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COLLECTION

FOLIO ESSAIS
 

Jacques Commaille
 

À quoi nous
sert le droit ?
 

Gallimard
 
 

Jacques Commaille est professeur des universités émérite à


l’École normale supérieure de Cachan, chercheur à l’Institut des
sciences sociales du politique (CNRS-ENS Cachan –  Université
Paris Ouest Nanterre-La  Défense). Ses travaux portent
principalement sur la place du droit et de la justice dans la
régulation sociale et politique des sociétés. Il est rédacteur en
chef de la revue Droit et Société et codirecteur des collections
d’ouvrages «  Droit et Société  » (LGDJ-Lextenso Éditions). Il est
un des acteurs de la politique de développement en France des
sciences humaines et sociales (Alliance Athéna), des Maisons des
sciences de l’homme et des Instituts d’études avancées. Il est
docteur honoris causa de l’Université libre de Bruxelles et a
obtenu en 2014 le Stanton Wheeler Mentorship Award de la Law
and Society Association.
 

Il importe de se souvenir que la loi l’emporte uniquement


grâce à son ubiquité, non pas grâce à son omnipotence 1.
Introduction
LES MUTATIONS CONTEMPORAINES
DU DROIT

À quel titre oser parler du droit ? De longues années de


collaborations et d’échanges avec d’éminentes figures de ce savoir
m’ont permis d’avoir la plus vive conscience de ce qu’il représente
: sa particularité, son exceptionnalité, son importance pour le
fonctionnement des sociétés et pour la compréhension de leur
fonctionnement. Le droit est d’abord une pratique. Cette pratique
vise à ordonner les rapports sociaux et les échanges
économiques. Elle est constitutive de la structuration des sociétés
et de leur ordre politique. Un tel statut du droit explique que ses
locuteurs puissent aspirer, au-delà de la maîtrise de sa technicité,
à l’inscrire dans une culture, une vision du monde ou des visions
du monde, lesquelles, comme j’ai pu l’observer en côtoyant
certains de ses illustres représentants, se construisent, au-delà du
savoir juridique, sur une érudition susceptible d’inspirer une
conception, une éthique ou encore une philosophie du politique.
Mais les missions d’une nature exceptionnelle assignées au
droit au regard des sociétés ont aussi incité ses locuteurs à
assumer l’ambition de fonder sa pratique sur des savoirs sollicités
strictement en interne, convoqués pour être de simples
composantes des «  sciences du droit  »  : de l’histoire à la
philosophie, en passant par l’anthropologie ou la sociologie. Le
droit construit sa propre théorie, en s’interrogeant sur lui-même,
sa propre rationalité, ses fondements, ses évolutions, le sens de
ses pratiques, éventuellement en rapport avec les sociétés et leurs
cultures.
Cette perspective internaliste avait occupé, notamment en
France, une position dominante, parfois volontairement
fortement exclusive. Les choses ont changé dans les toutes
dernières décennies. Les grandes figures fondatrices des sciences
sociales s’étaient interrogées à la fin du XIXe siècle et au début du
e
XX   siècle sur les mécanismes sociaux au fondement de la

modernité, sur ce passage des sociétés organisées autour de l’idée


de communauté, où le tout importait plus que les parties, à des
sociétés conçues à partir des individus, de leurs aspirations et de
leurs comportements. Il leur apparaissait alors que l’étude des
systèmes juridiques, des pratiques et des institutions juridiques
constituait une des entrées privilégiées pour comprendre ces
mutations.
La question qui est posée dans la période contemporaine est
de savoir si nous ne nous trouvons pas dans un contexte
historique qui exige des formes analogues de mobilisations de la
connaissance. Nos sociétés sont confrontées à de nouveaux défis
qui concernent à la fois le social, le culturel, l’économique et le
politique. Les interrogations sur la consécration de
l’individualisme conjuguées à l’avènement de sociétés
«  singularistes  », sur les fondements et la préservation du lien
social et politique, rejoignent celles sur le rejet croissant des
formes de régulation du haut vers le bas, illustrées par exemple
par les incertitudes mêmes de la notion de gouvernement ou
encore de celle d’institution. Elles font système avec des éléments
de contexte comme, entre autres  : la perte d’influence des États
nations, la création de nouvelles entités politiques
transnationales (comme l’Union européenne),
l’internationalisation des échanges économiques et des flux
financiers, l’ampleur des défis écologiques, les processus de
communautarisation sous l’influence d’une réactivation du
religieux, la gravité posée par la question des migrations ou des
nouvelles formes de stratification sociale et de production des
inégalités à l’échelle planétaire, la transnationalisation des formes
de régulation sociale et politique et des institutions, dont
participe l’activité juridique et la justice 1, et d’une certaine façon
la société civile, enfin, de surcroît, les incertitudes concernant les
vertus de la démocratie représentative et les fondements de sa
légitimité comme si des fragilités croissantes des principes
structurants de l’ordre social découlait un scepticisme
grandissant à l’égard de l’ordre politique.
Mon positionnement est ici, dans cet ouvrage, délibérément
celui d’une mise en contexte du droit en m’inscrivant dans une
tradition de sciences sociales qui redonne au droit, à partir de ce
qu’il dit, de ce qu’il fait, des façons dont il est approprié, dans le
travail de connaissance consacré aux sociétés et à leur devenir,
une place importante sinon centrale. Un tel positionnement me
paraît avoir potentiellement un triple mérite :
1.  Contribuer à la compréhension du droit lui-même et, par
voie de conséquence, à fournir à tous ceux qui sont spécialistes
du droit, gardiens du savoir juridique et adonnés à sa pratique, le
sens de ce qui les influence ou les détermine et qui n’est pas dans
le droit lui-même mais dans ce qu’en font ou aspirent à en faire
les sociétés et ses acteurs ;
2. Contribuer à la compréhension des mutations actuelles des
sociétés en considérant, dans une filiation retrouvée des grandes
figures fondatrices des sciences sociales, que le droit, les
transformations de sa nature, de son statut, de son rôle, des
usages et des appropriations dont il fait l’objet, peuvent être
investis d’une exceptionnelle fonction heuristique pour
comprendre ces mutations et tenter d’en construire la théorie ;
3.  Favoriser un retour réflexif sur une pensée française de
sciences sociales, celle qui a particulièrement prospéré dans les
décennies 1960-1990, qui a accordé une place importante au
droit suivant une perspective d’analyse fortement inspirée par
l’idée de domination et dont tout le contenu du présent ouvrage
vise à prouver qu’elle mérite d’être reconsidérée et renouvelée.
Ainsi, les approches des mutations des sociétés contemporaines,
à partir de ce que j’appellerai les révolutions du droit,
apparaissent susceptibles de contribuer à une réflexion sur les
modes de connaissance eux-mêmes mobilisés, non pas seulement
sur le droit, mais plus largement, sur ce que sont, ce que font et
ce que deviennent les sociétés.
Revenons sur ces trois points.

CONNAÎTRE LES SOCIÉTÉS
POUR COMPRENDRE LE DROIT :
AVIS AUX JURISTES

Toute ma réflexion dans cet ouvrage est inspirée par la


conviction que les transformations de l’activité juridique ne
peuvent se comprendre et ne peuvent être considérées en vue de
tenter d’en maîtriser les effets sans que soit effectué un détour
par une observation systématique des mutations des sociétés.
Comment penser le droit, ses orientations, ses finalités, ses
déviations, si l’on ne se penche pas rationnellement, par un
travail d’objectivation, garanti par des démarches de recherche,
sur les facteurs qui les déterminent et qui sont au cœur même de
l’effervescence des sociétés  ? Pour ne s’en tenir ici, en préalable,
qu’à trois exemples, la relativisation de la place de l’État dans la
régulation sociale et politique des sociétés dans le contexte de la
globalisation ne pose-t-elle pas la question même du statut du
droit en général où a longtemps prédominé la représentation d’un
droit associé exclusivement à l’État  ? Comment penser les
missions du droit sans considérer l’avènement d’une
postmodernité dans le cadre de laquelle s’est imposée une
représentation du droit, non plus perçu seulement comme un
corps de règles impératives et autonomes, porteuses de vérités
universelles et intangibles, comme une référence, mais aussi
comme une ressource faisant l’objet d’appropriations diversifiées
par les acteurs sociaux, les opérateurs économiques, les acteurs
politiques  ? Comment rendre visibles aux yeux mêmes des
professionnels du droit les logiques à l’œuvre dans leurs pratiques
du droit découlant des conditions objectives dans lesquelles ils
développent leur action, cela au-delà des représentations qu’ils en
ont ou qui leur sont accolées ?
Nous verrons que ce retour réflexif sur les acteurs du droit a
un intérêt particulier à la mesure de l’exceptionnalité de leur
statut d’acteurs sociaux. Être détenteur d’une compétence à
maîtriser le droit confère effectivement un pouvoir potentiel
méritant une attention spécifique. Pour n’en donner qu’une
illustration, c’est bien ce que montre la propension particulière
manifestée par certains acteurs de l’univers juridique à optimiser
des situations de multipositionnalité entre le monde académique
et l’exercice de responsabilités institutionnelles ou politiques, à
jouer subtilement de la pluralité des registres entre la pratique
professionnelle, le travail de connaissance, la poursuite d’intérêts
et la défense de valeurs 2. Cela expliquerait notamment l’aptitude
de ces acteurs du droit à s’insérer dans des «  communautés
épistémiques 3 » et, par conséquent, à optimiser leur engagement
dans des espaces intermédiaires susceptibles de cumuler
l’échange de connaissances, l’expertise et la contribution à
l’exercice du pouvoir 4. Ils peuvent alors devenir des éléments
d’une « policy community » agissant sur les autres communautés
politiques, à travers notamment une activité doctrinale, laquelle
est un instrument sophistiqué d’exercice d’un pouvoir d’influence
sur le politique 5. Bien d’autres exemples seront donnés dans cet
ouvrage qui devraient suffire à convaincre que, comme pour
toute autre profession –  mais plus que pour beaucoup d’autres
professions compte tenu de l’ampleur des enjeux dont le droit est
porteur dans le fonctionnement des sociétés  –, la connaissance
des conditions sociales et institutionnelles dans lesquelles se
développe l’exercice d’une pratique est un préalable nécessaire à
une prise de conscience de la part des professionnels concernés
face à ce qui est susceptible de les déterminer dans leur action,
particulièrement quand les facteurs de cette détermination
relèvent de changements globaux.
Avec une telle conviction de l’importance d’une connaissance
des sociétés pour une connaissance du droit, j’espère pouvoir
démontrer que je suis là loin de cette crainte exprimée à l’égard
d’une démarche d’analyse, dont la justification est précisément la
connaissance du fonctionnement des sociétés. Suivant ce qui
relève probablement d’un malentendu, il a ainsi pu être considéré
qu’une telle démarche menacerait l’existence même du droit,
disons sa sacralité, dans la mesure où elle participerait en fait
d’un asservissement du droit au « Social » et ne serait finalement
que l’instrument d’un processus de «  managérialisation
généralisée  », une des manifestations du triomphe d’une
« normativité gestionnaire 6 ». L’expression d’une telle crainte me
paraît pouvoir s’expliquer de deux façons.
D’une part, elle est la réminiscence d’un positivisme juridique
radical, où toute mise à distance est illégitime parce qu’elle
menace l’intégrité du droit. Suivant une telle logique, «  le droit
peut être appréhendé comme un système clos et autonome, dont
le développement ne peut être compris que selon sa dynamique
interne 7  ». Ainsi la théorie pure du droit est «  fondée sur le
postulat de l’autolimitation de la recherche au seul énoncé des
normes juridiques, à l’exclusion de toute donnée historique,
psychologique ou sociale, et de toute référence aux fonctions
sociales que peut assurer la mise en œuvre de ces normes 8  ».
Pour les tenants de ce positivisme juridique, est parfaitement
assumée l’existence d’une «  indifférence pleinement revendiquée
à tout ce qui touche aux conditions comme aux finalités sociales
de la production normative [cela pour] éviter qu’une réflexion
soucieuse du social vienne parasiter l’observation authentique des
phénomènes juridiques, c’est-à-dire des faits de droit perçus à
travers les seuls faits de textes 9 ». Suivant cette conception, tous
les efforts doivent porter sur la préservation d’une autonomie
totale du droit par rapport à ce qui est susceptible de le menacer,
de perturber l’expression parfaite d’une «  Raison  » juridique qui
doit être une «  Raison pure  », exclusive des «  irrationalités  »
surgies du social et du politique. Comme le montre Max Weber,
ce repliement de l’univers juridique sur lui-même relève d’un
processus historique qu’illustre l’enseignement du droit comme
savoir autonome  : «  Les concepts que l’enseignement du droit
dégage ont le caractère de normes abstraites qui, au moins en
principe, sont formées et délimitées entre elles de façon
formaliste et rationnelle par des interprétations logiques
signifiantes. Le caractère systématique et rationnel de ces normes
tout comme leur contenu très peu concret peuvent très largement
émanciper la pensée juridique des besoins quotidiens des
intéressés 10. »
D’autre part, elle constitue une réaction, qui s’adresse plus à
l’univers juridique qu’à celui des sciences sociales, à une
conception étroitement instrumentalisée de la connaissance des
sociétés. Cette conception est effectivement présente depuis
longtemps au sein même de l’univers juridique. L’objectif est ici
celui d’une rationalisation ou d’une adaptation rationnelle du
droit aux évolutions du social. C’est ainsi que, pour Léon Duguit,
il s’agit d’ajuster la production du droit à la réalité sociale dans la
mesure où «  les lois positives portées par le législateur doivent
être conformes aux lois sociologiques et à l’état social pour lequel
elles sont faites 11  ». Dans le même esprit, et à la suite, la
«  juristique  » d’Henri Lévy-Bruhl annonce une sociologie
juridique conçue comme une «  légistique  » au service du
« Législateur » dans la mesure où elle offre à celui-ci la possibilité
d’une maîtrise «  scientifique  » dans la connaissance des faits
sociaux susceptible d’agir sur le droit 12. La «  sociologie
législative  » de Jean Carbonnier s’inscrira elle-même dans cette
tradition : elle est effectivement présentée comme un instrument
d’«  aide aux législateurs 13  » et un juriste canadien considérera
cette « sociologie législative » comme « empirique et auxiliaire du
droit postlibéral. [Pour lui], la sociologie du droit
s’institutionnalise à titre de sociologie appliquée de la norme
juridique étatique 14 ».
Or le projet d’une connaissance du droit par la connaissance
des sociétés a un objectif différent. Il ne s’agit pas seulement de
rationaliser la production du droit avec la crainte que celle-ci ne
soit plus que la résultante d’une soumission aux évolutions du
social. Il s’agit bien ici de tenter de comprendre ce que le droit
aspire à être en même temps que de saisir le sens de ses
transformations et de ce qui les détermine, cela par une mise en
relation avec les mutations des sociétés contemporaines.

COMPRENDRE LE DROIT
POUR CONNAÎTRE LES SOCIÉTÉS :
AVIS AUX SCIENCES SOCIALES

Les grandes figures fondatrices des sciences sociales ont su


faire une évidence de la fonction heuristique du droit pour
comprendre les évolutions des sociétés. Elles ont administré la
preuve que le droit révèle les mouvements des sociétés dans ce
qu’il fait. Elles ont démontré comme une évidence que se pencher
sur les formes de droit dans des approches historiques et
comparatives permettait de rendre compte des types
d’organisation des sociétés et de leurs transformations, des
principes au fondement de leur identité culturelle et des modes
de structuration de leur ordre social et politique.
L’intention que porte le présent ouvrage de modestement
renouer avec ce projet suppose une réflexion préalable sur  :
primo, les raisons pour lesquelles cette évidence a été longtemps
niée au cours de la période contemporaine  ; secundo, les
conditions qu’exige la poursuite d’un tel projet.
Majoritairement imprégnée de l’influence d’un marxisme
orthodoxe, la sociologie s’est lontemps satisfaite d’une
disqualification du droit comme objet de recherche. Suivant cette
logique, le droit est sans intérêt en soi dans la mesure où il n’est
que le «  miroir  » et le simple instrument de gestion de rapports
sociaux inégalitaires déterminés par les rapports économiques
qui sont ceux de l’économie capitaliste. Le droit n’est dans cet
esprit qu’élément de la «  superstructure  » et simple outil au
bénéfice d’un État au service exclusivement de la classe
dominante. Si une littérature existe sur le droit et le marxisme,
elle n’est qu’une littérature de commentaires ou d’exégèse.
Il est curieux que ce silence de la sociologie française sur le
droit se soit accompagné de celui de la science politique bien que
ce soit, dans ce cas, pour des raisons différentes. La science
politique s’est institutionnalisée en France au prix d’une
autonomisation par rapport aux facultés de droit. Pendant
longtemps, pour légitimer sur le registre savant ce qui relevait de
rapports de pouvoir sur le plan institutionnel, la science politique
a transposé sur un plan épistémologique ce qui découlait d’une
lutte de territoires académiques en procédant à une
disqualification du droit comme objet de connaissance. Le droit
ne présentait finalement pas d’intérêt aux yeux de la science
politique puisqu’il n’informait que sur les juristes qui l’écrivent :
«  La nécessité […] pour les professionnels de la norme de
produire du droit l’emporte sur la recherche d’un encadrement de
la vie sociale par le droit  : le droit semble se réduire à la seule
justification de l’existence de ses producteurs 15.  » La
revendication d’autonomie institutionnelle passait par une
disqualification sur le registre épistémologique du droit comme
objet de science sur le social et le politique.
L’existence de tels aveuglements ou de tels préjugés justifie
que les conditions de réalisation d’un projet de connaissance, où
le droit devient le vecteur principal d’une approche de la réalité et
du sens qu’il convient de donner aux mutations des sociétés
contemporaines, fassent l’objet d’une vigilance particulière. Il
s’agit simplement ici d’être fidèle aux règles fixées par Émile
Durkheim où l’exigence est posée d’une distance nécessaire entre
le positionnement de l’observateur d’un univers social, en
l’occurrence l’univers juridique, et la perception qu’ont de cet
univers et la représentation que veulent en donner ceux qui en
sont les acteurs 16. L’univers juridique, comme tout autre univers
social mais plus encore que d’autres univers compte tenu de
l’autorité que confère le maniement du droit, doit ainsi faire
l’objet de ce travail d’objectivation évoqué plus haut, c’est-à-dire
de dévoilement des conditions objectives dans lesquelles les
acteurs concernés développent leur action.
Pour poursuivre mon projet, il me faut alors tenter de parler
du droit en me gardant de ces visions erronées auxquelles nous
serions exposés en nous situant : soit à l’intérieur, au point d’être
aveuglé par l’apparente évidence de ce qui nous serait donné à
voir, soit à l’extérieur au point d’ignorer la complexité spécifique
de la réalité de l’univers juridique et d’adopter une position
critique qui prend parfois la forme de la dénonciation. Le pari est
bien ici d’échapper à chacun des prismes déformants de cette
économie de la légalité dont l’étude, qui fait l’objet de tant de
controverses, me paraît si importante pour comprendre tout à la
fois les façons de faire ou de défaire la société et les modes de
construction du politique. Le problème n’est pas ici d’opposer des
savoirs liés à des appartenances institutionnelles. Il n’est pas non
plus de rechercher des compromis auxquels m’inclinerait la
double fréquentation, d’une part, de tenants d’une approche
subversive de l’orthodoxie du savoir juridique, d’autre part, de
grandes figures gardiennes de ce savoir au point de le rendre
parfois omniscient. De cette double fréquentation peut résulter le
goût du compromis comme une exigence morale. Celle-ci est
légitime si elle prend la forme d’une manifestation de tolérance à
l’égard de ce qui est différent et qu’on cherche moins à
disqualifier qu’à inscrire positivement dans des
complémentarités 17.
Mais l’impératif absolu reste de tenter de construire une
position juste du point de vue de la connaissance. L’obligation est
bien alors de situer le savoir juridique, ce savoir si particulier,
pour comprendre en même temps  : ce qui le constitue
socialement, culturellement, politiquement et lui donne la place
stratégique qui est la sienne dans la régulation de nos sociétés 18 ;
ce qui en fait un objet exceptionnel de recherche pour la
connaissance de ces sociétés. Il reste que cela ne nécessite pas
d’excommunication réciproque. Le temps est venu de ne pas
réduire le savoir juridique et ses détenteurs à un objet sur lequel
nous aurions la prétention à nous seuls, en extériorité, d’avoir la
capacité d’exercer notre compétence. Le dialogue avec les
détenteurs légitimes du savoir juridique peut être fécond. Je
pense d’autant plus volontiers que je suis prédisposé par
expérience, et peut-être par nature, aux collaborations entre
disciplines, ces collaborations fussent-elles aussi difficiles quand
elles concernent le droit. De plus en plus militant d’une pluri et
même d’une interdisciplinarité 19, je suis de plus en plus
convaincu que celles-ci sont susceptibles de s’appliquer au droit.
Le pari est alors de dépasser les effets de croyance, source
d’anathèmes réciproques, les stéréotypes entretenus par des
processus de socialisation culturelle ancrés dans des traditions
académiques antagonistes, ces visions opposées du
fonctionnement du monde social, et de ce qui doit l’ordonner, ces
luttes de territoire, masquant des volontés de monopole de la
connaissance, toutes choses évoquées plus haut. Le seul enjeu est
bien de cerner la vérité du droit dans ses contextes. Personne n’en
a le monopole a priori, quelle que soit sa spécialisation d’origine.
À partir de cette position de départ qui peut être alors commune,
le pari est plutôt de conjuguer des compétences différentes en
surmontant ce clivage si ancré dans les esprits, et cela pour
satisfaire une exigence de pluridisciplinarité ou
d’interdisciplinarité 20. Il convient de dépasser les incompatibilités
entre ceux qui s’attachent exclusivement aux «  contenus
normatifs  » du droit et ceux qui «  installent  » le droit «  dans le
champ mouvant des pratiques collectives  » et de ses «  usages
sociaux 21 ». Seul un tel dépassement peut nous aider à prendre en
compte simultanément les spécificités du droit et ses
déterminants socio-politiques et culturels, afin de mieux
comprendre à la fois le sens des transformations du droit et celui
des sociétés actuelles.

LE DROIT, UN NOUVEAU PARADIGME


POUR L’ANALYSE DES SOCIÉTÉS
CONTEMPORAINES ?

Comme on le voit, tout effort de connaissance sur les sociétés


qui prend le droit comme entrée expose à un travail réflexif d’une
intensité particulière. Rien ne mérite mieux ici de s’appliquer que
les épistémologies dites du «  standpoint  », celles de «  la
connaissance située 22  ». Le discours scientifique doit être
constamment relativisé en étant effectivement resitué dans son
contexte  : culturel et historique et cela vaut particulièrement
quand le droit est au centre de la démarche. En effet, les savoirs
sur le droit sont très étroitement reliés à la culture juridique à
laquelle on appartient, au type d’État concerné (fédéral versus
centralisé), aux traditions juridiques, à la place des juristes par
rapport au pouvoir politique et à leur statut dans la régulation
des sociétés. Dans les pays sous influence romano-germanique, le
droit est d’abord rapporté à l’État. Il est l’expression de la
souveraineté de l’État. Il assure une position privilégiée aux
« légistes » par rapport au pouvoir politique. Les analyses sur le
droit ont en fait longtemps été influencées par cette
représentation du droit liée à celle d’un État central quelque peu
mythifié où il revient aux détenteurs du savoir juridique de tenter
de conserver le monopole d’une représentation du droit conforme
à une conception pyramidale du monde politique et social. Et
puisque je me suis référé à une épistémologie de la
«  connaissance située  », celle-ci peut valoir en l’occurrence,
comme un exemple parmi d’autres, pour certaines de mes
propres analyses. Ainsi un collègue et ami québécois a pu estimer
que l’un de mes ouvrages était abusivement inspiré par une
«  sociologie républicaine  » dans la filiation de celle d’Émile
Durkheim 23. Pour ce dernier, l’État est l’instance à travers
laquelle la réaction passionnelle de la communauté se transforme
en «  réponse organisée 24  ». Dans cet esprit, le législateur est
« l’interprète autorisé des sentiments collectifs parce que le droit
est une expression forte d’une conscience collective unitaire 25  ».
Marcel Mauss lui-même fera écho à cette conception en
considérant que l’État est «  l’appareil juridique unique de la
cohésion sociale 26 ».
Dans les pays de common law, prévaut l’idée d’un droit
d’abord défenseur de la personne contre l’État, de la protection
des droits des individus et des collectivités privées contre
l’intervention gouvernementale 27. Les professionnels du droit
sont des «  ingénieurs sociaux  », des gardiens des droits des
citoyens contre l’arbitraire de l’État, cela dans l’esprit du contrat
social selon John Locke, où l’individu en passant de l’état de
nature à celui de société a retenu certains droits inaliénables
avant de conclure le pacte social.
À l’attention qui doit être ainsi portée au contexte culturel
s’ajoute celle qui doit s’appliquer au contexte historique. Comme
je l’ai suggéré plus haut, la pensée française des années  1960-
1990 a été fortement inspirée par le paradigme de la domination.
La doctrine marxiste en représente la genèse. L’influence de cette
dernière est explicite dans les écrits d’un mouvement présent au
sein même de l’univers juridique  : le mouvement «  Critique du
droit ». Le droit y est considéré comme un instrument au service
d’un État lui-même émanation des volontés de la «  classe
dominante  ». Prédomine donc «  l’aspect coercitif et répressif du
droit 28  », un droit qui s’impose aux «  dominés  » et qui ne laisse
pas de place à des contre-usages de résistance par ces derniers.
Préoccupés avant tout par l’introduction d’une nouvelle
conception critique en regard de l’approche conservatrice dans
l’enseignement des facultés de droit, les tenants de ce courant ont
été peu présents dans le processus de mobilisation de la ressource
juridique par des mouvements issus de la société civile. Ainsi, « le
lien avec les mouvements [sociaux] et les syndicats a été
faible 29 ». De même, « l’absence de passerelles entre ces analyses
théoriques [produites par ce courant] et les mouvements sociaux
qui, à la même époque, ont pu chercher à mobiliser le droit selon
des modalités nouvelles, par exemple en faveur des femmes ou
des immigrés 30  ». La centration des analyses du courant
«  Critique du droit  » se fait bien sur le paradigme de la
domination.
C’est dans cette logique de pensée que s’inscriront ensuite des
analyses où la caractérisation consacrée des sociétés sera alors
celle de «  sociétés disciplinaires  » (ayant succédé aux «  sociétés
de souveraineté 31 »), qui seraient propres au XVIIIe et au XIXe pour
e
connaître leur apogée au début du XX   siècle 32. Leur «  crise  »
laisserait place à un autre régime de domination qu’imposeraient
à la suite les «  sociétés de contrôle 33  ». Rappelons que
l’avènement de ces dernières découlerait de la crise des cadres
d’«  enfermement  » comme la prison, l’hôpital, l’usine, l’école, la
famille, caractéristique d’une mise en place de formes plus
« désinstitutionnalisées », plus « souples », plus « immanentes »
au fonctionnement social 34. Dans les « sociétés disciplinaires », la
fonction du droit est conçue de façon idéal-typique comme celle
du commandement ou de l’imposition dans les systèmes
politiques : la certitude de la soumission et de l’exercice absolu de
l’autorité exclut l’idée de l’incitation ou celle du pilotage, plus
encore celle de la résistance 35. Dans les « sociétés de contrôle », si
le droit est considéré comme «  hésitant  », «  en crise  », rien
n’indique toutefois qu’il pourrait être autre chose que de
demeurer un instrument de domination. Il a simplement à
redéfinir ses modes d’action 36.
Dans un tel cadre d’analyse, l’œuvre de Michel Foucault, ce
qu’elle dit du droit, son retentissement international, sont bien
représentatifs de cette nouvelle déclinaison du paradigme de la
domination dans le fonctionnement des sociétés et les formes
d’exercice du pouvoir dans cette période. Pour cet auteur, «  le
droit n’apparaît que comme le masque du pouvoir, et la réalité de
celui-ci réside dans la domination, une réalité que la théorie du
droit aussi bien que sa technique ont pour fonction essentielle de
camoufler 37  ». C’est ainsi que l’intérêt porté aux phénomènes
juridiques l’est d’abord à travers la question des «  dispositifs  »,
c’est-à-dire dispositifs de pouvoir disciplinaire, « mécanismes du
biopouvoir  ». Le droit est un instrument de contrôle social et
participant d’une «  gouvernementalité disciplinaire 38  ». Cela
concerne les règlements qui régissent l’internement, plus
largement les institutions à visée d’enfermement, les usages de la
violence, ou qui constituent un «  instrument spécifique de
l’action de l’État de police 39  » caractérisé par l’exercice de la
surveillance et de la discipline. Plus généralement, selon Michel
Foucault : « Dans toutes les instances – de l’État à la famille, du
prince au père, du tribunal à la batterie des punitions
quotidiennes, des instances de la domination sociale aux
structures constitutives du sujet lui-même –, la forme générale du
pouvoir serait la forme du droit dès lors que celui-ci se définirait
à travers le jeu entre le licite et l’illicite, la transgression et le
châtiment 40.  » Une telle conception rend alors possible
l’interprétation suivant laquelle le terme gouvernementalité
«  forme un couple polaire […] avec le terme souveraineté  » et
exprime à ce titre une double critique du juridisme comme
conception du pouvoir «  plus ou moins confusément pensé
comme un système unitaire, organisé autour d’un centre qui est
en même temps la source, et qui est porté par sa dynamique
interne à s’étendre toujours 41 ».
Bien qu’empruntant des modes d’approche et des voies
analytiques différents, l’œuvre de Pierre Bourdieu est à situer
dans la même logique. En effet, cet auteur fait sienne la
perspective «  par le haut  » (top down), prépondérante dans
l’univers juridique français. Il semble ainsi lui-même influencé
par une histoire des rapports entre droit et pouvoir qui est propre
à la France où le droit est considéré comme un instrument de
première importance dans le cadre d’une théorie de la
domination politique marquée par une vision étato-centrée 42.
Dans cette perspective, le droit n’est qu’«  un reflet direct des
rapports de force existants, où s’expriment les déterminations
économiques, et en particulier les intérêts des dominants, ou
bien, comme le dit bien le langage de l’Appareil, réactivé par
Louis Althusser, un instrument de domination 43 ».
Mais ce qui spécifie l’approche de cet auteur, c’est
l’affirmation suivant laquelle le droit participe du travail de
domination symbolique 44. Il est l’instrument de l’État pour
justifier le fait que celui-ci soit détenteur de la «  violence
symbolique légitime ». En jouant sur l’effet de « neutralisation »
et celui d’« universalisation », le droit suscite de la croyance dans
ce qui est en fait idéologique et, par conséquent, confère de
l’efficacité symbolique à «  toute action lorsque, méconnue dans
son arbitraire, elle est reconnue comme légitime 45 ». Les juristes
sont les acteurs de ces opérations. Ils sont mus par l’illusio, c’est-
à-dire mus par l’intérêt pour le jeu consistant à faire croire au
caractère universel de dispositifs juridiques « qui dépendent pour
une part de la position occupée par ceux qui les énoncent 46  ».
Suivant cet auteur, ce travail de faire croire des juristes serait
d’autant plus efficace qu’ils y croient eux-mêmes. De façon
parallèle à Michel Foucault pour qui la technique juridique a
d’abord une fonction de dissimulation de la domination 47, pour
Pierre Bourdieu, le droit est ainsi un instrument efficace pour
assurer la reproduction de l’ordre social, perpétuer la domination
des classes dominantes et consacrer l’ordre établi, « une vision de
cet ordre qui est une vision d’État, garantie par l’État 48 ».
Ce qui me paraît particulièrement significatif dans l’œuvre de
Pierre Bourdieu en référence à l’usage qu’il fait de la notion de
domination, c’est que, tout comme les analyses de Michel
Foucault, en étant un dépassement de la pensée marxiste sur
cette notion, elle contribue à sa consécration dans la période
historique concernée, comme je l’ai rappelé plus haut. Au-delà de
l’analyse de la domination strictement centrée sur ses causes
économiques, sur son rapport au capitalisme, Pierre Bourdieu a
porté son intérêt sur les formes d’exercice de ce qu’il appelle la
domination symbolique, c’est-à-dire sur les moyens mis en œuvre
au sein des sociétés pour assurer la domination, la perpétuer et,
par une extraordinaire opération de mystification, laisser
accroire aux sujets sociaux sur lesquels cette domination s’exerce,
que celle-ci est légitime, qu’elle est «  naturelle  ». La domination
ne se manifeste pas seulement par les situations concrètes,
matérielles (le « matérialisme historique ») qu’elle assigne, par le
biais des dominants, aux dominés. Elle acquiert sa force
également par les influences qu’elle exerce sur les structures
mentales des sujets sociaux : soit en les amenant à se soumettre à
la domination qui est en quelque sorte naturalisée (par un
effacement de ses ressorts économiques, politiques et sociaux en
termes de rapports de pouvoir) au point d’apparaître comme
normale et légitime aux yeux de ceux sur lesquels elle s’exerce.
C’est ainsi que Pierre Bourdieu va s’intéresser aux modes de
reproduction sociale tels que les assurent l’école, l’éducation, les
biens culturels, etc., et, plus tardivement dans son œuvre, au
droit. Le droit sera alors considéré dans sa sociologie comme un
instrument de première importance dans le cadre d’une théorie
de la domination politique marquée par une vision étato-centrée.
Dans cette perspective, le droit a cette originalité de participer de
façon exemplaire à ce travail de domination symbolique qui
spécifie particulièrement l’approche de Pierre Bourdieu par
rapport à l’approche marxiste. Ce qui est intéressant ici, c’est que
le droit n’est plus seulement approché en tant qu’élément de la
«  superstructure  » et comme un simple outil utilisé par un État
au service exclusivement de la classe dominante dans le cadre de
rapports sociaux déterminés par les rapports économiques. Ce
qui est étudié n’est plus simplement ce que le droit fait
prétendument mais c’est comment il le fait, au point que ce qu’il
impose finit par être accepté comme légitime par ceux à qui il
s’impose.
Un des enjeux du présent ouvrage est bien de démonter que ce
qu’on appellera ce paradigme de la domination n’est plus en
adéquation avec ce que nous dit le droit des mutations des
sociétés et cela pour de multiples raisons. Bien entendu, il ne
s’agit pas de considérer que cette domination n’existe plus. Mais
la nommer n’épuise plus le sens des multiples formes que prend
la régulation sociale et politique des sociétés. Elle doit être
d’abord considérée dans des cadres nouveaux qu’impose la réalité
d’un monde globalisé et, par conséquent, où la domination ne
saurait plus être exclusivement rapportée, implicitement ou
explicitement, au pouvoir de l’État. Ensuite, s’y référer ne doit
plus conduire à s’en tenir au schéma d’une sorte d’unilatéralité
qui marquerait de façon exclusive les régimes de régulation
sociale et politique des sociétés contemporaines ne fonctionnant
que du «  haut  » vers le «  bas  ». L’objet «  droit  » et celui de ses
mises en œuvre prennent alors toute leur valeur dans la mesure
où leur étude permet de révéler la réalité ou les multiples
virtualités de mouvements au sein des sociétés contrariant cette
unilatéralité et lui contestant le monopole. Il faut d’ailleurs
rendre justice, comme nous le verrons ultérieurement, à certaines
des figures du paradigme de la domination, dont celles
auxquelles je viens de me référer, d’avoir finalement pressenti
cette évolution. Cette complexification est ici rendue d’autant
plus évidente grâce à l’étude du droit via des théories qui, comme
nous le verrons, consacrent la rupture avec l’idée d’une relation
causale entre le droit et la société pour imposer une approche où
le droit devient partie prenante du social.
L’importance accordée au droit dans l’analyse des mutations
des sociétés permet bien de poser la question d’un nouveau
paradigme nécessaire pour qualifier, analyser et donner sens à
ces mutations.

L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE
DE L’OUVRAGE

De cette définition des objectifs fixés à la réflexion faisant


l’objet du présent ouvrage découle la structuration de son
contenu. Dans une première partie consacrée à la construction
sociale du droit, il s’agit d’abord de tenter de mieux cerner ce
qu’est ce droit à travers ce que sont les représentations sur ce
qu’il dit qu’il est et qu’il fait, ce que signifient les façons dont il se
donne à voir. Son importance se mesure à la fois à l’aune de la
réalité de son fonctionnement dans la régulation sociale et
politique des sociétés mais également par sa force sur le registre
symbolique. À travers ces façons dont il se représente et dont il
est représenté se joue le statut qu’on souhaite lui conférer mais
aussi se laissent supposer des conceptions de l’ordre social et
politique. Paradoxalement, nous verrons que ce droit si soucieux
de sa spécificité, si propre à cultiver son exceptionnalité, se voit
construire de façon déterminante son statut en fonction des types
de rapports qu’il établit avec la société. Soit il se représente dans
une autonomie affirmée par rapport à la société ou dans une
position de surplomb jusqu’à suggérer sa transcendance
(chapitre  I), soit, à l’inverse, il fait de la société le moteur de son
action jusqu’à admettre une immanence donnant à cette dernière
la prééminence dans la détermination de ses pratiques et de ses
finalités (chapitre  II). Dans ces processus différenciés de
construction sociale de ce qu’on appelle « droit », bien entendu la
place de ses émetteurs et de ses locuteurs est centrale
(chapitre III). La compétence qui est incontestablement la leur, la
science qu’ils revendiquent parfois pour fonder leur pratique,
constituent les attributs d’une professionnalité particulière qui
fait d’eux des acteurs privilégiés du fonctionnement des sociétés.
Mais en étant acteurs influant sur le fonctionnement des sociétés,
ils sont aussi pleinement des acteurs dans les sociétés, porteurs
de stratégies, inspirés par des valeurs, mus par des intérêts,
immergés dans des contextes. L’intérêt qu’ils représentent pour
notre réflexion sur les rapports entre le droit et les mutations des
sociétés tient effectivement à ce double rôle  : celui d’être acteur
agissant sur et agissant dans pour être ainsi pleinement,
notablement acteurs sociaux de ces mutations.
Ce sont ces mutations des sociétés et la fonction de révélateur
que le droit joue en la matière qui sont l’objet de la deuxième
partie consacrée aux bouleversements des contextes du droit. Je
privilégie ici deux «  entrées  » pour fonder ma démonstration  :
celle des territoires (chapitre  IV)  ; celle des temporalités
(chapitre V), c’est-à-dire ces deux variables déterminantes dans la
structuration des sociétés  : l’espace et le temps. Le droit était
fortement associé à l’État. En quoi le processus de globalisation
bouleverse cette relation quasi exclusive et consacre l’existence
d’un pluralité de niveaux de territoires susceptibles d’agir sur la
régulation sociale et politique des sociétés ? Les nouvelles formes
prises par l’économie de la légalité renvoient aux
bouleversements des contextes. Elles rendent visibles notamment
les enjeux politiques au cœur du devenir des sociétés. Elles
conduisent à revenir sur l’apparente évidence d’un
«  universalisme  ». Cette subversion des visions du monde est
renforcée par une observation des rapports entre le temps et le
droit. À l’idée de la naturalité du temps se substitue celle de
temporalités où les changements dans les temporalités du droit
renvoient et éclairent sur le sens des changements dans les
temporalités sociales et politiques des sociétés contemporaines,
relativisent la notion de temps en fonction, en particulier, de
contextes culturels et des positions et des dispositions sociales.
L’ampleur des mutations des sociétés ainsi mises en valeur
renvoie finalement à celle des enjeux auxquels les sociétés
contemporaines sont confrontées et dont le droit dans ses
diverses expressions et manifestations est un exceptionnel
révélateur. Fondamentalement, ces enjeux sont d’évidence
politiques. C’est ce qui sera souligné dans une troisième partie
consacrée aux sens politiques du droit. Le droit face aux
mutations des sociétés rend particulièrement visibles les
incertitudes des modèles politiques des sociétés contemporaines
(chapitre  VI). Il est partie prenante des oppositions, des tensions
entre ces modèles et il est engagé dans la quête de dépassement
des cadres traditionnels de réalisation de l’idéal démocratique.
Influencé par sa dualité telle qu’elle a été mise en valeur dans la
première partie, ses reconfigurations prônées visent soit à le
restaurer comme un droit référence, soit à le consacrer comme
une ressource agie d’abord par les citoyens et les sociétés civiles.
C’est bien de la quête d’une nouvelle économie de la légalité qu’il
est question, qui est en même temps la quête de nouvelles
configurations démocratiques (chapitre  VII). Quelles peuvent en
être les composantes, les procédures en vue de leurs
concrétisations  ? Celles-ci passent-elles par la conception d’un
nouveau modèle de légalité au fondement de la régulation sociale
et politique des sociétés à venir, au risque sinon que s’impose un
modèle dont le trait principal serait d’être sans finalités et sans
valeurs ?
Il restera en conclusion à me pencher à nouveau, de façon
synthétique, sur cette tentative de renouvellement des regards
fondé sur la conviction d’une indissociabilité du droit et des
sociétés dans lesquelles il œuvre. Je le ferai, successivement, en
rappelant l’existence de ce que j’ai qualifié de modèle de légalité
duale et de son activation par des professionnels considérés
pleinement comme des acteurs sociaux  ; en revenant sur la
fonction de dévoilement que remplissent les entrées par l’espace
et le temps, de telle sorte que ces révolutions du droit, révélées
particulièrement par ces entrées, nous introduisent aux
mutations des sociétés, puis aux incertitudes du politique. Ce
renouvellement des regards sur une réalité suggère enfin un
renouvellement nécessaire non seulement des modes de
connaissance du droit mais, plus largement encore, celui, déjà
suggéré dans cette introduction, des cadres d’analyse de la
régulation sociale et politique des sociétés contemporaines.
PREMIÈRE PARTIE

LA CONSTRUCTION SOCIALE
DU DROIT

L’erreur à laquelle je fais référence est l’idée que la seule


force à l’œuvre dans le développement du droit est la logique.
[…] Il est possible de donner à toute conclusion une forme
logique. Il est toujours possible de sous-entendre une
condition dans un contrat. Mais pourquoi la sous-entendre ?
Ce n’est qu’à cause de telle ou telle croyance relative aux
pratiques d’une communauté ou d’une classe, ou bien de telle
opinion quant à la politique, bref, à cause de notre attitude
face à ce qui ne peut être mesuré de manière exacte, et, par
conséquent, ne peut en rien fonder une conclusion logique
correcte. De tels problèmes ne sont, à vrai dire, que des
champs de bataille où n’existe aucun moyen susceptible de
décider ce qui serait bon pour l’éternité, et où une décision
ne peut guère plus qu’incarner les préférences d’un corps
donné, à une époque et à un lieu donnés 1.

Peut-être touchons-nous ici au plus près ce qui, au terme


de ces balancements, pourrait être l’idéal du droit selon
Shakespeare  : un droit administré par un roi sage et
populaire, guidé par un juge-conseiller indépendant, mais
aussi nourri d’une expérience acquise auprès du peuple […].
Un droit ancré dans les réalités, mais non pas sourd à une
certaine utopie 2.
Chapitre premier
LE « JURIDISME »,
REPRÉSENTATION DOMINANTE
DE LA LÉGALITÉ

Sans prétendre à une analyse historique ou même à une


histoire du droit ou à une philosophie du droit qui n’est pas de
ma compétence (mais je ne méconnais pas, bien entendu, l’intérêt
que ces approches pourraient avoir ici), je me propose de
souligner à grands traits dans ce chapitre les façons dont le droit
se donne à voir, toutes dictées par ce qu’il aspire à être : pour lui-
même, au sein de cet univers juridique dans les différentes
facettes des activités qu’il développe (enseignement, production
savante, travail de doctrine, fonction d’expertise auprès du
politique, pratiques de mises en œuvre du droit, etc.)  ; à
destination de la société pour laquelle il a l’intention de n’être pas
seulement l’instrument de sa mise en ordre, de la préservation ou
du rétablissement de ses équilibres mais aussi le vecteur d’une
vision du monde. Cette représentartion du droit, je l’appelle
« juridisme 1 ».
Le droit est au cœur d’une contradiction  : tout concourt à le
célébrer comme une évidence alors qu’il est sans doute, plus que
tout autre phénomène, exposé à être l’instrument de rapports
idéologiques et donc construit par eux. Notre rapport au droit est
fréquemment un rapport avec une réalité construite, représentée
en fonction de finalités politiques et de finalités propres à la
culture juridique. Le droit est moins ce qu’il est que ce qu’on dit
qu’il est et il nous appartient « d’apercevoir ce qu’est le droit – et
non ce qu’il devrait être 2 ». Il en résulte que toute réflexion sur le
droit doit être lestée d’une connaissance précise de la place
qu’occupe celui qui la formule. Mais cette rupture se révèle
d’autant plus difficile à opérer que la rhétorique parfois employée
ne cesse de conforter sa propre légitimité en se déployant
simultanément sur le registre de la science (ce qu’on nomme la
«  science du droit  »), sur celui de la pratique (qui prétend à
l’évidence de la logique), jusqu’à l’action politique ou à une
aspiration à doter celle-ci d’une « Raison » (qui serait celle que le
droit contiendrait par essence).
De telles ambitions suffisent à montrer que l’univers juridique
n’est pas un univers ordinaire composé de membres qui auraient
en commun seulement une pratique  : celle du droit. L’univers
juridique est fondé effectivement sur une culture qui n’est pas
qu’une culture professionnelle dans la mesure où le matériau
juridique est imprégné de valeurs au fondement de ce que doit
être ou devrait être aux yeux de ceux qui le composent le monde
social. Cela au point que la tentation est souvent grande de
franchir la frontière entre ce qui relève du juridique et ce qui
relève du politique, même si ce franchissement est nié ou occulté,
la force politique du droit résidant paradoxalement sur
l’affirmation de sa neutralité à l’égard du politique. Le statut
exceptionnel de cet univers, la culture qui le caractérise, au sens
où je viens de m’y référer, se mesure alors : à la puissance de ses
rituels (dont celui de l’usage de la toge) ; à la force de ses rites de
passage 3  ; à l’extrême vigilance portée à la préservation de
l’autonomie de ses savoirs  ; à la dynamique d’intériorisation de
cette autonomie comme nous l’avons vu en introduction avec
Max Weber 4, etc.
C’est donc de ce constat tenant à la nature exceptionnelle de
ce qu’est le droit aux yeux de ceux qui en sont tout à la fois les
gardiens et les promoteurs qu’il me faut partir. Avant de tenter de
saisir ce qu’il est dans la réalité des sociétés contemporaines, il
convient à mes yeux de rappeler ce qu’il aspire à être, c’est-à-dire
de se pencher sur ce qui fonde au plus profond l’identité de
l’univers juridique : les représentations que celui-ci se donne à lui-
même et qu’il tente de donner à voir au monde social.
La force du droit ne se mesure pas seulement par ce qu’il fait
mais aussi par ce qu’il dit ou pense qu’il est, ou encore « pour ce
qu’il ne dit pas 5 ». Ce qui est en cause ici n’est pas seulement le
registre de l’action, des effets directs, concrets de l’activité
juridique mais celui du symbolique. La fonction symbolique du
droit est l’un de ses attributs essentiels pour comprendre la
nature même de ce qui fonde l’univers juridique lui-même, son
identité et le statut auquel il prétend dans le monde social 6.
La force du droit, c’est aussi de créer des fictions qui prennent
la forme de représentations susceptibles de servir l’identité de
ceux qui le produisent, le commentent et le pratiquent et de
soutenir l’idée de son utilité sociale et politique 7. À la fonction
instrumentale du droit, il faut donc ajouter la dimension
symbolique de celui-ci. « Le droit est […] un système culturel de
significations plutôt qu’un système de contrôles
8
instrumentaux .  » La fonction symbolique ainsi assumée par le
droit lui donne une valeur toute particulière : pour lui-même, et
notamment en référence à son « efficacité [qui] […] vient plus de
ce [qu’il] représente que de ce qu’il exprime 9  ». Or, ce qu’il
représente, le statut de ce qu’il représente, les conditions de la
réception de ce qu’il représente, sont étroitement liés précisément
aux types de représentations sociales qu’il suscite, de la part de
ceux qui en ont la maîtrise, pour leur propre bénéfice, et avec
l’objectif que ces représentations soient partagées, appropriées,
reconnues comme justes par ceux qui en sont les destinataires. Le
pouvoir de ces représentations se mesure par exemple au fait que
les effets qu’elles sont susceptibles de produire à long terme
peuvent être considérés comme plus importants que les effets
concrets à court terme sur les pratiques sociales. Ainsi,
l’ineffectivité d’une loi du point de vue des comportements (c’est-
à-dire l’ineffectivité de la fonction instrumentale du droit),
résultant par exemple de son maintien malgré des évolutions
sociales, peut permettre néanmoins à la loi concernée d’avoir une
fonction symbolique au-delà du phénomène qu’elle est supposée
réguler. J’ai ainsi pu montrer que le maintien d’une loi qui ne
prenait pas en compte les mutations des comportements en ce
qui concerne la séparation des couples, comme le maintien,
malgré des détournements de plus en plus fréquents dans son
application compte tenu de «  l’évolution des mœurs  », du seul
divorce pour faute prévu par une loi de  1884, cela jusqu’à la loi
du 11  juillet 1975, pouvait néanmoins avoir pour fonction de
préserver, envers et contre tout, la représentation d’un modèle
familial traditionnel 10. Dans ce jeu complexe entre le court terme
et le long terme au moyen d’une prise en considération
particulière des représentations, il a pu être démontré que la
promulgation d’une loi «  portant réforme…  » pouvait avoir peu
d’effet à court terme sur les changements des comportements
mais contribuer, à plus long terme, à modifier les représentations
au fondement de ces comportements et, par voie de conséquence,
à la suite, transformer les comportements concernés 11.
Le jeu maîtrisé avec ce registre symbolique du droit peut être
aussi pratiqué par le politique, comme une justification par
analogie de l’importance que l’univers juridique accorde à ce
registre. Ainsi, l’institution de lois supposées fonder des réformes
peuvent avoir une fonction symbolique au sens où elles donnent à
croire à une volonté de changement bien qu’elles n’aient aucun
effet dans la réalité. C’est ce que j’ai pu appeler, à propos de
réformes en faveur de l’égalité hommes-femmes, dans les faits
non ou faiblement appliquées, des «  actes formels de
modernité 12 ».
L’importance accordée par l’univers juridique à cette
dimension symbolique du droit se mesure enfin, comme en
miroir, à son émergence possible dans l’imaginaire des citoyens.
Par exemple, l’acquisition de droits suite à des mobilisations
collectives peut avoir pour bénéfice, au-delà de cet acquis, de
permettre aux forces sociales à l’origine de ces mobilisations
d’accéder à une « conscience du droit 13 ».
C’est cette importance des représentations sociales révélée par
cette culture de la symbolique du droit qui, outre qu’elle fait du
droit un élément central de la régulation sociale et politique des
sociétés, apparaît comme étant au cœur de la construction de
l’identité de l’univers juridique et disons de sa majesté. La défense
de cette identité peut aller jusqu’à favoriser un penchant à l’auto-
référence et une résistance à ce qui la menace, c’est-à-dire  : la
permanente effervescence sociale et politique des sociétés. Ce
penchant se manifeste particulièrement quand ces
représentations sociales produites au sein même de la sphère
juridique portent l’aspiration d’épuiser à elles seules la
signification du droit. Or, ma conviction est que la connaissance
maîtrisée de cette effervescence est à la fois une exigence pour
l’activité juridique dans toutes ses formes parce qu’elle en modifie
considérablement la réalité au point de faire alors du droit un
révélateur des bouleversements de la régulation sociale et
juridique des sociétés. Faire partager cette conviction suppose
certainement le préalable que constitue le présent chapitre, c’est-
à-dire  : se pencher sur ces représentations sociales du droit qui
déterminent les rapports complexes de l’univers juridique avec les
contextes sociaux et politiques. Ces rapports sont faits  : soit de
rejet, de prévention, soit d’acceptation et de prises en compte
mais qu’il s’agit alors d’actualiser ou d’élargir.

UN « DROIT » COMME « RAISON »

Certains courants de la pensée juridique, ceux notamment qui


inspirent certaines analyses de la philosophie du droit,
entretiennent une certaine représentation sociale du « Droit ». La
majuscule accordée au mot prend alors tout son sens. Il est
question de la « Raison juridique » au même titre qu’il peut être
question du «  Père 14  », comme si, à l’évidence d’un statut
surplombant du droit, devait correspondre «  naturellement  »
celle incarnant l’autorité  : le «  Père  » de famille, sous-entendu
pour reprendre les métaphores de la famille appliquées au
politique, le « Père de la Nation », c’est-à-dire une représentation
hiérarchisée, pyramidale, descendante de l’ordre politique. Pour
le dire autrement, il s’agit bien d’un «  droit jupitérien  »  :
« Toujours proféré de quelque Sinaï, ce droit prend la forme de la
loi. Il s’exprime à l’impératif et revêt de préférence la nature de
l’interdit. Il trouve à s’inscrire dans un dépôt sacré, tables de loi
ou codes et constitutions modernes. De ce foyer suprême de
juridicité émane tout le reste du droit, en forme de décisions
singulières. Une pyramide se dessine, impressionnant monument
qui attire irrésistiblement le regard vers le haut, vers ce point
focal d’où irradie toute justice. De toute évidence, ce droit
jupitérien est marqué par le sacré et la transcendance 15. »
Nous sommes là dans la genèse d’un «  univers théologique-
dogmatique », d’une « casuistique romano-canonique » proche de
«  cette matrice de l’État juriste inventé par l’Europe et dont la
passion législative à la française est l’un des rejetons 16  ». C’est
l’affirmation triomphante d’un «  ordre dogmatique et des
institutions, propres à assurer pérennité et reproduction 17  », où
« le droit n’est pas une simple gestion instrumentale de la société,
mais le modelage des sujets sociaux […] par la logique de la
soumission 18  ». Il s’agit d’obtenir l’«  amour de la subordination
dans le cœur du peuple […] au moyen de l’amour de la loi 19  ».
«  En France […] où les droits furent conçus [à la suite de la
Révolution] comme le produit (non comme la cause) de la
politique, ils deviennent codifiés (sacralisés et intouchables). […]
Ainsi la tradition française a voulu réaliser, à travers le droit,
l’idéal de tout pouvoir : faire voir l’exercice du pouvoir politique
comme une puissance qui n’est pas le résultat d’une politique,
mais d’une entité mythique, transcendante et immuable 20 » (soit
la « Volonté générale » au sens de Jean-Jacques Rousseau).
On comprend alors qu’il puisse être question de la
«  transcendance républicaine  » qualifiant cette transfiguration
d’une « Promesse républicaine [qui] a pris la place de la Promesse
du salut éternel. La transcendance religieuse […] avait été
remplacée, pour les tenants de la modernité politique, par la
transcendance politique : la Patrie, la République, la France ou le
Parti communiste, qui avaient droit à la majuscule, ont alors pris
la place de l’Église et du roi, entraînant la même adhésion, les
mêmes expériences vécues et les mêmes passions que la
participation à une Église. Elle impliquait une sorte de
spiritualisation du pouvoir politique 21 » et, ajouterai-je, du droit,
du « Droit » lui-même.
Dans ce cadre, la fonction des juristes s’exerce au sein d’un
«  mandat  » obéissant au «  mode de la vérité révélée  ». «  Tout
indique pourtant [que ce mandat] est resté de l’ordre des
“mystères de l’État” qu’évoquait l’historien Ernst Kantorowicz à
propos de l’absolutisme royal, inaccessibles au commun des
mortels sans [notamment] l’intercession des juristes 22. » Une telle
représentation sociale du droit, née de cette «  alchimie
théologico-politique », qui va permettre le passage « de la liturgie
à la science du droit 23  » puis favoriser la transmutation de la
personne physique du prince en celle de l’État 24, est certainement
à la genèse d’un « mythe du droit 25 ».
Cette représentation sociale du droit, dont Pierre Legendre à
la suite d’Ernst Kantorowicz a retracé l’origine historique, se
perpétue dans des déclinaisons contemporaines ainsi qu’en
témoigne une analyse récente consacrée à la place du droit dans
et face au néolibéralisme 26. En revenant sur la «  Déclaration de
Philadelphie » de 1944, où était proclamée la volonté de « faire de
la justice sociale l’une des pierres angulaires de l’ordre juridique
international 27 », la thèse est avancée d’un « retournement » : en
lieu et place de l’établissement d’une justice sociale à vocation
universelle, dans le contexte de la globalisation, s’est «  substitué
celui de la libre circulation des capitaux et des marchandises [et]
au lieu d’indexer l’économie sur les besoins des hommes, et la
finance sur les besoins de l’économie, on indexe l’économie sur
les exigences de la finance et on traite les hommes comme du
“capital humain” au service de l’économie 28 ». L’analyse est alors
faite des causes de ce «  retournement  ». Elles sont politiques et
vont favoriser le triomphe du néolibéralisme, l’instauration de
cette « démocratie limitée » que Hayek appelait de ses vœux et la
« privatisation de l’État-providence » dans un contexte général où
le Marché devient le principe général de régulation de nos
sociétés.
Mais ce qui nous intéresse ici, c’est que le constat désenchanté
d’une instrumentalisation du droit dans le cadre de cette
globalisation constitue en même temps un appel passionné pour
la restauration du droit, du «  Droit  ». Seule cette restauration
d’une «  Raison  » du droit pourrait contribuer à surmonter les
turpitudes de ce néolibéralisme lié à la globalisation. Suivant
cette représentation, ce «  Droit  » est bien une «  référence
commune à un monde tel qu’il doit être 29  ». Il est alors rappelé
que « le mot même de “Droit” vient du latin médiéval directum et
suggère l’idée d’une direction 30  ». Ce «  Droit  » est ici
effectivement représenté comme devant instituer. Par exemple,
« c’est au droit qu’il incombe d’élargir ou de restreindre le jeu du
libre-échange 31  » ou encore, c’est aux cours suprêmes qu’il
appartient de veiller à la perpétuation d’une « Raison juridique »
au fondement de la raison démocratique 32.
Ce qui est frappant dans cette démonstration, c’est qu’il est
ainsi conféré au « Droit », à un « Droit » quasi mythifié, une sorte
de centralité dans l’évocation des turpitudes du néolibéralisme.
Par exemple, «  l’implosion des marchés financiers à
l’automne 2008 n’est que le symptôme d’une crise plus profonde,
qui est fondamentalement une crise du Droit 33 ».
Malgré les vertus de ce que ce propos dénonce, la question est
posée du sens qu’il convient de donner au « Droit » auquel il est
fait ici référence. Il est en fait doté d’une centralité et paré des
vertus de la transcendance de telle sorte qu’il n’est pas traversé
par la même logique que celle de «  la mystique qui entoure la
Loi 34 ». La mythification du droit à laquelle il est procédé donne
l’impression que sont ignorées ou marginalisées les sources
politiques et sociales du droit, de ses acteurs, éventuellement des
mobilisations dont il est l’objet. L’existence de forces sociales
semble éludée. Or leur éventuelle action, effectivement inspirée
par la défense ou le rétablissement de la «  justice sociale  »,
suggère pourtant l’existence possible de contradictions et la
possibilité de penser les termes d’une alternative rompant avec
l’expression d’un désenchantement suscité par ce qui serait le
constat de la fatalité d’une évolution univoque et inéluctable. La
célébration d’un « Droit », la croyance qu’il suscite et entretient,
et dont transpire ici la nostalgie, n’empêche-t-elle pas de prendre
en compte un droit ou des droits sans majuscule, sécularisés, cela
face à une « Raison » juridique qui semble effectivement tomber
du ciel ou, tout au moins, relever d’un droit naturel conçu comme
«  ensemble de règles rationnelles fondées sur la Raison pure 35 »
d’Emmanuel Kant et se distinguant d’un droit positif construit
par convention  ? Une telle représentation sociale du droit ne
risque-t-elle pas de rendre possible une conception disons
intégriste du droit, celle d’un positivisme juridique radical où la
mise à distance est illégitime parce qu’elle menacerait l’intégrité
du droit ?
Cette représentation sociale du droit suggère par ailleurs une
certaine conception du politique et de la place du droit dans la
constitution du politique. La fonction centrale que le droit
occupe tient à son rôle dans la régulation politique des sociétés,
celle d’une régulation top down, suivant un modèle pyramidal où
le «  sommet  » (le pouvoir politique, l’État…) ordonne et la
«  base  » (la société) se soumet en même temps qu’est sollicitée
son adhésion. Une telle représentation sociale du droit est ainsi
conforme à la définition du droit moderne  : «  L’État apparaît
comme la seule source du droit, le seul foyer de juridicité ; et la
règle de droit prend la forme de commandements impératifs, qui
doivent être exécutés sous la menace de sanctions. L’univers
juridique moderne se présente comme un “ordre euclidien” (il
n’existe qu’un seul espace juridique, l’espace étatique) et il repose
sur une “logique aristotélicienne” (solutions applicables aux cas
d’espèces étant déduites de règles générales). Ce faisant, le droit
apparaît comme l’incarnation même de la Raison 36. »
Une telle représentation sociale du droit peut alors justifier
cette conception mythifiée du droit prenant la forme d’une
«  Raison  » juridique «  purifiée  », d’une «  Raison pure  » de ses
potentiels déterminants sociaux ou politiques. S’inscrivant dans
une tradition juridique occidentale où le droit peut être placé au-
dessus de l’autorité politique, une telle « Raison » devient en fait
la vraie « Raison » politique en lieu et place de celle portée par les
détenteurs du pouvoir politique. Dans cet esprit, le droit est bien
« la science de gouvernement, la science du gouvernement 37 ». Il
devient possible de considérer, en se référant à l’histoire de
l’Occident, que « le droit a toujours cherché à être, en dépit de la
dénégation de certaines écoles –  positivisme et kelsénisme
notamment  –, une science du politique. Le droit c’est la plus
antique science des lois pour régir, c’est-à-dire dominer et faire
marcher le genre humain 38  ». C’est en ce sens que «  le droit
romain devait servir partout la cause du Pouvoir et transmettre à
son tour l’idée d’une science du Politique 39 ».
Ainsi derrière le souci affiché de bien distinguer la mission du
juriste et celle du politique, transparaît, ainsi que je l’avais
souligné dans un précédent ouvrage 40, une représentation sociale
suivant laquelle la rationalité juridique est seule porteuse d’une
universalité au fondement du Politique. Il revient, par voie de
conséquence, à cette représentation sociale de ne pas être
soumise au risque des contingences de la vie politique. C’est la
raison pour laquelle le juriste, lorsqu’il fait œuvre de législateur,
doit «  renouer contact avec le peuple par-dessus la tête des
députés 41 ». Il lui appartient même de concevoir des instruments
d’observation empruntés à des savoirs externes au droit, ceux-ci
conçus véritablement comme instrument de gouvernement 42.
L’objectif est d’élaborer des lois pensées par rapport à des
finalités, pour fonder le social «  sur des principes directeurs de
l’existence humaine 43 ».
Le « Législateur juridique » peut alors s’autoriser à accomplir
son œuvre en la fondant sur une véritable philosophie politique.
Une telle conception suggère finalement des similitudes entre
cette conception du «  législateur juridique  » et la vision
pyramidale d’un ordre politique. Même si l’appropriation du droit
par ceux qui détiennent l’autorité politique témoigne d’un déclin
d’un droit transcendant le politique, autonome par rapport à
l’État, comme je l’ai précédemment avancé, le «  législateur
juridique  » est ici en phase dans ce cas avec une de ces figures,
comme celle en France du général de Gaulle, méfiant à l’égard de
politiciens «  acrobates de la démagogie  », concevant la fonction
présidentielle comme « clef de voûte 44 ».
LES SAVOIRS MIS AU SERVICE
D’UNE « RAISON » TRANSCENDANTE

Une telle ambition peut fonder l’exigence de formes


spécifiques de savoirs hors du droit lui-même. De la tentative de
conserver le monopole d’une représentation du droit conforme à
une conception pyramidale du monde politique et social découle
logiquement l’affirmation d’une légitimité exclusive à parler du
droit, mais aussi à l’étudier. « Le droit est une pratique qui est en
même temps un système de sens qui revendique, jusque dans ses
sciences auxiliaires, la capacité de servir sur lui-même ses
45
propres vérités .  » La «  science du droit  » pourra être conçue
comme une « science » totalisante dont les composantes, à savoir
la philosophie ou la théorie du droit, l’anthropologie ou la
sociologie du droit et l’histoire du droit, ne sont que des
disciplines ancillaires par rapport au droit. Elles n’ont de vertu
que parce qu’elles sont au service du droit, justement
instrumentalisées pour concourir à la grandeur du droit.
Par conséquent, si l’intérêt pour les manifestations de ce qui
constitue l’environnement du droit apparaît éventuellement
compatible avec la représentation sociale du droit comme
«  Raison  », c’est exclusivement dans le cadre d’une tentative de
restauration de la grandeur de ce « Droit ». Ce qui est visé, c’est
une recherche d’adéquation «  scientifique  » entre le social et le
droit. La maîtrise de cette adéquation ne peut revenir qu’aux
membres de l’univers juridique. Comme nous l’avons vu dans
l’introduction, les savoirs extérieurs au droit ou sur le droit
deviennent des instruments de gouvernement du droit que des
membres de l’univers juridique eux-mêmes pourront percevoir
comme relevant d’une «  normativité gestionnaire  » où triomphe
la tyrannie du « Social ». Pourtant, la prise en compte de ce qui
est extérieur au droit et susceptible de le déterminer, si elle est
acceptée, reste bien ici du ressort de l’institution juridique elle-
même, notamment des lieux où l’on enseigne le droit. Cette
exigence de contrôle est d’autant plus affirmée qu’elle est justifiée
par la conviction que la connaissance du social dans ses rapports
avec le droit ne peut que relever du monopole de ceux qui
maîtrisent le droit. Tout autre regard risque de souffrir d’«  une
trop grande indifférence à la technique juridique 46  ». Parler du
droit en relation avec le social «  sous-entend avoir acquis une
connaissance et une maîtrise réelle des mécanismes
juridiques 47  ». L’attention sera ainsi portée en permanence à la
technicité du droit, à la complexité des règles de procédure, à
l’agencement interne des normes juridiques, pour pénétrer de
l’intérieur l’activité juridique et son degré de sensibilité à ce qui la
contraint de l’extérieur.

LA MISE EN SCÈNE DU DROIT


COMME ACCOMPLISSEMENT
DE SA TRANSCENDANCE

L’idée de la construction d’une représentation sociale du droit


comme une fiction d’ordre supérieur s’impose déjà lorsqu’on
observe, particulièrement dans un pays comme la France, de
tradition civiliste se conjuguant avec un culte prononcé de l’État,
les formes ou, plus encore, les rites qui président à
l’accomplissement de l’œuvre législative 48. Mais il revient à la
suite aux espaces dédiés aux mises en œuvre du droit de célébrer
cette représentation sociale. À une représentation sociale du droit
comme «  Raison  » correspond celle de la justice comme
«  Raison  » juridique incarnée. Rien n’illustre mieux cette
correspondance que la célèbre formule de Montesquieu  : «  Le
juge est la bouche qui prononce les paroles de la loi  » (plus
fréquemment reprise sous la forme : « Le juge est la bouche de la
loi »). À la grandeur du droit doit donc correspondre la grandeur
de la justice et il revient à celle-ci de l’imposer. C’est le sens qu’il
convient de donner à la symbolique portée par l’architecture
judiciaire. Même si les historiens de la justice soulignent combien
les variations de cette architecture judiciaire suggèrent des
formes différentes de justice dans l’histoire 49 et des tendances
nouvelles dans les constructions plus récentes 50, de façon
dominante, c’est la représentation d’un modèle unique de justice
qui a tendance à vouloir s’imposer. Comme le dit superbement un
historien de la justice : « L’histoire de l’architecture judiciaire est
d’abord celle de la construction d’une justice de majesté au
détriment d’une justice de proximité 51.  » Cette «  justice de
majesté  » témoigne d’une conception du fonctionnement du
monde où s’impose l’idée d’ordre, de hiérarchie. L’exaltation de la
grandeur de la justice appelle en même temps au respect et à la
soumission des citoyens à une certaine vision politique du
fonctionnement du monde social.
De ce point de vue, la littérature sur l’architecture judiciaire
est riche d’une rhétorique sur ce que devrait être la physique du
monde, nous pourrions même dire sa métaphysique. La justice se
représente à travers des constructions architecturales et des
rituels porteurs des mythes sociaux et renvoyant aux fondements
anthropologiques des sociétés 52. Le «  Palais de justice  » comme
expression d’une «  justice hautaine  » empruntant à la
monumentalité grecque ou romaine 53, est le symbole de l’exercice
légitime d’un pouvoir fort sur la société, instrument de l’exercice
de la violence légitime par le pouvoir politique. De façon
analogue à ce qu’évoque Michel Foucault quand il dissèque le
Panopticon de Jeremy Bentham 54  : en se représentant dans des
« monuments », la justice représente le pouvoir dont elle est ainsi
une des expressions fortes 55. Quand au XIXe siècle se construit le
«  Palais de Justice  » de Bruxelles sur une partie surélevée au
milieu d’un quartier populaire, l’intention est bien d’imposer, à la
vue des catégories sociales exposées au risque de déstructuration
à la suite de la révolution industrielle, un symbole fort d’un
modèle d’ordre social porté par une institution qui est en charge
de le maintenir ou de le restaurer. Quand, en France, l’architecte
Boullée justifie dans des termes lyriques son projet d’un « Palais
de Justice  » installé sur un socle devant faire office de prison,
c’est bien une représentation de l’ordre du monde fondée sur
l’opposition entre le Bien et le Mal qu’il tente de consacrer dans
un espace architectural. Il s’agit de «  présenter de manière
métaphorique le tableau imposant des vices accablés sous le
poids de la justice 56 ».
L’usage de la monumentalité, même si elle est formellement
profane comme l’illustre la «  monumentalité républicaine  »
promue par la Révolution française, est inspiré par la logique de
la transcendance. Le «  sacré judiciaire  » n’est ici jamais loin  :
«  Comme toute forme de sacré, il porte en lui une unité de
pouvoir et de savoir, fusionnelle ou confusionnelle. […] En lui se
conjuguent les modes de production de la vérité de justice et le
fondement du jugement légitime, donc de l’institution judiciaire
elle-même 57. » La justice se donne à voir comme une méta-Raison
du social. La mission assumée par le juge et l’institution dans
laquelle il exerce est celle d’assurer la paix sociale par l’exercice
d’une autorité s’appuyant strictement sur la loi, d’assumer
pleinement «  le pouvoir didactique 58  » que lui confère cette
monumentalité.
Il y a, bien au-delà de l’exercice concret de la fonction de
jugement, l’objectif de cultiver une symbolique : celle des rappels
des principes et des valeurs supposés universels du «  vivre
ensemble » qui ne peuvent être préservés et respectés que par une
expression forte du pouvoir et de l’autorité. Cette justice est une
justice de la distance, ce qui s’exprime par un agencement des
espaces intérieurs qui «  met de la distance  » et consacre une
ségrégation entre les « clercs » et les profanes 59. Elle est exercée
par des hommes dont l’habillement fait d’eux une «  généralité
incarnée  » comme le prouvent a  contrario les caricatures de la
justice comme celles de Daumier en France. Ces caricatures
subvertissent l’image que la justice veut donner d’elle-même
puisqu’elles visent à rendre visible la singularité du juge au-delà
des apparences de sa grandeur en montrant qu’il possède un
corps dont l’apparence trahit ses faiblesses d’humain comme les
autres 60. Comme le rapporte un historien avec cet extrait d’un
discours de rentrée judiciaire  : «  Un représentant de l’autorité
perd de sa considération aussitôt qu’il apparaît non pas sous son
aspect humain mais, comme il arrive souvent, sous son aspect
trop humain 61. »
C’est à travers la célébration ou même l’exaltation par
l’architecture du caractère exceptionnel de la mission de justice
que le bâtiment judiciaire devient non seulement le symbole du
pouvoir régalien qu’il représente mais un attribut du statut pour
son lieu d’implantation  : la ville où il est établi. Dans les débats
provoqués par l’éventualité d’une réforme de la carte judiciaire en
France, ceux suscités par le projet de suppression d’un tribunal
apparaissent comme particulièrement révélateurs de la
perception d’une perte symbolique pour la ville concernée que
signifierait cette suppression. Ainsi, comme une illustration
parmi beaucoup d’autres, Antony Thouret déclare en 1849 : « Les
Parisiens peuvent perdre quelques-uns des magistrats de leurs
cours souveraines, c’est à peine s’ils s’en apercevront en
traversant leurs écoles, leurs musées, leurs bibliothèques  ; mais
dans une pauvre ville de province, mutilez la magistrature,
éteignez tous ces modestes foyers d’où rayonnent quelques
heures de science et de poésie et dites-moi ce qui restera  : des
rues silencieuses, des places désertes, une population dont l’âme
s’étiole et s’éteint 62. » C’est ainsi que, dans le cadre de la réforme
de la carte judiciaire de  1958 en France, dans un Mémoire
adressé à la Chancellerie, la demande de rétablissement du
tribunal d’Orange est formulée de la façon suivante  : «  Aux
moments les plus brillants de son histoire, la principauté
d’Orange possédait son évêché, son université et son parlement.
Le tribunal d’Orange en est une dernière survivance 63. »
L’argumentation que les villes développent pour défendre le
maintien de « leur » tribunal constitue une sorte de miroir de la
façon dont la justice souhaite se donner à voir dans
l’accomplissement d’une fonction extraordinaire au sein de la
Cité. Il s’agit de préserver des «  représentations légitimes de
l’ordre social  », de veiller à la perpétuation d’une «  légitimité
d’ordre supérieur […] impliquant une référence fondatrice à des
vérités inaccessibles à l’entendement commun sans la médiation
d’interprètes autorisés 64 ».
Ce qui nous intéresse particulièrement ici, c’est qu’une telle
entreprise de mythification de la justice participe de la même
logique que celle visant à faire du droit, du « Droit » le régulateur
suprême de la société, le moyen de sa structuration et de celle du
politique. Le droit et la justice sont bien les instruments d’une
domination légitime où l’acte d’imposition précède celui de
l’adhésion des citoyens. Cette représentation de la justice en
symbiose avec celle du droit, comme méta-Raison de la société,
relève d’une génétique du religieux. Pour les historiens, elle
s’inscrit dans un processus long de sacralisation 65 : « Les images
de la justice témoignent d’une conception de celle-ci investie
d’une sacralité qui l’autorise à se penser hors de toute
manifestation de puissance humaine 66. » C’est ce que confirme le
recours fréquent au vocabulaire religieux dans les discours de
rentrée judiciaire jusque dans les années  1880  : «  Sacralité du
ministère, sacerdoce, temple de la justice, tout concourt à
souligner l’aspect religieux, sacré de la cérémonie 67.  » La
conception de l’espace judiciaire, de ses contours, de sa
décoration intérieure, l’organisation de ses rituels et l’habillement
de ses acteurs empruntent au religieux et aux façons dont il se
célèbre. Une approche historique de juridictions anglaises
souligne cette genèse du religieux renforcée par le fait que la
justice a investi des bâtiments religieux et réutilisé des symboles
propres à la religion 68. Comme le rapporte Ernst  H.
Kantorowicz  citant un «  juge impérial à Florence aux environs
de 1238 » : « Dans toute cause légale, le juge est dit, bien plus, est
pris pour Dieu devant les hommes 69. »
Une telle représentation sociale de la justice, elle-même
émanation d’une représentation sociale du droit, ne relève pas
que de l’histoire. Elle se perpétue dans le contemporain. En
France, justifiant en 1958 la réforme de la justice dans le sens de
la restauration de sa grandeur, le principal artisan de cette
réforme s’exprime dans les termes suivants  : «  Il faut donner à
l’État la magistrature qui lui revient 70.  » Aux États-Unis, face à
des représentations sociales de la justice valorisant leur insertion
dans le local, des courants doctrinaux soulignent à l’opposé les
vertus d’une justice fédérale, rapportée par conséquent à un
pouvoir central et en mesure d’assurer la cohérence et l’autorité
qui doivent être les attributs de la justice mais aussi la véritable
incarnation d’une méta-Raison 71.
Les évolutions récentes de l’architecture judiciaire, par les
incertitudes caractérisant leurs lignes directrices qu’elles révèlent,
manifestent à la fois ce souci de perpétuer cette représentation
sociale de la justice mais en même temps illustrent combien
celle-ci est fragilisée. La recherche des causes de cette
fragilisation est au cœur de l’intention portée par le présent
ouvrage. Les incertitudes croissantes dans les façons de
représenter la justice renvoient à ces bouleversements sociaux et
politiques dont je traiterai dans la suite de l’ouvrage. Elles ont en
tous les cas à voir avec ce qui serait bien un déclin d’une
« Raison » transcendante, cela en relation avec des contextes que
j’examinerai plus tard.
Ce qu’il convient d’ores et déjà de constater, c’est que la
politique de construction de nouveaux tribunaux en France va
ainsi osciller entre la perpétuation d’une justice solennelle et la
création de «  cités judiciaires  » supposées mieux assurer le
« service public de justice » et sa « mission sociale » en s’insérant
dans le tissu de la Cité 72. L’usage du verre dans les nouvelles
architectures judiciaires, dans le cadre d’un mouvement
international, porte formellement la représentation sociale d’une
plus grande transparence et d’une plus grande ouverture sur la
Cité jusqu’à faire du symbolique non pas un miroir de la réalité
mais son substitut. Un tel choix ouvre finalement la voie au
soupçon d’une fiction esthétique 73 et à un parti pris qui ne
devient que celui des architectes. Ces derniers s’imposeraient
d’autant plus que les professionnels de la justice ne sauraient plus
gérer la dimension politique du travail architectural, c’est-à-dire
inscrire dans l’espace physique ce que pourrait être la fonction de
la justice. Ce qui se donne à voir, c’est une institution de plus en
plus incertaine de son identité, à l’image d’un ordre politique
démocratique lui-même de plus en plus empreint de
contradictions 74. Le désarroi au sein même de l’univers judiciaire
est d’autant plus grand que les incertitudes de l’ordre politique
convergent avec la pression de plus en plus forte d’une logique de
rationalisation dans la conception même de l’exercice de la
fonction de justice. Celle-ci en prenant la forme d’une
dématérialisation des espaces de justice (par exemple par le
développement de la visioconférence comme instrument
d’audiences à distance) contribue à brouiller un peu plus
l’inscription de la justice dans une définition politique sans
ambiguïté de la Cité 75, a fortiori quand il s’agit de concevoir une
architecture judiciaire dans « l’ère cosmopolitique 76 ».
Les incertitudes de l’inscription dans l’espace du «  Droit  »
comme «  Raison  » nous suggèrent bien que les difficultés du
droit et de la justice sont les miroirs des bouleversements de leur
environnement et c’est bien là qu’il faut aller rechercher les
causes, ce que nous ferons dans les chapitres suivants.
Chapitre II
DU DROIT RÉFÉRENCE
AU DROIT RESSOURCE :
LA DUALITÉ DE LA LÉGALITÉ

Affirmer comme je viens de le faire dans le précédent chapitre


une représentation dominante de la légalité, celle d’un «  Droit  »
comme « Raison », c’est aussi suggérer l’existence possible d’une
alternative. Une autre approche de la légalité se donne
effectivement à voir, inscrite dans la tradition de la pensée
juridique et nous rappelant cette possibilité d’une alternative.
Celle-ci n’est pas mieux illustrée que par la référence classique
aux deux grandes figures grecques du jugement pour donner sens
à l’opposition telle qu’elle se manifeste dans les débats de la
Révolution française à propos de la justice pénale et du droit.
Face à la figure de Thémis, expression de la justice dans toute sa
rigueur, vecteur pur de la Loi, détentrice du pouvoir de châtiment
en vertu de la défense du sacré, y compris dans ses transpositions
républicaines et étatiques, s’oppose celle de Diké, figure d’une
justice soucieuse de l’intérêt des justiciables, de la défense de la
personne, pourfendeuse de l’injustice et, comme telle, tant
revendiquée dans les Cahiers de Doléances, jusqu’à suggérer
l’importance d’une implication citoyenne 1.

É
UN DROIT CONNECTÉ AU SOCIAL

La pensée révolutionnaire s’inscrit effectivement dans la


perspective d’un autre rapport au droit. Cette perspective est
fondée sur l’idée que «  dans certaines conditions, la classe des
opprimés peut imposer sa volonté sur celle du législateur 2 ». C’est
bien cette conception qu’on retrouve dans les célèbres textes de
Marx sur le «  vol de bois 3  ». Ces textes soulignent en effet très
opportunément l’existence d’oppositions possibles entre «  la
juridicité ancrée dans la conscience du peuple et la légalité
maniée par les juristes au sein de la société politique 4  ».
Réagissant à l’interdiction établie par le Parlement rhénan d’un
usage séculaire consistant à ramasser du bois dans les forêts
privées, Marx considère que «  ces coutumes propres à la classe
pauvre sont régies […] par un sens instinctif du droit ; leur racine
est positive et légitime 5  ». En reconnaissant la légitimité et, par
voie de conséquence, la juridicité de ces pratiques coutumières,
Marx pose «  la question du sens de la légalité 6  ». Il affirme  :
7
«  Nous réclamons pour la pauvreté le droit coutumier .  » La
question est pour lui la suivante : « Comment faire reconnaître et
inscrire dans le droit un chapitre de besoins et d’intérêts
diversifiés faisant surtout place à ceux qui sont dépourvus de tout
pouvoir social 8. »
On peut considérer cette perspective comme étant à la genèse
d’une représentation sociale du droit comme raison immanente.
Elle inspirera les mouvements sociaux qui investiront le droit
comme ressource dans les nouveaux répertoires de l’action
collective. Pour se référer de nouveau à Marx, le droit va être
considéré ici «  non comme une forme close ou, au contraire,
totalement surdéterminée, mais comme un enjeu dans les
rapports sociaux 9  », comme «  une formalisation d’intérêts
antagonistes », comme « un construit social contradictoire 10 ». Il
y a bien là, par conséquent, une tentative de définition d’une
légitimité proprement sociale à partir d’une légalité populaire.
Ferdinand Tönnies dans sa définition de la communauté parle
lui-même d’une « masse » (d’un peuple) « qui, se gouvernant elle-
même, devient semblable au cerveau d’un corps développé,
capable de percevoir  ; elle représente le pouvoir intellectuel
dominant et peut, comme telle, devenir plus parfaite que les
précédents puisqu’à travers son érection aisée et fréquente en un
être collectif, elle se trouve confrontée à des problèmes plus
difficiles mais aussi devient plus avisée grâce aux leçons qu’elle
tire de l’expérience  ; elle a donc une probabilité plus grande de
produire la raison politique et artificielle la plus haute et la plus
noble […]. La société […] peut [alors] s’opposer par l’affirmation
de son droit propre à cette extension illimitée de la puissance
législative ou au refoulement du droit naturel ou conventionnel
par le droit étatique ou politique 11 ».
Une telle conception alternative de la représentation du droit
a ainsi ses propres racines historiques. Au sein même de l’univers
juridique, des courants théoriques issus du droit se sont opposés
à cette autarcisation du droit que porte la représentation sociale
du droit comme «  Raison  » transcendante. Ces courants ont
favorisé l’inscription du droit dans des processus sociaux
généraux, dans des contextes socio-politiques et culturels où le
rapport que le champ juridique entretenait avec l’État était
souvent déterminant 12. Rien n’exprime mieux cette autre
représentation sociale du droit que l’intitulé riche de signification
de « droit vivant » employé par un courant d’analyse né au début
du XXe  siècle 13. Ce «  droit vivant  » peut être défini comme «  le
droit au quotidien, tel qu’il émerge non seulement des documents
reconnus officiellement dans une société comme juridiques, mais
encore de l’observation directe de la pratique qui a lieu en marge,
voire contre le droit institutionnalisé 14 ».
De même en Allemagne, l’École historique du droit se
construit comme expression d’une réaction à la volonté de
codification de la France napoléonienne. Face à la mythification
du «  Législateur  », à la glorification du formalisme juridique,
cette École met en avant un «  droit du peuple  » porté par la
coutume, un droit «  d’en bas  » s’opposant au droit de l’État 15.
Dans la filiation de Savigny, en référence au « droit vivant » et de
façon conforme à l’idée d’un «  pluralisme juridique 16  », Eugen
Ehrlich, le fondateur de la sociologie juridique, considérera lui-
même que la plus grande partie du droit naît et vient de la
société.
Tout ce courant de pensée inspirera les courants américains
du « réalisme juridique » ou de la « sociological jurisprudence » de
Roscoe Pound pour lesquels le recours du droit aux analyses
portant sur la société et les comportements sociaux constitue une
évidence à la mesure de son rôle prescriptif dont l’exigence est
affirmée de façon ainsi renouvelée 17. Ces courants relativisent la
place de la norme juridique, nient son caractère absolu en
soulignant la nature politique du droit. Dans ce cadre, la fonction
des juges se définit en référence à la conviction que le droit est
d’abord ce que ceux-ci en font. Dans cette perspective, il revient
aux professionnels du droit de «  comprendre et résoudre les
problèmes sociaux 18  ». La «  sociological jurisprudence  »
entreprend de penser l’activité des juges comme une activité
d’usages du droit profondément imprégnés des conditions
sociales, en termes d’intérêts ou de valeurs dans lesquelles cette
activité se développe 19. Ce qui s’affirme, c’est une conception du
droit, non plus formaliste, non plus autonome, « pure » de toute
influence issue de la société elle-même, mais au contraire
fortement inscrite dans le bouillonnement de la société, dans ses
changements, fondée sur une prise en compte des faits sociaux.
Rien n’illustre mieux cette vision du droit que la célèbre
plaidoirie devant la Cour suprême des États-Unis de l’une des
figures de la « sociological jurisprudence », Louis D. Brandeis : la
«  Brandeis Brief  » «  comportant deux pages d’argumentation
juridique et cent pages de faits sur les effets nocifs de journées de
travail trop longues des femmes dans les laveries 20 ».
Le mouvement contemporain américain «  Loi et Société  »
(Law and Society) ne renie pas cette filiation et consacre par voie
de conséquence l’évidence d’une relation entre droit et sciences
sociales, la nécessité de travailler la nature des rapports entre la
réalité sociale (law in action) et les normes juridiques (law in
books) et de substituer la question des droits à celle du droit.
L’éclosion, dans une période plus récente, d’un courant américain
dit de la «  conscience juridique  » (legal consciousness) sera elle-
même l’expression d’une véritable révolution paradigmatique
dans la mesure où le droit n’est plus considéré comme une sphère
autonome mais comme constitutif de la réalité sociale 21.

LES SAVOIRS MIS AU SERVICE
D’UNE RAISON IMMANENTE

Les savoirs sur le droit portent le germe d’une remise en


question de la représentation sociale du droit comme « Raison »
transcendante à partir du moment où ce droit est d’abord mis en
relation avec la société. Cette capacité des savoirs sur le droit à
subvertir cette représentation du droit comme «  Raison  » est
particulièrement assumée par l’anthropologie du droit,
notamment quand elle porte de l’intérêt à la notion de pluralisme,
c’est-à-dire à une notion qui subvertit le principe d’unicité au
fondement de l’idée d’une «  Raison  ». C’est effectivement les
anthropologues qui vont promouvoir, comme une évidence tirée
de leur observation de sociétés différentes, cette idée de
pluralisme, sans doute parce que l’anthropologie «  fait sienne
depuis longtemps l’analyse de ces multiples intrications du social,
du politique et du juridique, sans doute parce que ses approches
plus globalisantes, plus “culturalistes”, la prédisposaient mieux à
se libérer des strictes catégories de la pratique juridique  » et à
considérer que la régulation des sociétés ne passe pas forcément
par l’idée de droit 22.
Il est souvent avancé que cet intérêt porté au pluralisme a sa
source dans l’étude des systèmes coloniaux et postcoloniaux 23.
Mais il s’explique aussi par la vocation de l’anthropologie pour
l’analyse des modes de régulation au sein des sociétés
traditionnelles ayant pour finalité de gérer les relations entre les
membres les composant, éventuellement par la coercition, en
mobilisant des ressources normatives dans les usages et dans les
coutumes 24, de façon indistincte entre religion, morale, mœurs et
droit plutôt qu’exclusivement dans le droit. Ce pluralisme
relèvera alors plus d’un pluralisme normatif que d’un pluralisme
strictement juridique 25.
Ce pluralisme né des différences entre sociétés peut être
également un pluralisme au sein d’une même société, cela en
référence à l’idée suivant laquelle le pluralisme est universel et
qu’il se manifeste également dans les sociétés étatiques 26. Dans
une société constituée autour de l’État s’observe en effet une
pluralité de systèmes de normes juridiques (notamment celles
portées par des institutions, des organisations, des syndicats, des
clubs, au sein de la société, etc. – y compris celles générées par un
« pluralisme destructeur qui gouverne l’économie 27 ») à côté des
normes juridiques étatiques, en concurrence ou en
complémentarité avec ces dernières.
Dans la filiation d’Eugen Ehrlich 28 et de Santi Romano 29,
s’affirme alors une approche pluraliste plutôt que moniste («  le
monisme juridique étatique  »), fondée sur une critique de tout
positivisme juridique étatique, disqualifiant toute approche de la
vie du droit où tout est rapporté à l’ordre juridique étatique et
mettant l’accent sur le fait que «  toute société –  les sociétés
modernes comprises  – comporte un grand nombre d’autres
ordres juridiques » que l’ordre juridique représenté par le droit de
l’État 30. Georges Gurvitch s’inspire et s’inscrit dans cette tradition
pour affirmer avec force l’exigence de prise en compte de normes
juridiques issues de la société, immergées dans la société,
entretenues par la société, constitutives de ce que l’auteur appelle
un « droit social 31 ». Son plaidoyer passionné pour le pluralisme
juridique ouvre la voie à l’idée d’un pluralisme normatif intégrant
d’autres normativités que la normativité juridique (celles
découlant de l’éthique, du religieux, de régulations ethniques,
techniques, institutionnelles, professionnelles, etc.) ainsi qu’à une
rupture avec une vision binaire ou dichotomique de la
normativité (droit versus non-droit) et son remplacement par une
approche en continu, où le curseur se déplace insensiblement des
normes sociales les plus banales vers celles les plus formalisées.
Ce changement de conception de l’économie normative des
sociétés où « la notion du juridique [est étendue] à des formes de
régulation qui n’entrent pas dans le champ juridique du
juriste 32  » est d’autant plus susceptible d’être mal reçu qu’il sera
perçu comme une menace de subversion de la pensée juridique
moderne, plus encore dans «  sa variante républicaine à la
française 33  ». La «  doctrine du pluralisme juridique ne pouvait
être qu’une conception antinomique, subalterne ou
insatisfaisante de la juridicité 34 ». La pensée de Georges Gurvitch
incarne parfaitement cette menace puisqu’il «  se démarque […]
d’une longue tradition de pensée qui fonde le critère de la
juridicité sur la manifestation d’une contrainte exercée par une
instance associée à une domination politique plus ou moins
institutionnalisée et rationalisée [or] le rattachement à une
structure de domination ou d’autorité se révèle souvent
constitutif du concept de juridicité 35 ». Ce qui inspire cet auteur,
c’est une vision du «  monde dans toute sa complexité
[permettant] de recueillir les bénéfices des dynamiques sociales
spontanées trop souvent sous-estimées et contrecarrées par
l’adhésion aux formes instituées et aux concepts figés 36 ». Il s’agit
de concevoir «  un régime de droit au sein duquel le potentiel
créatif de la société se libère des contraintes du stato-
centrisme 37 ».
De telles représentations sociales et de telles perspectives
d’approche dont le droit fait l’objet ouvrent en fait la porte à
d’autres analyses et à d’autres pratiques. À une vision caractérisée
par l’intérêt porté «  aux règles générales, à l’intégration
hiérarchique, à l’organisation pyramidale des pouvoirs et des
règles, à la prise de décision centralisée 38 » peut se substituer une
autre plus inspirée par ce qu’on pourrait appeler l’activation
sociale du droit, c’est-à-dire notamment une vision marquée par
l’attention portée aux multiples façons dont les acteurs sociaux,
et/ou les institutions, les organisations, les mouvements qui les
représentent, vont recourir à la norme juridique, tenter d’en user
ou de s’en approprier le sens en fonction des objectifs qu’ils
poursuivent. Sans que puisse être tranchée la question de savoir
si l’attention portée à l’activité juridique, aux appropriations
sociales du droit tenait à des évolutions propres à la société ou à
des changements de regard dans les processus d’analyse de la vie
du droit, il est patent que ces courants que j’évoque ici
constituent bien la genèse de ce qui s’observe depuis quelques
années en France, c’est-à-dire une mobilisation de la
connaissance sur le juridique. La distance mise avec la vision
interne à la sphère juridique permet de prendre au sérieux ces
nouvelles formes de mobilisations sociales du droit comme
ressource. Notons simplement ici que si cette mobilisation est
relativement récente en France, elle ne fait que rejoindre ce que
l’étude d’autres sociétés que les sociétés occidentales avait
démontré depuis longtemps comme une évidence : l’existence de
sociétés où l’ordre provient de la société elle-même et où le droit
est conçu d’abord en fonction des attentes, des représentations et
des pratiques de ceux qui l’utilisent ou s’y soumettent. Une telle
approche du droit et de la justice est ainsi à l’opposé de celle,
inspirée d’une pensée occidentale, où la structuration du monde
est conçue comme strictement issue de ses lois qui lui sont
imposées de l’extérieur par une autorité surplombante et
omnisciente 39.
C’est dans ce cadre de ce qu’on peut considérer comme une
véritable métamorphose dans la perception du droit que celui-ci
est pensé en référence, non plus à l’ordre qu’il est censé produire,
mais aux attentes, aux aspirations, aux revendications issues de
la société et des membres qui la composent. C’est dans cet esprit,
dans la filiation du courant américain des «  Études critiques du
droit  » (Critical Legal Studies), que les «  luttes pour les droits  »
(legal rights) sont conçues en fonction de l’idée suivant laquelle
«  les règles sont moins le produit cohérent de la dérivation d’un
quelconque super-principe qu’elles ne sont des compromis, elles
sont beaucoup plus exposées aux entreprises variées de
déstabilisation que ne le reconnaissent ceux qui théorisent leur
cohérence 40 ».
Il est certainement significatif que cette approche du droit,
qui subvertit la vision traditionnelle de ce dernier, soit présente
depuis longtemps dans des analyses produites aux États-Unis.
Comme une illustration, on retiendra ici cette réflexion, qui fait
référence, où le droit est traité à la fois comme mythe et comme
ressource politique 41. En se distinguant d’analyses enfermées
dans la « légalité formelle », il s’agit ici d’observer les écarts entre
le « droit des livres » (law in books) et le « droit de la pratique »
(law in action) et d’en fournir le sens dans les influences
qu’exercent les forces économiques, sociales et politiques. Cette
approche pionnière est fondée sur une démonstration où l’accent
est mis d’abord sur un aspect qui caractérise spécifiquement le
droit comme élément central, structurant du politique comme
nous l’avons vu plus haut  : sa dimension symbolique. Cela
explique la place accordée au « mythe des droits » (myth of rights)
comme «  idéologie politique  » dans la société américaine, au
cœur de la pensée américaine dominante (le « mythe des droits »
repose sur une foi dans l’efficacité politique et la plénitude
ethique du droit comme principe de gouvernement 42). Pourtant,
si ce «  mythe des droits  » fonctionne comme idéologie au sens
que lui donne Clifford Geertz 43, c’est qu’il contribue à donner une
vision enchantée des fondements, des principes généraux de la
vie politique, une représentation idéalisée de la société
américaine 44. Il constitue un système de croyances largement
partagées qui empêche de voir une réalité plus complexe et plus
diversifiée du monde social où la représentation du droit et de
l’ordre de l’Amérique « moyenne » coexiste avec les aspirations à
l’égalité des minorités.
Derrière la vision dominante enchantée, une réflexion sur la
réalité sociale du «  mythe des droits  » doit donc permettre de
mieux saisir les interrelations entre «  l’idéologie des droits et
l’action politique  », de renouveler ainsi les approches des
relations entre droit et politique et celles du rôle du droit dans le
changement social. Si le « mythe des droits » est une expression
idéologique du droit, ne peut-elle alors être utilisée pour favoriser
une association entre les droits et la justice sociale  ? Dans cette
perspective, une véritable stratégie de passage du droit aux droits
et, par conséquent, de sollicitation, d’usages, de références aux
droits doit permettre un changement politique. Si l’on peut dire,
la réinterprétation du « mythe des droits » introduit la possibilité
d’une « politique des droits » (politics of rights). En référence à la
perspective de développement de cette dernière, les droits, y
compris les règles constitutionnelles, doivent être traités comme
des moyens plutôt que comme des fins en elles-mêmes. Les droits
deviennent des ressources politiques. Bien entendu, la question
des droits est d’abord reliée à celle de l’exercice du pouvoir
politique mais elle peut l’être également à la poursuite de la
justice sociale. De même, les valeurs constitutionnelles
impliquent des contraintes mais elles offrent aussi des
opportunités. Il peut être question du droit comme d’un
«  instrument politique  » et du recours à la justice comme du
support possible de mobilisations par des mouvements sociaux,
ce recours devenant ainsi potentiellement important en vue d’un
changement politique. La fameuse décision «  Brown v. Board of
Education » (1954) sur la ségrégation dans l’espace scolaire et les
droits civiques 45 en fournit un exemple 46, de même que les
actions menées pour lutter contre la pauvreté en référence à l’idée
d’égalité économique.
Ces exemples témoignent à l’évidence qu’il est possible
d’envisager une véritable mise en œuvre d’une «  politique des
droits  », d’une «  stratégie des droits  » en mesure d’utiliser les
symboles attachés au droit pour les mettre au service de
mobilisations politiques. Comme il est dit superbement  : «  La
politique des droits implique […] plus une manipulation des
droits que leur réalisation. Les droits sont traités comme des
ressources contingentes susceptibles d’influer indirectement sur
les politiques publiques dans la mesure où ils peuvent contribuer
à perturber l’équilibre des forces politiques 47. »

LA MISE EN SCÈNE DE LA JUSTICE


COMME ACCOMPLISSEMENT
D’UNE RAISON IMMANENTE

Le droit est ici connecté au social, immergé dans le social, agi


par le social 48. Le droit n’a plus pour finalité l’exercice d’un
pouvoir mythifié jusqu’à la transcendance mais il est d’abord relié
à la société et à ses bases sociales. En correspondance avec cette
représentation du droit existe, depuis la genèse des sociétés, une
autre conception de la fonction de justice. Celle-ci implique la
proximité de la justice par rapport au citoyen et peut aller jusqu’à
laisser supposer l’engagement de ce dernier dans
l’accomplissement même de l’œuvre de justice. La justice est
pensée ici comme composante de la base de la pyramide,
directement en prise avec les citoyens. Elle est conçue en
référence à « l’idée de démocratie directe où les affaires de la Cité
seraient traitées par les citoyens eux-mêmes sans intermédiaires
patentés 49  ». Les jurys populaires constituent une illustration
exemplaire de cette conception. Ils sont une des expressions
d’une justice profane qui, bien au-delà d’une défiance à l’égard
des excès du pouvoir judiciaire ou de l’arbitraire du pouvoir
d’État, suggère un ordre politique marqué ici par l’horizontalité,
en lieu et place de la verticalité, et porte l’utopie d’une démocratie
comportant une implication directe des citoyens dans la gestion
des affaires de la Cité. Un examen de la rhétorique sur les vertus
des jurés de cours d’assises à travers le monde et tout au long de
l’histoire confirme de façon éclatante le lien entre cette forme de
fonctionnement de la justice et une vision virtuellement
enchantée de la démocratie 50. La fonction de justice devient ici
l’«  élément central du projet démocratique 51  ». Par exemple, la
perception du jury populaire aux États-Unis renvoie à «  une
conception hautement décentralisée de la démocratie [pour
constituer] un moyen de participation citoyenne directe à la vie
des institutions et, par conséquent, d’essor de la vertu civique et
de la raison publique 52 ». Il s’agit bien en effet ici de consacrer les
vertus d’une justice profane susceptible de construire des
jugements cohérents, obéissant à des règles participant d’«  un
ordre de légitimité distinct de la légalité juridique 53  ».
«  L’intuition profane de l’équité  » ou encore les «  normes de la
droiture  » s’opposent ici à «  la doctrine juridique  » ou aux
«  règles de droit 54  ». Le jugement est alors susceptible d’être
construit en référence « à une conception du lien social distincte
de celle qui fait sens pour la pratique des juges professionnels 55 ».
La personne peut être jugée d’abord «  en référence à
l’accomplissement de ses rôles sociaux 56 ».
Dans ce cadre, la justice, comme le droit, sont susceptibles de
s’inscrire dans un autre type de processus de construction de leur
légitimité. Le statut de la justice, comme celui du droit, ne
résultent plus du respect qu’ils inspirent en référence à l’autorité
qu’ils incarnent, à l’efficacité de ce qu’ils imposent mais sur la
proximité qu’ils établissent avec les citoyens ou les
appropriations de leur exercice (pour la justice) ou de leurs
usages (pour le droit) qu’ils autorisent. Une des expressions dans
l’histoire de la justice de cette conception se donne à voir dans
l’abondante rhétorique dont fait l’objet le « Juge de Paix » dont la
«  mission paternelle et pacificatrice  » est célébrée 57. Ce type de
juge est considéré comme en mesure d’être efficace parce qu’il est
un «  homme de bien […] ayant l’expérience des mœurs, des
habitudes et du caractère des habitants 58 ». Ce qui s’impose alors,
c’est moins l’idée de sa maîtrise du droit que sa référence aux
«  indications de bon sens 59  ». L’équité est opposée au droit, la
sagesse à la loi 60. Cette conception d’une justice enracinée dans la
société se retrouve par exemple aux États-Unis où est valorisée
l’existence d’un juge «  connecté à la société 61  » dont le mode de
sélection est conforme au principe d’une «  démocratie
populaire » (popular democracy) à l’opposé de la conception d’un
corps de juges élitistes coupés des citoyens ordinaires. Cela
suppose par exemple que le traitement des juges ne soit pas trop
élevé pour ne pas s’éloigner des citoyens ordinaires : « Les juges
seront d’autant plus connectés à la société que leurs salaires ne
seront pas trop élevés par rapport à ceux des autres citoyens 62. »
Cette mise en place d’une justice comme celle du Moyen Âge,
« proche et familière », à l’opposé de la justice de l’âge classique
«  distante, froide et impénétrable 63  », peut donc aller jusqu’à
instituer les citoyens comme juges, jusqu’à impliquer ceux-ci
dans l’exercice de la fonction de justice, cela au nom d’un « esprit
public  » comme celui promu dans les débats de la Révolution
française. C’est grâce à une telle implication que le citoyen
portera de l’intérêt à la chose publique. La création de tribunaux
de famille sous la Révolution française, où il appartient
précisément à la parenté, à défaut aux amis ou aux voisins de
traiter du contentieux familial, participera de cette logique 64.
On comprend alors qu’il ait pu être estimé que ce qui inspirait
cette représentation sociale de la justice et du droit, c’était l’idée
de communauté. L’institutionnalisation de la justice, le monopole
exercé par les «  clercs  » au détriment des «  profanes  » dans
l’accomplissement de l’œuvre de justice seraient précisément les
signes du déclin de la société traditionnelle, de son incapacité
croissante à préserver l’harmonie entre les membres d’un collectif
humain, à gérer par elle-même les conflits entre les hommes qui
le composent ou les transgressions commises par certains d’entre
eux et qui menacent les équilibres de la société ainsi constituée 65.
Comme cela a été formulé  : «  Dans des communautés
nombreuses et variées, tout au long de l’histoire américaine, la
règle de droit a été explicitement rejetée en faveur de moyens
alternatifs pour mettre de l’ordre dans les relations humaines et
pour résoudre les conflits inévitables survenant entre les
individus. La réussite des modes non légaux de règlement des
conflits a toujours dépendu d’une vision communautaire
cohérente. Comment résoudre le conflit, dit autrement, c’est
comment préserver la communauté 66. »
Les façons dont est justifiée cette autre conception de la
justice renforcent le constat, qu’au sens le plus fort, «  les
tribunaux sont des institutions politiques 67  », que les manières
dont on les pense sont inspirées par des rapports différents au
politique. L’expérience française des Maisons de la justice et du
droit nous en fournira une ultime illustration pour la période
actuelle. Au-delà des présentations formelles dans la rhétorique
des responsables politiques ou dans les discours des responsables
de l’institution judiciaire, l’examen du processus de mise en place
et de fonctionnement réel de cette forme de justice, ayant pour
finalité de rapprocher la justice du citoyen, peut révéler des jeux
de pouvoir entre les différents acteurs concernés. Ces jeux de
pouvoir s’illustrent par des tentatives d’appropriations
différentes, elles-mêmes inspirées par des conceptions opposées
de l’ordre politique. L’enjeu consiste alors à faire de ces Maisons
de la justice et du droit soit une simple déclinaison de
l’institution judiciaire, soit un espace investi par les profanes, en
l’occurrence les élus locaux, les représentants de mouvements
associatifs, les citoyens ordinaires, cela au nom d’une conception
générale de l’ordre politique plus marquée par l’immanence que
par la transcendance, plus prosaïquement, par une vision plus
«  par le bas  » (bottom up) que «  par le haut  » (top down) du
fonctionnement social et politique 68.

