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Psychologie du développement

Raphaële Miljkovitch
Professeur de psychologie du développement, université Paris 8, laboratoire Paragraphe.

Françoise Morange-Majoux
Maître de conférences en psychologie du développement, université Paris 8, laboratoire de
psychopathologie et processus de Santé (EA 4057), université Paris-Descartes.

Emmanuel Sander
Professeur de psychologie du développement et de l'éducation, université Paris 8, laboratoire
Paragraphe.
Table des matières

Couverture

Page de titre

Page de copyright

Les auteurs

Introduction
Première partie : Les modèles du développement

Deuxième partie : Les domaines du développement

Troisième partie : L'éducation

Quatrième partie : La psychopathologie et les troubles du développement

Cinquième partie : Les transitions et enjeux sociétaux

Sixième partie : Les méthodes en psychologie du développement

Partie 1: Les modèles du développement

Chapitre 1: Le constructivisme : de Jean Piaget à Juan Pascual-Leone


Introduction

La théorie constructiviste de Jean Piaget

Les limites de la théorie piagétienne

Les nouvelles théories du développement : l'après-Piaget

Conclusion

Chapitre 2: Le constructivisme social : de Lev Vygotsky à Jerome Bruner


Introduction

Les théories socio-constructivistes


Les prolongations des théories socio-constructivistes

Conclusion

Chapitre 3: La théorie de l’attachement : John Bowlby et Mary Ainsworth


Introduction

Les comportements d'attachement

Les stratégies d'attachement

Les modèles internes opérants

Conclusion

Chapitre 4: Le modèle cognitivo-comportemental : de B.F. Skinner à Albert Bandura


Introduction

Le conditionnement classique

L'apprentissage opérant

La théorie de l'apprentissage social (cognitivo-comportementale)

Conclusion

Chapitre 5: Le modèle systémique


Introduction

Les principes de l'approche systémique

La relation coparentale et son impact sur le développement de l'enfant

Conclusion

Chapitre 6: La psychologie interculturelle du développement


Introduction

La relation entre culture et développement psychologique

Les différentes approches

La notion de l'intelligence

La relation entre les types de sociétés, les conceptions de la notion de soi et les styles cognitifs

Les cultures en contact : l'acculturation

Conclusion

Chapitre 7: Nativisme et néoconstructivisme : rendre compte des connaissances


précoces
Introduction : un innéisme peut en cacher un autre

De l'impossible et de l'improbable

Les trois cadres théoriques

Connaissances innées ou apprentissages rapides ?

Conclusion

Chapitre 8: Auto-organisation et développement : modèles connexionnistes,


dynamiques et structuro-sémantiques
Introduction

Les ingrédients de tout modèle de développement et les références possibles

L'approche connexionniste et le neuroconstructivisme

L'approche dynamique et les variabilités individuelles

L'approche structuro-sémantique et le retour des contenus

Conclusion

Chapitre 9: L'approche incarnée du développement : corps, communication et culture


Introduction : l'émergence d'un nouveau paradigme

« Une culture majoritaire » ?

Du corps enculturé à la cognition

L'appartenance culturelle

Conclusion

Partie 2: Les domaines du développement

Chapitre 10: Le développement prénatal et sensori-moteur


Introduction

Le développement de la perception

Le développement de la motricité

Deux exemples du développement sensori-moteur

Conclusion

Chapitre 11: Le développement conceptuel


Introduction
Au-delà de l'approche classique des concepts

Des concepts pour abstraire

Conclusion

Chapitre 12: Le développement du langage


Introduction

Au commencement du langage : la période avant 2 ans

La période langagière de 2 ans à 5 ans

Conclusion

Chapitre 13: Le développement socio-émotionnel


Introduction

De l'expérience à la conscience et à la compréhension des émotions

La compréhension émotionnelle : définition du concept et positionnement théorique

La compréhension émotionnelle et l'intégration sociale à l'âge préscolaire

Conclusion

Chapitre 14: Le développement du raisonnement et du jugement moral


Introduction

Les capacités de prise de décision chez l'adulte : un rôle prépondérant des émotions ?

Les capacités de jugement sur l'incertitude et l'apprentissage à l'inhibition d'un biais émotionnel

Conclusion

Chapitre 15: Vers une approche intégrative du développement précoce


Introduction

Motricité et sensorialité : une intégration avant la naissance ?

