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Cette distinction est aujourd’hui fortement remise en cause parce qu’il ne peut y avoir
apprentissage sans acquisition, même minimale, et que les deux ont donc partie liée. Elle est
également remise en cause parce que l’acquisition dite en « milieu naturel » est également une
forme d’apprentissage et que, s’il n’y a pas de cadre institutionnel, ni la volonté délibérée ni les
stratégies ne manquent, même s’il s’agirait plutôt de tactiques en l’occurrence. Nous parlerons ici
d’apprentissage en milieu social. En effet, milieu « naturel » signifie en réalité milieu social dans
la mesure où la distinction oppose les situations pédagogiques implicitement considérées comme
actes naturelles, sinon artificielles, aux situations de la vie courante, considérées comme
« naturelles ». Or, affirmer la « naturalité » de faits sociaux est un contre sens. En parlant de
milieu social plutôt que de milieu naturel, nous avons bien conscience de maintenir implicitement
l’idée que la situation pédagogique n’est pas une situation sociale mais je choisis de prendre ce
risque parce que cette notion de naturalité apparaît plus pernicieuse.
Dans le cas de « l’immersion » linguistique telle que la connaissent les migrants, le simple
fait d’être « plongé » dans le « bain » linguistique ne suffit pas à développer des compétences par
une sorte d’effet de capillarité. L’usage d’expressions métaphoriques comme le bain linguistique
La place centrale prise par l’analyse des interactions verbales a logiquement conduit à
reconsidérer les modes d’apprentissage des langues en milieu social. En effet, puisque
l’interaction est bien la réalité fondamentale de la langue, il s’agissait de s’interroger sur le rôle
des interactions dans le processus d’apprentissage. Ce sont les travaux pionniers sur les
interactions exo langues puis toutes les recherches qui portent directement sur la question de
l’apprentissage d’une langue par les interactions fait le bilan des 25 dernières années de
recherches dans ce domaine qui démontrent bien que les interactions verbales représentent le
mode dominant de l’apprentissage des langues en milieu social. Matthey rappelle le rôle
déterminant du contexte social, puisque les interactions sont d’abord des pratiques sociales, mais
ce qui se confirme également dans toutes ces recherches, c’est qu’elles ont plutôt abordé
l’interaction en tant que telle, pensée comme pratique sociale certes, mais sans analyser de façon
approfondie l’impact de l’environnement social sur l’interaction. Ces travaux ont été menés par
des linguistes qui n’ont sans doute pas souhaité s’aventurer sur un terrain plus sociologique.
Cependant, que ce soit d’un point de vue théorique ou d’un point de vue empirique,
l’interaction n’est ni au principe de la construction des rapports sociaux, ni la seule et unique
source des productions langagières.
« Faute d’aller au-delà des actions et des interactions prises dans leur immédiateté directement
visible, la vision “interactionniste’’ ne peut découvrir que la stratégie linguistique des différents
agents dépendant étroitement de la distribution du capital linguistique dont on sait que, par
l’intermédiaire de la structure des chances d’accès au système scolaire, elle dépend de la structure
des rapports de classe. Et du même coup, elle ne peut qu’ignorer les mécanismes profonds qui, au
travers des changements de surface, tendent à assurer la reproduction de la structure des écarts
distinctifs et la conservation de la rente de situation associée à la possession d’une compétence
rare, donc distinctive. »
Les interactions verbales s’inscrivent dans le cadre de rapports sociaux préexistants, mais
ils ne les reproduisent pas toujours de façon mécanique. Si le statut social des inter actants est
bien un facteur objectif surdéterminant dans chaque interaction, la place interactionnelle qu’ils
occupent lors des échanges est « négociable » en ce sens que les statuts ne figent pas
définitivement les rapports dans les interactions. Ceci étant, les rapports de place évoluent
d’abord dans le cadre des rapports sociaux établis hors de l’interaction. Ainsi, dans le cadre d’une
Les contextes découvrent quatre voies socio langagières d’insertion sociale sur lesquelles
nous allons revenir en les détaillant et en examinant de plus près, dans chacune de ces voies, les
situations de communication auxquelles sont confrontés les migrants. À partir de la description
de ces situations, nous analyserons en quoi les aspects sociolinguistiques de ces situations sont
importants et en quoi ils influencent sur le processus d’acquisition.
