You are on page 1of 23
LE SOMMEIL ET LES REVES SELON LES MEDECINS INDIENS ET LES PHYSIOLOGUES GRECS Les grands traités de médecine sanskrits contiennent des doc- {rines qui sont au premier rang de celles que nous a laissées l'An- liquité. Elles doivent étre considérées comme scientifiques dans la méme mesure que celles des meilleurs traités hippocratiques ou des écrits de Galien, voire douvrages heancoup plus modernes. Elles représentent, en effet, un effort cohérent, pour comprendre tationnellement les phénoménes vitaux normaux el pathologiques Les résultats sont, en général, tels qu’on pouvait les attendre les moyens, encore bien insuffisants, qu'on employait pour les atteindre. Mais effort accompli dans la recherche est digne du plus grand intérét. Son existence, son ampleur et sa continuité dans 'Tnde sont des caracteres majeurs de la civilisation de ce pays el des faits essentiels dans l'histoire générale de la science. Les traités en question datent des premiers sideles de l'ére chré- tienne avec des additions un peu plus récentes et un fonds commun Wenseignerents plus anciens, les grandes lignes des doctrines essentielles remontant’ méme jusqu’é la période védique, antérieu- rement & 600 avant J.-C. Ils expriment bien, en tout eas, les doc- trines recues dans I’ Inde aux premiers siteles de notre ére. Les prin- cipaux sont ceux dits de Sugruta et de Caraka*, d’aprés les noms de leurs « éditeurs » anciens. Bien qu’ils soient fort volumineux, en raison de Ta richesse de leur contenu qui embrasse toutes les branches dle la médecine théorique et. pratique et les sciences annexes, leurs exposés sont en général tres condensés. La concision est d’ailleurs 1, Prononcer 1 comme ou et ¢ comme teh, PILLIOZAT. — LE SOMMEIL SELON LES MEDECINS INDIENS 327 um sonei constant du didactisme indien. Les questions de psycho- physiologic y sont done, comme les autres, trés briévement traitées. Celle du sommeil et des réves est présentée en quelques lignes, mais fournit un Lémoignage assez typique des conceptions psychologiques de la seience indienne classique, La doctrine de Sugruta s'apparente & la spéculation brahma- nique dite de « dénombrement » (sénkhya) qui se donne pour tache Winyentorier les essences constitutives de Punivers et des corps. Le sinkhya, dans sa forme la plus populaire, celle qui est répandue dans les grandes sommes de savoir traditionnel dites « Purdna », et non dans sa forme scolastiquement systématisée & part. (Sdn- kiyakérika), distingue dabord !’ « Homme » (Purusha), qui est VBitre fondamental éternel, et la « Nature » (Prakyli), qui est pour I'Homme le monde des formes changeantes, ou la grande « Illusion » (Maya). Chaque humain est réplique et partie de I'Homme cosmique. Il est plongé dans I’Illusion qui sé manifeste. pour lui par la représentation qu’il a du monde phénoménal. Dans Vensemble des étres et. des choses, I'Tllusion recouvre & des degrés divers les parcelles de IBtre. Gest ce qu’exprime le sinkhya en isant que les étres et les choses peuvent étre affectés de trois qua- lités ou propriétés (guna) : Réalité nue (sattoa), Poussiére (rajas), eb Obscurité (lamas). Sugruta distingne, en conséquence, chez les hommes, des tempéraments oi prédominent. respectivement. la bonne sérénité de /'Btre pur, l# poussiére troublante soulevée par Factivité passionnée, et les lourdeurs inerbes qui recouvrent du voile le plus opaque Messence de I'fitre. II distingue de méme dans les aliments et dans les éléments corporels ceux qui contri- huent, plus particuliérement & produire ces trois tempéraments. Sa théorie du sémmeil est dominée par eette classification. IL admet en outre, dans sa doctrine proprement médicale, que trois éléments du cosmos, le vent, le feu et l'eau, se retrouvent dans le corps pour en assurer la vie. Le vent, moteur dans la nature, est le moteur essentiel du corps, il produit le mouvement et la sensa- tion et circule, poussant tous les fluides, par des canaux ayant pour centre le ccur, siége de esprit (manas). Ge dernier est Vorgane de centralisation des sensations et autres phénomenes psychiques, Je connecteur de tous les sens et facultés. FILLIOZAT, - LE SOMMEIL. SELON LES MEDECINS INDIENS 329, Ge texte exprime en fait deux conceptions du sommeil. La pre- miére est la plus rudimentaire ; elle est fondée sur la’ comparaison. du eur aver nn loins. Cette comparaison repose, selon tonte vrai- semblance, sur Vobservation anatomiique, ear le cosur se présente appendu a la erosse de Faorte, un pen comme un bouton de fleur au bout d’une tige recourbée!, Mais elle donne liew & une théorie qui renize dans une catégorie de fausses explications par analogie. trés fréquentes dans la pensée indienne ancienne et aussi ailleurst. On rapproche, par mise en paralléle, le phénoméne a expliquer dun phénoméne déja compris, On se donne ainsi Villusion de Vexplication. En fait, on ne rend pas compte de la production du preinier phénomeéne, et souvent on ne sait rien non plus de la pro- duction du second, mais celui-ei est familier, on ne s'interroge pas 4 son sujet ; il est associé A un sentiment de satisfaction d’esprit Aussi, le phénomene considéré comme similaire ef rattaché a Ini participe-t-il & Vassociation an méme sentiment. Il est connu que le lotus s’épanouit le jour eb se ferme la nuit, dautee part on se demande pourquoi ’homme veille le jour et dort la nuit. Or le cceur, réputé sidge de la conscience, est matéricllement comparable 4 un lotus, il doit done se comporter comme tel et, par Valternance de son ouverture diurne et de sa fermeture nocturne, il produit ou supprime Vactivité de la conscience. En réalité, ni le phénoméne de Vouverture et de la fermeture du lotus ni celui du sommeil ne sont expliqués. Au liew de résoudre le probléme du sommeil, la comparaison ne fait que le renvoyer dans la catégorie de eoux qu’on ne cherche pas. II n’y a done dans la premiére conception du som- meil envisagée par Sugruta aucune trace deffort scientifique, mais elle n’est indiquée que comme une ancienne opinion qu Vauteur ne soutient pais personnellement Nous pouvons, diaillenrs, retrouver Porigine de cette opinion. Dans les anciens textes de spéculation brahmanique, les Upanishad, il est souvent question de lq veille, du sommeil et des réves, La Byhadéranyaka-up., notamment, enscigne que, dans le sommeil, 1, Elle apparath deja dans la Uttératue brabmaniqae (Chanlogya-panishad, VIII, 1, 12). 