Le nouveau-né : continuités et discontinuités

Interaction et intersubjectivité

Le bébé explorateur

Interaction, cognition sociale et enculturation

Comprendre et se faire comprendre

Conclusion
Chapitre 16: Le développement des représentations : de la relation à la cognition
Introduction

La construction de modèles internes opérants (MIO)

La fonction des MIO : faire des inférences à partir d'un processus d'analogie

Les facteurs impliqués dans le rappel des MIO

Les MIO sont-ils des catégories ?

Au-delà des relations…

Conclusion

Lectures conseillées

Adresses web utiles

Partie 3: L'éducation

Chapitre 17: Le développement symbolique et l'entrée à l'école


Introduction

Que dit la recherche en psychologie du développement sur la petite enfance ?

Les nouveaux regards sur le dessin et le jeu symbolique entre 2 et 5 ans

Les interactions entre enfants autour des jeux symboliques

Conclusion

Chapitre 18: La motivation et l'autodétermination dans les apprentissages scolaires


Introduction

L'évolution des approches théoriques sur le concept de motivation

Le paradigme sociocognitif d'étude de la motivation humaine

Les recherches en éducation et sur les apprentissages menées dans le cadre de la TAD

Conclusion

Chapitre 19: L'apport des neurosciences dans le domaine de l'éducation


Introduction

Les neurosciences et l'éducation

Attention, émotion et apprentissages

Conclusion
Chapitre 20: Les connaissances issues de la vie quotidienne et les apprentissages
scolaires
Introduction

Les champs des connaissances naïves

Des modèles tacites aux métaphores conceptuelles

Les connaissances naïves en sciences

Conclusion

Chapitre 21: L'apprentissage de la lecture-écriture


Introduction

L'apprentissage multi-sensoriel selon les pédagogues

Études expérimentales en faveur d'un apprentissage multi-sensoriel des lettres

Vers une cognition incarnée

Conclusion

Chapitre 22: Le développement de la compréhension


Introduction

Qu'est-ce que comprendre ?

Le développement des habiletés sous-tendant la compréhension

Évaluer la compréhension en situation de lecture

Perspectives : vers l'étude des processus mis en jeu au cours de l'activité de compréhension

Conclusion

Chapitre 23: Les apprentissages numériques


Introduction

Les processus à l'œuvre dans la résolution d'un problème mathématique

Le recodage comme cheminement de conceptualisation

Conclusion

Lectures conseillées

Chapitre 24: Difficulté scolaire : les troubles du langage et des apprentissages


Introduction

Définitions : troubles spécifiques des apprentissages, troubles neurodéveloppementaux et « dys »


Le diagnostic

Dépister les DYS : une démarche à systématiser

Conclusions

Lectures conseillées

Sites web conseillés

Chapitre 25: La psychosociologie des institutions scolaires


Introduction

Activité professionnelle et institution : l'exemple du système éducatif

L'environnement historico-culturel, l'institution politique et ses finalités

L'institué : les marqueurs institutionnels de l'activité professionnelle

L'instituant : les acteurs

Conclusion

Partie 4: La psychopathologie et les troubles du développement

Chapitre 26: La contribution biologique en psychopathologie développementale


Introduction

Définitions et classifications des troubles neurodeveloppementaux

Le retard mental

La schizophrénie

L'autisme

Le trouble de l'attention avec hyperactivité

Conclusion

Chapitre 27: Les troubles de l'attachement et leurs conséquences à long terme


Introduction

L'attachement désorganisé

Les troubles de l'attachement

Les anomalies dans les fonctions de havre et de base de sécurité

Les facteurs de généralisation du trouble

Conclusion

Chapitre 28: Le handicap intellectuel et sensoriel


Introduction : la situation de handicap

Le handicap intellectuel

Le handicap auditif

Conclusion

Chapitre 29: Les troubles du spectre de l'autisme


Introduction

La psychopathologie du développement de l'autisme

Les méthodes d'évaluation psychologique du développement des enfants avec TSA

Les méthodes d'intervention éducative et thérapeutique auprès des enfants avec TSA

Chapitre 30: Le trouble déficit de l'attention/hyperactivité


Introduction

Description du TDAH

Les facteurs impliqués dans l'expression du TDAH et les modèles explicatifs

Conclusion

Chapitre 31: Le développement de l'enfant prématuré


Introduction

Les données épidémiologiques

Le devenir des enfants nés prématurés

Les soins de soutien au développement de l'enfant prématuré

Conclusion

Chapitre 32: La dépression et les troubles anxieux chez l'enfant et l'adolescent


Introduction

La dépression chez l'enfant et l'adolescent

Prévalence et comorbidités

Facteurs de risque et évolution

Les troubles anxieux chez l'enfant et l'adolescent

Conclusions

Lecture conseillée
Chapitre 33: Les addictions et troubles des conduites alimentaires
Introduction