LE TRAVAIL
Le travail est une voie majeure d’acquisition de la langue dans la mesure où il occupe un
temps et un espace social très importants pour les personnes qui en possèdent un. Cette remarque
vaut pour les structures professionnelles où la langue dominante du pays d’accueil est utilisée et
exclut celles où ce n’est pas le cas. Ces dernières situations sont minoritaires mais elles existent :
il s’agit d’entreprises artisanales, par exemple, gérées par des migrants qui emploient
majoritairement ou exclusivement de la main d’œuvre constituée par des locuteurs parlant la
même langue que les dirigeants. C’est le cas de certaines petites entreprises du bâtiment gérées
par des turcs ou des portugais qui utilisent, sauf avec les clients et les partenaires extérieurs bien
sûr, leurs langues premières dans la vie quotidienne de l’entreprise. C’est également le cas de
certaines équipes de « plongeurs » dans le domaine de l’hôtellerie recrutées sur des bases
linguistiques et dont le responsable est bilingue et fait le lien avec les dirigeants. Pour les autres
structures où la langue dominante du pays d’accueil est la langue de travail, le contact permanent
avec des natifs favorise l’acquisition de la langue dans les multiples situations de la vie
professionnelle. Le travail, tant du point de vue économique bien sûr que social et linguistique,
est un puissant facteur d’insertion et d’intégration. Ceci se confirme et se renforce quand on sait
que la part langagière du travail s’accroît régulièrement et que cela concerne également les postes
de travail les moins qualifiés, ceux qu’occupent souvent les migrants. Cet accroissement est le
produit d’une évolution managériale, économique et sociale. En effet, le modèle taylorien à bout
de souffle laisse place progressivement à un modèle de production qui, s’il continue à maintenir
une pression pour davantage de productivité, évolue vers des formes d’organisation du travail
Les pratiques langagières au travail sont donc toujours plus nombreuses, plus riches et
touchent à tous les domaines de l’activité dans l’entreprise. Les migrants salariés sont concernés
au même titre que tous les autres : cet accroissement de la part langagière du travail peut
représenter pour eux une source de difficultés, mais il constitue en même temps une voie majeure
d’acquisition de la langue.
Les relations transactionnelles sont des relations de service où les inter actants agissent
dans des rôles spécialisés. Il s’agit de toutes les interactions de service de type commercial,
comme les échanges entre un client et un vendeur ou un artisan, mais également les échanges
entre des usagers et des fonctionnaires ou des personnes qui assurent un service public
quelconque, y compris dans le domaine de l’insertion et le domaine associatif professionnalisé.
Les migrants peuvent posséder les deux rôles, celui qui bénéficie du service ou celui qui le rend
mais, dans ce dernier cas, il s’agira pour lui d’une situation de travail. On peut également ranger
Les migrants sont en permanence confrontés à ce genre de situations parce qu’ils vivent la
même réalité sociale que les natifs. Ils ont parfois recours à certains commerces alimentaires
notamment, tenus par d’autres migrants de même origine linguistique, mais cela ne change pas
radicalement la donne puisque ces transactions ne représentent qu’une part marginale des
relations de service qu’ils entretiennent au quotidien. La multiplication des interactions de
services représente une voie majeure d’insertion langagière, avec toutes les difficultés et les aléas
communicationnels que cela suppose. Cette forme d’apprentissage empirique est en effet source
de malentendus, voire d’humiliations, qui dépassent le cadre purement langagier de
l’apprentissage.
Les relations interpersonnelles sont constituées par les échanges entre des personnes qui
n’interviennent pas à titre spécialisé : ce sont les interactions familiales, amicales, « aléatoires »
et les interactions de routine. Les interactions qui nous intéressent ici sont exo lingues : ce sont
celles qui ont lieu en français entre les migrants et d’autres personnes, qu’elles soient natives ou
non. Les migrants, bien sûr, sont engagés dans des interactions qui ne se déroulent pas en
français, notamment dans le cadre amical ou familial, mais elles ne contribuent pas, par
définition, à l’acquisition de la langue dominante, sauf peut-être dans les cas où l’alternance
codique entre le français et une autre langue est très importante durant l’interaction.