2, Un P, Tannery, de nos jours, expliquait encore le sommeil par un « désen- agrénage » des rouuages de la pensée (of, Y. Denace, Le réve, Paris, 1914), pp. 230-231 330) JOURNAL DE PSYCHOLOGIE Je « personnage consistant en connaissance », c'est-A-dire la cons cience, qui est dans la cavité du eur, aceapare les activités pneu- matiques qui produisent les sensations. Il est alors comme un roi qui, tenant ses sujets attachés A lui, parcourt son royaume sa fantaisie, et ’est alors le réve (IT, 1, 17-18). Ou bien, s'insinuant par des vaisseaux Uénus hors du ceeur, son siege q'activité, mais ne quittant pas la région pour vagabonder comme dans le réve, il s'arréte eb se repose dans le péricarde, et c'est alors le sommeii profond (II, 1, 19). Dans Ja veille, cette ame consciente agit dans le corps et voit ce monde-ci, dans le réve elle voit un autre monde quelle crée (TV, 3, 9 et suiv.), Nous voyons done que, par dela les théories du sinkhya, dans Ja vieille spéculation brahmanique est déja attestée Vidée que la veille et le sommeil sont en rapport. avec ce qui se passe dans le eceur. Dés que s’ajouta & cette idée celle de la similitude du coour avec le lotus, la pseudo-explication ‘lela veille et du sommeil rapportée par Sugruta a di naitre. Mais elle constituait. un recu! plutat qu'un progrés, La théorie de !Upa- nishad était moins loin d’étre rationnelle. Elle tentait d’expliquer en supposant, une faculté d’essence subtile mais matérielle® en jew dans les organes. Elle utilisait fa comparaison comme moyen adjuvant, elle ne se réduisait pas & une simple comparaison, ren- voyant illusoirement le phénoméne & expliquer & un phénoméne Iamilier ingompris. Le vers traditionnel cité par Sugruta contient done un écho altéré de Vancienne doctrine brahmanique qui conte= ait elle-méme un rudiment. d'explication psycho-physiologique On peut eroire que Valtération dont il s’agit provient. des milieux souvent préoccupés de vulgarisation oi1 se sont élaborés les Purdina. (est en tout cas aux idées en cours dans ces milieux que se rattache Vindication donnée ensuite par Sueruta (31). L’appellation de « Relevant de Vishnu » (vaishnavt) qui est appliquée au sommeil rouve, en effet, dans le Bhdgavata-purdna (X, 2, 11) comme un des noms de Pentité mythologique Yoganidré, « Sommeil mys- tique », ou Yogamaya, « Hlusion mystique », qui endort les gardes 1, Les versions européennes de I'Upanishad sont. parfois rendues obseures par Te fail qu’elles traduisent trop souvent spapna par «sommell » dans des cas ttle mot veut certainement dire + 12 2, Faile de soulMle, delumiéry ou de vide éthérd (IV, 3, 7 et 4, 22) FILLIOZAT. — LE SOMMEIL SELON LES MEDEGINS INDIENS 331 @un tyran pour sauver Venfant Krshna, inearnation de Vishnu. Ailleurs elle est encore le sommeil de Vishnu lui-méme qui, dans son rdle cosmique, tantot veille, tantot dort et qui est appelé dans le Bhagavata « Celui qui trompe tout », Vievamohana (X, 13, 44). Un des commentateurs de notre texte, Dalhana, confirme que Vaishnavi est hien Maya et c'est ce qui justifie qu’elle soit, considérée comme un mal. La théorie qui vient ensuite (32) constitue une tentative d'expli- cation proprement physiologique. : Sugruta admet, d’aprés la tradition qu’il a d’abord évoquée (29), que le sommeil reléve de Ja catégorie fonctionnelle de PObscurité, mais ce n'est. pas par simple participation magique. L’Obseurité est une propriété de la nature, induite des phénoménes couramment, observés. Sa présence dans le phlegme est déduite des earactares de cot élément de Vorganisme, qui est représenté surtout par la pituite nasale et qui, froid, lourd, visquenx, s'oppose aux éléments plus déliés et plus actifs, le feu rayonnant. et le vent moteur. Dautre part, les sensations sont, véhiculées normalement par des canaux, entre la périphérie et esprit siégeant au cour, Ceci admis, Pexpli- cation du sommeil est. cherchée dans Vobstruction mécanique des canaus sensitils par le phlegme de nature obscure. Quand cette obstruction a lieu, elle interrompt les Uransports sensoriels el par conséquen!, supprime les sensations, doi Vétat de vie dans Vinconscience qui constitue le sommeil complet. 11 y a li une explication rudimentaire mais nettement rationnelle. Le sommeil est d’autant plus durable que la fonction d’Obs- curité est plus puissante dans le eorps. Ceux qui ont peu de phlegme et beaucoup de vent et de chaleur (élément igné est représenté par la bile) ne dorment pas & Vexees, puisque Ie yent et le feu sont les facteurs de Vactivilé motrice et sensorielle. Mais tout etre dort, car la fonction d’Obscurilé n'est jamais absente et vient par moments prendre le pas sur les autres. Quand la fonction du Réel prédomine, est la yeille, et les choses apparaissent a lame dans leur ¢tre propre (34). Quand Pactivité de la Poussiére est en jeu, Vme saisit, par Vorgane sensoriel troublé, non les choses dans leur étre propre, mais les souvenirs des existences antérieures (35). Tl s'agit, manifes- tement la dune interprétation des réves. Les objets vus en réve Bos