Identifier des trajectoires développementales spécifiques des addictions

Les facteurs de risque et trajectoires développementales

Conclusion

Chapitre 34: Les troubles du comportement


Introduction

Les symptômes et diagnostics

Le trait de dureté-anémotivité et les traits sadiques

L'épidémiologie

La comorbidité et les diagnostics différentiels

Les facteurs de risque

Les trajectoires développementales

Les processus développementaux

La prévention

Le traitement

Conclusion

Lecture conseillée

Adresses web utiles

Chapitre 35: Les conséquences développementales de la maltraitance


Introduction

Le phénomène de la maltraitance

Les conséquences de la maltraitance sur le développement des enfants

Le développement des enfants placés en famille d'accueil

Les interventions parent-enfant prometteuses

Conclusion

Adresses web utiles

Partie 5: Transitions et enjeux sociétaux

Chapitre 36: La périnatalité : contexte social et arrivée d'un enfant


Introduction

La vulnérabilité prénatale des futures mères

Les débuts de la communication

Conclusion

Chapitre 37: La prise de risque à l'adolescence


Introduction

La spécificité de la prise de risque à l'adolescence

Les modèles théoriques de la prise de risque à l'adolescence et arguments expérimentaux

Conclusion et limites de ces modèles

Chapitre 38: L'impact des nouvelles technologies sur le développement


Introduction

Les TICs dans le développement

Les conséquences négatives associées à l'utilisation des TICs chez l'enfant et l'adolescent

Conclusion

Chapitre 39: L'entrée dans le monde adulte, couple et parentalité


L'adolescence : une transition vers le monde adulte

Les facteurs en jeu dans la « crise d'adolescence »

C'est quoi être adulte ?

La vie amoureuse

La naissance d'un enfant

Chapitre 40: Le vieillissement cérébral et cognitif : une approche plurifactorielle


et lifespan
Introduction

Les limites de l'approche biomédicale dominante : l'exemple de la maladie d'Alzheimer

Une autre approche du vieillissement cérébral et cognitif

Vieillissement et environnement prénatal, postnatal et infantile

Conclusion

Lectures conseillées

Adresse web utile


Chapitre 41: Des écologies du développement de l'enfant : la prévention, le placement et
l'adoption
Introduction

La recherche sur la vulnérabilité socioéconomique des familles et le développement des enfants

La prévention des effets de la pauvreté sur le développement de l'enfant

La parentalité alternative : le placement en protection de l'enfance et l'adoption

Conclusion

Partie 6: Les méthodes en psychologie du développement

Chapitre 42: Les méthodes d'investigation en psychologie du développement


Introduction

Évaluer le changement (développement)

Évaluer le comportement : l'observer ou le provoquer ?

Exemples de méthodes

Les méthodes spécifiques au bébé

Les mesures électro-physiologiques

La méthode des tests

Les questionnaires

Les entretiens

La sociométrie

Conclusion

Chapitre 43: Les tests et outils psychométriques


Introduction

Les qualités psychométriques

Les outils et leurs formes

Déontologie, interprétation et restitution des données

Conclusion

Chapitre 44: Les aides institutionnelles, l'orientation scolaire et le bilan psychologique


Introduction

Les aides institutionnelles

Les orientations
Le bilan psychologique

Conclusion

Site conseillé

Chapitre 45: La méthode d'intervention auprès des parents et de leur jeune enfant
Introduction

Un programme d'intervention de rétroaction vidéo pour des dyades enfant-parent maltraitantes

Étude de cas

Conclusion

Index des termes

Index des noms


Page de copyright

Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex,


France
Psychologie du développement, sous la direction de Raphaële Miljkovitch, Françoise
Morange-Majoux et Emmanuel Sander.

© 2017, Elsevier Masson SAS


ISBN : 978-2-294-75466-1
e-ISBN : 978-2-294-75545-3

Tous droits réservés.

Les indications et posologies de tous les médicaments cités dans ce livre ont été
recommandées dans la littérature médicale et concordent avec la pratique de la
communauté médicale. Elles peuvent, dans certains cas particuliers, différer des normes
définies par les procédures d'AMM. De plus, les protocoles thérapeutiques pouvant
évoluer dans le temps, il est recommandé au lecteur de se référer en cas de besoin aux
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chaque médecin.