Les interactions dans les familles d’abord sont intéressantes dans la mesure où elles font
intervenir des facteurs liés au bilinguisme familial. Cette situation a été analysée de façon fine par
Leconte (2000) chez les familles africaines par exemple. Les parents privilégient plutôt l’usage
de leur langue d’origine entre eux et avec leurs enfants tandis que ces derniers utilisent plutôt la
langue du pays d’accueil avec leurs parents et surtout dans la fratrie. Les stratégies familiales
peuvent être différentes selon le projet migratoire (volonté d’installation durable ou objectif
affirmé du retour) ou selon les origines nationales : certains parents font le choix de l’utilisation
exclusive du français dans les échanges familiaux pour accélérer l’intégration tandis que d’autres
font le choix inverse avec l’objectif de maintenir et de transmettre la langue d’origine. Ce sont
notamment des faits analysés par qui met en lumière les différences par exemple entre les turcs
Les interactions amicales entre natifs et non natifs s’inscrivent dans une logique plus
générale d’intégration sociale. Les contacts sont limités, mais on ne saurait l’expliquer par des
catégories d’analyse qui relèvent davantage du débat public et de postures idéologiques que d’une
véritable analyse sociologique. Ainsi, les contacts seraient gênés, soit par un racisme latent de la
part des natifs, soit par un repli communautaire des migrants. Ces deux explications ne sont sans
doute pas à exclure d’un revers de main mais elles doivent être étayées de façon rigoureusement
objective. La difficulté des contacts entre natifs et non natifs tient d’abord à une question
« technique », celle qui nous intéresse justement ici : la langue. Le problème est que si la langue
est un obstacle à la communication entre natifs et non natifs et ne favorise pas la densité des
contacts amicaux, la faiblesse de ces contacts est un obstacle à l’acquisition de la langue. En
effet, une enquête italienne menée par le Cenis montre que les migrants qui sont le plus à l’aise
en italien sont ceux qui ont le réseau amical le plus dense avec des natifs. Le réseau amical
favorise, à la différence du réseau professionnel, des échanges langagiers moins spécialisés et
donc plus à même de favoriser l’acquisition de compétences langagières élargies. Les relations
amicales favorisent en outre des échanges plus longs et plus denses ce qui renforce encore la
possibilité d’élargir les répertoires et les compétences des migrants au contact des natifs. Enfin,
les échanges amicaux permettent sans doute plus que d’autres au non natif d’intervenir sur le
cours du discours de son interlocuteur pour lui demander une explication, lui demander de répéter
ou lui signifier explicitement son incompréhension. Ce type de conduite de Co-construction du
sens est plus difficile dans des rapports plus formels et/ou inscrits dans l’immédiateté de l’action.
Le potentiel acquisitionnel des interactions peut ainsi être utilisé à plein dans les relations
amicales.
Les relations aléatoires sont ces échanges courts, au hasard des rencontres, qui n’ont lieu
qu’une fois avec un interlocuteur : demander son chemin, échanger quelques mots dans une file
d’attente, etc. Ces échanges, par leur brièveté, ont a priori un faible potentiel acquisitionnel mais
Les relations interpersonnelles, ce sont également des rencontres assez brèves mais
régulières avec des personnes sans que cela ne débouche sur des relations amicales. Ce sont des
échanges de routines qui, au-delà des informations qu’ils permettent de véhiculer, ont plutôt pour
fonction d’entretenir un lien social et de se soumettre à des rituels sociolinguistiques. Ce sont les
traditionnelles micro-conversations sur le temps qu’il fait et sur celui qui passe. Ces rituels
interactionnels sont néanmoins importants dans la mesure justement où ils contribuent à créer du
lien social et à banaliser des relations interpersonnelles. Ce sont des signes importants
d’intégration symbolique qui passent par l’élargissement du répertoire paralinguistique.
