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Psychologie Du Développement
Psychologie Du Développement
Raphaële Miljkovitch
Professeur de psychologie du développement, université Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Françoise Morange-Majoux
Maître de conférences en psychologie du développement, université Paris 8, laboratoire de
psychopathologie et processus de Santé (EA 4057), université Paris-Descartes.
Emmanuel Sander
Professeur de psychologie du développement et de l'éducation, université Paris 8, laboratoire
Paragraphe.
Table des matières
Couverture
Page de titre
Page de copyright
Les auteurs
Introduction
Première partie : Les modèles du développement
Conclusion
Conclusion
Conclusion
Le conditionnement classique
L'apprentissage opérant
Conclusion
Conclusion
La notion de l'intelligence
La relation entre les types de sociétés, les conceptions de la notion de soi et les styles cognitifs
Conclusion
De l'impossible et de l'improbable
Conclusion
Conclusion
L'appartenance culturelle
Conclusion
Le développement de la perception
Le développement de la motricité
Conclusion
Conclusion
Conclusion
Conclusion
Les capacités de prise de décision chez l'adulte : un rôle prépondérant des émotions ?
Les capacités de jugement sur l'incertitude et l'apprentissage à l'inhibition d'un biais émotionnel
Conclusion
Interaction et intersubjectivité
Le bébé explorateur
Conclusion
Chapitre 16: Le développement des représentations : de la relation à la cognition
Introduction
La fonction des MIO : faire des inférences à partir d'un processus d'analogie
Conclusion
Lectures conseillées
Partie 3: L'éducation
Conclusion
Les recherches en éducation et sur les apprentissages menées dans le cadre de la TAD
Conclusion
Conclusion
Chapitre 20: Les connaissances issues de la vie quotidienne et les apprentissages
scolaires
Introduction
Conclusion
Conclusion
Perspectives : vers l'étude des processus mis en jeu au cours de l'activité de compréhension
Conclusion
Conclusion
Lectures conseillées
Conclusions
Lectures conseillées
Conclusion
Le retard mental
La schizophrénie
L'autisme
Conclusion
L'attachement désorganisé
Conclusion
Le handicap intellectuel
Le handicap auditif
Conclusion
Les méthodes d'intervention éducative et thérapeutique auprès des enfants avec TSA
Description du TDAH
Conclusion
Conclusion
Prévalence et comorbidités
Conclusions
Lecture conseillée
Chapitre 33: Les addictions et troubles des conduites alimentaires
Introduction
Conclusion
L'épidémiologie
La prévention
Le traitement
Conclusion
Lecture conseillée
Le phénomène de la maltraitance
Conclusion
Conclusion
Les conséquences négatives associées à l'utilisation des TICs chez l'enfant et l'adolescent
Conclusion
La vie amoureuse
Conclusion
Lectures conseillées
Conclusion
Exemples de méthodes
Les questionnaires
Les entretiens
La sociométrie
Conclusion
Conclusion
Les orientations
Le bilan psychologique
Conclusion
Site conseillé
Chapitre 45: La méthode d'intervention auprès des parents et de leur jeune enfant
Introduction
Étude de cas
Conclusion
Les indications et posologies de tous les médicaments cités dans ce livre ont été
recommandées dans la littérature médicale et concordent avec la pratique de la
communauté médicale. Elles peuvent, dans certains cas particuliers, différer des normes
définies par les procédures d'AMM. De plus, les protocoles thérapeutiques pouvant
évoluer dans le temps, il est recommandé au lecteur de se référer en cas de besoin aux
notices des médicaments, aux publications les concernant et à l'Agence du médicament.
L'auteur et l'éditeur ne sauraient être tenus pour responsables des prescriptions de
chaque médecin.
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La théorie constructiviste de Jean Piaget
Les limites de la théorie piagétienne
Les nouvelles théories du développement : l'après-Piaget
Conclusion
Introduction
La fin du XIXe siècle marque un tournant pour la psychologie du développement :
affranchie de la philosophie en se dotant de méthodes scientifiques fiables, objectives et
reproductibles, elle peut proposer grâce à des chercheurs comme Baldwin ou Claparède
des modèles afin de rendre le développement plus lisible, cohérent, concret et
accessible. Dans ce domaine Jean Piaget fait figure de pilier, tant par l'originalité de sa
théorie que par son ampleur, dégageant des principes de développement qui s'étendent
de 0 à 16 ans. Sa théorie, qu'il définit comme constructiviste, les connaissances s'élaborant
et se construisant activement au cours du temps, donne un cadre fondateur à la
psychologie du développement en déterminant les acquisitions habituellement réalisées
à chaque âge. Elle va incontestablement favoriser et faire émerger au cours des
décennies qui suivent, et jusqu'à aujourd'hui, un formidable foisonnement de réflexions
et théories, tantôt convergentes, tantôt divergentes. Les nouvelles méthodes et
techniques apparues à la fin du XXe siècle (méthodes d'observation des bébés, IRMf, etc.)
vont permettre à la fois d'affiner, moduler, voire modifier la conception du
développement imaginée par Piaget pour dessiner un développement dynamique et
complexe fait de biais perceptifs, de stratégies cognitives, de régularités, d'inhibitions,
de processus attentionnels, de motivations où le milieu, qu'il soit social ou physique,
participe activement.
La théorie constructiviste de Jean Piaget
Jean Piaget (1896−1980) considère le développement comme un processus dont la
motivation première vient du sujet lui-même qui expérimente et explore le monde. Le
petit d'homme est donc envisagé comme un savant en herbe plutôt qu'un petit apprenti
sous l'influence de l'extérieur comme le propose Vygotsky (cf. chapitre 2). Dans sa
conception, le sujet est actif, il se construit au cours d'échanges dialectiques entre lui et le
milieu par la perception qu'il a de son environnement, les actions qu'il peut faire sur lui
et les conséquences qu'il perçoit de ses actions (concept
2
d'assimilation/accommodation) . La logique et le raisonnement sont la forme optimale
de l'adaptation biologique (donc du cerveau) et cette adaptation n'est possible que par
l'activité opératoire du sujet lui-même et des sources d'équilibration qu'elle comporte.
Éléments biographiques
Né à Neuchâtel le 9 août 1896, Jean Piaget commence sa carrière scientifique à 11 ans en
écrivant un article sur l'observation d'un moineau albinos. Passionné d'histoire
naturelle, il publie en 1912 un article sur les mollusques d'eau douce vivant dans les lacs
suisses. En 1918, il publie Recherche, un roman philosophique religieux et obtient la
même année son doctorat en sciences naturelles. Il rejoint en 1919 le laboratoire d'Alfred
Binet à Paris et s'intéresse à la question de la logique chez l'enfant. Puis il s'installe en
1921, à l'Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève et se consacre alors à l'étude de la
pensée chez l'enfant jusqu'en 19803. Il décède à l'âge de 84 ans.
Discussion
Le modèle dessiné par Piaget permet d'expliquer et décrire les acquisitions
habituellement réalisées à chaque âge et comment ces acquisitions d'une complexité
croissante s'organisent selon un processus d'équilibration progressive en une suite
d'étapes qui définissent des stades successifs dont l'ordre reste le même pour tous les
enfants. Ces stades peuvent s'apparenter à des marches d'escalier, où chaque marche
franchie correspondrait à un progrès dans la genèse de l'intelligence dite « logico-
mathématique » : ainsi, l'enfant passe d'une intelligence sensori-motrice (0−2 ans), basée
sur ses sens et ses actions, à une intelligence conceptuelle et abstraite chez l'enfant
(2−12 ans), l'adolescent (12−16 ans) et enfin chez l'adulte. Ces stades répondent à un
certain nombre de critères comme la constance dans la succession des stades : chaque
stade a une structure particulière et chaque nouvelle structure se construit sur la
précédente et l'intègre. Piaget admet toutefois des écarts entre les vitesses de
développement des différentes capacités mentales par rapport aux vitesses moyennes.
Ce décalage permet de rendre compte des variabilités phénotypiques7 plus ou moins
importantes et de déterminer des profils de développement selon des catégories
d'individus. Pour autant, la théorie de Piaget se veut universelle : elle postule que tous
les sujets construisent les mêmes structures, selon les mêmes processus et dans le même
ordre.
La théorie de Case
Le psychologue canadien Robbie Case (décédé prématurément en 2000) propose quant
à lui un modèle où la mémoire de travail14 est un élément clef du développement. Il
garde de la théorie piagétienne l'idée que l'enfant est acteur de son développement
(constructivisme), et qu'il y a des structures liées les unes aux autres (structuralisme).
Pour autant chez Case (1985), ces structures ne se définissent plus par la logique, mais
par leur niveau de complexité. Et s'il emprunte à Pascual-Leone l'idée d'une capacité
limitée de traitement, il postule que cette capacité n'est pas seulement subordonnée à la
croissance nerveuse, mais aussi à l'optimisation de son usage : ainsi, ce ne serait pas la
capacité totale de stockage qui augmenterait, mais l'espace de stockage qui
augmenterait au fur et à mesure que l'espace occupé par le traitement diminuerait.
Outre la maturation biologique, c'est l'automatisation des tâches, devenues familières,
qui libérerait de l'espace de stockage dans la mémoire de travail. En pratique, pour
Case, l'enfant en développement est devant chaque nouvelle situation comme un sujet
devant un problème à résoudre. Partant de ce point de vue, Case définit :
1. une situation problème qui active une représentation de la situation actuelle ;
2. des objectifs à atteindre qui activent des représentations de la situation souhaitée ;
3. des stratégies à mettre en œuvre pour atteindre le but (grâce aux schèmes
exécutifs).
L'analyse de la tâche est réalisée en termes de buts et de sous-buts, de telle sorte qu'à
chaque sous-but correspond une stratégie spécifique. L'ensemble de ces stratégies est
géré par des Structures de contrôle exécutif (SCE) qui supervisent les transformations
effectuées (Case, 1992, 1996). Elles constituent le tissu conceptuel de la compréhension,
sorte de réseau interne de concepts et de relations conceptuelles, qui permettent aux
enfants de réfléchir sur des situations15.
D'un point de vue développemental, Case décrit 4 grands stades qui diffèrent par la
nature des schèmes sur lesquels portent la structuration (changements d'ordre
qualitatif).
• Le premier stade est dit sensori-moteur : il s'agit d'opérations coordonnant des
schèmes sensori-moteurs tels écarter un obstacle pour attraper un objet.
• Le second stade est appelé interrelationnel. C'est le stade des opérations de relations
qualitatives entre les objets : « plus que…, beaucoup, plus lourd que… ». Les enfants
sont en mesure d'expérimenter sur la relation qui unit deux objets et non plus
uniquement sur l'objet lui-même. Ils apprennent à manipuler le schème de
comptage, sans comprendre que la quantité peut être précisément déterminée par
un nombre et pas seulement par « beaucoup ou peu ».
• Le troisième stade, ou stade dimensionnel, se caractérise par le fait que l'enfant est en
mesure d'expérimenter sur l'aspect quantitatif des variables et non plus sur leur
aspect qualitatif uniquement, amenant ainsi une appréciation plus juste de
l'environnement. Par exemple, comme dans l'expérience de la balance où l'enfant
doit apprendre à coordonner deux dimensions quantifiables (le poids et la distance).
• Enfin le dernier stade, le stade vectoriel correspond à la capacité d'établir des rapports
entre les variations sur les dimensions considérées et à comparer ces rapports
(comprendre les rapports de proportions) ; l'enfant n'a finalement plus besoin de
support concret dans ses opérations et peut maintenant comprendre des systèmes
abstraits complexes (Lautrey, 2007a, 2007b).
Conclusion
La théorie de Jean Piaget a marqué incontestablement la psychologie du
développement. Elle a le mérite considérable de susciter débats et discussions et de
permettre la formulation de nouvelles hypothèses encore aujourd'hui. On retiendra
deux apports majeurs : d'abord celui d'avoir pensé l'intelligence sous une forme
structurelle logique. C'est l'accroissement des connaissances qui permettrait une
meilleure adaptation de l'homme à son environnement et cet accroissement requerrait le
raisonnement logique. Si les outils logico-mathématiques ne conduisent pas à eux seuls
à l'intelligence, ils y participent invariablement. Le second apport est d'avoir postulé
que c'est par l'action que le sujet construit son développement, une sorte d'intelligence
in progress. Ce rôle de l'action, qui a été critiqué, est pourtant vu comme un élément
majeur, la perception étant aujourd'hui également entendue comme un élément de
l'action.
Pour autant, les récentes connaissances sur les compétences du nouveau-né ou encore
le peu d'explications par Piaget des mécanismes permettant le passage d'un stade à un
autre ont obligé les chercheurs à modifier, spécifier ou repenser sa théorie. Les théories
néo-piagétiennes qui ont vu le jour dans les années 1970 gardent de Piaget l'idée que les
nouvelles structures sont à construire par l'enfant (constructivisme), mais ils
empruntent à la psychologie cognitive les concepts de traitement de l'information et de
modules (Fodor, 1983). S'ils s'accordent comme lui sur le rôle majeur de la maturation
du système nerveux central, ils ne considèrent pas pour autant qu'elle installe les
structures, mais qu'elle donne un nouvel espace de possibilités. S'ils cherchent à
dégager comme lui des principes de fonctionnement et une séquence de stades
généraux, ils ne lient pas ces stades à des structures contraintes par le développement
logico-mathématique, mais par la contrainte qu'exerce la limitation de la capacité de
traitement sur le fonctionnement cognitif (niveau de complexité croissant). Dans cette
perspective, les néo-piagétiens parleront d'intégration : des éléments cognitifs d'un
niveau qui se retrouvent unis dans un élément cognitif unitaire de niveau supérieur.
Cette capacité de traitement évolue avec l'âge, déterminant un niveau maximal de
complexité cognitive qu'un individu est capable d'appréhender dans la résolution d'une
tâche nouvelle. Enfin, chez les néo-piagétiens, ces structures sont universelles dans leur
séquence, mais spécifiques dans leur forme et leur occurrence ; elles sont applicables à
un domaine spécifique, elles sont acquises par l'environnement social et enfin elles
peuvent être enseignées. Reste à souligner les deux principales divergences existant
entre Pascual-Leone et Case : la première porte sur la nature de la capacité mentale.
Pour Case, il s'agit de la mémoire de travail, tandis que pour Pascual-Leone, il s'agit
d'un système de gestion de l'attention mentale. La seconde porte sur le développement
de cette capacité. Pour Pascual-Leone, c'est la capacité elle-même qui augmente, alors
que pour Case, c'est seulement l'espace de stockage qui augmente, au fur et à mesure
que l'espace occupé par le traitement diminue (du fait de l'augmentation de sa vitesse)
en fonction de la maturation et de l'expérience. Enfin, notons une divergence sur les
mécanismes qui mènent aux stades de développement, puisque Pascual-Leone postule
que c'est l'accroissement du nombre de schèmes pouvant être activés simultanément qui
permet de passer d'un stade à un autre, tandis que Case postule que le développement
en stades repose sur l'augmentation progressive de la complexité des sous-stades qui
débouche sur une automatisation permettant au stade suivant de démarrer.
À cette vision du développement qui considère que l'échec à une tâche suppose
l'absence de compétences ou un défaut de la programmation exécutive, Olivier Houdé
(2013) propose une autre interprétation : « … Le développement cognitif du bébé ne
devrait pas seulement être conçu comme l'acquisition progressive de connaissances,
mais aussi relever d'une capacité d'inhibition de réactions qui entravent l'expression de
connaissances déjà présentes. » Ainsi pour Houdé, se développer, c'est apprendre à
inhiber des stratégies qui entrent en compétition dans le cerveau. Dans cette
perspective, l'échec des enfants dans la tâche de la conservation du nombre n'est pas dû
tant au fait qu'ils n'ont pas encore accès à la structure logique idoine, mais qu'ils n'ont
pas appris à inhiber le schème trompeur (stratégie perceptive inadéquate « longueur
égale nombre »), appelé biais perceptif, schème qui fonctionne la plupart du temps et
que même les adultes appliquent16, mais qui parfois induit en erreur.
Enfin, la notion de stade, symbole de la pensée piagétienne contraint beaucoup le
concept de développement. Les nouvelles théories proposant des modèles basés sur
l'auto-organisation (voir le chapitre 8) tendent à concilier les versants continu et
discontinu du développement sans rompre avec le constructivisme piagétien (Lehalle et
Mellier, 2013).
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1
Un grand merci à Henri Lehalle et Roger Lécuyer pour leur relecture généreuse et attentive.
2
Il faut rendre à James Baldwin (1861−1934) d'être le premier à postuler que l'enfant construit ses connaissances à la
fois en assimilant les informations de l'environnement (qui active des sortes de patrons d'actions) et en accommodant
son comportement aux spécificités de l'environnement.
3
C'est l'œuvre la plus vaste produite au XXe siècle dans le domaine du développement, avec une cinquantaine
d'ouvrages et plus de 700 articles.
4
Passionné par le cheminement développemental qui conduit aux compétences, Piaget a cherché à analyser et
comprendre l'évolution de ces structures de connaissances dans le temps en développant une méthode, dite
d'entretien clinique (cf. chapitre 42, qui consiste en une conversation avec l'enfant, à propos de la tâche qu'on lui
demande de faire et pendant qu'il la fait. Cette méthode clinique considère deux choses simultanément : la
manipulation de la tâche par l'enfant (le matériel a été choisi de manière à permettre un constat relatif à une question
que l'on se pose) et les verbalisations de l'enfant.
5
Le développement cognitif d'après la conception de Piaget, soit un processus continu et progressif.
6
Piaget identifie diverses opérations acquises pendant ce stade comme la classification, la sériation, le nombre et la
résolution d'opérations spatio-temporelles, constitutives des objets eux-mêmes.
7
Variabilité des caractères observables, par exemple variabilité de l'apparition de la marche, du langage, du « non »,
etc.
8
Pour une revue des recherches sur la transgression des attentes, voir le chapitre 7.
9
C'est la capacité d'observer son action pour en étudier les effets, la réfléchir afin qu'elle soit représentée par des
indices qui lui resteront attachés. L'enfant coordonne par la suite ces indices les uns avec les autres en les insérant
dans des schèmes en construction, lui permettant de diriger son action de manière à obtenir les effets alors attendus.
10
Par faute de place, on ne peut détailler tous les modèles des auteurs dits « néo-piagétiens ». On citera Kurt Fisher,
Andreas Demetriou ou Graeme Halford. Voir l'article de Ribeaupierre (2007) pour une revue plus complète de ces
modèles.
11
Pascual-Leone arrive à Genève en 1960 pour préparer une thèse sous la direction de Piaget. Il s'inscrit dans la même
approche constructiviste que lui, mais va rapidement prendre ses distances et finir sa thèse aux États-Unis, car si
Piaget décrit les stades de développement cognitif, il n'explique pas par quels mécanismes l'enfant passe d'un stade à
l'autre, ce que va tenter d'expliquer Pascual-Leone.
12
Structures de connaissances.
13
Par exemple, si notre ordinateur présente subitement un écran noir, on aura tendance à penser que le disque dur est
bloqué (schème trompeur) sans aller regarder si la prise n'est pas débranchée (indépendance à l'égard du champ
perceptif). Chez les enfants, l'opérateur F induit en erreur les enfants qui « voient » un verre plus plein que l'autre
alors que c'est la forme qui diffère.
14
Pour les psychologues cognitivistes, la mémoire de travail (située dans le lobe frontal) est le centre de traitement
des opérations mentales les plus complexes comme la planification, les calculs, la réflexion consciente, la stratégie,
etc.
15
En 1996, Case propose d'ajouter les structures conceptuelles centrales qui sont selon lui une seconde contrainte (la
première contrainte étant la capacité limitée de la mémoire de travail), cette fois-ci sémantique, qui structurent le
développement cognitif. Ces structures s'apparentent aux structures de Piaget dans le sens où elles sont un ensemble
interne d'opérations organisées en des systèmes cohérents évoluant en stades et sous stades. Pour autant, elles
diffèrent de celles de Piaget de façon majeure, en ce sens que les opérations qui les composent n'ont pas de caractère
logico-mathématique, qu'elles sont universelles dans leur séquence, mais spécifiques dans leur forme et leur
occurrence, qu'elles sont applicables à un domaine spécifique, acquises par l'environnement social et enfin qu'elles
peuvent être enseignées.
16
Des expériences réalisées avec Bernard et Nathalie Mazoyer à Caen ont permis de découvrir ce qui se passe dans le
cerveau de jeunes adultes avant et après l'apprentissage de l'inhibition d'une stratégie perceptive inadéquate, c'est-à-
dire avant et après la correction d'une erreur de raisonnement. On observe une reconfiguration des réseaux
cérébraux, notamment dans la zone dite « préfrontale ».
CHAPITRE 2
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les théories socio-constructivistes
Les prolongations des théories socio-constructivistes
Conclusion
Introduction
À l'origine de la psychologie de l'enfant et du développement, au XXe siècle, les théories
de Sigmund Freud (1856−1939), Jean Piaget (Suisse, 1896−1980), Henri Wallon (France,
1879−1962) et Lev Vygotsky (Russie, 1896−1934) ont posé les bases sur le
développement psychologique de l'affectivité, des compétences sociales, et de
l'intelligence.
Michel Deleau (1999) élabore une réflexion sur ces théories en les classant selon deux
groupes : les théories orthogénétiques (Freud, Piaget), et les théories socio-constructivistes
(Wallon, Vygotsky). Ces deux groupes de théories s'opposent quant à leurs approches
du développement.
Les théories orthogénétiques1 de Freud et Piaget accordent une place prépondérante
aux facteurs internes dans les transformations de l'organisation psychique, même si
leurs objectifs diffèrent. La théorie de Piaget, centrée sur l'épistémologie génétique
(genèse des connaissances) et la construction de l'intelligence (1936, 1937), a mis en
évidence quatre stades généraux du développement de la naissance à la fin de
l'adolescence (stade sensori-moteur, stade préopératoire, stade des opérations concrètes,
stade des opérations formelles). La théorie de Freud (1905, 1915) concerne le
développement psychoaffectif et libidinal et repose aussi sur des stades généraux de
développement (stade oral, stade anal, stade phallique, stade de latence et stade
génital). Ces deux théories, quoique différentes sur les questions posées, partagent
néanmoins des implications. D'une part, elles mettent au centre de l'explication du
développement la notion de stade. Chaque stade est une structure générale d'ensemble
qui recouvre et régit les conduites. Les stades de développement se succèdent selon un
ordre, et sont universels. D'autre part, ces théories voient dans l'enfance, à travers les
transformations qualitatives, un modèle explicatif de l'organisation psychique adulte, et
considèrent ainsi l'organisation psychique de l'enfant comme radicalement différente de
celle de l'adulte. Selon ces principes, le développement est donc normé, avec un point
d'achèvement à la fin de l'adolescence, marquant le terme des transformations
qualitatives de l'enfance. Il s'agit pour Freud de l'avènement du stade génital, et pour
Piaget du stade formel. Ces deux théories postulent que le développement est régi par
des facteurs endogènes, dont le principe organisateur réside en l'individu. En
conséquence, le rôle du milieu environnant n'est pas un facteur déterminant ni
constitutif du développement. Le milieu environnant peut être à l'origine de différences
interindividuelles, mais d'après ces théories orthogénétiques, le développement est
indépendant de la culture.
Il en est tout autrement selon les théories épigénétiques, ou nommées aussi socio-
constructivistes : le rôle du milieu, et celui de l'éducation sont déterminants pour le
développement et l'organisation psychique de la conduite. Ainsi, les théories de Wallon
et de Vygotsky se rejoignent sur l'idée de la primauté des interactions sociales dans le
développement cognitif.
Dans une première partie, après avoir souligné les caractéristiques de ces théories,
nous présenterons les grandes lignes de celles de Wallon et de Vygotsky. La deuxième
partie sera consacrée aux auteurs qui ont prolongé chacune de ces théories.
Conclusion
Deux aspects dans l'historique de la psychologie du développement méritent d'être
soulignés : d'une part, l'évolution des modèles théoriques, et d'autre part, l'intérêt des
recherches développementales pour les premières années de la vie de l'enfant.
Références
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1
Orthogenèse : théorie selon laquelle les changements dans l'organisation psychologique sont pilotés par un
processus finalisé.
2
Phylogenèse : mode de formation, développement de l'espèce.
3
Ontogenèse : histoire de la vie de l'individu pendant la période embryonnaire et dans la période postnatale.
CHAPITRE 3
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les comportements d'attachement
Les stratégies d'attachement
Les modèles internes opérants
Conclusion
Introduction
On doit la théorie de l'attachement au psychiatre anglais John Bowlby (1957), selon
lequel le lien mère-enfant revêt une importance capitale. Il a ainsi appréhendé ce lien
selon une perspective évolutionniste. Selon Darwin (1859), la survie constitue l'objectif
principal d'une espèce. Les caractéristiques de l'espèce qui permettent l'adaptation à
l'environnement participent à sa préservation à travers le temps. Les individus dotés de
ces caractéristiques parviennent à assurer leur descendance et à perpétuer leurs gènes,
tandis que ceux qui ne disposent pas de telles caractéristiques sont voués à disparaître.
Ainsi, les espèces qui résistent au temps sont celles qui disposent des « programmes »
les plus biologiquement avantageux.
Pour Bowlby, la tendance à s'attacher serait un de ces programmes qui favorisent la
survie de l'espèce à travers les millénaires. Selon lui, l'homme, comme de nombreuses
espèces animales, est doté d'un système comportemental d'attachement, c'est-à-dire une
tendance innée à déployer des comportements qui favorisent l'établissement et le
maintien du lien avec la mère1. Parmi ces comportements d'attachement, on peut citer
les cris, les pleurs, l'agrippement, le sourire, qui ont pour effet d'interpeller et mobiliser
le fournisseur de soins.
Tandis que Freud estimait que l'attachement à la mère se formait secondairement,
grâce à la relation de nourrissage, Bowlby considérait l'attachement comme un besoin
primaire qui ne découle d'aucun autre. Le fait qu'un bébé puisse pleurer alors qu'il vient
de manger et qu'il ne se calme qu'une fois pris dans les bras illustre l'indépendance du
besoin d'attachement par rapport à celui du nourrissage. Les observations de René Spitz
(1945) d'enfants élevés en institution témoignent de façon encore plus criante du
caractère essentiel de l'attachement : alors que ces enfants (âgés de quelques mois à
5 ans) bénéficiaient d'une alimentation et d'une hygiène satisfaisantes, leur
développement était entravé, parfois au point qu'ils se laissassent dépérir. Les
expériences de Harlow (1958) sur des bébés singes ont également montré une tendance
chez le petit à rechercher le contact tactile, sans que celui-ci ne soit associé au
nourrissage. En présence de deux substituts maternels, l'un doux au toucher et l'autre
en fil de fer muni d'un biberon de lait, les singes allaient rapidement se ravitailler
auprès du substitut à biberon pour ensuite se blottir contre celui en tissu des heures
durant.
Pour Bowlby, l'attachement constitue un besoin vital. En cela, il a souligné la nécessité
de s'attacher pour la survie du jeune. Grâce au lien qu'il établit au moyen de ses
comportements innés, l'enfant bénéficie de la protection d'un adulte spécifique qui
veille sur lui de façon durable et qui l'accompagne dans sa découverte du monde.
Conclusion
Si les MIO, en déterminant les cognitions sociales que l'enfant met en place, amènent
celui-ci à induire un certain nombre de choses dans ses interactions avec son entourage,
il n'en reste pas moins qu'il continue d'intégrer de nouvelles informations émanant de
l'extérieur qui peuvent aller à l'encontre des modèles initialement établis et modifier sa
manière d'être. Les résultats d'études longitudinales montrent que si les premières
expériences ne sont pas effacées, le devenir de l'individu résulte néanmoins de
l'ensemble de son histoire d'attachement (Miljkovitch et al., 2015 ; Roisman et Fraley,
2013 ; Sroufe, Egeland, Carlson, et Collins, 2005).
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1
Dans la lignée des travaux en éthologie et à l'image du schéma familial classique de son époque, Bowlby s'est
focalisé sur la mère comme figure d'attachement principale. Bien qu'il ait introduit la notion de « monotropie » qui
suggère une hiérarchie dans les figures d'attachement, Bowlby n'excluait pas l'existence de figures d'attachement
secondaires telles que le père. Dans certains cas, ce peut être le père ou toute autre personne adulte qui occupe la
place de figure d'attachement principale.
2
Pour une présentation de l'étiologie de l'attachement désorganisé/désorienté, voir le chapitre 27.
CHAPITRE 4
Le modèle cognitivo-comportemental :
de B.F. Skinner à Albert Bandura
Raphaële Miljkovitch
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Le conditionnement classique
L'apprentissage opérant
La théorie de l'apprentissage social (cognitivo-comportementale)
Conclusion
Introduction
Ce modèle postule que le comportement est principalement influencé par
l'apprentissage qui prend place au sein d'un contexte social. Dans ce modèle, les
différences individuelles dans le comportement sont attribuées à l'histoire
d'apprentissage unique de l'individu en relation avec des personnes et des situations
spécifiques, et non pas à des traits de personnalité ou à une maladie mentale. Le milieu
culturel de chaque individu est vu comme étant une partie de son histoire
d'apprentissage unique. Les comportementalistes considèrent que la cohérence
comportementale (que d'autres appelleraient « personnalité ») résulte d'un
apprentissage généralisé et/ou de stimuli similaires présents dans les différentes
situations. Par exemple, un enfant peut devenir grognon dans la plupart des
circonstances si avant cela, ce comportement a été récompensé sur des années (par
exemple, on cherche à lui faire plaisir), dans de nombreuses situations sociales. Dans ce
modèle, on insiste sur l'importance des influences de l'environnement sur le
comportement. Les facteurs génétiques et biologiques ne sont pas pour autant mis de
côté, mais on considère qu'ils constituent la base à partir de laquelle l'environnement va
former les comportements. Le capital génétique peut fixer des limites du potentiel
comportemental ou intellectuel d'une personne, mais on stipule qu'à l'intérieur de ces
limites, ce sont les facteurs d'apprentissage qui déterminent le plus le comportement.
D'après le modèle comportemental, les mêmes principes d'apprentissage déterminent
à la fois les comportements problématiques et non problématiques. Par conséquent, une
évaluation vise à déterminer comment les difficultés actuelles d'un individu ont été
apprises et comment elles sont maintenues, de sorte qu'un apprentissage plus adapté
puisse être mis en place. Par exemple, la peur d'un enfant de maternelle peut être due à
une expérience négative dans une situation particulière, à une anxiété généralisée à
toutes les nouvelles situations, à la présence intimidante d'un autre enfant ou à d'autres
facteurs environnementaux.
Dans l'apprentissage opérant, on insiste sur la relation entre un comportement et ses
conséquences dans l'environnement. Dans l'apprentissage répondant, on se centre sur le
lien temporel entre stimulus et réponse. Dans l'apprentissage social ou cognitivo-
comportemental, on met l'accent sur la relation entre le comportement manifeste et la
cognition (les pensées) ou les attentes qu'une personne a à propos de ce comportement.
Le conditionnement classique
Le conditionnement classique (ou répondant) a été mis en évidence au XIXe siècle par
Ivan Pavlov. Il avait constaté qu'un chien se mettait à saliver dès que la lumière
s'allumait, celui-ci ayant intégré qu'une fois la lumière allumée, on lui donnait à
manger. Tandis que la nourriture est un stimulus inconditionnel, en ce qu'elle ne
nécessite pas d'apprentissage pour provoquer la salivation, la lumière, elle, était
devenue un stimulus conditionnel qui résultait de l'apprentissage d'une association
entre la lumière et la nourriture.
Quelques décennies plus tard, l'expérience de John B. Watson (Watson et Rayner,
1920) sur le petit Albert a donné lieu à une théorie sur l'apparition des phobies. Celles-ci
seraient induites par un processus de conditionnement classique où un stimulus qui ne
suscitait au départ aucune réaction de peur (par exemple, un lapin) est associé à un
stimulus aversif (par exemple un gros bruit soudain). Après avoir exposé Albert à ces
deux stimuli simultanément un certain nombre de fois, celui-ci en est arrivé à
développer une peur du lapin, ainsi que d'autres stimuli qui lui ressemblaient.
Joseph Wolpe (1958, 1982) a par la suite introduit la « désensibilisation systématique »
pour traiter l'anxiété. Ce procédé thérapeutique consiste à « défaire » l'association entre
un stimulus et sa réponse (par exemple anxiété) en induisant une réponse antagoniste
(par exemple état de détente). Ainsi, on expose de plus en plus le patient au stimulus
anxiogène à mesure qu'on lui apprend à chaque étape à se relaxer (par exemple, pour
une phobie des serpents, on commence par le fait d'imaginer des serpents, puis
regarder des images, puis aller voir des vrais serpents en captivité, puis le contact direct
avec un serpent). Une fois désensibilisé à une étape, on passe à la suivante jusqu'à
atteindre une désensibilisation globale par rapport au stimulus initialement effrayant.
L'apprentissage opérant
D'après Skinner (Skinner, 1953 ; 1971), le comportement est appris et les facteurs que
l'on ne peut pas observer, tels que le besoin ou la pulsion, ne sont pas nécessaires à la
compréhension de ce comportement. Selon lui, le fait d'observer des relations entre des
stimuli environnementaux et les comportements manifestes permet d'avoir une image
complète du développement, du maintien et du changement des comportements
humains. Au lieu de se baser sur des facteurs internes (comme le ça), Skinner préconise
l'observation et la description des manières dont le comportement est déterminé par ses
antécédents et par ses conséquences. On appelle cette approche l'analyse fonctionnelle
parce qu'elle s'intéresse aux relations fonctionnelles entre les stimuli, les réponses et les
conséquences.
Si le comportement indésirable d'un enfant a été et continue d'être récompensé,
aucune explication relative à un besoin interne n'est nécessaire, du moins la plupart du
temps. On présume que l'enfant a simplement appris à être ainsi. Patterson (Patterson et
Reid, 1984) s'est particulièrement intéressé aux comportements perturbateurs des
enfants, en décrivant les « pièges de renforcement » (reinforcement traps) typiquement
observés dans les interactions familiales hostiles. Par exemple, une mère demande à son
enfant de ranger sa chambre. Il se plaint, la mère insiste, l'enfant résiste et c'est
l'escalade du conflit. Lorsque le comportement difficile (aversif) de l'enfant devient
intolérable pour la mère, par exemple s'il pique une crise de colère, la mère cède et
l'enfant s'arrête. En cédant, la mère augmente les chances que son enfant recoure à ce
même procédé pour échapper à une corvée (fin de la nécessité de ranger sa chambre :
renforcement négatif1). La mère a également été renforcée négativement (par la fin de la
crise) dans son comportement et est donc plus susceptible de céder à l'avenir pour
mettre un terme au comportement aversif de son enfant. Ce pattern de renforcement
favorise l'escalade du conflit dans leurs futures interactions.
Conclusion
Le modèle cognitivo-comportemental présente l'intérêt d'une approche pragmatique du
développement. Plutôt que de chercher à comprendre les causes d'un comportement, on
s'attarde davantage à identifier ce qui participe à son maintien et ce qui pourrait, à
l'inverse, amener la personne à ne plus l'adopter. Toutefois, si la réalité du
conditionnement est incontestable, il n'en demeure pas moins que certains
comportements ne résultent pas de l'apprentissage ; de ce fait, ils résistent aux lois du
conditionnement. Ainsi convient-il de discerner les limites ou comportements qui
échappent à la volonté de la personne et auxquels l'approche cognitivo-
comportementale ne s'applique pas.
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1
Le renforcement négatif repose sur la récompense d'un comportement par l'arrêt d'un stimulus aversif.
CHAPITRE 5
Le modèle systémique
Nicolas Favez
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les principes de l'approche systémique
La relation coparentale et son impact sur le développement de l'enfant
Conclusion
Introduction
L'approche systémique s'intéresse au développement de l'enfant dans son
environnement social, avec un accent important mis sur la famille. Trois grands
principes sous-tendent cette approche :
• l'individu se développe en étant situé dans un contexte ;
• les échanges qu'il entretient avec ce contexte ont une temporalité et sont évolutifs ;
• il y a des dimensions et des règles de fonctionnement systémiques qui régissent les
échanges entre l'individu et son contexte.
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CHAPITRE 6
La psychologie interculturelle
du développement
Annamaria Lammel
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La relation entre culture et développement psychologique
Les différentes approches
La notion de l'intelligence
La relation entre les types de sociétés, les conceptions de la notion de soi et les
styles cognitifs
Les cultures en contact : l'acculturation
Conclusion
Introduction
Depuis plusieurs décennies, la psychologie interculturelle du développement a eu un
impact substantiel sur la psychologie du développement dans le monde entier.
L'augmentation significative du nombre d'études interculturelles publiées dans les
grandes revues de psychologie, ainsi que l'édition d'ouvrages scientifiques contribuent
à l'essor de la psychologie interculturelle.
La psychologie interculturelle se situe entre l'absolutisme et le relativisme et
représente une vision universaliste. Tandis que l'absolutisme stipule que les variables
psychologiques sont identiques dans toutes les cultures, le relativisme affirme que
toutes les constructions psychologiques sont constituées culturellement.
L'universalisme, se situant au milieu de ces deux visions, considère que les variables
psychologiques sont communes entre les cultures, mais que la culture influence le
développement et la manifestation de caractéristiques psychologiques. La psychologie
interculturelle exclut donc une vision ethnocentrique.
À travers des études approfondies dans différentes cultures et des comparaisons
systématiques de variables psychologiques dans différentes conditions culturelles, la
psychologie interculturelle du développement tente d'identifier la manière dont les
variables culturelles influencent le développement psychologique de l'être humain.
Ses objectifs s'organisent autour de trois axes principaux :
• tester la validité interculturelle des théories psychologiques (par exemple, la théorie
opératoire de Piaget) ;
• découvrir les variations psychologiques dans les différentes cultures (par exemple, le
rôle des rites de passage) ;
• intégrer les résultats généraux et spécifiques des théories psychologiques à une
psychologie universelle valable pour un large éventail de cultures (Berry, 2002 ;
Berry, Poortinga et Pandey, 1997 ; Bril et Lehalle, 1988 ; Cole, 1995 ; Guerraoui et
Troadec, 2000 ; Licata et Heine, 2012 ; Ungar, 2005).
Dans les recherches interculturelles, il faut prendre en considération la validité
culturelle et écologique de la méthodologie employée. Il est primordial d'utiliser des
stimuli qui aient un sens culturel. Pour mesurer l'influence des variables culturelles, il
faut utiliser des items ou des échelles complètes, non ambiguës, grâce aux recherches
exploratoires préalables (Van de Vijver et Hambleton, 1996). Dans l'analyse des données
interculturelles, les chercheurs associent souvent les méthodes qualitatives (en y
intégrant fréquemment une recherche ethnographique) et les méthodes quantitatives
(Harkness, Van de Vijver et Mohler, 2003 ; Ratner et Hui, 2003 ; Van de Vijver et Leung,
1997 ; Van de Vijver et Poortinga, 2002).
Dans le cadre du présent chapitre, il est impossible de présenter les résultats de la
psychologie interculturelle du développement qui concerne tous les domaines de la
période prénatale jusqu'à la fin de la vie. Nous avons donc choisi de centrer ce chapitre
sur les différentes approches au sein de la psychologie interculturelle du
développement et sur la présentation de quelques exemples de résultats parmi les plus
marquants.
L'approche historico-culturelle
L'internalisation des activités et des modes de pensées historiquement et socialement
développées est une des caractéristiques distinctives de la psychologie humaine, et
constitue le passage de la psychologie animale à la psychologie humaine. L'approche
vygotskienne tente de relier les phénomènes collectifs culturels et l'individu. Vygostsky
part du fait que, dans l'histoire, les différentes sociétés créent et utilisent des signes et
des systèmes de signes variés qui permettent aux humains d'ajuster leur propre
personne (organisme) à l'environnement (stimulus). Les signes sont des médiateurs
dépendant de facteurs culturels et sont, par conséquent, inséparables des changements
survenus dans les processus supérieurs de l'esprit. Vygotsky (1978) insiste pourtant sur
l'idée qu'il existe de nombreux médiateurs et que l'activité cognitive ne se limite pas à
l'utilisation des outils ou des signes déjà existants (Lewin et Foley, 2004). Par cette
ouverture, il laisse la place aux médiateurs futurs qui modifieront la pensée humaine. Il
souligne également l'importance de la relation entre les pratiques socioculturelles et le
développement psychologique.
Un grand nombre de recherches dans le domaine de la psychologie historico-
culturelle tente d'identifier les mécanismes cognitifs qui permettent à l'individu de
s'adapter aux nouvelles contraintes cognitives. Cole (1999), un des représentants les
plus importants de ce courant, définit la psychologie historico-culturelle comme une
tentative pour comprendre le développement humain, en tant que processus émergeant
des contraintes « biologiques », « sociales » et « psychologiques » qui interagissent par
la médiation de la culture et des artefacts historiquement constitués par un groupe.
Dans un premier temps, la majorité des études dans ce paradigme (Cole, Gay, Glick et
Sharp, 1971 ; Saxe, 1981, 1983) ont été réalisées au sein de groupes dits « traditionnels »
qui devaient affronter les effets de la « modernisation ». Dans un deuxième temps, les
chercheurs se sont intéressés aux phénomènes cognitifs dans les micro-cultures, telles
qu'une classe d'école, ou au développement des enfants qui utilisent excessivement les
nouvelles technologies (Cole, 1995 ; Lammel, 2001). Ces études ont repris l'idée
vygotskienne selon laquelle l'activité fait partie des processus psychologiques.
Les études de Saxe (2012) sur le développement des conceptions mathématiques sont
très intéressantes, car elles montrent qu'il existe des relations dynamiques et mutuelles
entre la cognition individuelle et les formes culturelles : culture et cognition ne sont pas
dissociables. Ses études prouvent également que la flexibilité des systèmes linguistiques
et cognitifs contribue à l'adaptation aux changements culturels. Cette flexibilité permet
de modifier les modes de pensée (concret/abstrait) par l'activité.
En résumé, on peut constater que des études dans le paradigme de la psychologie
historico-culturelle exposent qu'une adaptation extrêmement rapide de la pensée des
nouvelles générations instruites à l'école peut se produire. À la continuité des modes
anciens de représentation s'ajoutent des changements rapides dans la cognition.
La notion de l'intelligence
Les études concernant la relation entre cognition, intelligence et facteurs culturels sont
fortement liées à un objectif : trouver une validité aux tests d'intelligence. Même si
l'emploi des tests d'intelligence élaborés dans les pays occidentaux pour des
populations non occidentales reste une pratique quotidienne (pour les enfants
d'immigrés des pays de culture non occidentale, par exemple), de nouvelles recherches
mettent en question la pertinence de cette pratique. Ainsi plusieurs courants cherchent à
démontrer l'absurdité du postulat selon lequel l'intelligence est ce que les tests mesurent
(Sternberg et Grigorenko, 1997).
Dasen et al. (1985) rapportent que la conception de l'intelligence développée par
différentes communautés africaines privilégie les qualités sociales mises au service de la
famille et de la communauté, à l'opposé des capacités logico-mathématiques
individuelles. Par exemple, pour les Baoulés (Côte-d'Ivoire), l'intelligence est à la fois
technologique et sociale, avec une primauté de l'aspect social. L'intelligence
« technologique » recouvre les aptitudes cognitives, l'intelligence académique, logico-
mathématique et linguistique. Mais l'intelligence « technologique » en tant que telle
n'existe pas en soi, en dehors de l'interaction du sujet avec son environnement. Il faut
qu'elle serve l'intérêt des autres et qu'elle soit associée à l'intelligence sociale.
La différence entre les notions d'intelligence selon les conceptions occidentales et
africaines peut permettre d'expliquer en partie les difficultés scolaires des enfants
immigrés. Dasen (2000) considère qu'un élève immigré qui ne répond pas aux attentes
de l'enseignant ne présente pas des difficultés intellectuelles, mais ne réussit pas à
mettre en valeur ses compétences dans le contexte scolaire occidental qui ne valorise
que l'intelligence logico-mathématique et l'intelligence linguistique, ou bien les
connaissances académiques (Lammel, Marquez, 2009).
Le psychologue camerounais Nsamenang (2006) a sévèrement critiqué les points de
vue de la psychologie occidentale concernant le développement de l'intelligence. Selon
lui, cette psychologie reflète l'ethnocentrisme euro-américain dominant qui en réalité
revendique de fournir un modèle du développement de l'intelligence applicable à toute
la diversité humaine. Nsamenang (2006) argumente que, dans la conception africaine,
les phases du développement humain sont cycliques et que l'intelligence se développe
par une socialisation systématique à travers les activités participatives correspondant
aux différents âges. Contrairement à la réalité euro-américaine, en Afrique les
connaissances ne sont pas divisées en différentes disciplines, mais forment un ensemble
entrelacé. Le développement cognitif fait partie d'une intégration sociale graduelle et
progressive et est inséparable du développement de la personnalité (personhood). La
socialisation africaine ne privilégie pas la réussite individuelle – par exemple dans le
cadre de l'école –, mais elle favorise plutôt les compétences sociales et la responsabilité
partagée au sein du système familial et de la communauté ethnique (Nsamenang et
Lamb, 1995 ; Greenfield, Keller, Fuligni et Maynard, 2003).
Des conceptions aussi différentes entre la vision euro-américaine et la vision africaine
engendrent des difficultés dans les processus d'acculturation. Le concept d'intelligence
est une construction culturelle et même un ensemble de connaissances culturelles,
partagées et transmises à l'intérieur d'une société. Du point de vue de la relation entre
culture et cognition, la nature de ce concept est très importante, puisqu'elle va
influencer le développement des performances cognitives nécessaires et valorisées dans
une société (Lammel, 2007). Les études citées ci-dessus montrent qu'une variété de
conceptions existe ou bien coexiste, même à l'intérieur de la psychologie scientifique et
que la notion de l'intelligence est inscrite dans les changements historico-culturels
(Lammel et Guillén, 2011).
Conclusion
Comme cette revue a pu le montrer, les recherches interculturelles sur le
développement humain ont mis en évidence l'impact de l'environnement et plus
particulièrement de la culture sur le développement psychologique de l'individu. Ces
études montrent que la manière de transmettre les connaissances, la nature des outils et
des symboles qui servent comme médiateurs dans cette transmission, ainsi que la
structure même de la connaissance acquise contribuent à mettre en place les processus
supérieurs de l'esprit qui permettent de traiter les informations et de réaliser les actions
dans une culture donnée. Ce fait n'exclut pas les prédispositions biologiques.
En somme, la relation entre développement psychologique et les conditions éco-
systémiques s'inscrit dans l'histoire phylogénétique et historique. Les conditions
nécessaires au développement ontogénétique sont culturellement organisées à travers
des activités et des interactions diverses. Notre façon de grandir est notre nature. La
psychologie interculturelle du développement peut fournir des indices incontournables
pour que les enfants puissent grandir dans les conditions optimales.
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CHAPITRE 7
PLAN DU CHAPITRE
Introduction : un innéisme peut en cacher un autre
De l'impossible et de l'improbable
Les trois cadres théoriques
Connaissances innées ou apprentissages rapides ?
Conclusion
De l'impossible et de l'improbable
Les questions méthodologiques sont toujours importantes en psychologie, mais elles le
sont particulièrement en psychologie cognitive du nourrisson pour plusieurs raisons
dont la principale est qu'il est toujours nécessaire d'interpréter les réponses observées.
De ce fait, les débats entre nativistes et anti-nativistes sont aussi méthodologiques. Pour
bien comprendre les enjeux, il faut commencer par un rapide tour sur les méthodes les
plus couramment utilisées dans les recherches avec les nourrissons (pour plus de détail,
voir par exemple Lécuyer, 1994a, 1996, 2004, 2014 ; Streri et Lécuyer, 1999).
À l'échelle temporelle où peut se situer un débat comme celui suscité par le nativisme,
l'essentiel de ce que nous savons sur le développement cognitif du nourrisson vient de
deux paradigmes expérimentaux proches.
Le premier, chronologiquement, est le paradigme de l'habituation/réaction à la
nouveauté. Il est né dans le début des années 1960, et s'est plus ou moins standardisé au
début des années 1970 : une habituation est une présentation plusieurs fois de suite du
même stimulus, pour des durées contrôlées par le bébé (l'essai s'arrête quand il
détourne le regard), jusqu'à satisfaction d'un critère préétabli : le plus souvent une
durée de la moyenne des trois derniers essais inférieure à la moitié de la moyenne des
trois premiers. Un nouveau stimulus est ensuite présenté et l'hypothèse à la base du
paradigme est la préférence pour la nouveauté : si la différence entre le stimulus qui a
fait l'objet d'une habituation et celui qui est présenté en test est perçue, les durées de
regard remontent durant ce test.
Ce paradigme a été utilisé dans des milliers d'expériences et n'est en général pas
contesté. Un problème particulier est toutefois soulevé quand les durées de fixation
pendant la période de test sont plus élevées pour le stimulus « familier » que pour le
stimulus nouveau. On sait, maintenant qu'il se produit quand la phase d'habituation a
été trop courte, et donc que le stimulus « familier » n'est pas complètement familier
(Lécuyer, 1996). Les choses sont plus complexes dans le cas de l'autre paradigme, dit de
la transgression des attentes ou de l'attente déçue, paradigme inventé par Baillargeon,
Spelke et Wasserman (1985) pour mettre en évidence la permanence de l'objet chez des
bébés de cinq mois, c'est-à-dire passer de l'étude de la perception à celles d'activités
cognitives plus abstraites. Invention méthodologique capitale et première utilisation
mettant en jeu une question théorique d'importance majeure, cet article réunissait les
conditions pour devenir célèbre… puis très attaqué (pour plus de détails, voir Lécuyer,
2014). Dans ce paradigme, est présenté un événement destiné à familiariser les bébés
avec une situation générale à partir de laquelle en test sont proposées deux variantes :
d'une part une situation dite possible, ou normale, et une situation dite impossible ou
étrange… pour les personnes qui connaissent une règle simple de la physique qui n'est
apparemment pas respectée dans cet événement. Par exemple : si un objet un instant
disparu réapparaît de l'autre côté d'une cloison qu'il ne peut normalement traverser, les
temps de regard peuvent être plus longs que s'il n'y a pas de cloison et donc qu'aucune
règle n'est transgressée. La conclusion tirée par les chercheurs est que si les bébés
regardent plus l'événement impossible que l'événement possible, c'est qu'ils connaissent
la loi qui n'a pas été respectée. Si cela se produisait à la naissance, alors cette
connaissance serait innée. Jusqu'à la fin du siècle dernier, ce paradigme semblait aller de
soi pour l'immense majorité de chercheurs, et a produit beaucoup de données
nouvelles.
Un premier problème qui s'est présenté avec ce paradigme est que tous les chercheurs
ne sont pas d'accord pour attribuer toujours les durées de fixation longues à la détection
du caractère impossible de l'événement ainsi conçu par le chercheur. L'interprétation est
ramenée par certains auteurs à la seule question de la nouveauté/familiarité.
Baillargeon trouve une permanence de l'objet à 3,5 mois, puis à 2,5 mois (Aguiar et
Baillargeon, 1999), mais pas avant. Des résultats de même type sont retrouvés par
d'autres chercheurs, dans des situations différentes (cf. par exemple Karen Wynn, 1992).
Mais quinze ans plus tard, l'expérience de 1985 fait l'objet d'une contestation
systématique de la part d'un certain nombre d'auteurs, qui ne retrouvent pas les
résultats de la recherche initiale dans toutes les conditions expérimentales testées (cf.
pour les débats techniques sur cette question Lécuyer 2014). Allen et Bickhard (2013)
considèrent que ce paradigme est fondamentalement nativiste, ce qui est abusif, mais
l'interprétation des résultats est souvent nativiste : ainsi, si le fameux événement
impossible l'est, c'est que le bébé possède une règle, une loi et qu'il sait quand
précisément un événement est ou non possible. Règle bien maîtrisée et donc innée.
Une interprétation plus économique des temps de regard est que les bébés, dans leurs
expériences précédentes avec le monde ont repéré des régularités, et qu'ils sont surpris
quand un événement ne correspond pas à ce qui se passe usuellement. Par exemple, ils
ne posséderaient pas la règle : « un objet ne peut pas en traverser un autre », ou : « un
objet partiellement caché garde son unité », mais ils remarqueraient dans leur
expérience quotidienne qu'arrivé au contact d'un autre, un objet ne le traverse
usuellement pas ou que, partiellement disparu derrière un autre, un objet réapparaît
habituellement ensuite entier.
La critique de l'interprétation des résultats obtenus par la transgression des attentes
s'articule à la question théorique de l'origine des connaissances. La crédibilité de
l'hypothèse d'apprentissages est renforcée par les données sur l'unité de l'objet
partiellement caché, question sur laquelle il est possible de décrire un développement
(Johnson et Aslin, 1996). Il faut pourtant noter qu'en toute logique, il n'est pas possible
de départager les deux hypothèses interprétatives, ce qui signifie que l'interprétation
classique en termes de connaissance de règles n'est nullement certaine. L'interprétation
usuelle des données est nativiste, en considérant l'improbable comme impossible.
Conclusion
Il est donc nécessaire de se demander pourquoi le nativisme reste une théorie très
répandue, voire dominante chez les chercheurs du domaine, même si elle est de plus en
plus contestée. La complexité des questions soulevées implique que plusieurs facteurs
doivent être envisagés.
Le premier est que les évolutions théoriques prennent plus de temps que l'apparition
de données nouvelles, ce qui n'est que prudence. En l'occurrence, le choc créé par les
recherches des années 1960 fut tel que pendant plusieurs décennies, la psychologie
cognitive du nourrisson est sortie du cadre de la psychologie du développement pour
constituer un îlot à part, ce qui à la fois résulte du point de vue théorique du nativisme
et en a favorisé la persistance. C'est tout le sens de l'opposition/comparaison faite par
Mehler entre état initial et état stable, avec la volonté d'en démontrer la grande proximité.
Le nativisme rejoint l'innéisme maturationnel en ceci qu'il constitue la recherche d'un
« quelque chose » qui serait stable. Ce quelque chose est différent : c'est du côté de
l'innéisme classique le gène plus la maturation. C'est du côté de l'innéisme nativiste un
bagage cognitif de départ, mais le point commun est la recherche d'un point fixe. Il est
assez fascinant de constater l'influence de cette recherche du fixe sur la manière de
poser les problèmes en psychologie, y compris du développement. C'est le sens de
l'innéisme massif dans la psychologie de l'intelligence et de l'invention du QI. Mais c'est
aussi le sens des débats entre un point de vue situé du côté du « social », donc de la
variabilité, et un point de vue opposé situé du côté du « biologique », « donc » de la
stabilité. Si les développements plus récents de la biologie ont montré que même
l'expression des gènes n'est pas constante, et si la plasticité cérébrale est chaque jour un
peu plus une évidence, il n'était pas nécessaire de le savoir pour constater que, par
opposition à la physique, la biologie est une science dont l'objet d'étude est en perpétuel
changement, et qu'elle doit être abordée comme telle.
Si tel n'était pas le cas, Claude Bernard n'aurait pas eu besoin d'écrire son Introduction
à la médecine expérimentale (1865). Si l'on pouvait opposer de ce point de vue biologie et
psychologie, Fraisse ne se serait pas autant référé à Claude Bernard pour écrire sa
Défense de la méthode expérimentale en psychologie (1956).
Si nous revenons à la littérature sur le développement cognitif du nourrisson, deux
évolutions sont à noter dans la période relativement récente, qui devraient contribuer à
diminuer l'influence du nativisme. Pendant très longtemps, chacune de nos
connaissances sur les capacités cognitives du nourrisson ne portait que sur un seul âge
ou sur un échantillon d'âges faible. Mais l'accroissement et la diversification des
recherches ont conduit à une description de l'évolution avec l'âge des capacités
cognitives. Ce changement apparaît déjà très clairement quand on fait un bilan même
rapide des connaissances actuelles (Lécuyer 2014). Un autre facteur de déclin du
nativisme est que la vitesse à laquelle les bébés peuvent apprendre est mieux évaluée.
Un changement relativement récent dans la littérature est le poids croissant d'une
psychologie sociale du nourrisson. Dans une perspective néo-constructiviste, prenant
aussi en compte le socio-constructivisme de Doise et Mugny (1981), pour acquérir des
connaissances sur le monde physique, il faut repérer des variations et des régularités
dans son fonctionnement. Or il se trouve que les objets sociaux sont aussi des objets
physiques et en manipulent, et que s'ils possèdent certaines spécificités très
informatives en tant qu'êtres vivants et en tant que congénères, ils sont aussi soumis aux
lois de la physique et constituent même la principale source d'information disponible
dans l'entourage de l'enfant (Lécuyer, 1989, 2014). Mais surtout, très jeune le bébé est
capable de communiquer avec son monde social, d'interagir et de percevoir si son
partenaire interagit avec lui (Murray et Trevarthen, 1985 ; Nadel, Soussignan, Canet,
Libert, et Gérardin, 2005). Nous n'avons pas fini de prendre en compte le fait que le
bébé est efficace sur son milieu social bien avant de l'être sur son milieu physique, et en
apprend les régularités.
Ce qui précède semble indiquer que le chercheur doit savoir sortir de son laboratoire,
dont le grand mérite est de standardiser les situations le plus possible, ce qui en permet
la comparaison, mais dont la faiblesse est de ne pouvoir faire que des photographies, ou
des mini-films de l'activité cognitive, qui dans le milieu usuel est un très long métrage.
Certes, l'observation à domicile est d'une très grande difficulté, mais pour le moins, elle
peut être invoquée. Il n'est pas très difficile de penser qu'à la maison, la mère du bébé,
ou quelqu'un d'autre, disparaît très souvent derrière un objet, totalement ou
partiellement en fonction des hauteurs respectives de l'acteur et de l'objet, mais que cet
acteur, ou un objet qu'il manipule, disparaît moins souvent dans un récipient et encore
moins sous une cloche. A contrario, la seule prise en compte des données du laboratoire,
donc de moments isolés, conduit plus facilement à une psychologie de l'instantané que
du développement. Les bébés, eux, ne semblent pas être nativistes.
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1
'The nativist-empiricist dialog is not about the interaction of genes and their environment, but about whether knowledge of
things in the external world develops on the basis of encounters with those things.'
CHAPITRE 8
Auto-organisation et développement :
modèles connexionnistes, dynamiques
et structuro-sémantiques
Henri Lehalle
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les ingrédients de tout modèle de développement et les références possibles
L'approche connexionniste et le neuroconstructivisme
L'approche dynamique et les variabilités individuelles
L'approche structuro-sémantique et le retour des contenus
Conclusion
Introduction
Les théories du développement doivent décrire des processus généraux tout en
intégrant les variabilités développementales… Quel défi ! Dans ce chapitre, ce défi sera
relevé en présentant trois approches complémentaires : les simulations connexionnistes
qui ont pour ambition de reproduire artificiellement les changements
développementaux, les modélisations dynamiques qui sont une approche de la
complexité du développement, les modélisations structuro-sémantiques qui visent à
montrer comment les contenus de pensée sont susceptibles de s'organiser. Toutefois,
avant d'exposer ces approches, il nous faudra expliciter l'épistémologie commune aux
modélisations du développement.
Le modèle de neurone que l'on retient pour constituer les réseaux est assez simple
(figure 8.3). On laisse de côté la complexité biochimique interne aux cellules et entre les
cellules (synapses) pour ne retenir que le principe quasi mécanique de leur
fonctionnement. Ainsi, il y a trois étapes :
• comme dans le cas d'un neurone réel, une unité formelle reçoit des impulsions
(activatrices ou inhibitrices) qui proviennent d'un certain nombre d'unités en amont ;
• en fonction de ces impulsions, un calcul interne est effectué ;
• selon le résultat de ce calcul, l'unité envoie ou non une impulsion aux unités
suivantes. L'impulsion reçue et éventuellement envoyée dépend de la force de la
connexion entre les neurones (en entrée et en sortie). Le déclenchement de l'activité
d'un neurone (en sortie) est en tout ou rien pour les valeurs très fortes vs très faibles
de l'activation reçue ; pour les valeurs moyennes, l'activité en sortie est
habituellement calculée selon une fonction sigmoïde de l'activation reçue.
Ainsi, chaque unité du réseau fonctionne « comme » un neurone. Mais le travail
effectué par une unité formelle correspond en réalité à celui effectué par tout un
ensemble de neurones réels. Une unité n'est pas un neurone bien que son
fonctionnement soit calqué sur celui d'un neurone.
Comment un réseau connexionniste peut-il simuler un apprentissage ? Il y a trois
catégories d'unités. Les unités d'entrée correspondent à la prise d'information (input du
réseau) : telle perception, telle combinaison d'items définissant les données d'un
problème, etc. L'autre catégorie d'unités, ce sont les unités de sortie (output) qui
correspondent aux réponses du réseau. Enfin, il y a très souvent des unités intermédiaires
entre les unités d'entrée et les unités de sortie. « Apprendre » pour un réseau consiste à
relier de façon adéquate telle configuration d'entrée (c'est-à-dire quelles unités d'entrée
sont actives) à telle configuration de sortie (quelles unités de sortie doivent être actives
selon la configuration d'entrée).
Comment cet apprentissage est-il possible ? Au départ, le poids de chaque connexion
est aléatoire, si bien que le réseau répond un peu n'importe quoi. On appelle
« balayage » (sweep en anglais) la présentation de l'un des patterns de configuration
d'entrée, ce qui induit un parcours d'activation/inhibition dans le réseau jusqu'aux
unités de sortie. Après chaque balayage, on calcule l'erreur du réseau, c'est-à-dire, en
général, l'écart entre la réponse du réseau (par exemple les activations que la ou les
unités de sortie ont reçues pour telle configuration de départ) et la réponse attendue. À
la suite de quoi, le poids des connexions (leur « force », comme formulé plus haut) est
légèrement modifié dans la direction de la réponse attendue et un nouveau balayage est
lancé. Ainsi, après un grand nombre de balayages (1000, par exemple), le poids des
connexions peut finir par avoir des valeurs telles que la relation entre entrées et sorties
est en conformité avec ce qu'il fallait apprendre…
Connexionnisme et neuroconstructivisme
Après l'ouvrage collectif de Elman et al. (1996) et sous l'impulsion, en particulier,
d'Annette Karmiloff-Smith et de Steven R. Quartz, les relations entre la croissance
cérébrale et le développement psychologique ont été théorisées comme un
neuroconstructivisme3. Cette nouvelle perspective constitue une synthèse à partir des
avancées obtenues dans trois domaines : les connaissances neurobiologiques du
cerveau, les modélisations artificielles (le connexionnisme en particulier), les théories du
développement (principalement le point de vue piagétien). La présentation qui va
suivre s'appuie essentiellement sur les contributions de Quartz (1999, 2003) et, en
français, de Thomas et Baughman (2014).
Comme le formulait Quartz dès 1999, le point de vue constructiviste est devenu
nécessaire pour théoriser la croissance cérébrale. Les principaux arguments, que l'on
retrouve chez de nombreux auteurs, ont trois orientations complémentaires :
• on ne peut pas décrire le fonctionnement cérébral des enfants en lui appliquant le
modèle du fonctionnement adulte, qu'il aura à long terme, mais qu'il n'a pas encore ;
• de nombreuses preuves empiriques soulignent l'importance de la plasticité
cérébrale ;
• la croissance cérébrale se poursuit tout au long de l'enfance et jusqu'à l'adolescence,
et cette croissance est dépendante de l'expérience.
Thomas et Baughman (2014) montrent que le point de vue neuroconstructiviste
bouscule les idées reçues et fait avancer notre conception du développement sur de
nombreux aspects. Ces avancées concernent tout d'abord les développements
atypiques. Il ne s'agit plus de rechercher une cause isolable en invoquant la défaillance
d'un module génétiquement prédéterminé. Avec le neuroconstructivisme, le point de
vue est tout autre : on s'intéresse aux diverses contraintes, aux causes profondes qui
interagissent pour orienter le processus développemental dans une direction atypique.
C'est pourquoi les chercheurs neuroconstructivistes privilégient l'analyse des
trajectoires développementales (Thomas, Annaz, Ansari, Scerif, Jarrold et Karmiloff-
Smith, 2009). S'intéresser à la forme du développement (au niveau individuel ou pour
des groupes d'enfants typiques ou atypiques) apporte en effet des informations que les
simples comparaisons de moyennes ne peuvent fournir. Cette focalisation sur les
trajectoires, et en particulier sur les trajectoires individuelles, remet en cause la
distinction traditionnelle entre une psychologie générale du développement et une
psychologie différentielle. En effet, les différences individuelles apparaissent comme
des variations dans les trajectoires développementales.
Enfin, le neuroconstructivisme valorise le recours aux simulations computationnelles.
Qu'il s'agisse des réseaux connexionnistes ou des équations dynamiques, les
simulations sont utilisées pour tester des relations potentielles entre variables (Thomas
et Baughman, 2014). Cette utilisation de la simulation a même permis de suggérer une
hypothèse nouvelle concernant l'autisme qui pourrait résulter de perturbations dans la
connectivité du réseau au moment de l'élimination sélective des synapses.
Conclusion
Cette présentation des simulations connexionnistes avait pour objectif d'en préciser les
principes et de souligner leur intérêt pour mieux comprendre les processus de
développement. Mais il est important de rappeler, en conclusion, que le
connexionnisme ne constitue pas en lui-même une théorie développementale, à la
différence du neuroconstructivisme qui pourtant s'est appuyé sur les résultats des
simulations connexionnistes. Le connexionnisme est essentiellement une manière de
tester la plausibilité des théories développementales. C'est en cela qu'il a contribué au
dépassement des postulats nativistes.