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l'éditeur ou au Centre français d'exploitation du droit de copie : 20, rue des Grands-
Augustins, 75006 Paris. Tél. 01 44 07 47 70.
Les auteurs
Jean-Louis Adrien, professeur émérite de psychopathologie de l'enfant, laboratoire
de psychopathologie et processus de santé (EA 4057), institut de psychologie, université
Paris Descartes, sorbonne Paris Cité.
Annie Bernier, professeur de psychologie du développement, université de
Montréal, Canada.
Joël Billieux, professeur de psychologie clinique, université du Luxembourg, Esch-
sur-Alzette, Luxembourg.
Anne Bobin-Bègue, maître de conférences en psychologie du développement,
université Paris-Ouest Nanterre La Défense.
Sandra Bruno, maître de conférences en psychologie du développement des
apprentissages, école supérieure du professorat de l'éducation, université de Cergy-
Pontoise.
Mathieu Cassotti, maître de conférences (HDR) en psychologie du développement,
LaPsyDÉ, université Paris Descartes & institut universitaire de France.
Henri Chabrol, pédopsychiatre, professeur de psychopathologie, université
Toulouse 2.
Évelyne Clément, professeur de psychologie du développement des apprentissages,
université Cergy-Pontoise, laboratoire Paragraphe.
Chantal Cyr, professeur de psychologie du développement, chercheuse, institut
universitaire sur les jeunes en difficulté, université du Québec, Montréal, Canada.
Marie Danet, maître de conférences en psychologie du développement, université de
Lille 3, laboratoire Psyitec.
Anne-Sophie Deborde, maître de conférences en psychologie du développement,
université Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Emmanuel Devouche, maître de conférences (HDR) en psychologie du
développement, université Paris Descartes, institut universitaire de France.
Karine Dubois-Comtois, professeur de psychologie du développement, université du
Québec à Trois-Rivières, psychologue et chercheuse, centre intégré universitaire de
santé et de services sociaux du Nord-de-l'île-de-Montréal, Canada.
Jean Ecalle, professeur de psychologie cognitive et du développement, laboratoire
d'étude des mécanismes cognitifs, université Lyon 2.
Karin Ensink, professeur de psychologie clinique, université Laval, Québec, Canada.
Rana Esseily, maître de conférences en psychologie du développement, université
Paris-Ouest Nanterre La Défense.
Nicolas Favez, professeur de psychologie clinique, FPSE, université de Genève et
unité de recherche du centre d'étude de la famille, DP-CHUV, université de Lausanne,
Suisse.
Audrey Gauthier-Légaré, doctorante, école de psychologie, université Laval, Québec,
Canada et centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles.
Louise Goyet, maître de conférences en psychologie du développement, université
Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Maya Gratier, professeur de psychologie du développement, université Paris-Ouest
Nanterre La Défense.
Bahia Guellai, maître de conférences en psychologie du développement, université
Paris-Ouest Nanterre La Défense.
Sabine Guéraud, maître de conférences en psychologie cognitive, université Paris 8,
laboratoire Paragraphe.
Caroline Guérini, maître de conférences en psychologie du développement,
université Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Marianne Habib, maître de conférences en psychologie du développement cognitif,
université Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Jean-Charles Houillon, psychologue scolaire, professeur associé à temps partiel,
université Paris 8, chercheur associé laboratoires CHArt et Paragraphe.
Hélène Labat, maître de conférences en psychologie du développement, université de
Cergy-Pontoise, laboratoire Paragraphe.
Annamaria Lammel, maître de conférences (HDR) en psychologie du
développement, université Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Geneviève Laurent, doctorante, École de psychologie, université Laval, Québec,
Canada et Centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles.
Vanessa Lecomte, chercheuse post-doctorale, université McGill, Montréal, Canada.
Roger Lécuyer, professeur émérite de psychologie du développement, université
Paris Descartes.
Henri Lehalle, professeur émérite de psychologie du développement, université Paul