En milieu social, les migrants sont régulièrement amenés à lire ou à entendre des
messages de toutes sortes qui n’attendent pas de réponses. Il s’agit de la presse, écrite et orale,
mais également des boîtes vocales, des annonces dans les lieux publics, de la signalisation écrite,
de l’affichage urbain, etc. Toutes ces formes de communication verbale ne fonctionnent pas selon
le principe des échanges directs, sauf par le biais du courrier des lecteurs ou des téléspectateurs
par exemple, mais il ne s’agit que très rarement d’un échange puisque les journalistes, en retour,
ne répondent pas, ou pas directement, quand ils sont concernés. Dans le cas de l’acculturation
linguistique des migrants, ces formes de pratiques langagières sont très importantes, parce qu’ils
sont en situation d’immersion. Ils sont donc non seulement confrontés en permanence à ces
formes de communication mais ils en dépendent également très largement : il ne s’agit pas pour
eux d’exercices en salle de classe mais d’informations qu’ils doivent traiter de façon efficace
parce que cela conditionne leur vie réelle. Ces altercations langagières sont omniprésentes et
multiformes et participent à l’élargissement des répertoires langagiers des migrants. Mais, si l’on
peut faire l’hypothèse que ces formes d’altercations langagières jouent un rôle dans le processus
d’acculturation linguistique des migrants, on ne sait dire aujourd’hui dans quelle mesure et on ne
connaît pas non plus le niveau de leur influence par rapport aux contacts directs dans les
interactions verbales.
L’examen, rapide, de ces voies socio langagières d’acquisition permet d’ores et déjà de
dépasser le cadre de l’inter langue en construction et même du rôle de l’interaction verbale
réduite à elle-même. Ce n’est en effet pas seulement l’interaction verbale en tant que telle qui
représente le niveau d’analyse le plus adéquat pour comprendre le processus d’acquisition d’une
langue étrangère en milieu social, mais également les conditions matérielles et sociales dans
lesquelles elles se déroulent. L’interaction n’est pas une structure autonome dissociée du faire
social, mais le produit de déterminants sociaux qui impriment profondément leurs marques sur la
forme, le contenu et le déroulement de l’interaction. L’analyse des interactions verbales et de leur
rôle dans l’acquisition d’une langue seconde doit donc être mise en relation avec la situation
sociale dans laquelle a lieu l’interaction. Dans le cadre de l’analyse de cette situation sociale,
plusieurs éléments sont à prendre en compte tout particulièrement.
Les interlocuteurs sont d’abord des êtres sociaux et occupent donc à ce titre des positions
particulières qui ne s’effacent pas dans les interactions. La relation interlocutive est une relation
sociale non au sens où elle met en rapport deux individus mais deux personnes qui, au-delà de
l’interaction, sont insérées dans des rapports sociaux préexistants. Ainsi, le fait de parler avec un
collègue de travail, un cadre ou le patron change les données : le potentiel acquisitionnel de
l’interaction sera différent selon que le locuteur non natif pourra ou non faire répéter s’il n’a pas
compris, demander des précisions, etc. Or cette possibilité dépend directement des positions
sociales des interlocuteurs et surtout de celle du non natif qui se trouve dans une double position
de subordination, sociale et langagière. De même, lors d’échanges transactionnels, la position
sociale et langagière inconfortable des non natifs laisse peu de place à la possibilité d’un échange
plus approfondi avec les interlocuteurs. Ceci ne signifie pas que les locuteurs natifs refuseraient a
priori ces échanges : ce sont plutôt les locuteurs non natifs qui incorporent cette position de
subordination sans oser remettre en cause, d’une façon ou d’une autre, « l’ordre établi » au-delà
de l’interaction. C’est précisément pour cette raison que les relations amicales sont
potentiellement plus riches de ce point de vue.
Les interactions verbales sont situées dans un temps et un espace social mais elles le sont
également dans un contexte matériel qui influe sur leurs contenus et leurs formes. Selon qu’elles
se déroulent dans l’ambiance feutrée d’un colloque, dans une usine sidérurgique, de part et
d’autre de la vitre d’un guichet à la Poste ou au cours d’un repas entre amis, les conditions
matérielles de production et de réception du message ne sont pas les mêmes : bruits environnants,
contraintes de la situation de communication exigeant des échanges brefs, plus ou moins grande
proximité physique des interlocuteurs, etc. La participation régulière des apprenants en milieu
social à des formes d’interactions contraintes par certaines conditions matérielles a
nécessairement une influence sur le mode d’acquisition et sur l’inter langue en construction. Par
exemple, la langue apprise sur les chantiers au quotidien, contrainte par le bruit, les échanges
brefs, les distances, ne ressemble pas à celle que peut acquérir un étudiant étranger en France qui
La question, là encore, est de savoir à quels types d’échanges et selon quelle fréquence les
apprenants en milieu social sont le plus régulièrement confrontés. Les échanges s’inscrivent
également dans un contexte matériel immédiat auxquels ils sont ancrés de façon différente : en
milieu professionnel par exemple, les références linguistiques au contexte immédiat sont
déterminantes lors des échanges et donnent leur sens aux énoncés produits en situation. Les
interlocuteurs s’appuient sur le contexte matériel direct de l’interaction et leurs échanges ne sont
intelligibles que par eux-mêmes, dans une situation de communication particulière.