Ainsi, les simulations connexionnistes ont permis des avancées considérables dans la
compréhension du développement psychologique et de ses difficultés. Elles valident le
point de vue des théories constructivistes tout en soulignant que des conditions
préalables sont nécessaires (type d'architecture, algorithme d'apprentissage, sensibilité à
l'environnement, etc.) pour que s'enclenche le processus constructif. Toutefois, les
descriptions mathématiques de ce processus et de ses subtilités ont également été prises
en charge par les modélisations dynamiques dont il va être question.
(1)
(3)
(4)
La seconde manière correspond à l'une des démarches les plus caractéristiques des
modélisations dynamiques (voir par exemple van Geert, 1998). Cette fois, l'équation
recherchée sera du type (1) comme indiqué plus haut. Elle devra prédire la valeur
observée au moment (t + 1) à partir de celle observée au moment (t). Il est essentiel de
comprendre la différence entre les équations (4) et (1) : dans les deux cas il s'agit de
modèles mathématiques… mais la signification psychologique des deux types de
modélisation est très différente. Dans le premier cas (équation 4), on décrit les
changements au cours du temps selon le critère de mesure retenu. Dans le second cas
(équation 1), on cherche à expliquer ces changements, car on teste un modèle
véritablement dynamique : il vise à cerner les déterminants de la transformation du
système au cours du temps.
Les changements observés dans plusieurs domaines de fonctionnement peuvent
dépendre les uns des autres. De ce point de vue, il est pertinent de se représenter le
système psychique en développement comme constitué d'un vaste ensemble de
« croissances » (growers en anglais). Chaque croissance est susceptible d'être décrite
comme une trajectoire développementale dont les déterminants sont à rechercher du
côté des caractéristiques environnementales et aussi au travers des influences que
peuvent exercer les niveaux atteints par les autres croissances.
Comme on pouvait s'en douter, les trajectoires individuelles se révèlent
habituellement très différentes d'un enfant à l'autre. Pourtant, cette variabilité
interindividuelle ne remet pas en cause la possibilité de décrire des processus généraux
communs aux diverses trajectoires. Pour autant, la construction de trajectoires
« moyennes » à partir des trajectoires individuelles est-elle pertinente ? Van Geert (2014)
met en garde contre ce type de traitement statistique. En effet, les propriétés d'une
classe d'individus ne conservent pas toujours ce qui fait l'essentiel des caractéristiques
individuelles.
Toutefois, Thomas et al. (2009) montrent l'intérêt que peut avoir l'analyse des
trajectoires développementales de groupe pour mieux comprendre les troubles du
développement (syndrome de Doll, syndrome de Williams, autisme, etc.). Ces
trajectoires sont obtenues selon le même principe de suivi temporel que celui de la
figure 8.5, sauf que chaque point de la figure correspond ici à un seul enfant. Chaque
enfant est repéré par sa performance et par un indice temporel (son âge chronologique
ou son âge mental). On aboutit ainsi, lorsque l'échantillon d'enfants est suffisamment
varié et nombreux, à une trajectoire collective formée par l'agrégation des coordonnées
notées pour chaque enfant, qui a telle performance à tel âge. Avec cette technique, les
auteurs ont pu comparer de façon très pertinente les développements d'enfants
typiques et atypiques (voir les exemples cités par Lehalle et Mellier, 2013, p. 318).
Conclusion
Ce chapitre a été l'occasion d'une présentation didactique de trois orientations
essentielles dans les tentatives de modélisation du développement. Localement, nous
avons montré les correspondances possibles entre les diverses approches qui sont en
fait complémentaires. C'est pourquoi les chercheurs des différents domaines
ambitionnent de parvenir à une théorie unifiée du développement (Spencer, Thomas et
McClelland, 2009). Il est nécessaire en particulier de théoriser les relations entre les
différents moments du développement : fonctionnement, microgenèse et macrogenèse.
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1
Grand merci à Jacques Lautrey pour m'avoir orienté vers cette référence à l'occasion de discussions passionnantes
sur le connexionnisme et les systèmes dynamiques.
2
N.B. Une période correspond à la présentation successive de chaque problème.
3
N.B. On trouve aussi la terminologie « constructivisme neuronal ».
CHAPITRE 9
PLAN DU CHAPITRE
Introduction : l'émergence d'un nouveau paradigme
« Une culture majoritaire » ?
Du corps enculturé à la cognition
L'appartenance culturelle
Conclusion
L'appartenance culturelle
À la fin de la première année, le bébé manifeste une intense curiosité pour les
conventions et les normes culturelles. Il les observe, les écoute, les imite et les reproduit
inlassablement. Il recherche activement l'approbation de ses proches pour être rassuré
sur la légitimité de ses actions. Mais comment perçoit-il que son action est une action
valorisée par son entourage ? Le savoir culturel partagé précède la possibilité de parler,
la culture se vit déjà dans le corps, et la cognition sociale et culturelle dont le bébé est
capable à la fin de la première année de vie est certainement le socle indispensable pour
accéder au langage : nous en avons aujourd'hui de nombreuses preuves.
D'autres études montrent que même avant de manifester sa compréhension de
situations concrètes, le bébé identifie des marqueurs d'appartenance culturelle. Kinzler,
Dupoux et Spelke (2007) ont démontré une préférence sociale pour des locuteurs de la
langue native chez le bébé de 5 mois, et ils ont montré également qu'à 10 mois les bébés
sont guidés dans leur choix d'un jouet par l'appartenance du partenaire, indicé par la
langue parlée (Kinzler, Dupoux, et Spelke, 2012). À 12 mois, ils choisissent une
nourriture goûtée préalablement par un locuteur de leur langue natale plutôt que par
un locuteur d'une langue étrangère (Shutts, Kinzler, McKee, et Spelke, 2009).
L'appartenance au groupe semble signalée par divers comportements et
caractéristiques, dont la langue, qui est probablement un indice particulièrement
saillant pour le bébé. D'autres indices permettant de signer une appartenance au groupe
et susceptibles d'orienter les préférences de l'enfant sont le type ethnique, la qualité
conventionnelle des actions, la mélodie ou encore les attributs physiques comme la
couleur des habits (Krieger, Möller, Zmyj, et Aschersleben, 2016).
Pour de nombreux chercheurs en psychologie du développement, l'apprentissage
culturel ne commence qu'à partir du dernier trimestre de la première année de la vie, ce
que Tomasello (1999) appelle « la révolution des 9 mois ». Mais le bébé plus jeune
identifie déjà les membres de son groupe d'appartenance, notamment grâce à son
aptitude à reconnaître les sons de sa langue natale, qui est précoce. Les chercheurs qui
mettent l'accent sur le rôle d'une « cognition sociale » pour l'apprentissage culturel sous-
estiment peut-être l'importance de toutes les formes de communication qui relient le
bébé à ses proches. En effet, si la psychologie du développement a hérité d'une
conception biaisée de la cognition, celle d'une cognition individuelle, désincarnée et
généralisable à tous, elle a peut-être surestimé le rôle par exemple d'une attention
conjointe fondée sur le regard. Ce processus socio-cognitif constitue sans doute un
mode d'enculturation central, même dans des cultures où l'interaction sociale est plus
distale et organisée autour de plusieurs partenaires plutôt qu'en dyade, mais la forme
qu'il prend pourrait être éloignée de celle décrite par les spécialistes (Ramstead,
Veissière, et Kirmayer, 2016).
Le bébé semble pourtant doté d'une capacité remarquable pour accéder aux
expériences subjectives d'autrui. L'intersubjectivité dont fait preuve le bébé de manière
très précoce, et peut-être de manière universelle, ouvrirait la voie à une expérience
culturelle (Trevarthen, 1988) faisant naître chez le bébé un sentiment d'appartenance qui
pourrait alors motiver les acquisitions cognitives à la base des premiers apprentissages
conventionnels, du langage et de la pensée symbolique.
La cognition sociale qui amorce un apprentissage culturel explicite (mémorisation des
règles, conventions, croyances, attitudes) serait alors ancrée dans toute une histoire
d'échanges cordonnés et de pratiques implicites répétées constitutifs des styles
communicatifs qui méritent d'être mieux connus. La première expérience culturelle du
bébé est peut-être sensorielle et kinesthésique. Cette culture première, sensorielle et
corporelle, s'inscrirait alors dans une mémoire implicite et procédurale agissant sur la
sensibilité de l'individu plutôt que sur une pensée symbolique ou pré-symbolique
(Gratier et Apter-Danon, 2009).
Le développement d'un sentiment d'appartenance culturelle est vraisemblablement
indissociable des comportements d'attachement que manifestent les bébés à l'égard de
leurs proches. La théorie de Bowlby (1969/1982) a eu une influence incommensurable
sur toute la psychologie du développement, mais sa théorie, du fait notamment de ses
prétendues origines biologiques, court le risque d'être taxé de théorie ethnocentrique.
La définition même de l'attachement « sécure » implique une approche normative et
s'appuie peut-être sur une survalorisation du statut autonome de l'enfant.
Malgré l'importance de cette théorie pour la compréhension du développement
affectif précoce et de ses formes atypiques ou déviantes, quelques controverses
apparaissent quant à l'utilisation des différents styles d'attachement d'une manière
« étique ». En effet, Grossmann et Grossmann (1991) sont les premiers à avoir testé cette
théorie dans une autre culture occidentale, en l'occurrence en Allemagne, où ils
trouvent une répartition différente entre les 3 styles d'attachement (sécure, insécure
anxieux et insécure ambivalent) de celle trouvée dans les études anglo-saxonnes.
D'autres chercheurs ont répliqué ces résultats et proposent que la proportion élevée
d'enfants « insécures » reflète les styles et pratiques de parentage de l'Allemagne du
Nord (Levine et Norman, 2008), à savoir un système de croyances qui valorise
particulièrement l'indépendance et l'autonomie. Ainsi, il apparaît nécessaire de relier les
comportements observés chez les enfants aux ethnothéories et pratiques parentales.
Harwood, Miller et Irizarry (1995) ont justement exploré les représentations qu'ont les
mères des comportements de l'enfant au cours de la Situation étrange. Ils ont comparé
les perceptions de mères anglo-américaines et portoricaines immigrées aux États-Unis.
Leurs résultats montrent que les mères portoricaines valorisent davantage les
comportements qui permettent à l'enfant de maintenir un comportement respectable et
approprié par rapport au contexte, alors que les mères anglo-américaines ont un plus
grand intérêt pour les comportements permettant à l'enfant de développer son
autonomie. Ces résultats montrent que les croyances et ethnothéories des mères
portoricaines contrastent avec le style d'attachement « sécure ». Selon Harwood et al.
(1995), l'identification et la comparaison de modèles culturellement différents
permettrait un aperçu à la fois des comportements d'attachement qui sont universels et
de ceux qui sont culturellement modelés.
Conclusion
Moins d'un siècle après son avènement, nous pouvons constater que l'objectif principal
d'une psychologie du développement motivée par la « révolution cognitive » a été à la
fois de distiller l'essence de l'esprit humain tel qu'il se manifeste aux débuts de la vie,
avant d'être « enculturé », et de décrire les processus par lesquels l'esprit humain
« minimal » s'enrichit de l'apport d'un monde intelligent et technique. Les psychologues
se sont centrés sur l'étude de l'esprit dont le corps auquel il serait amarré, avec ses
« contraintes motrices », ne fait rien de mieux que de ralentir des opérations mentales
potentiellement démesurées. De nombreux théoriciens et chercheurs s'élèvent depuis
quelques années, voire une ou deux décennies, pour tenter de rééquilibrer ces
positionnements initiaux (Damasio, 1994 ; Gallagher, 2005 ; Johnson, 2013 ; Thelen et al.,
2001). Nous assistons sans doute aujourd'hui à l'émergence d'un nouveau paradigme en
psychologie, associant les nécessités de prendre en compte la place du corps dans la
cognition, ou l'indissociabilité du corps et de l'esprit et le rôle du contexte culturel et
social. La prise en compte de l'intrication cognitive entre les personnes ne peut être
séparée de celle qui existe aussi entre les êtres humains et les environnements si
particuliers dans lesquels ils vivent, qui sont déjà façonnés par - et pour - leur manière
de penser et de vivre. Mais un changement de paradigme scientifique ne peut
réellement s'opérer que si les théories sont articulées avec des méthodes permettant de
les tester. Le décalage actuel entre les théories d'une cognition incarnée, située et
distribuée et les méthodes permettant de l'appréhender laisse à croire que ce nouveau
paradigme demeure encore bien discret.
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1
Ce processus historique est souvent décrit comme la « révolution cognitive » (Bruner, 1990 ; Gardner, 1985).
2
La cybernétique de Norbert Wiener était une nouvelle discipline qui rassemblait plusieurs approches scientifiques :
mathématiques, biologie, sciences de l'ingénieur. Elle abordait les organismes vivants et non vivants comme des
systèmes pouvant se contrôler par des processus de guidage intériorisés. En ce sens, elle est précurseur d'une
intelligence artificielle incarnée.
3
Qui veut dire « bizarre » en anglais, mais l'acronyme condense les mots « Western, Educated, Industrialized, Rich
and Democratic ».
PA R T I E 2
Les domaines du développement
CHAPITRE 10
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Le développement de la perception
Le développement de la motricité
Deux exemples du développement sensori-moteur
Conclusion
Introduction
Il faut rendre à Piaget, non pas d'avoir été le premier à utiliser le terme de sensori-
moteur, mais d'avoir considéré les interactions entre la perception et la motricité comme
source des tout premiers apprentissages, permettant à l'enfant de se construire une
représentation du monde physique. Ainsi, pour Piaget, l'intelligence sensori-motrice qui
se met en place au cours des deux premières années de vie permet à l'enfant de
résoudre des problèmes pratiques grâce à ses activités, avant l'apparition du langage et
des représentations mentales. Dans cette perspective, les structures se complexifient
allant des schèmes réflexes, qui incorporent des objets favorables à ce fonctionnement à
l'intériorisation des conduites (déduction sensori-motrice) en passant par les
adaptations acquises et les habitudes (exemple des secousses dans le berceau qui
déclenchent le mouvement du mobile et que le bébé répète à l'envi), et les actions
intentionnelles et dirigées (comme attraper un objet que le bébé voit et adapter la forme
de sa main à la prise d'informations tactiles comme la forme), déterminées spatialement.
Dans une vision plus dynamique, le développement sensori-moteur est envisagé
comme émergeant de l'interaction de multiples composantes elles-mêmes en
développement. La modification d'un seul paramètre d'une de ces composantes
entraîne une déstabilisation et pousse le système à s'auto-organiser vers un nouvel état
(comportement) plus stable créant ainsi le développement (Thelen et Smith, 1994).
Comme on le voit, expliquer le développement sensori-moteur ne peut se résumer à
la somme des deux développements, mais constitue un domaine spécifique où
perception et motricité se nourrissent l'un l'autre, dès la vie fœtale pour permettre une
connaissance intégrée du monde environnant, une cognition située, ou encore incarnée.
Pour autant, par commodité pédagogique, nous reprendrons les grandes lignes du
développement perceptif puis du développement moteur avant d'aborder deux
comportements signant ce codéveloppement sensori-moteur et qui permettront
d'illustrer cette approche intégrée: l'imitation et le développement de la préhension.
Le développement de la perception
La perception permet de reconnaître l'espace interne (sensations somesthésiques,
proprioceptives ou vestibulaires) et l'espace extérieur du corps (stimulations visuelles,
sonores, tactiles, olfactives), d'intégrer les qualités sensorielles afin d'identifier par
exemple les sons, les stimulations visuelles, tactiles, etc. À chaque type de stimulation
correspond un système sensoriel dédié. Selon le modèle d'Atkinson et Schiffrin (1968),
les activités perceptives demandent une mise en éveil attentionnelle afin de transformer
une sensation en un signal identifié, localisé et porteur de sens.
Si on a longtemps cru que le bébé était dépourvu de compétences perceptives, on sait
aujourd'hui qu'il possède des capacités multidimensionnelles lui permettant d'entrer en
contact avec autrui et qui se mettent en place dès la vie fœtale (figure 10.1). En effet,
l'immaturité relative des systèmes sensoriels n'est pas, comme on l'a longtemps pensé,
un obstacle à leur fonctionnalité. Ainsi, dès 13 semaines d'aménorrhées (SA), la
sensibilité tactile est la première à être fonctionnelle, suivie par l'équilibre (23 SA),
l'odorat (26 SA), la gustation (26 SA), l'audition et enfin la vision (Vauclair 2004). Cela
signifie donc qu'à 6 mois de grossesse, toutes les modalités sensorielles sont
fonctionnelles à des degrés divers (la vision, peu stimulée in utero, a un développement
sensiblement retardé par rapport aux autres modalités) (Granier-Deferre, Schaal et
DeCasper, 2004). Par exemple, la sensibilité kinesthésique, qui résulte de l'intégration
d'informations provenant de la proprioception et de l'appareil vestibulaire, est
fonctionnelle in utero, comme le montre la réactivité fœtale (augmentation du rythme
cardiaque par exemple) aux pressions exercées sur l'abdomen maternel (Lecanuet et
Jacquet, 2002). Dès la 9e semaine de gestation, les récepteurs réagissent à l'effleurement
de la zone oro- et péri-orale et Zoia et ses collaborateurs montrent que les fœtus font des
mouvements qui semblent coordonnés sur leur propre corps et la paroi de l'utérus à
partir de la 22e semaine de gestation (Zoia, D'Ottavio, Blason, Biancotto, Bulgheroni et
Castiello, 2012).
FIGURE 10.1 Développement des systèmes sensoriels in utero :
résumé des études anatomiques et comportementales.
Ainsi dans les parties qui vont suivre, nous envisagerons conjointement
développement des systèmes perceptifs et développement des compétences
perceptives. Ces dernières connaissances doivent beaucoup aux méthodes d'exploration
du bébé développées par les chercheurs à partir des années 1980 (voir les chapitres 7, 10
et 42 pour une revue détaillée), qui ont permis d'interroger le bébé dans des situations
favorisant un type attendu de comportements (bébés de laboratoire), et en utilisant des
paradigmes spécifiques, telle l'habituation, la succion non nutritive ou la transgression
des attentes.
Le développement du toucher
De nombreuses recherches ont été faites sur le développement du toucher, non
seulement parce que c'est un sens facilement accessible, mais aussi de par sa place
centrale dans l'établissement du lien entre le bébé et le monde social, notamment sa
mère : les échanges affectifs s'effectuent pour beaucoup, surtout au début de vie, via les
caresses et les effleurements. Les massages, comme les techniques du peau à peau
(méthode kangourou) apparaissent non seulement bénéfiques pour les bébés avec une
augmentation de l'activité gastrique et de la prise de poids (Field et al., 1986), mais aussi
pour les mères dont le niveau de stress s'abaisse (Scafidi et al., 1990 ; Hernandez-Reif,
Diego et Field, 2007). La méthode Kangourou1 favorise la synchronisation des
stimulations multimodales et on observe une meilleure qualité des interactions mère-
enfant, favorisant le lien d'attachement avec une diminution des pleurs et des sourires
plus fréquents (Klauss et Kennel, 1982).
Au niveau des compétences perceptives, on retiendra que les nouveau-nés peuvent
différencier tactilement un cylindre d'un prisme (Stréri, Lhote et Dutilleul, 2000) et
présentent dès 2 mois une mémoire tactile de la forme, certes fragile (Lhote et stréri,
1998), mais qui deviendra plus robuste deux mois plus tard (Lhote et Stréri, 2003). Ils
peuvent également transférer les informations acquises tactilement au système visuel
(Streri et Gentaz, 2003). Le système tactile est donc performant très tôt et permet au bébé
d'acquérir des compétences sur le monde environnant dès les premières heures de vie.
La sensibilité thermique est également présente très précocement, avec une sensibilité
qui semble plus précoce au froid. À la naissance, l'enfant peut discriminer deux tétines
de températures différentes (Hernandez-Reif et al., 2004) ou deux fioles contenant soit
de l'eau froide soit de l'eau chaude (Hernandez-Reif et al., 2003).
Le développement de la vision
L'acuité visuelle, qui se développe au cours des deux premières années de vie, reste
réduite dans les premières semaines, le bébé vivant dans un monde aux formes
imprécises jusqu'à 4 mois (Durand, 2004). Pour autant, le bébé est capable, dès la
naissance, de distinguer les contrastes, de percevoir les contours de cibles (Aslin et
Salapatek, 1975), et enfin de fixer et suivre une cible lumineuse de façon saccadée (Aslin
et Salapatek, 1975) puis douce à partir du troisième mois (Aslin, 1993). Ils sont
également sensibles aux mouvements dès les premiers instants de vie, le mouvement
pouvant apparaître comme un moyen d'attirer l'attention sur une stimulation précise
(Shea et Aslin, 1990). Concernant les compétences visuelles, le bébé est capable dès la
naissance de différencier des formes géométriques entre elles (Slater, 1995). Il préfère
regarder des configurations structurées et régulières, par exemple les points lumineux
d'une structure évoquant un humain (Berthendal, Proffitt et Cutting, 1984) et peut
reconnaître le visage de sa mère dès 3 jours (Pascalis, De Schonen, Morton, Deruelle et
Fabre-Grenet, 1995).
Le développement de l'audition
Le bébé naît avec des capacités de traitement du signal sonore déjà très fines, proches de
celles observées ultérieurement. Ils sont en particulier capables de percevoir des
différences d'amplitudes et de hauteurs, des intervalles de hauteurs, des différences
spectrales, des hauteurs relatives indépendamment du timbre, des contours mélodiques
ou encore de séparer deux flux auditifs simultanés (Winkler et al., 2009). Les bébés à la
naissance répondent à une stimulation auditive en modifiant leur rythme cardiaque et
leur comportement (clignement des yeux, mouvement de la tête vers la source auditive,
succion non nutritive). En 1980, nos connaissances sur leurs compétences auditives ont
été profondément réévaluées grâce à la publication de l'article désormais célèbre de
DeCasper et Fifer (1980) montrant le nouveau-né capable de modifier la durée des
pauses qui interrompent périodiquement sa succion non nutritive, soit dans le sens d'un
allongement, soit dans le sens d'un raccourcissement afin d'entendre l'enregistrement
de la voix de sa mère plutôt que celle d'une autre femme ! Ce résultat a ouvert la voie à
un grand nombre de recherches concernant la perception des propriétés des sons
complexes, comme les sons de la parole ou de la musique. Ainsi, les nouveau-nés
préfèrent leur langue maternelle à une langue étrangère (Nazzi, Bertoncini et Melher,
1998). Ils sont capables dès la naissance de distinguer les mots de la parole des non-
mots et à 1 mois ils sont capables de discriminer les lettres b/et p/et les sons ba/et
pa/(Eimas, Siqueland, Jusczyk et Vigorito, 1971). Enfin, le nouveau-né est capable de
discriminer différentes langues étrangères (Mehler et al., 1988 ; Moon, Panneton-Cooper
et Fifer, 1993 ; Nazzi et al., 1998), à la condition que celles-ci possèdent des propriétés
rythmiques différentes (Nazzi et al., 1998). Certaines de leurs capacités auditives
présentes à la naissance le sont déjà chez le fœtus proche du terme de la gestation
(Granier-Deferre et al., 2010, 2011). Plusieurs recherches ont démontré que les fœtus
pouvaient développer in utero une mémoire très spécifique pour des séquences de
paroles (DeCasper et Spence, 1986 ; DeCasper, Lecanuet et al., 1994) ou de musiques
(Granier-Deferre et al., 2011) très fréquemment et régulièrement présentées au cours des
semaines avant le terme de la gestation. Cette mémoire a été démontrée au cours de la
période fœtale, à 2–3 jours et 1 mois après la naissance, alors même que les enfants
n'avaient eu aucun contact postnatal avec les stimuli auditifs, confortant l'hypothèse
d'une contribution de l'expérience prénatale dans l'explication des performances
auditives de l'enfant à sa naissance.
Le développement de l'olfaction
Les recherches sur l'olfaction montrent que les nouveau-nés sont calmés et s'endorment
plus rapidement lorsqu'ils sentent une odeur d'origine maternelle par rapport à celles
d'une autre femme (Schaal, Montagné, Hertling, Bolzoni, Moyse, A., et Quichon, 1980).
Ils s'orientent également préférentiellement vers l'odeur de leur mère, ainsi que vers
leur liquide amniotique qu'ils différencient de celui d'une autre femme (Schaal, Marlier
et Soussignan, 1995). Ils sont sensibles aux odeurs plaisantes (sucre, vanille) et
manifestent des expressions faciales de dégoût face aux odeurs déplaisantes (poisson,
œuf pourri, etc.) (Engen et Lipsitt, 1965). Enfin, l'expérience olfactive qu'ils ont eue in
utero via le liquide amniotique (ail, anis, etc.) influence leurs réponses olfactives à la
naissance (Schaal, Marlier et Soussignan, 2000).
L'ensemble de ces recherches témoignent d'une organisation perceptive multimodale
sophistiquée, présente dès la vie in utero et qui est, à la naissance, déjà bien organisée.
Toutefois, les systèmes sensoriels ne se développant pas au même rythme et au même
moment, il faut veiller à en tenir compte lorsque l'on étudie le développement sensori-
moteur d'une manière globale et que l'on cherche à le théoriser.
Le développement de la motricité
La motricité a eu longtemps plus à faire avec le bon fonctionnement neurobiologique
que cognitif. Pour preuve les nombreux tests effectués dès la naissance à la maternité
qui témoignent de la bonne mise en place des principaux circuits neurobiologiques et
signent la vitalité psychique et physique du bébé. Pourtant les activités motrices ont
tout à voir avec la psychologie : elles sont génératrices d'intelligence (Piaget, 1936) et
sont au centre du développement cognitif : que ce soit pour agir sur les objets de
l'environnement (gestes manuels, fabrication d'outils, etc.), pour communiquer
(mimiques, langage articulé), pour exprimer des émotions (attitudes, etc.) ou se
déplacer (locomotion). Elles doivent donc « être envisagées comme produit du
développement et source de développement » (Lehalle et Mellier, 2013).
On trouve dans la littérature (par exemple Darwin, 1877, Gesell, 1945) nombre de
descriptions exhaustives du développement de la motricité (de leurs propres enfants !),
qu'elle soit spontanée (motilité) ou provoquée par un stimulus (réflexe ou geste
intentionnel), tant les répertoires sont riches et diversifiés, particulièrement entre 0 et
2 ans. Ainsi, de nombreuses échelles ont été créées afin d'inventorier et d'identifier les
grandes étapes du développement psychomoteur : tenue de la tête, préhension, station
assise, marche à quatre pattes, marche debout, saut, etc. On citera l'échelle standardisée
de développement moteur DF-MOT qui évalue à la fois le niveau de coordination
global, posturo-moteur et locomoteur (PML) et le niveau de coordination visuo-
manuelle (PCVM) fine de Laurence Vaivre-Douret (1997, 2003) en donnant des normes
statistiques des âges d'acquisitions des conduites motrices (figure 10.2).
FIGURE 10.2 Échelle de développement moteur DF-MOT ;
exemple de l'évaluation du niveau de coordination visuo-
manuelle (PCVM) fine. Vaivre-Douret, 1997.
Avant de décrire les différentes actions motrices du très jeune enfant, il est important
de rappeler que toute action n'est possible qu'avec une posture et un tonus adaptés. Le
tonus musculaire se définit comme un état de tension des muscles qui s'exerce de façon
permanente (tenue de la tête, redressement du dos, etc.), tandis que la posture qualifie
la position prise par le corps ou l'une de ses parties dans l'espace (position assise,
marche, saut, etc.). Les développements postural et tonique sont régis par deux « lois du
développement » au cours de la première année de vie :
• la loi du développement céphalo-caudal, qui témoigne d'une augmentation du tonus
de la tête vers les pieds. Ainsi à la naissance, le bébé se caractérise par une hypotonie
axiale et une hypertonie distale des fléchisseurs. Le contrôle tonique de son axe
corporel va lui permettre progressivement de tenir sa tête vers 3 mois, de se
maintenir assis vers 7 mois et de se tenir debout vers 1 an.
• et la loi du développement proximo-distal qui caractérise l'augmentation du tonus
des extenseurs progressant des épaules jusqu'aux mains. Ainsi, le contrôle tonique
de son axe proximo-distal lui permet, progressivement, d'attraper des objets vers
5 mois, d'effectuer une prise avec une pince à trois doigts (pouce, majeur et index) à
7 mois puis une pince fine à deux doigts (pouce/index) à 9 mois et de les manipuler
en changeant de main vers 8 mois.
On trouve chez le nouveau-né pas moins de 73 réflexes (Illingworth, 1990) : le réflexe
d'agrippement (ou grasping), le réflexe de Moro, la marche dite « automatique »…
Certains apparaissent et disparaissent au cours des premiers mois de la vie et d'un point
de vue pédiatrique, signent la bonne maturation du système nerveux central (c'est le cas
du grasping ou de la marche automatique, par exemple), d'autres arrivent plus
tardivement, comme les réflexes posturaux ou tendineux et ne disparaissent pas
toujours. Parmi les réflexes posturaux, on notera l'ATNR, réflexe asymétrique du cou,
dite position de l'escrimeur, où le bébé, la tête tournée vers un côté, a le bras opposé
replié vers sa tête et l'autre bras dirigé vers le côté où regarde sa tête (Coryell et Michel,
1978). Ce réflexe culmine entre 6 et 8 semaines et apparaît avoir un rôle fondateur dans
le développement et l'organisation des conduites sensori-motrices, notamment visuo-
manuelles (Bullinger, 2007).
Toutefois, ces réactions ne sont pas les seules présentes, comme on l'a longtemps
pensé : dans certaines situations, le bébé peut effectuer des conduites d'approche
d'objets dites volontaires ou dirigées (Hofsten, 1982). Ainsi, les pédiatres Amiel-Tison et
Grenier (1980) ont montré qu'en tenant la tête (ou la nuque) fixement dans le
prolongement de l'axe vertébral, on neutralisait de nombreux réflexes permettant en
quelque sorte de « libérer » la motricité volontaire du bébé. Cette méthode a permis
notamment de montrer et décrire les premiers gestes d'approche des objets chez le
nouveau-né (Hofsten, 1982).
Issue de la tradition biologique, il est d'usage d'opposer les réactions réflexes aux
conduites intentionnelles, comme si les premières étaient des conduites fermées et
rigides, les secondes des conduites ouvertes et souples. Touwen (1984, cité par Lehalle
et Mellier, 2013) propose de parler plutôt de « conduites spécifiques aux besoins du
nourrisson ». Cela signifie qu'en fonction des conditions environnementales, les
systèmes réflexes peuvent traiter des stimulations de l'environnement. Jouen et Molina
(2000) ont montré que le nourrisson de 3 jours utilise l'activité du réflexe d'agrippement
(grasping) pour explorer la texture de l'objet tenu et différencier la texture d'un objet de
même forme. Cette frontière réflexe/volontaire tombée, la motricité apparaît alors
comme modulable, souple, adaptable en fonction de l'environnement. Couplées à la
perception, ces sortes de modules sensori-moteurs permettent au bébé de relier des
informations sensorielles et motrices entre elles, temporellement réglées pour effectuer
un même but. Ces couplages sensori-moteurs apparaissent comme des « outils » pour
Bullinger (2007) permettant au bébé d'apprendre et d'expérimenter sur l'environnement.
En outre ils incitent à envisager la perception et l'action conjointement, dans une
perspective intégrée. Nous illustrons ci-dessous, à travers deux exemples, comment le
développement sensoriel et moteur se nourrissent l'un l'autre et font le développement.
Conclusion
Le bébé, est capable, dès lors qu'il est placé dans un contexte favorable, d'activités
organisées lui permettant d'accéder à différentes informations perceptives, de leur
donner un sens et en retour de construire progressivement son système de
représentation. Le développement psychomoteur témoigne d'interactions complexes
entre le moteur et le psychique. Ainsi la motivation, l'attention, les sens et l'intention
guident autant qu'ils sont guidés par la motricité. Ce développement psychomoteur
fait l'objet d'attention particulière de la part des cliniciens : s'il y a des compétences
sensori-motrices précoces, et si on peut les quantifier et les qualifier, alors on peut en
décrire la norme et par défaut extraire des comportements possiblement atypiques.
Il existe plusieurs échelles de ce type, nous citerons l'échelle de Brunet-Lézine
révisée (1997), très largement utilisée permettant de repérer des troubles dans le
développement sensori-moteur. C'est une échelle de développement psychomoteur
qui s'adresse à des bébés de 0 à 30 mois (tableau 10.1). Cette échelle permet de
repérer des perturbations dans ce développement, selon 4 domaines : 1. le domaine
moteur ou postural : Étude des mouvements de l'enfant dans les différentes
postures/positions étude de la locomotion, etc. ;
Tableau 10.1
Échelle du Brunet-Lezine révisée (1997).
3 mois A : tient la tête droite sans Regarde le cube C : vocalise en réponse à Q : s'anime aux préparatifs du
osciller posé sur la table l'examinateur biberon
V : s'appuie sur ses avant- C : tient Q : rit aux éclats C : soulève tête et épaules
bras fermement le au tiré-assis
C : joue avec ses mains, les hochet mis en
examine main
(Q) : conscient
de situations
nouvelles
4 mois V : garde les jambes en Regarde la pastille Tourne la tête immédiatement Participe à des jeux corporels
extension et la suit des pour regarder la personne qui (rit)
C : mouvements dirigés yeux parle
vers la serviette C : secoue et Q : exprime différemment
posée sur sa tête regarde le plaisir/déplaisir, colère/cris de
A : Tient assis avec un hochet mis en joie
léger soutien main
C : fait un
mouvement
dirigé vers
l'anneau
Saisit un cube au
contact
5 mois C : explore ses jambes et ses Tient un cube dans Q : rit et vocalise en manipulant Sourit au miroir
genoux sa main et ses jouets Q : crie quand un proche
D : tenu sous les bras, stade regarde le 2e Q : montre de l'intérêt aux s'éloigne
du sauteur Tend la main bruits extérieurs Différencie visages
jusqu'au hochet familiers et étrangers
tenu à distance
Saisit d'une
main l'anneau
balancé devant
lui
6 mois C : se débarrasse de la serviette Saisit dans sa Q : fait des roulades ou vocalise 4 Regarde ce que regarde l'adulte
C : prend ses pieds dans paume le cube sons si celui-ci montre du doigt
ses mains posé sur la table Réagit immédiatement à son (attention conjointe)
C : se met en position Tient deux cubes nom
assise au tiré-assis et regarde le 3e
Saisit la pastille
en ratissant
Soulève par
l'anse la tasse
retournée (cube
caché)
7 mois A : tient assis brièvement sans Saisit deux cubes, Q : attire l'attention par gestes, Participe activement au jeu de
soutien un dans chaque cris ou coucou
A : assis avec soutien, main émissions vocales (Q) : Joue à jeter ses jouets
enlève la serviette Cherche la
V : se hisse/genoux, pousse cuiller tombée
avec les bras Examine la
C : porte ses pieds à la clochette avec
bouche intérêt
8 mois V : enlève la serviette posée Saisit la pastille Q : vocalise plusieurs syllabes Manifeste quand on met un
sur sa tête avec distinctes objet hors de sa portée
C : se retourne du dos sur participation du Q : réagit à certains mots
le ventre pouce familiers
A : assis sans soutien, (Q) : joue à
enlève la serviette frapper deux
objets
Attire l'anneau
vers lui à l'aide
de la ficelle
Fait sonner la
clochette
9 mois V : mouvements nets de Accepte le 3e cube Q : émet des syllabes redoublées Q : comprend un interdit
déplacement en lâchant l'un Q : mange avec les doigts
D : se tient debout avec des 2 ou boit seul au biberon ou
appui Saisit la pastille boit au verre maintenu
D : soutenu sous les bras, entre le pouce et
fait des pas l'index
Retrouve le jouet
sous la serviette
10 mois C : se met assis seul Soulève la tasse et Q : Dit un mot de 2 syllabes Regarde ce que l'adulte regarde
D : debout avec appui, lève saisit le cube (sans que celui-ci montre
un pied et le repose caché dessous du doigt)
D : passe d'assis à debout Met un cube Q : Recommence ses
avec un appui dans la tasse ou propres mimiques
le retire
Cherche la
pastille à travers
le flacon
Cherche le
battant de la
clochette qui ont
fait rire
12 mois D : contrôle le passage de Prend le 3e cube Q : secoue la tête pour dire Q : se prête activement à
debout à assis sans se sans lâcher les 2 « non » l'habillage par l'adulte
laisser tomber autres Q : jargonne de manière (donne sa main ou son
D : fait quelques pas, tenu à Lâche un cube expressive pied)
une main dans la tasse
D : Tient debout 3 secondes Remet le rond
sans appui dans son trou
sur la planchette
Gribouille
faiblement sur
démonstration
14 mois D : marche seul couramment Reproduit une tour Q : utilise les onomatopées qui Montre du doigt ce qui
(5 pas) de 2 cubes sur font office de mots pour l'intéresse
D : monte à 4 pattes un modèle désigner objets, animaux, etc.
escalier Remplit la tasse Désigne 1 objet parmi 5 objets
de cubes (au présentés
moins 5)
Introduit la
pastille dans le
flacon
Place le rond
dans son trou
sur ordre
Fait un
gribouillage sur
ordre
17 mois D : marche à reculons Reproduit une tour Q : dit 5 mots Q : boit seul au verre en le
D : pousse du pied le de 3 cubes Désigne 3 objets parmi 10 tenant à 2 mains et mange
ballon Tourne les pages présentés seul à la cuiller
du livre Fait boire, manger ou coiffe
Retire la pastille l'adulte (2/3)
du flacon
Met le rond sur
la planchette
tournée de 180°
20 mois D : donne un coup de pied Reproduit une tour Nomme 2 ou désigne 4 images Assoit, donne à boire et brosse
dans le ballon après de 5 cubes sur 6 la poupée sur ordre (2/3)
démonstration Maintient la Désigne 4 objets parmi 10 Q : joue à faire semblant
D : court avec mouvements feuille de l'autre présentés (imitation différée)
coordonnés main pour Q : Fait des phrases de 2 mots
dessiner (déformés)
Place les 3
morceaux sur la
planchette
24 mois D : donne un coup de pied Aligne les cubes Nomme 6 images sur 15 Q : lave ses mains et essaie de
dans le ballon sur ordre pour copier un Désigne 8 objets ou en nomme les essuyer
D : se tient sur un pied train de 5 cubes 4 parmi 10
avec l'aide Imite un trait Q : Fait des phrases de 3 mots
d'une main tenue sans respect de Q : utilise son prénom quand
la direction il parle de lui
Met les 3
morceaux sur la
planchette
retournée
30 mois D (Q) : monte l'escalier seul en Reproduit un mur Nomme 10 images sur 15 Comprend 2 prépositions sur 5
alternant les pieds (avec ou fait avec 4 cubes Nomme 8 objets parmi 10 proposées (dans, sur,
sans appui au mur) (2 sur 2) présentés derrière, devant, dessous)
D : se tient sur un pied sans Reproduit une Q : utilise un des pronoms Q : enfile seul ses chaussons
aide (2 s) tour de 8 cubes « je, tu, il, elle » ou chaussettes
Imite un trait
horizontal et un
vertical
V : couché sur le ventre ; C : couché sur le dos ; D : debout ; Q : question aux parents. Si aucun item n'est spécifié,
l'enfant est assis devant la table (sur les genoux d'un parent pour les petits).
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1
Cette méthode a été créée à l'origine en Colombie par Rey et Martinez (1978) pour pallier au manque de couveuses
et la pauvreté. Elle consiste à mettre aussi souvent que possible et le plus longtemps possible le bébé peau contre
peau avec sa mère ou son père, enveloppé et bien emmitouflé contre son parent.
2
Encore plus surprenant, ce qui était un comportement réservé à l'être humain s'avère exister chez le singe rhésus :
https://www.youtube.com/watch?v=k72WFYv6WMw
C H A P I T R E 11
Le développement conceptuel
Emmanuel Sander
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Au-delà de l'approche classique des concepts
Des concepts pour abstraire
Conclusion
Introduction
Sans la faculté de s'appuyer sur les régularités révélées par les expériences passées pour
faire face au présent, aucune adaptation n'est possible. Les concepts se développent tout
au long de la vie d'une personne, dès sa naissance, et s'ajustent selon ses expériences.
Sans concepts, l'être humain serait dans un chaos mental permanent et incapable de
donner sens au moindre événement, de prendre la moindre décision, de communiquer,
de mémoriser, d'apprendre, de porter son attention, de faire usage du langage, de
raisonner. Le développement conceptuel du bébé, de l'enfant, de l'adolescent et de
l'adulte oriente sa conception du monde, ses relations avec les autres, ses interactions
avec l'environnement, ses raisonnements, ses décisions, ses apprentissages, ses manières
de faire face à la nouveauté.
L'essentiel des capacités inférentielles résulte de la faculté de catégorisation. Alors
qu'une catégorie est une structure mentale qui permet d'organiser des informations et
d'y accéder, la catégorisation consiste en l'assignation d'une certaine entité ou situation
à une catégorie (Hofstadter et Sander, 2013). Sa fonction est principalement inférentielle
en rendant disponibles des propriétés non immédiatement perceptibles : « après avoir
identifié un objet comme un chien, les gens font des prédictions à propos de ses
comportements futurs ou de propriétés invisibles comme le fait d'avoir un estomac »
(Murphy et Ross, 1994, p. 148–149). La catégorisation donne une perspective sur une
situation, permet d'en construire une interprétation et de faire des hypothèses sur des
éléments non observables (une personne a un estomac), sur des événements à venir (ce
verre en train de tomber va se briser) ou sur le résultat de ses propres actions (si j'appuie sur
l'interrupteur, l'ampoule s'allumera). Comme tout point de vue, une catégorie filtre : elle
ignore certaines propriétés d'une situation et en rend d'autres saillantes (Lakoff, 1987).
La question de la nature des concepts et des processus par lesquelles ils naissent et
évoluent depuis la plus jeune enfance et tout au long de la vie est donc un des chantiers
d'envergure de la psychologie du développement.
Conclusion
Ainsi, dès la plus jeune enfance la pensée mobilise sans cesse des catégories et « glisse »
de l'une à l'autre en fonction de la situation. La diversité des catégorisations repose sur
la multiplicité des perspectives applicables à une même situation et sur la capacité de
passer d'une perspective à une autre. Une dimension adaptative de l'abstraction est
orientée vers la prise du point de vue le plus adéquat parmi l'ensemble des points de
vue possibles : les entités et les situations requièrent d'être parfois regroupées selon une
même catégorie, et parfois distinguées selon différentes catégories. La disponibilité
d'une pluralité de niveaux d'abstraction rend possible de catégoriser au niveau le plus
adapté. Un enjeu majeur des recherches sur le développement conceptuel est donc de
concilier une approche qui articule la métaphoricité de l'esprit humain ainsi que son
caractère incarné avec l'abstraction et la flexibilité de sa cognition.
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1
Malgré quelques tentatives pour concilier les premiers résultats expérimentaux défavorables à l'approche classique
(Osherson et Smith, 1981 ; Smith, Rips et Shoben, 1974).
2
L'expression « les raisins sont trop verts » a les faveurs du dictionnaire de l'Académie française suite à la reprise par
Jean de La Fontaine de la fable d'Esope dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, mais pas forcément celle des locuteurs
français ; elle semble peu connue.
CHAPITRE 12
Le développement du langage
Caroline Guerini; Louise Goyet
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Au commencement du langage : la période avant 2 ans
La période langagière de 2 ans à 5 ans
Conclusion
Introduction
Le langage permet de moduler les connaissances et pensées que nous avons sur le
monde et se définit comme une fonction d'expression de la pensée et de la
communication entre les hommes. C'est grâce aux organes de la phonation (à savoir la
parole) et au moyen d'autres signes matériels (écriture, gestes, dessins) que le langage
s'exprime. Le langage est un outil par lequel les humains élaborent leurs différents
systèmes de communication linguistique (langues orales, langues signées, langues
écrites) qui leur permettent de concevoir et d'acquérir des systèmes de communication
élaborés, et qui constitue également un instrument privilégié pour manipuler des
représentations mentales et abstraites (les concepts) pour penser. Les études ont permis
de découvrir chez le jeune enfant l'existence de capacités perceptives précoces
participant dès le début de la vie à l'acquisition du langage. Cette découverte amène
ainsi depuis un demi-siècle, les chercheurs à déterminer quels sont les mécanismes
d'acquisition précoces de la parole qui permettent aux enfants d'apprendre leur(s)
langue(s) maternelle(s). Ces recherches ont grandement modifié les théories de
l'acquisition du langage, soulignant ainsi que l'acquisition du langage repose sur un
système qui entre en action bien avant la production des premiers mots, et cela
probablement même avant la naissance. Selon les théories des innéistes et des nativistes
(Chomsky, 1957, 1965 ; Melher et Dupoux, 1990 ; Jusczyk, 1997 ; Spelke, 1998), les
enfants posséderaient des capacités d'acquisition langagières spécialisées et seraient
équipés à la naissance d'un dispositif spécialisé de contraintes et de connaissances sur ce
que peuvent être les langues. Les nativistes (Melher et Belver, 1967 ; Spelke, 1998, et
Melher et Dupoux, 1990) défendent une théorie nativiste qui sous-tend que « naître
humain, c'est posséder à la naissance les caractéristiques de l'espèce et par exemple la
prédisposition au langage. Et si dans ces caractéristiques spécifiques figure une grande
capacité d'évolution des connaissances, naître humain c'est déjà naître avec un bagage
de connaissance de base : un core knowledge (Spelke, 1998) ». Cette théorie postule que
l'enfant posséderait dès la naissance un bagage cognitif avec des mécanismes prêts à
fonctionner et qui seraient dépendants de toute influence de l'environnement
(Christophe, Dupoux, Bertoncini, et Mehler, 1994 ; Nazzi, 1997 ; Christophe, et Morton,
1998).
À l'opposé, le courant socio-constructiviste (Wallon, 1934, 1941, Vygotsky, 1934,
1933/1985, Bruner, 1974, 1983a, 1983b) postule que l'expérience précoce sensorielle
jouerait un rôle majeur dans la mise en place et initialisation des compétences
sensorielles et cognitives de l'enfant. Cette dernière accorde un poids important à
l'expérience sensorielle qui influence le développement de l'enfant et ne considère pas
l'existence unique d'un innéisme développemental (voir chapitre 7). De plus, les
théories socio-constructivistes ont permis de mieux comprendre quels étaient les
facteurs liés à l'apprentissage du langage oral, en particulier le rôle des premières
interactions, et leurs évolutions tout au long de la petite enfance (voir chapitre 8).
Dans ce chapitre, nous présentons les données développementales de l'acquisition du
langage durant la petite enfance jusqu'à 5 ans, en considérant de façon conjointe, d'une
part les aspects linguistiques, et d'autre part les contextes d'interaction qui participent à
cette évolution langagière.
L'imitation néonatale
Comme présenté dans le chapitre précédent, le nouveau-né de quelques heures et de
quelques jours présente le réflexe de succion : mouvements spontanés de la bouche et
de la langue si l'on stimule la lèvre du bébé. Il est également capable d'imiter à partir
d'un modèle, un comportement de protrusion de la langue, et d'ouverture de la bouche
(Meltzoff et Moore, 1977, 1983, 1989). Ce comportement s'observe lorsque le nouveau-né
est en état d'éveil calme, et lorsque l'adulte fait le mouvement de tirer la langue ou
d'ouvrir la bouche. C'est en effet le mouvement qui attire l'attention du bébé. Celui-ci
produit davantage d'imitations faciales, par rapport à une stimulation visuelle telle que
l'ouverture de la main. D'autre part, on note le caractère volontaire de la part du bébé
lors de l'imitation, l'effort dans la production du comportement. Cette imitation de la
protrusion de la langue va au-delà du simple réflexe, car elle est marquée par l'effort du
bébé à reproduire le même comportement que celui de l'adulte, orienté et en direction
de celui-ci. Bower soulignait déjà en 1977 le caractère précis et social de l'imitation chez
le bébé : « La quantité de coordination inter-sensorielle préétablie qu'implique l'aptitude
du nouveau-né à imiter est infiniment plus étonnante que tout ce que nous avons
rencontré dans l'examen des capacités perceptives. Le contrôle moteur de la bouche, de
la langue, des yeux ou des doigts y est infiniment plus précis que tout ce que nous
avons vu dans les études sur la motricité du nouveau-né. Et toutes ces capacités sont
mises au service de ce qui, je pense, est clairement, un but social. Le nouveau-né prend
plaisir à l'interaction sociale avec les adultes » (p. 35).
Ces études expérimentales ont soulevé la question de l'interprétation de ces conduites
d'imitation précoces. En effet, comment le nouveau-né de quelques heures, peut-il
imiter un mouvement du visage, alors qu'il n'a jamais vu de visage ? L'interprétation
des auteurs privilégie l'accordage sensoriel, un système d'équivalences entre canaux
sensoriels, ce qui correspondrait à une capacité d'analyse innée amodale (indépendante
d'une modalité sensorielle spécifique). Autrement dit, le nouveau-né percevrait
l'équivalence entre sa propre perception des mouvements de sa bouche, et les
mouvements de la bouche de l'adulte.
Dans cette période du début de la vie, se bâtit le système de communication imiter/
être imité (Nadel, 1994, 2011). En effet, imiter le bébé a pour effet d'obtenir le contact œil
à œil, et d'établir déjà l'intérêt social pour l'autre. Il s'agit d'un format d'interaction
rudimentaire, sans intermédiaire cognitif symbolique, mais format puissant pour
l'échange émotionnel et la reconnaissance de l'autre comme partenaire de l'interaction.
L'observation de l'imitation néonatale rejoint les études qui soulignent la sensibilité et
l'attirance du nouveau-né pour le visage humain. En outre, durant les premières
semaines après la naissance, le bébé ne voit bien un objet que s'il est à une distance de
20–30 cm. Il se trouve que cette distance est celle du bébé avec le visage de l'adulte qui
le porte. De plus, le visage humain possède toutes les caractéristiques qui stimulent les
bébés : mouvements (yeux, bouche, tête) avec sons (voix). Toutes les conditions à
l'interaction sociale sont ainsi réunies, à la condition première que l'adulte initie cette
interaction. Vinter (1985) a montré que l'imitation néonatale diminue et disparaît
progressivement après six à huit semaines. Ce premier format laisse place ensuite à une
période riche en partage émotionnel, entre deux et cinq mois.
Les proto-conversations
Cette période de deux à cinq mois est caractérisée par l'échange émotionnel entre le
nourrisson et les personnes de l'entourage. Bower (1977) a été un des premiers à étudier
le sourire social qui apparaît aux alentours de six à huit semaines après la naissance, et à
montrer l'attirance considérable que le bébé a pour les personnes qui sont interaction
avec lui. Notons que l'acuité visuelle s'améliore vers deux-trois mois et que l'enfant
manifeste un intérêt accru pour les personnes et leurs paroles. Trevathen (1979) a
nommé par le terme « intersubjectivité » la capacité innée du bébé à percevoir les
émotions chez l'autre et à s'y accorder, c'est-à-dire à répondre, et à influencer aussi les
émotions de l'autre. C'est la rencontre de deux subjectivités qui vont s'influencer et se
modifier en fonction de la relation à l'autre. Soulignons que le concept
d'intersubjectivité est largement repris dans le contexte de la psychopathologie
(Georgieff et Speranza, 2013).
Trevarthen (in Nadel & Camaioni, 1993) rapporte un ensemble de ses recherches sur
le sujet, et montre que dès deux mois, on peut observer des conversations entre l'adulte
et l'enfant, certes rudimentaires (d'où le terme « proto-conversations »), mais qui
révèlent la capacité du nourrisson à participer à un échange alterné (verbalisations pour
l'adulte et babillage pour le bébé), selon des tours de parole (voir chapitre 36). L'échange
se fait aussi par le partage des émotions exprimées par le visage, la posture, les
intonations. L'expérience de la double vidéo menée par Murray et Trevarthen, en 1985,
démontre assez clairement que le nourrisson de deux mois réagit très rapidement aux
perturbations des signaux de communication, en particulier à l'absence de synchronie
interactionnelle et émotionnelle. Le bébé et la mère se regardent dans une situation de
face à face par un système de caméra, moniteur et magnétoscope. Ils peuvent ainsi
interagir même sans la présence physique. Le dispositif a été conçu d'une part pour
permettre la proto-conversation avec synchronie dans la mesure où les deux se voient et
s'entendent en direct, et d'autre part, pour établir une interaction sans synchronie (on
montre au bébé une séquence enregistrée de la mère par l'intermédiaire du
magnétoscope). Cette astuce expérimentale permet de montrer que le bébé réagit dans
la situation sans synchronie, par des froncements de sourcil, des expressions de
grimace, de désintérêt pour la situation, alors qu'il s'agit pourtant toujours du visage de
la mère. Ceci tend à valider que dès l'âge de deux mois, le nourrisson est sensible aux
signaux de la communication, et que c'est l'accordage émotionnel dans la synchronie
interactionnelle qui maintient l'engagement du nourrisson dans l'interaction.
Boysson-Bardies (1996) relève que le bébé est très attentif à une personne qui lui
parle. L'auteur rapporte deux expériences, celles de Kuhl et Meltzoff (1984) et de
MacKain et al. (1983) qui montrent que, à partir de cinq mois, le bébé peut mettre en
correspondance les voyelles qu'il entend avec les mouvements de la bouche qu'il
observe (perception intermodale entre la vision et l'audition). Cette capacité à mettre en
correspondance la vision et l'audition apparaît capitale pour l'acquisition du langage, et
renforce l'importance des premières interactions en face à face entre le nourrisson et
l'adulte. Le bébé étant capable de relever des invariants, on peut dire que la formation
du langage se produit dès cette période de la vie, dans le cours des interactions (Yeung,
Werker, 2013).
Le fait que le partenaire social suscite chez le nourrisson à la fois de l'intérêt et une
émotion positive amène certains auteurs à soutenir la thèse d'une motivation très
précoce pour l'engagement social (Trevarthen, 1974). Il semblerait en effet que
l'imitation réciproque entre la mère et le bébé soutienne l'échange chez le bébé
(Kugiumutzakis, 1993, 1999 ; Pawlby, 1977). Nagy et Molnar (2004) ont même mis en
évidence qu'après avoir montré un geste plusieurs fois au nouveau-né, puis marqué une
pause, celui-ci relance l'interaction en initiant le geste. Cette alternance d'imitations de
l'un et de l'autre prend la forme de dialogues gestuels, annonçant les échanges plus
élaborés dont l'enfant sera capable par la suite. Au cours des quarante dernières années,
les chercheurs C. Trevarthen, D. Stern, E. Tronick ou B. Beebe ont montré que le
nourrisson est capable très tôt de s'impliquer dans des échanges sociaux et de les
influencer, notamment grâce à une compétence temporelle et rythmique déjà bien
développée à la naissance (pour une revue de cette littérature, voir Pouthas, 1995).
Réciproquement, l'entourage soutient le nourrisson dans sa curiosité. Les adultes qui
s'adressent au nourrisson modifient spontanément la prosodie de leur parole (Fernald
et Simon, 1984 ; Stern, Spieker et McKain, 1982), et adaptent d'ailleurs instinctivement
son langage pour attirer son attention, en simplifiant les mots (cf. « motherese » : « le
parler bébé »). En modulant son discours, l'adulte soutient le bébé dans sa capacité à
maintenir son attention (Fernald et al., 1989 ; Papoušek, Papoušek et Bornstein, 1985), à
travers une intonation et des gestes plus calmes et posés lorsqu'il s'excite et à l'inverse,
avec des gestes plus toniques lorsque le bébé se désintéresse.
Conclusion
Les interactions sociales au cours de la petite enfance préparent à l'avènement de la
période scolaire à l'âge de 5–6 ans. Le passage à l'école primaire correspond à une étape
de développement, liée à des capacités nouvelles chez l'enfant. La capacité à la théorie
de l'esprit (compréhension des états mentaux, cf. Astington, 1999) et la maîtrise du
langage oral forment des socles indispensables à un nouvel apprentissage : le langage
écrit. Loin d'être une simple transposition du langage oral, le langage écrit nécessite un
apprentissage didactique qui permettra un autocontrôle de l'activité langagière. Les
interactions de tutelle gardent toute leur importance dans cette période d'âge scolaire.
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CHAPITRE 13
Le développement socio-émotionnel
Geneviève Laurent; Karin Ensink
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
De l'expérience à la conscience et à la compréhension des émotions
La compréhension émotionnelle : définition du concept et positionnement
théorique
La compréhension émotionnelle et l'intégration sociale à l'âge préscolaire
Conclusion
Introduction
La compréhension émotionnelle1 (CE), un des éléments les plus fondamentaux de la
cognition sociale et de la mentalisation, est une importante habileté qui transforme la
façon dont les émotions sont ressenties et perçues puisqu'elle nous aide à comprendre
nos propres réactions et celles des autres. Identifier nos émotions et attribuer un sens à
celles-ci ainsi que comprendre et interpréter les réactions émotionnelles d'autrui nous
aide à rendre le monde interpersonnel compréhensible et prévisible. Durant l'âge
préscolaire, l'enfant développe sa compréhension émotionnelle, ce qui lui permet de
prendre une distance par rapport à ses émotions et de mieux contrôler ses réactions
émotionnelles. (Fonagy, 2008). Dans ce chapitre nous offrons une introduction au
concept de compréhension émotionnelle et le positionnons théoriquement par rapport à
des concepts similaires comme la mentalisation, la théorie de l'esprit et l'empathie. Nous
mettons l'accent sur le développement précoce de la compréhension émotionnelle
durant la période préscolaire et traçons le développement des émotions et de la
compréhension émotionnelle en clarifiant les liens qui les relient.
La mentalisation parentale
Dans le modèle théorique du développement de l'enfant proposé par Fonagy et Target
(1996,1997), le FR parental, c'est-à-dire les capacités de mentalisation du parent et
l'intérêt de celui-ci envers la subjectivité et l'esprit de l'enfant, est un facteur clé dans
l'établissement de ses propres capacités de mentalisation (Ensink et al., 2015). Selon ce
modèle, la prise de conscience d'un individu de ses propres états mentaux et de ceux
des autres émerge dans le contexte des premières relations d'attachement, à l'intérieur
desquelles l'enfant apprend à identifier et à se représenter mentalement ses propres
affects et états d'âme. La mentalisation parentale se traduit par différentes attitudes et
comportements parentaux présents dès les premiers mois de la vie qui signifient à
l'enfant qu'il possède des états mentaux qui lui sont propres (Slade, 2008 ; Ensink,
Leroux, Biberdzic, Normandin et Fonagy, 2017 ; Ensink, Normandin, Plamondon,
Berthelot et Fonagy, 2016). Lorsqu'un parent réagit aux comportements de son enfant
comme étant des tentatives de communication intentionnelle en lui disant, par exemple,
lorsqu'il pleure : « veux-tu que je change ta couche ? » ou encore « veux-tu un câlin ? »,
il lui transmet qu'il est un agent psychologique, c'est-à-dire un être capable de réfléchir
à ses propres buts, intentions et croyances ainsi qu'à ceux des autres (Fonagy et Target,
2003). Meins (2003) a quant à elle suggéré que les commentaires appropriés des parents
sur les états mentaux de leur enfant leur procurent un échafaudage conceptuel et
linguistique pour comprendre comment leurs processus psychologiques internes
affectent leurs comportements. Les mères ayant un meilleur fonctionnement réflexif
utiliseraient davantage ce type de commentaires en interagissant avec leur jeune enfant
(Bérubé-Beaulieu, Ensink et Normandin, 2016 ; Rosenblum, McDonough, Sameroff, et
Muzik, 2008). Des études empiriques ont également démontré que ces références aux
états mentaux de l'enfant dans le discours du parent lors de la première année de vie de
celui-ci prédit ses capacités de mentalisation mesurées plus tard dans l'enfance (Laranjo,
Bernier, Meins, et Carlson, 2014). D'autres recherches ont également suggéré que le FR
parental prédit les capacités de compréhension émotionnelle (Steele, Steele, Croft, et
Fonagy, 1999) et de FR (Ensink et al., 2015) des enfants. Finalement, tant le FR parental
que celui de l'enfant ont été associés négativement à toute une gamme de difficultés
psychologiques chez des enfants dont la dissociation (Ensink, Bégin, Normandin,
Godbout et Fonagy, 2016), la dépression et les problèmes externalisés (Ensink, Bégin,
Normandin et Fonagy, 2016 ; Ensink, Bégin, Normandin, Biberdzic, Vohl et Fonagy,
2016).
Lorsque les enfants développent le langage, la mentalisation parentale se répercute
sur la façon dont ils prennent part aux conversations avec leur enfant (Doan et Wang,
2010 ; Dunn, Brown, et Beardsall, 1991 ; Ruffman, Slade, et Crowe, 2002 ; Symons,
Fossum, et Collins, 2006). Plusieurs études ont démontré que les mères qui manifestent
une orientation vers les états mentaux de leurs enfants lors des conversations avec ceux-
ci, ont des enfants qui ont une meilleure compréhension des causes des émotions à la fin
de l'âge préscolaire (Dunn et Brown, 1993) et une meilleure compréhension des
émotions impliquées dans divers scénarios sociaux au début de l'âge scolaire (Dunn,
Brown, et Beardsall, 1991). Des recherches subséquentes ont montré que les mères qui
discutent des évènements passés chargés émotionnellement de façon curieuse et
engageante avaient des enfants qui ont une meilleure compréhension de l'esprit et des
émotions d'autrui (Raikes et Thompson, 2008 ; van Bergen et Salmon, 2010 ; Welch-
Ross, 1997), ainsi que de leurs propres émotions (Warren et Stifter, 2008). Fivush, Haden
et Reese (2006) suggèrent qu'en parlant du passé de cette manière, les mères aident leurs
enfants à se construire des représentations émotionnelles détaillées qui les aident à
comprendre les événements présents. En corollaire, les enfants de parents qui
mentalisent pauvrement ou de façon erronée, éprouvent de la difficulté à saisir la
nature des états mentaux des autres (Ensink, et al., 2015 Fonagy, et Goodyer, 2006).
Plusieurs études empiriques ont démontré que la sécurité de l'attachement de l'enfant
prédisait les capacités de mentalisation (Meins, Fernyhough, Russell, et Clark-Carter,
1998 ; Meins et al., 2002 ; Raikes et Thompson, 2006). Bretherton (1993) a proposé que les
enfants qui ont un attachement sécure seraient plus ouverts à parler d'émotions avec
leurs parents. Par ailleurs, la mentalisation parentale adéquate contribuerait aussi au
développement du lien sécure de l'enfant au parent (Fonagy et al., 2002).
Conclusion
Dans ce chapitre nous avons fait un survol du développement de la compréhension
émotionnelle de la naissance à l'âge préscolaire. En nous basant sur plusieurs recherches
scientifiques, nous avons proposé que la compréhension émotionnelle, en aidant à
trouver du sens dans les réactions d'autrui et les siennes, change la façon dont nous
faisons l'expérience des émotions et contribue ainsi à la régulation émotionnelle. De
plus, le développement de la capacité à se représenter les affects et à comprendre ce qui
les a déclenchés étayerait la mentalisation des émotions difficiles contribuant ainsi à la
régulation du self ainsi qu'à la régulation comportementale. Développer la capacité de
comprendre nos propres émotions est essentiel pour pouvoir imaginer ce que nous
projetons sur les autres et être capable de comprendre ce que les autres ressentent
revient à imaginer ce qu'il y a à l'intérieur de l'autre. Nous avons passé en revue les
recherches qui démontrent que les capacités de compréhension émotionnelle précoces
qui sont à la base de la mentalisation émergent lors du développement normal. Pour la
plupart des enfants, ces capacités deviennent rapidement automatiques et sont
succédées de « poussées de croissance » jusqu'à l'adolescence et au début de l'âge
adulte. Toutefois, certains enfants qui, pour diverses raisons comme l'abus et la
négligence, ont moins d'opportunités de développer leurs connaissances des émotions,
risquent d'avoir de la difficulté à identifier et à comprendre les émotions dans les
contextes interpersonnels chargés émotionnellement.
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732125.
1
Le présent chapitre se concentre sur la compréhension émotionnelle, facteur central dans le développement socio-
émotionnel. Des aspects complémentaires du développement socio-émotionnel sont par ailleurs traités dans les
chapitres 3, 5 et 39. Pour une revue des aspects liés au tempérament, le lecteur pourra se référer à Lemelin et
Therriault (2012).
CHAPITRE 14
Le développement du raisonnement et du
jugement moral
Sylvain Moutier
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les capacités de prise de décision chez l'adulte : un rôle prépondérant des
émotions ?