UNE LÉGALITÉ EN TENSION

Le processus de mythication d’un « Droit » comme « Raison »


se voit ainsi contester au sein même de la pensée juridique par
une autre conception où l’attention est sollicitée sur les
dimensions sociales du droit, c’est-à-dire sur le fait que les
conditions suivant lesquelles il se construit et se met en œuvre
sont influencées par des environnements culturels, sociaux et
politiques. Cette autre perspective d’analyse du droit ne se limite
pas à ce qui y est considéré comme une évidence. L’attention
portée à ces dimensions du droit peut conduire à prôner une
conception de celui-ci qui soit étroitement reliée et inspirée par
ses bases sociales. Il est donc possible de parler d’un modèle de
légalité duale.
Nous verrons dans les chapitres suivants tout ce qu’implique
la reconnaissance de cette dualité fondamentale du droit. En
effet, le constat d’une seconde face de légalité constitue, par
exemple, la genèse de l’intérêt porté à ces recours au droit dans la
période actuelle, dans le cadre de mobilisations nées au sein
même de la société civile. Le droit y est conçu comme une
ressource. Il est admis qu’il peut même être créé et activé au sein
de cette société civile et qu’il n’est plus seulement une référence
imposée « d’en haut 69 ». Plus précisément encore, faire le constat
d’une légalité duale, comme nous le verrons dans les chapitres
suivants, ce n’est qu’admettre que le droit ne fait finalement que
reproduire cette « polarité idéal-typique » classique quand il s’agit
de considérer les systèmes politiques. Ceux-ci peuvent en effet
«  être considérés sous deux angles principaux, comme des
hiérarchies de commandement […] ou comme des systèmes
d’interaction et d’interdépendance 70 ».
Le constat de cette dualité n’est pas nouveau au sein même de
la pensée juridique. Par exemple, un théoricien du droit offre une
déclinaison de ce dualisme quand il oppose au modèle d’un droit
jupitérien relevant d’une « théologie politique » un modèle inspiré
d’Hermès, correspondant à «  un droit “liquide”, intersticiel et
informel […] un droit qui, sans cesser d’être lui-même, se
présente en certaines occasions à l’état fluide qui lui permet de se
couler dans les situations les plus diverses 71 ». De même, pour ne
prendre qu’un autre exemple, ce dualisme est non seulement
décrit mais théorisé par des tenants américains d’un courant dit
de la «  conscience du droit  » (legal consciousness). Il y est
question d’un dualisme entre une légalité donnée à voir comme
transcendante, sacrée, formelle et impartiale quelle que soit la
position sociale de celui qui la sollicite ou se la voit appliquer, en
un mot comme un «  idéal  », et une légalité «  profane  », inscrite
dans la société, dans la vie quotidienne, sorte d’arène séculière,
où les rapport de pouvoirs prévalent. Il est affirmé alors que c’est
précisément ce dualisme qui assure finalement une forme
d’universalisme du droit et son pouvoir hégémonique 72.
Cette dualité trouve également des échos depuis longtemps
hors de la pensée juridique, par exemple dans une perspective de
théorie sociologique de la régulation, appliquée notamment aux
relations de travail. Il a pu être ainsi considéré que cette
régulation pouvait résulter de « la confrontation entre des règles
“bottom up” (régulations autonomes) que les acteurs construisent
de leur propre initiative en vue de résoudre des problèmes
concrets et, d’autre part, des règles “top down” (régulations
hétéronomes ou de contrôle) émanant d’une pluralité de centres
de pouvoir et d’autorités extérieures 73 ».
Les implications d’une reconnaissance de cette dualité vont
ainsi bien au-delà du droit lui-même. Elles touchent aux
fondements de la régulation sociale et politique des sociétés. En
relation avec de tels enjeux, il est alors possible de dire que les
deux faces de ce modèle de légalité duale sont en tension l’une par
rapport à l’autre. Cela explique certainement qu’à l’inverse de ce
que suggère la vision consensualiste dont il fait le plus souvent
l’objet, le droit puisse relever d’une vision agonistique. Par
exemple, pour le juriste allemand Rudolf von Jhering, par
opposition à un « Droit » comme référence universelle, il s’agit de
promouvoir l’idée d’un droit comme enjeu dans les affrontements
sociaux et politiques. Pour Rudolf von Jhering, « le droit n’existe
que comme résultat ou comme objet de luttes 74  ». Pour cet
auteur, «  le droit est une force vive. Si la paix est le but qu’il
poursuit, il ne peut l’atteindre que par la lutte. Le droit est la
politique de la force 75 » ou encore : « Il n’y a pas dans une société
déterminée de volonté générale. Si elle existait, il serait à peine
besoin de lois. Toutes les forces sociales entrent en lutte pour sa
création 76. »
Une telle perspective agonistique, que rend possible la
perception d’une dualité du droit, ouvre la voie à des analyses où
l’accent est mis sur des rapports de force. Il est intéressant
d’observer ici qu’un auteur comme Michel Foucault va déplacer
progressivement son intérêt pour les dispositifs de pouvoir – dont
on a vu qu’il consacrait paradoxalement la représentation de
l’exercice d’un «  Droit  » surplombant  – vers les processus de
subjectivation, vers l’expérience du sujet de droit « faisant valoir
ses droits subjectifs 77  ». Il reconnaît ainsi la possibilité de
« penser autrement » le droit 78 en dévoilant les rapports de force
qui sont dans son essence. Il en résulte la reconnaissance que les
«  gouvernés  » sont susceptibles de s’indigner et d’engager des
actions contre les abus de pouvoir. Une telle reconnaissance
permet finalement «  de donner un contenu éventuellement
subversif à la notion de sujet de droit ou de citoyen 79  ». Dans
cette perspective, apparaît logiquement la possibilité «  d’inscrire
la vie, l’existence, la subjectivité et la réalité même de l’individu
dans la pratique du droit 80  » jusqu’à produire un droit
«  antidisciplinaire 81  » relevant d’une «  attitude critique 82  » qui
n’est rien moins que l’exercice effectif par les individus de la
volonté de considérer que le droit ne relève pas du monopole des
instances de pouvoir 83.
Dans le cadre de cette évolution, la définition du concept de
«  gouvernementalité  » trouve une justification  plus complexe
dans la mesure où il serait «  destiné à saisir les actions non
seulement de contrôle, mais aussi d’encouragement de la
dynamique propre qui anime les “gouvernés” 84 » et qui s’exprime
par des « illégalismes » comme autant de jeux « à l’intérieur ou à
côté de la légalité  ». La possibilité est ainsi ouverte d’une autre
déclinaison des rapports au droit  : celle du choix par des
individus d’une «  radicalité  » prenant la forme de pratiques
militantes de refus absolu du droit. Cette expression de
comportements de rupture peut alors conduire à des formes de
contre-mobilisation du droit par un pouvoir politique optant
pour une répression s’appuyant sur le droit pénal. Mais ces
stratégies illégales peuvent aussi conduire à une réorientation des
activités de rupture vers un usage maîtrisé de la scène légale 85.
C’est également la prise de conscience de cette dualité du droit
qui va justifier les critiques adressées à la vision du droit de
Pierre Bourdieu, trop influencé aussi, comme on l’a vu, par la
représentation d’un « Droit » surplombant, cela conformément à
l’idée que sa « théorie de la pratique […] fournit une explication
si écrasante de la toute-puissance de la domination symbolique
qu’elle semble dénier à ceux qui la subissent toute possibilité de
s’en déprendre 86  ». Cette critique vise à remettre en cause un
aveuglement à l’égard de la capacité d’acteurs sociaux « même les
plus dominés [à développer] des capacités stratégiques, y compris
celles de jouer avec les règles juridiques en fonction de leurs
propres enjeux 87 ». La vision du droit consistant à le rapporter à
l’État et à une certaine forme de domination politique peut ainsi
conduire à ignorer le précepte suivant lequel «  le droit n’est pas
fait pour être appliqué mais pour orienter les comportements 88 ».
Ainsi, il peut être avancé que « la règle stricte telle que l’envisage
Pierre Bourdieu […] existe comme cas particulier d’un droit
beaucoup plus ouvert aux interactions 89  ». Conformément à la
pensée de Max Weber, « l’ordre juridique [doit être] envisagé non
comme un ensemble d’impératifs mais comme un ensemble de
ressources 90  ». Il s’agit en fait d’en «  finir avec une double
illusion : celle qui conduit à voir dans le caractère impératif de la
règle de droit la certitude de son obéissance comme celle qui
consiste à identifier le droit à la seule forme étatique du pouvoir
politique 91 ».
Ce qu’ouvrent comme perspective toutes ces expressions d’une
reconnaissance et d’une adhésion à la deuxième face du modèle
de légalité duale, c’est bien la possibilité d’une entreprise de
dévoilement des logiques à l’œuvre au sein des sociétés qui
relativisent le caractère absolu d’un « Droit » comme « Raison » :
dans sa conception et dans son application. Cela explique que
cette entreprise de dévoilement puisse être perçue comme une
entreprise de subversion ou de désacralisation. J’ai évoqué plus
haut la célébration du 200e  anniversaire du Code civil. Dans le
cadre de cette célébration, une cérémonie avait été organisée
dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne et j’avais été invité à y
faire une intervention. La présence du président de la
République, de l’ensemble du gouvernement et de l’ensemble des
responsables des grands corps constitués donnait à cette
cérémonie le caractère d’un de ces grands rituels que la
République française affectionne. Il ne s’agissait pas moins que
de consacrer le Code civil de 1804 comme un des grands mythes
fondateurs, de célébrer à travers lui « une culture juridique, aux
caractères étatique et national 92  ». Le Code civil était bien salué
comme une sorte de «  Constitution sociale de la France 93  » ou
encore comme la «  vraie Constitution de la nation –  sa
constitution matérielle, le réceptacle des valeurs dans lesquelles
elle se reconnaîtrait durablement 94  ». Face à cela, comment le
travail de dévoilement magistral, réalisé des années auparavant,
dans le cadre d’une rigoureuse analyse structurale du droit, et
visant à rendre visible ce que le droit cache : l’institution de règles
du jeu social au profit des « classes bourgeoises 95 », pouvait-il ne
pas apparaître comme une entreprise de subversion ?
L’idée d’une menace visant la première face du modèle de
légalité duale ne s’illustre pas mieux que dans cette violente
attaque adressée il y a quelques années par une des figures de
l’histoire de la pensée juridique contre la sociologie. Celle-ci, dans
la mesure où elle a vocation à observer l’effervescence des
sociétés et, par conséquent, à mettre en valeur la seconde face du
modèle de légalité duale, menacerait la «  Raison  » du droit et
serait un instrument de la «  désinstitution de l’État  ». Pour cet
auteur, la sociologie procéderait de ce processus de «  dé-
Référence  » qui serait «  l’effet de l’écrasement de la
problématique du Père et de l’Interdit 96 ». « Étudiez d’un peu près
l’évolution de la pensée juridique en France depuis les années 60-
70  : vous constaterez l’envahissement du sociologisme. […] La
sociologie a pris le commandement [des facultés de droit] […]. Le
“Social” est devenu l’objet d’un culte, le signifiant suprême 97. »
Le caractère passionnel de ces affrontements entre les tenants
de la première face du modèle de légalité duale et ceux de la
seconde face est d’autant plus intense que ce qui se joue est bien
plus que la question du droit : c’est celle de la mise en ordre du
monde social et de la structuration du politique. Cela explique
certainement que le débat puisse se déplacer du registre rationnel
et être influencé par des représentations susceptibles de nourrir
des préjugés. À l’occasion d’un colloque annuel de la Société
française de sociologie dont j’avais été l’un des concepteurs,
j’avais eu l’idée de mettre simultanément en présence des figures
de la théorie du droit au plan européen et Pierre Bourdieu.
S’appuyant notamment sur les travaux d’Herbert Hart, lui-même
éminent philosophe du droit, les théoriciens du droit
préconisaient dans leur communication une articulation entre le
point de vue externe et le point de vue interne par l’adoption d’un
«  point de vue externe modéré  » qui, tout en permettant à
l’observateur de suspendre « sa propre adhésion aux phénomènes
normatifs qu’il étudie […] ne néglige pas pour autant de se
référer à la manière dont les acteurs juridiques considèrent eux-
mêmes les règles d’un point de vue interne 98 ». Pour entreprendre
une telle démarche, les auteurs avançaient qu’une approche
interdisciplinaire s’imposait. Celle-ci était supposée seule
permettre «  une articulation de savoirs [entraînant] […] des
réorganisations partielles des champs théoriques en présence 99 ».
Pour les auteurs, «  c’est ainsi que la dogmatique juridique est
susceptible de fournir une définition en extension de l’objet
“droit”, que d’autres disciplines, telles que la sociologie ou la
science politique, sont parfaitement susceptibles à la fois
d’interroger de manière critique et d’éclairer en compréhension à
partir d’hypothèses explicatives qui leur sont propres 100 ». Face à
cette invitation à une ouverture interdisciplinaire, la réponse de
Pierre Bourdieu a été cinglante, conforme à sa propre
représentation du droit comme exclusivement instrument de la
domination et des juristes lesquels auraient trop intériorisé cette
représentation, celle de la première face du modèle de légalité
duale, pour pouvoir prétendre contribuer à un vrai travail de
connaissance sur le droit. Le verdict est alors tombé : « Une des
calamités de la science sociale, ce sont toutes ces manifestations
de la pensée dualiste qui se traduisent par des couples de
concepts antagonistes  » parmi lesquels, cité en premier  :
«  interne/externe 101  ». Il est suivi d’une longue démonstration
visant à prouver l’incapacité par essence du juriste de dépasser
une telle opposition.
Ainsi, faire le constat de l’existence d’une dualité du droit, des
représentations sociales dont il fait l’objet, c’est donner à voir les
tensions entre ces deux faces de ce que j’appelle un modèle de
légalité duale d’où résulte une tension dans les façons de produire
de la connaissance sur le droit. L’univers juridique a eu jusqu’ici
tendance à majoritairement valoriser la première face du modèle
et, par conséquent, de façon récurrente, à se défier jusqu’à
marginaliser ou même disqualifier la seconde face en la
considérant comme dissidente et menaçante. Suivant cette
perception, tout ce qui vient du social est suspect comme peuvent
l’être toutes les formes de pratiques du droit par les profanes (par
exemple, les jurys populaires de cours d’assises auxquels le
reproche est fait, outre de leur incompétence juridique, de fonder
leurs opinions sur des préjugés), ce qui explique aussi, comme
cela s’est particulièrement illustré dans la période de la
Révolution française, que toutes les tentatives des profanes de
pratiquer le droit finissent toujours par être reprises en main par
les professionnels concernés. Mais est aussi suspect tout ce qui
dans l’activité de connaissance porte de l’attention à la dimension
sociale du droit.
Tout l’objectif des prochains chapitres sera de saisir les
différentes expressions de cette dualité, d’en comprendre les
manifestations et de tenter de convaincre que la prise en compte
de l’inscription sociale, culturelle, politique du droit est
indissociable de la connaissance de sa véritable identité et des
conditions de sa réalisation, plus encore peut-être dans des
sociétés contemporaines exposées à des transformations de
grande ampleur.
Chapitre III
CE QUE SONT ET CE QUE FONT
LES ACTEURS DU DROIT

Parler ici des acteurs du droit, c’est d’abord considérer les


professionnels du droit 1. En les qualifiant d’acteurs, il s’agit tout
à la fois de rompre avec les discours consacrés sur le droit et,
paradoxalement, d’ouvrir la possibilité de relativiser le monopole
conféré à ces professionnels auquel ils aspirent dans l’exercice du
droit. C’est également prendre ses distances avec ce ce que
certains de ces professionnels disent du droit sans rien dire sur
eux-mêmes, c’est-à-dire sans rien dire de ce qui les constitue du
point de vue des valeurs mais aussi des intérêts qu’ils
poursuivent, des dispositions qui les déterminent ou des
contraintes sociales, économiques, culturelles, politiques qu’ils
subissent, en un mot, sur ce qui influe sur l’exercice de leur
fonction de locuteurs, au-delà de leurs pratiques et de ce qu’ils en
disent. C’est enfin admettre qu’en étant acteurs du droit, ils sont
susceptibles de développer des stratégies dans les usages qu’ils en
font, c’est-à-dire de prendre des distances par rapport à une
institution – l’institution juridique ou l’institution judiciaire –
dont la socialisation spécifique qu’elle leur impose et l’habitus
professionnel qu’elle leur inculque n’empêchent pas ces
professionnels d’en redéfinir les finalités et de développer des
pratiques différentielles 2.
La présente réflexion se situe donc dans la filiation d’auteurs 3
qui érigent en objet d’analyse l’apparente évidence de
l’indépendance des professionnels du droit, de leur neutralité, de
leur apolitisme, de leur désintéressement, quand ils parlent du
droit et de leur pratique du droit. Ce choix est fondé sur l’idée que
le fait de leur accorder ces attributs n’est autre qu’un moyen de
renforcer paradoxalement leur légitimité. Dans une version
encore plus critique, il s’agit, en usant de «  cette représentation
idéaliste des professionnels comme gardiens de l’intérêt général
et du bien commun », de leur conférer un statut hors du commun
participant du «  processsus de professionnalisation 4  ».
Considérer les professionnels du droit comme acteurs de ce
modèle de légalité duale, qui a fait l’objet d’une présentation dans
le chapitre précédent, c’est, par conséquent, rompre avec ce qui
serait une tendance répandue au sein de la sphère juridique de
prétendre à un monopole du travail d’observation et de
commentaire sur le droit et la justice et sur les pratiques en la
matière. Mais ce parti pris de rupture serait d’autant plus difficile
à mettre en œuvre que les professionnels du droit ont, comme
nous l’avons évoqué dans l’introduction, potentiellement une
compétence spécifique leur permettant de jouer subtilement de
leur multipositionnalité.
En maîtrisant la ressource exceptionnelle que constitue le
droit, ils sont notamment potentiellement en mesure d’agir
spécifiquement sur les autres communautés politiques. Rien ne
l’illustre mieux que l’exercice d’une activité doctrinale, laquelle
représente un instrument sophistiqué d’exercice d’un pouvoir
d’influence sur le politique et sur ses orientations. Dans le même
esprit, il sera considéré dans ce chapitre que les professionnels du
droit sont aussi des acteurs de ce « système social », des acteurs
d’une nature particulière dont il convient, en tant que tels,
d’observer les pratiques et ce qui les fonde : en termes de types de
rapports au droit (adhésion à l’une ou l’autre face du modèle de
légalité duale), ce que j’appellerai les pratiques représentées  ; en
termes d’adhésion ou de soumission, consciente ou inconsciente,
à des déterminants culturels, politiques, économiques ou
corporatistes comme autant d’expressions de stratégies obéissant
à des logiques d’intérêt ou de valeur liées à des positions et à des
dispositions, ou encore de contraintes, ce que j’appellerai les
pratiques situées.
En fait, à travers ces deux niveaux de pratiques, représentées et
situées, les professionnels du droit apparaissent comme
d’exceptionnels révélateurs des tensions qui traversent le droit,
dans les façons dont il est institué, dont il est pratiqué
notamment dans ses usages institutionnels (l’exercice de la
fonction de justice), dans ses usages politiques et sociaux, cela
tout à la fois dans une perspective diachronique et synchronique.
Si le droit obéit bien à ce modèle de Janus, à ce modèle de
légalité duale, dont les deux faces sont constamment déclinées
dans cet ouvrage, dans l’histoire et dans le présent, les
professionnels du droit en sont logiquement les principaux
acteurs, comme porte-paroles, comme vecteurs dirons-nous et
comme artisans de sa concrétisation dans la vie même du droit.

PROFESSIONNELS DU DROIT
ET REPRÉSENTATION DOMINANTE
Si nous nous référons aux sociétés dites de tradition civiliste,
la place des professionnels du droit et les représentations qui leur
sont attachées a été pendant longtemps en parfaite adéquation
avec cette représentation sacralisée du droit et des lieux où il était
mis en œuvre que nous avons déjà évoquée. Comme nous l’avons
vu, la « Raison » du droit et ce que j’oserai appeler l’économie de
la gestion concrète de la «  Raison  » du droit participent d’une
vision du monde inspirée de l’idée de transcendance, d’une
approche de la régulation juridique mais aussi politique du haut
vers le bas. C’est cette représentation du statut et de la fonction
du droit qui s’impose d’abord aux professionnels du droit pour
construire leur identité et la représentation qu’ils s’en font.
Cela vaut pour les « légistes » à qui il appartient de concevoir
la loi, de la produire en mettant en œuvre un «  art législatif 5  ».
Les récits sur l’écriture de la loi participent eux-mêmes de cette
représentation du droit à la fois comme «  Raison  » supérieure,
inspirée et fondée sur un savoir conçu comme une théologie. La
célébration de « l’art juridique », ce n’est pas seulement le souci
d’une esthétique dans l’énoncé législatif, c’est conférer la «  force
de la forme 6 » à un droit participant d’un mode de structuration
de la société, d’établissement du pouvoir, de construction de sa
légitimité. Dans un ouvrage précédent, j’avais tenté de montrer
que si le terme d’art est ici revendiqué, c’est que la pratique du
droit est représentée comme exigeant de la grandeur et l’idée de
cette grandeur s’impose grâce précisément à une esthétique de la
forme qui est aussi le moyen de témoigner d’une philosophie de
l’existence, sorte de sagesse suprême où la loi juridique n’est
finalement l’expression que de la loi humaine 7. Le 1er  pluviôse
an IX (janvier 1801), lorsque Portalis prononce devant le Conseil
d’État le fameux « Discours préliminaire au projet de Code civil »,
il joue de l’art oratoire pour faire de l’art législatif, c’est-à-dire
accomplir un acte poltique au sens le plus noble du terme 8.
Dans ce cadre, il revient, par exemple aux professeurs de
droit, investis de la tâche de transmettre un savoir juridique
détaché des contingences du social et du politique, d’être les
«  interprètes autorisés  » de ces «  vérités inaccessibles à
l’entendement humain 9 » et de se livrer parallèlement à un travail
d’interprétation des textes et des intentions que ceux-ci portent en
référence aux finalités poursuivies par le « Législateur », cet être
mythique invoqué de façon incantatoire, si présent dans la
rhétorique des professionnels du droit, si propre au «  préjugé
formaliste de “l’intention du législateur” et du “vrai sens du
texte” 10 », si « hors-sujet » (irrelevant) sociologiquement.
Ce qui vaut pour les professeurs de droit vaut également pour
les juges à qui ne peut être reconnue la « dimension personnelle
et contingente  » des choix qu’ils opèrent et, par conséquent, le
rappel qu’ils «  sont soumis aux mêmes limites que les autres
hommes 11  ». Ils ne peuvent être ici que la «  bouche de la loi  »,
institués comme «  grand prêtre  » du droit plutôt que comme
agent, disons ordinaire, de son application. Seule une perfection
formelle pourrait être susceptible de restituer toute la noblesse
d’une intervention du juge sur l’humain et le social. C’est bien
pourquoi il peut être avancé que «  le comble de l’excellence
judiciaire revient […] à élever le style judiciaire jusqu’à une
esthétique. […] Dans sa rédaction et dans son éloquence, le
magistrat se doit d’être plus qu’un technicien, un artiste  ». C’est
alors que «  l’œuvre du juriste peut atteindre parfois une
esthétique qui confine à l’art [de telle sorte que, par exemple,] un
rapport sans défaut à la Cour de cassation vaut aussi, par certains
côtés, un poème 12 ».
La référence à l’art est le procédé qui permet de rappeler que
le droit, dans sa formulation et dans son application, est hors du
commun. Pour l’historien du droit et constitutionnaliste Adhémar
Esmein, il appartient aux professionnels du droit de s’en
souvenir : « La souveraineté absolue de la loi la rend indisponible
au juge 13  » et, par conséquent, «  il importe à la démocratie
française, à la garantie des droits et libertés individuels, que
[avocats et magistrats] sachent vraiment le droit et aient cet
esprit juridique qui reste fermement attaché à la lettre et à l’esprit
des lois, sans se laisser prendre aux mirages d’une fausse équité,
laquelle n’est le plus souvent que de l’arbitraire 14 », les « mirages
de la fausse équité [traduisant] tout ce que l’idéologie française
rejette [notamment] de solutions empiriques 15… ». Assigné à une
telle mission, il est alors logique que le juge inscrive son « office »
dans ces rituels de justice décrits dans le chapitre  I 16. Il importe
également qu’il préserve son apparence afin d’être effectivement
une «  généralité incarnée  ». L’obsession de la distance que doit
tenir le juge par rapport aux citoyens «  ordinaires  » participe
logiquement de cette représentation de l’exceptionnalité dans
l’exercice de sa fonction.
Ce qui vaut pour les professeurs et les juges vaut enfin pour
les avocats. Comme le dit un anthropologue : « L’effet d’un droit
jupitérien qui descend vers le justiciable, comme une révélation
qui atteindrait le fidèle  » a pour conséquence la représentation
d’un avocat «  “vrai croyant” qui adhère par principe à la
transcendance rationnelle du droit, qui en accepte la cohérence et
dont les actions tendront à conforter et à reproduire sa parfaite
architecture 17  ». La représentation de l’avocat se construit en
référence à celle d’une «  place supérieure acquise par l’ordre du
droit dans la société 18 ».
Rien n’illustre mieux cette représentation que cet « âge d’or »
de la profession d’avocat qui verra triompher en France « l’esprit
juriste » en symbiose avec un droit conçu comme « technique de
gouvernement  », éventuellement contre l’État et «  au service du
public 19  ». Le référentiel du droit comme «  Raison  » inspire ici
l’affirmation de principes généraux et de valeurs fonctionnant
comme autant de façons de célébrer, spécifiquement par rapport
aux juges, l’exceptionnalité de la fonction. Ce que favorise cette
représentation du droit, c’est un avocat, comme «  généralité
incarnée », ici aussi suivant une conception holiste, où le tout est
effectivement plus que les parties, mais où l’individu avocat
devient un acteur collectif, un « homme abstrait 20 », gardien, au-
delà de la défense d’individus ou d’intérêts particuliers, d’une
mission comme celle d’être «  au service de l’État de droit 21  ». Il
revient à l’avocat notamment d’assurer la défense du public à
travers la défense de la loi, en s’appuyant sur des valeurs et des
principes qui peuvent être ceux de la défense des libertés et des
«  droits universels  », de la défense des opprimés. Cette
« vocation » s’exprime, en particulier, dans le cadre de la justice,
cette «  arène  » où la pratique du «  pouvoir des mots  »,
l’éloquence, est susceptible de procurer du prestige, du pouvoir,
une gloire légitime constituant autant de bienfaits non pas
d’abord pour celui qui en est le bénéficiaire mais pour le corps
professionnel tout entier et les valeurs qu’il représente.
Pour parfaire une telle construction symbolique, deux
attributs exigent d’être particulièrement mis en valeur  :
l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs et des institutions  ; le
«  désintéressement  ». Ce dernier attribut, constitutif de l’idée de
profession 22, est particulièrement illustratif de la façon dont se
construit symboliquement une identité de corps professionnel.
En effet le «  désintéressement  » est supposé définir «  une
stratégie qui, refusant aussi bien la subordination à l’État que la
soumission au marché, entend se lier au public […] l’économie
[proclamée] de la profession est donc une économie du sacrifice.
Elle l’est pour que règne la confiance et que les avocats puissent
nouer une alliance durable avec le public 23 ».
C’est effectivement bien l’exercice d’un «  sacerdoce  » que
revendique ce corps professionnel dans ce que furent les plus
grands moments historiques d’une rhétorique visant à l’exaltation
de la fonction au cœur de la vie du droit, comme l’illustre la
citation suivante : « La science de l’avocat, l’éloquence, la probité
ne sont pas une marchandise  ; quand le malheur et la pauvreté
les invoquent, elles se donnent libéralement ; elles ne se vendent
pas 24. »
Nous verrons plus loin, de façon significative, comment ces
idéaux proclamés se confrontent avec ce qui compose ce que
j’appelle les pratiques situées.
Ce processus de construction d’une mythologie du droit à
travers spécifiquement la représentation qui est donnée des
professionnels qui le servent –  ou que les professionnels
construisent – est indissociable d’une certaine représentation du
politique et d’un rapport particulier au politique. Dans cette face
du modèle de légalité duale, qu’ils en soient les créateurs ou qu’ils
la mettent en œuvre, en inscrivant leur représentation du droit
supposée configurer leurs pratiques dans une conception
pyramidale, du «  haut  » vers le «  bas  », les professionnels du
droit, de façon conforme au concept d’homologie structurale,
entretiennent et participent d’une vision du pouvoir identique. En
empruntant aux catégories d’analyse de Max Weber portant sur
les types de domination 25, nous pourrions dire qu’ils promeuvent
une conception charismatique de l’exercice du droit et qu’ils
inscrivent en même temps celle-ci dans le mode de domination
légal-rationnel avec lequel prétendrait encore se constituer la
légitimité du pouvoir politique de beaucoup des sociétés
contemporaines.
Un tel positionnement est susceptible d’avoir deux
conséquences. En contribuant à naturaliser l’évidence d’une
certaine conception de l’exercice du pouvoir, les professionnels
du droit sont en mesure d’occuper logiquement une place
privilégiée auprès de ce même pouvoir. Si l’on se réfère au
modèle pyramidal français où le mythe d’un État central fort est
associé à un pouvoir politique lui-même fortement centralisé, il
apparaît que les professionnels du droit ont eux-mêmes occupé
des positions dans la proximité avec le sommet de cette forme de
régulation politique et que, par conséquent, ils en sont
indissociables. Comme le dit un comparatiste  : si le droit est
perçu en France comme dans des pays d’Amérique latine par les
courants critiques comme un pouvoir politique qui doit être
dénoncé et remplacé par un autre pouvoir et un autre droit, cela
découle d’une longue tradition européenne née dans les débuts de
la monarchie absolutiste en France à la fin du XVIIe siècle suivant
laquelle le droit est l’expression de la souveraineté étatique
incarnée par la monarchie 26. Ainsi, les professionnels du droit
n’échappent pas à un paradoxe puisque, revendiquant la maîtrise
et l’autonomie d’une doctrine «  formaliste et scientifique  » par
rapport au politique, ils sont en même temps les gardiens d’un
droit associé étroitement à un certain type de pouvoir.
Mais la conception mythifiée du droit portée ainsi par les
professionnels du droit a une seconde conséquence possible.
L’adhésion à l’idée d’une « Raison » juridique « purifiée » de ses
potentiels déterminants sociaux ou politiques peut conduire à
l’idée que cette «  Raison  »-là est en fait la vraie «  Raison  »
politique en lieu et place de celle portée par les professionnels de
la politique. C’est une tentation à laquelle les légistes sont
prédisposés à succomber. Ainsi derrière le souci affiché de bien
distinguer la mission du professionnel du droit et celle du
politique, transparaît, ainsi que nous l’avions souligné dans un
précédent ouvrage 27, l’opinion chez certains professionnels du
droit que la rationalité juridique porteuse d’universalité est seule
en mesure d’échapper au risque des contingences de la vie
politique. À ce juriste, qui «  dirige et ordonne ou tout au moins
dit comment il faut diriger 28 », cela en vertu de la conviction que
« la direction des hommes exige un ensemble de règles générales
et permanentes 29  », s’opposent les pratiques des politiques
soumises aux aléas de la conjoncture, aux contingences de la vie
politique ordinaire. L’intervention du politique dans la
production du droit est soumise aux compromis politiciens, aux
querelles et aux passions partisanes, exposées aux facilités de
l’électoralisme, en un mot intéressée au sens de porteuse
d’intérêts particuliers 30.

LES PROFESSIONNELS DU DROIT
ET LE RÉEL

Tout ce qui concerne le droit et ses mises en œuvre se prête


particulièrement à une vision idéalisée de ce qu’il est et de ce
qu’en font ceux investis de la mission de le pratiquer. Ce que j’ai
appelé les pratiques représentées participe ainsi d’une occultation
des facteurs culturels, sociaux, économiques, politiques,
institutionnels, corporatistes, qui influent ou déterminent la
réalisation effective de l’une ou l’autre face du modèle de légalité
duale dont les professionnels du droit sont les acteurs. Parler de
pratiques situées, c’est alors considérer en quoi ces deux faces du
modèle de légalité duale s’incarnent, préalablement et non plus
idéalement, en se confrontant à ce qui constitue le
fonctionnement des sociétés, dans leur fondement, y compris
celui représenté par leur culture juridique, et dans leur devenir.

Les traditions juridiques

La place et le rôle que les professionnels du droit assument en


référence aux deux faces du modèle de légalité duale dépendent
d’abord des traditions juridiques dont ils relèvent, des cultures
dans lesquelles s’inscrivent leurs activités 31. C’est ce qu’illustrent
les différences entre les professionnels du droit développant leurs
pratiques : soit en référence à la common law soit en référence à
la tradition civiliste.
Dans la tradition civiliste, la fonction des professionnels du
droit, juges et avocats, a, comme nous venons de le décrire, pour
principale référence la première face du modèle de légalité duale :
celle du «  Droit  » comme «  Raison  ». La pratique s’inspire
prioritairement d’un ordre juridique, d’un corps de règles
préétablies et surplombantes. C’est à partir de cette «  raison
incarnée  » qu’il appartient aux professionnels du droit de
rechercher la solution que leur confrontation aux faits leur
impose d’apporter par déduction. Dans cet exercice de
composition nécessaire avec un droit qui vient «  d’en haut  », la
compétence des professionnels du droit se manifeste d’abord par
le recours maîtrisé à la logique déductive plutôt qu’à l’expérience
qui est au fondement de la pratique des professionnels de
common law. Suivant la célèbre formule d’Oliver Wendell
Holmes, juge à la Cour suprême américaine de 1902 à 1931 et qui
sera une sorte de précurseur du courant américain dit de la
« sociological jurisprudence 32 » : « La vie du droit n’a pas été faite
de logique ; elle l’a été d’expérience 33. » Rien ne caractérise mieux
la common law que cet accent mis, par opposition à une
conception légicentrique, sur la source jurisprudentielle, sur la
culture du précédent, sur l’expérience et sur un pragmatisme
opposé au formalisme, aux sources formelles, dans la pratique du
droit contrastant avec la «  culture juridique  » «  civiliste  », où
l’accent est mis sur un système préétabli de règles comme raison
incarnée auquel le juge doit se soumettre. La figure dominante
du législateur s’oppose alors à la figure dominante du juge. « Là
où la norme est censée […] préexister au fait qu’il s’agit de traiter
juridiquement par raisonnement déductif, elle est en common
law induite des faits en vertu de la capacité du juge à servir
d’“oracle de la loi” (Blackstone) et non de simple “bouche”
(Montesquieu) 34.  » C’est pourquoi «  le droit de common law est
avant tout un “droit de praticiens” qui tire de son propre passé,
par la doctrine du précédent, un réservoir quasi illimité
d’expériences adaptables aux circonstances nouvelles 35  » jusqu’à
faire des juges des « décideurs de politiques » (policy-makers).
L’affirmation de ce « droit de la pratique » (law in action), qui
s’affirme par contraste avec la prééminence du « droit des livres »
(law in books) dans la pratique des professionnels du droit
relevant de la tradition civiliste, explique que, dans la tradition de
la common law, le droit est bien au cœur du politique mais
suivant des rapports au politique des professionnels du droit qui
sont radicalement différents. Dans la tradition romano-
germanique, les professionnels du droit sont imprégnés d’une
«  culture juridique d’État 36  ». Ils sont plus enclins à participer
d’un ordre politique marqué par la prééminence de l’État et
conforme à la vision étato-centrée de l’ordre juridique dont ils
sont les acteurs 37. Par contraste, dans la tradition américaine
imprégnée de la common law, les professionnels du droit sont
porteurs d’une culture juridique de la société civile. C’est ainsi
que dans le système américain, traditionnellement appuyé sur le
droit, la révolution américaine a été pensée, certes sur un mode
juridique, mais comme la revendication de droits juridiques et
constitutionnels d’individus à l’égard du Parlement 38. Toute une
série d’autres raisons qui tiennent à la structuration du système
politique américain (structuration d’un bipartisme dans le
rapport à la Constitution, rôle de la Cour suprême dans
l’arbitrage des relations entre un État fédéral et des États fédérés
et dans la construction d’un gouvernement central fort…) se
conjuguent pour faire de la forte présence des professionnels du
droit dans la vie américaine une caractéristique majeure de ce
système. En fait, depuis les premiers jours de la République, les
professionnels du droit et les tribunaux y ont acquis des pouvoirs
dont on ne trouve pas d’équivalents dans d’autres pays.
La référence à Tocqueville (De la démocratie en Amérique)
s’impose alors puisque celui-ci souligne la place importante du
légalisme dans la culture américaine et la propension des
Américains à penser les problèmes sociaux en termes légaux 39. Le
juge est une figure politique centrale du champ juridique et les
juridictions y sont en effet reconnues comme des «  institutions
politiques 40 ». Il est banal de considérer que les affaires de justice
y sont perçues comme des affaires politiques, que le rapport du
judiciaire au politique est particulièrement fort 41. Les tribunaux
ne sont pas «  des institutions légales formelles qui sont
influencées par un environnement politique, mais sont considérés
comme un élément majeur faisant partie intégrante de la
politique des États et de la politique nationale 42 ».
Cette nature politique assumée de la pratique du droit
explique que celui-ci puisse être conçu comme contre-pouvoir
par rapport aux excès du pouvoir de l’État 43 et que la justice
puisse fonctionner comme instance non seulement d’application
du droit mais de création de droit faisant effectivement de celui-
ci un «  droit des praticiens  ». Comme il a été dit  : «  La “loi
commune” (common law) anglo-américaine est un droit
judiciaire et le droit continental un droit codifié 44. »
Dans ce contexte, les perspectives d’action des professionnels
du droit, juges et «  lawyers 45  », apparaissent plus larges qu’elles
ne l’étaient jusqu’ici dans les pays de droit civil. Il est ainsi
significatif que les périodes de l’histoire américaine
contemporaine marquées par une plus grande sensibilité aux
problèmes sociaux, à ceux nés des inégalités de statut social,
d’appartenance ethnique ou de sexe favorisent des formes de
mobilisation des « lawyers ». Ceux-ci utilisent le droit comme un
instrument de transformation de la société. Par exemple, «  dans
les années  1960 […], dans le cadre du mouvement des droits
civiques, des Civil Rights Acts et de la War on poverty […], les
lawyers sont perçus comme des acteurs du changement d’une
société nouvelle à construire 46 ».
La tradition de la common law favorise ainsi ces pratiques que
j’ai qualifiées de « connectées à la société ». Ce n’est donc pas par
hasard qu’a émergé dans un tel contexte un courant que l’on
pourrait traduire par la «  défense de causes  » (cause lawyering).
Ce courant va connaître un fort développement, y compris au
niveau international dans une perspective comparative 47. Dans
un ouvrage de référence, sans méconnaître les multiples raisons
conduisant les «  lawyers  » à préférer s’en tenir à un exercice
traditionnel de leur métier, est défini un modèle d’«  avocats
activistes » (activist lawyers) en mesure de mettre en œuvre une
«  politique des droits  » (politics of rights) «  impliquant la
manipulation des droits plutôt que leur réalisation [en l’état]. Les
droits sont [alors] conçus comme des ressources contingentes
agissant indirectement sur les politiques publiques dans la
mesure où elle peuvent contribuer à modifier l’équilibre des
forces politiques 48 ». Ces « avocats activistes » ont ainsi un rôle à
jouer. Ce rôle est à la fois de favoriser la transposition d’une
cause singulière en cause collective de telle sorte que la décision
judiciaire, au-delà du cas particulier qui la justifie, favorise
l’inscription du problème concerné dans l’espace public, ce
problème étant ainsi qualifié comme «  problème public  ». En
procédant de cette façon les professionnels du droit sont
susceptibles de contribuer à la prise de conscience par les
citoyens et les groupes qui les représentent de leurs droits, du
rôle possible du droit dans la reconnaissance de leurs droits.
Dans cette même logique, la « défense de causes » qualifie une
conception spécifique du rôle ou de la mission des professionnels
du droit visant à mettre leur compétence en matière juridique,
non pas dans le cadre d’une stricte représentation des intérêts
particuliers de leur client, et en respectant une stricte neutralité,
mais en se mettant délibérément au service précisément de
causes, inspirées par la poursuite de finalités sociales et
politiques. «  Le cause lawyering fait en quelque sorte voler en
éclat la manière dont la profession se définit comme à la fois
privée et publique, en proposant un nouveau type de rapport
professionnel qui minore la place de la relation au client telle
qu’elle structure l’activité libérale, au profit de la dimension
d’activisme civique, qui prend le plus souvent la forme d’un
militantisme politique en faveur de minorités, de groupes
défavorisés, d’exclus, de causes politiques, a priori peu légitimes
dans ce milieu socio-professionnel 49  » mais susceptibles de
«  s’interpréter dans le cadre de la stratégie professionnelle des
avocats nord-américains et des institutions professionnelles ou
politiques dont ils dépendent 50 ».
Comme cela a été justement souligné, la pratique du
«  défenseur de causes  » (cause lawyer) combine «  deux
dimensions ordinairement séparées : le traitement juridique d’un
cas, la défense militante d’une cause 51  ». Ce qui est en jeu ici et
qui va donner un sens spécifique à l’action du professionnel du
droit, qu’il soit d’ailleurs avocat ou juge, c’est la nécessité, pour
donner toute sa force à son engagement en fonction de valeurs,
de reconstruire ce qui se présente comme une question d’éthique,
de justice sociale conforme à une conviction politique en des
termes autorisant un recours au droit, légitimé, par conséquent,
d’inscrire la cause dans les catégories du droit, d’emprunter les
voies juridiques. La promotion de la cause, la reconnaissance
sociale ou politique de sa justesse passe par une conversion
réussie aux exigences du raisonnement juridique et la légitimité
du professionnel du droit concerné repose précisément sur sa
capacité à optimiser ces usages du droit pour les mettre au
service de ce qui dépasse le jeu juridique en lui-même et concerne
des enjeux collectifs, sociaux ou politiques.
La «  défense de causes  » ouvre alors des perspectives sur les
rapports entre droit et politique qui ne conduisent plus
simplement à le rapporter au seul modèle juridique qui en a
rendu la possibilité logique  : le modèle nord-américain de la
common law. Il promeut une représentation des rapports entre
droit et politique susceptible de transcender les différences de
modèle juridique. Il autorise le retour sur des pratiques de
professionnels du droit qui se sont développées aussi dans la
sphère d’influence civiliste, retour sans doute favorisé dans la
mesure où ce dernier modèle est en crise.
Toutefois, il ne convient pas ici non plus d’éluder les obstacles
pour la mise en œuvre de cette «  politique des droits  »,
notamment par des professionnels du droit qui seraient saisis
dans toute sa pureté par la grâce d’une vocation militante. Parmi
ces obstacles, il y a ceux qui inscrivent les pratiques des
professionnels du droit dans des contextes institutionnels  ; les
liens éventuels entre la justice et le pouvoir politique  ; le
problème de l’impact de la décision judiciaire dans la mesure où
celle-ci constitue d’abord une réponse à des besoins individuels
(ce qui favorise une fragmentation de son action et rend difficile
le passage du particulier au général)  ; l’absence de moyens de
telle sorte que la justice, contrairement aux administrations, n’est
pas en mesure d’assurer un suivi, un contrôle de ses décisions et
une réelle coordination entre les niveaux de juridiction, ce qui ne
lui permet pas d’avoir un réel impact sur les politiques publiques
concernées. Il y a aussi les obstacles qui tiennent directement à la
condition des professionnels du droit  : l’impossibilité pour
beaucoup d’entre eux de se libérer des processus de socialisation
qui prévalent dans l’univers juridique et qui les prédisposent à
s’en tenir à une vision «  juridiste  » (legalistic) et à privilégier les
valeurs du milieu professionnel consistant plus à représenter le
«  client  » qu’à «  sauver le monde  », ce qui peut conduire
finalement à considérer que le professionnel du droit serait
assigné à une condition où prévaut une «  vision étroite,
réductrice du monde social dans lequel il officie  » (comme si,
perdu parmi les arbres, il ne voulait ni ne pouvait élever son
regard au niveau de la forêt 52). Dans les nombreuses études
issues de ce courant de recherche spécifiquement américain dit
de sentencing (que l’on pourrait traduire par «  processus de
jugement ») ou portant sur la « prise de décision légale » (judicial
decision making) ou relevant de cette spécialisation est également
soulignée l’influence de variables propres aux juges et
susceptibles de déterminer leurs pratiques, que ce soient leurs
systèmes de valeurs, leurs motivations personnelles, les formes de
leur engagement professionnel ou encore leurs préférences
politiques 53. Cette influence se mesure alors à des approches et à
des jugements pouvant être différentiels suivant l’appartenance
culturelle ou sociale des justiciables ou encore leur sexe 54.
L’inscription des pratiques des professionnels du droit
transcendant les clivages des traditions juridiques dans des
tendances lourdes qui se manifestent dans des nouvelles formes
de mobilisation au service de causes comporte ainsi le revers
critique d’une vision enchantée. Les pratiques des professionnels
du droit n’échappent pas à des contraintes de nature
institutionnelle, culturelle ou socio-économique. C’est ce
qu’illustrent des pratiques d’avocats dont il a été considéré
qu’elles pouvaient relever de la logique de l’intérêt,
particulièrement caractéristiques de pratiques situées. Pierre
Bourdieu s’est livré à une critique du «  désintéressement  » des
professionnels du droit constitutive d’une «  prétention à
l’universel  ». Pour lui, cette référence au «  désintéressement  »
participerait de cette opération de production d’une illusion
(illusio) laissant croire que ce que font les professionnels du droit
est neutre, désintéressé et dévoué aux intérêts du collectif 55. En
un mot, le «  désintéressement  » viserait à masquer l’intérêt au
fondement des pratiques concernées. Dans le même sens, une
histoire des corps de professionnels du droit et de médecins met
à mal cette notion de «  désintéressement  » en soulignant les
stratégies développées au sein d’un mouvement social «  partant
du bas » (from below), inspiré par les logiques protectionnistes et
corporatistes de ces professions, jusqu’à préconiser ou soutenir,
dans un certain contexte historique, des politiques de
discrimination 56.
Pour revenir à l’idée d’une tendance lourde transcendant les
différences de tradition juridique, il convient de souligner que
s’observe effectivement au sein de la profession d’avocats, en
France comme dans de nombreux autres pays, de tradition
romano-germanique comme de common law, un fort courant qui
s’éloigne du pôle de l’État et du Public («  le corps social en tant
qu’il se constitue comme instance indépendante et critique de
l’État »), autour duquel la profession a construit son unité et son
prestige, pour se rapprocher de celui du Marché, de l’imperium
du Marché, dans le cadre du déclin de l’influence politique et de
la montée de l’influence capitaliste et de la primauté croissante
de l’économique. Moins inspirés par la culture du
désintéressement ou s’estimant moins tenus de la faire valoir, les
avocats constituent un «  barreau des affaires  » et se rangent de
plus en plus derrière les idéaux du libéralisme économique et la
culture du management, cela dans le cadre d’un mouvement
international qui a débuté aux États-Unis et au Royaume-Uni et
qui se manifeste, avec des variantes, dans de nombreux autres
pays notamment d’Amérique latine 57. Les «  cabinets de conseil
juridique » (law firms) sur le modèle américain se substituent en
partie au traditionnel « cabinet » de l’avocat 58 comme le montre
cette « conversion d’une partie du barreau à la vie des affaires et
l’organisation d’un pourcentage croissant des cabinets sur un
mode capitalistique (par exemple, en France, les sociétés
d’exercice libéral sont passées de 25  % en  2000 à 47  %
en 2009) 59 ».
Nous sommes confrontés à un processus historique
d’importance croissante accordée au marché, processus inscrit
dans un courant de transnationalisation (sur lequel je reviendrai
dans le chapitre suivant). Le droit n’échappe pas à ce processus.
Il en est au contraire un des vecteurs. Un constat d’évidence en
découle  : la common law s’y trouve plus en adéquation que le
droit de tradition romano-germanique. Il reste que les pays de
droit civil n’échappent pas à une relativisation de l’influence des
codes pour laisser de plus en plus de place à un travail
d’interprétation 60. C’est bien alors d’un rapport de force entre
deux cultures juridiques qu’il peut être question et «  le conflit
entre les cultures judiciaires, cette “course aux armements”
juridiques, est le plus souvent résolu au détriment de la culture
civiliste 61 ». Dans cette confrontation, les professionnels du droit
relevant de la common law sont porteurs de modèles d’action plus
en adéquation avec des usages du droit dont le développement est
favorisé par la globalisation. C’est ce que montrent l’importance
prise par les «  grands cabinets juridiques  » (big law firms) 62, les
stratégies de mises en place d’un «  système juridique
international interconnecté  » (interconnected international
judicial system), voire d’une «  communauté globale des cours  »
(global community of courts), elle-même fondatrice d’une
«  jurisprudence globale  » (global jurisprudence) 63. Ces stratégies
ont toutes pour origine des juristes de common law dont l’objectif
est explicite lorsqu’il prend la forme de procédures de formation
visant à l’universalisation de pratiques, comme le «  Global Law
School Programs », inspirées par des juristes américains 64.
Néanmoins, pour certains auteurs, ce rapport de force, où le
droit de la common law prend de plus en plus le dessus sur le
droit romano-germanique 65, masquerait en fait une évolution qui
ferait de cette confrontation une «  alternative provisoire 66  » et
annoncerait une métamorphose en un «  pluralisme ordonné  »
dont l’Europe serait précurseur, notamment avec ses
«  laboratoires  » que constitueraient la Cour européenne des
droits de l’homme ou la Cour de justice de l’Union européenne
comme modèles d’une « autre mondialisation juridique que celle
dictée par les États-Unis 67 ».
Mais à une telle vision optimiste s’oppose l’idée que «  les
différences entre les mentalités du common law et du civil law
sont irréductibles au niveau épistémologique 68  », comme au
niveau des valeurs et de la conception générale de l’ordre
politique. La philosophie sous-jacente à l’œuvre de codification
est celle «  d’une conception du droit exempte d’opinions
populaires, de différenciations locales et quasi exempte d’autorité
judiciaire dans la production de la loi commune 69 ». Au nom des
valeurs de la démocratie française, il importerait alors de s’en
tenir «  à la lettre et à l’esprit des lois  » et le rappel vaut
particulièrement pour les avocats et les magistrats 70.
Ainsi que le suggèrent toutes ces analyses, la logique de
l’intérêt chez les professionnels du droit, rendue si visible dans ce
nouveau rapport au marché, est indissociable des rapports qu’ils
entretiennent avec le pouvoir 71. Les vertus exceptionnelles du
droit sont de permettre une transfiguration de ces engagements
intéressés dans le marché et au service du pouvoir de telle sorte
qu’ils apparaissent désintéressés et que les motivations réelles qui
les justifient peuvent être dissimulées.
Notons enfin ici que l’influence des traditions juridiques que
je viens de souligner par des exemples se combine avec des
traditions proprement culturelles. Ainsi, la proportion d’avocats
par rapport à la population comparée de pays à pays est
également significative de traditions différentes effectivement de
nature culturelle, de ce qu’un historien appelle des «  styles
juridiques nationaux 72 ». Si l’on considère comme une exception
le Japon où le nombre de professionnels du droit est
traditionnellement faible 73, en France, «  avec plus de 51  000
membres aujourd’hui, la profession a plus que doublé en quinze
ans. [Mais] avec un avocat pour 1  200 habitants, elle est encore
loin du taux d’avocature que connaissent l’Italie, l’Allemagne,
l’Espagne, le Royaume-Uni et surtout les États-Unis  » où le
rapport est d’un avocat pour 280 habitants 74.

Le social

« Le juriste ne peut plus avoir, face à la société, l’attitude qu’il


adoptait en  1804. Les choses étaient alors bien claires  : si le
juriste n’était plus, comme dans le siècle précédent, le grand
prêtre, successeur au pouvoir des théologiens, l’homme “à la
toge”, du moins demeurait-il un personnage occupant dans la
société une position prééminente. Sa puissance reposait sur la
loi, monument suprême et sacré qu’il avait pour mission de faire
appliquer strictement 75.  » Cette citation a pour nous deux
significations : celle de souligner une évolution nécessaire qui se
serait imposée bien avant la période actuelle ; celle de confirmer
l’existence de ce que je considère finalement comme une grande
constante historique dans la conception du droit et dans ce sur
quoi ceux qui en sont les acteurs doivent fonder leur pratique. Le
statut des professionnels du droit, les principes de leurs actions
sont construits en référence à l’une ou l’autre face du modèle de
légalité duale : l’une inspirée par la primauté du droit jusqu’à sa
mythification  ; l’autre caractérisée par le souci prévalant des
mouvements de la société, des aspirations de ceux qui la
composent, des dysfonctionnements ou des mutations qui la
traversent. Comme nous l’avons vu au chapitre précédent, cette
seconde face est inscrite dans l’histoire du droit elle-même
jusqu’à ses expressions les plus militantes, les plus radicales dans
la période contemporaine 76.
Au-delà de la spécificité que ces mouvements représentent du
point de vue politique ou idéologique, je les considère comme
une expérience de laboratoire appliquée à mon modèle de légalité
duale. Ils sont en fait des révélateurs à l’extrême de ce que
prétend être une pratique du droit « connectée à la société ». Par
exemple, ils peuvent conduire à poser la question de la légitimité
d’une professionnalité en la matière à travers la revendication
d’accorder éventuellement dans ce champ du droit et de ses mises
en œuvre une place aux « profanes » à côté ou en lieu et place des
« clercs ». La conception de ce que doivent être ici les principes
généraux des professionnels du droit, des pratiques du droit
s’illustre particulièrement sur trois aspects :
1.  A contrario, en dénonçant ce qui paraît caractériser
«  l’orthodoxie juridiste  » du point de vue de leur rapport au
politique, en fait de leur rapport au pouvoir, de la part
précisément de «  professionnels du droit trop dépendants du
pouvoir et trop éloignés des demandes sociales 77  ». Il s’y ajoute
alors la considération suivant laquelle ce rapport au pouvoir, qui
est en fait un rapport de soumission, découle de la culture
juridique elle-même, dans sa tradition, dans son essence. Se
référant aux historiens du droit, un auteur évoque ainsi la crainte
d’une «  dissolution du droit dans les faits économiques et
sociaux 78 » et la conviction chez certains professionnels du droit
d’une «  civilisation juridique menacée 79  » justifiant que leur
vision du monde conservatrice «  se mue, chez certains, en
nostalgie passéiste 80 ».
2. En adhérant à une « conception plus conflictuelle de la vie
sociale et juridique 81  » et en rompant, par conséquent, avec une
vision consensualiste du fonctionnement du monde social
inspirée par une culture juridique où le droit est appréhendé
comme «  science de l’ordre  » pour reprendre les termes d’un
professeur de droit : « Nous, professeurs de la science de l’ordre,
retenons au moins comme un devoir, la charge d’enseigner le
respect de l’ordre et de la loi 82. »
3. En assumant le constat, plus, en choisissant d’en faire une
réalité dans les pratiques, que «  le fait gagne aux dépens du
Droit 83  », ce qui justifie une double évolution. D’abord, la
nécessité est invoquée du déplacement des lieux traditionnels
d’exercice du droit (les cabinets d’avocats, les tribunaux, etc.) vers
des espaces sociaux où s’expriment des besoins de régulation des
rapports sociaux. Rien ne l’illustre mieux que cette justification
avancée par l’une des figures du mouvement de création de
«  boutiques de droit  » et de «  consultations juridiques  »  : «  Il
apparaissait ensuite que le point de vue de l’usager du droit était
radicalement différent de celui des professionnels du droit  : ces
derniers visent toujours, peu ou prou, le respect de la Loi  ; ils
sont des auxiliaires de la Justice en ce sens qu’ils maintiennent et
imposent la suprématie de la loi. Grands prêtres chargés de
garder les commandements, ils sont avant tout des légistes.
L’usager a des problèmes immédiats et concrets à résoudre d’une
tout autre nature  : un logement, une séparation, un enfant, un
travail, sa santé. La formulation juridique d’un problème ne le
recouvre pas dans sa réalité  : au mieux elle le rejoint en partie,
mais le plus souvent elle le déforme ou le cache 84. » Ensuite, cette
inversion de la primauté du social par rapport à la primauté du
juridique peut avoir une autre conséquence  : faire surgir la
question du monopole de la pratique du droit par les
professionnels concernés.
Cela nous introduit ainsi à une réflexion plus générale
associée aux analyses sur ce que j’ai appelé des pratiques
«  connectées à la société  »  : celle des délimitations de la
professionnalité ou même de la disqualification possible de la
professionnalité, ou de certaines formes d’exercice professionnel,
dans les pratiques du droit. Les expériences de médiation sont
très illustratives de ce point de vue. Elles sont susceptibles de
promouvoir un modèle de régulation des rapports sociaux, au
sens large, moins «  institutionnel  / autoritaire  » ou moins
«  contradictoire  » (adversarial). Elles peuvent poser le problème
de la compétence à pratiquer le droit et, par conséquent, de la
pertinence du monopole en la matière des professionnels du droit
(le problème surgit particulièrement avec les médiateurs
sociaux). Elles introduisent de façon incontournable une
interrogation, sur laquelle je reviendrai, sur le rapport des
citoyens au droit, le sentiment de désappropriation qu’ils peuvent
éprouver, laquelle soulève leur éventuelle participation à la vie du
droit, d’un droit qui ne serait plus alors seulement « capturé » par
les dispositifs et les agents qui le produisent, le célèbrent, le
perpétuent et le pratiquent, exogène à ce que les citoyens sont et
à ce qu’ils font, mais « co-construit » suivant une logique plus de
«  coopération  » que de «  tutorat  », en référence à une finalité
d’émancipation 85.
Toute cette tension que je viens d’évoquer entre les deux faces
du modèle de légalité duale, où la face des pratiques du droit
«  connectées à la société  » s’affirme le plus souvent dans une
opposition aux pratiques soumises à «  l’orthodoxie juridiste  »,
constitue bien entendu une grande constante dans l’histoire de la
justice et, de façon particulièrement illustrative, dans celle des
juges. En effet, l’importance de cette représentation mythifiée,
sacralisée, du juge que j’ai déjà soulignée n’est pas mieux mise en
valeur que par la valorisation de son contraire. Établi cette fois-ci
dans la proximité par rapport au citoyen et à la société,
« connecté à la société 86 », ce qu’on requiert du juge, ce n’est pas
l’application stricte du droit mais qu’il fonde son jugement sur
l’équité en sollicitant son « expérience des mœurs, des habitudes
et du caractère des habitants  », sa capacité à formuler des
«  indications de bon sens  » grâce à sa «  sagesse 87  ». La face
opposée du juge mythifié a ainsi ses racines dans une conception
de la justice immergée dans la société, produite par la société
elle-même. Comme le rappelle l’anthropologue, «  l’art de dire la
juste mesure des rapports sociaux est à l’origine un art populaire,
villageois, indépendant des institutions d’État, exercé par ceux
dont le savoir et la sagesse sont reconnus par ces autres, ceux
auxquels ils s’appliquent 88 ». La figure du juge mythifié est alors
celle du «  clerc  » et elle s’oppose au «  profane  ». Le «  clerc  » a
pour référence immédiate les règles de droit. Le «  profane  »,
comme nous l’avons vu pour les jurys de cours d’assises, obéit à
des « règles » qui sont d’abord des normes sociales 89.
Mais cette référence prioritaire au social plutôt qu’au droit
peut alors suggérer que le prolongement possible de cet exercice
d’une «  légitimité de proximité  » par les professionnels du droit
est susceptible de déboucher sur des formes d’usages du droit ou
d’exercice de la fonction de justice qui les nient : la justice exercée
par des profanes dont les jurys populaires en constitue bien une
des illustrations comme nous l’avons vu plus haut. Le profane
plus que le professionnel du droit fonde son action sur
«  l’intuition profane de l’équité 90  », sur «  les normes de la
droiture  » plutôt que sur les règles de droit 91. Par son ancrage
social inspirant son action de justice, le profane porte au plus
loin une « légitimité de proximité » dans la mesure où sa pratique
en matière de justice est, comme le considérait Alexis de
Tocqueville, une des façons de déléguer «  la direction de la
société entre les mains des gouvernés ou d’une portion d’entre
eux 92 ».
Ces expressions d’une autre conception du juge, où la
compétence n’est plus fondée sur la maîtrise du droit mais sur la
prise en compte de valeurs sociales et la référence à une morale,
dessinent également en creux une vision opposée du
fonctionnement du monde social et de l’ordre politique. Comme
cela a pu être dit, avec la conception du juge mythifié, on est dans
une « génétique du religieux 93 ». Avec la conception d’un juge au
plus près du citoyen jusqu’à n’être lui-même qu’un citoyen parmi
d’autres, on est dans une génétique de la communauté. Le bon
exercice d’une justice au sein même de la communauté, par
certains des membres qui la composent, est un des signes de son
équilibre et, à l’inverse, la professionnalisation et
l’institutionnalisation de la fonction de justice portent la
signification symbolique d’une déstructuration de la société
concernée et de ses valeurs 94. Une définition du juge inspirée par
l’idée de transcendance, associée à une conception hiérarchique
du fonctionnement de la société, est l’incarnation, comme nous
l’avons vu dans le chapitre  I avec Jerold Auerbach, d’un « paradis
perdu », de la disparition d’un monde idéal qui aurait été celui de
la communauté 95.
La professionnalisation et l’institutionnalisation des usages du
droit, notamment dans le cadre de l’exercice de la fonction de
justice, ne doivent pas conduire à occulter ce qu’on pourrait
appeler leurs soubassements sociaux ou encore l’amont de toute
intervention juridique et/ou judiciaire. Le fonctionnement social
est imprégné d’un sens de la justice 96 fondé sur des valeurs
sociales et, corrélativement, des expressions les plus diverses d’un
sentiment d’injustice en fonction de «  grandeurs  » s’établissant
suivant les perceptions que les individus peuvent avoir des
situations qui leur sont faites ou des positions auxquelles ils sont
assignés 97, suivant les conditions sociales du succès ou de
l’insuccès de leurs revendications de justice 98. D’où l’intérêt de se
pencher sur « la genèse ordinaire du droit », sur ces « formes de
civilité  » conçues comme «  droit ordinaire  » et agissant comme
du droit 99. Par exemple, «  l’obligation n’est pas simplement une
traduction dans la pratique du nombre de contraintes que des
instances extérieures font peser sur cette pratique. L’intérêt d’une
analyse du droit dans ses formes les plus élémentaires, c’est-à-
dire en particulier dans les formes de civilité, est précisément de
mettre en évidence que l’obligation civile n’est pas toujours le
résultat d’une menace de coercition exercée par une instance
extérieure de sanction 100 ».
L’enjeu est alors de dévoiler les processus sociaux susceptibles
de faire naître le sentiment de justice ou d’injustice, de ressaisir
ces processus qui vont d’une affaire « singulière », le « pépin » en
matière de consommation 101, le conflit de voisinage aboutissant à
une «  dénonciation 102  », jusqu’à son éventuel traitement
institutionnel, juridique et judiciaire. Les dispositifs de jugement
peuvent, ainsi, soit relever du jugement ordinaire, soit du
jugement judiciaire, soit de formes de jugement qui se situent à
côté du judiciaire ou qui se substituent au judiciaire. C’est ainsi
qu’il a pu être question de «  magistratures sociales  » pour
désigner la mise en place en France d’instances comme les
commissions locales du revenu minimum d’insertion, les services
de la sécurité sociale pour l’attribution de l’allocation de parent
isolé ou encore les groupes locaux de traitement de la
délinquance chargés de gérer les contrats locaux de sécurité. Ces
«  magistratures sociales  », bien qu’étant des instances non
juridictionnelles, se livrent à un travail d’interprétation juridique,
à une activité de qualification de situations individuelles afin
d’aboutir à des décisions à l’issue d’un processus de construction
de ce qui s’apparente à un véritable jugement 103.
Dans le même esprit, une histoire de l’administration des
étrangers en France entre 1945 et 1975 révèle le fonctionnement
d’une véritable «  magistrature bureaucratique  » exercée par des
agents intermédiaires de l’État 104. Bien que tenus en principe par
un même cadre juridique, ces derniers développent des pratiques
différentes. Ils utilisent «  la marge d’appréciation dont ils
disposent de deux façons : soit pour se conformer aux exigences
de leur hiérarchie, soit pour imposer leur propre interprétation
du règlement 105 », ce qui conduit à considérer que « le droit n’est
donc jamais conçu par ceux qui l’appliquent comme un impératif
intangible 106  » puisque ces agents disposent d’un «  important
pouvoir d’adaptation et de retraduction des règles juridiques 107 ».
C’est au même constat qu’aboutit une étude sur les pratiques en
France d’agents de l’État chargés de la gestion de l’immigration.
Dans un domaine étroitement réglementé, l’étude souligne le
poids des considérations morales ou privées dans
l’accomplissement du travail administratif qui prend la forme
d’un travail de jugement 108.
Nous sommes là à la genèse d’une économie de la légalité où
le recours au droit et ses formes d’usages peuvent sensiblement
varier. L’irruption du professionnel du droit constitue alors une
éventualité dans le cadre d’un processus susceptible de mobiliser
d’autres acteurs. Comme une illustration de la « bureaucratie de
proximité » (street-level bureaucracy 109), il apparaît que des agents
administratifs au plus près des usagers sont susceptibles
d’infléchir des dispositifs juridiques supposés être la référence
disons immobile de leurs pratiques 110. Il est significatif à cet
égard qu’une étude sur les recours au tribunal administratif 111
montre le caractère collectif présent dans la construction du litige
puisque «  les adjuvants du requérant peuvent prendre le visage
aussi bien des agents de l’administration, des assistantes sociales
que d’associations qui se révèlent parfois, comme c’est le cas
s’agissant du droit des étrangers, plus chevronnées et efficaces
que les avocats eux-mêmes 112  ». De même, l’observation de
l’univers de l’entreprise révèle l’existence de « professionnels de la
conformité au droit  » (compliance professionnals) susceptibles
d’entreprendre un travail de traduction des règles juridiques en
vigueur, par exemple en ce qui concerne l’embauche des
personnels, dont la discrimination à l’emploi, ou plus
généralement le respect des droits sociaux, cela en vue de les
rendre compatibles avec les objectifs de gestion de l’entreprise,
jusqu’à la mise  en œuvre  de stratégies de dissuasion de recours
au droit et à la justice par les salariés 113.
Dans ces processus complexes susceptibles d’impliquer
nombre d’acteurs, le professionnel du droit reste l’intervenant
principal d’une opération de qualification où il convient d’assurer
le passage de perceptions de faits ou de situations particulières à
leur inscription dans des catégories dotées des vertus de la
généralité, c’est-à-dire conformes aux contraintes imposées par
des dispositifs procéduraux associés à des règles juridiques, et
rendant possible la mise en œuvre formelle de principes
supérieurs de justice 114, même si ceux-ci sont ajustés par exemple
à des objectifs de gestion de l’entreprise comme nous venons de
le voir plus haut.
Toutefois, ce passage du social au juridique ne doit pas être
conçu comme une sorte de continuum obéissant somme toute à
une logique et dans lequel le professionnel du droit, dont on vient
de voir ce que peuvent être ses multiples identités, s’insère quasi
harmonieusement. Il peut y avoir là deux visions de la régulation
du monde social  : soit interne à celui-ci, soit exogène par le
recours au droit et aux professionnels concernés. Le choix entre
ces deux options peut constituer un enjeu comportant une
dimension politique. Par exemple, l’implication respective des
citoyens et des professionnels du droit dans l’exercice de la
fonction de justice est indissociable d’une vision de l’ordre
politique. La participation du « profane » à l’accomplissement de
l’œuvre de justice, par exemple dans la fonction de juré, peut être
considérée comme l’expression pure de la démocratie. Elle
constitue «  un moyen de participation citoyenne directe à la vie
des institutions et, par conséquent, d’essor de la vie civique et de
la raison publique 115  ». C’est bien dans cet esprit que la
Révolution française prendra la décision d’abolir les institutions
judiciaires de l’Ancien Régime (loi du 24  mars  1790), d’exclure
des cours d’assises les praticiens, de supprimer la profession
d’avocats 116, d’adopter le principe de l’élection des juges 117,
d’instaurer des formes de justice, comme les tribunaux de
famille 118, gérées par les citoyens et d’instituer les jurys
populaires dans les cours d’assises 119. Il s’agit rien moins que de
mettre en œuvre un idéal d’«  esprit public  », formé dans les
consciences, et « où s’arrête l’obéissance à la nécessité extérieure,
où commence l’obéissance à la présence en soi du tribunal de la
raison 120  ». Les citoyens seront d’autant plus imprégnés de cet
idéal d’« esprit public » qu’ils seront associés ou exerceront eux-
mêmes des fonctions publiques, dont celle de justice.
Par la gestion de la légalité qu’ils assurent, les professionnels
du droit sont en mesure d’être des acteurs importants dans le
travail de légitimation du politique. Mais l’instauration d’un
nouvel ordre démocratique peut aussi emprunter d’autres voies
où la compétence fondée sur le droit importe moins que
l’expérience du social et celle de citoyen. Les professionnels du
droit sont pour nous des acteurs importants de la structuration
de l’ordre politique mais l’analyse du rôle qu’ils jouent ouvre
aussi la voie à l’examen d’autres modes de légitimation. Ils restent
néanmoins au centre d’une économie des relations entre légalité
et légitimité du politique. Leurs pratiques de la légalité sont
susceptibles d’offrir plusieurs cas de figure à cette économie des
relations.
Les juges se livrant à des pratiques de résistance face au
pouvoir en place font un usage disons alternatif de la légalité, ce
qui leur permet en quelque sorte de conférer de la légitimité à
l’«  illégalisme  » (y compris un «  illégalisme  » comme «  jeu  » au
sein d’une légalité donnée 121) qu’ils mettent en œuvre. Le
problème qui est posé dans ces pratiques de la légalité par les
professionnels du droit concernés n’est rien moins que la
légitimité d’un contre-pouvoir s’esquissant par des usages du
droit, suivant des contournements, des détournements ou en
rupture par rapport au pouvoir politique en place. Les juges qui
se réfèrent au droit existant pour en faire une application stricte
face aux pratiques déviantes du pouvoir politique font un usage
de la légalité au fondement d’une « légitimité de l’impartialité 122 »
au point de provoquer une disqualification de la légitimité dont
se réclame le pouvoir politique en place (nous reviendrons sur le
rôle que les juges sont alors susceptibles d’assumer dans cette
perspective par rapport à la constitution du politique et au
fonctionnement de la démocratie).
Dans le même esprit, les professionnels du droit peuvent être
des acteurs privilégiés dans l’économie des relations entre légalité
et légitimité du politique en mettant en œuvre une « légitimité de
proximité » (sur laquelle je reviendrai également dans la mesure
où la question de l’inscription du droit et de ceux qui le font et le
pratiquent constitue désormais un enjeu de première importance
pour l’instauration d’une véritable démocratie citoyenne). Dans le
cadre de certaines formes de justice pour les juges, de certaines
de leurs pratiques pour les avocats, il s’agit bien effectivement de
prêter attention aux procédures autant qu’aux contenus des
décisions, à des procédures permettant « aux parties d’intervenir
de façon plus flexible et participative  » et de faire en sorte que
«  les motivations les plus personnelles et les variables les plus
circonstancielles » soient prises en compte 123. Par exemple, il est
possible de considérer que « dans le secret de son cabinet ou dans
les prétoires, l’avocat forme avec son client un atome de société
qui entre en correspondance absolue avec l’état des aspirations de
la société politique englobante 124 ».
Le rôle du professionnel du droit est alors celui d’un passeur
entre l’expression des injustices vécues ou perçues de la vie
sociale et les catégories juridiques susceptibles d’être les
instruments de leur prise en compte par la société et,
éventuellement, au-delà, au niveau politique, dans le cadre d’une
opération de substitution de la généralisation à la singularisation.
C’est ce qu’illustrent par exemple les pratiques d’avocats dans la
défense judiciaire de salariés où il s’agit d’assurer la
«  transformation, dans le cadre de leur cabinet et dans
l’interaction avec le client, d’un “récit de travail” en un ensemble
de catégories juridiques […] ce travail de mise en forme aux
normes juridiques […] [participant d’un] travail de juridicisation
des relations de travail [qui] est aussi une activité de politisation
de celui-ci 125 ». Il reste que cette fonction de passeur peut aussi se
dénaturer en une fonction écran. Le passage de la protestation,
de l’indignation au registre juridique est susceptible d’être un
gain en termes d’efficacité, de publicisation de la cause. Mais il
comporte concomitamment le risque, sur lequel je reviendrai, de
dessaisissement des citoyens par les experts, lesquels moins que
de représenter se substituent alors aux citoyens 126.

Le politique

Notre intention n’est pas ici de prétendre dresser un tableau


exhaustif des travaux se rapportant aux mobilisations des
professionnels du droit dans l’histoire et aux différentes
déclinaisons qu’elles sont susceptibles de prendre dans des
contextes politiques et culturels différents. Ce qui nous importe
ce sont les ressorts de ces mobilisations et les conditions dans
lesquelles elles se construisent eu égard à la spécificité de
l’instrument juridique et des formes de sa mise en œuvre sur
lesquelles elles s’appuient, sur lesquelles se fondent les
professionnels du droit, de façon différenciée suivant la position
qu’ils occupent et l’ethos propre au corps auquel ils
appartiennent.
Écrire l’histoire des avocats en France montre comment les
avocats s’inscrivent entre trois logiques d’action  : l’État, le
marché, le public (qui représente « le corps social en tant qu’il se
constitue comme instance indépendante et critique de l’État 127 »).
À la fois se succédant dans l’histoire et pouvant également
s’affirmer en tension les uns par rapport aux autres dans une
même période historique, on observe ainsi des déplacements par
rapport aux trois pôles que constituent l’État, la société civile et le
marché. Un « barreau d’État » s’est ainsi établi, caractérisé par un
rapport étroit aux pouvoirs publics. Un barreau au service du
public, de la société civile s’est ensuite imposé, au sens où
l’entendait d’Aguesseau, alors avocat général au Parlement de
Paris : « Vous êtes placés pour le bien du public, entre le tumulte
des passions humaines et le trône de la justice. » Ce pôle prendra
une importance particulière en France dans la période allant de
l’Ancien Régime à la fin du second Empire. Les avocats mettront
en effet leur art de la rhétorique, inspirée par l’idée d’une
«  légalité libérale  » (correspondant à l’aspiration à «  un ordre
légal capable de garantir les libertés fondamentales 128  »), au
service des citoyens et contre les excès d’un pouvoir autoritaire et
en utilisant les tribunaux comme forums, comme espace
d’expression politique. Enfin un «  barreau d’affaire  » en étroite
collaboration avec les activités du marché devient le pôle de plus
en plus dominant dans la période contemporaine 129.
L’avènement de ce pôle donne plus de poids et confirmerait la
thèse suivant laquelle on observerait une réduction de la
différence historique entre les pays de tradition romano-
germanique et les pays de common law dans la gestion de la
tension entre État et marché. En effet, la place traditionnellement
occupée par le marché pour les avocats dans les pays de common
law inspire une «  stratégie dominante 130  », en particulier aux
États-Unis. Or cette prépondérance se généralise à un ensemble
d’autres pays. On observe ainsi un glissement du droit vers
l’économie et, pour certains auteurs, la question de l’État de droit
importe moins que celle de la prospérité économique au profit
d’une élite 131.
Dans cette histoire marquée par ce jeu de positions en tension
entre l’État, le public (la société civile) et le marché, on retiendra
que la question du rapport au politique est constamment
présente et qu’elle peut être constitutive de l’identité
professionnelle du corps, de son statut social et politique 132 : soit
que les avocats participent du pouvoir politique comme l’illustre
la place éminente qu’ils occupent dans la représentation politique
et au sommet du pouvoir sous la IIIe  République en France 133,
soit qu’ils définissent des pratiques du droit s’établissant de façon
autonome par rapport au pouvoir politique ou marquant leur
opposition en s’associant à des actions politiques contestataires.
L’engagement de certains d’entre eux dans la «  défense de
causes  » que nous avons évoqué plus haut en est une des
illustrations mais cet engagement peut prendre d’autres formes.
Des rapports au politique qu’établissent, dans l’espace
géographique mais aussi dans le temps de l’histoire, les avocats
(lawyers), ont ainsi été étudiés, dans le cadre d’une observation
non limitée aux États-Unis mais s’étendant au niveau
international de l’Asie au Moyen-Orient, de l’Amérique du Nord à
l’Amérique du Sud, à l’Europe offrant ainsi un panorama
pratiquement mondial. La thèse avancée, dans le cadre de ce qui
se présente comme une théorie de l’action politique des
professionnels du droit dans un contexte de globalisation, est que
ces derniers contribuent notablement à une forme de libéralisme
politique, celui-ci étant caractérisé comme l’établissement de
limites au pouvoir de l’État, l’indépendance du pouvoir judiciaire,
l’institution et la mobilisation d’une société civile, la promotion
des droits fondamentaux et la garantie des droits des citoyens 134.
En un mot, le libéralisme politique aurait à voir avec « les limites,
la répartition et le contrôle du pouvoir dans une société 135  ». La
relation causale ainsi affirmée, et disons universalisée, entre
avocats et libéralisme politique apparaît fortement liée, dans un
contexte mondialisé, à ce qui serait une importance accrue prise
par la société civile, à l’incertitude concernant le statut de l’État, à
la montée en puissance du néolibéralisme, aux incertitudes du
pouvoir politique et de ses fondements.
Cette thèse a pour nous un intérêt paradoxal. Elle illustre
l’importance des professionnels comme acteurs du politique.
Mais ce constat général se fonde en même temps et contribue à
mettre en valeur des rapports des professionnels du droit dans la
singularité de leurs contextes historiques, culturels et politiques
jusqu’à révéler des rapports au politique de ces professionnels du
droit qui relativisent la thèse principale. Il a été ainsi avancé, en
se référant à de nombreux travaux américains, que l’engagement
des professionnels du droit en faveur du libéralisme politique
faisait en fait « exception 136 » ! L’analyse des suites des attentats
du 11  septembre 2001 amène au constat pour les États-Unis
d’une collusion entre le pouvoir exécutif, les juges et des juristes
d’administration qui laisse peu de place « aux lawyers, juristes du
monde académique, aux associations professionnelles, aux juges
et aux organisations non gouvernementales  » pour assurer la
protection du libéralisme politique 137. Dans plusieurs autres pays,
le conservatisme des professionnels du droit ou d’importantes
fractions d’entre eux, leur soumission ou leur collusion avec le
pouvoir, apparaissent évidentes. Par exemple, en Turquie,
l’ensemble des acteurs juridiques, «  à la différence de la plupart
des pays démocratiques, n’a pas contribué significativement au
développement du libéralisme politique 138 ». Et pour qu’il en soit
autrement, cela supposerait que soient abandonnées par ces
acteurs «  les vieilles habitudes, les peurs, les soumissions et les
approches idéologiques traditionnelles 139  ». En Espagne, il est
avancé que «  le système judiciaire demeure dans un rapport de
totale soumission par rapport au reste des organes
gouvernementaux 140 ». Dans le cas d’Israël, l’accent est mis sur les
interrelations entre marché néolibéral, circulation des capitaux et
implication des professionnels du droit dans les représentations
du droit véhiculées par l’État, ce qui rend limitée toute possibilité
de dissension de ces professionnels 141. Comme une autre
illustration de la multiplicité des facettes des rapports des
professionnels du droit au politique, citons encore l’exemple de la
plus conservatrice association de juristes en Argentine du Collège
des avocats de la ville de Buenos Aires où les liens les plus
apparents et les plus étroits sont ceux avec les grandes entreprises
et les milieux d’affaires 142. À cela, il convient d’ajouter des
traditions de proximité entre professionnels du droit et pouvoir
politique comme, par exemple, au Brésil, au Chili ou en
Argentine où, avant de passer par l’économie et l’engagement
dans les cabinets d’affaires, les meilleurs chemins d’accès au
pouvoir passaient par le droit 143.
Ce qu’illustrent ces différents exemples, c’est bien l’extrême
diversité dans les types de rapport au politique des professionnels
du droit en fonction précisément des contextes politiques. Cette
diversité s’illustre également par l’existence de contradictions, de
rapports de force entre les diverses fractions de professionnels du
droit. Par exemple, en Amérique latine, de façon générale, il
convient de faire la différence entre les juristes du secteur privé et
ceux du secteur public, ces derniers étant considérés comme plus
volontiers coopératifs avec l’État répressif 144. Pour ce qui
concerne l’Italie, il est observé des tensions fortes entre «  les
magistrats du Siège et les avocats de la défense » (the bench and
the bar), significatives d’une grande fragmentation des
professionnels du droit favorisant les abus de pouvoir du
politique et du judiciaire 145.
Ainsi, la reconnaissance de l’existence d’« avocats activistes »
n’implique pas une tendance lourde et homogène au niveau
international  : les positionnements des professionnels du droit
par rapport au pouvoir politique peuvent se révéler différentes
d’un pays à l’autre et des oppositions fortes sont susceptibles de
se manifester entre ces professionnels au sein d’un même pays.
L’importance de l’influence des contextes politiques peut
également s’illustrer par le rôle important joué à certaines
périodes de la vie politique française par les avocats. Après avoir
représenté près de la moitié des membres de l’Assemblée
constituante 146, les avocats ont assuré, particulièrement au
e
XIX  siècle, la défense d’une « légalité libérale » face à un pouvoir

autoritaire, de l’aspiration à « un ordre légal capable de garantir


les libertés fondamentales » et l’utilisation des tribunaux comme
«  forum juridico-politique  ». Cette politisation des avocats
détermine leur niveau de revenus, leur culture professionnelle,
leur clientèle, etc. Elle est alors constitutive de leur identité
professionnelle 147. Sous la IIIe  République, les avocats passeront
d’une critique du pouvoir à une participation au pouvoir
politique pour finir par occuper une grande place dans le
personnel politique 148 au point qu’il a pu être question d’une
«  république des avocats 149  » (expression qui vaut tant pour la
période de l’Assemblée constituante que pour celle de la
IIIe République).
Cet engagement tel que pratiqué par des avocats connaît une
expression quelque peu différente dans la même période chez les
professeurs de droit, plus précisément chez les
constitutionnalistes. Ces derniers ne deviennent pas des
politiques mais mobilisent leur compétence au service du
politique faisant ainsi fonction de «  légistes d’État  ». Ils
s’inscrivent de cette façon logiquement dans la tradition des
spécialistes de droit public, plus enclins à être liés à l’État, ou à se
situer dans une proximité avec lui, jusqu’à lui imposer leur droit
comme «  droit des professeurs  ». En procédant ainsi, ils
participent à la consolidation de la République et accomplissent
un travail de doctrine, au cœur même de l’activité de ce «  droit
des professeurs  », constitutif de «  schèmes de justification de la
République démocratique naissante 150 ».

LES STRATÉGIES
DES PROFESSIONNELS DU DROIT
L’évocation des influences respectives des traditions
juridiques, des contextes culturels, du social et du politique sur
les pratiques des professionnels du droit ne saurait nous conduire
à adhérer à un schéma déterministe en la matière. Faut-il
rappeler que les professionnels du droit sont des acteurs sociaux
et que les influences que subissent leurs pratiques n’excluent pas
de leur part des stratégies  ? Même si ces stratégies sont
susceptibles d’être contrariées sur le long terme par des
tendances lourdes que nous examinerons dans le paragraphe
suivant, elles conservent une force particulière dans la mesure où
la compétence de ces professionnels du droit est fondée sur la
maîtrise de l’instrument juridique. À l’encontre d’une conception
positiviste du droit où il ne reviendrait aux professionnels du
droit que de mettre en œuvre les règles juridiques, de les
appliquer éventuellement en les interprétant, ces derniers sont
effectivement des acteurs au sens où ils sont susceptibles de
développer des stratégies en fonction d’objectifs à atteindre, y
compris des objectifs de nature politique en relation avec des
positionnements proprement politiques. C’est alors logiquement
qu’on peut envisager d’articuler une théorie du droit avec une
théorie de l’action 151.
Dans des travaux précédents, j’avais moi-même tenté de
démontrer combien le travail de doctrine effectué par les
professeurs de droit, au prétexte de commenter les intentions du
«  législateur  », pouvait en fait aboutir à des interprétations
divergentes, inspirées par des considérations de nature politique
ou idéologique, en fonction d’aspirations éventuellement
opposées à celles qui avaient justifié la conception initiale de la
règle et son institution par le pouvoir législatif 152. Le pouvoir
d’influence d’un tel travail de doctrine est d’autant plus grand que
celui ou celle qui en est l’auteur, en vertu de cette
multipositionnalité déjà évoquée, participe à des réseaux sociaux
qui peuvent être communs avec le personnel politique, lequel
vient parfois lui-même de la sphère juridique. La porosité entre
les deux univers est d’autant plus susceptible de jouer que le
contenu même de la rhétorique doctrinale peut être fait d’un
subtil mélange de technique juridique et d’énoncé de valeur
susceptible d’impliquer l’acteur politique. J’avais pu ainsi repérer
que, dans un article consacré à la réforme de la filiation (la loi du
3  janvier 1972), une professeure de droit avait accompagné un
travail d’analyse de texte relevant d’un pur raisonnement
juridique de considérations constituant jugement même si ces
considérations fortement normatives semblaient découler
logiquement du travail purement technique constitué par le
raisonnement juridique proprement dit 153. Ainsi, la critique
formulée de la loi concernée portait d’abord sur la construction
formelle du texte de loi  : «  On connaissait de longue date la
méthode, d’ailleurs mauvaise, qui consiste à récupérer un article
devenu vacant pour y insérer une disposition nouvelle. On n’avait
jamais vu jusque-là vider intentionnellement un article de son
contenu, reporter celui-ci dans trois articles nouveaux, avant de
le transférer au chapitre suivant pour y traiter une question
complètement différente 154… » Mais un tel énoncé « technique »
n’était là que pour donner plus de force à une position critique
sur le plan politique, fondée sur un jugement de valeur à portée
générale  : «  On a dit de ce texte qu’il était une loi d’hommes
vertueux. On ne peut en douter lorsqu’on connaît l’identité de ses
protagonistes. Mais on ne peut manquer aussi de faire une fois de
plus la constatation, combien navrante, que la vertu ne va pas
sans une certaine naïveté 155. »
De même, dans un ouvrage consacré au sens à donner à
l’entrée des professionnels du droit dans la Résistance en France
pendant la Seconde Guerre mondiale, la thèse classique est
rejetée d’un lien de causalité entre positivisme juridique et
soumission au pouvoir des professionnels du droit, en
l’occurrence ici des juges 156. Par exemple, certains de ces derniers
refuseront de présider les tribunaux d’exception au nom de ce qui
leur apparaît comme des valeurs supérieures à celles contenues
par une loi promue par un pouvoir politique sous influence
nazie 157. Il apparaît ainsi que des stratégies sont susceptibles de
s’affirmer en relation avec la défense de valeurs. Les juges sont
ainsi en mesure de faire le choix de promouvoir des visions
stratégiques dans les usages du droit, la loi devenant un
paramètre de l’action avec lequel peuvent «  jouer  » les
professionnels du droit 158.
Ces analyses illustrent de façon éloquente combien, en
relation avec des contextes politiques, la maîtrise de la ressource
juridique est susceptible de conférer de l’efficacité politique aux
stratégies développées par les professionnels du droit. Mais pour
cela, il convient, pour ces professionnels du droit, de « préserver
les apparences de leur fidélité à la loi s’ils veulent conserver leur
influence et leur légitimité 159 ». C’est ce que feront les magistrats
italiens en imposant la mise en place de pratiques hétérodoxes
pour lutter contre le terrorisme. Ces pratiques leur permettant au
nom de la défense de l’intégrité de l’État de promouvoir un
nouveau modèle d’excellence professionnel 160.
Dans une acception un peu différente, il revient aussi aux
professionnels du droit de se donner les moyens de s’opposer
éventuellement au pouvoir politique en prônant un respect strict
de la légalité face à des pratiques qui la bafouent. C’est ce que
démontre une étude des pratiques des magistrats italiens contre
la corruption d’origine politique dans la mesure où le pouvoir
d’influence des juges sur le politique tient à l’application
rigoureuse des règles 161. Il y a donc «  un profit spécifique à
s’identifier purement et simplement avec les règles […] fondé
essentiellement sur l’impartialité et le détachement des juges qui
se bornent à appliquer la loi 162  ». Le pouvoir du juge face au
pouvoir politique tient bien ici à sa capacité à éviter «  la
disqualification dans l’espace public par le reproche de partialité
et de poursuite de mobiles non judiciaires 163 ».
Ces rapports subtils au politique que les professionnels du
droit sont susceptibles d’entretenir trouvent une autre expression
avec ces avocats chinois, les «  weiquan lawyers  », pratiquant le
« weiquan lawyering  » (en un mot la protection des droits ou la
protection par le droit) et dont toute la stratégie consiste à s’en
tenir à une approche juridique comme une forme de
dépolitisation nécessaire pour ne pas être soupçonnés de
défendre explicitement la cause de mouvements sociaux ou de
contribuer au développement du débat démocratique. «  La
possibilité de réduire la confrontation politique à un conflit de
nature juridique » apparaît ainsi comme une incitation faite aux
citoyens de se mobiliser à travers la recherche de résolution de
problèmes sociaux et comme une sensibilisation à la culture de
l’intérêt général par le droit 164.
Mais le développement de stratégies par les professionnels du
droit ne saurait être lié exclusivement à des enjeux de valeurs.
Ces stratégies peuvent aussi résulter de rapports de pouvoir ou de
défense d’intérêts corporatistes ou institutionnels. C’est ce que
suggère l’exemple de l’influence de professionnels du droit
américains dans l’inscription de la justice au sein du processus de
globalisation. Cette influence, interprétée comme une forme
d’impérialisme juridique, se manifeste notamment par une
volonté de multiplication des forums judiciaires, par la tentative
d’imposition d’une notion comme celle de «  judicial comity  », si
propre à la culture anglo-saxonne, et qui se donne à voir comme
une modalité exemplaire de ce que devrait être la régulation
judiciaire supranationale de l’activité économique 165 ; par la mise
en place de dispositifs de formation sous la forme de «  Global
Law School Programs 166 » ; par la volonté d’exporter vers les pays
du Sud le modèle de formation des juristes nord-américains 167.
Cette stratégie d’influence des professionnels du droit américains
participe de cette culture de la common law inspirée ici par des
visées universalistes sinon impérialistes, comme nous l’avons vu
plus haut, en meilleure concordance avec les enjeux de la
globalisation que ne le serait la culture romano-germanique, les
pays de tradition civiliste, si l’on se réfère notamment à la
Banque mondiale qui semble considérer que la common law est
plus en adéquation avec le développement de l’économie tandis
que le droit romano-germanique serait un handicap 168.
Dans cette stratégie d’influence, il existe certes la volonté
d’avènement d’un «  modèle cosmopolite de justice globale  »
(cosmopolitan model of global justice), particulièrement promue
par des juristes américains 169. Celle-ci intègre les préoccupations
de lutte contre la pauvreté, la protection des libertés
fondamentales, les interventions humanitaires, la protection de
l’immigration, la promotion du principe de l’égalité dans la
sphère économique et du travail. Elle participe d’une orientation
doctrinale militant pour cette universalisation de la justice qui
serait conforme à un « nouvel ordre mondial ». Mais ce souci de
respect des droits fondamentaux concomitant de la constitution
d’une «  société civile mondialisée  » (a new global civil society 170)
est indissociable d’un processus économique caractérisé par le
développement d’une circulation mondiale croissante des biens,
du travail, des capitaux, d’une internationalisation du capital et
des structures des entreprises. Cette circulation rendrait
souhaitables, suivant cette doctrine, la mise en place de règles, de
procédures, et, par voie de conséquence, l’avènement d’un
«  traitement des litiges dans un cadre mondial  » (global
litigation 171). L’influence de ce processus économique serait en
fait prépondérante et caractériserait de façon dominante la
globalisation au point de remettre en cause la subordination de
l’organisation économique au principe de la justice sociale 172.
De même, le recours croissant à la justice dans certains pays,
en l’occurrence le Canada, la Nouvelle-Zélande, Israël, l’Afrique
du Sud, sous l’action conjointe de professionnels du droit (juges
et avocats) et des élites politiques et économiques, loin de
s’inscrire dans un processus de démocratisation, de défense
accrue des droits fondamentaux, aurait pour objectif de préserver
des intérêts hégémoniques menacés par de nouveaux groupes
sociaux. Ces élites perçoivent par exemple la
constitutionnalisation des droits, notamment ceux concernant la
propriété, la mobilité et les droits de l’emploi comme un moyen
de peser sur l’action du gouvernement et de promouvoir un
« marché sans contrainte » (a free market) et un agenda favorable
aux affaires. En un mot, il s’agit de protéger ces élites des
«  vicissitudes de la politique démocratique  » et de favoriser une
évolution dans le sens d’une efficacité et d’une prédictibilité du
droit et de la justice conforme à la rationalisation du capitalisme
moderne tel que l’annonçait déjà Max Weber 173. Dans ce cadre,
les élites judiciaires et les tribunaux supérieurs au niveau
national chercheraient à renforcer leur influence politique et leur
réputation internationale 174.
L’explication de ce recours croissant à la justice, qui conduit
notamment à parler de «  judiciarisation du politique  » (ce qui
serait ici un déplacement de l’Exécutif et du Législatif vers le
judiciaire), pourrait aussi tenir d’un activisme des professionnels
du droit eux-mêmes. De ce point de vue, les façons dont ce
phénomène de judiciarisation est présenté ou plutôt représenté
dans la littérature des professionnels du droit est susceptible de
participer de cet activisme. Ce phénomène est de ce point de vue
moins une réalité objectivée qu’une réalité en partie construite
par ceux qui aspirent à en promouvoir l’existence. Il est alors
difficile de faire la part entre ce qui est de l’ordre de la réalité et
ce qui est de l’ordre de l’intention, c’est-à-dire celle d’imposer une
représentation dans le but de perpétuer une conception de la
légalité non seulement comme fondement du pouvoir mais aussi
comme pouvoir. Des travaux ont déjà montré combien les
constitutionnalistes en France avaient investi le Conseil
constitutionnel dans le cadre d’une politique visant à restaurer le
prestige du droit concerné jusqu’à vouloir en faire un droit au
sommet de la pyramide des différents droits 175. Une analyse des
caractéristiques principales de la littérature internationale sur la
judiciarisation révèle ainsi une forte proportion d’auteurs issus
du droit public et soucieux non seulement de souligner l’ampleur
du phénomène de judiciarisation mais également d’en souligner
les vertus du point de vue de la démocratie 176.
Une autre illustration de ces stratégies de pouvoir à l’œuvre
chez les professionnels du droit est représentée par cette grande
constante historique : la volonté de ces derniers de préserver leur
monopole dans la pratique du droit et dans l’exercice de la
fonction de justice ou de le restaurer s’il a été mis en cause ou s’il
est menacé. La stratégie employée de façon récurrente pour
disqualifier l’intervention des «  profanes  » dans cet exercice du
droit et de la justice est une stratégie de disqualification. Seuls les
professionnels ont la compétence pour assurer cet exercice. C’est
ainsi que les tribunaux de famille sous la Révolution française
verront très rapidement réapparaître les professionnels dans leur
fonctionnement effectif jusqu’à la loi du 9  ventôse an  IV
(28 février 1796) qui favorisera les conditions de sa disparition 177.
De même, les jurés populaires ne cesseront d’être la cible des
critiques des juges. Comme le rapportent les historiens, les jurys
populaires font l’objet d’une constante méfiance. Il leur est
reproché de prendre des décisions qui représenteraient dans
certains cas une manifestation naturelle des « mœurs populaires
et, comme telles, “scandaleuses” pour les classes dominantes 178 ».
De même, la justice des prud’hommes, dans la mesure où elle
est une justice paritaire, plus soucieuse «  d’équité que
d’application du droit, de conciliation que de jugement  », se
distingue de la conception la plus orthodoxe de la justice. Cela
explique alors que, pour certains magistrats, «  les prud’hommes
présentent un certain danger pour le justiciable car en se basant
plus sur les faits que sur la règle juridique, qui selon les juges est
identique pour tout, les conseillers risquent de faire de la justice
un instrument ponctuel et arbitraire 179 ».
Une autre illustration de cette stratégie récurrente des
professionnels du droit de préserver leur monopole peut être
donnée avec l’engagement des avocats dans les pratiques de
médiation malgré la volonté des nouveaux professionnels que
constituent les médiateurs de préserver leur autonomie en
assurant la spécificité de la fonction de médiation par rapport à
la pratique du droit 180. De même, en France, comme nous l’avons
vu au chapitre précédent, les Maisons de la justice et du droit
font l’objet de tensions entre la volonté de maîtrise des
« profanes » – représentants de milieux associatifs, professionnels
du social, élus locaux  – sur ces nouveaux lieux de justice et les
professionnels du droit (magistrats et institution judiciaire dans
son ensemble) soucieux de les intégrer dans la chaîne judiciaire.
La grande constante est bien ici pour les professionnels du
droit de préserver leur territoire de compétence, leur
« juridiction » (jurisdiction 181) face aux « profanes » ou face à de
nouveaux acteurs sociaux investis d’une fonction dans le champ
juridique sans en avoir la légitimité aux yeux des professionnels
du droit établis. Le prétexte avancé est alors celui d’une
incompétence proclamée et dénoncée ou d’un exercice de la
fonction de justice non conforme au modèle consacré. Par
exemple, en France, les juges de paix ont connu une évolution
historique marquée par l’abandon d’un modèle alternatif de
justice dont ils se prévalaient à la fin du XIXe siècle auquel se sont
progressivement substituées des tentatives d’alignement de leur
compétence juridique sur celle des autres magistrats
professionnels. De même, les juges de proximité, créés en  2002,
se sont vus disqualifiés au nom de l’accomplissement d’un rôle
social de plus en plus rejeté, notamment par un corps de
magistrats dont l’identité professionnelle s’est vue consolidée
autour de la seule maîtrise du droit, justifiant une limitation de
toutes « formes de juridictions profanes 182 ».