Valéry-Montpellier, laboratoire CHArt (EPHE, Paris 8, Paris 10, Paris 12).
Annie Magnan, psychologie cognitive du développement, université Lyon 2,
laboratoire d'étude des mécanismes cognitifs, institut universitaire de France.
Daniel Mellier, professeur émérite de psychologie de l'enfant, université de Rouen
Normandie.
Raphaële Miljkovitch, professeur de psychologie du développement, université
Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Françoise Morange-Majoux, maître de conférences en psychologie du
développement, université Paris 8, laboratoire de psychopathologie et processus de
Santé (EA 4057), université Paris Descartes.
Ellen Moss, professeur de psychologie du développement, université du Québec à
Montréal, centre d'étude sur l'attachement et la famille, Canada.
Sylvain Moutier, professeur de psychologie du développement, université Paris
Descartes.
Jean-Louis Nandrino, professeur de psychopathologie, université de Lille 3,
laboratoire SCAlab UMR 9193.
Katherine Pascuzzo, professeur de psychologie du développement, université du
Québec à Montréal, Canada.
Karine Poitras, professeur de psychologie, université du Québec à Trois Rivières,
Canada et centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles.
Jean-François Richard, professeur émérite de psychologie cognitive, université
Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Carine Royer, maître de conférences en psychologie cognitive, école supérieure du
professorat et de l'éducation, université de Cergy-Pontoise, laboratoire Paragraphe.
Emmanuel Sander, professeur de psychologie du développement et de l'éducation,
université Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Laura-Émilie Savage, doctorante, école de psychologie, université Laval, Québec,
Canada et centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles.
Rachèle St-Georges, psychoéducatrice, centre intégré de santé et de services sociaux
Lanaudière (CISSSL), Joliette, Québec, Canada.
Diane St-Laurent, professeur de psychologie du développement, université du
Québec à Trois-Rivières, Canada.
George M. Tarabulsy, professeur de psychologie du développement, université
Laval, Québec, Canada et centre de recherche universitaire sur les jeunes et les familles.
Réjean Tessier, professeur de psychologie du développement, université Laval,
Québec, Canada.
Martial Van der Linden, professeur de psychologie clinique, université de Genève,
unité de psychopathologie et neuropsychologie cognitive (UPNC).
Stéphanie Vanwalleghem, psychologue, neuropsychologue, CHU de Dijon, docteure
en psychologie, université Paris 8, laboratoire Paragraphe.
Introduction
Raphaële Miljkovitch; Françoise Morange-Majoux; Emmanuel Sander
La psychologie du développement s'intéresse à l'évolution psychologique de l'individu
tout au long de la vie (perspective life span). Elle étudie les processus qui permettent
cette évolution, en décrivant non seulement les étapes de cette évolution, mais
également en identifiant les mécanismes qui assurent le passage d'une étape à une autre
et les facteurs qui influencent ce passage.
Son histoire est le fruit à la fois d'acquisitions de connaissances, de progrès techniques
au cours des siècles et d'influences socio-éducatives et culturelles fortes, qui ont
déterminé et structuré l'évolution des recherches en psychologie du développement.
Ainsi, la place et l'intérêt pour l'enfant ont progressivement évolué : d'un intérêt
initialement purement pratique (préoccupations éducatives), la psychologie du
développement a évolué vers un intérêt plus théorique (préoccupation scientifique pour
la psychologie). L'évolution des sciences médicales (par exemple
l'électroencéphalogramme), physiologiques (l'électrophysiologie), physiques (l'optique)
et les avancées technologiques du xixe siècle (permettant par exemple l'imagerie
cérébrale) ont joué un rôle capital dans l'émergence de la psychologie moderne, et
notamment du développement, qui a su affirmer une démarche scientifique, consistant
à mettre à l'épreuve des hypothèses de travail et faire la démonstration de faits établis
objectivement.
Ce traité a pour ambition de rendre compte de la diversité des approches, méthodes,
résultats et applications en psychologie du développement selon une progressivité dont
la pédagogie a été réfléchie. Il est organisé en six parties.