Les capacités de jugement sur l'incertitude et l'apprentissage à l'inhibition d'un
biais émotionnel
Conclusion
Introduction
Un exemple classique de dilemme susceptible d'inaugurer un chapitre dédié au
développement des capacités de raisonnement et de prise de décision sous incertitude
pourrait être le suivant : « soit la pensée humaine manque d'exercice logique (p), soit
l'essence de la pensée humaine n'est pas rationnelle (q), mais quoi qu'il en soit l'être
humain est très sensible aux biais de raisonnement ». En effet, pour les logiciens, le
dilemme correspond à un raisonnement qui, à partir de deux propositions disjointes (p
ou q), conduit à une seule conclusion, soit vraie (lorsque que l'une des 2 propositions au
moins est vraie), soit indéterminée si les deux propositions initiales p et q s'avèrent être
fausses. Bien que l'enjeu des chercheurs soit d'étudier le développement de la rationalité
logique des enfants, adolescents et adultes, les dilemmes expérimentaux proposés en
laboratoire s'éloignent du dilemme strictement logique pour se rapprocher de la
définition courante de nos dilemmes quotidiens où deux options concurrentes
conduisent à des conséquences radicalement différentes. En effet, ces dilemmes élaborés
par les chercheurs s'apparentent souvent à des situations de prise de décision qualifiées
de « pièges », dès lors qu'un des deux choix proposés est, par exemple, attractif, mais
dangereux, tandis que l'autre choix offert est nettement moins attirant, mais pertinent. Il
s'agit alors d'observer les choix privilégiés par les participants à ces expériences et
surtout de comprendre quels sont les mécanismes cognitifs qui sous-tendent leurs
décisions : les participants sont-ils en mesure de résoudre ces dilemmes en résistant au
piège et en sélectionnant la décision pertinente ou au contraire vont-ils tomber dans le
piège et prendre une décision non adaptée voire absurde ?
De façon intéressante, dans ce domaine, les premiers travaux de psychologie
cognitive, de psychologie du développement, mais aussi de neurosciences
développementales, ont montré que les adultes, dans certains contextes « pièges »,
produisaient quasiment systématiquement des réponses irrationnelles et cela malgré
d'indéniables capacités logico-mathématiques. Deux chercheurs désormais célèbres,
Tversky et Kahneman (1973 ; 1974 ; 1983), pionniers d'un important courant de
recherche sur la rationalité humaine et ses biais, ont été les premiers à utiliser des
épreuves de ce type, en créant notamment des dilemmes inspirés des jeux de hasard et
d'argent. Selon eux, au-delà de leurs simples apparences ludiques et essentiellement
distrayantes, les situations de prise de décision financière étaient en réalité bien plus
complexes qu'un simple jeu de hasard et devaient être envisagées comme de véritables
outils diagnostiques de nos capacités de prise de décision. Prolongeant les travaux de
Tversky et Kahneman dans le domaine arithmétique, une série d'épreuves très simples
en apparences, élaborées par Frederick (2005) pour son Cognitive Reflection Test, illustre
clairement les effets d'interférences, caractéristiques de ces dilemmes, provenant de la
compétition cognitive entre deux stratégies possibles de résolution : l'une habituelle,
automatique (« heuristique »), mais erronée, et l'autre reposant sur un calcul
arithmétique, légèrement plus complexe, mais correct. Il s'agit par exemple d'imaginer
que vous êtes dans un magasin de sport devant une raquette de tennis et une balle.
Vous apprenez non seulement que l'ensemble vaut un euro et dix centimes, mais aussi
que la raquette vaut un euro de plus que la balle. Combien vaut cette balle ? La
formulation de ce problème semble induire chez une majorité de sujets une réponse
intuitive, « 10 centimes », susceptible de court-circuiter le calcul arithmétique
élémentaire associée à la réponse correcte 5 centimes (la balle vaut 0.05 € ; la raquette
vaut 1.05 € et le total est donc de 1.10 €). Or, les résultats mettent en évidence qu'une
grande majorité de sujets adultes ne parviennent pas à sélectionner la stratégie
avantageuse (conduisant à la bonne réponse : 5 centimes) et répondent de façon erronée
« 10 centimes ». Une telle réponse irrationnelle pour un problème arithmétique aussi
simple découlerait, selon Tversky et Kahneman (1983), de l'utilisation d'un système de
pensée qualifié d'heuristique c'est-à-dire, global, automatique et peu coûteux en
ressources attentionnelles (conduisant à la mauvaise réponse : 10 centimes) qui court-
circuiterait notre second système de pensée analytique, logique, mais plus coûteux en
termes d'attention mentale. Ces premières recherches sur le système heuristique, et les
décisions absurdes qu'il entraîne allaient d'abord révolutionner la psychologie du
raisonnement avant de mener Kahneman jusqu'au Prix Nobel d'Économie en 2002,
6 ans après le décès de Tversky. Ce prix Nobel d'économie décerné à un psychologue
récompensait en particulier l'introduction, cruciale pour les modélisations macro-
économiques, d'un tout nouveau modèle psychologique de sujet humain « décideur »
susceptible de prédire, selon le contexte de la prise de décision financière, non
seulement les choix rationnels, mais aussi les décisions absurdes (Kahneman, 2012).
Après un tel succès, les dilemmes de prise de décision financière et leurs éventails de
contextes pièges ont ensuite été proposés par les chercheurs en psychologie du
développement à des sujets d'âges différents. En effet, à l'instar du Monopoly de notre
enfance ou des innombrables jeux de loterie ou de casinos intégrés dans nos loisirs
d'adolescents et d'adultes, ces situations expérimentales basées sur des jeux financiers
peuvent être appliquées à tous les âges de la vie, afin de rendre compte du
développement de la pensée rationnelle et de ses biais.
Ainsi, l'objectif de ce chapitre est de présenter quelques-unes des recherches les plus
originales qui, à partir d'étonnantes situations expérimentales « pièges », ont permis de
mieux comprendre non seulement le développement des capacités de prise de décision,
de raisonnement et de jugement moral, de l'enfant à l'adulte, mais aussi de découvrir
l'influence prépondérante des émotions lorsqu'il s'agit de résoudre un dilemme de la
cognition en résistant aux multiples pièges du contexte.
D'une part, ces données confirment la sensibilité des enfants à l'intention des agents
en situation de blessure accidentelle, bien que cette sensibilité ne permette pas encore
une évaluation morale identique à celle de l'adulte. D'autre part, cette étude démontre
le rôle essentiel des ressources exécutives inhibitrices dans la résolution de ces
dilemmes où un personnage cause accidentellement une blessure.
Conclusion
En conclusion, si l'ensemble de ces données récentes sur le développement des capacités
de prise de décision et de jugement moral mettent en évidence l'implication des
systèmes émotionnels et exécutifs qui sous-tendent nos capacités de résolution des
dilemmes de la cognition, il reste néanmoins à mieux définir le rôle respectif de ces
systèmes dans la résistance aux biais de raisonnement ainsi que leurs bases neurales. À
terme, le renforcement de l'articulation entre les techniques comportementales de la
psychologie du développement, de la psychopathologie des émotions, et celles des
neurosciences (EEG/ERP et IRMf), devrait nous donner des indications nouvelles sur le
développement de l'architecture fonctionnelle de la prise de décision et des mécanismes
émotionnels permettant la résistance aux décisions absurdes des enfants, adolescents et
adultes (typiques ou atypiques) confrontés en perpétuelles situations de résolution de
dilemmes quotidiens ou professionnels.
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CHAPITRE 15
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Motricité et sensorialité : une intégration avant la naissance ?
Le nouveau-né : continuités et discontinuités
Interaction et intersubjectivité
Le bébé explorateur
Interaction, cognition sociale et enculturation
Comprendre et se faire comprendre
Conclusion
Introduction
Jusqu'au milieu du XIX siècle, la période néonatale, voire toute la période de la petite
enfance, était considérée comme une période de confusion des sens. En atteste la célèbre
phrase de William James (1890) : 'The baby, assailed by eyes, ears, nose, skin, and entrails at
once, feels it all as one great blooming, buzzing confusion […]1' (pp. 462). Cette vision du
nourrisson, comme un être passif et incapable de distinguer entre ce qui provient de son
propre corps et ce qui provient de son environnement, a été progressivement remplacée
par une psychologie cognitive du nourrisson, s'attachant à lui attribuer des
compétences actives. Piaget décrivait l'émergence d'une pensée dans et par l'action du
bébé sur son environnement. Pourtant, selon lui, aucune intégration des modalités
sensorielles n'est possible dans les premiers mois de la vie. Les actions du nouveau-né et
du jeune nourrisson sont décrites comme des actions réflexes, sans but apparent et
répétées par hasard pour s'organiser peu à peu en actions intentionnelles
caractéristiques d'une « intelligence sensori-motrice ». La psychologie cognitive du
nourrisson qui se développera rapidement à partir des années 1970, remet en question
sur bien des sujets un certain nombre de postulats piagétiens et révèle une précocité des
acquisitions cognitives. Ce courant considère le bébé comme capable de traiter des
informations variées provenant de stimuli extérieurs, mais en mettant de côté la richesse
multimodale de son environnement naturel. De nouveaux paradigmes, comme ceux de
la cognition incarnée ou située, prennent en compte ces dimensions et envisagent les
expériences sensorielles du jeune bébé comme déjà organisées : « les parfums, les
couleurs et les sons se répondent » (Baudelaire : Correspondances, 1857). De fait, dès sa
naissance, le bébé évolue au sein d'un environnement multimodal rendu cohérent par
les adultes qui l'accueillent en mobilisant de manière ajustée les sens déjà actifs de leur
bébé. Les adultes mettent en œuvre une « redondance intersensorielle » (Bahrick et
Lickliter, 2000) comme lorsqu'ils s'adressent au bébé : une parole aux contours intonatifs
exagérés est associée à des expressions faciales exagérées. Cette redondance facilite la
perception chez le bébé révélant une intégration hautement adaptative entre ses
compétences et les formes de communication intuitives déployées à son égard. Cette
approche incarnée de la cognition redonne une place centrale au corps et à la
sensorialité dans le développement cognitif, alors que les travaux neo-piagétiens ont
occulté l'importance évidente d'un développement coordonné des capacités
sensorielles, motrices, sociales, affectives et cognitives dès la naissance.
Du fait de changements rapides et intenses sur les plans anatomique, neurologique et
psychologique au cours des deux premières années de la vie, les processus intégratifs
sont particulièrement saillants, mais les connaissances actuelles sur les modalités et
processus développementaux qui sont à la base de cette intégration sont encore
incomplètes. L'objectif de ce chapitre, centré sur cette période de développement rapide,
est d'appréhender l'ontogenèse des processus intégratifs pour montrer qu'ils forment le
socle du développement tout au long de la vie. Le chapitre décrit la manière dont les
premiers échanges et toutes les formes de communication précoces évoluent avec les
compétences du nourrisson et les adaptations de son environnement social. Il souligne à
quel point ce que l'on considère habituellement comme des domaines séparés du
développement (moteur, cognitif, social) sont en réalité étroitement liés.
Interaction et intersubjectivité
Dès la fin des deux premiers mois de vie, le nourrisson se souvient de ses expériences et
a acquis des habitudes (Rovee-Collier, 1999). Le bébé est aussi capable de s'appuyer sur
les informations temporelles des événements (Lewkowicz, 1992). Sa capacité à organiser
et à prédire des évènements dans le temps (Provasi, Anderson, et Barbu-Roth, 2014), lui
permet d'être impliqué dans des échanges sociaux et de les influencer (Stern, 1985 ;
Trevarthen, 1993 ; Tronick et al., 1980). Il est important de noter que la nouvelle
sociabilité qui marque cette période de la vie est associée, d'une part, à la possibilité du
bébé de rester plus longtemps dans un état d'éveil calme et, d'autre part, au contrôle
accru qu'il a de sa posture par le maintien de la tête et du tronc.
Dès l'âge de deux mois, le bébé est sensible à la contingence du comportement et
préfère nettement les situations contingentes (où une action est liée à une autre)
(Murray et Trevarthen, 1986 ; Tronick, Als, Adamson, Wise, et Brazelton, 1978). La
contingence est non seulement temporelle (Van Egeren, Barratt et Roach, 2001), mais
aussi affective : la mère s'accorde dans le temps aux expressions émotionnelles du bébé
(Malatesta et Haviland, 1982). Ces ajustements permettent aussi l'élaboration de
protoconversations observables quelques semaines après la naissance (Trevarthen,
1977) basées sur l'échange rythmé de signaux multimodaux (Devouche et Gratier, 2001)
et de coordinations tonico-posturales. À partir des premières vocalisations non réflexes
(Oller, 1980), vers 6 semaines, s'organise le turn-taking vocal entre le bébé et ses
partenaires sociaux qui lui permet de réguler ses affects, d'orienter son attention et de
développer sa compétence communicative (Gratier et al., 2015 ; Hilbrink, Gattis et
Levinson, 2015).
L'intersubjectivité est une expérience vécue simultanément par au moins deux
personnes, qui ne nécessite pas d'avoir un stock de connaissances partagées, bien qu'elle
s'établisse le plus souvent par la mise en évidence de références communes. Une
communication intersubjective n'est possible qu'à travers le lien réciproque entre
perception et action. Si l'intersubjectivité s'articule d'abord autour de l'expérience elle-
même, elle s'ouvre progressivement sur l'extérieur, passant d'une attention mutuelle
vers une attention partagée. Vers 5 mois, les interactions sociales s'organisent plus
souvent autour d'objets, de routines ludiques adaptées aux compétences du nourrisson,
soutenant ainsi le passage d'une intersubjectivité primaire vers une intersubjectivité
secondaire (Trevarthen et Hubley, 1978). Il faut noter que dans la relation
d'intersubjectivité secondaire, l'intérêt du bébé ne porte pas sur l'objet extérieur en tant
que tel, mais plutôt sur l'expérience de prêter attention avec le partenaire social à un
objet d'intérêt commun, comme dans la situation d'attention conjointe.
Le bébé explorateur
Le développement de l'attention et exploration des
objets
L'exploration de l'environnement est souvent étayée par l'adulte (Amano et al., 2004).
L'adulte, en « socialisant » les objets qu'il manipule et en les intégrant dans la relation
interpersonnelle qui le lie au bébé, lui permet d'interagir à son tour avec ces objets
(Bakeman et Adamson, 1984). Entre 5 et 8 mois, l'intérêt pour les objets augmente, alors
que les regards vers la mère diminuent (Pêcheux, Findji et Ruel, 2000). Entre 9 et
12 mois, les bébés comprennent la nature référentielle du regard puisqu'ils ne regardent
pas lorsque l'adulte tourne la tête vers un objet les yeux fermés et ils sont surpris
lorsque l'adulte regarde en direction d'un objet n'est pas présent ou lorsqu'il regarde
dans la direction opposée de l'objet. L'attention conjointe s'observe nettement autour de
12 mois en lien avec un noyau d'habiletés sociales comme la réciprocité, l'imitation ou la
référenciation sociale. Certains chercheurs considèrent l'attention conjointe comme un
précurseur de la Théorie de l'Esprit (Charman et al., 2000) et un soubassement important
pour le développement du langage (Tomasello et Todd, 1983), car elle reflète une
sensibilité à l'agentivité de partenaires sociaux.
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1
Le bébé, agressé soudain par les yeux, les oreilles, le nez, la peau et les entrailles ressent tout cela comme une grande
confusion florissante et bourdonnante.
2
Lambrot, R., Xu, C., Saint-Phar, S., Chountalos, G., Cohen, T., Paquet, M., Kimmins, S. (2013). Low paternal dietary
folate alters the mouse sperm epigenome and is associated with negative pregnancy outcomes. Nat Commun, 4.
Retrieved from : http://dx.doi.org/10.1038/ncomms3889
CHAPITRE 16
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La construction de modèles internes opérants (MIO)
La fonction des MIO : faire des inférences à partir d'un processus d'analogie
Les facteurs impliqués dans le rappel des MIO
Les MIO sont-ils des catégories ?
Au-delà des relations...
Conclusion
Introduction
La représentation de la mère est sans doute l'une des premières à se mettre en place,
avant même la naissance et bien avant le développement des représentations
symboliques (Miljkovitch et Vanwalleghem, 2016). L'idée que cette relation constitue un
prototype pour les relations futures a été largement étudiée. Mais des recherches de
plus en plus nombreuses suggèrent une influence des interactions précoces bien au-delà
des relations affectives. L'étude des mécanismes sous-tendant cette influence permet de
mieux comprendre les ramifications, nombreuses et parfois inattendues, que peuvent
avoir ces premières expériences. Elles reposent sur des représentations qui s'élaborent
dès les premiers moments de la vie et qui s'infiltrent dans les expériences du quotidien.
Dans le présent chapitre, nous prendrons l'exemple des représentations des premières
relations pour tenter de comprendre comment celles-ci se construisent, et comment elles
sont implicitement rappelées pour appréhender la réalité présente.
Si l'empreinte du passé sur les relations affectives qui se tissent est déjà bien attestée,
on sait moins, en revanche jusqu'où les modèles internes peuvent gouverner les
agissements de l'individu. Certes, une relation dans son ensemble peut servir de
référence pour en comprendre une autre, mais les attachements précoces peuvent avoir
une influence qui va bien au-delà de la sphère relationnelle, du fait d'analogies
inconscientes qui guident de manière omniprésente les comportements.
Conclusion
Ainsi, tel un cercle qui s'élargit sans cesse, nos attachements précoces semblent se
répercuter, s'appuyant sur l'irrépressible propension humaine à réaliser des analogies,
là où on ne les attend guère, dans des sphères qui excèdent de beaucoup le champ des
relations et qui concernent le rapport au monde dans son ensemble. Ils contribuent à
notre unité, tout en fournissant des clés pour mieux la comprendre.
À l'issue de ce travail, nous proposons que le mécanisme qui sous-tend la convocation
d'un MIO pour interpréter des informations nouvelles repose sur des processus qui
dépassent la simple mobilisation des mêmes systèmes motivationnels (comme le
proposent Furman et Simon, 1999) et qui reposent sur un phénomène d'analogie entre la
situation présente et un ancien épisode stocké en mémoire. Ainsi, contrairement à ce
que suggèrent Schneider et al. (2001), la nécessité d'un lien de proximité ne serait pas
indispensable pour que le MIO soit appelé. Il semble plus judicieux de concevoir les
MIO comme de simples catégories, aussi multiples que les épisodes de la vie. Les
expériences d'attachement, du fait de leur précocité, serviraient de sources privilégiées
pour interpréter la réalité immédiate (et future) dans une infinité de domaines, bien au-
delà des relations interpersonnelles.
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Miljkovitch R. Les fondations du lien amoureux. Paris: Presses universitaires de
France. Coll. « Le lien social »; 2009.
1
Une étude que nous avons réalisée révèle que les personnes qui ont perdu un parent durant leur enfance sont plus
susceptibles de rompre prématurément une relation amoureuse (Miljkovitch, 2009).
PA R T I E 3
L'éducation
CHAPITRE 17
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Que dit la recherche en psychologie du développement sur la petite enfance ?
Les nouveaux regards sur le dessin et le jeu symbolique entre 2 et 5 ans
Les interactions entre enfants autour des jeux symboliques
Conclusion
Introduction
Le thème de ce chapitre est celui de la petite enfance, considérée comme la période
située avant l'entrée à l'école primaire. L'objectif est de présenter un essai de
perspectives croisées entre les problématiques rencontrées par les adultes qui sont
concernés par les débuts de la scolarisation (parents, famille, enseignants, éducateurs),
et les données issues de la recherche fondamentale et appliquée en psychologie du
développement.
En France, il semble admis que la grande majorité des enfants de 3 ans soient
scolarisés à l'école maternelle. Par contre, de façon plus spécifique, le questionnement
de la scolarisation précoce à l'âge de 2 ans a agité les débats sociétaux depuis quelques
années, de même que celui de l'évaluation des compétences du jeune enfant par des
notes (Florin et Crammier, 2009). Si les études soulignent que l'accueil à l'école des très
jeunes enfants doit suivre certaines règles spécifiques liées aux limites de leurs capacités
bio-psycho-sociales, elles mettent en avant que la scolarisation précoce peut favoriser
leur développement. Cependant, de nombreux professeurs d'école et psychologues
scolaires sont confrontés à des problématiques fréquentes liées au développement du
langage (« insécurité linguistique » selon Bentolila (2007 a, 2007 b) aux troubles de
l'attention, aux troubles du comportement (agressivité, inadaptation, agitation,
inhibition), et aux difficultés d'apprentissage. La scolarisation en école maternelle
suppose de regarder de près l'évolution des compétences de l'enfant, durant cette
période riche en changements tant au niveau psychomoteur, qu'aux niveaux affectif,
social et langagier.
Nous verrons dans ce chapitre comment les études récentes sur la petite enfance,
relatives aux conduites sémiotiques (dessin, jeu) et aux interactions sociales, contribuent
à apporter des données développementales qui permettraient de répondre aux
interrogations sur l'accueil des jeunes enfants en structure scolaire.
Le jeu symbolique
Nommées jeu symbolique, jeu de fiction, jeu de faire semblant, ou encore jeu de
simulacre, ces activités ludiques sont spontanées chez le jeune enfant, et apparaissent
vers vingt mois de façon presque furtive pour devenir très présentes dans les
comportements de l'enfant. Elles ont été décrites avec finesse par Piaget, dont nous
discuterons la théorie à ce sujet.
Dès 5–6 ans, elle passe son temps à organiser des scènes de famille, éducation,
mariage, etc. avec ses poupées, mais en construisant des maisons, des jardins et
souvent des meubles. À 6 ; 5 (12) elle édifie au moyen de plots et de baguettes une
grande maison, une écurie et un bûcher, entourés d'un jardin et pourvus de chemins et
avenues. Ces poupées circulent et dialoguent sans arrêt, mais l'attention est portée
aussi sur l'exactitude et la vraisemblance des constructions matérielles.
Le symbolisme collectif qui suppose la coordination des rôles sociaux et les progrès
de la socialisation n'aboutit pas au renforcement du symbolisme, mais à « sa
transformation plus ou moins rapide dans la direction de l'imitation objective du réel ».
Jusqu'à l'âge de 7 ans, le jeu est égocentrique et la socialisation fragile : l'enfant cherche à
travers le jeu symbolique à assimiler le réel. Mais, après 7 ans, se manifeste un tournant
décisif, car les symboles deviennent objectifs et les enfants coordonnent leurs activités
ludiques selon une adaptation au réel. Les règles sont alors le fondement du
symbolisme collectif et les différents jeux de règles proprement dits, tels les jeux de
marelle sont essentiellement socialisés et marquent un progrès dans l'évolution de la
pensée. Les jeux de règles sont les seuls à perdurer à l'âge adulte.
Piaget distingue trois stades dans l'évolution du jeu symbolique. Les premières
manifestations symboliques se différencient des rituels liés aux exercices sensori-
moteurs. Le symbole est l'instrument de l'assimilation ludique du réel. Le jeu
symbolique se présente lorsqu'un schème sensori-moteur se reproduit en dehors de son
objectif habituel. Les deux particularités concernent les moyens employés. Il s'agit soit
d'objets conçus comme de simples substituts, soit de l'évocation de l'objet sans support
matériel. « Lorsque J. fait semblant de dormir en tenant un coin de drap et en penchant
la tête, alors en effet, le schème sensori-moteur ainsi activé donne lieu à plus qu'un
simple "exercice", puisqu'il sert à évoquer une situation non actuelle et que le coin de
drap devient un substitut conscient, et non plus simplement pratique ou moteur, de
l'oreiller absent. Avec la projection de tels "schèmes symboliques" sur d'autres objets, la
voie est alors ouverte à l'assimilation de n'importe quoi à n'importe quoi, toute chose
pouvant servir de substitut fictif à toute autre ».
Observation 65
À 1 ; 3 (6). Elle fait semblant de mettre un rond de serviette dans sa bouche, puis elle
rit, fait « non » de la tête et le retire. Ce comportement est encore intermédiaire entre le
rituel et le symbole, mais à 1 ; 6 (28), elle fait semblant de boire et de manger, sans rien
avoir dans la main. À 1 ; 7, elle fait semblant de boire en se servant d'une boîte
quelconque et l'applique ensuite contre la bouche de tous les assistants. Ces derniers
symboles ont été préparés depuis un à deux mois par une ritualisation progressive dont
les principales étapes ont consisté à s'amuser à boire dans les verres vides puis à
répéter la chose en mimant le bruit des lèvres et du gosier.
Ces exemples montrent que le symbole est encore intégré dans la conduite elle-même.
Les comportements de faire semblant portent sur des activités habituelles telles que se
laver, dormir, manger. La limite de ces schèmes symboliques provient du fait qu'il n'y a
pas encore assimilation d'un objet pour un autre, ni combinaison d'actes.
Le premier stade est caractérisé par plusieurs progrès. Tout d'abord, Piaget note la
projection des schèmes symboliques sur des objets nouveaux, et la projection des
schèmes d'imitation sur des objets nouveaux. Dans le premier type de jeu, l'enfant
reproduit un schème d'action sur différents objets. Ainsi, l'enfant dit « pleure » à son
chien en imitant les pleurs puis fait pleurer d'autres animaux en peluche. Dans le
second type de jeu, il y a projection d'un schème d'action emprunté à autrui. Ainsi,
l'enfant fait semblant de téléphoner en imitant la voix de l'adulte puis fait téléphoner sa
poupée, et peut aussi exécuter cette action avec des objets substituts (une feuille en
guise de cornet). Les progrès sont particulièrement marqués lorsqu'apparaissent les jeux
ludiques fondés sur l'assimilation simple d'un objet à un autre. Avec les premiers
schèmes symboliques, on pouvait observer que l'enfant se servait d'objets-substituts
pour l'application du schème (par exemple, pour le schème dormir, la queue de l'âne en
peluche est prise pour l'oreiller), mais dans ces cas, c'est le schème symbolique qui
détermine l'objet-substitut. Selon Piaget, le progrès à ce nouveau stade réside dans le
fait que c'est l'objet-substitut qui détermine l'action. L'observation suivante illustre ce
type d'assimilation ludique.
Observation 78
Chez L., je n'ai noté qu'à 2 ; 1 (26) les premières assimilations d'objets entre eux
indépendamment des schèmes symboliques d'action : une pelure d'orange est
assimilée d'abord à une pomme de terre puis à des pâtes (qu'elle offre ensuite à
manger à la poupée). À 2 ; 1 (27) elle fait couler lentement du gravier entre ses doigts et
dit « il pleut ».
Il faut souligner que ces conduites symboliques sont accompagnées d'énoncés
verbaux qui le plus souvent annoncent l'action. L'assimilation d'un objet à un autre
précède le schème imitatif, « le symbole apparaît donc, comme le produit d'une
collaboration devenue généralisable entre l'assimilation ludique et l'imitation » (p.135).
À ce même stade, Piaget note une autre forme d'assimilation qui concerne le
comportement d'autrui : l'enfant imite l'attitude observée chez quelqu'un qui est absent
lors de cette conduite symbolique. Le premier stade est aussi marqué par un autre type
de progrès, celui des combinaisons symboliques que Piaget date à partir de 2 ans ½
pour se complexifier jusqu'à 4 ans. Les observations présentées ci-dessous montrent
qu'à ce stade, les objets-substituts sont utilisés dans des scènes symboliques ; il ne s'agit
plus d'actions isolées, mais l'enfant reproduit des « scènes réelles, à développements de
plus en plus étendus ».
Observation 81
À 3 ; 3 (29) L. sa canne devient un personnage multiple, tour à tour petit cheval qu'elle
enfourche, une dame dont elle fait la toilette et avec qui elle se promène en lui racontant
des histoires. Après quoi la pelle devient une petite dame dont on a lavé les cheveux,
etc.
L'observation suivante souligne bien que ces jeux fondés sur des combinaisons
symboliques empruntées au réel se développent d'autant plus rapidement pour un
enfant qu'il a pu les observer chez un autre enfant. Cependant, Piaget ne tire aucune
conclusion d'un éventuel effet des échanges entre enfants sur les combinaisons d'actes
symboliques.
Observation 82
L. de même dès la fin de la seconde année reproduit des scènes entières avec des
poupées : les habille, les fait marcher et leur tient des discours ; elle leur donne à
manger et à boire et s'associe à leur repas, puis range tout dans l'armoire. Ces jeux de
développent rapidement les mois suivants par emprunt à ceux de J., ce qui explique
leur précocité plus grande.
Le second stade, entre 4 et 7 ans, est défini par des jeux symboliques de plus en plus
ressemblants avec la réalité. Pour Piaget, les jeux se rapprochent d'une simple
représentation imitative de la réalité, aussi bien pour les rôles des personnages que pour
les constructions matérielles accompagnant le jeu (exactitude des détails d'une maison
de poupées, par exemple). Notons qu'une des caractéristiques de ce stade est l'ordre des
représentations. L'enfant produit des combinaisons symboliques ordonnées. La
transition avec le stade précédent se fait par le passage d'activités non cohérentes à des
progrès dans la cohérence du jeu. C'est aussi à ce stade que les progrès portent sur les
jeux de rôles assumés par l'enfant. Ainsi, dans l'observation n° 88, l'enfant imite
parfaitement le rôle d'un adulte familier selon une séquence ordonnée.
Observation 88
J. à 4 ; 7 (3) porte une longue pierre représentant le pot de lait d'Honorine (jeune
Valaisanne qui nous apporte le lait le matin) :
« Je suis la sœur d'Honorine, parce que Honorine est malade. Elle a la coqueluche. Elle
tousse et elle crache un peu. Alors ce serait dommage si la petite (= J. elle-même)
l'attrape (le tout est dit avec accent valaisan et roulement des R. et est entièrement
imaginaire).
– Merci.
– Ah ! je suis venue trop tard. Tiens, voilà Honorine qui arrive. (J. change de rôle et
tousse). Je reste loin de la petite, pour pas lui donner la coqueluche ; (geste et verser le
lait). Je ne crois pas que je donne la coqueluche à ce lait ». (J. redevient alors elle-
même qui prend le lait).
L'émergence du symbolisme collectif est une autre caractéristique définissant le
second stade des jeux symboliques. Le symbolisme collectif correspond selon Piaget à la
différenciation et à l'ajustement des rôles. Avant l'âge de 4 ans, les enfants aiment jouer
à deux ou à plusieurs et « s'imitent quelquefois dans le détail ». Piaget observe que
« après 4 ans, au contraire, il arrive de plus en plus que les rôles se différencient et
deviennent complémentaires ».
Observation 90
Par contre, lorsqu'il s'agit de jouer le même rôle avec imitation mutuelle, la collaboration
est possible plus tôt.
À 3 ; 9 J. dit à L. : « Deux sœurs qui lisent un livre, tu veux ? » et toutes deux (L. a 1 ; 4)
s'asseyent en regardant chacune son livre. À 4 ; 2 (13) même accord pour faire marcher
des avions, etc. (L. a 1 ; 7), mais les rôles identiques ne conduisent à aucun
développement suivi.
À 4 ; 7 (12) J. fait son possible pour monter une scène de promenade en auto. L. qui a
2 ; 2 (18) est en train de construire un lit et fait « brr » pour manifester sa participation
au mouvement de l'auto, mais n'abandonne nullement son jeu à elle. La suite est
d'abord un mélange inextricable des deux jeux pour L. tandis que J. organise les rôles
avec persévérance. J. finit par l'emporter, faisant de L. la femme d'une poupée (« Toi, tu
es la femme de ce mari. – Oui ») et d'elle-même une autre dame : (L.) « c'est deux
dames qui sont en auto » ; – (L.) Vous allez en auto, Madame ? – (J.) Oui, et je jette
votre mari et votre enfant par la fenêtre » (lance la poupée). Mais L. va les chercher et
oublie le jeu.
À 4 ; 7 (23) J. jouant avec une aînée (10 ans) s'adapte parfaitement à tous ses jeux de
dînette, famille, etc., et montre ainsi qu'elle aurait bien été capable de développer les
rôles complémentaires des jeux précédents si sa partenaire avait eu son âge. Quant à
L. éduquée par les exemples de J., c'est vers 3 ; 8-3 ; 9 qu'elle acquiert ce pouvoir.
D'après ces observations, le jeu symbolique collectif fondé sur la différenciation des
rôles ne serait possible qu'entre enfants de même âge. En effet, l'enfant plus jeune que sa
sœur, personne qui lui est pourtant familière, se lasse du jeu et ne participe pas de façon
complémentaire au déroulement de l'action. Il semble au contraire que J. âgée de 4 ans
et sept mois puisse coordonner le jeu avec une autre enfant plus âgée. Piaget suggère
que cette observation vient du fait que les enfants du second stade des jeux symboliques
partagent une forme de pensée socialisée qui se détache de « l'égocentrisme pur » à la
base des premiers jeux symboliques. Cependant, Piaget remarque que l'accord sur une
activité se produit par imitation du jeu, mais ce partage d'action semble limité puisqu'il
n'y a pas développement de l'action. Bien que Piaget ne fasse aucune hypothèse d'un
effet de la communication entre enfants sur les jeux symboliques, nous remarquons que
l'enfant plus jeune réalise des jeux symboliques complémentaires plus précocement que
prévu parce qu'elle a pu « s'éduquer » lors des échanges avec sa sœur. De plus, il s'agit
d'activités fondées sur des rituels familiers à l'enfant ; l'influence du milieu social nous
apparaît ici comme une source d'interrogation importante par rapport à l'aspect
d'égocentrisme que l'auteur met en avant dans les premiers jeux symboliques.
Le troisième stade des jeux symboliques est caractérisé par le déclin des symboles
déformants et l'émergence des jeux de règles. Les jeux symboliques observés à cet âge,
que Piaget situe entre sept et onze ans, sont essentiellement réalistes et sont marqués
par le fait que les enfants coordonnent leurs activités. C'est ce symbolisme collectif qui
mène à l'abandon du symbole individuel et à une organisation des activités selon des
règles. Par exemple, Piaget remarque que J. et T. âgés de 9 ans, improvisent des
comédies présentées devant des spectateurs puis en viennent à poser et à discuter à
l'avance les grandes lignes de l'histoire.
Conclusion
L'accueil des jeunes enfants en structure scolaire suscite de nombreuses questions sur le
développement de l'enfant (langage, comportement, acquisitions de compétences
psychomotrices, interactions sociales).
Concernant l'âge de la scolarisation, les études n'ont pas tranché en défaveur de la
scolarisation à l'école maternelle à l'âge de 2 ans. Cependant, le jeune enfant de 2 ans a
acquis la marche depuis peu de temps, et ses compétences psychomotrices sont
malhabiles ; le langage et les capacités représentationnelles sont limités, ainsi que les
capacités à se coordonner dans l'interaction avec un autre enfant. Il semble ainsi
nécessaire de souligner que l'accueil des tout jeunes ne peut se faire que dans des
groupes à effectifs très restreints. En effet, comment l'enfant pourrait-il apprendre et
développer le langage oral dans le brouhaha des grands groupes de vingt ou trente
enfants, avec un ou deux adultes pour les encadrer ? Le tout jeune enfant a besoin que
l'adulte s'adresse à lui dans des interactions d'étayage signifiantes et structurantes
(Brisset et Golse, 2006). Vers l'âge de 3 ans, les capacités langagières et symboliques et
les interactions entre enfants se développent significativement, et nous avons vu
qu'elles se complexifient tout au long de la petite enfance.
Nous avons mis en évidence le rôle des jeux de fiction dans les interactions entre
enfants. Le jeu libre à caractère fictif, co-construit au cours des interactions, forme des
moments privilégiés pendant lesquels les enfants évoluent sur plusieurs plans. Le jeu
libre symbolique est à mi-chemin entre l'acte moteur et la pensée. Il mène à développer
les méta-représentations et la capacité à la théorie de l'esprit (Leslie, 1987, Bradmetz et
Schneider, 1999 ; Deleau, 2002). On peut souligner que les interactions entre enfants ne
peuvent que favoriser le développement du langage, ainsi que la régulation des
émotions, et les capacités attentionnelles au cours d'échanges. Cela participe à la
capacité des enfants à surmonter les conflits, en comprenant l'état mental du partenaire.
De plus, comme il a été mentionné avec Harris, les enfants expérimentent le monde des
possibles et l'imagination à travers la fiction, ce qui constitue une racine fondamentale
du développement cognitif. Un autre caractère important du jeu libre est aussi
d'emmener l'enfant vers la maîtrise de script, étape non négligeable dans la
compréhension de la narration, un des éléments précurseurs de la lecture et de la
culture (Bruner, 2005).
L'activité graphique du dessin favorise le contrôle grapho-moteur, aspect
indispensable à l'écriture. Cependant, l'écriture des mots est le codage des sons avec des
signes, alors que le dessin est le codage des aspects visuels avec des signifiants
graphiques, ce qui confère à l'écriture un statut particulier dans les apprentissages, lié à
l'accès aux méta-représentations. Toutefois, le dessin participe aussi au développement
des capacités attentionnelles et de concentration sur une activité, ainsi qu'à l'expression
des représentations.
Ainsi, il nous apparaît important de tenir compte de ces trois aspects de la petite
enfance – dessin, jeu symbolique, interactions sociales – dans la réflexion à propos de
l'accueil donné aux jeunes enfants dans les structures scolaires de la maternelle, et ce
afin de favoriser la réussite de l'enfant dans les apprentissages fondamentaux, lors de
l'entrée à l'école primaire.
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CHAPITRE 18
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
L'évolution des approches théoriques sur le concept de motivation
Le paradigme sociocognitif d'étude de la motivation humaine
Les recherches en éducation et sur les apprentissages menées dans le cadre de
la TAD
Conclusion
Introduction
Pourquoi avez-vous choisi de suivre des études de psychologie ? Qu'est-ce qui vous
pousse à poursuivre malgré les difficultés que vous pouvez rencontrer ? Comment
persister et ne pas perdre son objectif de départ ? Toutes ces questions, que chacun peut
se poser sur son propre comportement ou celui d'autrui, interrogent le pourquoi de nos
conduites, de nos engagements dans diverses activités de la vie quotidienne. En
d'autres termes, il s'agit de comprendre ce qui déclenche, ce qui pousse à persister et à
fournir des efforts dans ces activités, mais aussi la direction vers laquelle ces conduites
sont dirigées. Ces questions qui ont traversé l'histoire de la pensée humaine depuis
l'Antiquité restent aujourd'hui d'actualité dans des domaines aussi divers que celui de
l'éducation, de la formation, du travail, du sport ou du développement tout au long de
la vie. Elles sont le cœur des recherches sur la motivation. Dans ce chapitre nous
proposons de centrer notre propos sur les recherches menées en psychologie dans le
domaine de l'éducation et des apprentissages, la motivation étant envisagée comme la
condition nécessaire à l'initiation, au maintien et à la direction de toute activité
d'apprentissage. Après une brève introduction de l'évolution du concept de motivation
depuis les travaux scientifiques menés en psychologie de la première moitié du
XXe siècle, nous présenterons plus en détail le paradigme sociocognitif dans lequel
s'inscrivent les théories actuelles de la motivation. Le propos ici n'étant pas de présenter
l'ensemble de ces théories, l'une d'entre elles, la théorie de l'autodétermination (Deci &
Ryan, 2002), retiendra notre attention (pour un aperçu des différentes théories actuelles
influentes dans le domaine, voir par exemple l'ouvrage collectif dirigé par Carré &
Fenouillet, 2009). L'illustration par des études empiriques menées dans ce cadre
théorique permettra d'envisager son intérêt pour comprendre, dans une approche
intégrée du comportement, les facteurs motivationnels à l'œuvre dans les situations
d'apprentissage ainsi que leurs implications possibles dans le domaine des
apprentissages scolaires.
La motivation intrinsèque
Les activités intrinsèquement motivées sont celles que les individus trouvent
intéressantes en elles-mêmes et en l'absence de toutes conséquences ou bénéfices
attendus. Cette conception est en accord avec celle de White (1959) qui conçoit que l'être
humain s'engage dans des activités pour pouvoir exercer ses compétences, et celles de
de Charms (1968) qui conçoit une tendance motivationnelle primaire de l'humain à se
sentir à l'origine de ses agissements. Deci (1975) propose ainsi que les comportements
intrinsèquement motivés sont fondés sur le besoin de se sentir compétent et
autodéterminé. Une série d'expériences a été conduite pour tester les effets de
l'environnement social dans son soutien à la satisfaction des trois besoins fondamentaux
et ses conséquences sur la motivation intrinsèque. Les résultats sont intéressants à plus
d'un titre et les enseignements que l'on peut en tirer sont source de réflexion sur le rôle
de l'intervention du formateur sur la persistance dans les apprentissages et sur la
qualité de ces derniers.
La motivation extrinsèque
L'activité intrinsèquement motivée, on l'a vu, a une grande importance, mais beaucoup
de nos activités de tous les jours ne sont pas nécessairement intéressantes en elles-
mêmes. Plusieurs de nos actions, en fait la majorité, sont extrinsèquement motivées, en
ce sens qu'elles relèvent d'une motivation instrumentale où l'on agit en vue d'une
conséquence attendue de notre comportement. La TAD suppose que certaines de ces
motivations extrinsèques sont autodéterminées en ce sens que l'engagement dans
l'activité, même s'il est de nature instrumentale, l'est par choix.
Plusieurs théories conçoivent l'intériorisation des normes sociales comme un
processus central de socialisation. Selon la TAD, cette intériorisation, considérée comme
un aspect essentiel de l'intégrité psychologique et de la cohésion sociale, est définie
comme la transformation active par l'individu de régulations externes en valeurs
internes. Il s'agit de l'intégration des valeurs sociales dans le soi (self). C'est le moyen par
lequel l'individu assimile et intériorise les régulations externes de telle façon qu'elles
font partie de son système de valeurs. C'est dans ce sens que des comportements
extrinsèquement motivés peuvent toutefois être autodéterminés. De la sorte, quatre
formes de motivation extrinsèque se définissent en fonction du type de régulation plus
ou moins internalisée, c'est-à-dire plus ou moins autodéterminée : la régulation externe,
la régulation introjectée, la régulation identifiée, et la régulation intégrée (figure 18.1).
FIGURE 18.1 Les formes de régulation de la motivation
extrinsèque. D'après Niemec et Ryan (2009).
L'amotivation
L'amotivation décrit l'engagement dans une activité sans pour autant percevoir les liens
entre ce que l'on fait et ce que cette activité peut apporter. L'amotivation est souvent
associée à un sentiment d'incompétence dans l'activité entreprise et de manque de
contrôle sur cette dernière. Cette perte de signification et de raisons pour s'engager
entraîne un désinvestissement dans les activités, de faibles performances et
s'accompagne souvent d'anxiété et de faible estime de soi.
Conclusion
Pour conclure, les recherches menées dans le domaine montrent l'importance des
facteurs motivationnels dans l'initiation, le maintien et la persistance dans le temps du
comportement engagé. Elles montrent aussi les conséquences positives d'une
motivation autodéterminée sur la qualité des apprentissages, les performances scolaires,
et globalement sur le bien-être de l'enfant. La prise en compte de ces facteurs
motivationnels, de leurs déterminants et de leurs conséquences pour comprendre les
processus d'apprentissage dans une approche intégrée paraît nécessaire.
Ainsi, dans le domaine de l'éducation, comme dans d'autres domaines de la vie
quotidienne, la perception de satisfaction des besoins de compétence,
d'autodétermination et d'affiliation sociale semble déterminante dans le développement
d'une motivation autodéterminée, et les différentes recherches menées dans le domaine
montrent l'importance cruciale du contexte social sur l'investissement dans les
apprentissages et notamment les apprentissages scolaires. Les contextes scolaires et
familiaux qui favorisent la satisfaction des besoins fondamentaux de compétence,
d'autodétermination et d'affiliation sociale favorisent de la sorte l'expression de
comportements autodéterminés vis-à-vis des apprentissages qui ont, en retour, des
effets positifs sur les plans cognitif, comportemental, et affectif.
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CHAPITRE 19
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les neurosciences et l'éducation
Attention, émotion et apprentissages
Conclusion
Introduction
Depuis un demi-siècle, le domaine des neurosciences s'est ouvert et développé à
d'autres disciplines, comme la psychologie cognitive, clinique, développementale et
sociale ainsi qu'à d'autres champs d'application comme l'éducation et la pédagogie.
Pour ce qui est du domaine de l'éducation, les psychologues, neuro-scientifiques et
enseignants tentent de nos jours d'identifier quels sont les corrélats cérébraux impliqués
dans les diverses fonctions cognitives (la mémoire, l'attention, le langage, le calcul, les
capacités visuo-spatiales et les fonctions exécutives : la planification, l'anticipation, le
raisonnement, la résolution de problèmes et la prise de décision) qui jouent un rôle
majeur dans le développement des apprentissages fondamentaux (lecture, écriture et
mathématiques). Les travaux issus des neurosciences et de la neuropsychologie ont
permis aux enseignants de mieux appréhender et de mieux comprendre le
développement des fonctions cognitives qui sont impliquées dans la mise en place des
mécanismes et stratégies d'apprentissage. Ces travaux ont de plus permis d'explorer
sous un autre angle d'étude les troubles et difficultés d'apprentissage liés à des
dysfonctionnements cognitifs ou cérébraux. L'apport des neurosciences a donc permis
d'affiner les connaissances dont nous disposons sur l'implication de structures
cérébrales spécifiques dans le développement et la régulation de nos fonctions
cognitives (mémoire, attention, et autres paramètres cognitifs comme la motivation et
les émotions). Les travaux issus des neurosciences apportent par ailleurs des éléments
de réponse quant au développement neurocognitif et à l'évolution des fonctions
cognitives impliquées dans l'élaboration des apprentissages.
La création d'un pont entre les recherches issues du domaine des neurosciences et
celles issues de la pédagogie ouvre des horizons quant à l'application de nouvelles
théories pédagogiques qui prennent en compte le développement de l'organisation des
structures cérébrales et la modulation des fonctions cognitives impliquées dans les
apprentissages. Il est important de souligner que cette considération est appuyée par
l'utilisation croissante des techniques d'imagerie cérébrale qui permet d'affiner à la fois
chez l'enfant, l'adolescent et l'adulte, l'étude des processus cérébraux impliqués dans la
régulation des fonctions cognitives. En effet, les recherches issues des neurosciences
apportent de nombreuses informations quant aux questions éducatives qui touchent à
l'apprentissage de la lecture (Gabrieli, 2009) et des mathématiques (Nieder et Dehaene,
2009). Ces travaux apportent en outre de nouveaux indices sur les compétences et les
contraintes, instigatrices de limites, du cerveau qui apprend (Stern, 2005a ; Rothbart et
Sheese, 2007 ; Favre et Simonneau, 2012). Ces études ont permis par ailleurs
d'appréhender sous l'angle de la neuro-cognition, les difficultés d'apprentissage
rencontrées par les élèves.
Dans une première partie de ce chapitre, nous présenterons l'apport des
neurosciences dans le domaine de l'éducation et du lien existant entre apprentissage et
cerveau, en décrivant les structures cérébrales impliquées dans les apprentissages. Enfin
dans une seconde partie nous présenterons les structures cérébrales qui régissent le
contrôle de l'attention, de l'émotion et de la motivation, fonctions qui jouent un rôle
fondamental dans le développement des apprentissages et dans l'acquisition des
connaissances.
Conclusion
L'observation des structures neuronales impliquées dans les diverses fonctions
cognitives permet d'établir de nouvelles approches et perspectives sur les pratiques
éducatives. Cependant, ce « progrès » présente des limites, car cette science ne détient
pas de « la vérité absolue ». Les connaissances issues des neurosciences, notamment de
la neuro-imagerie, peuvent s'avérer utiles, car elles apportent des informations et des
connaissances précises sur les capacités et les limites du cerveau qui apprend, mais elles
ne permettent pas encore de comprendre pourquoi certaines situations d'apprentissage
sont plus efficaces et adaptées que d'autres pour certains enfants. Ces recherches
réalisées en neurosciences ne doivent pas être détournées des objectifs éducatifs et
pédagogiques, comme considérer qu'il existe un déterminisme ou un pré requis cérébral
lié aux facultés d'apprentissage ou aux « compétences » d'un élève. Ce serait une
déviance problématique de considérer les neurosciences comme ayant une vocation
d'outil qui influence l'orientation scolaire, professionnelle des élèves. Leur objectif est
d'accompagner et d'aider les enseignants et pédagogues à affiner leurs connaissances
sur le développement et sur la structuration des fonctions cognitives qui entrent en jeu
dans les apprentissages. La pédagogie peut bénéficier des connaissances scientifiques
nouvelles, dès lors qu'elle les intègre aux facteurs environnementaux, sociaux et
culturels qui accompagnent l'enfant tout au long de son développement. Enfin, le rôle
de l'enseignant lors de la transmission des connaissances, des savoirs et savoir-faire,
reste majeur.
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CHAPITRE 20
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les champs des connaissances naïves
Des modèles tacites aux métaphores conceptuelles
Les connaissances naïves en sciences
Conclusion
Introduction
Un élève mobilise à l'école des connaissances de natures diverses. Parmi elles, on
compte la riche palette de ce qu'il a construit en dehors de l'école. Cela signifie en
particulier que lorsqu'une nouvelle notion du programme est introduite par un
enseignant, l'élève ne part pas de rien pour la construire, mais tient mobilisable un
arsenal de connaissances qui viendra interagir avec l'enseignement reçu. Ces
connaissances issues de la vie quotidienne, des pairs, des parents, des interactions avec
l'environnement, etc. vont l'influencer, tout comme d'autres connaissances acquises à
l'école dans d'autres domaines ou sur d'autres notions du domaine. Ce phénomène est
essentiel à prendre en compte pour construire des progressions d'apprentissage, pour
comprendre les difficultés rencontrées par les élèves et pour élaborer des évaluations
pertinentes. Son ignorance peut conduire à se méprendre sur ce qu'un élève a acquis et
sur les contextes dans lesquels il est susceptible d'appliquer ce qu'il a acquis. Par
exemple, un vocabulaire conforme à la terminologie scolaire peut masquer des
conceptions qui en sont éloignées.
L'élève décrit sa marche sur la Terre comme un déplacement d'un objet sur un disque.
Les enfants de son âge ont de nombreuses expériences de ce type, comme lorsqu'un
objet roule sur une table ronde : il se déplace jusqu'au bord, puis, arrivé à ce bord,
tombe. Cette connaissance est compatible avec l'expérience quotidienne d'une Terre
plate, et avec l'information répandue dans la vie quotidienne qu'elle est ronde. D'autres
enfants conçoivent une Terre creuse, ses habitants peuplant une région centrale plate à
l'intérieur. Cette connaissance est compatible avec le fait de vivre sur une Terre plate et
sphérique : « (les gens ne tombent pas) parce qu'ils sont à l'intérieur de la Terre… (la
Terre) est ronde comme une balle… (et nous vivons) à l'intérieur de la balle… au milieu
d'Elle » (Ibidem, p. 564). D'autres enfants s'appuient sur des connaissances naïves plus
proches de la conception d'une Terre sphérique telles que la Terre est « ronde, comme
un épais pancake » (Ibidem, p. 5481). Le pancake est lui aussi une connaissance familière
pour ces enfants, plat tout comme la Terre semble l'être, et rond et volumineux, tout
comme une sphère. Certains enfants conçoivent la Terre comme un gâteau à plusieurs
couches pour expliquer l'alternance de jour et nuit en Europe aux États-Unis, ils
évoquent une Terre plate Amérique sous la Terre plate Europe : durant la nuit
européenne, le soleil illuminerait la couche américaine (Vosniadou et Brewer, 1994).
Les connaissances naïves restent influentes au-delà de l'enfance. De nombreux
adultes voient ainsi le thermostat d'un radiateur comme une valve : comme une pédale
d'accélérateur contrôle la quantité d'essence injectée dans un moteur, une pièce d'une
maison est supposée chauffer d'autant plus vite que le thermostat est positionné vers le
haut (Kempton, 1987). Des débutants en électricité conçoivent un interrupteur électrique
comme la gâchette d'une arme, envoyant une impulsion du générateur électrique à
l'ampoule (Collins et Stevens, 1984). Une fable de Jean de la Fontaine que des
générations d'enseignants ont fait étudier à des générations d'écoliers, La cigale et la
fourmi, illustre également ce phénomène. Un passage mentionne la pénurie alimentaire
à laquelle la cigale doit faire face :
Les deux dernières lignes indiquent : « Pas un seul petit morceau de mouche ou de
vermisseau. » Si Jean de La Fontaine avait choisi d'écrire : « Pas un seul petit morceau
de lion ou de taureau », tout lecteur, enfant comme adulte, serait choqué. Pourtant, à
leur stade larvaire, les cigales s'alimentent de la sève des racines puis, devenues adultes,
aspirent le liquide de branches ; elle ne peut pas plus consommer de mouches ou de
vermisseaux que de lion ou de taureau. Cette conception découle de la connaissance
naïve d'une cigale anthropomorphisée qui se nourrit de créatures de petite taille de son
milieu naturel (Hofstadter et Sander, 2013). Tout lecteur qui découvre cette aberration
biologique à la lecture de ces lignes indique par ce fait sa sensibilité persistante à la
connaissance naïve anthropomorphique.
Des modèles tacites aux métaphores conceptuelles
Lakoff et Nunez (2000) font dépendre les mathématiques de métaphores constitutives
de cette science. Leurs recherches rejoignent des travaux en sciences de l'éducation, en
particulier la théorie des modèles tacites de Fischbein (par exemple 1989, 1994). Selon
ces chercheurs, les conceptions des notions mathématiques sont déterminées par des
métaphores conceptuelles selon la terminologie de Lakoff et Nunez, ou modèles tacites
selon celle de Fischbein. Ce phénomène concerne y compris les notions les plus
élémentaires et résiste à la scolarisation. Selon la théorie des modèles tacites, « chaque
opération fondamentale en arithmétique reste généralement attachée à un modèle
intuitif, primitif, implicite et inconscient. L'identification de l'opération nécessaire pour
résoudre un problème… n'est pas directe, mais est faite par l'intermédiaire du modèle »
(Fischbein et al., 1985, p. 4). Les caractéristiques des modèles tacites sont les suivantes
(Fischbein, 1989, 1994) :
Il s'agit d'entités structurales, qui ne consistent pas en l'application d'une unique
règle, mais permettent une interprétation globale : des conceptions erronées peuvent à
première vue sembler sans rapport, mais relever d'une même connaissance naïve. Par
exemple, croire qu'un ensemble mathématique contient au moins deux éléments et que
ces éléments ont forcément des relations en commun dérive de la connaissance naïve
d'un ensemble vu comme une collection d'objets.
Construits à travers des expériences répétées, les modèles tacites sont concrets,
pratiques et liés à des actions, mais comportent une abstraction, car ils s'appliquent à un
grand nombre de situations.
Ils sont simples, peu coûteux à appliquer, directement représentables en termes
d'actions. Leur faible coût explique leur rôle privilégié dans le raisonnement
mathématique.
Ils imposent des contraintes. Par exemple, l'interprétation division-partage, qui
correspond à la division d'une collection d'objets en un certain nombre de sous-
collections, contraint les valeurs du dividende et du diviseur.
Ils sont robustes, en ce qu'ils subsistent après que la notion formelle ait été étudiée,
offrant un cadre interprétatif, comme le montrent par exemple les travaux de Tirosh et
Graeber (1991) auprès d'enseignants en formation.
Lakoff et Nunez (2000) distinguent les métaphores ancrées (grounding metaphors),
telles que la division conceptualisée comme un partage, qui prennent source dans
l'expérience concrète et dépendent peu de l'instruction scolaire, contrairement aux
métaphores de liaison (linking metaphors) qui lient deux notions mathématiques, l'une
étant métaphore de l'autre, par exemple des figures géométriques métaphores
d'équations algébriques ou une droite métaphore de l'ensemble des nombres réels. Les
métaphores constitutives des notions mathématiques élémentaires sont ancrées. La
connaissance naïve l'arithmétique est une collection d'objets permet ainsi de définir la
notion de nombre et les opérations arithmétiques. Un nombre est associé aux collections
d'une certaine taille, cette taille commune définissant sa valeur. La plus petite collection
correspond à l'unité, le terme supérieur signifie taille plus grande et le terme inférieur,
taille plus petite. La réunion de collections définit l'addition et l'exclusion d'une petite
collection d'une plus grande définit la soustraction. Les propriétés de l'arithmétique
élémentaire dérivent de celles des collections d'objets : la stabilité de l'addition et de la
soustraction dérive du fait qu'ajouter ou soustraire une collection d'une taille donnée à
une collection d'une autre taille donnée conduit à une collection de taille invariante.
L'addition et la soustraction apparaissent comme réciproques, car ajouter une collection
à une autre puis la retirer, ou vice-versa, aboutit à la collection originelle. Sophian (2007)
dans une perspective différente rattache également les interprétations des situations
additives et soustractives à un cadre ensembliste à l'intérieur duquel les différents types
d'énoncés peuvent s'interpréter. La multiplication consiste à regrouper des collections
de même taille ou additionner de manière répétée une collection d'une certaine taille.
Pour la division, il s'agit de séparer un tout en parties égales ou de soustraire
itérativement une collection à une autre. La collection d'objets n'est pas la seule
métaphore potentielle de l'arithmétique. Dans la version construction d'objets, les
opérations sont des constructions : l'addition construit une entité nouvelle en en
agrégeant deux et la soustraction construit une entité en enlevant une partie. Des
expressions telles que « 5 se décompose en 3 et 2 », ou encore « Si tu mets 2 et
3 ensemble, tu obtiens 5 », relèvent de cette métaphore. Dans le cadre d'une troisième
métaphore, celle du mètre étalon (measuring stick), l'unité est le mètre étalon, un nombre
est un segment d'une certaine longueur, l'addition consiste en l'accolement de deux
segments dont la longueur est le nombre d'unités associé à chaque valeur. La valeur de
deux nombres se compare par celle des segments correspondants. La métaphore sur
laquelle s'appuie préférentiellement l'élève, ou l'enseignant, n'est pas anodine. Par
exemple, selon Selter et al. (2012), la métaphore ensembliste de la soustraction, bien que
la plus fréquente, est moins productive que celle de la différence, qui elle est plus
aisément rattachable à celle du mètre étalon.
La connaissance naïve du signe = est dénommée métaphore processus-produit par
Kaput (1979). On y dispose d'un ensemble d'ingrédients et d'un produit final, résultat
du processus. Cette connaissance naïve aboutit à une seule valeur après le signe = (le
résultat du processus), à ce que l'égalité ne soit ni réflexive (on ne peut pas écrire qu'une
valeur est égale à elle même) ni symétrique (si on écrit a = b, on n'écrit pas b = a).
Ginsburg (1977) a montré que des élèves refusent l'écriture ? = 3 + 4 et que 3 = 3 est
interprété comme 7–4 = 3. Kieran (1981, p. 319) a trouvé que 4 + 5 = 3 + 6 donnait lieu à
des commentaires comme « Après le « = «, il devrait y avoir la réponse. C'est la fin et
pas un autre problème ».
Concernant la multiplication, la connaissance naïve « multiplier, c'est additionner
plusieurs fois » conduit aussi à des obstacles : en demandant à des élèves de 12 à 15 ans
le prix de 0.27 gallons d'essence si un gallon coûte £ 1.22, la réponse la plus fréquente
était 1.22/0.27. Pour des valeurs entières, par exemple 5 gallons au prix unitaire de 2 £,
les élèves proposaient la réponse correcte : 5 x 2 (Bell, Swan et Taylor, 1981). Cette
connaissance naïve conduit aussi à ce qu'il soit difficile de justifier que
ab = ba (que a + a + a… + a (b fois) = b + b + b… + b (a fois) n'a rien d'évident), à la
croyance que le multiplicateur soit nécessairement un nombre entier et à ce que le
résultat de la multiplication soit systématiquement plus grand que le multiplicande et
donc que la multiplication rende plus grand (Bell, Fischbein et Greer, 1984). Fischbein et
al. (1985) ont montré auprès d'une population de plus de 600 enfants âgés de 10 à 15 ans
que résoudre « Avec un quintal de blé, on obtient 0,75 quintaux de farine. Quelle quantité de
farine peut être obtenue avec 15 quintaux de blé ? » est nettement plus facile que résoudre
« Le volume d'un quintal de gypse est de 15 cm3. Quel est le volume de 0,75 quintaux ? ». La
première s'interprète comme une addition réitérée, contrairement à la seconde. Les
résultats d'expérimentations menées auprès d'adolescents brésiliens coutumiers du
commerce de rue sans avoir jamais été scolarisés vont dans le même sens (Schliemann,
Araujo, Cassundé, Macedo et Nicéas, 1998 ; confère aussi Brissiaud et Sander, 2010).
Une moitié d'entre eux doit résoudre le problème « Combien coûtent 3 objets à
50 cruzeiros l'un ? » et l'autre moitié « Combien coûtent 50 objets à 3 cruzeiros l'un ? ».
Les performances sont très différentes pour les deux groupes. Les trois quarts
réussissent le premier alors que le second a un taux de réussite nul, ce que la métaphore
de l'addition réitérée permet d'interpréter. Le premier problème se résout par l'addition
« 50 + 50 + 50 », qui ne contient que trois termes et fait appel à des faits numériques
connus (50 + 50 = 100 ; 100 + 50 = 150). À l'inverse, le second groupe se lance dans une
addition de 50 termes (3 + 3 + 3… 3 + 3) dont la quantité rend le contrôle impossible et
qui fait appel à des faits numériques inconnus. L'addition réitérée n'est pas simplement
une stratégie de multiplication, mais une connaissance naïve qui en contraint la
compréhension.
Selon la connaissance naïve du partage, diviser est répartir en un certain nombre de parts
égales (« 8 personnes se partagent un gâteau de 900 grammes, combien aura chacun ? ») et
selon celle de la mesure, diviser est soustraire de manière répétée (« Combien de parts de
150 grammes peut-on découper dans un gâteau de 900 grammes ? »). Dans le cas de la
division-partage, le dividende doit être plus grand que le diviseur, le diviseur doit être un
nombre entier, et le quotient doit être plus petit que le dividende. Dans le cas de la
division-mesure, la seule condition est que le dividende soit plus grand que le diviseur. Si
le quotient est un nombre entier, l'opération peut être vue comme une soustraction
répétée. Dans tous les cas, la division est conçue comme rendant plus petit (Bell,
Fischbein et Greer, 1984). Fischbein et al. (1985) ont observé de fortes différences de
performances selon que l'opération respecte ou non ces contraintes. Ainsi, concernant la
division-partage, résoudre « Avec 75 roses, on peut faire 5 bouquets identiques. Combien
de roses seront dans chaque bouquet ? » est nettement plus facile (93 % de réussite) que
« 15 amis ont acheté ensemble 5 kg de cookies. Combien chacun en a-t-il reçu ? » (28 %
de réussite). L'influence des connaissances naïves persiste après enseignement, comme
cela est fort bien montré par une étude de Tirosh et Graeber (1991) auprès d'enseignants
en formation. Des problèmes de division sont posés, conformes ou non aux sources
division-partage ou division-mesure. La réussite est presque totale pour les problèmes
conformes à l'interprétation partage contre deux tiers pour les non conformes. Pour les
problèmes conformes à l'interprétation mesure, trois quarts des réponses sont justes
contre à peine un tiers pour les problèmes non conformes. Cette étude montre
également que la connaissance naïve du partage est privilégiée par les futurs
enseignants à qui il est demandé de construire des énoncés : des problèmes de partage
sont proposés quasi exclusivement (voir aussi Sander, 2008).
Conclusion
Les connaissances naïves déterminent les conceptions initiales de l'élève et il est
nécessaire de les prendre en compte dans l'enseignement plutôt que de les ignorer au
profit d'une tabula rasa conceptuelle qui est un modèle classique implicite. Elles restent
présentes après enseignement, même si les changements terminologiques induits chez
l'élève par l'école sont trompeurs : en effet, l'apparition du terme académique ne
garantit pas que le concept suive. Ainsi pour la division, le terme diviser est acquis par la
population enfantine ou adulte, mais la catégorie partage détermine la conception de la
notion. L'illusion de maîtrise de la notion par un élève repose sur l'usage de l'étiquette
lexicale du concept scolaire (diviser) et sur le fait qu'analogie naïve et concept
scientifique coïncident dans un certain nombre de cas (une part des situations de
division sont des situations de partage). L'école introduit une dénomination nouvelle,
distincte de l'item lexical usuel pour cette analogie naïve, mais l'évolution conceptuelle
depuis la jeune enfance est à questionner. Les travaux sur les trajectoires d'objets en
mouvement conduisent aux mêmes constats.
L'école a en charge de faire acquérir des notions, mais il est illusoire de penser que ces
notions objet d'enseignement s'acquièrent uniquement à l'école et de manière
suffisamment compartimentée pour qu'elles puissent s'enseigner en ignorant les
concepts quotidiens. Les connaissances acquises en dehors de l'école, préalablement ou
parallèlement, influencent considérablement la manière dont le contenu des
enseignements scolaires est appréhendé par l'élève. Il paraît fécond de construire des
enseignements selon une pédagogie dont la progression ne repose pas uniquement sur
la nature de ce qui est enseigné, mais sur la manière dont ce qui est enseigné s'ancre sur
les connaissances préalables, acquises dans la diversité des interactions avec
l'environnement, dont l'école constitue une composante.
Ces connaissances préalables sont des supports indispensables aux apprentissages.