À L’AVENIR, UNE PROFESSION
PARMI D’AUTRES ?
Les pratiques des professionnels du droit et leurs
transformations s’inscrivent dans des tendances lourdes
auxquelles sont exposées l’ensemble des professions. Même si la
construction de leur identité spécifique s’est faite autour du droit,
comme d’autres professionnels, plus que d’autres professionnels,
ils sont de plus en plus confrontés à des «  pratiques
prudentielles  » marquées par l’incertitude et la délibération
excluant l’idée de «  maîtrise systématique 183  ». Ils sont dans
l’obligation de rompre avec une définition de leur travail «  qui
n’est plus la déclinaison d’une règle figée » et de rechercher « de
nouveaux types de légitimités professionnelles 184 ». De même, ils
sont soumis à la contrainte croissante de rationalisation, de
recherche d’efficacité économique, de l’économie comme valeur
prééminente, autant de facteurs qui s’imposent par
l’intermédiaire du nouveau management public. Ils sont pressés
d’assurer l’inscription de leurs pratiques dans la dynamique
capitaliste, cela dans un cadre de plus en plus internationalisé qui
modifie les conditions de la pratique et expose celle-ci à des
formes nouvelles de concurrence.
La transcription de ce changement chez les professionnels du
droit est illustrée par la managérialisation de la justice pour les
juges, par la consécration du «  barreau d’affaires  » et du succès
du modèle du « cabinet de conseil juridique » (law firm) chez les
avocats ou encore par les transformations de la formation au
droit telle qu’elle se manifeste en France par la mise en place de
filières de formation qui concurrencent sinon tendent à
marginaliser les facultés de droit traditionnelles 185. Si la
formation au droit devient un enjeu stratégique au niveau
international 186, c’est d’abord parce que s’affirme, au-delà des
cultures juridiques, une «  conception instrumentale du droit,
soumis à des injonctions d’utilité et d’efficience sociales 187 ». En
l’occurrence, il s’agit de favoriser une « acculturation normative,
en l’occurrence à l’idéologie capitaliste, par l’entremise du droit
économique et la figure des avocats d’affaires 188  ». Dans cette
perspective, une nouvelle pédagogie, inspirée par les attentes des
cabinets d’affaires, est mise en œuvre, ayant pour référence
l’«  étude de cas  » (case studies) pratiquée dans les «  écoles de
droit  » (law schools) américaines, tournée vers la pratique du
droit où « plutôt que de concevoir la légalité comme prescriptive
et autoritaire, les enseignants apprennent aux élèves à la manier
de manière stratégique dans un contexte de négociation plutôt
que de coercition 189  ». De façon significative, en référence à
l’esprit traditionnel de l’enseignement du droit dans un pays de
tradition romano-germanique comme la France 190, ce qui s’opère
ainsi c’est « un déplacement d’un savoir sur ce qu’est le droit vers
une connaissance de ce que font les juristes 191 ».
Cette «  entrée  » par la formation au droit contribue ainsi
particulièrement au dévoilement des mutations dans lesquelles
s’inscrivent les professionnels du droit et des logiques qui les
caractérisent au-delà de la rhétorique qu’ils utilisent ou des
représentations qu’il en donnent eux-mêmes. Rien ne l’illustre
mieux qu’une analyse, participant d’un nouveau courant de
recherche aux États-Unis  : le «  nouveau réalisme légal  » (new
legal realism 192), des façons dont se fait dans les « écoles de droit »
aux États-Unis l’apprentissage de « penser comme un lawyer 193 ».
Une approche linguistique des interactions enseignants-élèves, de
la documentation pédagogique, des entretiens avec les acteurs
concernés permet ainsi de mettre en lumière, sous l’apparente
neutralité du droit, l’influence idéologique qui est à l’œuvre pour
rendre adéquate la formation des professionnels du droit avec
«  l’esprit du capitalisme  ». Finalement, dans le prolongement
d’une célèbre analyse consacrée à l’enseignement du droit dans
les «  écoles de droit  » américaines, supposées assurer la
reproduction et la préservation des hiérarchies universitaires et
professionnelles en même temps que celles des hiérarchies
sociales avec l’initiation aux structures de pouvoir 194, la finalité
serait bien ici d’occulter la dimension sociale (liée à la
stratification sociale) et politique (liée à l’exercice de la
domination) que comporterait toute activité juridique.
Mais toutes ces évolutions auxquelles sont particulièrement
exposés les professionnels du droit vers la recherche d’une plus
grande adéquation, en l’occurrence avec les exigences du marché,
ne sauraient masquer qu’elles s’inscrivent dans un contexte
général de diminution du pouvoir et de l’autonomie des
professionnels en général 195. Le constat de la vulnérabilité
croissante de ces professionnels tient notamment à deux causes
principales. La première résulte d’un «  recul de la confiance du
public  » à leur égard 196, qui s’explique notamment par
«  l’élévation du niveau d’éducation et de la capacité d’accès à
l’information des citoyens, qui ont réduit l’asymétrie cognitive
entre le professionnel et son client » et par le « développement de
mouvements de contestation des autorités 197 » (qui est convergent
avec le « déclin des institutions 198 »). On en trouve l’expression à
la fois dans la perte d’autorité du juge et de ses décisions,
concomitante de celle de l’institution de justice à laquelle il
appartient, ou dans la défiance à l’égard de l’avocat à la mesure
de son relatif désinvestissement par rapport au Public 199.
De façon plus générale, moins que la question de la perte de
pouvoir, ce qui serait en jeu, à travers notamment l’imposition
croissante de normes de «  bonnes pratiques  », le risque de
standardisation des pratiques et de technicisation du travail,
concernerait la perte d’autonomie de réflexion des professionnels
et «  la contribution collective des professionnels, à travers leurs
débats, à la construction de problèmes publics 200  ». Si l’on se
réfère aux inquiétudes manifestées au sein même de la
magistrature sur la capacité de ce corps professionnel à
désormais penser la justice 201 ou à celles rapportées sur l’identité
professionnelle des avocats et sur la cohérence de leur corps
professionnel 202, le constat paraît valoir particulièrement pour les
professionnels du droit.
Ces craintes avancées pour les professions en général
débouchent alors sur des interrogations de nature plus politique :
«  Le recul de l’autonomie de réflexion des professionnels et la
technicisation de leur travail sont susceptibles d’entraver leur
contribution à ces débats sociaux sur la hiérarchie des finalités de
leur activité  […]. Ce serait alors la capacité de réflexion de la
société sur les modalités de traitement de problèmes singuliers et
complexes qui serait en jeu  : les transformations en cours de la
figure du professionnel […] participeraient ainsi plus
généralement du recul du politique, tout en l’alimentant 203. » À la
mesure de la relation particulière entretenue par les
professionnels du droit avec le politique et du rôle qu’ils sont
susceptibles de jouer dans sa légitimation, la nature des questions
posées ici par le devenir des professionnels relève bien alors de
« questions fondamentales sur la démocratie 204 ».
DEUXIÈME PARTIE

LE BOULEVERSEMENT
DES CONTEXTES DU DROIT

Des doctrines philosophiques qui n’étaient d’accord sur


rien s’accordaient pourtant sur ce point  : ce qui les
caractérise comme philosophies, c’est leur recherche de
l’immuable et de l’ultime – ce qui est – indépendamment du
temps et de l’espace 1.

Une moisson de théories et de recherches sur les relations


entre le local et le global montre que les transformations
sociales contemporaines ne peuvent être comprises qu’à la
condition de les considérer comme des transformations dans
les cadres spatiaux et temporels que la modernité tient pour
acquis 2.
Chapitre IV
LES TERRITOIRES DU DROIT

En quoi l’activité juridique elle-même, dans ses réalisations


concrètes, se module-t-elle suivant ses environnements culturels,
sociaux et politiques ? En postulant ainsi le caractère
indissociable de la question du droit et celle de ses contextes, le
souci dont témoignent ces analyses est à la fois de mieux
comprendre le droit lui-même et les évolutions dans ses modes de
production et de mises en œuvre et de démontrer un peu plus que
le droit est, à travers ces évolutions, un miroir exceptionnel des
transformations sociales et politiques des sociétés ainsi qu’une
des clefs pour en comprendre la signification.
Le thème des territoires offre ainsi une première illustration
exemplaire de ce que provoquent les transformations des sociétés
contemporaines sur l’activité juridique. En effet, la réalité de ces
transformations s’y impose avec force dans sa confrontation avec
la représentation du « Droit » comme « Raison », particulièrement
dans la mesure où cette représentation est prioritairement
étroitement associée à une conception précise du territoire : celle
de l’État-nation. En fait, non seulement l’ampleur des
bouleversements tenant à la délimitation des territoires du droit
ébranle les certitudes liées à cette représentation mais, tout en
confirmant aussi la validité de la seconde face de ce modèle de
légalité duale dont j’ai affirmé l’existence  : le droit connecté au
social, elle contraint également de repenser les schémas d’analyse
propres à cette seconde face du modèle de légalité.
L’approche de l’économie complexe de la légalité à partir des
territoires impose, avec une particulière acuité, de se pencher sur
les conditions de réalisation effective de l’activité juridique : celle-
ci apparaît comme modelée par des changements de contextes
politiques, économiques, culturels ainsi que par des logiques à
l’œuvre suscitées par des rapports de pouvoir ou la défense
d’intérêts. Ces derniers facteurs font précisément la réalité du
droit, à distance des représentations idéales.

LES CONCEPTIONS DES TERRITOIRES

Les modes de territorialisation du droit et de ses formes de


mise en œuvre sont à resituer dans une perspective historique
suivant laquelle l’origine des systèmes de droit et de justice à
travers le monde est à rechercher dans les stratégies de conquête,
avec la volonté d’un pouvoir central d’exercer son contrôle sur
des formes locales de régulation juridique 1. Les territoires du
droit et de la justice sont bien d’abord des territoires de la
puissance publique, c’est-à-dire participant du territoire de l’État
et de l’exercice de ses pouvoirs régaliens. Faut-il rappeler que
Max Weber associe la notion même de politique, de
«  groupement politique  », à celle de l’exercice de la domination
et, par conséquent, du pouvoir de coercition sur un territoire
donné, et que la définition de l’État découle de cette association ?
«  Nous dirons d’un groupement de domination qu’il est un
groupement politique lorsque et tant que son existence et la
validité de ses règlements sont garanties de façon continue à
l’intérieur d’un territoire géographique déterminable par
l’application et la menace d’une contrainte physique de la part de
la direction administrative. Nous entendons par État une
«  entreprise politique de caractère institutionnel lorsque et tant
que sa direction administrative revendique avec succès, dans
l’application des règlements, le monopole de la contrainte
physique légitime 2. » Pour Max Weber, la notion d’État implique
« toute l’activité qui se déroule dans les limites du territoire qu’il
domine (par conséquent conformément à l’institution
territoriale) 3 ». L’exercice du droit et de la fonction de justice est
ainsi une application importante de ce que Max Weber appelle la
« validité territoriale 4 ».
Michel Debré, artisan principal d’une réforme en profondeur
de la justice française en 1958, illustre cette conception du droit
associé à un territoire donné, celui de l’État central fort si
caractéristique d’un modèle français de régulation politique : « La
tête dirige et pense  ; la tête est la vie politique de l’homme. Elle
est responsable du corps tout entier  […]. La centralisation
politique est le propre de l’État, grâce à quoi, autour des notions
d’ordre et de justice puis de liberté, la notion a été créée et
subsiste  […]. La décentralisation peut conduire au maintien de
privilèges abusifs, à l’éparpillement des responsabilités et au
démembrement de la nation 5. » Le droit est ainsi rapporté à l’État
et la justice au pouvoir central. La distance de la justice seule
permet de résister à «  l’esprit local  », aux «  passions locales 6  ».
Décrivant le rôle des facultés de droit en France, « détentrices du
monopole étatique de l’enseignement juridique  », «  sur une
longue période qui va de 1804 à 1870 », des historiens soulignent
combien ces institutions ont «  contribué à l’édification d’une
culture d’État […] fondée sur la centralité du droit civil et le
respect de l’autorité  ». La culture juridique qui s’y développe
apparaît notamment « impériale (par son absolutisme et le poids
dominant de la capitale sur l’ensemble du territoire) 7 ».
De façon particulièrement visible en France, la représentation
des territoires du droit et de la justice est ici liée à cette vision
pyramidale de la régulation politique déjà évoquée. De celle-ci
découle une concentration des lieux de conception de la
régulation juridique (que rien n’illustre mieux que l’œuvre de
codification) et des lieux de justice. Bien entendu la distance
constitue l’attribut de cette conception. Au-delà de l’idée de
rationalisation dans laquelle elle s’inscrit, de la «  mystique de la
croissance et de la modernisation » qu’elle incarne (comme cela a
pu être dit dans la période gaulliste en France 8), elle est supposée
favoriser le respect des citoyens et, par voie de conséquence, la
légitimité des acteurs de cette régulation juridique. Elle est
supposée également introduire les conditions d’un bon usage du
droit dans le cadre de ses mises en œuvre au sein de la justice.
Par exemple, ce sont les arguments avancés aux États-Unis pour
justifier une justice fédérale, expression d’une conception
centralisée, inspirée de l’idée de rationalité, exempte
formellement de toute influence et censée permettre la
construction de décisions absolument impartiales, cela avec des
juges hautement qualifiés, en même temps que la cohérence des
jugements 9.
Mais à l’opposé de cette conception du territoire de la légalité
fondée sur l’idée de distance continue à s’affirmer la conception
du territoire de la légalité reposant sur l’idée de proximité. C’est
ainsi que la «  justice des justiciables  » est opposée à la «  justice
du pouvoir central  ». À la primauté du central et de la distance
s’oppose donc ici celle du local et de la proximité. C’est ce
qu’illustre cette tradition américaine d’un contrôle local de la
régulation juridique qui trouve ses racines dans les petites villes
rurales des origines et dans un attachement populaire à des
modes de gouvernement local. Le droit et la coutume influent en
profondeur sur le droit et les institutions judiciaires. L’image du
juge de comté apparaît ainsi comme une figure politique centrale
et comme leader de la communauté légale jusqu’à renforcer la
croyance dans un gouvernement local comme «  proche du
peuple 10  ». Il s’agit bien alors de respecter «  la base locale de la
justice aux États-Unis » et ses justifications politiques 11.

LOGIQUES D’INTÉRÊT
ET DE POSITIONS SOCIALES

L’histoire des réformes ou des tentatives de réformes de la


carte judiciaire en France, c’est-à-dire des réformes des territoires
de justice dans le cadre national, fournit une illustration
exceptionnelle des opérations rendues particulièrement possibles
dans l’univers juridique, comme nous l’avons vu dans le
chapitre  III consacré aux acteurs du droit, de transfigurations de
logiques d’intérêts en défense de valeurs : celles qui tiennent à la
préservation de la grandeur du droit et de la justice, à « l’intérêt
général  », prétendument, plus précisément, à celui des
justiciables et, plus largement, à celui des citoyens 12. Ce que
révèlent pourtant les réactions des avocats à tout projet de
suppression de juridictions, c’est la crainte de voir disparaître
localement un «  marché  » d’affaires 13. Ce qui s’observe ici, c’est
en fait une convergence d’intérêts entre les auxiliaires de justice
et les élus. Pour ces derniers, il s’agit au nom de l’intérêt des
justiciables « de faire voyager le juge plutôt que les justiciables »,
de préserver l’existence d’un tribunal à la fois source de prestige
et source d’emplois 14.
De façon opposée, la tendance dominante chez les magistrats
est de se montrer favorable à toute réforme allant dans le sens de
la concentration 15. Pour ce corps professionnel, les formes prises
par la localisation de l’exercice de la fonction de justice engagent
certes du « capital symbolique » – où la grandeur de la justice est
indissociablement liée à la grandeur du corps professionnel
concerné  – mais aussi du «  capital économique  ». La
concentration de la justice se confond avec l’obsession de la
distance nécessaire pour souligner l’exceptionnalité de la fonction
de juger par rapport à d’autres fonctions sociales et, par
conséquent, le statut légitimement extraordinaire du magistrat
par rapport au citoyen ordinaire. Plus encore, dans les arguments
favorables à la concentration apparaissent également des
arguments portant sur les intérêts des magistrats du point de vue
de leur statut et du déroulement de leur carrière. Par exemple la
réforme de la carte judiciaire française de  1958 associera
étroitement la concentration des juridictions et la revalorisation
du corps de la magistrature 16.
Ce qui se joue dans ces politiques de territorialisation de la
justice et ce qu’elles révèlent de la tension entre distance et
proximité, c’est bien par conséquent une superposition des
registres  : l’un tenant effectivement aux expressions des intérêts
des acteurs du point de vue de la représentation qu’ils ont de leur
fonction dans la société, de ce que doivent être à leurs yeux leur
statut et leur place dans la hiérarchie sociale ; l’autre tenant à la
conception même de la pratique du droit, des professionnels du
droit, particulièrement des juges, cette conception étant en
tension entre les deux faces du modèle de légalité duale. À
l’exercice du droit dans la distance, supposé garant de sa force
symbolique et de son pouvoir réel de réguler et de contraindre,
s’oppose un exercice du droit dans la proximité supposé garant de
son efficacité sociale et de l’adhésion des citoyens. Dans cette
dernière acception, la concentration  : c’est «  le risque de
renforcer exagérément l’esprit de corps et de séparer le magistrat
de la vie avec laquelle il doit demeurer en contact 17  ». Pour
reprendre l’exemple des débats aux États-Unis, il importe que le
juge soit « connecté à la société ».
Là aussi, la question des territoires du droit apparaît bien
comme pleine d’enjeux  : symboliques et matériels pour les
acteurs du droit  ; politiques dans la mesure où la
territorialisation de l’activité juridique est étroitement associée à
des conceptions de l’ordre politique. Sur ce dernier point, il est
significatif, par exemple, que parmi les «  lawyers  » aux États-
Unis, ce sont les élites qui sont les plus favorables à un mode de
sélection [des juges] sur le mérite, dans la mesure où elles
estiment que l’intérêt des « lawyers » est que la justice apparaisse
« hors de la politique » pour obtenir la considération à l’égard des
tribunaux et des juges et contribuer ainsi à leur respectabilité.
Les partisans d’une réforme sont en fait des «  lawyers  » au
sommet de la hiérarchie, «  souvent dans une position de senior
ou managing partners de law firms représentant de grosses
compagnies et autres riches clients du monde des affaires 18 ». Ces
« lawyers » participent à un mouvement de réforme, fondé sur la
croyance en la primauté de la légalité et où est prônée l’adhésion
à l’idéologie de l’efficacité en affaires. Ce mouvement a
commencé à émerger comme force politique au début du
e 19
XX   siècle . Il apparaît notamment porté par des républicains

habitant dans des grandes agglomérations et qui sont opposés à


« des politiques et des pouvoirs démocratiques dans beaucoup de
villes incluant la sélection des juges et la gestion des tribunaux
dans un cadre local 20  ». À l’opposé, on trouve, parmi ceux
favorables au statu quo, des «  lawyers  » au bas de la hiérarchie
qui sont souvent implantés en milieu rural, dans des petites villes
ou des « lawyers » en milieu urbain travaillant pour leur compte
et dont la réussite repose sur «  leur connaissance intime des
tribunaux locaux 21 ». Ils sont, eux, plutôt démocrates et « enclins
à penser que les problèmes qui occupent les tribunaux des
grandes villes ne sont pas du même ordre que ceux surgissant
dans leurs communautés plus petites et moins compliquées 22 ».

L’INTERNATIONALISATION
ET L’ÉCHELLE DES TERRITOIRES

La relativisation du niveau national

Dans un article de référence consacré à la promotion d’une


«  conception postmoderne du droit  », il était considéré que
résultait de cette conception «  l’existence de trois espaces
juridiques » prenant la forme d’une légalité locale, d’une légalité
nationale et d’une légalité mondiale 23. Le constat d’une « légalité
mondiale » s’imposait ainsi de plus en plus dans les faits et dans
les esprits et contribuait à réactiver les courants de pensée où
était affirmée depuis longtemps une relativisation du niveau
national dans l’économie normative des sociétés  : «  Le champ
juridique national est de plus en plus imprégné de formes
juridiques transnationales qui se déploient en établissant des
rapports complexes aussi bien avec l’ordre juridique étatique
qu’avec les ordres juridiques locaux 24. »
La régulation juridique s’inscrit ainsi de plus en plus dans un
espace multicentré caractérisé par une pluralité croissante
d’arènes au sein desquelles le droit est conçu comme produit
d’une volonté mais aussi comme résultante d’interactions
multiples et de stratégies d’acteurs, dont les ONG, s’établissant à
la fois au niveau local, national et supranational 25. Ces niveaux ne
sont pas simplement juxtaposés et leurs interrelations ne se font
pas d’entité à entité mais suivant le principe de systèmes
normatifs «  semi-autonomes  » agis au moins en partie par
d’autres systèmes normatifs fonctionnant en leur sein ou à partir
d’eux, cela dans le cadre d’une perméabilité ou d’une porosité
entre ces systèmes 26 et, par conséquent, d’une économie
complexe entre les normes juridiques transnationales et les
contextes nationaux, celle-ci faite aussi de réciprocités
possibles 27.
Dans le cadre de ce que Saskia Sassen considère comme un
processus de démembrement, les configurations globales
nouvelles (par exemple l’OMC ou les juridictions supranationales)
«  sont partiellement mises en mouvement à l’échelle
nationale 28 ». De la même façon, des processus qui relèvent de la
globalisation peuvent se développer dans des environnements
nationaux ou infranationaux 29. Même si existe encore «  une
participation nécessaire des États nationaux dans la formation
des systèmes globaux 30 », même si « l’État participe à la mise en
place des nouveaux cadres à travers lesquels il fait progresser la
globalisation 31  », même si «  l’État est un des domaines
institutionnels stratégiques au sein duquel un travail de première
importance sur le développement de la globalisation est
effectué 32 » et est ainsi acteur d’une « nouvelle légalité » excluant
l’idée d’une «  exclusion supposée mutuelle du national et du
global 33  », le rapport au territoire national et à l’État, tel que le
considérait Max Weber 34, est ainsi relativisé. Cette relativisation a
la caractéristique d’une « dénationalisation 35 » dans la mesure où
elle implique «  la dénationalisation des formes spécifiques de
l’autorité de l’État, due à l’implantation partielle des processus
globaux dans les hiérarchies institutionnelles nationales 36  ». Le
droit national est ainsi appelé à participer au « développement de
l’économie globale 37  » à travers de nouveaux types de normes
(lois et règlements).
Cette relativisation de la place de l’État ou les redéfinitions de
son rôle en relation avec l’économie de la légalité conduisent
également à la remise en question du «  régime dominant des
frontières, associé à l’État-nation 38  » et «  fondé sur la
géographie 39  ». La notion classique de territorialité associée à
l’exercice du pouvoir notamment par l’usage de la légalité est
ainsi disqualifiée face aux nouveaux usages et modes
d’organisation dans l’espace, au développement de pratiques
sociales, culturelles, économiques spatialisées sous de nouvelles
formes. « Les idées, les normes et les pratiques ne s’arrêtent pas
aux lignes que le peuple a tracées à travers la terre 40. »
La non-prise en compte de ce changement risque de faire que
« le pouvoir de la topographie conduise à ignorer la topographie
du pouvoir 41  ». En fait, une «  hybridité juridique  » (legal
hybridity) 42, un «  droit global  » se développent. Il est fait de
dispositifs juridiques privés, de règlements transnationaux,
transfrontaliers, dont les limites relèvent plutôt des questions que
des territoires et qui s’appliquent en dehors du droit étatique ou
des systèmes juridiques interétatiques 43. Pour ne prendre qu’un
exemple, la mise en place d’une structure de gouvernance
transnationale comme l’International Accounting Standard Board
(IASB) constitue une organisation privée sur laquelle «  les
autorités publiques nationales et supranationales n’ont aucun
moyen de contrôle 44 ».
Cette intrication des niveaux vaut également pour les «  villes
globales », « lieux infranationaux dans lesquels s’entrecroisent de
multiples circuits globaux 45  ». Elle vaut aussi pour «  les réseaux
interfrontaliers d’activistes engagés dans des luttes spécifiques
locales avec un objectif global explicite ou implicite 46  ». Cette
intrication des niveaux, ces bouleversements des échelles
suggèrent bien une légalité déterritorialisée ou plutôt
territorialisée suivant des modes nouveaux dans la mesure où les
territoires du droit ne sont plus indexés à un seul niveau 47 mais
s’établissent suivant des échelles susceptibles de varier et de
relever simultanément de l’un ou l’autre niveau. Bien entendu,
cette nouvelle économie de la légalité, où interagissent les
niveaux étatique, sub-étatique, transnational, supranational et le
niveau des communautés a-étatiques, impose plus que jamais
l’idée d’un pluralisme juridique, d’un pluralisme des sources du
droit dans lequel les normes légales traversent les limites
territoriales classiques et avec lequel sont susceptibles de
« jouer » les acteurs sociaux 48.

Changer les cadres d’analyse dans l’économie


de la légalité
L’irruption de l’internationalisation dans l’économie de la
légalité exige de retourner à des outils de connaissance où
l’approche se fait à partir de ce que les sociétés sont, à partir de
ce qu’elles font et non pas à partir de ce qu’elles devraient être
suivant des croyances ou des aspirations internes à la sphère
juridique ou suivant les orientations imposées par un pouvoir
surplombant. C’est donc logiquement que, dans ce contexte de
bouleversement d’une économie territorialisée du droit, face à
l’unicité idéalisée du droit, soit redonnée de l’importance à cette
idée de pluralisme née d’une observation de la réalité de
l’économie normative des sociétés. La volonté d’imposition d’une
représentation exclusive des formes de droit rapportées à l’État,
au territoire de l’État, à une conception et à une représentation
de «  l’État moderne  », avait conduit à disqualifier et, par
conséquent, à marginaliser les conceptions d’un pluralisme
juridique, plus largement encore  : d’un pluralisme normatif. Or,
l’irrésistible affirmation d’un niveau supranational, où est
supposée prospérer une «  légalité mondiale  », redonne sens à
cette idée de pluralisme 49, notamment à partir du constat
désormais établi de la coexistence et des interrelations entre trois
niveaux d’espaces juridiques. Cette reconnaissance du pluralisme
contient un « immense potentiel heuristique » pour approcher la
régulation des sociétés autrement que sous le seul angle du rôle
des normes juridiques (d’autres normes étant ici à prendre en
considération) ou d’une régulation juridique conçue et mise en
œuvre exclusivement par l’État 50.
Dans ce cadre, il s’agit de prendre ses distances avec une
vision disons trop internaliste de l’économie de la légalité, de
remettre en perspective, ce que favorise cette obligation de
souscrire à une approche internationalisée et, par conséquent, de
revenir à des considérations développées hors de l’univers
juridique et portant sur la place de la norme juridique dans la
régulation des sociétés. Il est alors opportun de retourner à des
auteurs qui subvertissent une certaine représentation du droit en
critiquant la notion de «  monisme juridique étatique 51  », ou
encore pour qui la norme juridique ne serait que «  le symbole
visible de la morale et, plus généralement, de la régulation de la
société 52  ». Ce qui s’impose alors, c’est l’idée de l’existence d’un
« champ normatif » dont le droit ne serait qu’une des modalités 53.
Plus récemment, il a été affirmé que l’intérêt porté au concept
d’habitus permettait de «  parachever [une] entreprise de
disqualification de la règle de droit comme seul principe de
production de principes réglés 54 ».
Le changement de « vision du monde » juridique imposé par
l’obligation d’intégrer une approche internationalisée de
l’économie de la légalité s’affirme de façon si impérative qu’elle
bouleverse aussi certains des schémas d’analyse de la pensée
juridique elle-même. C’est ce qu’illustre cette «  révolution
culturelle  » que s’impose la théorie du droit en estimant
nécessaire de repenser la doctrine de la science du droit
confrontée à la globalisation. Ce phénomène de globalisation est
bien alors perçu comme un «  défi  » pour la connaissance en la
matière  : «  Si nous avons construit notre concept de droit en
partant des systèmes étatiques, comment concevoir le droit dans
un système globalisé où de nouvelles normes émergent qui
semblent ne plus avoir de rattachement aux systèmes juridiques
étatiques 55  ?  » Un tel constat conduit par exemple à disqualifier
«  un droit international fondé sur le paradigme étatique […]
comme un droit inter-étatique 56  ». Par voie de conséquence, il
s’agirait d’instituer un « droit global » où seraient redéfinies à une
autre échelle et d’une façon nouvelle les relations
internationales 57 et les questions de souveraineté et de pouvoir.
Ainsi s’ouvrirait, du point de vue de la théorie du droit, la
perspective «  de saisir l’opportunité du contexte de la
globalisation pour repenser à neuf, le droit, les normes juridiques
et leur fonctionnement dans leur nature et leurs spécificités
propres 58 » ainsi que dans leur rapport au politique.
Dans un tel contexte, il y a une exigence de faire évoluer la
notion même de pluralisme juridique comme celle de Santi
Romano « héritée de la première modernité 59 ». Mais le désarroi
des défenseurs de la première face du modèle de légalité duale est
si grand que, tout en maintenant leur hostilité à l’égard du
pluralisme et leur intolérance à l’égard d’une représentation de la
vie du droit incohérente dans le cadre de la globalisation qui
menacerait l’idée même d’un « ordre juridique », ils peuvent être
enclins à adhérer à la thèse de l’avènement d’un nouveau
monisme juridique, d’un «  monisme ouvert  », avec l’argument
suivant lequel le monisme a été abusivement rapporté à
l’étatisme 60.
Le bouleversement est si grand au sein même de la pensée
juridique que s’y élabore progressivement une conception d’un
nouveau régime d’économie normative, où la seconde face du
modèle de légalité duale est de moins en moins ignorée. Il y est
même affirmé que «  la pertinence d’une juridicité finement
adaptée au contexte d’action importe davantage que la cohérence
ou la rigueur formelle du raisonnement 61  ». Dans cette
perspective, les effets de régulation d’une norme importent plus
que sa place dans la hiérarchie des «  sources  » du droit. Il est
désormais admis que la nouvelle économie normative est
davantage marquée par l’horizontalité que par la verticalité et
qu’il est permis de parler du passage de la pyramide au réseau 62.
Il ne s’agit plus simplement de contester la prétention à un
«  monisme juridique étatique 63  ». Il s’agit d’appréhender une
économie normative qui fonctionne en système mêlant différents
espaces et différents types de normativités faites à la fois de
normes juridiques et non juridiques et constitutives, par
conséquent, d’une véritable internormativité 64.
Dans ces nouveaux schémas d’analyse, le droit est susceptible
de ne plus constituer plus qu’un élément parmi d’autres de ce
qu’il convient d’appeler la régulation des sociétés. L’approche en
continu définit ce nouveau régime de régulation caractérisé par
l’affaiblissement de toutes frontières. Cela vaut à la fois pour les
types de normes et les façons différenciées dont elles agissent et
pour les territoires dans lesquels elles sont mobilisées. La prise en
compte du niveau supranational dans cette nouvelle économie
normative est indissociable de l’analyse des relations entre les
trois espaces juridiques que constituent les niveaux local,
national et supranational. Une porosité croissante entre ces trois
niveaux s’établit à la mesure de la fluidité et de la complexité
d’une économie des relations qui s’institue dans des espaces créés
de toutes pièces et indépendamment de l’idée de territoire, que
celui-ci soit local, national ou supranational 65.
Ce nouvel espace global est finalement caractérisé à la fois par
l’effacement des limites de la juridicité (des normes émergentes,
éventuellement non juridiques, participent conjointement avec
des normes juridiques à l’économie normative) et par la vie d’un
droit délié du territoire, suivant «  une conception détachée du
mythe de la souveraineté de l’État 66  », c’est-à-dire à l’opposé du
modèle westphalien 67. Il est soumis à un nouveau régime de
régulation avec une internormativité à double niveau dans la
mesure où les différents systèmes normatifs à l’œuvre dans
différents espaces ne font pas qu’établir des relations entre eux,
que s’articuler en préservant leur spécificité. Ils s’influencent
réciproquement (éventuellement par l’intermédiaire de stratégies
d’acteurs qui tentent d’imposer, de rechercher l’adhésion à leur
propre système normatif 68), interagissent et s’interpénètrent,
fonctionnent en synergie ou en tension. Ils peuvent aller jusqu’à
s’affronter dans des rapports de force. Ils sont éventuellement
amenés à considérer comme dépassée l’idée de pluralisme
puisqu’il ne s’agit plus de remplacer l’idée d’un « ordre juridique
unique par la pluralité des ordres [mais il s’agit rien moins que de
se] passer purement et simplement du concept d’ordre juridique
pour envisager immédiatement les normes et interactions
juridiques entre les acteurs en tant que telles, indépendamment
du ou des ordres dans lesquels elles s’inscrivent ou non 69 ».
C’est certainement dans cet esprit qu’il peut être question d’un
«  kaléidoscope juridique  » (legal kaleidoscope) plutôt que d’un
«  système juridique  » (legal system), comme l’illustre à l’extrême
ce cas de la lutte contre l’exploitation dans certaines entreprises
(les « sweatshops »). Cette lutte mobilise en effet le droit national
du travail, des conventions transnationales, des règles internes
aux entreprises, des dispositions juridiques établies au niveau
local, etc. 70.
L’enjeu que constitue pour la connaissance la prise de
conscience de l’existence de ce nouveau régime de régulation est
considérable. Il peut incliner à confondre dans une même
perception sa complexité avec l’idée d’un désordre, celle d’un
nouvel ordre difficile à déceler avec la dénonciation des injustices
qu’il est susceptible de produire, notamment au profit des forces
économiques au détriment des citoyens. L’impuissance de la
connaissance à appréhender ces nouvelles réalités, ou la priorité
accordée à en dénoncer les effets, peuvent conduire ainsi à s’en
tenir à l’affirmation d’un chaos 71, éventuellement, au-delà, à la
recherche des solutions pour le surmonter 72.
Or il peut être admis que « la fragmentation de la légalité n’est
pas chaotique 73  ». Il s’agit de prendre acte de ce nouveau
pluralisme sans prétendre vouloir revenir à une conception
«  souverainiste  », retraitiste ou «  insulaire  » (relevant le plus
souvent d’une conception étato-centrée) par rapport au reste du
monde ou, à l’inverse, d’aspirer à l’instauration d’un droit
universel qui s’imposerait uniformément à tous en portant le
risque d’une nouvelle hégémonie par l’imposition d’un système de
normes prétendant à une nouvelle universalité 74. Conformément
à une vision optimiste de ces bouleversements, il est estimé que le
phénomène de globalisation, ou de transnationalisation 75,
suppose seulement qu’on se donne les moyens d’optimiser ce
nouveau pluralisme en concevant des procédures pour le gérer en
fonction de finalités démocratiques respectant la diversité, en
assumant les différences et le dialogue entre elles, en favorisant
une interaction dialectique 76. Dans cet esprit, il s’agit de rompre
avec la représentation d’un droit vecteur d’une unicité des
intérêts, des intérêts de ceux qui relèvent de sa compétence, qui
garantit des certitudes et établit des liens sûrs entre ceux qui sont
dedans et ceux qui sont dehors 77. Il s’agit d’examiner les nouvelles
régularités qu’il porte, les nouveaux ordres qu’il institue mais
aussi d’en prendre d’abord acte au lieu d’y substituer, ce qui ne
saurait venir qu’après, une critique éventuelle des finalités. Une
telle critique ne contredit pas le constat d’une mutation en la
matière, mais au contraire le renforce en empruntant les mêmes
logiques. Ainsi, pour certains, loin d’apparaître comme un
«  monde anomique ou chaotique  », comme a tendance à le
mettre en avant la littérature sur la globalisation, ce qui s’affirme
c’est un monde fortement organisé et structuré par des logiques
de gouvernance qui «  transcendent les relations entre niveaux,
secteurs et territoires 78 ».
Bien entendu, le fait d’admettre l’existence d’un ordre
émergent et en cours de stabilisation ainsi que l’établissement de
méta-règles du jeu au niveau supranational ne signifie pas la
restauration sous de nouveaux habits de la première face du
modèle de légalité duale  : celle d’un «  Droit  » comme nouvelle
« Raison » cette fois-ci réellement universelle. L’aspiration existe
certes à l’avènement de ce «  droit cosmopolitique  », de ce droit
d’une société humaine universelle qu’Emmanuel Kant envisageait
comme but ultime de la doctrine juridique 79. La revendication
s’exprime effectivement de la consécration d’une
constitutionnalisation de la société internationale effaçant la
souveraineté des États pour promouvoir des droits de l’homme.
Cette revendication trouve d’ailleurs son prolongement dans une
vision contemporaine quelque peu enchantée où, par exemple, à
« une mentalité de marché prédateur », se substitueraient par les
seules vertus des droits de l’homme une «  mentalité d’esprit
progressiste » ainsi que la « solidarité humaine », cela en lieu et
place des «  privilèges de classe 80  ». L’hostilité que le philosophe
Gilles Deleuze a manifestée à l’égard de la notion même de
«  droits de l’homme 81  » incite pourtant à rappeler qu’une telle
évolution n’exclut pas les contre-mouvements, rapports de force
et les luttes de pouvoir en même temps que les coalitions entre
des acteurs et des groupes poursuivant leurs propres intérêts, les
« confrontations entre différents champs de forces 82 ». C’est cette
tension fondamentale qu’il nous faut examiner maintenant.
Logiques néolibérales et logiques démocratiques

Comme nous l’avons vu, la relativisation du niveau national


comme espace du droit a pour effet de changer la nature même
du droit. La réalité en même temps que la représentation du droit
en faisaient l’instrument quasi exclusif de l’État, l’instrument du
gouvernement des hommes, cela suivant une perspective où la
première face du modèle de légalité duale a toute son
importance. Dans le cadre du processus dit de « globalisation », il
est question désormais du triomphe de la soft law, c’est-à-dire de
ce qu’on pourrait appeler un régime de régulation juridique où à
la coercition, à l’imposition et à la menace de sanction se
substituent le conseil, l’incitation, la persuasion, la recherche de
réciprocité 83, au point même que le terme de « droit » puisse être
proscrit dans la mesure où il est connoté. L’obligation de la
soumission à la règle, à la punition, fait place aux soft rules, c’est-
à-dire à des standards, à des codes de conduite, à des
recommandations qui visent à obtenir l’adhésion 84. Pour
reprendre une dichotomie que nous avons déjà utilisée, le
développement d’un espace de droit supranational favorise le
« droit de la pratique » (law in action) par rapport au « droit des
livres » (law in books), des usages du droit plus pragmatiques que
formalistes, flexibles et non contraignants. Dans ce cadre, le
recours au contrat s’impose plus volontiers pour la gestion des
relations économiques 85. Il est significatif que, dans les milieux
économiques, le contrat favorise une recherche de règlement
négocié entre les parties, hors de la justice et suivant des
processus plus ou moins à distance du droit de l’État 86. De même,
la médiation ou l’arbitrage prennent une place de plus en plus
importante pour le règlement des litiges, cela au détriment du
recours aux tribunaux. Cette relativisation du formalisme dans la
production et les usages du droit constitue ainsi une des
expressions d’un phénomène plus large où un « mouvement vers
les institutions des années  1940 et  1950 a été remplacé par un
mouvement hors des institutions 87 ».
Ce nouveau régime de régulation juridique apparaît plus en
adéquation avec la common law, dont j’ai déjà rappelé les grands
traits qui la caractérisent. Il y prévaut traditionnellement une
conception antiétatique des droits et la volonté de protéger les
initiatives privées des pressions du collectif représenté
notamment par l’État. Mais cette plus grande adéquation suggère
que ce nouveau régime de régulation juridique est d’abord inspiré
par une économie fondée sur les principes du néolibéralisme.
Notamment, le souci y prévaut de la liberté contractuelle. Le
pragmatisme y est plus conforme aux logiques de défense des
intérêts privés que le formalisme du droit codifié qui a sa source
dans la souveraineté de l’État. Rien ne l’illustre mieux que cette
considération de la Banque mondiale, qui a fait l’objet de débats
passionnels, suivant laquelle la réussite économique passe par le
recours au droit de la common law plutôt qu’aux droits de
tradition civiliste 88.
Mais rien ne révèle plus l’ampleur des tensions dans lesquelles
s’inscrivent ces évolutions de l’économie de la légalité que
l’affirmation du développement d’une logique démocratique face
au constat de l’extension d’une logique néolibérale. Dans ce cas,
l’influence croissante de la common law est connotée
positivement et, à la suite, l’avènement de cet «  âge d’or de la
régulation  » (golden era of regulation 89), de cette régulation
juridique postmoderne où l’ordre négocié se substitue à l’ordre
imposé. Les façons dont elle nous est fréquemment donnée à voir
suggère alors non seulement une vision moins hiérarchique, plus
horizontale mais aussi plus encline à la délibération qu’à
l’imposition et, par conséquent, plus démocratique. Pour ne
prendre qu’un exemple, la «  méthode ouverte de coordination  »
mise en œuvre au sein de l’Union européenne est parfois
présentée comme une procédure permettant la recherche en
commun par les États membres de convergences dans la
poursuite d’objectifs d’action partagés suivant des procédures
agréées par tous, de telle sorte que la quête du consensus
prévaudrait sur une stratégie de contrainte et de soumission à des
règles obligatoires.
De telles procédures mises en œuvre, par exemple, dans le
domaine de l’emploi ou dans celui de l’environnement laissent
ainsi supposer que les principes de la concertation, de la
consultation, de la délibération entre les représentants des États
et ceux des sociétés civiles concernées pourraient constituer une
illustration exemplaire d’une démocratie en action et de la
reconnaissance des vertus de la seconde face du modèle de
légalité duale.
Mais il n’est pas sûr que la situation soit aussi enchantée. En
fait, le soupçon surgit qu’échapper ainsi aux procédures
classiques de gouvernement est aussi une façon d’échapper au
débat politique et que la question mérite bien d’être posée de
savoir qui a la possibilité de participer à ces processus de
consultation et de délibération. Par un processus que j’ai moi-
même qualifié d’euphémisation du politique 90, le traitement des
questions est transféré de l’arène politique vers des forums
techniques où le discours des experts se substitue à la parole des
citoyens pour nourrir ensuite une rhétorique politique se
donnant à voir comme apolitique puisque les enjeux techniques
présentés comme irréfutables se sont en apparence substitués
aux enjeux politiques. Ainsi, les experts sont susceptibles de
conférer de la neutralité à ce qui constitue au départ des enjeux
politiques. Ils sont acteurs d’un espace intermédiaire, celui de ces
«  communautés épistémiques  », où est susceptible de s’opérer
l’osmose entre la logique de la science et celle du politique. Ce
dernier trouve là une nouvelle légitimité pour agir sans que
puissent être contestées les raisons profondes de ses options
puisque celles-ci sont fondées sur des certitudes n’ouvrant pas la
voie au débat et réintroduisant la distance si inhérente à la
première face du modèle de légalité duale.
Ce que nous pourrions appeler cette culture de l’expertise, qui
manifeste un déplacement des modes de faire du politique hors
du politique, se retrouve également dans la mise en place des
agences de régulation indépendantes chargées de réguler les
activités dans un secteur particulier de la vie économique ou
sociale à partir de règles et de procédures élaborées de façon
autonome. Le qualificatif «  indépendantes  » est justifié par leur
autonomie à l’égard de l’administration et du pouvoir exécutif et,
par conséquent, par rapport à toute influence partisane, à toute
stratégie politicienne, à toute idéologie. Seule la rationalité
technique s’affirme comme le fondement de leur action. Si elles
constituent des acteurs importants dans l’espace supranational,
c’est qu’elles sont effectivement supposées assurer la
transnationalisation des régulations nécessaires dans les
différents secteurs de la vie économique et sociale, par exemple,
dans les domaines financiers, bancaires, de la santé publique, de
protection des données personnelles, etc. Le processus visant à en
faire des acteurs centraux de la transnationalisation s’illustre par
exemple pour l’Union européenne par l’indépendance de la
Banque centrale européenne ayant pour finalité l’harmonisation
des politiques financières des différents États-membres.
Cet apolitisme constitue un moyen de contourner le débat
politique sans que soit assurée la possibilité donnée aux citoyens
d’y entrer. L’avènement de ce nouveau régime d’économie
normative est favorisé par l’affirmation croissante de l’espace
supranational. Mais il prend la forme d’une régulation juridique
s’éloignant de ce qui l’inspirait jusque-là  : le gouvernement des
hommes où les rapports de force n’empêchaient pas ou pouvaient
aboutir à imposer la promotion et la défense des équilibres entre
les groupes de populations relevant de l’espace national. Ce que
paraissent favoriser prioritairement ces nouveaux territoires, c’est
la régulation des enjeux économiques. Dans ce contexte, le
juridique d’instrument privilégié de gouvernement des hommes
deviendrait instrument privilégié de gestion d’une économie et
des intérêts portés par des opérateurs économiques. L’ensemble
des politiques édictées dans les dernières décennies du XXe siècle
rangées sous l’appellation «  Consensus de Washington  »
symbolisent cette transformation 91. Constituant une sorte de
charte du libéralisme économique, ce «  Consensus de
Washington » comporte un certain nombre de règles concourant
à assurer la libéralisation économique, la dérégulation et la
privatisation en relation avec un objectif qui est plus de favoriser
la croissance économique que l’équité. Comme le soulignait
l’économiste Joseph Stiglitz : « Les effets des politiques stipulées
par le Consensus de Washington ont souvent bénéficié à
quelques-uns au détriment du plus grand nombre, à ceux qui sont
socialement privilégiés au détriment de ceux qui sont socialement
défavorisés. Dans de nombreux cas, les intérêts et les valeurs
commerçantes ont dépassé des préoccupations comme
l’environnement, la démocratie, les droits de l’homme et la justice
sociale 92. »
Il est significatif pour mon propos que le souci de promouvoir
une économie libérale ait été associé à celui de réformer la justice
pour faire de celle-ci l’instrument d’une telle politique, c’est-à-dire
d’abord d’une sécurité et d’une efficacité accrues des échanges
économiques. L’introduction du new public management dans le
fonctionnement des tribunaux sur lequel je reviendrai ou la mise
en place de nouveaux modes de formation des juristes plus en
adéquation avec les exigences de l’économie dans le cadre de la
globalisation que nous avons déjà évoquées (voir le chapitre  III
sur les acteurs) s’ajoutent à une préférence de plus en plus
accordée aux modes alternatifs de résolution des conflits, tels que
la médiation, l’arbitrage et la conciliation, de façon conforme,
comme nous l’avons vu plus haut, aux principes de la soft law.
L’inscription du droit, de la régulation juridique, dans cet
espace supranational marqué par la prééminence de
l’économique, nourrit particulièrement une vision critique faisant
plus volontiers du droit l’instrument du néolibéralisme ou
imposant l’idée d’un droit instrumentalisé par le néolibéralisme
et manipulé par des acteurs particulièrement influents. Placé face
à un contexte de transnationalisation, le sujet de droit est devenu
un nouvel acteur potentiel du droit. Cet « acteur transnational »
se trouve face à une «  mosaïque d’ordres juridiques  » qu’il lui
appartient, s’il en a le pouvoir, de mettre en concurrence. Il se
place ainsi « dans une situation de “forum shopping” […], c’est-à-
dire en situation de faire son marché entre les différents ordres
juridiques nationaux 93 » en fonction de ses intérêts économiques.
Il le fait là où la prétention de la puissance publique à faire
prévaloir des motifs d’ordre public ne vient pas menacer
l’autonomie contractuelle jugée nécessaire pour assurer une
efficacité économique maximale. Dans cette perspective, le droit
est moins une contrainte imposée par la puissance publique
qu’un instrument supposé être au service d’un acteur, disons ici
d’un opérateur économique, lequel, suivant la conception
classique du courant de «  droit et économie  » (law and
economics 94), a pour seul fondement de ses pratiques la
rationalité économique, la recherche de l’efficience, en occultant
toute dimension faite de finalités politiques et éthiques 95.
Une telle soumission du droit au néolibéralisme suscite, bien
entendu, de violentes critiques, particulièrement chez des auteurs
appartenant à la tradition civiliste. Il peut être ainsi considéré,
par un auteur auquel je me suis déjà référé, que le droit est
devenu un « produit 96 ». Alors qu’il était porteur, incarnation de
valeurs, de principes fondamentaux du «  vivre ensemble  », il ne
serait plus désormais que le vecteur d’une transmutation des
valeurs, comme par exemple la nature ou le travail, en
«  marchandises 97  ». Le «  Droit  » tirait ses vertus d’être inscrit
dans des territoires dont le milieu physique, la culture, les
valeurs, les traditions inspiraient son écriture, sa formulation,
pour en faire le dépositaire en même temps que le promoteur et
le gardien d’une «  Raison  » de la Cité. Il ne lui reste plus
désormais en étant déterritorialisé que de participer, suivant la
logique d’un « darwinisme normatif », à un marché international
des biens juridiques (le «  law shopping  ») dans lequel les
opérateurs vont faire des choix en fonction de critères non plus
de valeurs mais d’efficacité en relation avec les intérêts qu’ils
poursuivent. Par exemple, il s’agit pour la Banque mondiale
d’«  aider les “consommateurs de droit” à faire leur choix sur ce
marché des normes [ou sur] celui du “marché des produits
législatifs” 98 ». Le « Droit » comme « Raison » de la première face
du modèle de légalité duale est devenu un «  produit en
compétition à l’échelle du monde, où s’opérerait la sélection
naturelle des ordres juridiques les mieux adaptés à l’exigence de
rendement financier 99 ».
Ce qu’il faut bien considérer comme de nouvelles formes de
mobilisation du droit au service d’une métamorphose du
capitalisme dans le contexte de la globalisation n’est pas sans
conséquence sur la préservation des droits sociaux. Ainsi, «  la
mondialisation du marché serait en train de porter atteinte aux
droits sociaux, dont le principe de base – sortir certains biens (la
santé, le logement, etc.) de la relation marchande – serait attaqué,
et notamment les droits sociaux des travailleurs, dont la
protection serait soumise aux contraintes de l’efficacité
économique 100  ». Cette régression sociale qui atteint certaines
formes de droits s’explique alors par le fait qu’en lieu et place de
l’établissement d’une justice sociale à vocation universelle, dans
le contexte de la globalisation, s’est «  substitué celui de la libre
circulation des capitaux et des marchandises [et] au lieu
d’indexer l’économie sur les besoins des hommes, et la finance
sur les besoins de l’économie, on indexe l’économie sur les
exigences de la finance et on traite les hommes comme du
“capital humain” au service de l’économie 101  ». Karl Polanyi
considérait que l’économie était enchâssée dans la société. Il
s’agit désormais d’enchâsser la société dans l’économie 102 et la
«  privatisation de l’État providence  », cela dans un contexte
général où le Marché devient le principe général de régulation de
nos sociétés 103.
Dans cette évolution née de l’internationalisation, il convient
néanmoins de rappeler que le plus souvent les acteurs restent
ancrés nationalement et que leurs stratégies à l’échelle
transnationale se développent dans le cadre de la poursuite de
leurs intérêts localisés au plan national. C’est pourquoi, pour
certains, le « droit global » est une fiction dans la mesure où il est
d’abord inspiré par des pays visant à exporter leurs propres
modèles juridiques conçus comme des vecteurs de domination 104.
C’est la raison pour laquelle on retrouve de façon prééminente
parmi ces puissants acteurs d’une économie transnationale,
inspirée du néolibéralisme et dont le droit constitue le support,
des opérateurs économiques américains porteurs en la matière
des pratiques, des stratégies de pouvoir, d’une conception des
usages du droit imprégnés de la culture américaine 105. La
transnationalisation fonctionne suivant des logiques avec
lesquelles les acteurs américains sont «  génétiquement
familiers 106  ». Il est alors possible de considérer que les
régulations transnationales prennent la forme d’une
107
«  américanisation   ». Saskia Sassen souligne elle-même que
« certains États, en particulier les États-Unis et le Royaume-Uni,
sont les producteurs de la conception des nouvelles règles et des
nouvelles légalités nécessaires pour assurer la protection et
accorder les garanties pour les entreprises et les marchés
globaux. […] Par conséquent, un nombre limité d’États,
fonctionnant souvent grâce au système supranational, imposent
les règles et les légalités qui devront être reproduites à travers les
structures institutionnelles et politiques particulières des autres
États 108 ».
Dans cette acception, l’interprétation donnée à la consécration
des territoires internationalisés de la légalité n’est pas celle d’une
universalisation, mais celle d’un nouvel impérialisme ou d’une
volonté d’«  hégémonie culturelle  » pour reprendre le concept
d’Antonio Gramsci 109. Pour emprunter à l’analyse de l’opération
d’universalisation entreprise pour le droit et par le droit, celle-ci
est d’autant plus efficace que sont occultées les sources
culturelles et sociales de ceux qui l’entreprennent au profit de
leurs propres intérêts et de leurs propres visions du monde et
qu’elle conduit finalement à naturaliser la domination
économique, sociale et culturelle de ceux qui l’entreprennent 110.
Comme il est dit de façon critique à propos d’un ouvrage sur la
culture des «  droits humains  » d’une des grandes figures de la
sociologie du droit américaine contemporaine 111, le travail de
définition de ces dernières se fait en dépouillant «  presque
entièrement le corpus complexe des règles qui façonnent ce que
l’on entend par “droits humains” de leurs tréfonds culturels
occidentaux pour en faire à son tour une raison incarnée, un bien
en soi, une épure indiscutable, une normativité détachée de ses
contingences sociologiques, au fond une “culture” qui n’en aurait
pas les attributs de relativité 112  ». Dans cette perspective, les
«  droits humains  » sont les droits d’un humain occidentalisé et
ces «  droits humains ne sont pas des droits à la différence mais
des devoirs de similitude 113  », cela dans le cadre d’un «  nouvel
impérialisme juridique 114  ». Bien entendu, il s’agit d’une
similitude par rapport au modèle américain, d’un modèle inspiré
du capitalisme libéral individualiste dont les vertus sont ici
indissociables de celles de cette culture, si l’on ose dire  :
spécifique, des droits humains «  universels 115  ». Cela peut aller
jusqu’à justifier les mérites de la langue anglaise comme vecteur
de cette forme d’universalité 116 !
Mais le droit ne saurait s’inscrire dans ce processus de
consécration des territoires internationalisés exclusivement dans
le cadre d’un américanocentrisme. Plus largement, l’universalité
du droit est d’abord une création de l’Occident comme
«  universalité abstraite  » ne prenant pas en compte la pluralité
des régimes de «  droits humains 117  ». «  L’asymétrie entre le
passage occidental vers la modernité et tous les autres (les
Nouveaux Mondes, la porte coloniale et la modernisation induite
de l’extérieur) réside dans le fait que ces derniers ont eu lieu sous
l’égide du capitalisme occidental et ont été modelés d’une façon
similaire par les impératifs économiques, culturels et politiques
de l’Occident 118.  » Dans leur genèse, les droits de l’homme sont
ainsi porteurs d’une volonté civilisatrice qui appartient d’abord à
l’Occident et à ses racines dans le colonialisme chrétien depuis le
e e
XVI   siècle en passant par l’impérialisme du XIX jusqu’à la

globalisation néo-libérale contemporaine.


L’approche des droits de l’homme participe de la vision du
monde de l’Occident, de ce qu’il doit être, de la représentation
que celui-ci a de son statut dans le monde, de la place qu’il
prétend y occuper, et du rôle qu’il aspire à y jouer. Une
illustration exemplaire de cette «  hégémonie culturelle  » est
fournie par «  l’affaire Pitcairn, du nom de cette île anglaise du
Pacifique sud, habitée par les descendants des réfugiés du
Bounty », et où la justice anglaise imposera dans les années 2000
sa «  culture juridique  » pour mettre en œuvre une répression
pénale de mœurs jugées condamnables au regard de « l’idéologie
des droits humains », « universels », telle qu’y adhère, avec la plus
grande certitude, l’Angleterre dans l’exercice de sa
« suzeraineté 119 ».
Ce sont ces certitudes sur les vertus de l’Occident qui inspirent
la thèse sur les «  droits humains  » suivant laquelle leur genèse
tient aux mérites de la modernité et à « la force puissante dans les
sociétés développées d’un individualisme expressif (expressive
individualism 120)  ». Suivant cette conception, «  les fondements
des droits humains sont tous des droits individuels 121  ». Ils
seraient par essence des droits individuels et ce sont les pays
développés, porteurs des valeurs démocratiques, et inscrits dans
une dynamique de convergence relativisant leur diversité
culturelle, qui les auraient diffusés à travers le monde. Ils seraient
les promoteurs, par exemple, des principes d’égalité, notamment
en matière de genre, de lutte contre les discriminations, du
développement des protections constitutionnelles, de tolérance à
l’égard de la diversité religieuse, etc. 122.
Un retour critique sur l’universalisme exige un décentrement,
la reconnaissance d’une «  nouvelle perspective extérieure à la
modernité occidentale 123 », une nouvelle vision multiculturelle où
sont simultanément reconnus le principe d’un droit à la
différence et celui d’un droit à l’égalité. Un tel décentrement
suppose, par conséquent, une redéfinition des fondements du
droit international et des droits humains. Plus encore, il exige
une révolution dans la vision du monde par la construction d’une
«  épistémologie du Sud  » pour rompre totalement avec «  les
manières de penser et d’agir de l’Occident 124 » et ses modèles de
rationalité hégémoniques 125. Il implique au préalable de prendre
en compte la perception extrêmement négative de l’Occident que
peuvent avoir d’autres cultures ne lui appartenant pas, ce qui
peut conduire certaines des figures intellectuelles de ces
dernières à se défier de toute prétention à l’universalisme.
Pour des représentants de cultures non occidentales, le
mouvement des droits humains est d’abord une des expressions
de cet «  incurable virus  » dont sont atteints les Occidentaux  :
tenter d’universaliser les normes occidentalo-centrées en
disqualifiant toutes celles qui n’en relèvent pas 126 jusqu’à justifier
des politiques de dépossession, par exemple au nom du fait que
les peuples indigènes sont incapables de gérer convenablement
leur propre terre et se montrent irresponsables en matière
d’environnement 127. Mais c’est un «  virus  » contagieux et, par
exemple, il convient aussi de se défier en la matière d’un
«  asiaticocentrisme  » tout aussi problématique qu’un
occidentalocentrisme. En effet, cet «  asiaticocentrisme  », dans
une sorte de « revanche de l’Est » (revenge of the East), ne ferait
que reproduire un universalisme masquant la poursuite des
stratégies et des intérêts économiques propres à ceux qui le
préconisent 128.
Ce décentrement suppose également que la primauté accordée
à l’individu dans le cadre d’un dépassement de l’État ne conduise
pas à décliner sous une autre forme l’individualisme libéral, à
ignorer l’importance accordée dans d’autres cultures au collectif,
à l’ancrage profondément collectif de droits revendiqués 129, à la
nature, au principe de solidarité qui découle de la propriété
collective, de traditions culturelles, de savoirs traditionnels. À la
prétention occidentale d’inscrire l’évolution du monde dans le
passage qu’a connu précisément l’Occident au XIXe siècle, et qui a
été abondamment souligné par les figures fondatrices de la
sociologie, de la «  communauté  » à la société (passage de la
«  Gemeinschaft  » à la «  Gesellschaft  »), doit se substituer la
reconnaissance de l’aspiration légitime d’autres parties du monde
à perpétuer l’idée de communauté.
Je ne saurai pourtant dissimuler qu’une telle approche ne
rallie pas forcément l’opinion des penseurs occidentaux de la
globalisation et des « droits humains ». Pour certains d’entre eux,
les vertus de l’individualisme ne sauraient être contestées et les
notions, si prisées par les anthropologues, de multiculturalisme,
de collectif et de communauté sont alors volontiers associées à un
déficit de «  droits humains  » ou même à une incompatibilité
fondamentale. Penser le contraire et parler d’« hégémonie » ou de
«  néo-impérialisme  » ou d’abus d’assimilation, c’est ignorer que
«  la lutte pour les droits sociaux n’est pas une lutte entre les
sociétés néolibérales et capitalistes et le reste du monde. Le
concevoir ainsi, c’est oublier le fait que les sociétés riches,
néolibérales et capitalistes sont précisément les sociétés qui
octroient ces droits 130  ». De toute façon, même si elles le
voulaient, les sociétés pauvres n’ont pas les moyens de
promouvoir et de faire respecter ces droits comme le montrent
les exemples de la Cour suprême indienne et de la Cour
constitutionnelle d’Afrique du Sud dont les décisions ne peuvent
avoir le plus souvent qu’une portée symbolique 131.
Pourtant, une analyse à prétention objective de la place du
droit dans le processus historique de globalisation ne saurait s’en
tenir au sentiment d’incertitude suscité par ces débats passionnés
et passionnels, par cet affrontement de logiques économiques et
politiques combinées aux confrontations de cultures entre
régions du monde. C’est pourquoi, doit être évoqué aussi le fait
que, pour certains courants de pensée, cette globalisation est
susceptible de recéler des potentialités d’établissement d’une
nouvelle universalité, d’une véritable universalité en même temps
que d’ouverture vers un nouveau projet démocratique à l’échelle
mondiale. Il est alors possible d’envisager de « nouvelles échelles
démocratiques  » englobant le local et le global. Des
reconfigurations de l’État sont concevables, sous des formes
complexes et susceptibles d’être contradictoires, dans la mesure
où l’État est institué non pas comme tiers mais comme lieu de
luttes sociales. Des rééquilibrages internes sous l’effet de la
globalisation y sont possibles  : comme le renforcement de
l’Exécutif par rapport au Législatif. Mais le risque est aussi que
ces espaces soient désinvestis politiquement par les mouvements
sociaux transnationaux 132, et la mobilisation d’une société civile
mondiale susceptible de constituer à une nouvelle échelle un
« espace public » au sens de Jürgen Habermas 133.
Pour nous référer à notre modèle de légalité duale, une telle
perspective constitue là une tentative de repenser conjointement
les deux faces de ce modèle en vue d’instituer une représentation
nouvelle de la légalité tirant parti des potentialités contenues
dans ces deux faces. J’y reviendrai dans le dernier chapitre de
l’ouvrage consacré aux enjeux politiques de la légalité.
Bien entendu, la perspective est ici moins réelle que virtuelle,
plus du registre de l’utopie que d’un état réalisé, née d’une volonté
de s’attaquer à la métaphysique de la mondialisation au service
du pouvoir en proposant un « grand récit alternatif 134 ». Il s’agit
de penser un nouvel ordre mondial, de définir une autre face des
territoires internationalisés à partir de la souffrance des hommes
et des injustices qu’ils subissent. Il peut alors être question
«  d’une culture juridique cosmopolite [susceptible de se
développer] à partir d’une compréhension transnationale de la
souffrance humaine et de la constellation transnationale
d’actions sociales progressistes (juridiques, politiques,
135
humanitaires)   ». Aux constats d’une «  globalisation de
l’oppression 136 », de la prééminence d’une logique économique de
la globalisation, sont associés, de façon fortement volontariste  :
un « mouvement de justice global » (Global Justice Movement) 137,
une « globalisation de la résistance 138 ».
La possibilité est alors affirmée de l’émergence d’une logique
progressiste des droits humains vers plus d’égalité dans la
répartition des ressources, d’une mobilisation d’une «  société
civile mondialisée  » (migrants, indigènes, féministes, défenseurs
de l’environnement, antiracistes, etc.), via des mouvements
sociaux, des ONG organisés à un niveau supranational. Il revient
à ces mouvements de remettre en question la relation perçue
comme privilégiée entre les institutions globales (comme la
Banque mondiale) et le pouvoir du marché 139. Ils sont investis de
la mission d’obtenir plus d’écoute de la part des institutions de la
gouvernance globale 140, de se saisir autrement des moyens ou des
stratégies mis en place dans le cadre de la globalisation comme le
forum shopping ou le law shopping. Leur objectif fixé est de
défendre les droits des dominés de toute sorte, cette
«  communauté de victimes  », qu’ils soient des victimes de
l’exploitation économique, de discriminations de sexe ou en
fonction de la race, d’oppression de nature morale, etc., ou des
victimes de crimes contre l’humanité (dont le recours à la notion
de «  compétence universelle 141  », aux nouvelles juridictions
pénales internationales révèle la nature propre).
Contrairement à l’idéologie néolibérale ou à la « métaphysique
de la mondialisation  », contrairement à l’illusion d’un
universalisme des droits de l’homme qui ne prend pas en compte
les conditions politiques locales 142, l’individu n’est pas ici en état
d’apesanteur mais il est rattaché à des cultures accordant la
primauté au collectif, à des institutions, à des sites et à des lieux
qui déterminent sa condition et ses stratégies 143, ses usages du
droit et ses revendications de droits. Parmi ces lieux, il y a les
«  villes globales 144  », fonctionnant comme arènes de nouveaux
conflits politiques et sociaux dans la mesure où elles sont à la fois
les lieux d’exercice d’un pouvoir financier globalisé mais aussi des
lieux de ferments de développement d’une «  société civile
mondiale  », actrice de nouvelles formes de mobilisation
politiques usant éventuellement des ressources juridiques pour la
promotion de causes transnationales. Les «  villes globales  » ont
ainsi favorisé la constitution de populations caractérisées par
«  des fragmentations accompagnant la multiplication des
différences [et, par voie de conséquence] la formation de
nouvelles revendications […], la constitution de droits – droits au
lieu, notamment  – et de nouvelles formes de “citoyenneté” ou
d’une diversification des pratiques citoyennes 145 ».
L’expérience du «  Forum social mondial 146  » ou les
expériences brésiliennes de démocratie locale favorisées par une
décentralisation ayant fait fonction de «  structure
147
d’opportunité   » (voir l’expérience de démocratie urbaine
caractérisée par une politique d’accès aux services et de
participation à Porto Alegre 148) constituent des illustrations en la
matière dans la mesure où la conception d’un nouveau modèle
politique est étroitement associée à une vision d’un droit
« alternatif » et à de nouvelles mobilisations de la justice prenant
la forme d’«  actions judiciaires d’intérêt public  » (public interest
litigation).
Mais derrière cette perspective générale de nouvelles fonctions
du droit dans un contexte de globalisation se dissimulent des
conceptions, des positions politiques, des idéologies fortement
antagonistes. L’affirmation de l’exigence de droits universels est
ainsi associée dans certains courants à la poursuite prioritaire de
la mise en place d’une « gouvernance globale ». Mais ces courants
peuvent être soupçonnés de s’inscrire en fait dans la logique
néolibérale plus soucieuse des impératifs du marché que de
l’instauration d’une justice sociale, ou de lutte contre l’exclusion
sociale, et de «  jouer  » ainsi de l’argument de l’universalisation
pour masquer sa véritable finalité qui serait celle de se servir de
l’instauration d’une «  gouvernance globale  » pour mieux assurer
une « hégémonie globale ».
Il serait alors reproché à ces courants de rendre invisible un
phénomène à l’œuvre au niveau mondial  : le développement
d’une «  globalisation contre-hégémonique  » (counter hegemonic
globalization), laquelle relève de l’« approche par le bas » (bottom
up approach) de la régulation politique et juridique des sociétés.
L’accent est mis ici sur les initiatives prises et les stratégies mises
en œuvre par des acteurs sociaux (éventuellement ancrés dans des
univers sociaux ou culturels spécifiques), issus de la société civile,
via des mouvements sociaux et dans le cadre de mobilisations
collectives ou participant d’une reconfiguration des rapports
sociaux réactivés par de nouvelles « classes globales » « en partie
“dénationalisées” 149 ». On observe ainsi : d’un côté, des dirigeants
et des experts économiques transnationaux, des responsables
gouvernementaux inscrits dans des réseaux transnationaux, des
experts liés à l’économie d’entreprise globale, etc., de l’autre des
«  travailleurs désavantagés ou pauvres  » relevant en particulier
des « immigrants transnationaux » et susceptibles de développer
des «  formes d’engagement politique et civique  », notamment
dans les « villes globales 150 ».
Deux aspects définissent particulièrement cette « globalisation
contre-hégémonique  » liée à l’émergence d’une société civile
globale susceptible de sécréter des « formations globales qui ont
tendance à se déployer en réseaux horizontaux ou latéraux 151  ».
L’un est le fait qu’elle est susceptible de se développer dans les
trois espaces possibles, en relation avec l’existence des élites
économiques et politiques à ces trois niveaux  : ancrée dans le
local, résultant d’une mobilisation provoquée par un problème
local mais susceptible d’être considéré comme exemplaire au
niveau supranational, de telle sorte qu’elle entraîne une
mobilisation d’acteurs et d’organisations transnationaux, et
d’avoir en retour des répercussions au niveau national. L’autre est
caractérisé, à l’opposé d’un positivisme juridique obsédé par la
séparation du politique et du juridique, par la mise en œuvre
d’une nouvelle dialectique entre le droit et le pouvoir, donc par
une mise en relation assumée entre le politique et le juridique ou
d’une intégration de l’action juridique dans une action politique
comme contre-pouvoir. On observe alors un usage simultané :
— du registre politique : manifestations, grèves, etc., jusqu’aux
« illégalismes » : boycotts dans le domaine de la consommation,
désobéissance civile, occupations de lieux de travail ou de terres
par exemple ;
—  du registre juridique relevant à la fois de la soft law et du
droit comme «  contrainte  » (hard law) qui prend une place
stratégique dans ce nouvel espace supranational 152 : recours à des
règles locales, y compris de communautés marginalisées,
appropriation et réinterprétation de règles établies au niveau
national, sollicitations de ressources juridiques supranationales
(y compris pour en faire des éléments de pression au niveau
national), mobilisation des espaces judiciaires locaux, nationaux,
supranationaux comme « arènes » et en vue de faire reconnaître
la justesse de la cause concernée 153. Compte tenu du déséquilibre
des forces, dans toutes ces mobilisations, le droit n’est plus
seulement contre ou sur, comme dans la première face du modèle
de légalité duale, mais avec, comme dans la seconde face du
modèle de légalité duale. Mais cela suppose que ces mobilisations
soient bien collectives et non simplement portées par des
individus isolés. Cela implique également une politisation
préalable, préservant alors de l’individualisation vers laquelle le
droit incline par essence, et contribuant en même temps à une
redéfinition des droits.
Pour les tenants de cette «  globalisation contre-
hégémonique  », celle-ci est une réalité forte de la globalisation
mais d’autant plus difficile à faire reconnaître qu’à la fiction
entretenue par les promoteurs de la «  globalisation
hégémonique  » par des usages mystifiants de l’universalisation
s’ajoutent les analyses d’un courant critique radical. Celui-ci est
inspiré par la vision néomarxiste d’un droit qui ne peut être, de
façon exclusive, qu’instrument de la domination et, par
conséquent, qu’élément constitutif d’une « approche par le haut »
(top down approach), les potentialités du droit et de la justice
sollicités dans une perspective progressiste étant ignorées. Dans
cet esprit, les efforts des acteurs de la «  globalisation contre-
hégémonique  » ne peuvent être que vains, soit parce qu’ils ne
sauraient contre-balancer la puissance de la «  globalisation
hégémonique », soit même parce que les professionnels du droit
engagés dans ces stratégies contre-hégémoniques le sont en
fonction de leurs propres logiques de pouvoir, au sein de leurs
corps professionnels et en relation avec le politique, et dans le
cadre d’une collusion entre élites juridiques et politiques, que
celles-ci soient du Nord ou du Sud 154.
C’est en ayant à l’esprit un tel contexte, de nature
profondément agonistique, qu’il convient d’observer les
ambitions proclamées d’établir un «  nouvel ordre juridique
global » susceptible de promouvoir « les principes d’universalité,
de solidarité, de subsidiarité, d’horizontalité ou de
démocratisation 155  ». Suivant cette projection dans un avenir
enchanté, les juges peuvent être appelés à devenir des acteurs
importants, sinon stratégiques, «  les agents les plus actifs de la
mondialisation et, partant, les ingénieurs de sa
transformation 156  » et les acteurs de «  modèles alternatifs de
justice globale » dont des juridictions comme la Cour européenne
des droits de l’homme, la Cour interaméricaine des droits de
l’homme ou encore la Cour africaine des droits de l’homme et des
peuples comme le seraient également les nouvelles juridictions
pénales internationales (dont la Cour pénale internationale).
Mais cette référence à ces nouvelles formes de justice conduit
en même temps à rappeler les obstacles qui demeurent pour
consacrer cette évolution. Certes, il existe bien des aspirations des
partisans à un dépassement des États et à l’établissement de
nouveaux dispositifs de pouvoir transnationaux. Certes, l’idée
générale est avancée suivant laquelle les États restent des acteurs
centraux dans le cadre de la globalisation (notamment dans
l’octroi des pouvoirs de régulation attribués à des instances
supranationales). Mais, par voie de conséquence, les États
gardent effectivement ici un pouvoir d’acceptation et de
soumission à la compétence de ces juridictions supranationales.
Il en résulte que le sort des victimes peut en dépendre et que les
mécanismes actuels laissent par exemple la possibilité de
préserver l’impunité pour des violations des droits de l’homme
dont des entreprises multinationales seraient auteurs ou
complices.
LES REDÉFINITIONS DE L’ÉTAT
ET DE L’ACTIVITÉ JURIDIQUE

Le bouleversement de la « juridiction » de l’État

Si l’on a pu parler de « la fin des territoires 157 », c’est d’abord


de la remise en question du territoire national de l’État moderne
qu’il s’agissait. Comme nous venons de le voir, une dialectique du
local et du global est en place qui conduit à relativiser ou même à
marginaliser l’échelon de l’État-nation et à modifier ses modes de
fonctionnement. Ce qui caractérise effectivement le contexte
historique actuel, c’est la remise en cause d’une conception où
était affirmée la primauté accordée à l’impulsion
gouvernementale, à l’action de l’État et aux interventions des
autorités publiques. Les principes de l’intervention publique
définis «  d’en haut  », les grandes orientations établies a  priori
apparaissent de plus en plus inadéquates et ce qui s’impose est un
modèle de « contextualisation de l’action », fonctionnant dans la
contingence et dans la transversalité 158. « Le rapport au territoire
est bien posé dans une double dimension dialectique d’ordre et
d’action. » À la vision traditionnelle du territoire de l’État marqué
par sa verticalité, sa stabilité et celle du droit et des institutions
s’oppose de plus en plus désormais «  un espace dynamique de
gestion des problèmes publics [et des questions économiques
ajouterai-je] caractérisé […] par la diversité des situations, la
contingence des solutions et la variabilité de son emprise
géographique 159  ». Il peut être alors question d’un véritable
phénomène de déterritorialisation sous l’effet de processus
macro-économiques à l’œuvre de façon transversale par rapport à
différentes sociétés. Rien ne le montre mieux que le
désajustement qui s’opère entre «  le territoire de la puissance
publique  », celui traditionnel de l’État, et «  les territoires de
gestion des problèmes publics 160 » auxquels il convient d’ajouter,
spécifiquement, les territoires de gestion des questions
économiques. Le premier a pour caractéristique d’être «  clos et
déterminé  » alors que les seconds restent ouverts et
indéterminés 161.
Le territoire de l’État était associé à l’exercice d’un pouvoir
exercé «  par le haut  » s’appuyant sur des instruments comme le
droit et des institutions inscrivant leurs actions dans des espaces
établis strictement formellement et dans la stabilité. L’obligation
de concevoir de plus en plus l’action publique dans une
interaction entre des réseaux d’acteurs et des niveaux de décision
extrêmement divers, la multiplication d’interpellations émanant
de la société dans ses composantes les plus variées, sociales,
culturelles, économiques, mettent en porte à faux le territoire
institutionnalisé, celui qui a pour attribut la face du modèle de
légalité duale fondé sur l’idée de distance, en relation avec celle de
verticalité.
Il s’agit bien désormais de concevoir conjointement les actions
des institutions publiques et celles d’une pluralité d’acteurs,
publics et privés, issus de la société civile comme de la sphère
étatique, agissant dans des interdépendances généralisées et
multiples, au niveau national mais aussi local (en relation avec la
décentralisation) et éventuellement supranational (en relation
avec la globalisation économique et la création de nouvelles
entités comme l’Union européenne), pour produire des formes de
régulation des activités collectives, y compris celles relevant de
l’exercice des fonctions régaliennes 162.
Dans le cadre national, c’est une «  conception en termes de
construction collective de l’action publique 163 » qui s’affirme. Il en
résulte l’abandon de la croyance en la centralité de l’État, ce
qu’on a pu appeler un «  étato-centrisme  ». Un tel changement
dans les représentations de l’État en relation avec les
transformations de son action dans la réalité vaut
particulièrement pour la France marquée par le mythe d’un État
tout-puissant et surplombant, construit sur l’idée d’unité face à
l’hétérogénéité, d’un État supposé porter à lui seul la préservation
du bien commun et de l’intérêt général. Ainsi, face à une vision
monocentrée, hiérarchisée et descendante de la décision publique
comme instrument d’un État qui planifie, qui incite et qui
détermine les objectifs et conçoit les règles, s’impose
progressivement l’idée d’une action publique à multiniveaux
impliquant une multiplicité d’acteurs et au sein de laquelle l’État
n’est plus qu’un des partenaires participant à sa construction
collective 164. Ce déplacement d’une régulation centralisée vers
une régulation multipolaire se traduit par la démultiplication et
la polycentricité des niveaux d’action, une polyarchie
institutionnelle, avec de fortes interdépendances entre des
acteurs nombreux et différenciés, aux intérêts divergents sinon
antagonistes 165. L’action publique apparaît de plus en plus
comme résultante de configurations multiples faites
d’interdépendances et de stratégies enchevêtrées d’acteurs, de
réseaux d’action publique et de systèmes d’action suivant un
schéma décisionnel qui relève d’une accumulation de régulations
négociées, d’une segmentation des pouvoirs et d’une
fragmentation de la souveraineté et s’inscrit plus dans la
transversalité, l’horizontalité et la circularité qu’il n’obéit à une
conception linéaire de type top down marquée par la
prééminence d’un centre, l’autorité et la hiérarchie.
Dans cette perspective d’analyse de l’action publique, les
normes et dispositifs juridiques doivent être effectivement
approchés comme des «  instruments  ». Le droit est bien un
instrument privilégié pour l’exercice du pouvoir de l’État. Mais le
rôle des normes dans l’action publique doit être désormais
appréhendé «  en termes de règles d’un jeu ouvert [où,
notamment] les activités d’accommodement des règles […]
l’emportent largement sur les activités de sanction 166  ». L’action
publique se présente comme « un espace socio-politique construit
autant par des techniques et des instruments que par des finalités
ou des contenus 167  ». Le droit lui-même est instrumentalisé
comme «  technologie de gouvernement  » analogue aux
« “procédures techniques” du pouvoir » de Michel Foucault dans
le cadre d’une « “instrumentation” en tant qu’action centrale dans
l’“art de gouverner” 168 ». Toutefois ces instruments « ne sont pas
pure technique  : ils produisent des effets spécifiques
indépendants des objectifs affichés (des buts qui leur sont
assignés) et ils structurent l’action publique selon leur logique
propre 169 ».
Du point de vue des modes d’action du droit, l’idée d’une
contractualisation et d’une procéduralisation de l’action publique
s’impose 170. Celle-ci ne se réduit pas (plus  ?) à l’application de
règles produites une fois pour toute en amont, mais ces règles
naissent de discussions, de délibérations et de négociations (par
exemple dans le cadre de forums) entre des acteurs situés à
différents niveaux, cela tout au long du processus concerné.
L’éclatement des centres de pouvoir, dont participe la
reconnaissance des acteurs privés susceptibles de devenir de
véritables opérateurs des politiques publiques, favorise le
développement de procédures contractuelles et la redéfinition de
la place de la technique juridique au sein de la gestion publique.
« Le contrat a pu ainsi se révéler une solution utile au problème
de l’action collective comme à la flexibilité nécessaire de l’action
publique 171.  » Cette consécration d’un «  ordre juridique
contractuel » est particulièrement illustrative d’une rupture avec
« les représentations traditionnelles de l’exercice de la puissance
publique  » et de l’exigence nouvelle de «  formes d’ajustements
souples », ceux-ci n’excluant pas les rapports de force comme une
reconnaissance de «  l’existence de relations de pouvoir comme
consubstantielles à l’action publique 172 ».
Renforçant «  l’interrogation sur la mise en cause de l’État
comme acteur principal des politiques publiques 173  », cette
nouvelle économie de la légalité au niveau national n’est pas
mieux illustrée que par ce qui serait devenu, à côté du
«  développement de normes juridiques émanant de sources
privées et tout particulièrement des plus puissants parmi les
agents économiques 174 », une prolifération de « petites sources du
droit  » caractérisées par la multiplication des circulaires, des
règlements, des conventions, de normes édictées par les autorités
indépendantes, se substituant ainsi aux sources classiques du
droit 175.
Les mutations de l’intervention publique ont de telles
conséquences sur les formes mêmes de l’activité juridique qu’il
peut être considéré que «  le droit n’est plus l’élément central de
l’action publique 176  » ou encore qu’une «  crise du droit  » est
indissociable d’une «  crise de l’État 177  ». Toutefois, «  il convient
de prendre ses distances à l’égard d’une représentation de la
régulation juridique fortement marquée par une interprétation
étroitement positiviste de la règle de droit et son association à un
mode centralisé de régulation étatique [si propre à la France
ajouterai-je] qui continue à obscurcir tout jugement sur le droit.
La mutation du pouvoir politique [et ce que je viens de rappeler
concernant le statut de l’État et de ses modes d’agir] appelle la
transformation du droit tant dans ses manifestations empiriques
que dans ses représentations 178  ». Plutôt que de déplorer, il
convient d’observer ces nouveaux modes de régulation juridique
tels qu’ils se manifestent dans certains processus d’action
publique 179. Dans un tel contexte de transformations des cadres
de l’action publique, il y a une exigence de ne pas s’en tenir à ce
que dit le droit dans le cadre de l’auto-célébration, éventuellement
nostalgique, de sa grandeur. Le choix doit être assumé de se
pencher sur ce qu’il fait et, comme cela a été souligné dans le
chapitre précédent, à ce que font concrètement les acteurs du
droit dans le cadre de stratégies, de rapports de force, de
construction de compromis, de pratiques de détournement de ce
que la règle initiale pouvait porter d’intention et de poursuite de
finalités proclamées. Ce choix s’impose d’autant plus que le
décalage entre ce que dit le droit et ce qu’il fait est accentué,
exacerbé en relation avec une remise en question du territoire
consacré de l’État. La substitution de l’idée d’action publique à
celle de politique publique conduit à se pencher plus
attentivement sur la multiplicité des acteurs intervenant dans le
processus, à observer les pratiques, les stratégies, les modes
diversifiés d’appropriation du droit par des acteurs appartenant
non seulement à la sphère étatique, mais issus aussi de la société
civile dans ses formes organisées  : mouvements sociaux,
syndicats, groupes d’intérêt, opérateurs économiques, etc.
De tels changements de la légalité au niveau national rendent
plus que jamais pertinente cette considération suivant laquelle,
dans le droit, «  ce qui intéresse est moins la langue que les
paroles  » ou encore que le droit est «  moins comme il se pense
que comme il “se parle”, moins comme il s’énonce que comme il
est agi 180  ». Au binôme énonciation de la règle-soumission à la
règle doit alors se substituer cette idée que nous avons déjà
maintes fois soulignée, d’enjeu, de stratégie ou encore
d’interactions. Il convient d’«  en finir avec une double illusion  :
celle qui conduit à voir dans le caractère impératif de la règle de
droit la certitude de son obéissance comme celle qui consiste à
identifier le droit à la seule forme étatique du pouvoir
politique 181 », au seul territoire de l’État.
« La remise en question de l’État comme élément central de la
régulation des sociétés modernes 182  » associée à la contestation
de son monopole de territoire de la régulation juridique exige
d’observer autrement le droit au-delà des représentations qu’on
lui attribue. Il y a bien un «  affaiblissement de la régulation
juridique 183 », cela dans le cadre d’une évolution où nous sommes
passés d’un régime de légitimité légal-rationnel inspiré de l’idée
d’un « ordre juridique axiologique », associé à la conception d’un
pouvoir politique transcendant et à une mythification de l’État, à
l’établissement d’une nouvelle légalité «  fonctionnelle  » en
référence à un régime de construction d’une légitimité, au
«  caractère aléatoire et contingent 184  », fondé sur une
combinaison entre efficacité et légitimité 185. Il semble bien que ce
soit « le “destin inévitable” du droit à l’époque moderne, d’être de
plus en plus considéré comme un “appareil technique rationnel”,
susceptible par conséquent d’être modifié en fonction d’une
rationalité des fins, et dépourvue de tout caractère sacré
interne 186 ».
C’est donc un travail de redéfinition de ce droit, à la place
renouvelée de la technique juridique au sein de la gestion
publique qu’il convient d’observer dans ses différentes
expressions, y compris celles de ses mises en œuvre notamment
par la justice. Certains auteurs français, généralement spécialistes
de droit public, ont une vive conscience de cette nécessité de
repenser le droit en relation avec les transformations de l’État et
de ses modes d’agir. Il peut alors être question de concevoir un
«  droit de l’action publique  » qui serait plus en adéquation avec
les nouvelles exigences de la gestion publique 187. D’autres vont
plus loin en concevant la possibilité d’un «  droit public
global 188  ». Mais ne s’agit-il pas là de la transposition d’une
conception du droit découlant de l’existence d’un « centre » ? Est-
il possible de construire un «  centre  » à une autre échelle qu’à
celle de l’État-nation sur un modèle qui semble encore inspiré par
le modèle romano-germanique ?
Ce sont d’autres orientations que préconisent des auteurs
appartenant à l’univers de la common law. C’est ainsi qu’est
envisagé très explicitement de concevoir la loi non plus comme
une référence immuable mais comme devant acquérir un
caractère résolument instrumental, orienté délibérément vers des
objectifs de politique publique. L’activité juridique devrait être
faite de règles de droit n’excluant pas la flexibilité, ouvrant la
possibilité de négociations, de constructions de compromis, sans
être forcément assujettie à des règles fixées au préalable 189. Dans
cette perspective, il convient d’admettre le caractère
instrumental, «  orienté politiquement  » (policy-oriented) de la
règle de droit et d’abandonner l’idée que la règle de droit
implique la fidélité à tous les principes légaux préexistants 190. Les
nouveaux modes d’agir de l’État ne peuvent que rompre avec le
principe d’usages du droit comme simple sollicitation de règles
préétablies pour admettre l’inscription des règles dans l’action
publique.
Dans le cadre de ce nouvel ordre légal, supposant une
conception du droit plus «  active  », associé à un nouveau mode
de gouvernement de la chose publique, les mises en œuvre du
droit par la justice doivent être elles-mêmes repensées. Elles
doivent obéir à des techniques de «  formulation de politique
judiciaire » (judicial policy making) de plus en plus comparables à
celles de toute autre agence gouvernementale 191. Ce «  judicial
policy making  » doit s’inscrire dans la conception moderne de
l’État qui exige une « formulation active de politique judiciaire »
(active judiciary policy making 192). Les tribunaux doivent ainsi
rompre avec la tradition qui veut qu’ils s’en tiennent à une
mobilisation sur le jugement, à une simple attente d’une
soumission à leurs injonctions sans se préoccuper d’assurer un
contrôle en continu de leur action 193. Or l’activité judiciaire ne se
limite pas au jugement, à l’adjudication, mais elle est susceptible
de produire des résultats qui sont socialement désirables 194. Cette
conception de l’activité juridique et de ses mises en œuvre dans la
justice est depuis longtemps une réalité. Par exemple, dans un
pays comme les États-Unis, les tribunaux sont conçus comme des
institutions susceptibles de jouer un rôle important dans la
définition du contenu même et de la fabrique des politiques
publiques 195. Il s’agit rien moins que de faire des tribunaux des
acteurs de l’action publique, cela dans le cadre d’un transfert du
processus de « prise de décision » (decision making) des droits du
Parlement, du gouvernement et de l’administration vers les
tribunaux, ce qui justifie l’usage de l’expression de «  décision
judiciaire participant d’un processus politique  » (judge-made
policy-making 196). La conception est ici fortement assumée
suivant laquelle « le judiciaire structure ou donne les orientations
nécessaires à la politique publique 197  ». Ce processus
d’investissement sur la justice dans la gestion publique, s’observe
en fait dès la fin des années  1970 aux États-Unis, par exemple
pour traiter des questions d’intégration, de contrôle de la police,
de protection de l’environnement ou d’amélioration du sort des
pauvres 198.
Mais là aussi les interrogations concernant la capacité de la
justice d’assumer ces nouvelles fonctions ont surgi très tôt.
Dès  1977, la question était posée des «  capacités et incapacités
des tribunaux à assumer le rôle d’“acteurs des politiques
publiques” (policymakers) 199 ». Ces interrogations portent d’abord
sur l’impact des décisions prises par les juridictions 200. Cet
impact est d’autant plus susceptible d’être remis en cause, qu’aux
États-Unis, tout au long du processus qui va des juridictions
supérieures (la Cour suprême) aux juridictions inférieures,
peuvent interagir différents acteurs autres que les juges 201. Les
réserves portent ensuite sur le fait que les tribunaux disposeraient
de moyens limités et d’une faible capacité à faire exécuter leurs
décisions, à s’assurer de leur mise en œuvre effective.
Paradoxalement, les sollicitations croissantes dont la justice fait
l’objet dans le domaine des politiques publiques contribueraient à
dévoiler un peu plus le caractère traditionnel, archaïque,
inadapté des méthodes de travail des tribunaux en contradiction
avec le fait qu’ils sont sollicités dans des sphères de plus en plus
larges de l’action publique. Pour surmonter cette contradiction, il
conviendrait que les tribunaux cessent de s’en tenir à une
mobilisation sur le jugement, à une simple attente de soumission
à leurs injonctions et qu’ils soient en mesure de se préoccuper
d’assurer un contrôle de leur action, à une véritable supervision
en continu telle qu’une agence administrative prétend être en
mesure de l’assurer.
Une autre raison de douter tient à la propension favorisée par
la contrainte juridique à ignorer la dimension sociale des affaires
à traiter et à s’en tenir au traitement du cas individuel. Il
reviendrait aux agents de la justice de mobiliser des ressources
sociales à partir de recours individuels et les tribunaux devraient
pouvoir travailler avec des catégories générales qui transcendent
les cas individuels 202. Je reviendrai sur cet aspect en me
demandant s’il n’est pas lié à un trait mis en valeur par le courant
du «  béhaviorisme judiciaire  » (judicial behavorialism 203)  : celui
de la dimension majoritairement conservatrice de la fonction
judiciaire 204.
Finalement, les tribunaux jouent un rôle de plus en plus
important dans l’action publique mais ils manquent de
ressources, s’appuient sur des dispositifs d’interventions
ponctuelles, sont contraints par des modes traditionnels de mise
en œuvre de la ressource juridique et sont, par conséquent, dans
l’impossibilité de prétendre gérer des problèmes complexes et de
grande ampleur, d’assumer un véritable travail de gestion des
problèmes publics, une véritable mission de gouvernement 205.