Une fois évoqués les déterminants sociaux dont l’influence sur la construction de l’inter
langue sont présentés comme une hypothèse, il s’agit d’en mesurer empiriquement le poids. Or,
de ce point de vue, les travaux se limitent au rôle de l’interaction sans prendre en compte les
contextes socio langagiers. C’est le constat que font également d’autres auteurs il y a plus d’une
décennie sans que la situation ait évolué notablement depuis. En posant, comme première
hypothèse, que l’économie interne de l’interaction subit l’influence du contexte social dans lequel
elle se déroule et, comme seconde hypothèse, que l’acquisition d’une langue étrangère en milieu
social s’effectue d’abord par le biais des interactions verbales, il est donc logique de conclure que
l’analyse des situations sociales particulières des interactions verbales devrait apporter des
éléments pour comprendre le processus d’acquisition, mais également celui de la construction de
l’inter langue.
Mais les travaux de recherche qui pourraient être menés risquent de se heurter à plusieurs
problèmes pratiques et méthodologiques. En effet, l’analyse des interactions verbales des
apprenants en milieu social peut être menée de plusieurs manières : soit par l’observation directe,
soit par le biais de questionnaires ou d’entretiens. L’observation directe nécessite une approche
de type ethnographique et une enquête de longue durée sur le terrain pour suivre les faits et gestes
des apprenants. Outre le fait que cette forme d’enquête est évidemment très contraignante et
nécessite un engagement à temps plein, elle entraîne des inconvénients pour les enquêtés, dont
peu sans doute seraient disposés à accepter la présence permanente d’un chercheur à leurs côtés.
L’enquête basée sur des questionnaires ou des entretiens possède l’inconvénient de devoir
Un des traits caractéristiques de la formation des adultes migrants est la grande hétérogénéité
des publics. Si, nous avons dit, une part importante des apprenants est faiblement scolarisée dans
son pays d’origine, cela ne constitue pas un facteur homogénéisant pour autant. Les intervenants
en formation linguistique sont contraints d’appliquer la règle empirique du plus petit
dénominateur commun en termes d’objectif, de progression ou d’activités. Cette règle non dite
qui vise à satisfaire les besoins du plus grand nombre d’apprenants, ne satisfait en réalité
personne : les uns peinent pour ne pas décrocher, tandis que les autres s’ennuient.
Les dispositifs pédagogiques qui pourraient remédier au problème de l’hétérogénéité, par une
démarche modulaire par exemple, sont difficiles à mettre en œuvre pour différentes raisons. La
première tient au coût occasionné par ce type de formation qui impliquerait davantage de
formateurs alors que le groupe hétérogène est animé par un unique intervenant. Or, quand on
connait les « tarifs » concédés par les financeurs, les organismes de formation sont en général très
prudents concernant ce genre d’innovations pédagogiques. La deuxième raison tient aux
pratiques des formateurs qui parfois préfèrent la sécurité d’une démarche traditionnelle et la
permanence du groupe, fût-il hétérogène, à une démarche modulaire, plus complexe à concevoir
et à mettre en œuvre. La troisième raison, enfin, tient souvent à l’organisation pratique des
organismes de formation et des groupes qui ne se trouvent pas forcément sur les mêmes sites
d’intervention, ce qui ne facilite pas la transversalité et la souplesse des modules. Faute de
pouvoir « panacher » les groupes, ceux-ci restent donc tels quels, constitués en fonction des
actions de formation qui se mettent en place au fil des financements et des réponses aux appels
Les migrants adultes ont emprunté des parcours qui ne suivent pas la ligne toute tracée de
la scolarisation menant à la vie professionnelle. Au-delà du fait migratoire lui-même, qui
représente en soi une rupture, il existe toute une série d’événements biographiques qui
singularisent les parcours individuels. L’origine géographique et/ou « culturelle », si tant est que
ce terme puisse encore avoir un sens n’est qu’un des nombreux éléments qui marquent leurs
parcours. Lorsqu’ils se retrouvent en formation linguistique, leur « niveau » de langue en français
est le produit de leur parcours socio langagier. L’hétérogénéité ne peut donc pas être mesurée à
l’aune de compétences linguistiques calibrées par des référentiels, mais en analysant l’ensemble
des données biographiques des apprenants, dans la mesure bien sûr où elles sont accessibles et où
cela n’enfreint pas les principes de respect de la vie privée des individus. Les facteurs
biographiques qui causent cette hétérogénéité dans les groupes d’apprenants sont de divers ordres
et je propose cette liste, sans doute incomplète.