Première partie : Les modèles du développement


Comprendre le développement psychologique d'un individu demande de décrire et
d'expliquer les facteurs, processus et mécanismes qui déterminent ce développement.
Cette compréhension requiert des modèles, outils formels, permettant de conceptualiser
et d'expliciter un ensemble d'observations relatives à des phénomènes et à des
comportements complexes. Les cinq premiers chapitres du traité ont ainsi pour objectif
de présenter des modèles explicatifs du développement cognitif, socio-cognitif, socio-
émotionnel, comportemental et systémique. La question récurrente de la composante
innée du développement psychologique est interrogée à la lumière des travaux portant
sur les connaissances précoces. Les trois chapitres suivants s'attachent à rendre compte
de la complexité du développement, soit en s'appuyant sur le fonctionnement neuronal
pour simuler le fonctionnement psychique, soit en s'inscrivant dans la perspective de
l'auto-organisation, soit enfin en prenant en compte la dimension culturelle. Cette partie
s'achève sur un chapitre introduisant une vision incarnée du développement, le
traitement des informations, leur élaboration et leurs représentations passant par le
corps, qui en retour participe activement à nos processus mentaux et influe sur les
pensées subséquentes.

Deuxième partie : Les domaines du développement


Alors que la première moitié du xxe siècle a été le creuset de théories globales du
développement, à la fois sur les plans des mécanismes et des objets, cherchant à unifier
des dynamiques de développement dans un cadre intégré explicatif de la globalité
humaine, les dernières décennies du siècle passé et les premières du suivant ont
largement recentré les questions vers celles des domaines du développement : qu'est-ce
qui se développe et comment ? Il s'agit alors de mettre l'accent non seulement sur un
objet plus ciblé, mais également de le faire avec un souci plus aigu des processus en jeu
dans le développement de l'objet particulier visé. C'est la raison pour laquelle des
chapitres sont dédiés aux développements par domaine, qu'il s'agisse du
développement prénatal, des développements sensori-moteur, conceptuel, du langage,
du raisonnement et du jugement moral, du développement socio-émotionnel, des
représentations. Loin d'aboutir à une vision segmentée de l'être humain, ces chapitres
spécialisés contribuent à un approfondissement des connaissances qui conditionne les
progrès de perspectives plus globales ou plus en lien avec des problématiques à forts
enjeux sociétaux, dont l'éducation et les troubles.

Troisième partie : L'éducation


Cette troisième partie s'ouvre par quatre chapitres transversaux qui éclairent la
psychologie de l'éducation au-delà d'un contenu disciplinaire spécifique, abordant tout
d'abord la place du développement symbolique à l'entrée à l'école, puis la place des
aspects motivationnels, la question de l'apport des travaux des neurosciences et celle de
l'influence des connaissances issues de la vie quotidienne dans les apprentissages
scolaires. Trois autres chapitres relèvent des processus d'acquisition de connaissances
dans des disciplines spécifiques, qui s'inscrivent dans le socle commun des
apprentissages fondamentaux : deux chapitres portent sur le français, d'une part
concernant les aspects liés à l'apprentissage de la lecture-écriture, d'autre part ceux liés
au développement de la compréhension de texte ; un chapitre portant sur les
apprentissages numériques est dédié aux mathématiques. La difficulté scolaire est
abordée à travers un chapitre sur les troubles du langage et des apprentissages. La
section se clôt par une analyse institutionnelle des structures scolaires.

Quatrième partie : La psychopathologie et les troubles du


développement
Cette partie de l'ouvrage recouvre les psychopathologies et troubles du développement.
Un premier chapitre traite de la contribution biologique en psychopathologie
développementale et vient en contrepoint d'un autre chapitre sur les facteurs exogènes
de psychopathologie, et plus spécifiquement sur les troubles de l'attachement et leurs
conséquences à long terme. Ces deux versants peuvent ainsi rendre compte d'une
diversité de troubles allant du handicap ou des troubles neuro-développementaux
(autisme, déficit de l'attention/hyperactivité, troubles du langage et des apprentissages),
pour lesquels les facteurs endogènes semblent au premier plan, à des troubles ou
situations où l'environnement est directement en cause (placement, adoption et
maltraitance). À l'intersection de ces extrêmes se situent d'autres pathologies dont
l'étiologie est mixte et qui semblent émerger dans un contexte épigénétique défavorable
(dépression et troubles anxieux, addictions et troubles des conduites alimentaires,
troubles du comportement).

Cinquième partie : Les transitions et enjeux sociétaux


Si le développement n'est pas spécifique à une période de la vie, certaines étapes ou
contextes n'en représentent pas moins des opportunités de changement. La cinquième
partie de l'ouvrage traite de ces différentes transitions en abordant les principaux stades
de la vie, de la naissance au vieillissement, en passant par l'adolescence et l'entrée à
l'âge adulte. Ces transitions s'inscrivent dans un contexte social qui lui aussi joue un
rôle important dans le développement de l'individu. Pour cette raison, la question des
facteurs propres à notre époque tels que l'impact des technologies numériques sur le
développement humain paraît essentielle. Réciproquement, les connaissances en
psychologie du développement participent à la mise en place de politiques sociales ;
c'est dans cette optique qu'est interrogée la question de l'écologie du développement de
l'enfant : la prévention, le placement et l'adoption.