206
Le droit et la justice comme gestionnaires du social

Un des facteurs qui contribuait à consacrer le territoire de


juridiction de l’État, était le développement d’un État-providence,
constitutif pour la France par exemple d’une «  République
sociale 207  ». Or, depuis les années  1970, les États-providence
connaissent une crise profonde dans toutes les sociétés
occidentales comme si, de façon exemplaire, les incertitudes de
statut du territoire de l’État faisaient système avec le déclin de ses
finalités. Le processus de conception et de mise en œuvre de
l’idée de conditionnalité dans l’attribution des droits sociaux se
situe au cœur de cette remise en cause de la fonction de l’État
dans la gestion de la solidarité sociale 208. En effet, cette
conditionnalité constitue un élément-clef dans les nouvelles
orientations des politiques d’octroi de subsides, d’aides de toutes
sortes et de mobilisation des agences publiques. En fait, cette
entrée par la conditionnalité fait de celle-ci un exceptionnel
révélateur de ce qui fonde désormais la relation des individus au
collectif, d’individus institués d’abord comme redevables envers
la collectivité 209. Pour prétendre bénéficier des dispositifs de
protection sociale, ces derniers doivent produire et apporter leur
propre contribution. Ce que révèlent à l’évidence les nouvelles
procédures d’attribution des droits sociaux, c’est donc bien
l’obligation faite aux individus d’assumer a  priori leur
responsabilité face aux difficultés qu’ils sont susceptibles de
rencontrer. C’est dans la mesure où ils s’engagent à faire des
efforts d’«  insertion  », c’est-à-dire à prendre les mesures leur
permettant d’apporter leur contribution, que les individus
concernés pourront éventuellement bénéficier de l’aide publique.
Il leur revient en fait de saisir les opportunités qui s’offrent à eux
pour maîtriser leur existence et faire face aux aléas.
Ce qui s’affirme, c’est, par conséquent, un contexte dans lequel
la responsabilité individuelle envers la société doit prévaloir sur la
responsabilité collective envers les individus, ou encore dans
lequel les mécanismes de solidarité sociale ne fonctionnent plus
suivant un principe d’assurance mais bien en fonction d’une
logique d’assistance.
Il est particulièrement illustratif de constater que cette
nouvelle gestion du social implique un processus de
« singularisation » ou encore des « réponses singularisées » face à
des « épreuves » auxquelles les individus sont confrontés 210. Cette
singularisation croissante inspire en effet le traitement du social
et constitue une nouvelle déclinaison qui fait suite au processus
historique d’individuation issu des sociétés elles-mêmes, c’est-à-
dire le processus d’autonomisation des individus par rapport aux
structures collectives dans lesquelles ils étaient enserrés dans le
cadre de ce qu’on a appelé la «  première modernité  ». Et cette
singularisation relève bien de cette «  individualisation du
social 211 », d’où découle l’exigence d’un dispositif de sélection au
sein duquel les critères moraux retrouvent toute leur importance
jusqu’à justifier qu’un État pénal se substitue à l’État social 212.
C’est donc bien le retour au discours libéral du XIXe siècle qui
s’observe, celui où était distingué le « bon » pauvre, méritant de
bénéficier d’une aide conçue sur le principe de l’assistance, du
« mauvais » pauvre renvoyé alors à sa responsabilité individuelle
et à ses éventuelles conséquences. Le passage de l’universalisme
au cœur de l’État social et une évolution vers la singularisation
du traitement justifient l’exigence croissante de prendre en
compte la spécificité de chaque individu en vertu de
considérations morales où sont distingués celui qui mérite d’être
secouru et celui qui par ses faiblesses et ses défauts s’est mis dans
la situation dans laquelle il se trouve 213. Une telle vision du
monde social peut alors conduire à considérer, suivant la logique
propre à la rhétorique réactionnaire de « l’effet pervers » évoquée
par Albert Hirschman 214, que l’aide publique attribuée suivant le
principe «  universaliste  » risque d’avoir le résultat exactement
inverse de celui recherché et que, loin de résoudre les problèmes
du social concernés, elle risque de les aggraver.
Ce recours à ces critères moraux est indissociable de celui à
des critères de nature «  comportementaliste  » conduisant à
substituer aux causes sociales des causes tenant à l’individu et à
ses supposés faiblesses ou dysfonctionnements dont il convient
de le « guérir ». Il apparaît ainsi que, depuis les années 1980, s’est
développé un nouveau discours sur la pauvreté, lequel allie ce
phénomène à la « vulnérabilité » personnelle justifiant le recours
à diverses expertises, notamment économique, sociologique,
psychologique, médicale ou géographique, éventuellement
inspirées dans leur procédure de la culture du secteur privé et de
son objectif de rationalisation managériale, en vue de refaire de
l’individu un actif non dépendant du collectif 215. Toutefois, cette
« scientifisation » de l’intervention publique, outre qu’elle risque
de provoquer une stigmatisation des individus auxquels elle
s’adresse, dans la tradition de la stigmatisation du vagabond et du
mendiant, peut alors entraîner une occultation de la dimension
sociale du problème et, par conséquent, réduire la question
sociale à un cumul de problèmes individuels. Ainsi, sous couvert
d’un discours de liberté individuelle, les moyens et les contraintes
imposés à certaines catégories de la population sont dans les faits
tributaires de leur adhésion et de leur soumission à une certaine
morale de la vie sociale sans que soit pris en compte, dans cette
mobilisation sur des populations particulières, que « la question
sociale n’est pas […] la simple résultante du cumul de problèmes
sociaux affectant des populations particulières  ; elle implique
toute la société dans la mesure où elle touche à ce qui lie entre
eux les individus la composant 216  ». Finalement, rien n’illustre
mieux ce qui se donne à voir là aussi comme une perte des
finalités de l’État que ce processus historique suivant lequel la
lutte contre l’exclusion, individualisante, psychologisante et
comportementaliste, participe effectivement d’un nouveau
«  gouvernement des pauvres 217  » et ne vise «  plus seulement la
préservation de la société contre les conséquences collectives
redoutées de la pauvreté, mais l’effectivité des droits d’individus
confrontés aux conséquences individuelles de la pauvreté 218 ».
L’État-providence, à la fois sa consécration puis son déclin, est
finalement en porte à faux par rapport à des représentations
idéalisées de la légalité. Il est accusé d’avoir contribué à la perte
de croyance dans la valeur d’un droit au sens d’un «  Droit  »
associé à la puissance de l’État. Derrière l’universalisme affirmé
d’un droit social, l’efficacité réelle de l’État-providence exigeait
des formes d’activité juridique décentralisées, bureaucratisées si
l’on peut dire, flexibles, pragmatiques qui menaçaient la
représentation et la réalité de règles de droit substantielles.
Celles-ci sont désormais exposées à la contestation de leur
application et, au-delà, à celle d’un tel fonctionnement de l’État.
Ce dernier est de plus en plus soumis à l’exigence de sa
justification par les résultats de son action 219 et « pris au piège de
l’affaiblissement de ses performances 220 ».
Face à la «  dévalorisation de l’État  » conduisant elle-même à
une «  dévalorisation du droit 221  », il ne reste plus à l’État pour
tenter de préserver son territoire de juridiction qu’à compléter sa
logique de rationalisation par une logique gestionnaire dans
laquelle vont s’inscrire, dans le cadre d’un processus
d’instrumentalisation, le droit et les mises en œuvre du droit.
Tout concourt dans ce processus d’«  individualisation du
social  » à une relativisation de la règle juridique et à une
pluralisation dans les formes de sollicitation dont elle fait l’objet
au point d’imposer le remplacement de l’idée de droit par celle de
« droits 222 ». Cette pluralisation du droit est à la fois suscitée par
la mise en œuvre du principe de conditionnalité évoqué plus haut
dans l’attribution de droits sociaux et par les interprétations que
l’application d’un tel principe autorise. Ces interprétations,
comme nous le verrons plus loin, ne sont pas exemptes, au-delà
du simple raisonnement juridique, de considérations morales ou
idéologiques. Par la complexité du jeu des acteurs, de
l’enchevêtrement de leurs stratégies permises par les espaces
d’incertitudes ainsi ouverts, où sont susceptibles de s’affronter
d’un côté une référence au droit marqué par l’« impérialisme de
l’universel  », de l’autre des groupes sociaux lesquels, en
revendiquant leurs droits, dénoncent la fiction de cette référence
au droit « terroriste 223 ».
Dans ce cadre, le droit, ou les droits, ne sont plus un point de
départ qui détermine le processus à venir. Ils deviennent une
construction, en fin de course, comme résultante d’un système
d’action dans lequel interviennent précisément, tout au long, des
acteurs, défenseurs de « causes » éventuellement antagonistes ou
concurrentielles 224, porteurs de valeurs, d’idéologies, auteurs de
stratégies, même si celles-ci se dissimulent sous l’apparente
neutralité du droit. Dans ce contexte, des secteurs qui étaient
auparavant supposés soumis à une régulation juridique univoque
comme le travail, la santé ou l’éducation deviennent de fait des
enjeux au cœur d’une activité juridique aux issues incertaines. La
question des droits, si facilement associée à celle des « droits à »,
à celle des droits des citoyens face aux injustices dont ils sont
victimes, est devenue centrale sans que soit levée une ambiguïté
sur le sens qu’il convient de donner à ce phénomène 225. Il existe
en fait une dualité entre les nouvelles ressources que ces droits
constituent pour les luttes sociales et les nouvelles formes de
mobilisation collective, d’une part, et la mystification qu’ils
autoriseraient au détriment des principes de l’État social, de la
préservation des droits sociaux 226, d’autre part.
Le désengagement de l’État dans le domaine de la gestion du
social suscite en fait une inflation du discours sur les droits dans
le sens d’opportunités qu’il reviendrait aux citoyens de savoir
saisir. Le sens même des droits a changé  : associé auparavant à
l’idée de prise en charge collective fondée sur la solidarité sociale,
il est désormais dépendant des caractéristiques propres de
l’individu et de la spécificité de ses comportements, lié aux
devoirs que lui confère son autonomie.
Ce nouveau régime d’activité juridique se répercute dans les
processus de mises en œuvre. C’est ainsi que la justice, dans la
réalité de son fonctionnement, est partie prenante du
changement de régime de solidarité sociale, organisé désormais
autour de la responsabilité individuelle et, par conséquent, de la
différenciation. Elle apparaît comme une instance parfaitement
fonctionnelle de ces politiques sociales redéfinies tout en
préservant la fiction d’une égalité formelle de traitement. En fait,
face à l’effritement du lien social et à la rhétorique des droits et
de la responsabilité, elle s’impose comme un rouage de plus en
plus important de ce nouveau régime de gestion du social 227. Au
contraire de la façon dont elle se donne à voir, en soi, sans mise
en relation avec le social ou le politique, loin d’être une sorte
d’institution tierce, la justice fait système avec l’État dans ses
nouvelles orientations et les injonctions politiques qui
déterminent ces dernières. Elle devient un «  service public  » et
n’est plus qu’un maillon dans l’ensemble des dispositifs
concernés. Elle est d’autant plus ce maillon que son ethos
d’institution, les principes qui orientent son action, l’instrument
qu’elle est chargée de mettre en œuvre – le droit –, la prédisposent
à être en parfaite adéquation avec les logiques à l’œuvre dans
cette nouvelle gestion du social. Dans ce cadre, le tribunal devient
le « responsable de la conservation et de la promotion d’intérêts
finalisés par des objectifs socio-économiques 228 », ce qui implique
l’évaluation «  des intérêts, des besoins, des aptitudes 229  ». Une
telle évolution s’accompagne d’aménagements à la procédure et
de l’inclusion dans le processus de délibération d’éléments non
juridiques susceptibles d’éclairer le décideur sur la situation et la
solution.
Les conditions sont réunies pour que se substituent, à des
acteurs de cette face du modèle de légalité duale immergés dans
le social et travaillant dans l’interaction avec les sujets du social,
des experts supposés contribuer par la «  science  » à l’office,
devenu plus moral que juridique, des juges. Le recours à
l’expertise, plus particulièrement à la psychologie ou aux sciences
« psy », vise précisément à donner un fondement « scientifique »
à des pratiques et à des décisions ayant une légitimité relevant du
juridique mais que le judiciaire est impuissant à traiter avec la
seule référence aux catégories juridiques 230.
Cette place prise par le discours psychologique et
psychiatrique illustre parfaitement le glissement du juge de
l’accomplissement de la fonction d’adjudication vers celle de la
gestion et de la normalisation du social. Plus que jamais se vérifie
le propos des réalistes américains suivant lequel l’analyse des
comportements des juges conduit à considérer ceux-ci non de
façon sui generis, mais plutôt comme une variété d’homo
politicus 231. Ainsi, l’examen des plaintes pour harcèlement
psychologique sous l’angle de l’intersubjectivité, notamment par
une référence quasi systématique aux théories de la personnalité
et du comportement, a comme conséquence directe la
normalisation des plaignants et non la régulation des milieux de
travail 232. De même, l’attribution d’un statut de « vulnérable » aux
personnes faisant l’objet d’une requête d’internement
psychiatrique se traduit par des décisions de justice à visée
«  thérapeutique 233  ». Dans les deux cas, la finalité purement
juridique du régime applicable, et notamment la promotion et la
protection des droits des individus référés à des groupes sociaux
d’appartenance, se voit détournée au profit de considérations
morales, paternalistes, voire strictement utilitaires appliquées aux
individus en soi. Comme il a pu être dit justement, « il n’y a pas
que la justice dans la justice  », cela en considérant que «  les
acteurs de ces processus (professionnels du droit inclus)
réinscrivent eux-mêmes constamment le droit et sa légitimité
dans un ensemble de conceptions normatives (civisme, valeurs
morales…) parfois explicitement moralisatrices, et construisent le
respect du droit moins comme un impératif proprement
juridique que comme une obligation sociale 234 ».
Ces facteurs extra-juridiques se donnent en fait à voir comme
une «  “pédagogie du droit” qu’entendent porter les juges [où se]
mêlent constamment au “rappel de la loi” des registres non
juridiques qui convoquent, parfois pêle-mêle, morale, civisme et
paternalisme au service d’un impératif plus général : le respect de
l’ordre. En ce sens, l’efficacité sociale du droit est indissociable de
la multiplicité des relais sociaux divers qui le réinscrivent dans un
faisceau d’obligations sociales caractéristiques du “bon citoyen”,
du “bon catholique” ou du “bon militant” 235 ».
Loin des pratiques représentées que nous avons décrites dans
le chapitre précédent et comme une illustration supplémentaire
des pratiques réelles de professionnels du droit déterminées par
des facteurs extra-juridiques, toutes les conditions sont réunies
ici pour que se manifeste chez les juges traitant du social
l’influence de systèmes de valeurs, nourris de considérations
morales socialement situées, propres au monde social auquel ils
appartiennent, et de représentations également socialement
situées des mondes sociaux ou culturels qui leur sont étrangers,
et qui s’opposent aux modes d’être et de penser des populations
sur lesquelles ils interviennent. L’influence de ces facteurs extra-
juridiques se conjugue avec celle de la ressource juridique – elle-
même plus ajustée par essence à traiter de la singularité que de la
dimension sociale, culturelle ou politique des cas à traiter – pour
prendre en compte exclusivement l’individu sans que soit
considérée son inscription dans des ensembles sociaux ou
culturels 236.
La justice fait système avec une remise en question de l’État
social. D’abord, loin d’être l’institution tierce qu’elle aspire à être
dans la structure en trois pouvoirs de Montesquieu 237 ou loin de
participer à un nouveau modèle de gouvernance «  triadique  »
qu’annoncerait la judiciarisation du politique 238, la justice dans ce
domaine de la gestion du social s’instituerait ou plutôt serait
instituée comme un acteur des politiques sociales. Elle
deviendrait bien cette «  agence gouvernementale  » que certains
courants doctrinaux, relevant de la tradition common law
évoquée plus haut, appellent de leurs vœux, suivant une
conception où il ne s’agit plus d’appliquer des règles de droit mais
de mettre le droit au service de la poursuite d’objectifs de
politique publique.
Les mises en œuvre du droit dans le domaine du social
participent ainsi d’une logique gestionnaire destinée à venir en
complément d’une logique de rationalisation pour tenter de
préserver sous d’autres formes le territoire de juridiction de
l’État. Dans ce cadre, une délégation non parfaitement maîtrisée
au judiciaire est somme toute fonctionnelle dans la mesure où le
mode d’intervention de la justice, les fondements de son action et
son référentiel d’action (le droit) correspondent aux nouveaux
principes de l’intervention publique (la singularisation du
traitement, la psychologisation des approches, l’accent mis sur les
critères moraux, la répression comme solution 239, etc.).

Une activité juridique participant d’un « État manager »

L’effet de système qui s’observe entre les transformations de


l’État, le déclin de ses finalités et les nouvelles formes de gestion
publique dont participe l’activité juridique s’illustre
particulièrement dans le développement du «  nouveau
management public  » (new public management), c’est-à-dire le
processus d’importation dans la sphère publique de modes
d’organisation, de gestion, de rationalisation importés du secteur
privé 240. Ces dispositifs, avant d’être mis en œuvre en France,
avaient été introduits depuis longtemps en Grande-Bretagne
dès  1990 avec le programme New Steps 241, au Canada où le
gouvernement fédéral avait lancé dès  1991 un mouvement de
rationalisation de l’administration 242 et aux États-Unis en  1993
avec le Government Performance and Results 243. Quels que soient
les débats suscités dans l’analyse de ce phénomène, les opinions
se rejoignent sur le fait qu’il s’agit de mettre en avant, dans le
secteur public, la réalisation d’objectifs en accordant aux agents
concernés les marges de manœuvre nécessaires pour les atteindre
en termes d’efficacité et d’efficience pour aboutir, au-delà, à une
réduction de la taille du secteur public 244. La greffe préconisée de
la «  culture  » du secteur privé dans le secteur public prend la
forme d’une gestion orientée vers les résultats en s’appuyant sur
des indicateurs de performance, un emploi d’instruments du
marché, des dispositifs organisationnels moins hiérarchiques,
plus spécialisés et un remplacement des relations hiérarchiques
par des relations (quasi) contractuelles, une certaine porosité
entre le secteur public et le secteur privé avec, notamment, la
mise en place de partenariats public-privé 245.
L’activité juridique ne pouvait échapper à ce mouvement de
rationalisation du secteur public dont le droit est lui-même un
instrument de même que la justice est une institution dont la
spécificité qui est celle de mettre en œuvre le droit ne semblait
pas devoir la dispenser de se concevoir aussi comme une
organisation soucieuse d’efficacité. C’est ainsi que les réformes de
la justice en Europe ont souvent pour point commun celui de la
managérialisation 246. La justice a été longtemps soucieuse de
préserver son exceptionnalité au point de revendiquer la
pertinence des références de son action de nature a-économiques,
a-marchandes et de cultiver des valeurs aux antipodes de la
rationalisation comme, par exemple, celle de la lenteur justifiée
par la majesté et la grandeur de la fonction 247 où, à la limite, « il
convient de se hâter, mais avec lenteur 248 ». Elle se voit désormais
contrainte de s’inscrire dans ce processus de managérialisation
au risque de s’exposer à la perte de l’exceptionnalité de sa
fonction si farouchement cultivée en France dans son histoire,
notamment dans ses rapports avec le ministère des Finances 249.
La managérialisation de la justice est, par conséquent, la
manifestation la plus récente de son inscription dans un
processus historique de rationalisation des structures publiques.
Il en résulte effectivement qu’elle est ainsi de plus en plus exposée
à un mouvement de banalisation de sa fonction, ainsi qu’en
témoigne la considération de plus en plus affirmée publiquement
suivant laquelle «  la justice est un service public  » (en référence
notamment à «  l’approche-client  »). Même si les préoccupations
de «  responsabilité  » (accountability), en relation avec la
responsabilité directe de la justice à l’égard des citoyens, et
d’«  imputabilité  » à l’égard des citoyens, visant à prendre mieux
en compte leurs besoins, ne sont pas absentes, ne serait-ce que
pour restaurer la légitimité de l’institution de justice 250, ce sont
bien d’abord les notions gestionnaires de coût, d’efficacité, de
qualité de la production (par la mesure des performances avec le
recours à des indicateurs), d’évaluation de l’action qui s’imposent.
Le passage s’effectue ainsi à une «  logique de résultats  » où se
justifient les critères du «  bon travail  ». Ce dernier est défini de
plus en plus de manière exogène. C’est ce qu’ont montré en
France, par exemple, les expériences de rémunération à la
performance, avec l’instauration de primes de rendement, des
magistrats des cours et tribunaux 251, cela à l’instar de ce qui a été
mis en place auparavant dans les administrations 252, la mise en
place auprès du ministre de la Justice, garde des Sceaux, d’un
secrétariat général, particulièrement chargé d’assurer les
évolutions managériales de l’administration judiciaire.
Dans la même logique, la mise en place en France, pendant le
mandat de président de la République de Nicolas Sarkozy, de la
« loi organique relative aux lois de finances » (LOLF) 253 en 2001
ainsi que la «  révision générale des politiques publiques  »
(RGPP) 254 n’avaient aucunement pris en compte la spécificité du
judiciaire, en particulier en ce qui concerne l’exigence de
préservation de l’autonomie des juridictions, notamment
financière. Il est également significatif qu’aient pu être envisagées
des filières de recrutement autonomes et une formation
spécifique pour les chefs de juridiction, risquant de faire
apparaître ces derniers comme des représentants de la
Chancellerie au risque de menacer une des missions principales
de ces responsables qui est de préserver l’indépendance des juges
placés sous leur autorité au sein des juridictions concernées.
Enfin, le rôle croissant du Parquet par rapport aux juges du
Siège, tel qu’il a pu s’observer dans cette même période, est
révélateur non pas seulement d’une volonté récurrente de
contrôle du pouvoir exécutif sur la justice mais, plus largement,
de faire de celle-ci une «  agence gouvernementale  ». Dans cette
perspective, suivant une conception très proche de celle prônée
aux États-Unis et dont j’ai parlé plus haut 255, la justice était
conçue comme une sorte de levier pour la mise en œuvre des
politiques publiques, notamment dans le domaine pénal.
Cette évolution se comprend pour des raisons d’efficacité par
rapport à des objectifs fixés par le pouvoir mais aussi, de façon
corrélative, pour des raisons de réduction des coûts  :
l’accroissement du recours aux procédures dites alternatives aux
poursuites réduit d’autant le recours à l’audience et au jugement
du tribunal correctionnel. De façon plus générale, la tentation
peut être grande de réduire le pouvoir d’intervention du juge au
profit de l’administration. En concevant son intervention en
dernier ressort ou seulement comme une sorte de juridiction
d’appel 256, cela n’est évidemment pas sans conséquences sur les
garanties concédées au justiciable.
Bien qu’elle ne concerne pas directement la question de la
managérialisation, la façon dont la réforme de la carte judiciaire,
intervenue en France au cours de l’année  2008, a été conçue et
menée, est révélatrice de cette volonté d’alignement de la justice
sur un processus de rationalisation qui relativise la spécificité
constitutionnelle de cette institution et aboutit à un effacement
de ses finalités propres au profit de la question des moyens et de
leurs usages. En effet, le choix politique qui a été fait pour cette
réforme est celui de ce que j’ai appelé un « modèle comptable 257 »
illustrant cette idée que « les comptables sont désormais au cœur
de la gouvernance 258  » et attestant le fait que «  les débats sur la
volonté politique sont censés s’effacer derrière des optimisations
comptables 259 ». Le critère de la quantité d’affaires traitées par les
juridictions a prévalu sur tous les autres possibles sans qu’aucune
réflexion sur les finalités de la justice en relation avec les
transformations de la société française ait été entreprise ou prise
en compte. Dans son histoire de l’État, Pierre Rosanvallon évoque
l’existence d’une tension de la « modernité démocratique » entre
deux types de processus qui marqueraient la construction de
l’État moderne : un processus de démocratisation fondé sur l’idée
de l’importance de la représentation et un processus de
rationalisation 260. De façon significative, c’est ce second terme qui
a été choisi pour cette réforme de  2008, cela de la façon la plus
étroite, en ne recherchant pas l’adhésion des principaux acteurs
concernés (professionnels de la justice, élus), en n’obéissant pas
non plus à une « mystique de la modernisation 261 », comme ce fut
le cas pour la précédente réforme de  1958 où l’exigence de
restauration de la grandeur de la justice est associée à celle de
l’État 262, mais à ce que nous appellerons à une opération de
«  marketing politique  » supposée promouvoir l’idée de
changement. C’est ainsi que les procédures de consultation des
professionnels de la justice ont été délaissées et que la réforme a
été entreprise par un évitement de la représentation politique. Le
choix a été fait des décrets plutôt que de la loi pour fonder
juridiquement la réforme. En choisissant ainsi de réformer par
décrets et non par une loi, les initiateurs de la réforme ont tenté
d’éviter un débat avec la représentation politique. Mais cet
évitement du Parlement a entraîné un déplacement du débat et
de l’expression des rapports de force de cette enceinte vers le
Conseil d’État. Ce déplacement a eu pour effet de contraindre les
initiateurs de la réforme de renoncer aux décrets initiaux pour
fonder finalement la réforme sur un décret «  simple 263  » censé
permettre un nouvel évitement, celui d’un rapport de force à
l’issue incertaine dans la « fabrique du droit » du Conseil d’État.
Le choix de tels dispositifs juridiques se révèle
particulièrement illustratif de la nouvelle place du juridique dans
les processus d’action publique et du statut du droit dans les
nouveaux modes de gouvernement. Il constituerait une
expression forte d’un processus d’instrumentalisation du
juridique au service d’un mode de gouvernement « managérial »
et, par conséquent, de ce qu’on a pu appeler une
managérialisation du droit. En référence à ses incertitudes de
territoire, l’État semble choisir une sorte de reconversion de
l’«  État-juriste  » à un «  État-manager  ». C’est une tentative de
«  transfiguration managériale de l’action publique et de son
droit 264  » qui s’observe alors. La primauté est accordée à
l’efficacité en référence aux objectifs fixés par le pouvoir exécutif,
à la performance plutôt qu’à la régularité et à la légalité des
interventions de l’État. Comme le dit un collègue canadien : « La
gouvernance contribue à une ouverture explicite de l’action
publique vers des marges nouvelles qui permettent de gouverner
“au-delà du droit” ou à la périphérie du droit 265.  » Cette
gouvernance contemporaine est inspirée par des «  présupposés
individualistes et consuméristes […] où les individus ne sont plus
que des usagers-consommateurs en quête de services publics 266 ».
Le « processus de rationalisation », tel qu’il est revendiqué par
le pouvoir exécutif, et la managérialisation du droit qu’il suppose,
paraissent ici parfaitement contradictoires avec la soumission à
une logique de démocratisation. Face aux incertitudes du
territoire de l’État, ce processus constitue au contraire une
tentative de restauration d’une forme de légalité en perpétuant de
façon renouvelée l’attribut de la distance. En fait, les usages du
droit au service de cette rationalisation revendiquée réduisent le
droit à un rôle d’instrument monopolisé et manipulé par le
pouvoir politique et détrôné de sa fonction de support du débat
démocratique par les options politiques qu’il transpose dans les
catégories qui lui sont propres. C’est la raison pour laquelle il est
possible d’affirmer que « la dimension purement technicienne et
managériale de la gouvernance semble avoir gommé les objectifs
de démocratisation de l’action publique 267 ». La poursuite de ces
objectifs apparaissait pourtant ici particulièrement légitime pour
une fonction comme celle de la justice renvoyant avec acuité à la
question du rapport que les citoyens sont en droit d’entretenir
avec elle.
Ainsi, la réforme de la carte judiciaire française intervenue
en 2008 constitue une sorte d’« expérience de laboratoire » pour
ce qui concerne la place possible du droit dans un nouveau
régime d’action publique. L’adoption d’un modèle « comptable »
et quasi mécaniste et bureaucratique pour la procédure des
juridictions à supprimer, l’étroitesse de la concertation préalable
à la décision, la stratégie de segmentation des annonces de
réforme visant à l’atomisation de la contestation, l’absence de
débat public, l’évitement de la représentation politique, un usage
instrumentalisé des ressources juridiques, apparaissent comme
autant de traits caractérisant effectivement la volonté d’imposer
un «  État-manager  » où le «  culte de l’efficacité  » est pratiqué
jusqu’«  au point de le vouloir indifférent le cas échéant à des
exigences de légalité considérées une fois pour toutes comme
contre-productives […] [où] on s’emploie à faire reculer la culture
juridique de la régularité, au bénéfice de la culture managériale
du résultat 268  ». En se référant de façon plus générale à la
managérialisation du droit, « en ne faisant plus de la légalité et de
la conformité au droit les sources uniques de la légitimité, une
telle situation ne pouvait que favoriser un mouvement de
déjuridicisation de l’action publique et entraîner nos dirigeants
dans le développement de démarches gestionnaires 269 ». Une telle
configuration de déjuridicisation, associée à la primauté accordée
à la gestion, explique qu’il puisse être considéré que « le modèle
de rationalité qui sous-tend l’analyse économique réfute toute
normativité au droit 270  », même si se manifeste, au sein d’un
courant comme celui du Law and Economics, la volonté de
restaurer la place du droit mais en important dans la sphère
juridique des préoccupations de rationalisation et d’efficacité qui
lui sont étrangères et menacent son statut.
Le cas de la réforme judiciaire française nous offre ainsi un
exemple fort de ce qui relie désormais les transformations de
l’action publique et celle de l’activité juridique ainsi que du statut
de celle-ci par rapport au politique. Comme cela a été souligné :
«  Derrière la quête de l’efficacité par laquelle le management se
définit lui-même, se profile la quête des fondements d’une
normativité 271.  » Cette nouvelle normativité est caractérisée,
paradoxalement, en fait, par un « évincement du droit 272 » et par
une «  dissociation progressive qui résulte de l’utilisation des
canaux officiels (lois/règlements) dans l’élaboration des politiques
publiques par rapport à la croissance d’un autre champ normatif
qui renvoie à la gestion technicienne et consumériste de l’État
administratif 273  ». Mais la mise en œuvre effective de cette
nouvelle normativité révèle qu’au-delà de cette relation entre
transformations de l’action publique et droit, se joue une autre
question relevant du registre proprement politique, apparemment
occulté dans le cadre d’un processus de «  technicisation  » et
«  d’euphémisation du politique 274  ». L’avènement d’une
«  gouvernance sans droit 275  », mise en œuvre par un «  État-
manager  », pose en effet la question des principes et du
fonctionnement de la démocratie, celle du déclin des finalités de
l’État indissociablement liée au processus de rationalisation dans
lequel son évolution s’inscrit  : «  Le changement de politique
publique trouve davantage sa source dans les recettes que dans
les grandes finalités 276. »
La tentative de surmonter les incertitudes de son territoire de
«  juridiction  » conduit l’État, paradoxalement, à se soumettre à
une reconversion de la première face du modèle de légalité duale,
celle d’un droit comme méta-Raison, mais en recourant à une
managérialisation qui ampute précisément de la «  Raison  » cet
attribut stratégique que constitue ici le droit, attribut qui en
faisait toute sa force  : symbolique et, par voie de conséquence,
réelle. En fait, cette reconversion aboutit à une double
amputation  : ne relevant finalement pas du droit comme
« Raison », elle ne contribue pas à promouvoir un droit connecté
à la société avec une implication citoyenne. Elle participe
exclusivement d’une logique gestionnaire et « managériale ». Une
recherche sur les personnes condamnées à une sanction en
milieu ouvert en France nous en fournira un ultime exemple. Ce
que révèle en effet cette recherche, c’est le souci de mettre en
place des procédures permettant de «  raccourcir les délais de
mise à exécution des peines, avec l’instauration d’un circuit
administratif rapide  » et la fluidification du trafic en cours
d’exécution, ce qui suppose l’adoption d’un suivi différencié des
condamnés par un ciblage de leurs profils «  de manière à fixer
mécaniquement le degré de contrôle requis  ». La poursuite d’un
tel objectif implique l’insistance mise «  sur les critères
psychologiques et comportementaux  » au détriment de
« l’insertion économique et sociale des personnes suivies », un tel
choix induisant que ces personnes sont « seules responsables de
leur sort 277 ».
Chapitre V
LES TEMPORALITÉS DU DROIT

À l’instar de l’intérêt qui peut être accordé au temps et aux


approches théoriques pour saisir le sens du politique, plus
largement des phénomènes sociaux 1, la question du temps est
une entrée à forte valeur heuristique quand on se penche sur le
droit. Elle permet en effet de confirmer l’existence des
représentations sociales antagonistes dont il fait l’objet et les
enjeux qu’il porte. Elle invite à approcher le droit, au même titre
que le politique, dans sa dimension historique, sans le cantonner
à « un moment donné » (a moment in time 2), pour saisir ainsi les
transformations auxquelles il est exposé dans ses confrontations
avec les temporalités sociales elles-mêmes inscrites dans des
évolutions culturelles, sociales et politiques. Les changements de
temps du droit deviennent alors des révélateurs de ses
changements de statut au sein des sociétés.
Par conséquent, la mise en relation de la question du temps
avec le droit ne vise pas ici l’objectif poursuivi abondamment par
la philosophie du droit et inspiré dans sa genèse par des
« conceptions unificatrices du temps comme catégorie a priori 3 »,
proche de l’idée de chronos  : “temps linéaire, objectivé et
mesurable de l’horloge [conçu comme] un cadre préalable,
standardisé, extérieur à l’activité humaine et qui s’impose à elle”,
“d’en haut” 4 ». Mon propre objectif est de tenter d’approfondir un
peu plus notre compréhension de la régulation juridique des
sociétés en la confrontant à la question du temps 5. Pour cela, le
temps que je choisis comme « entrée » n’est pas un temps conçu
de façon abstraite et universelle. Il est ici un temps construit
socialement, relatif en fonction des contextes historiques et en
fonction des contextes culturels. L’objectif est de comprendre
comment le droit est inscrit temporellement dans la vie sociale,
culturelle et politique des sociétés et comment ceux qui l’activent
participent à cette inscription. Logiquement, cette
compréhension ne peut que passer par une analyse des façons
dont cette inscription s’opère, de manière éventuellement
contradictoire ou même conflictuelle.

LA VARIABLE « TEMPS »

J’ai la conviction que la poursuite de mon objectif spécifique


de connaissance sur les formes de participation de l’économie de
la légalité à l’effervescence des sociétés, sur les formes réelles de
l’activité juridique en lien avec les transformations des sociétés
contemporaines, est rendue possible particulièrement avec cette
« entrée » par le temps après celle par le territoire. En effet, une
telle «  entrée  » favorise un positionnement qui paraît très
opportunément justifié pour ces approches du droit : situer dans
une perspective d’analyse en termes de construction sociale ce qui
se donne à voir comme doté d’une naturalité. Nous sommes
précisément dans un domaine où cette naturalité s’affirme avec
d’autant plus de force que celle du temps et celle du droit se
conjuguent et se renforcent mutuellement. Or je considère que les
analyses qui relativisent la notion de temps représentent un
instrument de dévoilement pertinent pour le travail de
connaissance auquel je tente de me livrer. L’entreprise de
subversion intellectuelle peut être ici d’autant plus entrepris qu’à
la normativité par essence du droit s’ajoute le constat que le
temps est lui-même un concept profondément normatif 6.
C’est donc dans la fidélité à cette intention de dévoilement que
j’adhère à cette considération suivant laquelle « le temps n’existe
pas 7  ». Le temps relève plus d’un acte humain légalement
consacré que d’une causalité physique 8. Dans cette perspective,
«  le temps est bien un fait social en même temps qu’une
construction sociale 9 ». Le temps n’existe que par les façons dont
les sociétés, les groupes et les institutions qui les composent, le
construisent pour en faire une «  convention  » accréditant ainsi
l’idée de l’existence de «  différences d’ordre social dans la
manière de ressentir le temps et de le mesurer 10  ». Faut-il
rappeler qu’Émile Durkheim dans les Formes élémentaires de la
vie religieuse 11 développe une conception du temps qui contredit
la perception d’Emmanuel Kant suivant laquelle le temps n’est en
rien un concept empirique fondé sur l’expérience ? De même avec
Marcel Mauss, il va renforcer cette conviction que «  des idées
aussi abstraites que celles de temps et d’espace sont, à chaque
moment de leur histoire, en rapport étroit avec l’organisation
sociale correspondante 12 ».
Le temps est donc bien en cela une institution sociale. Il est
alors logique que l’idée de temps en soi soit complétée par celle
de «  temps sociaux 13  » ou de temporalités au sens de «  formes
particulières que prend le temps 14  ». Le rapport avec le social
devient une évidence dans la mesure où celui-ci est inscrit dans le
temps, par les actions des institutions, des individus. Ces derniers
ont alors des vécus différentiels en référence au temps 15  : «  La
pratique n’est pas dans le temps […] elle fait le temps 16. » C’est en
référence à cette conception du temps que Norbert Elias, à partir
de la considération suivant laquelle le temps est précisément une
activité revenant à « faire du temps 17 », invitait « les membres des
sociétés hautement différenciées à comprendre leur propre
expérience du temps et ainsi à se comprendre eux-mêmes 18 ».
Si l’on admet que « le temps est une catégorie clé d’analyse du
monde social 19 », il convient effectivement de nous en saisir pour
rechercher le sens du droit et des interrelations existantes entre
temporalités sociales et temporalités juridiques, notamment à
travers les représentations sociales qui dévoilent ces dernières (ce
qu’on peut appeler les temporalités juridiques représentées), les
stratégies et les pratiques par lesquelles elles se manifestent et les
rapports de pouvoir qui les constituent (ce qu’on peut appeler les
temporalités juridiques situées). Dans le cadre d’un vaste
mouvement de nature culturelle lié à des transformations de la
structuration du social, le processus historique de rationalisation
des sociétés modernes apparaît comme le moteur de nouveaux
«  cadres sociaux de la temporalité 20  ». La question du temps va
devenir elle-même une question centrale dans ce processus. La
gestion du temps constitue un élément au cœur même du
processus, cela avec d’autant plus de force que la préservation des
valeurs communes s’impose de moins en moins comme une
exigence par rapport à ce qui devient prioritaire  : la poursuite
d’un objectif d’efficacité.
CONCEPTIONS DU TEMPS
ET REPRÉSENTATIONS « JURIDISTES »

Comme je l’ai déjà souligné à maintes reprises dans cet


ouvrage, le droit n’est pas un phénomène social ordinaire. Il est
doté d’une exceptionnalité dans la mesure où il a une fonction
essentielle dans la construction de l’ordre du monde. Cela
explique une propension de l’univers juridique à lier la question
du temps à une représentation du droit qui est celle de la
première face du modèle de légalité duale. Le droit comme
«  Raison  » est logiquement inscrit dans le temps que Fernand
Braudel appelait de «  la longue durée 21  », c’est-à-dire dans le
temps long de l’histoire, d’une histoire intemporelle et non dans
le temps court des passions humaines et de leurs aveuglements
au point de sombrer dans l’immédiateté. Dans cette
représentation de la première face du modèle de légalité duale,
«  tout ordre juridique est un défi au temps, un effort de
conservation de l’état social qu’il établit 22 ». Il est dans la nature
du droit, si l’on ose dire, de considérer que sa noblesse et sa
légitimité ne peuvent s’établir que dans un rapport au temps le
plus distinct possible du temps contingent, distinct aussi du
temps social immédiat. Pour entretenir son mythe, le droit « doit
sans cesse perpétuer la distinction entre droit et intérêts,
l’éphémère et le permanent, le politique et le sacré 23  ». Comme
l’énonçait l’une des grandes figures du droit civil français du
e
XX   siècle  : «  Il est de l’essence du droit de relier l’avenir au

passé 24 », rappelant ainsi que le droit doit être un « pont » entre
25
la possibilité issue du passé et la possibilité pour le futur ou,
comme le considérait un théoricien du droit, que « le droit vise à
ouvrir la meilleure voie pour un futur meilleur tout en préservant
une juste croyance dans le passé 26 ».
La volonté de maîtrise du futur peut alors être consacrée
jusqu’à considérer que «  la valeur fondamentale du droit est la
prospective  […]. Si le droit a un sens, c’est de nous offrir un
projet de société future et de contribuer, par les méthodes qui
sont les siennes, à le réaliser 27  ». Il s’agit bien de remplir la
« promesse » contenue dans « l’idée de droit ». C’est effectivement
cette «  promesse  » que suggère, le 9  août 1793, Cambacérès,
comme porteur de cette représentation linéaire du droit, si
présente depuis l’époque des Lumières, en soumettant son projet
de Code civil. Pour Cambacérès, ce projet « comme une éclatante
aurore est l’annonce d’un beau jour [avec des dispositifs
juridiques] porteurs des promesses de la liberté et du bonheur
pour le peuple 28  ». Nous sommes proches ici du «  temps
prométhéen  », représentation exaltée de la première face du
modèle de légalité duale, constituant un de ces temps juridiques,
un « temps conscient et volontariste », marqué par une « tension
vers l’avenir 29  ». Le statut exceptionnel du droit n’est ainsi pas
mieux révélé que par ce «  temps prométhéen  » ou encore ce
«  temps des fondations  » exaltant le pouvoir du droit. Ces
conceptions du temps renvoient «  à un événement fondateur du
pouvoir politique, tel qu’un mandat divin, une révolution ou un
contrat social 30  ». Une telle vision est somme toute conforme à
une représentation évolutionniste du temps propre au XIXe siècle.
Pour Émile Durkheim lui-même, le passé détermine le futur et le
sens de toute activité humaine dans le présent est fondé sur une
référence au passé laquelle détermine le futur 31.
Le droit doit aspirer à instituer le temps, à en maîtriser la
temporalisation en s’appuyant sur le passé, les traditions (« la loi
inscrite dans des traditions 32 »), pour imaginer le futur 33. Comme
le considéraient les auteurs du Code civil, « la perpétuité est dans
le vœu de la loi. Elle est l’essence même de la justice si l’on se
réfère à cette recommandation de Benjamin Constant : « Restez
fidèle à la justice, qui est de toutes les époques […] et confiez au
passé sa propre défense, à l’avenir son propre
accomplissement 34. »
De ce point de vue, la perception a  priori négative du social
dans la sphère de la production du droit comme dans ses mises
en œuvre s’explique probablement en partie parce que celui-ci
implique une temporalité contradictoire et, par là, menaçante par
rapport à cette représentation du droit conforme à la première
face du modèle de légalité duale. Comme le disait Georges
Ripert : « La direction des hommes exige un ensemble de règles
générales et permanentes 35.  » Suivant cette logique du
raisonnement, tous ceux qui mettent en valeur le changement ou,
plus simplement encore, le constatent, constituent une menace
pour un tel statut du droit dépendant d’une conception statique
de ce qui doit être. Ils contribuent ainsi à cette mythologie du
«  déclin du droit  », attribué par les défenseurs du droit
dogmatique «  identifié à un fixisme de droit naturel 36  », aux
tenants de l’évolutionnisme et du changement. Il faut alors
rappeler la diatribe adressée à la sociologie suggérant que celle-ci
était coupable d’observer la réalité et d’en rendre compte  : «  La
responsabilité [du déclin du droit] doit être imputée surtout aux
sociologues  » dans la mesure où ces derniers «  ont dénoncé le
statisme du droit pour défendre l’idée d’une évolution nécessaire.
Pour l’affirmer, ils ont éclairé ce qui change et caché ce qui
demeure 37  ». En fait, ici «  le droit est la formulation de l’ordre
social établi. En assurant la représentation d’un ordre futur, il est
la défense du présent, il s’impose implicitement à l’avenir 38 ».
La représentation d’un droit mythifié emprunte à celle de la
culture justifiant cette façon « de neutraliser l’idée de progrès et
le dynamisme de l’histoire, et d’affirmer [le bien-fondé d’une]
puissance extra-temporelle 39  ». Le temps du droit est
paradoxalement ici un temps «  détemporalisé  », et ainsi
conforme à l’idée de transcendance et en opposition au temps
profane. Cette représentation du temps du droit est en fait
conforme au « temps intemporel de la dogmatique juridique […]
destiné à suggérer la vérité permanente des principes évoqués et
les mettre ainsi à l’abri de tout contexte qui pourrait en relativiser
la portée 40  ». Nous sommes dans cet «  éterni-temps  » comme
temps religieux 41. «  La dogmatique […] s’attache à un objet
arrêté, figé dans l’instant de la positivité.  » La pensée juridique
serait porteuse d’une réticence à l’idée de changement pour deux
grandes raisons : « 1. la prodigieuse survie du droit romain dans
les sociétés occidentales, survie qui semblait venir de l’éternité
même de la raison  ; 2.  la force des doctrines du droit naturel,
avec tout ce qu’elles empruntent de pouvoir persuasif à la religion
ou à la métaphysique pour placer le droit hors du temps 42. »
Il est alors logique que soient dénoncés tout à la fois le
changement et ceux qui l’observent. Il en découle une ignorance
assumée des causes de ce changement, de cette « accélération du
temps  », celle-ci tellement perçue ici comme une menace. Une
telle représentation du droit est, par voie de conséquence, en
rupture avec la «  modernité capitaliste [où] tout ce qui avait
solidité et permanence était déjà en voie de dissolution et de
métamorphose  […]. Les principes d’augmentation de la
croissance et de l’accélération inhérente au système économique
capitaliste […] imprègnent la culture et déterminent la structure
de la totalité des formes d’existence et de société dans la
modernité 43  ». L’avènement de l’économie capitaliste et les
valeurs de l’économie ont progressivement envahi la sphère
politique et relativisé la place de l’État en même temps que sa
vision du temps long associée à l’exercice de son pouvoir qu’il
imposait 44. « L’économie capitaliste est prioritairement soucieuse
du présent ou du futur, pas de la longue durée du passé  […], le
capitalisme incite le peuple à devenir attentif aux satisfactions
immédiates ou aux attentes immédiates. Mais il n’y a pas de place
pour des considérations temporelles portant sur le passé qui est
considéré sans intérêt pour une existence réussie 45. » « L’examen
de l’ethos capitaliste […] révèle une transformation du rapport au
temps 46.  » Par exemple, Max Weber analyse «  l’impératif
catégorique de l’éthique protestante et de l’ethos capitaliste […]
de bannir systématiquement la perte de temps. » Émile Durkheim
associe le rythme trop élevé des transformations sociales et son
rapport avec l’anomie qui se répand dans les sociétés modernes.
Georg Simmel fait de «  l’expansion de l’économie monétaire
moderne à la fois la cause et l’expression de l’accélération
sociale 47 ».
Le caractère central de la permanence, de l’immobilité du
temps dirai-je, dans les représentations «  juridistes  » s’illustre
ainsi dans la force mise dans la dénonciation de tout ce qui la
menace, de ce qui en est le contraire. Le phénomène d’« inflation
législative  » est ainsi vilipendé car il est susceptible d’engendrer
une véritable «  insécurité juridique  »  : «  La loi n’a plus de nos
jours la signification qu’elle avait jadis. Ce n’est plus, dans
beaucoup de cas, cette maxime de conduite universelle qui était
solennellement proclamée à l’intention des générations
futures  […]  ; mais un simple procédé de gouvernement, une
façon pour l’État de donner ses ordres, dans le présent, à un
groupe plus ou moins étendu de sujets 48  », en pratiquant «  un
simple pilotage à vue [comme manifestation d’une] temporalité,
présentée comme programmée [mais qui se] ramènerait le plus
souvent à l’improvisation 49 ».
Dans toute la rhétorique sur le droit confrontée à la question
du temps dans le cadre des changements des sociétés modernes,
c’est bien l’idée de permanence qui domine. Il n’y a pas ici
d’alternative parce qu’il n’y a pas véritablement de représentation
affirmée de temporalités juridiques où serait assumée la vision
positive d’un droit connecté ou immergé dans le social. L’idée de
l’urgence, de l’immédiateté, de l’ajustement flexible au
changement, à la conjoncture est a priori disqualifiée car elle est,
pourrait-on dire, contre nature. Par exemple, toutes les formes de
mises en œuvre du droit conçues à partir des besoins exprimés
par les citoyens « ordinaires » du traitement d’un problème dans
l’immédiateté (les consultations juridiques, les «  boutiques de
droit  », etc.) sont exposés au préjugé «  juridiste  » de n’être pas
nobles.
Plus généralement, j’ai pu constater que la culture des juges
dans ses fondements, au même titre qu’elle peut être réticente à
l’idée de proximité, l’est à l’idée de soumission aux temporalités
«  ordinaires  » du social. En effet, à l’inverse de l’idée commune
suivant laquelle leur fonction de mise en œuvre du droit devrait
les inciter à préférer l’instantanéité, ils peuvent valoriser,
explicitement et fortement, envers et contre tout, la lenteur
comme une sorte d’attribut nécessaire d’une telle temporalité,
associé à la représentation qu’ils ont de ce que doit être
l’accomplissement noble de leur mission. C’est, par conséquent,
une temporalité faite de la lenteur de la pratique elle-même et de
l’adaptation de la justice au changement social qui est prônée.
Suivant cette logique, l’opinion récurrente et quasi universelle
formulée par les citoyens sur les rythmes de la justice, sa lenteur
figurant dans toutes les enquêtes comme l’un de ses principaux
défauts 50, c’est-à-dire la critique adressée par les justiciables aux
usages institutionnels du droit, n’est en aucun cas recevable. Il y a
là une revendication qui est incompatible avec une vision de
l’activité juridique dont Montesquieu avait fourni la justification
en considérant que «  les longueurs […] de la justice sont le prix
que chaque citoyen donne pour sa liberté […] [et que] dans les
États modérés, où la tête du moindre citoyen est considérable, on
ne lui ôte son honneur et ses biens qu’après un long examen 51 ».
Comme nous le dit en écho un haut magistrat : « Il semble qu’il
est propre à ce rythme d’être lent pour s’accorder à celui de
l’évolution 52. » Suivant cette vision du monde, il est alors légitime
de revendiquer une sorte d’intemporalité, de vanter les mérites du
statu quo, comme autant de vertus de sagesse propres à assurer le
respect à l’égard de la justice, propres à préserver sa
« grandeur 53 ».
À travers cet exemple des juges, il se confirme donc que ce qui
vient de la société et qui s’exprime à travers des aspirations à
d’autres temporalités juridiques ne peut en rien être reçu comme
une alternative assumée positivement. Cela est perçu comme une
contestation des temporalités juridiques consacrées et, par
conséquent, comme une menace pour la « Raison » du droit.
Cette représentation «  juridiste  » dominante du temps se
donne à voir dans les rapports de pouvoir entre spécialités
juridiques. Par exemple, la revendication contemporaine d’un
droit constitutionnel, quand ses locuteurs visent à l’énonciation
a-temporelle des «  bases sociales et philosophiques de la
communauté nationale  », participe d’une volonté d’imposer à la
société une expression juridique particulière d’une méta-Raison.
Mais, du même coup, l’objectif est, en jouant de la ressource
d’une temporalité hors du temps, de promouvoir au plus haut
dans l’échelle des valeurs des spécialités juridiques une branche
du droit qui a longtemps souffert d’être disqualifiée précisément
par les autres branches du droit au nom du fait qu’elle était
asservie aux temporalités politiciennes 54.
Suivant la même logique, dans la hiérarchie des valeurs
propres à la culture juridique, le droit social est moins « noble »
que le droit civil ou, dans les activités judiciaires, faire du social
c’est, dans une certaine culture de l’institution, abaisser le juge à
être une assistante sociale, dans l’urgence. Il ne s’agit pas
d’interpréter de telles perceptions, comme cela est fait
communément, en considérant que les professionnels du droit
auraient une propension «  naturelle  » à être plus réactionnaires
que les autres professionnels. Plus que dans d’autres domaines
juridiques, produire ou appliquer des règles sur le social, c’est
précisément se soumettre aux temporalités imposées par la
gestion de la contingence. Comme une simple illustration de cette
représentation des temporalités juridiques différentielles suivant
les matières juridiques, retenons ici cette réflexion d’un
magistrat  : «  Je fais aussi un peu de civil, surtout en matière de
filiation et d’adoption. Là, tout est différent. On met beaucoup
plus de temps à s’approprier, à comprendre un dossier parce que
là c’est vraiment du droit 55.  » Par conséquent, la perception
négative du social dans la sphère de la production du droit
comme dans ses mises en œuvre s’explique en partie au moins
parce que ce domaine impose une temporalité contradictoire et
par là menaçante par rapport à une conception majestueuse du
temps juridique au fondement d’une conception disons classique
de la culture juridique.
Pour les autres branches du droit qui fondent leur statut sur la
référence prioritaire au temps long, le droit social est ainsi
particulièrement illustratif d’une incompatibilité, je dirais par
essence, des temporalités juridiques par rapport aux temporalités
sociales. Au droit qui tient d’abord son statut et son pouvoir
d’ordonnancement de la société par sa vision du long terme, par
celle de sa permanence, le droit social est par trop inscrit dans un
contexte historique qui serait marqué par une « crise du temps »
où «  perdent […] de leur évidence les articulations du passé, du
présent et du futur 56  ». Ce qui peut être perçu ici comme une
menace à laquelle serait plus encore exposé le droit social, c’est la
disparition du «  régime d’historicité  » de la modernité et
l’avènement d’un autre régime marqué par le «  présentisme 57  ».
Celui-ci correspond à «  cette montée d’un présent omniprésent
[…] comme si le présent, celui du capitalisme financier, de la
révolution de l’information, de la globalisation, mais aussi de la
crise actuelle absorbait en lui les catégories (devenues plus ou
moins obsolètes) du passé et du futur 58  ». Dans ce régime, «  le
présent est devenu l’horizon. Sans futur et sans passé, il génère,
au jour le jour, le passé et le futur dont il a, jour après jour,
besoin et valorise l’immédiat  […]. [Finalement,] il n’y a plus ni
passé ni futur, ni temps historique 59  ». C’est ainsi un
«  écrasement du temps dans l’immédiat  » qui s’observe
entraînant un «  brouillage des temporalités 60  ». La tendance est
de se gérer dans l’instantané en se tournant vers un personnage
politique convoqué pour satisfaire l’exigence de traitement des
questions dans le court terme, dans «  l’urgence  ». Il reste au
gardien du droit «  noble  » à déplorer «  les passe-droits de
l’urgence 61  » ou à considérer que le droit s’expose
dangereusement à être « soluble » dans le social 62.
Ce bouleversement historique des temporalités sociales dont
le droit social est un miroir apparaît bien aux antipodes de ce qui
est au fondement des valeurs de la culture juridique, que ce
soient celles qui inspirent le droit romano-germanique ou la
common law (pour cette dernière avec la culture du
«  précédent 63  »). Par exemple, pour Portalis, prestigieux
rédacteur du Code civil de 1804 : « L’essentiel est d’imprimer aux
institutions nouvelles ce caractère de permanence et de stabilité
qui puisse leur garantir le droit de devenir anciennes. » Ce à quoi
est exposé le droit dans les représentations «  juridistes  » dont il
est paré, c’est bien au risque d’une « désynchronisation » face aux
changements économiques, sociaux et culturels et aux nouvelles
formes de la régulation politique  : «  Le discours politique,
l’économie, la science, la technique iraient trop vite pour
permettre une gestion politique et une régulation juridique des
changements sociaux. L’économie, la science et la technique
d’une part, le droit et la politique de l’autre auraient cessé de
“marcher du même pas” et se seraient donc désynchronisés 64.  »
Rien ne le montre mieux que l’inadéquation des «  outils
juridiques traditionnels  » face à la globalisation d’où résulte le
développement, que j’ai évoqué dans le chapitre précédent, de la
soft law, des procédures d’arbitrage ou de médiation ou encore le
déplacement du Législatif vers l’Exécutif y compris au niveau
supranational 65. L’obsession de la rapidité contribue à la
métamorphose déjà évoquée dans cet ouvrage d’un droit comme
référence à un droit comme simple instrument de gestion. Il s’agit
de réagir au plus vite « aux exigences de la situation », y compris
en inscrivant les usages du droit dans des «  stratégies de
bricolage 66  ». Le droit d’instituteur devient de plus en plus un
droit d’entérinement et l’autorité qu’il est censé porter est de plus
en plus absorbée dans cette «  modernité liquide  » dont parle
Zygmunt Bauman 67.
Ce choc des temporalités provoque effectivement des effets de
grande ampleur sur les représentations des acteurs de la sphère
juridique. La pression croissante des temporalités sociales sur les
temporalités juridiques est propre à nourrir ce pessimisme qui
apparaît comme une grande constante dans la rhétorique
juridique et qui s’exprime, comme nous l’avons déjà vu, en termes
de « déclin du droit » ou encore de « généralisation de l’insécurité
juridique  » provoquée par le fait de «  privilégier les intérêts du
présent 68 ».
Face à ces manifestations de ce que Jean-François Lyotard
qualifiait de «  postmodernité 69  », à ce qu’il considérait comme
« la fin des grands récits », ce qui est en jeu, c’est une exigence de
redéfinition de l’économie du juridique et de ses principes
fondateurs. Si l’on admet que «  notre société est à la fois mal à
l’aise avec le temps et mal à l’aise avec le sens 70 », quelle peut être
désormais la mission du droit dans la mesure où il a précisément
pour vocation d’inscrire le sens dans des textes  ? Ce que
perçoivent particulièrement les gardiens d’une orthodoxie
juridique, c’est le risque d’une destitution relative de la place que
le droit devrait occuper au même titre que les institutions
chargées de sa mise en œuvre dans la régulation des sociétés. La
diatribe d’une des figures françaises de la pensée juridique 71
témoigne éloquemment de cette perception d’une menace
grandissante sur le droit et son statut à l’égard du social et du
politique. Il est question de la «  désinstitution  » ou encore de
«  dé-Référence  » pour dénoncer une évolution qui menace la
« Raison » du droit et consacre la « dé-Raison des sociétés 72 ». Il y
a dans cette réaction la volonté de remettre de la permanence là
où l’accélération du temps du droit est perçue comme participant
de sa disqualification. On retrouve alors le leitmotiv d’une pensée
juridique pour laquelle le «  social  » constitue une menace pour
l’intégrité du droit, sa cohérence, ses principes fondateurs. Ceux
qui entretiennent le «  culte  » du «  Social  » pour en faire le
«  signifiant suprême  » sont les ennemis du droit. Il n’y a plus
alors, dans la filiation de Georges Ripert et pour revenir à cette
vitupération à laquelle je me suis déjà référé, qu’à dénoncer
«  l’envahissement du sociologisme  » auquel sont exposées
certaines facultés de droit, comme une manifestation exemplaire
d’un «  scientisme dé-structurant  », oublieux de «  la constitution
généalogique des sociétés  » et porteur d’une conception
«  managériale de la régulation étatique  », vecteur d’un
« Management généralisé 73 ».
Dans ce contexte de désenchantement, où pointe la menace
que la référence nostalgique à un passé mythifié ne constitue que
la seule justification de la volonté de le conserver farouchement
dans le présent et de l’imposer à tout prix dans l’avenir, il ne reste
qu’à faire le constat que la «  vitesse de circulation de la règle
s’accélère au point de lui faire perdre prise sur le corps social : les
textes se bousculent, sont abrogés ou modifiés avant d’avoir été
appliqués ». Même « l’ouverture du futur […] est liée à sa radicale
imprévisibilité  » et «  fait défaut un discours largement
mobilisateur qui pourrait tracer quelques perspectives
d’avenir 74  ». La conclusion s’impose alors pour la pensée
juridique  : «  Prométhée semble désormais condamné à
progresser à vue 75.  » Sous «  l’empire de l’éphémère  » comme le
clamait Hamlet : « Le temps est sorti de ses gonds 76. »
Le bouleversement de l’activité juridique comme
manifestation d’une remise en question de grande ampleur du
statut du droit en tant qu’instrument privilégié dans la régulation
des sociétés crée un malaise d’autant plus profond au sein du
monde juridique que la maîtrise perdue du temps du droit
signifie un affaiblissement de son pouvoir, entraînant
l’affaiblissement par rapport au pouvoir politique de ceux qui en
sont les gardiens. La «  Raison  » du droit et ce qu’elle porte de
temporalités, au-delà dirons-nous des temporalités ordinaires,
ancrées dans le passé, riche de la conscience vive de la
« constitution généalogique des sociétés », maîtresse de la gestion
du présent et en mesure de se projeter vers l’avenir, manifestait
son aspiration à être une science du politique, « la vraie science
du politique 77  », la seule qui puisse servir de «  référence à la
programmation historique d’un peuple 78 », qui a la capacité d’être
ainsi une méta-Raison. Elle ne serait plus, dans cet esprit, que
l’instrument gestionnaire d’un présent sans vision.
La conception sous-jacente d’une temporalité d’exception
constituait une nouvelle manifestation de cette ambition
consistant à n’être pas simplement le serviteur du politique mais
celui qui conçoit l’instrument juridique, sa rationalité propre, les
contraintes de la légalité, comme autant de garanties au service
de l’action politique et de sa légitimité. Comme nous l’avons déjà
vu, le « légiste » se défie du politique et des intérêts qu’il poursuit
ou auxquels il se soumet, de sa sensibilité particulière aux
temporalités sociales dont sa réussite ou même sa survie
dépendent. C’est en cela qu’il se pensait comme détenteur d’un
pouvoir spécifique par rapport au politique. L’imposition qui lui
est faite de nouvelles temporalités est logiquement perçue comme
une remise en cause de ce pouvoir.

LES TEMPORALITÉS
EXTRA-JURIDIQUES

L’aspiration à une neutralité par rapport à toute expression ou


revendication née du présent porte l’illusion que le droit pourrait
échapper à toute influence des valeurs existantes dans un
contexte historique donné, dans un temps donné, comme si ses
locuteurs avaient le pouvoir de se maintenir en état d’apesanteur
par rapport à la société à laquelle ils appartiennent. Prétendre
que le droit est en mesure d’ignorer le temps du présent, de
surmonter les « ravages du temps, c’est superbement ignorer que
le droit est “saturé de temporalités” 79  ». C’est ce que je voudrais
maintenant démontrer en confrontant successivement l’activité
juridique aux temporalités politiques, sociales, culturelles, liées
aux rapports sociaux.

Les temporalités politiques

La représentation dominante d’un droit rapporté à l’État en


France, telle qu’évoquée dans le chapitre précédent, explique que
la temporalité juridique ait pu avoir une relation quasi exclusive à
la temporalité imposée par l’État. Ce dernier a usé de sa
« position hégémonique » pour imposer sa propre représentation
du temps, sa propre «  interprétation politique du temps  »,
notamment celle du passé («  le pouvoir politique joue aussi du
passé 80  »). Il valorisait les conduites rationnelles et disciplinées
associées à l’individualisme, en même temps qu’il affaiblissait ou
relativisait les conceptions du temps religieux ou celles des
sociétés traditionnelles 81, cela dans le cadre d’un processus
historique au cours duquel les sociétés occidentales ont connu
une sécularisation où elles ont « perdu tout lien entre le droit et
les visions métaphysiques du monde qui ont pu l’englober 82 ».
Dans ce contexte, le droit et la justice ont constitué des
vecteurs d’une importance stratégique pour l’État dans la mesure
où les concepteurs « des États-nations modernes ont commencé à
réaliser que le contrôle des représentations du temps de la
population était non seulement une source de pouvoir mais l’un
des moyens les plus importants d’exercer le pouvoir 83 ». Comme le
dit Jean Chesneaux, «  la discipline du temps fait partie du
domaine régalien de l’État 84 » et l’État a de plus en plus établi son
influence sur l’économie du temps. Ce contrôle, cette « structure
des consciences », y compris de la « longue durée » devait passer
par l’usage des symboles, des valeurs et des représentations de
l’État par lui-même. Il revenait à l’école de socialiser à ces
représentations de la temporalité, à des conceptions spécifiques
de la périodicisation, à des interprétations politiques de la théorie
du progrès 85. Il revenait au droit non seulement de célébrer la
représentation du passage d’une situation sans État caractérisée
par l’anarchie à une situation d’ordre, mais aussi de la faire
respecter. Cette fonction de l’État comme ordonnateur du temps
s’incarne dans les différentes déclinaisons du droit (droit civil,
droit du travail, droit public…) avec parfois des articulations
entres ces déclinaisons. Ainsi, le contrat de travail de la
modernité classique (droit du travail) se décrit « en ayant recours
au lexique du mariage bourgeois (droit civil) visant par nature la
stabilité 86 ».
Il existe une «  pensée juridique  » portée par une élite dotée
d’un savoir spécifique, développant sa propre dynamique et
exerçant une influence « distincte de celles qu’exercent le pouvoir
politique et l’intérêt économique 87  ». Dans le cœur de cette
«  pensée juridique  » se trouve ce que j’ai qualifié de
représentation «  juridiste  » du temps liée effectivement à la
conception du pouvoir, déterminée en référence au pouvoir ou
modulée en fonction de la conception que certains courants de
cette pensée peuvent avoir des fonctions sociales et politiques du
droit à travers un certain rapport au temps. «  Tout pouvoir […]
cherche sa légitimité dans un rapport au temps […] distinct du
temps personnel et contingent, distinct aussi du temps social
immédiat 88. » Par conséquent, on ne peut manquer de penser que
la conception d’un temps qui institue, d’un temps que vise à
consacrer l’idée de pérennité en s’autonomisant par rapport aux
contingences des temporalités sociales, est bien inspirée par ce
qui est conçu comme l’exigence d’une méta-Raison au service de
l’exercice d’un pouvoir s’incarnant dans un «  droit politique  »
distinct d’un « droit technique » en mesure « d’absorber l’histoire
et de lire la société 89  ». Dans ce contexte, le légiste comme
« technicien de la rationalité », et en même temps « membre de
l’élite au pouvoir 90  », est susceptible d’être l’ordonnateur d’une
«  Raison  », la «  raison juridique  » qui est d’abord celle de l’élite
au pouvoir.
La revendication de ce rapport spécifique du droit au temps
comme expression ou comme résultante de l’exercice d’un
pouvoir s’illustre également dans ce «  jeu  » avec le temps, en
l’occurrence avec le passé, avec l’interprétation du passé. La mise
en place de « politique de réconciliation et de vérité 91 » dans des
pays qui ont connu une «  violence d’État  », l’inscription dans le
droit international d’un « droit à la vérité » (dont la source revient
aux revendications de familles de disparus en Argentine) 92, le
recours à « l’expérience du pardon politique 93 » particulièrement
significative d’une « navigation » dans les zones incertaines entre
la morale et le droit, sont autant de façons de manifester le
pouvoir de revenir sur le passé. Il en est de même pour celle de
«  mémoire  » qui inspire des mobilisations de la justice sous des
formes nouvelles, le principe de « l’imprescriptibilité » des crimes
de guerre, des crimes contre l’humanité ou le crime de génocide
ou, à l’inverse, celui de «  l’amnistie  ». Exercice d’un pouvoir qui
n’est pas sans rapports de pouvoir entre le droit et le politique.
C’est ce que montre, dans le cadre du développement de la
«  justice de transition  », la confrontation de temporalités s’y
manifestant entre le juridique marqué par l’idée de continuité et
le politique soucieux d’imposer l’immédiateté de la décision
politique par une «  chute dans le présent 94  ». La même
signification peut être attribuée à une «  politique de l’oubli  »,
prenant la forme d’une amnistie, et perçue notamment par les
victimes ou leurs proches comme une «  tentative [abusive] de
réécriture de l’histoire 95 ».
Avec ces actions, le politique a pu ainsi donner l’illusion qu’il
maîtrisait le bouleversement des temporalités mais ses actions se
donnent de plus en plus à voir comme une résultante
involontaire. Loin des perspectives des Lumières ou de celle de la
«  première modernité  » où «  l’histoire est vécue  » comme un
processus dynamique dirigé, susceptible d’être accéléré (ou
ralenti) pour provoquer des changements et maîtrisé en fonction
de finalités, « ce sont désormais des opérations à courte vue, au
gré de la situation immédiate, qui remplacent des visions
historiques ou des stratégies politiques à long terme. La politique
situative est donc le corrélat collectif de la forme de l’identité
situative de la modernité avancée 96 ». Ce qui a pu être qualifié de
«  marketing politique  » représente une illustration de cette
transformation d’un politique entraîné dans ces bouleversements
structurels (au niveau des comportements des individus, des
organisations, des forces économiques…) et culturels (au niveau
des représentations du temps). Le pouvoir politique, dans
l’impossibilité croissante d’assurer la poursuite de finalités en
obtenant l’adhésion des citoyens, se trouve dans l’obligation de
plus en plus fréquente de suivre l’actualité et de se soumettre à
des stratégies analogues à celles adoptées dans la sphère
marchande pour adapter, dans un temps qui est celui du court
terme, l’offre à la demande.
On observe ici à l’extrême une opposition de temporalités
entre le temps discontinu illustré par le rythme électoral et le
temps long du droit dont la prétention était d’être au fondement
d’un ordre méta-politique 97. Dans la réalité, la dépendance du
politique aux bouleversements des temporalités fait système avec
la dépendance des temporalités juridiques par rapport aux
nouvelles temporalités politiques. Dans le contexte historique
dans lequel nous nous trouvons, l’autonomie relative des
temporalités juridiques par rapport aux temporalités politiques
ne cesse de se réduire. Le «  légiste  » est instrumentalisé par le
politique qui lui impose de contribuer à répondre aux aléas de la
conjoncture, aux contingences de l’activité politicienne de telle
sorte que «  la loi [devient] moins une norme qu’un procédé de
gouvernement 98  ». C’est effectivement la pression des forces
partisanes, socio-économiques, culturelles, médiatiques qui sur-
détermine une temporalité politique laissant peu de place à
l’expression d’une volonté fondée sur la poursuite de finalités.
Dans ce contexte, le « légiste » devient le technicien d’une légalité
instrumentale ou instrumentalisée, mis au service d’un politique
qui ne peut plus fonctionner que dans la contingence. Il ne lui
reste plus qu’à déplorer ce droit « trop événementiel », à l’image
de d’Aguesseau  : «  En notre temps, où la législation paraît se
satisfaire d’être devenue purement mécaniste, de n’être plus
qu’un équilibre d’intérêts, une combinaison d’utilités et de
jouissances 99…  » Dans l’impossibilité croissante de contribuer à
l’inscription d’une normativité de principe dans l’action politique,
il ne reste plus au «  légiste  » qu’à mettre en œuvre une
normativité gestionnaire pour être ainsi en adéquation avec cette
nouvelle nature du politique 100 et à déplorer l’impossibilité
croissante de contribuer à énoncer des lois transcendantes
découlant d’une « vision monolithique du monde » pour devenir
le technicien de lois de compromis ouvertes à toutes les
appropriations 101.
Une telle évolution ne peut que modifier une perception du
temps du droit, comme nous l’avons déjà vu en opposition au
pluralisme normatif, très présente dans la tradition romano-
germanique, en termes binaires, c’est-à-dire où sont distingués le
moment où la loi institue et celui où elle est mise en œuvre et
dont on trouve la réplique dans les représentations de la justice, à
savoir le moment du jugement et celui où il s’applique. À cette
perception, il convient de substituer la vision d’un continuum.
L’influence des temporalités sociales et celle des temporalités
spécifiquement politiques impose effectivement l’idée d’un
processus continu. Le moment de la formulation de la loi est
indissociable de cette longue phase où elle va faire l’objet
d’appropriations multiples, successives, contradictoires pour,
finalement, faire de la production de la loi non pas une décision
ponctuelle inscrite dans un temps long, mais bien un processus
continu fait de réversibilités, d’adaptations, d’ajustements suivant
une logique procédurale. Au schéma classique d’une pyramide
avec des séquences hiérarchisées se substitue ainsi celui d’un
mouvement circulaire où l’économie de l’activité juridique
s’établit sur le mode d’un continuum avec des effets de feed back
réitérés sur ce moment initial : celui de l’édiction de la loi 102.
Nous sommes ainsi passés «  du modèle de l’écriture  » fondé
sur une temporalité linéaire, orientée et raisonnablement stable
(« historique ») à un modèle du « traitement de texte » supposant
cette fois «  une temporalité circulaire, réversible et résolument
instable 103 ». Ce que la loi dit et ce que les acteurs sociaux en font
s’inscrit dans une temporalité en œuvre où le juridique et le
politique sont indissociablement liés. Ils le sont d’autant plus que
la nature du juridique a elle-même changé. En effet, comme
l’illustre l’exemple des normes dites « à contenu variable », dans
son corps même, dans ce qui la constitue, la loi ouvre des
options, elle offre de plus en plus d’opportunités à des
interprétations différentielles. La loi institue moins qu’elle ne
devient le support malléable de logiques à l’œuvre, de
manifestations d’intérêts divergents, d’ordre social, économique
ou politique, dont ce qu’elle énonce porte déjà la marque comme
autant de virtualités d’appropriations différentielles. Ces
manifestations sont constantes, inscrites dans des temporalités
bousculant de façon incessante la temporalité à vocation longue
du juridique. Par conséquent, plutôt que de continuer à penser en
termes de séquences temporelles parfaitement identifiées et
successives, il convient bien de concevoir les temporalités
juridiques comme un continuum où se superposent en
permanence l’édiction d’une norme, ses interprétations par la
doctrine et ses appropriations multiples par les acteurs sociaux,
susceptibles de résulter de compromis constamment construits et
reconstruits dans une sorte de télescopage temporel produisant
une indifférenciation des séquences, l’effacement des bornes
temporelles. Dans ce contexte, «  la loi n’est plus un événement
mais un processus 104 ».
Si la représentation de la temporalité juridique classique
relevait d’une vision linéaire où le positionnement dans le présent
s’enracinait dans le passé pour se projeter dans l’avenir, c’était
dans le cadre d’un processus maîtrisé, ou qui aspirait à la
maîtrise. Cette conception au fondement d’une dogmatique
juridique conquérante est disqualifiée au profit d’un pragmatisme
subi. Cette mutation, si caractéristique des pays de tradition
romano-germanique, contribue certainement à les rapprocher
historiquement, mais involontairement, de l’économie de
l’activité juridique des pays de common law. Celle-ci est
caractérisée par la primauté des solutions jurisprudentielles qui
créent la norme et, par conséquent, par un régime d’activité
juridique où les temporalités politiques et sociales déterminent
des temporalités juridiques moins consacrées à assurer la
pérennité des textes contenus dans les livres qu’à répondre à des
situations nées de l’action dans un mouvement perpétuel des
sociétés.

Les temporalités sociales

Les temporalités juridiques sont confrontées à des


temporalités sociales exposées notamment au processus
d’individualisation. Les temporalités sociales sont faites de
l’expression des temps individuels découlant d’aspirations à des
réponses immédiates. L’expression de besoins ou de « droits » par
les individus n’est plus coordonnée avec ce qui caractérisait la
«  première modernité  »  : celle de la poursuite collective de
valeurs communes conformes aux ensembles sociaux auxquels
chaque individu appartenait. Il existe une « possibilité de choix et
du degré de contingence dans l’organisation par le sujet de sa
propre biographie 105  ». Chaque individu est inscrit dans un
mouvement d’«  augmentation du rythme d’obsolescence des
expériences et des attentes orientant l’action et comme un
raccourcissement des périodes susceptibles d’être définies
comme appartenant au présent  » sans que ce mouvement soit
désormais inspiré par des valeurs communes. Cette
«  compression  » du temps se manifeste suivant des rythmes
différents dans les différentes sphères du social jusqu’à provoquer
« des phénomènes de désynchronisation sociale accrue 106 ».
Dans ce contexte historique, les médias ont eux-mêmes un
rôle, si l’on ose dire, d’accélérateur dans la mesure où ils sont
précisément les vecteurs d’une vision du fonctionnement du
monde social et de l’action politique fondée sur l’immédiateté du
fait et une réactivité instantanée dans l’action. En effet, les
médias qui inscrivent leur pratique dans le temps que Fernand
Braudel considérait comme celui de l’événementiel relié au temps
rapide de la politique 107, ne manquent pas de rappeler que la
temporalité sur laquelle se fonde généralement l’activité de la
justice est bien trop lente. Elle constitue une anomalie ou un
anachronisme eu égard aux nouvelles temporalités sociales et à
« la temporalité même de la pratique journalistique [qui oblige] à
vivre et à penser au jour le jour et à valoriser une information en
fonction de son actualité […] inclinant à placer toute [cette]
pratique journalistique sous le signe de la vitesse (ou de la
précipitation) et du renouvellement permanent 108  ». «  Pour les
médias  […], la vérité doit se dévoiler, spectaculairement, si
possible en temps réel ; la pression de l’opinion publique, souvent
relayée par les médias (quand elle n’est pas provoquée par celles-
ci), est également un facteur de perte de sens du temps 109. »
Le décalage entre les temporalités de la justice et celle des
médias 110 se manifeste particulièrement dans le domaine pénal.
Pour ces derniers, l’incertitude sur les causes s’ajoutant à une
ignorance du coupable est incompatible avec une culture de
l’immédiateté. Au journaliste alors de prendre l’initiative de
réduire immédiatement par un travail d’«  instruction  » et de
« jugement » se substituant à ce qui revient au juge pour usurper
l’exercice de la fonction de justice et instituer l’espace des médias
comme espace de justice. Le choix est fait d’œuvrer au nom d’une
légitimité fondée sur l’usage de temporalités plus en adéquation
avec les nouvelles représentations de temps sociaux et les attentes
supposées du « public » en la matière.
Finalement, l’activité juridique dans ses différentes
déclinaisons est sur-déterminée par des facteurs dont la source
est dans des exigences formulées par la société, par certaines des
forces qui la composent, par des pouvoirs qui la régulent ou
tentent de la réguler.
En matière de droit civil, la question de la durée des
procédures n’est pas nouvelle et n’est pas propre à un pays ou à
des cultures juridiques spécifiques. Les derniers mots de l’Enfer
de Dante viennent ici spontanément à l’esprit : « Abandonne toute
espérance, toi qui entres ici 111. » « Durant les huit cents dernières
années, bien que des réformes aient été entreprises et des
mesures adoptées à la fois dans les juridictions relevant de la
tradition civiliste et dans les juridictions anglo-américaines pour
accélérer les procès civils, le problème reste entier
aujourd’hui 112. » Ce qui apparaît dans ce temps long de la justice
civile, c’est le fait que les autorités publiques ont fréquemment
été plus soucieuses de contrôler les coûts de cette justice que de
réduire les délais 113. Il reste que les juridictions concernées sont
toujours confrontées à l’exigence de satisfaire les demandes des
justiciables par des procédures permettant de répondre à cette
critique évoquée plus haut qui continue d’être adressée à la
justice : sa lenteur 114.
Ce qui est en jeu n’est d’ailleurs pas simplement le principe de
l’accès à la justice pour tous les citoyens mais celui du risque de
marginalisation de l’institution judiciaire elle-même malgré sa
tendance à vouloir préserver sa place ou sa volonté de s’inscrire
avantageusement dans le mouvement général de judiciarisation.
Son incapacité à ajuster les temporalités de ses interventions aux
temporalités sociales dans lesquelles s’inscrivent les justiciables
est en effet susceptible de favoriser des stratégies de «  sortie  »
(exit) pour reprendre le terme d’Albert Hirschman. De même, des
stratégies de contournement se manifestent notamment, dans
certains cas, par un effondrement des affaires soumises à la
justice civile et par le développement de modes de résolution
comme celles de la médiation, de l’arbitrage ou d’un acte
administratif. Ces formes de justice sont assurées dans des
espaces où la justice n’a éventuellement plus aucun contrôle dans
la mesure où leur gestion est sous la responsabilité de
professionnels du droit non magistrats, notamment des
administrateurs 115. Ce risque de marginalisation de la justice,
associé à une pression visant à « maintenir l’utilisation du temps
dans les systèmes judiciaires européens dans les limites du “délai
raisonnable”  », tel qu’énoncé à l’article  6-1 de la Convention
européenne des droits de l’homme, explique les mobilisations
dont elle fait alors l’objet. Le but est de rationaliser son
fonctionnement, en modifiant les règles de procédure, en
redéfinissant son organisation, en faisant pression par exemple
comme dans le contentieux du divorce sur les parties pour
permettre aux juridictions de statuer vite 116, en concevant une
spécialisation des juridictions 117, en recourant aux nouvelles
technologies (informatisation, audiences en visioconférence) 118
ou en s’imprégnant des principes du management comme le
montre la mise en place dans les juridictions civiles américaines
d’un «  système de production managériale du jugement  »
(managerial judging system 119).
En matière de droit social, c’est particulièrement un
changement de référentiel associé à l’imposition d’une logique de
rationalisation des coûts et des procédures qui impose une
gestion où l’urgence des traitements confond celle des situations
ainsi que celle inspirée par les principes du management. De la
remise en cause des systèmes de protection sociale et de la
relativisation des principes de solidarité et d’universalité qui
caractérisaient, comme nous l’avons vu dans le chapitre  IV, l’État
dit de « providence », découle la mise en place de procédures de
sélection des bénéficiaires de ce droit social, inspirées par des
modes de gestion empruntant au «  nouveau management
public » (new public management) dont un des traits marquants
est la gestion rationnelle du temps 120. De plus, comme nous
l’avons également souligné dans le chapitre précédent, le retrait
de l’État dans le traitement du social aboutit dans certains cas à
une situation paradoxale  : ce qui n’est plus traité par les
institutions sociales concernées et leurs agents est imposé à la
justice. Ainsi, celle-ci est confrontée sans y être adaptée 121 à
l’expression la plus aiguë de l’urgence sociale, par exemple en
matière de psychiatrisation (où elle devient un rouage
involontaire et inadéquat de la «  psychiatrisation du social 122  »)
ou de traitement de l’errance de populations désaffiliées 123. Rien
ainsi n’est peut-être plus illustratif de l’imposition des
temporalités sociales aux temporalités du droit que cet exemple
de la gestion du social par le droit. Il s’agit en effet d’un droit
dont les principes se nourrissent des leçons de l’histoire, qui a été
suscité par les injustices d’un présent et les réactions de révolte
que ces injustices ont provoquées, et dont les principes sont
inspirés par la volonté d’inscrire dans l’avenir un nouveau modèle
de société porteur de justice sociale. Par un renversement de
l’histoire, ce sont d’autres temporalités sociales qui s’imposent à
lui, marquées par la primauté de l’économique et de la rationalité
managériale, et témoignant de la substitution d’une normativité
gestionnaire à une normativité de référence (ce déplacement que
la pensée juridique déplore mais en se référant généralement au
droit civil, rarement sinon jamais au droit social).
La mise en œuvre du droit pénal paraît, elle, conjuguer de
façon exemplaire l’influence de plusieurs logiques. Le domaine
du pénal est chargé de la symbolique de la puissance publique, de
l’exercice des fonctions régaliennes. Or, comme le montre
l’évitement croissant de la justice des assises, cette justice « hors
du temps 124  », ce pouvoir ne peut plus se contenter de se
représenter en majesté par le biais de ses rituels, de la
monumentalité des lieux et des espaces dans lesquels il s’exerce.
Il est significatif que le rituel judiciaire, si lié à l’expression de la
souveraineté tout en étant toujours présent, paraisse de plus en
plus vidé de son sens 125. La lenteur qui en constituait une des
conditions est confrontée de plus en plus à l’exigence de célérité,
de réponse immédiate à l’urgence. Cette exigence est conforme à
cette tendance historique à la gestion rationnelle du temps
constitutive de son accélération. Mais elle s’affirme ici d’autant
plus que l’idéologie de la répression associée à celle de
l’insécurité, en écho aux émotions populaires réelles ou
provoquées, impose l’idée de réponses de plus en plus immédiates
à ce qui est catégorisé comme comportements délinquants. Par
exemple, il est significatif que la médiation pénale qui pourrait
être investie comme une voie novatrice par rapport aux formes
classiques du procès pour traiter des conflits est d’abord conçue
comme un moyen « d’accélérer la réaction sociale face à la petite
délinquance  », d’améliorer les «  performances  » du système
pénal 126. Il en est de même pour ce qui concerne toutes les autres
formes d’«  alternatives au procès  » considérées d’abord comme
un «  vecteur de l’accélération  » du traitement des affaires au
pénal 127. De même, une comparaison des évolutions de la justice
pénale en France et au Royaume-Uni montre que l’introduction
d’une rationalité gestionnaire observée dans ces deux pays
prenant la forme d’une «  inflexion managériale de la pénalité  »
participe d’un «  tournant idéologique punitif  » consécutif de la
« crise de l’idéal réhabilitatif de la pénologie Welfare 128 ».
Cette évolution se manifeste particulièrement avec ce qui est
qualifié de traitement «  en temps réel  » des affaires pénales.
Celui-ci s’est imposé dans de nombreux pays au cours des
dernières décennies 129. Il s’agit de promouvoir l’image d’une
justice symbolisant la «  manifestation immédiate d’une réaction
sociale  » sans que puisse être clairement distingué ce qui relève
du souci de fournir une représentation nouvelle de la justice
pénale dans un contexte transformé culturellement et
idéologiquement, ce qui peut être alors de l’ordre de
l’apparence 130, et ce qui répondrait dans la réalité à un plus grand
souci de justice. De ce point de vue, ce que j’ai rapporté dans le
chapitre  IV des observations portant sur la gestion en aval de
populations relevant du pénal, en l’occurrence de personnes
condamnées à une sanction en milieu ouvert 131, est illustratif plus
généralement d’une nouvelle approche de la justice où
prédominent les impératifs gestionnaires représentés par
l’exigence d’économie des moyens, de temps, de gestion des flux
et de prévisibilité des risques 132. Comme pour la gestion du
social, l’individualisation de la prise en charge conduit à
privilégier une économie en termes de maîtrise des risques
(risques de la récidive pour le pénal, risques de l’échec d’insertion
pour le social), de performance, de temps et, par voie de
conséquence, en termes de coûts. L’effacement des finalités se
fait au profit d’un intérêt porté aux moyens, la performance de
leurs usages devenant une valeur en soi. À cela s’ajoute la
substitution de la victime à l’accusé comme centre de
mobilisation du pénal d’où découle un souci de la réparation et
de l’indemnisation, de telle sorte que s’institue là aussi un
nouveau rapport au temps où, en se centrant sur l’acquittement
de la dette, « on liquide l’histoire 133 ».
Le choix de promouvoir, en matière pénale, l’approche
managériale s’illustre parfaitement à travers le cas du Tribunal
pénal international pour l’ex-Yougoslavie. En effet, cette
juridiction supranationale, particulièrement soucieuse d’accélérer
le traitement des affaires qui lui étaient soumises, a
progressivement adopté ce «  modèle de jugement managérial  »
(managerial judging model 134), auquel je me suis déjà référé, où,
précisément, les juges sont incités à devenir des « managers » du
procès pour en réduire la durée. L’évidence de ce nouveau
modèle managérial a eu pour conséquence de rendre secondaire
dans cette juridiction la question du choix et de l’hybridation
entre les deux grands modèles de justice pénale issus de cultures
et de traditions juridiques différentes (common law et droit
romano-germanique)  : la procédure accusatoire et la procédure
inquisitoire. Il est significatif, d’une part, que ce modèle
managérial ait été adopté précédemment dans la procédure civile
américaine, d’autre part que la procédure accusatoire soit
apparue potentiellement plus compatible avec cette mutation.
Toutes les conditions étaient réunies pour qu’il soit transposé
dans cette juridiction pénale internationale rendant, par voie de
conséquence, obsolète la question du choix et de l’hybridation
entre deux procédures. Désormais, la contrainte qui prévaut pour
tous les acteurs judiciaires sur toute autre considération
procédurale, quelle que soit la force des traditions dans lesquelles
celle-ci s’inscrit, c’est bien celle de réduire le temps du traitement.
Ce cas du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
prend tout son sens du point de vue d’une tendance lourde
concernant la justice pénale en général si l’on considère, par
exemple, la mise en place en France d’une véritable mise en
concurrence par le législateur des procédures (douze en
l’occurrence) par lesquelles sont traités les délits, cela comme un
des signes les plus forts de l’influence croissante de la pensée
libérale dont parlait Michel Foucault 135 et de cette
« marketisation » caractéristique du new public management 136.
Jusqu’ici, les mises en relation du temps et du droit m’ont
conduit à souligner combien les bouleversements du temps
aboutissaient principalement à remettre en question la première
face du modèle de légalité duale. Mais en se référant à la pluralité
des cultures et au poids des rapports sociaux, la seconde face du
modèle de légalité duale réapparaît au fondement d’une autre
économie possible des relations entre le temps et le droit.

Pluralité des cultures et rapports sociaux

Il convient de se défier d’une analyse en termes linéaires et


marquée par l’unicité. Comme nous l’avons déjà dit, le temps est
un enjeu de pouvoir et un marqueur d’appartenance culturelle et
sociale. Il l’est au sein d’une même société. Il l’est également entre
des sociétés ne relevant pas des mêmes cultures. Au sein des
sociétés dites de la «  seconde modernité  », peuvent ainsi
s’observer des rapports au temps dans l’usage du droit
comportant des variations. C’est ce que montre, par exemple, une
comparaison entre la Belgique et la France où l’accélération du
temps judiciaire est à moduler en fonction de différences dans la
structure de l’État et le statut des professions judiciaires 137. Mais
cette accélération du temps judiciaire peut aussi résulter de
mouvements opposés  : en matière pénale, l’accélération découle
de «  l’expression d’une politique pénale volontariste,
centralisatrice et qui s’appuie sur l’idée d’une homogénéisation
des réponses apportées par les tribunaux  ». En matière civile,
c’est un mouvement «  libéral  » qui s’impose et «  tend […] au
silence du droit et au retrait du juge, qui remet la gestion des
contentieux entre les mains des parties 138 ».
De même, il est possible d’observer au sein d’une même
société des survivances ou des réactivations de temporalités
traditionnelles ou religieuses. Celles-ci ont résisté à l’imposition
étatique de la «  longue durée  ». Elles se sont confrontées à la
vision propre à l’avènement de l’économie capitaliste. Elles ont
résisté à « l’accélération du temps » caractéristique des évolutions
actuelles. Par conséquent, elles suggérent des formes différentes
de régulation que celles consacrées dans les représentations
dominantes du droit occidental.
Si l’on se situe au niveau de sociétés différentes au plan
culturel, confirmant que la conscience du temps s’établit «  en
fonction des structures sociales et des modèles culturels  »  : à la
conscience du temps linéaire des sociétés occidentales s’oppose
une conscience du temps cyclique des sociétés traditionnelles 139.
Une abondante littérature anthropologique souligne ainsi les
différences de construction du temps suivant les cultures. À
l’inverse de la conception occidentale du temps en termes
linéaires, comme condition d’avènement du capitalisme, telle
qu’elle est par exemple soulignée par Anthony Giddens, dans les
sociétés traditionnelles, «  l’expérience du temps prend deux
formes essentielles  : “maintenant” et “pas maintenant” 140  ». De
même, on observe une variation des valeurs du temps suivant les
périodes de l’année chez les Nouer du Soudan méridional comme
le démontre Ambrose Evans-Pritchard, une « détemporalisation »
du concept de temps dans la société balinaise étudiée par Clifford
Geertz, l’absence du temps dans la «  pensée sauvage  » analysée
par Claude Lévi-Strauss ou encore « l’effacement du temps » chez
les Aborigènes d’Australie 141.
Une magistrale étude de la société kabyle permet également à
Pierre Bourdieu de spécifier les rapports au temps, « la structure
de la conscience temporelle 142  », en relation avec une économie
traditionnelle et de démontrer ainsi que « le fonctionnement d’un
système économique suppose l’existence d’un système déterminé
d’attitudes à l’égard du monde et à l’égard du temps 143  ». Il y
souligne que « les comportements observés [dans cette économie
traditionnelle] ne se laissent comprendre qu’en référence à la
structure historico-culturelle de la conscience temporelle 144 ». En
observant ces rapports entre structures temporelles et structures
économiques, il met également en valeur, au sein d’une même
société, la confrontation de temporalités issues de deux cultures
irréductibles l’une à l’autre : celles d’une économie précapitaliste
étrangère à une «  représentation du futur  » où le paysan kabyle
n’a pas « l’ambition de prendre prise sur le futur, mais […] de lui
offrir la moindre prise 145 », et celles imposées par le « processus
d’adaptation à l’économie capitaliste […] [où la nécessité]
d’assurer la prévisibilité et la calculabilité exige une disposition
déterminée à l’égard du temps et, plus précisément, à l’égard de
l’avenir 146 ». La prévoyance se substitue alors à la prévision.
C’est à la même confrontation de temporalités qu’est
consacrée une étude des oppositions se cristallisant autour du
temps dans une communauté rurale de l’Illinois aux États-Unis
composée d’habitants vivant de l’agriculture et du petit
commerce. L’installation d’une entreprise multinationale entraîne
l’arrivée d’une nouvelle population fortement mobile, diverse
ethniquement et dont les relations ont un caractère atomisé,
anonyme et impersonnel se traduisant par un affaiblissement du
sens de la communauté 147. La confrontation des cultures a
notamment pour support des représentations du temps  : itératif
dans un cas, linéaire dans l’autre, associées à des rapports
différentiels au droit. Les conceptions du temps liées à des
attentes à l’égard du droit sont constitutives du sens que les
membres de la communauté concernée donnent au monde dans
lequel ils évoluent. Ils sont défenseurs d’une culture où les
rapports commerciaux, ou les différends dans les relations
sociales, doivent se régler sur des modes contractuels informels
au risque sinon d’être exposés à des formes de stigmatisation et
de rejet par la communauté. Ils sont a priori hostiles à un droit
perçu comme le vecteur d’un changement social qu’ils récusent.
Pourtant, les habitants anciens attendent néanmoins de ce droit
et des tribunaux qu’ils préservent la perpétuation de l’existant au
lieu du changement. Ils défendent ainsi les valeurs traditionnelles
au fondement de leur communauté. Le fait que le droit et les
tribunaux n’assument pas cette mission symbolise pour ces
habitants une rupture fondamentale avec l’ordre moral et culturel
de leur société 148.
Ce qui vaut ainsi à l’intérieur d’une même société vaut
a  fortiori entre les sociétés occidentales et les autres sociétés.
Ainsi, «  l’articulation passé-présent-futur est […] fort variable
d’une société à l’autre 149  ». Nous retrouvons ici ce clivage déjà
observé à propos de l’espace (voir le chapitre précédent). Chez
Emmanuel Kant, la notion d’«  espace-temps  » est présentée
comme naturelle, comme catégorie a priori. Comme nous l’avons
vu précédemment, Émile Durkheim a démontré ensuite que si les
catégories d’espace et de temps devaient être associées, il
convenait de les considérer comme des constructions sociales 150.
C’est dans cette perspective qu’il importe de souscrire à l’idée
suivant laquelle « les sociétés humaines se déploient à la fois dans
le champ spatial et dans le champ temporel 151  ». Il est donc
possible de reconnaître la pertinence du projet d’une «  matrice
espace-temps  » (Space Time Matrix 152) et d’adhérer à cette
affirmation  : «  Qui veut parler du temps doit aussi parler de
l’espace 153.  » Dans ce cadre, l’élargissement de l’espace des
échanges favorise une « compression spatio-temporelle 154  » et la
diffusion d’une perception d’une temporalité immédiate 155, la
centration sur un temps dans le présent 156.
Il reste que les espaces sont investis suivant des valeurs
différentes entre le monde occidental et les « autres mondes ». Le
temps y a un statut radicalement différent et il est possible de
parler de « temporalité duale » malgré l’avènement d’un « temps
mondialisé 157  ». Par exemple, il peut être estimé que «  la plus
fondamentale caractéristique de la conception occidentale de la
rationalité est que, d’une part, le présent y est contracté et,
d’autre part, le futur y est distendu 158  ». En référence à une
relation où la question du droit est indissociablement présente,
notamment dans la première face du modèle de légalité duale, la
conception linéaire du temps, du passé au présent, est
profondément inscrite historiquement (l’influence du
christianisme en Europe et la notion de Kairos, rupture
parousique du temps) et culturellement dans le monde
occidental. Le droit, quelle que soit la tradition dont il est issu,
romano-germanique ou de common law, tout en se référant au
passé, est supposé être le vecteur de l’idée, certes maîtrisée
comme nous l’avons vu plus haut, de mouvement, de changement
et de progrès, cela de façon parfaitement contradictoire avec les
valeurs portées par d’autres sociétés 159.
Là encore, il s’agit de se déprendre d’une vision monolithique,
marquée par l’idée d’unicité du droit dans son rapport au temps,
et d’admettre l’idée que chaque société construit un «  temps
dominant  » et que l’histoire elle-même apparaît comme une
succession de temps dominants 160. Par exemple, inspirée par la
volonté de faire reconnaître les vertus d’une modernité comme
fondement d’un nouvel idéal démocratique, tout en se
démarquant d’une simple importation du modèle occidental
(«  construire une autre société ne revient pas à transposer la
société de l’autre 161 »), une réflexion récente sur le droit dans les
pays arabes souligne la perpétuation d’un droit associé à la
religion (pour certains  : d’une véritable resacralisation de la
norme juridique 162) et, par conséquent, rapporté exclusivement à
un «  passé sans histoire  » puisqu’il ne saurait être revisité eu
égard à son origine sacrée, puisqu’il ne saurait échapper à
« l’éternelle répétition du dogme fondateur 163 », ce qui justifie une
« normativité immuable 164 ». Ce que porte comme intention une
telle réflexion et ce qu’elle suggère, c’est l’appropriation, sans
emprunt, de temporalités différentes, conçues comme des voies
nouvelles empruntant aux deux faces du modèle de légalité duale.
Dans cette perspective, la référence au passé restitué par l’histoire
n’interdirait pas, là aussi mais autrement, de considérer le
présent pour considérer le futur. Ce futur impliquerait en
l’occurrence une dissociation des « instances de régulation », du
religieux et du politique, du droit et de la religion, préalable à la
possibilité d’exercice par le droit d’un volontarisme consacrant un
modèle démocratique fondé sur un principe d’égalité, notamment
d’égalité entre les hommes et les femmes 165.
Le droit est ainsi investi d’une force particulière parce qu’il
caractérise en les spécifiant les cultures à travers la
représentation des temporalités qu’il maîtrise 166. Et cette maîtrise
des temporalités s’exprime dans le pouvoir qu’elle confère
précisément au droit. Par exemple  : «  Le temps du droit
international était en réalité celui des sociétés occidentales
disposant d’une forte cohérence interne et politiquement et
culturellement dominantes 167.  » Il est l’expression d’une
« régulation gouvernée par les forces en présence et au profit des
plus puissantes d’entre elles, antithèse d’un droit partagé 168 ». Le
droit international est ainsi fortement exposé à l’influence d’une
conception occidentalo-centrique du temps.
Cette association fonctionnelle entre le droit, la culture et les
temporalités a-t-elle un équivalent dans les rapports sociaux au
sein d’une même société  ? L’enjeu est bien ici de savoir si la
question du droit peut être partie prenante d’une «  théorie
critique de l’accélération » comme critique de l’aliénation dont le
temps est devenu le vecteur dans les sociétés de la «  seconde
modernité 169  ». L’enjeu est aussi de se démarquer de la vision
désenchantée d’une pensée juridique seulement inspirée par la
première face du modèle de légalité duale, celle du droit comme
« Raison ». Comme on l’a vu, il ne s’agit là que de déplorer ce qui
aurait été un « âge d’or » du droit dont la disparition est associée
à la « crise de la culture » dont parlait Hannah Arendt 170, « c’est-
à-dire la panne de l’historicité, ou encore l’incapacité de relier le
passé et le futur dans un présent signifiant 171  ». Or cette
conception, marquée par la nostalgie, suggère une « Raison » du
droit «  universelle  » et fait, par conséquent, l’économie de ce
qu’elle pouvait porter comme vision inégalitaire du monde.
Il existe un constat «  déterministe  », «  pessimiste  » ou
«  démoralisant  » d’une évolution inéluctable de «  l’accélération
du temps  ». De ce constat semble découler, au moins
implicitement, l’impossibilité de remise en cause de
l’organisation du monde social. À l’inverse, si l’on admet la
possibilité «  de s’opposer aux tendances immanentes de l’ordre
social 172 », l’enjeu devient celui de la capacité des forces sociales
et politiques au sein de la société à solliciter le droit pour tenter
de « contrecarrer l’hégémonie du temps technico-capitaliste 173 ».
La seconde face du modèle de légalité duale est alors au
fondement d’une tentative de se ressaisir du droit pour l’investir
au service de mouvements et de réformes politiques promouvant
un autre temps « qui ne soit ni de la mesure, ni de l’argent, ni de
la vitesse, ni de la modernité [et qui soit porteur d’une] autre
configuration des temporalités 174 ». Partant du constat du déclin
de la mémoire, Maurice Halbwachs liait ce constat «  à la
diffusion universelle du capitalisme et de la rationalité
technicienne entraînant l’alignement progressif de toutes les
sphères de la vie sociale sur la sphère productive 175 ».
Ce qui est en jeu ici, c’est la possibilité d’avènement d’une
autre conception du fonctionnement du monde social non plus
inspirée par une vision homogène mais par celle, comme
l’affirmait déjà Émile Durkheim, d’une pluralité, d’une diversité
des conditions. C’est ce que révèlent, dans le prolongement des
analyses soulignant la spécificité des temporalités suivant les
classes sociales 176, les temporalités propres à l’univers des
pauvres. Dans celui-ci, en référence aux considérations sur le
temps de Paul Ricœur, «  c’est toujours la préoccupation qui
détermine le sens du temps 177 ». Il existe ainsi une « temporalité
spécifique au monde de la pauvreté », non reconnue, non prise en
compte «  dans la relation d’assistance  » de telle sorte que leur
sort est d’abord celui d’un « temps subi » : soit trop long, soit trop
court 178, d’un temps désajusté par rapport au temps public parce
que «  le marginal n’est pas à la périphérie spatiale mais il vit
littéralement dans un autre temps 179  ». Dans le cadre de ce qui
peut devenir un véritable conflit entre des «  régimes de
temporalités  », fondé sur une incompréhension irréductible, il
existe une propension des autorités publiques à se livrer à des
interprétations de « l’urgence sociale » faisant fi du respect d’une
« temporalité différente de la temporalité institutionnelle », d’un
«  rythme de la personne  » qui constitue pourtant la condition
permettant un accès effectif aux droits sociaux notamment pour
les personnes parmi « les plus désocialisées 180 ».
Plus globalement, l’enjeu est bien ici celui de l’acquisition de
ce que j’appellerai un sens de l’altérité permettant d’accéder à la
compréhension de la temporalité de l’Autre, et, par voie de
conséquence, à «  une juridicité propre 181  », si proche de la
seconde face du modèle de légalité duale, celle précisément d’un
droit connecté au social. Ce qui est visé est de pouvoir
éventuellement mieux prendre en compte les désarrois et les
souffrances de l’Autre en sollicitant un droit moins inspiré par les
certitudes de la culture d’où il est issu et plus par une sensibilité à
la culture de celui qui en est le destinataire et aux situations qu’il
subit. Pratiquer l’altérité c’est ici s’identifier à ces hommes
kabyles dont parle Pierre Bourdieu. Ces hommes sont encore
inscrits dans une représentation du temps de l’économie
précapitaliste. Il ne leur reste plus, exposés qu’ils sont «  au
désarroi et à la désorganisation des représentations du temps  »
que provoque pour eux l’expérience nouvelle du chômage et de
l’emploi intermittent, qu’à devenir des «  hommes sans avenir  ».
Pour eux, «  le temps semble s’anéantir  » pour ne laisser place
qu’à «  l’espérance magique [qui] est la visée de l’avenir propre à
ceux qui n’ont pas d’avenir 182 ».
À l’instar d’un droit qui romprait avec une vision unifiante,
homogénéisante du social et prétendrait à nouveau l’instituer en
le reconnaissant dans sa complexité et sa diversité, il s’agit aussi
plus généralement de concevoir la possibilité d’un droit porteur
d’un nouveau volontarisme où le temps, de contrainte de plus en
plus pesante, devient le vecteur d’une autre conception de la vie
sociale. Dans ce droit, la pluralité et les éventuels rapports de
force entre des temporalités imposées, vécues ou perçues sont
pris en compte.
C’est ce que montre cette autre configuration des temporalités
dévoilée par une recherche sur la mise en œuvre d’une loi visant à
réduire la durée légale du travail 183. Il y est souligné que des
«  consciences du temps  » diversifiées sont révélatrices de
«  consciences du droit  » différentes sinon opposées chez les
acteurs sociaux concernés. Il y est démontré à l’évidence que cette
indissociabilité entre perception du temps et droit se manifeste
par des appropriations différentielles. Celles-ci se font en
fonction notamment des ressources personnelles et collectives,
des contraintes, de la distribution du pouvoir, des dispositifs de la
loi concernant ce que celle-ci permet désormais a  priori en
matière de gestion du temps. Une telle réflexion s’inscrit bien
dans le prolongement d’analyses mettant l’accent sur le fait que le
contrôle du temps est une manifestation de contrôle social. Il est
une expression d’une disciplinarisation des comportements
intégrant les structures temporelles, de ce « biopouvoir » exploré
par Michel Foucault. Il constitue en même temps un enjeu et
peut donc faire l’objet de rapports de force autour ce qui en est
l’instrument, en l’occurrence le droit comme régulateur du temps.
Les acteurs sociaux manifestent leur désarroi face à l’imposition
de « registres de temporalités » « hétéronomes, gestionnaires ou
sécuritaires  », comme dans le domaine d’application du droit
social 184 ou, à l’opposé, développent des stratégies faites de
résistance ou de revendication, comme le montre à l’évidence
l’histoire du droit du travail 185.
Ce qui est suggéré ici, c’est un volontarisme s’exprimant
éventuellement dans le cadre d’un rapport de force, fondé sur une
conscience vive des enjeux et suivant la vision assumée d’une
« chronopolitique » où les rapports au temps portent des enjeux
de pouvoir et par conséquent de domination. Un exemple parmi
beaucoup d’autres possibles de ce volontarisme peut être
représenté par ces revendications portées par les mouvements
féministes et relayées par des organismes comme l’OCDE en vue
de redéfinir dans le droit la répartition des temps entre l’univers
du travail et celui de la vie privée, tant pour les hommes que pour
les femmes.
Le droit lui-même, plutôt que de n’être qu’inscrit passivement
comme instrument d’une conception occidentale du temps sur-
déterminé par l’économique et une certaine vision du monde
social, est alors aussi en mesure de devenir un droit du temps
participant d’un «  gouvernement des temps  » associant la
question des temporalités sociales et celle des principes
démocratiques 186. Ce droit tire éventuellement parti des vertus
des autres cultures et de la diversité des mondes sociaux. De
façon conforme à la seconde face du modèle de légalité duale, le
pluralisme juridique se nourrit ici d’un pluralisme social et
culturel mieux assumé, ou est investi comme vecteur d’une
nouvelle modernité indissociable d’un projet démocratique fondé
sur l’instauration d’une véritable égalité 187. Plutôt que le temps
des certitudes prométhéennes, dont le droit aspire si fort à être le
vecteur, il faut alors plutôt penser un temps de la « crise », celle
qui «  introduit dans la durée une rupture [et] met en suspens
l’ordre ordinaire des successions et l’expérience ordinaire du
temps comme présence à un avenir déjà présent  […], [celle qui
permet] le moment critique, où, en rupture avec l’expérience
ordinaire du temps comme simple reconduction du passé, ou
d’un avenir inscrit dans le passé, tout devient possible (du moins
en apparence), où les futurs paraissent vraiment contingents, les
avenirs réellement indéterminés, l’instant vraiment instantané,
suspendu, sans suite prévisible ou prescrite 188 ».
Repenser ainsi le temps, c’est bien s’obliger à repenser le droit
en référence au modèle de légalité duale en n’oubliant pas que la
première face du droit comme «  Raison  » ne cesse de coexister
avec la seconde face du droit connecté au social. Construire une
« culture démocratique du temps 189 », concevoir le temps comme
«  enjeu démocratique 190  » revient, de façon indissociable, à
construire une culture démocratique du droit. Dans cette
perspective, le droit devient un vecteur d’une autonomisation du
temps social, du «  temps citoyen  » par rapport au «  temps
économique » et au « temps étatique 191 ». Il favorise l’« insertion
des citoyens dans le temps 192 » en s’attachant à la pluralité de ses
conditions sociales, économiques et culturelles. Les formes de sa
production rompent avec l’alignement de la temporalité juridique
sur une temporalité politique intermittente (celle des moments
d’élection) pour réunir les conditions d’une temporalité juridique
en continu (celle où les citoyens sont associés à la conception des
normes régissant la vie en société et au contrôle de leur mise en
œuvre). Ce qui s’impose alors, c’est une nouvelle approche de la
démocratie et de la vie civique où le droit n’est plus l’instrument
du «  temps paramètre  » ou du «  temps système  » dont les
citoyens subissent indistinctement la pression mais une ressource
pour la reconnaissance du « temps compagnon », celui conforme
à leurs aspirations collectives 193.
Mais une telle vision du fonctionnement du monde social,
dans lequel le temps est un enjeu susceptible d’être déterminé et
conquis par le droit, suppose que la possibilité d’une mobilisation
collective ne soit pas annihilée par un processus
d’individualisation, de consécration d’une « société singulariste »
faisant du temps une question propre à chaque individu,
établissant des «  expériences temporelles […] de plus en plus
diverses, hétérogènes et de moins en moins conditionnées par des
normes institutionnelles transcendantes 194  », jusqu’à faire
disparaître le temps comme une institution et instituer le droit
comme un simple moyen au service de chaque individu
particulier. La perspective d’une «  démocratie temporelle  »,
supposant l’accès de tous à des « temps choisis 195 », ne peut être
synonyme d’une atomisation d’un droit du temps. Là aussi, le
droit ne peut agir que s’il participe d’une œuvre collective. La
préservation du temps comme institution est la condition d’un
usage du droit comme instrument qui institue. Tout cela suppose
effectivement une projection du modèle de légalité duale dans
l’avenir.
TROISIÈME PARTIE

LES MUTATIONS
CONTEMPORAINES
DE LA LÉGALITÉ

Mais il s’en faut bien que le monde intelligent soit aussi


bien gouverné que le monde physique. Car, quoique celui-là
ait aussi des lois qui par leur nature sont invariables, il ne les
suit pas constamment comme le monde physique suit les
siennes. La raison en est que les êtres particuliers intelligents
sont bornés par leur nature, et par conséquent sujets à
l’erreur  ; et, d’un autre côté, il est de leur nature qu’ils
agissent par eux-mêmes. Ils ne suivent donc pas
constamment leurs lois primitives  ; et celles même qu’ils se
donnent, ils ne les suivent pas toujours 1.