En effet, les interprétations spontanées donnent sens aux notions, et s'appuyer sur elles
est utile pour les faire évoluer en développant de nouvelles catégories, ce qui ne signifie
pas la disparition de la connaissance initiale, mais l'accroissement des concepts
mobilisables. L'étude des connaissances naïves associées aux notions qui font l'objet
d'enseignement est ainsi nécessaire pour développer des cursus d'apprentissage qui
s'attachent à prendre en compte non pas seulement ce qui est exprimé par l'enseignant,
mais ce qui est compris par l'élève. Cela évite de se méprendre sur la nature de certaines
performances, qui ne révèlent rien d'autre que la compatibilité de la situation avec la
connaissance naïve associée à la notion (Sander, 2008). Cela permet aussi de prévoir les
situations qui devraient mettre l'élève en échec et favoriser l'identification des
évolutions conceptuelles requises pour permettre qu'un codage pertinent pour ces
situations se développe. Les connaissances naïves portent les inférences que l'élève met
en œuvre, qui coïncident parfois, mais pas toujours, avec celles attendues. Les réussites
limitées au cadre de coïncidence ne sauraient constituer le seul objectif de
l'enseignement qui, au-delà de performances satisfaisantes dans les cas où
connaissances naïves et structure profonde se rencontrent, vise à produire des
évolutions conceptuelles.
Les connaissances naïves sont à la fois support, obstacle et tremplin aux
apprentissages. Elles sont des supports parce qu'elles permettent de donner sens à une
notion ou à une situation – la question même de la conceptualisation se poserait en leur
absence – et ont un champ de validité à l'intérieur duquel la notion ou la situation
bénéficient des connaissances associées à la connaissance naïve. Toutefois, les
connaissances naïves sont aussi des obstacles parce que la notion est filtrée par la
connaissance naïve et certains aspects sont ignorés de ce fait, conduisant à des erreurs
dans les contextes où la connaissance naïve fourvoie. Les connaissances naïves sont
aussi des tremplins tout simplement parce que l'être humain se développe en
développant ses catégories, par un processus spontané lors de la confrontation à des
situations nouvelles ou du fait d'interventions scolaires destinées à le provoquer. C'est
donc un enjeu majeur pour l'éducation que d'envisager le développement des notions
pas simplement en rupture, mais en filiation avec des conceptions qui, quoi qu'il arrive,
n'ont pas vocation à disparaître, car elles restent parfaitement valides dans de
nombreux contextes quotidiens et en dehors du champ disciplinaire.
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1
Les participants de cette expérience étaient Américains.
2
Pour le terme anglais impetus.
CHAPITRE 21
L'apprentissage de la lecture-écriture
Hélène Labat; Jean Ecalle; Annie Magnan
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
L'apprentissage multi-sensoriel selon les pédagogues
Études expérimentales en faveur d'un apprentissage multi-sensoriel des lettres
Vers une cognition incarnée
Conclusion
Introduction
Il y a près d'un siècle, Maria Montessori, médecin et pédagogue italienne se fit connaître
pour avoir développé « l'éveil sensoriel », un ensemble de techniques d'enseignement
qui favorisaient les apprentissages scolaires chez le jeune enfant. Cette approche
intuitive a fait l'objet de développements ultérieurs amenant des chercheurs à
investiguer l'impact de cette approche multi-sensorielle dans le cadre de l'apprentissage
de la lecture-écriture. L'objectif de ce chapitre est de présenter des travaux
expérimentaux sur l'apprentissage des lettres. La conclusion s'attachera à montrer
comment la théorie de la cognition incarnée (embodied cognition) offre un cadre
interprétatif actuel pour comprendre l'intérêt d'une approche multi-sensorielle des
apprentissages.
Conclusion
Il est remarquable que la méthode pédagogique Montessori (1915), élaborée il y un
siècle, prônant une approche multi-sensorielle pour favoriser les apprentissages, trouve
écho dans les travaux expérimentaux en psychologie cognitive du développement, en
neuropsychologie et en neuro-imagerie.
Se pose toutefois la question plus générale de l'intérêt d'une approche pédagogique
inspirée des travaux de Montessori (1915). Lilliard et Else-Quest (2006) comparent le
bénéfice des méthodes d'éducation Montessori à celui des méthodes éducatives
conventionnelles avec des enfants de 5 ans. Ils montrent des performances supérieures
en phonologie, en lecture de mot et en mathématiques chez les enfants « Montessori ».
Néanmoins, aucune différence n'est mise en évidence entre les méthodes éducatives
conventionnelles et les méthodes Montessori « modifiées » (adaptation de la méthode
initiale). En conséquence, la qualité de l'implémentation des programmes Montessori
(séquences pédagogiques, matériel sensoriel, etc.) peut expliquer les différences
observées entre les classes (Lilliard, 2012).
Les travaux récents révèlent qu'apprendre les lettres en associant une modalité
kinesthésique (toucher ou tracer les lettres) aux modalités visuelle et auditive (son des
lettres) constitue des conditions optimales pour apprendre à lire-écrire. Les concepts de
la cognition incarnée offrent un cadre théorique pertinent pour envisager d'autres pistes
de recherche et étayer ce qui n'était au début chez Maria Montessori qu'une intuition. Il
s'agira désormais de mieux comprendre les processus sous-jacents à l'approche multi-
sensorielle, stimulant les apprentissages, la remédiation ou la réhabilitation.
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CHAPITRE 22
Le développement de la compréhension
Sabine Guéraud; Carine Royer
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Qu'est-ce que comprendre ?
Le développement des habiletés sous-tendant la compréhension
Évaluer la compréhension en situation de lecture
Perspectives : vers l'étude des processus mis en jeu au cours de l'activité de
compréhension
Conclusion
Introduction
La maîtrise de la langue orale et écrite constitue un des enjeux principaux de la
scolarisation dans notre société actuelle. L'Observatoire national de la lecture (ONL)
rapporte clairement, en accord avec les textes officiels (Horaires et programmes de
l'école primaire, BO n°3, 19 juin 2008) qu'apprendre à lire, c'est apprendre à comprendre
le message véhiculé par l'auteur. Cependant, une enquête menée lors des Journées
d'appel de préparation à la défense (JAPD) par De La Haye, Gombert et Rivière (2009) a
montré que 21,6 % des jeunes étaient des lecteurs inefficaces et qu'ils n'accédaient pas à
la compréhension d'un texte simple. De même, Cain et Oakhill (2006) soulignent que 10
à 15 % des enfants présentent des difficultés de compréhension de textes écrits (et
oraux) alors qu'ils ne rencontrent aucune difficulté à accéder au sens des mots qui
composent ces textes. Aussi, mieux comprendre les processus cognitifs impliqués dans
la compréhension en lecture chez l'enfant constitue un enjeu central. Ainsi, le présent
chapitre propose dans une première partie un état des lieux des recherches sur le
développement des habiletés de compréhension chez l'enfant afin de rendre compte des
difficultés.
Si déterminer les habiletés centrales dans le développement des compétences en
compréhension est la préoccupation majeure des chercheurs dans ce domaine, un
ensemble de publications récentes a contribué à faire émerger une seconde
préoccupation tout aussi importante à savoir celle de l'évaluation de la compréhension
que ce soit dans le cadre scolaire, thérapeutique ou dans celui de la recherche (Cutting
et Scarborough, 2006 ; Fletcher, 2006 ; Keenan, Betjemann, et Olson, 2008 ; Pearson et
Hamm, 2005 ; Sabatini, Albro, et O'Reilly, 2012 ; van den Broek et Espin, 2012). Comme
nous le développerons dans un second temps, cette seconde préoccupation n'est pas
sans conséquence sur le bilan que l'on peut faire des résultats obtenus jusqu'à
maintenant. Les évaluations de la compréhension tant dans le cadre scolaire que dans
celui de la recherche laissent de côté tout un champ de connaissances nécessaires à un
examen approfondi du développement des habiletés de compréhension : celui du
déroulement de l'activité de compréhension elle-même et ainsi des processus cognitifs
qui la sous-tendent.
La composante compréhension
Les recherches menées dans le champ de la compréhension de textes depuis plusieurs
décennies, que se soient auprès d'une population adulte ou sous un angle
développemental admettent deux postulats majeurs largement partagés. Le premier
postulat stipule que comprendre un texte consiste pour l'individu à construire une
représentation mentale de la situation évoquée par le texte (van Dijk et Kintsch, 1983).
Cette représentation mentale renvoie au construct de Modèle de situation ou de Modèle
mental (Johnson-Laird, 1983). La construction de cette représentation résulterait d'une
intégration des éléments explicitement fournis par le texte aux connaissances générales
de l'individu. Le second postulat admet que la représentation élaborée par le lecteur
doit être cohérente. La cohérence renvoie ici à l'idée selon laquelle les éléments
(événements, états et faits) qui participent à cette représentation doivent être reliés les
uns aux autres au sein de la représentation. Cette représentation peut être
conceptualisée ‘as a network of events, states and facts that are connected by meaningful
relations' (van den Broek et Gustasfon, 1999, p. 21). Dans cette perspective, le
développement des habiletés de compréhension en situation de lecture est envisagé
comme le développement des capacités qui sous-tendent la construction d'un modèle
de situation cohérent le plus adéquat et le plus riche possible.
La littérature chez l'enfant fait référence à trois capacités fondamentales à
l'élaboration d'une telle représentation mentale (en dehors de l'aspect décodage des
mots écrits qui y participe, mais est loin d'être suffisant) : la capacité à produire des
inférences, les capacités de métacompréhension et les connaissances textuelles et
métatextuelles. En effet, il a été montré une corrélation positive entre le développement
de ces capacités et le développement des habiletés de compréhension en situation de
lecture (Cain, Oakhill, et Bryant, 2004 ; Oakhill, Cain et Bryant, 2003). De plus, comme
nous allons le voir, ces capacités constituent les principales sources explicatives des
difficultés de compréhension des enfants dits faibles compreneurs1 (Cain et Oakhill,
2006 ; Perfetti, Landi et Oakhill, 2008).
Le développement des habiletés sous-tendant la
compréhension
La capacité à produire des inférences
La production d'inférence constitue un processus majeur de l'activité de compréhension
en situation de lecture. En effet, comprendre un texte nécessite – le plus souvent –
d'aller au-delà de ce qui est explicitement exprimé et de « remplir les trous »
volontairement laissés par l'auteur. C'est alors au lecteur que cette tâche revient et pour
cela, il produit des inférences, c'est-à-dire qu'il relie les informations du texte entre elles
et ajoute des informations sur la base de ses connaissances générales. Cette capacité à
production d'inférence constitue alors une fonction essentielle à la construction de la
cohérence de la représentation. Prenons en exemple une des phrases utilisées par
Garnham (1981) : « La fille s'est fait voler son sac chez le pédicure ». Comprendre que le
sac mentionné dans la phrase appartient à la fille mentionnée au début repose sur la
création d'un lien entre ces deux entités. Il s'agit ici d'une inférence qualifiée de
nécessaire dans la mesure où sans la création de ce lien, on ne peut pas dire qu'il y ait
compréhension de ce qui est véhiculé par la phrase. Mais le lecteur peut également
produire d'autres types d'inférences sur la base de ses connaissances générales. Ainsi,
on peut supposer que la majorité d'entre nous infère que le vol a eu lieu dans une pièce,
probablement la salle d'attente et non dans la rue, car nous savons qu'un pédicure
exerce en général dans un cabinet. Cependant, la compréhension de la phrase ne
dépend pas de la production d'une telle inférence. Ce type d'inférence est alors qualifié
d'inférence élaborative dans la mesure où sa production vient enrichir notre
représentation de la situation évoquée par le texte, mais ne constitue pas un élément
participant à la construction de sa cohérence.
Barnes, Dennis et Haefele-Kalvaitis (1996) ont examiné la capacité d'enfants âgés de 6
à 15 ans à produire des inférences nécessaires et des inférences élaboratives lors de la
compréhension d'un récit. Afin de s'assurer que les différences observées – si
différences il devait y avoir – entre les différents groupes d'âge pourraient être
interprétées en termes de capacité inférentielle et non de développement des
connaissances générales, une première phase de l'étude visait à harmoniser les
connaissances des participants. En effet, avant la lecture d'un récit se déroulant sur une
planète inconnue, la planète « Gan », les participants devaient apprendre un ensemble
de faits relatifs à la vie sur cette planète (sur Gan, les tortues ont des patins à glace. Sur
Gan, la fourrure des Ours est bleue, etc.). La compréhension du récit présenté lors de la
deuxième phase de lecture nécessitait l'utilisation de certaines de ces connaissances
préalablement apprises. Dans la troisième et dernière phase, la production d'inférences
était testée à partir de questions ouvertes portant sur des informations du texte, sur des
inférences nécessaires à la compréhension et enfin sur des inférences élaboratives. Deux
principaux résultats ressortent de cette étude :
• quel que soit l'âge des participants, ils produisent plus d'inférences nécessaires à la
compréhension que d'inférences élaboratives ;
• la capacité à produire ces deux types d'inférences augmente avec l'âge. Reprenant le
principe de cette étude, Cain, Oakhill, Barnes et Bryant (2001) ont également montré
que des faibles compreneurs obtenaient des performances inférieures sur les deux
types d'inférences.
Ainsi, l'ensemble de ces résultats suggèrent que les capacités inférentielles participent
au développement des habiletés de compréhension et ce indépendamment du
développement des connaissances nécessaires à leur production. De plus, cette capacité
constituerait une des sources potentielles des difficultés de compréhension des enfants
dits faibles compreneurs.
Parallèlement des études récentes ont examiné les capacités inférentielles des jeunes
enfants, avant l'entrée dans l'écrit. Kendeou, Bohn-Gettler, White, et van den Broek
(2008) ont notamment réalisée une étude longitudinale avec des enfants âgés de 4 à
8 ans dans laquelle ils ont examiné la production d'inférences à partir de différents
supports narratifs : des récits oraux, des récits télévisuels et des récits lus. Leurs
principaux résultats montrent d'une part une corrélation importante entre la capacité à
produire des inférences à partir des différents supports et d'autre part, que les capacités
à 4 ans et 6 ans sont prédictrices des habiletés de compréhension à 6 ans et à 8 ans
respectivement. Cette étude suggère ainsi que la capacité à produire des inférences se
développerait dès le plus jeune âge, avant l'entrée dans l'écrit.
Si de l'ensemble des travaux se dégagent les grandes lignes du développement de ces
capacités, les méthodes utilisées, sur lesquelles nous reviendrons dans notre deuxième
partie, ne permettent pas actuellement de déterminer à partir de quel âge l'enfant est en
mesure de produire spontanément ces inférences au cours de la lecture. Les études
actuelles nous indiquent seulement de quelles capacités inférentielles l'enfant dispose
lorsqu'il est incité à produire une inférence.
Tableau 22.1
Analyse des éléments des épreuves en fonction des modalités de lecture, de
matériel et d'évaluation.
L2MA L2MA-Ep L2MA-Ep L2MA-Ep Batelem-R- Batelem-R- Ecosse LMC Orlec L1 Orlec L3 Orlec L4
- 18, 19 33 et 35 Ep 10 Ep 11
Ep et 20 34
15
et
16
Lecture
Oralisée X X
Silencieuse X X X X X X X X X X X
Matériel
Phrase X X X X X
Suite de
phrases
Texte X X X X
Évaluation
Choix X X X X
d'images
Closure X X X X
Choix X X
multiples
Réponse X
courte
Reconstitution X
Vrai/faux X X
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1
Enfants qui se caractérisent par l'absence de déficit au niveau de l'identification des mots écrits, mais des difficultés
au niveau de la compréhension de texte écrit et souvent oral.
2
Tâche de complétion de phrase ou de texte.
3
Batterie langage oral, Langage écrit, Mémoire, Attention, Chevrie-Muller et al., 2010, Batteries d'épreuves pour
l'école élémentaire, Savigny, 2001, Épreuve de compréhension syntaxico-sémantique, Lecocq, 1996, Épreuve
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CHAPITRE 23
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les processus à l'œuvre dans la résolution d'un problème mathématique
Le recodage comme cheminement de conceptualisation
Conclusion
Introduction
La soustraction « 8–3 = 5 » fournit la solution aussi bien au problème : « Laurent avait
8 bonbons. Il en a mangé 3. Combien lui en reste-t-il ? » qu'à : « Laurent avait 3 bonbons,
puis son ami lui a donné d'autres bonbons. Il a maintenant 8 bonbons. Combien de
bonbons a-t-il reçus ? » Un élève s'y prend-il pour autant de la même manière pour les
résoudre ? Si la résolution de l'un de ces deux énoncés est travaillée en classe, la
résolution de l'autre s'en trouve-t-elle améliorée ? Comment amener un élève à
percevoir que l'un comme l'autre de ces énoncés relève de la même notion
mathématique, en l'occurrence celle de soustraction ? Ces questions dessinent le plan du
chapitre, qui examinera les processus en jeu dans la résolution d'un problème et leurs
manifestations pour le transfert d'apprentissage pour aborder enfin la question,
éducative et développementale, de l'aide à la conceptualisation d'une notion.
Le transfert d'apprentissage
Nous abordons maintenant la question des processus de transfert d'apprentissage : par
quels processus la résolution d'un énoncé particulier peut-elle se transférer à un nouvel
énoncé ? Dans la perspective de la théorie des schémas, il s'agit avant tout de repérer
que le même schéma de problème s'applique. Le transfert devrait donc être
systématique entre problèmes relevant du même schéma. En revanche, si l'on penche
vers l'idée que les élèves appuient leur résolution sur des modèles mentaux, le transfert
semble plutôt relever de processus représentationnels généraux. Certains travaux sur le
transfert d'apprentissage apportent des éclairages utiles, conduisant à montrer des
limites des théories des schémas comme des modèles mentaux. Ils invitent à aborder
une perspective qui fait intervenir des représentations abstraites comme les schémas
tout en étant directement ancrées sur les situations concrètes comme les modèles
mentaux. Il s'agit des structures induites (Bassok, 2001).
L'influence de l'expertise
Les variations de difficulté entre problèmes dépendent également des connaissances
préalables de celui qui le résout, comme les recherches portant sur l'influence du niveau
d'expertise dans la résolution de problèmes mathématiques l'ont montré. Ainsi, Silver
(1981 ; voir aussi Schoenfeld et Herrmann, 1982) a sollicité des élèves de collège pour
résoudre et classer seize énoncés, construits par le croisement de quatre stratégies de
résolution et de quatre thématiques abordées dans l'énoncé : les élèves commettant le
plus d'erreurs réalisent des regroupements en s'appuyant sur les ressemblances
thématiques (par exemple des problèmes de mélange) tandis que ceux qui réussissent le
mieux réunissent les énoncés qui se résolvent par la même stratégie et relèvent de la
même notion mathématique (par exemple un calcul de moyenne pondérée).
La catégorisation des énoncés est ainsi différente selon le degré d'expertise, ce qui
influence le transfert d'apprentissage : Novick (1988) a montré que les similitudes
thématiques entre des problèmes reposant sur des principes de solution différents
influencent le transfert entre problèmes pas seulement pour les élèves en difficulté, mais
aussi pour les meilleurs. Toutefois, si tous ont tendance à réaliser un transfert
négatif dans un premier temps en appliquant la procédure de solution inadaptée
apprise lors de la résolution du premier problème, les élèves les plus performants
tentent rapidement d'autres solutions alors que les autres persévèrent dans leur
application de variantes de la stratégie inappropriée. Cela suggère que la représentation
des élèves les moins performants est fondée sur la thématique du problème et concerne
ce qui est communément appelé son habillage. À l'inverse, les meilleurs intègrent dans
leur représentation des éléments de structure, ceux sur lesquels reposent la notion
mathématique et la stratégie de résolution, et qui conditionnent un transfert
d'apprentissage positif.
La question du transfert réussi et de l'asymétrie de transfert recouvrent largement
celle de la nature de la représentation induite. Si la structure induite par le problème
initial est identique ou plus générale que celle induite par le nouveau problème, le
transfert sera élevé ; dans le cas contraire, il sera faible. Avec l'expertise, la nature des
représentations induites par les élèves est modifiée, ce qui explique les effets observés
(Richard et Sander, 2000 ; Sander et Richard, 2005).
Le recodage sémantique
Pour cela, un processus de recodage sémantique, qui consiste à se représenter un type
d'énoncé de problème en lui attribuant des propriétés attribuées spontanément à un
autre type d'énoncé pourrait permettre de faire progresser l'élève. Un tel processus se
fonde sur l'idée que les catégories de problèmes ont certes des différences sémantiques
entre elles, mais dans la mesure où les problèmes relèvent de la même notion, ces
différences sont non pertinentes mathématiquement : ce sont sur les ressemblances qu'il
convient de s'appuyer, car elles justifient l'identité de procédure de résolution. Il existe
une grande diversité de situations de problèmes, mais on peut, par recodage
sémantique, conduisant à appliquer à un problème le schéma de description d'un autre
type de problème, faire apparaître l'analogie entre deux problèmes en apparence très
différents. On peut par exemple recoder un problème de transformation en un
problème de combinaison : « Pierre a dépensé 15 euros de l'argent de sa tirelire pour
acheter un jeu, il lui reste 29 euros. Combien avait-il dans sa tirelire ? ». Un élève qui ne
sait pas comment répondre à cette question devrait pouvoir se demander à quel
moment il avait le plus d'argent. S'il se pose cette question, la réponse est simple, c'est
avant l'achat. Cela oriente le codage vers l'idée que ce qu'il avait au début c'est ce qui lui
reste et en plus ce qu'il a dépensé, ce qui justifie une addition. Ainsi, l'élève est amené à
décomposer l'argent que Pierre avait à l'origine entre ce qu'il a dépensé et ce qui lui
reste : il s'agit donc non plus de chercher une valeur initiale en connaissant la quantité
perdue et la valeur restante, ce qui demanderait de remonter dans le temps dans son
raisonnement sans que la simulation mentale permette d'associer une opération
arithmétique particulière, mais de chercher le tout à partir de la connaissance de chaque
partie, ce qui est une des situations les mieux maîtrisées par les élèves. Dans cet
exemple, il y a recodage sémantique dans la mesure où un problème de transformation
est réinterprété avec la grille de lecture d'un problème de combinaison classique tel que
« Pierre a 29 euros dans sa poche droite et 15 euros dans sa poche gauche. Combien a-t-
il d'euros en tout ? » Une autre manière de favoriser le recodage sémantique est
d'introduire des énoncés ambigus quant à leur appartenance à tel ou tel classe de la
typologie, ce qui favorise le recodage d'une classe vers une autre : par exemple, un
énoncé comme « En partant à l'école, Pierre avait dans sa poche des billes rouges et des
billes bleues. Il perd ses 5 billes bleues, mais il lui reste ses 3 billes rouges. Combien
Pierre avait-il de billes dans sa poche en partant à l'école ? », se prête aisément à la fois à
un codage comme problème de transformation avec question sur l'état initial et comme
problème de combinaison avec la recherche d'un tout connaissant chacune des parties.
Des travaux ont pu montrer l'effet bénéfique du travail en classe de ce type d'énoncés
(Sander et Fort, 2014 ; de Longuemar et Sander, 2016) et en général d'une démarche
systématique de recodage conduisant les élèves à être en mesure d'envisager la diversité
des stratégies possibles pour résoudre un problème, fondée sur une réinterprétation de
la situation, et qui oriente également la conception d'évaluations (Scheibling-Sève,
Eichy, Pasquinelli et Sander, 2016).
La prise en compte des relations sémantiques présentes dans les énoncés de problème
est un levier extrêmement puissant pour permettre à l'élève de choisir à bon escient une
stratégie de résolution pertinente, et le recodage sémantique est un levier extrêmement
puissant également pour élaborer une interprétation alternative du problème lorsque
l'analyse sémantique première ne conduit pas à une stratégie gagnante. Un des enjeux
majeurs de l'apprentissage et de l'enseignement est de permettre aux élèves d'avoir
plusieurs lectures possibles d'une situation.
Conclusion
L'approche du recodage sémantique diffère profondément de celle qui met l'accent sur
les schémas de problèmes. Cette dernière incorpore les propriétés qui distinguent les
catégories de problèmes, mais qui ne sont pas pertinentes sur le plan mathématique,
puisque, quelle que soit la catégorie à laquelle il appartient, un problème à structure
additive se résout par le calcul d'une somme ou d'une différence. Insister sur les
différences sémantiques entre les problèmes risque de créer un obstacle à la perception
des propriétés communes aux différentes catégories de problèmes, lesquelles sont de ce
fait plus abstraites et donc plus proches des propriétés mathématiques. Il est important
de distinguer l'usage du schéma comme guide de la résolution, ce que prône la théorie
des schémas, de l'usage d'un schéma figuratif qui peut aider à comprendre l'histoire
racontée dans l'énoncé et aider à extraire du texte les éléments pertinents et à faire
abstraction des traits qui diffèrent à l'intérieur d'une catégorie de problème.
Les reformulations de l'énoncé ont été beaucoup étudiées et leur effet positif a été
souligné (De Corte, Verschaffel et De Win, 1985). Toutefois, contrairement à l'hypothèse
faite au départ, les reformulations situationnelles, qui précisent le scénario de l'histoire
racontée dans l'énoncé, n'ont pas d'effet conséquent sur la réussite comme l'ont montré
Vicente, Orrantia et Verschaffel (2007), à la différence des reformulations conceptuelles
qui fournissent des indices supplémentaires pour identifier la catégorie du problème.
Devrait-on pour autant en conclure qu'il faudrait proposer des énoncés qui facilitent
cette identification ? Cela est discutable, car on augmenterait le taux de réussite au
détriment sans doute de l'apprentissage, car si la reformulation est capitale elle doit
provenir de l'élève. C'est donc sur la capacité de reformulation qu'il est essentiel de
focaliser l'instruction, de manière à ouvrir de nouvelles voies pour tenter des solutions,
lorsque la première représentation construite conduit à un blocage.
Des interventions scolaires orientées vers le recodage sémantique devraient y
contribuer dans la mesure où ce recodage permet d'explorer le champ des propriétés
des situations auxquelles une notion mathématique donnée peut s'appliquer. Nombre
d'auteurs insistent sur l'importance de la flexibilité comme un objectif majeur des
apprentissages mathématiques et cet objectif est également mis en avant dans les
réformes récentes des programmes de mathématiques dans différents pays (voir
Vershaffel, Luwel, Torbeyns et Van Dooren, 2009). Cela recouvre à la fois la capacité
d'utiliser plusieurs stratégies et de choisir celle qui est la plus adaptée aux particularités
du problème.
L'approche de l'analyse sémantique des situations décrites dans les problèmes qui
vise à ancrer les apprentissages mathématiques sur l'analyse des propriétés des
situations et à permettre à l'élève de cheminer dans le réseau sémantique des propriétés
associées aux opérations partage pleinement cet objectif. Le défi est d'envergure, car du
point de vue des jeunes élèves les problèmes d'addition/soustraction (comme ceux de
multiplication/division) relèvent de situations peu liées les unes aux autres et il s'agit
d'aboutir à la possibilité de développement d'un codage plus général qui embrasse
l'ensemble de ces situations et permette d'en percevoir l'unité.
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CHAPITRE 24
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Définitions : troubles spécifiques des apprentissages, troubles
neurodéveloppementaux et « dys »
Le diagnostic
Dépister les DYS : une démarche à systématiser
Conclusions
Introduction
L'échec scolaire est l'un des motifs les plus fréquents de consultation en psychologie.
Elle concernerait 20 % des enfants, soit environ 5 à 6 enfants par classe. Ces difficultés
peuvent être l'expression de faisceaux de causes multiples (psychologiques, absence
d'encadrement parental, facteurs socio-économiques variés, etc.). Parmi elles, la cause
neurologique est très souvent sous-diagnostiquée (Mazeau, 2014). Pourtant, elle est à
l'origine de ce qu'on appelle les troubles spécifiques des apprentissages, troubles qui
concernent 5 à 8 % des enfants d'une classe d'âge (pour la dyspraxie et la dyscalculie ;
voir Inserm, 2007). Autrement dit, un enfant par classe présenterait un trouble
spécifique des apprentissages. Ces troubles, surtout quand ils ne sont pas
diagnostiqués, ont des répercussions multiples et sévères sur l'enfant : retard cognitif et
scolaire, rejet social, troubles psychiatriques internalisés (dépression, anxiété, etc.) et/ou
externalisés (troubles oppositionnels, troubles des conduites, etc.).
Comment expliquer ce déficit diagnostique alors que les conséquences de ces troubles
sont particulièrement sévères pour l'enfant concerné ? Parmi les explications possibles,
deux hypothèses semblent probables :
Pour poser un diagnostic de troubles spécifiques des apprentissages ou de « dys »,
une approche neuropsychologique est nécessaire. Or peu de professionnels sont formés
à cette approche (Mazeau, 2014).
Il existe une forte comorbidité entre troubles spécifiques des apprentissages et
troubles psychiatriques. En effet, il est logique qu'un enfant « dys » non diagnostiqué
présente une dépression ou une anxiété dans la mesure où il se trouve quotidiennement
confronté à l'échec. Ces symptômes psychiatriques sont identifiés facilement par
l'entourage et les professionnels de santé. Ils deviennent alors la cible thérapeutique
alors qu'ils ne sont eux-mêmes que l'expression du trouble « dys ».
De plus, ces deux facteurs explicatifs se combinent entre eux : en effet, il y a
statistiquement une grande probabilité que la structure consultée en 1re intention soit
une structure avec une approche psychologique (psychologue scolaire) et/ou
psychiatrique (Centres médicaux psychologiques, CMP), ne disposant pas toujours d'un
professionnel formé à la neuropsychologie.
Pour faciliter l'accès au diagnostic et aux rééducations, les autorités de santé ont mis
en place des centres de référence pour les troubles du langage et des apprentissages. Il
en existe une quarantaine en France. La liste est consultable auprès de l'Institut national
de prévention et d'éducation pour la santé (INPES). Ces centres ont quatre missions
principales :
• assurer les soins : mise en place de consultations diagnostiques (avec bilans
pluridisciplinaires), suivi et proposition de rééducations ciblées en fonction du
trouble ;
• assurer la coordination des soins ;
• concevoir des formations à l'attention des professionnels au contact des enfants
concernés : médecins généralistes, pédiatres, pédopsychiatres, orthophonistes,
psychomotriciens, ergothérapeutes, enseignants, etc. ;
• contribuer à la recherche (outils diagnostic, protocoles de rééducation, etc.).
Le rôle des professionnels de santé, non formés à la neuropsychologie, est donc
d'orienter les enfants présentant des troubles des apprentissages sévères ou persistants
vers ces centres de référence, habilités à porter le diagnostic et à orienter la rééducation.
Toutefois, ces centres sont actuellement victimes de leur succès. Les délais d'attente y
sont longs (6 à 10 mois). C'est pourquoi, dans l'idéal, les intervenants en santé devraient
être plus avertis afin d'être capables de diagnostiquer les cas les plus évidents ou de
soumettre des dossiers déjà bien étayés aux centres de référence. Dans cette optique, ce
chapitre se propose d'apporter un éclairage sur les troubles spécifiques des
apprentissages et leur diagnostic.
Le diagnostic
Le diagnostic se fait selon les critères du DSM-5. Il nécessite de faire la preuve de
3 critères d'inclusion et 5 critères d'exclusion (voir tableau 24.1). Généralement, les
critères d'exclusion sont investigués en premier.
Tableau 24.1
Critères d'inclusion et d'exclusion nécessaire à l'établissement d'un diagnostic de
« dys ».
Critères d'exclusion
Établir l'absence de déficit intellectuel
Contrairement aux troubles spécifiques des apprentissages, la déficience intellectuelle
est un trouble cognitif global avec des conséquences dans tous les secteurs des
apprentissages. Pour écarter une déficience intellectuelle, il convient d'adopter une
démarche neuropsychologique plutôt que psychométrique. Historiquement, la
déficience intellectuelle était diagnostiquée en référence aux performances à une échelle
globale d'évaluation de l'efficience intellectuelle (par exemple, échelle de Weschler). Le
diagnostic était posé quand un sujet obtenait un score global inférieur à 70 (soit moins
deux écarts-types par rapport à la moyenne, voir figure 24.2).
FIGURE 24.2 Normal et pathologique.
Notes : pour presque toutes les capacités d'un sujet (plan langagier, mnésique, visuo-spatial,
lexical, moteur, etc.), il existe un continuum de performances : certain sujets sont très
performants, d'autres moyens, d'autres en difficulté et d'autres en grande difficulté. La
distribution des scores à une épreuve suit généralement une courbe en cloche (ou courbe de
Gauss). L'écart-type (ET) mesure la dispersion des scores par rapport à la moyenne. La norme
attendue se situe autour de la moyenne ± 1 ET. On définit comme pathologique toute
performance en deça de 1,5 ET de la norme (soit 6,6 % de la population) ou, si l'on est plus
strict en deça de –2 ET (soit 2,2 % de la population). Pour poser le diagnostic de trouble, il
convient donc de faire la différence entre difficulté (–1 à –1,5 ET) et trouble (à partir de
-1,6 ET) en utilisant des tests adaptés et validés.
Critères d'inclusion
Les critères d'inclusion sont présentés dans le tableau 24.1.
Le 1er critère à investiguer est le caractère durable du trouble. Il doit être présent
depuis au moins 6 mois. Il est présent depuis toujours chez l'enfant, mais peut toutefois
s'observer tardivement dans la mesure où le trouble ne se manifeste que lorsque l'on
sollicite les fonctions dysfonctionnelles du sujet (par exemple, il est difficile de dépister
une dyslexie avant l'apprentissage de la lecture).
Dans un 2e temps, des épreuves visant à évaluer le fonctionnement intellectuel du
sujet sont habituellement proposées. Les épreuves les plus couramment utilisées en
première intention sont les échelles de Wechsler. Elles permettent de formuler des
hypothèses quant aux fonctions cognitives spécifiques susceptibles de contribuer au(x)
trouble(s).
Dans un 3e temps, il faut tester ces hypothèses, en évaluant les fonctions cognitives en
question (par exemple : l'attention, la mémoire, le langage, etc.) avec des tests
spécifiques.
Entretien clinique
L'entretien avec les parents et l'enfant est l'indice le plus important. Le signalement de
difficultés scolaires doit systématiquement pousser le psychologue à investiguer la
présence de troubles spécifiques ou autres « dys ». Grâce à l'entretien et l'analyse des
résultats scolaires, il pourra relever la nature et l'intensité des difficultés. L'entretien doit
permettre de valider la plupart des critères d'exclusion (critères 2, 3, 4 et 5, voir
tableau 24.1) et les deux premiers critères d'inclusion (notion de durée des troubles et
nature des difficultés).
Lors de cet entretien, le psychologue doit considérer avec prudence les éventuelles
comorbidités psychiatriques. En effet, comme nous l'avons vu plus haut, le « tableau
dys » s'accompagne souvent de comorbidités psychiatriques (par exemple dépression,
anxiété, phobie scolaire, trouble oppositionnel, trouble des conduites, etc.). Avant de
considérer que les difficultés scolaires sont la conséquence des troubles psychiatriques
(ou de difficultés psychologiques), il convient de s'assurer qu'ils n'en sont pas la cause.
Conclusions
Un enfant par classe présenterait des troubles spécifiques des apprentissages. Alors que
ces troubles ont des répercussions sévères et multiples sur les enfants, ils restent encore
sous diagnostiqués et mal connus des professionnels. Contrairement aux idées reçues, la
passation d'échelles de Wechsler ne permet pas leur diagnostic. C'est l'approche
neuropsychologique qui est la plus adaptée. Le diagnostic est primordiale parce qu'il
permet la mise en place d'aides adaptées et l'accès à un réseau de professionnels formés
spécifiquement à ces troubles.
Références
Crocq M.-A., Guelfi J.-D. DSM-5 : manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux (5e). 2015.
INSERM. Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie - Bilan des données scientifiques.
Paris : Les éditions Inserm. 2007.
Mazeau M. Neuropsychologie et troubles des apprentissages chez l'enfant. Elsevier
Masson: Issy-les-Moulineaux; 2014.
Lectures conseillées
Grégoire J. L'examen clinique de l'intelligence de l'enfant : Fondements et pratique du
WISC-IV (2e édition revue et augmentée). Éditions Mardaga: Wavre; 2009.
Habib M. La constellation des dys. De Boeck-Solal: Bruxelles-Paris; 2014.
Lussier F., Flessas J., Voyazopoulos R. Neuropsychologie de l'enfant : Troubles
développementaux et de l'apprentissage (2e édition). Paris: Dunod; 2009.
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Activité professionnelle et institution : l'exemple du système éducatif
L'environnement historico-culturel, l'institution politique et ses finalités
L'institué : les marqueurs institutionnels de l'activité professionnelle
L'instituant : les acteurs
Conclusion
Introduction
Dans une réunion d'enseignants chevronnés, l'un d'eux dit : « lorsque j'ai débuté ma
carrière, il y a un terme qui me posait problème, c'est le terme "institution". Partout il
était question de l'institution, j'entendais à chaque discussion "l'institution… notre
institution…" et à dire vrai, je ne comprenais pas son sens ». À cela, un autre enseignant
réagit de façon ironique, mais révélatrice : « parce que maintenant, tu crois savoir ce que
c'est ? ! » Ce court échange illustre à la fois l'omniprésence des institutions dans le
travail (ici celui d'enseignants), et la difficulté de les saisir, de s'en saisir.
Quel que soit son champ d'activité, tout professionnel est en lien plus ou moins direct
avec les institutions, et ce lien contient généralement une large part d'implicite. Même
en en ayant une connaissance formelle, l'institution reste d'une certaine façon obscure
au quotidien des pratiques professionnelles, sociales et personnelles.
Le terme « institution » a une double signification. L'institution comme action
d'instituer quelque chose renvoie à l'historique de la nécessité d'instituer, son processus
de mise en place et son évolution. L'institution comme la « chose instituée » (ou
l'institué) renvoie aux institutions sociales et administratives, c'est-à-dire à l'ensemble
des règles formalisées régissant la vie collective, les établissements et les services, leurs
personnels. L'institution est l'instrument politique qui permet la mise en œuvre des
politiques sociales, dans le but de maintenir la cohésion de la société, et de compenser
les inégalités (Thévenet, 2002).
Reboul (1989) développe certaines caractéristiques des institutions. Elles sont
autonomes et stables (avec une certaine relativité). Elles sont à la fois contraignantes et
protectrices : elles induisent des droits et devoirs qui cadrent les libertés des acteurs de
l'institution, en répartissant les pouvoirs et les délégations ; elles régulent les
fonctionnements inter-individuels des citoyens. Elles sont instrumentées matériellement
(établissements, outils) et représentées symboliquement.
L'objectif de ce chapitre est d'envisager certains effets de l'institution sur l'activité
professionnelle et de les analyser d'un point de vue de psychologue attaché à la
question de la conceptualisation et de l'action. Notre perspective est d'offrir des pistes
de réflexion afin de permettre au lecteur de prendre de la distance vis-à-vis des
dimensions institutionnelles de son métier (présent ou à venir), pour moins subir sans
les comprendre les influences (le « poids » dit-on parfois) des institutions. Ainsi, il
pourra relativiser les jugements sur les institutions : nécessité, forces, faiblesses, etc.
Les manuels
Lorsqu'un enseignant prépare ses leçons, il utilise des outils pédagogiques et
didactiques adaptés, pour le niveau de sa classe, à l'apprentissage des savoirs de la
discipline concernée. Dans cette démarche, il dispose de manuels conçus en fonction
principalement des programmes en vigueur, mais pas seulement : les manuels sont
fortement influencés par les modèles scientifiques contemporains à leur élaboration,
non seulement psycho-pédagogiques, mais aussi épistémologiques et techniques.
Pour illustrer cette influence, nous prenons un exemple concernant les premières
acquisitions mathématiques à savoir celles de nombre, vues sous l'angle de la logique
supposée du développement de l'enfant et de ses capacités de conceptualisation. En
comparant des manuels de différentes époques, il ressort, à travers la diversité
d'exercices portants sur le même concept, qu'au-delà des différences de forme (le type
d'objets représenté, l'organisation dans l'espace, etc.), le concept même de nombre peut
être appréhendé de différentes façons. Il apparaît que l'enseignement du nombre induit
des questions épistémologiques dont il s'agira d'institutionnaliser les réponses quant à
leur compréhension par des enfants de 6 ans. L'histoire des mathématiques, l'histoire de
l'épistémologie et de la didactique, l'histoire de la psychologie de l'enfant et l'histoire de
la pédagogie se retrouvent impliquées dans les choix de conception.
Les extraits ci-dessous (1960, 1970, 1985, 2015), portent sur la numération de position,
c'est-à-dire le système de calcul que nous utilisons dans nos sociétés occidentales, en
base 10. L'apprentissage de la dizaine est donc, pour notre système, fondateur des
opérations mathématiques que l'enfant apprendra par la suite.
Des années 1930 aux années 1960, les manuels sont assez semblables (figure 25.1).
Durant cette période, l'épistémologie des sciences est en plein essor, mais n'a pas encore
d'application à l'école. Quant à la didactique, elle ne s'est pas encore développée
institutionnellement ; le manuel est destiné tout autant à l'élève qu'à l'enseignant et la
place de l'enfant n'est pas intégrée dans une pédagogie. La base 10 est matérialisée par
les cartes de 10 boutons, mais son fonctionnement ne constitue pas un objectif. Les
objets qui servent d'appui sont issus du quotidien de l'enfant et de l'adulte,
correspondant à une conception utilitariste des mathématiques et de la fonction de
l'école en général. Les apprentissages qui sont mis en application dans les manuels
reposent sur un empirisme sensualiste : les connaissances se forment à partir de
l'expérience et de l'observation, en allant du simple au complexe.
FIGURE 25.1 Extrait n° 1. Manuel datant de 1960 (Delagrave).
Dans les manuels des années 1970 (figures 25.2 et 25.3), les situations abstraites
plongent l'élève à l'intérieur de l'univers mathématique. En référence aux théories
mathématiques ensemblistes, l'approche du nombre est structuraliste et logique.
L'enfant doit construire les notions sous-jacentes au nombre (désignation d'un
ensemble, catégorisation, etc.) avant de les utiliser pour élaborer le concept par
abstraction réfléchissante. Cette progression s'appuie sur une psychologie
constructiviste où la manipulation concrète des objets est à mettre en correspondance
avec la manipulation mentale des concepts. L'activité prime sur le verbal : c'est à partir
de l'action que l'enfant peut abstraire les notions. Dans ce cadre, les opérations réalisées
en bases autres que la base 10 sont des exercices visant à faire comprendre la logique
sous-jacente à notre système.
FIGURE 25.2 Extrait n° 2. Manuel datant de 1970 (J. Manesse et G. Lecouvez, Math001, Plastifiche,
Hachette).
FIGURE 25.3 Extrait n° 3. Manuel datant de 1977 (Nicole Picard (Dir) Activités
mathématiques à l'école élémentaire, OCDL).
Dans les manuels des années 1980, l'importance de l'action est conservée (usage des
baguettes cuisenaires dans la figure 25.4), mais avec très peu d'activités prénumériques.
L'approche est procédurale : c'est en construisant des procédures de résolution de
problème que la logique sous-jacente est utilisée et se renforce. La référence à la
psychologie cognitive considère l'individu comme un « système de traitement de
l'information » et une compétence à faire développer à l'enfant est celle de la sélection
des informations pertinentes à la résolution du problème, d'où un environnement
chargé en informations en tous genres. Le nombre prédomine d'emblée dans les
situations proposées. On « vit le nombre » avant de s'en construire une idée. Dans
l'extrait ci-dessus, l'exercice sur la base 3 est un travail d'écriture des nombres plus que
de manipulation des quantités qu'ils représentent.
FIGURE 25.4 Extrait n° 4. Manuel datant de 1985 (Frederic Joos, Vive les maths, Nathan).
Nous pouvons mentionner deux caractéristiques prédominantes dans les manuels
actuels (figure 25.5) : la multimodalité d'une part et le recours à des artéfacts
accompagnés de leurs schèmes d'usage d'autre part. L'extrait ci-dessous illustre à deux
reprises l'accompagnement des concepts mathématiques par leur expression verbale
(lorsqu'est signalée la difficulté des nombres « dont le nom ne correspond pas
directement au contenu arithmétique », et lorsque la réponse au dénombrement est
accompagnée de l'expression « Il y a… »). La « boîte-dix » est un outil de numération
proposé pour rester utile à l'élève tout au long de sa découverte du nombre. Des auteurs
comme Baruk, Duval, Rabardel, pour n'en mentionner que très peu, ont fort
probablement inspiré ces choix didactiques.
FIGURE 25.5 Extrait n° 5. Manuel datant de 2015 (Gérard Champeyrache, Alain Fréville,
Claire Mariacher, La clé des maths, Belin).
Avec ces illustrations de la diversité de présentation d'un domaine simple pour les
adultes, la numération, nous pointons la dimension institutionnelle des activités
proposées aux élèves. Les théories didactiques et psychologiques en cours dans une
société à un moment donné déterminent les conceptions que l'enseignant transmet aux
élèves. On peut s'interroger sur la nature des contenus d'apprentissage à l'école : pour
une même dénomination (par exemple « le nombre »), sont-ils les mêmes à travers le
temps ? En fonction des avancées scientifiques des différentes disciplines impliquées, et
des idéologies, l'institutionnalisation des savoirs prend des trajectoires variables. La
finalité de l'école est la construction des représentations du monde. Considérer
l'influence institutionnelle sur ce processus implique fondamentalement une
interrogation épistémologique : qu'est-ce que ce monde représenté ?
Les enseignants
Une loi peut avoir une influence plus large que l'objectif institutionnel pour lequel elle a
été initialement pensée et rédigée. Avec le cas très conséquent pour la pratique
quotidienne des enseignants concernant l'intégration des enfants en situation de
handicap (loi de 2005 pour la participation et la citoyenneté des personnes handicapées,
et la politique scolaire inclusive qu'elle implique), Feuilladieu et al. (2015) observe des
transformations des pratiques d'enseignement :
« Les aides pédagogiques mises en place relèvent à la fois de gestes spécifiques et
génériques. Diffusées à d'autres élèves de la classe n'étant pas en situation de handicap,
mais répondant aux mêmes besoins éducatifs et développées à partir des routines
professionnelles qu'elles rendent plus efficientes, ces aides ne constituent pas seulement
quelques outils de plus. Elles constituent aussi une évolution du métier, par
l'orchestration spécifique innovante de dispositions pratiques génériques, utile à tous. »
(ibid, p. 4.).
Ainsi, les professionnels s'investissent des conséquences des évolutions
institutionnelles pour être créatifs dans leurs champs d'action, ce qui peut les conduire à
être instituants et faire eux-mêmes progresser les cadrages institutionnels. Dans ce sens,
Hannoun (1995), parle d'« école instituée et école instituante » (p. 181) et pour ce dernier
cas, en tant que productrice de sa propre législation interne et de normes sociales
nouvelles.
Les familles
Le rôle des familles dans la scolarité de leurs enfants a beaucoup changé entre la loi du
28 mars 1882, « Loi qui rend l'enseignement primaire obligatoire » où leur fonction était
considérée comme assurant l'obligation scolaire (inscription puis présence de leurs
enfants) et la loi du 28 juillet 2013 « Loi d'orientation et de programmation pour la
refondation de l'école » qui décrit les modalités d'une « coéducation ».
Le rapprochement des familles vers les écoles a ainsi été récemment institué,
probablement pour cadrer la complexification croissante de cette relation.
Dans le cadre de sa démarche socio-clinique institutionnelle, Monceau (2008) propose
une « analyse résistancielle (analyse par les résistances) [qui] vise à éclairer les nouvelles
interférences institutionnelles entre Écoles/Famille générées par les transformations en
cours » (p. 4). Son analyse qualitative lui permet de dépasser une certaine conception
dichotomique en termes de démission ou d'envahissement :
« Nous avons ainsi observé comment des représentants de parents tentent et
parviennent parfois à renverser les rôles traditionnels et à enrôler idéologiquement les
enseignants dans des dispositifs de coopération. Il arrive ainsi que le conseil d'école
(auquel participent enseignants et représentants de parents) soit le lieu où des parents
réconfortent des enseignants en difficulté en soulignant l'importance de leur mission.
Ce faisant ils résistent à la perte de sens qui peut résulter d'une institutionnalisation de
la coopération. En interrogeant systématiquement sur les finalités des actions mises en
œuvre dans l'école, les parents contraignent les enseignants à expliciter une politique
d'établissement. Par le dialogue, ils peuvent influer sur celle-ci. Ces interventions
menées à partir des instances instituées s'appuient sur la légitimité conférée par la
réglementation scolaire elle-même. » (ibid p. 160)
Les élèves
Les élèves sont-ils susceptibles d'être des acteurs instituants ?
Nous ne nous arrêterons pas à l'institutionnalisation des délégués de classe en 1969,
exemple prototypique, mais considérerons un phénomène proposé ici à titre conjecturel.
À propos de la place des images dans la société et à l'école, nous avons développé
l'idée d'une possibilité de « mutation de l'école » dans ses critères d'excellence et de
sélection (Bruno et Bruno, 2014). Nous partons du double constat du recours de plus en
plus important aux images dans la communication, en particulier chez les jeunes, et de
la reconnaissance, en pédagogie, de la pertinence des images mentales dans le
raisonnement et les apprentissages.
« Une intuition futuriste accompagnée d'une interprétation de la situation actuelle
comme une mutation à l'œuvre nous conduirait à émettre l'hypothèse qu'il pourrait
exister une société dont la langue serait constituée d'images, voire des sociétés douées
de langues-images différentes. Dans ces conditions, la faculté de manipulation des
images serait source de positionnement social, de pouvoir. Après la maîtrise du latin
comme critère d'excellence des humanités classiques, la maîtrise des mathématiques
comme critère des humanités modernes, les images deviendraient-elles le signe
distinctif d'une nouvelle classe dominante ? La maîtrise des images ne serait plus un
critère explicite de réussite, mais une forme de pouvoir social de fait, non décrété,
institué par la "société civile" » (ibid, p. 325).
Conclusion
Les exemples que nous avons développés auront, nous l'espérons, convaincu le lecteur
que les institutions s'immiscent à un niveau psychologique fondamental et individuel,
et ce, de façon non flagrante pour l'observateur non averti.
Pour le professionnel, la prise de conscience de ces influences nous semble a minima
incontournable pour gérer les situations qui font partie de son métier, et tout
particulièrement dans le domaine de la psychologie.
La théorie piagétienne a été critiquée sur un point majeur qui nous semble significatif
dans la présente réflexion : le rapport que nous avons au réel n'est pas direct, mais
médié par la culture et ses institutions. Dans le cas des professions de l'humain, cette
médiation est double et constitue ainsi une mise en abîme : d'une part dans la relation
que le sujet (élève, patient, etc.) entretient avec la réalité qui l'environne et qu'il cherche
à comprendre/maîtriser, et d'autre part dans la relation du professionnel avec ce sujet
qu'il cherche à comprendre/aider/faire évoluer.
En réfléchissant aux implications institutionnelles dans le système éducatif dont on a
développé ici quelques exemples, le lecteur aura pu se positionner sur les différentes
alternatives rapportées, en y voyant, selon les cas, plus ou moins d'intérêt et de
pertinence. À partir de son système de représentations et de conceptions, il aura élaboré
son point de vue sur les finalités de l'école, sur la place à donner aux parents et autres
partenaires, sur l'activité à attendre de l'élève et donc sur le type de situation
d'apprentissage à lui proposer, sur les médiations possibles de l'enseignant. Désormais,
le lecteur a conscience que son adhésion à l'une ou l'autre des alternatives ne fait ni
consensus ni autorité par le fait même de sa conviction. Et c'est précisément à ce
problème que tend à répondre l'institution.
Plusieurs questions émergent alors. Comment juger de ma représentation des
institutions et de ma manière d'interpréter par exemple les droits et devoirs inscrits
dans le cadrage institutionnel ? Quel rapport existe-t-il entre l'institution et
l'organisation hiérarchique dans laquelle mon activité professionnelle s'inscrit ? Et
finalement, comment, de façon générale, considérer l'institution, de l'implication non
critique au rejet aveugle, c'est-à-dire comment ne pas subir sans comprendre ?
Pour guider la recherche d'éléments de réponse à ces questions, nous proposons ci-
dessous quatre pistes de réflexion.
L'interprétation du cadre
L'institution offre un cadre traduisant un système de valeurs dans le but de poursuivre
certaines finalités. Afin d'y définir sa marge de manœuvre, le professionnel doit donner
du sens à ce cadre, exprimé de façon formelle tout en contenant de l'implicite. Ce
processus induit la rencontre de différents registres sémiotiques : les modalités
d'expression et de représentation issues de l'institution ne sont pas les mêmes que celles
du quotidien.
Une approche utile pour mettre à jour ces sens est celle de la comparaison, qu'elle soit
temporelle (que nous avons adoptée ici avec des éléments de comparaison historiques),
ou spatiale (comparaisons inter-culturelles). Les interprétations que nous avons
proposées concernant les programmes et les manuels scolaires sont certes discutables,
mais l'objectif, dans le cadre précis de cet article, est de montrer l'influence idéologique
des textes institutionnels (non pas qu'une référence scientifique soit idéologique en tant
que telle, mais est instituée telle par son choix au détriment d'une autre).
Références
Bruner J. The Culture of Education. Cambridge, Mass: Harvard University Press;
1996.
Bruno S., Bruno F. Produire des images, fabriquer de la pensée : une articulation
en devenir. In: Meskel-Cresta M., Nordmann J.-F., Bongrand P., Boré C., Colinet
S., Elalouf M.-L., eds. École et mutation : Reconfigurations, résistances, émergences.
Bruxelles: De Boeck; 2014.
Bruno S., Munoz G. Education and interactivism : Levels of interaction influencing
learning processes. New Ideas in Psychology. 2010;28:365–379.
Chevallard Y. La transposition didactique du savoir savant au savoir enseigné. La
Pensée Sauvage: Grenoble; 1985.
Dubet F. Donner autant à ceux qui en ont moins. L'actualité éducative du CRAP. n°.
2005;429–430.
Feuilladieu S., Gombert A., Assude T. Vers l'accessibilité aux savoirs des élèves en
situation de handicap. Recherches en éducation. 2015;23:3–11.
Ferry J. Discours à la chambre des députés. 1876.
Hannoun H. Comprendre l'éducation : introduction à la philosophie de l'éducation.
Paris: Nathan; 1995.
Kuhn T. La structure des révolutions scientifiques. Paris: Flammarion; 2008.
Monceau G. L'usage du concept de résistance pour analyser la coopération des
parents d'élèves avec les enseignants dans l'institution scolaire. 1/7. Nouvelle
revue de psychosociologie. 2008.151–165.
Reboul O. La Philosophie de l'éducation. Paris: Presses universitaires de France. Coll.
« Que sais-je ? »; 1989.
Thévenet A. Les institutions sanitaires et sociales de la France. Paris: Presses
universitaires de France. Coll. « Que sais-je ? »; 2002.
Vergnaud G. Au fond de l'action, la conceptualisation. In: Barbier J.M., ed. Savoirs
théoriques et savoirs d'action. Paris: Presses universitaires de France; 1996 dir.
PA R T I E 4
La psychopathologie et les troubles du
développement
CHAPITRE 26
La contribution biologique en
psychopathologie développementale
Françoise Morange-Majoux
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Définitions et classifications des troubles neurodéveloppementaux
Le retard mental
La schizophrénie
L'autisme
Le trouble de l'attention avec hyperactivité
Conclusion
Introduction
On admet aujourd'hui que les troubles mentaux sont la manifestation, à des degrés
divers, de dysfonctionnements ou anomalies cérébrales, liés à des troubles fonctionnels
ou anatomiques, d'origine génétique et/ou environnementale. En effet, les gènes
interviennent de façon substantielle non seulement dans la genèse et la régulation de
molécules (neuromédiateurs, hormones, enzymes, etc.), mais également dans
l'organisation des connexions entre neurones. L'environnement, qu'il soit social ou
physique, endogène ou exogène, influence quant à lui l'expression des gènes, de telle
sorte que les troubles mentaux sont causés par une combinaison de prédispositions
génétiques et de facteurs environnementaux (sociaux et développementaux),
intervenant de façon plus ou moins prépondérante selon les pathologies (pour une
revue, voir Philips et al., 2000). Loin de constituer un clivage entre psychologues et
neurobiologistes, cette évolution des pensées doit être perçue comme une indéniable
avancée scientifique ayant pour objectif de mieux comprendre les processus et les
mécanismes psychophysiologiques à l'origine, mais aussi, en conséquence de ces
troubles (comme les stratégies cognitives chez les enfants dyspraxiques pour compenser
leurs troubles) afin d'apporter une remédiation au plus près du déficit cognitif,
d'identifier des trajectoires développementales spécifiques et in fine faire de la
prévention1. Enfin, les recherches en psychophysiologie constituent un socle de
connaissances sur lesquelles les chercheurs pourront non seulement s'appuyer, mais
aussi puiser des hypothèses de travail et des principes de fonctionnement. L'exemple de
la schizophrénie sert bien notre propos : considérée comme l'expression d'un esprit fou
au XIXe siècle, ses crises sont calmées pour une partie d'entre elles à partir des
années 1950, par des neuroleptiques dont la principale action est de bloquer les
récepteurs dopaminergiques surstimulés chez les patients schizophrènes. Ainsi, ce
chapitre a pour objectif d'apporter un éclairage neurobiologique aux troubles
psychiques. Pour des raisons d'espace et de clarté, nous n'envisagerons que quelques
exemples ciblés pour illustrer notre propos : le retard mental, la schizophrénie, l'autisme
et le trouble de l'attention avec hyperactivité.
Le retard mental
Le concept de retard mental (3 % de la population générale) a fait l'objet de nombreuses
définitions depuis plus d'un siècle. Historiquement, on doit à Binet et Simon (1907) de
l'avoir défini pour la première fois comme la manifestation d'un retard de
développement de l'intelligence, le fonctionnement intellectuel étant significativement
inférieur à la moyenne mesurée par un test de QI. La classification du DSM-IV distingue
4 classes de retard mental qui va de léger (50 < QI > 70) à sévère (QI < 50), le retard léger
étant de loin le plus courant (80 %). Cette définition, subordonnée au calcul du QI
donne une vision continue de l'efficience intellectuelle et tend à faire apparaître le
retard mental comme une composante intrinsèque de l'individu. Or les aspects sociaux
du retard mental, notamment le caractère d'inadaptation sociale permet de relativiser le
retard mental selon les normes sociales, les cultures, les exigences scolaires et de lui
donner une dimension moins exclusivement endogène. Ainsi, les définitions récentes
distinguent clairement les aspects psychologique et social du retard mental aboutissant
à un modèle transactionnel ou le retard mental est défini comme la conséquence de
l'interaction entre les déficiences (cognitives, motrices, sociales, etc.) et incapacités d'une
personne et les caractéristiques de son environnement. Dans cette perspective, le retard
mental est envisagé comme un handicap ; il est donc non seulement évalué à partir de
tests psychométriques standardisés (QI < 70), mais également à partir d'échelles de
compétences adaptatives comme l'échelle de Vineland (Sparrow, Balla et Cicchetti,
1984). Enfin, on parle de personne en situation de handicap, afin d'externaliser le
handicap en mettant l'accent sur un environnement plus ou moins favorable à
l'individu (Fougeyrollas, 1998). Ainsi, la personne selon les caractéristiques de
l'environnement physique et social dans lequel elle évolue pourra ou pas être en
situation de handicap2.
La schizophrénie
La schizophrénie, du grec schizo pour fractionnement et phrénie pour esprit,
historiquement décrite comme une démence précoce (Kraepelin, 1889), doit son nom à
Bleuler (1911) afin de caractériser la dissociation des fonctions psychiques de la maladie.
C'est une pathologie grave qui concerne 1 % de la population et se caractérise par un
ensemble de symptômes hétérogènes, recouvrant souvent ceux d'autres troubles, et
évoluant au cours de la vie, avec une prévalence élevée de suicides et de toxicomanie.
Elle affecte essentiellement l'adolescent et le jeune adulte (entre 15 et 35 ans) pour
ensuite s'installer soit durablement, soit devenir chronique selon l'American Academy
of Child and Adolescent Psychiatry (AACAP) (2001). Souvent, elle débute brutalement
par une bouffée délirante aiguë accompagnée d'un passage à l'acte. C'est une des
pathologies mentales les plus handicapantes, avec une insertion professionnelle très
problématique et une insertion sociale faible (20 à 30 %).
Les symptômes majeurs (DSM-IV) comprennent des délires d'interprétation fortement
personnalisés, des hallucinations auditives et/ou visuelles, des changements émotionnels et un
discours désorganisé. Classiquement, on identifie trois types de symptômes : un
syndrome dissociatif, un délire paranoïde et un retrait autistique.
Les symptômes
Le syndrome dissociatif se caractérise par une dissociation psychique qui peut toucher
les versants intellectuel, affectif et comportemental. Ainsi, on trouve fréquemment des
troubles du langage, du cours et du contenu de la pensée (idées étranges, conduites
énigmatiques, néologismes, etc.). Concernant le versant affectif, on retrouve une
indifférence, des réactions émotives inappropriées, une ambivalence (coexistence
simultanée de sentiments contraires), un émoussement affectif et/ou un négativisme. Au
niveau comportemental, ce sont surtout les stéréotypies qui se remarquent, un certain
maniérisme, des troubles du tonus, des sourires immotivés et des parakinésies. Les
hallucinations psychosensorielles sont souvent au premier plan dans le délire
paranoïde : hallucinations auditives, visuelles cénesthésiques, psychomotrices (Russel,
Bott et Sammons, 1989). On note également des thèmes délirants fréquemment
rencontrés comme les thèmes perspectifs, mystiques, érotomaniaques,
hypocondriaques. Le retrait autistique se caractérise par un isolement social progressif,
qui va de pair avec une diminution des performances scolaires ou professionnelles, et
un détachement de la réalité. Dans certaines formes, on trouve une incurie et
l'émergence de comportements archaïques. Selon que les patients sont dans une phase
active (hallucinations, excitation, délires, etc.) ou passive (apathie, retrait, perte de
volonté, anxiété, etc.) on parlera de symptômes positifs ou négatifs (Kay et al., 1987). La
diversité et la distribution des symptômes font que les tableaux cliniques peuvent être
très différents d'un cas à un autre. C'est du reste un sujet de controverse chez les
chercheurs, certains considérant la schizophrénie comme une entité pathologique
unique, d'autres comme une cohorte de maladies liées entre elles.
Différentes hypothèses ont été avancées pour expliquer les causes de la
schizophrénie, mais la majorité des auteurs s'accorde à penser que ce trouble à une
origine multifactorielle. Ces hypothèses ne prétendent pas rendre compte de tous les
symptômes de la schizophrénie, mais plutôt d'un type de symptômes.
L'hypothèse génétique
Si une origine génétique est indéniable (10 % de risque d'avoir un enfant schizophrène
s'il existe déjà un enfant atteint), les études sur les jumeaux montrent que si un jumeau a
la maladie, l'autre jumeau a un risque de 50 % de l'avoir aussi : on peut donc avoir les
gènes de la schizophrénie sans pour autant développer la maladie (MacDonald et
Murray, 2000).
Reste une apparente contradiction : si des anomalies cérébrales existent dès la vie
fœtale ou très précocement, pourquoi la maladie ne se manifeste-t-elle que plusieurs
années plus tard à l'adolescence ? Ce paradoxe est levé en partie grâce aux modèles
animaux : en effet, chez le singe, l'altération du cortex préfrontal pendant la vie
prénatale n'entraîne aucune modification des performances avant l'âge de la maturité
sexuelle. Le modèle en « deux coups » (Keshavan et al., 1994) postule que des
perturbations doivent être présentes pendant deux périodes critiques du
développement : le premier coup consisterait en une altération précoce du
développement cérébral pendant la période périnatale entraînant une vulnérabilité à
long terme ; le second coup correspondrait à une perturbation des processus de
connectivité et un manque de plasticité cérébrale entraînant les manifestations
psychotiques. Actuellement, on admet que des perturbations précoces biologiques et
une orientation génétique constituent un terrain de fragilité sur lequel des événements
ultérieurs, de nature biologique ou environnementale (facteurs dits précipitants),
agissent et entraîne le développement de la maladie. Certains individus, de par leur
héritage génétique, seraient plus vulnérables ou plus fragiles pour développer une
schizophrénie. Les facteurs environnementaux joueraient alors un rôle d'arbitrage,
déclenchant ou non la maladie (Brown, 2011).
L'autisme
C'est en 1943 que Leo Kanner décrit les symptômes d'une maladie rare et sévère, qui
apparaît au cours du développement de l'individu et auquel il donne le nom d'autisme.
Les enfants qu'il observe présentent une incapacité à établir des relations normales avec
les autres, un évitement du regard, des troubles du langage, des stéréotypies, et un
besoin de maintenir leur environnement stable et inchangé. Si jusqu'à la fin des
années 1960, l'autisme est classé, avec la schizophrénie, en tant que psychose,
progressivement, les différences entre les deux maladies se formalisent de telle sorte
que l'autisme apparaît classé dans le DSM-IV dans les troubles envahissants du
développement (TED) ; puis les critères diagnostiques à la fois s'affinent et s'élargissent
pour tenir compte des différentes formes de gravité de la maladie, de la diversité et de
la grande variabilité des symptômes individuels et de l'étendue des formes d'autisme,
comme en témoigne la nouvelle catégorisation du DSM-5 en tant que TSA, incluant
toutes les formes d'autisme (Asperger, TED non spécifiés, trouble désintégratif), eux-
mêmes inclus dans une catégorie plus vaste des troubles neurodéveloppementaux. En
outre, les troubles du spectre autistique sont classés en fonction du niveau de soutien
qu'ils nécessitent.