JOURNAL DE PSYCHOLOGIE : sont done des objets réels mais non actuels, dont les images sont remémorées & la faveur de Vobscureissement de la conscience dela réalité présente par le principe de la Poussiére. Le sens secondaire de « passion » qui est souvent affecté au mot rajas, « poussiére », est ici également en vue, car c'est Pactivité passionnelle surtout qui attache I'ame au cycle des renaissances. L'interprétation n'est pas, sur ce point, physiologique. Elle est tirée des idées courantes et, de plus, elle parait conserver encore un écho de la doctrine de V'Upanishad Waprés laquelle Lame voit ce monde dans la veille eb un autre monde dans le sommeil. En cas d'imperfection des sens et din fluence du principe d’Obs- curité, il y a torpeur de l'Ame, méme en debors du sommeil (36), selon toute apparence parce que le cours des souffles vecteurs de sensations est, dans les canaux, & la fois faible et entravé. Telle est la représentation que le traité de Sucruta offre du sommeil et des réves. Au sujet de ces derniers, celui de Caraka est plus instructif, Dans un chapitre sur les: signes prémonitoires', Caraka étudie essentiellement les réves du malade annoncant la mort & plus ou moins brove éehéance, Ce chapilre reléve en majeure. partie de Yoniromancie courante, mais aux données oniroman- Liques il ajoute une théorie rationnelle du réve qui est la suivante : 40. ... Par suite de la réplétion par les trois éléments de trouble en force excessive des canaux vecteurs & Pesprit, on voit des réves terribles, tervibles relativement au temps de la mort. 41. Iehomme qui n'est pas tras profondément endormi: voit, par Vesprit, maitre des facultes, des reves de diverses sortes = A réalisalion ou sans réalisation. 42. On sait que le réve est de sept sortes = celui quia été quia été entendu, celui quia été celui quia été imaging, celui qui est relatif au futur et celui qui est provoqué par les éléments de Lrouble. A ce propos, le praticion enseigne que les cing premidres sortes sont, sans réalisation. Tl en est de méme du réve de jour et de ceux qui sont trop brefs ou trop longs. 1, celti prouvé, celui quia été désiré, * 1, Ganaka, Indriyasthana, V, 40-16, 2. Ou, selon une variante qui constitue une lectin facilior : « On voit des torribles felativerent au moment tervible (de Ix mort). » VILLIOZAT. — LE SOMMEIL.SELON LES MEDECINS INDIENS 333 4d, Le réve qui est vu dans la premiére partie de la nuit peut avoir une faible réalisalion. Celui qui ne se rendort pas apres Vavoir vu peut aussitot en éprouver une pleine réalisation, 5. Celui qui, aprés avoir vu un réve, méme défayorable, en voit encore sur le champ un agréable, de bon aspect, on doit savoir quill éprouve une. honne réalisation, A.ce sujet il y a covers 46. « Le praticien qui connait. ees réves terribles, qui sont ainsi symptomes prémonitoires, n’entreprend pas avenglément, des traitements chez les incurables. » Les quelques mots du début de ce passage (40) suffisent. & mar- quer que Garaka enyisageait une explication physiologique du réve. Les éléments de trouble de Vorganisme, qui sont aussi ses éléments vitaux quand leur jeu est normal, eirculent dans les canaux sensoriels, les mémes que mentionne aussi Sugruta et ot la spé- culation brahmanique ancienne faisail aussi circuler la conscience. Ces éléments de trouble, exeités, perturbent dans ces veies sensi- tives les souflles sensoriels. Les réves qu’ils produisent par exci- fation ont une valeur prémonitoire, puisqu’tls sont des manifesta- tions de phénoménes pathologiques réels s¢ déroulant dans les voies sensitives. La croyance en cette valeur prémonitoire ne repose plus ici sur les enseignements de’l'oniromancie, elle est pleinement fondée en raison. Les réyes ne sont pourtant pas tous prémonitoires ; de beaucoup Wentre eux il ne résulte rien (41), Caraka a grand soin de préciser quels sont ceux auxquels on n'a pas 4 ajouter dimportance, La question est grave, car, du point de vue indien, c'est une grande erreur pour un médecin de traiter un incurable, faute d’avoir su le reconnaitre comme tel et ¢’en serait une encore plus grande, bien entendu, que d’abandonner mal & propos un malade enrable. D’oit la classification des réves destinés: surtout & mettre en évidence les catégories significatives et celles qui ne le sont pas. Cette classification devait, étre traditionnelle dans V’école dont Caraka a publié Jes théories, puisqu’il Vintroduit par les mots : « On sait, que... ». Elle a été reprise dans des ouvrages plus récents, comme les deux qui sont attribués au médecin Vagbhata. Arua~ 34 JOURNAL DE PSYCHOLOGIE datta, commentateur de Tun deux, a donné des explications qui assurent V'interprétation des termes désignant chacune des sortes énumérées. Une version tibétaine du texte qu’Arupadatta a cormmenté corrobore par sureroil cette interprétation'. Les réves qui ont 66 vus, entendus ou éprouvés sont ceux qui repro- duisent des impressions, visuelles, auditives ou autres, de la veille Les réves désirés et imaginés sont ceux qui répondent aux désirs et aux’ images mentales de la veille. Ges cing ealégories de réves se rapportent. done 4 des représentations passées ou présentes et non pas futures. Elles n’ont aucune valeur pronostique, Au contraive, en ont une les deux autres catégories. Celle des réves relatifs au futur comprend ceux dont le spectacle vu dans le sommeil se relrouve ensuite dans la réalité, Leur nature ne peut étre reconnue d’avance, sauf par divination. ls représentent le groupe des réves dont se sert Voniromancie et. pour lesquels nos textes ne proposent pas d'explication scientifique. La dernitre catégorie, celle des réves provoqués par les éléments de trouble de Vorganisme, est celle qui, & Vinverse, reléve de