Sixième partie : Les méthodes en psychologie du


développement
Cette dernière partie porte sur les méthodes et les techniques en psychologie du
développement. Les deux premiers chapitres rendent compte de la diversité des
méthodes et outils utilisés chez le bébé, l'enfant, l'adolescent ou l'adulte. L'objectif des
deux chapitres suivants est d'illustrer leur ancrage et intérêt pratique tant dans la
clinique que dans le milieu scolaire, et de montrer comment ces méthodes affinent et
modifient la conception même du développement, notamment en dessinant un
développement dynamique et complexe où le milieu, qu'il soit social ou physique,
interagit activement avec l'individu.
Une lecture transversale de l'ouvrage est possible et permet d'éclairer certains
paradigmes de la psychologie du développement, qu'il s'agisse du développement
cognitif ou socio-émotionnel. Un autre axe transversal concerne le champ de
l'éducation.
Le développement cognitif décrit l'évolution des processus par lesquels un individu
acquiert des informations sur son environnement et les élabore pour ajuster son
comportement. Ces informations étant multiples et multimodales, le lecteur trouvera
plusieurs chapitres reprenant non seulement les différentes dimensions ou capacités
cognitive (comme la perception, la motricité, le langage, le raisonnement, le
développement conceptuel ou des representations), mais aussi un chapitre envisageant
les interactions et influences réciproques de ces différentes dimensions dans une
approche intégrative du développement. Plusieurs modèles tentent de rendre compte
de la complexité du développement cognitif, comme le néoconstructivisme, les modèles
connexionnistes, ou encore dynamiques, qui proposent un développement cognitif fait
d'équilibres provisoires selon l'environnement socio-émotionnel et physique. Les
connaissances sur le développement cognitif précoce, quant à elles, interrogent une
nouvelle fois son innéité. Les chapitres sur les méthodes en psychologie et sur la
psychométrie illustrent la façon dont on peut évaluer ce développement cognitif et
éventuellement détecter des retards. Ainsi, ce développement peut être entravé,
perturbé comme dans l'autisme, les troubles de l'attention, du langage ou encore des
apprentissages. La prématurité, de plus en plus fréquente, entraîne également des
troubles du développement cognitif. Enfin, l'éclairage neurophysiologique des troubles
cognitifs permet de situer le développement cognitif dans une dimension bio-psycho-
sociale où environnement physique et socio-émotionnel interagissent avec les
composantes biologiques dont le comportement est la forme manifeste.
Le second domaine présenté est le développement socio-émotionnel. Plusieurs
approches participent à sa compréhension, à commencer par la théorie de l'attachement,
qui s'inscrit en complément des perspectives systémique et cognitivo-comportementale.
En effet, ces trois modèles s'enrichissent mutuellement : le point de vue systémique
permet d'envisager le développement selon un contexte plus large que la dyade mère-
enfant et de saisir toute la réciprocité en jeu dans les relations. Le modèle cognitivo-
comportemental quant à lui apporte un éclairage sur les facteurs qui orientent le
fonctionnement de l'individu au cours de sa vie. L'attachement apparaît ainsi comme un
puissant renforçateur qui guide la personne en devenir dans sa façon de penser et
d'agir. Le chapitre 16 « Le développement des représentations : de la relation à la
cognition » présente les répercussions cognitives des interactions dès le plus jeune âge,
en termes de représentations sans cesse renouvelées et agissant comme grille de lecture
dans la vie quotidienne. Le développement de la compréhension socio-émotionnelle fait
l'objet d'un autre chapitre, qui permet de comprendre comment la personne perçoit les
autres selon l'âge et à travers ces filtres interprétatifs. Le chapitre sur l'entrée dans le
monde adulte, le couple et la parentalité s'inscrit dans la continuité de ces chapitres, le
développement de l'adulte suivant une trajectoire non forcément linéaire, mais initiée
dès l'enfance. La boucle générationnelle est bouclée par le chapitre 36 « La périnatalité :
contexte social et arrivée d'un enfant », où sont exposés les enjeux, y compris prénataux,
qui déterminent la qualité des premières interactions. Au niveau des applications, le
lecteur trouvera comment ces connaissances informent les décisions relatives à la
prévention, au placement ou à l'adoption, de même qu'il trouvera une présentation de
méthode d'intervention thérapeutique à destination de dyades mères-enfants en
difficulté.
La psychologie du développement a de larges champs de convergence avec les
problématiques de l'éducation, car aucune éducation n'est concevable sans qu'il y ait
développement. La connaissance des processus de développement et plus généralement
ceux des processus psychologiques informe les perspectives éducatives, car c'est un
humain que l'on éduque, et la connaissance des dynamiques auxquelles il répond
informe celui qui cherche à former. Il s'agit, pour prendre une métaphore, de ce qui
relève de la connaissance de la matière à travailler, de la pâte à pétrir, tandis qu'un autre
plan concerne les processus proprement éducatifs où le sujet n'est plus la matière que
l'on travaille, mais la manière de le faire ; même s'il y a une interdépendance intrinsèque
entre l'objet de l'activité et les processus de transformation de cet objet, les processus
d'intervention sur le développement, dont l'enseignement, sont alors le principal objet
d'étude. Également interdépendantes, mais explorées de manière largement
orthogonale se trouvent les questions transversales aux disciplines enseignées dont la
pertinence dépend peu du contenu thématique de l'enseignement et celles proprement
disciplinaires qui, au-delà de la connaissance de la matière à enseigner, touchent aux
processus de développement qui sont spécifiques à ce contenu. Enfin, la question des
populations à besoins éducatifs particuliers constitue un vaste prisme pour aborder les
facettes les moins épiphénoménales de la difficulté scolaire.
L'ouvrage réunit les contributions d'un panel de spécialistes internationaux et permet
aux praticiens comme aux chercheurs de disposer d'une présentation succincte et
actualisée des connaissances, des méthodes et des applications dans les domaines du
développement, de l'éducation et de la psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent.
Outre les approches centrées sur des domaines de spécialités, ce traité offre donc une
vision intégrative du développement par une conception de celui-ci comme s'étendant
sur la vie entière et résultant de la synthèse de différentes facettes et capacités en
évolution. Enfin, conforme aux programmes universitaires de psychologie du
développement dispensés de la Licence 1 au Master 2, l'étudiant saura trouver dans ce
livre l'ensemble des informations utiles et nécessaires qui en fera un ouvrage de
référence dans sa bibliothèque.
PA R T I E 1
Les modèles du développement
CHAPITRE 1