Conclusion
La compréhension des processus mentaux troublés (mécanismes élémentaires ou
soubassements biologiques) permet non seulement de mieux comprendre et
appréhender le patient dans sa maladie, mais également de définir d'éventuelles
remédiations. Pour autant, il faut se méfier de l'écueil d'explications trop mécanistes : il
importe de comprendre comment, en retour les facteurs environnementaux modulent la
structure biologique du cerveau : on sait, par exemple, que l'apprentissage chez
l'animal, peut avoir pour effet d'augmenter le nombre de terminaisons présynaptiques
tandis qu'une habituation, à l'inverse, entraîne une régression des connexions
synaptiques. C'est donc la prise en compte à la fois des aspects biologiques, socio-
émotionnels et environnementaux qui permettra de comprendre non seulement les
processus et mécanismes des troubles du développement, mais également d'envisager
les possibles remédiations. Comprendre comment les processus biologiques du cerveau
génèrent des événements mentaux, normaux ou anormaux, est sans aucun doute une
des facettes les plus fascinantes pour le psychologue. Faire le lien entre telle hormone et
un comportement, corréler une perte de neurones ou de connexions à tel déficit cognitif,
déterminer les facteurs environnementaux agissant sur l'organisation de telle structure,
ou production de telle molécule, sont autant de pièces de puzzle qui finissent par
s'assembler pour tenter de comprendre in fine la pensée humaine.
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1
L'identification du virus Zirka comme agent pathogène de la microcéphalie par exemple, pourra permettre de
proposer un dépistage chez les femmes enceintes.
2
Auparavant, les caractéristiques de l'individu étaient décrites sous forme de manques suggérant que le handicap
était l'attribut d'une personne, désavantagé socialement, alors que dans un contexte particulier, il peut accomplir
certaines tâches : les enfants avec une trisomie 21 sont plus lents que la normale pour accomplir des exercices
scolaires, mais peuvent les accomplir pour peu qu'on adapte la situation pour eux, en leur laissant plus de temps, par
exemple.
3
Voir le chapitre 31.
4
Les fonctions exécutives comprennent la planification, l'intention, la stratégie, le contrôle de l'efficacité de cette
stratégie, l'inhibition, la métacognition, etc.
5
L'enfant n'arrive pas à s'empêcher de réagir dans certaines situations où il faut se retenir de répondre.
CHAPITRE 27
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
L'attachement désorganisé
Les troubles de l'attachement
Les anomalies dans les fonctions de havre et de base de sécurité
Les facteurs de généralisation du trouble
Conclusion
Introduction
Le bon développement de l'enfant repose sur la satisfaction de ses besoins primaires.
Sur le plan psychologique, le besoin de sécurité est sans doute l'un des plus importants
(Bowlby, 1973). Bien que couramment, les parents apportent une certaine protection à
leur enfant, il arrive parfois que des difficultés relationnelles ébranlent chez ce dernier le
sentiment de pouvoir compter sur eux, entraînant un sentiment d'insécurité. Un
décalage entre les réponses des parents et les besoins de l'enfant oblige celui-ci à
développer des stratégies adaptatives destinées à maximiser ses chances de s'en sortir
sans leur assistance ou, quand c'est possible, d'optimiser les soins qu'il reçoit (Main,
1990 ; Kobak et al., 1993).
L'anxiété suscitée par la non-réponse à leur détresse rend les enfants plus vulnérables
(voir DeKlyen et Greenberg, 2008), moins bien armés face au stress (Bernard et Dozier,
2010, Hertsgaard et al., 1995 ; Spangler et Schieche, 1998). Mais bien qu'elle les fragilise
dans leur développement psychologique, l'insécurité d'attachement ne relève pas
nécessairement de la psychopathologie.
L'attachement désorganisé
Parmi les styles d'attachement insécure,1 le plus problématique est sans doute
l'attachement désorganisé. Il se caractérise par une incapacité à trouver une stratégie
cohérente face à sa figure d'attachement pour être aidé à réguler le stress. On observe
alors chez l'enfant des attitudes contradictoires mêlant des mouvements de
rapprochement et d'éloignement (Main et Solomon, 1986).
Cet échec dans la mise en place d'une stratégie efficace s'expliquerait par des
comportements effrayants émanant de la figure d'attachement : Main et Hesse (1990)
ont constaté que des mères marquées par un traumatisme non résolu (i. e. deuil,
expérience d'abus ou de maltraitance) avaient plus souvent des enfants désorganisés. Il
est apparu par ailleurs que ces mères manifestaient, lors des interactions avec leur
enfant, des comportements effrayants/effrayés (par exemple, ton de voix « hanté »,
mettre sa main sur le visage ou la gorge de l'enfant). Main et Hesse ont ainsi proposé
que l'état d'appréhension de la mère et la production de ces comportements étranges
induiraient de la peur dans la relation et amèneraient l'enfant à ne pas pouvoir se
tourner vers elle pour être rasséréné. L'enfant se retrouverait dans une situation
paradoxale et insoluble où le havre de sécurité que représente le parent serait en même
temps une source de peur, d'où le conflit entre recherche de proximité et réaction de
fuite.
Plus récemment, on s'est aperçu que des ruptures dans la communication entre mère
et enfant pouvaient également être à la source d'un attachement désorganisé (Forbes,
Evans, Moran, et Pederson, 2007 ; Lyons-Ruth, Bronfman, et Parsons, 1999 ; Miljkovitch
et al., 2013). Il semblerait donc que des absences, non plus physiques, mais
psychologiques, de la part de l'adulte amènent l'enfant, lorsqu'il est très jeune, à se
sentir démuni et provoquent chez lui une réaction de détresse immédiate comme en
témoignent les réactions observées dans la procédure de la Still Face (Tronick, Als,
Adamson, Wise, et Brazelton, 1978). Cette détresse n'étant pas calmée par l'adulte, elle
irait en augmentant ; Mary Main (1995) parle d'une « peur sans solution ». Ce ne serait
pas tant la peur en elle-même que l'incapacité à y mettre un terme qui fragiliserait
l'enfant (Solomon et George, 1999).
Il n'est pas rare que les enfants désorganisés développent des symptômes (i. e. :
agressivité) voire des troubles (i. e. : trouble dissociatif), ce qui amène les chercheurs à
se demander si ce type d'attachement ne constituerait pas en soi un trouble
psychopathologique (van IJzendoorn et Bakermans-Kranenburg, 2002). On sait en tout
cas que l'attachement désorganisé constitue en facteur de risque en termes de
psychopathologie (Carlson, Egeland et Sroufe, 2009 ; voir aussi Deborde et Miljkovitch,
2013).
Conclusion
Les vicissitudes des liens d'attachement jouent donc un rôle capital dans le
développement de la santé mentale. Il serait bien sûr excessif de conclure que les
psychopathologies évoquées dans ce chapitre n'ont comme seul facteur étiologique
l'attachement. De nombreux autres paramètres peuvent eux aussi concourir à la
survenue des troubles et il ne s'agit pas, ici, de minimiser ces autres facteurs et d'amener
à des raccourcis. Néanmoins, dans des cas d'extrême maltraitance, les perturbations
résultant de ces liens défaillants sont telles qu'elles suffisent à rendre compte du trouble.
Car l'attachement a de nombreuses ramifications qui agissent en parallèle dans le
développement de l'individu. L'anxiété est à la base de l'activation du système
d'attachement. Cette dernière peut donner lieu à de la colère qui, si elle n'est pas gérée
correctement, prend des proportions relevant de la pathologie. C'est aussi dans les
premières interactions qu'une image de soi s'établit en rapport avec autrui. Cette image
guide l'enfant dans son interprétation des intentions des autres, ce qui peut alimenter
un sentiment de persécution. En même temps, la capacité à se représenter leurs états
mentaux peut être mise à mal dans un contexte de maltraitance, ce qui participe à une
dysrégulation des émotions et parfois, une non prise en compte d'autrui.
On s'aperçoit malgré tout que les représentations issues de ces liens défaillants
participent pour une large part à l'inadaptation de l'individu, en pérennisant son vécu
d'insécurité. Plus une relation de qualité peut se mettre en place tôt, moins ces
représentations seront validées, plus leur effet délétère sera réduit. Des prises en charge
efficaces guident les parents ou nouvelles figures d'attachement dans la manière de
contrecarrer les automatismes morbides mis en place par les enfants perturbés.
Si une telle prise en charge a fait défaut et qu'il est impossible de revenir sur ce qui est
arrivé, il reste tout à fait envisageable d'élaborer autrement son histoire pour que celle-ci
reste à sa place : dans le passé.
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1
Pour une présentation des différents styles d'attachement, voir le chapitre 3.
CHAPITRE 28
PLAN DU CHAPITRE
Introduction : la situation de handicap
Le handicap intellectuel
Le handicap auditif
Conclusion
Le modèle de l'OMS
Selon l'OMS, le handicap renvoie « aux déficiences, limitations d'activités ou restrictions
de participation » et la situation de handicap doit être analysée de manière dynamique,
c'est-à-dire en étudiant les facteurs personnels et environnementaux, qui renforcent ou à
l'inverse réduisent le handicap. Par exemple, une personne en fauteuil roulant,
confrontée à un escalier, sans alternative de type ascenseur ou rampe d'accès, est en
situation de handicap en raison de son problème de santé, qui a entraîné une altération
de la marche, mais également d'une limitation environnementale, l'absence d'un accès
pour les personnes en fauteuil roulant. Si cette personne n'ose pas demander de l'aide
pour accéder au bâtiment en raison d'un trouble psychologique de type anxiété sociale,
sa situation de handicap sera majorée.
L'OMS a proposé un modèle biopsychosocial et multidimensionnel du
fonctionnement humain (2003), nommé Classification internationale du
fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), permettant d'intégrer les problèmes
de santé, les facteurs environnementaux et les facteurs personnels qui retentissent sur
les activités et la participation de la personne en situation de handicap. L'analyse de ces
facteurs et de leurs interactions permet de penser la situation de handicap de manière
globale, dynamique et multidimensionnelle. Elle permet également d'envisager
différents niveaux d'action pour la mise en place de stratégies de compensation du
handicap ou de prises en charge pour faire évoluer la situation de la personne et
améliorer ainsi sa qualité de vie. Dans notre exemple, ces niveaux pourraient être la
rééducation de la marche par le kinésithérapeute, l'aménagement de l'environnement
par l'ergothérapeute et la prise en charge de l'anxiété sociale par le psychologue. Ainsi,
la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé constitue
un outil dont le psychologue, qui travaille avec des personnes en situation de handicap,
peut se saisir dans une perspective clinique, de recherche ou de travail
pluridisciplinaire.
Le handicap intellectuel
Définition
Dans le DSM-5 (2013), le handicap intellectuel ou trouble du développement
intellectuel, remplace le terme de retard mental du DSM-IV. Il est défini comme « un
trouble débutant pendant la période de développement, fait de déficits tant intellectuels
qu'adaptatifs, dans les domaines conceptuels, sociaux et pratiques. Les trois critères
suivants doivent être présents :
• déficit des fonctions intellectuelles, comme le raisonnement, la résolution de
problèmes, la planification, l'abstraction, le jugement, l'apprentissage scolaire et
l'apprentissage par l'expérience, confirmés par l'évaluation clinique et les tests
d'intelligence individuels standardisés ;
• déficit des fonctions adaptatives qui se traduit par un échec dans l'accession aux
normes habituelles de développement socioculturel permettant l'autonomie et la
responsabilité sociale. Sans assistance au long cours, les déficits adaptatifs limitent le
fonctionnement dans un ou plusieurs champs d'activité de la vie quotidienne
comme la communication, la participation sociale, l'indépendance, dans des
environnements variés tels que la maison, l'école, le travail, la collectivité ;
• début du déficit intellectuel et adaptatif pendant la période du développement.
La sévérité du handicap intellectuel doit être spécifiée : légère, moyenne, grave ou
profonde. Alors que dans le DSM-4, la sévérité était déterminée uniquement à partir du
Quotient intellectuel (ex : déficience légère : 55 < QI < 70), dans le DSM-5, elle l'est aussi
à partir des compétences sociales (ex : communication) et pratiques (ex : soins
personnels).
L'épidémiologie
La prévalence du handicap intellectuel est estimée à environ 3 % dans la population.
Les garçons sont plus fréquemment atteints que les filles dans une proportion de 1,5/1
(pour revue voir Lussier et Flessas, 2001).
L'évaluation psychologique
L'évaluation psychologique comporte l'évaluation du fonctionnement intellectuel et
adaptatif, puisque le diagnostic de handicap intellectuel implique l'objectivation d'un
déficit dans ces deux domaines. Il est intéressant de la compléter par une évaluation du
fonctionnement psycho-émotionnel, et parfois de certaines fonctions cognitives
spécifiques.
Le fonctionnement intellectuel
Les échelles de Wechsler font référence, au niveau international, pour l'évaluation du
fonctionnement intellectuel : on distingue la WPPSI-4 (Wechsler, 2014) pour les enfants
âgés de 2 ans ½ à 7 ans 7 mois, la WISC-4 (Wechsler, 2005) pour les enfants âgés de
6 ans à 16 ans 11 mois et la WAIS-4 (Wechsler, 2011) pour les adolescents de 17 ans et
les adultes. Dans ces échelles, la méthode de calcul du Quotient intellectuel (QI)
repose sur l'utilisation de la loi normale. Pour chaque tranche d'âge, la population est
distribuée selon une courbe de Gauss, de moyenne 100 et d'écart-type 15. Les personnes
présentant un handicap intellectuel ont un QI inférieur à 70, c'est-à-dire un QI qui se
situe à plus de deux écarts-types en dessous de la moyenne.
Il est possible de réaliser une évaluation du niveau intellectuel dès l'âge de 2 ans ½
afin de situer les compétences de l'enfant par rapport à ses pairs de manière fiable et
sensible. Toutefois, ce résultat n'est pas définitif, car le QI ne devient stable qu'à partir
de l'âge de 6–7 ans, même si au niveau individuel des changements peuvent encore être
observés après 6–7 ans (Grégoire, 2009). De ce fait, le diagnostic de handicap intellectuel
est généralement évoqué à partir de 6 ans, sauf dans les cas de déficiences sévères ou
profondes, où il peut être plus précoce. Lorsque le quotient intellectuel est déficitaire
entre 2 et 5 ans, le diagnostic de retard global de développement du DSM-5 (APA, 2013)
peut être utilisé.
Une fois un handicap intellectuel objectivé à l'aide de l'échelle de Wechsler adaptée à
l'âge chronologique du sujet, il est intéressant de transformer les scores bruts obtenus à
chaque épreuve en âge de développement équivalent, afin d'affiner l'estimation du
niveau de raisonnement de l'enfant. Lorsqu'un enfant obtient des âges de
développement inférieurs à 6 ans 2 mois à l'ensemble des épreuves de la WISC-4, on
peut lui proposer les épreuves de la WPPSI-4, même s'il est âgé de plus de 7 ans 7 mois
(âge plafond de la WPPSI-4), et convertir les scores bruts en âges de développement. La
conversion des notes brutes en âges de développement permet de suivre l'évolution
cognitive et les progrès de l'enfant. Quand l'enfant ne progresse plus au niveau des
épreuves de raisonnement, il peut continuer à progresser au niveau de l'étendue de ses
connaissances, par exemple au niveau de l'étendue de son stock lexical. Par ailleurs, les
scores exprimés en âges de développement fournissent des indications aux parents
quant au niveau d'activité adaptée à leur enfant. Par exemple, si un enfant âgé de 8 ans
a un âge de raisonnement de 4 ans ½, les activités conçues pour les enfants de 4 ans ½
seront souvent plus adaptées à son niveau de compréhension et lui permettront de
progresser, alors que les activités conçues pour les enfants de 8 ans risquent de le mettre
en échec et d'être trop difficiles pour lui permettre de progresser.
Le fonctionnement socio-adaptatif
Pour évaluer le fonctionnement socio-adaptatif, le psychologue peut utiliser l'Échelle
d'Évaluation du Comportement Socio-Adaptatif de Vineland II (Sparrow, Cicchetti et
Balla, 2015), adapté aux sujets âgés de 1 à 90 ans et récemment étalonné sur une
population française. La Vineland-II peut être proposée sous forme d'entretien semi-
dirigé ou de questionnaire à un « répondant très au fait du comportement habituel du
sujet dont le comportement adaptatif est évalué », par exemple un parent ou un
éducateur. La forme entretien permet d'obtenir des descriptions plus approfondies du
fonctionnement du sujet, mais les deux formes permettent d'obtenir une évaluation
sensible du fonctionnement socio-adaptatif dans les domaines de la communication
(réceptive, expressive, écrite), de la vie quotidienne (personnel, domestique,
communauté), de la socialisation (relations interpersonnelles, jeux et temps libre,
adaptation) et de la motricité (motricité globale, motricité fine).
L'évaluation psycho-émotionnelle
L'observation clinique du comportement de l'enfant pendant les temps d'entretien et
d'évaluation du niveau intellectuel et adaptatif fournit des indications sur ses capacités
d'interaction (ex : évitement du regard), de régulation émotionnelle (ex : anxiété de
séparation d'avec les parents au moment des tests) et sur son comportement (ex :
impulsivité). Il peut être intéressant de compléter cette observation par la passation du
questionnaire Children Behavior Checklist (Achenbach et Rescorla, 2001). Ce questionnaire
comporte une version pour les parents et une pour les enseignants, ce qui permet de
comparer le comportement de l'enfant dans les milieux familial et scolaire. Il évalue, à
l'aide d'une centaine d'items, différents troubles socio-émotionnels et comportementaux
regroupés en 8 échelles : anxiété/dépression, retrait/dépression, plaintes somatiques,
problèmes sociaux, troubles de la pensée, problèmes d'attention, comportements de
transgression de règles et comportement agressif. Cet outil ne permet pas de poser un
diagnostic, mais il permet de compléter les informations recueillies lors de l'entretien,
de dépister certains troubles et de suivre l'évolution du comportement.
La scolarité
La loi du 11 février 2005 « pose le principe d'un accès de droit à l'éducation
prioritairement dans l'établissement le plus proche du domicile de l'élève handicapé ».
Le service public doit assurer une « formation scolaire » aux élèves en situation de
handicap, ce qui signifie que l'environnement scolaire, humain et matériel, doit
s'adapter pour permettre à l'enfant en situation de handicap d'être en position d'élève.
Le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire augmente
régulièrement. Toutefois cette intégration concerne rarement les enfants dont le
handicap intellectuel est profond ou sévère : ils sont généralement orientés vers un
établissement médico-social. Le délai d'intégration dans ces établissements peut être de
plusieurs années en raison du manque de places, ce qui implique parfois que les parents
gardent leur enfant au domicile en attendant une place.
L'enfant porteur d'un handicap intellectuel, de sévérité moyenne ou légère, est
généralement scolarisé en maternelle pendant quatre années, étant rarement prêt, du
point de vue des apprentissages et de l'autonomie, pour passer en CP après la 3e année
de maternelle. Souvent, l'enfant porteur d'un handicap intellectuel bénéficie dès la
maternelle d'un Projet personnalisé de scolarisation (PPS) et de l'aide d'une Auxiliaire
de vie scolaire. Après la maternelle, une orientation en ULIS (Unité localisée pour
l'intégration scolaire) peut être proposée. Il y a des ULIS école, collège et lycée. Ce sont
des classes à effectifs réduits qui accueillent des élèves en situation de handicap,
proposent un enseignement adapté et sont intégrées aux écoles de quartier. Lorsque
l'enfant porteur d'un handicap intellectuel est en difficulté en ULIS, une orientation vers
un établissement médico-social est proposée (Institut-médico-éducatif, Institut médico-
professionnel). Ces établissements proposent une prise en charge scolaire, éducative
(ex : activités visant à favoriser l'autonomie) et thérapeutique (ex : psychomotricité,
orthophonie, psychothérapie), à laquelle s'ajoute un parcours de formation
professionnalisant à partir de 14 ans (ex : apprentissage de différents savoir-faire
professionnels) et jusqu'à leur insertion professionnelle.
La place du psychologue
Le psychologue peut apporter une aide aux personnes en situation de handicap
intellectuel tout au long de leur développement. Lors des interactions précoces avec
leur bébé porteur d'un handicap, le handicap peut amener les parents à douter de leurs
compétences parentales ; ils ont parfois besoin d'être guidés pour savoir comment
s'accorder à leur bébé qui peut présenter des particularités au niveau de la
communication et de l'expression des émotions.
Chez le jeune enfant, l'objectivation du retard de développement grâce à l'évaluation
psychologique standardisée permet des prises en charge précoces en psychomotricité et
en orthophonie pour soutenir le développement. Les apprentissages proposés doivent
reposer sur le plaisir et le jeu afin d'éviter l'entrée dans un processus de sur-stimulation.
Chez l'enfant plus grand, l'adolescent et l'adulte, la place du psychologue se situe au
niveau du soutien psychologique et des psychothérapies. L'étude de Sterkenburg et al.
(2008) a montré l'intérêt de proposer une thérapie inspirée de la théorie de l'attachement
à des enfants et adolescents présentant une déficience intellectuelle et visuelle. La
thérapie consistait en l'établissement d'une relation sécure avec l'enfant, préalable au
démarrage d'un programme comportemental visant à modifier les comportements
inadaptés. Les résultats ont montré que l'instauration d'une relation sécure favorisait la
réussite du programme.
La place du psychologue peut également se situer au niveau de la remédiation
cognitive. Celle-ci vise à améliorer les apprentissages en rééduquant une fonction
cognitive déficitaire ou en amenant le sujet à développer des stratégies compensatoires
à partir d'une fonction cognitive efficiente pour pallier la fonction déficitaire. Par
exemple, pour pouvoir travailler sur l'expression et la régulation des émotions dans le
cadre d'un soutien psychologique, il peut être nécessaire de proposer au préalable des
exercices de remédiation cognitive visant à développer sa capacité à nommer, à
exprimer et à reconnaître les émotions. Un autre exemple provient des recherches qui se
sont intéressées à la remédiation de la mémoire à court terme, en raison de ses
nombreuses interactions avec d'autres fonctions cognitives. Le postulat de ces
recherches était que l'amélioration des capacités de mémoire à court terme pourrait
retentir sur le développement d'autres fonctions cognitives. C'est dans cette perspective
que Bussy et al. (2013) ont élaboré un protocole permettant d'évaluer l'impact d'un
entraînement de la mémoire verbale à court terme sur le langage oral de 7 enfants
présentant une déficience intellectuelle. Les auteurs ont montré une augmentation de
l'empan à court terme, mais également une amélioration de certains aspects du langage.
Ces résultats suggèrent qu'un entraînement de la mémoire verbale à court terme
permettrait de favoriser le développement du langage oral chez les enfants présentant
une déficience intellectuelle. Il existe également d'autres champs d'action pour le
psychologue travaillant dans le domaine du handicap, comme l'accompagnement de
l'annonce d'un diagnostic, la prise en charge de la douleur, la place de la fratrie, etc.
Le handicap auditif
Définition et classification
Les déficiences auditives « altèrent la qualité et l'intensité de la perception sonore et
gênent par conséquent l'individu dans tous les domaines où l'audition joue un rôle et en
particulier dans la vie relationnelle » (Deschamps et al, 1981). Leur fréquence est de 1 à
2 enfants pour 1 000 naissances avant l'âge de 2 ans, ce qui correspond à entre 800 à
1000 nouveaux cas par an en France. Le Bureau international d'audiophonologie, BIAP
(www.biap.org), a classé les surdités à partir des résultats à l'audiogramme tonal
liminaire (cf. tableau 28.1) et a décrit les perceptions associées à ces pertes, ce qui permet
de se représenter l'impact de la perte auditive sur la communication. La fréquence de la
surdité totale est de 2 %.
Tableau 28.1
Classification des surdités par le BIAP.
Perte tonale
Déficience Perception
moyenne (dB)
Déficience légère > 21 et < 40 La parole est perçue à voix normale, elle est difficilement perçue à voix basse ou lointaine.
La plupart des bruits familiers sont perçus.
Moyenne > 41 et < 70 La parole est perçue si on élève la voix. La personne sourde comprend mieux en regardant
parler. Quelques bruits familiers sont encore perçus.
Sévère > 71 et < 90 La parole est perçue à voix forte près de l'oreille. Seuls les bruits forts sont perçus.
Profonde > 91 et < 119 Aucune perception de la parole. Seuls les bruits très puissants sont perçus.
Le développement de la communication
Jusqu'à l'âge de 6 mois, l'enfant en situation de handicap auditif vocalise et gazouille
comme un enfant entendant ; c'est pourquoi les parents observent peu l'incidence de la
surdité sur le développement du langage dans les premiers mois de la vie de leur bébé.
Toutefois, le développement du langage présente très tôt des spécificités, comme le fait
que, contrairement aux enfants au développement typique, les bébés présentant une
déficience auditive ne perdent pas la capacité à discriminer les sons de toutes les
langues du monde en vue de se spécialiser progressivement dans les sons de leur
langue maternelle.
De nombreux enfants ayant une déficience auditive présentent des troubles du
langage et de la parole. La fréquence de ces troubles augmente avec le degré de sévérité
de la surdité : 14 % pour les surdités légères à moyennes, 21 % pour les surdités
moyennes à sévères et 56 % pour les surdités profondes à totales. Ces troubles
concernent aussi bien l'apparition des premiers phonèmes que le développement du
vocabulaire. Par exemple, un enfant ayant une déficience auditive dispose en moyenne
de 10 mots de vocabulaire à l'âge de 23 mois et de 50 mots de vocabulaire à l'âge de
29 mois, au lieu de respectivement 15 et 19 mois (en moyenne) pour un enfant tout-
venant (Mellier et Deleau, 1991). Le retard ou l'absence de langage sont généralement
diagnostiqués à partir de la 2e année de vie (Guidetti et Tourette, 2014).
La langue la plus utilisée parmi les personnes en situation de handicap auditif est la
langue parlée. Elle leur permet de communiquer avec leurs parents qui sont entendants
pour 91,7 % des enfants déficients auditifs (Mitchell et Karchmer, 2004). Les possibilités
d'apprentissage de la langue parlée dépendent toutefois de facteurs tels que le désir de
parler, le choix des parents, l'existence de troubles associés, la précocité des mesures
compensatoires telles que l'appareillage, la lecture labiale, le langage gestuel, mais
dépendent surtout de la sévérité de la surdité. Le seuil de 70 décibels est discriminant
pour permettre la mise en place de stratégies d'acquisition du langage parlé. La langue
des signes constitue un moyen d'expression alternatif. Toutefois, si la personne en
situation de handicap auditif ne communique que de manière gestuelle, elle risque
d'être en difficulté pour s'intégrer parmi les personnes entendantes.
Les jeunes enfants présentant une déficience auditive s'approprient facilement la
communication gestuelle, ce qui rend la langue des signes accessible très tôt, en
complément ou à la place de la langue parlée. Les premiers signes à valeur linguistique
apparaissent à la fin de la première année de vie, ce qui correspond à la période à
laquelle les premiers mots apparaissent chez les enfants au développement typique
(Goodwyn et Acredolo, 1993 ; Marschark, 1994). Si l'enfant n'a pas la possibilité
d'apprendre la langue parlée, il est très important de sensibiliser les parents à
apprendre la langue des signes en même temps que leur enfant, afin de favoriser la
communication au sein de la famille.
L'évaluation psychologique
Pour évaluer les compétences des jeunes enfants ayant un handicap auditif au niveau
de l'interaction sociale, de l'attention conjointe et de la régulation du comportement, la
Haute Autorité de Santé (2009, HAS) a recommandé l'utilisation de l'Échelle
d'évaluation de la communication sociale précoce, créée par Guidetti et Tourrette (2009).
Cette échelle, étalonnée pour les enfants âgés de 3 à 30 mois, est particulièrement
intéressante pour les enfants présentant une déficience auditive, car elle permet
d'évaluer la qualité de leur communication préverbale.
Chez les enfants âgés de plus de 4 ans, les adolescents et les jeunes adultes, il est
possible d'évaluer l'efficience intellectuelle à l'aide de l'Échelle d'intelligence non
verbale de Wechsler, WNV (Wechsler et Naglieri, 2009). Cette échelle a été étalonnée
pour les personnes âgées de 4 ans à 21 ans 11 mois et a été conçue en tenant compte des
spécificités des personnes présentant un handicap auditif. En effet, le contenu des
subtests est indépendant de l'acquisition du langage ; les consignes sont en images et
nécessitent très peu de langage parlé ou de communication signée de la part du
psychologue ; le psychologue peut exprimer les consignes standardisées dans la langue
ou le mode de communication adapté à la personne testée ; et, il n'est jamais demandé
aux sujets de s'exprimer oralement, ni de signer, pour répondre. L'échelle WNV
comporte 4 épreuves pour les sujets âgés de 4 ans à 7 ans 11 mois (matrices, code,
assemblage d'objets, reconnaissance) et 4 épreuves pour les sujets âgés de 8 ans à 21 ans
11 mois (matrices, code, mémoire spatiale, arrangement d'images). Celles-ci sont
décrites dans le tableau 28.2.
Tableau 28.2
Descriptif des épreuves de l'échelle d'intelligence non verbale de Wechsler (2009).
Épreuve Description de la tâche Fonctions cognitives évaluées
Matrices Compléter une matrice où il manque un élément. Raisonnement fluide, raisonnement perceptif,
processus simultanés.
Reconnaissance Regarder pendant 3 secondes un stimulus puis le reconnaître Mémoire visuo-spatiale immédiate.
parmi 4 ou 5 propositions.
Mémoire Le psychologue touche successivement des cubes sur un plateau Mémoire à court terme et mémoire de travail.
spatiale puis le sujet doit reproduire la séquence dans le même ordre
ou dans l'ordre inverse.
Arrangement Ordonner une série d'images présentées dans le désordre afin Organisation perceptive, repérage dans le
d'images qu'elles constituent une suite cohérente. temps et dans l'espace, raisonnement
logique et planification.
Le développement cognitif
Wechsler et Naglieri (2009) ont montré que les sujets présentant une déficience auditive
obtenaient des scores comparables à ceux des enfants ne présentant pas de déficience à
la WNV, ce qui suggère que le handicap auditif ne retentit pas sur l'efficience
intellectuelle. Ce résultat va dans le sens de ceux de Naglieri (2003), obtenus quelques
années plus tôt à l'aide du test d'aptitude non verbal de Naglieri (NNAT). Le NNAT est
une épreuve d'intelligence générale basée sur le principe des matrices analogiques, qui
est également adaptée aux enfants et adolescents présentant une déficience auditive.
Ces résultats sont également en accord avec ceux de Douet (1990) qui ont montré, à
l'aide des échelles d'intelligence de Wechsler, que les enfants ayant une déficience
auditive présentaient des résultats équivalents à ceux de la population d'étalonnage
pour les épreuves non verbales alors qu'ils présentaient des compétences
significativement plus faibles pour les épreuves verbales, même quand la passation était
réalisée en langue des signes, à l'aide de la lecture labiale ou à l'écrit. Selon Deleau
(1998), cette faiblesse des résultats aux épreuves verbales de l'échelle d'intelligence
pourrait être liée soit à des difficultés de conceptualisation causées par le retard de
langage, soit au fait que la surdité entraînerait, en plus du retard de langage, un
appauvrissement des stimulations environnementales, qui retentirait sur le
développement des connaissances générales, domaine évalué par les épreuves verbales.
En ce qui concerne les apprentissages scolaires, la surdité a un impact significatif sur
les capacités d'apprentissage puisque seuls 41 % des enfants sourds âgés de 6 à 11 ans
savent lire, écrire et compter sans difficulté, contre 81 % des enfants de la population
générale (Guidetti et Tourrette, 2014). Ce retentissement sur les apprentissages scolaires
provient principalement des difficultés spécifiques de langage et de communication. Il
paraît donc particulièrement important de favoriser leur prise en charge. Chez les
enfants ayant une déficience auditive, les troubles du langage sont des troubles acquis.
On ne pose pas de diagnostic de « dys » (dysphasie, dyslexie, dyscalculie, etc.) chez les
enfants présentant une déficience sensorielle, car celui-ci implique une intégrité des
organes sensoriels (DSM-5, APA, 2013).
Le développement psycho-affectif
La surdité ne constitue pas un facteur de trouble psychique, mais elle est susceptible
d'entraîner des troubles des relations ou des troubles du comportement réactionnels aux
difficultés de communication entre l'enfant et son environnement (HAS, 2009). Parmi
les enfants présentant une déficience auditive, 91,7 % sont nés de parents entendants
(Mitchell et Karchmer, 2004). Ces parents peuvent se sentir démunis face à l'absence de
réaction de leur enfant quand ils l'appellent ou lui parlent et sont à risque de désinvestir
progressivement la communication orale avec leur enfant en raison de l'absence de
réaction. Si ce désinvestissement perdure, il sera difficile pour l'enfant d'ajuster son
comportement aux situations de communication, de comprendre ses parents et de
s'exprimer. Ces difficultés pourraient expliquer la survenue de colères violentes chez
l'enfant présentant une déficience auditive : celui-ci ne parvenant pas à exprimer
verbalement les sources de sa colère, ni à entendre les paroles apaisantes de ses parents,
exprimerait sa colère et sa frustration physiquement. Le handicap auditif peut
également générer un sentiment d'insécurité, car l'enfant n'entend pas arriver les
personnes ou les objets. En réaction aux effets de surprise, l'enfant peut présenter un
comportement agressif. Enfin, l'enfant présentant une déficience auditive peut avoir
tendance à s'isoler si ses difficultés de communication lui demandent trop d'effort pour
s'adapter à son environnement (Guidetti et Tourrette, 2014).
Les signes d'une souffrance psychologique sont les mêmes chez l'enfant présentant
un handicap auditif que chez l'enfant au développement typique. Il peut s'agir par
exemple d'un regard qui devient fuyant ou trop insistant, de pleurs fréquents et
inexpliqués, de troubles du sommeil ou de l'appétit, d'un retrait ou d'une agitation
excessive (HAS, 2009).
Chez l'adulte, le handicap auditif n'est pas associé à une personnalité spécifique, ni à
des troubles psychologiques particuliers, mais certains comportements sont assez
fréquents tels que la sensibilité à la frustration, les comportements d'isolement en dépit
d'un fort désir de contacts sociaux et les conduites compensatoires à l'isolement comme
l'extraversion (pour revue, Guidetti et Tourrette, 2014).
Conclusion
Les interventions du psychologue auprès des personnes en situation de handicap se
situent à plusieurs niveaux et à différentes étapes du développement. Elles consistent
notamment en l'évaluation des compétences et des dysfonctionnements, tant au niveau
cognitif, adaptatif, que comportemental et émotionnel, le soutien psychologique ou la
psychothérapie, la remédiation cognitive ainsi que l'accompagnement des parents et de
la fratrie qui doivent faire face à cette situation de handicap qui fait irruption dans la vie
de la famille.
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CHAPITRE 29
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La psychopathologie du développement de l'autisme
Les méthodes d'évaluation psychologique du développement des enfants avec
TSA
Les méthodes d'intervention éducative et thérapeutique auprès des enfants avec
TSA
Introduction
L'autisme de l'enfant, syndrome qui a été individualisé par le psychiatre américain Léo
Kanner en 1943 sous le terme d'autisme infantile précoce (Early Infantile Autism) a été
considéré, durant ces 20 dernières années selon les classifications internationales, la
CIM-10/ICD-10 (1994/1993), et le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994) puis
sa version révisée, le DSM-IV-TR (2000/2003), comme un Trouble envahissant du
développement (TED) aux côtés de 4 autres syndromes. Le TED, distinct du trouble
« spécifique » tel que par exemple le trouble de la lecture, est caractérisé par une
perturbation de l'ensemble des fonctions psychologiques qui sont en développement
durant les premières années de vie. Le trouble autistique au sein des TED est caractérisé
par des altérations des interactions sociales, des difficultés de communication verbale et
non verbale, une pauvreté de l'activité imaginative, et une limitation et une restriction
des activités et des centres d'intérêt. Toutes ces altérations apparaissent durant les
30 premiers mois. Chacune de ces altérations est actualisée par plusieurs manifestations
comportementales telles que l'absence ou la pauvreté du contact par le regard, la
recherche de l'isolement, un langage non communicatif insuffisamment suppléé par les
gestes et la mimique, des activités stéréotypées et ritualisées et une intolérance au
changement.
Étiologies
Le trouble du spectre de l'autisme est un trouble neurodéveloppemental qui est
expliqué par plusieurs facteurs. Les facteurs génétiques concernent d'une part des
régions génétiques sur lesquelles sont notées des anomalies telles que des mutations, et
d'autre part des gènes de vulnérabilité impliqués dans la formation et l'activation des
connexions neuronales (Bourgeron, 2009). Les troubles neurologiques sont aussi notés,
tels que l'épilepsie touchant 30 ; % des enfants atteints de TSA. De même, des anomalies
cérébrales ont été mises en évidence et concernent généralement les régions frontales
(Zilbovicius et al., 2000) et temporales, responsables respectivement de la planification,
de la communication sociale et du traitement des sons et du langage (Bruneau et al.
1999, 2003) et des associations cross-modales et de la régulation des informations
(Martineau et al. 1998). Par ailleurs, des études d'exploration cérébrale centrées sur le
traitement de l'information, par exemple, la perception du visage, la perception,
l'activité du regard, l'identification des expressions émotionnelles montrent chez les
personnes avec autisme un défaut d'implication et de réactivité de certaines régions
cérébrales le cerveau social (sillon temporal supérieur, gyrus fusiforme et le cortex
orbitofrontal) qui sont connues pour être dédiées à ces types de traitement chez
la personne typique (Adolph, 2003). On note aussi des facteurs dits environnementaux,
comme les facteurs périnatals et néonatals (telle qu'une souffrance à l'accouchement,
une carence alimentaire). Tous ces facteurs n'expliquent pas eux seuls l'autisme, mais, se
combinant à des degrés divers et de façon variable et différentielle d'un individu à
l'autre, ils donnent les formes cliniques développementales et comportementales
d'autisme variées, associées ou non à d'autres troubles somatiques ou psychologiques et
du développement (par exemple, un syndrome génétique ; l'hyperactivité, le retard
global du développement ou la déficience intellectuelle, etc.). Il s'agit donc d'une
étiologie plurifactorielle qui intègre et engage tous les facteurs évoqués qui s'expriment
de façon idiosyncratique chez chaque enfant atteint de TSA. C'est pourquoi, les
explorations médico-psychologiques et sociales doivent-elles être aussi larges que
possible, à la fois pour bien connaître les causes du trouble de l'enfant et pour trouver le
meilleur traitement et l'intervention la mieux adaptée à ses besoins.
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CHAPITRE 30
Le trouble déficit de
l'attention/hyperactivité
Stéphanie Vanwalleghem
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Description du TDAH
Les facteurs impliqués dans l'expression du TDAH et les modèles explicatifs
Conclusion
Introduction
Le Trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) concerne 5 %
des enfants d'âge scolaire (American academy of pediatrics, 2000). Ses premières
descriptions ont été faites au XIXe siècle par Hoffman en Allemagne, Bourneville en
France et James aux États-Unis (Dumas, 2007). Au cours du XXe siècle, le TDAH a fait
l'objet de diverses appellations telles que lésion cérébrale minime, dysfonctionnement
cérébral minime, syndrome hyperkinétique, réaction hyperkinétique de l'enfance,
trouble hyperactif avec déficit de l'attention, reflétant les divergences entre des théories
biologiques et des théories psychosociales. Actuellement, le TDAH est considéré comme
un trouble neurodéveloppemental dont l'étiologie est plurifactorielle et qui est composé
de deux dimensions, l'inattention et l'impulsivité-hyperactivité.
Description du TDAH
La symptomatologie
Les symptômes principaux du TDAH sont le déficit d'attention, l'hyperactivité et
l'impulsivité. Le déficit d'attention correspond à des difficultés pour porter l'attention
sur des détails, pour maintenir une attention soutenue, pour s'organiser ainsi qu'à une
distractibilité, des pertes d'objets, des oublis, des rêveries, des erreurs d'inattention et un
évitement des tâches qui demandent un effort mental soutenu. L'hyperactivité renvoie à
une agitation motrice et cognitive (tachypsychie, logorrhée). L'impulsivité correspond à
des difficultés pour attendre son tour, une tendance à interrompre les autres, à se
précipiter, à répondre avant la fin de la consigne, à être impatient, à trop parler.
Le diagnostic de TDAH est clinique et repose sur des critères diagnostiques précis,
tels que ceux proposés dans le DSM-5 (APA, 2013). Pour que le diagnostic de TDAH
soit posé, il faut que les symptômes d'inattention et/ou d'impulsivité-hyperactivité
persistent depuis au moins 6 mois, et qu'ils aient un retentissement négatif direct sur les
activités sociales et scolaires ou professionnelles. Il faut également que plusieurs
symptômes d'inattention ou d'hyperactivité/impulsivité soient apparus avant l'âge de
12 ans, et que les symptômes soient observés dans différents contextes (ex : familial,
scolaire/professionnel, activité de loisir). On distingue 3 types cliniques : la présentation
combinée où le sujet présente à la fois un déficit d'attention et une impulsivité-
hyperactivité, la présentation inattentive prédominante et la présentation
hyperactive/impulsive prédominante. Le DSM-5 permet de préciser la sévérité du
trouble et de spécifier si le sujet est en rémission partielle.
Tableau 30.1
Troubles comorbides fréquents chez les sujets présentant un TDAH.
Trouble oppositionnel avec Comportements vindicatifs, coléreux, de contestation, refus des consignes.
provocation : 50 %
Trouble des conduites : 30 % Transgression des règles sociales, non-respect d'autrui, agressions envers des personnes et
des animaux, destruction de biens matériels, fugues, mensonges, vols.
Troubles anxieux : 25 % Agoraphobie (15 %), trouble panique (6 %), anxiété généralisée, phobies simples, anxiété de
séparation, phobie sociale, troubles obsessionnels compulsifs.
Troubles des apprentissages : 28 % Principalement des troubles du langage oral et écrit (Touzin, 2002).
(lecture) et 35 % (expression écrite)
Troubles du sommeil : 50 % Troubles de l'endormissement, sommeil agité, parasomnies, réveils nocturnes, impatiences,
mouvements des jambes.
Par ailleurs, Minahim et Rohde (2015) ont montré que parmi 39 enfants à haut
potentiel intellectuel, 15 % présentaient un TDAH, contre 7 % des enfants du groupe
contrôle. Ce résultat montre que le TDAH concerne également les enfants précoces.
Le diagnostic différentiel
Des symptômes d'inattention, d'impulsivité ou d'hyperactivité peuvent être observés
chez des sujets pour d'autres raisons que la présence d'un TDAH (Excoffier, 2006).
Ainsi, le TDAH est à distinguer de l'agitation classique du jeune enfant, de l'agitation
anxieuse et des troubles de l'attention secondaires à un trouble de l'humeur. Le TDAH
doit également être différencié du trouble bipolaire : ces deux troubles ont en commun
l'agitation psychomotrice, la distractibilité, la logorrhée, l'impulsivité avec colère et
l'irritabilité. Toutefois, la dysphorie avec labilité thymique et les symptômes
d'hypomanie (insomnie, besoin réduit de sommeil, idées de grandeur avec
désinhibition) permettent de faire le diagnostic différentiel, car ils ne concernent que le
trouble bipolaire.
Par ailleurs, des pathologies acquises neurologiques (ex : tumeurs), endocriniennes
(dysthyroïdies) ou sensorielles (ex : hypoacousie) sont également susceptibles de
donner un tableau clinique évocateur d'un TDAH. De même, certains médicaments (ex :
corticoïdes, benzodiazépines) peuvent entraîner une agitation, à distinguer d'un TDAH.
Conclusion
Les modèles neuropsychologiques et cognitivo-comportementaux et la mise en
évidence de facteurs neurobiologiques dans le TDAH ont permis le développement de
traitements médicamenteux et de prises en charge non médicamenteuses, tel que des
programmes de remédiation cognitive, de thérapie cognitive et comportementale ou
d'entraînement aux habiletés parentales.
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CHAPITRE 31
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les données épidémiologiques
Le devenir des enfants nés prématurés
Les soins de soutien au développement de l'enfant prématuré
Conclusion
Introduction
Ce chapitre donne un état des connaissances issues des recherches scientifiques sur le
développement de l'enfant prématuré. Il défend que la prématurité réalise une situation
bio-socio-psychologique qui ne peut négliger aucune de ces trois dimensions pour saisir
la complexité de cette « niche de développement » originale. Il est ouvert par une
synthèse des données épidémiologiques qui donnent une image composite autant sur
l'évolution du taux de naissances prématurées depuis une dizaine d'années que sur le
devenir des enfants, notamment sur le plan de leurs capacités cognitives, sociales,
interactives.
La deuxième partie concerne les soins de soutien au développement. Elle rappelle
d'abord comment les intérêts des psychologues ont évolué depuis leur entrée dans les
services de néonatalogie qu'il s'agisse du plan de la clinique ou de celui de la recherche
développementale. On remarque ainsi comment les connaissances théoriques ou
méthodologiques en psychologie du développement éclairent les situations nouvelles
liées à l'abaissement du seuil de viabilité des bébés. On conçoit en retour que le
caractère inédit de ces situations suscite des demandes nouvelles au chercheur. Enfin,
elle rapporte comment les psychologues contribuent à prendre soin du bébé et des
familles pour améliorer la qualité de vie à l'hôpital, thématique majeure en psychologie
pédiatrique, et pour prévenir les effets négatifs de la naissance prématurée sur le
développement psychologique de l'enfant.
Les données épidémiologiques
Qu'est-ce que la prématurité ?
Un bébé est considéré prématuré s'il naît avant 37 semaines révolues de gestation ; une
durée normale étant de 40 semaines. Cette définition internationale définit le terme, ou
âge gestationnel (AG), en semaines d'aménorrhée (SA). Elle distingue cinq degrés de
prématurité selon l'importance des risques neuro-développementaux (tableau 31.1).
Tableau 31.1
Âge gestationnel, degré de prématurité, poids moyen attendu à la naissance et
estimation des risques biomédicaux et neuro-développementaux.
Âge gestationnel à la naissance en semaines Degré de prématurité Poids de naissance attendu en grammes Degré de risques
La petite enfance
On remarque, pour la petite enfance jusqu'à 2 ans, des comportements possiblement
plus difficiles à prévoir pour le clinicien ou par les parents. La labilité des états d'éveil
met plus souvent à mal les capacités des parents à la fois pour réguler l'attention de
l'enfant et ses rythmes d'activités, mais aussi pour faire face aux troubles de sommeil
par exemple. On note qu'en vérité de moyennes, les enfants prématurés montrent des
capacités cognitives moins assurées pour traiter les informations de l'environnement de
sorte à en catégoriser le connu, le nouveau (habituation), à percevoir des qualités du
milieu en reliant les informations venues de canaux sensoriels différents (perception
intermodale).
En ce qui concerne l'habituation, on remarque que les capacités sensorielles les plus
précocement fonctionnelles au cours de la gestation offrent des possibilités de
discrimination étonnantes. Pour rappel, l'ordre ontogénétique va du tactile et de
l'olfaction tôt en place au cours de la gestation jusqu'à l'audition et la vue qui sont les
dernières à devenir fonctionnelles. Sur le plan tactile, Lejeune et Gentaz (2013)
rapportent ainsi que des nourrissons prématurés âgés de 28 à 31 SA versus 32 à 34 SA
montrent des capacités à distinguer la forme d'un objet qui leur est mis en main
(cylindre ou prisme). Ils citent aussi des observations de réponses différenciées à du
toucher passif quand il est appliqué à huit reprises pendant 4 secondes une caresse sur
le bras du nourrisson prématuré puis que son poignet est tenu et soulevé.
Sur le plan olfactif, Marlier, Gaugler, Messer (2005) ont noté des réponses négatives
avec blocage de la respiration à des odeurs acides. La présentation de vanille induit un
effet contraire qui libère la respiration et diminue la fréquence des apnées.
Sur le plan de la vision, des observations à la passation du NBAS ont conclu à des
réponses mieux organisées chez les enfants prématurés que chez les enfants à terme
quand on leur présente de manière répétée une stimulation lumineuse. Des résultats
non concordants ne permettent pas de généraliser cela à l'audition. D'ailleurs il est
remarqué que les nourrissons nés prématurés sont plus en peine que les enfants à terme
pour discriminer des voix familières comme celle de leur mère.
Ces observations ont en commun de montrer que le bébé prématuré, malgré
l'immaturité de ses systèmes sensoriels, est sensible aux propriétés de l'environnement,
qu'il est potentiellement capable de les traiter en les reconnaissant, en les évitant. On
remarque ainsi la dimension émotionnelle des réponses aux sollicitations du milieu,
notamment pour les entrées odorantes et les stimulations nociceptives. Cela sollicite les
initiatives des adultes pour aménager l'environnement proximal, tenir compte des
besoins développementaux de l'enfant et mettre à sa portée ce qu'il peut en
appréhender.
On remarque encore que les capacités d'interactions sociales paraissent, elles aussi,
moins performantes que chez l'enfant à terme. Les études indiquent que les enfants ne
codent pas aussi facilement les signaux sociaux, les invitent à interagir, qu'ils se
montrent moins habiles pour passer d'une source d'intérêt à une autre (flexibilité) donc
possiblement pour interagir à plusieurs ou s'engager et se désengager dans des activités
quand alternent l'intérêt pour l'objet et l'intérêt pour le dialogue avec l'autre. À cela
s'ajoute un taux inhabituel de formes d'attachement anxieux qui ne facilitent pas non
plus les interactions enfant-adulte ni son ouverture sur le monde des objets.
Sur le plan des comportements, les données convergent pour noter que les troubles
sont au moins deux fois plus nombreux dans les populations d'enfants nés grands
prématurés que dans les groupes d'enfants à terme. On compte ainsi 44 % de troubles
alimentaires se manifestant par la néophobie, la sélectivité, le petit appétit chez les
grands prématurés (20 à 25 % dans la population à terme) (Mellier, Marret., Soussignan,
Schaal, 2008)
L'âge préscolaire
La période correspondant à l'âge préscolaire indique un nombre plus élevé de troubles
perceptifs et praxiques que chez les enfants nés à terme. Les enquêtes épidémiologiques
suédoises (EXPRESS), britanniques (EPICURE) ont compté la fréquence de troubles à
30 mois ou à 36 mois en fonction du terme de naissance des enfants extrêmement
prématurés (22 à 26 SA) et en les regroupant en quatre catégories de gravité des
troubles (sévère, modéré, léger, aucun). Chaque catégorie concerne sans les distinguer
les troubles moteurs, visuels, auditifs. Torchin, Ancel, Jarreau, Goffinet (2015)
rapportent, comme on peut l'attendre, que le taux d'enfants sans aucun handicap
augmente avec le terme de naissance. Il ne dépasse pas pour autant 49 % dans le groupe
des enfants nés à 26 SA ou, de manière plus optimiste : 80 % quand les catégories sans
handicap et handicap léger de la cohorte EPICURE sont cumulées. Dans la cohorte
française EPIPAGE, les données recueillies à 5 ans comptent 52 % d'enfants nés entre 24
et 28 SA sans handicap ; 66 % quand ils sont nés à 31–32 SA.
Il y a plus d'enfants qui ont besoin de lunettes pour corriger leur vision : l'enquête
EPIPAGE compte 23 % d'enfants de 5 ans nés avant 32 SA qui portent des lunettes pour
corriger un strabisme ou des troubles de la réfraction. Toutefois, ce qui est mentionné ici
concerne plutôt l'efficacité des stratégies perceptives visuelles. L'analyse des détails par
des stratégies visuelles d'exploration, comme celles pour trouver « Où est Charlie ? »
dans une série d'images, en est un exemple. Sur le plan de l'audition, la même enquête
estime que 0,3 % des enfants nés grands prématurés utilisent un appareil auditif.
Néanmoins ici, ce sont plutôt les capacités de segmentation du flux sonore, dont le
découpage de la parole en unités signifiantes, qui sont plus malaisées que chez les
enfants nés à terme.
Enfin sur le plan praxique, et sans préjuger d'un diagnostic futur entrant dans la
galaxie des dys, l'enquête a rapporté que 40 % des enfants manifestent des troubles de
la coordination, de l'instabilité posturale, des troubles de la motricité fine. Nombre des
enfants sont peu intéressés ou franchement maladroits pour ajuster les pièces de lego.
Les études sur le fonctionnement exécutif montrent des déficits spécifiques dans les
tâches faisant appel aux capacités d'inhibition, de mémoire de travail, de planification et
de contrôle de l'attention (Deforge, Toniolo et Hascoet, 2011). Ces déficits concernent à
la fois la période préscolaire et l'âge scolaire qui sera évoqué ensuite. Il est important de
différencier les déficits qui empêchent le raisonnement et les difficultés qui le
ralentissent et le perturbent. On retiendra que la difficulté à résister aux sources de
distraction, autant remarquée par les praticiens de l'évaluation psychologique que par
les enseignants quand ils décrivent les comportements des enfants en classe, justifie de
veiller à faciliter les tâches des enfants en organisant leur espace de travail et en leur
apprenant à organiser eux-mêmes le déroulé de leurs activités.
Le développement du langage a été longtemps considéré comme peu affecté par la
prématurité compte tenu des variations connues liées aux pratiques éducatives et
culturelles. Plusieurs études avaient mentionné que la restitution d'une histoire d'abord
racontée à l'enfant montrait moins d'aisance dans la construction du schéma narratif
sans noter d'altérations sensibles du lexique, de la syntaxe, de la prosodie. Les travaux
récents qui utilisent des épreuves très ciblées pour évaluer le temps d'accès lexical ou la
qualité phonologique concluent que les enfants nés prématurés avant 33 SA produisent
des réponses significativement moins performantes que ceux nés à terme. Une méta-
analyse (Barre, Morgan, Doyle et Anderson, 2011) rassemble des données sur la maîtrise
du langage du point de vue sémantique, grammatical, la conscience phonologique, la
pratique discursive et la pragmatique d'enfants prématurés de moins de 33 SA. Les
résultats indiquent qu'ils sont plus nombreux que les enfants à terme à présenter des
difficultés en production et compréhension sémantique, mais que les différences ne sont
pas notoires pour la grammaire. D'autres études recensées dans cette méta-analyse
montrent des moins bonnes performances en conscience phonologique et pratique du
discours, mais pas pour la dimension pragmatique.
Il y a relativement peu de travaux à propos du développement des capacités sociales
des enfants nés prématurés hormis le relevé de la fréquence de difficultés
interpersonnelles se traduisant par des troubles oppositionnels externalisés. L'étude de
Jones, Champion, Woodward (2013) a concerné 103 enfants nés grands prématurés âgés
de 4 ans et 105 enfants nés à terme. Elle note des scores plus bas pour les enfants
prématurés tant pour les capacités d'ajustement et de régulation émotionnelle, que pour
le taux de relations positives dans les jeux avec les pairs d'âge et moins d'interactions
synchrones avec leurs parents. En ce qui concerne la théorie de l'esprit, les résultats ne
différencient pas les enfants prématurés des enfants nés à terme dans la réussite aux
épreuves de fausse croyance. Seulement 50 % réussissent l'épreuve Sally et Ann (lieu
inattendu) ; 10 % l'épreuve des smarties (contenu inattendu) et 25 % histoires de pêche
neutralisant les capacités de compréhension du langage de Woolfe, Want, Siegal (2002).
Les comportements sont plus souvent rapportés comme problématiques par les parents
(colères, agitation, difficultés à respecter les limites posées par l'adulte). On sait que ces
comportements sont fréquents chez l'enfant de 24 à 36 mois avec, le plus souvent, une
disparition vers 4 ans. Ces profils peuvent augurer de l'émergence de troubles
oppositionnels susceptibles de s'amplifier et de durer au cours de l'enfance et au-delà.
Conformément aux travaux de psychopathologie sur cette question (Campbell, 2002),
l'orientation psychopathologique durable est alimentée par des facteurs de risques
comprenant des attitudes négatives parentales ; le niveau socio-économique de la
famille, le degré de prématurité extrême, l'intensité des lésions cérébrales de la
substance blanche, le niveau d'anxiété maternel relevé pendant l'hospitalisation, mais
aussi des caractéristiques propres aux enfants comme le tempérament difficile,
l'attachement non sécure.
L'âge scolaire
À l'âge scolaire, au-delà des travaux déjà évoqués qui montrent des différences dans
l'architecture cérébrale, les données de l'enquête EPIPAGE (Larroque et al., 2011) notent
que les enfants de 8 ans nés grands prématurés obtiennent des scores inférieurs aux
enfants terme à l'évaluation nationale française de CE2 en français et mathématiques.
Plus de la moitié d'entre eux bénéficient de soutien scolaire, de rééducation ou de soins
psychologiques. Cela confirme les données de la littérature qui soulignent aussi un
nombre plus élevé de dyslexie, dyscalculie, dyspraxie chez les élèves nés grands
prématurés. L'hyperactivité, les troubles de l'attention sont aussi remarqués plus
fréquemment chez les enfants nés grands prématurés.
Enfin, une étude de Nadeau et Tessier (2003) avait conclu que les enfants nés grands
prématurés d'âge scolaire manifestaient moins d'habiletés sociales dans la cour de
récréation. Ils se sont montrés plus réservés, sont moins sollicités socialement par leurs
pairs d'âge, et ont des réseaux de camaraderie et amitiés plus restreints que les enfants
nés à terme. L'étude indique aussi qu'ils sont plus souvent victimisés (maltraités) par les
autres enfants, soulignant ainsi le risque plus important de harcèlement scolaire.
On remarque donc une convergence des résultats des travaux pour spécifier que
l'enfant prématuré est nettement plus exposé aux risques de perturbations et troubles
du développement. Les recherches montrent que des facteurs liés aux conditions de vie
et d'éducation aggravent le tableau de risques, mais que ces facteurs peuvent aussi
protéger le développement de l'enfant quand ils répondent positivement aux besoins
développementaux. Cela mobilise les soignants et les psychologues pour mettre en
œuvre des soins protecteurs qui soutiennent le développement psychologique de
l'enfant.
Conclusion
Une conclusion importante est d'affirmer que les psychologues sont directement
engagés dans cette clinique et cette recherche de soins appropriés au bébé prématuré. Ils
ont à faire valoir leur expertise pour l'observation du nourrisson et le suivi de la
formation du lien d'attachement chez le parent.
Les soins de développement aiguisent l'attention critique des soignants sur les
propriétés de l'environnement et des soins. Ils sollicitent une réflexion sur les pratiques
routinières et la culture du service hospitalier en matière d'accompagnement et de
sollicitude. Enfin ils promeuvent une image positive du bébé prématuré qui est pensé
dans son écologie plutôt qu'en comparaison systématique avec le fœtus qu'il devrait
encore être ou du bébé à terme au domicile familial. C'est dans cette perspective que
s'orientent les travaux actuels, notamment dans leurs visées applicatives de soins de
développement.
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CHAPITRE 32
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La dépression chez l'enfant et l'adolescent
Les troubles anxieux chez l'enfant et l'adolescent
Conclusions
Introduction
Historiquement, l'idée que les enfants puissent présenter un trouble dépressif a
longtemps été rejetée, notamment parce que l'on pensait que les enfants n'étaient pas
assez matures sur le plan développemental pour expérimenter l'ensemble de la
symptomatologie dépressive (Luby, 2000). Cette idée a perduré jusque dans les
années 1960 et 1970. Pourtant, dès 1946, Spitz, un psychiatre américain, rapporta une
forme bien précise de dépression chez l'enfant : la dépression anaclitique. Il s'agit d'un
ensemble de symptômes qui survient chez l'enfant à l'occasion d'une séparation
prolongée avec sa mère et d'une carence affective : pleurs, retrait social, perte de poids,
déclin du quotient de développement. Malgré cette découverte, il fallut encore attendre
pour que l'idée de l'existence d'un trouble dépressif chez l'enfant soit véritablement
admise. Enfin, en 1980, Carlson et Cantwell (1980) montrèrent que la dépression chez
l'enfant pouvait être identifiée à partir des critères adultes définis par le Diagnostic and
Statistical Manual of Mental Disorders (DSM). Avec le DSM, les cliniciens disposaient
enfin d'un outil concret leur permettant de diagnostiquer les troubles dépressifs chez
l'enfant. À partir de ces critères, de nombreuses recherches ultérieures ont été menées
afin d'affiner les caractéristiques de la dépression chez l'enfant et son évolution, mais
aussi afin de définir des thérapeutiques adaptées (Luby, 2000). Ainsi, la dépression chez
l'enfant est maintenant pleinement reconnue. Son diagnostic est d'autant plus important
que ce trouble sévère entraîne une morbidité significative pendant l'enfance, mais aussi
à l'âge adulte. A la différence du trouble dépressif majeur, peu diagnostiqué ou peu
présent chez l'enfant et l'adolescent, les troubles anxieux concerneraient 15 % à 20 %
d'entre eux. Pour ces troubles, la difficulté du diagnostic réside principalement dans la
prise en compte de l'aspect développemental. Ainsi, ce chapitre vise à faire le point sur
les spécificités de la dépression et des troubles anxieux chez l'enfant et chez l'adolescent.
Prévalence et comorbidités
La prévalence des troubles dépressifs majeurs2 varie beaucoup en fonction de l'âge ; en
effet, il faut distinguer trois périodes : avant 13 ans, de 13 à 15 ans et aux alentours de
18 ans (Holzer, 2014) :
• avant 13 ans, la prévalence de troubles dépressifs varie entre 1 % et 2,8 % en fonction
des études. Il n'y aurait pas de différence entre les filles et les garçons ;
• à partir de 14 ans, la dépression touche deux filles pour un garçon (Chabrol, 2011) ;
• entre 13 et 15 ans, la prévalence se situerait entre 1,9 % et 3,7 % pour atteindre 7 %
chez les 15–16 ans ;
• aux alentours de 18 ans, la prévalence augmenterait significativement ; entre 15 et
19 ans, les prévalences se situent entre 2 % à 4 % chez les garçons et entre 9 % à 10 %
chez les filles, selon les études (Chabrol, 2011).
Chez l'adolescent, les troubles les plus souvent associés au trouble dépressif majeur
sont les troubles anxieux, le trouble des conduites, les troubles liés aux substances
psychoactives, les troubles du comportement alimentaire et les troubles de la
personnalité (voir tableau 32.1, Chabrol, 2011). Les idées suicidaires ainsi que les
tentatives de suicide accompagnent fréquemment les troubles dépressifs (dont ils
constituent d'ailleurs un critère diagnostique, mais non obligatoire) ; ils représentent un
risque morbide significatif. Malgré ce que l'on pourrait penser, ces idées et passages à
l'acte concernent également les enfants, même si les prévalences sont plus difficiles à
estimer (voir Ridge Anderson, Keyes, et Jobes, 2016 pour plus d'informations sur le
suicide chez l'enfant).
Tableau 32.1
Prévalence (en pourcentage) de comorbidités et troubles psychiatriques chez des
adolescents présentant un trouble dépressif. Facteurs de risque et évolution.
Troubles liés
Troubles
Troubles Troubles aux Troubles Idées Tentatives
du comportement
anxieux des conduites substances de la personnalité suicidaires de suicide
alimentaire
psychoactives
Yorbik, 28 12 11 0,4 72
Birmaher,
Axelson,
Williamson,
et Ryan,
2004
Flament, 10 45 22,5
Cohen,
Choquet,
Jeammet, et
Ledoux,
2001*
Chabrol et 37 11 36 15
Choquet,
2009*
Ryan et al.,
1987
Grilo, Walker, 43 56
Becker,
Edell, et
McGlashan,
1997
Mitchell, 44 68
McCauley,
Burke, et
Moss, 1988
Prévalence et comorbidités
Chez l'enfant et l'adolescent, la prévalence de troubles anxieux s'élève entre 15 % à 20 %
(Beesdo et al., 2009). Les troubles les plus fréquents sont l'anxiété de séparation (entre
3 % et 8 %), les phobies sociales (7 %) et les phobies spécifiques (10 %) (Beesdo et al.,
2009). Comme nous l'avons déjà vu, les troubles anxieux les moins diagnostiqués dans
l'enfance sont l'agoraphobie et le trouble panique (moins de 1 %). Ces troubles se
manifestent davantage à l'adolescence : entre 2 à 3 % pour le trouble panique et entre 3 à
4 % pour l'agoraphobie (Beesdo et al., 2009). Tous les troubles anxieux sont plus
fréquents chez les filles : durant l'enfance, le sex-ratio est de deux filles pour un garçon ;
à l'adolescence, il passe à trois filles pour un garçon.
Chez l'enfant et l'adolescent, il est rare d'observer un trouble anxieux isolé (INSERM,
2002) : plusieurs troubles anxieux sont généralement associés (dans 15 % à 35 % des cas,
jusqu'à 90 % selon certaines études). Parmi les autres comorbidités rapportées, on
trouve fréquemment le trouble dépressif (25 % à 55 % des cas, voir aussi Beesdo et al.,
2009), un trouble du comportement (8 % à 27 % des cas), l'abus de substance ou la
dépendance (notamment parce que ces comportements permettraient de modérer
l'anxiété), et, les troubles du comportement alimentaire (20 % à 55 % pour l'anorexie
mentale et 13 à 75 % pour la boulimie). Ainsi, le diagnostic d'un trouble anxieux chez
l'enfant ou l'adolescent doit systématiquement pousser le clinicien à faire des
investigations complémentaires.
