque Léonard compare l’aveugle à un « homme enterré vivant dans une tombe où il pour-
rait se mouvoir et survivre », il affirme une équivalence entre vivre et voir qu’Eissler interprète comme
une obligation pour Léonard de se garder de l’effet traumatique d’un afflux de stimuli par une vigilance
constamment soutenue et un hyperinvestissement de la vue (K. Eissler, 1980).
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une forme par laquelle le jugement assurerait son emprise. Qu’il s’agisse de
sa propre image aperçue par hasard ou d’un personnage (Coppola, Coppélius,
l’Homme au sable) qui est le même à travers divers déguisements ou s’avère
vivant lorsqu’on le croyait mort, on est toujours renvoyé à l’aveuglement vis-à-
vis d’une chose sue et méconnue qui revient de l’extérieur. En ce sens, la vision
et la clairvoyance assurent une protection privilégiée contre ce type de menace.
Si le sujet, regardé de partout par un monde omnivoyeur, ne voit lui-même qu’à
partir d’un point, c’est bien à un déséquilibre de ce type et à ce qu’il peut repré-
senter de menace que vient s’opposer ce passage bien connu des « Carnets »
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où Léonard parle de l’œil : « Qui pourrait croire qu’un espace si petit pourrait
contenir des images de tout l’univers ? Ici les silhouettes, ici les couleurs, ici
toutes les images de l’univers sont réduites à un point. Là sont les miracles qu’il
puisse recréer et reconstituer par son grossissement des forces déjà perdues,
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mélangées entre elles dans un si petit espace » (Mac Curdy, p. 238, ca, 345).
Voir est pour Léonard en relation directe avec savoir dans la mesure où,
comme on l’a souvent fait remarquer, la science pour lui repose avant tout sur
l’observation exacte, mais demeure limitée à la capacité de représenter visuel-
lement un problème, cette représentation devenant l’équivalent d’une preuve
scientifique. Si la nécessité de retraduire le perçu peut être commune aux artis-
tes et aux créateurs en général, il est frappant de constater que Léonard n’avait
confiance qu’en la vue pour ce faire, allant jusqu’à conseiller aux anatomistes
de ne pas s’encombrer de mots sauf s’ils s’adressaient à un aveugle. La représenta-
tion visuelle constituait pour lui non seulement le moyen de s’assurer une connais-
sance vraie des choses, mais aussi celui de la communiquer. Représentation qui
pouvait s’avérer tout à fait différente dans le cas des diagrammes et des esquisses
de celle de la représentation picturale proprement dite.
Réciproquement, cette capacité de la vue d’assurer une emprise sur l’objet
donne à la cécité la valeur d’une castration. Comme il l’écrit : « Puisque l’œil
est la fenêtre de l’âme, cette dernière est toujours dans la crainte d’en être pri-
vée. » Freud a souligné l’équivalence symbolique entre les yeux et les organes
génitaux et d’autres, comme Ferenczi1, ont insisté sur la même idée à partir
de la notion de vulnérabilité et du fait que la place des yeux dans le visage
permet de les assimiler par transposition aux testicules2.
1. S. Ferenczi (1970), Le symbolisme des yeux, Psychanalyse, II, Paris, Payot.
2. K. Eissler fait justement remarquer que pour Léonard la vue assure aussi bien l’emprise sur
le monde que la maîtrise de l’excitation : « Il est nécessaire de supposer que des contenus inconscients
peuvent être tenus à l’écart de la conscience sans que le mécanisme du refoulement soit pleinement
développé, essentiellement en concentrant toute l’énergie disponible sur des contenus externes. Cet hype-
rinvestissement de la réalité externe peut empêcher l’intrusion de contenus qui ont composé le refoulé »
(K. Eissler, 1980).
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pulsion sexuelle en général. Une telle liaison existe toujours à moindre degré
puisque, comme nous l’avons vu, le premier objet de l’investigation est tou-
jours sexuel, mais le fait particulier et déterminant ici est le renversement qui
s’effectue entre une tendance dominante qui est au service de la sexualité ou,
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d’un spectacle tel qu’un œil omnivoyant pourrait le percevoir. L’objet théori-
que n’était donc pas pour Léonard, au-delà de l’image mais c’était celle-ci qui,
par sa capacité d’inclure dans un même champ une multiplicité de points de
vue, s’élevait elle-même au niveau d’un objet théorique, c’est-à-dire construit.
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Conclusion
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formes, le premier acte de la démarche de l’enfant consiste d’abord à passer du
désarroi à la constitution d’une énigme. Celle-ci pourrait se résumer au savoir,
au sens de la « sensation intellectuelle », qu’il y a quelque chose de capital, de
vital, qu’on ne sait pas, qu’il serait jouissif de savoir, même si cela peut être
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1. S. de Mijolla-Mellor (2002), Le Besoin de savoir – Théories et mythes magico-sexuels dans
l’enfance, op. cit.