la psycho-physiologie naissante, Elle est, lest vrai, tout a fait fausse, puisque les éléments de trouble et les canaux vecteurs des sensations n'existent pas (els qu’ils sont, congus, mais elle traduil, un effort de compréhension des faits ot un effort de bonne méthode. Pour apprécier la valeur des théories indiennes du sommeil et du réve il convient de les comparer aux théories similaires de VOccident ancien. La Collection hippocratique ne présente pas de théorie systéma- tique du sommeil et des reves, mais contient sur eux des indications significatives des conceptions adoplées par ses auteurs. Le traité Des Venis (Littré, VI, 88), 14, enseigne que, quand Penvie de dor- tir se fait sentir, le sang se refroidit, parce que la nature du sommeil est de refroidir, d’ot alourdissement du corps et modification de Pintelligence pouvant. entramer des réves. Selon le traité Des Ep: démies, IV (Littré, V, 144), 4, 12, le corps est plus chaud a Vexté- 1, Les deux ouvrages attribués & un ou deux (2) VAanwars sont LAshtin- ‘osaingrana (lo passaze correspondant & celui de Caraka se trouve Gdrtrasthdra, Xi) et VAshtdngatrdaya (Gar, VI, 60-61). Le commentaire d’Arunadatta est relalif & ee dernier passage. La version Uhétaine est celle de in eollection du Tandjour. (P. Compien, Cal. du fonds tihelain de ta Bibl. nal., U1, p. 470.) FILLIOZAT. — LE SOMMEIL SELON LES MEDECINS INDIENS 3% rieur et plus (roid a Vintéricur dans la veille, alors que c'est Vinverse dans le sommeil oti Ie sang se porte davantage a l'intérieur (IV. 5, 15). Hy a done contradiction entre les deux Lrailés, les données de celui Des Epidémies impliquant que, dans le sommeil, l'intérieur est A la fois plus chand ef plus sanguin que dans la veille. Le traité De la Maladie Sacrée (Littré, VI, 350) fémoigne d'une conception physiologique plus avancée. II atteste une théorie générale de Vactivité somatique et psychique. Lorgane de Vintelligence est Te cerveau (14) et non pas le diaphragme ou le eur, comme le eroient certains (17). (est Yair qui donne V'intelligence au corveau (16) ; la bile Péchautfe et le phlegme le refroidit (15). Les songes effrayants peuvent étre produits par VaMux du sang dans les veines du eer veau (15). Il y a bien la un essai d’explication rationnelle des fails Psychologiques et vet essai est proche de celui des Indiens. L’auteur hippocratique admet, il est vrai, contrairemient & la plupart des médecins indiens, que Vintelligence n’est pas dans le cour, mais il pense que activité psychique dépend de Vair, tout comme les Indiens croient qu'elle est liée au vent, et e’est ce point de doctrine qui est le plus important. La reconnaissance du cerveau au lieu du coeur comme organe psychique central est relativement secondaire. Elle n’implique pas, en effet, qu’aucun rdle soit attri- bué au parenchyme eérébral. Gomme Va montré Jules Soury', c'est bien Pair qui est la substance psychique ; le ceryeau n'est que Vorgane creux oi il agit. L'hésitation entre le cerveau et le coour nest qu'une hésitation entre deux cavités. D/autre part, si les médecins indiens que nous avons cités placent. le siége de Vorgane psychique central, le manas, dans le coeur, un autre médecin, Bhela, rédacteur d’un enseignement médical se récla- mant de la méme école ancienne que Caraka, le place, comme Pa mis en lumiéve M.S. N. Dasgupta®, dans la téte, tout en le distin- guant. de Vorgane la conscience (eilla) qu'il localise au eceur, selon ja théorie ordinaire de ses confréres. Les divergences d’opinion su Ie sitge de Vorgane psychique central remontent d’ailleurs tres 1, Nature el tgeaisation des fonctions psychigues chez auleur du irailé De ta Maladie Secréo. Beole pratique des Hautes Etudes, Seclion des Sciences hist ei philt. Annuaire, 1907, pp. 17 eb 33. 2.4 History of Indian philosophy, Cambridge, 1982, t. 11, pp. 40-341 aan JOURNAL DE PSYCHOLOGIE haul dans Inde. Le Rgveda semble plutdt mettre en rapport le ‘manas avec le ecour, mais 'Atharoaveda, qui une fois le place dans le cceur lui aussi (VI, 18, 3), le mentionne une autre fois (X, 2, 27) comme « gardant » la téte, conjointement aves le souffle et la nour- filure!, Les promiéres spéculations grecques et indiennes de psycho- logie se ressemblaient: done et se rencontraient dans leurs formes diverses mémes. Diautres analogies précises se rencontrent encore entre le traité De la Maladie Savrée ot les textes médivaux indiens. C'est & Vaction de la bile, élément chaud de Vorganisme, du phlegme, élé- ment froid, et de lair ou vent que Ie traité grec rapporte le fone tionnement du cerveau el. ces trois éléments, pareillement concus, sont ceux de toute la physiologic indienne. Enfin, les médecins indiens, comme l'auteur du traité De la Maladie Saerée, faisaient de ’épilepsic une maladie naturelle, tout en admnettant par ailleurs des possessions divines ou démoniaques*, Dans leur pratique, les médecins hippocratiques, ou du moins cortains d’entre enx, recouraient comme les Ini mancie médicale. Le traité Du Régime, livre IV, intitulé Des Songes (Littré, VI, 638), procéde du méme. esprit que la premiére partie du chapitre de Caraka étudié plus haut. Mais il n’étudie pas seule- ment les réves précurseurs de mort, C’est- une clé des songes d’un caractére plus général oi ils sont classés d’aprés les choses vues. Il distingue les songes divins, qui relevent de la mantique ordi- naire, et ceux qui traduisent des états corporels et. sur lesquels Tes interprétes attilrés des premiers se trompent souvent. Tl offre une théorie rudimentaire des songes, mais il ne s'agil. pas d’une théorie physiologique. Pendant le sommeil, ame, déharrassée des 1. Le souMs et ta nourriture entrent tons deux dans le corps par la tle. Do pilus, Io souiMe do la houeke