Conclusions
Chez l'enfant et l'adolescent, la dépression et les troubles anxieux ont des
caractéristiques spécifiques. Leur diagnostic demande de bonnes connaissances
développementales. Concernant la dépression, il faut garder à l'esprit que les
classifications internationales actuelles ne sont donc pas exhaustives. Toutefois, elles
intègrent peu à peu les recherches récentes, comme en témoigne l'entrée de nouveaux
troubles ou symptômes spécifiques (ex : trouble disruptif avec dysrégulation de
l'humeur dans le DSM-5). Concernant les troubles anxieux, le clinicien doit avoir à
l'esprit qu'ils sont fréquemment associés à d'autres troubles psychiatriques. Leur
diagnostic chez l'enfant et l'adolescent appelle donc à des investigations
complémentaires.
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Lecture conseillée
Chabrol H. Traité de psychopathologie clinique et thérapeutique de l'adolescent. Paris:
Dunod; 2011b.
1
Non détaillée dans ce chapitre.
2
Ces données ne prennent pas en compte le TDDH dont le diagnostic vient d'être récemment créé. Pour plus
d'informations sur le TDDH, voir Purper-Ouakil (2014). À noter également que les prévalences rapportées ici
concernent l'épisode dépressif majeur, trouble dépressif le mieux documenté dans la littérature.
CHAPITRE 33
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Identifier des trajectoires développementales spécifiques des addictions
Les facteurs de risque et trajectoires développementales
Conclusion
Introduction
Un ensemble cohérent de recherches montre aujourd'hui que l'escalade de la
consommation de substances psycho-actives (alcool et drogues) ou d'addictions
comportementales (comme l'addiction aux jeux, au sexe ou à la nourriture) observée au
cours de l'adolescence ou au début de l'âge adulte ont des bases biologiques,
comportementales et sociales mises en place dès les premiers stades de développement
jusqu'au début de l'âge adulte. Ainsi les symptômes qui émergent au cours de périodes
sensibles correspondraient à l'expression de processus construits progressivement
plutôt qu'à l'effet d'événements actuels.
Cette idée s'inscrit dans la perspective de la psychopathologie développementale
(Rutter et Sroufe, 2000), où le concept de trajectoire développementale décrit les
contraintes qui s'installent au fur et à mesure du développement en fonction des
expériences de vie. Il s'agit ainsi de comprendre l'acquisition et l'évolution des
processus cognitifs et affectifs en fonction des contextes sociaux et environnementaux
impliqués dans le développement de ces comportements. Ces acquisitions serviront de
support plus ou moins organisé qui viendront guider la personne sur une trajectoire
développementale ordinaire, problématique, ou psychopathologique.
L'objectif de ce chapitre est de décrire dans un premier temps, des trajectoires
spécifiques (majoritairement liées à une expression symptomatique) qui ont été
identifiées chez les sujets dépendants puis dans un second temps, de présenter les
facteurs majeurs impactant l'évolution de ces trajectoires. Ainsi dans cette seconde
partie, nous traiterons en particulier la dimension génétique, la qualité de l'attachement,
les effets des expériences de stress et l'environnement familial. L'effet de ces variables
sur l'évolution des trajectoires de vie sera illustré à partir de 2 formes de dépendance
avec ou sans substance : l'alcoolo-dépendance et l'anorexie mentale (AN).
Conclusion
Le challenge actuel pour les chercheurs consiste à mieux connaître les facteurs
complexes qui expliquent pourquoi certains individus évolueront vers ces formes de
pathologie et d'autres non. Il faut dès lors envisager la contribution de facteurs de
différentes natures (biologique et génétique, cognitive et émotionnelle, sociale et
familiale) qui interviendront sur une large période de la naissance jusqu'à l'âge adulte
(Treasure et Schmidt, 2013).
Enfin, pour une meilleure compréhension, mais aussi pour un meilleur
accompagnement thérapeutique, il est indispensable aujourd'hui d'identifier les facteurs
de résilience qui vont permettre à l'individu de se développer malgré un ensemble de
facteurs de risque. Les caractéristiques biologiques, cognitives et émotionnelles des
individus, mais également les liens sociaux et la qualité de l'environnement de vie
peuvent contribuer à cette résilience. On sait en particulier que certaines compétences
d'intégration, comme la capacité de régulation émotionnelle qui se stabilise au cours de
l'adolescence, favoriseront la résilience et pourront protéger des trajectoires à risque.
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CHAPITRE 34
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les symptômes et diagnostics
Le trait de dureté-anémotivité et les traits sadiques
L'épidémiologie
La comorbidité et les diagnostics différentiels
Les facteurs de risque
Les trajectoires développementales
Les processus développementaux
La prévention
Le traitement
Conclusion
Introduction
Les troubles du comportement représentent un tiers à la moitié des consultations de
psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Certaines demandes concernent des
comportements qui font partie du développement normal. À l'inverse, on peut regretter
la longue négligence des milieux familiaux et scolaires face à des troubles du
comportement vus tardivement, alors qu'associés à une lourde comorbidité et à une
situation d'échec ou de rupture scolaire. Seuls les troubles persistants et sévères relèvent
de diagnostics qui sont cependant controversés, car stigmatisants et parfois
destructeurs : ils enferment l'enfant et l'adolescent dans une escalade d'interactions
négatives en minimisant la responsabilité de la famille, de l'école et de l'environnement
social. Ces spirales négatives jouent un rôle majeur dans les trajectoires
développementales qui montrent, pour les troubles sévères, une continuité avec les
comportements antisociaux de l'adulte. Ce sont ces processus qu'une démarche
diagnostique dynamique devrait mettre en avant.
L'épidémiologie
La prévalence du TOP est estimée varier entre 2 % et 16 % en fonction des populations
étudiées et du mode d'évaluation. Il y a peu de différence entre les filles et les garçons.
La prévalence du TC peut varier de 1 % à 16 % en fonction aussi de la population et
des critères diagnostiques. Le TC est trois à quatre fois plus fréquent chez les garçons
que chez les filles.
L'école
Plusieurs caractéristiques de l'école (locaux dégradés, peu adaptés aux enfants, classes
surchargées, les temps scolaires et les programmes inadaptés), de l'équipe (mauvaise
organisation, rotation élevée, faible moral général), des enseignants (faibles attentes
envers les élèves, peu d'encouragement pour les résultats scolaires et plus d'attitudes
punitives en réponse aux difficultés, insuffisante formation face au problème de la
violence des élèves, peu de contact avec les parents) semblent liées aux troubles du
comportement, indépendamment de l'environnement social.
Les trajectoires développementales
De nombreuses études longitudinales ont montré que les comportements perturbateurs
de la petite enfance et de l'enfance prédisent les comportements antisociaux de
l'adolescence et de l'âge adulte. Plus particulièrement, les agressions physiques de
l'enfance augmentent le risque de délinquance violente et non violente à l'adolescence,
principalement chez les garçons (par exemple, Broidy et al., 2003). Le devenir à moyen
et long terme semble particulièrement dépendant de l'âge de début des TC chez le
garçon (par exemple, Silberg et al., 2015).
Les troubles à début précoce dans l'enfance tendent à se caractériser par des
comportements agressifs, par un degré élevé d'innovation et par un niveau faible de
rémission. Ces sujets ont un risque accru d'évolution vers une personnalité antisociale
de l'adulte.
Les troubles qui ne se manifestent qu'en début d'adolescence tendent à se caractériser
par des comportements plus délinquants qu'agressifs, par un niveau faible d'innovation
(les comportements antisociaux restent du même type et ne se manifestent que dans un
nombre réduit de contextes) et par un niveau élevé de rémission, les difficultés
observées persistant plus rarement après l'adolescence. Cependant ces sujets ne sont pas
sans difficulté à l'âge adulte, ils continuent à commettre des délits et ils ont aussi des
problèmes avec l'alcool et les drogues. Cette dichotomie de pronostic entre début
précoce et tardif n'est donc pas si tranchée, comme le confirme, par exemple, la Great
Smoky Mountains Study (Copeland et al., 2009) qui a trouvé que le risque de personnalité
antisociale au jeune âge adulte était comparable pour les TC ayant débuté dans
l'enfance et dans l'adolescence.
La prévention
Les interventions auprès des parents, l'apprentissage d'habiletés sociales cognitives, des
mesures appliquées en milieu scolaire comme l'aide aux apprentissages scolaires et
l'entraînement des enseignants à la gestion des difficultés en classes peuvent avoir une
efficacité modeste.
Le traitement
La guidance parentale et l'entraînement à la résolution des problèmes et aux habiletés
sociales pour l'enfant et l'adolescent sont les plus efficaces, surtout dans les TOP (par
exemple, Fossum et al., 2016). Le traitement des TC est plus difficile, nécessitant
habituellement de combiner des mesures psychothérapiques individuelles et familiales,
scolaires, sociales et souvent judiciaires, dont l'efficacité dépend des efforts de
concertation et de cohérence des différents intervenants. Le traitement des TC sévères à
l'adolescence est le plus décevant. Dans les TC, les thérapies cognitives
comportementales sont les plus efficaces. Les thérapies multisystémiques ont déçu (par
exemple, Vermeulen et al. 2016). Les psychostimulants peuvent être utiles en cas de
comorbidité avec le TDAH. L'utilité des autres psychotropes est discutée.
Conclusion
Dès leur installation, les troubles du comportement sont continuellement renforcés et
deviennent de plus en plus résistants aux traitements. Ce potentiel d'évolution
chronique invalidante est dû à la fréquente coalition des facteurs négatifs (génétiques,
familiaux, sociaux, etc.) qui les génèrent, à la multiplicité et l'interdépendance des
processus développementaux déviants qui s'enclenchent, et aux comorbidités qui les
surchargent, concourant à fixer le sujet dans une trajectoire de vie négative. Cette
complexité est un défi pour les chercheurs et les cliniciens. Les souffrances de l'enfant et
de l'adolescent perturbateurs et de son entourage familial, social, et scolaire, la durée du
trouble et son risque de chronicité et de répétition transgénérationnelle, les coûts
économiques qui y sont liés, réclament une mobilisation pour la prévention et le
traitement qui est un défi pour nos sociétés.
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Lecture conseillée
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2012;Vol. 2.
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Le phénomène de la maltraitance
Les conséquences de la maltraitance sur le développement des enfants
Le développement des enfants placés en famille d'accueil
Les interventions parent-enfant prometteuses
Conclusion
Introduction
La maltraitance envers l'enfant est un des phénomènes les plus nuisibles à son
développement global, en plus d'être très coûteuse pour toutes les sociétés. Une
recension méta-analytique sur la prévalence mondiale de la maltraitance envers les
enfants âgés de 0 à 18 ans a récemment montré qu'environ 4 enfants sur 1 000 sont
signalés par des professionnels aux services de la protection de l'enfance pour
maltraitance parentale (Stoltenborgh, Bakermans-Kranenburg, Alink, et van IJzendoorn,
2015). Lorsque les données recueillies se fondent sur des questionnaires rétrospectifs
d'individus ayant été victimes de maltraitance durant leur enfance, ce nombre s'élève
entre 127 et 363/1 000, selon le type de maltraitance subie (abus sexuel, physique ou
émotionnel, négligence physique ou émotionnelle). Considérant les conséquences
graves de la maltraitance sur l'enfant, il est impératif de mieux comprendre les facteurs
de protection permettant de promouvoir leur développement, et ce, afin d'identifier les
cibles d'intervention les plus adéquates et efficaces. Le but de ce chapitre est donc
d'exposer la trajectoire développementale des enfants victimes de maltraitance, que
ceux-ci soient maintenus dans leur milieu naturel ou placés en famille d'accueil. Les
résultats prometteurs d'une intervention parent-enfant fondée sur la théorie de
l'attachement et la rétroaction vidéo, soit l'Attachement Video-feed-back Intervention, pour
améliorer le développement et l'adaptation des jeunes enfants (0–5 ans) maltraités sont
ensuite présentés.
Le phénomène de la maltraitance
La maltraitance représente un traumatisme interpersonnel chronique pour l'individu.
Chez l'enfant, elle se définit comme la commission ou l'omission d'actions par les
donneurs de soins qui ont un impact néfaste sur sa sécurité et/ou son développement.
Différentes formes de maltraitance sont répertoriées et celles-ci coexistent fréquemment
à l'intérieur des familles, plus de la moitié des enfants faisant l'expérience de plus d'une
forme de maltraitance (Manly, Kim, Rogosch, et Cicchetti, 2001). Différentes
catégorisations de la maltraitance sont disponibles (par exemple, Organisation mondiale
de la santé), lesquelles offrent des définitions plus englobantes ou spécifiques des gestes
répréhensibles observés.
• Négligence : incapacité de protéger l'enfant ou de lui prodiguer les soins nécessaires
pour répondre à ses besoins de base. Il s'agit de la forme de maltraitance la plus
fréquemment répertoriée.
• Abus physique : utilisation d'une force physique intentionnelle à l'endroit d'un enfant
susceptible de brimer sa santé, sa survie, son développement ou sa dignité.
• Abus sexuel : geste ou activité à caractère sexuel auprès d'un enfant qui ne peut y
consentir de manière éclairée ou pour lequel il ne possède pas la maturité
développementale.
• Abus psychologique ou émotionnel : environnement qui entrave le développement d'un
sentiment de sécurité, de l'estime de soi et de l'autonomie de l'enfant.
• Exposition à la violence conjugale : comportements agressifs et coercitifs qu'un adulte
inflige à son partenaire intime. Ce type d'expérience est de plus en plus considéré
comme une forme indirecte de mauvais traitements parentaux envers l'enfant.
Conclusion
Les études rétrospectives et prospectives ayant porté sur les enfants victimes de
maltraitance sont sans équivoque pour dire que les mauvais traitements subis en bas
âge fragilisent les enfants sur un ensemble de sphères développementales. Les
expériences d'abus engendrent un stress intense qui ne peut être régulé par les enfants,
d'une part parce qu'ils ne possèdent pas la maturité développementale nécessaire pour
y parvenir et, d'autre part, parce qu'elles surviennent dans le contexte familial censé
représenter un havre de sécurité. De son côté, la négligence, qui représente l'absence de
soins appropriés, laisse l'enfant dans un état de privation sur les plans affectif et cognitif
ne lui permettant pas de développer les habiletés nécessaires à son adaptation et peut
faire émerger un sentiment d'abandon. Les conséquences de la maltraitance sur le
fonctionnement socio-affectif et neurocognitif sont donc nombreuses et il importe de
soutenir les enfants à risque de maltraitance afin d'optimiser leur adaptation. À cet
égard, les interventions fondées sur la théorie de l'attachement, visant à améliorer la
sensibilité du parent, sont une avenue des plus intéressantes pour soutenir le parent
dans son rôle parental, favoriser l'émergence d'une relation parent-enfant sécurisante et
permettre d'optimiser le fonctionnement comportemental et cognitif de l'enfant qu'il
demeure au sein de sa famille naturelle ou qu'il soit placé en famille d'accueil.
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PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La vulnérabilité prénatale des futures mères
Les débuts de la communication
Conclusion
Introduction
La période périnatale est une période de bouleversements et d'adaptation pour les
parents, adaptation sur un plan biologique, neuroendocrinien, psychologique et social.
Pour la plupart des futurs parents, tout se passe bien pendant la grossesse et à
l'accouchement, et les premiers échanges se font tout aussi naturellement. L'influence de
l'environnement sur le développement affectif, social et cognitif du nourrisson constitue
le principal objet d'intérêt de chercheurs d'obédience clinique ou socio
développementale. Le rôle de la mère dans cette médiation est central. La façon dont
elle va interagir avec son enfant dépendra d'une multitude de facteurs imputables
notamment à son histoire personnelle, sa culture, son milieu socioéconomique et son
état mental. Ainsi l'intérêt d'appréhender ce qu'elle apporte dans la relation dyadique
apparaît crucial. On sait désormais de manière certaine que le bébé n'est pas à la
naissance une tabula rasa. La mère non plus et va se comporter en fonction des idées,
croyances ou représentations qu'elle aura formées avant, pendant et après sa grossesse
sur ce qu'est ou va être son enfant, sur comment l'éduquer, l'aimer et sur son
développement.
Nous posons ainsi d'emblée la perspective dans laquelle nous proposons d'aborder la
mise en place des premiers échanges, une perspective interactionniste impliquant tout
autant le bébé que son partenaire, et un espace de rencontre que nous nommerons
« dyade ». L'interaction mère-bébé peut donc être vue comme un triptyque « mère-bébé-
espace dyadique » (Dominguez et al., 2014). Dans cette perspective, appréhender le
fonctionnement psychique d'une mère, c'est appréhender en partie sa relation à son
bébé et par conséquent la trajectoire développementale de ce dernier. Ainsi, lorsque la
mère présente une dépression anténatale, son trouble irradie sur ses relations avec son
enfant et donc sur l'enfant lui-même.
Dans le présent chapitre, nous proposons d'appréhender les origines de la
communication mère-bébé en posant un regard sur toute la période périnatale. Dans la
première partie, nous parlerons de la vulnérabilité prénatale des futures mères,
concentrant ainsi noter propos sur l'avant naissance quand elle est à risque, et sur le
premier volet du triptyque, la mère. La deuxième partie sera dédiée au volet « espace
dyadique » qui fournit le cadre aux premières communications (le volet « bébé » ne sera
pas traité dans ce chapitre). Une dernière partie sera consacrée à l'apport de la recherche
fondamentale sur la compréhension du (dys)fonctionnement interactif.
Rythme et protoconversation
« Le rythme partagé permet aux partenaires de se rencontrer à l'intersection de leurs
expressions vocales et corporelles » (Devouche et Gratier, 2001, p. 55). Le bébé semble
particulièrement attiré par le rythme spontané de la parole de la mère. C'est un rythme
qui n'est ni tout à fait aléatoire, ni tout à fait prévisible, et qui offre aux deux partenaires
un éventail de possibilités expressives. Plusieurs recherches ont mis en évidence que le
bébé vient au monde avec une capacité remarquable à appréhender le rythme. Dès
avant la naissance, le fœtus présente une attirance pour les événements rythmés
(Lecanuet et al., 1995) et des prématurés nés jusqu'à deux mois avant terme sont
capables de synchroniser leurs expressions vocales avec celles d'un adulte pour
participer à des protoconversations (Trevarthen, Kokkinaki et Fiamenghi, 1999).
Plusieurs auteurs ont relevé une coordination précoce entre les comportements de la
mère et ceux du bébé, ainsi qu'une régularité précise dans le timing interactif dès 2 mois
(Brazelton, Koslowski et Main, 1974 ; Brazelton, Tronick, Adamson, Als et Wise, 1975 ;
Trevarthen, 1977) qui atteste de l'aptitude très précoce du bébé à s'exprimer par le
rythme partagé.
Condon et Sander (1974) sont parmi les premiers à avancer que le rythme permet une
sorte d'accrochage entre la mère et son bébé. Selon Trevarthen (1999), l'échange précoce
mère-bébé s'apparente à un dialogue, ou à ce que l'auteur désigne par
protoconversation, soulignant son caractère très tôt réciproque malgré les compétences
encore limitées du bébé. Stern (1993) met l'accent sur la sensibilité du bébé à l'enveloppe
émotionnelle dynamique générée par les mouvements et les vocalisations de la mère.
Quant à Papoušek et Papoušek (1989), ils mettent en avant la primauté des imitations
parentales comme partie intégrante du support didactique intuitif que les parents
fournissent à leur bébé.
Ainsi, l'interaction mère-bébé peut-être représentée comme un triptyque composé de
la mère, du bébé et de l'espace dyadique au sein duquel se rencontrent les deux
partenaires. L'échange mère-bébé est abordé dans sa dimension dynamique : l'accent est
mis sur la dyade et sur la manière dont les comportements des deux partenaires se
coordonnent dans le temps. Les comportements de chacun tendent à se situer dans le
prolongement de ceux de l'autre, une mutualité qui est rendue possible par la
dimension temporelle et rythmique intrinsèque à l'échange.
Conclusion
La recherche a encore beaucoup de pistes à explorer pour mieux comprendre la manière
dont très tôt le bébé entre en communication avec le monde social qui l'entoure, et
comprendre ainsi quels chemins sinueux son développement peut parfois emprunter.
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CHAPITRE 37
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La spécificité de la prise de risque à l'adolescence
Les modèles théoriques de la prise de risque à l'adolescence et arguments
expérimentaux
Conclusion et limites de ces modèles
Introduction
L'adolescence est communément définie comme une période de transition entre
l'enfance et l'âge adulte, qui s'accompagne de changements physiques (sur le plan
corporel et cérébral), cognitifs, émotionnels et sociaux. Cette période correspondrait
approximativement à la seconde décennie de vie. Elle commence au moment de la
puberté (aux alentours de 11–13 ans) pour se terminer entre 19 et 25 ans, l'entrée dans la
vie adulte pouvant être déterminée par des critères variables, tels que la majorité légale,
le début de l'indépendance financière ou encore l'entrée dans la vie professionnelle
(Casey, Getz, et Galvan, 2008 ; Galvan, Van Leijenhorst, et McGlennen, 2012). Cette
période de la vie peut être perçue comme un phénomène socialement et culturellement
déterminé, puisque des changements sociétaux – tels que l'allongement de la scolarité
obligatoire ou la réglementation du travail des mineurs – et hormonaux – le
déclenchement plus précoce de la puberté au cours du XXe siècle – ont contribué à étirer
dans le temps cette période développementale (Crone et Dahl, 2012). Cependant,
l'adolescence ne peut être comprise uniquement comme un phénomène sociétal, car les
adolescents présentent des caractéristiques particulières sur le plan cognitif,
comportemental et neurobiologique, qui conduisent à définir l'adolescence comme une
période de développement en tant que telle.
En effet, l'adolescence débute par un phénomène hormonal, la puberté, dont l'âge de
début varie selon les individus et en fonction du genre. La puberté jouant un rôle
majeur dans la définition de cette période, Galvan et al. (2012) proposent de distinguer
différentes phases au cours de l'adolescence, basées sur l'apparition des symptômes
pubertaires :
• la période de prépuberté, de 8 à 12 ans ;
• la période de puberté moyenne, de 13 à 15 ans ;
• la période de puberté tardive de 16 à 18 ans.
Cependant, la période de l'adolescence n'est pas uniquement définie par la puberté.
Différents changements neurocomportementaux sont observés durant cette période du
développement, tels que l'augmentation des tendances exploratoires, des changements
dans le traitement des récompenses et dans la recherche de sensation et de nouveauté
(Steinberg et al., 2008). Il a par exemple été montré que la recherche de sensation atteint
un pic à l'adolescence (entre 12 et 15 ans), comparé à l'enfance et l'âge adulte (Steinberg
et al., 2008). Ces changements neurocomportementaux ont été observés chez l'être
humain, comme au sein de différentes espèces animales au cours de la période de la
puberté, ce qui tend à soutenir que l'adolescence est une période développementale
particulière et commune à différentes espèces (Crone et Dahl, 2012).
Par ailleurs, l'adolescence, en tant que période de transition vers l'âge adulte, se
caractérise par une plus grande indépendance vis-à-vis de la famille et une meilleure
caractérisation de soi (de ses croyances personnelles et de ses standards). L'évaluation
de soi se fait à travers des dimensions sociales variées (sur le plan de l'apparence, des
activités sportives et extrascolaires, de l'appartenance à un groupe donné ou encore des
conduites morales), le point de vue des adolescents étant fortement susceptible de
varier en fonction des personnes en présence (Harter, Marold, Whitesell, et Cobbs,
1996 ; Steinberg et Morris, 2001). L'adolescence est ainsi une période au cours de
laquelle se produisent à la fois des changements comportementaux, neuronaux et
hormonaux.
La spécificité de la prise de risque à l'adolescence est un exemple emblématique des
influences variées qui s'opèrent à l'adolescence, car son explication repose sur des
changements développementaux qui s'opèrent à différents niveaux : cognitifs,
émotionnels et neurodéveloppementaux.
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CHAPITRE 38
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les TICs dans le développement
Les conséquences négatives associées à l'utilisation des TICs chez l'enfant et
l'adolescent
Conclusion
Introduction
L'usage d'écrans par les enfants et les adolescents s'est aujourd'hui largement
démocratisé, que ce soit pour le divertissement, la communication ou encore dans le
cadre des apprentissages. Malgré une littérature relativement récente, les conséquences
de ces usages, positives ou négatives, commencent à se dessiner.
Le développement socio-émotionnel
Les appels vidéo sont aujourd'hui pratiqués dès le plus jeune âge (ex : maintien des
liens parents-enfant lors des séparations). L'analyse de ces échanges vidéo avec les
enfants de moins de 2 ans montre que les parents adoptent des comportements
comparables à ceux utilisés en face à face, sont sensibles aux réponses de l'enfant et sont
capables de susciter son attention pour maintenir l'échange (McClure, 2015). Le jeune
enfant, quant à lui, serait capable de faire la distinction entre un échange vidéo avec un
proche versus une vidéo ordinaire (McClure, 2015). Ce type de données suggère que le
jeune enfant perçoit la contingence d'une interaction, même lorsque celle-ci se déroule
via un écran.
En ce qui concerne l'impact des écrans sur les interactions parents-enfant, les
chercheurs considèrent qu'ils ont, dans l'ensemble, un impact négatif sur la relation
parent-enfant (réduction des échanges parents-enfant, de l'attention portée aux enfants,
voir National Center for Infants, toddlers, and Families, 2013). D'autre part, les écrans
sont de plus en plus utilisés pour calmer les jeunes enfants (moins de 2 ans) ou encore
lors des repas (voir Radesky et al., 2015). L'impact de l'usage des TICs sur la régulation
émotionnelle demeure à ce jour pourtant peu étudié. Relevons toutefois que des
données récentes suggèrent une meilleure reconnaissance des émotions non verbales
après une période de cinq jours sans écran (Uhls et al., 2014).
Conclusion
L'impact de l'usage des TICs sur le développement de l'enfant et de l'adolescent s'opère
à plusieurs niveaux. Il touche aux sphères cognitive, émotionnelle, et relationnelle de
l'individu, et peut parfois être lié à des troubles psychopathologiques. Ce champ de
recherche étant en plein essor, les recherches futures nous permettront certainement
d'avoir une meilleure vision des impacts à long terme de l'usage des TICs sur le
développement de l'enfant et de l'adolescent.
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CHAPITRE 39
PLAN DU CHAPITRE
L'adolescence : une transition vers le monde adulte
Les facteurs en jeu dans la « crise d'adolescence »
C'est quoi être adulte ?
La vie amoureuse
La naissance d'un enfant
Le fonctionnement familial
Il va sans dire que l'attachement de l'adolescent à l'égard de ses parents est intimement
lié à la manière dont ceux-ci s'occupent de lui. Les systémiciens, qui s'intéressent
particulièrement aux influences mutuelles entre parents et enfants, se sont penchés sur
la manière dont les parents participent à ce départ du jeune de la famille. En
l'occurrence, ils se sont davantage focalisés sur ce qui peut venir freiner ce processus
d'autonomie. Jay Haley (1980/1987) va jusqu'à dire que les apparentes
psychopathologies déclarées par le jeune au moment où il est censé devenir
indépendant ne sont en fait qu'une manière de préserver l'équilibre familial, autrement
menacé.
Dans la même lignée, Salvador Minuchin (1974) considère que le symptôme est le
marqueur d'une structure familiale dysfonctionnelle. Le symptôme surviendrait à un
moment critique où la famille, du fait de pressions internes (comme l'entrée dans l'âge
adulte d'un enfant, la naissance d'un cadet, etc.) ou externes (événements extérieurs à la
famille), est amenée à devoir s'adapter et mettre en place un nouveau mode d'échange
entre ses membres. L'accès de l'enfant au monde adulte suppose des réaménagements à
la fois physiques (par exemple, parents désormais seuls à la maison) et relationnels
(plus grande symétrie dans les rapports entre parents et enfants). Dans certains cas, de
tels changements peuvent sembler menaçants et ainsi pousser la famille à cristalliser
son fonctionnement pré-existant. Car en acceptant une telle évolution, les parents
perdent encore davantage le contrôle sur ce que fait leur enfant. Il s'agit aussi pour eux
de se réorganiser en tant que couple, leur fonction parentale n'étant plus au premier
plan. Betty Carter et Monica McGoldrick (1989) ont redéfini le « cycle de vie de la
famille », suggérant que le développement de l'individu est fonction de celui de la
famille. Autrement dit, la famille exerce un rôle important dans la prise d'indépendance
de l'enfant.
D'après Minuchin la manière dont cette transition se fait dépend de la structure de la
famille. Celle-ci est déterminée notamment par qui a le « pouvoir », c'est-à-dire qui
prend les décisions. Selon sa conception, il est capital que ce soit les parents qui
détiennent ce pouvoir. Dans le cas contraire, les frontières entre générations sont floues,
ce qui n'est pas sans poser problème. Ainsi décrit-il une typologie des familles selon un
axe allant de frontières diffuses à des frontières rigides. Dans le premier cas, il parle de
« familles enchevêtrées » : les frontières individuelles y sont brouillées, la différenciation
de l'individu diffuse. Ceci a pour conséquence que ce qui arrive à l'un se répercute de
manière importante sur les autres. Inutile de dire que dans un tel système, qui prône
l'interdépendance entre ses membres, le détachement d'un individu de la famille va à
l'encontre des modes d'échanges mis en place. La famille est ainsi amenée à résister à
toute tentative de départ.
Pour Haley (1973), le comportement problématique du jeune serait induit par un
problème de couple entre les parents. Ainsi, plutôt que d'y être confrontés, les parents
bénéficient, « grâce » aux difficultés de leur enfant, de sa présence continue, présence
qui en plus, permet de monopoliser l'attention sur lui et de la détourner de leurs
problèmes conjugaux. Dans son approche stratégique, Haley recommande alors
d'instrumentaliser le symptôme de l'enfant comme prétexte pour amener les parents à
collaborer et s'entendre, et ainsi surmonter leurs différends sous-jacents.
Dans le cas d'une famille rigide, c'est l'assouplissement des rôles qui va poser
problème. Les parents rechignent à laisser leur jeune prendre ses propres décisions et
s'affranchir de leur autorité. Cela nous renvoie à la tâche principale de l'adolescence
soulignée par Erik Erikson (1972) qui est de développer son sentiment d'identité.
Murray Bowen (1978) a d'ailleurs beaucoup développé la notion de « différenciation »
et la manière dont elle découle du fonctionnement familial. Il a ainsi décrit un processus
de triangulation, qui consiste à inclure un tiers dans une relation à deux lorsque celle-ci
pose problème. En l'occurrence, un parent frustré dans sa relation de couple peut se
tourner vers son enfant pour compenser ce manque ressenti. L'autre parent serait ainsi
soulagé de ne plus devoir répondre aux attentes de son/sa partenaire et participerait, en
restant à l'écart, à ce fonctionnement familial. L'enfant devient alors le réceptacle des
doléances parentales et est mis en position de devoir se préoccuper du bien-être de
l'adulte. C'est cette « contamination » qui viendrait entraver la bonne différenciation de
l'enfant. (Bowen suggère en outre que la relation qui s'établit entre les parents et leur
enfant est elle-même le produit de la relation qu'ils ont eue avec leurs parents respectifs
et ce, sur plusieurs générations.)
D'après Bowen, plus il y a une fusion émotionnelle entre les générations, plus le
risque de coupure émotionnelle est grand. Le besoin d'indépendance peut se traduire en
termes physiques (par exemple, vivre très loin de ses parents) ou psychologiques (par
exemple, éviter de parler de sujets intimes, ne jamais être seul avec le parent). Malgré
une autonomie apparente, ces personnes peuvent devenir soumises et effacées face à
leurs parents une fois en contact avec eux.
Les personnes indifférenciées sont définies par Bowen comme étant gouvernées par
une accumulation de sentiments de la part des gens qui les entourent. Ce manque de
différenciation les amènerait à adhérer aveuglément à ces sentiments ou à les rejeter
avec véhémence. Elles réagiraient donc de manière émotionnelle : en conformité ou à
l'inverse des dictats familiaux. À l'inverse, les personnes différenciées, parce qu'elles
n'ont pas été impliquées dans les problèmes des autres membres de leur famille,
arrivent à penser par elles-mêmes. Cette capacité leur permet d'établir une relation
proche avec autrui, sans pour autant perdre leur identité. Cela nous ramène à la notion
de frontières de Minuchin, frontières souples en l'occurrence, car à la fois perméable aux
autres, mais sans menace pour son sentiment d'identité.
On voit donc que la quête d'identité est précipitée au moment où le jeune entre en âge
de quitter le domicile. Mais selon les aléas de la relation avec les parents, celle-ci sera
plus ou moins facilitée. Dans le cas où l'enfant ne parvient pas à se libérer de l'ascendant
de ses parents, la quête peut se prolonger bien au-delà de l'entrée à l'âge adulte.
La vie amoureuse
Parmi les domaines dans lesquels la personne se stabilise au cours de sa vie adulte, on
retrouve celui des relations amoureuses. Malgré une période de plus grande instabilité
chez l'adolescent et l'adulte émergent, le fonctionnement amoureux de l'adulte s'inscrit
dans la continuité de l'enfance (Miljkovitch, 2009). En effet, les « règles relationnelles »
qui ont été apprises au sein de la famille, puis dans les relations affectives successives
en dehors de celle-ci, influencent l'individu dans son fonctionnement amoureux.
La notion de modèle interne opérant (MIO) de John Bowlby (1980) rend bien compte
des continuités entre l'enfance et l'âge adulte. Rappelons que cette notion renvoie à des
modèles de relations qui se mettent en place dès le début de la vie, à partir de ce que le
bébé « enregistre » de ses interactions quotidiennes avec son entourage familial. Une
fois constitués (bien qu'ils restent ouverts au changement), ces modèles influencent
l'individu dans sa perception des relations : il interprète les nouvelles informations à la
lumière de ses expériences vécues. C'est ainsi que le sentiment de confiance se construit
dès les premières années de la vie. Les intentions qui sont attribuées aux autres et la foi
en leurs sentiments dépendent notamment de ces premières expériences.
Cette perception des relations vient évidemment conditionner l'envie d'être en
couple. Alors que les personnes sécures abordent le couple de manière confiante,
d'autres personnes sont susceptibles de voir dans les relations amoureuses l'occasion de
souffrir à nouveau. Dans ces cas, la volonté d'échapper à des affects négatifs déjà
connus entraîne une difficulté à rester en couple. Par exemple, il apparaît que la
tendance à désinvestir une relation alors même qu'elle semblait se consolider apparaît
cinq fois plus souvent chez les personnes qui ont connu des pertes significatives durant
leur enfance (Miljkovitch, 2009). La première relation amoureuse semble aussi
déterminante pour l'envie de s'établir (ou non) dans une vie à deux : celle-ci est décrite
comme moins rassurante par les personnes célibataires que par les personnes en couple
(le plus souvent avec une autre personne que ce premier amour).
La rupture peut se fonder sur des interprétations erronées, car ce qui est perçu chez
l'autre, ce n'est jamais le reflet exact de ses pensées. Il s'agit en fait d'une lecture à
travers le prisme de son propre passé (les MIO). C'est ainsi que quelqu'un qui a maintes
fois été repoussé, sera plus enclin à attribuer des intentions de rejet chez les personnes
qu'il côtoie, et en l'occurrence, chez son partenaire amoureux (voir Miljkovitch, 2009).
Parallèlement aux MIO qui se sont construits, la personne a mis en place un
fonctionnement relationnel qui lui est propre et qui est susceptible de se reproduire
dans ses différentes relations. C'est ainsi que les stratégies d'attachement de l'adulte
dans sa relation de couple seraient le plus souvent les mêmes que celles utilisées dans le
passé vis-à-vis de ses parents (Miljkovitch, 2009). Les personnes qui disent s'être
« oubliées » (compulsive compliance) dans la relation avec leurs parents ont tendance à
faire de même avec leur conjoint ; celles qui ont appris à taire leurs besoins ont du mal à
être proches de leur partenaire amoureux (s'il y en a un) ; celles qui expriment
facilement ce qu'elles ressentent dans le couple rapportent la même chose avec leurs
parents ; celles qui hyperactivaient leur système d'attachement, en ayant des demandes
d'attention importantes, revendiquent leur insatisfaction ou leur besoin de réassurance
dans le couple aussi. D'une manière similaire, le célibat s'inscrit souvent dans la
continuité d'une enfance où la personne a appris à ne pas trop se reposer sur les autres
et à être autonome très tôt (compulsive self-reliance).
Des études longitudinales (Grossmann et al., 2005 ; Miljkovitch et al., 2015) tendent à
confirmer ces résultats d'étude rétrospective (Miljkovitch, 2009) : il apparaît en effet que
le style d'attachement à l'égard du partenaire amoureux est prédit par celui à l'égard de
la mère. En revanche, aucune influence du père ne ressort. Ceci suggère que ce serait
surtout la relation avec la mère (ou peut-être plutôt la principale figure d'attachement)
qui joue un rôle dans les modalités amoureuses de l'adulte.
Ce schéma est centré sur l'impact des différents paramètres sur le phénomène de
transmission, mais il va sans dire que les effets sont réciproques et n'influencent pas le
seul enfant, mais aussi l'adulte. Nous avons vu combien l'arrivée d'un enfant convoque
le passé du parent, quand il était lui-même enfant. Mais au-delà de cela, elle vient
bouleverser la vie de l'adulte. Arnett (1998) remarquait que l'accès à la parentalité
conduit une majorité de personnes à se considérer comme de « vrais » adultes. Arnett
définit cette période comme une phase de la vie où la personne se stabilise et diminue
ses activités d'exploration. Même si cette expérience est en elle-même unique et peut à
ce titre aussi relever de l'exploration, on conçoit facilement que les contraintes imposées
par l'arrivée d'un enfant limitent de façon drastique les autres domaines d'exploration et
participent, par la force des choses, à une plus grande stabilité (apparente) de l'adulte.
En même temps, cet événement vient bouleverser le couple, qui doit alors composer
avec la survenue de ce tiers. Selon sa dynamique antérieure, il sera plus ou moins bien
armé pour se réorganiser de manière à ce que l'arrivée du bébé ne constitue pas un
véritable obstacle à la vie de couple. Il s'agit en même temps que chacun trouve sa place
et qu'aucun des membres ne soit exclu (voir Fivaz-Depeursinge et Corboz-Warnerey,
2001). Ainsi, dès sa constitution, la famille met en place une structure qui, on l'a vu,
selon sa capacité à évoluer, préparera plus ou moins bien l'adulte en devenir à prendre
son envol et continuer le cycle générationnel.
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1
Pour une présentation des différents styles d'attachement, voir le chapitre 3.
2
Pour une présentation plus détaillée de l'AAI, voir Miljkovitch, 2001 ou le chapitre 42.
3
Traduction de l'auteur.
CHAPITRE 40
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les limites de l'approche biomédicale dominante : l'exemple de la maladie
d'Alzheimer
Une autre approche du vieillissement cérébral et cognitif
Vieillissement et environnement prénatal, postnatal et infantile
Conclusion
Introduction
Il existe de grandes différences interindividuelles dans l'importance des changements
cérébraux et cognitifs liés à l'âge. Par ailleurs, les études longitudinales montrent que la
variabilité des performances cognitives s'accroît avec l'avancée en âge. Comprendre les
sources de cette hétérogénéité constitue dès lors une question centrale pour la recherche
sur le vieillissement, avec des implications importantes tant théoriques que cliniques
(voir Lindenberger, 2014).
L'approche biomédicale dominante a abordé cette question en considérant que les
aspects problématiques du vieillissement cérébral et cognitif traduisaient la présence de
maladies (des démences neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer, la
démence frontotemporale ou encore la démence à corps de Lewy) ayant chacune une
cause neurobiologique précise et spécifique, qui les distingue du vieillissement dit
normal. Il s'agit donc d'une approche qui considère que ces maladies ont une essence
(un agent causal relativement simple, propre, nécessaire et unificateur), possédée par
tous les individus qui ont cette maladie et par aucun individu qui ne l'a pas. Il s'agit
aussi d'une approche catégorielle, qui décrit le vieillissement cérébral et cognitif
problématique à partir de catégories de maladies, différentes et spécifiques.
Par ailleurs, des catégories diagnostiques correspondant à des états intermédiaires
entre le vieillissement dit normal et la démence ont été élaborées. Historiquement, les
personnes âgées manifestant des difficultés cognitives légères étaient considérées
comme ayant des problèmes bénins, liés à l'âge. Cependant, l'approche biomédicale a
conduit à considérer que ces personnes avaient une maladie, ou à tout le moins un état
susceptible de progresser vers une maladie démentielle (par exemple, une maladie
d'Alzheimer). C'est ainsi que sont nés les concepts de trouble cognitif léger (Mild
Cognitive Impairment ou MCI) et de maladie d'Alzheimer préclinique (asymptomatique).
En parallèle, on a vu naître de nombreuses consultations de la mémoire, lesquelles ont
constitué une structure pivot de l'approche biomédicale du vieillissement. Elles ont
essentiellement pour objectif d'identifier les personnes présentant une maladie
démentielle ou un état prédémentiel afin de leur administrer un traitement
pharmacologique.
Cette conception a eu de nombreuses conséquences néfastes, tant sur le plan de la
recherche sur le vieillissement que de la pratique clinique. En particulier, elle a extrait
les manifestations de la démence du cadre général du vieillissement cérébral et cognitif.
Ce faisant, elle a contribué à la médicalisation et à la pathologisation du vieillissement
et en a propagé une vision réductrice. Elle a également suscité l'attente désespérée d'un
traitement médicamenteux ou biologique miracle, mettant ainsi à l'arrière-plan
l'ensemble des démarches susceptibles d'optimiser le bien-être, la qualité de vie, le
sentiment d'identité, et ce, tant chez la personne présentant un vieillissement
problématique que chez les proches aidants.
Conclusion
Une conception du vieillissement cérébral et cognitif qui assume la complexité et la
diversité des facteurs en jeu et qui réintègre les manifestations problématiques dans le
contexte plus large du vieillissement doit conduire, non seulement à des changements
importants sur le plan de la recherche, mais elle devrait aussi amener à des
changements profonds dans les évaluations (neuro) psychologiques (voir Van der
Linden et Juillerat Van der Linden, 2014b). Il s'agirait d'adopter une démarche
d'évaluation qui favorise la formulation d'une interprétation psychologique
individuelle et intégrée (une formulation de cas), prenant en compte différents types de
processus psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels, relationnels) et
conduisant aussi à l'identification du rôle possible des facteurs sociaux, des événements
de vie et des facteurs biologiques. Par ailleurs, cela devrait aussi conduire à donner
davantage d'importance aux interventions psychologiques et sociales individualisées
visant à optimiser la qualité de vie et le bien-être des personnes âgées (voir Van der
Linden et Juillerat Van der Linden, 2016).
Il importe également de prendre clairement le tournant de la prévention, en visant à
différer ou réduire les expressions problématiques du vieillissement cérébral et cognitif,
et ce, par des interventions préventives multiples durant la vie entière (par exemple,
accroissement du niveau scolaire chez l'enfant et le jeune adulte, contrôle actif des
facteurs de risque vasculaires durant l'âge adulte, maintien d'une vie socialement,
physiquement et mentalement active durant le milieu de la vie adulte et la vieillesse ;
Barnett, Hachinski, et Blackwell, 2013). Il faut cependant être conscient du fait que
défendre l'idée selon laquelle un « vieillissement réussi » pourrait être atteint par
l'adoption d'un style de vie approprié conduit de fait à dévaluer les personnes âgées
présentant des troubles cognitifs et fonctionnels. Ainsi, gardons à l'esprit que nous
sommes mortels et qu'un grand nombre d'entre nous rencontrerons, durant le grand
âge, des difficultés physiques, cognitives et fonctionnelles (voir Brayne, Gao, Dewey, et
Matthews, 2006). En outre, la conception du « vieillissement réussi », en mettant l'accent
sur les choix individuels d'un style de vie potentiellement bénéfique et sur la
responsabilité personnelle dans l'optimisation du vieillissement, néglige le fait que ces
choix et cette responsabilité sont fortement contraints par des facteurs socio-
économiques et environnementaux (ressources financières, accès aux soins de santé et
aux activités stimulantes, etc. ; voir Katz et Calasanti, 2015).
Dans un article publié en parallèle dans le Journal of Alzheimers Disease et le Journal of
Intergenerational Relationships (afin d'établir un pont entre les deux lectorats),
Whitehouse (2013a et b) en appelle à une approche intégrative de ce qu'il nomme les
défis cognitifs associés à l'âge. Cette approche rétablirait l'équilibre entre un point de
vue biomédical (assumant réellement la complexité des mécanismes biologiques en jeu
dans le vieillissement) et les perspectives psychologique, sociale, environnementale et
culturelle. Il s'agirait également de concevoir une société « personnes âgées admises », y
compris quand elles ont des troubles cognitifs importants, et d'amener les membres
de cette société à considérer que, même en présence de difficultés cognitives, la
personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la
communauté : une société qui serait d'ailleurs bénéfique à chacun d'entre nous, quel
que soit notre âge ! Une telle approche devrait nous amener à ne pas considérer le
monde comme étant divisé entre ceux qui ont la MA et ceux qui ne l'ont pas, mais
plutôt à penser que nous partageons toutes et tous les vulnérabilités liées au
vieillissement cérébral et cognitif. Cela pourrait contribuer à créer davantage d'unité
entre les générations et à mettre en place des structures sociales dans lesquelles les
personnes âgées, quels que soient leurs problèmes, peuvent trouver des buts et un rôle
social valorisant.
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PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La recherche sur la vulnérabilité socioéconomique des familles et le
développement des enfants
La prévention des effets de la pauvreté sur le développement de l'enfant
La parentalité alternative : le placement en protection de l'enfance et l'adoption
Conclusion
Introduction
La recherche sur les familles et le développement de l'enfant a crû de manière très
importante au cours de la dernière génération. Cette recherche, qui porte sur le
développement des enfants et des adolescents, est fondée sur des études longitudinales
qui suivent des familles et des enfants sur des dizaines d'années afin de valider des
postulats théoriques. Plusieurs études concernent également des stratégies
d'intervention qui nous renseignent non seulement sur la validité de modèles
théoriques, mais aussi sur les meilleures façons de soutenir les familles et enfants aux
prises avec différents enjeux et obstacles de vie (voir Tarabulsy, Provost, Lemelin,
Plamondon et Dufresne, 2012). Jamais auparavant nous avons eu autant d'informations
nous permettant de mieux comprendre comment se développent les enfants et de quelle
manière le fonctionnement familial et les divers environnements des enfants peuvent
aider ou nuire à ce développement (Rutter, 2000 ; 2012). Il est néanmoins important de
noter que la vaste majorité de ces études a pris place dans des milieux familiaux et des
contextes « typiques », où l'on observe une diversité de facteurs qui contribuent au
développement : l'expérience intra-utérine de l'enfant, les interactions parent-enfant, la
stimulation, l'attachement de l'enfant envers son parent, ainsi que la surveillance
qu'effectue le parent de son enfant, lui assurant sécurité et soutien pour son autonomie.
Ces phénomènes sont centraux à notre compréhension du développement de l'enfant.
Toutefois, de nombreuses expériences de développement ont lieu dans des contextes
moins typiques, ou à risque, ou même dans des circonstances où des individus autres
que les parents biologiques assurent la garde temporaire ou permanente des enfants.
Bien qu'il reste encore beaucoup de connaissances à acquérir en ce qui a trait à ces
expériences « atypiques » de développement, les recherches permettent à ce jour de tirer
certaines conclusions préliminaires que nous soulignerons dans ce chapitre.
Ce chapitre se divise en trois sections. Premièrement, certains résultats de recherche
portant sur le risque socioéconomique familial, le comportement parental, l'interaction
parent-enfant et le développement des enfants dans les sphères cognitives,
émotionnelles et sociales seront présentés. Deuxièmement, les différentes stratégies de
prévention ayant pour but d'optimiser l'expérience développementale des enfants
provenant de familles vulnérables seront présentées. Ces stratégies, qui impliquent une
intervention provenant d'autres personnes impliquées dans la famille ou des services
sociaux, fonctionnent pour soutenir le développement des enfants dans des situations
de précarité sociale. Troisièmement, des situations de parentalité alternatives,
impliquant le placement d'enfants ou l'adoption, seront également décrites en lien avec
leur impact sur le développement et les processus qu'elles interpellent. Lorsqu'il est
mené correctement et avec respect pour les familles biologiques et d'accueil, le
placement peut être salutaire pour le développement. De même, l'adoption a
régulièrement été décrite comme étant une stratégie d'intervention de choix pour les
enfants qui se retrouvent dans des circonstances d'abandon ou qui sont orphelins de
leurs parents.
En somme…
Malgré le fait que nous ayons encore des questions sur les processus qui lient la
pauvreté et la vulnérabilité familiale au développement, il est important de faire les
constats suivants :
• la pauvreté socioéconomique implique des facteurs de risque importants, touchant
de manière directe et indirecte le développement des enfants, les rendant
vulnérables dans leur développement et tout au long de leur vie ;
• parmi les effets indirects, cette pauvreté affecte les divers comportements parentaux
à l'égard des enfants ;
• ces facteurs peuvent influencer l'ensemble des sphères développementales.
La prévention des effets de la pauvreté
sur le développement de l'enfant
Les études sur la résilience démontrent qu'il est possible pour des enfants dans des
contextes de haut risque de se développer de manière harmonieuse. Dans ce chapitre, il
est question des différentes avenues qu'ont prises les chercheurs et les établissements
afin de prévenir les potentiels effets délétères liés à l'exposition à un contexte de vie
difficile que ce soit par des stratégies de prévention visant :
• l'enfant directement ;
• des caractéristiques de l'organisation familiale ;
• l'amélioration de la relation entre l'enfant et la figure parentale.
L'adoption
Selon les l'Organisation des Nations Unies (2009), il y a plus de 260 000 adoptions
chaque année dans le monde, dont plus de 120 000 ont lieu aux États-Unis uniquement.
Ces chiffres concernent l'adoption domestique et internationale. D'autres pays sont
également très actifs à ce niveau, dont la Chine (plus de 45 000 adoptions par année) et
la Russie (environ 20 000 adoptions par année). L'adoption n'est pas une forme
d'intervention comme les autres qui ont été recensées jusqu'à présent dans ce chapitre.
Certes, dans la plupart des situations d'adoption, l'enfant est à très haut risque.
L'adoption locale implique habituellement (mais pas toujours) des abandons ou des
mauvais traitements à l'égard des enfants. L'adoption internationale peut également
impliquer ce type de situation et/ou des soins potentiellement problématiques durant la
période pré-adoption, toujours dans le contexte d'une forme d'abandon de l'enfant. De
plus, parmi les différences avec les autres stratégies, on implique une nouvelle famille
qui est motivée à accueillir l'enfant d'une façon différente. La motivation et
l'engagement parentaux sont des facteurs qui créent des conditions de succès pour le
placement en protection de l'enfance. Ce désir d'enfant de la part des parents adoptifs
constitue donc un facteur qui peut exercer un rôle positif dans la suite de l'expérience
de l'enfant. Or, pour de nombreux chercheurs qui se sont penchés sur cette question,
l'adoption constitue une façon d'intervenir auprès d'enfants qui auraient peu d'autres
options (Tessier, Paquin, et Marinova, 2012).
Les travaux de plusieurs chercheurs dans ce domaine démontrent que l'adoption est
bénéfique pour les enfants. Il est important, cependant, de considérer la méthodologie
de recherche de ces travaux. Deux stratégies sont généralement utilisées, soit de faire la
comparaison avec des enfants provenant des mêmes milieux d'origine, mais qui ne sont
pas adoptés, ou de comparer les enfants adoptés à un groupe qui ressemble à des
enfants de la population d'accueil, vivant avec leurs parents biologiques.
Dans le cas des comparaisons avec les enfants non adoptés qui viennent des mêmes
milieux, que cela concerne l'adoption domestique ou internationale, les résultats sont
très clairs : l'adoption agit comme une intervention intensive, continue et stable. Les
enfants adoptés expérimentent moins de problèmes médicaux et présentent davantage
d'indicateurs de santé favorables (poids, taille, périmètre crânien). De même, dans
diverses études longitudinales, on démontre qu'ils ont un développement cognitif
supérieur et sont en mesure de développer des relations d'attachement sécurisantes
plus fréquemment que les pairs non adoptés. Certains chercheurs démontrent que
l'adoption agit sur la plasticité cérébrale, ainsi que sur le traitement de l'information des
nourrissons et des jeunes enfants, ayant des implications pour diverses fonctions
cognitives. Enfin, on note moins de troubles du comportement et, plus tard, de
délinquance chez les enfants adoptés selon van IJzendoorn et Juffer (2006). Ainsi,
comme mode d'intervention, l'adoption est si efficace qu'elle donne lieu à des
rattrapages « massifs » du développement qui favorisera l'enfant tout au long de sa vie.
Cependant, van IJzendoorn et Juffer (2006) démontrent également dans leur série de
méta-analyses que l'adoption ne garantit pas que le développement de l'enfant soit
complètement protégé. De fait, certaines caractéristiques des enfants influencent leur
développement après l'adoption. Notamment, l'âge de l'enfant au moment de l'adoption
et le degré de privation expérimentée en institution avant l'adoption (souvent en lien
avec le pays d'origine de l'enfant). Si l'enfant est jeune au moment de l'adoption (moins
de 12 mois surtout) et s'il est né dans un pays qui se préoccupe de la santé et du
développement des enfants abandonnés, il aura de meilleures chances de rattraper le
développement de ses pairs. Dans le cas de l'adoption domestique ou internationale, ces
deux conditions n'arrivent pas toujours ensemble.
Conclusion
Il y a 30 ans, lorsqu'on intervenait auprès de familles en difficulté, nos meilleures
stratégies d'intervention reposaient sur des connaissances acquises au fil de l'expérience
des intervenants : psychologues, psychiatres, éducateurs, etc. qui avaient eu la ténacité
de rester impliqués dans la vie des enfants les plus vulnérables. D'une certaine manière,
ces intervenants avaient acquis une connaissance anecdotique qui leur était très utile au
quotidien dans leur travail auprès des familles. Or, depuis cette époque, la recherche
empirique a su codifier une partie de ces connaissances et en ajouter d'autres afin de la
rendre accessible au plus grand nombre. Ces connaissances doivent être encadrées par
des politiques et une motivation communautaire de faire ce qui est possible pour
soutenir le développement des enfants qui grandissent dans des circonstances de
vulnérabilité. Bien qu'il reste beaucoup d'information à acquérir sur l'intervention et le
développement des enfants, le fonctionnement des familles et la façon dont les
contextes sociaux affectent l'adaptation individuelle et collective, un des enjeux majeurs
de notre époque réside dans notre capacité de mettre en pratique, collectivement, une
partie de ce que nous avons appris au cours de cette dernière génération (Tarabulsy et
al., 2012).
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PA R T I E 6
Les méthodes en psychologie du
développement
CHAPITRE 42
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Évaluer le changement (développement)
Évaluer le comportement : l'observer ou le provoquer ?
Exemples de méthodes
Les méthodes spécifiques au bébé
Les mesures électro-physiologiques
La méthode des tests
Les questionnaires
Les entretiens
La sociométrie
Conclusion
Introduction
Quel que soit le cadre théorique dans lequel on se place, se pose la question de la
mesure du développement. Que mesurer et comment le mesurer ?
Avant de déterminer les outils d'évaluation, il convient de planifier le déroulement de
la recherche en fonction des objectifs poursuivis. Il s'agit, en psychologie du
développement, de comparer des individus d'âges différents ou à des âges différents, à
l'aide de coupes respectivement transversales ou longitudinales. Ces comparaisons
permettent de repérer les changements et de les analyser. Chacune des deux procédures
présente des avantages et des inconvénients et sont choisies l'une ou l'autre en fonction
de la problématique et des contraintes de terrain.
Une difficulté spécifique à la recherche en psychologie du développement réside dans
l'attention à porter sur l'adéquation de l'outil utilisé à l'âge des participants. En effet, des
outils élaborés et validés auprès d'un échantillon de personnes d'un âge donné ne
peuvent être considérés valides à d'autres âges. La difficulté est d'autant plus grande
qu'on cherche à mesurer une même variable à des âges différents, alors que les
manifestations de cette variable évoluent beaucoup à travers le temps et que les outils
doivent eux aussi être adaptés aux différents stades de développement. Nous verrons à
travers quelques exemples comment les outils et les nouvelles technologies permettent
« d'épouser » les compétences et comportements de l'individu selon l'âge et ainsi
refléter au mieux ce qu'ils sont censés mesurer.
Exemples de méthodes
L'observation naturaliste
Dans cette situation, l'observateur regarde le comportement lorsqu'il survient dans son
contexte naturel (i. e. à la maison, à l'école, au parc). Ces cadres sont réalistes et
pertinents pour comprendre le comportement du sujet et les facteurs qui l'influencent.
Le cas typique de l'observation naturaliste émane de l'anthropologie où le chercheur se
joint à une tribu, une sous-culture ou d'autres unités sociales pour observer leurs
caractéristiques et les comportements des individus qui en font partie. Dans de tels cas,
l'observateur est un participant dans tous les sens du terme, et les observations sont
généralement enregistrées sous forme de notes anecdotiques qui, plus tard, sont
transformées en un rapport détaillé.
L'étude pionnière de Mary Ainsworth des dyades mères-bébés en Ouganda est un
bon exemple de recherche basée sur des observations naturalistes. Elle a observé,
pendant plusieurs mois, 28 dyades ougandaises à leur domicile pour tenter de répondre
à plusieurs questions de recherche :
• Comment l'attachement se forme-t-il ?
• Quels sont les facteurs qui en favorisent ou en freinent le développement ?
• Quels sont les critères permettant de juger si un attachement s'est mis en place ?
Ainsi, elle voulait arriver à décrire en termes précis ce qui permet d'évaluer la force et
la nature de l'attachement. Elle partait de l'idée qu'un bébé qui a un fort attachement à
sa mère manifestera une plus grande détresse lorsqu'il en est séparé qu'un bébé dont
l'attachement est faible, voire inexistant.
Mais au fil de ses observations, elle a constaté que certains enfants qui avaient l'air
très attachés à leur mère ne protestaient pas ou n'essayaient pas de la retenir lorsqu'elle
s'apprêtait à partir. C'est alors qu'Ainsworth s'est demandé si ces enfants n'avaient pas
tout simplement confiance dans le fait que leur mère revienne, autrement dit, s'ils
étaient sécures. N'étant plus convaincue que la force de l'attachement soit simplement
proportionnelle à la détresse manifestée au départ de la mère, elle a tenté de repérer ce
qui lui donnait l'impression que certains enfants étaient attachés, alors qu'ils n'étaient
pas ébranlés par la perspective de son absence. C'est ainsi qu'elle a identifié plusieurs
comportements qu'elle considérait comme des comportements d'attachement. Certains,
comme les « pleurs différentiels » (c'est-à-dire le fait d'arrêter de pleurer lorsque le bébé
est pris par sa mère alors qu'il continue s'il s'agit de quelqu'un d'autre), témoignent
d'une préférence pour la mère par rapport à d'autres personnes. D'autres aussi ne
s'observaient qu'avec la mère (par exemple le scrambling, c'est-à-dire le fait de jouer avec
ses cheveux, son visage, ses habits, etc.)1.
Une fois ces comportements identifiés, Ainsworth a tenté de retracer la genèse du lien
d'attachement en repérant la première occurrence de ces comportements. Mais n'ayant
pas su à l'avance quels allaient être les éléments pertinents à observer, ses notes
précédentes présentaient le risque d'être incomplètes : Ainsworth elle-même reconnaît
n'avoir peut-être pas, alors, prêté suffisamment attention à eux pour les relever de
manière systématique. On voit là l'avantage d'avoir à sa disposition une grille
d'observation précise, ce qui, au début des observations naturalistes, n'est pas encore le
cas.
Un autre inconvénient, lorsque la manière de relever des informations n'est pas
systématisée, est de relater les événements en fonction d'interprétations d'appréciations
subjectives (exemple rapporter de la « colère » alors que le comportement observé
refléterait pour quelqu'un d'autre une autre émotion). Il convient alors d'établir un
accord interjuges pour s'assurer que l'interprétation du comportement fait consensus.
S'ajoute à cela le problème de généralisation : on ne peut, à partir de quelques cas,
tirer des conclusions sur une population. L'avantage en revanche est de pouvoir repérer
des changements subtils dans le développement et, à travers des observations fines,
ouvrir sur de nouvelles idées ou théories, qui elles, peuvent faire l'objet d'études
quantitatives. Pour éviter les rapports non systématiques, il est recommandé de
focaliser son attention sur des comportements spécifiques.
Ces observations d'Ainsworth en Ouganda, bien qu'essentielles, n'étaient que le point
de départ d'observations de plus en plus systématisées. Elle a à nouveau observé
26 dyades, mais cette fois aux États-Unis, pour préciser encore davantage les
comportements pertinents à observer et repérer ceux qui sont présents dans les deux
cultures et qui seraient a priori plus universels que culturels.
L'observation contrôlée
Le principal avantage de l'observation naturaliste est qu'elle recouvre un grand nombre
de comportements spontanés qui surviennent dans des circonstances pertinentes,
intéressantes pour le psychologue. Cependant, dans les procédures naturalistes, on n'a
parfois aucune garantie que le comportement auquel on s'intéresse va survenir, ce qui
peut entraîner une perte de temps considérable. Une manière de surmonter certaines
difficultés associées à l'observation naturaliste est de faire apparaître des circonstances
particulières dans lesquelles les sujets peuvent être observés pendant qu'ils réagissent à
des événements planifiés et standardisés. L'observation dite expérimentale est à cette
autre extrême. Ici, le psychologue met en place une situation particulière dans laquelle
on provoque le comportement.
Ici encore, les travaux d'Ainsworth illustrent bien comment, à partir d'observations
naturalistes, elle est arrivée à mettre en place une observation contrôlée en créant une
situation permettant de déclencher des comportements pertinents. L'objectif des
comportements d'attachement est de mobiliser le parent pour que celui-ci intervienne
en cas de détresse. Constatant que les bébés étaient peu inquiétés par le départ de leur
mère au sein du domicile, lorsqu'elle allait dans une autre pièce, Ainsworth a imaginé
une situation où son absence constituerait un stress suffisant pour que ceux-ci
ressentent le besoin de faire appel à elle. Elle a donc mis au point la Situation étrange
(Ainsworth et al., 1978/2015), qui consiste à placer l'enfant dans une pièce qu'il ne
connaît pas et le confronter au départ de sa mère, ainsi qu'à la venue d'une personne
étrangère (figure 42.1). Ayant constaté par ailleurs, au cours de ses observations à
domicile, une interdépendance entre les comportements d'attachement et d'exploration
(c'est-à-dire sentiment de sécurité nécessaire à l'exploration), elle a également mis à
disposition de l'enfant des jouets, pour voir comment son intérêt pour les objets fluctue
à mesure que sa mère s'absente ou revient dans la pièce.
FIGURE 42.1 La Situation étrange.
La mise au point d'une procédure expérimentale est réussie lorsqu'elle permet, tel que
prévu, de provoquer le comportement attendu. Mais il reste encore à établir un système
de codage suffisamment précis pour arriver à exploiter les données de façon valide et
systématique. Comme pour tout outil, il convient alors de partir de la définition de la
variable évaluée pour articuler l'observation autour d'elle.
L'objectif de la Situation étrange est de mesurer l'attachement. Selon Ainsworth, la
sécurité d'attachement se définit par :
• la capacité de l'enfant à solliciter le parent en cas de stress (c'est-à-dire l'utiliser
comme « havre de sécurité ») ;
• sa capacité à l'utiliser comme « base de sécurité » permettant l'exploration.
Dans ses observations à domicile, Ainsworth s'était donc focalisée sur ces deux types
de comportements et sur la manière dont ils se combinent ; elle en est arrivée à une
classification des enfants en 5 catégories. Elle a ensuite observé ces mêmes enfants dans
la Situation étrange, pour dégager les principaux patterns de comportements qui
ressortaient dans ce contexte. En effectuant un recoupement des catégories établies à
domicile et celles repérées avec la situation expérimentale, elle en est arrivée à
3 principales catégories, correspondant aux fameux styles d'attachement sécure, évitant
et ambivalent/résistant2.
Une limite courante des procédures expérimentales concerne la validité écologique.
Autrement dit, le comportement observé dans cette situation artificielle est-il
représentatif du comportement de l'individu dans son contexte naturel ? Le croisement
qu'Ainsworth a fait entre le style d'attachement observé à domicile et celui observé
durant la Situation étrange révèle un lien significatif entre eux, qui atteste de la validité
de son système de classification : la manière dont réagit l'enfant durant la procédure
expérimentale est révélatrice de sa manière de se comporter à domicile3.
L'habituation
L'habituation est la forme la plus élémentaire d'apprentissage. Adaptée très largement
au bébé (elle est devenue une méthode classique), elle permet entre autres de tester ses
capacités d'apprentissage et ses connaissances. Elle repose sur un phénomène naturel :
la présentation d'un stimulus de façon répétée tend à diminuer la fréquence de la
réponse du bébé. Il s'agit d'une réponse neuropsychologique : les systèmes sensoriels
tendent à moins réagir à une même stimulation (visuelle ou auditive par exemple).