Comme beaucoup de ses contemporains, Gurvitch a bien


vu que la modernisation des sociétés occidentales allait de
pair, dans le domaine du droit comme dans beaucoup
d’autres branches du savoir  […], avec l’affirmation d’une
forme de rationalité nouvelle  : positiviste, sécularisée, mise
au service de l’action instrumentale et de la transformation
technique du monde, monopolisée par des experts sans
communication significative avec les profanes. Gurvitch a
néanmoins refusé d’y voir une véritable mutation culturelle,
l’émergence d’un nouveau monde du droit en rupture
radicale avec l’ancien, l’avènement socio-politique d’une
juridicité technique  […]. Il a plutôt conçu sa sociologie
juridique comme l’entreprise scientifique qui montrerait que
le nouveau rationalisme positiviste, s’il détourne l’attention
des phénomènes juridiques dépourvus de visibilité formelle,
ne fait pas disparaître pour autant la réalité sociale profonde
et pleine du droit, une réalité qui reste ancrée dans les
expériences collectives de la justice, au cœur même de la vie
sociale 2.
Chapitre VI
L’ORDRE POLITIQUE

Les chapitres précédents ont été consacrés à démontrer


combien ce que j’ai appelé les représentations « juridistes », qui
sont des représentations du droit indissociables de visions du
monde, étaient confrontées à la fois aux logiques extra-juridiques
dans lesquelles sont inscrits les acteurs qui en sont les porteurs et
aux bouleversements des contextes dans lesquels le droit s’établit
et se déploie. Pour cette démonstration, j’ai fait le choix de
m’appuyer sur le cas des territoires et sur celui des temporalités.
Dans le présent chapitre, comme une suite logique de ce qui
précède et comme une cristallisation de ce qui s’y annonce, c’est
sur l’économie des relations entre l’activité juridique et le
politique que je propose de me pencher centralement. La
question du politique était sous-jacente à toutes ces déclinaisons
de l’activité juridique, à travers les représentations dont elle fait
l’objet, ce qu’en disent ses acteurs et ce qu’ils en font, ainsi que les
changements auxquels elle est confrontée. Ce que je souhaite
démontrer désormais, c’est que toutes ces déclinaisons de
l’activité juridique s’inscrivent dans un cadre général qui est celui
de l’ordre politique des sociétés : de façon active en référence à
un droit pensé ou dont on aspire à ce qu’il soit un élément
constitutif de cet ordre politique ; suivant une approche plus
déterministe en constatant que le destin du droit est dépendant
de nouvelles formes d’organisation politique notamment en
référence à la globalisation, à la place assignée au pouvoir
politique par rapport à d’autres pouvoirs.
Dans le cadre d’une telle approche où le droit peut être à la
fois un des vecteurs importants de la régulation politique des
sociétés et de ses transformations et seulement la résultante de
celles-ci, c’est bien en termes d’enjeux qu’il convient d’aborder la
question des avenirs possibles du droit. Mais comme par un effet
miroir auquel se prête exceptionnellement le droit, se pencher
ainsi sur les avenirs possibles de celui-ci, c’est se pencher sur les
avenirs possibles de l’ordre politique. Nous verrons ainsi dans le
chapitre VII qu’envisager, comme je le ferai à la fin de ce chapitre,
ce que pourrrait être un nouveau modèle de légalité, c’est en
même temps, dans la fidélité à la conviction que le droit nous dit
particulièrement ce que sont les sociétés et ce qu’elles deviennent,
suggérer ce que pourrait être un autre ordre politique. Cet ordre
politique prendrait acte du déficit du modèle démocratique actuel
pour concevoir les conditions de son dépassement où les
citoyens, pas seulement sujets mais acteurs du droit,
deviendraient aussi plus pleinement acteurs du politique. En
mettant explicitement en relation la question des devenirs du
droit avec celle des schémas possibles d’évolution de l’ordre
démocratique, il s’agit tout à la fois d’approfondir notre
démarche d’analyse consacrée aux régimes de normativité des
sociétés contemporaines. L’objectif est bien de s’interroger sur les
sens politiques du droit et de situer plus encore les enjeux que
celui-ci comporte ou qu’il révèle en étudiant le statut qu’on lui
assigne ou que ses acteurs aspirent à lui assigner dans un paysage
social, économique, culturel et politique en profonde
recomposition.
À chacun des grands modèles de la régulation politique des
sociétés correspond un régime de juridicité. C’est la raison pour
laquelle la crise de la démocratie représentative et les tentatives
d’y substituer une démocratie participative sont consubstantielles
d’une contestation de la légitimité de la loi issue d’un processus
top down et de la remise en question de la première face du
modèle de légalité duale  : celle du «  Droit  » comme «  Raison  ».
Comme nous l’avons vu  : l’avènement d’une «  société
singulariste », du souci de la particularité, de l’acceptation d’une
citoyenneté fragmentée et, par conséquent, de la pluralité des
mondes sociaux et culturels, la remise en question du monopole
d’une représentation du droit comme référence et la
revendication d’un droit comme ressource suggèrent une
conception de la légalité moins fondée sur l’idée d’unicité, de
monisme, que sur celle de pluralisme. L’aspiration à une
«  démocratie d’interaction  », la quête d’une «  légitimité
procédurale », la prise en compte du besoin de participation, de
sa revendication, influent ainsi sur les formes de production, de
mises en œuvre et d’usages du droit.
Mais ces transpositions dans le droit et la normativité des
sociétés contemporaines des incertitudes du politique ne
sauraient là aussi s’inscrire dans une évolution linéaire. J’ai fondé
mon approche du droit sur l’idée d’une tension. Dans un contexte
de crise de régulation des sociétés contemporaines, cette tension
s’observe à un double niveau : celui de ce modèle de légalité duale
que nous retrouvons mais avec des faces reconfigurées en
fonction des façons dont le droit est investi comme élément
constitutif de l’avenir des sociétés démocratiques  ; celui des
détournements, des effets pervers dont chacune de ces faces
reconfigurées du modèle de légalité duale peut faire l’objet
jusqu’à rompre avec une vision d’un avenir inéluctablement
enchanté.

LA CRISE
DE LA RÉGULATION POLITIQUE

La littérature de philosophie politique, comme celle sur


l’avènement de «  l’État postmoderne  », abonde de constats
portant sur la crise du modèle démocratique libéral. Ces constats
nous intéressent spécifiquement du point de vue des effets qu’ils
sont susceptibles d’avoir sur ce que j’ai appelé l’économie de la
légalité. Ces constats portent principalement sur :
—  la difficulté de concilier, de gérer la tension entre la
poursuite du « Bien Commun », l’existence d’un lien social et d’un
lien civique avec l’avènement d’un « individu démocratique ». Ce
qui s’affirme, c’est une souveraineté de l’individu, réticent à
l’égard de ce qu’on lui impose, de ce que la loi ou les institutions
visent à lui imposer, au point qu’il puisse être question du
«  déclin  » de ces dernières 1. Cet individu est par exemple
imprégné d’un fonctionnement des réseaux sociaux où «  les
relations horizontales et égalitaires prévalent sur les relations
verticales et hiérarchiques 2 » ;
—  la conviction de plus en plus largement partagée que la
légitimité du pouvoir émanant de la collectivité des citoyens elle-
même, du «  peuple  » lui-même, est dans les faits une fiction,
comme l’est devenu le « contrat social ». Corrélativement, l’image
du personnel politique est menacée à cause de la distance
croissante qu’il établit avec les besoins des citoyens qu’il est censé
représenter. Ses membres peuvent alors auto-déterminer leurs
comportements en fonction de stratégies découlant plus de
rapports de pouvoir et d’un rapport au pouvoir que de la
poursuite d’objectifs au service de l’intérêt général. La corruption
devient possible et la publicisation de celle-ci a fortement
contribué à renforcer une représentation disqualifiante du
politique, la défiance des citoyens à son égard. Cette distance
croissante prise par les citoyens à l’égard du politique est
constitutive de cette crise de la représentation, de la démocratie
représentative concomitante de l’avènement d’une «  société de
défiance 3 ». Si « représenter veut dire exécuter un mandat, agir à
la place d’une autre personne 4  », il existe un phénomène de
généralisation du doute quant à la réalité en acte d’une telle
définition. Il est alors possible de parler d’«  utopie de la
représentation », de même que « l’idée de délégation » peut être
remise en cause 5.
Ce qui est en jeu dans ces mutations du politique et des
représentations du politique, c’est la réalité même de sa
légitimité. Si l’on se réfère au modèle de domination légitime
« légale-rationnelle » de Max Weber, celui-ci est confronté « à la
fragmentation de la souveraineté et à la dispersion de l’autorité
politique 6  ». Cette érosion du monopole juridique de l’État
découle précisément de celle de la souveraineté étatique 7, de la
remise en cause d’une «  sujétion à des normes abstraites
(politiques, éthiques) caractéristiques de la domination légale  »
assurée par une représentation politique conçue comme
«  représentation libre 8  ». Les deux termes qualifiant ce modèle
sont ainsi fragilisés sinon en voie de disparition : l’ordre rationnel
était lié à l’existence d’un État fort et d’une bureaucratie
solidement établie, la monopolisation de la contrainte physique
par le droit étant indissociable de la rationalisation. La légalité
était au cœur du processus de légitimation d’un régime
politique 9, la conformité au droit étant le fondement même de la
légitimité politique dans le cadre d’une «  réciprocité
fonctionnelle » où il revenait à l’État d’assurer précisément cette
conformité y compris par la violence 10.
Les redéfinitions du politique nous invitent, non pas peut-être
à disqualifier ce modèle de domination légitime, mais à tenter de
le prolonger ou de le refondre 11. Pour cela, il convient d’examiner
« les autres modalités par lesquelles se construit concurremment
ou complémentairement la légitimité d’un pouvoir politique qui
ne se résume plus au seul État 12 ». Il importe d’étudier les voies
de recherche d’un nouveau modèle démocratique et du nouveau
modèle de légalité susceptible d’y être associé et qui «  traiterait
solidairement la question du pouvoir et la question des droits 13 ».
Face à ces incertitudes des régimes actuels de régulation
politique, notamment sous la double influence d’un effacement
relatif de l’État-nation et d’une autonomisation croissante de
l’individu par rapport aux cadres sociaux et politiques auxquels il
était soumis, fleurissent au niveau international de nouvelles
tentatives de définition de la démocratie. Celles-ci sont autant de
remises en cause de la démocratie représentative au regard de ses
limites ou de son obsolescence. Il est ainsi question de
l’avènement nécessaire d’une «  démocratie participative  » sans
qu’on sache toujours ce qui est de l’ordre de la réalité observée et
ce qui est de l’ordre des aspirations ou d’un procédé de l’ordre de
la rhétorique visant à restaurer la légitimité perdue des pouvoirs
politiques. Cette «  démocratie participative  », devenue
«  démocratie délibérative  », suggère effectivement l’implication
des citoyens dans les affaires de la Cité non plus à travers la
délégation qu’ils accordent à la représentation politique via
l’élection mais par une participation directe à la conception et à
la production des politiques publiques, notamment par la
création de forums conçus comme des espaces de délibération,
que ces politiques publiques se situent au niveau local, national
ou supranational 14. Les politiques publiques sont effectivement
«  de plus en plus liées à des procédures de consultation et de
participation susceptibles d’assurer une emprise spécifique des
assujettis et des citoyens sur l’action publique 15 ». Plus largement,
la légitimité du politique est conçue comme devant découler de
procédures effectives de discussion suivant cette «  éthique de la
discussion » de Jürgen Habermas suivant laquelle «  sont valides
strictement les normes d’action sur lesquelles toutes les
personnes susceptibles d’être concernées d’une façon ou d’une
autre pourraient se mettre d’accord en tant que participants à des
discussions rationnelles 16 ».
Si la démocratie représentative se conçoit d’abord en
référence au cadre national et à l’État, cette «  démocratie
participative » a pour référence une société civile qui, après avoir
été pensée en contrepoint de l’État, a désormais des contours ne
se limitant pas forcément au national. Cette société civile se
construit à la fois autour de modes traditionnels de structuration
comme les organisations syndicales ou les associations, mais
aussi de plus en plus dans le cadre de nouvelles formes de
mobilisations collectives, plus ou moins institutionnalisées (les
ONG représentant un modèle de structuration élaboré). Ces
dispositifs d’action sont portés par de nouveaux mouvements
sociaux agissant au niveau national ou international en vue de
lutter contre les inégalités de classes ou de sexe, pour la défense
des droits des travailleurs, celle des droits fondamentaux, pour la
reconnaissance des droits des minorités, pour l’environnement,
etc.
Cette implication croissante de la société civile n’est pas sans
ambiguïté. Elle peut être interprétée comme résultant d’une
conjonction ou d’un paradoxe entre l’affirmation de
l’individualité et le triomphe de « l’individualisme démocratique »
et son épanouissement dans des engagements collectifs. Elle est
faite ainsi d’une volonté propre des citoyens et des mouvements
collectifs dans lesquels ils inscrivent leur action de contester le
monopole exercé par le pouvoir politique institué dans la
conduite des affaires de la Cité suivant un éventail large d’options
possibles. Il peut s’agir de la contestation d’un ordre politique et
la volonté d’instauration d’un ordre politique autoréférentiel,
empruntant à l’autogestion et au modèle de la démocratie directe,
ou de la volonté de dissolution d’un ordre politique honni sans
néanmoins prétendre à gouverner à la place des gouvernants
contestés. À un degré moindre, les mobilisations citoyennes
peuvent être porteuses de protestations ou de contestations
d’orientations politiques spécifiques, de revendications, sans que
cela signifie une contestation de l’ordre politique lui-même. Elles
peuvent témoigner plus simplement encore d’un désir de
participation, d’une aspiration des citoyens à être associés à la
chose publique en étant consultés tout au long de processus
jusqu’à revendiquer un droit de contrôle sur la phase de mise en
œuvre. Enfin, ces mobilisations de la société civile peuvent être
suscitées, organisées par les instances politiques ou
administratives elles-mêmes, cette « démocratisation » de l’action
publique ne constituant alors qu’un nouveau mode de
gouvernement. Celui-ci prend la forme d’une «  gouvernance
participative  » ne visant qu’à suppléer aux incertitudes de la
démocratie représentative 17.
Les différentes définitions données de la «  désobéissance
civile » constituent une illustration des déclinaisons possibles de
ces implications de la société civile. Cette désobéissance civile
peut qualifier des actions circonscrites « à l’intérieur d’un régime
d’institutions politiques et légales considérées comme justes 18  ».
Elle peut correspondre à une volonté de transgression de la loi,
celle-ci étant « considérée comme illégitime au nom d’un principe
de justice supérieur 19 ».
L’avènement souhaité, imposé ou subi de la «  démocratie
participative  », les conditions dans lesquelles elle s’affirme
revêtent pour mon propos, du point de vue des relations entre
nos deux faces du modèle de légalité duale, plusieurs
significations importantes.
Elle participe d’abord d’une redéfinition de la  notion de
citoyenneté. Le point de référence pour évaluer cette redéfinition
de la citoyenneté est celui d’une conception universalisante où le
citoyen est un sujet membre de la communauté politique. Il
revient aux gouvernants qu’il a élus de défendre et de promouvoir
ses droits et de respecter en son nom les principes généraux de la
démocratie. Dans une nouvelle conception, le citoyen est supposé
exercer une citoyenneté active, se donner le droit d’intervenir
comme acteur dans la détermination des choix collectifs, porter
des causes en inscrivant son action dans celle de mouvements
sociaux jusqu’à avoir la légitimité de contester des orientations
qui lui paraissent opposées à ses intérêt ou à celle de sa
conception de l’intérêt général.
Cette nouvelle conception active de la citoyenneté est aussi
marquée par ce que nous appellerons sa fragmentation sur les
rapports entre gouvernance et participation. Elle se construit en
référence à la reconnaissance de la différenciation des groupes
composant la société (jusqu’à la concevoir comme une
« démocratie multinationale 20 »). C’est ce dont témoigne la prise
en compte du multiculturalisme dans les sociétés
contemporaines et, parmi certaines d’entre elles, les droits de
citoyens à part entière appartenant à des minorités ethniques. De
ce point de vue, la Charte des droits et libertés de la personne au
Québec adoptée en 1979 est tout à fait exemplaire. Il y est en effet
reconnu le droit aux «  personnes appartenant à des minorités
ethniques de maintenir et de faire progresser leur propre vie
culturelle avec les autres membres de leur groupe » (art. 43 de la
Charte) 21. Il s’agit bien d’une évolution vers «  l’institution de
citoyennetés différenciées 22 ». Il est intéressant ici d’observer que,
vue du monde anglophone ou de l’Amérique du Nord, cette
représentation plurielle de la citoyenneté est encore perçue
négativement dans un pays comme la France attaché à la
définition de l’universalité (républicaine) pour laquelle «  il n’y a
pas de minorités, il n’y a que des citoyens 23 ».
C’est aussi en tenant compte de la variété de contextes sociaux
particuliers, d’espaces sociaux dans lesquels le sujet d’une société
évolue que la notion même de citoyenneté va de plus en plus se
décliner. C’est certainement ce qui explique que soit évoqué le
principe de démocratie dans l’institution scolaire. Pour ne
prendre qu’un exemple, il peut être question de «  gestion
participative dans le milieu scolaire », de « partage des pouvoirs
et des responsabilités en éducation ». L’objectif est à la fois « de
renforcer la légitimité du gouvernement scolaire » et « d’éduquer
à la citoyenneté pour contribuer à la pérennité de la
démocratie 24  ». De même, le souci est affirmé, par exemple en
France, de consacrer une «  démocratie administrative  », source
d’une «  citoyenneté administrative  », en renforçant le droit des
citoyens dans les relations avec les administrations (loi du
12  avril 2008), en assurant celui des usagers dans les
établissements et services sociaux et médico-sociaux (loi du
2  janvier 2002), cela en référence à un mouvement
international 25.
Dans le domaine de la santé publique et des rapports
médecins-patients, la demande de connaissance du dossier,
d’échanges avec le spécialiste de la part du patient, sinon même
l’exigence de délibération sur son cas, s’inscrit dans un
phénomène plus large de rejet de l’affirmation d’une compétence
perçue comme une imposition autoritaire. Le seul affichage d’une
autorité présumée ne suffit plus 26. Pour reprendre un terme
emprunté à la dogmatique juridique, et qui est au cœur de la
définition de la première face du modèle de légalité duale,
l’expression d’une «  Raison  » n’a plus de valeur en soi. Ici, la
manifestation de la compétence ne se justifie plus par elle-même,
elle implique là aussi l’interaction avec celui ou celle supposé[e]
en être le bénéficiaire. Cela vaut plus généralement pour toute
manifestation d’expertise, « l’expertise savante [prenant] la forme
d’un discours d’autorité qui ne répond plus aux interrogations des
citoyens 27 ». C’est la raison pour laquelle il convient de concevoir
des «  forums hybrides  », d’accorder de l’importance aux
procédures et à l’établissement de formes de «  démocratie
dialogique » plutôt que « délibérative », celle-ci seule susceptible
de relativiser le pouvoir de l’expert, de le situer, et de surmonter le
clivage entre spécialistes et profanes, professionnels et citoyens
ordinaires 28.
Ce glissement de l’enjeu démocratique de la société politique
en général vers les espaces sociaux dans lesquels évoluent les
citoyens se manifeste de façon particulièrement illustrative dans
le domaine de l’entreprise. C’est ainsi que « la légitimité politique
des institutions du capitalisme » est devenue un objet de débat 29.
L’enjeu pour l’entreprise ne serait plus « essentiellement un enjeu
d’efficacité [mais] plus sûrement un enjeu de légitimité politique :
on se demande quelles sont les règles du jeu socialement
acceptables en ce qui concerne le partage du pouvoir économique
et la distribution des richesses 30 ». Ainsi dans les débats suscités
par la notion de « responsabilité sociale de l’entreprise » est posée
entre autres la question « du compromis qui lie l’entreprise et la
Cité 31  ». Pour certains, «  derrière l’entreprise libérale
d’aujourd’hui, il y aurait en fait une entreprise publique, rendue
en quelque sorte à la démocratie politique », l’entreprise serait au
cœur du politique, elle en serait même la base 32. C’est dans ce
contexte que s’affirme la «  théorie des parties prenantes  »
(stakeholder theory 33). Cette théorie est fondée sur l’idée d’une
«  porosité entre économie, société et politique (au sens de vivre
ensemble) 34  », d’où découle le constat que l’entreprise est un
système politique et qu’à ce titre, il lui appartient de jeter les
«  fondements et les principes démocratique atteignant toutes
formes de gouvernance 35  ». Par conséquent, il lui revient de
concevoir une «  gouvernance négociée 36  », des formes de
participation et des espaces assurant la mise en œuvre de
«  processus démocratiques de délibération et de discussion  »,
consacrant ainsi une « théorie critique de l’ère néolibérale 37 ».
Cette fragmentation ou cet éclatement des sources de la
citoyenneté prend d’autant plus d’ampleur qu’ils sont susceptibles
de se manifester aussi dans des espaces supranationaux
relativisant d’autant le référentiel de l’État-nation. Là aussi, dans
cette nouvelle conception de la citoyenneté, à l’idée d’unicité dans
la représentation d’un modèle démocratique se substitue celle de
pluralité. Le statut de citoyenneté ne se décrète plus en référence
exclusive à une entité chargé de le définir. Il se construit dans les
différents espaces où se meut le citoyen et il lui appartient d’être
un acteur de cette construction plurielle.
Cet avènement de l’idée de «  démocratie participative  » nous
ramène à la question de la légitimité. Dans le cadre de la
«  gouvernance participative  », la volonté d’associer les citoyens
au processus d’élaboration de politiques publiques dans des
domaines particuliers relève bien de la prise en considération du
constat de la crise de légitimité du modèle de cette démocratie
représentative. De ce point de vue, les efforts accomplis au sein
de l’Union européenne nous offrent une illustration intéressante.
En effet, l’Union européenne constitue un exceptionnel
«  laboratoire  ». Elle souffre du reproche d’un «  déficit
démocratique ». Elle véhicule la représentation d’être d’abord une
bureaucratie sans légitimité ou encore une technocratie. Elle est
confrontée à la difficulté de se définir comme une entité politique
ou de vouloir l’être tout en n’étant pas un État. Il lui reste alors à
afficher son souci de l’implication des citoyens, de leur
participation. Elle le fait, formellement, dans les textes
fondamentaux. Ainsi, par exemple, dans le projet de Constitution
européenne adopté en juin 2004 et dont les principes sont repris
dans le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007, l’article I-46 fait
référence au «  principe de la démocratie représentative  ». Il
indique, dans son paragraphe  2, que «  les citoyens sont
directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement
européen  », et celui-ci est suivi de l’article  I-47 consacré au
«  principe de la démocratie représentative  ». Il est stipulé
notamment dans le paragraphe  1  de cet article que «  les
institutions donnent, par les voies appropriées, aux citoyens et
aux associations représentatives la possibilité de faire connaître
et d’échanger publiquement leurs opinions dans tous les
domaines d’action de l’Union  », cela au nom de l’exigence d’un
«  dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations
représentatitves et la société civile (art.  8B). De même, le
paragraphe 4 définit les conditions d’une « initiative citoyenne ».
La mise en place de dispositifs comme ceux de forums (voir
par exemple celui du « Forum permanent de la société civile ») ou
de tout autre dispositif comme les « conférences de citoyens » ou
encore d’autres expérimentations originales de délibérations
citoyennes à dimension transnationale (voir par exemple le
manuel DIDACT des pratiques délibératives) participent de cet
esprit. Il s’agit bien de mettre en place «  un espace politique
commun animé par des citoyens actifs 38 ».
Tout laisse penser que les responsables et les acteurs de
l’Union européenne jouent ainsi sur le registre des
représentations et se situent dans une quête incertaine de
l’adhésion, de «  l’acceptation sociale  » de cette nouvelle entité
politique qu’ils aspirent à donner à voir pour les citoyens qui la
composent 39. Toutefois, tous ces efforts n’évitent pas les critiques.
Ainsi, certains de ces dispositifs peuvent apparaître comme « de
simples gadgets  » ou comme «  un outil de communication de
plus  ». La perception est que certaines de ces «  initiatives
participatives sont parfois propices à la démagogie 40 ». De même,
la référence incantatoire au «  déficit démocratique  » de l’Union
européenne peut n’être que l’autre face d’une soumission dans les
faits ou la manifestation d’une impuissance face à son orientation
néolibérale et au poids croissant du pouvoir de l’expertise 41.
La vigilance s’impose donc, de façon générale, face à une
rhétorique d’un «  nouvel esprit démocratique  » au sein de
laquelle triompherait une conception de la légalité faite
d’hybridation. Cette rhétorique peut n’être qu’un procédé, des
« recettes de gouvernance », une manière de « fonctionnaliser les
formes [nouvelles] de cette démocratie pour en faire de simples
instruments de gestion 42  ». Cette vigilance est d’autant plus
nécessaire que toutes les analyses proposées dans ce domaine
sont susceptibles de relever de stratégies d’affichage ou de
«  marketing politique  ». Cela peut aller jusqu’au soupçon de
dérive populiste, d’« effet pervers » possible puisque la notion de
démocratie participative pourrait ne faire «  qu’instaurer un
régime d’oppression et de tyrannie populaire 43 ».
En fait, ces analyses sont fréquemment inspirées par une
vision consensualiste du fonctionnement du monde social et
politique occultant une vision agonistique où seraient mis
lucidement au centre de ce fonctionnement le conflit et les
rapports de force 44. De façon particulièrement illustrative, cette
opposition de visions est d’ailleurs au cœur des analyses
consacrées au fonctionnement des sociétés au tournant de la fin
du XIXe siècle : « Héritière, avec Durkheim, des sciences morales
qui s’occupent des mœurs, science par excellence du lien qui
présuppose implicitement que le destin des humains est de
constituer une communauté pacifique, la sociologie, depuis Marx
déjà, voit d’abord dans le conflit le signe d’une “fraternité brisée”
(Edgar Morin) qui est à reconstruire 45.  » Dans cette perspective,
«  le conflit est central dans la structuration de l’expérience
collective et, paradoxalement, du moins en apparence, du lien
social 46 ».
Face à la représentation de la première face du modèle de
légalité duale, dont les attributs sont l’unicité et la soumission à
une vision consensualiste imposée, ce rappel de la pertinence
d’une vision agonistique a pour effet de considérer la seconde
face du modèle de légalité duale non plus comme découlant
logiquement ou s’imposant d’évidence comme le moyen de
contribuer à l’avènement d’un idéal démocratique. À l’inverse
d’une approche enchantée et utopique, une économie de la
légalité générée par la société elle-même est aussi susceptible de
participer d’affrontements de valeurs entre des acteurs occupant,
socialement, économiquement, culturellement et, par
conséquent, politiquement, des positions différentes.
C’est dans cet esprit qu’il convient aussi d’aborder la question
de la «  démocratie participative  » au niveau de l’Europe. Cette
question n’est pas seulement significative de ce que j’appellerai
les usages politiques du principe. Elle illustre également en quoi
ce principe peut être sollicité, de façon éventuellement
conflictuelle, dans des cadres nationaux (voir par exemple les
expériences au Brésil comme celle de Porto Alegre et de ses
modes novateurs de gouvernance locale avec la mise en place
notamment d’un «  budget participatif 47  »), mais aussi dans le
cadre du phénomène de globalisation à d’autres échelles que celle
de l’État-nation (même si la force des intérêts privés au niveau
transnational peut conduire à se tourner vers l’État pour garantir
des droits).
Au niveau mondial se constituent également des espaces
supranationaux de citoyenneté dans lesquels la reconnaissance
des droits fondamentaux est promue dans son universalité, à
l’échelle mondiale 48, en même temps que dans sa diversité. La
reconnaissance de cette diversité implique le respect de la
différence de ceux que ces droits concernent. On peut parler alors
d’une «  démocratie cosmopolite  » (cosmopolitan democracy)
susceptible d’assurer «  l’extension de la participation populaire
dans le processus politique 49  » via notamment les ONG. La
fonction de ces dernières est de concevoir ou de contribuer à
concevoir des règles supranationales en mesure éventuellement
de s’imposer ou de s’opposer à celles des États (voir, par exemple,
la mise en place de «  Forums sociaux internationaux  » inspirés
par la volonté de résister à l’idéologie néolibérale du Marché 50) ou
d’amener les États à composer avec elles 51.

LA RECONFIGURATION
DE LA RÉGULATION JURIDIQUE

Ce contexte de crise de régulation politique des sociétés


contemporaines, que je viens de décrire à grands traits, incite
fortement les acteurs de la pensée juridique à concevoir de
nouvelles manières de restaurer le statut du droit en tentant de le
reconfigurer en référence  : soit à la première, soit à la seconde
face du modèle de légalité duale.

Le droit comme « Raison »

Pour ce qui concerne les tentatives de reconfiguration de la


première face du modèle de légalité duale, justice doit être
d’abord rendue à un courant relevant de la tradition juridique et
au sein duquel il a été pris acte depuis longtemps de cette crise de
la démocratie représentative, évoquée plus haut, et associée à une
«  contestation de la légitimité de la loi 52  ». La volonté de
développer une «  sociologie législative  », «  au nom de l’idée que
les parlementaires vivent entre eux 53  », illustre le souci de
surmonter cette crise de légitimité. Ce souci s’est manifesté en
l’occurrence par un «  glissement qui s’effectue […] de la
représentation politique traditionnelle à l’exigence d’une
représentation de type sociologique, exigence qui s’accentue
lorsque les bases institutionnelles du système politique perdent
de leur légitimité 54  ». J’avais souligné en son temps 55 la
convergence entre ce qu’il faut bien considérer comme une
philosophie politique au fondement de la pratique du juriste Jean
Carbonnier et celle d’un homme politique aspirant à la
restauration d’un pouvoir charismatique et fustigeant, dans cet
esprit, le modèle d’une représentation politique porté par des
politiciens «  acrobates de la démagogie  » et cherchant à établir
des relations directes avec les « forces vives de la Nation 56 ». Il y a
là la référence à un modèle politique qui est aux antipodes de
ceux qui s’esquissent actuellement (tels que je les évoquerai plus
bas) dans la mesure où il est inspiré par la restauration de
l’autorité d’un pouvoir central fort, c’est-à-dire celle d’un Exécutif
supplantant un Législatif malade de la représentation qu’il
incarne plus particulièrement. Nous sommes finalement dans la
nostalgie d’un modèle de la «  transcendance politique  » où la
Nation et la République ont pris la suite de la transcendance
religieuse ou monarchique. Nous portons encore le modèle d’une
« transcendance collective, qu’elle soit religieuse ou politique 57 »
perpétuant « une dimension sacrée du pouvoir politique » nourrie
des références à «  la souveraineté, la raison d’État, le “bien
commun” en ses formes laïcisées 58  ». C’est dans ce modèle que
s’inscrivaient notamment ceux ayant pour mission de produire le
droit et de le mettre en œuvre, tous ayant vocation à assumer les
missions d’une «  puissance publique  » désormais en voie
d’affaiblissement sinon de disparition.
Dans la période actuelle, rien ne semble mieux illustrer ces
tentatives de renouveler la tradition historique d’un droit
référence, d’un droit comme «  Raison  », que les nouvelles
déclinaisons des droits de l’homme. Le droit romain était déjà
inspiré de la notion de droit naturel et d’universalisme pour
constituer la genèse d’une conception des droits de l’homme
consacrée par la philosophie des Lumières. Celle-ci s’incarnera
successivement dans la Déclaration d’indépendance américaine
de  1776 et celle des droits de l’homme et du citoyen de  1789,
constituant un des attributs de valeur les plus forts de la
Révolution française. Comme l’a considéré Jürgen Habermas
observant le « développement de la réflexion sur l’importance des
droits fondamentaux dans la démocratie, […] les droits
fondamentaux que se sont reconnus les citoyens dans la
Révolution américaine et française ont la virtualité de fonder une
collectivité effectivement capable d’agir sur elle-même 59 ».
Mais cette expression d’un droit référence, dont la force
symbolique tient certainement à ce qu’il est à la fois fait d’éthique
et de droit, se réalise pleinement quand il acquiert effectivement
la dimension internationale constitutive de son essence. La
Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les
Nations unies en 1948 en est la parfaite illustration 60.
Il y a, dans la longue histoire des droits de l’homme associée à
l’avènement des démocraties et au processus
d’internationalisation, tous les éléments justifiant qu’ils soient
plus que jamais au cœur des débats sur l’avenir des sociétés
contemporaines en relation avec la question démocratique et
celle de la globalisation. Les premières strates des droits de
l’homme relevaient d’abord de la protection des droits civils et
politiques puis de celle des droits économiques, sociaux et
culturels. Elles renvoyaient, au moins implicitement, à l’État
assigné précisément à garantir du « droit aux droits » dont parle
Hannah Arendt 61, cette protection d’inspiration libérale des droits
civils et politiques puis celle d’inspiration welfariste des droits
économiques, sociaux et culturels. Dans la dernière strate, ce sont
les droits fondamentaux qui sont mis en avant : le droit à la vie et
à l’intégrité de la personne mais aussi les droits à la paix, au
développement économique, à la préservation de
l’environnement 62.
Dans cette aspiration à l’avènement d’un nouveau droit
commun de l’humanité, apparaît le souci d’«  humaniser la
mondialisation  », notamment en remédiant à «  la faiblesse des
droits de l’homme face à la puissance des marchés 63  ». Cette
dernière strate «  naturalise  » en quelque sorte ou consacre
comme une évidence une approche universaliste des droits de
l’homme compatible avec un droit international humanitaire, une
prise en compte du droit des étrangers, des particularités de
groupes humains au sein même d’un État-nation (les groupes
vulnérables et les minorités ethniques par exemple). Ce qui
s’observe, c’est une « reconnaissance de droits par secteurs de la
société qui s’identifient par leur appartenance ethnique, le genre,
le comportement sexuel ou l’identité culturelle 64  ».
Conformément aux épistémologies critiques mises en valeur
notamment par la pensée féministe 65, ces droits seraient
réinstitués «  au cœur de la vie sociale 66  ». Dans le cadre d’une
« déconstruction des normes qui entourent les discours des droits
humains et surtout leur universalisme 67  », un nouvel
universalisme, tel que celui évoqué dans le chapitre IV, intégrerait
l’idée de «  relativisme culturel  », c’est-à-dire la reconnaissance
des différences au sein d’un même État et entre les États 68. L’idée
est bien que «  la solidarité citoyenne puisse se régénérer au
niveau plus abstrait d’un universalisme sensible aux
différences 69 ».
Ce mouvement relativise le statut de l’État dans la mesure où
il renforce l’idée de droits opposables aux ordres juridiques
nationaux et aux États  : par les citoyens ou les groupes de
citoyens qui le composent, par le développement, dans le cadre
d’une «  nouvelle société civile mondialisée  » (a new global civil
society 70), d’un «  mouvement social global  » attaché à la
reconnaissance de la juridicité et de la justiciabilité des droits
économiques, sociaux et culturels de catégories de populations
particulières 71. Cette reconnaissance est formellement garantie
par des instances indépendantes des pouvoirs politiques
nationaux (les Cours constitutionnelles par exemple), plus encore
par des instances supranationales, au niveau régional (la Cour
européenne des droits de l’homme, par exemple) ou mondial (les
Nations unies, la Cour internationale de justice ou la Cour pénale
internationale, par exemple).
L’expression forte d’un droit référence que constituent les
droits de l’homme, les «  droits humains  », les «  droits
fondamentaux » dans leurs récentes déclinaisons représente ainsi
une des manifestations les plus éclatantes de l’aspiration à
perpétuer ou même à renforcer l’existence d’une «  Raison  »
susceptible de s’imposer au pouvoir politique  : tant à l’intérieur
des États-nations par la mise en place d’instances ayant vocation
à être indépendantes, qu’à l’extérieur par l’institution de
dispositifs supranationaux surplombants. Rien n’incarne mieux
ce que peut être l’aspiration à un droit ainsi porteur d’une
«  Raison  », hors et au-dessus du politique, et dont la puissance
est à la mesure du rôle qu’on attend d’elle pour contribuer à la
défense des «  droits fondamentaux  », plus largement à la
diffusion et au développement de l’idéal démocratique.
Une des illustrations les plus probantes de cette aspiration est
l’interprétation qui peut être donnée au mouvement de
constitutionnalisation depuis la Seconde Guerre mondiale (il est
question d’un «  nouveau constitutionnalisme  » (new
constitutionnalism) illustré par la création de cours
constitutionnelles dans de nombreux pays 72, notamment dans les
pays d’Europe ex-communistes 73), à la mise en place d’autorités
publiques indépendantes, à celle de cours suprêmes ou encore de
juridictions pénales supranationales. On attend effectivement que
ces juridictions soient en dehors et au-dessus du politique pour
lui rappeler les principes, pour le contraindre à les respecter,
pour empêcher ses abus de pouvoir, en un mot pour favoriser
l’avènement d’un ordre politique correspondant à un nouveau
modèle démocratique.
Dans une version optimiste, il est considéré que « les autorités
indépendantes et les cours constitutionnelles  » ont «  partout
accru leur empire [et] ont ainsi commencé à révolutionner le
répertoire classique de formulation de la question
démocratique 74  ». Dans le même esprit, à propos des cours
constitutionnelles, l’idée est avancée que «  le développement de
ces cours peut aussi être envisagé comme un instrument de
réduction de la marge de manœuvre des gouvernants, et donc
[comme] une forme d’accroissement du contrôle social sur les
représentants 75  ». De même, des vertus d’impartialité sont
conférées aux autorités publiques indépendantes, ce qui les dote
d’une légitimité en tant que formes politiques, dont la mission est
de régulation et de surveillance, à la mesure des faiblesses du
politique et de son administration qui en ont justifié la création
aux États-Unis 76.
C’est certainement dans cet esprit qu’est salué dans une
littérature internationale consacrée à la «  judiciarisation du
politique 77 » l’accroissement du rôle des cours suprêmes. Celles-ci
sont représentées comme les gardiennes des principes face aux
dérives des démocraties représentatives. Elles sont prétendument
attendues pour ouvrir la voie à un fonctionnement de la justice
s’inscrivant dans la même orientation et offrant, de plus, des
espaces de délibération que la démocratie représentative ne serait
plus en mesure de gérer. Elles peuvent être ainsi pensées comme
un «  forum de délibération politique  » offrant une «  nouvelle
scène de la démocratie 78  ». En étant ainsi actrice de la
démocratie, la justice s’affirmerait comme un pouvoir, ou un
contre-pouvoir ou encore un «  tiers pouvoir 79  », fondant un
nouveau régime de gouvernance triadique 80.
Ces nouvelles fonctions de la justice participeraient d’une
«  révolution des droits  » (rights revolution 81), impliquant
significativement, pour notre propos, que les métamorphoses de
la première face du modèle de légalité duale doivent
s’accompagner d’une réactivation ou d’une activation de sa
seconde face. En effet, cette «  révolution des droits  » est
caractérisée par le renforcement des garanties constitutionnelles
pour les droits individuels et l’indépendance judiciaire, le
leadership assuré par des juges «  activistes  » (particulièrement
ceux des cours suprêmes) utilisant leurs pouvoirs pour
transformer la société et promouvoir un accroissement de la
conscience des droits dans la culture des sociétés 82. Il s’agit de
favoriser un processus de production et d’extension de nouveaux
droits civils et de libertés comportant trois composantes  : une
attention de la justice aux nouveaux droits, un soutien de la
justice aux nouveaux droits, et une politique de renforcement de
ces nouveaux droits 83. Cela suppose la mise en place d’une
ambitieuse politique en faveur de la « litigation », l’accroissement
d’une «  structure de soutien  » (support structure) permettant la
«  mobilisation juridique  » (legal mobilization). Cette «  structure
de soutien  » implique elle-même des «  organisations de défense
des droits  » (rights advocacy organizations) qui sont équipées
juridiquement, un large éventail de sources de financement et des
efforts au niveau fédéral pour encourager les coalitions de
«  défense des droits  » (rights advocacy). L’exigence d’un
volontarisme politique serait donc d’autant plus affirmée que les
droits ne sont pas donnés mais gagnés grâce à des actions
collectives suscitées par une société civile dynamique et l’octroi
de fonds publics.
Telle serait la condition de la restauration d’une démocratie
de principe (la Cour suprême américaine a pu ainsi être qualifiée
de «  forum des principes 84  »). Celle-ci ne pourrait s’exercer que
dans le cadre d’une temporalité longue constitutive de l’idée de
référence face aux temporalités courtes d’une action politique
plus soucieuse d’opportunités, sinon d’opportunisme, plus
exposée à des enjeux et à des oppositions politiciennes à court
terme, et moins inspirée par ce que Max Weber appelait une
« éthique de conviction ».
C’est ainsi qu’il reviendrait à ces nouvelles structures de porter
plus que d’autres cette «  éthique de la conviction  » pour
contribuer à l’avènement d’un nouveau modèle démocratique fort
de l’expérience des déboires de la démocratie représentative.
Comme une illustration de cette relation causale, entre ces
nouvelles structures et la question démocratique, le phénomène
de judiciarisation, particulièrement porté par le mouvement de
constitutionnalisation, peut être interprété par certains comme
un des effets de l’apparition de nouvelles aspirations
démocratiques nées entre autres de la perte de confiance dans les
gouvernements «  technocratiques  » et de la volonté croissante
d’implication des citoyens dans les affaires publiques 85.
Au-delà du souci nouveau de lier le droit à de nouvelles
formes d’implication sociétale, c’est bien un mouvement
historique de restauration ou de renforcement de la « Raison » du
droit qui s’observe ainsi. Il s’agit rien moins que de la résurgence
de ce mythe de l’impartialité, si présent dans l’histoire du droit,
cette « figure du juge-dieu 86 » dont on retrouve la trace chez Jean
Domat  : «  Ce n’est pas assez pour marquer la grandeur du
ministère des juges, que de dire qu’ils sont des dieux  » puisque
«  la fonction de juge marque une nature supérieure 87  ». De la
même façon, cette expression contemporaine d’un nouveau
«  culte du droit aboutit ainsi à la sacralisation du juge, érigé en
rempart contre les dérives toujours possibles des élus 88  ».
L’accroissement des attentes à l’égard du juge serait à la mesure
de ce que permet l’internationalisation puisque «  les juges sont
libérés du droit interne au profit d’un droit international dont
l’imprécision a pour effet de renforcer leur marge
d’interprétation 89 ».
Ce vaste mouvement s’inscrit donc bien dans cette
judiciarisation du politique dont un des premiers indicateurs est
la multiplication des juridictions supranationales : une vingtaine
auraient été créées depuis  1946 90. Il connaît des expressions
diverses dans les différentes régions du monde. Dès la fin des
années  1970, le constat est établi que, depuis une ou deux
décennies, la société américaine se tourne de plus en plus vers les
tribunaux pour résoudre certains de ses problèmes les plus
complexes, par exemple les questions d’intégration, le contrôle de
la police, la protection de l’environnement ou l’amélioration du
sort des pauvres 91. À la suite, il est de plus en plus admis que les
tribunaux américains, et en particulier la Cour suprême, sont
devenus les principaux artisans d’un changement social dans
certains domaines comme celui des droits civils, des droits des
femmes ou encore du droit pénal et des prisons 92. Des procès et
décisions judiciaires marquants –  comme la décision Brown vs.
Board of Education de la Cour suprême des États-Unis, qui
interdit la ségrégation raciale dans les écoles publiques au milieu
des années  1950 –  donnent de nouvelles directions à l’action
publique. Ces actions s’observent dans les politiques de lutte
contre les inégalités (sexuelles, raciales, etc.) ou encore dans le
domaine de l’environnement. Il est admis que seuls les tribunaux,
n’étant pas soumis aux contraintes électorales, sont en mesure de
les impulser. Ces interventions du judiciaire prennent d’autant
plus de poids, qu’une fois les premières décisions prises, se
produit un effet d’entraînement sur les autres pouvoirs et sur
l’opinion publique.
Ce qui est souvent observé en la matière sur le cas américain
vaut également pour d’autres pays ou d’autres régions du
monde 93, notamment l’Amérique latine 94. La judiciarisation
s’inscrit alors dans un mouvement plus large  : elle serait un
facteur de progrès social, permettrait que soient plus et mieux
défendus les droits de l’homme, les droits des plus faibles. C’est
ainsi, par exemple, que l’institution de la Cour européenne de
justice et de la Cour européenne des droits de l’homme est
supposée avoir contribué à la promotion des droits sociaux,
prenant la forme de droits supranationaux, notamment pour les
citoyens les plus vulnérables 95.
La Cour suprême indienne s’inscrit dans cette évolution, eu
égard au fait qu’elle est censée œuvrer à la promotion des
principes démocratiques, à celle d’une conception plus
substantielle de l’égalité. Elle a notamment mis en œuvre une
innovation : l’« action au nom de l’intérêt public » (Public Interest
Litigation) permettant à tout citoyen de se pourvoir en justice
dans la mesure où il aurait été victime « d’un dol supposé » (of an
alleged evil) ou d’une injustice 96. L’autre exemple auquel il est fait
souvent référence, comme je l’ai déjà mentionné, est celui de la
Charte canadienne des droits et libertés de 1982 qui constitue un
texte de référence –  un texte fondamental si l’on observe les
multiples façons dont elle est sollicitée comme en témoigne la
jurisprudence canadienne  – pour la défense des minorités
religieuses ou ethniques, des catégories de population et des
groupes sociaux exposés ou s’estimant exposés aux inégalités.
L’importance accordée à la justice «  restauratrice  » dans des
situations comme celles des violences de l’apartheid en Afrique
du Sud, de la dictature chilienne ou des dictatures dans d’autres
pays d’Amérique latine, représente une autre forme d’expression
de ce phénomène de judiciarisation 97. La fonction de la justice est
ici explicitement politique soit parce qu’elle assume une mission
de pacification après une période historique de violence
politique, soit parce qu’elle est instituée comme la gardienne
d’une éthique universelle à laquelle tout dirigeant politique est
supposé se soumettre au risque sinon de s’exposer à une sanction
pénale.
Il reste que cette vision positive d’un renouvellement de la
première face du modèle de légalité duale illustré par
l’importance croissante accordée aux «  droits fondamentaux  »,
aux «  droits humains  », et par la fonction de gardienne d’une
méta-Raison dont la justice serait investie n’est pas sans susciter
des réserves sinon de violentes critiques dont je ferai mention
pour illustrer ce qui peut fonder une démythification des
perspectives de reconfigurations de la première face du modèle
de légalité duale. Celles-ci renvoient sous des formes nouvelles à
ce décalage que j’ai tenté de mettre en valeur tout au long de cet
ouvrage entre représenté et situé, c’est-à-dire la réalité telle qu’elle
est dite ou imaginée, la réalité telle qu’elle est faite, telle qu’elle
existe dans les pratiques. Le risque est ici celui propre au droit :
que la force particulière de sa dimension symbolique soit
détournée de telle sorte qu’elle n’entraîne pas d’effets réels. Il ne
reste alors qu’un usage incantatoire et, par conséquent,
mystificateur, de cette référence mythifiée aux «  droits
fondamentaux  », aux «  droits humains  », à la fonction de tiers
suprême de la justice.
Parmi ces réserves ou ces critiques, il y a celles suscitées par
l’accroissement du pouvoir judiciaire au détriment du pouvoir
politique 98. Ce «  déplacement de grande ampleur du pouvoir,
s’observant au niveau international, de l’Exécutif, du Législatif
vers le judiciaire et les autres institutions juridiques 99  », le fait
que « le pouvoir décisionnel se déplace devant les tribunaux 100 »
ne seraient effectivement pas sans poser problème et sans
présenter un risque. Et, de ce point de vue, l’annonce de
l’avènement d’un nouveau modèle de gouvernance des sociétés,
un modèle «  triadique  » (dont la France avec un Conseil
constitutionnel qualifié de «  troisième chambre 101  »), n’est pas
propre à calmer les inquiétudes. Ce modèle, supposé redéfinir,
«  de façon graduelle mais irréversible, la nature même de la
gouvernance » de nos sociétés 102, ne résout pas, pour certains, le
problème de la légitimité des juges et celui de leurs stratégies
ainsi que de celles d’élites. De plus, ces dernières pourraient être
motivées, non pas par la poursuite de l’intérêt général ou de
valeurs liées à l’idéal démocratique, mais par celle de leurs
propres intérêts.
La question au cœur de la critique est celle de la légitimité. Il
existe en effet une opposition entre une légitimité des juges
fondée sur la compétence et une légitimité des politiques résultant
de l’élection. Ce type de légitimité des juges fait craindre de leur
part un excès ou un exercice arbitraire du pouvoir et une
intrusion injustifiée dans des domaines relevant de la compétence
des politiques 103. Les débats suscités par la Charte canadienne
des droits et libertés sont sur ce point particulièrement
illustratifs. Il a ainsi été notamment considéré que «  la
démocratie représentative est menacée par les forces constituées
à la fois par le populisme et la politique judiciarisée des
droits 104 ». Ce qui est en jeu ici, est bien un conflit de légitimités
dont les juges prud’homaux nous donnent une autre déclinaison
au sein même du corps des juges. Leur élection suffisait-elle en la
matière ou convient-il qu’ils justifient de surcroît d’une
compétence juridique reconnue formellement 105 ?
Le constat a été avancé que, par exemple, les conditions
politiques de nomination des membres du Conseil
constitutionnel français ne pesaient pas sur leurs pratiques, cela
grâce à une « transcendance du droit » à laquelle ils apprennent à
se soumettre et qui les libère de ce qui pourrait être leur culture
partisane 106. Même si cet argument était recevable, on ne saurait
ignorer la crainte parfois exprimée suivant laquelle, plus
largement, au-delà de ce risque de porosité entre le politique et le
judiciaire, l’accroissement des pouvoirs des cours suprêmes
cacherait une « tentation théocratique 107 ».
Le débat ne porte pas seulement sur ce problème de
légitimité. Le soupçon parfois formulé peut concerner aussi ce
qui motive les acteurs dans ce processus de judiciarisation. Par
exemple, la promotion d’une cour suprême comme celle du
Canada, justifiée formellement par la défense des intérêts de
groupes sociaux défavorisés, peut être interprétée comme
résultant des stratégies de pouvoir des leaders de groupes
politiques parfaitement implantés dans l’État 108. C’est dans le
même sens, à partir de recherches comparées sur plusieurs pays,
que l’investissement fait dans les cours suprêmes par des élites
politiques et économiques et le déplacement de leur engagement
du pouvoir législatif vers le judiciaire peuvent être vus comme
une véritable stratégie de préservation de leur pouvoir et de leurs
privilèges. Dans cette perspective, les professionnels du droit ne
sont pas exempts de ces soupçons dans la mesure où est avancée
l’idée d’une connivence entre ces élites et les élites judiciaires 109.
Ainsi, la judiciarisation du politique, loin de s’inscrire dans un
processus de démocratisation, de défense accrue des «  droits
fondamentaux  », résulterait d’abord de stratégies conjointes des
élites politiques, économiques et judiciaires agissant comme des
innovateurs stratégiques dans le domaine juridique 110. Les élites
politiques ont pour objectif de préserver leurs intérêts
hégémoniques menacés par de nouveaux groupes sociaux. En
prétendant assurer ainsi un surcroît de démocratie, ils
contournent en fait les procédures habituelles. Les élites
économiques perçoivent la constitutionnalisation des droits,
notamment ceux concernant la propriété, la mobilité et les droits
de l’emploi, comme un moyen de peser sur l’action du
gouvernement et de promouvoir un marché sans contrainte et un
agenda favorable aux affaires. En un mot, il s’agit de protéger les
élites politiques et économiques des « vicissitudes de la politique
démocratique  » et de favoriser une évolution dans le sens d’une
efficacité et d’une prédictibilité du droit et de la justice (conforme
à la rationalisation du capitalisme moderne comme nous l’avons
déjà vu).
Finalement, la judiciarisation du politique, qui est le plus
souvent parée de toutes les vertus dans la mesure où elle
s’inscrirait et participerait activement d’un processus de
démocratisation et serait le vecteur de la promotion des « droits
fondamentaux », des « droits humains » (dans le sens pour nous
de la restauration, sous de nouvelles formes, du « Droit » comme
« Raison ») ne fait pas l’unanimité. Outre la question de la remise
en cause de l’équilibre traditionnel entre les pouvoirs législatif,
exécutif et judiciaire, plus largement, l’enjeu est celui de la nature
même du politique et de ses métamorphoses, celle des formes de
réalisation de la démocratie. L’usage du terme de « juristocratie »
(juristocracy) est ici particulièrement illustratif 111. Il sert à
nommer la crainte que peut susciter le transfert vers le judiciaire
de questions qui sont traditionnellement du ressort de politiques
élus et d’institutions fonctionnant suivant le principe de la
majorité. Le pouvoir judiciaire en étant acteur de ce processus de
judiciarisation aurait là l’opportunité d’accroître son propre
pouvoir en dehors de tout contrôle et cette situation porterait le
risque d’affaiblir le processus démocratique, fondé sur les
principes électif et majoritaire 112. Par exemple, l’institution de
cours constitutionnelles, tout au long des années  1990, dans les
régions relevant de la zone d’influence de la Russie a pu être
interprétée –  ainsi qu’en témoigne l’intitulé du titre
particulièrement évocateur de l’article consacré à ce phénomène :
«  Less Democracy, More Courts  » – comme participant d’une
stratégie de politiciens visant à préserver leur pouvoir y compris
pour échapper à «  la tyrannie des vainqueurs d’élections  » et à
lutter contre les aspirations issues de majorités politiques 113.
La prise en compte croissante des droits sociaux, des « droits
fondamentaux  », des «  droits humains  », dont la judiciarisation
deviendrait le vecteur, ne comporte-t-elle pas le risque d’un
«  transfert dans la Constitution des principes de la culture
libérale qui ne peuvent être mis en œuvre
démocratiquement 114  »  ? Les nouvelles Constitutions ne
comportent-elles pas cette potentialité menaçante pour la
démocratie que représenterait le passage d’un mécanisme de
limitation du caractère arbitraire du pouvoir gouvernemental à
une source d’exercice de l’arbitraire du pouvoir judiciaire 115 ?

Le droit comme connecté au social

Sans qu’il soit possible de distinguer ce qui tient aux


transformations de la connaissance sur le droit ou à des
changements dans la réalité du droit, conduisant également à en
modifier les représentations sociales, l’accent est mis de plus en
plus sur une économie normative de la légalité s’inspirant de la
seconde face du modèle de légalité. Il ne s’agit pas ici de revenir
sur les façons dont je l’ai défini au chapitre  II de l’ouvrage. Il
convient plutôt de s’attacher aux formes que prendrait cette
évolution en référence aux enjeux qu’elle comporte du point de
vue de l’ordre politique avant d’en rechercher quelques-unes des
causes puis d’évoquer ici aussi certaines des limites ou des
critiques dont elle fait l’objet.
Nous avons vu à plusieurs reprises dans cet ouvrage que la
conception essentialiste du droit faisait de plus en plus place à
une conception flexible, négociée, relativiste, pluraliste,
pragmatique de la référence juridique jusqu’à atténuer le clivage
établi entre le droit romano-germanique et le droit de la common
law, celui entre le «  droit des livres  » (law in books, où il s’agit
d’affirmer le pouvoir d’un corps de règles de justice universelle
s’appuyant sur un corps de droit substantiel) et le «  droit de la
pratique  » (law in action, où le souci d’apporter des solutions
ajustées à chaque cas justifie l’existence d’une justice procédurale
où l’accent est moins mis sur les finalités que sur les moyens et
les procédures auxquels l’acteur fait appel pour établir ses
objectifs).
Ces mutations de l’activité juridique liées au changement de
statut du droit et en relation avec les incertitudes de la régulation
politique s’observent dans les processus de production de la loi.
La loi, à l’instar des politiques publiques, apparaît de plus en plus
comme la résultante d’interventions d’acteurs et d’instances
multiples 116. L’économie de sa production et de sa mise en œuvre
se présente comme un processus négocié qu’autorise sa structure
faite plus de règles d’organisation que de normes de contenu 117,
ouvrant la possibilité d’un processus continu d’appropriations
successives ou favorisant les obligations et les invitations à
négocier au niveau local.
La redéfinition du statut de l’État que j’ai examiné
précédemment et l’incapacité croissante dans laquelle le pouvoir
politique se trouve d’imposer une législation en fonction de ses
propres principes d’action ne s’illustrent pas mieux que dans
l’impossibilité désormais d’une œuvre de codification. La
célébration du 200e anniversaire du Code civil évoquée plus haut
fut ainsi autant inspirée par la nostalgie d’un temps de l’histoire
où, comme nous l’avons vu, le droit, le «  Droit  », s’imposait
comme l’ordonnateur du monde social, tant au plan réel qu’au
plan symbolique, que par le souci d’en perpétuer les vertus 118.
En fait, ce que j’ai pu appeler l’économie de la légalité se situe
désormais à une autre échelle comme le montre l’influence de la
globalisation sur ce statut du droit comme élément du répertoire
de l’action collective. En effet, les mouvements sociaux sont dans
l’obligation d’ajuster leur stratégie par rapport à un contexte en
mutation, c’est-à-dire, comme nous l’avons vu au chapitre  IV, par
un bouleversement des territoires. Par exemple,
l’internationalisation des flux financiers, la constitution d’un
espace économique transnational d’où découle la conclusion
d’accords économiques multilatéraux, de «  reconfiguration des
appareils productifs en réseau » libère « l’entreprise des rapports
de force autrefois négociés nationalement 119  ». Bien entendu,
cette redéfinition des frontières de l’économique entraîne celle du
politique  : «  La subordination du politique à l’économique, la
concentration des pouvoirs aux mains des exécutifs et le déficit
démocratique ont pour conséquence de reléguer au second plan
la pertinence de l’arène politique nationale 120. »
De façon concomitante, ce contexte favorise la constitution
d’une «  société civile mondialisée  ». Les reconfigurations de la
seconde face du modèle de légalité duale s’inscrivent dans de
nouvelles formes de mobilisation collective pour la préservation
ou l’établissement de droits à un niveau transnational, en
recourant éventuellement à l’arène judiciaire (voir, par exemple,
le mouvement altermondialiste 121). Comme une sorte d’inversion,
le droit n’est plus dans un statut exclusif où il s’imposerait aux
sociétés mais il naît aussi de leur effervescence. Comme une
illustration d’un rapport au droit conçu activement par les
individus et les organisations qui les représentent, les acteurs
consacrés des mouvements sociaux, des structures intermédiaires
reconnues au niveau national n’hésitent plus à changer d’échelle
territoriale dans leurs stratégies de défense des droits. C’est ainsi,
par exemple, que «  les syndicats du Nord et du Sud [repensent]
leur façon d’agir 122  ». Ainsi ce qu’on pourrait appeler
l’internationalisation ou la transnationalisation du marché
s’accompagne ou est suivi par un phénomène du même ordre en
ce qui concerne les mises en œuvre d’une action collective dont le
répertoire intègre le recours au droit et/ou la revendication de
droits.
Ce changement d’échelle de l’action collective a plusieurs
conséquences. Il suggère la circulation et le transfert de modèles
d’action collective intégrant le recours au droit. Un tel
phénomène s’effectue suivant un processus dit de « transferts de
politique publique  » (policy transfers 123) qui vaudrait pour ce
niveau d’action, même si ce concept est utilisé plutôt à propos des
modèles de politiques publiques. Il ouvre la possibilité d’un
« jeu » entre le niveau supranational et le niveau national, mené
par des acteurs de mouvements sociaux en mesure d’optimiser
l’efficacité de la ressource juridique en la sollicitant au niveau
international ou supranational pour des usages stratégiques dans
le cadre national.
Par exemple, mes travaux dans le domaine du droit des
personnes, notamment sur le PACS, m’ont permis d’observer que
la dénonciation de droits existants et la revendication de
nouveaux droits dans le cadre français résultaient d’une double
stratégie. Celle-ci prend la forme d’une sollicitation de
législations étrangères ou de juridictions supranationales
(comme la Cour européenne des droits de l’homme) ayant déjà
intégré les changements souhaités. Elle s’appuie sur un appel aux
droits fondamentaux investis d’universalité comme moyen de
légitimation d’une action collective. L’objectif est une
reconsidération, au niveau national concerné, de la légalité ou
plutôt de l’illégalité d’une situation dans laquelle se trouvent les
groupes sociaux impliqués (en l’occurrence les couples non
mariés, les couples non fondés sur la différence des sexes 124).
Dans tous ces bouleversements, le nouveau statut du droit qui
en résulte est propre à modifier les représentations sociales qu’il
suscite. La porte est ainsi ouverte pour penser que le droit, au
lieu de s’imposer de façon incontestable ou de créer la croyance
qu’il s’impose de façon incontestable, s’inscrit en fait dans un
espace d’incertitudes laissant place au « jeu » des acteurs sociaux,
des opérateurs économiques ou des acteurs politiques. Ce
passage d’un régime de légitimité légal-rationnel inspiré de l’idée
d’un «  ordre juridique axiologique  » à l’établissement d’un
nouveau régime de légalité «  fonctionnel  » que nous avons déjà
évoqué 125 favorise effectivement le fait que « la règle de droit soit
soumise à une logique de l’arrangement qui en atténue la
généralité » et puisse faire l’objet d’une « utilisation tactique 126 ».
Le droit de référence intangible est reconfiguré comme une
ressource susceptible d’être manipulée par les acteurs sociaux en
fonction des objectifs qu’ils poursuivent. Par exemple, la
hiérarchie des normes peut être remise en cause pour faire
prévaloir la valeur d’une convention collective sur celle d’une loi.
Dans un contexte où s’affirme, dans l’espace politique comme
dans la gestion des rapports sociaux et économiques, l’idée
d’action, moins expression d’une volonté supérieure que
résultante d’interrelations multiples, de rapports de force,
d’échanges démultipliés entre des acteurs aux intérêts divergents
ou contradictoires, le droit de référence devient effectivement
instrument d’action.
La justice elle-même n’échapperait pas à ce changement de
statut de la norme juridique. Le lieu institutionnalisé qu’elle
constitue est fréquemment investi, au sens auquel les
politologues usent de ce mot, comme une «  arène  » où
s’affrontent des appropriations différentielles de cette référence
juridique et où le but peut être moins d’obtenir un jugement
favorable que de contribuer à promouvoir une cause ou à
imposer un problème comme problème public en le projetant
dans l’espace public. La justice devient ainsi plus encore un
espace où se déploient et se confrontent des stratégies, y compris
celles de magistrats eux-mêmes dont l’action ne saurait se réduire
à la soumission stricte à un positivisme juridique ou résulter
d’une association causale entre l’ethos de leur corps professionnel
et un type de comportement politique. Il n’est pas indifférent ici
que soit mise en valeur une conception de la loi comme un
paramètre de l’action avec lequel peuvent « jouer » non seulement
les acteurs sociaux mais les juges 127. Le lieu privilégié de la mise
en œuvre du droit que représente la justice est, par voie de
conséquence, susceptible d’être de plus en plus conçu ou promu,
non plus comme lieu où se dit le droit avec des juges « bouches
de la loi  », mais comme espace où se construisent des
arrangements provisoires, c’est-à-dire constamment révisables.
De même que «  la gestion des affaires publiques est
caractérisée par la fluidité des enjeux, l’hétérogénéité des
contextes d’action et la fragmentation du pouvoir politique 128 », le
droit développe de plus en plus des dimensions procédurales et
contractuelles qui se répercutent sur une justice elle-même de
plus en plus sollicitée pour s’inscrire dans cette logique de
coproduction incertaine du juste. Plus que jamais, le droit doit
être pensé moins en termes d’impératif qu’en termes d’enjeux, de
stratégies de pouvoir dans son recours et dans ses usages,
d’interactions entre ceux qui l’énoncent et ceux qui l’investissent
en fonction d’objectifs différenciés et/ou antagonistes.
Le sens du politique n’est plus simplement à rechercher dans
ce que font les instances de pouvoir, les institutions en lien avec
le pouvoir politique, le personnel politique, etc. De façon
analogue, il convient d’observer ce qui se passe dans la société
elle-même et qui est aussi constitutif du politique. Du droit
associé à l’exercice du pouvoir, on passe à un droit associé à
l’action collective, c’est-à-dire à des formes diverses de
mobilisations du droit issues de la société elle-même 129. À une
approche consacrée «  aux règles générales, à l’intégration
hiérarchique, à l’organisation pyramidale des pouvoirs et des
règles, à la prise de décision centralisée 130 », cela dans la logique
de la première face du modèle de légalité duale, est désormais
susceptible de s’ajouter de plus en plus ou de s’opposer celle
centrée, en relation avec la seconde face du modèle de légalité
duale, sur ce qu’on pourrait appeler la fabrique sociale du droit.
Cette seconde approche est caractérisée par l’attention portée aux
multiples façons dont les acteurs sociaux, et/ou les institutions,
les organisations, les mouvements qui les représentent, vont
recourir à la norme juridique, tenter d’en user ou de s’en
approprier le sens en fonction des objectifs qu’ils poursuivent.
L’accent mis de plus en plus sur cette conception du droit
dans une relation prioritaire avec la société et ses mouvements,
conforme à la seconde face du modèle de légalité duale plutôt
qu’en rapport avec le pouvoir et l’État, justifie qu’on en recherche
les causes. Si l’on admet que les mutations de la régulation
juridique font système avec celles de la régulation poltique,
l’avènement de «  l’individualisme démocratique  », propre aux
sociétés occidentales, et ses effets, constituent ici une excellente
illustration. Le processus historique d’entrée dans la «  seconde
modernité », que nous avons évoqué précédemment, comportant
ce versant d’une autonomisation de l’individu par rapport aux
structures et aux contraintes collectives, a favorisé cet avènement
d’un « individualisme démocratique ». Ce dernier s’inscrit dans ce
passage historique déjà évoqué de la « communauté » à la société.
La conception holiste, où le tout est plus et différent, où
l’ensemble prime sur chacun des éléments qui le composent, s’est
effacée au profit d’une conception individualiste où l’individu, ses
intérêts et ses aspirations s’imposent par rapport au collectif.
Les transformations dans la régulation de la vie privée, de la
sphère privée des individus en France illustrent parfaitement
cette mutation. Si l’on prend l’exemple de la famille, nous
sommes passés d’une conception où l’individu n’existait qu’en
tant qu’il était membre d’une famille conçue comme institution à
une autre où ce sont d’abord les droits de l’individu composant la
« cellule familiale » qui prévalent sur le souci de préservation du
collectif auquel il appartient. La politique française à l’égard de la
famille était ainsi inspirée par un «  familialisme  » mettant en
avant les intérêts supérieurs de la société justifiant un contrôle
étroit sur les comportements des individus au sein de leur sphère
privée (par exemple en matière de séparation des couples). Plus
encore que dans d’autres pays, la conjugaison d’une conception
d’un État central fort et d’un «  familialisme  » conduisait le
pouvoir politique et l’État à imposer leur conception de l’ordre
familial dans le cadre de politiques publiques dites «  politiques
familiales  ». Le droit civil incarnait ce modèle, constituait la
référence pour assurer un véritable gouvernement des familles. Le
droit social en était le gestionnaire, par exemple par le moyen
d’incitations financières. Il était l’instrument de mise en œuvre
d’une protection sociale assignée à assurer la promotion de la
famille traditionnelle.
Or ce que montre particulièrement l’évolution contemporaine
en France de la production des lois dans ce domaine de l’univers
privé des individus, c’est une sorte de renversement de
perspective. À côté de dispositifs de politique publique et/ou
juridiques visant à perpétuer une certaine conception des
comportements privés dans le sens d’une défense de la famille
comme institution, s’est manifestée ces dernières années une
logique politique portée par les individus eux-mêmes au nom
d’une autonomie revendiquée dans le choix de leur mode
d’organisation et de fonctionnement de leur univers privé. Cette
revendication a été formulée au nom des principes de liberté et
d’égalité censés régir la cité démocratique.
De façon particulièrement illustrative, ce domaine de la
sphère privée des individus était soumis à un régime de
régulation juridico-politique de haut en bas où la production des
règles appliquées à l’univers privé des individus résultait de
l’action univoque du pouvoir politique et de l’État. De plus en
plus, les aspirations et les comportements des individus peuvent
conduire à des mobilisations interpellant le politique et exigeant
une réforme des dispositifs juridiques dans le sens d’une
libéralisation et d’une reconnaissance de nouvelles formes
d’organisation de cet univers privé. S’il peut être alors question
d’une « repolitisation de la famille contemporaine 131 », au sens où
la famille aurait à nouveau à voir avec le politique 132, cela peut
correspondre à une volonté des individus eux-mêmes d’investir
politiquement cette question. Il ne s’agit plus de se soumettre aux
injonctions d’un pouvoir politique, en perte d’autorité et de
finalités, et à celle des «  entrepreneurs moraux  », en vertu des
intérêts supérieurs de la société proclamés « d’en haut ». Il s’agit
d’exiger le respect des valeurs de liberté et d’égalité des individus,
sujets de droit et citoyens, en leur nom propre et, éventuellement,
au nom des groupes sociaux dont ils relèvent (en l’occurrence ici
particulièrement : les femmes, les homosexuels…).
Les transformations des positions occupées par les femmes
tant sur le plan de l’entrée massive sur le marché du travail que
de celui de la reconnaissance même partielle de leur rôle au plan
politique a constitué un facteur important en faveur de ce
changement 133. En général, une plus grande considération des
droits des femmes s’est conjuguée avec l’obligation de tenir
compte de leur nouveau statut, réalisé ou revendiqué, au sein de
leur sphère privée. De façon exemplaire pour notre propos dans
ce chapitre, les aspirations des individus-femmes ont été relayées,
portées, promues par des mobilisations collectives (les
mouvements féministes). Ces mobilisations collectives ont eu
d’autant plus d’impact que les finalités de leur action étaient
inspirées précisément par les grands principes démocratiques  :
ceux de liberté et d’égalité. La proclamation des mouvements
féministes anglo-saxons suivant laquelle tout ce qui est
«  personnel est politique  » (personal is political) illustre
parfaitement un mouvement de transposition des affaires privées
comme question politique justifiant le recours «  citoyen  » au
droit et éventuellement à la justice comme ressource ou comme
instruments de l’action collective.
Ces processus peuvent ainsi, classiquement, naître de la
défense d’une cause individuelle pour aboutir à une mobilisation
collective conduisant à faire d’un cas particulier un «  problème
public  » inscrit dans l’espace politique. Ce passage s’effectue
souvent par la contestation d’une loi, laquelle est susceptible de
se métamorphoser en une lutte pour «  les droits  » jusqu’à
provoquer une réforme de la loi initiale. Comme un exemple
parmi d’autres, un problème rencontré spécifiquement par un
couple homosexuel peut aboutir à la production d’une loi sur le
concubinage (voir par exemple l’instauration d’un « partenariat »
dans le canton de Genève 134). Nous sommes bien ici dans un des
« cas dans lesquels les acteurs judiciaires cherchent à faire d’une
vérité judiciaire singulière le symbole d’une vérité plus générale
tendant à trancher des controverses politiques 135 », cela suivant la
logique d’une « action stratégique en justice » (strategic litigation)
consistant à choisir des cas emblématiques susceptibles de
généralisations prenant la forme de changements législatifs et
politiques.
Les mouvements homosexuels inscriront leur action dans
cette filiation où les individus, au nom de leur statut de citoyens,
prétendent aux droits et aux règles inspirés des principes
généraux de la cité démocratique, à partir de leur univers privé et
en résonance avec l’espace public. La reconnaissance du couple
non fondé sur la différence des sexes, susceptible de «  faire
famille » en ayant des enfants a ainsi été revendiquée, au niveau
français comme au niveau supranational, au nom des principes
de non-discrimination, d’égalité et de liberté 136. Les processus de
légalisation des couples homosexuels puis de l’homoparentalité
constituent la suite logique de ce régime de régulation juridico-
politique « par le bas ».
Ce qui s’affirme, c’est la force d’une relation entre une
nouvelle représentation du droit, agi si l’on peut dire «  par le
bas  » et non plus exclusivement «  par le haut  », et la régulation
politique des sociétés.
Ce cas français ne fait d’ailleurs que rendre plus visible ce qui
s’observe dans nombre de mobilisations collectives ayant les
mêmes finalités au niveau international. Pour ne prendre qu’un
exemple parmi d’autres possibles, la Charte canadienne des droits
et libertés de  1982 a conduit des mouvements gays et lesbiens à
recourir aux tribunaux comme stratégie politique, en considérant
que la référence aux droits civils pouvait être un moyen privilégié
pour consacrer l’idéologie de la «  libération gay  » (gay
liberation 137). Cet exemple illustre un mouvement plus large
caractérisé par l’institution de « droits fondamentaux » justifiant
un investissement de l’espace juridico-judiciaire par des
mouvements sociaux pour des raisons politiques. C’est ce dont
témoignent les stratégies des minorités ethniques s’appuyant sur
le droit comme ressource suivant différents niveaux de
mobilisation et sur la justice comme institution investie comme
arène politique 138. Les conditions semblent réunies pour que ces
nouvelles formes de mobilisations collectives continuent à se
développer dans la mesure où les actions entreprises favorisent,
au-delà de la défense de la cause concernée, un processus de
«  conscientisation  » des groupes sociaux impliqués en faveur de
la défense de leurs «  droits  » et, par conséquent, ouvrent la
possibilité d’autres actions au plan politique.
Une illustration de ces tentatives de reconfigurations d’un
droit connecté au social comme résultant de l’avènement d’un
« individualisme démocratique » est représentée par la promotion
de cette notion de contrat que nous avons déjà évoquée dans nos
analyses sur les transformations de l’État. Le contrat a valeur ici
d’indicateur à la fois comme expression juridique mais également
dans les usages extra-juridiques, de nature culturelle ou
idéologique, dont il est l’objet. Il peut être ainsi question d’une
contractualisation des rapports sociaux. «  La métaphore du
contrat […] occupe l’espace public  » dans un contexte où «  la
communication sociale se fait de plus en plus juridique 139  ». Le
contrat peut devenir le symbole d’une autonomisation des
individus face aux montages juridiques dans les représentations
savantes de la réalité sociale. Le déplacement du règlement vers
le contrat en serait une des expressions  : «  Une France
contractualisée est en train de remplacer une France
réglementaire et, corrélativement, une France judiciarisée se
substitue à une France étatique 140.  » C’est ainsi un nouveau
modèle individualiste des relations sociales qui se met en place et
témoigne d’une nouvelle économie des rapports sociaux et de
l’économie des relations entre le pouvoir politique, l’État et la
société civile. Le droit et la justice ne sont plus exclusivement les
instruments de la domination symbolique et de la violence
légitime exercée «  par le haut  ». Ils sont susceptibles d’être
appropriés pour faire reconnaître des droits, consacrer un
accroissement des droits subjectifs, ou un «  Droit  » comme
porteur des idéaux démocratiques mais conçus par les citoyens
eux-mêmes.
L’émancipation des individus dans leur sphère privée obéit
alors aux mêmes logiques que celle des opérateurs économiques
dont l’autonomisation croît à proportion du niveau international
dans lequel ils inscrivent leurs stratégies 141 ou encore de celle de
groupes socio-culturels dont les pratiques centrifuges s’inscrivent
dans le cadre de la transformation de nos sociétés en sociétés
multiculturelles et multiethniques.
Cette autorégulation croissante qui caractérise les rapports
sociaux, ou la façon dont on souhaite les gérer, se manifeste
notamment par le développement de formes diverses de
délibération, de négociation, de médiation ou d’arrangements
susceptibles de s’établir dans l’espace de justice. Il est intéressant
de noter à cet égard que, dans le cadre d’une argumentation
visant à promouvoir la médiation comme mode de règlement des
conflits entre individus, le rapprochement soit fait entre ce mode,
l’aspiration à un nouveau régime de régulation sociale et l’idée
démocratique. La médiation familiale est ainsi présentée comme
un «  refus des décisions qui viennent “d’en haut” dans la vie
privée  », la médiation participant alors d’une «  démocratie de
l’accompagnement 142  ». La recomposition des rapports sociaux
est ainsi associée à l’obligation dans laquelle se trouve tout
pouvoir politique de rechercher l’adhésion plutôt que de tenter de
plus en plus vainement d’imposer directement son autorité ou sa
tutelle.
Bien entendu, toutes ces évolutions redonnent leur pleine
valeur à cette notion de «  droit social  » déjà mentionnée. Elles
justifient ce renversement de perspective auquel il est procédé au
sein du courant américain de la «  conscience du droit  » (legal
consciousness). En effet, il y est admis désormais que le droit est
n’est plus seulement énoncé par le pouvoir politique,
exclusivement mis en œuvre par les institutions et notamment les
tribunaux. Il surgit aussi de l’effervescence des sociétés, des
revendications que les individus et les collectifs qui les
représentent formulent, de la réalité des rapports sociaux 143…
Ces évolutions que je viens de décrire conduisent à parler, de
façon particulièrement illustrative, de « l’arme du droit 144 » plutôt
que de la «  Raison  » du droit. Elles suscitent néanmoins de
multiples interrogations sur le sens qu’il convient de donner à de
telles formes de mobilisations, de façon parallèle à ce que j’ai
évoqué dans la première partie de ce chapitre concernant les
perspectives de reconfigurations de la première face du modèle
de légalité duale. Outre, comme le montre à l’évidence une étude
en France sur le Groupe d’information et de soutien aux
travailleurs immigrés (GISTI), ce qu’elle révèle de «  difficile
conciliation entre la défense individuelle par le droit et la lutte
collective pour les droits 145  », ce processus pose la question des
finalités de telles actions collectives s’appuyant sur le droit et des
ambiguïtés possibles en la matière. S’agit-il d’une voie de
contestation radicale de l’ordre politique établi où le droit est
détourné en quelque sorte comme contre-pouvoir  ? C’est le sens
que prend un mouvement dit des «  sans  » (sans papiers, sans
domicile fixe, sans emploi…) où se développent des pratiques de
groupes sociaux «  dominés  » confrontés à l’ordre juridique
étatique (par exemple à travers l’attribution des prestations
sociales). Ces populations démunies tentent de faire prévaloir une
« inscription conflictuelle au droit », de « subjectiver leur rapport
au droit, aux droits  » et de légitimer l’usage d’un «  répertoire
d’action illégaliste » (par exemple par l’occupation de locaux par
des sans logis, par la « réquisition de richesses », par des grèves
de la faim). Elles rappellent ainsi par leurs actions que le droit
peut être à la fois instrument du pouvoir et moyen de contre-
pouvoir 146. Toutefois, une certaine ambivalence n’est pas exclue
en la matière dans la mesure où « la justification des illégalismes
passe par un recours constant à la référence juridique 147 ». S’agit-
il de mobiliser le droit en référence à sa capacité reconnue «  à
ordonner le monde social  » pour «  en dire les injustices et à en
proposer la réforme 148  » afin de finir par consacrer la légitimité
de ce droit réformé et les institutions étatiques qui le gèrent en
allant parfois jusqu’à coopérer avec elles ?
Une telle interrogation nous introduit à un second aspect
concernant ces évolutions. Nous l’illustrerons par le cas du
Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) déjà
évoqué 149 qui met en valeur la complexité de l’économie des
relations entre ces recours au droit dans le cadre d’une action
collective, par des mouvements sociaux, et les structures
étatiques. Au schéma qui paraît a  priori s’imposer en termes
d’affrontement, de rapports de forces se substitue dans plusieurs
analyses celui d’interrelations complexes où certains des acteurs
recourant à l’instrument juridique au nom d’un mouvement
social, d’une «  cause  » sont susceptibles de se situer à la fois en
dehors de l’État et dans l’État 150. Le constat d’une certaine
porosité entre l’État et des représentants de la société civile avait
été établi, notamment dans l’élaboration des politiques pénales,
relevant en principe du monopole du pouvoir régalien, via des
«  communautés épistémiques  », sorte d’espaces d’expertise
assurant la transition entre les deux univers 151. De façon quelque
peu analogue, le GISTI est progressivement devenu un
interlocuteur reconnu du Conseil d’État influant sur sa
jurisprudence et sa doctrine jusqu’à devenir acteur et
coproducteur des politiques publiques concernées 152.
Ainsi à une vision en termes binaires que suggèrent ces
recours au droit dans des formes de mobilisations collectives
peut se surajouter une autre approche prenant en compte les
interactions complexes entre ces stratégies de la contestation et
les cadres juridiques associés à des formes institutionnelles issus
de l’État avec lesquels ces stratégies doivent s’ajuster 153.
L’application de la loi française du 5  mars 2007 instituant «  le
droit au logement opposable  » pourrait en fournir une autre
illustration.
L’évocation d’un autre risque permet d’établir encore un
parallèle avec ce que nous avons traité dans la première partie de
ce chapitre concernant les perspectives de développement de la
première face du modèle de légalité duale et les mythifications
dont elles peuvent faire l’objet. Dans une version disons
optimiste, le caractère ambigu et contradictoire du droit, de la
ressource juridique dans les sociétés libérales, aboutit au fait que
le droit peut être perçu tantôt comme danger, tantôt comme
panacée dans l’accomplissement et la mise en œuvre du
politique 154. Les normes juridiques et les institutions ne
garantissent pas la justice non plus qu’ils ne sont un simple
obstacle dans la recherche d’une société plus juste 155. La question
reste de savoir si la domination est bien davantage susceptible,
grâce au droit et à ses appropriations par les citoyens et les
mouvements qui les réunissent, d’être remise en cause dans les
sociétés libérales. Peut-elle l’être plus que dans bien d’autres
régimes, ou l’efficacité de cette ressource et de ses usages dans les
luttes sociales, via éventuellement l’espace judiciaire, devrait-elle
être relativisée 156 ?
La cause de cette réserve peut tenir notamment aux difficultés
d’ajustement entre les contraintes tenant à la nature même du
juridique et les caractéristiques des cas susceptibles d’être traités
dans le cadre de la défense ou de la promotion d’une cause
collective. Le risque est bien alors celui d’un dessaisissement. Par
exemple, c’est ce qui s’observe en droit du travail où « les avocats
sont en effet amenés à un travail très particulier de
“juridicisation” et de politisation de la cause du travail
salarié 157  ». Il s’agit pour eux de «  “mettre les choses en ordre”
juridique et politique 158  ». Cette mise en ordre prend la forme
d’une transformation d’un « “récit de travail” en un ensemble de
catégories juridiques susceptibles d’être confrontées avec succès à
la jurisprudence 159  ». C’est ce même processus qui pourra être
observé en France dans la pratique d’acteurs d’associations
militantes comme SOS racisme pour les victimes de
discriminations 160 ou la CIMADE pour les demandeurs d’asile où
il s’agira d’anticiper et de rechercher l’adéquation entre les
propriétés personnelles et sociales du cas et les catégories
juridiques susceptibles d’être mobilisées 161.
Dans cette perspective, les contraintes du juridique vont
jusqu’à prendre la forme d’un risque de dénaturation des finalités
poursuivies par l’action collective. On retrouve alors l’argument
déjà évoqué à propos de l’intervention de la justice dans le
domaine du social  : celui de la nature spécifique du droit, de sa
logique propre conduisant irrémédiablement à une
singularisation dans le traitement des problèmes et des causes
politiques 162. Le risque est bien ici que leur dimension collective,
sociale soit occultée. Loin d’assurer un accroissement des droits
des citoyens y compris des plus démunis, le recours au droit
participe, à l’inverse, d’un gouvernement du social, en particulier
d’un «  gouvernement des pauvres 163  », marqué par
l’individualisation et la psychologisation 164. La même réflexion
pourrait être faite si l’on se réfère plus généralement à ce qui
serait les grandes constantes de la justice où «  c’est toujours les
mêmes qui s’en sortent bien 165 ».
Les façons dont je viens de tenter d’illustrer l’avènement de
«  l’individualisme démocratique  » suffisent à montrer qu’on ne
saurait se contenter ici d’une interprétation en termes univoques
laissant supposer une évolution linéaire. Nous avons déjà vu que
le processus historique d’individuation relevait à la fois d’une
évolution des pratiques et des attitudes des individus et d’une
logique de traitement politique et institutionnel du social au sens
large. De la même façon, la prise en compte du processus
d’autonomisation des individus dans la gestion de leur univers
privé ne saurait masquer ce qui se manifeste dans ce domaine de
façon exemplaire : l’obstacle des inégalités et de leur perpétuation.
Les individus ne disposent pas tous des mêmes ressources
matérielles voire culturelles pour entrer dans ce processus de
«  modernisation  ». Il a pu être ainsi considéré que la
«  démocratisation de la vie personnelle  » était en réciprocité
positive avec la démocratie politique 166. Mais une considération
aussi généralisante occulte, par exemple, le constat suivant lequel
pour certains individus, pour certaines femmes principalement,
le risque d’une précarisation de la structure familiale est
susceptible d’exposer au risque social d’une paupérisation.
Plus largement, le fait que les stratégies d’opérateurs
économiques participent du même processus que celles des
individus dans leur univers privé conduit à observer que le
constat suivant lequel les individus ne disposent pas tous des
mêmes ressources pour entrer dans le mouvement de
modernisation de la vie privée peut être transposé de façon plus
générale. Certains individus et certains groupes sociaux disposent
de ressources matérielles, financières, en termes de pouvoir, qui
leur permettent, plus que d’autres, d’optimiser les avantages de
l’individualisation et de la relativisation des modes de régulation
« par le haut » qu’elle induit, de ce qui serait le développement de
la seconde face du modèle de légalité duale.
L’avènement de « l’individualisme démocratique » ne vaut pas
ainsi pour tous et le processus qu’il suppose peut avoir son revers.
Pour ce qui nous concerne ici, il peut favoriser un accroissement
des usages inégalitaires du droit et de la justice et des avantages
qu’on peut en tirer. Tout en ayant à l’esprit sa vision unilatérale
du droit soulignée plus haut, il convient de rappeler que
l’approche marxiste portait déjà elle-même cette conception
critique de la «  liberté contractuelle perçue comme principe
suggérant l’image de partenaires égaux, tels que le capitaliste et
l’ouvrier, et occultant en fait le vrai rapport d’inégalité entre eux.
C’est suivant la même optique que Marx s’attaque à la théorie du
droit de Jeremy Bentham 167  ». Dans le même esprit, le
mouvement français de « critique du droit » considérera plus tard
que le «  droit bourgeois  » assure «  dialectiquement l’éclatement
de la société en individus et leur regroupement [dans des
rapports notamment d’ordre] contractuel qui constituent l’ordre
particulier de la société capitaliste 168 ».
Par conséquent, si le contrat est brandi comme symbole du
triomphe de «  l’individualisme démocratique  », il convient de
garder à l’esprit que, suivant la conception anglo-saxonne, le
contrat est d’abord perçu comme une «  façon de réduire la
souveraineté de l’État au profit de la volonté individuelle 169 ». La
«  mythologie  » ou le «  renouveau contractualiste  », ou pour
d’autres «  l’inflation contractualiste  », renvoient alors à Spencer
et Maine pour qui «  les relations contractuelles sont à la fois le
signe et l’accélérateur d’une diminution de l’emprise des
institutions politiques et d’une solidification de l’ordre spontané
[supposé assurer] la croissance de la richesse 170 ».
Dans une telle perspective, l’idée de démocratisation se
brouille et laisse place à celle de «  société de marché  » laquelle
deviendrait « un modèle général des rapports sociaux 171 ». D’une
telle société, il est attendu de la part d’acteurs, de plus en plus
autonomes, l’expression d’aspirations ou d’intérêts particuliers
dans le cadre social ou économique. Un ajustement procédant de
cette autorégulation est supposé en découler. Cet ajustement doit
fonder le Bien commun et organiser autrement le lien social. Ces
nouvelles formes de gestion des rapports sociaux peuvent ainsi
concerner à la fois les citoyens dans leurs rapports privés ou avec
la puissance publique, les opérateurs économiques dans le cadre
de systèmes d’échanges au niveau national et supranational, les
minorités ethniques ou des communautés ou groupes sociaux
fondés sur des spécificités culturelles ou religieuses revendiquant
la reconnaissance de droits ou de statuts particuliers 172.
La question reste de savoir si la diversité des implications en
fonction des positions des acteurs sociaux et des contextes
politiques, culturels et sociaux permet l’inscription dans une
même orientation vers «  l’avènement d’un individualisme
démocratique  » tel que défini plus haut. Le risque est ici celui
d’une généralisation abusive. Ce risque existe particulièrement si
l’on relie le développement de l’intérêt porté à la seconde face du
modèle de légalité duale précisément à la variable politique. Je le
ferai ici en m’appuyant sur un exemple  : celui des pays
d’Amérique latine et du recours à la judiciarisation pour traiter
des violations des droits de l’homme. S’il existe des variations
dans ce recours à la judiciarisation, le facteur commun est ici le
précédent historique de l’existence d’une répression liée à celle de
régimes dictatoriaux. La mise en place de structures
démocratiques qui ont suivi a non seulement eu pour
conséquence le traitement dans l’arène judiciaire des violations
des droits de l’homme mais ont favorisé le développement de
stratégies convergentes avec, d’un côté, des cours suprêmes qui se
sont instituées comme défenseurs des droits sociaux et, de l’autre,
des mouvements collectifs qui ont utilisé les tribunaux comme
arène pour promouvoir leurs luttes 173. Pour ne citer qu’un
exemple : celui de la Colombie où, en l’occurrence, une sorte de
dialectique entre la Cour constitutionnelle colombienne, un
contexte de crise économique et la mobilisation des mouvements
sociaux, grâce notamment à une transformation du langage
juridique, ont permis que s’affirme un processus par le bas
d’usage du droit et de la justice au profit de la promotion des
droits sociaux et, plus largement, du changement social 174.
Loin de s’inscrire dans une évolution linéaire et de découler
inéluctablement de transformations générales et universelles de
phénomènes sociaux et culturels, l’activation de la seconde face
du modèle de légalité duale peut dépendre de facteurs
particuliers et de contextes historiques spécifiques.
Chapitre VII
L’IDÉAL DÉMOCRATIQUE

La rupture avec une certaine représentation dominante de la


légalité telle que nous venons de l’examiner, cette reconnaissance
d’un régime de régulation juridique « par le bas », même si nous
venons d’en voir les limites, suggèrent un idéal démocratique. En
effet, ce régime de régulation juridique porte en germe la
revendication d’une conception de l’ordre politique en rupture.
Dans cet esprit, loin d’être simplement soumis à des normes, les
citoyens ont la possibilité d’en être les acteurs, parties prenantes
de pratiques procédurales dans les espaces sociaux dans lesquels
ils se meuvent, où s’ouvre l’éventualité d’exprimer précisément
leur condition de citoyen par l’exercice d’une activité juridique «
ordinaire », qui serait rendue possible par une nouvelle proximité
avec le droit. Dans la mesure où ces potentialités d’un nouveau
rapport au droit est en relation avec la question de la démocratie
et de la participation des citoyens à l’action collective 1, ces
scenarii sont susceptibles de valoir pour l’espace politique lui-
même 2.
Pour ne prendre qu’un exemple, la possibilité de
prolongement politique de ces «  jeux  » citoyens avec le droit se
manifeste dans cette entreprise de Shanghaï où les ouvriers
défendent leurs intérêts en expérimentant puis en développant et
approfondissant une stratégie de type juridique. Celle-ci les
oriente progressivement vers une approche plus délibérative des
processus collectifs de décision pour les détacher relativement
des modes de fonctionnement de type communautaire qui leur
étaient coutumiers. Ce qui apparaît finalement, c’est que les
revendications portées par ces ouvriers, si elles se concrétisent
sur un registre juridique, s’inscrivent en fait plus largement dans
un processus d’apprentissage «  réussi  » de procédures et de
façons de faire de type démocratique, de pratiques
démocratiques 3.
Ce renversement dans la représentation du droit, qui ne se
définit plus par les propriétés ontologiques conférées à un sujet
abstrait, introduit effectivement à la question d’un droit politique
qui est, pour reprendre la célèbre formule d’Hannah Arendt, « le
droit à avoir des droits 4 ». Il pose la question des moyens pour le
citoyen de les solliciter sur des registres multiples correspondant
aux divers types de citoyenneté dont il fait l’expérience dans les
différents espaces sociaux dans lesquels il se meut. Ce passage du
droit aux droits, outre qu’il est favorisé par l’affaiblissement des
grandes entités comme l’État 5, est concomitant d’un changement
de la conception même du politique 6. En effet, il est possible que
des mouvements sociaux se donnent pour objectif, non pas
seulement de revendiquer des droits mais de les faire inscrire
dans le droit, suivant un mouvement du « bas » vers le « haut »,
c’est-à-dire à l’inverse d’une conception dogmatique du droit, et
suivant des procédures qui pourraient participer d’un nouveau
modèle démocratique. Bien entendu, cette «  rhétorique des
droits  », celle des «  droits à  », pas plus que le modèle d’une
«  Raison  » juridique, n’est exempte des mystifications dont elle
peut faire l’objet, notamment au détriment des principes de l’État
social, de la préservation des droits sociaux 7.
Derrière ce passage au pluriel – du droit aux droits – se profile
la diversité des ordres normatifs. C’est bien un pluralisme
normatif qui s’affirme, conforme à la diversification des rapports
sociaux et à une pluralité des ordres politiques au sein desquels le
citoyen dispose d’une palette de registres pour faire valoir ce qu’il
estime être ses droits, pour accéder au «  droit d’organiser et de
participer à la création de droits 8 ». L’observation de groupes de
population qui se sont constitués à la suite de ségrégations
spatiales comme autant de ségrégations sociales et culturelles
permet ainsi de constater la capacité de ces groupes de
population à construire leur propre système normatif susceptible
de fonctionner « d’une façon radicalement démocratique 9 ». Ces
groupes acquièrent ainsi un «  potentiel émancipateur  » dans un
contexte où « le droit de la communauté exclue se trouve dans un
rapport de pluralisme juridique avec le droit de la communauté
qui exclut 10  ». Loin des «  théories monolithiques du droit  », il
s’agit de faire le constat de l’existence «  non pas [d’]une légalité
mais [d’]un réseau de légalités différentes et parfois
contradictoires 11  ». C’est donc d’une interlégalité qu’il s’agit,
susceptible de contribuer à construire un citoyen en phase avec
les traits principaux d’un modèle démocratique impliquant qu’il
soit pris en considération, qu’il soit partie prenante d’un
processus de participation, qu’il accède aux espaces de
délibération.
Pour Jürgen Habermas, « le mouvement de procéduralisation
et de processualisation auquel on assiste apparaît constituer un
élément de renouvellement et d’approfondissement d’une
démocratie envisagée comme un régime non seulement politique
mais social où l’accès de tous à un droit devenu pluraliste devient
possible 12 ». Ainsi, de la mise en œuvre d’une conception du droit
participant du répertoire de l’action collective issue de la société
découle logiquement l’idée de l’utilité de la loi dans le
renforcement du pouvoir des citoyens marginalisés ou même des
citoyens ordinaires 13. Face à une représentation de la loi qui
suggère un ordre hiérarchique, la loi, activée par des citoyens en
rupture, peut être une source de désordre aux effets positifs 14, en
l’occurrence en favorisant une égalitarisation des conditions.
Cette conception s’inscrit dans une approche et une définition
de l’action collective qui privilégie l’idée de luttes contre les
hiérarchies et les injustices. C’est ce qu’illustre cet exemple
américain de campagnes pour l’« égalité de salaire » (pay equity)
concernant principalement les femmes mais aussi les individus
sous-payés ou sous-valorisés au motif de leur appartenance à des
minorités sexuelle ou raciale 15. Dans cet esprit, la mobilisation du
droit peut participer directement d’un processus politique de
contestation d’un ordre établi. Le droit est perçu comme en
mesure de fournir «  à la fois des principes normatifs et des
ressources stratégiques pour la conduite des luttes sociales 16  ».
Suivant cette logique, il ne s’agit pas forcément ici de gagner un
procès mais de faire avancer une cause « dans l’ombre de normes
juridiques favorables et de la menace d’une intervention
judiciaire 17 ».
Le rapport à la loi prend la forme d’une pratique sociale ayant
prétention à poursuivre des finalités politiques. La loi participe
d’un ordre légal pluraliste avec une multitude de traditions
juridiques «  indigènes  » et relativement autonomes, issues de
nombreuses sous-cultures et instances au sein de la société. Elle
est donc susceptible de structurer des stratégies potentielles de
résistance et de prendre des formes multiples suivant les
différents terrains de luttes sociales 18. Cette conception est donc
bien en rupture avec les analyses classiques sur le droit, ce qui
autorise à qualifier ces activités juridiques de « jurisprudence par
le bas » (bottom up jurisprudence 19). Le droit et la justice y sont
consacrés comme ressources dans le cadre de luttes politiques.
Au-delà de la quête d’acquisition de droits acquis, l’objectif peut
être alors d’ouvrir des perspectives plus larges aux mouvements
sociaux impliqués 20 comme celle de considérer un pouvoir
collectif 21, ce que les militants désignent eux-mêmes comme le
renforcement du collectif par l’intensification d’une solidarité 22. À
l’obtention de droits nouveaux est susceptible de s’ajouter l’accès
à une « conscience des droits 23 ».
Une telle redéfinition de la mise en relation de la légalité avec
celle d’un ordre politique, en l’occurrence d’un ordre politique en
rupture, suggère l’émergence possible d’un nouveau modèle de
légalité. Ce nouveau modèle est d’abord inspiré par les idéaux
portés par cette régulation juridique «  par le bas  » dont nous
venons de rendre compte des expressions qu’il peut prendre. Mais
il n’exclut pas ce qui s’inspire de la première face du modèle de
légalité duale  : celle d’un droit comme «  Raison  ». Dans ce qui
serait une aspiration à construire une combinaison idéale « entre
un devoir-être et un “vouloir être” 24  », la promotion d’une
nouvelle conception universelle des «  droits fondamentaux  »
deviendrait indissociable d’une prise en compte de la diversité des
groupes sociaux et des sociétés visés par ces droits et de la
reconnaissance de la nécessaire participation des citoyens
concernés à leur élaboration.
Quel que soit le niveau où elle se situe, cette invocation de la
participation, de l’exigence d’implication des citoyens dans les
affaires de la Cité, celle-ci élargie dans certains cas à l’échelle de
la planète, témoignerait, de façon particulièrement éloquente, de
l’exigence à laquelle se trouverait désormais confrontée toute
entité ayant vocation à produire du droit ou du «  Droit  » et,
corrélativement, du politique. Il ne serait plus possible de s’en
tenir à la formulation de la généralité sans plus d’interaction,
suivant des procédures nouvelles, avec la société. Ces procédures
devraient intégrer impérativement les principes d’un civisme
partagé. Celui-ci résulterait d’une forme de proximité assumée
avec les citoyens. Cette proximité serait inspirée par l’idée de
réciprocité des échanges avec eux ou entre eux (ce qui
constituerait à la fois la force et la spécificité des mobilisations de
la société civile), cela en vue de l’instauration d’une « démocratie
de l’interaction  » consacrant la disqualification de la conception
classique de la représentation au plan politique 25, de la
production traditionnelle d’une «  Raison  » au plan juridique.
Cette «  révolution  » du droit serait d’autant plus nécessaire que
c’est bien le rapport des citoyens au politique («  à la fois plus
distant de la politique et plus investi dans le politique  »), les
formes d’une activité politique (« contingentes et pluralistes, voire
déroutantes et dissonantes  ») qui ont changé 26. Revenons sur
trois des exigences suggérées par cette nouvelle mise en relation
entre légalité et démocratie.