Les migrants sont originaires de pays où existent une ou plusieurs langues officielles mais
où peuvent coexister également des langues « nationales », plus ou moins reconnues par les
autorités politiques, ainsi que, parfois, des dizaines d’autres langues « périphériques » comme les
appelle Calvet (2002). Les migrants originaires d’Afrique, du Nord ou Subsaharienne, ont ainsi
vécu, avant leur arrivée en Europe, une situation de plurilinguisme de contact. Certains pratiquent
plusieurs langues avant d’apprendre la langue du pays d’accueil. Certains africains par exemple
peuvent ainsi être locuteurs natifs d’une langue périphérique, mais comprendre et/ou parler une
langue centrale locale et le français. Le degré de maîtrise de ces langues est variable, sauf pour la
langue première, mais le plurilinguisme individuel est bien réel. La place du français dans les
pays d’origine, et les rapports que les migrants entretiennent avec cette langue, sont extrêmement
variables d’un pays l’autre. Les nations d’Afrique subsaharienne issues de la colonisation
française ont choisi le français comme langue officielle, bien que cette langue ne soit parlée que
par une minorité de personnes. Au Maghreb, le français n’a pas de statut officiel mais il est
présent partout, comme une sorte de langue « officieuse ». D’autres pays d’origine des migrants
en revanche n’ont qu’un lien historique avec la France comme le Vietnam ou le Cambodge mais
le français y est très peu présent. D’autres enfin n’ont pas de rapports spécifiques avec le français,
comme la Turquie ou la Chine. Dans chacun de ces cas, et notamment les deux premiers en
Afrique, les situations sociolinguistiques et individuelles par rapport au français dans les pays
d’origine font naître beaucoup de cas particuliers.
XVIII- LA SCOLARISATION
C’est un facteur essentiel dont j’ai par ailleurs démontré l’importance. Si le niveau de
scolarisation s’est élevé depuis quelques années, la majorité des migrants possède un niveau
faible ou moyen de scolarisation, ce qui correspond à l’école primaire ou au collège en France.
Quel que soit le niveau de scolarisation atteint, ce qui compte pour notre propos c’est la grande
diversité des parcours scolaires dont le « niveau » là encore ne dit pas tout : en effet, le niveau
atteint dans les pays d’origine, autant qu’il est d’ailleurs possible de le comparer avec celui du
pays d’accueil, ne dit pas grand-chose de la qualité de cette scolarisation, si l’on pense par
exemple aux conditions précaires dans lesquelles elle a lieu dans certains pays émergents.