La diminution du taux de réponse est fonction du nombre de présentations. Ainsi, on
habitue le bébé à une stimulation (présentation de la même stimulation plusieurs fois de
suite) et on enregistre soit la durée de la réponse (dans le cas d'une habituation visuelle
par exemple), soit la réponse (dans le cas d'une réponse motrice, par exemple tourner la
tête en direction d'un son). Lorsqu'il est habitué (par exemple, lorsqu'il y a une
diminution de 50 % de la durée des essais ou lorsque la moyenne des derniers essais est
moitié moins longue que la moyenne des premiers essais, critère de Cohen, 1976), on
introduit une nouvelle stimulation, qui, si elle est perçue comme nouvelle, doit
entraîner un regain d'attention : on parle alors de réaction à la nouveauté. La préférence
pour la nouveauté est une réponse cognitive : le bébé regarde plus une stimulation
nouvelle qu'une stimulation qu'il connaît déjà. On déduit, à partir de cette réaction, que
le sujet a perçu le nouveau stimulus. Cette méthode est une méthode de choix pour
étudier les capacités de catégorisation ou de discrimination par exemple.
Dans une recherche récente (Morange-Majoux et Provasi, sous presse), nous avons
proposé à des bébés de 4 mois de suivre visuellement sur un écran une balle
rebondissante, un son étant associé à chaque rebond. Une fois que le bébé est habitué,
on lui présente la même scène visuelle, mais avec le son décalé du rebond et on
enregistre son temps de regard à la recherche d'une réaction à la nouveauté. Dans notre
recherche, les bébés regardent plus longtemps la scène dite désynchronisée : c'est la
preuve qu'ils perçoivent la synchronie.
La préférence visuelle
C'est à Fantz (1958) que l'on doit d'avoir mis au point la première méthode d'étude des
capacités visuelles du nourrisson. Cette méthode consiste à faire l'hypothèse que les
bébés n'exploreront pas visuellement le même temps deux objets différents. On
enregistre donc le temps de regard sur chacun des objets et s'il y a une différence, on
conclut que le bébé a des capacités à discriminer les deux cibles. L'expérience peut
contenir plusieurs essais. Par exemple, avec cette procédure, nous avons montré que les
bébés préfèrent regarder une personne qui parle qu'une personne qui ne parle pas
(Devouche et al., 2014). En revanche, on n'observe pas de préférence chez les bébés selon
que la personne parle avec un langage spécifique (ce qu'on appelle le langage adressé
au bébé avec des accentuations toniques très fortes) ou un langage neutre. Dans cette
procédure, on alterne généralement le côté de présentation des cibles pour être sûr que
le bébé regarde bien davantage une certaine image plutôt qu'un côté particulier de
l'image.
Le conditionnement opérant
Ce paradigme bien connu chez l'animal est utilisé pour étudier les capacités
d'apprentissage du bébé. Pour ce type d'expérience, il est nécessaire d'apprendre au
bébé à faire un comportement particulier afin d'obtenir une récompense. Par exemple,
on peut conditionner la succion non nutritive : on apprend au bébé à faire des succions
d'un certain rythme pour obtenir un résultat particulier qui l'intéresse. Dans une étude
désormais célèbre, DeCasper et Fifer (1980) ont montré que les bébés, dès la naissance,
sont capables de modifier la durée des pauses qui interrompent les accès de succion non
nutritive, soit dans le sens d'un allongement, soit dans le sens d'un raccourcissement,
afin d'entendre l'enregistrement de la voix de la mère plutôt que celui de la voix d'une
autre femme.
Les mesures électro-physiologiques
La psychologie dite scientifique, notamment la psychologie du développement n'a eu
de cesse depuis plus d'un siècle de rechercher des indices physiologiques témoins d'une
activité psychologique afin de s'émanciper de la psychologie dite clinique, et de l'étude
de cas. Les mesures psychophysiologiques ont ainsi vocation à éprouver les relations
comportement/organisme, c'est-à-dire mettre en évidence une réaction physiologique
liée à une activité mentale, à décrire les phénomènes observés et enfin expliquer les
processus cognitifs par leurs sous-bassements organiques. Ces mesures s'appuient soit
directement sur l'activité cérébrale – comme l'EEG, les potentiels évoqués, l'IRM – ou
plus généralement sur l'activité organique – comme l'activité électrodermale, pupillaire,
musculaire, cardiaque. En révélant l'activité nerveuse sous-jacente de l'individu, les
mesures électro-physiologiques constituent un outil précieux dans l'interprétation d'un
comportement ambigu comme nous le verrons plus loin.
L'activité électrodermale
La peau peut présenter des différences de potentiel électrique pour peu que le sujet ait
une réaction émotionnelle. Le recueil de données consiste alors en l'enregistrement des
variations de ces potentiels à l'aide d'électrodes externes.
L'activité électrodermale6 (AED) est largement utilisée dans les domaines de
l'attention, l'émotion, ou les processus d'apprentissage. En effet, une émotion trop forte,
une surprise, une douleur, une respiration profonde peuvent faire varier la réponse
électrodermale. Les plus hauts niveaux de réponses AED sont associés à une
augmentation de la vigilance et de l'effort lorsque les sujets doivent apprendre de
nouvelles choses (Andreassi, 1966). Elle est utile chez le bébé qui ne peut exprimer
verbalement ce qu'il ressent.
La neuro-imagerie fonctionnelle
L'avènement de l'imagerie cérébrale marque incontestablement la fin du XXe siècle en
permettant, en plus de l'observation des structures cérébrales, de représenter par
l'image, l'activité cérébrale pendant que le sujet effectue une tâche mentale : c'est
l'imagerie fonctionnelle, qui permet de « voir » le cerveau en action.
On distingue la tomographie par émissions de positons (TEP), basée sur l'injection
d'un marqueur radioactif dans l'organisme, qui permet de repérer l'augmentation du
débit sanguin lors d'une activité cérébrale grâce à un appareil détecteur de radioactivité.
La technique de l'IRM fonctionnelle (IRMf) quant à elle, utilise un champ magnétique
puissant qui induit dans les molécules d'eau du corps des changements qui peuvent
être mesurés. En pratique, lorsque des aires cérébrales s'activent, elles s'engorgent de
sang oxygéné, dont les propriétés magnétiques divergent du sang pauvre en oxygène.
L'analyse des données d'IRMf vise à déterminer s'il y a des structures cérébrales qui ont
modifié leur consommation en oxygène suite à une tâche mentale et si oui, quelle est
leur localisation.
De très nombreux domaines de recherches ont été investis par les méthodes de
neuroimagerie et particulièrement la psychopathologie développementale. Ainsi, par
exemple, des chercheurs ont montré que les enfants avec autisme présentent une
diminution de la substance grise dans les régions temporales supérieures gauche et
droite (figure 42.2) et une diminution de la surface du sillon temporal supérieur.
On constate donc que les progrès réalisés sur la compréhension de l'autisme sont en
grande partie dus au développement des nouvelles technologies, qui permettent de
marquer très précisément les défauts neuroanatomiques et neurofonctionnels. Voir à ce
sujet la vidéo du Dr Monica Zilbovicius intitulée Les troubles du spectre autistique.
La méthode des tests
Historiquement, ce sont des méthodes typiquement « développementales », le premier
test ayant été mis au point par Binet en 1906 dans le but d'évaluer le retard scolaire et de
dépister les enfants « anormaux ». Ainsi, la première batterie de tests mise au point par
Binet au début du siècle dernier, avait vocation à distinguer les enfants susceptibles de
bénéficier d'un enseignement spécial, dans les classes de perfectionnement. La méthode
des tests répond à l'objectif de provoquer les comportements (dans des conditions
précises et constantes) pour les observer et confronter les résultats avec des normes. Les
tests sont souvent faciles et pratiques à faire passer. La plupart du temps, les réponses
peuvent être codées sous forme de scores, ce qui permet de traduire le comportement
du sujet de manière quantitative. Leur seule contrainte est d'être administrés de façon
standardisée, parce que des différences au niveau des conditions de passation d'un test
pourraient influencer les résultats et rendre son interprétation non valide.
Ils sont nombreux, certains visant à étudier un aspect psychologique spécifique
(émotion, verbal, raisonnement, etc.), d'autres ayant vocation à évaluer l'individu dans
sa globalité (pour une présentation plus détaillée des tests et de leurs qualités
psychométriques, voir le chapitre 43).
Pour pallier l'éventuelle difficulté à formuler une réponse, certains tests projectifs
permettent à l'enfant de mettre en scène sa réponse plutôt que de la décrire
verbalement. C'est le cas, par exemple, des histoires d'attachement à compléter
(Bretherton et al., 1990), accessible aux enfants dès l'âge de 3 ans, qui se présentent sous
forme de figurines que l'examinateur met en scène pour représenter un début d'histoire
que l'enfant doit ensuite compléter (pour une présentation plus détaillée de la tâche,
voir le chapitre 43).
Les questionnaires
Ce sont des instruments d'évaluation de variables individuelles ou environnementales
très pratiques pour recueillir de l'information. Ils permettent d'étudier de grands
groupes et d'obtenir ainsi des résultats statistiques robustes. Les questionnaires
présentent toutefois certains inconvénients, dont le principal est d'introduire un biais
dans les réponses données. On invoque le plus souvent le biais de désirabilité sociale,
qui consiste à dire ce qu'on pense être désirable ; le participant répond en fonction de
l'image qu'il veut renvoyer plutôt qu'en fonction de ce qu'il pense vraiment. Se pose
alors le problème de la validité : l'instrument mesure-t-il bien ce qu'il est censé
mesurer ?
Une échelle très utilisée en psychologie du développement est l'échelle d'estime de
soi de Harter pour les enfants de 7 à 12 ans (Self Perception Profile for Children ; validation
de la version française par Pierrehumbert et al., 1987). Elle donne lieu à 4 sous-scores
correspondant chacun à des domaines spécifiques : compétences scolaires, compétences
sportives, compétences sociales, estime de soi générale. À ces domaines s'en sont
ensuite rajoutés deux autres : apparence physique et conduite/moralité (Harter, 1985).
Chaque domaine est couvert par 7 items. Afin de limiter le biais de désirabilité
sociale, les items présentent les deux pôles, positif et négatif, sans emploi du pronom
« je » : « Certains enfants réussissent bien dans leur travail scolaire, mais d'autres enfants
ne réussissent pas bien dans leur travail scolaire ». Le jeune participant doit préciser à
quel groupe d'enfants il ressemble le plus et à quel point il leur ressemble (« plutôt
vrai », « tout à fait vrai »). Il reçoit ainsi un score de 1 à 4 pour chaque item, selon la
valeur qu'il pense avoir dans le domaine concerné. Une recherche de validation
(Maintier et Alaphilippe, 2006) révèle que l'estime de soi est plus importante chez les
plus jeunes, mais aussi, étonnamment, chez ceux qui sont en zone d'éducation
prioritaire. Une étude de Cassidy (1988) croisant les réponses à ce questionnaire avec
une évaluation de soi selon un entretien semi-directif où l'enfant est invité à parler de
lui-même (présenté ci-dessous) livre des résultats non significatifs : aucun lien n'est
trouvé entre les deux mesures. Au vu de la manière dont les enfants parlent d'eux-
mêmes lors de l'entretien (comme étant plus ou moins « parfaits »), Cassidy considère
que certains se défendent contre l'idée d'avoir des défauts et ont besoin de les
dissimuler ; ceci donnerait lieu à une représentation idéalisée d'eux-mêmes, qui serait
déconnectée de leur véritable perception de ce qu'ils sont.
Ces différents résultats interrogent donc sur ce qui est réellement évalué à l'aide de ce
type d'échelle. D'une manière générale, on peut considérer que les auto-questionnaires
permettent d'évaluer ce que les participants veulent bien laisser paraître d'eux-mêmes.
L'auto-questionnaire peut être particulièrement intéressant pour mesurer certaines
variables peu « bruyantes » qui sont parfois mieux rapportées par les enfants eux-
mêmes que par les adultes de leur entourage. C'est le cas par exemple des troubles
internalisés (dépression, anxiété). Achenbach (Achenbach et Rescorla, 2001, version
française : Lacharité et Villemure, 1986) a développé le Youth Self-Report pour une
évaluation globale de l'état de santé mentale (c'est-à-dire, troubles du comportement
intériorisés et extériorisés, compétences sociales) des enfants à partir de 11 ans. Il
comporte des questions ouvertes (par exemple : « écris les sports que tu aimes le plus
faire »), ainsi que des questions à choix multiples (exemple, à la question « comparé aux
enfants de ton âge, combien de temps passes-tu à faire du sport ? » l'enfant doit cocher
« moins », « pareil » ou « plus »). L'outil vient en complément de l'hétéro-questionnaire
(Child Behavior Checklist ou CBCL) qui est rempli par les parents ou les enseignants qui
eux, peuvent rapporter des comportements selon une perspective complémentaire (voir
le chapitre 43, pour une présentation plus détaillée de l'outil, ainsi que des versions à
destination d'enfants plus jeunes).
Les entretiens
Comme d'autres méthodes moins « directes » (observation, tests projectifs, etc.),
l'entretien peut constituer une méthode de choix pour contourner le biais de désirabilité
sociale.
Toutefois, la structure d'un entretien peut varier : on trouve l'entretien non directif,
où le psychologue évite au maximum d'interférer avec le cours du discours et les
thèmes évoqués par la personne, et de l'autre, l'entretien structuré, sous forme de
questions-réponses. Entre ces deux extrêmes, il existe plusieurs formes d'entretiens
qu'on appelle les entretiens semi-directifs (ou semi-structurés). L'entretien est une
méthode rarement utilisée avant l'âge de 10 ans, car il est difficile pour les jeunes
enfants de porter un regard sur eux-mêmes. Néanmoins, certaines adaptations
permettent d'appréhender les représentations à un âge plus jeune. Cassidy (1988) a mis
au point une interview où l'enfant (âgé de 6 ans) répond à une marionnette animée par
la main de l'examinateur. Afin de faciliter la libre expression de l'enfant, l'examinateur
regarde la marionnette et non l'enfant pendant l'entretien, atténuant ainsi l'impression
que toute l'attention porte sur lui. La marionnette pose donc une série de questions à
l'enfant à propos de lui-même, mais comme s'il s'agissait d'une tierce personne
(exemple, Bix, est-ce que tu aimes [prénom de l'enfant] ?). Plutôt que de s'en tenir à ce
que l'enfant veut bien dire sur lui-même, Cassidy a codé les réponses en fonction de la
capacité de l'enfant à aborder ses éventuels défauts ou limites (« parfait » : aucun défaut
évoqué, « négatif » : commentaires négatifs sur soi ou « ouvert/souple » : portrait
globalement positif, mais reconnaissance de quelques failles). Cette évaluation de la
représentation de soi de l'enfant permet donc de contourner le biais de désirabilité
sociale.
D'une manière générale, une compréhension fine de la dynamique interne de
l'individu peut davantage ressortir durant un entretien semi-directif, dont la gamme de
réponses est plus large qu'avec un questionnaire ou un test standardisé, qui n'autorisent
que des réponses types, non spécifiques à l'enfant interrogé.
La méthode d'entretien est particulièrement utilisée dans le domaine des relations
parents-enfants. Parmi les entretiens qui existent, un des plus utilisés est l'Adult
Attachment Interview (AAI : George et al., 1985). Dans cet entretien semi-directif, la
personne interviewée est invitée à parler des relations qu'elle a eues avec ses parents en
tant qu'enfant. Évaluer l'attachement à l'âge adulte est plus compliqué que chez le jeune
enfant, car il ne suffit pas de séparer la personne quelques minutes de sa figure
d'attachement pour l'alarmer et déclencher son système comportemental d'attachement.
Il s'agissait donc de concevoir une méthode qui puisse faire apparaître le niveau de
sécurité de la personne, ainsi que ses stratégies d'attachement. Afin de contourner le
problème de la désirabilité sociale et parce que la description de son propre
fonctionnement est un exercice difficile que de nombreux adultes ne parviennent pas à
faire, Mary Main a élaboré un système de codage évaluant la cohérence interne du
narratif, afin d'identifier les informations qui semblent mal intégrées au système de
représentation (car contradictoires, par exemple : « Ma mère est très affectueuse » versus
« Non, je n'ai aucun souvenir de tendresse qui me vient à l'esprit ») et qui seraient
révélatrices d'une défense contre une insécurité sous-jacente (voir Miljkovitch, 2001 ou
Hesse, 2008 pour une présentation plus détaillée de l'outil). La validité de l'AAI repose
essentiellement sur son pouvoir prédictif sur le style d'attachement formé par les
enfants des adultes interrogés (voir Bakermans-Kranenburg et van IJzendoorn, 1993,
2009 ; Hesse, 2008). Par conséquent, certains auteurs proposent que l'AAI mesure
davantage un style parental que l'attachement proprement dit (Miljkovitch, 2001 ;
Steele, Steele et Fonagy, 1996). Plutôt que d'être sécurisé, l'adulte serait sécurisant.
En effet, s'il révèle bien la manière dont les informations relatives à l'attachement sont
traitées, il paraît hasardeux de se prononcer, sur la base de ces seuls indices, sur la
manière dont une personne se comporte avec ses figures d'attachement. Pour pallier ce
problème, nous avons élaboré un entretien (l'Attachment Multiple Model Interview ou
AMMI, anciennement ASSSI) interrogeant la personne sur la façon dont elle s'est
comportée dans différentes situations passées (Miljkovitch, 2009). À partir des réponses
du sujet, le codeur peut faire des inférences sur sa stratégie d'attachement (exemple, « Je
n'ai rien dit et j'ai fait comme si ça ne me faisait rien » suggère une stratégie
d'évitement). Une étude longitudinale dans laquelle l'attachement a été évalué de l'âge
de 4 ans jusqu'à 21 ans révèle que les scores aux échelles d'attachement de l'AMMI sont
corrélés aux scores cumulés d'attachement au cours de l'enfance (Miljkovitch et al.,
2015). Aucun lien significatif avec les scores cumulés n'a été trouvé pour l'AAI (voir
Groh et al., 2014 pour des résultats similaires). Ces résultats suggèrent bien que l'AAI
mesure autre chose que l'attachement proprement dit, tandis que l'AMMI semble mieux
l'appréhender.
On voit là que l'entretien semi-directif constitue un outil précieux pour creuser
certaines questions et aboutir à une évaluation qui échappe à l'image que le participant
souhaite véhiculer. Mais la difficulté réside dans le codage, parfois plus subjectif que
pour les tests « objectifs » comme les questionnaires. Aussi, la validité de construit, c'est-
à-dire la capacité de l'outil à mesurer ce qu'il est censé mesurer, dépend tout autant du
choix des questions posées que du système de codage. Si l'on reprend l'exemple de
l'AAI, les questions ont bien été étudiées pour évaluer l'attachement. En revanche, les
classifications qui en découlent ont été définies à partir des catégories d'attachement des
enfants des mères interrogées (exemple mères d'enfants sécures considérées comme
« sécures-autonomes »). Il n'est donc pas surprenant que l'entretien appréhende
davantage les qualités de l'adulte en tant que parent que son fonctionnement en tant
que personne attachée (c'est-à-dire en position d'être sécurisé par autrui).
La sociométrie
La sociométrie (Singleton et Asher, 1977 ; Cassidy et Asher, 1992) constitue un outil
intéressant pour étudier l'enfant, car elle conjugue le point de vue subjectif de celui-ci à
une perspective plus extérieure. Plus exactement, l'enfant exprime son avis sur ses
camarades de classe en même temps que ces derniers disent ce qu'ils pensent de l'enfant
en question. Pour ce faire, on récolte les photographies de tous les enfants de la classe
pour que l'enfant puisse tous les avoir en tête.
Une première étape consiste à ce que l'enfant attribue, à chaque camarade, un smiley
parmi 5 plus ou moins souriants, pour décrire combien il apprécie l'enfant représenté
(les smileys sont ensuite convertis en scores de 1 à 5). Au préalable, l'enfant s'exerce sur
des questions d'entraînement (exemple, combien il aime la glace, les épinards) pour
s'assurer qu'il comprend bien la tâche. Les réponses de tous les enfants permettent
ensuite de calculer la moyenne des scores obtenue pour chacun, moyenne qui reflète
son niveau de popularité.
Dans une deuxième étape de l'épreuve, l'enfant doit choisir le camarade avec lequel il
préfère jouer, et ce, à trois reprises (c'est-à-dire pour 3 camarades). Une fois les
photographies correspondantes retirées, on lui demande de la même manière avec
lesquels 3 il aime le moins jouer. Un score de préférence sociale est obtenu en
soustrayant le nombre de fois où l'enfant a été cité comme le moins apprécié du nombre
de fois où il a été cité comme plus apprécié. Si ce score atteint des extrêmes, l'enfant est
considéré comme « populaire » ou au contraire « rejeté ». Un score d'impact social est
obtenu en additionnant ces deux scores. Les scores très bas mènent à la catégorie
« négligé », tandis que les scores très élevés mènent à la catégorie « controversé ». Les
enfants qui reçoivent des scores moyens à ces deux échelles sont considérés comme
« moyens » (average).
Cette procédure a donné lieu à des centaines de recherches sur les relations aux pairs.
Une version informatisée permettant de faire des analyses plus poussées vient de
paraître (Endedijk, et Cillessen, 2015).
Conclusion
Il apparaît donc que les méthodes nourrissent la connaissance et inversement : les
progrès technologiques ont permis de faire avancer nos connaissances, notamment en
permettant d'examiner ce qui se passe dans la « boite noire ». Mais les résultats
poussent sans cesse les chercheurs à imaginer, mettre au point de nouvelles méthodes
qui permettent de tester leurs hypothèses. Ces méthodes occupent tous les champs : de
la clinique à la sociale en passant par l'éducation. Cette diversité permet en outre de
faire des ponts entre les disciplines et à terme d'aider à la comprehénsion des
mécanismes humains.
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1
Pour une présentation exhaustive des comportements d'attachement identifiés, voir le chapitre « Infancy in
Uganda » (Ainsworth, 1967).
2
À l'usage, il s'est avéré que certains enfants ne correspondaient à aucune de ces trois catégories. C'est ainsi que la
catégorie « désorganisé/désorienté » fut ajoutée (Main et Solomon, 1986).
3
Pour une discussion plus approfondie sur la validité de la Situation étrange, voir Miljkovitch, R. (2011).
L'attachement : aspects développementaux et psychopathologiques. Sarrebruck : Éditions universitaires européennes.
4
Pensez à l'observation exploratoire critique de Piaget qui consiste à observer l'enfant dans une tâche et le
questionner afin d'induire « le maximum possible de prise de conscience et de formulations de ses propres attitudes
mentales » (Piaget, 1947).
5
Pour Fourez (1992), l'observation est une certaine interprétation théorique non contestée.
6
Cette technique de l'AED a été rendue célèbre d'une part par Carl Jung, célèbre psychanalyste, qui étudia les
relations entre réactions émotionnelles de ses patients et association de mots et d'autre part par le test de détection de
mensonges, dont la réponse dermale fait partie d'un des nombreux signaux enregistrés.
7
La magnéto-encéphalographie (MEG) a été développée par la suite afin d'étudier les variations non plus de potentiel
électrique, mais de champs magnétiques résultant de l'activité électrique neuronale.
8
On parle de potentiels évoqués (PE), et en anglais, d'Event-Related Potentiels (ERP).
CHAPITRE 43
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les qualités psychométriques
Les outils et leurs formes
Déontologie, interprétation et restitution des données
Conclusion
Introduction
Dans cette partie, nous présenterons quelques tests fréquemment utilisés dans le cadre
de l'examen psychologique et psychométrique. Leur construction, leurs utilisations
clinique et pratique, leur intérêt, mais aussi leurs limites, seront abordés. Les aspects
éthiques et déontologiques liés à l'utilisation des tests seront également abordés.
Les premiers tests ont vu le jour au début du XXe siècle avec l'apparition du « Binet-
Simon » (Binet & Simon, 1905). Celui-ci se voulait être originellement un test de tri
permettant de sélectionner et comparer des élèves dans le but d'homogénéiser les
classes et de créer un enseignement spécial pour les enfants déficients intellectuels, alors
dénommés « débiles mentaux ». Les applications de ces types de tests ont désormais
dépassé le cadre scolaire. Ils se sont développés et participent de l'examen
psychologique d'un sujet également en psychopathologie et pour la sélection ou
l'orientation professionnelle (Huteau & Lautrey, 1979). Ces tests permettent de situer le
sujet dans ses développements en le comparant à une norme statistique établie par des
résultats collectés sur une large population.
Nous savons néanmoins (Voyazopoulos, Vannetzel, Eynard, et al, 2011) que la
compréhension d'un fait psychique ne peut s'opérer sans une approche à la fois
diachronique (celle de l'histoire du sujet) et synchronique (celle du contexte actuel).
Aussi, la rencontre avec le sujet, à laquelle tout psychologue devra réfléchir en fonction
de son expérience, de son positionnement éthique et déontologique ainsi que de ses
conceptions à la fois épistémologiques et théorico-cliniques, ne saurait se réduire à la
passation d'un ou plusieurs tests. L'outil test est au service du sujet, au service de la
relation d'aide ou de la demande de bilan ou examen psychologique, plaçant le
praticien dans une observation au plus près du sujet et de ses cheminements cognitifs
(Jumel B., 2008).
Les aspects déontologiques de la passation des tests sont définis depuis 1996 dans le
code de déontologie des psychologues. Ceux-ci stipulent que le psychologue doit
exposer son intervention en expliquant et clarifiant les règles qui dirigent son action,
tout en affirmant son engagement éthique. À titre d'exemple, nous renverrons le lecteur
à l'article 17 du code de déontologie1.
À l'heure actuelle, il existe sur le marché une grande diversité d'outils-tests (plusieurs
milliers sont répertoriés2) dans des domaines aussi variés que l'évaluation cognitive,
neuropsychologique, praxique, psycho-pathologique, affective, scolaire et sociale. Ils
sont construits sur un mode scientifique et défendent l'idée d'une standardisation qui
permet une confiance dans leur utilisation. Il convient de vérifier qu'ils répondent aux
critères de validité, fidélité et sensibilité avant d'en faire un usage professionnel3.
La fidélité
Chaque test doit être fiable ou fidèle, c'est-à-dire qu'il doit pouvoir être reproduit avec
des variations qui sont les plus faibles possible. Par exemple, le niveau de fatigue du
sujet lors de la passation d'un test d'intelligence est un facteur qui peut faire varier sa
performance au test. Toutefois, si le test est fidèle, il sera peu sensible à ce facteur et
l'erreur de mesure liée au facteur fatigue sera limitée et ne pénalisera pas
l'interprétation du score. Toute mesure observée est décomposable en une mesure dite
« vraie », inobservable, mais estimée par une moyenne (le nombre important des sujets
donnera une moyenne plus ou moins fiable) et une « erreur ».
Le coefficient de fidélité correspond au rapport entre la variance « vraie » et la
variance observée.
Pour tester la fidélité, il est donc nécessaire de répéter un test afin de comparer les
scores obtenus, car certaines variables sont supposées plus stables que d'autres
(exemple anxiété trait versus état) faisant ainsi varier la fidélité.
Les répétitions peuvent se faire sur les mêmes sujets à des temps différents (test-
retest) ou il peut être aussi demandé à deux personnes différentes une même conduite
d'évaluation, afin de voir s'il existe des différences qui seraient imputées à la passation.
Notons que la standardisation des tests et des consignes drastiques de passations
tend à réduire les risques d'erreur et augmente de fait la fidélité du test.
La sensibilité
Cette notion est en lien avec l'étalonnage d'un test, c'est-à-dire sa capacité à discriminer
des sujets de manière fine.
Lorsque des items sont trop simples ou trop complexes, ils ne permettent pas de
différencier les individus. Il existe alors un « effet plancher » (score faible de tous les
sujets) ou un « effet plafond » (score élevé de tous les sujets).
Une des façons d'éviter ces effets pour les tests de performance est d'ajouter un critère
de vitesse à l'exécution (exemple des épreuves de vitesse de traitement au WISC-IV).
Ces tests dits « de vitesse » peuvent donc être proposés à une population plus
importante et variée en âge.
La différentiation interindividuelle (donc la sensibilité) est la plus forte quand il est
proposé aux sujets des tests ou items réussis par 50 % de la population que l'on veut
tester.
De manière pragmatique, proposer une WPPSI-IV (de 3 à 7 ans ½) à un enfant de
7 ans est risqué, car le risque d'effet plafond est présent (sauf s'il est admis qu'il
manifeste un fort décalage avec sa classe d'âge). Il convient mieux de proposer un test
pour enfant de 5 à 12 ans (KABC-II par exemple).
Le WISC-IV
Le plus connu de tous les tests utilisés, il est, par son élaboration, dans une filiation avec
le premier WISC, puis WISC-R, et encore le WISC-III.
Le WISC-IV (Wechsler, 2005) apparaît comme plus construit théoriquement, et
s'inspire à la fois des travaux de Cattell-Horn-Carroll (CHC), des néo-piagétiens et des
cognitivistes qui voient dans les fonctions exécutives (Miyake & Shah, 1999) et
particulièrement la mémoire de travail (Baddeley, 1990) des corrélations avec
l'intelligence.
Le chiffre global (QIT) devient alors fortement tributaire de quatre échelles appelées
indices, qui ne présentent pas forcément chez tous les sujets un résultat homogène.
Ainsi, chaque indice est relativement indépendant des autres, et mesure plus
précisément des dimensions plus théoriquement cohérentes, par rapport aux versions
précédentes.
Description du WISC-IV
Le WISC-IV se compose de 10 épreuves obligatoires et 5 optionnelles, réparties en
4 échelles qui donnent chacune un indice de fonctionnement intellectuel.
• L'indice de compréhension verbale (ICV) comprend une épreuve de
conceptualisation (vocabulaire), de catégorisation (similitudes), de connaissances des
règles sociales (compréhension) et deux épreuves optionnelles qui mesurent les
connaissances (information et raisonnement verbal).
• L'indice de raisonnement perceptif (IRP) est évalué par trois subtests.
• L'épreuve des cubes où le sujet organise 4 ou 9 cubes bicolores en se référant à une
image-modèle. Les capacités à analyser, abstraire et synthétiser sont ici mobilisées.
• Le subtest Identifications de concepts est proche de celui de similitudes. Le sujet doit
apparier des images présentées par lignes (deux ou trois) qui appartiennent à une
même catégorie conceptuelle. Les raisonnements abstraits et catégoriels sont ici
sollicités.
• L'épreuve des matrices semble conçue comme le test de RAVEN (matrices
progressives, 1938), mais s'en distingue par un passage progressif du concret à
l'abstrait.
• L'épreuve complètement d'images qui consiste à trouver sur des images un élément qui
manque, est devenue optionnelle. Le sujet doit faire attention aux petits détails et se
trouve confronté à une comparaison entre deux représentations (interne-versus-
externe), mais également à sa possibilité ou non d'accéder au « manque », donnée
plus clinique.
• L'indice de mémoire de travail se compose de deux épreuves obligatoires, mémoire
des chiffres et séquences lettres-chiffres et d'une épreuve optionnelle, arithmétique. Les
deux premières ne font pas appel à des connaissances et mesurent les empans de
mémoire par une demande de rappel simple ou plus complexe.
Bien que la boucle phonologique soit plus particulièrement évaluée, le calepin visuo-
spatial (Baddeley, 1990) intervient dans le maintien des données.
Ces épreuves mettent en jeu de manière forte les processus attentionnels.
• Le subtest arithmétique est composé de petits problèmes oraux sollicitant la MdT,
mais aussi faisant appel à des procédures mathématiques acquises en milieu
scolaire.
• L'indice « Vitesse de traitement » est composé de l'épreuve de code et de celle des
symboles qui consiste dans un temps donné à reproduire graphiquement, comme le
modèle, des signes associés spatialement à des chiffres ou à repérer la présence ou
l'absence d'un ou deux stimuli donnés en début de ligne avec cinq autres dans la
suite de cette même ligne. L'attention, la mémoire, l'aisance graphique, l'inhibition
ou la confiance en soi sont en jeu dans ces épreuves ; c'est pourquoi une observation
attentive du comportement du sujet est nécessaire pendant l'épreuve. Ces deux
épreuves sont soumises à une contrainte de temps, annoncée au sujet (2 minutes
pour la réalisation).
• Le subtest optionnel barrage mesure également la rapidité de discrimination.
Le WISC-V
Sa sortie en France est prévue pour fin 2016. Sa structure ressemble à la WPPSI-IV en
intégrant les 5 mêmes secteurs (décrits ci-dessous). Il est à noter que l'épreuve
d'arithmétique appartient maintenant au raisonnement fluide, et qu'une épreuve
mesurant le calepin visuo-spatial est intégrée dans la mémoire de travail. Il partage avec
le WISC-IV 12 épreuves, revues dans leurs consignes de passation.
La WPPSI-IV
Dans une même approche pragmatique que pour les autres tests créés par David
Wechsler, la WPPSI-IV apparaît en 2014 (version française) et vient, par cette quatrième
édition, améliorer la WPPSI-R et WPPSI-III (2004) dans les domaines à la fois théorique
et pratique.
Postérieure au WISC-IV, elle reprend entièrement les idées qui ont fondé l'approche
théorique de ce premier et propose des épreuves aux enfants âgés de 2 ans 6 mois à
7 ans 7 mois.
De plus, les mesures des échelles en note composite qui se dénommaient encore QI
dans le WPPSI-III deviennent des indices, soulignant bien la véritable rupture théorique
qui marque l'apparition des nouvelles échelles de Wechsler s'appuyant solidement sur
les recherches récentes sur la mémoire de travail, sur le raisonnement fluide, la vitesse
de traitement et les fonctions exécutives. En raison d'une filiation directe avec le WISC-
IV, certaines épreuves seront simplement citées.
Description de la WPPSI-IV
La WPPSI-IV se compose, selon l'âge du sujet, de 5 à 6 épreuves principales et jusqu'à 4
à 10 épreuves supplémentaires et optionnelles, réparties en 5 échelles qui donnent
chacune un indice de fonctionnement intellectuel.
• Pour les enfants âgés de 4 ans à 7 ans 3 mois, il est possible de présenter jusqu'à
15 épreuves. L'échelle verbale (ICV) est construite comme celle du WISC-IV et
contient en plus une échelle d'acquisition verbale qui comprend deux épreuves avec
un support imagé (compréhension de mots et dénomination d'images) permettant au
sujet de nommer ou pointer les images ou concepts qui lui sont présentés.
• L'échelle visuo-spatiale (IVS) est évaluée par deux subtests. L'épreuve des cubes et
l'épreuve assemblage d'objets (assemblage en un tout cohérent de morceaux d'un
puzzle présentés de manière standardisée). Elles mesurent essentiellement
l'organisation spatiale du sujet.
• L'échelle de raisonnement fluide (IRF) contient les subtests Identifications de concepts
et matrices qui sont proches de ceux du WISC-IV.
• L'échelle de Vitesse de traitement (IVT) est composée principalement des épreuves
de symboles et de barrage. Ces trois épreuves ont en commun de demander au sujet
d'utiliser un tampon encreur et se font en un temps limité et chronométré. Il est à
noter que les capacités graphiques de l'enfant ne sont pas ici sollicitées.
• L'échelle mémoire de travail (IMT), qui mesure les prémices à la mémoire de travail,
est constituée de deux nouvelles épreuves, mettant en jeu le calepin visuo-spatial
système esclave de la MdT (Baddeley, 1990). L'épreuve de reconnaissance d'images,
qui s'apparente dans la passation à celle de reconnaissance des visages du KABC-2
(Kaufman & Kaufman, 2008). Elle nécessite que l'enfant regarde un temps des
images sur une page du livre de stimuli, puis les retrouve sur la page suivante parmi
d'autres. La seconde épreuve, mémoire spatiale, consiste à replacer sur un plateau de
jeu partagé et quadrillé (2 à 8 cadres) des cartes représentant des animaux que le
psychologue a auparavant placées pour un temps dans ces mêmes cadres.
Les différences principales avec le WPPSI-III apparaissent donc principalement dans
ces deux dernières échelles. En effet, la vitesse de traitement se sépare des aspects
graphiques pour tenter de ne mesurer que les aspects visuo-perceptifs des capacités
d'inhibition. Cela a ses limites et le praticien pointe une dérive de jeu chez les plus
jeunes ou chez les enfants un peu agités qui consiste à jouer avec les effets du tampon
encreur.
Le KABC-II
Alan S. et Nadeen Kaufman ont donné leur nom à ce test qui date de 1983 pour sa
première version américaine, et qui n'a vu le jour en France qu'en 1993. La version II
apparaît en 2008 en France (2004 aux États-Unis). Ce test visait à prendre en compte les
travaux des neurologues (Luria, 1980) et des psychologues cognitivistes (Neisser, 1967)
qui ont mis en évidence deux grands types de fonctionnement mentaux dans la
résolution de problèmes : les processus séquentiels et les processus simultanés. Nous
rappellerons brièvement les principes de ces types de fonctionnement, bien que dans la
version II soit enrichie du modèle CHC que l'on retrouve dans la construction du WISC-
IV. Ainsi, le psychologue a le choix d'analyser les résultats à l'aide de l'un de ces deux
modèles en fonction de ce qu'il est pertinent de mettre en évidence chez le sujet.
Dans le modèle neuropsychologique qu'il propose, Luria (1980) distingue 3 blocs : le
bloc 1 relatif au maintien de l'attention, Le bloc 2 relatif au codage et au stockage de
l'information et le groupe 3 relatif à la planification et à l'organisation des conduites.
Ces trois blocs s'articulent entre des traitements de « bas » et de « haut » niveaux et
correspondent aux aptitudes mesurées par le KABC-II. Ainsi en exemple, des
informations sensorielles dites de « bas niveaux » du bloc 1 sont analysées dans le bloc 2
qui fera le lien avec le bloc 3 en vue d'une planification (traitement dit de « haut
niveau ») pour une prise de décision.
Le double modèle théorique du KABC-II est complémentaire dans sa construction : le
modèle CHC repose essentiellement sur des analyses factorielles, alors que le modèle de
Luria repose sur des observations cliniques et des études empiriques sur des sujets
cérébro-lésés (la spécialisation des hémisphères cérébraux pouvant ainsi apparaître).
Le modèle CHC sera plutôt choisi pour des enfants dont les faibles connaissances ne
risquent pas de compromettre la mesure de l'échelle générale. Autrement, c'est le
modèle de Luria qui sera choisi (exemple : un contexte de bilinguisme, un
environnement culturel peu stimulant pour l'enfant, un enfant présentant des difficultés
de langage ou un trouble du spectre de l'autisme ou une déficience auditive).
Les particularités
Il est essentiellement utilisé avec les enfants scolarisés en maternelle et élémentaire. Il
permet de penser les difficultés rencontrées des élèves en termes de remédiations
pédagogiques possibles.
Un de ses grands avantages est qu'il peut être proposé (dans sa partie analyse des
processus) aux enfants parlant peu la langue française ou présentant des troubles de
l'apprentissage de la langue orale sans que ceux-ci soient pénalisés par la non-maîtrise
de la langue. Il est aussi utilisé avec des enfants présentant des difficultés langagières
dans le cadre d'un syndrome comme celui de la trisomie 21 (Frenkel, Lagneau, &
Vandromme, 2005).
Description des PM 38 et 47
Les PM 38 sont composées de soixante planches représentant des dessins abstraits. Le
sujet doit trouver la logique sous-tendant chaque planche afin de trouver le dessin
complétant la planche.
Ce test s'adresse à des enfants de 7 à 11 ans ½ dans sa version 1 (SPM 1), mais peut
aussi être proposé à des adultes (SPM 2). Nous ne traiterons ici que les tests pour
enfants. Cinq séries par ordre de difficulté progressive sont ainsi données au sujet. Petit
à petit, des transformations sur les axes viennent se mélanger à un dessin interne.
Le PM 47 est en couleur et s'adresse à des enfants plus jeunes (4 à 11 ans), ou des
personnes plus fatigables ou atteintes d'infirmités ou de troubles (aphasie, surdité ou
lésions cérébrales). Il peut aussi s'adresser à des déficients mentaux. Le cahier de
passation propose trois séries de douze problèmes. Les trois séries (A, AB et B)
ressemblent dans leur étalonnement de difficultés aux séries A et B des PM 38. Une
version encastrable existe pour les plus jeunes
Enfin, une version pour enfants dont on soupçonne une intelligence supérieure existe
aussi avec un étalonnage spécifique. Il s'agit de l'APM (Progressives matrices avancées).
L'UDN-II
L'UDN-II évalue la construction, l'utilisation du nombre et la structure logique de la
pensée chez l'enfant de 4 à 11 ans. Construite à partir des théories piagétiennes du
développement de l'intelligence chez l'enfant, cette batterie se compose de 8 épreuves
dites « piagétiennes » (Piaget & Inhelder, 1959) et de 8 épreuves centrées sur l'étude des
premières notions logico-mathématiques.
Ce test est foncièrement différent des autres échelles de type Wechsler, car il ne prend
pas fin sur plusieurs échecs consécutifs du sujet d'épreuves en épreuves, mais sur une
réflexion étayée par le psychologue de ce que le sujet a produit. Par des suggestions ou
contre-suggestions que l'examinateur propose au sujet (« explique-moi comment tu as
fait, d'autres enfants pensent que ce qui se passe est différent de ce que tu dis », etc.) se
crée un échange actif autour d'un espace-problème.
Nous invitons le lecteur à se référer au test pour une description des épreuves ainsi
qu'au livre de Meljac et Lemmel (2007) qui expose la méthodologie du test et propose
11 cas cliniques variés, sans regroupement par famille nosographique et donc encore
très ouverts à l'interprétation pour un lecteur en recherche de données cliniques.
La construction de l'UDN-II
Cinq familles d'épreuves constituent l'UDN-II, sans que celles-ci soient fondées sur des
liens statistiques ou des corrélations avec le facteur g comme dans d'autres tests. En
effet, ce test mesure le développement des opérations logico-mathématiques et donne
une mesure des compétences du sujet dans ce domaine. Il s'agit de : conservations,
logique élémentaire, utilisation du nombre, épreuves d'origine spatiale et connaissances
scolaires (compétences et acquisitions)
La cotation est essentiellement qualitative et se réfère pour chaque épreuve à un « âge
clé » correspondant au moment où 75 % de la population de l'étalonnage réussit la tâche
proposée, tandis que moins de 10 % seraient encore en difficulté. Les 15 % restants
seraient dans une zone intermédiaire non stable encore.
La conduite de l'enfant est aussi analysée en termes d'adéquation ou non à ce qui est
attendu à chaque essai de résolution de la tâche. Trois cotations sont possibles :
NA = non adéquate, AP = approximative, AD = adéquate.
Le croisement de la réussite à l'âge clé et de ces conduites vont donner pour chacun
des subtests un niveau de réussite ou d'échec noté : E = échec, I = intermédiaire,
R = réussite.
Ainsi, le sujet est donc comparé pour chaque épreuve, avec des sujets de sa classe
d'âge, sur des épreuves qui sont autant d'obstacles à franchir en conformité avec ce qui
est attendu de lui à son âge réel. Pour un exemple, voir Lana dans le chapitre 44.
L'évaluation neuropsychologique
La batterie neuropsychologique pluridimensionnelle : la NEPSY-II
La NEPSY-II, dont le nom est un acronyme de NE pour NEuro et PSY pour
PSYchologie, a été créée par Korkman, Kirk et Kemp et adaptée en français en 2012.
C'est une batterie qui vise à évaluer le développement neuropsychologique des
enfants et des adolescents, âgés de 5 à 16 ans, dans 6 domaines : l'attention et les
fonctions exécutives, le langage, la mémoire et les apprentissages, la perception sociale,
le sensorimoteur et le visuospatial.
La pertinence de l'outil
La NEPSY-II permet de comparer les performances d'un sujet à celles des sujets du
même âge, mais également de suivre le développement cognitif d'un même sujet entre 5
et 16 ans à l'aide des mêmes épreuves. Elle propose une mesure normée des
compétences du sujet dans de nombreux domaines de fonctionnement cognitif,
notamment dans le domaine de la perception sociale. Sa passation est complémentaire à
la passation d'une échelle d'intelligence, telle que la WISC-IV.
La NEPSY-II autorise une flexibilité dans le choix des subtests et dans l'ordre de
passation. Elle permet également de personnaliser l'évaluation selon les objectifs du
clinicien : soit une passation de l'ensemble des subtests (représentation globale du
fonctionnement cognitif du sujet), soit de faire une sélection de certains subtests en
fonction du motif de consultation.
Le manuel de la NEPSY-II propose plusieurs façons de sélectionner les subtests afin
de faire une « évaluation générale », une « évaluation diagnostique » en lien avec la
recherche de troubles spécifiques des apprentissages ou une « évaluation sélective »
d'une ou plusieurs fonctions cognitives.
La passation et la cotation
La durée de la passation est variable selon le nombre de subtests proposé. La passation
de l'ensemble des subtests dure de 2 h30 à 3 h30, celle des subtests de l'évaluation
générale est d'environ 1 h. Il est important de prendre en compte les capacités de
concentration et la fatigabilité de l'enfant pour déterminer les subtests prioritaires.
Il y a 4 types de notes ou cotations (notes principales, notes de processus, notes de
comparaison et observations comportementales) qui permettent d'établir un profil mettant
en évidence les forces et les faiblesses du sujet.
En conclusion, la NEPSY-2 permet, par les secteurs différents et indépendants qu'elle
mesure, de compléter les tests généraux, comme les tests d'intelligence, lorsqu'un
trouble cognitif spécifique est suspecté.
Intérêts et remarque
Ce test est très utilisé au niveau international pour mesurer les processus d'inhibition,
aussi bien auprès d'enfants, d'adolescents que d'adultes.
En complément d'un test d'évaluation du niveau intellectuel, il est particulièrement
pertinent pour les sujets chez qui on suspecte un trouble des fonctions exécutives ou un
trouble de l'attention, que ce soit par exemple dans le cadre d'un Trouble déficitaire de
l'Attention avec Hyperactivité, d'une schizophrénie ou d'une maladie de Parkinson
Description
Cette épreuve se passe en deux temps qui sont chronométrés. Le sujet est d'abord
conduit à reproduire avec modèle (sans outil autre que des crayons et une feuille de
format A5) une des deux figures selon son âge (Baby Rey pour les enfants d'âge
maternel jusqu'à 6 ans), puis dans un second temps il lui est demandé de reproduire la
figure de mémoire, sans le modèle.
Les crayons de couleur7 (en général 4) qui sont donnés au fur et à mesure que le sujet
reproduit la figure vont permettre au psychologue de noter très précisément le
« schéma d'exécution » de la figure afin de déterminer la façon dont s'organise
l'exécution de celle-ci.
Ainsi, selon le type d'organisation que va choisir le sujet pour copier la figure, le
nombre d'éléments restitués, le temps mis par le sujet et la précision de la construction,
il sera possible de déterminer un score qui pourra être comparé avec celui d'un âge
donné.
L'intérêt du test
Ne réclamant que très peu de matériel, de nombreux auteurs se sont intéressés à ce test
et en ont fait des lectures cliniques qui dépassent la simple organisation spatiale et
mnésique. De manière plus interprétative, Mannoni propose une lecture symbolique de
certains éléments de la figure mis en relation avec d'autres signes cliniques (Mannoni,
1964), (Debray, 1983) et (Jumel B., 2008). Ces approches ne renvoient pas aux théories
du développement cognitif.
Enfin, des recherches (Danis, et al., 2008) ont été faites sur les liens entre processus
attentionnels et réalisation de la figure de Rey (BB-Rey).
L'échelle de compétences
L'échelle de compétences permet d'évaluer le fonctionnement adaptatif et scolaire.
Enfin, elle propose aux parents de décrire leurs préoccupations vis-à-vis de leur enfant
et les aspects positifs de leur enfant.
L'échelle de problèmes
L'échelle de problèmes est composée de 113 questions portant sur des problèmes
comportementaux, émotionnels ou sociaux. Le parent doit attribuer un score de 0, 1 ou
2 pour chaque item : 0 correspond aux situations où le comportement n'est pas vrai
pour l'enfant, 1 aux situations où le comportement est parfois ou un peu vrai, 2 aux
situations où le comportement est très vrai ou souvent vrai.
Sur l'échelle de profils, les items sont regroupés en 8 échelles syndromiques :
• anxiété/dépression ;
• repli sur soi/dépression ;
• plaintes somatiques ;
• problèmes relationnels ;
• troubles de la pensée ;
• problèmes attentionnels ;
• comportement de transgression de règles ;
• comportement agressif.
Intérêts
Ces questionnaires peuvent être utilisés pour réaliser une évaluation initiale du
fonctionnement adaptatif, scolaire, comportemental, émotionnel et social d'un sujet,
mais aussi pour réaliser des évaluations de suivi destinées à suivre l'évolution du sujet
et à mesurer les effets de la prise en charge proposée. Il permet dans certains cas d'aider
à poser un diagnostic comme le trouble déficitaire de l'attention avec ou sans
hyperactivité (TDAH),
Les limites
Les limites sont les mêmes que celles de tout questionnaire. Le sujet peut choisir de ne
pas répondre honnêtement aux questions afin de choisir l'image qu'il donne de lui ou
de son enfant (biais de désirabilité sociale). Le croisement des différentes versions par le
psychologue (parents, enfant, enseignants) permet néanmoins de réduire la subjectivité
de l'évaluation.
Description
Pour évaluer les représentations d'attachement des enfants à l'aide de l'ASCT,
l'investigateur met en scène des personnages dans différentes histoires puis il demande
à l'enfant de raconter la suite de l'histoire. Les personnages correspondent aux membres
d'une famille. Ces histoires mettent en scène des situations critiques, supposées activer
le système d'attachement : par exemple l'enfant renverse un verre de sirop, l'enfant
tombe en escaladant un rocher et se fait mal au genou, etc. Certaines versions
contiennent également une histoire où l'enfant a perdu son chien, puis le chien revient.
La cotation et l'interprétation
Il existe différentes façons de coder l'ASCT. Nous allons présenter très succinctement le
système de codage développé par Miljkovitch et al. (2003), qui permet à la fois d'évaluer
les stratégies d'attachement des enfants au niveau représentationnel (sécure, évitant,
ambivalent, désorganisée) et de caractériser leur façon de construire un narratif. Pour
cela, les auteurs ont créé un questionnaire Q-sort composé de 65 items (ex : absence de
narratif, l'enfant reste inhibé face au matériel, à la situation, refuse d'élaborer, ses
personnages réagissent de façon appropriée aux émotions des autres personnages, etc.).
Ce système permet de définir le profil de l'enfant selon les 4 axes : sécure, évitant,
ambivalent et désorganisé, plutôt que de le placer dans l'une de ces 4 catégories.
Pour utiliser le système de codage développé par Miljkovitch et al. (2003), il est
parfois nécessaire de filmer le jeu avec l'enfant et de le visionner plusieurs fois en étant
attentif au récit, aux déplacements des personnages, aux relations entre les personnages
et aux émotions exprimées. Le codage se fait en 3 étapes : on trie les 65 items à 3 reprises
afin de distribuer les différents items dans 7 piles en fonction de leur degré de
caractérisation des réponses du sujet.
Intérêts
L'AMMI présente l'avantage d'investiguer les représentations d'attachement concernant
les relations avec de multiples figures d'attachement, et de mieux comprendre les
influences respectives des attachements précoces à la mère, au père et à d'autres
caregivers, sur la construction d'un état d'esprit général et sur le développement psycho-
émotionnel.
Conclusion
Il existe, nous l'avons pointé, de multiples outils qui se déclinent dans des formes
différentes et qui nécessitent tous une formation spécifique, à la fois théorique et
pratique, afin de pouvoir être compris, présentés sous forme d'un protocole à un sujet,
et enfin analysés. Cette analyse propre des résultats d'un sujet à un test, sera finalement
remise en perspective avec les autres aspects ou formes de connaissances que le
psychologue aura du sujet (entretiens, éléments d'anamnèse, signes cliniques, contexte
familial, social et éventuellement scolaire) afin d'appréhender ce même sujet dans les
dimensions de son développement psychique.
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Cognition. 1983;13:103–128.
1
« La pratique du psychologue ne se réduit pas aux méthodes et aux techniques qu'il met en œuvre. Elle est
indissociable d'une appréciation critique et d'une mise en perspective théorique de ces techniques. »
2
http://ecpa.fr/default.asp
3
Nous renverrons le lecteur aux travaux de Huteau et Lautrey pour une description plus détaillée de ces concepts
(Huteau et Lautrey, 2006).
4
Un modèle hiérarchique intègre à la fois un facteur g, des facteurs de groupe et des facteurs spécifiques.
5
L'ouvrage de Jacques Grégoire est la référence pour comprendre les théories de l'intelligence.
6
Sélection des facteurs les plus représentatifs d'une mesure.
7
Il existe à ce jour une version avec stylo numérique (ELIAN), permettant d'enregistrer l'ordre de construction des
éléments de la figure. http://eliansoftware.com/web/FR/PageProduits.php
8
Un test projectif utilise et analyse les réponses spontanées produites par un sujet soumis à des stimuli souvent
équivoques afin d'appréhender son fonctionnement.
9
Les MIO sont conceptualisés comme des structures mentales qui se développent de manière dynamique tout au
long de la vie au fur et à mesure des expériences (pour revue Miljkovitch et al, 2015).
CHAPITRE 44
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les aides institutionnelles
Les orientations
Le bilan psychologique
Conclusion
Introduction
De nombreux enfants et adolescents peuvent être en difficulté, voire en situation de
handicap, en raison par exemple de troubles cognitifs, du comportement, du
développement ou d'une maladie somatique. Ces difficultés peuvent être transitoires ou
chroniques. Elles peuvent nécessiter des aides institutionnelles et des orientations telles
que celles présentées dans ce chapitre. Un bilan psychologique peut être aidant pour
définir ces aides et orientations.
Les orientations
On distingue les orientations qui dépendent de l'Éducation nationale et qui n'entrent
pas dans le champ du handicap, des dispositifs proposés par la MDPH.
Le bilan psychologique
Les entretiens
L'entretien préliminaire à la passation des tests avec l'enfant et ses
parents
L'entretien précède l'évaluation à main armée, c'est-à-dire l'évaluation réalisée à l'aide
de tests standardisés. Il permet de comprendre la plainte du sujet, recueillir des
informations sur l'anamnèse, présenter le déroulement du bilan et ses objectifs,
recueillir le consentement du sujet et de ses parents pour le bilan, construire une
alliance, proposer des questionnaires évaluant le comportement à remplir par les
parents et l'enseignant, observer les comportements du sujet (état émotionnel, réactions
face aux questions, motivation, niveau de fatigue) ainsi que la qualité des interactions
entre les parents et l'enfant. Connaître la plainte précise, rapportée par le sujet lui-même
ou par ses parents, est nécessaire pour orienter les hypothèses et donc le choix des tests.
L'entretien de restitution
L'entretien de restitution a lieu après la passation des tests. Il permet d'appréhender le
vécu du sujet par rapport à l'évaluation, de restituer une synthèse orale et écrite des
résultats au sujet et à ses parents et de proposer des aménagements/orientations
scolaires et des prises en charge rééducatives et psychologiques. Lorsque le
psychologue doit annoncer un trouble ou un handicap, il est intéressant de faire le lien
entre les difficultés décrites lors de l'entretien précédant la passation des tests et les
résultats de l'évaluation, afin de montrer comment les résultats de l'évaluation
contribuent à comprendre et expliquer ces difficultés. L'annonce d'un trouble/handicap
donne du sens aux difficultés rencontrées et s'accompagne généralement d'émotions,
qui peuvent être négatives (exemple : sidération, colère, tristesse) ou positives (ex :
soulagement de comprendre les difficultés). Il est important de prendre le temps
d'accompagner la famille, qui peut être blessée narcissiquement par cette annonce, afin
de lui permettre de faire face à la situation et de s'y adapter ; cela peut nécessiter
plusieurs entretiens. L'annonce peut constituer une « révélation » : la révélation est un
terme qui vient de l'hébreu « gala » et qui a été traduit en grec par le mot
« apocalypse », ce qui permet de se représenter l'effet de certaines annonces.
Encadré 44.1
Illustration clinique : le développement de Louis âgé de 1 an
et 2 jours
Le diagnostic médical
Louis présente un syndrome de Joubert avec déficience visuelle. Ce syndrome est
caractérisé par une malformation congénitale du tronc cérébral et une agénésie
(absence) ou hypoplasie (altération) du vermis cérébelleux.
Les données principales recueillies lors de l'entretien avec les parents
Louis est le 1er enfant du couple. Sur le plan moteur, ses parents observent qu'il se
retourne du dos sur le ventre et inversement, qu'il se déplace en rampant sur le dos
ou se propulse en arrière avec le trotteur en poussant sur ses jambes. Au niveau de la
motricité manuelle, Louis manipule les objets qu'on lui propose ou qu'il attrape. Sur
le plan des interactions, la mère de Louis rapporte qu'il distingue les voix familières
des voix étrangères, qu'il participe à des jeux interactifs et qu'il sollicite ses parents
pour des interactions. En ce qui concerne l'éveil, Louis aime chanter et danser quand
il entend de la musique. Sur le plan sensoriel, il porte des lunettes, mais sa vue n'est
que partiellement corrigée et il est gêné par un nystagmus (mouvements
involontaires des yeux). Il a une séance d'orthoptie et de kinésithérapie par semaine.
L'évaluation du développement psychomoteur à l'aide du Brunet-
Lézine-R, en présence des parents
L'observation du comportement
Louis s'engage avec plaisir dans les interactions proposées par sa mère : par exemple,
il répète les « lalala » de sa mère. Il découvre les objets en les portant à sa bouche et
s'amuse à les faire tomber. Il fait tomber les objets surtout quand il observe que son
action entraîne une réaction de l'entourage : en effet, il le fait plus souvent quand ses
parents lui disent « non » ou « coquin » et cela le fait rire. Sur le plan émotionnel,
Louis exprime le plaisir par des sourires, un jargon, des rires. Il exprime également le
refus : par exemple lorsqu'on lui présente un ballon avec une surface composée de
petits piquants en plastique, il met les mains sur sa tête et la détourne. Sur le plan
sensoriel, Louis est attentif aux sons et recherche avec ses mains les objets qui font du
bruit. Il distingue différents sons et voix ainsi que différentes sensations tactiles : le
ballon à petits piquants mous est nettement repoussé alors que les cubes en bois et la
tasse en métal sont bien investis. Sur le plan visuel, il est très difficile d'orienter
l'attention visuelle de Louis du fait du nystagmus et des troubles visuels, même
lorsqu'on présente un objet devant ses yeux. Néanmoins, lorsqu'on présente un
miroir à Louis, la fréquence du nystagmus diminue un peu et Louis semble
progressivement orienter son regard vers son image le temps d'un court instant.
L'orientation de l'attention se fait généralement par l'intermédiaire d'une stimulation
sonore ou tactile.
Les résultats au Brunet-Lézine-R (tableau 44.1)
Tableau 44.1
Résultats au Brunet-Lézine-R.
Âge de Quotient de
Interprétation
développement développement
Encadré 44.2
Illustration clinique :
Les données principales issues des entretiens avec l'enfant, ses parents
et avec les enseignants
Le motif de la demande et son parcours scolaire
Enfant signalée en CE1 pour des difficultés d'entrée dans l'écrit, Lana a été
accompagnée tout au long de sa scolarité par des aides orthophoniques et scolaires.
Les demandes d'aides adressées au psychologue ont été au nombre de trois. Le
premier bilan a été fait en CE1 et a débouché sur un suivi orthophonique (éléments
dyslexiques légers). En CE2, en raison d'une difficulté pour comprendre et résoudre
les problèmes, un bilan en mathématiques a été réalisé pour une suspicion de
dyscalculie. En CM2, un nouveau bilan a été demandé en raison d'un niveau scolaire
et d'un investissement dans les apprentissages trop faibles au regard des attentes du
collège.
Les éléments d'anamnèse
Lana est décrite par sa maman depuis le CP comme une enfant qui s'oppose
facilement dans le milieu familial et qui tend à exiger les mêmes prérogatives que ses
aînées, tout en faisant preuve d'une autonomie assez réduite dans les tâches de la vie
quotidienne. En revanche, elle semble à l'école avoir une attitude d'élève
respectueuse des règles de classe. Son attention peut être fluctuante et il est remarqué
une grande difficulté à mémoriser des procédures et des apprentissages déclaratifs.
Les résultats aux tests
La dimension affective
Lana ne met pas de sens sur les activités scolaires, même si elle a un projet
professionnel (elle veut s'occuper de chiens). Elle voudrait savoir sans avoir à
apprendre. Les discours accompagnant ses dessins la placent souvent dans une
certaine toute-puissance qui l'empêche d'accéder à une position d'apprentissage et de
remise en question (acceptation de l'erreur). Son estime d'elle-même semble altérée en
raison de la conscience qu'elle a de ses difficultés et de sa passivité face à celles-ci. Il
existe des bénéfices secondaires à son « trouble » qui la placent dans une position de
dépendance vis-à-vis de son entourage, n'encourageant pas, comme cela a pu être
pointé antérieurement, les processus d'autonomisation. Il est aussi à noter de
nombreux termes qui ont trait à la dévalorisation de son travail (« c'est nul, c'est
moche, la maîtresse elle aime que les enfants qui travaillent bien… ») et qui laissent
penser que les défenses mises en place par Lana pourraient cacher des affects plus
dépressifs.
Le dessin et le graphisme
Les dessins sont d'un niveau développemental de 6/7 ans (Baldy, 2005) de facture
simple, mettant en scène des personnages à peine différenciés (sexe et génération). Ils
sont pour Lana l'occasion d'entrer en relation verbale avec l'adulte. Ils sont prétextes à
ce que Lana puisse parler de ce qu'elle aime, mais aussi se mettre en scène, contrôler
et séduire, sans que les éléments puissent être véritablement dessinés avec précision.
Les échelles de Wechsler
La WISC-IV a été présentée deux fois, à 2 ans d'intervalle à Lana. Celle-ci était
désireuse de bien faire et a présenté un comportement charmeur. Son attention
cependant a été sans faille, acceptant volontiers à la fois les remarques de cadrage et
les épreuves proposées. Il a été remarqué une impulsivité primant sur la réflexion
dans des épreuves visuelles qui ont eu une influence négative sur le résultat.
Les résultats présentés dans le tableau 44.2 montrent que les capacités cognitives de
Lana se situent dans la moyenne des enfants de sa classe d'âge. Néanmoins, ces
résultats sont à interpréter avec précaution en raison d'une hétérogénéité inter et
intra-échelle. Le tableau 44.3 permet une vision des points forts et faibles de Lana en
comparaison avec la passation précédente.
Tableau 44.2
Résultats obtenus lors de la deuxième passation du WISC-IV.
Indice de Indice de
Indice de mémoire Indice de vitesse de Échelle
compréhension raisonnement
de travail traitement totale
verbale perceptif
Rang percentile 58 18 73 25 39
Tableau 44.3
Comparaison des notes obtenues à chacune des passations de la WISC-IV.
Cubes 9 9 0
Similitudes 10 12 +2
Identifications de concepts 11 9 –2
Code 11 8 –3
Vocabulaire 11 9 –2
Matrices 12 6 –6
Compréhension 13 11 –2
Symboles 11 9 –2
Complètement d'Images 10 11 +1
Information 10 10 0
Arithmétique 9 5 –4
Il est constaté un léger tassement des résultats entre les deux passations. Le premier
bilan montrait une homogénéité des résultats entre les épreuves et les échelles,
contrairement au deuxième qui pointe assez fortement des écarts au sein des mêmes
échelles. De plus, il apparaît que dans trois épreuves, les capacités de Lana semblent
s'être déprimées, renvoyant à des difficultés de traitement graphique, spatial et
procédural. L'épreuve code renvoie aussi à l'investissement et l'envie de réussir qui
est moins marquée lors de la deuxième évaluation. Il semble que Lana ne fasse pas
preuve d'une fluidité de pensée suffisante pour se donner un espace « à penser »
assez souple et malléable pour traiter les données qui lui sont proposées. Les
processus cristallisés (Grégoire, 2009) en lien avec la mémoire à long terme sont en
revanche bien installés et Lana possède des connaissances verbales (95 < ICV < 110)
qu'elle peut mobiliser facilement. L'utilisation de la mémoire de travail est aussi un
point fort à condition que les données à traiter ne soient pas à combiner et à ajuster
avec des informations stockées en mémoire à long terme (IMT > Arithmétique). Ainsi,
l'impulsivité tend à prendre le dessus dès que Lana doit faire face à un problème
mobilisant les fonctions exécutives. Lana fait preuve de capacités qui peuvent être
mobilisées de manière tout à fait efficiente, mais qui fonctionnent souvent « comme
des outils à vide », sans véritable rapport avec le sens de l'activité. Ses connaissances
ne sont ni structurées ni indexées, la faisant apparaître aux yeux de ses enseignants
comme une enfant sans mémoire des apprentissages scolaires ou ne pouvant retenir
des procédures. Cela apparaît de manière manifeste dans l'écart que nous constatons
entre ses capacités intellectuelles mesurées au WISC-IV (dans les variations de la
normale)1 et ses compétences scolaires affichées par ses enseignants.
L'UDN–II
L'attitude pendant la passation de l'UDN-II
Lana semble très à l'aise dans la relation avec l'adulte. Pendant l'entretien et la
passation des tests, elle est dans une relation de type coopérant, mais facilement
agitée, dans une attention fluctuante, impulsive, et dans une proximité parfois
excessive et mal gérée avec l'adulte. Par moments, elle adopte un comportement
théâtral, ou montre un souci excessif du détail (les bûchettes doivent être
parfaitement alignées, la pâte à modeler bien lisse) montrant à la fois une maîtrise du
réel, mais aussi une fuite de la réflexion dans du factuel.