est, dans les ides brahmaniques, parfois eonsi- ‘dere comme Ie principal et comme celui qui assure Vingestion de ia nourriture, (CHindogya-ups 1, %, 7-93 Brhailircap., 1, 3, 7.) ‘2. Jal eu Foccasion dstudier cette question (tude de demonologie éndiénne. Le Kumdralanira de Ravana, Paris, ¥997) et supposé alors (pp. 25 et suiv.) que lessymptdmes de possession décsits étaient théoriquos etn'avaent pas étéobservés, ‘hon plus que ceux qu’Hinpocrate rappelle en combatant les médecine qui les considérent comme démoniaques et non. organiques. Mais, comme je Tai remar- «qué depuis (Magie el meifecine, Paris, 1943, pp. 36 et 40), i sufisit que ces symp- Homes fussent considén’s eommunément comme possibles pour que des malades troient les éprouver et les manifestont FILLIOZAT. — LE SOMMEIL SELON LES MEDECINS INDIENS 387 soins que le corps Ini donne quand il est éveillé, « se mouvant et gagnant les parties du corps, gouverne sa propre maison » (86), voit et agit, assumant toutes les fonctions du corps aussi bien que les siennes propres. Gest, pourquoi ce qu'elle voit alors peut. tra- duire Vétat corporel. Avee cette conception particuliére, Vauteur se trouve moins prés de Caraka que des idées de la Brhadéranyaka- upanishad relevées plus haut, daprés lesquelles la conscience, assemblant, pendant le sommeil, les activités pneumatiques, cir- cule dans le corps comme un roi dans son royaume. Dans Jes fragments et. les doxographies des anciens physio- logues grees el des médecins non-hippocratiques se rencontrent, assez suvent des opinions sur le sommeil et les réves, et parfois clles sont plus avancées, comme essais d’explications scientifiques, que celles des médecins hippocratiques*. Chez tous ces auteurs, ces opinions dépendent d’abord de concep- tions physiologiques ef cosmologiques générales. Elles dépendent, ensuite ef accessoirement de la solution donnée au probleme du siége, cour ou cerveau, de Vorgane psychique central ou, comme il est dit souvent chez les doxographes, de Vorgane « directeur », hégémonikon. Pour Empédocle, ce qui pense, c'est le sang qui environne le cour (frag. 105, T 345). L’activité psychique, comme aussi soma- tique, est de hature ignée. En effet, le sommeil est dQ & un refroi- dissement modéré du sang, la mort & son refroidissement complet (Diels, Dox. 435, T 336, n° 23, $ 47). Cette opinion concorde avec celle qui est exprimée dans le traité hippocratique Des Vents cilé plus haut, Héraclite faisait, Ini aussi, dépendre du feu Vactivité psychique. L'ime la plus sage est une Iueur séche ; quand elle brile faiblement, c'est le sommeil; quand elle s’éteint, c'est la mort (frag. 26, T 201, n° 73-75). Dens la veille, elle communique avee Vextérieur, le monde commun & tous, par des canaux (poroi) ¢t par la respiration, qui Valimentent en logos divin, lui donnent la 1. Ces fragments et doxozraphies sp trouvent pour Ia plupart commodément rounis (en dehors des reeuells elassiques) dans P. Tanwzny, Pour Uhistoire de ta science heliéne, 2° éd., par A. Diés, Paris, 1930 (cité ci-dessous par T.), Les opi- ‘ions des Ancions sur Panatomie et la physiologie du systéme nerveux sont aussi ommodément munies dans J. Souny, Le systeme nervewr eeniral, Paris, 1899 338 JOURNAL DE PSYCHOLOGIE raison, comme le feu donne Vincandescence aux charbons qu’on en approche. Dans le sommeil, les poroi se ferment, Vesprit. n'est plus en communication avec V'extérieur que par la respiration et perd la mémoire (Dox. 209, T 197, $ 81). I y a lA une spéculation trés vague et une pseudo-explication par comparaison qui sont du méme ordre que l'ancienne opinion indienne rapportée par Sugruta ct comparant le céeur au lotus. Tl y a cependant une ébauche de représentation du mécanisme de la veille et du sommeil, étant admis au préalable que la substance psychique est de la méme nature que W’lément supposé prévalent dans le cosmos, le feu. Démovrite a proposé une théorie & plusieurs égards semblable, mais différente dans la mesure oti elle découle des idées éosmolo- giques générales qui lui sont propres. Pour Ini, ame ou Vintelli- gence est chaleur et elle est de structure atomique, aussi les atomes psychiques sont-ils des atomes ignés. Ges atomes sont sans vesse renouvelés par la respiration et foulés par elle 4 Vintérieur du corps. Quand il s’en échappe une certaine quantité, on tombe en état de sommeil; une déperdition plus importante entraine ta léthangie ; leur disparition totale la mort ($ 92-98). Nous tronvons IA, modifiée par Vatomisme, la théorie d’aprés laquelle Vactivité psychique est de nature calorique. Selon Démocrite, les réves sont dus a la péné- tration dans le corps, durant le sommeil, d'images envayées. par les étres et les choses de Vextérieur, cette pénétration se faisant par les poroi. Cette opinion est, parfois trés admirée, Bidez, dans le dernier de ses ouvrages, malheureusement. posthume!, voyant en Démocrite « en tout un génial précurseur », pense qu’il a youlu «observer scientifiquement les phénomenes dits de eryptesthésie », Il le qualifie & cette oceasion de « champion antique de Vexpéri- mentation ». Mais, au contraire, on ne voit pas que la théorie du réve chez Démocrite reléve aucunement de Fexpérimentation, ni méme de Vobservation scientifique. Elle découle tout: simplement de la théorie trés arbitraire qu’il donnait de la sensation, la disant produite par la pénétration dans les organes des images sans cesse émises par les objets. Elle ne repose sur aucune investigation phy- siologique. Lueréce, héritier de pareilles idées, ne s’y est pas trompé, 1. Bos ou Platon ef Orient, Bruxelles, 1949, p. 136. FILLIOZAT. — LE SOMMEIL SELON LES MEDECINS INDIENS 330 qui assimile formellement le phénomene de la vision de Vesprit 4 