L’EXIGENCE DE PROCÉDURALISATION

L’exigence de ce qu’on pourrait appeler une implication


citoyenne, où les formes de réalisation d’un idéal démocratique
sont indissociables de celles de la légalité, est susceptible de se
décliner de plusieurs façons. L’avènement de la «  démocratie de
l’interaction  » suppose qu’une attention accrue soit accordée à
des procédures témoignant du souci de l’avis de ceux destinataires
de ces décisions. Les citoyens peuvent accorder plus
d’importance à la façon dont les traitent les institutions qu’à
l’efficacité de ces dernières. L’adoption d’une telle perspective
doit effectivement amener à distinguer « la question du contenu
des décisions de celle des procédures qui y conduisent  » et à
considérer «  l’importance majorée à la dimension d’équité
procédurale pour évaluer la légitimité de l’institution 27  ». La
forme est supposée importer aux citoyens tout autant que le fond.
C’est tout le sens de cette «  démocratie procédurale  » dont il
est revendiqué qu’elle soit activée spécifiquement à la fois dans la
conception du droit et dans ses mises en œuvre, c’est-à-dire dans
des domaines où, précisément, c’est le sentiment de distance qui
prévaut, comme l’illustrent, de façon exemplaire, l’institution
juridique et l’institution judiciaire. La distance est celle entre des
«  clercs  » maîtres d’un savoir spécialisé et le plus souvent
ésotérique pour les profanes. Elle est celle de lieux et de rituels
dont on a déjà vu qu’ils étaient effectivement conçus pour
entretenir la distance entre une représentation d’exceptionnalité
du droit et de la justice et les citoyens « ordinaires ». Or c’est bien
cette distance qui est au cœur des critiques adressées par les
citoyens à l’institution juridique et à l’institution judiciaire 28. Des
travaux américains sur la police et la justice, que nous avons déjà
cités dans le chapitre  III sur les acteurs, montrent que « le regard
porté sur ces deux institutions sensibles n’était que faiblement
corrélé avec la nature des sanctions qui leur avaient été infligées.
Si la “satisfaction” des individus dépendait évidemment au
premier chef du verdict prononcé, leur appréciation de la
légitimité de l’institution judiciaire était, elle, fondée sur un autre
critère  : celui de leur perception de l’équité du procès  ». Ce
sentiment d’équité est fondé  : sur le sentiment éprouvé par
l’individu que son «  point de vue a bien été pris en compte  »,
«  d’avoir pu faire valoir les particularités d’une situation  »  ; sur
«  la façon dont les gens se sentent considérés  : les agents
auxquels ils ont à faire les traitent-ils avec respect et politesse  ;
[…] voient-ils qu’on les considère comme des membres à part
entière de la communauté 29 ? ».
Suivant cette logique, il est certainement significatif que la
médiation (évoquée plus haut dans sa dimension politique) et la
négociation sont susceptibles d’apparaître comme plus en
adéquation avec des attentes de citoyens aspirant à être
considérés comme des acteurs sociaux et non comme des sujets
passifs, y compris dans des processus qui impliquent le recours à
la ressource juridique. La négociation apparaît comme
constitutive de la «  démocratie délibérative  », comme un
instrument privilégié de la gouvernance des différents espaces
sociaux que nous avons évoqués plus haut  : de l’entreprise aux
autres structures collectives constituant la Cité, des organisations
à la société politique. Le principe de fonctionnement de l’ordre
social et de l’ordre politique qui tend à s’affirmer de plus en plus
est fondé sur la participation aux prises de décision publique par
des citoyens actifs. La délibération doit être collective et la
décision négociée. L’ordre politique doit être désormais
effectivement pensé comme un ordre négocié 30. C’est ainsi que
pour certains, «  emblématique de la modernité, elle [la
négociation] intègre nombre de ses valeurs fondamentales  :
l’égalité, l’avènement du sujet, la rationalité, l’autonomie, le
dépassement des dominations traditionnelles et bureaucratiques,
la crise de l’autorité, le rejet de la violence au profit d’une
conflictualité maîtrisée 31 ».

L’EXIGENCE DE DÉLIBÉRATION

Dans ce qui s’annonce comme la revendication d’un nouveau


régime de régulation sociale, juridique et politique, le principe de
la délibération apparaît ainsi comme fondamental. De ce point de
vue, l’espace de justice et l’exercice de la mission de justice, les
mutations qui s’y observent, constituent pour nous un véritable
«  laboratoire  ». La justice renvoie d’abord classiquement à la
fonction d’institution. Elle renvoie ensuite tout aussi
classiquement à la fonction de régulation. Mais une troisième
fonction, en tension avec les deux autres, s’affirme de plus en
plus, au moins dans les attentes citoyennes  : une fonction de
délibération politique. L’espace de justice est alors conçu comme
un espace de régulation négociée, comme lieu de confrontation
des revendications de droits et de promotion de causes relevant
éventuellement de logiques «  illégalistes  », relevant du «  non-
droit  » mais susceptibles de devenir du droit. Cette fonction de
délibération politique porte alors un pouvoir de contradiction par
rapport aux deux autres logiques dans la mesure où elle est
investie par les acteurs politiques et les mouvements sociaux.
Même si elles sont exposées à des critiques témoignant parfois
d’un certain désenchantement 32, les « commissions de vérité et de
réconciliation » ont ouvert des perspectives sur cette fonction de
délibération politique de la justice. Elles représentent en effet
l’exercice d’une «  fonction politique de la justice explicite, celle
qui incombe à une instance de démocratisation et de pacification
sociale  ». Une telle instance propose des «  mises en récit  », un
travail de mémoire, de la part des acteurs de tragédies politiques
ayant vocation à participer de manière plus directe et immédiate
à la démocratisation 33. Il est de ce point de vue significatif que
cette mise en relation explicite de l’exercice de la fonction de
justice et de la question d’un nouveau modèle démocratique se
fasse en référence à des formes de justice en rupture par rapport
à la conception étatisée, institutionnalisée, professionnalisée de la
justice. Dans ces nouvelles formes de justice, la délibération
occupe une place centrale. La référence prioritaire à la
communauté y renouvelle l’idée de justice immergée dans la
société. La proximité y apparaît comme attribut d’une démocratie
impliquant réellement les citoyens.

L’EXIGENCE DE PARTICIPATION

Comme je l’ai déjà suggéré, ce qui devient central dans ce


mouvement vers un nouveau modèle de légalité inspiré d’un idéal
démocratique, c’est bien l’idée de participation. Là encore le droit,
ses processus de production et ses formes de mises en œuvre
fonctionnent comme un révélateur à la mesure des
représentations qu’il porte, celles-ci à l’inverse de l’idée de
distance et de monopole de son exercice par les «  clercs  ». J’ai
rapporté plus haut les réflexions tirées des expériences ou des
aspirations à la mise en œuvre d’une démocratie participative
dans les instances européennes ou en matière d’environnement.
Dans la même ligne, il est possible d’évoquer ici, comme
illustration de ce qu’il faut bien considérer comme un projet de
révolution paradigmatique concernant le droit et ses rapports à la
démocratie, les analyses proposées dans une perspective de
philosophie du droit par deux auteurs développant depuis
plusieurs années un programme de recherche intitulé Democratic
Governance and Reflexive Theory of Collective Action 34. Dans le
cadre d’une « approche délibérative », « pragmatiste », il s’agit en
effet de concevoir des processus d’action collective où les acteurs
sont associés à la conception des normes et à leur application
dans le cadre d’opérations d’apprentissage relevant d’une
approche « génétique » de la participation 35.
Ce souci d’associer les citoyens «  ordinaires  » à la formation
même du droit s’inscrit dans la filiation de courants de pensée,
comme celui de John Dewey 36, où est avancée depuis longtemps
cette idée d’un dépassement des formes de démocratie
représentative par la mise à la dispostion des citoyens d’un
«  certain nombre de ressources, de biens, de méthodes, de
formations, d’équipements 37  » les dotant «  du pouvoir de
produire eux-mêmes les connaissances grâce auxquelles ils
pourraient [par exemple] agir sur les situations qui les
“troublent”, qui les font souffrir, qui produisent de l’exclusion ou
de la détresse 38  ». La préoccupation du rapport aux normes des
citoyens, particulièrment aux normes juridiques, n’est ainsi qu’un
élément d’une préoccupation plus large qui est celle de donner
aux citoyens «  ordinaires  » les moyens d’être partie prenante
d’une véritable « démocratie participative », seule susceptible de
remédier, non seulement à un rapport au droit, actuellement en
crise d’adhésion et de croyance, mais à un rapport au politique
lui-même exposé à une crise de légitimité.
Cette expérimentation de procédures de participation à la
conception et à la mise en œuvre de normes juridiques est aussi
conforme à l’idée de Jürgen Habermas suivant laquelle la
légitimité démocratique ne se construit que dans la mesure où
«  le cercle des personnes qui participent aux décisions recoupe
celui de ceux qui en subissent les conséquences […] [cela suivant
le principe] d’autorégulation par les citoyens [qui] requiert en
effet que ceux qui sont soumis au droit en tant que destinataires
se pensent aussi comme auteurs du droit 39 ». Elle ouvre alors la
voie à une redéfinition du contrat social et à l’avènement d’une
«  gouvernance démocratique  » où les citoyens ne sont plus
seulement acteurs du droit mais co-auteurs, et, à ce titre,
participants actifs à la mise en place d’un nouveau modèle
démocratique, en l’occurrence celui de la «  démocratie
délibérative ».

UN NOUVEAU MODÈLE DE LÉGALITÉ

Tout cela suppose finalement que des espaces soient offerts à


une « délibération libre et égale pour tous 40 », que se manifeste la
reconnaissance dont les citoyens doivent faire l’objet 41. Cette
reconnaissance ne se réduit pas au respect de vertus seulement
morales dans la prise en compte des demandes des citoyens. De
façon différente d’une conception, qui a pu être considérée
comme culturaliste, justifiant des formes de mobilisation à
connotation morale se substituant aux mobilisations politiques 42,
il s’agit là, au contraire, d’intégrer le souci de considérer les
particularités des positions que les citoyens occupent, notamment
sous forme d’inégalités dans l’espace économique et social, dans
celui des relations de genre 43, cela de façon indissociable avec la
volonté de réduire ces inégalités par des changements structurels
des sociétés.
La redéfinition du contrat social passe ainsi par une
reconsidération radicale, simultanément du modèle de légalité et
du régime de régulation politique des sociétés. Rien ne le montre
mieux que la notion de « mise en capacité » (empowerment), dans
le sens ici d’un processus d’apprentissage pour permettre à ceux
«  d’en bas  » d’accéder tant au savoir du droit qu’au pouvoir
politique tout en étant en mesure d’engager leurs propres
«  savoirs issus de l’expérience, savoirs “profanes” opposés aux
savoirs professionnels 44 ».
Le souhait de substituer une démocratie participative à la
démocratie représentative est consubstantiel d’une contestation
de la légitimité de la loi issue d’un processus « par le haut » (top
down). L’avènement d’une « société singulariste », du souci de la
particularité, de l’acceptation d’une citoyenneté fragmentée, la
revendication d’un renforcement ou d’un rétablissement des
principes démocratiques renvoient à une conception du droit
moins fondée sur l’idée d’unicité, de monisme que sur celle de ce
pluralisme auquel il a déjà été fait plusieurs fois référence, de
droit approprié plutôt que de droit imposé. Comme l’estime un
anthropologue du droit  : «  Le monisme juridique offre les
avantages et autorise le repos des certitudes  : quoi de plus
rassurant qu’un astre unique dans un ciel fixe  ? Le pluralisme,
dans sa version forte, nous ouvre les portes d’un univers
vertigineux, peuplé de galaxies juridiques qui s’éloignent les unes
des autres, ou, au contraire, s’attirent, en mêlant parfois leurs
bras. La vision classique du droit serait-elle aussi dépassée que le
géocentrisme 45 ? »
L’aspiration à une « démocratie d’interaction », la quête d’une
«  légitimité procédurale  », la prise en compte du besoin de
participation, de sa revendication, se répercutent sur les
conceptions projetées de la production et des mises en œuvre du
droit. Dans cette perspective, le citoyen aspire à ne pas être
simplement le destinataire du droit mais un acteur à part entière.
Mais ces métamorphoses de l’idée démocratique
concomitamment avec le processus historique
d’internationalisation visent également à réactiver l’inscription
dans le marbre du droit d’idéaux au fondement des sociétés.
C’est bien alors un nouveau modèle de légalité qui est mis en
avant. Ce nouveau modèle de légalité résulterait d’un métissage
entre des pratiques de droit surgies de la société elle-même dans
sa diversité et un droit référence (étatique ou supranational). Ce
dernier trouverait alors, avec cette possibilité d’une irrigation
sociétale, une source de renouvellement en même temps qu’un
moyen de restauration susceptible de rétablir sa légitimité
menacée. Dans cet esprit, l’État est attendu pour prendre part
comme acteur aux «  nouveaux arrangements sociaux  », pour
fonder son action d’institution du droit sur un « ancrage dans la
réalité sociale » et tirer parti de la participation des citoyens. Ce
qui se dessine, c’est le principe d’une légalité « co-construite » et
ne relevant plus du monopole de l’État. Il ne s’agit rien moins que
de concevoir un processus d’établissement d’un nouvel État de
droit, ouvrant la possibilité de constitution d’un nouveau contrat
social 46. L’avènement d’un tel processus suppose que la
transcription de ces principes d’un nouvel ordre démocratique
débattus dans le champ politique et celui de la philosophie
politique soit opérée dans le droit lui-même pour être mise au
service des citoyens mais aussi pour transformer les formes
mêmes de l’action publique et favoriser l’avènement d’une
« nouvelle gouvernance publique 47 ».
Paradoxalement, compte tenu des critiques dont elle fait
l’objet, la globalisation favorise également des analyses
contribuant à renforcer ces nouvelles perspectives où les rapports
au droit deviennent constitutifs d’un idéal démocratique. Elle
recèlerait ainsi des potentialités d’établissement d’une nouvelle
universalité, d’une véritable universalité en même temps qu’elle
renforcerait l’attente d’un nouveau projet démocratique, pensé à
l’échelle mondiale 48. C’est ainsi qu’elle autorise à envisager de
«  nouvelles échelles démocratiques  » englobant le local et le
global et conduisant à des reconfigurations de l’État. Certes, ces
reconfigurations sont susceptibles de prendre des formes
complexes et contradictoires dans la mesure où l’État est institué
non pas comme tiers mais comme lieu de luttes sociales,
éventuellement objet de rééquilibrages internes sous l’effet de la
globalisation (par exemple avec le renforcement de l’Exécutif par
rapport au Législatif, ou, à l’inverse, désinvesti politiquement par
les mouvements sociaux transnationaux 49). Dans ce contexte, la
mobilisation d’une société civile mondiale susceptible de
constituer un « espace public » au sens de Jürgen Habermas 50 est
présentée comme une évidence. C’est là que pourrait s’affirmer
une citoyenneté globale fondée sur un « nouveau droit global 51 »,
un « droit commun de l’humanité 52 » où « la logique territoriale
s’efface au profit […] de celle de scène globale, ou encore d’un
espace global 53  ». Un nouveau «  droit des gens  » adviendrait,
résultant d’un accord de volonté entre les individus, au-delà des
frontières de l’État-nation, dans le cadre d’une nouvelle
conception de l’universalité du genre humain. Une telle évolution
suppose bien entendu un «  dépassement de l’État  », une
redéfinition du «  Pouvoir  » ou l’avènement d’un «  nouveau type
de Pouvoir » né du dépassement du concept de souveraineté des
États. Ce nouveau « Pouvoir » serait transféré de l’État souverain
à l’individu, d’un individu comme élément constitutif d’une
société civile transnationale. Cet individu «  se libère non
seulement de l’État, mais également de ses frontières pour
devenir, dans une optique cosmopolite, citoyen du monde 54  »,
cela dans le cadre d’une société mondiale conçue comme un
espace unique de négociation entre individus lui appartenant 55.
En fait, les analyses consacrées à la vie du droit dans les
facettes de la société où son existence est généralement ignorée
semblent particulièrement propices à ces réflexions sur
l’émergence d’un nouveau modèle de légalité. Ces lieux
constituent de véritables « laboratoires ». C’est ce qu’illustre cette
observation de formes diverses d’activation du droit par des
habitants d’une cité populaire à laquelle je me suis déjà référé.
Des formes diverses d’activation s’y manifestent à deux niveaux :
celui de la gestion des relations des habitants entre eux et celui
des rapports avec les institutions publiques. Conformément à
l’idée de rupture avec une vision dichotomisée entre les deux
faces du modèle de légalité duale, ce qui se donne à voir ici, c’est
« l’idée d’une osmose, d’interrelations multiples » entre une base
sociale qui « joue » avec le droit et crée du droit et un pouvoir qui
a pour fonction de l’instituer 56.
La pensée juridique porte elle-même depuis longtemps la
possibilité de ce nouveau modèle de légalité qui résulterait d’une
«  hybridation  » assumée entre les deux faces du modèle de
légalité duale. Il convient effectivement de « refonder l’ensemble
des pouvoirs 57  ». Comme le considère Mireille Delmas-Marty, à
partir du constat que « la mondialisation ne peut reposer sur les
seuls juges  »  : «  Il faudrait imaginer une sorte de “monstre
juridique” 58, par hybridation entre l’état de droit et la
gouvernance mondiale, pour réinstituer les pouvoirs législatifs et
exécutifs aux différents niveaux et organiser la participation de
tous les acteurs, y compris les acteurs privés (économiques,
civiques, voire scientifiques) 59. »
Ma démarche, centrée sur l’inscription sociale et politique du
droit et de ses acteurs, qui m’a conduit à mettre en valeur un
modèle de légalité duale pour aboutir à dégager les enjeux
contemporains autour de chacune des deux faces de ce modèle,
puis à esquisser ce qui est revendiqué comme l’exigence d’un
nouveau modèle de légalité, de cette façon converge avec une
pensée juridique, en rupture avec les références incantatoires au
«  Droit  » et soucieuse de se confronter aux bouleversements du
monde autrement que sur le mode de la déploration. Comme le
montre l’École du droit libre, du droit historique ou celle du droit
vivant, l’histoire du droit porte cette tradition de penser un droit
hors des « fictions rationalisatrices et légalistes du XIXe siècle 60 ».
Il ne s’agit plus d’un droit porté par une «  raison universelle
s’imposant comme une évidence à l’ensemble du genre
humain 61 » où « la loi est la Raison du grand Jupiter » comme le
disait Montesquieu. Il ne s’agit plus d’un droit ignorant que «  le
droit repose quant à son ultime fondement historique sur la
conviction commune du peuple 62  », cela dans le cadre d’une
évolution où « le peuple à l’origine seul si actif passe peu à peu la
main et finit par se laisser complètement représenter par la
législation et les juristes savants comme seuls organes du droit
populaire 63 ». Le rappel peut alors être logiquement fait que « la
vérité du droit a son siège dans la société et non pas sur le
papier 64  » et que le droit constitue «  une part de l’existence
organique de la société 65 ».
La démarche proposée dans cet ouvrage aboutit alors, bien
que par d’autres voies, aux mêmes interrogations que celles de la
théorie du droit. Admettre que nous sommes passés de «  la
pyramide au réseau  », c’est-à-dire à un régime où «  l’État cesse
d’être le foyer unique de la souveraineté » pour laisser place à une
multitude d’instances et d’acteurs porteurs de valeurs et d’intérêts
hétérogènes et contradictoires 66, c’est s’interroger sur ce que
pourrait être effectivement un nouveau régime de légalité. Il s’agit
alors de «  ne plus postuler une perspective de surplomb,
s’installer dans un mirador transcendantal […]. Ne plus prétendre
occuper un point de vue privilégié (une position “originelle”) ni se
référer à une loi surplombante […] mais chercher, une fois
encore, à remonter le rocher de Sisyphe (viser à l’universalité)
sans jamais perdre de vue qu’une forme ou l’autre de gravité le
rattache (et nous aussi) à un niveau toujours particulier 67  ». À
côté de l’universalisation de «  surplomb  », «  chaque peuple fait
l’expérience de sa libération et propose sa version de la justice ».
Il convient de « faire son deuil du prédicat d’universalité ; le test
d’universalité […] restera toujours situé socialement 68 ».
Dans cette perspective les deux faces du modèle de légalité ne
sont plus seulement en tension  : elles font système, elles
s’interpénètrent, comme je l’ai dit, par «  métissage  » et par
«  hybridation  ». Il m’a semblé qu’il revenait dans le cadre d’une
démarche centrée sur l’inscription sociale et politique du droit et
de ses acteurs, de tenter de le démontrer.
Bien entendu, associer l’avènement d’un nouveau modèle de
légalité à la réalisation d’un idéal démocratique n’implique pas la
certitude de son effectivité dans l’avenir. En effet, une autre
option reste possible  : l’impossibilité de l’établissement de ce
nouveau modèle, entraînant à la fois l’épuisement de la face du
modèle de légalité duale comme méta-Raison imposée «  d’en
haut », comme conséquence de son désajustement croissant face
aux mutations de la régulation sociale et politique  ; la
disqualification ou la marginalisation de la seconde face du
modèle de légalité duale comme connecté à la société, à ses
aspirations et à ses attentes. En un mot, pour reprendre les
schémas d’analyse de Catherine Colliot-Thélène auxquels je me
suis référé à plusieurs reprises, c’est la question fondamentale
posée dans des termes renouvelés des droits face aux pouvoirs
qui serait laissée sans réponse.
Dans ce cas, face à l’incapacité de penser d’autres formes de
rationalités que la rationalité substantielle, c’est bien, comme je
l’ai souligné à plusieurs reprises (notamment dans le chapitre  IV
sur les territoires), une rationalité technico-économique qui
risquerait de s’imposer associée alors à un modèle de légalité
triadique. Aux deux faces affaiblies, notamment celle articulée
avec un pouvoir politique transcendant, s’ajouterait une troisième
face qui assurerait sa prépondérance sur les deux autres  : celle
d’une légalité bureaucratique, managériale, gestionnaire,
ancillaire des intérêts exclusivement économiques, sans finalités,
sans principes fondateurs, non porteuse de valeurs. Une telle
forme de légalité serait simplement justifiée par la poursuite
d’objectifs de rationalisation ou d’une stricte efficacité
économique, c’est-à-dire cet «  appareil technique rationnel  »
qu’avait anticipé Max Weber ou cette «  montée en puissance de
l’idéologie managériale  » et d’une «  moralité finaliste
technicienne  » qu’avait prévue Georges Gurvitch 69 ou encore
s’inscrirait dans le processus d’avènement de cette « gouvernance
techno-fonctionnelle » que certains annoncent 70.
Comme le considère encore Catherine Colliot-Thélène, «  la
difficulté aujourd’hui est d’imaginer comment [le] droit à avoir
des droits, qu’il convient de considérer comme le droit politique
par excellence dans la mesure où il est la condition d’acquisition
et de préservation de tout droit déterminé, peut user des
opportunités ouvertes par la diversification de l’espace juridique
sans contribuer à cette désacralisation ultime du droit que
signifierait sa réduction à une simple technique des instances de
pouvoir, publiques et privées, dont la juxtaposition chaotique
constitue la réalité de notre univers politique 71 ».
Nous sommes déjà à cet égard dans un contexte d’emprise
croissante des normes techniques (les standards) et des
dispositifs de gestion, d’évaluation et de classement (les
indicateurs) comme formes alternatives à la normativité
juridique 72 et il est déjà déploré que «  le gouvernement par les
lois cède la place à la gouvernance par les nombres 73 ». Il en est
fourni une illustration avec les «  indicateurs conçus par l’Union
européenne ou par la Banque mondiale pour mesurer les
performances des droits nationaux. [Ils] échappent non
seulement à toutes les exigences du débat démocratique qui
continuent d’entourer la délibération des lois, mais encore
l’image quantifiée qu’ils donnent à voir n’est pas celle de la
réalité, mais celle des croyances qui ont présidé à leur
élaboration 74 ».
La question est donc posée d’une tendance lourde où la
tyrannie du nombre risque de s’ajouter à l’invasion d’une autre
déclinaison d’une normativité hors du droit : « Loin de se limiter
aux opérations transnationales ou aux institutions de la
gouvernance mondiale, les normes techniques et de gestion
investissent et colonisent l’ensemble des champs sociaux à tous
les niveaux, y compris nationaux, locaux et sectoriels, et
envahissent progressivement tous les aspects de la vie publique,
sociale et privée, jusques et y compris le domaine de l’intimité 75. »
De même, dans un contexte marqué de plus en plus par «  la
planification stratégique  » et le recours à des instruments
administratifs dans l’élaboration des politiques publiques, «  les
termes multiples (circulaires, instructions, guides, manuels,
politiques, plan d’action, stratégies, principes directeurs, règles,
directives, lignes directrices, mémorandums, orientations,
bulletins opérationnels) utilisés par les autorités publiques  » se
développent hors des catégories du droit positif 76. C’est ce
qu’illustre, dans le domaine pénal, la consécration d’une
«  démocratie sécuritaire  » usant d’une rhétorique «  coûts-
bénéfices  » (cost-benefit), du recours à des «  instruments
actuariels visant à prévoir le risque dans la mise en œuvre d’une
politique pénale 77 ».
Dans cette perspective, le droit lui-même ne serait plus qu’un
instrument avec des visées exclusivement pratiques, avec
l’apparence d’une neutralité axiologique et l’illusion des
certitudes scientifiques. Il appartiendrait alors principalement à
des acteurs bureaucrates ou experts, simplement soucieux
d’efficacité et d’efficience, suivant des logiques empruntées ou
conformes à des modèles économiques, d’en assurer la
conception et la mise en œuvre, les professionnels du droit, tels
que les juges ou les avocats, étant assignés à y contribuer et les
citoyens réduits à s’y soumettre. C’est ainsi que l’Europe est
parfois présentée comme un espace de consécration du règne de
l’expertise à contre-courant de l’implication des citoyens. Comme
un exemple, il est ainsi estimé que «  dans cette politique
constitutionnelle transnationale qui émerge, c’est assurément la
Cour constitutionnelle allemande qui joue les premiers rôles.
Depuis le début des années  1970, la Cour de Karlsruhe est
imposée comme le lieu d’un débat continu où ministres,
banquiers centraux, professeurs de droit et économistes viennent
débattre de la légitimité (juridique et démocratique) de l’Union
européenne 78 ».
La prophétie de Michel Foucault serait-elle alors sur le point
de se réaliser : « Et si le juridisme universel de la société moderne
semble fixer les limites à l’exercice des pouvoirs, son panoptisme
partout répandu y fait fonctionner, au rebours du droit, une
machine à la fois immense et minuscule qui soutient, renforce,
multiplie la dissymétrie des pouvoirs, et rend vaines les limites
qu’on lui a tracées 79 » ?
Les incertitudes de l’avenir du statut de la légalité sont bien
indissociables de celles du politique.
Conclusion

Ce qui a inspiré l’ensemble de mon propos tout au long du


présent ouvrage, c’est le souci d’affirmer que le droit est
indissociable des sociétés dans lesquelles il œuvre. Le droit n’a
pas seulement vocation à réguler ces sociétés dans leurs multiples
facettes. Dans ce qu’il énonce, dans ce qu’on en fait, dans les
façons dont il est investi, d’abord par ceux qui ont pour fonction
d’en avoir la maîtrise, il nous dévoile aussi, de façon
exceptionnelle, ce qu’il porte de finalités sociales et politiques, ce
que sont, plus généralement, les modes de régulation sociale et
politique des sociétés et ce que sont leurs reconfigurations.

CE QUE LE DROIT NOUS MONTRE


DE LUI-MÊME ET DE SES ACTEURS

Cette imprégnation réciproque du droit et des sociétés invite


d’abord à une réflexion sur ce que j’ai appelé les processus de
construction sociale auxquels le droit est exposé (première partie
de l’ouvrage). Celui-ci fait l’objet de représentations sociales à la
mesure des façons dont il est sur-investi. Nous avons vu ainsi
qu’il pouvait soit être pensé comme la «  Raison  » des sociétés,
soit être assumé comme une émanation de leur effervescence,
immanent à ce qu’elles sont ou aspirent à être. C’est ce qui m’a
permis d’affirmer l’existence d’un modèle de légalité duale
a  contrario de ces différents attributs traditionnels d’un droit
mythifié, c’est-à-dire d’une certaine vision du droit. Ce modèle de
légalité duale est inspiré, comme je l’ai dit, par une approche du
droit à partir d’analyses du fonctionnement réel des sociétés. Il
résulte d’une double rupture  : avec la conception esssentialiste
d’une « Raison » du droit en soulignant en quoi cette « Raison »
était elle-même imprégnée certes de valeurs mais aussi d’intérêts
et participait de stratégies d’acteurs et d’institutions. Beaucoup
des analyses sur le droit, des analyses internes à la sphère
juridique, ne donnent à voir qu’un droit réduit à des contenus
mais sans que rien ne soit dit de ceux qui le font, de ceux qui
l’appliquent. De même que les conditions politiques de sa
production sont souvent occultées comme s’il devait être de
l’ordre de l’évidence de la raison, le droit semble ne pouvoir être
préservé, sa force particulière assurée, qu’en taisant qu’il a été
conçu par des individus dont la reconnaissance de la compétence
n’interdit pourtant pas de poser la question  : d’où parlent-ils du
droit, d’où pensent-ils le droit, culturellement, socialement,
institutionnellement, éthiquement, politiquement  ? La référence
au «  Législateur  » dans la rhétorique juridique, que j’ai souvent
soulignée 1, comme si existait un être mythique susceptible de
dire le juste et le vrai au-delà de toute contingence, participe de la
même logique. Il s’agit par conséquent de « se débarrasser de la
fiction de l’immaculée conception de la parole juridique […] en
replaçant le travail des juristes, leurs croyances et leurs intérêts
spécifiques, au cœur de l’analyse 2  ». La connaissance du droit
passe par ceux qui le font et le pratiquent à partir de ce qu’ils sont
aussi comme acteurs sociaux, cela en vertu du fait que « la vérité
juridique est une construction essentiellement politique […] [de
même] que toute vérité judiciaire est particulière, et déterminée
par son contexte politique et sociologique d’énonciation et de
réception 3 ».
C’est ce préalable consistant en une déconstruction du droit et
de ses mises en œuvre, qui autorise la reconnaissance d’une
seconde face du modèle de légalité duale, d’un droit émanant de
la société et des forces multiples, et éventuellement en
contradiction les unes les autres, qui la composent. Cette seconde
face suggère, à l’instar de Michel Foucault, que «  le droit, la
décision concernant ce qui doit faire l’objet de son exercice,
l’établissement de ses structures formelles, la détermination des
moyens concrets de son application, ne sont pas de la
responsabilité exclusive d’un organe étatique (parlement ou
appareil judiciaire). Il ne revient pas seulement aux gouvernants
de s’occuper du droit. Au contraire, le domaine du droit, à l’instar
de tout autre domaine de la vie sociale, est de la responsabilité de
tous les individus 4  ». La reconnaissance d’une seconde face du
modèle de légalité duale ouvre alors la possibilité de ce que
Michel Foucault, dans un dépassement de ses analyses sur la
domination, appelle une «  attitude critique  », c’est-à-dire «  la
possibilité de l’existence des pratiques du droit qui soient des
pratiques de résistance aux mécanismes de la normalisation 5  »,
en fait «  un “nouveau droit”, un droit “antidisciplinaire”, qui
serait en même temps “affranchi du principe de la
souveraineté” 6  ». L’affirmation d’un tel modèle de légalité est
indissociable de l’idée de tension au sein même du droit jusqu’à
inscrire celui-ci au cœur de l’espace politique.
Dans ces processus, les énonciateurs et les praticiens
consacrés du droit ne sont pas des vecteurs socialement neutres.
Ils sont au sens plein, comme nous l’avons vu, des acteurs
sociaux. Leurs actions, outre qu’elles sont fondées sur une
compétence d’une valeur particulière susceptible d’avoir un fort
impact social et politique, sont précisément imprégnées d’un
ethos et d’un habitus de corps, mais aussi des valeurs, des
intérêts, des schèmes culturels et politiques propres aux contextes
dans lesquels ils agissent.

CE QUE LE DROIT RÉVÈLE
DES MUTATIONS SOCIALES

C’est parce qu’il est à la fois producteur et produit de ce que


sont les sociétés que le droit nous dit beaucoup des façons dont
celles-ci fonctionnent et se transforment. Cette imprégnation du
droit aux contextes fait de celui-ci un révélateur extraordinaire
des mutations des sociétés. C’est ce qui est souligné dans la
deuxième partie de l’ouvrage consacrée à la mise en valeur des
bouleversements des contextes observés à travers les
transformations du droit. J’ai choisi pour cela deux entrées qui
les donnent à voir d’une façon qui m’a paru particulièrement
illustrative  : les reconfigurations de territoires (l’espace) et les
mouvements des temporalités (le temps).
Comme cela a été évoqué dans l’ouvrage, ces bouleversements
sont de plusieurs ordres. Ils s’inscrivent dans ces changements
d’échelle touchant précisément à l’espace et au temps. Ceux
tenant à l’espace se manifestent d’abord par la relativisation du
niveau national lequel entraîne notamment des redéfinitions de
grande ampleur du rôle de l’État. Cette relativisation est
concomitante du processus de globalisation, lequel implique à la
fois le niveau politique, économique et social, et a pour effet une
remise en question d’un certain universalisme, expression en fait
d’un occidentalocentrisme. Comme le souligne un historien du
droit : « L’État de droit universel est un rêve de notre temps. Rêve
accessible, vraisemblablement, mais qui le sera d’autant plus que
les hommes d’Occident comprendront qu’ils ne pourront le
réaliser à leur seule image 7. » La remise en question exige ici une
sensibilité plus grande à la diversité des cultures et un dialogue
entre elles. Elle suppose une attention aux différences de rapports
au monde. Ceux-ci se manifestent par des formes diversifiées
d’implication de la société civile au sens où l’entendait Hegel,
c’est-à-dire comme constituée des formes organisées issues de la
société (les groupes intermédiaires) et se situant entre l’individu
et l’État ou, dans une perspective contemporaine où est évoqué
l’avènement d’une société civile mondialisée, entre l’individu et
les pouvoirs établis au niveau transnational. Ces formes
organisées sont ainsi susceptibles de concevoir des modes
d’action s’inscrivant dans les nouveaux répertoires de l’action
collective.
Ceux tenant au temps, mettent particulièrement en valeur la
relativisation de sa naturalité faisant ainsi écho à celle du droit
dans certaines de ses représentations. Ils portent sur les
contestations de plus en plus fortes des temporalités juridiques
par des temporalités sociales et politiques inscrites dans un
phénomène général d’«  accélération du temps  ». Ils participent
d’une rupture avec l’illusion d’une universalité des rapports au
temps et, par conséquent, d’un dévoilement de la pluralité des
temporalités associée à celle des cultures et de l’existence de
rapports de force entre des temporalités contradictoires
constitutives de rapports sociaux.
Ces entrées par l’espace et le temps dans leur rapport au droit
nous donnent ainsi particulièrement à voir des mutations des
sociétés touchant à leur régulation sociale et politique. Les
incertitudes du droit découlent d’une multitude de changements
parmi lesquels  : la méfiance à l’égard des institutions, la crise
d’adhésion aux modes de régulation sociale, juridique, politique
«  par le haut  » (top down), l’avènement de «  l’individualisme
démocratique », celui de la « société singulariste », le délitement
du lien social et des formes de segmentation des sociétés liées en
particulier au renouveau des identités fondées sur l’appartenance
religieuse, etc.
En articulant les bouleversements des sociétés et ceux du
statut du droit et des métamorphoses de ses fonctions, c’est bien
finalement la question de l’avènement de nouveaux modèles de
régulation sociale et politique de ces sociétés qui surgit avec la
plus grande acuité.

CE QUE LE DROIT RÉVÈLE
DES INCERTITUDES DE L’ORDRE POLITIQUE

L’ampleur de ce que j’appelle les révolutions du droit,


indissociables des mutations des sociétés, nous invite à procéder
à un retour sur le fondement même de la structuration des
sociétés : celui de l’ordre politique. C’est ce qui est entrepris dans
la troisième partie de l’ouvrage. Quels sont les sens politiques du
droit, c’est-à-dire en quoi, outre le rappel de la dimension
politique du droit par essence, du fait que le droit est politique,
en quoi ses statuts, ses fonctions et les incertitudes en la matière
suggèrent une interrogation sur les modèles d’ordres politiques et,
par voie de conséquence, sur les devenirs possibles de l’ordre
démocratique. Le modèle démocratique est exposé à une perte de
croyance dans la réalisation effective de ses principes fondateurs
ou encore à un risque de dévoiement vers une «  démocratie
extrême », une « ultra-démocratie » avec notamment des citoyens
qui ne seraient plus que des individus tournés vers eux-mêmes et
la satisfaction de leurs propres désirs 8. Ils incluent les
interrogations sur l’avenir de cette démocratie inspirée par
«  l’utopie fondatrice de la modernité politique, à savoir l’idée de
représentation 9 ».
À travers les tentatives de restauration, respectivement des
deux faces du modèle de légalité duale, ce sont des tentatives de
restauration de modèles d’ordre politique qui sont à l’œuvre. La
conception d’un nouveau modèle de légalité n’est rien moins que
celle d’un nouveau modèle démocratique qui reposerait sur une
véritable complémentarité entre la restauration d’une référence
commune et une implication citoyenne permise par des modes
réels de procéduralisation, de délibération et de participation.

LE DROIT DANS LA RÉGULATION


DES SOCIÉTÉS CONTEMPORAINES

L’ampleur de ces enjeux portant sur la régulation sociale et


politique des sociétés conduit logiquement à d’ultimes
considérations relevant de la question des registres de
connaissance à mobiliser pour et par cette mise en contexte du
droit : primo, en rapport avec les modes d’approche du droit lui-
même ; secundo, sur les cadres d’analyse des sociétés globales.
Les transformations de la régulation sociale et politique de
sociétés en suggérant une nouvelle vision du monde contraignent
à une nouvelle vision du droit, d’un droit qui est au cœur de ces
bouleversements dont il est à la fois un des principaux
instruments et une des principales cibles. Cette nouvelle vision du
droit impose elle-même de nouvelles façons de l’étudier en
prenant en considération les alternatives dont je considère
qu’elles lui sont constitutives  : le volontarisme versus le droit
comme résultante, la permanence versus le changement, le
consensualisme versus l’approche agonistique, l’unicité versus le
pluralisme, l’approche binaire versus le continuum,
l’endogénéisation versus l’externalité au fondement d’une relation
causale, la neutralité versus l’engagement politique y compris via
l’expertise. Reprenons ces différents points.

Une idée reçue : le volontarisme

Le droit suggère dans son intention, dans les façons dont il est
formulé, dans ses formes, dans ses rituels d’énonciation, l’idée
d’un volontarisme. Or l’analyse des processus de sa production, de
ses mises en œuvre révèle qu’il peut n’être qu’une résultante, celle
de l’influence de jeux politiques, d’un travail d’interprétation,
depuis la doctrine jusqu’aux mises en œuvre effectives, lequel
sous des dehors savants est susceptible de dissimuler des
appropriations différentielles, d’ordre éthique ou même
idéologique. De ce point de vue, ce qu’on pourrait considérer
comme le passage d’un « Droit » au droit a beaucoup d’analogie
avec ce déplacement évoqué dans l’ouvrage de la notion de
politique publique à celle d’action publique, de telle sorte qu’à
l’examen, ce qui se donne à voir comme l’expression forte d’un
volontarisme politique ou étatique peut n’apparaître finalement
que comme «  la résultante en partie imprévisible de contraintes
additionnées 10 ».

Une idée reçue : la permanence

Le droit est inspiré de l’idée de permanence. La qualité d’une


règle juridique, si bien symbolisée par la loi, réside en partie au
moins dans sa durée. D’où ce risque d’aversion pour l’idée de
changement et cette réserve sinon cette hostilité à l’égard des
types d’analyses, fondées sur des observations du fonctionnement
social, où la réalité de ce changement est annoncée sinon promue
pour être alors perçue moins comme un appel à l’ajustement
précisément à ce changement annoncé, sinon à la modernité, que
comme une menace de désordre face à l’ordre existant.

Une idée reçue : le consensus

Tout porte le droit à témoigner d’une adhésion à une


conception consensualiste du fonctionnement des sociétés. Il est
dans sa vocation d’offrir les conditions et de concevoir les
instruments propres à assurer le règlement des conflits, d’en
prévenir la survenance, de créer les conditions d’un retour à
l’ordre et à la paix sociale. «  L’exigence d’abstraction
11
universalisante du droit   », associée à sa quête d’universalisme,
renforce certainement cette vision d’un monde invité à se
soumettre ou à adhérer à des idéaux susceptibles potentiellement
de structurer un univers harmonieux aux yeux de ceux qui, au
départ, l’imaginent comme tel. L’adoption d’une telle perspective
risque alors d’occulter une autre vision, celle d’un monde
agonistique dans lequel le conflit est inhérent au fonctionnement
social ou encore aux rapports entre des cultures et des identités
construites dans des histoires et des traditions différentes.

Une idée reçue : l’unicité

La tendance dominante est de faire de l’idée d’unicité un


élément constitutif de l’identité du droit  : le monisme juridique
s’oppose au pluralisme juridique comme si la force du droit ne
pouvait tenir que de sa cohérence, de sa capacité à imposer un
monde uniformisé. De la cohérence du droit, de son uniformité
découleraient la cohérence du fonctionnement social, son
homogénéité nécessaire  ? Il existe une croyance implicite que
seule cette unicité du droit garantirait, justifierait une volonté de
monopole de la formulation, de l’interprétation, de la mise en
œuvre, de la connaissance du droit par ses seuls «  interprètes
autorisés  ». Or toutes les analyses avancées dans cet ouvrage,
particulièrement celles ayant pour entrées le territoire ou les
rapports différenciés au temps, donnent à voir, comme une
évidence, un éclatement du droit, sa pluralité : dans les pratiques,
suivant les espaces dans lesquels il évolue, notamment en
référence aux nouveaux horizons de la globalisation et dans les
rapports au temps. Il est probablement significatif ici que ce sont
les analyses centrées sur la réalité du fonctionnement des sociétés
appartenant à d’autres cultures que la société occidentale qui ont
ainsi remis en cause cette idée d’une unicité et imposé cette
évidence d’un pluralisme.
Une des raisons du rejet du pluralisme par les tenants d’un
monisme juridique pourrait tenir à la perception de ce pluralisme
comme une menace d’autant plus grande sur l’image même du
droit, son statut d’exceptionnalité que la réalité même du
pluralisme juridique ouvre la voie à celle, plus large, de
pluralisme normatif. Le risque est alors de passer d’une approche
binaire du type droit versus non-droit à celle d’un continuum
marqué par une échelle de normes allant de façon progressive du
plus juridique au plus social, au plus culturel, au plus moral.
Pour ne prendre qu’un exemple, un «  droit à la vérité  », en
référence à des crimes commis dans des contextes de dictature,
outre qu’il est né de mobilisations au sein de la société civile et
non comme expression nouvelle de la souveraineté de l’État
concerné, s’établit dans un espace disons de porosité entre le
juridique et l’éthique, suivant certes des voies complexes. Dans ce
cadre, le juridique est néanmoins susceptible de resurgir dans des
processus dont la genèse réside dans des mobilisations sociales. Il
peut être finalement considéré que « l’avènement d’un “droit à la
vérité” dans l’inconscient du droit international illustre […] la
juridicisation croissante du politique  : celle-ci transforme des
problèmes politiques en problèmes techniques, en reproduisant
ses cortèges d’experts internationaux et en générant des
bureaucraties en “gestion” de politiques de vérité 12 ». Il reste que
l’importance accordée par toute une littérature juridique aux
« frontières de la juridicité » constitue une illustration de ce souci
primordial de marquer les frontières du droit plutôt que de se
pencher sur la question de savoir dans quelle mesure la norme
juridique est susceptible de faire système avec d’autres formes de
normativité.
Une idée neuve : que le droit est endogène

La rupture la plus significative portant sur les façons


d’analyser le droit concerne l’opération de son endogénéisation.
En référence à ce courant de la «  conscience juridique  » (legal
consciousness) déjà évoqué, c’est certainement l’économie même
des rapports entre droit et société, droit et politique, droit et
économie qui doit être reformulée, non plus en termes de relation
causale où le droit est en surplomb ou dans une position externe,
mais en considérant que le droit est constitutif du
fonctionnement de la société, du politique, de l’économie. La
question n’est plus de se demander comment le droit agit sur ou
comment sa réalisation est contrainte par mais sous quelles
formes et dans quelles conditions, en étant endogène, il participe
pleinement du fonctionnement politique, social et économique
des sociétés.

Une idée reçue : la neutralité du droit

L’analyse de l’économie des rapports du droit avec les


mutations des sociétés n’est possible que si l’on rompt avec le
postulat d’une neutralité du droit. Ce postulat ne peut être qu’en
contradiction avec l’importance de la dimension politique du
droit, dimension avec laquelle le monde juridique établit des
relations complexes. Il ne s’agit pas de revenir sur les
considérations critiques à l’égard de la neutralité proclamée du
droit fonctionnant comme mystification (l’illusio) 13, ni d’insister
sur les engagements politiques explicites d’avocats inscrivant par
exemple leurs pratiques dans la «  défense de causes  » (cause
lawyering, voir le chapitre  III sur les acteurs), sur l’entrée de
professionnels du droit dans le personnel politique. Ce qu’il
convient de souligner ici, c’est en quoi la nature proprement
politique du droit s’affirme dans les usages qui en sont faits et
cela de façon différentielle.
Ainsi, suivant une première acception de cette inscription des
usages du droit dans le politique, l’analyse de processus de
production de la loi m’avait amené à rendre compte de cette
conviction portée par la tradition juridique que la «  Raison  »
juridique avait vocation à incarner en fait la vraie «  Raison  »
politique parce que le «  législateur juridique  » échappait aux
contraintes politiciennes des professionnels de la politique 14.
Dans une seconde acception, la force politique des usages du
droit peut tenir paradoxalement à l’exceptionnelle aptitude de
ceux qui ont la plus grande maîtrise de ces usages d’euphémiser
les enjeux politiques contenus dans la réalité même des solutions
juridiques en affirmant l’évidence de leur nature technique qui
serait précisément propre au droit. Ce processus d’euphémisation
du politique est indissociable de cette notion de consensus définie
plus haut comme inhérente dans la culture juridique. Comme le
dit le philosophe Jacques Rancière  : «  Le consensus, au sens
strict, c’est l’idée qu’il y a une objectivité, une univocité des
données sensibles. […] Le consensus supprime donc la politique
[…] [en ramenant] les conflits politiques à des problèmes
identifiables, objectivables, relevant de savoirs experts et de
décisions fondées sur ces savoirs 15. » Le droit en étant inspiré par
l’idée de consensus, en le produisant et ainsi en le suscitant par
l’adhésion ou bien par l’imposition, constitue bien ce «  savoir
expert  » qui est au cœur du politique, paradoxalement en
l’euphémisant ou en le supprimant par substitution. On pourrait
dire alors que la légalité n’est pas seulement un élément de
structuration du politique, qu’elle concourt à la légitimité du
politique mais qu’elle fait système avec le politique dans la
mesure où elle est susceptible, par les usages qui en sont faits,
d’empiéter sur le politique ou même de s’y substituer. La question
a d’ailleurs pu être posée de savoir si la place prise par le droit
dans certains processus de réforme, ou par la justice dans le
traitement de questions qui relevaient auparavant strictement de
la compétence du politique, ne participe pas de cette évolution
visant précisément à euphémiser les enjeux politiques, à tenter de
les annuler, par une opération de technicisation au cours de
laquelle le savoir juridique comme « savoir expert » est investi ou
s’investit à travers ceux qui en ont la maîtrise dans un rôle
devenu central 16.
Ces formes d’« engagement » peuvent se décliner de plusieurs
façons. Elles peuvent être explicites, précisément au nom d’une
compétence particulière revendiquée. Au-delà des engagements
politiques que représentent entre autres les mouvements
«  Critique du droit  » en France ou «  Critical Legal Studies  » aux
États-Unis (avec son équivalent du côté conservateur représenté,
par exemple, par la Federalist Society 17), elles peuvent être
favorisées par l’existence d’espaces d’exceptionnelles
incertitudes 18. Les évolutions spectaculaires de la biomédecine
sont ainsi susceptibles d’avoir des effets sur la parenté jusqu’à
ouvrir des espaces de délibération en l’absence d’une position
politique claire, ce qui se manifeste par l’inexistence de la loi, ou
face à des hésitations du politique, ce qui conduit à une très
grande disparité des dispositifs juridiques au niveau
international. Il peut alors être question d’une «  mosaïque
d’ordres juridiques » justifiant que les individus se mettent dans
des situations de forum shopping, c’est-à-dire de recherche de
solution à leur problème en choisissant parmi les ordres
juridiques nationaux celui susceptible de leur convenir. Face à ce
désordre, le risque est grand ou la tentation est forte de franchir
la frontière, c’est-à-dire de ne plus s’en tenir à être les gardiens
vigilants de la raison juridique au service de la raison politique
mais de s’instituer législateur politique en lieu et place du
politique 19.
Elles peuvent expressément prendre la forme de l’expertise ou
se servir de la légitimité de l’expertise comme vecteur d’une
action politique. C’est ce que démontrent des travaux récents sur
le processus de construction de l’Europe. Il y est souligné la
position centrale de professionnels du droit usant de leur
multipositionnalité (à la fois dans le monde académique, le
monde administratif et le monde politique) dans la construction
d’une «  théorie judiciaire de l’Europe  », d’une redéfinition de la
nature même de la communauté européenne comme une
« Communauté de droit 20 ». Un tel constat permet alors de parler
d’une «  politique de l’expertise  »  : «  En lieu et place du
“patriotisme européen” qu’on avait rêvé de créer, c’est le règne de
l’expertise qui s’est trouvé consacré. Qui veut suivre le processus
de “décision politique” européen trouvera sur son chemin une
longue succession d’experts 21 » parmi lesquels les professionnels
du droit et les institutions judiciaires communautaires
(notamment dans le cadre d’une «  politique constitutionnelle
transnationale  ») occupent une place centrale. C’est ainsi que la
« citoyenneté européenne » s’effectue « dans les formes et suivant
les méthodes mêmes du droit dont il prétend s’émanciper 22  »,
«  celui du marché intérieur, puisque c’est d’abord par le régime
des libertés économiques que cette protection s’effectue 23 ».
UNE POLITIQUE DES DROITS

Finalement, j’ai assumé dans cet ouvrage le choix d’une


sociologisation du droit, de la vie du droit, comme on a pu parler
d’une sociologisation de la connaissance du politique à partir du
moment où celle-ci n’était plus réduite à l’étude des instances de
pouvoir, des institutions qui ordonnent, définissent et gèrent les
programmes d’action mais incluait l’ensemble des composantes
et des forces agissant au sein des sociétés. Cette sociologisation
fait alors du droit le vecteur d’une connaissance d’une régulation
sociale et politique des sociétés contemporaines. Ainsi, comme
un aboutissement de ma réflexion, cette mise en relation du droit
avec l’effervescence des sociétés m’a conduit progressivement à
me situer sur un registre de connaissance qui n’est plus
seulement celui de cette mise en relation mais qui concerne les
cadres d’analyse des régimes de régulation sociale et politique des
sociétés contemporaines.
Le paradigme de la domination qui a tant prévalu dans la
pensée française des années 1960 à 1980, comme je l’ai souligné
dans l’introduction à cet ouvrage, ne paraît plus adéquat pour
fournir une explication des exceptionnelles transformations et de
la complexité nouvelle de ces régimes de régulation sociale et
politique. Bien entendu, il ne s’agit pas de nier le constat d’une
perpétuation de ces processus de domination dans les sociétés
contemporaines. Je n’ai pas manqué d’évoquer à maintes reprises
ce que pouvaient en être les multiples expressions. Si la
domination demeure, ce sont ses formes qui ont été l’objet de
métamorphoses : elle est plus diffuse, moins liée à un « centre ».
Il s’agit d’une domination plus polycentrique. De plus, recourir à
cette notion pour qualifier les régimes de régulation des sociétés
ne saurait épuiser le sens de la complexité croissante de ces
derniers.
En outre, les constats que j’ai faits confirment bien cette
exigence évoquée dans l’introduction de l’ouvrage d’un nouveau
paradigme qui permettrait de remédier à la trop grande
unilatéralité d’une explication exclusive par la domination. Le
droit est ici un exceptionnel traducteur. Il nous montre à
l’évidence que les impulsions «  par le haut  » (top down) ne
doivent pas occulter celle, réelle ou virtuelle, «  par le bas  »
(bottom up) et que les processus de changement des sociétés,
susceptibles de devenir des promesses de changement dans le
sens de la poursuite des idéaux démocratiques, ont également
leur source dans ce seconde type d’impulsion. Dans sa
confrontation avec le phénomène de la globalisation, le droit
nous montre aussi que, bien au-delà des nomenclatures
consacrées de la pensée juridique, bien au-delà des grands
systèmes juridiques (romano-germanique ou de common law), un
décentrement s’impose pour rompre avec l’occidentalo-centrisme
qui continue à inspirer les cadres d’analyse des régimes de
régulation juridique, sociale et politique et de leurs
transformations contemporaines.
L’enjeu est désormais de saisir les causes, les manifestations,
les devenirs possibles d’une régulation polycentrique de par la
multiplicité de ses polarités et de ses ancrages géographiques et
culturels. Ce régime de régulation s’établit en référence à des
pôles (le politique, le culturel, le social et l’économique), le
juridique étant lui-même partie prenante de cette configuration.
Il est la résultante de la confrontation de logiques à l’œuvre
inspirées tout à la fois par des idéaux, des intérêts et des
processus structurels, agissant sur ces pôles et sur les
combinaisons nées de leurs interrelations. Face à une telle
complexité et à la multiplicité des paramètres, la recherche de
sens dans des théories totalisantes est-elle encore concevable ?
En nous emmenant loin du droit, l’exigence en même temps
que la difficulté qui s’affirme d’un nouveau paradigme pour
s’interroger sur le sens des mutations des sociétés
contemporaines aboutissent paradoxalement à consacrer, à
travers l’analyse de ce que j’ai appelé ses révolutions, son
exceptionnelle fonction heuristique. Le droit nous parle
finalement des enjeux au fondement des sociétés et de leurs
devenirs. Rien ne l’illustre mieux que l’avènement envisagé d’un
nouveau modèle de légalité. Celui-ci marquerait ce qu’on pourrait
appeler le restauration d’un effet de système, une dialectique
positive entre ces «  deux vies du droit  » qu’un auteur qualifiait
respectivement de «  mythe des droits  » (myths of rights) et de
«  politique des droits  » (politics of rights 24). Le «  mythe des
droits  » romprait délibérément avec son instrumentalisation
possible au service de la domination, des injustices, dont celle
représentée par les inégalités, et de l’exercice exclusive d’un
pouvoir «  par le haut  », avec le «  récit  » mystifiant qu’il peut
offrir. Il redonnerait toute sa force symbolique, ferait revivre une
croyance dans un corps de principes et de valeurs de
gouvernement des hommes inspiré des aspirations, des idéaux
des sociétés dans leur diversité sociale et culturelle. C’est une telle
requalification qui pourrait alors, en rétablissant le lien entre
représentation et activation du droit, favoriser une nouvelle
«  politique des droits  ». Les citoyens en seraient acteurs,
conscients que ces droits constituent bien, au-delà de et grâce à
leur force symbolique retrouvée, une ressource pour agir, se
mobiliser collectivement, développer des stratégies dans le sens
d’un véritable progrès social, et peser sur les équilibres du
pouvoir, y compris par des actions de résistance et d’opposition,
notamment aux déviations par rapport aux principes au
fondement du «  mythe des droits  », dans un cadre réellement
démocratique 25.
Au risque sinon, comme nous l’avons vu, de l’avènement d’une
normativité sans finalités, technique et gestionnaire, instrument
d’une «  gouvernance techno-fonctionnelle  », il est impératif de
rechercher les complémentarités entre ces deux faces du modèle
de légalité duale, chacune redéfinie. Ce nouveau modèle de
légalité est inspiré par la conviction que la question démocratique
ne peut être repensée sans que le droit le soit lui-même, avec
notamment des nouvelles formes d’implication des citoyens dans
sa connaissance, sa formulation, ses mises en œuvre.
Il est effectivement juste de continuer à considérer que la
légalité est au fondement de la légitimité du politique. Mais l’un
des enjeux désormais des sociétés dites démocratiques est de
redéfinir les conditions de construction de cette légalité, sans
exclusive, et avec les citoyens, conformément à cette
«  communauté de citoyens  » sujets de droits comme «  utopie
créatrice 26  ». C’est en ayant à l’esprit un de ces enjeux, qu’il
convient de considérer que nous sommes effectivement dans un
contexte historique où, précisément, il s’agit bien de « concevoir
[la démocratie] en tenant compte de l’ensemble des phénomènes,
juridiques et politiques, qui composent avec les phénomène
économiques qu’ils accompagnent ce que l’on vise sous le nom de
mondialisation, et dont un des aspects déterminants est l’érosion
du monopole juridique de l’État 27 ».
APPENDICES
Notes

1.  Susan Silbey, «  ‘Let Them Eat Cake’  : Globalization, Postmodern Colonialism,


and the Possibilities of Justice », Law & Society Review, vol. 31, no 2, 1997, p. 232.

INTRODUCTION

1.   Jacques Commaille, «  Justice et globalisation  », in  André-Jean Arnaud (dir.),


Dictionnaire de la globalisation, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, 2010, p. 302-310.
2.   Martin Shapiro et Alec Stone Sweet, On Law, Politics and Judicialization,
Oxford – New York, Oxford University Press, 2002.
3. «  La notion de communauté épistémique désigne les canaux par lesquels de
nouvelles idées circulent des sociétés vers les gouvernements, et d’un pays à l’autre  »
(Thibault Bossy et Aurélien Évrard, «  Communauté épistémique  », in  Laurie
Boussaguet, Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques
publiques, Paris, Pressses de Sciences  Po, 2010, 2e  éd., p.  140-147). Elles représentent
des « réseaux de professionnels ayant une expertise et une compétence reconnue dans
un domaine particulier qui peuvent faire valoir un savoir pertinent sur les politiques
publiques du domaine en question » (Peter M. Haas, « Do Regimes Matter ? Epistemic
Communities and International Policy Coordination  », International Organization,
no 46, 1992, p. 3).
4.  Martin Shapiro et Alec Stone Sweet, op. cit.
5.  Ibid.
6. « Étudiez d’un peu près l’évolution de la pensée juridique en France depuis les
années  60-70  : vous constaterez l’envahissement du sociologisme. […] La sociologie a
pris le commandement [des facultés de droit] […]. Le “Social” est devenu l’objet d’un
culte, le signifiant suprême.  » Ce qui menace le territoire institutionnel du droit, ce
serait là une « normativité gestionnaire » (Pierre Legendre, «  Qui dit légiste, dit loi et
pouvoir », Entretien avec Pierre Legendre, Politix, no 32, 1995, p. 39).
7.  Pierre Bourdieu, «  La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ
juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 64, septembre 1986, p. 3.
8.  Ibid.
9.  Jacques Caillosse, « Droit et politique : vieilles lunes, nouveaux champs », Droit
et Société, no 26, 1994, p. 127-154.
10.  Max Weber, Sociologie du droit, Paris, PUF, coll. Recherches politiques, 1986
re
(1  éd. 1922), p. 147. Voir également Ernst Kantorowicz, « La royauté médiévale sous
l’impact d’une conception scientifique du droit », Politix, no 32, 1995, p. 5-22.
11.  Léon Duguit, « Le droit constitutionnel et la sociologie », Revue internationale
de l’enseignement, Paris, Armand Colin, t. 18.
12.  Henri Lévy-Bruhl, Sociologie du droit, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1967.
13.   Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, PUF, 1978, p.  276  sq. (1re  éd.
Armand Colin, 1972 ; nouv. éd., PUF, coll. Quadrige, 1994, 2004). Sur cet aspect de la
sociologie juridique conçue comme « science pratique » au service du « Législateur »,
voir également : Jacques Commaille, « La construction d’une sociologie spécialisée. Le
savoir sociologique et la sociologie juridique de Jean Carbonnier  », L’Année
sociologique, no 2, vol. 57, 2007, p. 275-299.
14.  Jean-Guy Belley, « L’État et la régulation juridique des sociétés globales. Pour
une problématique du pluralisme juridique », Sociologie et Sociétés, no 1, vol. 18, p. 19.
15.   Pierre Favre, Naissance de la science politique en France, 1870-1914, Paris,
Fayard, 1989.
16. « Nous croyons féconde cette idée que la vie sociale doit s’expliquer, non par la
conception que s’en font ceux qui y participent, mais par des causes profondes qui
échappent à la conscience  » (Pierre Bourdieu, Jean-Claude Chamboredon et Jean-
Claude Passeron, Le Métier de sociologue, Paris, Mouton / Bordas, 1968, p. 38).
17.  Voir comme un exemple de dialogue et de recherche de complémentarité entre
un juriste et un chercheur de sciences sociales  : Jacques Commaille et Jean-François
Perrin, «  Le modèle de Janus de la sociologie du droit  », Droit et Société, no  1, 1995,
p. 95-110.
18.  Cela dans la fidélité de nouvelles perspectives d’analyses sur le droit qui sont
actuellement en plein essor. Voir, par exemple  : Claire de Galembert, Laurence
Dumoulin et Thierry Delpeuch, Manuel de sociologie du droit et de la justice, Paris,
Armand Colin, coll. U, 2014.
19.  Jacques Commaille et Françoise Thibault, Des sciences dans la Science, Paris,
Alliance Athéna, 2014.
20.   Exigence d’interdisciplinarité dont la conscience est vive au sein d’une revue
comme Droit et Société, même si, comme en témoigne une comparaison des contenus
des deux dossiers réalisés respectivement par des sociologues et des juristes, beaucoup
reste à faire. Voir «  Quelles méthodes pour la sociologie du droit et de la justice  ?  »,
Droit et Société, 69/70, 2008, et « Sciences sociales, droit et science du droit : le regard
des juristes », Droit et Société, 75, 2010.

À
21.  Jacques Caillosse, « La sociologie politique du droit, le droit et les juristes » [À
propos de L’Année sociologique, 59  (1) et  (2), 2009], Droit et Société, 77, 2011, p.  189-
206.
22.   Ces épistémologies sont notamment sollicitées par la recherche féministe.
Voir : Nancy C.M. Hartsock, « The Feminist Standpoint : Developing a Grounding for a
Specifically Feminist Historical Materialism », in Diana Tietjens Meyers (éd.), Feminist
Social Thought. A  Reader, New  York, Routledge, 1997, p.  1-16 (1re  éd. 1983), cité par
Laure Bereni, Sébastien Chauvin, Alexandre Jaunait et Anne Revillard, Introduction
aux Gender Studies. Manuel des études sur le genre, Bruxelles, De Boeck, 2008, p. 217.
23.  Jean-Guy Belley, «  Une sociologie républicaine. L’esprit des lois de la famille
selon Jacques Commaille  », Revue canadienne Droit et Société, vol.  10, no  2,
automne 1995, p. 201-221.
24.   Steven Lukes et Andrew Scull, Durkheim and the Law, Oxford, Martin
Robertson, 1983.
25.  Ibid.
26.   Marcel Mauss, Œuvres, t.  III, Cohésion sociale et divisions de la sociologie,
Minuit, coll. Le Sens commun, 1969, p. 12-13.
27.   Talcott Parsons, «  The Nature of American Pluralism  », in  Theodore Sizer
(éd.), Religion and Public Education, Boston, Houghton Mifflin, 1967.
28.   Alan Hunt et Tarso Genro, «  Approche marxiste du droit  », in  André-Jean
Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie juridique, Paris,
LGDJ, 2e éd., 1993, p. 360.
29.   Martine Kaluszynski, «  Le mouvement “Critique du droit”. D’un projet
contestataire mobilisateur à un impossible savoir de gouvernement », in Xavier Dupré
de Boulois et Martine Kaluszynski (dir.), Le Droit en révolution(s). Regards sur la
critique du droit des années 1970 à nos jours, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit
et Société, série Recherches et Travaux, 2011, p. 33.
30.   Liora Israël, L’Arme du droit, Paris, Presses de Sciences  Po, coll. Contester,
2009, p. 26.
31.   Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard,
coll. Tel, 1993 (1re éd. 1975).
32.   Gilles Deleuze, «  Post-scriptum sur les sociétés de contrôle  », in  Pourparlers
(1972-1990), Paris, Minuit, 1990, p. 229-247.
33.  Ibid.
34.  Michael Hardt et Antonio Negri, Empire, Paris, 10/18, 2004 (1re éd. 2000).
35.   John Crowley, «  Usages de la gouvernance et de la gouvernementalité  »,
Critique internationale, no 21, 4/2003, p. 52-61.
36. « Kafka qui s’installait déjà à la charnière de deux types de société a décrit dans
Le Procès les formes juridiques les plus redoutables  : l’acquittement apparent des
sociétés disciplinaires (entre deux enfermements), l’atermoiement illimité des sociétés
de contrôle (en variation continue) sont deux modes de vie juridiques très différents, et
si notre droit est hésitant, lui-même en crise, c’est parce que nous quittons l’un pour
entrer dans l’autre  » (Gilles Deleuze, «  Post-scriptum sur les sociétés de contrôle  »,
op. cit.).
37.  Catherine Colliot-Thélène, «  Pour une politique des droits subjectifs  : la lutte
pour les droits comme lutte politique », L’Année sociologique, no 1, vol. 59, 2009, p. 236.
38.   Pierre Guibentif, Foucault, Luhmann, Habermas, Bourdieu. Une génération
repense le droit, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et Société, série Sociologie,
2010.
39.  Ibid., p. 73.
40.  Márcio Alves da Fonseca, Michel Foucault et le droit, Paris, L’Harmattan, 2013,
p. 68. L’auteur fait ici référence à des analyses de Michel Foucault dans son ouvrage :
Histoire de la sexualité, t.  I  : La volonté de savoir, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1998,
vol. 11, p. 112 (1re éd. 1976).
41.  John Crowley, op. cit., p. 57 (l’auteur fait ici référence à Michel Foucault, Dits
et écrits, t. IV : 1980-1988, Paris, Gallimard, coll. Quarto, 2001, p. 728-729).
42.   Mauricio García Villegas, «  On Pierre Bourdieu’s Legal Thought  », Droit et
Société, 56-57/2004, p. 57-71.
43.  Pierre Bourdieu, « La force du droit… », op. cit., p. 3-4.
44.  Ibid., p. 3-19.
45.  Ibid., p. 8. Ces opérations de dissimulation de ce qui serait la nature réelle du
droit se retrouve chez d’autres auteurs. Ainsi André-Jean Arnaud en entreprenant une
analyse structurale du droit vise à dévoiler ce que le droit cache : l’institution de règles
du jeu social au profit des « classes bourgeoises » (Essai d’analyse structurale du Code
civil français. La règle du jeu dans la paix bourgeoise, Paris, LGDJ, 1973)  ; de même
Michel Foucault pour qui la technique juridique a d’abord une fonction de
dissimulation de la domination (Histoire de la sexualité, t.  I  : La volonté de savoir,
op. cit.).
46.  Pierre Bourdieu, « Les juristes, gardiens de l’hypocrisie collective », in François
Chazel et Jacques Commaille (dir.), Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ,
coll. Droit et Société, 1991, p. 95.
47.  Michel Foucault, Histoire de la sexualité, t. I : La volonté de savoir, op. cit.
48.  Pierre Bourdieu, « La force du droit… », op. cit., p. 13.
PREMIÈRE PARTIE
LA CONSTRUCTION SOCIALE DU DROIT

1.   Laurent de Sutter, Oliver Wendell Holmes  Jr., Paris, Dalloz, coll. La  Voie du
droit, série Tiré à part, 2014, p. 17-20.
2.  François Ost, Shakespeare. La Comédie de la Loi, Paris, Michalon, coll. Le Bien
commun, 2012, p. 48.

I
LA REPRÉSENTATION « JURIDISTE »
DOMINANTE DE LA LÉGALITÉ

1.  J’emploie le qualificatif de « juridiste » pour désigner des modes de pensée, des


visions du monde social, des manières d’être, découlant étroitement de l’appartenance à
l’univers juridique.
2.  Laurent de Sutter, Oliver Wendell Holmes Jr., op. cit., p. 6.
3.  Dont j’ai pu prendre conscience grâce au privilège qui m’a été accordé de faire
partie d’un jury d’agrégation de droit privé (concours interne).
4.   Comme une illustration parmi beaucoup d’autres possibles, j’ai rapporté dans
un précédent ouvrage les propos tenus, lors d’un entretien avec Pierre Mazeaud, alors
président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale, futur président du Conseil
constitutionnel, qu’il avait bien voulu m’accorder  : «  Je tiens de mon père, de mes
oncles, une rigueur et une indépendance intellectuelle qui me sont reconnues… Je suis
bénéficiaire de cette éducation. Il y a une rigueur des juristes enfouies en moi que des
gens comme Michel Debré (“que je considère comme mon deuxième père”) et Jean
Foyer (“très grand frère, ami de la famille, j’ai été à son Cabinet”) m’ont permis de
sortir… Quand on fait du droit, il faut être comme la femme de César. Je le tiens de la
famille… Mon père, magistrat à Grenoble, m’a appris à aimer la montagne. J’ai été le
premier Français au sommet de l’Everest. Il m’a appris la rigueur et l’effort » (entretien
du 18 novembre 1993).
5.   C’est-à-dire ce qui relève des «  silences performatifs du droit  » (Marie-Xavière
Catto et al., « Questions d’épistémologie : les études sur le genre en terrain juridique »,
in Ce que le genre fait au droit, Paris, Dalloz, 2013, p. 3-24).
6.   Mauricio García Villegas, « Efficacité symbolique et pouvoir social du droit »,
Revue interdisciplinaire d’études juridiques, no  34, 1995, p.  159. Du même auteur  : La
eficacia simbolica del derecho. Sociologia politica del campo juridicó en América Latina,
Bogota, Bibliotecá IEPRI, 2e éd., 2014.
7.   Mauricio García Villegas, « Efficacité symbolique et pouvoir social du droit »,
op. cit., p. 161.

É
8.   Mauricio García Villegas, Les Pouvoirs du droit. Étude comparée de théories
socio-politiques du droit, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et Société, série
Les Petits Manuels, 2015 (voir particulièrement le chapitre II de l’ouvrage : « L’efficacité
symbolique du droit. Au cœur d’une sociologie politique du droit »).
9.  Ibid.
10.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois. Essai de sociologie politique
du droit, Paris, PUF, 1994.
11.  Jacques Commaille et al., Le Divorce en Europe occidentale. La loi et le nombre,
Paris, Éditions de l’INED, 1983. Voir également sur cet aspect de l’importance du
symbolique : Joseph Gusfield, La Culture des problèmes publics. L’alcool au volant  : la
production d’un ordre symbolique, Paris, Economica, 2009.
12.   Jacques Commaille, Les Stratégies des femmes. Travail, famille et politique,
Paris, La Découverte, coll. Textes à l’appui, série Sociologie, 1993. Dans le même esprit,
voir  : Murray Edelman, The Symbolic Uses of Politics, Chicago, Chicago University
Press, 1985  ; Amy  G. Masur, «  Les mouvements féministes et l’élaboration des
politiques publiques dans une perspective comparative  : vers une approche de genre
dans l’étude de la démocratie  », Revue française de Science politique, 2009, 59  (2),
p. 325-350. Voir également : Jacqueline Laufer, L’Égalité professionnlle entre les femmes
et les hommes, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2014.
13.   Michael  W. McCann, Rights at Work. Pay Equity Reform and the Politics of
Legal Mobilization, Chicago, The University of Chicago Press, 1994.
14.  Pierre Legendre, L’Amour du censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, Paris, Seuil,
coll. Champ freudien, 1974.
15.   François Ost, «  Jupiter, Hercule, Hermès  : trois modèles du juge  », in  Pierre
Bouretz (dir.), La Force du droit, panorama des débats contemporains, Paris, Esprit,
1991, p. 242.
16.  Pierre Legendre, « Préface à la deuxième édition », in Ernst  H. Kantorowicz,
Mourir pour la patrie et autres textes, Paris, Fayard, 2004, p. 10-11.
17.   Nicole Arnaud-Duc, «  Ordre dogmatique  », in  André-Jean Arnaud (dir.),
Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie juridique, op. cit., p. 188.
18.  Ibid., p. 188.
19.  Pierre Legendre, L’Amour du censeur…, op. cit., p. 197.
20.  Maurico García Villegas, Les Pouvoirs du droit, op. cit.
21.   Dominique Schnapper, L’Esprit démocratique des lois, Paris, Gallimard, coll.
NRF essais, 2014, p. 133.
22.   Antoine Vauchez, Démocratiser l’Europe, Paris, Seuil, 2014, p.  82 (l’auteur se
réfère ici à Ernst  H. Kantorowicz, «  Mystères de l’État. Une conception absolutiste et
ses origines médiévales (bas Moyen Âge)  », in  Mourir pour la patrie et autres textes,
op. cit., p. 93-125.
23.   Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi, Paris, Gallimard, 1989 (1re  éd.
1957), p. 80.
24.  Ibid.
25.   Mais nous verrons que ce mythe peut ne pas seulement servir le pouvoir  : il
peut être utilisé pour concourir aux luttes contre le pouvoir, par exemple dans ce qui a
été appelé une « politique des droits » (Politics of Rights). Voir : Stuart Scheingold, The
Politics of Rights. Lawyers, Public Policy, and Political Change, Ann Arbor, The
University of Michigan Press, 2e éd., 2004 (1re éd. 1974).
26.   Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total,
Paris, Seuil, coll. La République des idées, 2010.
27.  Ibid., p. 9.
28.  Ibid., p. 24-25.
29.  Ibid., p. 74.
30.  Ibid., p. 119.
31.  Ibid., p. 111.
32.  Ibid., p. 113.
33.  Ibid., p. 91.
34.   Jacques Chevallier, L’État post-moderne, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll.
Droit et Société, série Classics, 4e éd. 2014 (1re éd. 2003), p. 101.
35.   Letizia Gianformaggio, «  Droit naturel  », in  André-Jean Arnaud (dir.),
Dictionnaire de théorie et de sociologie juridique, op. cit., p. 198.
36.  Jacques Chevallier, L’État post-moderne, op. cit., p. 101. L’auteur fait référence
dans cette analyse à l’ouvrage de François Ost et Michel van de Kerchove, De la
pyramide au réseau. Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles, Publications des
Facultés universitaires Saint-Louis, 2002.
37.  Pierre Legendre, L’Amour du censeur, op. cit.
38.  Ibid., p. 6.
39.  Ibid., p. 104.
40.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois. Essai de sociologie politique
du droit, op. cit. (voir notamment p. 22-27).
41.   Jean Carbonnier, Essais sur les lois, Paris, Répertoire du notariat Defrénois,
1979, p. 235.
42.   Jacques Commaille, «  La construction d’une sociologie spécialisée. Le savoir
sociologique et la sociologie juridique de Jean Carbonnier », L’Année sociologique, no 2,
57, 2007, p. 275-299.
43.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois, op. cit., p. 212.
44.   Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir. Le renouveau, 1958-1962, Paris, Plon,
p. 140.
45.  Louis Assier-Andrieu, Le Droit dans les sociétés humaines, Paris, Nathan, coll.
Essais & Recherches, 1996.
46.   Francine Soubiran-Paillet, «  Quelles voix(es) pour la recherche en sociologie
du droit en France aujourd’hui ? », Genèses, no 15, 1994, p. 152.
47.  Ibid., p. 151.
48.   Claire de Galembert, Olivier Rozenberg et Cécile Vigour (dir.), Faire parler le
Parlement. Méthodes et enjeux de l’analyse des débats parlementaires pour les science
sociales, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et Société, série Recherches et
Travaux, 2013.
49.   Voir notamment  : Robert Jacob, «  De la maison au palais de justice. La
formation de l’institution judiciaire », Justices, 2, juil.-déc. 1995, p. 19-23.
50.  Voir, par exemple, la thèse de Laure-Estelle Moulin, L’Architecture judiciaire en
France sous la Ve République, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 2006 ; ou l’ouvrage
de Linda Mulcahy, Legal Architecture. Justice, Due Process and the Place of Law,
Abingdon, Routledge, 2011.
51.  Robert Jacob, « De la maison au palais de justice… », op. cit., p. 19.
52.   Antoine Garapon, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob,
1997 ; David Marrani, Rituel(s) de justice. Essai anthropologique sur la relation du temps
et de l’espace dans le procès, Bruxelles, EME  & InterCommunications, coll. De  Lege
Ferenda, 2011.
53.   Association pour l’histoire de la justice, La Justice en ses temples, Poitiers,
Brissaud – Paris, Errance, 1992.
54.   Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard,
1975.
55.   Judith Resnik et Dennis Curtis, Representing Justice. Invention, Controversy,
and Rights in City-States and Democratic Courtrooms, New  Haven  – Londres, Yale
University Press, 2011.
56.  Cité par Robert Jacob et Nadine Marchal-Jacob, « Jalons pour une histoire de
l’architecture judiciaire », in La Justice en ses temples, op. cit., p. 60.
57.  Robert Jacob, La Grâce des juges. L’institution judiciaire et le sacré en Occident,
Paris, PUF, 2014, p. 497.
58.  Marie Bels, Les Grands Projets de la justice française. Stratégies et réalisations
architecturales du ministère de la Justice (1991-2001), Thèse de doctorat en architecture,
Université Paris-Est, 2013.
59.  Linda Mulcahy, op. cit.
60.  Luc Boltanski, L’Amour et la Justice comme compétences, Paris, Métailié, 1996.
61.  Jean-Claude Farcy, Magistrats en majesté. Les discours de rentrée aux audiences
solennelles des cours d’appel (XIXe-XXe siècle), Paris, CNRS Éditions, 1998, p. 141.
62.   Cité par Marcel Rousselet, Histoire de la magistrature française des origines à
nos jours, Paris, Plon, 2 vol., 1957.
63.  AN, B 723 – CBB 2002.
64.  Jacques Lagroye, « La légitimation », in Madeleine Grawitz et Jean Leca (dir.),
Traité de science politique, t. I, Paris, PUF, 1983, p. 419.
65.  Xavier Rousseaux, « Le moment révolutionnaire », in Frédéric Chauvaud (dir.),
Le Sanglot judiciaire, Grane, Créaphis, 1999, p. 71-86.
66.  Robert Jacob, Images de la justice, Paris, Le Léopard d’or, 1994.
67.  Jean-Claude Farcy, op. cit.
68.  Linda Mulcahy, op. cit.
69.  Ernst H. Kantorowicz, « Mystères de l’État… », op. cit., p. 105.
70.   Jacques Commaille, Territoires de justice. Une sociologie politique de la carte
judiciaire, Paris, PUF, 2000.
71.  Ibid.
72.  Marie Bels, op. cit.
73.   Annette Fierro, The Glass State. The Technology of the Spectacle. Paris, 1981-
1998, Cambridge – Londres, MIT Press, 2003.
74.  Judith Resnik et Dennis Curtis, op. cit. ; Marie Bels, op. cit.
75.   Linda Mulcahy, op.  cit. ; Laurence Dumoulin et Christian Licoppe, Justice et
visioconférence  : les audiences à distance. De la genèse à l’instrumentalisation d’une
innovation, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et Société, série Recherches et
Travaux, 2014.
e
76.   Antoine Garapon, «  Imaginer le palais de justice du XXI   siècle  », Notes de
l’IHEJ, 5 juin 2013.