Les résultats à l'UDN-II
Lana montre un décalage relativement important par rapport à son âge dans tous les
domaines mathématiques mesurés. Elle dispose de quelques automatismes de base
pour traiter les nombres, mais ne connaît, pour une tâche donnée, qu'une partie de la
procédure de résolution et présente un important déficit dans le sens des opérations,
rendant la résolution de problème ardue. Les principes de dénombrement de Gelman
et Gallistel (1978) sont acquis, mais le dénombrement est difficile en raison d'un
manque de stratégie dans l'ordre du dénombrement. Cela pèse vraisemblablement
sur la mémoire de travail dans cette tâche. Le recomptage pour les additions et la
comparaison directe de longueurs sont acquis. En revanche, les procédures de
surcomptage2 et de décomptage3 ne sont pas opérationnelles, le dénombrement n'est
pas automatique et dans les problèmes complexes, Lana a tendance à commencer
avant d'avoir une stratégie de résolution (exemple : sériation des longueurs). De plus,
le transcodage4 est problématique pour les nombres irréguliers (93, 78).
Les tests complémentaires
Des tests complémentaires montrent un léger retard dans l'appréhension de l'espace
géométrique et un manque de reconnaissance des constellations du dé (sauf 1, 2, 3).
Lana présente un trouble électif en mathématiques au regard de ses résultats au
WISC-IV qui se trouvent dans la norme attendue à cet âge. La corrélation entre
trouble en mathématiques et mémoire de travail que l'on peut trouver dans les
travaux de recherche (Barrouillet & Lépine, 2005) n'est pas observée chez Lana. Ses
difficultés sont vraisemblablement liées au fait qu'elle ne perçoit pas de sens, ni sur
l'apprendre, ni sur les objets mathématiques. Il est possible que ses difficultés soient
le résultat d'un désintérêt lié à cette absence de sens, à moins qu'il y ait là un
diagnostic de dyscalculie. Le terme de dyscalculie renvoie à des aspects
développementaux (Butterworth, 2005), ou des aspects plus descriptifs (Geary &
Hoard, 2005). Il est constaté une comorbidité de l'ordre de 25 % avec le trouble
dyslexique (Huc-Chabrolle et al., 2010).
Les aides mises en place
Pour Lana, un travail concret ciblé sur le sens des opérations plus que sur les
techniques opératoires (par exemple en utilisant la calculatrice) a été entrepris pour
aider au déblocage de la situation, et permettre dans un second temps un retour aux
apprentissages techniques. En effet, non seulement cette enfant n'avait pas acquis les
procédures et compétences nécessaires pour suivre un programme ordinaire en
mathématiques avec sa classe d'âge, mais la condition même de recherche en
situation de problèmes ne faisait pas sens pour elle. Ce travail d'aide en classe a
permis de progresser, mais pas de réduire le décalage avec les autres élèves.
Conclusion
Au regard des éléments de l'examen psychologique, et parce que ses capacités
intellectuelles sont dans les variations de la normale, il apparaît que Lana présente
des troubles spécifiques des apprentissages. La lecture est certes acquise en raison
d'un accompagnement orthophonique, mais le passage à l'écrit demeure très difficile
pour elle. Le décalage avec ses pairs dans les compétences mathématiques et le
raisonnement logique permettent de parler d'une possible dyscalculie. En termes
d'aide et d'orientation, Lana n'est pas en mesure de suivre une scolarité ordinaire au
collège. En raison du trouble spécifique qu'elle manifeste, une orientation en Ulis
(dys) ou en EGPA5 pourrait être une solution en fonction de ses attentes et projets
scolaires et/ou professionnels. Un accompagnement psychologique serait à envisager
pour aider Lana à construire harmonieusement sa personnalité et restaurer son
narcissisme, car le risque dépressif à terme est présent.
1
Se référer au chapitre 43.
2
Pour ajouter deux quantités, il s'agit pour l'enfant de savoir réciter la suite des
nombres à partir de n'importe quel nombre, et de commencer avec le « bon nombre »
sur le premier objet de la deuxième collection (effectivement ou mentalement).
3
Pour la soustraction.
4
Savoir écrire en chiffres un nombre entendu.
5
Enseignement général professionnel adapté.
Encadré 44.3
Illustration clinique : les troubles mnésiques de Sonia
Sonia se plaint de difficultés de mémorisation ; elle a été traitée par chimiothérapie
pour une leucémie 4 ans plus tôt.
Les données principales recueillies lors de l'entretien avec Sonia et sa
mère
La scolarité
Sonia a redoublé le CP, car elle n'a pas pu aller à l'école pendant 8 mois du fait de sa
maladie. Elle est actuellement scolarisée en CM1 et présente d'importantes difficultés
de mémorisation qui retentissent sur ses capacités d'apprentissage. En revanche, elle
se souvient bien des évènements de vie personnels, ce qui suggère que la mémoire
autobiographique est préservée. Sur le plan attentionnel, la maman décrit des
symptômes d'inattention, caractérisés par une distractibilité, des temps de
concentration de courte durée et des rêveries. Sonia participe à des séances de soutien
scolaire.
La régulation émotionnelle et comportementale
Sonia est décrite comme une jeune fille qui a peu confiance en elle et qui présente des
comportements d'opposition à la maison, mais pas dans le milieu scolaire. La maman
rapporte de bonnes capacités relationnelles avec les pairs.
La prise en charge actuelle
Sonia a deux séances d'orthophonie par semaine et ne bénéficie pas de mesures d'aide
dans le milieu scolaire.
L'évaluation psychologique
L'efficience intellectuelle
Les résultats obtenus à la WISC-IV montrent que l'efficience intellectuelle de Sonia se
situe dans la norme. L'Indice de mémoire de travail se situe dans la moyenne faible
(IMT = 84) et les scores au sein de cette échelle sont hétérogènes, ce qui évoque une
fluctuation de l'attention.
Les compétences mnésiques (CMS)
L'indice de mémoire générale se situe dans la zone limite, ce qui suggère une fragilité
de certains processus mnésiques. L'indice attention/concentration se situe dans la
zone limite, ce qui suggère une fragilité des processus attentionnels, pouvant retentir
sur la qualité de la mémorisation. Les indices de mémoire immédiate se situent dans
la moyenne aussi bien en modalité visuelle que verbale, ce qui suggère que la
mémoire à court terme est préservée. En revanche, les scores sont plus faibles au
niveau de la mémoire différée, avec un score dans la moyenne inférieure en modalité
visuelle et un score très faible (déficitaire) en modalité verbale, qui suggère des
difficultés au niveau de la mémoire à long terme.
L'analyse des subtests révèle que Sonia présente des capacités dans la moyenne
pour mémoriser des visages, aussi bien à court terme qu'à long terme, ce qui montre
que face à des informations de type visages, les processus de mémorisation sont
préservés. Aux épreuves localisation de points, histoires et mots couplés, elle obtient
des scores déficitaires lors du rappel libre différé, aussi bien en modalité visuelle que
verbale, mais des scores dans la moyenne lors de la reconnaissance différée. Cela
suggère que Sonia présente des difficultés au niveau du processus de récupération
d'informations verbales et visuelles en mémoire à long terme. En revanche, le
processus de stockage est préservé puisque Sonia peut retrouver l'information
apprise en situation de reconnaissance, c'est-à-dire lorsqu'elle doit retrouver les
informations apprises parmi d'autres informations. Le processus d'encodage des
informations semble également préservé puisque l'indice d'apprentissage se situe
dans la moyenne.
Au total, les résultats suggèrent la présence d'un trouble mnésique au niveau du
processus de récupération des informations visuelles et verbales en mémoire à long
terme, sauf lorsqu'il s'agit de visages. Les résultats mettent également en évidence
une fragilité des processus attentionnels, au niveau de la capacité à soutenir et diriger
l'attention, à traiter rapidement les informations et au niveau de la mémoire de
travail, qui peuvent retentir sur la mémorisation et notamment sur la qualité de
l'encodage des informations.
L'évaluation cognitive complémentaire
Celle-ci a confirmé une fragilité des processus attentionnels, aussi bien en modalité
visuelle qu'auditivo-verbale, à l'aide d'épreuves évaluant différents processus
attentionnels.
L'évaluation des apprentissages scolaires
Celle-ci a mis en évidence une dyslexie-dysorthographie-dyscalculie.
Conclusion
L'efficience intellectuelle de Sonia se situe dans la norme, mais la jeune fille présente
un trouble cognitif spécifique au niveau mnésique et une fragilité des processus
attentionnels. Ceux-ci retentissent au niveau des apprentissages, en entraînant une
dyslexie-dysorthographie-dyscalculie. Les troubles des apprentissages retentissent
sur la confiance en soi de Sonia et génèrent de l'anxiété et des inquiétudes. Au niveau
familial, elles sont source de nombreuses tensions. Au vu du profil cognitif et des
troubles spécifiques des apprentissages, une orientation vers une Ulis peut être
proposée. Si celle-ci n'est pas possible, un redoublement du CM1 avec mise en place
d'un Projet personnalisé de scolarisation (PPS) peut être envisagé. Les aménagements
suivants pourraient être inclus dans le PPS :
▶ déterminer avec Sonia quelle est la place en classe où elle parvient le mieux à se
concentrer ;
▶ valoriser ses efforts de participation afin de renforcer la confiance en soi ;
▶ accorder un tiers temps, soit sous forme de questions en moins, soit sous forme de
temps en plus ;
▶ alléger les devoirs et les leçons en indiquant à Sonia les éléments les plus importants
à apprendre ;
▶ aider Sonia à créer des indices visuels et verbaux qui favorisent la récupération des
informations stockées en mémoire ;
▶ proposer une interrogation sous forme de choix multiples quand Sonia est en
difficulté.
À la maison, il est intéressant d'alterner des périodes de travail (15 à 30 minutes) et
des périodes de pause afin de favoriser la concentration, et donc la mémorisation,
pendant les périodes de travail. La durée des périodes de travail varie en fonction de
la fatigue de l'enfant et doit être préétablie avec l'enfant avant de commencer les
devoirs.
Des séances de remédiation cognitive sont recommandées afin d'aider Sonia à
développer des stratégies de concentration et de mémorisation et la poursuite de la
prise en charge en orthophonie est nécessaire au vu des troubles des apprentissages.
La CMS (Cohen, 2001) a été conçue pour évaluer les capacités d'apprentissage
(acquisition de nouvelles informations) et les processus de mémorisation (rétention des
connaissances acquises) des enfants et adolescents âgés de 5 à 16 ans. Cette batterie
standardisée bénéficie d'un étalonnage français et sa passation dure environ 1 heure.
Elle évalue la mémoire antérograde, c'est-à-dire la capacité à mémoriser de nouvelles
informations, mais pas la mémoire rétrograde, qui correspond à la mémoire des
évènements passés.
Elle est composée de 9 subtests, qui testent soit la mémoire auditivo-verbale
(mémoriser deux histoires, apprendre des couples de mots, apprendre une liste de
mots), soit la mémoire visuelle (apprendre un pattern de points, mémoriser des visages,
mémoriser des scènes de la vie quotidienne) soit l'attention/concentration (empans de
chiffres, manipulation mentale de séquences d'informations). La mémoire à court terme
est évaluée à l'aide de rappels libres immédiats et de reconnaissances immédiates (tout
de suite après l'apprentissage), et la mémoire à long terme à l'aide de rappels libres
différés et de reconnaissances différées (après un délai de 30 minutes). La qualité de
l'apprentissage est évaluée pour certains subtests. Pour chaque subtest, on calcule des
notes standards qui se distribuent selon une loi normale de moyenne 10 et d'écart-
type 3. On peut également calculer des scores d'échelles (indices) qui se distribuent
selon une loi normale de moyenne 100 et d'écart-type 15.
L'analyse des scores permet de déterminer si les difficultés concernent la
mémorisation d'informations verbales, visuelles ou les deux. Elle permet de repérer si
les difficultés se situent au niveau du processus d'encodage, de stockage ou de
récupération des informations. Si c'est l'encodage qui est altéré, les scores seront
déficitaires dès l'apprentissage ou le rappel libre. Si c'est le stockage, les scores de rappel
et de reconnaissance différés seront déficitaires, mais les scores d'apprentissage seront
dans la norme. Si le rappel libre est déficitaire, mais que le sujet parvient à retrouver les
informations grâce à la situation de reconnaissance, cela suggère qu'il peut encoder et
stocker les informations, mais qu'il est en difficulté pour les récupérer. À l'inverse, si le
sujet parvient à redonner les informations en situation de rappel libre, mais pas en
situation de reconnaissance, l'hypothèse d'un trouble des fonctions exécutives,
caractérisé par une sensibilité à l'interférence (difficulté à retrouver la bonne
information parmi plusieurs), peut être avancée.
La CMS comporte un indice d'attention, car l'attention est un prérequis nécessaire
pour apprendre et mémoriser. Elle est au centre de plusieurs modèles de la mémoire.
Par exemple, le modèle de mémoire de travail de Baddeley (1990) comporte un
administrateur central : celui-ci a la capacité de coordonner deux tâches (attention
divisée), de prendre en compte sélectivement une cible en inhibant les distracteurs non
pertinents (attention sélective), d'inhiber des automatismes, et de récupérer et
manipuler les informations stockées en mémoire à long terme. Ainsi, si le sujet présente
un déficit d'attention, cela retentira sur ses capacités de mémorisation. Il est donc
important de repérer un tel déficit.
D'autres facteurs tels que l'état émotionnel, la motivation, la compréhension des
consignes, influencent également la qualité de la mémorisation et nécessitent d'être pris
en compte pour l'interprétation des résultats. Par ailleurs, l'interprétation des résultats à
la CMS nécessite qu'une évaluation de l'efficience intellectuelle ait été réalisée au
préalable afin de déterminer si les troubles mnésiques sont spécifiques ou s'ils
s'inscrivent dans le cadre d'une déficience intellectuelle. Il est également intéressant
d'interpréter les résultats de la CMS à la lumière des résultats à d'autres épreuves
cognitives évaluant le langage, les troubles neurovisuels, ainsi que l'attention et les
fonctions exécutives.
Conclusion
Ces trois cas cliniques illustrent la nécessité d'une évaluation psychologique
approfondie pour proposer des aménagements scolaires ou une orientation scolaire
adaptés aux difficultés d'apprentissage des enfants ainsi qu'un parcours de soin
personnalisé.
Références
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1
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=81597
2
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=85550
3
http://www.education.gouv.fr/cid50297/la-sante-des-eleves.htmletxtmc=paietxtnp=1etxtcr=1
4
Article 1 : ELI: http://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2015/2/6/MENE1502719A/jo/article_1
5
http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=94632
6
http://eduscol.education.fr/cid46766/les-etablissements-regionaux-d-enseignement-adapte.html#2
7
http://www.education.gouv.fr/cid55632/la-lutte-contre-le-decrochage-scolaire.html
CHAPITRE 45
PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Un programme d'intervention de rétroaction vidéo pour des dyades enfant-parent
maltraitantes
Étude de cas
Conclusion
Introduction
Les problèmes d'attachement chez l'enfant constituent un problème social important,
ayant des effets potentiels néfastes à long terme sur le développement social,
émotionnel et cognitif des enfants (Moss et Lecompte, 2015). C'est un défi important de
développer des stratégies d'intervention efficaces pour les parents et leurs enfants ayant
des patrons d'attachement insécure (Moss et al., sous presse). Très souvent, les
intervenants présument que le fait de traiter les problèmes psychosociaux des parents,
tels que la dépendance à la drogue ou le stress, aura comme résultat d'améliorer leurs
habiletés parentales. Or, de tels programmes changent souvent peu le développement
de l'enfant, l'accent étant placé davantage sur le bien-être et l'adaptation du parent et
non sur les interactions parent-enfant ou la relation d'attachement qui sont au cœur du
développement de l'enfant en début de vie (Tarabulsy et al., 2008). Les parents ayant des
enfants avec des troubles de comportement sont souvent orientés vers des programmes
d'intervention didactique, qui offrent des informations sur le développement ou la
stimulation des enfants. Bien que les parents aient souvent besoin d'informations sur
certains aspects fondamentaux du développement des enfants, des approches, qui ont
souvent lieu dans le cadre de rencontres de groupe, n'ont pas produit ces changements
substantiels sur le développement de l'enfant. Certains programmes mettent l'accent sur
la stimulation du développement moteur ou cognitif, au détriment des processus socio-
émotionnels. À titre d'exemple, une mère avec laquelle nous avons eu du succès
subséquemment en utilisant l'approche de rétroaction vidéo avait participé à un groupe
d'intervention axé sur la stimulation des enfants qui lui avait été imposé par le tribunal.
Lorsque nous avons observé ses interactions avec son enfant âgé de 2 ans, nous avons
constaté qu'elle s'engageait dans un monologue auprès de son enfant, sur les couleurs et
les objets qu'elle lui présentait pour le stimuler. Comme elle n'avait jamais appris à être
en synchronie affective avec son enfant, à suivre son intérêt et à s'investir dans des
interactions réciproques, il y a eu peu d'impact sur le développement du langage ou les
habiletés conceptuelles de ce dernier. La mère était devenue de plus en plus frustrée
face aux difficultés d'apprentissage de son enfant, ce qui a contribué à augmenter son
niveau d'hostilité et d'intrusion à son égard, en plus d'augmenter son propre sentiment
d'impuissance dans son rôle parental. Nous percevons son comportement d'intrusion et
de stimulation à l'égard de son enfant comme étant un reflet du type d'intervention
auquel elle avait été exposée.
L'intervention précoce auprès des dyades parent-enfant avec un attachement insécure
est donc cruciale afin de prévenir l'émergence de symptômes de psychopathologie et
rediriger le développement vers des trajectoires plus positives. La théorie de
l'attachement constitue un modèle solide sur le plan théorique permettant d'encadrer le
développement de programmes d'intervention pour cette population. Tel que rapporté
précédemment (Juffer, Bakermans-Kranenburg et van IJzendoorn, 2008), la réussite de
stratégies d'intervention à court terme portant sur l'attachement a été démontrée pour
différentes populations à risque.
En 2011, nous avons développé une intervention à court terme portant sur
l'attachement visant à augmenter le niveau de sensibilité parentale, améliorer la sécurité
de l'attachement chez l'enfant et réduire la fréquence d'attachement désorganisé chez les
enfants (Moss, Dubois-Comtois, Cyr, Tarabulsy, St-Laurent et Bernier, 2011). Le
développement et la mise en œuvre de ce programme ont été rendus possibles grâce à
une subvention du Centre national de prévention du crime (CNPC), en collaboration
avec le ministère de la Sécurité publique du Québec et les Centres jeunesse de
Lanaudière. Le programme, maintenant implanté au Québec auprès de diverses
populations de parents et d'enfants en difficulté, a d'abord été évalué avec des parents
maltraitants. Ce programme d'intervention de 8 semaines est pertinent pour les
chercheurs et cliniciens, car il s'agit du premier programme à court terme fondé sur les
principes de l'attachement qui s'est avéré efficace pour améliorer la sensibilité parentale,
augmenter la sécurité d'attachement et diminuer l'attachement désorganisé chez des
dyades parent-enfant ayant fait l'objet d'un suivi par les services sociaux pour
maltraitance.
Étant donné qu'un plus grand nombre d'enfants sont référés en clinique à l'âge
préscolaire comparativement à la période de la petite enfance – en partie à cause de
l'augmentation de problèmes de comportement agressif et de la difficulté des parents à
composer avec les différents enjeux de discipline et d'encadrement avec les enfants de
cet âge – le programme a été conçu afin de cibler un groupe d'âge assez large, soit les
enfants âgés de 1 à 5 ans. Nous avons démontré l'efficacité du programme au plan
empirique. Dans les prochaines sections, nous présentons des informations sur la
conception du programme et son implantation qui sont susceptibles d'intéresser les
cliniciens. De plus, une étude de cas est présentée afin d'illustrer son application auprès
de dyades parent-enfant suivies par la protection de la jeunesse.
La supervision
Selon notre expérience, les intervenants qui ont du succès dans l'utilisation de la
rétroaction vidéo avec leurs clients ont besoin d'un type particulier de supervision, qui
permet de modeler le rôle qu'ils auront auprès de leurs clients. Ainsi, nous
recommandons que les intervenants visionnent leurs bandes vidéo sur une base
hebdomadaire en compagnie d'un intervenant d'expérience qui peut les aider à
examiner le contenu des séquences sans porter de jugement. L'expérience de faire appel
à un pair qui agit comme base de sécurité peut s'avérer précieuse en enseignant au
nouvel intervenant comment mieux accompagner un parent durant la période de
rétroaction vidéo. Le superviseur pourra également suggérer à l'intervenant des
stratégies permettant à certaines dyades d'aller de l'avant, particulièrement lorsque le
processus semble stagner. En fait, nous avons découvert que la quatrième ou la
cinquième semaine du programme de 8 semaines s'avère généralement un moment
durant lequel le processus de changement s'accélère. À cette étape, une alliance
thérapeutique a généralement été établie et les parents ont une meilleure idée du
fonctionnement et l'utilité de la technique de rétroaction vidéo.
Étude de cas
La mise en contexte
Sylvie est la mère d'un petit garçon, Pierre, qui est âgé de 2 ans ½ au début de
l'intervention. Elle nous a été référée par les intervenants de la protection de la jeunesse,
car ils estiment qu'elle peut bénéficier de l'intervention de rétroaction vidéo parce
qu'elle a récemment récupéré la garde de son enfant. Au moment de l'étude, Sylvie doit
habiter avec sa propre mère, dans un contexte où elle doit partager la garde de son
enfant avec celle-ci, car les autorités l'ont évaluée comme n'étant pas apte à protéger
seule son fils, ce dernier ayant subi de l'abus de la part du père biologique. Le père, qui
a été incarcéré pour ce délit, a un droit de visite mensuelle supervisée avec Pierre
pendant la durée de l'intervention. Les évaluations pré-test révèlent que Sylvie a un
faible score de sensibilité maternelle (évalué par le biais du Tri-de-cartes du
comportement maternel ; Pederson et Moran, 1995) et que Pierre montre un niveau
clinique de symptômes de comportement intériorisé selon la mesure de Achenbach et
Rescorla (2000).
Séances 1 et 2
Tel que prescrit dans le protocole d'intervention pour la première visite à domicile,
l'intervenante et la mère entament la séance avec une discussion d'une vingtaine de
minutes. Durant l'échange, Sylvie mentionne qu'elle n'a pas apprécié avoir été obligée
de partager la garde de son enfant avec sa mère, qui se montre très critique à son égard.
Sylvie mentionne qu'elle a de la difficulté à se percevoir dans un rôle parental. À un
certain moment, elle note : « Je me sens davantage comme une sœur que comme une
mère pour Pierre ». Lorsqu'on lui demande ce sur quoi elle aimerait travailler durant les
séances d'intervention, Sylvie identifie les thèmes suivants comme étant des domaines
dans lesquels elle a le sentiment d'avoir des faiblesses : la discipline et l'encadrement de
son enfant, la gestion de sa propre colère et les connaissances des besoins
développementaux de son enfant.
À la suite de la brève discussion, l'intervenante choisit une activité ouverte pouvant
servir de contexte d'observation pour permettre l'évaluation de l'interaction entre Pierre
et Sylvie. L'intervenante leur présente de la pâte à modeler, un petit rouleau à pâtisserie
et des moules à biscuits, et leur demande de fabriquer quelque chose ensemble. Dans ce
contexte, l'intervenante observe que la mère est extrêmement préoccupée par sa propre
activité durant la séance, avec seulement de brefs regards occasionnels vers son fils. Les
deux jouent en parallèle, de manière assez indépendante. Lors des quelques occasions
où Sylvie interagit avec Pierre, c'est uniquement pour lui demander de faire la même
chose qu'elle avec la pâte à modeler, bien qu'elle ne lui ait pas montré d'une manière
sensible, ajustée à son niveau de développement, comment procéder. La mère adresse
quelques commentaires occasionnels à l'enfant, plus particulièrement lorsqu'il se
conforme à ses demandes. Pierre se lève fréquemment de la table pour se promener
dans la pièce ou pour regarder la caméra, ce qui semble déranger Sylvie, mais elle ne
fait rien pour ramener Pierre à se concentrer sur la tâche. À un certain moment, tandis
qu'il s'amuse avec la pâte à modeler, Pierre dit : « Pain, pain… », afin de nommer ce
qu'il tente de faire. La mère regarde Pierre d'un œil désapprobateur en disant :
« Ouache, ce n'est pas du pain ». Peu de temps après, Pierre se lève à nouveau pour se
promener dans la pièce.
À la suite de la visite, l'intervenante note les forces et les faiblesses de la relation
mère-enfant en vue de concevoir un plan d'intervention. Du côté positif, la mère paraît
engagée par moments, elle tente de démontrer à son fils comment façonner différents
objets et elle émet à l'occasion des commentaires positifs sur ce que Pierre est en train de
faire. Toutefois, ces comportements se produisent à un rythme relativement peu
fréquent durant la période d'interaction de dix minutes. Concernant les faiblesses,
l'intervenante note l'insensibilité générale de la mère pour ce qui est de communiquer
de manière ouverte avec son enfant et lui fournir une base sécurisante pour son
exploration. Il y a, en général, un faible niveau d'engagement dyadique dans des
activités communes. De plus, Sylvie invalide les efforts de Pierre à plusieurs reprises.
Elle semble également impuissante lorsque Pierre se désengage de la tâche et elle ne
semble pas avoir de stratégie pour l'amener à reprendre l'activité avec elle. La mère et
l'enfant ne se regardent presque jamais, ne partagent presque aucune émotion
ensemble, se sont très peu engagés dans une forme de communication minimale. On
constate que Pierre ne peut communiquer clairement ses besoins à sa mère et qu'il ne
peut compléter la tâche tout en demeurant près d'elle.
Durant la rétroaction vidéo, afin d'aider l'émergence de plus de synchronie affective
et davantage de réciprocité, l'intervenante positionne la vidéo sur chaque manifestation
d'une émotion positive d'un partenaire envers l'autre, ou chaque fois qu'il y a un plaisir
partagé (par exemple, Sylvie et Pierre se sont regardé tous deux et ont esquissé un
sourire). À cette étape de l'intervention, de tels moments sont rares, mais il est
important de les identifier et de les souligner. L'intervenante pose les questions
suivantes à la mère au moment du visionnement de chacun de ces segments vidéo :
« Que ressentiez-vous et qu'aviez-vous envie de faire ? Comment Pierre se sentait-il et
qu'avait-il envie de faire ? » L'intervenante arrête la vidéo également lors des séquences
où l'enfant manipule le matériel de jeu suite à une suggestion de la mère ou lorsque
Sylvie observe l'activité de Pierre et émet un commentaire positif. Pour renforcer l'idée
que l'enfant désire l'implication de sa mère et a besoin de son aide, l'intervenante
demande : « Pourquoi croyez-vous que Pierre semble s'amuser autant ? » À ce moment,
Sylvie collabore bien avec l'intervenante et exprime le désir de poursuivre les séances
d'intervention.
Séance 3
Durant la période de discussion, Sylvie demande qu'on aborde la question de la
discipline. Elle partage également son inquiétude que Pierre puisse avoir un problème
de langage, parce qu'il ne parle pas beaucoup et qu'il a de la difficulté à prononcer
certains mots. Afin de faire le lien entre ces préoccupations de la mère et l'objectif de
l'intervenante que la mère puisse avoir une meilleure compréhension des besoins
développementaux de son enfant, l'intervenante aborde la question de l'autonomie chez
l'enfant. L'intervenante souligne l'importance de laisser aux enfants de l'âge de Pierre
une certaine autonomie pour prendre des décisions (par exemple, le choix des jouets) et
de l'encourager à exprimer ses sentiments à l'aide de mots. Une discussion sur ce que
l'enfant pourrait avoir envie d'exprimer est utilisée afin de rendre ces idées plus
concrètes.
L'intervenante décide d'utiliser un casse-tête comme jeu pour l'activité dyadique. Afin
d'aider la mère à centrer davantage son attention sur Pierre et à réagir de manière plus
sensible à son égard, l'intervenante donne les directives suivantes pour la séance de jeu :
« Observez l'enfant, suivez son rythme et répondez s'il a besoin de vous. Regardez votre
enfant jouer et ne répondez que s'il a besoin d'aide. » Durant la période d'observation
de la séance de jeu, l'intervenante note que la mère éprouve des difficultés à ne pas être
intrusive à l'égard de son enfant et à ne pas contrôler l'interaction. Durant la rétroaction
vidéo, chaque fois que Sylvie émet un commentaire positif sur l'activité de Pierre ou
souligne ses initiatives de manière sensible, l'intervenante arrête la vidéo sur ces
segments et utilise des questions semblables à celles mentionnées plus haut afin de
sensibiliser la mère à l'importance de ces évènements. À un certain moment, alors que
Pierre éprouve de la difficulté à insérer une pièce du casse-tête, il se tourne vers sa mère
(il s'agit de la première fois où l'enfant demande l'aide de sa mère depuis le début des
séances d'intervention). Dans la séquence filmée, Sylvie ne répond pas à cette initiative
de Pierre. Bien que l'objectif de la rétroaction vidéo soit généralement de souligner
uniquement les comportements positifs et les interactions synchrones durant les
premières séances, l'intervenante sent ici que c'est un moment opportun pour souligner
et aborder des éléments qui avaient déjà été abordés dans le cadre des discussions
précédentes. Elle arrête la bande vidéo (lorsque l'enfant se tourne vers sa mère) et
demande : « Quelle était l'intention de Pierre dans ce geste ? » Sylvie répond : « Il
voulait que je lui vienne en aide. » L'intervenante demande alors : « Comment auriez-
vous pu lui apporter votre aide ? » Sylvie ne répond pas. Afin de ne pas laisser la mère
dans un état d'impuissance, ou mettre l'accent sur ses inaptitudes, l'intervenante offre
alors une suggestion : « La prochaine fois où il se tourne dans votre direction, vous
souhaiterez peut-être lui suggérer quelques idées de ce qu'il pourrait faire avec le
jouet ». Ici, l'intervenante constate que la stratégie d'aider la mère à observer son enfant
et à répondre à ses initiatives semble fonctionner.
Séance 4
Durant la brève discussion du début de la séance, l'intervenante utilise les questions
suivantes afin de sonder et encourager la mère à commencer à assumer sa
responsabilité de maintenir les changements en dehors des séances d'intervention :
« Comment les choses se sont-elles passées durant la semaine ? Avez-vous appris
quelque chose de nouveau au sujet de Pierre ? Les activités de jeu se sont-elles bien
déroulées ? Pourquoi ces dernières se sont-elles bien passées ou non ? » La mère semble
comprendre le concept de « réponse sensible aux signaux de l'enfant » et elle est plus
confortable avec l'idée de permettre à l'enfant d'être plus autonome. Sylvie souligne
qu'elle a beaucoup plus de plaisir à jouer avec Pierre et elle semble mieux comprendre
comment un parent peut venir en aide à son enfant dans son exploration et son jeu. La
mère demande de pouvoir parler de discipline. Elle décrit Pierre comme « faisant
continuellement ce qu'il veut ». L'intervenante aborde l'importance d'établir des
routines telles que des heures de repas et de coucher régulières. Elle encourage la mère
à établir un horaire qui lui permettrait de répondre à ses propres besoins autant qu'à
ceux de Pierre.
Pour l'activité dyadique filmée, l'intervenante choisit une activité de construction
commune (Monsieur Patate). Durant l'activité, Sylvie démontre qu'elle a acquis
l'habileté de répondre avec sensibilité aux initiatives de son enfant. Plus fréquemment,
la mère et l'enfant manifestent du plaisir et on observe un certain nombre d'échanges
affectifs positifs. Il est évident pour l'intervenante que la mère et l'enfant éprouvent
beaucoup de plaisir ensemble. À un certain moment durant l'activité, Sylvie exprime
qu'elle est fière de Pierre. Tout au long du jeu, Pierre est clairement plus actif dans sa
manière d'explorer le jouet qu'il ne l'avait été durant les séances précédentes.
L'intervenante sent que Sylvie est plus à l'aise avec l'autonomie grandissante de son fils
et qu'elle peut agir en tant que base sécurisante pour son enfant dans le cadre de son
exploration. Au moment de la rétroaction, l'intervenante arrête la vidéo à de
nombreuses occasions sur des épisodes de sourires partagés et de renforcement verbal
de la part de la mère. Ces éléments se produisent maintenant à une fréquence plus
régulière. Durant ces moments, Sylvie parle plus aisément du plaisir qu'elle a avec son
enfant et de la fierté qu'elle ressent à son égard. Elle reconnaît les changements dans la
communication de son enfant à son égard et dans l'intérêt qu'il manifeste pour jouer
avec elle. Dans ce cadre, l'intervenante sent qu'une bonne alliance thérapeutique a été
établie avec la mère. Avant de terminer la séance, elle suggère à Sylvie de viser à rendre
les périodes de bain (et autres moments du quotidien) plus amusantes et d'établir un
horaire qui inclut une certaine routine pour les couchers. La mère et l'intervenante sont
d'accord sur le fait que l'intervention progresse rapidement.
Séance 5
Sylvie ouvre la période de discussion en demandant de parler du sujet de l'estime de
soi. Dans le but d'amorcer une conversation sur le rôle des figures d'attachement pour
offrir du soutien dans différentes situations, l'intervenante demande à Sylvie : « Est-ce
qu'il y a quelqu'un qui vous fait sentir spéciale, unique ? » Sylvie répond : « Ma mère ne
m'a pas fait sentir comme si j'étais unique, mais maintenant mon copain est là pour
moi. » L'intervenante poursuit sur cette idée en discutant de l'importance des parents
dans le fait de se sentir unique et valorisé et elle tente de rendre la discussion plus
concrète en demandant : « Comment pouvez-vous communiquer à Pierre que vous êtes
fière de lui et que vous aimez être avec lui ? » Elles discutent de l'importance
d'encourager l'enfant, de lui dire qu'il fait bien les choses et de souligner de manière
positive ses accomplissements.
L'intervenante choisit une activité dyadique de « lecture ouverte » afin d'encourager
la proximité et la communication verbale dans la dyade. Sylvie est invitée à raconter
une histoire, tandis que Pierre feuillette un livre avec des images de parents et d'enfants
qui participent à différentes activités et partagent différentes émotions. L'intervenante
note que, durant l'activité, Sylvie est systématiquement plus engagée envers Pierre que
lors des premières séances, mais pas toujours d'une manière qui respecte son rythme
naturel. Toutefois, bien qu'elle semble avoir de la difficulté à demeurer sensible dans ses
réponses dans ce contexte non structuré et plus intime, elle démontre qu'elle a vraiment
intégré l'idée du renforcement positif en l'utilisant souvent pour souligner les
accomplissements de Pierre. Durant la rétroaction, l'intervenante a arrêté la vidéo sur
les images montrant une réelle proximité et un plaisir partagé. Sylvie réagit bien devant
les images d'elle-même comme étant une source de réconfort pour Pierre et celles de
Pierre qui manifeste qu'il apprécie cette proximité.
Séance 6
Durant cette séance, Sylvie demande de poursuivre la discussion sur l'estime de soi.
L'intervenante sent que la mère fait beaucoup de progrès dans sa capacité de voir les
liens entre ses propres sentiments de confiance dans son rôle de parent, ses nouvelles
capacités parentales et la confiance accrue de son enfant en lui-même. Dans ce contexte,
l'intervenante continue d'utiliser les sentiments de sécurité et de dépendance de Sylvie
envers son copain comme une métaphore pour l'aider à comprendre les besoins
d'attachement de Pierre. Sylvie reconnaît les changements positifs dans l'expression
émotionnelle de Pierre, sa nouvelle disposition à lui demander de l'aide, ainsi que son
plus grand engagement et son autonomie accrue dans le jeu. L'intervenante aide la mère
à faire un lien entre ses observations et l'amélioration dans l'estime de soi de Pierre,
rendue possible par une plus grande ouverture de sa part aux initiatives de ce dernier et
à son soutien dans ses activités et ses accomplissements.
L'intervenante choisit une activité conjointe de blocs de construction. Sylvie invite
Pierre à jouer avec elle. Durant la rétroaction, l'intervenante souligne de nombreux
épisodes positifs qui témoignent de la consolidation de la sensibilité interactive chez la
mère. Elle est positionnée face à son fils, suit du regard ses activités, offre une certaine
structure à l'activité sans la contrôler et ramène Pierre à poursuivre la tâche sans se
montrer négative.
Séance 7
Pour cette séance, l'intervenante propose une activité conjointe de maquillage. Il s'agit
d'une activité qui représente un défi important pour les dyades ayant un historique de
maltraitance, car elle peut susciter des angoisses et des craintes liées à des expériences
passées effrayantes qui, comme cette activité, ont impliqué un contact physique et de
l'intimité. Pour ces raisons, cette activité n'est introduite que vers la fin des séances
d'intervention. Au début, l'interaction ne se déroule pas aussi bien que durant la séance
précédente. Sylvie se montre trop contraignante en essayant de maquiller son fils. Elle
se montre intrusive et, dans ce contexte, Pierre cherche systématiquement à éviter et à
résister aux efforts de sa mère de le maquiller. Ce modèle d'intrusion/évitement n'a pas
été observé depuis plusieurs semaines. À un certain moment, Sylvie devient très
frustrée, se tourne vers l'intervenante et lui dit : « Il ne m'aime pas. » L'intervenante
répond simplement : « Suivez son élan. » Sylvie s'apaise et elle tend le pinceau à Pierre.
Elle lui permet de peindre son visage durant un moment, au grand plaisir de son
enfant. Rapidement, elle partage le plaisir de son garçon et le niveau de synchronie
interactive augmente pour le reste de la période de jeu.
Bien qu'il y ait un recul évident au début de la séance, sans doute attribuable à la
difficulté de la tâche, mais aussi peut-être à cause de la fin imminente du programme
d'intervention, la séance permet de mettre en évidence le progrès qui a été réalisé dans
les dernières semaines. En se tournant vers son intervenante et en verbalisant ses
sentiments lorsqu'elle ressent que son enfant la rejette, suite à ses propres
comportements intrusifs, Sylvie démontre qu'elle peut maintenant se tourner vers une
personne de confiance pour obtenir du soutien. Plus important, en persévérant dans son
interaction avec Pierre, au lieu de se retirer comme elle l'avait fait lors de la procédure
de séparation-réunion au moment du pré-test, elle démontre qu'elle peut désormais se
concentrer sur les besoins de son enfant, tout en gérant ses propres insécurités
personnelles. Cette séance illustre bien l'objectif de l'intervention de rétroaction vidéo à
court terme fondée sur l'attachement. L'intervenante ne répond pas aux remarques de
Sylvie liées au fait qu'elle ne se sent pas aimée en l'invitant à explorer davantage ses
propres expériences et ses représentations ; elle l'aide plutôt à recentrer ses efforts sur la
restauration de la relation avec Pierre. De nombreux parents avec un historique de
maltraitance devront composer avec des défis psychologiques pour le reste de leur vie
sur le plan de la régulation émotionnelle et des enjeux liés à l'estime de soi durant les
périodes de stress. Bien qu'une psychothérapie puisse être bénéfique pour plusieurs
d'entre eux, ils doivent acquérir à court terme des habiletés parentales efficaces afin de
fournir à leur enfant un environnement qui soit favorable à son développement.
Séance 8
Au cours de la dernière séance, l'intervenante prépare la conclusion de l'intervention en
célébrant avec Sylvie les progrès qu'elle a faits dans la compréhension des liens entre
ses propres sentiments et comportements et ceux de Pierre, ainsi que dans sa façon d'y
répondre de manière plus sensible. Sylvie amorce également une discussion touchant
les épisodes négatifs et les comportements alternatifs qu'elle aurait pu adopter. Lors des
premières séances, toute discussion concernant des évènements négatifs amenait
souvent Sylvie à se dénigrer elle-même ou à dénigrer son fils. L'intervenante a
maintenant plutôt l'impression que Sylvie a acquis une nouvelle compréhension
fonctionnelle des relations d'attachement et qu'elle était désormais en mesure de
maintenir ses nouvelles habiletés parentales sans le soutien de son intervenante. À la fin
de la séance, Sylvie dit : « J'ai appris à être une mère et à ressentir la joie d'être une
maman. Je suis plus consciente des besoins de mon fils. Je peux l'encadrer et lui fournir
des soins quotidiens plus appropriés. Pierre est plus calme. J'ai davantage confiance en
moi et en lui également. J'aime beaucoup jouer avec lui. »
Conclusion
En conclusion, cette étude de cas illustre comment la rétroaction vidéo peut être utilisée
de manière efficace auprès de dyades parent-enfant ayant un historique de
maltraitance. Ces changements observés sur le plan de la sensibilité maternelle, de la
sécurité et de l'organisation de l'attachement, ainsi que dans les manifestations de
troubles de comportement, suite à une courte intervention fondée sur les principes de
l'attachement sont d'une importance théorique et clinique considérable. Sur le plan
théorique, le fait qu'une intervention centrée sur la sensibilité parentale puisse conduire
à des changements dans l'attachement de l'enfant est cohérent avec le lien maintes fois
documenté entre la qualité des réponses et de la sensibilité parentale et l'attachement de
l'enfant. Ces résultats apportent également un appui aux données de recherche qui
soulignent l'importance de la sensibilité parentale comme agent de promotion d'un sain
développement auprès de diverses populations. Davantage d'études sont nécessaires
afin de déterminer si les effets positifs de l'intervention présentement observés à court
terme concernant la sécurité et l'organisation de l'attachement et la diminution des
symptômes de troubles de comportement se maintiennent à plus long terme. De telles
recherches pourraient aider les intervenants à réduire le risque développemental et de
santé auquel sont exposés les enfants maltraités.
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1
Toute correspondance concernant cet article et toute demande d'informations sur le programme d'intervention qui y
est décrit doivent être adressées à Ellen Moss, Département de psychologie, Université du Québec à Montréal, C.P.
8888, Succ. Centre-ville, Montréal, Québec, Canada, H3C 3P8. Courriel : moss.ellen@gmail.com.
Index des termes
A
ABA 314
Abstraction 111–114
Abus 141, 289, 300, 344, 350, 368, 427, 487
émotionnel 365
physique 363–364, 421–422
psychologique 363, 421–422
sexuel 363, 365, 421–422
Accommodation 4–5
Acculturation 46, 358
cognitive 47
modèle
bidimensionnel 47
interactif 47
unidimensionnelle 47
Actes de parole situés 167
Action 163–164
motrice 231
Activité
électrodermale 444
gestuelle 118
professionnelle 267
Addiction 178, 293, 393
Adolescence 7, 15, 69, 71–72, 140, 156, 340, 383–390, 397
Adoption 403, 420, 428
Adult Attachment Interview (ou AAI) 402, 404, 450
Adulte 7, 148
émergent 400
Affiliation sociale
besoin d' 200
Âge gestationnel 327
Agitation 356
Agoraphobie 343
Agressions 359
Agressivité 140, 356
Alcool 357, 384
Alzheimer (maladie d') 411–412
Amitié 140, 175
AMMI. Voir Attachment Multiple Model Interview 450
Amygdale 385, 387
Analogie 28, 173–182
Anxiété 293
de séparation 341
généralisée 343
sociale 341
Apprentissage 31, 58, 150, 227–236, 334, 391
cognitivo-comportemental 32
multi-sensoriel 228
opérant 32
social 32
Apprentissages
scolaires 197
Approche
biomédicale dominante 412
éco-culturelle 43
incarnée 159
intégrative 164, 167
systémique 35
Assimilation 4–5, 174, 177
Attachement 139, 174, 331, 437–440
à l'adolescence 397
anxieux ou insécure 27, 365, 404, 481, 483
comportements 25
désorganisé/désorienté 27, 289, 365, 482–484, 487
évitant 27, 398
préoccupé 398
sécure 27, 367, 403–404, 483
stratégie 401
style 27, 402
système 26
comportemental 25
hyperactivation 27
inhibition 27
Attachment Multiple Model Interview (ou AMMI) 450, 463
Attachment Story Completion Task (ou ASCT) 463
Attention 331, 392
conjointe 123
Attribution 175
d'intentions 29, 33, 293, 401, 448
Audition 330
Autisme 283, 329
hypothèses
cognitives 285
génétiques 284
neurobiologiques 285
STS 285
testostérone 284
Autodétermination
besoin d' 200
théorie de l' 197, 199
Autonomie 398
Autorégulation 71
AVI 367
B
Babillage 122
Base de sécurité 26, 291, 398, 439, 483
BECS 313
Besoin
d'affiliation sociale 200
d'autodétermination 200
de compétence 200
Biais de raisonnement 145
Bilan psychologique 467
C
Cannabis 384
Capacités
de discrimination 121
de métacompréhension 240
Catégories 176
syntaxiques 127
CBCL 449
Célibat 402
Centres de référence pour les troubles du langage et des apprentissages 259
Changements neurobiologiques 385
CHC 455
Child Behavior Checklist (ou CBCL) 449
Cognition
antisociale 359–360
incarnée 159, 164, 227, 232
située 159
sociale 135, 164
Cohésion 36
Colère 293
Communication 117–118
mère-bébé 375
précoce 160
référentielle 123
située 165
Compétence
besoin de 200
Compétences sociales 193
Complexité 70
Comportements
antisociaux 356, 393
à risque 401
Compréhension 126, 238
Compreneur, faible 239
Concentration 392
Concepts 126
Conditionnement
classique 31
opérant 444
Conductance cutanée 358
Confiance 403
épistémique 28
Conflits 37
Conformisme social 387
Congruence 254
Connaissance
des lettres 227–230, 232–233
naïve 218–223
précoce 8
textuelle 241
Connexionnisme 64
réseaux
autosupervisés 67
non supervisés 67
supervisés 67
supervision 67
unités d'entrée 66
Conscience
de soi 19
réflexive 293, 404
Conservation de la substance 441
Constructivisme 3
accommodation 4
activité opératoire 4
adaptation 4
assimilation 4
équilibration 4
stades du développement
opérations concrètes 6
opérations formelles 6
stade sensori-moteur 5
Contexte 35, 76
social 386
Contingence sociale 380
Contraintes écologiques 405
Contrastes phonétiques 121
Contrôle cognitif 385
Coordination 331
tonico-posturale 163
Coparentalité 36
Copie de lettres sur papier 230
Cortex
cingulaire 283
orbitofrontal 385
préfrontal 283, 387
latéral 385
ventromédian 389
temporal médian 283
Crèche 421, 424
Crise d'adolescence 398
Croyances morales 359
Culpabilité 356
Culture 41–42, 80
Cyber-harcèlement 394
D
Décodage 230
Déficience intellectuelle 358
Déficit cognitif 364
Démence
à corps de Lewy 411
frontotemporale 411
Dépression 356
anténatale 376
Dessin 186
Déterminants du développement 63
Développement 117, 145, 343
coordonné 160
de soi 45
du langage 391
du raisonnement 440
imitation 97
motricité 94
perception
audition 93
olfaction 94
toucher 93
vision 93
précoce 167
préhension 98
prénatal 26
psychomoteur. See Développement sensori-moteur
sensori-moteur 91, 160
socio-émotionnel 83
Développement neuro-cognitif 364
Différenciation 399
Dissonance cognitive 359
Divorce 37, 179
Dopamine 282
Dys 259
Dyslexie 332
Dyspraxie 332
Dysthymie 339
E
Early Start Denver Model 314
Échanges
sociaux 120
verbaux 129
vidéo 392
École 203, 210, 213, 217, 223, 268–269, 300, 334, 355, 358, 420–421, 424, 427, 447, 467, 470,
474
élémentaire 242
maternelle 194
primaire 195, 237
Écologie du développement 43
Écrans 391
Écriture 229, 232
manuscrite 230
EDEI-R 313
EEG 446
Effet
cliquet 21
Flynn 464
Efficacité 368
Émotions 119, 146
Empathie 137, 293, 356
Empirisme 53, 56
Enculturation 81
Enfant 7
adopté 368
imaginaire 404
Entraînement 229, 231
multi-sensoriel 230, 232
Entretien 5, 178, 223, 263–264, 268, 299, 302, 306, 333, 402, 449–450, 463–465, 467, 470–
471, 473, 475–476
Environnement 118
numérique 392
scolaire 421
Épidémiologie 327
Épigenèse 160, 405
Équilibration 4
Érea 469
Estime de soi 28, 203, 292
Établissements régionaux d'enseignement adapté 469
Étude
longitudinale 29, 174–175, 402
rétrospective 402
Évaluation 298
Événement
impossible 52
improbable 52
Évolutionnisme 25
Exclusion défensive 29
Exclusivité mutuelle 127
Expérience 117
graphomotrice 233
haptique 233
sensorielle 159, 161
traumatisante 366
Expertise 108, 112, 254
Exploration 291, 400, 406
audiovisuelle 228
graphomotrice 227–228, 230
haptique 227–229, 231
kinesthésique 227–228, 230
visuo-haptique 230
Explosion lexicale 129
Extension catégorielle 177
Eye-tracking 445
F
Facteurs
de protection 366
de risque 357
génétiques 405
Famille 35
cycle de vie 399
d'accueil 426
enchevêtrée 399
homoparentale 38
recomposée 38
rigide 399
Feed-back 201
Fiction 192
Figure de Rey 461
Flexibilité 36
Fonction
exécutive 151, 207
inhibition 152
symbolique 186
Fonctionnement réflexif 136
Formalisme 275
Format
d'action
partagée 123, 128
ritualisé 124
d'échange 119
Fœtus 118
Frontières 399–400
G
Génétique 283
Gestes 162, 167
de pointage 166
Go-NoGo 385
Graphèmes 228
Grossesse 375
H
Habileté
phonologique 230
sociale cognitive 360
Habituation 52, 57, 330, 442
Hallucinations 357
Handicap 297, 331
intellectuel 298
Harcèlement scolaire 332, 359
Havre de sécurité 26, 291, 439
Héritage social 42
Hétérochronie développementale 20
Histoires d'attachement à compléter 402
Homéostasie 198
Hyperactivité. See TDAH
Hyperémotivité 357
Hypothèse des marqueurs somatiques 388
I
IDDEES 314
Idées délirantes 357
Identification à l'agresseur 359
Identité 399–400
Image
de soi 485
mentale 127
IME 469
Imitation néonatale 119
Immigration 358
Impulsivité 357
Incarnation 113
Indices prosodiques 118
Inférence 107–108, 111, 238
Influences institutionnelles 268
Innéisme 51, 117
Institut
médico-éducatif 469
thérapeutique éducatif et pédagogique 469
Institutionnalisation 267–269
instituant 273
institué 273
Institutions scolaires 267–276
Instruction graphomotrice 231
Instruments psychologiques 18
Intégratif 159, 162
Intégration 160, 163
des modalités 159
Intelligence 44, 51, 54, 91
artificielle 79
sensori-motrice 159
Interaction 117–118, 335
de tutelle 21
format 123
parent-enfant 392, 422
précoce 377
protoconversation 379
sociale 119
Intersubjectivité 80, 119, 163, 167
secondaire 123
Intervention 481
parent-enfant 367
IRM fonctionnelle 446
ITEP 469
J
Jeu 124
de fiction 188
symbolique 186
vidéo 392
Jugement moral 154
K
KABC-II 458
L
Langage 117–134, 139, 334
Langue maternelle 121
Lecture 227–229, 231, 233, 237, 358
Lecture-écriture 227–236
Lettres 227, 229, 231
manipulation 230
Lexical 118
Lexique 118, 127
Lien
mère-enfant 25
taxinomique 127
Linguistique 117
Lire-écrire 227
Locus de causalité 200
Loi du développement
céphalo-caudal 95
proximo-distal 95
M
Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) 468
Maladie 405
Maladie d'Alzheimer 411–412
Maltraitance 290–291, 293, 357, 363
Manipulation d'objet 99
Marqueur somatique 389
MCI. See Trouble cognitif léger
MDPH. See Maison départementale des personnes handicapées
Mécanismes de développement 63
Mémoire 228–230, 232–233
fœtale 94
Mémoire de travail (ou MdT) 457
Mensonge 355
Mentalisation 135–136, 138
Méta-analyse 329
Métaphore conceptuelle 217, 219
Méthode
Kangourou 93
spécifiques au bébé 442
Mild Cognitive Impairment. See Trouble cognitif léger
Milieu social 329
MIO. See Modèle interne opérant
Modalité haptique 229
Modèle
de développement 63
de situation 238
dynamique
attracteur 71
bifurcation 71
variabilité 70
interne opérant (MIO) 28, 173, 292, 401, 403, 463
mental 252–254
structuro-sémantique 74
tacite 217, 219
Modélisation 64
Monoparentalité 402
Monotropie 25
Motherese 120
Motivation 197
extrinsèque 200
intrinsèque 200
Motricité 91
libérée 95, 98
Mots 117–118
grammaticaux 127
sens 126
Multi-sensorialité 227–229, 231, 233
Multitâche 392
Mutisme sélectif 341
N
Nativisme 117
état initial 52
pauvreté du stimulus 55
Négligence 141, 290–291, 363, 421, 487
Néo-constructivisme 56
NEPSY-II 460
Neuroconstructivisme 64, 69
Neurones miroirs 97
Niche de développement 43, 327
Nouvelle échelle métrique de l'intelligence 20
O
Objet entier 127
Observation
contrôlée 438
naturaliste 437
Olfaction 330
Outils
d'évaluation 242
de diagnostic du TSA
ADI-R 312
ADOS-R 312
CARS 312
PEP 3 313
PEP-R 313
numériques 391
P
PAI. See Projet d'accueil individualisé
Pairs 140
Paradigme
sociocognitif 199
Paradoxe de l'apprentissage 7
Parentalité 400, 402, 405
prématurité 377
Parole 117
Partenaire social 120
Partenariat à but corrigé 398, 484
Pauvreté 420
PECS 315
Pédagogie naturelle 82
Pensée 117
analytique 46
intuitive 6
Perception 57, 91, 163–164
et production 166
haptique 228
Père 25, 402
Permanence de l'objet 54–55, 58
Personnalité 17
Personnalité antisociale 356, 359
Perspective
comparative 20
historico-culturelle 21
Peur 32
Phobie 32
Phobie spécifique 341
Phonèmes 228
Phonologie 122, 129, 227–229, 231, 233
Piaget, Jean 188
stades du développement 5
sujet épistémique 4
théorie constructiviste 91
Placement 366, 403, 420, 426
Plainte mnésique 473
PM 38 459
Posture 95
Potentiels évoqués 446
PPS 468
Pragmatique 129
Précoce 162
Prédicteur 227–228
Préférence pour la nouveauté 443
Prématurité 332–333, 405
Premières connaissances 51
Présence des pairs 386
Prévention 231, 423, 425
Principe alphabétique 228–229
Prise
de conscience
implicite 275
de décision 145
Problèmes
extériorisés 365
intériorisés 365
psychosociaux 481
Procédure expérimentale 439
Processus
cognitif 246
intégratif 160, 165
Production 117, 122–123
écrite de la lettre 231
Projet
d'accueil individualisé 468
personnalisé de scolarisation 263, 468
Propriétés prosodiques 120
Prosodique 122
Prototype 127
Psychologie
culturelle comparative 44
historico-culturelle 42
interculturelle 41
Psychopathologie 290, 365, 399
développementale 329
Psychose 329
Psychostimulants 360
Puberté 383
Puériculture 43
Q
QI 358
R
Racket 355
Raisonnement 145
Rased 467
Réaction à la nouveauté 52
Réceptivité sensorielle 160
Recherche
de nouveauté 384
de sensation 383
intégrative 167
nourrisson 55, 58
Recodage sémantique 255–256
Récompenses 386
Reconnaissance de lettres 231
Redondance intersensorielle 159
Réflexe
ATNR 95
Règles 123
grammaticales 127, 129
sociales 129
Regret 388
Régulation émotionnelle 175, 293, 365
Relation
amicale 28
amoureuse 28, 174, 177, 401
avec les pairs 398
en pairs 174
filiale 29, 359
sexuelle 384
sociale 384
Remédiation 231
Réponse motrice 442
Représentation 28, 173–182
abstraite 117
d'attachement 402
maternelle 402, 483, 485
mind mindedness 404
mentale 117, 238
Réseau cérébral par défaut 414
Réseaux de neurones 65–66
Résilience 364
Résolution de problème 360
Retard
de développement 470
mental 280
Réticence 357
Rétroaction-vidéo 367
Réussite scolaire 140
Révolution cognitive 80
Risque
perception 384, 387
prise de 384
sensibilité 385
socioéconomique familial 419
sous-estimation 387
Rythme 118, 161, 379
social 160
S
Schémas 252–253, 256
corporels 328
Schizophrénie 279, 281
paranoïde 357
pseudo-psychopathique 357
syndrome dissociatif 282
Scolaire
manuel 269
programme 269
savoir 268
Scolarisation précoce 185
Scolarité 300
Scripts 176
Sections d'enseignement général et professionnel adapté 469
Segpa. See Sections d'enseignement général et professionnel adapté
Self 201
Sémantique 126, 129
Sens 126
Sensibilité 367
aux récompenses 385–386
maternelle 402–404, 483–484, 492
parentale 422, 482–483, 487
Sensorialité 159–160
chimique 161
somesthésique 161
Sensori-moteur 91
Sens social incarné 162
Services de soins et d'éducation spécialisés à domicile (SESSAD) 470
Sévices physiques 358
Sexting 394
Sexualité 398
Signifiant 126
graphique 186
Signification 126
Signifié 126
Simulation 64
Situation étrange 27, 402, 438, 439
Socio-constructivisme 117
Sociométrie 450
Soins
de soutien au développement 333
parentaux inadéquats 365
Soutien à l'exploration 404
Spillover 38
Stades 63
de développement 71
Stigmatisation 356
Stratégie 334
d'attachement 26–28, 405
Stress 365
Striatum ventral 385
Structuralisme 74
Structure familiale 399
Styles cognitifs 45
Succion non nutritive 444
Surdité 303
Symptôme 399
Synchronie interactionnelle 120
Syndrome du bébé secoué 357
Syntaxe 118, 123, 129
Système
d'approche 387
d'attachement
hyperactivation 402
inhibition 402
de contrôle cognitif 385
de peur-alarme 26
de régulation 387
d'évitement des punitions 387
d'exploration 26, 397–398
dynamique 70–71
non linéaire 91
émotionnel 385
motivationnel 385
psychique 73
sensoriel 161
T
TDAH 319, 332, 356
TEACCH 314
Tempérament 405
Test
d'intelligence 447
projectif 447
Tétrade Noire 356
Théorie
constructiviste 3
de l'autodétermination 197, 199
de l'esprit 137, 155, 332, 441
des drives 198
des traits sémantiques 126
écosystémique 35
orthogénétique 15
socio-constructiviste 15
Thérapie
cognitivo-comportementale 33, 360
multisystémique 360
Tonus musculaire 95
Toucher 330
Tracé
au crayon 231
au doigt 231
Traitement de l'information 34, 402–403
Traits
de dureté-anémotivité 356
machiavéliques 356
sadiques 356
Trajectoire
de développement 72, 313
de vie 35
Transfert 251, 253–255
Transgression des attentes 52, 443
Transmission
intergénérationnelle 399, 402–405
Triangulation 37, 399
Trouble
anxieux 33, 341
bipolaire 357
cognitif 334
léger 411
de désinhibition sociale 291
de l'attachement 290–291
de l'attention avec hyperactivité 286
de la personnalité 29
borderline 293, 357, 376
déficit de l'attention 319, 356
dépressif 33
majeur 339
persistant 339
des conduites 293, 321, 355–362
disruptif avec dysrégulation de l'humeur 340
du comportement 293
alimentaire 329
extériorisé/externalisé 259, 292, 320, 365, 422, 427, 449, 487
du langage 358
du spectre de l'autisme 262, 309–318, 357
internalisé/intériorisé 259, 292, 320, 365, 422, 449, 487, 492
lié à l'usage des jeux vidéo 392
lié aux substances psychoactives 357
mental 279
neurodéveloppemental 260, 279
oppositionnel 332
avec provocation 321, 355–362
panique 343
psychique 279
schizophrénique. See Schizophrénie
TSA. See Trouble du spectre de l'autisme
évaluation psychologique 313
intervention
éducative 314
thérapeutique 314
outils
de dépistage 311
de repérage 311
trajectoire de développement 313
Tutelle 123
Typicité 108, 110
U
UDN-II 459
Ulis. See Unités localisées pour l'inclusion scolaire
Unités localisées pour l'inclusion scolaire 469
Usage addictif 393
Utilisation problématique 392
V
Valorisation par le travail 301
Vandalisme 355
Variabilités individuelles 70
Ventricules cérébraux 283
Victimisation 359
Video deficit 391
Vieillissement 302
cérébral et cognitif 411–418
autre approche 413
biomarqueurs 412, 414
capacités compensatoires 414
environnement prénatal, postnatal et infantile 415
facteurs de risque et de protection 413
interventions psychologiques et sociales individualisées 416
prévention 416
Violence
conjugale 364
familiale 359
Vision 331
Vocalisations 123
Vol 355
W
WPPSI-IV 457
Z
Zone proximale de développement 18
Index des noms
A
Abramson, Lyn 33
Achenbach, Thomas M. 449
Adrien, Jean-Louis 309
Ainsworth, Mary 26–28, 403, 437–439
Allen, Joseph P. 398
B
Baillargeon, Renée 52, 443
Bandura, Albert 33, 199
Bernier, Annie 402, 404
Beck, Aaron Temkin 33
Billieux, Joël 391
Bobin-Bègue, Anne 79, 159
Bowen, Murray 399
Bower, Thomas G. 54
Bowlby, John 25, 85, 173–174, 401
Bretherton, Inge 176, 402
Bronfenbrenner, Urie 35
Bruner, Jerome 20, 80–81
Bruno, Sandra 267
C
Carter, Betty 399
Case, Robbie 9–10
Cassotti, Mathieu 383
Chabrol, Henri 355
Chomsky, Noam 55
Clément, Évelyne 197
Cohen, Leslie 56
Crick, Nicki 34, 140
Cyr, Chantal 363, 481
D
Danet, Marie 26, 391, 402
Darwin, Charles 25
Deborde, Anne-Sophie 259, 339
Deleau, Michel 15, 20
Devouche, Emmanuel 162, 375
Dodge, Kenneth 34, 140
Doise, Willem 22
Dubois-Comtois, Karine 363, 481
E
Ecalle, Jean 229
Ellis, Albert 34
Ensink, Karin 136, 138–139
Erikson, Erik 399–400
Esseily, Rana 79, 159, 164
F
Favez, Nicolas 35
Fonagy, Peter 28, 80, 136, 138, 293, 402, 403
G
Gauthier-Légaré, Audrey 419
Gergely, Csibra 81
Gergely, György 81
Gopnik, Alison 23
Goyet, Louise 117, 207
Gratier, Maya 26, 79, 83, 85, 159, 162
Guellai, Bahia 159
Guéraud, Sabine 237
Guerini, Caroline 15, 117, 185
H
Habib, Marianne 383
Haley, Jay 398–399
Harlow, Harry 25
Harris, Paul 192
Houillon, Jean-Charles 453, 467
K
Karmiloff-Smith, Anette 69
L
Labat, Hélène 229
Lammel Annamaria 41
Laurent, Geneviève 136
Lebovici, Serge 404
Lecompte, Vanessa 481
Lécuyer, Roger 51
Lehalle, Henri 65
Leslie, Alan 192
M
Magnan, Annie 230
Main, Mary 27, 403, 405, 450
Mandler, Jean M. 57
Mauss, Marcel 80
McGoldrick, Monica 399
Mehler, Jacques 52, 54
Mellier, Daniel 327
Meltzoff, Andrew N. 97
Miljkovitch, Raphaële 26, 28, 29, 31, 173, 289, 398, 401, 402, 405, 438
Minuchin, Salvador 36, 399
Moore, M. Keith 97
Morange-Majoux, Françoise 3, 91, 279, 437
Moss, Ellen 481
Moutier, Sylvain 145
Mugny, Gabriel 22
N
Nadel, Jacqueline 20, 97
Nandrino, Jean-Louis 347
Nuttin, Joseph 198
P
Pascual-Leone, Juan 9
Pascuzzo, Katherine 481
Patterson, Gerald 32
Piaget, Jean 3, 15, 51, 74, 80, 91, 174, 440
Poitras, Karine 419
Pons, Francisco 138
Q
Quartz, Steven R. 67, 69
R
Reuchlin, Maurice 198
Richard, Jean-François 251
Rogoff, Barbara 81
Rotter, Julian 33
Royer, Carine 237
S
St-Georges, Rachèle 481
St-Laurent, Diane 481, 483
Sander, Emmanuel 107, 163, 173, 217, 251
Savage, Laura-Émilie 419
Shultz, Ted R. 65, 67
Siegler, Robert S. 22
Skinner, Burrhus Frederic 32
Smith, Linda B. 72
Solomon, Judith 27
Spelke, Elizabeth 52
Spitz, René 25
Stern, Daniel 379
T
Tarabulsy, George M. 404, 405, 419, 481
Target, Mary 136, 138
Tessier, Réjean 419
Thelen, Esther 72
Thomas, Michael S. C. 69, 73, 76
Tomasello, Michael 21, 84
Trevarthen, Colwyn 84, 378
V
Van der Linden, Martial 411
van Geert, Paul 70
Vanwalleghem, Stéphanie 297, 319, 453, 467
Vygotsky, Lev 17
W
Wallon, Henri 16
Watson, John 32
Wynn, Karen 8
Z
Zazzo, René 19