celui de Ia vision des yeux ef déclare que, si ln seconde est due aux simulacres partis de Vobjet, la premiere, dans le réve spéciale- ment, est due & la méme cause, Aleméon, avant Démoerite, et Diogéne d’Apollonie vers. son époque, ont été heaucoup plus physiologistes. Ce sont. eux surtout qui, parmi les penseurs grees des vit-ve siécles, ont dépassé les hippocratiques en tentant. d’expliquer le sommeil et les réves. Aleméon enseignait que le sommeil se produit par le retrait du sang dans les veines, ’éveil par sa diffusion, et il ajoutait que le retrait complet du sang était la mort (T 210, n° 24, S 5). Pla- cant le siége de la sensibilité dans le cerveau, il croyait qu'elle pou- vail ébre supprimée par les déplaceménts de celui-ci qui obstruaient les ecanaux (T 357, dans Théophraste 26, S 4.5). Ge serait 1a sans doute une des plus remarquables constatations physiologiques de VAntiquité, si Vopinion d’Aleméon reposait sur le fait que Vischémie dans un’ membre entraine la diminution puis la perte de la sensibilité. Soury jugeait qu'il avait. en somme découvert Vanémie cérébrale. Cependant, il peut étre imprudent de trans- poser ainsi les expressions d'Alcméon en langage moderne, Le «retrait » du sang dont il parle s'oppose a sa « diffusion », il revient. done a une sorte de rétraction dans les’ vaisseaux qui aboutit a en engorger certains et 4 en vider d’autres. Le vidage correspond bien & une anémie, mais e’est sur Vemplissage que le texte met Vaecent. On peut admettre que, tout comme Empédocle, Aleméon faisait. du sang la substance psyehique et qu'il faisail, dépendre la sensibilité de son activité; s'’écoulant, il véhiculait les sensa- tions, retiré dans des endroits oi il se fixait, il cessait de les apporter 4 l'hégémonikon eérébral. Nous serions alors plus loin quill ne paratt de la théorie de Panémie eérébrale, mais plus prés des spéculations habituelles aux autres ponseurs grecs. De toute fagon, nous sommes én présence d'un effort positif pour comprendre clairement le mécanisme de la veille et du sommeil, et non de sup- positions hasardeuses fondées sur un systéme a priori. Nous devons noler au passage que, sur d'autres points encore, 1, De Rer, Nat., 1V, 750-759, ia. trad. A. Enyoun, t. 11, p. 160. 240 JOURNAL DE PSYCHOLOGIE les idées d’Aleméon, si remarquables qu’elles soient, différent assez profondément des idées modernes qu’elles évoquent. Th. Gomperz* a exprimé le jugement de nombreux historiens en déclarant que c’est pour Aleméon un titre de gloire impérissable que d'avoir reconnu dans Ie cerveau Vorgane central de lactivité intellee~ tuelle, Seulement, il ne semble guére possible d'admettre qu'il Vait reconnu tel au méme sens of nous le reconnaissons aujour- @hui. De méme que les autres anciens physiologistes grecs et de méme que les physiologistes indiens, il concevait les voies sen- sitives comme des conduits creux et supposait que leur oblitération par déplacement du cerveau supprimait les sensations. C’était nécessairement aux creux et non aux pleins du cerveau qui faisait aboulir ces conduits. C’était done par ses cavités et non par sa substance que pour lui le cerveau, comme pour d'autres le eur, était Porgane psychique. Au reste, nous n’ayons pas de Ini une théorie complate et générale de la sensibilité. Au rapport de Théo- phraste (De sensu, 26, T 357), il enseignait que tous les sens étaient suspendus au cerveau, toutefois il Inissait de e6té le toucher et ne disait pas comment ni par quel intermédiaire il se produisait. Tl parail bien, dans ees conditions, avoir simplement rapporté au jeu du sang dans les cavités cranio-cérébrales les fonctions dés sens dont les organes externes sont dans la téte, Ge n'est pas lt avoir pressenti le rdle aujourd’hui attribué a Veneéphale, quoique ce soil. vérilablement, avoir envisagé physiologiquement le probléme. Diogéne d’Apollonie est parti d’une idée précongue, mais s'est, lui aussi, nettement efforeé de donner du sommeil une explication physique. Il admettait que la substance psychique était Vair, auquel il attachait les sensations aussi bien que la vie et Vintelli- gence (Théoph. 39, T 361). ‘Plus précisément, il attribuait lintel- ligence 4 lair pur et sec, Vhumidité empéchant Vesprit, en sorte que, dans le sommeil, Vivresse ou la réplétion, Vintelligence est plus on moins affaiblie (Théoph. 44, T 363). La réplétion dont il s‘agis~ sait devait étre celle de la poitrine par Mair retenu par Vhumide, car il supposait un état de ce genre pour expliquer absence de raison chez les enfants et aussi Voubli (Théoph. 45, T 363). L’air, 1, Ley penseure de ta Gréve, trad. A. RicymonD, Paris, 1028, pp. 182 et suiv. FILLIOZAT. — LE SOMMEIL SELON LES MEDECINS INDIENS 341 substance psychique, ne fonctionnait, done comme telle qu’a la condi- tion de circuler dans le corps. L’activité psychique était, pour Diogtne, liée plus 4 cette circulation de Vair qu’a sa présence dans un organe central déterminé. Ona soutenu (S 70, Gomperz 413) qu'il localisait la conscience. dans le cerveau, puisque, selon Théo- phraste (40, T 362), il disait, que Vaudition, par exemple, avait lieu lorsque le mouvement de Vair pénétrait jusqu’ Vencéphale. Mais ceci n’implique pas que, pour lui, toute conscience était eérébrale. Une autre indication tendrait, plutot 4 faire croirg que la cons- cience générale siégeait & son avis dans le corps, au niveau du diaphragme. Aétius (Dox. 436, $ 70) rapporte, en effet, que, d’apres lui, le sommeil a lieu si tout le sang, coulant dans les veines, en chasse lair vers la poitrine en haut et le ventre en bas, la mort ayant lieu s'il n'y a plus rien d’aérien dans les veines. La théorie de Diogéne d’Apollonie est peut-étre celle qui offre le plus danalogies avec celle