II
DU DROIT RÉFÉRENCE
AU DROIT RESSOURCE :
LA DUALITÉ DE LA LÉGALITÉ

1.  Xavier Rousseaux, op. cit., p. 71.


2.  Ibid., p. 361.
3.  Pierre Lascoumes et Hartwig Zander, Marx. Du «  vol de bois  » à la critique du
droit, PUF, coll. Philosophie d’aujourd’hui, 1984.
4.  Louis Assier-Andrieu, Le Droit dans les sociétés humaines, op. cit., p. 87.
5.  Ibid., p. 87.
6.  Pierre Lascoumes et Hartwig Zander, op. cit., p. 18.
7.  Ibid., « Commentaires », p. 138.
8.  Ibid., « Commentaires », p. 113.
9.  Ibid., p. 18.
10.  Ibid., p. 231.
11.   Ferdinand Tönnies, Communauté et société. Catégories fondamentales de la
sociologie pure, Paris, PUF, coll. Le Lien social, 2010, p. 238 et 243 (1re éd. 1887).
12.   Mauricio García Villegas, Les Pouvoirs du droit…, op.  cit. Voir également du
même auteur  : «  Champ juridique et sciences sociales en France et aux États-Unis  »,
L’Année sociologique, no 1, vol. 59, 2009, p. 29-62.
13.   Eugen Ehrlich, Grundlegung der Soziologie des Rechts, Berlin, Duncker  &
Humblot, 1989 (1re éd. 1913).
14.   David Nelken, «  Droit vivant  », in  André-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire
encyclopédique de théorie et de sociologie juridique, op. cit., p. 205.
15.  Ibid.
16.   Sally Engle Merry, «  Legal Pluralism  », Law  & Society Review, no  5, vol.  22,
1988, p. 869-896.
17.   Françoise Michaut, «  Sociological Jurisprudence  », in  Dictionnaire
encyclopédique de théorie et sociologie du droit, op. cit., p. 562-564.
18.   John Henry Merryman, «  Legal Education There and Here. A  Comparison  »,
Stanford Law Review, 3, 27, p. 859-878, cité par Mauricio García Villegas, Les Pouvoirs
du droit…, op. cit.
19.  Françoise Michaut, op. cit. ; idem, « Le rôle créateur du juge selon l’école de la
Sociological Jurisprudence et le mouvement réaliste américain. Le juge et la règle de
droit », Revue internationale de Droit comparé, vol. 39, no 2, 1987, p. 343-371 ; Maurico
García Villegas, Les Pouvoirs du droit…, op. cit.
20.  Françoise Michaut, « Sociological Jurisprudence », op. cit., p. 563.
21.   Patricia Ewick et Susan Silbey, The Common Place of Law. Stories from
Everyday Life, Chicago, The University of Chicago Press, 1998. Voir également  : Alan
Hunt, Explorations in Law and Society. Toward a Constitutive Theory of Law, New York,
London, Routledge, 1993.
22.   Louis Assier-Andrieu, «  L’anthropologie et la modernité du droit  »,
Anthropologie et Sociétés, no 1, vol. 13, 1989, p. 21-34.
23.   Brian  Z. Tamanaha, A General Jurisprudence of Law and Society, Oxford,
Oxford University Press, 2001.
24.  Comme illustration de cette influence des usages et des coutumes, y compris
par rapport à la volonté d’imposer la force unificatrice de la loi étatique : Louis Assier-
Andrieu, Le Peuple et la Loi. Anthropologie historique des droits paysans en Catalogne
française, Paris, LGDJ, 1987.
25.  Ce qui pourra conduire à considérer chez certains anthropologues du droit que
le pluralisme juridique est une construction abstraite constituant l’équivalent d’un
« centralisme juridique  » dont les fondements dans la réalité des sociétés restent tout
aussi flous. Voir Louis Assier-Andrieu, «  Brève théorie culturelle du droit  », in  Shaun
Van  Praagh et Helge Dedek, Stateless Law. Evolving Boundaries of a Discipline,
Farnham, Ashgate, à paraître. L’auteur y discute notamment les thèses en la matière de
John Griffiths (« What is Legal Pluralism ? », Journal of Legal Pluralism, 24, 1986, p. 1-
55) en s’appuyant sur la critique de Brian  Z. Tamanaha («  The Folly of the ‘Social
Scientific’ Concept of Legal Pluralism », Journal of Law and Society, 20, 2, 1993 ; idem,
«  Understanding Legal Pluralism. Past to Present, Local to Global  », Sydney Law
Review, 29, 2007).
26.   Jacques Vanderlinden, Les Pluralismes juridiques, Bruxelles, Bruylant, coll.
Penser le droit, 2013  ; Norbert Rouland, «  Pluralisme juridique (Théorie
anthropologique) », in André-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie
et de sociologie du droit, op. cit., p. 449-450.
27.  Jean-Guy Belley, « Le “droit social” de Gurvitch : trop beau pour être vrai ? »,
Droit et Société, 88/2014, p. 731-746.
28.   Eugen Ehrlich, Grundlegung der Soziologie des Rechts, Munich  – Leipzig,
Duncker & Humblot, 1913.
29.  Santi Romano, L’Ordre juridique, Paris, Dalloz, 1975 (1re éd. 1918).
30.  Guy Rocher, « Pour une sociologie des ordres juridiques », Les Cahiers de droit,
o
n  1, vol. 29, 1988, p. 108.
31.  Jean-Guy Belley, « Le “droit social” de Gurvitch : trop beau pour être vrai ? »,
op.  cit. Voir également  : Jacques Le Goff, Georges Gurvitch. Le pluralisme créateur,
Paris, Michalon, coll. Le bien commun, 2012.
32.  Guy Rocher, op. cit., p. 120.
33.   Jean-Guy Belley, «  Le pluralisme juridique comme doctrine de la science du
droit  », in  Pour un droit pluriel. Études offertes au professeur Jean-François Perrin,
Genève  – Bâle  – Munich, Helbing  & Lichtenhahn, 2002, p.  136  ; voir également du
même auteur sur cette question d’une spécificité française  : «  Une sociologie
républicaine. L’esprit des lois de la famille selon Jacques Commaille  », Revue
canadienne Droit et Société, vol. 10, 2, automne 1995.
34.  Jean-Guy Belley, « Le pluralisme juridique… », op. cit., p. 137.
35.   Jean-Guy Belley, «  Georges Gurvitch et les professionnels de la pensée
juridique », Droit et Société, no 4, 1986, p. 364.
36.  Jean-Guy Belley, « Le “droit social” de Gurvitch… », op. cit.
37.  Ibid.
38.  Ibid.
39.  Voir sur cette perspective : Christoph Eberhard et Geneviève Vernicos (dir.), La
Quête anthropologique du droit. Autour de la démarche d’Étienne le Roy, Paris, Karthala,
2006.
40.  Duncan Kennedy, « Une alternative phénoménologique de gauche à la théorie
de l’interprétation de Hart et Kelsen », Jurisprudence. Revue critique, 1, 2010, p. 31.
41.  Stuart A. Scheingold, The Politics of Rights…, op. cit.
42. The myth of rights rests on a faith in the political efficacy and ethical sufficiency
of law as a principle of government, ibid., p. 17.
43.   Clifford Geertz, «  Ideology as a Cultural System  », in  David  E. Apter (éd.),
Ideology and Discontent, New York, Free Press, p. 105-157.
44.  Il pourrait être intéressant de comparer ce « Myth of Rights » tel que le définit
Stuart Scheingold au «  Legal Myth  » dont parle Joseph Gusfield et qui le conduit à
considérer la «  performance culturelle  » du droit notamment à travers ses rites et la
dramaturgie qu’il génère, c’est-à-dire à son efficacité symbolique propre dans la
construction de représentations et de valeurs partagées. Voir sur cet aspect : Claire de
Galembert, « Une autre manière de penser la force du droit ». À propos de l’ouvrage de
Joseph Gusfield, La Culture des problèmes publics. L’alcool au volant : la production d’un
ordre symbolique, traduit et commenté par Daniel Cefaï, Paris, Economica, coll. Études
sociologiques, 2009, Droit et Société, no 76, 2010, p. 723-729.
45.   Lesquels ont été parmi les plus anciens à faire l’objet de ce type de
mobilisation.
46.  Voir Doug McAdam, Political Process and the Development of Black Insurgency,
1930-1970, Chicago, The University of Chicago Press, 1982.
47.  Stuart Scheingold, The Politics of Rights, op. cit., p. 148.
48.  Jean-Guy Belley, « Le “droit social” de Gurvitch… », op. cit.
49.  Jean-Pierre Nandrin, La Justice de paix à l’aube de l’indépendance de la Belgique
(1832-1848). La professionnalisation d’une fonction judiciaire, Bruxelles, Publications
des Facultés universitaires Saint-Louis, 1998.
50.  Sur cette relation entre jury de cours d’assises et démocratie, voir la très belle
thèse de Dominique Vernier : Jury et démocratie : une liaison fructueuse ?, Thèse, École
normale supérieure de Cachan, 2007. Pour une approche critique de cette forme de
justice, voir : François Saint-Pierre, Au nom du peuple français. Jury populaire ou juges
professionnels ?, Paris, Odile Jacob, 2014.
51.   Mark  W. Cannon et David  M. O’Brien (éd.), Views from the Bench. The
Judiciary and Constitutional Politics, Chatham (New Jersey), Chatham House
Publishers, 1985.
52.  René Sève et Iannos Papadopoulos, « La conception américaine de la justice »,
Philosophie politique, no 9, La Justice, 1998, p. 96.
53.  Louis Gruel, Pardons et châtiments, Paris, Nathan, coll. Essais  & Recherches,
1981, p. 71.
54.  Ibid., p. 93 et 133.
55.  Ibid., p. 119.
56.  Ibid., p. 131.
57.  Jean-Claude Farcy, op. cit., p. 355.
58.  Jean-Pierre Nandrin, op. cit., p. 12.
59.  Ibid., p. 12.
60.  Ibid., p. 12.
61.   Christopher  E. Smith, Courts, Politics, and the Judicial Process, Chicago,
Nelson-Hall Publishers, 2e éd., 1997, p. 185-186.
62.  Ibid.
63.  Robert Jacob, Images de la justice, op. cit.
64.  Jacques Commaille, « Les tribunaux de famille sous la Révolution », in Robert
Badinter (dir.), Une autre justice, 1789-1799, Paris, Fayard, 1989.
65.   Carol Greenhouse, «  Courting Difference. Issues of Interpretation and
Comparison in the Story of Legal Ideologies », Law & Society Review, vol. 22, 4, 1988,
p. 687-707.
66.   Jerold Auerbach, Justice without Law  ? Resolving Dispute without Lawyers,
Oxford, Oxford University Press, 1983, p. 40.
67.  Christopher E. Smith, op. cit., p. 20.
68.   Aude Lejeune, «  Justice institutionnelle, justice démocratique. Clercs et
profanes. La Maison de justice et du droit comme révélateur de tensions entre des
modèles politiques de justice », Droit et Société, no 66, 2007, p. 361-381.
69.  Liora Israël, L’Arme du droit, op. cit. Voir également comme un exemple : Éric
Agrikoliansky, «  Les usages protestataires du droit  », in  Éric Agrikoliansky, Isabelle
Sommier et Olivier Fillieule, Penser les mouvements sociaux. Conflits sociaux et
contestations dans les sociétés contemporaines, Paris, La Découverte, 2010.
70.  John Crowley, op. cit., p. 54-55.
71.   François Ost, «  Jupiter, Hercule, Hermès  : trois modèles du juge  », op.  cit.
Notons que cet auteur mentionne également un troisième modèle, celui porté par un
juge « herculéen » : le juge de l’État-providence.
72.   Patricia Ewick et Susan  S. Silbey, «  Common Knowledge and Ideological
Critique  : The Significance of Knowing That the ‘Haves’ Comme Out Ahead  », Law  &
Society, no  4, vol.  33, 1999, p.  1025-1042. Il est intéressant de noter dans cet article la
référence faite (p. 1039) à Émile Durkheim et à son approche du sacré, dans les sociétés
sans écriture, marquée également par un dualisme entre les objets, lieux, temporalités,
personnes, animaux, éléments naturels perçus comme investis d’un statut à part (le
sacré) et le reste inscrit dans la routine de la vie quotidienne. Voir Robert Bocock,
« The Cultural Formations of Modern Society », in Stuart Hall et al. (éd.), Modernity. An
Introduction to Modern Societies, Cambridge (Mass.), Blackwell, 1996.
73.  Christian Bessy, Thierry Delpeuch et Jérôme Pélisse, «  Introduction. Situer le
droit par rapport à l’action économique. Les apports croisés de l’économie
institutionnaliste et de la sociologie du droit », in Christian Bessy, Thierry Delpeuch et
Jérôme Pélisse (dir.), Droit et régulations des activités économiques. Perspectives
sociologiques et institutionnalistes, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et Société,
série Recherches et Travaux, 2011, p. 23. Les auteurs font ici référence à la théorie de la
régulation développée par Jean-Daniel Reynaud, Les Règles du jeu. L’action collective et
la régulation sociale, Paris, Armand Colin, 1989.
74.   Olivier Corten, «  Éléments de définition pour une sociologie politique du
droit », Droit et Société, no 39, 1998, p. 358 (référence est faite ici à l’ouvrage de Rudolf
von Jhering, La Lutte pour le droit, Paris, Maresq Aîné, 1890).
75.   Rudolf von Jhering, Der Zweck im Recht, Leipzig, Breitkopf  & Härtel, 1883,
p. 76.
76.  Ibid., p. 80.
77.  Pierre Guibentif, op. cit., p. 74.
78.   Pour reprendre une expression de Michel Foucault (Histoire de la sexualité,
t.  II  : L’usage des plaisirs, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1984, p.  17) et réutilisée pour
travailler la question du droit par Márcio Alves da Fonseca, Michel Foucault et le droit,
op. cit.
79.  Ibid., p. 78.
80.   Michel Foucault, Dits et écrits, Paris, Gallimard, 1994, vol.  1, p.  57, cité par
Pierre Guibentif, op. cit., p. 79.
81.  Márcio Alves da Fonseca, op. cit., p. 181.
82.  Ibid.
83.  Márcio Alves da Fonseca, Michel Foucault et le droit, op. cit.
84.  Pierre Guibentif, op. cit., p. 53.
85.  Voir, par exemple : Isabelle Sommier, « Engagement radical, désengagement et
déradicalisation. Continuum et lignes de fracture  », Lien social et Politiques,
« Radicalités et radicalisations », no 68, automne 2012, p. 15-35.
86.   Albert Ogien et Sandra Laugier, Le Principe démocratie. Enquête sur les
nouvelles formes de politique, Paris, La Découverte, 2014, p. 105.
87.   Violaine Roussel, «  Le droit et ses formes. Éléments de discussion de la
sociologie du droit de Pierre Bourdieu », Droit et Société, 56-57/2004, p. 52.
88.  Pierre Lascoumes et Jean-Pierre Le Bourhis, « Des “passes-droits” aux passes
du droit. La mise en œuvre socio-juridique de l’action publique  », Droit et Société,
32/1996, p. 52.
89.  Violaine Roussel, op. cit., p. 70.
90.   Pierre Lascoumes, «  Normes juridiques et mise en œuvre des politiques
publiques », L’Année sociologique, vol. 40, 1990, p. 52.
91.  Patrice Duran, « Piloter l’action publique, avec ou sans le droit ? », Politiques et
Management Public, vol. 11, no 4, décembre 1993, p. 11.
92.  Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, La Culture juridique française. Entre
mythes et réalités, XIXe-XXe siècles, Paris, CNRS Éditions, 2013, p. 15.
93.   Cité par Simone Gaboriau, «  Avant-propos  », in Simone Gaboriau et Hélène
Pauliat (dir.), Le Temps, la Justice et le Droit, Limoges, Pulim, 2004, p. 13.
94.  François Ost, Le Temps du droit, Paris, Odile Jacob, 1999, p. 226 (l’auteur fait
ici référence aux analyses de Jean Carbonnier, «  Le Code civil  », in  Les Lieux de
mémoire, t.  II  : La Nation, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque illustrée des histoires,
1986, p. 309).
95.  André-Jean Arnaud, Essai d’analyse structurale du Code civil français. La règle
du jeu dans la paix bourgeoise, Paris, LGDJ, 1973.
96.   Pierre Legendre, «  Qui dit légiste, dit loi et pouvoir  », Entretien avec Pierre
Legendre, Politix, no 32, 1995, p. 39.
97.  Ibid., p. 42.
98.  François Ost, « Défense et illustration d’une distinction », Droit et Société, no 2,
janvier 1986, p. 139.
99.  François Ost et Michel van de Kerchove, « De la scène au balcon. D’où vient la
science du droit ? », in François Chazel et Jacques Commaille (dir.), Normes juridiques
et régulation sociale, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, p. 77.
100.  Ibid., p. 77.
101.   Pierre Bourdieu, «  Les juristes, gardiens de l’hypocrisie collective  »,
in François Chazel et Jacques Commaille (dir.), op. cit., p. 95.

III
CE QUE SONT ET CE QUE FONT
LES ACTEURS DU DROIT

1.   Les acteurs d’une régulation juridique, ce sont d’abord bien évidemment les
juristes. Mais la formule est trop générique. Elle qualifie plus une compétence qu’une
activité. Nous lui préférerons celle de professionnels du droit eux-mêmes, plus
conforme aux «  legal professions  » dont parle la littérature anglophone et qui permet
effectivement de mettre l’accent sur l’idée de profession. Faire le choix de cette notion
de profession, c’est aussi se donner les moyens ici spécifiquement de considérer
l’aspiration de non-professionnels, de «  profanes  » à contester le monopole des
professionnels du droit à agir avec le droit.
2.  Ce que démontrent classiquement des analyses sur les institutions remettant en
cause leur pouvoir homogénéisant. Voir, par exemple  : Jacques Lagroye et Michel
Offerlé (dir.), Sociologie de l’institution, Paris, Belin, 2010.
3.   Martin Shapiro et Alec Stone Sweet, On Law, Politics and Judicialization,
Oxford – New York, Oxford University Press, 2002.
4.  Yves Dezalay et Bryant Garth, « State Politics and Legal Markets », Comparative
Sociology, no 10, 2011, p. 43.
5.  Jean Carbonnier, Essais sur les lois, op. cit., p. 234.
6.  Pierre Bourdieu, « La force du droit… », op. cit.
7.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois…, op. cit., p. 212 sq.
8.  Ibid., p. 212.
9.  Jacques Lagroye, op. cit., p. 414 et 419.
10.   Pierre Brunet, «  Argument sociologique et théories de l’interprétation  :
beaucoup d’interprétation, très peu de sociologie  », Université Paris Ouest Nanterre,
multigr., 2014.
11.  Liora Israël, « Conseils de sociologues. Bruno Latour et Dominique Schnapper,
face au droit  », Genèses, 2/2012, p.  147-148. L’auteure se réfère ici au juge américain
Benjamin N. Cardozo qui fut notamment juge à la Cour suprême américaine et à son
ouvrage Nature of the Judicial Process, New  Haven, Yale University Press, 1921
(trad. fr. : La Nature de la décision judiciaire, Paris, Dalloz, coll. Rivages du droit, 2011).
12.  Alain Bancaud, La Haute Magistrature judiciaire entre politique et sacerdoce ou
le culte des vertus moyennes, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, 1993, p. 221-222.
13.  Cité par Louis Assier-Andrieu, L’Autorité du passé. Essai anthropologique sur la
Common Law, Paris, Dalloz, 2011, p. 237.
14.  Ibid., p. 237.
15.  Ibid., p. 237.
16.  Antoine Garapon, Le Gardien des promesses. Justice et démocratie, Paris, Odile
Jacob, 1996.
17.  Louis Assier-Andrieu, Les Avocats. Identité, culture et devenir, Paris, Gazette du
Palais / Lextenso éditions, 2011, p. 76-77.
18.  Ibid., p. 19.
19.   Lucien Karpik, «  Lawyers and Politics in France, 1814-1950  : the State, the
Market, and the Public », Law & Social Inquiry, vol. 13, no 4, Fall 988, p. 732.
20.   Hippolyte Taine, Les Origines de la France contemporaine, Paris, Hachette,
1875, cité par Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op. cit., p. 38.
21.  Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op. cit., p. 18.
22.   Talcott Parsons, «  The Professions and the Social Structure  », Social Forces,
o
n  4, vol. 17, p. 457-467.
23.  Lucien Karpik, Les Avocats. Entre l’État, le public et le marché, XIIIe-XXe siècle »,
Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 1995, p. 90-91, p. 160. Voir
également du même auteur  : «  Le désintéressement  », Annales. Économies, sociétés,
civilisations, no 3, 1989, p. 733-751.
24.  Ernest-Guillaume Cresson, Abrégé des usages et règles de la profession d’avocat,
Paris, L.  Larose, 1896, p.  133, cité par Anne Boigeol, «  De l’idéologie du
désintéressement chez les avocats », Sociologie du travail, no 1, janvier-mars 1981, p. 78.
25.  Julien Freund, Sociologie de Max Weber, Paris, PUF, coll. Sup, 1968.
26.   Mauricio García Villegas, «  On Pierre Bourdieu’s Legal Thought  », Droit et
Société, no 56-57/2004, p. 67.
27.   Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois…, op.  cit. (voir notamment
p. 22-27).
28.  Georges Ripert, Les Forces créatrices du droit, Paris, LGDJ, 1955, p. 27.
29.  Ibid., p. 2.
30.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois…, op. cit., p. 26.
31.  Lawrence Friedman, The Legal System. A Social Science Perspective, New York,
Russel Sage Foundation, 1975.
32.  L’expression « sociological jurisprudence » renvoie à une théorie du droit où la
décision du juge tend à être située par rapport à la société dans laquelle elle s’inscrit. Il
s’agit d’un courant de théorie du droit qui s’oppose au formalisme juridique.
33.  Oliver Wendel Holmes, The Common Law, Boston, Little, Brown &  Co, 1881,
p. 1.
34.  Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op. cit., p. 78.
35.  Ibid., p. 78.
36.   Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, La Culture juridique française…,
op. cit. Remarquons néanmoins que les auteurs s’attachent dans cet ouvrage, à l’opposé
d’une conception monolithique de la culture juridique française, à démontrer
«  l’extrême variété et les profondes transformations des cultures juridiques qui ont
elles-mêmes accompagné les évolutions complexes de l’ordre juridique français  »
(p. 14).
37.   Mauricio García Villegas, «  On Pierre Bourdieu’s Legal Thought  », op.  cit.,
p. 57-71.
38.   Martin Shapiro, «  Juridicialization of Politics in the United States  »,
International Political Science Review, vol. 15, no 2, 1994, p. 101-112.
39.  Donald L. Horowitz, The Courts and Social Policy, Washington, The Brookings
Institution, 1977.
40.   Christopher  E. Smith, Courts, Politics and the Judicial Process, Chicago,
Nelson-Hall Publishers, 1997, 2e éd., p. 16-17.
41.   Herbert Jacob et  al., Courts, Law and Politics in Comparative Perspective,
New Haven – Londres, Yale University Press, 1996, p. 78.
42.   Henry  R. Glick, Courts, Politics and Justice, New  York, McGraw Hill, 1983,
p. X.
43.   Talcott Parsons, «  The Law and Social Control  », in  William  M. Evan (éd.),
Law and Sociology. Exploratory Essays, III, Glencoe, Free Press, 1962, p. 56-72.
44.  Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op. cit., p. 72.
45.   Dans les pays anglophones, le terme «  lawyer » est utilisé fréquemment pour
désigner la profession d’avocat. Toutefois, son sens est plus général dans la mesure où il
peut être appliqué à toute personne qui pratique le droit, cela dans différentes
fonctions. Ces fonctions auxquelles est accolé le terme de «  lawyer  » peuvent varier
suivant les pays anglophones concernés. Voir David S. Clark (éd.), Encyclopedia of Law
and Society. American Global Perspectives, vol. 2, Los Angeles – Londres – New Delhi –
Singapour, SAGE Publications, 2007, p. 930-937.
46.   Aude Lejeune, «  Les professionnels du droit comme acteurs du politique  :
revue critique de la littérature nord-américaine et enjeux pour une importation en
Europe continentale », Sociologie du travail, no 53, 2011, p. 220.
47.   Austin Sarat et Stuart  A. Scheingold (éd.), Cause Lawyering. Political
Commitments and Professional Responsabilities, Oxford – New York, Oxford University
Press, 1998 ; Austin Sarat et Stuart A. Scheingold (éd.), Cause Lawyering and the State
in a Global Era, New  York, Oxford University Press, 2001  ; Austin Sarat et Stuart  A.
Scheingold (éd.), The Worlds Cause Lawyers Make. Structure and Agency in Legal
Practice, Stanford, Stanford University Press, 2005. Voir également la présentation en
français des travaux de ce courant par : Liora Israël, « Usages militants du droit dans
l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et Société, no 49/2001, p. 793-824.
48.  Stuart A. Scheingold, The Politics of Rights…, op. cit., p. 148.
49.  Liora Israël, « Usages militants du droit… », op. cit., p. 795-796.
50.  Liora Israël, « Cause Lawyering », in André-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire de
la globalisation, op. cit., p. 58. Cet auteur fait notamment référence à la thèse soutenue
dans l’ouvrage : Yves Dezalay et Bryant Garth, La Mondialisation des guerres de palais.
La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et
« Chicago Boys », Paris, Seuil, 2002.
51.  Brigitte Gaïti et Liora Israël, « Sur l’engagement du droit dans la construction
des causes », Politix, vol. 16, no 62, 2003, p. 22.
52.  Stuart Scheingold, The Politics of Rights, op. cit., p. 153.
53.  Malcolm F. Feeley et Edward L. Rubin, Judicial Policy Making and the Modern
State. How the Courts Reformed America’s Prisons, Cambridge – New York, Cambridge
University Press, 1998.
54.   Sur la sensibilité à l’appartenance sociale ou ethnique, voir par exemple  :
Nicolas Herpin, L’Application de la loi. Deux poids, deux mesures, Paris, Seuil, 1977 ; sur
l’influence des représentations sociales des juges en ce qui concerne les appartenances
sociales, culturelles, de sexe, voir par exemple  : Émilie Biland, Céline Bessière et
Aurélie Fillod-Chabaud, «  Résidence alternée  : la justice face aux rapports sociaux de
sexe et de classe », Lien social et politiques, no 69, 2013, p. 125-143 ; Le Collectif Onze,
Au tribunal des couples. Enquête sur des affaires familiales, Paris, Odile Jacob, 2013  ;
Émilie Biland et Gabrielle Schütz, «  Tels pères, telles mères  ? La production des
déviances parentales par la justice familiale québécoise », Genèses, no 97, 4/2014, p. 26-
46  ; sur l’influence des systèmes de valeurs des juges, voir par exemple  : «  La justice
dans la gestion du social », Droit et Société, no 81, 2012, p. 281-380 ; sur l’influence de
variables structurelles comme la maîtrise ou l’expérience du procès du côté des
justiciables, voir : Marc Galanter, « Pourquoi c’est toujours les mêmes qui s’en sortent
bien : réflexions sur les limites de la transformation par le droit », Droit et Société, no 85,
2013, p.  575-640 [1re  éd.  : «  Why the ‘Haves’ Come Out Ahead  : Speculations on the
Limits of Legal Change », Law & Society Review, 33 (4) 1974, p. 95-160].
55.  Pierre Bourdieu, « Les juristes, gardiens de l’hypocrisie collective », in François
Chazel et Jacques Commaille (dir.), Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ,
coll. Droit et Société, 1991, p. 95-99.
56.  Julie Fette, Exclusions. Practicing Prejudice in French Law and Medicine, 1920-
1945, New York, Cornell University Press, 2012.
57.   Voir en particulier  : Yves Dezalay et Bryant Garth, La Mondialisation des
guerres du palais, op. cit.
58.   Yves Dezalay et Bryant Garth, «  State Politics and Legal Markets  »,
Comparative Sociology, no 10, 2011, p. 38-66. Même s’il semble décroître aux États-Unis
et au Royaume-Uni où il s’est d’abord développé et si plus d’un tiers des avocats
français exercent encore en solo. Voir  : Louis Assier-Andrieu, Les Avocats, op.  cit.,
p. 161.
59.  Louis Assier-Andrieu, op. cit., p. 56.
60.   Martin Shapiro et Alec Stone Sweet, On Law, Politics and Judicialization,
op. cit., p. 155.
61.  Julie Allard et Antoine Garapon, Les Juges dans la mondialisation. La nouvelle
révolution du droit, Paris, Seuil, coll. République des idées, 2005, p. 43.
62.  Yves Dezalay et Bryant Garth, La Mondialisation des guerres du palais, op. cit.
63.   Jacques Commaille, «  Justice et globalisation  », in  André-Jean Arnaud (dir.),
Dictionnaire de la globalisation, op. cit.
64.  Ibid.
65.   Ugo Mattei et Luca  G. Pes, «  Civil Law and Common Law  : Toward
Convergence », in Keith E. Whittington, R. Daniel Kelemen et Gregory A. Caldera (éd.),
The Oxford Handbook of Law and Politics, Oxford, Oxford University Press, 1998,
p. 267-280.
66.  Louis Assier-Andrieu, L’Autorité du passé…, op. cit., p. 247.
67.   Julie Allard et Antoine Garapon, Les Juges dans la mondialisation, op.  cit.,
p. 54.
68.   Pierre Legrand, «  Les systèmes juridiques européens ne convergent pas  »,
International and Comparative Law Quarterly, 1996, 45, p.  62, cité par Louis Assier-
Andrieu, L’Autorité du passé…, op. cit., p. 245.
69.  Louis Assier-Andrieu, L’Autorité du passé…, p. 191.
70.  En référence à l’historien du droit et constitutionnaliste Adhémar Esmein cité
par Louis Assier-Andrieu, L’Autorité du passé, op. cit., p. 237.
71.   On trouvera une analyse de ces rapports des professionnels au marché et au
pouvoir dans  : Pierre Tripier, Claude Dubar et Valérie Boussard, Sociologie des
professions, Paris, Armand Colin, coll. U, 2011.
72.  Jean-Louis Halpérin, Histoire des droits en Europe de  1750 à nos jours, Paris,
Flammarion, coll. Champs, 2004, p.  334, cité par Louis Assier-Andrieu, Les Avocats.
Identité, culture et devenir, op. cit.
73.   Herbert Jacob et  al., Courts, Law and Politics in Comparative Perspective,
New Haven – Londres, Yale University Press, 1996.
74.   Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op.  cit., p.  111  ; voir également Herbert
Jacob et al., op. cit.
75.  André-Jean Arnaud, Les Juristes face à la société du XIXe siècle à nos jours, Paris,
PUF, 1975, p. 212.
76.   Xavier Dupré de Boulois et Martine Kaluszynski (dir.), Le Droit en
révolution(s), op. cit.
77.   Liora Israël, «  Une critique du droit en actes. Engagements et pratiques des
juristes de gauche dans les années  1970  », in  Xavier Dupré de Boulois et Martine
Kaluszynski (dir.), op. cit., p. 47.
78.  Frédéric Audren, « L’histoire à contre-courant. Discipline et indiscipline dans
la section d’histoire du droit (1970-1990)  », in  Xavier Dupré de Boulois et Martine
Kaluszynski (dir.), op. cit., p. 63.
79.  Ibid., p. 64.
80.  Ibid., p. 55.
81.  Ibid., p. 66.
82.   Nader Hakim, «  Droit privé et courant critique  : le poids de la dogmatique
juridique  », in Xavier Dupré de Boulois et Martine Kaluszynski (dir.), op.  cit., p.  83
(citation elle-même rapportée par Pierre Legendre, « Méditation sur l’esprit libéral. La
leçon d’Édouard de Laboulaye, juriste-témoin  », Revue du droit public et de la science
politique, no 1, 1971, p. 96).
83.  André-Jean Arnaud, Les Juristes face à la société…, op. cit., p. 157.
84.  Christian Revon, «  Les usagers et les professionnels de la justice. Autour des
pratiques de la boutique de droit du XIXe  », Actes, no  15, 1977, cité par Liora Israël,
« Une critique du droit en actes… », op. cit., p. 44-45.
85.  Sur toutes ces questions soulevées par la médiation, voir, notamment : Étienne
Le Roy, «  Médiation  : mode d’emploi  », Droit et Société, no  29, 1995, p.  39-55  ; Gilda
Nicolau, «  Éprouver le droit, instituer la vie  ? Médiation et cadre judiciaire  »,
in Christoph Eberhard et Geneviève Vernicos (dir.), La Quête anthropologique du droit.
Autour de la démarche d’Étienne Le Roy, Paris Karthala, 2006, p. 311-331 ; Jean-Pierre
Bonafé-Schmitt, La Médiation pénale en France et aux États-Unis, Paris, LGDJ-Lextenso
éditions, coll. Droit et Société, série Classics, 2010  ; Michèle Guillaume-Hofnung, La
Médiation, Paris, PUF, coll. Que sais-je  ?, 2012, 6e  éd.  ; Jacques Faget, Médiation. Les
ateliers silencieux de la démocratie, Toulouse, Érès, 2010  ; Camila Silva Nicácio,
Médiation et émergence du droit. Pour un paradigme de la complexité juridique, Thèse en
droit de l’université de Paris Panthéon-Sorbonne, 2012.
86.  Christopher E. Smith, Courts, Politics and the Judicial Process, op. cit., p. 185-
186.
87.  Jean-Pierre Nandrin, op. cit., p. 12.
88.   Louis Assier-Andrieu, «  La cité doit-elle produire la société  ? Cohérences
institutionnelles et politiques de cohésion sociale à Perpignan  », in  Louis Assier-
Andrieu et  al., Éléments d’analyse de la politique de la ville à Perpignan, Perpignan,
ICRESS, mars 1997, multigr., p. 12.
89.  Louis Gruel, ibid., p. 131.
90.  Louis Assier-Andrieu, « La cité doit-elle produire la société ?… », op. cit., p. 93.
91.  Ibid., p. 133.
92.   Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, Gallimard, 1961,
t. I, p. 404 (1re éd. 1835), cité par Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op. cit., p. 120.
93.  Xavier Rousseaux, Le Sanglot judiciaire, op. cit.
94.   Carol  J. Greenhouse, «  Courting Difference. Issues of Interpretation and
Comparison in the Story of Legal Ideologies », Law and Society, 22, 4, 1988.
95.  Jerold S. Auerbach, Justice without Law ? Resolving Disputes without Lawyers,
op. cit., p. 40.
96.   Patrick Pharo, Le Sens de la justice. Essais de sémantique sociologique, Paris,
PUF, coll. Sociologies, 2001.
97.   François Dubet et  al., Injustices. L’expérience des inégalités au travail, Paris,
Seuil, 2006.
98.   Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la
grandeur, Paris, Gallimard, 1991.
99.   Patrick Pharo, Le Civisme ordinaire, Paris, Librairie des Méridiens, 1985. Du
même auteur : Politique et savoir-vivre. Enquête sur les fondements du lien civil, Paris,
L’Harmattan, 1991.
100.  Patrick Pharo, Le Civisme ordinaire…, op. cit., p. 104.
101.   Louis Pinto, «  Du “pépin” au litige de consommateur. Une étude du sens
juridique ordinaire », Actes de la recherche en sciences sociales, no 1, vol. 76, 1989, p. 65-
81 ; Christian Bessy et Olivier Favereau, « Institutions et économie des conventions » et
«  Qu’a-t-on appris sur les institutions  ?  », Cahiers d’économie politique, no  44,
printemps 2003, p. 119-164.
102.  Luc Boltanski, L’Amour et la justice comme compétences, op. cit.
103.  Isabelle Astier, « Présentation », dossier « Les magistratures sociales », Droit
et Société, no 44/45, 2000, p. 85-155.
104.  Alexis Spire, Étrangers à la carte. L’administration de l’immigration en France
(1945-1975), Paris, Grasset, 2005.
105.  Ibid., p. 358.
106.  Ibid.
107.  Ibid., p. 364.
108.  Sylvain Laurens, Hauts fonctionnaires et immigration en France (1962-1981).
Socio-histoire d’une domination à distance, Thèse, EHESS, 2006.
109.  Michael Lipsky, Street-Level Bureaucracy. Dilemmas of the Individual in Public
Services, New York, Russel Sage Foundation, 1980.
110.  Voir par exemple : Jean-Marc Weller, « Une controverse au guichet : vers une
magistrature sociale ? », Droit et Société, no 44-45, 2000, p. 91-109 ; Vincent Dubois, La
Vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, coll.
Études politiques, 3e  éd., 2010 (1re  éd. 2008)  ; Luc-Henry Choquet et Isabelle Sayn,
«  Droit de la sécurité sociale et réalité de l’organisation  : l’exemple de la branche
Famille », Droit et Société, no 44-45, 2005, p. 111-125 ; Jacques Commaille, Misères de la
famille, question d’État, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
111.  Jean-Gabriel Contamin, Emmanuelle Saada, Alexis Spire et Katia Weidenfeld,
Le Recours à la justice administrative. Pratiques des usagers et usages des institutions,
Paris, La Documentation française, coll. Perspectives sur la justice, 2008.
112.  Claire de Galembert, recension de l’ouvrage de Jean-Gabriel Contamin et al.,
Le Recours à la justice, op. cit., Droit et Société, no 77, 2011, p. 214-218.
113.   Sur cette question, voir particulièrement  : Lauren  B. Edelman, «  Legal
Ambiguity and Symbolic Structure  : Organizational Mediation of Civil Rights  »,
American Journal of Sociology, no 97, 1992, p. 15-67 ; Robin Stryker, « Dispute Impact
and the Quota Debates  : Law, Labor Market, Sociology, and Equal Employment
Practices  », The Sociological Quarterly, 42/1, 2001, p.  13-46  ; Jérôme Pélisse,
«  Judiciarisation ou juridicisation  ? Usages et réappropriations du droit dans les
conflits du travail », Politix, no 86, p. 73-96.
114.   Luc Boltanski et Laurent Thévenot, op.  cit.  ; Vincent-Arnaud Chappe, «  La
qualification juridique est-elle soluble dans le militantisme ? Tensions et paradoxes au
sein de la permanence juridique d’une association antiraciste », Droit et Société, dossier
« De la critique du capitalisme à la réalisation de la démocratie par le droit ? », no 76,
2010, p. 543-567.
115.   René Sève et Iannos Papadopoulos, «  La conception américaine de la
justice », Philosophie politique, no 9, 1998, p. 96.
116.   À l’Assemblée nationale, M.  Thouret, au nom du comité de constitution, en
vue de l’institution de la justice de paix, justifiera ainsi cette exclusion et cette
suppression : « Le comité s’est attaché d’abord à exclure les praticiens non seulement
de l’instruction des affaires portées en la justice de paix, mais encore du premier acte
par lequel les procès s’introduisent, et même de la faculté de représenter des parties en
vertu de leurs pouvoirs particuliers. Sans cette précaution, dont l’intérêt se fait sentir
sans effort, la pureté et la simplicité de l’institution ne pourraient pas être garanties
d’une altération prochaine  » (Augustin-Charles Guichard, Code de la Justice de paix,
p. 26-27).
117.   Titre  II «  Des juges en général  » des lois sur l’organisation judiciaire du
16 août 1790 : art. 2, « La vénalité des offices de judicature est abolie pour toujours, les
juges rendront gratuitement la justice, et seront salariés par l’État » ; art. 3, « Les juges
seront élus par les justiciables » (Jean-Baptiste Duvergier, Collection complète des lois,
décrets, ordonnances et règlements et avis du Conseil d’État, Paris, 1825-1900, vol.  1,
p. 310-311).
118.  Jacques Commaille, « Les formes de justice comme mode de régulation de la
famille, questions sociologiques posées par les tribunaux de famille sous la Révolution
française », in La Famille, la Loi, l’État. De la Révolution au Code civil, textes réunis et
présentés par Irène Théry et Christian Biet, Imprimerie nationale, Centre Georges-
Pompidou, 1989, p. 274-289.
119.  Dominique Vernier, Jury et démocratie…, op. cit.
120.   Mona Ozouf, «  Esprit public  », in  François Furet et Mona Ozouf (dir.),
Dictionnaire critique de la Révolution française, Paris, Flammarion, 1988, p. 508-519.
121.   Pierre Lascoumes, «  L’illégalisme, outil d’analyse  », in  Rémi Lenoir (dir.),
Michel Foucault. Surveiller et punir : la prison vingt ans après, Paris, CREDHESS, 1996.
122.   Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité,
proximité, Paris, Seuil, 2008.
123.  Ibid., p. 271-272.
124.  Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op. cit., p. 98.
125.   Laurent Willemez, «  Engagement professionnel et fidélités militantes. Les
avocats travaillistes dans la défense judiciaire des salariés », Politix, vol. 16, no 62/2003,
p. 164. Voir également sur cette fonction de passeur des professionnels du droit entre le
social, le juridique et le politique  : Vincent-Arnaud Chappe, L’Égalité en procès.
Sociologie politique du recours au droit contre les discriminations au travail, Thèse,
École normale supérieure de Cachan, 2013.
126.  Daniel Mouchard, Être représenté. Mobilisations d’« exclus » dans la France des
années 1990, Paris, Economica, 2009.
e e
127.  Lucien Karpik, Les Avocats. Entre l’État, le public et le marché, XIII -XX  siècle,
op. cit.
128.  Lucien Karpik, « Lawyers and Politics in France, 1814-1950 : The State, the
Market, and the Public », op. cit., p. 713-715.
129.  Ibid., p. 735.
130.  Ibid., p. 722.
131.  Yves Dezalay et Bryant Garth, La Mondialisation des guerres du palais, op. cit.
132.   Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op.  cit., p.  729. D’autres auteurs
montrent également en quoi la condition de professionnels du droit peut
particulièrement favoriser l’accès à des positions politiques ou comment des
professionnels du droit prospèrent « à l’ombre du pouvoir d’État ». Voir notamment :
Yves Dezalay et Bryant Garth, La Mondialisation des guerres du palais, op. cit.
133.   Yves-Henri Gaudemet, Les Juristes et la vie politique de la IIIe  République,
Paris, PUF, 1970.
134.   Terence  C. Halliday et Lucien Karpik (éd.), Lawyers and the Rise of Western
Political Liberalism, Oxford  – New York, Oxford University Press, 1997  ; Terence  C.
Halliday, Lucien Karpik et Malcolm  M. Feeley (éd.), Fighting for Political Freedom.
Comparative Studies of the Legal Complex and Political Liberalism, Oxford and Portland
Oregon, Hart Publishing, “Oñati International Series in Law and Society”, 2007.
135.  Terence C. Halliday, Lucien Karpik et Malcolm M. Feeley (éd.), op. cit., p. 12.
136.  Richard Abel, « Lawyers for Liberalism : Axiom, Oxymoron, or Accident ? »,
Books on Law, Book Reviews, nov. 1998, p. 9-15
137.  Richard Abel, « Contesting Legality in the United States After September 11 »,
in Terence C. Halliday, Lucien Karpik et Malcolm M. Feeley (éd.), op. cit., p. 361-399.
138.   Zühtü Arslan, «  Reluctantly Sailing Towards Political Liberalism  : The
Political Role of the Judiciary in Turkey  », in  Terence  C. Halliday, Lucien Karpik et
Malcolm M. Feeley (éd.), op. cit., p. 242-243.
139.  Ibid., p. 243.
140.   Lisa Hilbink, «  Policising Law to Liberalise Politics  : Anti-Franquist Judges
and Prosecutors in Spain’s Democratic Transition  », in  Terence Halliday, Lucien
Karpik et Malcolm M. Feeley (éd.), op. cit., p. 403.
141.   Gad Barzilai, «  The Ambivalent Language of Lawyers in Israel  : Liberal
Politics, Economic Liberalism, Silence and Dissent  », in  Terence Halliday, Lucien
Karpik et Malcolm M. Feeley (éd.), op. cit., p. 247-277.
142.  Daniel M. Brinks, « The Legal Complex and the Response to Police Violence
in South America  », in  Terence Halliday, Lucien Karpik et Malcolm  M. Feeley (éd.),
op. cit., p. 310.
143.  Yves Dezalay et Bryant Garth, La Mondialisation des guerres du Palais, op. cit.
144.  Daniel M. Brinks, op. cit.
145.   Carlo Guarnieri, «  Lawyers and Statist Liberalism in Italy  », in  Terence  C.
Halliday, Lucien Karpik et Malcolm M. Feeley (éd.), op. cit., p. 439-461.
146.  Timothy Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont
devenus révolutionnaires, Paris, Albin Michel, 1997, p. 293.
147.  Lucien Karpik, « Lawyers and Politics in France, 1814-1950… », op. cit.
148.   Yves-Henri Gaudemet, Les Juristes et la vie politique de la IIIe  République,
Paris, PUF, 1970.
149.  Gilles Le Bègue, La République des avocats, Paris, Armand Colin, 2003.
150.   Guillaume Sacristie, La République des constitutionnalistes. Professeurs de
droit et légitimation de l’État en France (1870-1914), Paris, Presses de Sciences Po, coll.
Droit, 2011, p. 251.
151.  Liora Israël, Robes noires, années sombres. Avocats et magistrats en résistance
pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Fayard, 2005.
152.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois…, op. cit. Voir également  :
CURAPP, La Doctrine juridique, Paris, PUF, 1993.
153.  Michèle-Laure Rassat, « Propos critiques sur la loi du 3 janvier 1972 portant
réforme du droit de la filiation  », Revue trimestrielle de droit civil  », 72,  2, avril-
juin 1973.
154.  Ibid., p. 13.
155.  Ibid., p. 15.
156.  Liora Israël, Robes noires, années sombres…, op. cit.
157.  Ibid.
158.  Mark Osiel, « Dialogue with Dictators : Resistance in Argentina and Brazil »,
Law and Social Inquiry, 20, no 2, Spring 1995, p. 481-550.
159.  Ibid., p. 505.
160.   Antoine Vauchez, L’Institution judiciaire remotivée. L’institutionnalisation
d’une « nouvelle justice » en Italie (1960-2000), Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, 2004.
161.  Antoine Vauchez, « La magistrature dans l’espace public. Éléments pour une
analyse du rôle politique des juges dans l’Italie contemporaine  », Magistrature et
politique, 2/2001, ENS Éditions, p. 71-87.
162.  Ibid., p. 82.
163.  Ibid., p. 82.
164.  Fu Hualing et Richard Cullen, « Weiquan (Rights Protection) Lawyering in an
Authoritarian State  : Building a Culture of Public-Interest Lawyering  », The China
Journal, no 59, January 2008, p. 111-127.
165.   Anne-Marie Slaughter, «  Judicial Globalization  », Virginia Journal of
International Law, vol.  40, 1999-2000, p.  1102-1124  ; du même auteur  : «  A  Global
Community of Courts », Harvard International Law Journal, 44/1, 2003, p. 191-219.
166.  Anne-Marie Slaughter, « Judicial Globalization », op. cit.
167.   Yves Dezalay et Bryant Garth, La Mondialisation des guerres de palais…,
op. cit.
168.   The World Bank, Doing Business in 2004. Understanding Regulation,
Washington  – Oxford, The World Bank International Finance Corporation  / Oxford
University Press, 2003. Voir également Jean-François Gaudreault-DesBiens, «  La
critique économiste de la tradition romano-germanique  », Revue trimestrielle de droit
civil, 4, 2010, p. 683-704.
169.  Laurence R. Helfer et Anne-Marie Slaughter, « Toward a Theory of Effective
Supranational Adjudication », Yale Law Journal, vol. 107, 1997-1998, p. 273-391.
170.  Stanley Hoffmann, « World Governance : Beyond Utopia », Daedalus, 132/1,
2003, p. 27-35.
171.  Anne-Marie Slaughter, « Judicial Globalization », op. cit.
172.  Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie, op. cit. ; Amartya Sen, L’Idée de justice,
Paris, Flammarion, 2010.
173.  Ran Hirschl, Towards Juristocracy. The Origins and Consequences of the New
Constitutionnalism, Cambridge (Mass.) – Londres, Harvard University Press, 2004.
174.  Ibid.
175.   Bastien François, «  Une revendication de juridiction. Compétence et justice
dans le droit constitutionnel de la Ve République », Politix, no 10-11, vol. 3, 1990, p. 92-
109.
176.  Jacques Commaille et Laurence Dumoulin, « Heurs et malheurs de la légalité
dans les sociétés contemporaines. Une sociologie politique de la “judiciarisation”  »,
L’Année sociologique, no 1, vol. 59, 2009, p. 63-107.
177.  Jacques Commaille, « Les formes de justice comme mode de régulation de la
famille… », op. cit.
178.   Élisabeth Claverie, «  De la difficulté de faire un citoyen  : les acquittements
scandaleux du jury dans la France provinciale du début du XIXe siècle », Études rurales,
juillet-décembre  1984, p.  95-96. Notons ici, dans le cadre de la longue histoire entre
justice professionnelle et justice populaire, que la possibilité d’appel pour les procès de
cours d’assises, introduite en France par la loi du 15 juin 2000, a redonné du poids à la
référence juridique par rapport aux critères de jugement des jurés.
179.  Pierre Cam, Les Prud’hommes : juges ou arbitres ? Les fonctions sociales de la
justice du travail, Paris, Presses de la FNSP, 1981, p. 69.
180.  Andrew Abbott, The System of Professions. An Essay on the Division of Expert
Labour, Chicago, The University of Chicago Press, 1988.
181.  Ibid.
182.  Antoine Pélicand, Des juges profanes. Juges de paix et juges de proximité au défi
de l’intégration judiciaire, Thèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes,
14 octobre 2013.
183.   Florent Champy, La Sociologie des professions, Paris, PUF, coll. Quadrige
manuels, 2009.
184.   Thomas Le  Bianic et Antoine Vion (dir.), Action publique et légitimités
professionnelles, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et Société, série Politique, 2008.
185.   Christophe Jamin, La Cuisine du droit. L’École de droit de Sciences  Po  : une
expérimentation française, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Forum, 2012.
186.   James R. Maxeiner, «  Integrating Practical Training and Professional Legal
Education », in Jan Klabbers et Mortimer N.S. Sellers (éd.), The Internationalization of
Law and Legal Education, Dordrecht, Springer, 2008, cité par Myriam Aït-Aoudia et
Rachel Vanneuville, «  Le droit saisi par son enseignement. Présentation du dossier  »,
Droit et Société, no 83/2013, p. 9.
187.  Myriam Aït-Aoudia et Rachel Vanneuville, op. cit., p. 15.
188.  Émilie Biland et Liora Israël, « À l’école du droit : les apports de la méthode
ethnographique à l’analyse de la formation juridique  », Les Cahiers de Droit, no  3-4,
vol. 52, sept.-déc. 2011, p. 619.
189.  Ibid., p. 651-652.
190.   Ce dont une analyse des manuels de droit porte témoignage  : Anne-Sophie
Chambon (dir.), Histoire des manuels de droit. Une histoire de la littérature juridique
comme forme du discours universitaire, Paris, LGDJ, 2014.
191.  Ibid, p. 632.
192.   Voir, par exemple  : New Legal Realism Symposium, Law  & Social Inquiry,
o
n  4, 2006.
193.   Elizabeth Mertz, The Language of Law School. Learning to ‘Think like a
Lawyer’, Oxford – New York, Oxford University Press, 2007. Voir la présentation et les
commentaires sur cet ouvrage : Liora Israël «  L’apprentissage du droit. Une approche
ethnographique », rubrique « À propos de… », Droit et Société, no 83/2013, p. 179-192.
Sur cette question de la formation au droit, voir également l’histoire des facultés de
droit en France dans  : Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, La Culture juridique
française…, op. cit.
194.  Duncan Kennedy, L’Enseignement du droit et la reproduction des hiérarchies.
Une polémique autour du système, Montréal, Lux éditeur, coll. Lettres libres, 2010
(publication originale  : «  Legal Education and the Reproduction of Hierarchy  :
A Polemic Against the System », Journal of Legal Education, 32, 1982, p. 591-615).
195.   Florent Champy, Nouvelle théorie sociologique des professions, Paris, PUF,
coll. Le Lien social, 2011.
196.  Ibid., p. 210.
197.  Ibid., p. 210.
198.   François Dubet, Le Déclin de l’institution, Paris, Seuil, coll. L’Épreuve des
faits, 2002.
199.  Ce que laisse suggérer, au moins sous forme de risque, l’analyse en la matière
de Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op. cit.
200.  Florent Champy, op. cit., p. 214.
201.  Jacques Commaille et Benoist Hurel, « La réforme de la justice française. Un
enjeu entre instrumentalisation et démocratie », Droit et Société, 78/2011, p. 391-404.
202.  Louis Assier-Andrieu, Les Avocats…, op. cit.
203.  Florent Champy, op. cit., p. 256.
204.  Ibid., p. 256.
DEUXIÈME PARTIE
LE BOULEVERSEMENT
DES CONTEXTES DU DROIT

1.  John Dewey, Reconstruction en philosophie, Paris, Gallimard, coll. Folio essais,


2014 (1re  éd. 1920), cité par Liora Israël et Jean Grosdidier, «  John Dewey et
l’expérience du droit. La philosophie juridique à l’épreuve du pragmatisme  », Tracés,
no 27, 2/2014, p. 163-180.
2.  Martin Albrow, Global Age Essays on Social and Cultural Change, Francfort-sur-
le-Main, Vittorio Klostermann, coll. Recht als Kultur, 2014.

IV
LES TERRITOIRES DU DROIT

1.   Martin Shapiro, Courts. A Comparative and Political Analysis, Chicago  –


Londres, The University of Chicago Press, 1981.
2.  Max Weber, Économie et Société, Paris, Plon, 1971, p. 57 (1re éd. 1921).
3.  Ibid., p. 58.
4.  Ibid., p. 53.
5.   Michel Debré, Gouverner. Mémoires, 1958-1962. Paris, Albin Michel, 1988,
p. 174.
6.  Mirabeau cité par Frédéric Chauvaud, Le Juge, le Tribun et le Comptable. Histoire
de l’organisation judiciaire entre les pouvoirs, les savoirs et les discours (1789-1930),
Paris, Anthropos, 1995, p. 102.
7.   Frédéric Audren et Jean-Louis Halpérin, La Culture juridique française…,
op. cit., p. 56.
8.  Bruno Jobert, « Mode de médiation sociale et politiques publiques : le cas des
politiques sociales », L’Année sociologique, vol. 40, 1990, p. 163.
9.   Henry  R. Glick, Courts, Politics, and the Judicial Process, New  York, McGraw
Hill Book Company, 1983.
10.  Ibid., p. 19.
11.  Ibid., p. 68.
12.   Jacques Commaille, Territoires de justice. Une sociologie politique de la carte
judiciaire, Paris, PUF, 2000.
13.  Ibid., p. 63 sq. (chapitre III).
14.  Ibid.
15.  Nous verrons néanmoins dans la suite du chapitre que la réforme de la carte
judiciaire réalisée en  2008 fait exception sur ce point. L’opposition des magistrats à
cette réforme qui va dans le sens de la concentration tient plus aux conditions dans
lesquelles elle est réalisée qu’au principe de la concentration. Voir : Jacques Commaille,
«  De “l’État-Juriste” à “l’État-Manager”. La réforme de la carte judiciaire française
de 2008 : un nouveau modèle d’action publique sans droit ? », in Du concept à l’analyse.
Mélanges en hommage à François Chazel, textes édités par Charles-Henry Cuin et Patrice
Duran, Paris, Presses de la Sorbonne, 2012, p. 101-118.
16.  Jacques Commaille, Territoires de justice…, op. cit.
17.  Ibid., p. 75.
18.  Henry R. Glick, Courts, Politics and Justice, op. cit., p. 59.
19.  Ibid., p. 57.
20.  Ibid., p. 59.
21.  Ibid., p. 61.
22.  Ibid., p. 62.
23.  Boaventura de Sousa Santos, « Droit : une carte de la lecture déformée. Pour
une conception post moderne du droit », Droit et Société, no 10/1988, p. 9.
24.  Boaventura de Sousa Santos, Vers un Nouveau Sens Commun juridique. Droit,
science et politique dans la transition paradigmatique, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société,
Série Sociologie, 2004, p.  272. Voir également  : Gunther Teubner (dir.), Global Law
without the State, Dartmouth, Brookfield, 1997.
25.   Sur ces stratégies d’acteurs jouant de cette multiplicité des niveaux, voir par
exemple  : sur l’instauration de la parité en politique, Éléonore Lépinard, L’Égalité
introuvable. La parité, les féministes et la République, Paris, Presses de Sciences  Po,
2007 ; sur les dispositifs juridiques de la politique agricole : Ève Fouilleux, La PAC et ses
réformes. Une politique à l’épreuve de la globalisation, Paris, L’Harmattan, 2003.
26.   Sally Falk Moore, «  Law and Social Change  : The Semi-Autonomous Social
Field as an Appropriate Subject of Study  », Law  & Society Review, vol.  7, no  4,
Summer 1973, p. 719-746.
27.   Gregory Shaffer (éd.), Transnational Legal Ordering and State Change,
Cambridge, Cambridge University Press, 2013.
28.   Saskia Sassen, La Globalisation. Une sociologie, Paris, Gallimard, coll.
NRF essais, 2009, p. 10.
29.  Ibid.
30.  Ibid., p. 21.
31.  Ibid., p. 41.
32.  Ibid., p. 52.
33.  Ibid., p. 51.
34.  Max Weber, Économie et société, Paris, Plon, 1971, p. 57 (1re éd. 1921).
35.   Saskia Sassen, A Sociology of Globalization, New  York, W.W.  Norton, coll.
Contemporary Society Series, 2006.
36.  Saskia Sassen, La Globalisation…, op. cit., p. 52.
37.  Ibid., p. 55.
38.  Ibid., p. 224.
39.  Ibid., p. 235.
40.   Judith Resnik et  al., «  Ratifying Kyoto at the Local Level  : Sovereigntism,
Federalism, and Translocal Organizations of Government Actors (TOGAs)  », Arizona
Law Review, 50, 709, 2008, p. 725, cité par Paul Schiff Berman, Global Legal Pluralism.
A Jurisprudence of Law Beyond Borders, Cambridge, Cambridge University Press, 2012,
p. 95.
41.  Paul Schiff Berman, op. cit., p. 64.
42.  Ibid.
43.  Gunther Teubner, « Societal Constitutionalism : Alternatives to State-Centered
Constitutional Theory », in Christian Joerges, Inger-Johanne Sand et Gunther Teubner
(éd.), Transnational Governance and Constitutionalism, Oxford, Hart, p.  3-29, cité par
Saskia Sassen, La Globalisation…, op. cit.
44.  Christian Bessy, Thierry Delpeuch et Jérôme Pélisse, «  Introduction. Situer le
droit par rapport à l’action économique…  », op. cit., p.  27. Les auteurs se réfèrent ici
aux analyses consacrées dans le même ouvrage à cette organisation par Ève Chiapello
et Karim Medjad, « La privatisation des normes comptables européennes, entre succès
et remords », p. 293-308.
45.   Saskia Sassen, La Globalisation…, op.  cit., p.  26. Voir du même auteur  : The
Global City, Princeton, Princeton University Press, 2001 (1re éd. 1991).
46.  Ibid., p. 10.
47.  Paul Schiff Berman, op. cit.
48.  Ibid.
49.  Voir, par exemple : Paul Schiff Berman, « Global Legal Pluralism », Southern
California Law Review, 80, 2006-2007, p. 1155-1237.
50.  Jean-Guy Belley, « L’État et la régulation juridique des sociétés globales. Pour
une problématique du pluralisme juridique », Sociologie et Sociétés, 18, 1986, p. 11-32.
51.   Georges Gurvitch, Éléments de sociologie juridique, Paris, Aubier Montaigne,
1940.
52.  Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF, coll. Les Grands
Textes, 2004 (1re éd. 1893), p. 9.
53.   François Isambert, «  Durkheim et la sociologie des normes  », in  François
Chazel et Jacques Commaille (dir.), Normes juridiques et régulation sociale, Paris, LGDJ,
1991, p. 51-64.
54.  Frédéric Ocqueteau et Francine Soubiran, « Champ juridique, juristes et règles
de droit : une sociologie, entre disqualification et paradoxe », Droit et Société, 32/1996,
p. 15.
55.  Jean-Yves Chérot, « Concept de droit et globalisation », in Jean-Yves Chérot et
Benoît Frydman (dir.), La Science du droit dans la globalisation, Bruxelles, Bruylant,
coll. Penser le droit, 2012, p. 9.
56.  Ludovic Hennebel, « Les droits de l’homme dans les théories du droit global »,
in Jean-Yves Chérot et Benoît Frydman (dir.), La Science du droit dans la globalisation,
op. cit., p. 141.
57.   Bengt Jacobsson et Kerstin Sahlin-Andersson, «  Dynamics of Soft
Regulations  », in  Marie-Laure Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson (éd.), Transnational
Governance. Institutional Dynamics of Regulation, Cambridge, Cambridge University
Press, 2006, p. 247-265.
58.  Jean-Yves Chérot et Benoît Frydman, « Avant-propos », in Jean-Yves Chérot et
Benoît Frydman (dir.), La Science du droit dans la globalisation, op. cit., p. IX.
59.  Jean-Guy Belley, « Le pluralisme juridique… », op. cit., p. 155.
60.  Otto Pfersmann, « Monisme revisité contre juriglobisme incohérent », in Jean-
Yves Chérot et Benoît Frydman (dir.), La Science du droit dans la globalisation, op. cit.,
p. 63-88.
61.  Ibid., p. 157.
62.  François Ost et Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau, op. cit.
63.  Georges Gurvitch, op. cit.
64.   Jean-Guy Belley, Le Droit soluble. Contributions québécoises à l’étude de
l’internormativité, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, 1996.
65.   Marie-Laure Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson, «  Introduction. A  World of
Governance : The Rise of Transnational Regulation », in Marie-Laure Djelic et Kerstin
Sahlin-Andersson (éd.), Transnational Governance. Institutional Dynamics of
Regulation, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 22.
66.  Olivier de Frouville, « Une conception démocratique du droit international »,
Revue européenne des sciences sociales, no 120, vol. XXXIX, 2001, p. 10.
67.  Rappelons que le modèle westphalien sert à qualifier une société internationale
conçue comme une société des États, ceux-ci étant dotés d’une pleine souveraineté, les
relations interétatiques étant alors, classiquement, l’objet même du droit international
public. Voir, par exemple  : Olivier de Frouville, «  Une conception démocratique du
droit international », op. cit., p. 101-144.
68.  Adélie Pomade, « Penser l’interdisciplinarité par l’internormativité. Illustration
en droit de l’environnement », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 68, juin 2012,
p. 85-106.
69.  Benoît Frydman, «  Comment penser le droit global  », in  Jean-Yves Chérot et
Benoît Frydman (dir.), La Science du droit dans la globalisation, op. cit., p. 23.
70.   César Rodríguez-Garavito, «  Nike’s Law  : The Anti-Sweatshop Movement.
Transnational Corporations, and the Struggle over International Labor Rights in the
Americas », in Boaventura de Sousa Santos et César A. Rodriguez-Garavito (éd.), Law
and Globalization from Below. Towards a Cosmopolitan Legality, Cambridge, Cambridge
University Press, coll. Cambridge Studies in Law and Society, 2005, p. 64-91.
71.   Antoine Garapon, La Raison du moindre État. Le néolibéralisme et la justice,
Paris, Odile Jacob, 2010.
72.  Voir par exemple : Dawn Oliver, Tony Prosser et Richard Rawlings (éd.), The
Regulatory State. Constitutional Implications, Oxford  – New  York, Oxford University
Press, 2010.
73.   Boaventura de Sousa Santos, «  Droit  : une carte de la lecture déformée…  »,
op. cit., p. 19.
74.  Paul Schiff Berman, Global Legal Pluralism…, op. cit., p. 9 sq.
75.   Rappelons que, pour certains auteurs, le terme de transnationalisation serait
plus approprié que celui de globalisation pour désigner des processus et des relations à
l’œuvre au-delà des frontières des États-nations mais suivant des échelles variables et
pas forcément à l’échelle mondiale. Voir, par exemple  : Marie-Laure Djelic et Kerstin
Sahlin-Andersson, « Introduction. A World of Governance : The Rise of Transnational
Regulation », op. cit., p. 3.
76.  Voir sur cet aspect les analyses de Jürgen Habermas, Droit et démocratie. Entre
faits et normes, Paris, Gallimard, 1993.
77.  Paul Schiff Berman, Global Legal Pluralism…, op. cit., p. 323.
78.   Bengt Jacobsson et Kerstin Sahlin-Andersson, «  Dynamics of Soft
Regulation », in Marie-Laure Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson (éd.), op. cit., p. 247.
79.   Emmanuel Kant, Œuvres philosophiques, II, Paris, Gallimard, coll.
Bibliothèque de la Pléiade, 1985.
80.   Mohsen al Attar, Ciaron Murnane, «  The Place of Capitalism in Pursuit of
Human Rights in Globalized Relationship of States », in Jeffrey F. Addicott, Md. Jahid
Hossain Bhuiyan et Tareq M.R. Chowdhury (éd.), Globalization, International Law, and
Human Rights, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 198.
81. «  Et il faut beaucoup d’innocence, ou de rouerie, à une philosophie de la
communication qui prétend restaurer la société des amis ou même des sages en
formant une opinion universelle comme “consensus” capable de moraliser les nations,
les États et le marché  » [Gilles Deleuze, Qu’est-ce que la philosophie  ? (avec Félix
Guattari), Paris, Minuit, 1991, p.  101]. Dans un commentaire de cette position, il est
observé que, pour Gilles Deleuze  : «  Les droits de l’homme, au lieu d’exprimer un
progrès du droit, constituent plutôt l’exemple majeur de sa crise », Laurent de Sutter,
Deleuze. La pratique du droit, Paris, Michalon, coll. Le Bien commun, 2009.
82.  Marie-Laure Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson, « Institutional Dynamics in a
Re-Ordering World », in Marie-Laure Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson (éd.), op.  cit.,
p. 385 et 396.
83.  Les « codes de conduite » édictés par les entreprises multinationales ou encore
les «  traités ou les conventions alternatives  » conçus par les organisations non
gouvernementales (ONG) constituent ici des exemples parmi d’autres de soft law.
84.   Ulrika Mörth, «  Soft Regulation and Global Democracy  », in  Marie-Laure
Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson (éd.), Transitional Governance…, op.  cit.  ; Bengt
Jacobsson et Kerstin Sahlin-Andersson, «  Dynamics of Soft Regulations  », in  Marie-
Laure Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson (éd.), Transitional Governance…, op.  cit.,
p. 247.
85.   Stewart Macaulay, «  Non-Contractual Relations in Business  : A  Preliminary
Study », American Sociological Review, vol. 28, 1963, p. 1-19.
86.  Jean-Guy Belley, Le Contrat entre droit, économie et société, Cowansville, Yvon
Blais, 1998.
87.  José Manuel Pureza, « Defensive and Oppositional Counter-Hegemonic Uses of
International Law : From the International Criminal Court to the Common Heritage of
Humankind  », in  Boaventura de Sousa Santos et César  A. Rodríguez-Garavito (éd.),
Law and Globalization from Below…, op. cit., p. 272.
88.   Voir notamment  : The World Bank, Doing Business in  2004. Understanding
Regulation, Washington – Oxford, The World Bank International Finance Corporation /
Oxford University Press, 2003.
89.  David Levi-Faur et Jacint Jordana, « Preface. The Making of a New Regulatory
Order », in The Rise of Regulatory Capitalism. The Global Diffusion of a New Order, The
Annals of the American Academy of Political and Social Sciences, no  1, vol.  598, 2005,
p. 6-11.
90.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois…, op. cit.
91.  André-Jean Arnaud et Daniela Ilhana, « Consensus de Washington et Nouveau
Consensus », in André-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire de la globalisation, op. cit., p. 84-
87.
92.   Joseph Stiglitz, Globalization and its Discontents, New  York, Penguin Books,
2002, p. 20.
93.  Benoît Frydman, « Comment penser le droit global ? », in Jean-Yves Chérot et
Benoît Frydman (dir.), La Science du droit dans la globalisation, op. cit., p. 30.
94.   Voir les critiques sur le lien entre les orientations du courant Law and
Economics et le néolibéralisme. Par exemple, Duncan Kennedy, « Law and Economics
From the Perspective of Critical legal Studies  », in  Peter Newman (éd.), The New
Palgrave Dictionary of Economics and the Law, New  York, Palgrave Macmillan, 1998  ;
Lauren  B. Edelman, «  Rivers of the Law and Contested Terrains  : A  Law and Society
Approach to Economic Rationality », Law and Society Review, vol. 38, no 2, June 2004,
p.  181-198  ; Nicholas Mercuro et Steven  G. Medema, Economics and the Law. From
Posner to post-Modernism and Beyond, Princeton, Princeton University Press, 2006.
95.   Notons ici qu’une telle conception «  suppose des acteurs dont l’unique
préoccupation est de maximiser leur utilité et qui, dans ce but, choisissent
rationnellement de respecter ou non la règle juridique aux termes d’un calcul intégrant
le coût d’application et la probabilité d’être sanctionné si une pratique irrégulière est
adoptée ». Mais, à l’inverse de cette conception « d’un droit extérieur à l’économie », il
peut être estimé que celui-ci est « constitutif de la vie économique », qu’il « influence
les activités économiques en même temps qu’il est influencé par elles  », cela dans le
cadre de processus « d’endogénéisation des règles juridiques à l’intérieur des contextes
d’action économique  » dans lesquels sont engagés des professionnels que les auteurs
qualifient d’« intermédiaires du droit » et dont ils donnent des exemples, notamment à
partir de recherches américaines sur les entreprises (Christian Bessy, Thierry Delpeuch
et Jérôme Pélisse (dir.), Droit et régulations des activités économiques. Perspectives
sociologiques et institutionnalistes, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et Société,
série Recherches et Travaux, 2011.
96.   Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total,
op. cit.
97.  Ibid.
98.  Ibid., p. 66.
99.  Ibid., p. 64.
100.  Carlos Miguel Herrera, « Le concept de droits sociaux fondamentaux dans la
mondialisation  », in  Jean-Yves Chérot et Benoît Frydman (dir.), La Science du droit
dans la globalisation…, op. cit., p. 167.
101.  Alain Supiot, op. cit., p. 24-25.
102.   Massimo De  Angelis, «  Neoliberal Governance  : Reproduction and
Accumulation  », The Commoner, no  7, p.  1-27, cité par Boaventura de Sousa Santos,
« Beyond Neoliberal Governance : The World Social Forum as Subaltern Cosmopolitan
Politics and Legality », in Boaventura de Sousa Santos et César A. Rodríguez-Garavito
(éd.), Law and Globalization from Below…, op. cit.
103.  Alain Supiot, op. cit.
104.   Peter Fitzpatrick, Le Modernisme et les fondements du droit, Paris, LGDJ-
Lextenso éditions, coll. Droit et Société, série Recherches et Travaux, 2012.
105.   Glenn Morgan, «  Transnational Actors, Transnational Institutions,
Transnational Spaces  : The Role of Law Firms in the Internationalization of
Competition Regulation  », in  Marie-Laure Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson (éd.),
Transnational Governance…, op. cit., p. 139-160.
106.  Marie-Laure Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson, « Institutional Dynamics in a
Re-Ordering World  », in  Marie-Laure Djelic et Kerstin Sahlin-Andersson (éd.),
Transnational Governance, op. cit., p. 397.
107.  Ibid., p. 397.
108.  Saskia Sassen, La Globalisation…, op. cit., p. 59.
109.   Antonio Gramsci, Selections from the Prison Notebooks of Antonio Gramsci,
New  York, International Publishers, 1971 [trad.  fr.  : Lettres de prison (1926-1934),
Paris, Gallimard, coll. Témoins, 1971].
110.  Pierre Bourdieu, « La force du droit… », op. cit.
111.   Lawrence Friedman, The Human Rights Culture. A  Study in History and
Context, New Orleans, Quid Pro Books, 2011.
112.   Louis Assier-Andrieu, «  Le crépuscule des cultures  – L’affaire Pitcairn et
l’idéologie des droits humains », Droit et Société, no 82/2012, p. 776.
113.  Ibid., p. 778.
114.  Peter Fitzpatrick, Le Modernisme et les fondements du droit, op. cit., p. 225 sq.
115.  Louis Assier-Andrieu, op. cit.
116.  Lawrence Friedman, op. cit., p. 128-129.
117.   Boaventura de Sousa Santos, Epistemologies of the South. Justice against
Epistemicide, Boulder – Londres, Paradigm Publishers, 2014, p. 21.
118.   Boaventura de Sousa Santos, Vers un nouveau sens commun juridique…,
op. cit., p. 391.
119.   Louis Assier-Andrieu, «  Le crépuscule des cultures  – L’affaire Pitcairn et
l’idéologie des droits humains », op. cit. L’auteur se livre notamment dans cet article à
un commentaire de l’ouvrage : Dawn Oliver (éd.), Justice, Legality and the Rule of Law.
Lessons from the Pitcairn Prosecutions, Oxford, Oxford University Press, 2009.
120.  Lawrence Friedman, op. cit., p. 158.
121.  Ibid., p. 15.
122.  Ibid.
123.  Boaventura de Sousa Santos et César A. Rodríguez-Garavito, « Law, Politics,
and the Subaltern in Counter-Hegemonic Globalization  », in  Boaventura de Sousa
Santos et César A. Rodríguez-Garavito (éd.), Law and Globalization from Below, op. cit.
124.  Boaventura de Sousa Santos, Epistemologies of the South…, op. cit., p. 134.
125.  Ibid., p. 164.
126.  Makau Mutua, Human Rights. A Political and Cultural Critique, Philadelphia,
University of Pennsylvania Press, 2002. Une illustration de cette logique à l’œuvre est
magistralement donnée dans une analyse où est démontré, à partir d’une histoire du
droit européen, combien un « eurocentrisme » a conduit à ignorer l’influence du droit
musulman sur ce même droit européen. Voir : Raja Sakrani, « The Law of the Other :
An Unknown Islamic Chapter in the Legal History of Europe  », Journal of the Max
Planck Institute for European Legal History, no 22, 2014, p. 1-28.
127.  Amitav Ghosh, The Hungry Tide, New York, Houghton Mifflin, 2005.
128.  Pankaj Mishra, From the Ruins of Empire. The Revolt against the West and the
Remaking of Asia, Londres, Penguin Books, 2012.
129.   On trouvera une belle illustration de cette conception collective des droits
dans le cas des mobilisations mises en œuvre par les Indiens U’wa de Colombie pour
s’opposer à des projets d’extraction du pétrole sur leur territoire : César A. Rodríguez-
Garavito et Luis Carlos Arenas, « Indigenous Rights. Transnational Activism, and Legal
Mobilization. The Struggle of the U’wa People in Colombia », in Boaventura de Sousa
Santos et César A. Rodríguez-Garavito (éd.), Law and Globalization from Below, op. cit.,
p. 241-266.
130.  Lawrence Friedman, op. cit., p. 116.
131.  Ibid., p. 118-119.
132.   Heather Gautney et  al. (éd.), Democracy, States, and the Struggle for Global
Justice, New York, Routledge, 2009.
133.  Jürgen Habermas, L’Espace public, Paris, Payot, coll. Critique de la politique,
1988.
134.  Martin Albrow, «  La mondialisation déconstruite par la sociologie  », La Vie
des idées, 4 juin 2009.
135.   Boaventura de Sousa Santos, Vers un Nouveau Sens Commun juridique…,
op. cit., p. 377.
136.  Ibid., p. 377.
137.   Heather Gautney et  al. (éd.), Democracy, States, and the Struggle for Global
Justice, op. cit.
138.  Ibid., p. 377.
139.  Neil Smith, « Introduction. Altered States », in Heather Gautney et  al. (éd.),
Democracy, States, and the Struggle for Global Justice, op. cit., p. 9.
140.   Carol  C. Gould, «  Envisioning Transnational Democracy  : Cross-Border
Communities and Regional Human Rights Frameworks  », in  Heather Gautney et  al.
(éd.), Democracy, States, and the Struggle for Global Justice, op. cit., p. 75.
141.  Antoine Bailleux, « L’histoire de la loi belge de compétence universelle. Une
valse à trois temps  : ouverture, étroitesse, modestie  », Droit et Société, no  59, 2005,
p.  107-136  ; Julien Seroussi, «  Les acteurs nationaux du droit pénal international  : le
cas Pinochet », L’Année sociologique, no 2, vol. 59, 2009, p. 403-415.
142.  Duncan Kennedy, « The International Human Rights Movement : Part of the
Problem », Harvard Human Rights Journal, 14, 2002, p. 101-126.
143.  Saskia Sassen, La Globalisation…, op. cit.
144.  Saskia Sassen, The Global City, op. cit.
145.  Saskia Sassen, La Globalisation…, op. cit., p. 134-135.
146.   Boaventura de Sousa Santos, «  Beyond Neoliberal Governance  : The World
Social Forum as Subaltern Cosmopolitan Politics and Legality », op. cit.
147.   Gianpaolo Baiocchi et Sofia Checa, «  Cities as New Spaces for Citizenship
Claims  : Globalization, Urban Politics, and Civil Society in Brazil, Mexico, and South
Africa in the 1990s », in Heather Gautney et al. (éd.), Democracy, States, and the Struggle
for Global Justice, New York, Routledge, 2009, p. 145.
148.   Boaventura de Sousa Santos, «  Two Democracies, Two Legalities  :
Participatory Budgeting in Porto Alegre, Brazil  », in  Boaventura de Sousa Santos et
César A. Rodríguez-Garavito (éd.), Law and Globalization from Below…, op. cit., p. 310-
338.
149.  Saskia Sassen, La Globalisation…, op. cit., p. 177-178.
150.  Ibid., p. 192 sq.
151.  Saskia Sassen, La Globalisation…, op. cit., p. 201.
152.   Immanuel Wallerstein, «  Opening Remarks  : Legal Constraints in the
Capitalist World Economy  », in  Michael Likosky (éd.), Processes. Globalisations and
Power Disparities, Londres, Butterworths, 2002.
153.   Pour une illustration de la pluralisation de ces logiques d’action et de ces
niveaux d’action, voir par exemple les mobilisations collectives provoquées par le
«  mouvement des sans terre  » au Brésil  : Peter Houtzager, «  The Movement of the
Landless (MST), Juridical Field, and Legal Change in Brazil », in Boaventura de Sousa
Santos et César  A. Rodríguez-Garavito (éd.), Law and Globalization from Below…,
op. cit., p. 218-240. Voir également le mouvement contre les entreprises ou les ateliers
où les salariés sont exploités («  sweatshops  »), lequel mouvement agit à ces trois
niveaux d’espaces, l’espace supranational étant investi grâce à la mise en place de
«  réseaux de défense juridique transnationaux  » (transnational advocacy networks)  :
César Rodríguez-Garavito, «  Nike’s Law  : The Anti-Sweatshop Movement.
Transnational Corporations, and the Struggle over International Labor Rights in the
Americas », in Boaventura de Sousa Santos et César A. Rodríguez-Garavito (éd.), Law
and Globalization from Below…, op. cit., p.  64-91. Voir également les luttes féministes
en Tanzanie et l’objectif poursuivi de lier le traitement de la main-d’œuvre féminine
dans les multinationales, la question de l’équité et de la justice sociale, la participation
du peuple aux décisions politiques dans le cadre de mobilisations impliquant à la fois le
niveau local, national et supranational : Mary Rusimbi et Marjorie Mbilinyi, « Political
and Legal Struggles over Resources and Democracy  : Experiences with
Genderbudgeting in Tanzania », in Boaventura de Sousa Santos et César A. Rodríguez-
Garavito (éd.), Law and Globalization from Below…, op. cit., p. 283-309.
154.   Yves Dezalay et Bryant Garth, La Mondialisation des guerres de palais…,
op. cit.
155.  Ibid., p. 150.
156.  Julie Allard et Antoine Garapon, Les Juges dans la mondialisation…, op.  cit.,
p. 6.
157.  Bertrand Badie, La Fin des territoires, Paris, Fayard, 1995.
158.  Patrice Duran, Penser l’action publique, op. cit., p. 89.
159.  Ibid., p. 89.
160.   Patrice Duran, Penser l’action publique, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll.
Droit et Société, série Classics, 2e éd., 2010, p. 85.
161.  Ibid., p. 85.
162.  Jacques Commaille, « Sociologie de l’action publique », in Laurie Boussaguet,
Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris,
Presses de Sciences Po, 3e éd. 2010, p. 599-607.
163.   Patrick Hassenteufel, Sociologie politique. L’action publique, Paris, Armand
Colin, coll. U Sociologie, 2008.
164.  Jacques Chevallier, L’État post-moderne, op. cit. ; Pierre Lascoumes et Patrick
Le Galès, Sociologie de l’action publique, Armand Colin, coll. 128, 2e éd., 2012 ; Patrick
Hassenteufel, op. cit.
165.  Jacques Commaille et Bruno Jobert (dir.), Les Métamorphoses de la régulation
politique, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, 1998.
166.  Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, op. cit., p. 87-90.
167.   Pierre Lascoumes, «  Instrument  », in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot et
Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, op. cit., p. 325.
168.  Ibid., p. 328.
169.  Ibid., p. 330.
170.   Jean-Pierre Gaudin, L’Action publique. Sociologie et politique, Paris, Presses
de Sciences Po, Dalloz, 2004.
171.   Patrice Duran, «  L’impuissance publique, les pannes de la coordination  »,
Paris, LexisNexis, coll. Colloques & Débats, 2013, p. 30.
172.  Ibid.
173.   Didier Renard, Jacques Caillosse et Denys de Béchillon (dir.), L’Analyse des
politiques publiques aux prises avec le droit, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, série
Politique, 2000, p. 19-20.
174.  Ibid.
175.   Stéphane Gerry-Vernières, Les «  petites  » sources du droit. À propos des
sources étatiques non contraignantes, Paris, Economica, 2012.
176.  Daniel Mockle, La Gouvernance, le Droit et l’État. La question du droit dans la
gouvernance publique, Bruxelles, Bruylant, 2007, p.  250. Voir également  : Jacques
Caillosse, «  Quel droit la gouvernance fabrique-t-elle  ?  », Droit et Société, 72/2009,
p. 461-470.
177.  Patrice Duran, « Piloter l’action publique avec ou sans le droit ? », Politiques
et Management Public, vol. 11, no 4, déc. 1993, p. 3.
178.  Patrice Duran, « Piloter l’action publique… », op. cit., p. 6.
179.   Didier  Renard, Jacques Caillosse et Denys de Béchillon (dir.), L’Analyse des
politiques publiques aux prises avec le droit, op. cit.
180.   Pierre Lascoumes, «  Normes juridiques et mise en œuvre des politiques
publiques », L’Année sociologique, vol. 40, 1990, p. 52.
181.  Patrice Duran, « Piloter l’action publique… », op. cit., p. 11.
182.  Ibid., p. 3.
183.  Ibid., p. 24.
184.  Patrice Duran, Penser l’action publique, op. cit.
185.  Patrice Duran, Penser l’action publique, op. cit., p. 86 sq.
186.   Catherine Colliot-Thélène, Le Désenchantement de l’État. De Hegel à Max
Weber, Paris, Minuit, 1992, p. 238-239 ; voir également Max Weber, Sociologie du droit,
Paris, PUF, 1986, p. 234-235.
187.   Voir, par exemple  : Jacques Caillosse, La Constitution imaginaire de
l’administration, Paris, PUF, 2008.
188.  Sabino Cassese, Au-delà de l’État, Bruxelles, Bruylant, 2011, cité par Patrice
Duran, « L’impuissance publique… », op. cit., p. 34.
189.  Malcolm F. Feeley et Edward L. Rubin, op. cit., p. 23.
190.  Ibid.
191.  Ibid.
192.  Ibid.
193.  Ibid.
194.  Ibid.
195.   John Ferejohn, «  Judicialization Politics, Politicizing Law  », Law and
Contemporary Problems, 65, 3, 2002, p. 41-68.
196.  Ran Hirschl, « Resituating the Judicialization of Politics : Bush v. Gore as a
Global Trend  », Canadian Journal of Law and Jurisprudence, vol.  XV, no  2, July  2002,
p. 191-218.
197.   Mark  W. Cannon et David  M. O’Brien (éd.), Views from the Bench. The
Judiciary and Constitutional Politics, Chatham, New Jersey, Chatham House Publishers
Inc., 1985, p. 253.
198.   Donald  L. Horowitz, The Courts and Social Policy, Washington, The
Brookings Institution, 1977.
199.  Ibid., p. 67.
200.   Gerald  N. Rosenberg, The Hollow Hope. Can Courts Bring about Social
Change ?, Chicago, University of Chicago, 1991.
201.   Henry  R. Glick, «  Judicial Innovation and Policy Re-Invention  : State
Supreme Courts and the Right to Die  », The Western Political Quarterly, vol.  45, no  1,
March 1992, p. 71-92.
202.  Donald L. Horowitz, op. cit.
203.   Herbert Gillman, «  What’s Law Got to Do with It  ? Judicial Behavorialists
Test the ‘Legal Model’ of Judicial Decision Making », Law & Social Inquiry, vol. 26, no 2,
Spring 2001, p. 465-504.
204.  Tracy E. George et Lee Epstein, « On the Nature of Supreme Court Decision
Making », The American Political Science Review, vol. 86, no 2, June 1992, p. 323-337.
205.  Donald L. Horowitz, op. cit.
206.   Les développements suivants s’inspirent fortement d’une analyse menée en
commun avec Emmanuelle Bernheim et constituant un essai de synthèse, au plan
théorique, d’un ensemble de recherches réalisées au Canada, lesquelles font l’objet d’un
dossier composé de plusieurs autres articles, consacré à La Justice dans la gestion du
Social : Emmanuelle Bernheim et Jacques Commaille, «  Quand la justice fait système
avec la remise en question de l’État social. Présentation du dossier  », Droit et Société,
no 81, 2012, p. 283-298.
207.   Michel Borgetto et Robert Lafore, La République sociale. Contribution à
l’étude de la question démocratique en France, Paris, PUF, 2000.
208.   Élisa Chelle, Gouverner les pauvres. Politiques sociales et administration du
mérite, Rennes, PUR, coll. Res Publica, 2012.
209.   Michel Borgetto et Robert Lafore, «  L’État-providence, le droit social et la
responsabilité », Lien social et Politiques, 46, 2001, p. 31-42.
210.  Danilo Martuccelli, La Société singulariste, Paris, Armand Colin, coll. Individu
et Société, 2010. Voir également l’analyse faite de cet ouvrage : Didier Vrancken, «  La
société singulariste ou les défis pour une voie moyenne de la sociologie », SociologieS
[mis en ligne le 27 décembre 2010 : http ://sociologies.revues.org/index3347.html].
211.  Pierre Rosanvallon, La Nouvelle Question sociale. Repenser l’État-providence,
Paris, Seuil, 1995.
212.   António Casimiro Ferreira, Politica e Sociedade. Teoria social em tempo de
austeridade, Porto, Vida Económica Editorial, 2014.
213.   Jacques Commaille, Les Nouveaux Enjeux de la question sociale, Paris,
Hachette, 1997, p. 62 sq.
214.  Albert O. Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard,
1991.
215.  Élisa Chelle, Gouverner les pauvres…, op. cit.
216.  Jacques Commaille, Les Nouveaux Enjeux…, op. cit., p. 14.
217.  Élisa Chelle, Gouverner les pauvres…, op. cit.
218.   Julien Damon, L’Exclusion, Paris, Presses universitaires de France, 2008,
p. 43.
219.  Patrice Duran, « Piloter l’action publique… », op. cit. ; idem, « L’impuissance
publique… », op. cit.
220.  Patrice Duran, « L’impuissance publique… », op. cit., p. 9.
221.  Patrice Duran, « Piloter l’action publique… », op. cit., p. 28.
222.   Pierre-Yves Baudot et Anne Revillard (dir.), L’État des droits. Politiques des
droits et pratiques des institutions, Paris, Presses de Sciences Po, 2015.
223.  Loïc Wacquant et Pierre Bourdieu, « Sur les ruses de la raison impérialiste »,
Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 121, no 121-122, 1998, p. 109-118.
224.  Y compris, par exemple, au sein des mouvements féministes où des courants
se centrant sur les inégalités économiques subies par les femmes se distinguent d’autres
courants mobilisés sur une conception universaliste des droits des femmes.
225.   Sur ces visions opposées, voir  : Robin Stryker, «  Half Empty, Half Full or
Neither  ? Law, Inequality and Social Change in Capitalist Democracies  », Annual
Review of Law & Social Change, no 3, 2007, p. 69-97.
226.  Colette Bec, De l’État social à l’État des droits de l’homme ?, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, coll. Res Publica, 2007.
227.   Sur la question de la judiciarisation des questions politiques, lire par
exemple  : Jacques Commaille, Laurence Dumoulin et Cécile Robert (dir.), La
Juridicisation du politique. Leçons scientifiques, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll.
Droit et Société, série Classics, 2e éd. complétée et actualisée, 2010 ; Jacques Commaille
et Laurence Dumoulin, «  Heurs et malheurs de la légalité dans les sociétés
contemporaines. Une sociologie politique de la “judiciarisation” », L’Année sociologique,
59 (1), 2009, p. 63-107.
228.  François Ost, « Conclusions générales », in Yves Cartuyvels et al., Les Sources
du droit revisitées, Bruxelles, Anthemis, Publications des FUSL, 2013.
229.  Ibid.
230.  Voir par exemple : Marie-Ève Sylvestre, Céline Bellot et Catherine Chesnay,
«  De la justice de l’ordre à la justice de la solidarité  : une analyse des discours
légitimateurs de la judiciarisation de l’itinérance au Canada », Droit et Société, 81/2012,
p. 299-320 ; Sébastien Grammond, Isabelle Lantagne et Natacha Gagné, « Aux marges
de la classification officielle : les groupes autochtones sans statut devant les tribunaux
canadiens  », Droit et Société, 81/2012, p.  321-342  ; Rachel Cox, «  Harcèlement
psychologique au travail  : entre psychologisation et victimisation. Une étude de la
jurisprudence arbitrale québécoise », Droit et Société, 81/2012, p. 343-364 ; Emmanuelle
Bernheim, «  De la mise en scène de la justice. Accès aux droits, rôle des tribunaux et
statut citoyen en santé mentale », Droit et Société, 81/2012, p. 365-380.
231.   Joel  B. Grossman, «  Social Background and Judicial Decision-Making  »,
Harvard Law Review, vol. 79 (8), 1966, p. 1551-1564.
232.  Rachel Cox, op. cit.
233.  Emmanuelle Bernheim, op. cit.
234.  Antoine Vauchez, « Introduction. Les arènes judiciaires dans la construction
des problèmes sociaux et politiques », in Liora Israël et al. (dir.), Sur la portée sociale du
droit, Paris, PUF, 2005, p. 167.
235.  Ibid., p. 167-168.
236.   De même, ce fossé est révélé de façon particulièrement illustrative dans
l’analyse du traitement infligé aux individus sans domicile fixe (qualifiés de « personnes
itinérantes  » dans la recherche canadienne sur laquelle nous nous appuyons ici).
Comme on le sait, la politique de stigmatisation du vagabond ou du mendiant a de
fortes racines historiques : « Prenant en compte davantage les effets que les causes, les
hommes de la Révolution avaient fait porter leurs efforts de réflexion sur la mendicité,
qu’ils avaient en projet d’éradiquer. Le Code pénal de  1810 devait garder la même
logique de déplacement du problème (l’indigence) vers ses conséquences en instituant
un délit, celui de vagabondage.  » C’est finalement dans le même esprit que les
«  personnes itinérantes  » font l’objet de verbalisation et sont exposées à
l’emprisonnement en cas de non-paiement d’amende. Voir Marie-Ève Sylvestre et  al.,
op. cit.
237.   Malcolm  M. Feeley et Edward  L. Rubin, Judicial Policy Making and the
Modern State. How the Courts Reformed America’s Prisons, op. cit.
238.   Alec Stone Sweet, «  Judicialization and the Construction of Governance  »,
Comparative Political Studies, vol. 32, no 2, April 1999, p. 147-184.
239.  Francis Bailleau et Yves Cartuyvels, La Justice pénale des mineurs en Europe.
Entre modèle welfare et inflexions néolibérales, Paris, L’Harmattan, 2007  ; Jean Danet,
Justice pénale, le tournant, Paris, Gallimard, coll.  Folio actuel, 2006. Voir également  :
Jacques Commaille, «  Le procès d’Angers et la faillite de la solidarité sociale  »,
Le Monde, samedi 23 avril 2000, p. 17.
240.  La littérature sur ce thème est innombrable. Voir, par exemple : Christopher
Hood, The Tools of Government, Londres, Macmillan, 1983  ; idem  : «  Public
Management  : The Word, the Movement, the Science  », in Ewan Ferlie, Lawrence  E.
Lynn et Christopher Pollitt (éd.), The Oxford Handbook of Public Management, Oxford,
Oxford University Press, 2005, p.  7-26  ; Christopher Pollitt et Geert Bouckaert, Public
Management Reform. A  Comparative Analysis, Oxford, Oxford University Press, 2000.
Pour l’analyse du phénomène en France, voir notamment  : Philippe Bezès, Réinventer
l’État. Les réformes de l’administration française (1962-2008), Paris, PUF, coll. Le  Lien
social, 2009.
241.   Ce programme a été mis en place à la suite du rapport Improving
Management in Government. The Next Steps publié à la fin des années  1980. Il
comprenait les principales mesures suivantes  : délégation d’activités opérationnelles
des ministères à des agences, rémunération des agents publics au rendement,
soumission des organismes publics à des «  épreuves de marché  » susceptibles
d’impliquer le secteur privé. Voir Bill Jenkins et Andrew Gray, «  Reshaping the
Management of Government  : The Next Steps Initiative in the United Kingdom  »,
in  F.  Leslie Seidle (éd.), Rethinking Government. Reform or Reinvention  ?, Montréal,
Institut de recherches en politiques publiques, 1993, p. 73-103.
242.   Gouvernement fédéral, Fonction publique 2000. Guide de gestion du
changement dans la Fonction publique : Les voies de l’innovation, Ottawa, Ministère des
Approvisionnements et Services, 1991 (cité par Daniel Mockle, «  Le Tribunal
administratif du Québec et la nouvelle gestion publique  », Canadian Journal of
Administrative Law & Practice, no 26, 2013, p. 227-249).
243.  Ce programme comporte notamment : la mise en place de plans stratégiques
de mesures de performances pour les agences fédérales avec des missions confiées à
des agences pilotes, l’amélioration du management du gouvernement fédéral et il est
inspiré par une exigence de performances, de résultats et le souci de l’efficacité et de
l’efficience. Il a été complété par le Government Performance and Results Modernization
Act of 2010. Voir les rapports de l’Office of Management and Budget, White House
Government, Washington D.C., États-Unis.
244.   Nous nous référons ici à l’excellente présentation de ce phénomène de
managérialisation rédigée par Christine Rothmayr-Allison, «  Le droit et
l’administration de la justice face aux instruments managériaux. Présentation du
dossier Rationalité juridique et rationalité managériale  », Droit et Société, 84/2013,
p. 277-289.
245.   Owen  E. Hughes, Public Management and Administration. An Introduction,
Houndmills, Palgrave McMillan, 3e éd., 2003.
246.  Cécile Vigour, « Justice : l’introduction d’une rationalité managériale comme
euphémisation des enjeux politiques », Droit et Société, 63/64, 2006, p. 425-455.
247.   Jacques Commaille, Territoires de justice. Une sociologie politique de la carte
judiciaire, op. cit.
248.  Yves Strickler, « Durée des procès », in Loïc Cadiet (dir.), Dictionnaire de la
justice, Paris, PUF, 2004, p. 388.
249.  Ibid.
250.  Daniel Mockle, « La justice, l’efficacité et l’imputabilité », Les Cahiers de droit,
o
n  4 ; vol. 54, 2013, p. 613-688.
251.  Élisa Chelle, «  Une politique de récompense dans la haute magistrature  : le
cas de la prime de rendement », Droit et Société, 78/2011, p. 407-427.
252.   Élisa Chelle, «  Un militantisme réformateur  : les manuels du nouveau
management public », Revue internationale de politique comparée, vol. 19, 3/2012, p. 19-
36.
253.  La loi organique relative aux lois de finances (LOLF), promulguée le 1er août
2001, était assimilable à une « constitution financière » et avait pour objectif affiché la
«  modernisation de l’État  » grâce à la mise en place de «  programmes de
performance ».
254.   La Révision générale des politiques publiques (RGPP), lancée le 10  juillet
2007, avait pour but affiché la réforme de l’État, la baisse des dépenses publiques,
l’amélioration des politiques publiques, notamment par la mise en place d’une logique
de gestion par les résultats. Elle a été supprimée en  2012 par le nouveau pouvoir
socialiste.
255.  Malcolm F. Feeley et Edward L. Rubin, op. cit.
256.  Sur ces transformations de la justice, voir par exemple : Jacques Commaille et
Benoist Hurel, « La réforme de la justice française. Un enjeu entre instrumentalisation
et démocratie », op. cit.