Le niveau de scolarisation et l’origine sociale ont souvent partie liée, même si ces deux
aspects ne se recoupent pas complètement. Les apprenants les moins scolarisés sont également
ceux qui appartiennent aux catégories populaires dans leurs pays d’origine. Cette question de
l’origine sociale ne se pose d’ailleurs que par rapport à la situation des apprenants dans leur pays
d’origine. En effet, la position qu’ils occupent dans le pays d’accueil est difficile à prendre en
compte puisque l’on constate des phénomènes de déclassement social suite à la migration : des
migrants occupant des positions sociales élevées dans leur pays d’origine sont contraints
d’accepter des emplois qui ne correspondent pas à leurs qualifications. Les origines sociales ont
un impact sur les systèmes de représentation du monde, sur les rapports au savoir et à
l’apprentissage ou sur le langage, entre autres. C’est la vaste question de la ou des « cultures »
populaires, analysées par les historiens, les ethnologues ou les sociologues dont les résultats
montrent les spécificités, quelles que soient les latitudes ou les époques, au regard des cultures
dominantes, du point de vue social, économique ou symbolique. À cet égard, il ne s’agit pas
d’interpréter ces rapports spécifiques, au langage ou à l’apprentissage en particulier, comme le
fait de particularités quasiment génétiques, mais par le fait que « Le » populaire, pour reprendre
l’article défini utilisé, est d’abord et surtout une réalité économique et sociale : « Le » populaire
est d’abord défini par des positions sociologiques objectives (ouvrier, employé, paysan, artisan,
etc..). Sa vision du monde, ses représentations, ses constructions symboliques prennent souche
Concernant les primo-arrivants, le parcours est limité puisqu’il s’agit de moins de deux
ans de présence en France, bien que les deux premières années suffisent parfois à certains
migrants pour acquérir des compétences leur permettant d’interagir de façon efficace. Pour les
autres, le temps de présence dans le pays d’accueil joue un rôle essentiel mais il n’est pas
toujours décisif : si, je viens de le dire, certains migrants deviennent des locuteurs efficaces en
quelques mois, d’autres en revanche éprouvent des difficultés majeures de communication après
plusieurs années. De nombreux facteurs, que je ne peux qu’évoquer ici, jouent un rôle dans cette
situation et ils renvoient aux voies socio langagières de l’acquisition en milieu social : les
rapports plus ou moins denses avec les natifs, les contacts professionnels, l’importance de
groupes de même origine linguistique, etc.
Ce sont des données qui sont difficilement classables et généralisables, mais qui peuvent
avoir une importance majeure pour certains migrants, comme par exemple la vie en commun
avec un natif. D’autres migrants en revanche entretiendront des liens constants avec leurs proches
restés au pays. Le projet migratoire joue à cet égard un rôle important : certains migrants font le
choix, au moins sur le principe, d’un séjour limité avec l’idée du retour ou, au contraire, d’autres
font le choix d’une installation définitive. Pour ces deux catégories de personnes, l’implication
dans l’apprentissage, en milieu social et/ou en formation, n’est pas le même : les premiers se
contenteront du minimum vital tandis que les autres s’investiront davantage.
Ces éléments d’analyse n’épuisent sans doute pas la question de l’hétérogénéité des
apprenants et des migrants de façon générale. Ceci démontre en tous cas que la catégorie générale
des migrants n’est qu’une illusion d’optique : au-delà de la définition administrative (un migrant
est une personne étrangère née à l’étranger, vivant en France avec l’intention de s’y installer
durablement), il est impossible de dresser un portrait type, tant les parcours sont différents. C’est
pourquoi la question de l’analyse de la biographie socio langagière et sociologique des personnes
est déterminante. Ceci ne signifie pas qu’une analyse globale soit impossible : il ne s’agit pas
d’une atomisation méthodologique mais d’une nouvelle approche intégrant la complexité des
situations individuelles, elles-mêmes étroitement dépendantes du contexte économique, social et
politique. Le langage, et sa réalité fondamentale qu’est l’interaction, possèdent d’abord, mais pas
exclusivement, une dimension sociale : les aspects sémiotiques ou cognitifs sont bien sûr très
importants, mais ils dépendent eux-mêmes du fait que les pratiques langagières sont avant tout
des pratiques sociales. Analyser et comprendre le parcours socio langagier des migrants, c’est-à-
dire le processus d’appropriation de la langue du pays d’accueil, c’est donc nécessairement
contextualiser ce parcours et ce processus. L’analyse multifactorielle de ce parcours
d’apprentissage, en étroite connexion avec les biographies sociales des migrants, peut permettre
d’éviter les dérives fixistes, substantialistes ou essentialistes de définition, ou plutôt d’hétéro-
désignation, des « cultures » des migrants, « du » plurilinguisme ou des « communautés ». Ces
étiquetages, intellectuellement confortables, figent la réalité d’un processus complexe qui tient
bien davantage du parcours concret d’individus concrets que de catégories symboliques
préconstruites et sur-pensées.
INTRODUCTION
CONCLUSION
Paix-Travail-Patrie Peace-Work-Fatherland
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FACULTE DES ARTS, LETTRES ET SCIENCES FACULTY OF ARTS LETTER AND SOCIAL
HUMAINES SCIENCES
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TRAVAIL DIRIGE
UE 233: SOCIOLINGUISTIQUE
THEME : le contact de
langues en migration
Présenté par :
Nom et prénom Matricule