qui est: indiquée au paragraphe 32, cité plus haut, de Sugruta. De part et d’autre, nous trouvons la théorie préétablie de la nature aérienne de l'activité psychique, et ensuite Vidée d’expliquer physiologiquement Vassoupissement de cette activité par un épanchement liquide dans les conduits -de la sensation oti il empéche la circulation aérienne. Avec Platon, nous trouvons utilisée pour expliquer les réves a théorie eélébre des diverses ames, jointes A des considérations particuliéres. Au début du ehapitre IX de la République, Platon, parlant incidemment des désirs qui se manifestent dans les réves, spécialement apris des excés alimentaires, dit quiils sont dus 4 Ame animale excitée par Je vin et Ja nourriture et profitant de Vassoupissement de ame raisonnable, Il dit aussi que la tem- pérance, évitant Vexcitation de Mime inférieure et laissant éveillée a supérieure, permet A celle-ci de s’approcher davantage de la vVérité. Ses observations sont justes, mais les ames qu'il distingue ne sont que des personnifications des diverses catégories de fonc- tions, des rubriques de classement muées en étres psychiques. Dans le Timée (45 ¢-46 a), il explique qu’a la nuit, le feu extér disparaissant, le few interne visuel ne fonetionne plus normale- ment, l'eil ne voit plus, les paupiéres s’abaissent, elles retiennent Je mouvement du feu intérieur qui se calme, réalisant le som- ae JOURNAL DE PSYCHOLOGIE meil sans réves s'il arrive au calme profond, le sommeil avec réves s'il persiste de Vagitation. Cette théorie reprend apparemment Vidée, que nous avons relevée dans le traité Des Vents, chez Empé- docle et chez Héraclite, du role du refroidissement, dans le sommeil. Malheureusemont, les détails qu’ajoute Platon sont particuliére ment mal venus. Faire dépendre le sommeil de extinction de la vision, c'est oublier la plus banale expérience qui le montre se produisant en plein jour et alors qu’elle est en jeu. Liidée desPlaton, exprimée dans la République, que Pime sonnable peut, dans lo sommeil, quand I'ame inférieure est apai s‘approcher de la vérité, a joui longtemps d’un grand suceés. Elle permettait d’expliquer d’une maniére apparemment rationnelle la divination par les songes; libre, V’ame raisonnable voyait plus lucidement dans la réalité générale, passée, présente ou & venir, que parmi les impressions de la veille Voccupant du seul moment présent. Cette idée a 6t6 invoquée par Cieéron (De Div, I, 29 et ef. 51), elle se retrouve chez des Péres de I’Figliso comme Grégoire de Nysse, quoique plus nuaneée et atténuée’, Elle remonte & la croyance 4 la réalité des songes, bien connue chez les « primitifs »*, qwelle accepte et tente de justifier, ee qui ne pouvait. que contri- buer A sa popularité. Elle est apparentée de prés 4 la doctrine du traité hippocratique Des Songes, qui ressemble elle-méme a celle de la Byhadéranyaka-upanishad, comme ndus Vavons vu. Mais elle est plus proche de la primitivité, car le braité Des Songes admet Ja clairvoyance de V’ame, surtout relativement au corps qu’elle parcourt, et, de son cOté, ?'Upanishad ne croit pas & la réalité objective du réve, en fait la eréation de lame (IV, 3, 10 et 20). Aristote, dans le temps oit il suivail, Platon, a aussi ern que Je sommeil augmentait la pénétration de Pamet eb il a conservé 1, Gnicotne De Nysex, La eréation de Chomme, trad. J. Lartace, notes de J. Danitou, Paris-Lyon, 1914, pp. 141-142. Gnécore, comme jadis le traité ‘Des Songes, distinguo les songes divins, c'est-A-dire, pour tui, envayes par Dieu, et ceux oft Vimagination peut donner lien A prévision, mais, A Végard de ces derniers, i rappelle bien plutot Platon. J. Dasté.ou (p. 143) reconnalt, chez Grégoire la doctrine de Posidonius d’Apamée. Celle-ei, qui a aussi largement inspiré Gicéron, remonte on définitive en partic & Platon. pele REV Baum, Lesperience mptiqus et ev symbots, Pais, 1088, pp. 48 3.G. Vennrse, L'évolulion de ta doctrine du pnouma du sluteisine a $. Augustin, Paris, Louvain, 1549, pp. 121-122 FILLIOZAT. — LE SOMMEIL SELON LES MEDECINS INDIENS 348 plusieurs détails des idées de Platon dans ses théories ultérieures. Tl retient notamment Vobservation de Vinfluence de la digestion sur le sommeil. Mais ses théories sont plus scientifiques, quoique sur les points qui nous occupent il soit loin d’avoir manifesté tout son génie, La théorie du sommeil d’Aristote dépend de sa_psychologie générale. ‘Pour Ini, c'est le ccenr qui est le siége de la sensibilité. En celui-ei est le koinon aislélérion, le sens commun central, dont, la conception se retrouve sous le nom de manas chez les Indiens. Le cerveau est un organe réfrigérateur qui tempére la chaleur du cour. Le ccour est le principe (arché) du sang ; il le sépare, lors- qqw’il est. alourdi par la nourriture, en une partie plus pure qui monte et une plus bourbeuse qui descend. Apres le repas, cette séparation est laborieuse. Pendant qu'il Paccomplit, le ecsur ne peut se livrer 41 sa fonction psychique, d’oi le sommeil (S 161). Mais le cerveau a aussi son rdle dans la production de celui-ci. I refroidit et. ren~ voie vers le bas sang et chaleur, ce qui contribue 4 Vengorgement ‘du eceur. Dans ces considérations, Aristote se référe au fait que Je sommeil vient facilement apres le repas, moment oi la t@te devient lourde et pesante. Il conserve aussi sans doute l'idée expri- iée dans le traité hippocratique Des Epidémies, LV, d’aprés laquelle an moment du sommeil, le sang et la chaleur refluent vers l'inté- rieur (cf. 8 114, 162). Quant aux réves, ils s’expliquent par le reflux vers le coeur des mouvements produits dans lés sens et, propagés par le sang, qui sont comme des tourbillons ou des vagues (S 163), La théorie d'Aristote est assez lourdement