É É
257.  Jacques Commaille, « De “l’État-Juriste” à “l’État-Manager”. La réforme de la
carte judiciaire française de 2008 : un nouveau modèle d’action publique sans droit ? »,
op. cit., p. 105.
258.   Jean-Pierre Gaudin, Critique de la gouvernance. Une nouvelle morale
politique ?, La Tour d’Aigues, L’Aube, 2014, p. 181.
259.  Ibid., p. 13.
260.  Pierre Rosanvallon, L’État en France de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 1990.
261.   Bruno Jobert, «  Modes de médiation sociale et politiques publiques  : le cas
des politiques sociales », L’Année sociologique, 40, 1990, p. 163.
262.  Jacques Commaille, Territoires de justice…, op. cit.
263.   Le décret simple n’est pas pris après avis du Conseil d’État mais seulement
avec l’avis du Comité technique paritaire des services judiciaires.
264.   Jacques Caillosse, «  Quel droit la gouvernance publique fabrique-t-elle  ?  »,
op. cit., p. 463-464.
265.  Daniel Mockle, La Gouvernance, le Droit et l’État…, op. cit., p. 199.
266.  Ibid., p. 11.
267.  Ibid., p. 7-8.
268.  Jacques Caillosse, La Constitution imaginaire de l’administration, Paris, PUF,
coll. Les Voies du droit, 2008, p. 273 et 317.
269.  Patrice Duran, « L’impuissance publique… », op. cit., p. 10.
270.   Lewis  A. Kornhauser, L’Analyse économique du droit. Fondements juridiques
de l’analyse économique du droit, Paris, Michel Houdiard, coll. Les Sens du droit, 2010,
p. 103.
271.  Pierre Legendre, Le Désir politique de Dieu. Études sur les montages de l’État et
du droit, Paris, Fayard, 1988, cité par Jacques Caillosse, La Constitution imaginaire…,
op. cit., 292.
272.  Daniel Mockle, op. cit.
273.  Ibid., p. 105.
274.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois…, op. cit.
275.  Daniel Mockle, op. cit.
276.  Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès, « Instrument », in Laurie Boussaguet,
Sophie Jacquot et Pauline Ravinet (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, op.  cit.,
p. 332. Les auteurs font ici référence aux analyses de Bruno Jobert (dir.), Le Tournant
néolibéral en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994.
277.   Xavier de Larminat, Hors des murs. L’exécution des peines en milieu ouvert,
Paris, PUF, coll. Partage du savoir, 2014 ; Jean Danet, op. cit.
V
LES TEMPORALITÉS DU DROIT

1.   Paul Pierson, Politics in Time. History, Institutions, and Social Analysis,


Princeton – Oxford, Princeton University Press, 2004.
2.  Ibid., p. 167.
3.   Claude Dubar, «  Régimes de temporalités et mutation des temps sociaux  »,
Temporalités, no 0, janvier 2004, p. 119.
4.   Marc Bessin, «  La temporalité de la pratique judiciaire  : un point de vue
sociologique », Droit et Société, no 39, 1998, p. 335.
5.  Voir, par exemple, un ouvrage de référence en la matière : François Ost et Mark
Van Hoecke, Temps et droit. Le droit a-t-il pour vocation de durer ? Time and Law. Is it
the Nature of Law to Last ?, Bruxelles, Bruylant, 1998.
6.  Rebecca R. French, « Time in the Law », University of Colorado Law, 72, 2001,
p. 663-748.
7.  Roger Sue, Temps et ordre social, Paris, PUF, 1994.
8.  Hervé Barreau, Le Temps, Paris, PUF, coll. Que sais-je ?, 1996.
9.  Michael A. Katovich, « Durkheim’s Macrofoundations of Time : An Assessment
and Critique », The Sociological Quarterly, vol. 28, no 3, Autumn 1987, p. 372.
10.  Norbert Elias, Du temps, Paris, Fayard, 1995, p. 161.
11.  Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, Alcan, 1985
(1re éd. 1912).
12.   Émile Durkheim et Marcel Mauss, «  De quelques formes primitives de
classification. Contribution à l’étude des représentations collectives  », L’Année
sociologique, 1901-1903.
13.  Georges Gurvitch, « La multiplicité des temps sociaux », in Georges Gurvitch,
La Vocation actuelle de la sociologie, Paris, PUF, t. II, 1963.
14.   François Ost, «  Temporalité juridique  », in  André-Jean Arnaud, Dictionnaire
encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit., p. 607.
15.  Comme une illustration de cette définition des temporalités, voir par exemple :
Claude Dubar, «  Régimes de temporalités et mutation des temps sociaux  », op.  cit.,
p. 118-129.
16.  Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997, p. 247.
17.  Norbert Elias, Du temps, op. cit.
18.  Ibid., p. 161.
19.   Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, Paris,
La Découverte, 2010, p. 13 (1re éd. Suhrkamp Verlag, 2005).
20.  Norbert Elias, La Société des individus, Paris, Fayard, 1990.
21.  Fernand Braudel, « Histoire et sciences sociales : la longue durée », Annales :
Économies, sociétés, civilisations, IV, octobre-décembre 1958, p. 725-753.
22.   Michel Virally, La Pensée juridique, Paris, LGDJ  / Pichon et Durand-Auzias,
1960.
23.   Carol  J. Greenhouse, «  Just in Time  : Temporality and the Cultural
Legitimation of Law », The Yale Law Journal, vol. 98, 1989, p. 1640.
24.   Jean Carbonnier, Droit civil. Introduction, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2004,
p. 25.
25.   David  B. Goldman, Globalization and the Western Legal Tradition. Recurring
Patterns of Law and Authority, Cambridge, Cambridge University Press, 2007.
26.  Ronald Dworkin, Law’s Empire, Oxford, Hart Publishing, 1998, p. 413.
27.  François Rigaux, Introduction à la science du droit, Bruxelles, 1974, p. 370-371,
cité par François Ost et Michel van de Kerchove, « Pluralisme temporel et changement.
Les jeux du droit  », in  Nouveaux itinéraires en droit. Hommage à François Rigaux,
Bruxelles, Bruylant, 1993, p. 389.
28.  Propos cités par François Ost, Le Temps du droit, op. cit., p. 175.
29.  François Ost et Michel van de Kerchove, op. cit., p. 393.
30.  Ibid., p. 390.
31.  Michael A. Katovich, op. cit., p. 371-372.
32.  François Ost, Le Temps du droit, op. cit., p. 80.
33.   Certes, un clivage peut se produire ici entre les conservateurs qui ont une
propension à ne concevoir les normes qu’en référence au passé par opposition aux
radicaux qui ont tendance à ne penser les normes qu’en se référant au futur. Voir  :
David B. Goldman, op. cit., p. 60.
34.  Benjamin Constant, De l’esprit de conquête et de l’usurpation dans leurs rapports
avec la civilisation européenne, Paris, Flammarion, p.  252 (1re  éd. 1814), cité par
Sandrine Lefranc, Politiques du pardon, Paris, PUF, 2002, p. 108. Souligné par nous.
35.  Georges Ripert, op. cit. Souligné par nous.
36.  Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, PUF, coll. Quadrige, 1994 (1re éd.
1978), p. 354.
37.  Georges Ripert, op. cit.
38.  Ibid., p.  10, cité par François Ost, «  L’instantané ou l’institué  ? L’institué ou
l’instituant  ? Le droit a-t-il pour vocation de durer  ?  », in  François Ost et Mark
Van Hoecke, op. cit., p. 7.
39.   Louis Assier-Andrieu, «  Brève théorie culturelle du droit  », in  Shaun
Van Praagh et Helge Dedek, Stateless Law. Evolving Boundaries of a Discipline, op. cit.
40.  Ibid., p. 390-391, cité in François Ost et Mark Van Hoecke, op. cit.
41.  Ibid.
42.  Jean Carbonnier, Sociologie juridique, op. cit., p. 350.
43.   Hartmut Rosa, Accélération. Une critique sociale du temps, op.  cit., p.  67, 69
et 70.
44.  David Gross, op. cit. (particulièrement : p. 75 sq.).
45.  Ibid., p. 75-76.
46.  Ibid., p. 69-70.
47.  Ibid., p. 70 à 76. Souligné par nous.
48.  Jean Carbonnier, Flexible droit. Pour une sociologie du droit sans rigueur, Paris,
LGDJ, 8e éd., 1995, p. 184.
49.  François Ost, « Le temps virtuel des lois postmodernes ou comment le droit se
traite dans la société de l’information  », in  Jean Clam et Gilles Martin (dir.), Les
Transformations de la régulation juridique, Paris, LGDJ, coll. Droit et Société, série
Recherches et Travaux, 1998, p. 445.
50.  Voir, par exemple : Pierre Noreau, « Accès à la justice et démocratie en panne :
constats, analyses et projections  », in  Pierre Noreau (dir.), Révolutionner la justice.
Constats, mutations et perspectives, Montréal, Thémis, 2010, p.  13-44  ; Marie-Luce
Cavrois, Hubert Dalle et Jean-Paul Jean (dir.), La Qualité de la justice, Paris,
La Documentation française, coll. Perspectives sur la justice, 2002.
51.  Montesquieu, De l’esprit des lois, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, p. 202.
52.   Jacques Commaille, Territoires de justice. Une sociologie politique de la carte
judiciaire, Paris, PUF, 2000, p. 56.
53.  Ibid.
54.  Bastien François, « La constitution du droit. La doctrine constitutionnelle à la
recherche d’une légitimité juridique et d’un horizon pratique  », in  CURAPP (dir.), La
Doctrine juridique, Paris, PUF, 1993, p. 239.
55.  Cité par Marc Bessin, op. cit., p. 333. Souligné par nous.
56.   François Hartog, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps,
Paris, Seuil, 2003, p. 27.
57.  Ibid.
58.  François Hartog, Croire en l’histoire, Paris, Flammarion, 2013, p. 30 et 281.
59.  Ibid., p. 126 et 218.
60.  Jean Chesneaux, Habiter le temps, Paris, Bayard, 1996, p. 7.
61.  François Ost, Le Temps du droit, op. cit., p. 283 sq.
62.  Jean-Guy Belley (dir.), Le Droit soluble. Contributions québécoises à l’étude de
l’internormativité, Paris, LGDJ, 1996.
63.   Voir François Ost, Le Temps du droit, op. cit., p.  90  sq. Voir également Louis
Assier-Andrieu, L’Autorité du passé, op. cit. On pourra aussi se rapporter à cet ouvrage
d’un historien du droit qui rend compte superbement des racines historiques,
respectivement du droit de la common law et du droit romano-canonique, en les
resituant simultanément dans l’histoire, dans des temporalités et des cultures
différentes, y compris par référence à la culture chinoise : Robert Jacob, La Grâce des
juges…, op. cit.
64.  Hartmut Rosa, op. cit., p. 33.
65.  Ibid., p. 318-319.
66.  Ibid., p. 326-327.
67.  Zygmunt Bauman, La Vie liquide, Arles, Le Rouergue / Chambon, 2006.
68.   Guy Haarscher, «  Le temps du droit et l’expérience totalitaire  », in  François
Ost et Mark Van Hoecke, op. cit., p. 164.
69.  Jean-François Lyotard, La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir, Paris,
Minuit, 1979.
70.  Jean Chesneaux, op. cit., p. 79.
71.  Pierre Legendre, « Qui dit légiste, dit loi et pouvoir », Politix, 32, 1995, p. 23-
44.
72.  Ibid., p. 39.
73.  Ibid., p. 42.
74.  François Ost et Michel van de Kerchove, « Pluralisme temporel et changement.
Les jeux du droit », op. cit., p. 394.
75.  Ibid., p. 394.
76.  François Ost, Le Temps du droit, op. cit., p. 273-275.
77.  Pierre Legendre, L’Amour du censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, Paris, Seuil,
coll. Champ freudien, 2005.
78.  Pierre Legendre, Les Enfants du texte. Étude sur la fonction parentale des États,
Paris, Fayard, Leçons VI, 1992, cité par Louis Assier-Andrieu, « Brève théorie culturelle
du droit », op. cit.
79.  Peter Fitzpatrick, « Law in the Antinomy of Time : A Miscellany », in François
Ost et Mark Van Hoecke, op. cit., p. 185.
80.  Jean Chesneaux, op. cit., p. 155.
81.   David Gross, «  Temporality and the Modern State  », Theory and Society,
vol. 14, no 1, January 1986, p. 55.
82.  Mark Van Hoecke, « European Legal Cultures in a Context of Globalisation »,
in  Tomasz Gizbert Studnicki et Jerzy Stelmach (éd.), Law and Legal Cultures in the
21st Century. Diversity and Unity, Varsovie, Oficyna Wolters Kluwer Business, 2007.
83.  David Gross, op. cit., p. 65.
84.  Jean Chesneaux, op. cit., p. 110.
85.  Ibid., p. 69-70.
86.  Hartmut Rosa, op. cit., p. 282.
87.  Duncan Kennedy, The Rise and Fall of the Classical Legal Thought, Cambridge,
Afar, 1998, p. 8 (1re éd. 1975), cité par Louis Assier-Andrieu, « Brève théorie culturelle
du droit », op. cit.
88.  Jacques Lagroye, « La légitimation », in Madeleine Grawitz et Jean Leca (dir.),
Traité de science politique, vol. 1, Paris, PUF, 1985, p. 425.
89.  Pour reprendre ici les éléments d’une analyse de Louis Assier-Andrieu (« Brève
théorie culturelle du droit  », op.  cit.) se référant à la pensée de Friedrich Carl von
Savigny  : De la vocation de notre temps pour la législation et la science du droit, Paris,
PUF, coll. Léviathan, 2006 (1re éd. 1814).
90.  Jean Chesneaux, op. cit., p. 225.
91.  Sandrine Lefranc, op. cit., p. 56.
92.  Patricia Naftali, La Construction du « droit à la vérité » en droit international,
Thèse en droit, Université libre de Bruxelles, janvier 2013.
93.   Sandrine Lefranc, Politique du pardon, Paris, PUF, 2002, p.  17. L’auteur
reprend ici une expression d’Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Paris,
Calmann-Lévy, 1983 (1re éd. 1961) ; du même auteur : « La justice dans l’après-violence
politique  », in Jacques Commaille et Martine Kaluszynski (dir.), La Fonction politique
de la justice, Paris, La  Découverte, 2007, p.  273-291. Sur la notion de pardon, voir
également : François Ost, Le Temps du droit, op. cit., p. 111 sq.
94.  Ibid., p. 107 sq.
95.  Ibid., p. 329 sq.
96.  Hartmut Rosa, op. cit., p. 328.
97.   Marcel Gauchet, Le Désenchantement du monde, Paris, Gallimard, coll.
Bibliothèque des sciences humaines, 1985 (rééd. coll. Folio essais, 2005).
98.   Jean Carbonnier, Essais sur les lois, Paris, Répertoire du notariat Defrénois,
1979.
99.   Jean Carbonnier, «  L’importance de d’Aguesseau pour son temps et pour le
nôtre  », in  Le Chancelier Henri-François d’Aguesseau. Limoges  1668  – Fresnes  1751,
Limoges, Librairie Desvilles / Société archéologique et historique du Limousin, 1953.
100.   Hartmut Rosa, op.  cit. Voir particulièrement p.  307  sq., soit le chapitre  XII
intitulé «  Politique situative  : des horizons temporels paradoxaux entre
désynchronisation et désintégration ».
101.  François Ost, « L’accélération du droit », op. cit., p. 11.
102.   Sur ces aspects, voir  : Pierre Lascoumes, «  Normes juridiques et mise en
œuvre des politiques publiques », L’Année sociologique, vol. 40, 1990, p. 43-71.
103.  François Ost, « Le temps virtuel des lois post-modernes ou comment le droit
est traité dans la société de l’information  », in  Gilles Martin et Jean Clam (dir.), Les
Transformations de la régulation juridique  : premier bilan, Paris, LGDJ, coll. Droit et
Société, série Recherches et Travaux, 1998, p. 425.
104.  Ibid, p. 437.
105.  Hartmut Rosa, op. cit., p. 283.
106.  Ibid., p. 101.
107.   Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de
Philippe II, Paris, LGF, Le Livre de Poche, 1993.
108.   Pierre Bourdieu, «  L’emprise du journalisme  », Actes de la recherche en
sciences sociales, no 101-102, mars 1994, p. 5.
109.  Simone Gaboriau, op. cit., p. 21.
110.  Voir notamment le dossier « Justice et médias », Droit et Société, no 26, 1994.
111.   W.D.H. Asser, «  Within a Reasonable Time  : a Joint Responsibility  »,
in  Cornelis Hendrik van Rhee (éd.), The Law’s Delay. Essays on Undue Delay in Civil
Litigation, Tilburg, Intersentia, 2004, p. 24.
112.   Cornelis Hendrik van Rhee, «  The Law’s Delay  : An Introduction  », in  C.H.
van Rhee (éd.), The Law’s Delay, op. cit., p. 2.
113.  Ibid.
114.  Pierre Noreau, « Accès à la justice et démocratie en panne : constats, analyses
et projections », op. cit.
115.  Pierre Noreau (dir.), Révolutionner la justice…, op. cit.
116.   Benoît Bastard et  al., L’Esprit du temps. L’accélération dans l’institution
judiciaire en France et en Belgique, Rapport, Mission de recherche Droit et Justice,
multigr., 2012.
117.  Voir, par exemple : Mirka Smolej et Jon T. Johnsen (éd.), La Gestion du temps
dans les systèmes judiciaires. Une étude sur l’Europe du Nord, Commission européenne
pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe,
juin 2007.
118.   Laurence Dumoulin et Christian Licoppe, Justice et visioconférence. Les
audiences à distance. De la genèse à l’institutionnalisation d’une innovation, Paris, LGDJ,
coll. Droit et Société, série Recherches et Travaux, 2014.
119.  Judith Resnik, « Managerial Judges », Harvard Law Review, 96, 1982, p. 374-
448.
120.  Élisa Chelle, Gouverner les pauvres…, op. cit.
121.  Emmanuelle Bernheim et Jacques Commaille, « Quand la justice fait système
avec la remise en question de l’État social », op. cit.
122.   Emmanuelle Bernheim, Les Décisions d’hospitalisation et de soins
psychiatriques sans le consentement des patients dans des contextes cliniques et judiciaire.
Une étude du pluralisme normatif appliqué, Thèse de doctorat de droit et de doctorat de
sciences sociales, Université de Montréal, École normale supérieure de Cachan,
mars 2011.
123.   Marie-Ève Sylvestre, Céline Bellot et Catherine Chesnay, «  De la justice de
l’ordre à la justice de la solidarité  : une analyse des discours légitimateurs de la
judiciarisation de l’itinérance au Canada », op. cit.
124.  Benoît Bastard et al., op. cit.
125.   Jean Danet, La Justice pénale entre rituel et management, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2010.
126.  Christophe Mincke, « Les nouveaux modes de traitement des conflits pénaux :
vers de nouvelles temporalités pénales », in Philippe Gérard, François Ost et Michel van
de Kerchove (dir.), L’Accélération du temps juridique, Bruxelles, Publications des
Facultés universitaires Saint-Louis, 2000, p. 599-616.
127.  Benoît Bastard et al., op. cit.
128.  Renaud Colson et Stewart Field, Les Transformations de la justice pénale. Une
comparaison franco-anglaise. The Transformation of Criminal Justice. Comparing France
with England and Wales, Paris, L’Harmattan, coll. Bibliothèques de droit, 2011 (voir
également la recension de cet ouvrage par Yves Cartuyvels dans Droit et Société,
no 84/2013, p. 495-496).
129.  Michel van de Kerchove, « Accélération de la justice pénale et traitement en
“temps réel”, in  François Ost et Mark Van  Hoecke (dir.), op.  cit., p.  367-384. Sur
l’application du «  traitement en temps réel  » dans la justice pénale voir également  :
Benoît Bastard et Christian Mouhanna, Une justice dans l’urgence. Le traitement en
temps réel des affaires pénales, Paris, PUF, 2007.
130.  Ibid., p. 381.
131.  Pour une illustration de cette évolution de l’administration du pénal, voir par
exemple : Xavier de Larminat, op. cit.
132.  Jean Danet, La Justice pénale entre rituel et management, op. cit.
133.   Antoine Garapon, Peut-on réparer l’histoire  ? Colonisation, esclavage, Shoah,
Paris, Odile Jacob, 2008, cité par François Hartog, Croire en l’histoire, Paris,
Flammarion, 2013, p. 104.
134.  Maximo Langer, « The Rise of Managerial Judging in International Criminal
Law », The American Journal of Comparative Law, vol. 53, no 4, Fall 2005, p. 835-909.
135.   Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France,
1978-1979, Paris, Seuil / Gallimard, coll. Hautes Études, 2004.
136.   Jean Danet, La Justice pénale entre rituel et management, op.  cit. Voir
particulièrement le chapitre V : « La mise en concurrence des procédures », p. 109 sq.
137.  Benoît Bastard et al., op. cit.
138.  Ibid., p. 245.
139.  Hartmut Rosa, op. cit., p. 18-19.
140.  Ibid.
141.   Werner Bergmann, «  The Problem of Time in Sociology  », Time  & Society,
no 1, vol. 1, p. 81-134.
142.  Pierre Bourdieu : « La société traditionnelle. Attitudes à l’égard du temps et
conduite économique », Sociologie du travail, no 1, 1963, p. 26.
143.  Ibid., p. 24-25.
144.  Ibid., p. 37.
145.  Pierre Bourdieu, Algérie  60. Structures économiques et structures temporelles,
Paris, Minuit, 1977, p. 42.
146.  Ibid., p. 16-17.
147.   David M. Engel, «  Law, Time, and Community  », Law  & Society Review,
vol. 21, no 4, 1987, p. 605-637.
148.  Ibid.
149.   Michel Lallement, «  Une antinomie durkheimienne… et au-delà. Regards
sociologiques sur le temps et les temporalités », Temporalités, no 8, 2008, p. 9. L’auteur
s’appuie ici sur les travaux de William Grossin et notamment  : «  Les représentations
temporelles et l’émergence de l’histoire  », L’Année sociologique, vol.  39, 1989, p.  233-
254.
150.   Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF,
1960.
151.  Jean Chesneaux, op. cit., p. 13.
152.   David  B. Goldman, Globalisation and the Western Legal Tradition. Recurring
Patterns of Law and Authority, Cambridge, Cambridge University Press, 2007. Voir aussi
Monique Chemillier-Gendreau, « Sur quelques rapports du temps juridique aux autres
formes de temps  », in  Philippe Gérard, François Ost, Michel van de Kerchove (dir.),
L’Accélération du temps juridique, op. cit., p. 281 [« La mise en relation de temporalités
différentes amène alors (comme le plus souvent lorsque l’on aborde la question du
temps) à réintroduire celle de l’espace  »]. Jean Carbonnier avait lui-même associé la
question du temps et celle de l’espace dans un paragraphe de son manuel intitulé « Le
système juridique comme unité d’espace et de temps ». Il y souligne notamment que la
déconstruction de la notion d’espace juridique introduit à l’idée de pluralisme en même
temps que celle du temps dévoile combien l’évolutionnisme présent dans les approches
du droit est culturellement situé : Jean Carbonnier, Sociologie juridique, op. cit.
153.  Hartmut Rosa, op. cit., p. 43-44.
154.  Ibid., p. 265.
155.  Zaki Laïdi, Le Temps mondial, Les Cahiers du CERI, no 14, 1996.
156.  Anthony Giddens, Les Conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, 1994
(1re éd. 1990).
157.  Jean Chesneaux, op. cit., p. 198.
158.  Boaventura de Sousa Santos, Epistemologies of the South…, op. cit., p. 164.
159.   Carol  J. Greenhouse, «  Just in Time  : Temporality and the Cultural
Legitimation of Law », op. cit.
160.  William Grossin, op. cit.
161.  Ali Mezghani, L’État inachevé. La question du droit dans les pays arabes, Paris,
Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 2011, p. 17.
162.   Ayang Utriza, «  La transformation du droit musulman en droit positif de
l’État indonésien  », in  Baudouin Dupret (dir.), La Charia aujourd’hui. Usages de la
référence au droit islamique, Paris, La Découverte, 2012, p. 199-208.
163.  François Ost, Le Temps du droit, op. cit., p. 89.
164.  Ibid., p. 85.
165.  Ibid.
166.  Carol C. Greenhouse, op. cit., p. 1650.
167.  Monique Chemillier-Gendreau, op. cit., p. 291.
168.  Ibid., p. 291.
169.  Hartmut Rosa, op. cit., p. 370.
170.   Hannah Arendt, La Crise de la culture, Paris, Gallimard, coll. Folio essais,
1972 (1re éd. 1961).
171.  François Ost, « L’accélération du droit », op. cit., p. 12.
172.   Référence est faite ici aux thèses développées par Hartmut Rosa dans la
conclusion de son ouvrage en s’inspirant de Pierre Bourdieu : « Störenfried Soziologie.
Zur Demokratie gehört eine Forschung, die Ungerechtigkeiten aufdeckt », in Joachim-
Fritz Vannahme (dir.), Wozu heute noch Soziologie  ?, Opladen, Leske und Budrich,
p. 65-70.
173.  Claude Dubar, «  Une critique sociale du temps au cœur des préoccupations
de Temporalités », Temporalités, no 13, 2011, p. 7.
174.  Ibid., p. 7.
175.   Maurice Halbwachs, Les Cadres sociaux de la mémoire, Paris, Félix Alcan,
1935, cité par François Ost, Le Temps du droit, op. cit., p. 47.
176.   Maurice Halbwachs, «  La mémoire collective et le temps  », Cahiers
internationaux de sociologie, vol. 101, 1996, p. 45-65 (1re éd. 1947).
177.  Paul Ricœur, Temps et récit, Paris, Seuil, t. I, 1983, p. 122.
178.   Nicolas Bernard, «  Le monde de la pauvreté entre deux conceptions
(apparemment) contradictoires  », in  Philippe Gérard, François Ost, Michel van de
Kerchove (dir.), L’Accélération du temps juridique, op. cit., p. 837-871.
179.   Dominique Desroches et Daniel Innerarity, Penser le temps politique.
Entretiens philosophiques à contretemps avec Daniel Innerarity, Québec, Presses de
l’Université Laval, 2011, p. 24.
180.   Édouard Gardella, «  L’urgence comme chronopolitique. Le cas de
l’hébergement des sans-abri », Temporalités, numéro sur Temporalités et action publique
coordonné par Jacques Commaille, Vincent Simoulin et Jens Thoemmes, no 19, 2014 ;
idem, «  Au rythme de l’accompagnement. L’expérience éthique du travail de rue dans
l’urgence sociale », in Catherine Felix et Julien Tardif (dir.), Actes éducatifs et de soins,
entre éthique et gouvernance, Actes du colloque international, 2010
[http://revel.unice.fr/symposia/actedusoin/index.html?id=558]. Voir également  : Daniel
Cefai et Édouard Gardella, L’Urgence sociale en action. Ethnographie du Samu social de
Paris, Paris, La Découverte, 2011.
181.   En référence à la légitimité conférée par Marx à une coutume des paysans
pauvres de ramasser le bois mort dans les forêts privées de la province rhénane comme
le fait Louis Assier-Andrieu dans son article  : «  Penser le temps culturel du droit. Le
destin anthropologique du concept de coutume  », L’Homme, no  160, oct.-déc.  2001,
p. 85. Voir également : Pierre Lascoumes et Hartwig Zander, Marx. Du « vol de bois » à
la critique du droit, op. cit.
182.   Pierre Bourdieu, Algérie  60…, op.  cit., p.  89-90  ; voir également du même
auteur  : «  La hantise du chômage chez l’ouvrier algérien  », Sociologie du travail, no  4,
1962, p. 313-331.
183.   Jérôme Pélisse, «  Consciences du temps et consciences du droit chez les
salariés à 35 heures », Droit et Société, no 53, 2003, p. 163-184.
184.  Édouard Gardella, « Au rythme de l’accompagnement… », op. cit., p. 31.
185.  Voir, par exemple : Alain Supiot, « Temps de travail : pour une concordance
des temps », Droit social, no 12, déc. 1995, p. 947-954.
186.  Dominique Desroches et Daniel Innerarity, op. cit., p. 15.
187.  Ali Mezghani, op. cit.
188.  Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Minuit, 1984, p. 236-237.
189.  Jean Chesneaux, op. cit.
190.  Ibid., p. 17.
191.  Ibid., p. 278.
192.  Ibid., p. 256.
193.  Ibid., p. 16-17.
194.  Michel Lallement, op. cit., p. 34.
195.  Ibid., p. 35.
TROISIÈME PARTIE
LES SENS POLITIQUES DU DROIT

1.   Montesquieu, De l’esprit des lois, Première partie, Livre premier, chapitre


premier, Paris, GF-Flammarion, 1979, p. 124 (1re éd. 1748).
2.  Jean-Guy Belley, « Le “droit social” » de Gurvitch : trop beau pour être vrai ? »,
op. cit., p. 733-734.

VI
L’ORDRE POLITIQUE

1.  François Dubet, Le Déclin des institutions, op. cit.


2.   Luc Van  Campenhoudt, «  Le conflit au cœur du lien social  », in  Didier
Vrancken, Christophe Dubois et Frédéric Schoenaers (dir.), Penser la négociation.
Mélanges en hommage à Olgierd Kuty, Bruxelles, De  Boeck, 29008, p.  251. L’auteur
s’inspire ici de l’ouvrage de François Ost et Michel van de Kerchove, De la pyramide au
réseau, op. cit.
3.   Pierre Rosanvallon, La Contre-Démocratie. La politique à l’âge de la défiance,
Paris, Seuil, 2006.
4.   Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité,
proximité, Paris, Seuil, coll. Points essais, 2008, p. 337.
5.   Dominique Schnapper, La Démocratie providentielle. Essai sur l’égalité
contemporaine, Paris, Gallimard, coll. NRF essais, 2002, p. 230 et 241.
6.   Patrice Duran, «  Légitimité, droit et action publique  », L’Année sociologique,
o
n  2, vol. 59/2009, p. 303-344.
7.  Catherine Colliot-Thélène, « Pour une politique des droits subjectifs… », op. cit.
8.  Max Weber, Économie et société, Paris, Plon, t. I, p. 301.
9.  Jacques Lagroye, « La légitimation », in Madeleine Grawitz et Jean Leca (dir.),
Traité de science politique, Paris, PUF, 1983, t. I, p. 397.
10.   François Chazel, «  Communauté politique, État et droit dans la sociologie
wébérienne  : grandeur et limites de l’entreprise  », L’Année sociologique, no  2,
vol. 59/2009, p. 275-301.
11.  Patrice Duran, « Légitimité, droit et action publique », op. cit.
12.  Ibid.
13.   Catherine Colliot-Thélène, «  Pour une politique des droits subjectifs…  »,
op. cit., p. 234.
14.   Voir, par exemple  : John Elster, Deliberative Democracy, Cambridge,
Cambridge University Press, 1998  ; Jürgen Habermas, «  Three Normative Models of
Democracy  », in  Seyla Benhabib (éd.), Democracy and Difference. Contesting the
Boundaries of the Political, Princeton, Princeton University Press, 1996 ; John Parkinson
et Jane Mansbridge, Deliberative Systems. Deliberative Democracy at the Large Scale,
Cambridge, Cambridge University Press, 2012.
15.  Patrice Duran, «  La participation politique  : nouvelles dimensions, nouveaux
problèmes », Idées économiques et sociales, no 173, septembre 2013, p. 5.
16.   Jürgen Habermas, Droit et démocratie entre faits et normes, Paris, Gallimard,
coll. NRF essais, 1997, p. 123 (1re éd. 1992).
17.  Sur les rapports entre gouvernance et participation, voir : André-Jean Arnaud,
La Gouvernance. Un outil de participation, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et
Société, série Les Petits Manuels, 2014.
18.   Graeme Hayes et Sylvie Ollitrault, La Désobéissance civile, Paris, Presses de
Sciences  Po, coll. Contester, 2012, p.  15. Voir également  : Albert Ogien et Sandra
Laugier, Pourquoi désobéir en démocratie ?, Paris, La Découverte, 2010.
19.  Ibid., p. 16.
20.   Alain-G. Gagnon et James Tully, Multinational Democracies, Cambridge,
Cambridge University Press, 2001.
21.   Jean-François Gaudreault-DesBiens et Diane Labrèche, Le Contexte social du
droit dans le Québec contemporain. L’intelligence culturelle dans la pratique des juristes,
Cowansville (Québec), Yvon Blais, 2009.
22.  Dominique Schnapper, La Démocratie providentielle, op. cit., p. 185.
23.  Ibid.
24.   Conseil supérieur de l’éducation, Agir pour renforcer la démocratie scolaire,
Gouvernement du Québec, 6 décembre 2006.
25.  Voir, par exemple : Magdalena De Leeuw, An Empirical Study into the Norms
of Good Administration as Operated by the European Ombudsman in the Field of
Tenders, San Domenico di Fiesole, European University Institute, Robert Schuman
Center for Advanced Studies, 2009.
26.   Loïc Blondiaux, Gérard Marcou et François Rangeon, Démocratie locale.
Représentation, participation et espace public, Paris, PUF, 1999.
27.   Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde
incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, 2001.
28.  Ibid.
29.   Denis Segrestin, «  Gouvernance et responsabilité sociale. La question de la
légitimité politique de l’entreprise  », Séminaire de l’Agence nationale de la recherche
« Le travail. Nouvelles orientations pour la recherche », CNAM, Paris, 7-8 juin 2012.
30.  Ibid.
31.  Ibid.
32.   Pierre-Yves Gomez et Harry Korine, L’Entreprise dans la démocratie. Une
théorie politique du gouvernement des entreprises, Bruxelles, De Boeck, coll. Ouvertures
économiques, 2008 ; Michel Coutu (2004), « Industrial Citizenship, Human Rights and
the Transformation of Labour Law. A  Critical Assessment of Harry Arthurs’
Legalization Thesis », Revue canadienne Droit et Société / Canadian Journal of Law and
Society, vol.  19, 2004, p.  73-92  ; Harry Arthurs, «  The New Economy and the New
Legality  : Industrial Citizenship and the Future of Labour Arbitration  », Canadian
Labour & Employment Law Journal, no 7, 1999, p. 45-63. Sur ces questions du statut de
l’entreprise, voir également  : Pauline Abadie, Entreprise responsable et environnement.
Essai d’une systématisation en droit français et américain, Thèse, Université Paris  I
Panthéon-Sorbonne, 2012.
33.   Maria Bonnafous-Boucher et Jacob Dahl Rendtorff, La Théorie des parties
prenantes, Paris, La Découverte, coll. Repères, 2013.
34.  Ibid., p. 71.
35.  Ibid., p. 32.
36.  Ibid., p. 5.
37.  Ibid., p. 89.
38.   Laurie Boussaguet, «  À l’écoute des citoyens européens. Bilan des premières
expériences participatives organisées à l’échelle communautaire », Policy Paper, « Notre
Europe. Penser l’unité européenne », mars 2011.
39.   Voir, par exemple  : Andrew Moravcsik, «  In Defence of ‘the Democratic
Deficit’ : Reassessing Legitimacy in the European Union », Journal of Common Market
Studies, no 4, vol. 40, 2002, p. 603-624. Voir également le projet de recherche en cours
sous l’égide du Research Council of the Académie universitaire de Louvain  : Why
Regulate ? Regulation, Deregulation and the Legitimacy of the European Union : A Legal
and Political Analysis.
40.  Laurie Boussaguet, op. cit.
41.  Antoien Vauchez, Démocratiser l’Europe, op. cit.
42.  Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique…, op. cit., p. 342.
43.   Albert  O. Hirschman, Deux siècles de rhétorique réactionnaire, Paris, Fayard,
2003 (1re éd. 1991).
44.   Georg Simmel, Le Conflit, Paris, Circé, 2003 (1re  éd. Berlin, Duncker  &
Humblot, 1908).
45.   Luc Van  Campenhoudt, «  Le conflit au cœur du lien social  », in  Penser la
négociation, op. cit., p. 250.
46.  Ibid., p. 251.
47.   André-Jean Arnaud, «  Société civile  », in  André-Jean Arnaud (dir.),
Dictionnaire de la globalisation, op. cit., p. 469-472.
48.   David Held (éd.), A Globalizing World  ? Culture, Economics, Politics, Oxon  –
New York, Routledge, 2e éd. 2004, (1re éd. 2000).
49.   Daniele Archibugi et David Held, Cosmopolitan Democracy. An Agenda for a
New World Order, Cambridge (Mass.), Polity Press, 1995.
50.   Boaventura de Sousa Santos, Vers un nouveau sens commun juridique…,
op. cit.
51.   Voir, par exemple  : Hélène Dufournet, «  “Sauver les meubles” en “sauvant la
face”  : faire la norme “à l’ombre” de la communication politique  », Droit et Société, à
paraître.
52.  Ibid., p. 239.
53.   Jean Carbonnier, «  Une législation revisitée comme un champ de bataille  »,
in Hommage à Ioanni Deliyannis, Université de Thessalonique, 1991, p. 234-235.
54.  François d’Arcy et Guy Saez, « De la représentation », in François d’Arcy (dir.),
La Représentation, Paris, Economica, 1985, p. 23.
55.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois, op. cit., voir particulièrement
p. 228 sq.
56.   Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir. Le renouveau, 1958-1962, Paris, Plon,
1970, p. 140.
57.  Dominique Schnapper, La Démocratie providentielle…, op. cit., p. 219 et 170.
58.  Jacques Lagroye, « La légitimation », in Madeleine Grawitz et Jean Leca (dir.),
Traité de science politique, Paris, PUF, 1983, t. I, p. 422.
59.  Pierre Guibentif, op. cit., p. 217.
60.  Sur cette histoire des droits de l’homme, voir : Jean-Bernard Marie, « Droits de
l’homme », in André-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire de théorie du droit et de sociologie
juridique, op. cit., p. 208-210.
61.  Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, Paris, Seuil, 3 vol., 2005.
62.  Sur ces différentes générations de droits de l’homme, voir : « Human Rights,
International » in David S. Clark (éd.), Encyclopedia of Law and Society. American and
Global Perspectives, Thousand Oaks (Californie)  – Londres  – New  Delhi  – Singapour,
SAGE Publications, p. 720-722.
63.  Mireille Delmas-Marty, Résister, responsabiliser, anticiper, Paris, Seuil, 2013.
64.   Rodrigo Stumpf Gonzalez et Véronique Champeil-Desplats, «  Droits civils et
politiques », in André-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire de la globalisation, op. cit., p. 178.
65.   Voir notamment une analyse des manuels et traités où est évoqué sans
distance un suffrage « universel » établi dès le XVIIIe siècle alors que le vote des femmes
est rejeté, mettant ainsi en valeur une « vision du monde où “l’universel” et le masculin
coïncident et excluent, ce faisant, le féminin » (Marie-Xavière Catto et al., « Questions
d’épistémologie : les études sur le genre en terrain juridique », op. cit.).
66.  Francine Saillant et Karoline Truchon (dir.), Droits et cultures en mouvements,
Laval, Presses de l’Université Laval, 2013, p. 10.
67.  Ibid., p. 15.
68.   Ielbo Marcus Lobo de Souza, «  Droit international des droits de l’homme  »,
in André-Jean Arnaud (dir.), Dictionnaire de la globalisation, op. cit., p. 172-177.
69.   Jürgen Habermas, Une nouvelle constellation politique, Paris, Fayard, 2000
re
(1  éd. 1998), p. 128.
70.  Stanley Hoffmann, « World Governance : Beyond Utopia », in Daedalus, 132/1,
2003, p. 27-35.
71.   Pierre Guibentif et Diane Roman, «  Droits sociaux  », in  André-Jean Arnaud
(dir.), Dictionnaire de la globalisation, op. cit., p. 179-188.
72.  Jacques Commaille et Laurence Dumoulin, « Heurs et malheurs de la légalité
dans les sociétés contemporaines… », op. cit.
73.   Ramona Coman et Jean-Michel De  Waele, Judicial Reforms in Central and
Eastern European Countries, Baden-Baden, Van den Broele, 2007.
74.  Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique…, p. 22.
75.  Ibid., p. 24.
76.   Ibid., voir notamment le chapitre intitulé «  Les autorités indépendantes  :
histoire et problèmes », pages 121 sq.
77.  Jacques Commaille et Laurence Dumoulin, « Heurs et malheurs de la légalité
dans les sociétés contemporaines… », op. cit.
78.  Antoine Garapon, Le Gardien des promesses…, op. cit.
79.   Denis Salas, Le Tiers Pouvoir. Vers une autre justice, Paris, Hachette
Littératures, coll. Forum, 1998.
80.   Alec Stone Sweet, «  Judicialization and the Construction of Governance  »,
Comparative Political Studies, vol. 32, no 2, April 1999, p. 147-184.
81.  Charles R. Epp, The Rights Revolution. Lawyers, Activists, and Supreme Courts
in Comparative Perspective, Chicago – Londres, The University of Chicago Press, 1998.
82.  Ibid.
83.  Ibid.
84.   Propos de Ronald Dworkin rapporté par Pierre Rosanvallon, La Légitimité
démocratique…, op. cit., p. 232.
85.   Martin Shapiro et Alec Stone Sweet, «  The New Constitutional Politics of
Europe », Comparative Political Studies, 26:4, p. 397-420.
86.  Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique, op. cit., p. 172.
87.  Cité par Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique…, op. cit., p. 172-173.
88.  Jacques Chevallier, L’État post-moderne…, op. cit., p. 180.
89.  Mireille Delmas-Marty, «  Mondialisation et montée en puissance des juges  »,
Les Cahiers de l’Institut d’études sur la justice, Bruxelles, Bruylant, no 9, 2007, p. 98.
90.   Karen  J. Alter, «  Private Litigants and the New International Courts  »,
Comparative Political Studies, vol. 39, no 1, 2006, p. 22-49.
91.  Donald L. Horowitz, op. cit.
92.  Gerald N. Rosenberg, op. cit.
93.  Jacques Commaille et Laurence Dumoulin, « Heurs et malheurs de la légalité
dans les sociétés contemporaines… », op. cit.
94.   Rachel Sieder, Line Schjolden et Alan Angell (éd.), The Judicialization of
Politics in Latin America, New  York, Palgrave Macmillan, 2005  ; Javier  A. Couso,
Alexandra Huneeus et Rachel Sieder (éd.), Cultures of Legality. Judicialization and
Political Activism in Latin America, Cambridge, Cambridge University Press, coll.
Cambridge Studies in Law and Society, 2010.
95.  Lisa Conant, «  Individuals, Courts, and the Development of European Social
Rights », Comparative Political Studies, vol. 39, no 1, February 2006, p. 76-100.
96.   Pratap Bhanu Mehta, «  The Rise of Judicial Sovereignty  », Journal of
Democracy, vol. 18, no 2, April 2007, p. 70-83.
97.   Ran Hirschl, «  Resituating the Judicialization of Politics…  », op.  cit.  ; David
Sugarman, « From Unimaginable to Possible : Spain, Pinochet and the Judicialization
of Power  », Journal of Spanish Cultural Studies, vol.  3, no  1, p.  107-124  ; Sandrine
Lefranc, « La justice dans l’après-violence politique », op. cit.
98.   C.  Neal Tate et Torbjorn Vallinder (éd.), The Global Expansion of Judicial
Power, New  York, New  York University Press, 1995  ; Carlo Guarnieri et Patrizia
Pederzoli, From Democracy to Juristocracy ? The Power of Judges : A Comparative Study
of Courts and Democracy, Oxford – New York, Oxford University Press, 2002.
99.  John Ferejohn, op. cit.
100.   Bernard Fournier et José Woehrling, «  Présentation du numéro
Judiciarisation et pouvoir politique », Politique et Sociétés, vol. 19, no 2-3, 2000, p. 4.
101.  Alec Stone Sweet, The Birth of Judicial Politics in France. The Constitutional
Council in Comparative Perspective, Oxford, Oxford University Press, 1992.
102.   Alec Stone Sweet, «  Judicialization and the Construction of Governance  »,
op. cit., p. 176.
103.  Voir la revue de la littérature internationale consacrée à cette question dans :
Jacques Commaille et Laurence Dumoulin, « Heurs et malheurs de la légalité dans les
sociétés contemporaines… », op. cit.
104.   Rainer Kopff, «  Populism and the Politics of Rights  : The Dual Attack on
Representative Democracy  », Canadian Journal of Political Science, XXXI/4,
December 1998, p. 683.
105.  Laurent Willemez, « Le sens d’une élection et les frontières de la justice. Les
controverses autour des élections prud’homales  », in  Hélène Michel et Laurent
Willemez (dir.), La Justice au risque des profanes, Paris, PUF, 2007, p. 15-30.
106.   Dominique Schnapper, Une sociologue au Conseil constitutionnel, Paris,
Gallimard, coll. NRF essais, 2010.
107.  Rainer Kopff, op. cit.
108.  Ian Brodie, Friends of the Court. The Privileging of Interest Group Litigants in
Canada, New York, State University of New York Press, 2002.
109.  Ran Hirschl, Towards Juristocracy, op. cit.
110.  Ibid.
111.  Ibid.
112.   Voir Charles  R. Epp, op.  cit., qui rapporte sans y adhérer ces analyses
critiques sur la judiciarisation du point de vue de la démocratie.
113.  Alexei Trochev, « Less Democracy, More Courts : A Puzzle of Judicial Review
in Russia », Law & Society Review, vol. 38, no 3, 2004, p. 513-548.
114.  Charles R. Epp, op. cit., p. 4.
115.  Ibid.
116.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois, op. cit. ; Jacques Commaille
et Bruno Jobert, Les Métamorphoses de la régulation politique, op. cit.
117.   Pierre Lascoumes, L’Éco-Pouvoir (environnement et politiques), Paris,
La Découverte, 1994.
118.   Le Code civil 1804-2004. Livre du Bicentenaire, Paris, Dalloz, LexisNexis
LITEC, 2004.
119.  Voir les analyses de la Chaire de responsabilité sociale et du développement
durable, Université du Québec à Montréal : http://www.crsdd.uqam.ca.
120.  Ibid.
121.   Boaventura de Sousa Santos et César  A. Rodríguez-Garavito (éd.), Law and
Globalization from Below…, op. cit.
122.  Ibid.
123.   Thierry Delpeuch, Les Courants de recherche sur les transferts de politique
publique. Une pluralité d’approches en voie de convergence, Paris, CERI, coll. Questions
de recherche / Research in Question, no 27, 2009 ; du même auteur : « Comprendre la
circulation internationale des solutions d’action publique  : panorama des policy
transfers studies », Critique internationale, no 43, 2009, p. 153-165 ; Laurence Dumoulin
et Sabine Saurugger, «  Les policy transfer studies  : analyse critique et perspectives  »,
Critique internationale, no 48, juil.-sept. 2010, p. 9-24.
124.   Jacques Commaille et Claude Martin, «  La repolitisation de la famille
contemporaine  », Comprendre. Revue de philosophie et de sciences sociales, no  2, 2001,
p. 129-149.
125.  Catherine Colliot-Thélène, Pour une politique des droits subjectifs…, op. cit.
126.  Patrice Duran, « Piloter l’action publique avec ou sans le droit ? », Politiques
et Management Public, 11 (4), 1993, p. 34.
127.  Mark Osiel, op. cit.
128.  Patrice Duran, Penser l’action publique, op. cit., p. 170.
129.  Liora Israël, L’Arme du droit, op. cit.
130.  Ibid.
131.   Jacques Commaille et Claude Martin, «  La repolitisation de la famille
contemporaine », op. cit.
132.  Ce que confirment aussi les mobilisations en France suscitées par une volonté
de résistance aux changements dans la sphère privée des individus.
133.   Jacques Commaille, Les Stratégies des femmes. Travail, famille et politique,
Paris La Découverte, coll. Textes à l’appui, série Sociologie, 1993.
134.  Marta Roca i Escoda, « Les mobilisations du droit : le cas de la loi genevoise
sur le partenariat », Droit et Société, no 76/2010, p. 569-588.
135.   Julie Allard et  al., La Vérité en procès. Les juges et la vérité politique, Paris,
LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et Société, série Recherches et Travaux, 2014, p. 69.
Voir également, dans ce même ouvrage, l’analyse d’un processus du même ordre sur la
revendication du « droit à la vérité » en Argentine : Patricia Naftali, « “Toute la vérité,
rien que la vérité” ? Les mobilisations du “droit à la vérité” dans les affaires Mignone et
Lapaco en Argentine », p. 73-93.
136.  Jacques Commaille, « Les conditions d’une démocratisation de la vie privée »,
in Daniel Borrillo et Éric Fassin (dir.), Au-delà du PACS. L’expertise familiale à l’épreuve
de l’homosexualité, Paris, PUF, coll. Politique d’aujourd’hui, 1999, p. 61-78.
137.   Myriam Smith, «  Social Movements and Judicial Empowerment  : Courts,
Public Policy, and Lesbian and Gay Organizing in Canada », Politics & Society, vol. 33,
no 2, June 2005, p. 327-353.
138.   Pierre Noreau et José Woerhling, Appartenances, institutions et citoyenneté,
Montréal, Wilson  & Lafleur, 2005. Voir également sur les obstacles susceptibles de
contrarier ces actions collectives : Sébastien Grammond, Isabelle Lantagne et Natacha
Gagné, « Aux marges de la classification officielle : les groupes autochtones sans statut
devant les tribunaux canadiens », op. cit.
139.  Jacques Caillosse, « À propos de l’analyse des politiques publiques : réflexions
critiques sur une théorie sans droit  », in  Jacques Commaille, Laurence Dumoulin et
Cécile Robert (dir.), La Juridicisation du politique…, op. cit., p.  67  ; voir également du
même auteur : « L’action publique contractuelle : beaucoup de bruit pour rien ? », Droit
et Société, no 47/ 2001, p. 285-293.
140.   Lucien Karpik, «  L’avancée de la justice menace-t-elle la République  ?  »,
Le Débat, 110, 3/2000, p. 248.
141.  Christian Bessy, Jérôme Pélisse et Thierry Delpeuch (dir.), Droit et régulations
des activités économiques : perspectives sociologiques et institutionnalistes, op. cit.
142.  Monique Sassier, Construire la médiation familiale, Paris, Dunod, 2001, p. 10.
143.  Susan Silbey, « ‘Let Them Eat Cake’… », op. cit., p. 229.
144.  Liora Israël, L’Arme du droit, op. cit.
145.   Liora Israël, «  Faire émerger le droit des étrangers en le contestant, ou
l’histoire paradoxale des premières années du GISTI  », Politix, no  62, vol.  16, 2003,
p. 115-143.
146.  Daniel Mouchard, Les « exclus » dans l’espace public. Mobilisations et logiques
de représentation dans la France contemporaine, Thèse soutenue à l’Institut d’études
politiques de Paris, 2001.
147.   Daniel Mouchard, «  Une ressource ambivalente  : les usages du répertoire
juridique par les mouvements des “sans” », Mouvements, no 29, 4/2003, p. 57.
148.  Brigitte Gaïti et Liora Israël, « Sur l’engagement du droit dans la construction
des causes », Politix, op. cit., p. 30.
149.  Liora Israël, « Faire émerger le droit des étrangers….. », op. cit.
150.   Lee Ann Banaszak, The Women’s Movement inside and outside the State,
Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
151.  Voir le dossier « Produire la loi », Droit et Société, no 40/1998, p. 505-581.
152.  Liora Israël, « Faire émerger le droit des étrangers… », op. cit.
153.  Éric Agrikoliansky, « Les usages contestataires du droit », in Olivier Fillieule,
Éric Agrikoliansky et Isabelle Sommier (dir.), Penser les mouvements sociaux. Conflits
sociaux et contestations dans les sociétés contemporaines, Paris, La  Découverte, 2010,
p. 225-243.
154.  Michael McCann, Rights at Work…, op. cit.
155.  Ibid.
156.   Gerald  N. Rosenberg, The Hollow Hope. Can Courts Bring about Social
Change ?, Chicago, The University of Chicago Press, 1991.
157.   Laurent Willemez, «  Engagement professionnel et fidélités militantes. Les
avocats travaillistes dans la défense judiciaire des salariés », Politix, vol. 16, no 62/2003,
p. 162.
158.  Ibid., p. 162.
159.  Ibid., p. 164.
160.  Vincent-Arnaud Chappe, «  La qualification juridique est-elle soluble dans le
militantisme  ? Tensions et paradoxes au sein de la permanence juridique d’une
association antiraciste », Droit et Société, no 76/2010, p. 543-567.
161.  Estelle d’Halluin-Mabillot, Les Épreuves de l’asile. Associations et réfugiés face
aux politiques du soupçon, Paris, EHESS, coll. En temps et lieux, 2012.
162.  Éric Agrikoliansky, « Les usages protestataires du droit », op. cit.
163.  Élisa Chelle, Le Gouvernement des pauvres…, op. cit.
164.  Emmanuelle Bernheim et Jacques Commaille, « Quand la justice fait système
avec la remise en question de l’État social », op. cit.
165.   Nous reprenons ici le titre de la traduction française du célèbre article de
Marc Galanter («  Why the ‘Haves’ Come Out Ahead  : Speculations on the Limits of
Legal Change  »)  : «  “Pourquoi c’est toujours les mêmes qui s’en sortent bien  ?”  :
réflexions sur les limites de la transformation par le droit  », Droit et Société, dans le
dossier coordonné par Liora Israël, «  Injustices de la justice  ? Autour de Marc
Galanter », op. cit.
166.   Jacques Commaille et Claude Martin, Les Enjeux politiques de la famille,
Paris, Bayard, coll. Société, 1998.
167.   Alan Hunt et Tarso Genro, «  Approche du droit marxiste  », in  André-Jean
Arnaud (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op.  cit.,
p. 360-361.
168.   Richard Abel, «  Critical Legal Studies  », in  André-Jean Arnaud (dir.),
Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit., p. 133.
169.   Sabine Erbès-Seguin (dir.), Le Contrat. Usages et abus d’une notion, Paris,
Desclée de Brouwer, coll. Sociologie économique, 1999, p. 11.
170.   Pierre Lantz, «  Contrat et sociologie  », dans Sabine Erbès-Seguin (dir.),
op. cit , p. 32.
171.   Marcel Gauchet, La Religion dans la démocratie, Paris, Gallimard, coll.
Le Débat, 1998, p. 85-87.
172.  Pierre Noreau et Élisabeth Wallet, « Le droit comme ressource des minorités
nationales : un modèle de mobilisation politique », in Pierre Noreau et José Woerhling
(dir.), Diversité des appartenances culturelles et aménagement des institutions politiques
et de la citoyenneté, Montréal, Wilson & Lafleur, 2003.
173.   Javier  A. Couso, Alexandra Huneeus et Rachel Sieder (éd.), Cultures of
Legality. Judicialization and Political Activism in Latin America, Cambridge, Cambridge
University Press, coll. Cambridge Studies in Law and Society, 2010  ; Rachel Sieder,
Line Schjolden et Alan Angell (éd.), The Judicialization of Politics in Latin America,
New York, Palgrave Macmillan, 2005.
174.   Pablo Rueda, «  Legal Language and Social Change during Colombia’s
Economic Crisis  », in  Javier  A. Couso, Alexandra Huneeus et Rachel Sieder (éd.),
op. cit., p. 25-50.

VII
L’IDÉAL DÉMOCRATIQUE

1.  Discours de Susan Silbey à la cérémonie de remise du titre de docteur honoris


causa à l’École normale supérieure de Cachan, Droit et Société, no 65, 2007, p. 16.
2.   Susan Silbey, Ruthanne Huising et Salo Coslovsky, «  The ‘Sociological
Citizen’ », L’Année sociologique, no 1, vol. 59/ 2009, p. 201-229.
3.  Claude Didry et Tong Wu, « “Gouverner le travail par la loi”. Conflits du travail
et luttes pour le droit dans une entreprise de Shanghaï (2003-2007) », Droit et Société,
no 76/2010, p. 589-613.
4.  Catherine Colliot-Thélène, « Pour une politique des droits subjectifs… », op. cit.
5.  Ibid.
6.  Marcel Gauchet, La Révolution des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 1989.
7.   Colette Bec, De l’État social à l’État des droits de l’homme  ?, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, coll. Res Publica, 2007. Voir également : Robin Stryker, « Half
Empty, Half Full or Neither  ? Law, Inequality and Social Change in Capitalist
Democracies », op. cit.
8.   Boaventura de Sousa Santos, Vers un Nouveau Sens Commun juridique…,
op. cit., p. 423.
9.  Ibid., p. 235.
10.  Ibid., p. 234.
11.  Ibid., p. 445.
12.   Jürgen Habermas, Droit et démocratie entre faits et normes, Paris, Gallimard,
coll. NRF essais, 1997.
13.  Michael McCann, Rights at Work…, op. cit.
14.   On trouvera une illustration de cette idée d’«  activation  » du droit par les
citoyens «  ordinaires  » d’une cité populaire de Buenos Aires dans  : Emilia Schijman,
Vivre à crédit. Pauvreté, économie et usages du droit dans un grand ensemble à Buenos
Aires, Thèse de l’Université de Paris Diderot  – Paris  7, 2013. Voir du même auteur  :
«  Une ethnographie de l’envers du droit. Contrats, pactes et économie des statuts
d’occupation dans une cité HLM », Droit et Société, no 82, 2012, p. 561-582.
15.  Michael McCann, op. cit.
16.  Michael McCann, « Law and Social Movements », The Blackwell Companion to
Law and Society, Malden (Mass.) – Oxford, Blackwell, 2004, p. 508.
17.  Ibid., p. 515.
18.  Michael McCann, Rights at Work…, op. cit.
19.  Ibid., p. 22.
20.  McCann, Rights at Work…, op. cit.
21.  Ibid.
22.  Ibid.
23.  Ibid.
24.   Gilda Nicolau, «  Recherche sur l’homme, action sur le droit. Autonomie,
pouvoir et démocratie générés in vivo  », Cahiers d’anthropologie du droit, Paris,
Karthala, 2011, p. 231.
25.  Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique, op. cit.
26.  Sandra Laugier et Albert Ogien, Le Principe démocratie…, op. cit., p. 79 et 178.
27.  Ibid., p. 273 et 275.
28.   Voir, par exemple  : Pierre Noreau (dir.), Révolutionner la justice. Constats,
mutations et perspectives d’avenir, op. cit.
29.  Pierre Rosanvallon, La Légitimité démocratique…, op. cit., p. 270-271.
30.   Sur cette question de la négociation, voir par exemple  : Aurélien Colson,
«  Penser la négociation en science politique  : retour aux sources et perspectives de
recherche  », Négociations, 2/2009, p.  95-108  ; Christophe Dupont, La Négociation
postmoderne. Bilan des connaissances, perspectives, Paris, Publibook, 2006  ; Olivier
Giraud, «  De la démocratie à la démocratie délibérative  – débats théoriques et
trajectoires nationales  », Négociations, 2/2009, p.  215-227  ; Arend Lijphart,
«  Negotiation, Democracy versus Consensus Democracy  : Parallel Conclusions and
Recommendations », European Journal of Political Research, no 41, 2002, p. 107-113.
31.  Alain Eraly, « Les limites de la négociation », in Penser la négociation, op. cit.,
p. 77. Sur un ordre négocié transnational et la démocratie délibérative en Europe et ses
potentialités, voir  : Jean De  Munck, Claude Didry, Isabelle Ferreras et Annette Jobert
(éd.), Renewing Democratic Deliberation in Europe. The Challenge of Social and Civil
Dialogue, Francfort, Peter Lang, coll. Travail et Société – Work and Society, no 73, 2012.
32.   Liliane Umubyeyi, «  Agir pour des plaignants sans parler à leur place  ? Les
enjeux autour de la représentation professionnelle des victimes de l’apartheid dans
l’espace judiciaire », Droit et Société, no 89/2015, à paraître.
33.   Sandrine Lefranc, «  La justice dans l’après-violence politique  », in  Jacques
Commaille et Martine Kaluszynski (dir.), La Fonction politique de la justice, op. cit.
34.  Programme financé par le Belgian Science Policy Office.
35.   Jacques Lenoble et Marc Maesschalck, Démocratie, droit et gouvernance,
Sherbrooke, Éditions Revue de Droit de l’Université de Sherbrooke, 2011.
36.   John Dewey, Le Public et ses problèmes, Paris, Gallimard, coll. Folio essais,
2010 (1re éd. 1927).
37.   Joëlle Zask, Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation,
Lormont, Le Bord de l’eau, 2011, p. 217.
38.   Joëlle Zask, «  Self-gouvernement et pragmatisme. Jefferson, Thoreau,
Tocqueville, Dewey », Etica & Politica / Ethics & Politics, XII, no 1, 2010, p. 119.
39.   Jürgen Habermas, Droit et démocratie, op.  cit., p.  132 et  138. Notons ici,
comme en écho, cette considération de Gilles Deleuze [Pourparlers (1972-1990), Paris,
Minuit, 2003, p. 229-230 (1re éd. 1990)], cité par Antoine Garapon, qui y voit un risque
d’exclusion des juges (La Raison du moindre État. Le néolibéralisme et la justice, Paris,
Odile Jacob, 2010, p. 228) : « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la loi, ni les lois (l’une est
une notion vide, les autres des notions complaisantes), ni même le droit ou les droits,
c’est la jurisprudence. C’est la jurisprudence qui est vraiment créatrice de droits  : il
faudrait qu’elle ne soit pas confiée aux juges. […] Ce n’est pas d’un comité de sages,
moral et pseudo-compétent, qu’on a besoin, mais d’un groupe d’usagers. C’est là qu’on
passe du droit à la politique ».
40.  Bernard Manin, « Volonté générale ou délibération ? Esquisse d’une théorie de
la délibération politique », Le Débat, no 33, janvier 1985, cité par Pierre Rosanvallon, La
Légitimité démocratique…, op. cit., p. 20.
41.  Voir sur cette question de la reconnaissance : Axel Honneth, La Lutte pour la
reconnaissance, Paris, Cerf, 2002  ; du même auteur  : La Société du mépris. Vers une
nouvelle théorie critique, Paris, La  Découverte, 2008  ; Paul Ricœur, Parcours de la
reconnaissance, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 2008.
42.   Patrick Pharo, «  Ethics, Legitimacy, and Vulnerability in Europe  »,
in Laurence Roulleau-Berger et Li Peilin (éd.), European and Chinese Sociologies. A New
Dialogue, Leiden, Brill, 2012, p. 235-244.
43.  Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution,
Paris, La  Découverte, 2005  ; du même auteur, «  Rethinking Recognition  », New Left
Review, no 3, mai-juin 2000, p. 107-120.
44.   Sur cette notion d’empowerment, voir  : Marie-Hélène Bacqué,
«  L’empowerment, un nouveau vocabulaire pour parler de la participation  ?  », Idées
économiques et sociales, op. cit., p. 25-32.
45.  Norbert Rouland, Aux confins du droit, Paris, Odile Jacob, 1991, p. 125.
46.  Camila Silva Nicacio, Des normes et des liens. Médiation et complexité juridique,
Sarrebruck, Presses académiques francophones, 2013.
47.   Daniel Mockle, «  Les principes de la nouvelle gouvernance publique  »,
in Gilles J. Guglielmi et Élisabeth Zoller (dir.), Transparence, démocratie et gouvernance
citoyenne, Paris, Panthéon-Assas, 2014, p. 89-109.
48.  Voir notamment sur les perspectives politiques ouvertes par la globalisation les
ouvrages d’André-Jean Arnaud  : Critique de la raison juridique,  2. Gouvernants sans
frontières. Entre mondialisation et postmondialisation, LGDJ-Lextenso éditions, coll.
Droit et Société, 2003  ; Entre modernité et mondialisation. Leçons d’histoire de la
philosophie du droit et de l’État, Paris, LGDJ-Lextenso éditions, coll. Droit et Société,
2e éd., 2004 (1re éd. 1997).
49.   Heather Gautney et  al. (éd.), Democracy, States, and the Struggle for Global
Justice, New York, Routledge, 2009.
50.  Jürgen Habermas, L’Espace public, Paris, Payot, coll. Critique de la politique,
1988.
51.   Rafael Domingo, The New Global Law, Cambridge, Cambridge University
Press, 2010.
52.   Mireille Delmas-Marty, Vers un droit commun de l’humanité, Paris, Textuel,
2005 (1re éd. Seuil, 1996).
53.  Ludovic Hennebel, « Les droits de l’homme dans les théories du droit global »,
in  Jean-Yves Chérot et Benoît Frydman, La Science du droit dans la globalisation…,
op. cit., p. 164.
54.  Ibid., p. 148-149.
55.  Martin Albrow, op. cit.
56.  Emilia Schijman, Vivre à crédit. Pauvreté, économie et usages du droit dans un
grand ensemble à Buenos Aires, op. cit. Voir du même auteur  : «  Une ethnographie de
l’envers du droit. Contrats, pactes et économie des statuts d’occupation dans une cité
HLM », op. cit.
57.  Mireille Delmas-Marty, «  Mondialisation et montée en puissance des juges  »,
op. cit., p. 114.
58.   L’auteure fait ici référence à son analyse  : «  Faut-il avoir peur des monstres
juridiques  ?  », in  Mireille Delmas-Marty, Les Forces imaginaires du droit, vol.  III  : La
Refondation des pouvoirs, Paris, Seuil, 2007.
59.  Ibid., p. 114.
60.   Jean-François Perrin, «  École du droit libre  », in  André-Jean Arnaud (dir.),
Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit., p. 197.
61.   Alfred Dufour, «  École du droit historique  », in  André-Jean Arnaud (dir.),
Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit., p. 193.
62.  Ibid., p. 193.
63.  Ibid., p. 194.
64.  Jean-François Perrin, « École du droit libre », op. cit., p. 197.
65.   Savigny cité par Louis Assier-Andrieu, Le Droit dans les sociétés humaines,
op. cit., p. 121.
66.   François Ost et Michel van de Kerchove, De la pyramide au réseau, op.  cit.,
p. 14.
67.  Ibid., p. 533.
68.   Ibid., p.  533 et  535. Les auteurs précités commentent ici les analyses de
Michael Walzer («  Les deux universalismes  », Esprit, no  187, décembre  1992, p.  102-
113) et de Jean-Marc Ferry (« Éthique et religion », Revue de théologie et de philosophie,
no 132, 2000, p. 325-344).
69.  Jean-Guy Belley, « Le “droit social” de Gurvitch : trop beau pour être vrai ? »,
op. cit., p. 731-746. Jean-Guy Belley fait notamment ici référence à l’ouvrage de Georges
Gurvitch, Industrialisation et technocratie, Paris, Armand Colin, 1949.
70.  Jean-Pierre Gaudin, Critique de la gouvernance…, op. cit., p. 80.
71.  Catherine Colliot-Thélène, op. cit., p. 256.
72.   Benoît Frydman et Arnaud Van  Waeyenberge (dir.), Gouverner par les
standards et les indicateurs. De Hume aux rankings, Bruxelles, Bruylant, 2014.
73.  Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie, op. cit., p. 77. Voir également du même
auteur : La Gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France (2012-2014), Paris,
Fayard, 2015. Voir également  : Kevin Davis, et  al. (éd.), Governance by Indicators.
Global Power through Quantification and Rankings, Oxford, Oxford University Press,
2012.
74.  Ibid., p. 85.
75.   Benoît Frydman, «  Prendre les standards et les indicateurs au sérieux  »,
in Benoît Frydman et Arnaud Van Waeyenberge (dir.), op. cit., p. 54.
76.   Daniel Mockle, «  Instruments de gestion  », Jurisclasseur, Québec, fasc.  5,
4 avril 2013, p. 1.
77.  Bernard E. Harcourt, Against Prediction. Policing and Punishing in an Actuarial
Age, Chicago, The University of Chicago Press, 2007.
78.  Antoine Vauchez, Démocratiser l’Europe, op. cit., p. 57.
79.  Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 224-225, cité par
Benoît Frydman, op. cit., p. 32.
CONCLUSION

1.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois…, op. cit.


2.   Bastien François, dans «  Débat en forme de conclusion et d’ouverture.
Perspectives de la sociologie des institutions  », in  Jacques Lagroye et Michel Offerlé
(dir.), Sociologie de l’institution, op. cit., p. 323.
3.   Olivier Corten, «  Introduction. “La pizza est un légume” ou la construction
juridique d’une vérité politique », in Julie Allard et al., La Vérité en procès. Les juges et la
vérité politique, op. cit., p. 7 et 15.
4.  Márcio Alves da Fonseca, Michel Foucault et le droit, op. cit., p. 217.
5.  Ibid., p. 201.
6.  Ibid., p. 181.
7.  Robert Jacob, La Grâce des juges, op. cit., p. 503.
8.  Dominique Schnapper, L’Esprit démocratique des lois, op. cit.
9.  Ibid., p. 114.
10.  Lucien Sfez, Critique de la décision, Paris, Presses de la FNSP, 4e éd., p. 423 sq.
11.  Daniel Sabbagh, L’Égalité en droit. Les paradoxes de la discrimination positive
aux États-Unis, Paris, Economica, p. 309.
12.  Patricia Naftali, La Construction du « droit à la vérité » en droit international.
Une ressource ambivalente à la croisée de plusieurs mobilisations, Thèse de l’Université
libre de Bruxelles, 2012, p. 556.
13.  Pierre Bourdieu, « La force du droit… », op. cit.
14.  Jacques Commaille, L’Esprit sociologique des lois…, op. cit.
15.   Mathieu Potte-Bonneville et Isabelle Saint-Saëns, «  Le maître ignorant.
Entretien avec Jacques Rancière  », Vacarmes, no  9, automne  1999, p.  4-8, cité par
Patricia Naftali, op. cit., p. 506.
16.  Jacques Commaille, Territoires de justice…, op. cit. ; idem, « De “l’État-Juriste”
à “l’État-Manager”. De la réforme de la carte judiciaire française de 2008 : un nouveau
modèle d’action publique sans droit », in Charles-Henry Cuin et Patrice Duran (dir.), Le
Travail sociologique…, op. cit.
17.  La Federalist Society illustre bien cette multipositionnalité de certains juristes
« jouant » de leur statut académique et du pouvoir d’influence qu’ils acquièrent au sein
des universités américaines, pour asseoir le rôle important qu’ils assurent dans le
champ politique, en l’occurrence ici au sein des courants conservateurs. Voir : Michael
Avery et Danielle McLaughlin, « How Conservatives Captured the Law », The Chronicle
Review, April 15, 2013, p. 1-12.
18.   La «  lettre  » adressée aux sénateurs et signée par «  170  juristes  » contre un
projet de loi ouvrant en France le mariage aux couples de personnes de même sexe
constitue de ce point de vue un véritable cas de «  laboratoire  » pour l’analyse du
rapport au politique que favorise la maîtrise du droit. C’est ce que dévoile
particulièrement la réplique qu’elle suscite de la part de professeurs de droit public.
Ceux-ci soulignent ce qu’ils considèrent comme le caractère idéologique de la « lettre »
concernée. Ils recourent pour cela aux arguments suivants  : «  En quoi l’alerte que
sonnent nos collègues est-elle le résultat d’un savoir proprement juridique et peut-elle,
en conséquence, s’autoriser de titres académiques, en général, et de la qualité de juriste
universitaire, en particulier ? […] Il convient donc de dénoncer la méthode fallacieuse
utilisée par nos collègues qui consiste à se fonder sur leur qualité de “juristes” pour dire
ce qui est bien et ce qu’il faut penser. […] Aucun des arguments […] n’est finalement
juridique. Il s’agit au contraire d’affirmations morales qui essentialisent des catégories
juridiques » [http://www.raison-publique.fr/article601.html]. Cette initiative fait écho à
cette considération suivant laquelle existerait « cette croyance fondamentale […] dans
les capacités du droit (et des professions qui ont le monopole de son maniement) à
ordonner le monde social, à en dire les injustices et à en proposer la réforme » (Brigitte
Gaïti et Liora Israël, «  Sur l’engagement du droit dans la construction des causes  »,
Politix, no 62, vol. 16, 2003, p. 30). Comme le souligne un philosophe du droit, « il ne lui
appartient sans doute pas [au juriste dogmaticien] de prétendre, en fonction de ses
préférences idéologiques personnelles, que les normes juridiques émises par les
pouvoirs publics ne sont pas du droit, du “vrai droit” » (Paul Amselek, « L’interpellation
actuelle de la réflexion philosophique par le droit », Droits, no 4, 1986, p. 133).
19.   Brigitte Feuillet et Maria Claudia Crespo Branco (dir.), Les Incidences de la
biomédecine sur la parenté, Bruxelles, Bruylant, 2014.
20.  Antoine Vauchez, « The Transnational Politics of Judicialization. Van Gend en
Loos and the Making of EU Polity », European Law Journal, no 1, vol. 16, January 2010,
p. 1-28.
21.  Antoine Vauchez, Démocratiser l’Europe, op. cit., p. 55.
22.   Loïc Azoulai, «  Constitution économique et citoyenneté de l’Union
européenne », Revue internationale de droit économique, no 25, 2011, p. 543-557.
23.  Antoine Vauchez, Démocratiser l’Europe, op. cit., p. 77.
24.  Stuart A. Scheingold, The Politics of Rights…, op. cit.
25.   C’est bien ce que suggère une recherche sur les effets de l’institution de
nouveaux dispositifs juridiques pour les citoyens américains souffrant de handicaps et
dans laquelle est soulignée la nécessité de ne pas s’en tenir à ce que dit le droit mais de
considérer la place qu’il occupe dans la vie des gens (et pas seulement par un recours
formel aux instances comme la justice), ce qu’ils en font, la conscience qu’ils s’en
donnent, cela dans le cadre d’une interaction, disons d’une dialectique, entre ces
dispositifs mêmes et ceux supposés en être les bénéficiaires (David  M. Engel et
Franck W. Munger, Rights of Inclusion. Law and Identity in the Life Stories of Americans
with Disabilitites, Chicago, The University of Chicago Press, 2003).
26.   Dominique Schnapper, La Communauté des citoyens. Sur l’idée moderne de
nation, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 2003 (1re éd. 1996). Une telle orientation de
la réflexion conduit à penser qu’au dépassement des schémas d’analyse prévalant dans
les années 1960-1990, il convient d’ajouter un prolongement nécessaire de certains de
ceux établis par les grandes figures fondatrices des sciences sociales, par exemple ici
pour ce qui concerne l’économie des rapports entre légalité et légitimité traitée par Max
Weber. Voir, par exemple, sur cet aspect, les perspectives ouvertes en faveur d’un tel
prolongement  : François Chazel, «  Communauté politique, État et droit dans la
sociologie weberienne : grandeur et limites de l’entreprise », L’Année sociologique, no 2,
vol. 59/2009, p. 275-301.
27.   Catherine Colliot-Thélène, «  Pour une politique des droits subjectifs…  »,
op. cit., p. 237.
Index*

 
ABADIE, Pauline N32
ABBOTT, Andrew N180
ABEL, Richard N136, N137, N168
ADDICOTT, Jeffrey F. N80
AGRIKOLIANSKY, Éric N69, N153, N162
AGUESSEAU, Henri François d’ 134, 264
AÏT-AOUDIA, Myriam N186, N187
ALBROW, Martin N2, N134, N55
ALLARD, Julie N61, N67, N156, N135, N3
ALTER, Karen J. N90
ALTHUSSER, Louis 31
ALVES DA FONSECA, Márcio N40, N78, N81, N83, N4
AMSELEK, Paul N18
ANGELL, Alan N94, N173
APTER, David E. N43
ARCHIBUGI, Daniele N49
ARCY, François d’ N54
ARENAS, Luis Carlos N129
ARENDT, Hannah 284, 317, 357, N93, N170, N61
ARNAUD, André-Jean N1, N28, N45, N17, N35, N14, N26, N95, N50, N63,
N75, N83, N91, N14, N17, N47, N60, N64, N68, N71, N167, N168,
N48, N60, N61
ARNAUD-DUC, Nicole N17
ARSLAN, Zühtü N138
ARTHURS, Harry N32
ASSER, W.D.H. N111
ASSIER-ANDRIEU, Louis N45, N4, N22, N24, N25, N13, N17, N20, N21, N34,
N44, N58, N59, N66, N68, N69, N70, N72, N74, N88, N90, N92,
N124, N132, N199, N202, N112, N115, N119, N39, N63, N78, N87,
N89, N181, N65
ASTIER, Isabelle N103
ATTAR, Mohsen al N80
AUDREN, Frédéric N92, N36, N78, N193, N7
AUERBACH, Jerold S. 125, N66, N95
AVERY, Michael N17
AZOULAI, Loïc N22
 
BACQUÉ, Marie-Hélène N44
BADIE, Bertrand N157
BADINTER, Robert N64
BAILLEAU, Francis N239
BAILLEUX, Antoine N141
BAIOCCHI, Gianpaolo N147
BANASZAK, Lee Ann N150
BANCAUD, Alain N12
BARREAU, Hervé N8
BARTHE, Yannick N27
BARZILAI, Gad N141
BASTARD, Benoît N116, N124, N127, N129, N137
BAUDOT, Pierre-Yves N222
BAUMAN, Zygmunt 255, N67
BEC, Colette N226, N7
BÉCHILLON, Denys de N173, N179
BELLEY, Jean-Guy N14, N23, N27, N31, N33, N34, N35, N48, N50, N59,
N64, N86, N62, N2, N69
BELLOT, Céline N230, N123
BELS, Marie N58, N72, N74
BENHABIB, Seyla N14
BENTHAM, Jeremy 58, 353
BERENI, Laure N22
BERGMANN, Werner N141
BERNARD, Nicolas N178
BERNHEIM, Emmanuelle N206, N230, N233, N121, N122, N164
BESSIÈRE, Céline N54
BESSIN, Marc N4, N55
BESSY, Christian N73, N101, N44, N95, N141
BEZÈS, Philippe N240
BHUIYAN, Md. Jahid Hossain N80
BIET, Christian N118
BILAND, Émilie N54, N188
BLACKSTONE, William 107
BLONDIAUX, Loïc N26
BOCOCK, Robert N72
BOIGEOL, Anne N24
BOLTANSKI, Luc N60, N98, N102, N114
BONAFÉ-SCHMITT, Jean-Pierre N85
BONNAFOUS-BOUCHER, Maria N33
BORGETTO, Michel N207, N209
BORRILLO, Daniel N136
BOSSY, Thibault N3
BOUCKAERT, Geert N240
BOULLÉE, Étienne-Louis 58
BOURDIEU, Pierre 30-33, 88, 91, 114, 279, 286, N7, N16, N43, N46, N48,
N101, N6, N55, N110, N223, N16, N108, N142, N145, N172, N182,
N188, N13
BOURETZ, Pierre N15
BOUSSAGUET, Laurie N3, N162, N167, N276, N38, N40
BOUSSARD, Valérie N71
BRANDEIS, Louis D. 69
BRAUDEL, Fernand 244, 268, N21, N107
BRINKS, Daniel M. N142, N144
BRODIE, Ian N108
BRUNET, Pierre N10
 
CADIET, Loïc N248
CAILLOSSE, Jacques N9, N21, N173, N176, N179, N187, N264, N268, N271,
N139
CALDERA, Gregory A. N65
CALLON, Michel N27
CAM, Pierre N179
CAMBACÉRÈS, Jean-Jacques-Régis de 245
CANNON, Mark W. N51, N197
CARBONNIER, Jean 20, 314, N13, N41, N94, N5, N24, N36, N42, N48, N98,
N99, N152, N53
CARDOZO, Benjamin N. N11
CARTUYVELS, Yves N228, N239, N128
CASSESE, Sabino N188
CATTO, Marie-Xavière N5, N65
CAVROIS, Marie-Luce N50
CEFAI, Daniel N180
CHAMBON, Anne-Sophie N190
CHAMBOREDON, Jean-Claude N16
CHAMPEIL-DESPLATS, Véronique N64
CHAMPY, Florent N183, N195, N200, N203
CHAPPE, Vincent-Arnaud N114, N125, N160
CHAUVAUD, Frédéric N65, N6
CHAUVIN, Sébastien N22
CHAZEL, François N46, N99, N101, N55, N53, N10, N26
CHECA, Sofia N147
CHELLE, Élisa N208, N215, N217, N251, N252, N120, N163
CHEMILLIER-GENDREAU, Monique N152, N167
CHÉROT, Jean-Yves N55, N56, N58, N60, N69, N93, N100, N53
CHESNAY, Catherine N230, N123
CHESNEAUX, Jean 260, N60, N70, N80, N84, N90, N151, N157, N189
CHEVALLIER, Jacques N34, N36, N164, N88
CHIAPELLO, Ève N44
CHOQUET, Luc-Henry N110
CHOWDHURY, Tareq M.R. N80
CLAM, Jean N49, N103
CLARK, David S. N45, N62
CLAVERIE, Élisabeth N178
COLLIOT-THÉLÈNE, Catherine 377-378, N37, N186, N7, N13, N125, N4, N71,
N27
COLSON, Aurélien N30
COLSON, Renaud N128
COMAN, Ramona N73
COMMAILLE, Jacques N1, N13, N17, N19, N46, N10, N11, N12, N40, N42,
N43, N70, N64, N99, N101, N7, N27, N30, N55, N63, N110, N118,
N152, N176, N177, N201, N12, N15, N16, N53, N90, N162, N165,
N206, N213, N216, N227, N239, N247, N256, N257, N262, N274, N52,
N93, N121, N180, N55, N72, N77, N93, N103, N116, N124, N131,
N133, N136, N139, N164, N166, N33, N1, N14, N16
CONANT, Lisa N95
CONSTANT, Benjamin 246, N34
CONTAMIN, Jean-Gabriel N111, N112
CORTEN, Olivier N74, N3
COSLOVSKY, Salo N2
COUSO, Javier A. N94, N173, N174
COUTU, Michel N32
COX, Rachel N230, N232
CRESPO BANCO, Maria Claudia N19
CRESSON, Ernest-Guillaume N24
CROWLEY, John N35, N41, N70
CUIN, Charles-Henry N15, N16
CULLEN, Richard N164
CURTIS, Dennis N55, N74
 
DALLE, Hubert N50
DAMON, Julien N218
DANET, Jean N239, N277, N125, N132, N136
DANTE ALIGHIERI 270
DAUMIER, Honoré 60
DAVIS, Kevin N73
DE ANGELIS, Massimo N102
DEBRÉ, Michel 161-162, N4, N5
DEDEK, Helge N25, N39
DE LEEUW, Magdalena N25
DELEUZE, Gilles 179, N32, N36, N81, N39
DELMAS-MARTY, Mireille 374, N63, N89, N52, N57, N58
DELPEUCH, Thierry N18, N73, N44, N95, N123, N141
DE MUNCK, Jean N31
DESROCHES, Dominique N179, N186
DE WAELE, Jean-Michel N73
DEWEY, John 368, N1, N36
DEZALAY, Yves N4, N50, N57, N58, N62, N131, N132, N143, N167, N154
DIDRY, Claude N3, N31
DJELIC, Marie-Laure N57, N65, N75, N78, N82, N84, N105, N106
DOMAT, Jean 323
DOMINGO, Rafael N51
DUBAR, Claude N71, N3, N15, N173
DUBET, François N97, N198, N1
DUBOIS, Christophe N2
DUBOIS, Vincent N110
DUFOUR, Alfred N61
DUFOURNET, Hélène N51
DUGUIT, Léon 19, N11
DUMOULIN, Laurence N18, N75, N176, N227, N118, N72, N77, N93, N103,
N123, N139
DUPONT, Christophe N30
DUPRÉ DE BOULOIS, Xavier N29, N76, N77, N78, N82
DUPRET, Baudouin N162
DURAN, Patrice N91, N15, N158, N160, N171, N177, N178, N181, N184,
N185, N188, N219, N220, N221, N269, N6, N11, N15, N126, N128,
N16
DURKHEIM, Émile 22, 26, 241, 245, 248, 281, 285, 311, N72, N52, N11,
N12, N150
DUVERGIER, Jean-Baptiste N117
DWORKIN, Ronald N26, N84
 
EBERHARD, Christoph N39, N85
EDELMAN, Lauren B. N113, N94
EDELMAN, Murray N12
EHRLICH, Eugen 69, 72, N13, N28
ELIAS, Norbert 242, N10, N17, N20
ELSTER, John N14
ENGEL, David M. N147, N25
ENGLE MERRY, Sally N16
EPP, Charles R. N81, N112, N114
EPSTEIN, Lee N204
ERALY, Alain N31
ERBÈS-SEGUIN, Sabine N169, N170
ESMEIN, Jean Hippolyte Emmanuel Esmein, dit Adhémar 99, N70
EVAN, William M. N43
EVANS-PRITCHARD, Ambrose 279
EVRARD, Aurélien N3
EWICK, Patricia N21, N72
 
FAGET, Jacques N85
FALK MOORE, Sally N26
FARCY, Jean-Claude N61, N67, N57
FASSIN, Éric N136
FAVEREAU, Olivier N101
FAVRE, Pierre N15
FEELEY, Malcolm M. N53, N134, N135, N137, N138, N140, N141, N142,
N145, N189, N237, N255
FELIX, Catherine N180
FEREJOHN, John N195, N99
FERLIE, Ewan N240
FERREIRA, António Casimiro N212
FERRERAS, Isabelle N31
FERRY, Jean-Marc N68
FETTE, Julie N56
FEUILLET, Brigitte N19
FIELD, Stewart N128
FIERRO, Annette N73
FILLIEULE, Olivier N69, N153
FILLOD-CHABAUD, Aurélie N54
FITZPATRICK, Peter N104, N114, N79
FOUCAULT, Michel 29-32, 58, 86, 207, 276, 288, 380, 383-384, N31, N40,
N41, N45, N47, N54, N78, N80, N135, N79
FOUILLEUX, Ève N25
FOURNIER, Bernard N100
FOYER, Jean N4
FRANÇOIS, Bastien N175, N54, N2
FRASER, Nancy N43
FRENCH, Rebecca R. N6
FREUND, Julien N25
FRIEDMAN, Lawrence M. N31, N111, N116, N120, N130
FROUVILLE, Olivier N66, N67
FRYDMAN, Benoît N55, N56, N58, N60, N69, N93, N100, N53, N72, N75,
N79
FU Hualing N164
FURET, François N120
 
GABORIAU, Simone N93, N109
GAGNÉ, Natacha N230, N138
GAGNON, Alain-G. N20
GAÏTI, Brigitte N51, N148, N18
GALANTER, Marc N54, N165
GALEMBERT, Claire de N18, N48, N44, N112
GARAPON, Antoine N52, N76, N16, N61, N67, N71, N156, N133, N78, N39
GARCÍA VILLEGAS, Mauricio N42, N6, N7, N8, N20, N12, N18, N19, N26, N37
GARDELLA, Édouard N180, N184
GARTH, Bryant N4, N50, N57, N58, N62, N131, N132, N143, N167, N154
GAUCHET, Marcel N97, N171, N6
GAUDEMET, Yves-Henri N133, N148
GAUDIN, Jean-Pierre N170, N258, N70
GAUDREAULT-DESBIENS, Jean-François N168, N21
GAULLE, Charles de 54, N44, N56
GAUTNEY, Heather N132, N137, N139, N140, N147, N49
GEERTZ, Clifford 76, 279, N43
GENRO, Tarso N28, N167
GEORGE, Tracy E. N204
GÉRARD, Philippe N126, N152, N178
GERRY-VERNIÈRES, Stéphane N175
GHOSH, Amitav N127
GIANFORMAGGIO, Letizia N35
GIDDENS, Anthony 278, N156
GILLMAN, Herbert N203
GIRAUD, Olivier N30
GIZBERT STUDNICKI, Tomasz N82
GLICK, Henry R. N42, N9, N18, N201
GOLDMAN, David B. N25, N33, N152
GOMEZ, Pierre-Yves N32
GOULD, Carol C. N140
GRAMMOND, Sébastien N230, N138
GRAMSCI, Antonio 190, N109
GRAWITZ, Madeleine N64, N88, N9, N58
GRAY, Andrew N241
GREENHOUSE, Carol J. N65, N94, N23, N159, N166
GRIFFITHS, John N25
GROSDIDIER, Jean N1
GROSS, David N44, N81, N83
GROSSIN, William N149, N160
GROSSMAN, Joel B. N231
GRUEL, Louis N53, N89
GUARNIERI, Carlo N145, N98
GUATTARI, Félix N81
GUGLIELMI, Gilles J. N47
GUIBENTIF, Pierre N38, N77, N80, N84, N59, N71
GUICHARD, Augustin-Charles N116
GUILLAUME-HOFNUNG, Michèle N85
GURVITCH, Georges 72-73, 293-294, 377, N51, N63, N13, N69
GUSFIELD, Joseph N11, N44
 
HAARSCHER, Guy N68
HAAS, Peter M. N3
HABERMAS, Jürgen 196, 302, 316, 359, 368, 372, N76, N133, N14, N16, N69,
N12, N39, N50
HAKIM, Nader N82
HALBWACHS, Maurice 285, N175, N176
HALL, Stuart N72
HALLIDAY, Terence C. N134, N135, N137, N138, N140, N141, N142, N145
HALLUIN-MABILLOT, Estelle d’ N161
HALPÉRIN, Jean-Louis N92, N36, N72, N193, N7
Hamlet (personnage de Shakespeare) 257
HARCOURT, Bernard E. N77
HARDT, Michael N34
HART, Herbert 91, N134
HARTOG, François N56, N58, N133
HARTSOCK, Nancy C.M. N22
HASSENTEUFEL, Patrick N163, N164
HAYEK, Friedrich 50
HAYES, Graeme N18
HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich 386
HELD, David N48, N49
HELFER, Laurence R. N169
HENNEBEL, Ludovic N56, N53
Hermès (divinité) 84
HERPIN, Nicolas N54
HERRERA, Carlos Miguel N100
HILBINK, Lisa N140
HIRSCHL, Ran N173, N196, N97, N109
HIRSCHMAN, Albert O. 218, 270, N214, N43
HOFFMANN, Stanley N170, N70
HOLMES, Oliver Wendell 106-107, N33
HONNETH, Axel N41
HOOD, Christopher N240
HOROWITZ, Donald L. N39, N198, N202, N205, N91
HOUTZAGER, Peter N153
HUGHES, Owen E. N245
HUISING, Ruthanne N2
HUNEEUS, Alexandra N94, N173, N174
HUNT, Alan N28, N21, N167
HUREL, Benoist N201, N256
 
ILHANA, Daniela N91
INNERARITY, Daniel N179, N186
ISAMBERT, François N53
ISRAËL, Liora N30, N69, N11, N47, N49, N50, N51, N77, N84, N151, N156,
N188, N193, N1, N234, N129, N144, N145, N148, N149, N152, N165,
N18
 
JACOB, Herbert N41, N73, N74
JACOB, Robert N49, N51, N56, N57, N66, N63, N63, N7
JACOBSSON, Bengt N57, N78, N84
JACQUOT, Sophie N3, N162, N167, N276
JAMIN, Christophe N185
Janus (divinité) 96
JAUNAIT, Alexandre N22
JEAN, Jean-Paul N50
JENKINS, Bill N241
JHERING, Rudolf von 86, N74, N75
JOBERT, Bruno N8, N165, N261, N276, N116, N31
JOERGES, Christian N43
JOHNSEN, Jon T. N117
JORDANA, Jacint N89
Jupiter (divinité) 375
 
KAFKA, Franz N36
KALUSZYNSKI, Martine N29, N76, N77, N78, N82, N93, N33
KANT, Emmanuel 52, 179, 242, 281, N79
KANTOROWICZ, Ernst H. 49, 62, N10, N16, N22, N23, N69
KARPIK, Lucien N19, N23, N127, N128, N134, N135, N137, N138, N140,
N141, N142, N145, N147, N140
KATOVICH, Michael A. N9, N31
KELEMEN, R. Daniel N65
KENNEDY, Duncan N40, N194, N94, N142, N87
KERCHOVE, Michel van de N36, N99, N62, N27, N29, N74, N126, N129, N152,
N178, N2, N66
KLABBERS, Jan N186
KOPFF, Rainer N104, N107
KORINE, Harry N32
KORNHAUSER, Lewis A. N270
 
LABRÈCHE, Diane N21
LAFORE, Robert N207, N209
LAGROYE, Jacques N64, N2, N9, N88, N9, N58, N2
LAÏDI, Zaki N155
LALLEMENT, Michel N149, N194
LANGER, Maximo N134
LANTAGNE, Isabelle N230, N138
LANTZ, Pierre N170
LARMINAT, Xavier de N277, N131
LASCOUMES, Pierre N3, N6, N88, N90, N121, N164, N166, N167, N180, N276,
N102, N181, N27, N117
LAUFER, Jacqueline N12
LAUGIER, Sandra N86, N18, N26
LAURENS, Sylvain N108
LE BÈGUE, Gilles N149
LE BIANIC, Thomas N184
LE BOURHIS, Jean-Pierre N88
LECA, Jean N64, N88, N9, N58
LEFRANC, Sandrine N34, N91, N93, N97, N33
LE GALÈS, Patrick N164, N166, N276
LEGENDRE, Pierre 49, N6, N14, N16, N19, N37, N96, N82, N271, N71, N77,
N78
LE GOFF, Jacques N31
LEGRAND, Pierre N68
LEJEUNE, Aude N68, N46
LENOBLE, Jacques N35
LENOIR, Rémi N121
LÉPINARD, Éléonore N25
LE ROY, Étienne N85
LEVI-FAUR, David N89
LÉVI-STRAUSS, Claude 279
LÉVY-BRUHL, Henri 19, N12
LI Peilin N42
LICOPPE, Christian N75, N118
LIJPHART, Arend N30
LIKOSKY, Michael N152
LIPSKY, Michael N109
LOBO DE SOUZA, Ielbo Marcus N68
LOCKE, John 27
LUKES, Steven N24
LYNN, Lawrence E. N240
LYOTARD, Jean-François 255, N69
 
MACAULAY, Stewart N85
MAESSCHALCK, Marc N35
MAINE, Henry Sumner 353
MANIN, Bernard N40
MANSBRIDGE, Jane N14
MARCHAL-JACOB, Nadine N56
MARCOU, Gérard N26
MARIE, Jean-Bernard N60
MARRANI, David N52
MARTIN, Claude N124, N131, N166
MARTIN, Gilles N49, N103
MARTUCCELLI, Danilo N210
MARX, Karl 66-67, 312, 353, N181
MASUR, Amy G. N12
MATTEI, Ugo N65
MAUSS, Marcel 27, 242, N26, N12
MAXEINER, James R. N186
MAZEAUD, Pierre N4
MBILINYI, Marjorie N153
MCADAM, Doug N46
MCCANN, Michael W. N13, N154, N13, N15, N16, N18, N20
MCLAUGHLIN, Danielle N17
MEDEMA, Steven G. N94
MEDJAD, Karim N44
MEHTA, Pranap Bhanu N96
MERCURO, Nicholas N94
MERRYMAN, John Henry N18
MERTZ, Elizabeth N193
MEYERS, Diana Tietjens N22
MEZGHANI, Ali N161, N187
MICHAUT, Françoise N17, N19, N20
MICHEL, Hélène N105
MINCKE, Christophe N126
MIRABEAU, Honoré-Gabriel Riqueti, comte de N6
MISHRA, Pankaj N128
MOCKLE, Daniel N176, N242, N250, N265, N272, N275, N47, N76
MONTESQUIEU, Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de 57, 107, 226,
250, 375, N51, N1
MORAVCSIK, Andrew N39
MORGAN, Glenn N105
MORIN, Edgar 312
MÖRTH, Ulrika N84
MOUCHARD, Daniel N126, N146, N147
MOUHANNA, Christian N129
MOULIN, Laure-Estelle N50
MULCAHY, Linda N50, N59, N68, N75
MUNGER, Frank W. N25
MURNANE, Ciaron N80
MUTUA, Makau N126
 
NAFTALI, Patricia N92, N135, N12, N15
NANDRIN, Jean-Pierre N49, N58, N87
NEGRI, Antonio N34
NELKEN, David N14
NEWMAN, Peter N94
NICOLAU, Gilda N85, N24
NOREAU, Pierre N50, N114, N115, N138, N172, N28
 
O’BRIEN, David M. N51, N197
OCQUETEAU, Frédéric N54
OFFERLÉ, Michel N2, N2
OGIEN, Albert N86, N18, N26
OLIVER, Dawn N72, N119
OLLITRAULT, Sylvie N18
OSIEL, Mark N158, N127
OST, François N2, N15, N36, N71, N94, N98, N99, N62, N228, N5, N14,
N27, N28, N29, N32, N38, N40, N49, N61, N63, N68, N74, N76, N79,
N93, N101, N103, N126, N129, N152, N163, N171, N175, N178, N2,
N66
OZOUF, Mona N120
 
PAPADOPOULOS, Iannos N52, N115
PARKINSON, John N14
PARSONS, Talcott N27, N22, N43
PASSERON, Jean-Claude N16
PAULIAT, Hélène N93
PEDERZOLI, Patrizia N98
PÉLICAND, Antoine N182
PÉLISSE, Jérôme N73, N113, N44, N95, N183, N141
PERRIN, Jean-François N17, N60, N64
PES, Luca G. N65
PFERSMANN, Otto N60
PHARO, Patrick N96, N99, N100, N42
PIERSON, Paul N1
PINTO, Louis N101
POLANYI, Karl 188
POLLITT, Christopher N240
POMADE, Adélie N68
PORTALIS, Jean-Étienne-Marie 98, 254
POTTE-BONNEVILLE, Mathieu N15
POUND, Roscoe 69
Prométhée (personnage mythologique) 257
PROSSER, Tony N72
PUREZA, José Manuel N87
 
RANCIÈRE, Jacques 395
RANGEON, François N26
RASSAT, Michèle-Laure N153
RAVINET, Pauline N3, N162, N167, N276
RAWLINGS, Richard N72
RENARD, Didier N173, N179
RENDTORFF, Jacob Dahl N33
RESNIK, Judith N55, N74, N40, N119
REVILLARD, Anne N22, N222
REVON, Christian N84
REYNAUD, Jean-Daniel N73
RHEE, Cornelis Hendrik van N111, N112
RICŒUR, Paul 285, N177, N41
RIGAUX, François N27
RIPERT, Georges 246, 256, N28, N35, N37
ROBERT, Cécile N227, N139
ROCA I ESCODA, Marta N134
ROCHER, Guy N30, N32
RODRÍGUEZ-GARAVITO, César A. N70, N87, N102, N123, N129, N148, N153,
N121
ROMAN, Diane N71
ROMANO, Santi 72, 174, N29
ROSA, Hartmut N19, N43, N64, N86, N96, N100, N105, N139, N153, N169,
N172
ROSANVALLON, Pierre 232, N122, N211, N260, N3, N4, N42, N74, N84, N86,
N87, N25, N29, N40
ROSENBERG, Gerald L. N200, N92, N156
ROTHMAYR-ALLISON, Christine N244
ROULAND, Norbert N26, N45
ROULLEAU-BERGER, Laurence N42
ROUSSEAU, Jean-Jacques 48
ROUSSEAUX, Xavier N65, N1, N93
ROUSSEL, Violaine N87, N89
ROUSSELET, Marcel N62
ROZENBERG, Olivier N48
RUBIN, Edward L. N53, N189, N237, N255
RUEDA, Pablo N174
RUSIMBI, Mary N153
 
SAADA, Emmanuelle N111
SABBAGH, Daniel N11
SACRISTIE, Guillaume N150
SAEZ, Guy N54
SAHLIN-ANDERSSON, Kerstin N57, N65, N75, N78, N82, N84, N105, N106
SAILLANT, Francine N66
SAINT-PIERRE, François N50
SAINT-SAËNS, Isabelle N15
SAKRANI, Raja N126
SALAS, Denis N79
SAND, Inger-Johanne N43
SARAT, Austin N47
SARKOZY, Nicolas 230
SASSEN, Saskia 168, 189, N28, N35, N36, N43, N45, N108, N143, N144,
N145, N149, N151
SASSIER, Monique N142
SAURUGGER, Sabine N123
SAVIGNY, Friedrich Carl von 68, N89, N65
SAYN, Isabelle N110
SCHEINGOLD, Stuart A. N25, N41, N44, N47, N48, N52, N24
SCHIFF BERMAN, Paul N40, N41, N47, N49, N74, N77
SCHIJMANN, Emilia N14, N56
SCHJOLDEN, Line N94, N173
SCHNAPPER, Dominique N21, N5, N22, N57, N106, N8, N26
SCHOENAERS, Frédéric N2
SCHÜTZ, Gabrielle N54
SCULL, Andrew N24
SEGRESTIN, Denis N29
SEIDLE, F. Leslie N241
SELLERS, Mortimer N.S. N186
SEN, Amartya N172
SEROUSSI, Julien N141
SÈVE, René N52, N115
SFEZ, Lucien N10
SHAFFER, Gregory N27
SHAKESPEARE, William 40
SHAPIRO, Martin N2, N4, N3, N38, N60, N1, N85
SIEDER, Rachel N94, N173, N174
SILBEY, Susan S. N1, N21, N72, N143, N1, N2
SILVA NICÁCIO, Camila N85, N46
SIMMEL, Georg 248, N44
SIMOULIN, Vincent N180
Sisyphe (personnage mythologique) 376
SIZER, Theodore R. N27
SLAUGHTER, Anne-Marie N165, N166, N169, N171
SMITH, Christopher E. N61, N67, N40, N86
SMITH, Myriam N137
SMITH, Neil N139
SMOLEJ, Mirka N117
SOMMIER, Isabelle N69, N85, N153
SOUBIRAN, Francine N46, N54
SOUBIRAN-PAILLET, Francine N46
SOUSA SANTOS, Boaventura de N23, N24, N70, N73, N87, N102, N117, N118,
N123, N124, N129, N135, N146, N148, N153, N158, N50, N121, N8
SPENCER, Herbert 353
SPIRE, Alexis N104, N111
STELMACH, Jerzy N82
STIGLITZ, Joseph 185, N92
STONE SWEET, Alec N2, N4, N3, N60, N238, N80, N85, N101, N102
STRICKLER, Yves N248
STRYKER, Robin N113, N225, N7
STUMPF GONZALEZ, Rodrigo N64
SUE, Roger N7
SUGARMAN, David N97
SUPIOT, Alain N26, N172, N96, N101, N103, N185, N73
SUTTER, Laurent de N1, N2, N81
SYLVESTRE, Marie-Ève N230, N236, N123
 
TACKETT, Timothy N146
TAINE, Hippolyte N20
TAMANAHA, Brian Z. N23, N25
TARDIF, Julien N180
TATE, C. Neal N98
TEUBNER, Gunther N24, N43
THÉRY, Irène N118
THÉVENOT, Laurent N98, N114
THIBAULT, Françoise N19
THOEMMES, Jens N180
THOURET, Antony 60-61, N116
TOCQUEVILLE, Alexis de 108, 124, N92
TONG Wu N3
TÖNNIES, Ferdinand 67-68, N11
TRIPIER, Pierre N71
TROCHEV, Alexei N113
TRUCHON, Karoline N66
TULLY, James N20
 
UMUBYEYI, Liliane N32
UTRIZA, Ayang N162
 
VALLINDER, Torbjorn N98
VAN CAMPENHOUDT, Luc N2, N45
VANDERLINDEN, Jacques N26
VAN HOECKE, Mark N5, N38, N40, N68, N79, N82, N129
VANNAHME, Joachim-Fritz N172
VANNEUVILLE, Rachel N186, N187
VAN PRAAGH, Shaun N25, N39
VAN WAEYENBERGE, Arnaud N72, N75
VAUCHEZ, Antoine N22, N160, N161, N234, N41, N78, N20, N21, N23
VERNICOS, Geneviève N39, N85
VERNIER, Dominique N50, N119
VIGOUR, Cécile N48, N246
VION, Antoine N184
VIRALLY, Michel N22
VRANCKEN, Didier N210, N2
 
WACQUANT, Loïc N223
WALLERSTEIN, Immanuel N152
WALLET, Élisabeth N172
WALZER, Michael N68
WEBER, Max 18, 43, 88, 103, 147, 161, 169, 248, 300, 322, 377, N10, N2,
N34, N186, N8, N26
WEIDENFELD, Katia N111
WELLER, Jean-Marc N110
WHITTINGTON, Keith E. N65
WILLEMEZ, Laurent N125, N105, N157
WOEHRLING, José N100, N138, N172
 
ZANDER, Hartwig N3, N6, N181
ZASK, Joëlle N37, N38
ZOLLER, Élisabeth N47

*. Établi par Thomas POGU.


© Éditions Gallimard, 2015.

Couverture : Illustration de Julien Pacaud.

Éditions Gallimard
5 rue Gaston-Gallimard
75328 Paris
http://www.gallimard.fr
DU MÊME AUTEUR

Aux Éditions LGDJ

NORMES JURIDIQUES ET RÉGULATION SOCIALE (dir. avec François Chazel), coll.


Droit et Société, 1991.
POLITIQUE DES LOIS EN EUROPE. La filiation comme modèle de comparaison (dir.
avec Louis Assier-Andrieu), coll. Droit et Société, 1995.
LES MÉTAMORPHOSES DE LA RÉGULATION POLITIQUE (dir. avec Bruno Jobert),
coll. Droit et Société, 1999.
LA JURIDICISATION DU POLITIQUE (dir. avec Laurence Dumoulin et Cécile Robert),
coll. Droit et Société, 2010.

Aux Éditions La Découverte

LES STRATÉGIES DES FEMMES. Travail, famille et politique, coll. Textes à l’appui,
1993.
LA POLITIQUE DE LA FAMILLE (avec Pierre Strobel et Michel Villac), coll. Repères,
2003.
LA FONCTION POLITIQUE DE LA JUSTICE (dir. avec Martine Kaluszynski), coll.
Recherches, série Territoires du politique, 2007.

Aux Presses universitaires de France

L’ESPRIT SOCIOLOGIQUE DES LOIS. Essai de sociologie politique du droit, coll.


Droit, éthique, société, 1994.
TERRITOIRES DE JUSTICE. Une sociologie politique de la carte judiciaire, coll. Droit
et justice, 2000.

Chez d’autres éditeurs

MISÈRES DE LA FAMILLE, QUESTION D’ÉTAT, Presses de Sciences Po, 1996.


LES NOUVEAUX ENJEUX DE LA QUESTION SOCIALE, Hachette, coll. Questions de
politique, 1997.
LES ENJEUX DE LA POLITIQUE DE LA FAMILLE (avec Claude Martin), Bayard, coll.
Société, 1998.
Jacques Commaille
À quoi nous sert le droit ?
Libre-échange mondialisé, développement des nouvelles technologies financières
ou culturelles, juridictions nationales contre Cour européenne, mais aussi recours
d’ouvriers licenciés contre des plans sociaux, actions collectives d’actionnaires ou
procès d’irradiés pour mise en danger de la vie d’autrui : il n’est de jour où se
produisent, sous nos yeux, des mutations contemporaines du droit.
Or la situation du droit est des plus paradoxales : pratique qui vise à ordonner les
rapports sociaux et les échanges économiques, son importance pour le
fonctionnement des sociétés et pour sa compréhension conduit trop souvent encore
la Faculté à enseigner le droit comme un savoir strictement clos sur lui-même, qui
se construit théoriquement en s’interrogeant seul sur sa propre rationalité et ses
fondements. Le droit serait, en surplomb des sociétés, une norme.
Chaque jour, mobilisé au coeur de la société pour faire avancer des revendications
ou atténuer des obstacles à la libre circulation des biens, le droit est une source,
dont s’inspirent, par exemple, citoyens ou lobbies pour faire triompher leurs causes.
En ce sens, nul ne peut échapper désormais à la question : à quoi aujourd’hui sert le
droit ?
Cette édition électronique du livre
À quoi nous sert le droit ? de Jacques Commaille
a été réalisée le 16 octobre 2015 par les Éditions
Gallimard.
Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage
(ISBN : 9782070446742 - Numéro d’édition : 239792).
Code Sodis : N51924 - ISBN : 9782072465147.
Numéro d’édition : 239794.
 
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo

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