construite et enta~ chée d’'idées précongues ainsi que de l'abus des pseudo-expllications par comparaisons. Elle représente pourtant un effort trés résolu et soutenn pour donner un compte rendu rationnel de faits souvent, trés bien observés. Avistote, en effet, distingue finement, et le premier autant que nous sachions, une Joule de fails psychologiques importants, comme les hallucinations ou le somnambulisme, Galien, meilleur anatomiste et venant d’ailleurs aprés les Herophile et, les Brasistrate, ne lui a pas pardonné d’avoir méconnu: la fonction psychique du cerveau el avoir nié sa connexion avec les organes des sens (S 284). Cette seconde erreur est grave en er JOURNAL DE PSYCHOLOGIE effet: non seulement plusieurs auteurs avaient déja de son temps souligné Pévidence de cette connexion, mais encore la localisation de Vorgane psychique central au cceur n’obligeait nullement & la nier, Dans "Inde, Popinion que le manas siégeait dans le ccour n'a pas empéché Sucruta de reconnaitre l'existence de conduits céphaliques, partant des organes tels que les oreilles ou les _yeux el dont la lésion prive du sens correspondant ((ar., VI, $2). Pour- tant, Aristote garde ’honneur d’avoir ajouté sa tentative — dont la valeur était accrue par son autorité — A celles de ses devanciers es mieux inspirés,® pour donner une explication scientifique de phénoménes psycho-physiologiques comme ceux du sommeil et des réves. En psycho-physiologie, un Descartes a été 4 peine plus avanc En dépit de Vexcellence de ses principes généraux, il a di plus dune fois, comme les Anciens, pour tenter d’établir des théories rationnelles, alors qu'il n’avait que des connaissances insuffisante: partir d’idées préconcues et faire des suppositions anatomiques. Gest ainsi qu’il a adopté la vieille théorie pneumatique des esprits animaux el qwil s’est représenté les nerfs comme formés d'un filament, axile entouré d’une membrane délimitant un espace dans Jequel les esprits animaux pouvaient circuler. II n'avail pas pu appliquer la méthode dont il avait lui-méme si clairement tongn Ja nécessité : se défaire de toutes les opinions que l’on a regues et, reconstruire de nouvean, eb dés le fondement, tous les systémes de ses connaissances, II n’avait pas a sa disposition de systéme complet, de connaissances vraies et: souvent nous n’en avons pas davantage. Dans ses théories particuliéres, il devait, faute de mieux, utiliser les idées qui lui paraissaiont: le plus vraisemblables parmi celles des Anciens. Mais déja les idées des Anciens avaient parfois un caractére scientifique. Méme si la vérité reste inaccessible, le savoir devient science quand il est coordonné en doctrines rationnelles. Les Anciens qui, par leur souci de comprélension vraie, onl congu de pareilles doctrines et ainsi eréé la science sont aussi bien les Indiens que les Grees, Le probléme psycho-physiologique du sommeil et des réves est envisagé avec le méme esprit et résolu semblablement sur bien des points chez les uns et les autres. Des FILLIOZAT. = LE SOMMBIL SELON LES MEDECINS INDIENS 345 deux c6tés, nous trouvons des conceptions de psycho-physiologie générale d’aprés lesquelles esprit ou la conscience est un organe central qui.siége dans les cavités du coeur ou du cerveau et. fone- lionne par le jen dans les conaux qui s'y abouchent d’un fluide calorique ou aétien, Des deux cdtés, nous rencontrons des hypo- théses sur Vembarras de ces voies pour expliquer la suspension, la transformation ou la suppression de la conscience. Pour rudimentaifes qu’elles soient, les théories que nous avons passées en revue sont d’une sorte rare en-dehors des civilisations hellénique et indienne. Des anciennes civilisations disparues de VOrient classique presque rien ne nous est parvenu en fail de spé- culations de science théorique. Nous en-connaissons quelques-unes chez les Traniens, mais par des textes peblevis sassanides Lardifs qui, trés probablement, ont subi la double influence de la Gréce ot de I'Inde, La science arabe en contient beaucoup, mais la matiére, ‘ou tout au moins 'inspiration ot le modéle, en ont été pris & Inde et surtout & la Gréce, Les Tibétains, les Mongols, une partie des Indochinois et: des Indonésiens ont tradnit leurs textes scientifiques, directement ou indirectement, du sanskrit. Seule la Chine, quel- qwinfluence qu’elle ait pu subir de Inde, voire de !Occident, a élaboré des doctrines rationnelles originales qui jusqwici, malheu- reusement, ont 4 peine été examinées' et qui sont loin de s'étre répandues aussi largement en dehors de leur pays d’origine que de la Gréce et de I'Inde. Ces denx contrées ont hien été les foyers de diffusion de Vesprit. de rationalisme scientifique dont Descartes devait formuler les lois, tout en restant tributaire dans ses théories psycho-physiologiques des résultats obtenus chez les Grees et leurs “suecesseurs d’Occident. Reste & apprécier le degré d’originalité des théories rationnelles grecques et indiennes les unes par rapport aux autres, On a sou- tenn Ie plus souvent jusqu’aujourd’hui que Voriginalité était. tont. entiére du coié de la Gréce, parce que Vastrologie indienne a fait de larges emprunts 4 lastrologie alexandrine. On doit. mainte- 1. On asurtout étudié Pastronomie et ia médecine pratique. On trouve quelques indications sur ia physiologie dans L. Winsen, Histoire des eroyances et des opt- rnions philosophiques en Chine, 3° éd., Wien-hlen, 1987. M. GuaNer, La pensée chinoise, Paris, 1934, a omis presque tout ce qui concemne la pensée scientifique. JOURNALacsnons PSYCHOLOGIE NORMALE ET PATHOLOGIQUE PONDATEURS DI St P, GUILLAUME er I. MEYERSON XL’ ANNEE 1947 PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, Bourevanp Sar ALN, PARrs

You might also like