Le constructivisme : de Jean Piaget à Juan


Pascual-Leone
Françoise Morange-Majoux1

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La théorie constructiviste de Jean Piaget
Les limites de la théorie piagétienne
Les nouvelles théories du développement : l'après-Piaget
Conclusion

Introduction
La fin du XIXe siècle marque un tournant pour la psychologie du développement :
affranchie de la philosophie en se dotant de méthodes scientifiques fiables, objectives et
reproductibles, elle peut proposer grâce à des chercheurs comme Baldwin ou Claparède
des modèles afin de rendre le développement plus lisible, cohérent, concret et
accessible. Dans ce domaine Jean Piaget fait figure de pilier, tant par l'originalité de sa
théorie que par son ampleur, dégageant des principes de développement qui s'étendent
de 0 à 16 ans. Sa théorie, qu'il définit comme constructiviste, les connaissances s'élaborant
et se construisant activement au cours du temps, donne un cadre fondateur à la
psychologie du développement en déterminant les acquisitions habituellement réalisées
à chaque âge. Elle va incontestablement favoriser et faire émerger au cours des
décennies qui suivent, et jusqu'à aujourd'hui, un formidable foisonnement de réflexions
et théories, tantôt convergentes, tantôt divergentes. Les nouvelles méthodes et
techniques apparues à la fin du XXe siècle (méthodes d'observation des bébés, IRMf, etc.)
vont permettre à la fois d'affiner, moduler, voire modifier la conception du
développement imaginée par Piaget pour dessiner un développement dynamique et
complexe fait de biais perceptifs, de stratégies cognitives, de régularités, d'inhibitions,
de processus attentionnels, de motivations où le milieu, qu'il soit social ou physique,
participe activement.
La théorie constructiviste de Jean Piaget
Jean Piaget (1896−1980) considère le développement comme un processus dont la
motivation première vient du sujet lui-même qui expérimente et explore le monde. Le
petit d'homme est donc envisagé comme un savant en herbe plutôt qu'un petit apprenti
sous l'influence de l'extérieur comme le propose Vygotsky (cf. chapitre 2). Dans sa
conception, le sujet est actif, il se construit au cours d'échanges dialectiques entre lui et le
milieu par la perception qu'il a de son environnement, les actions qu'il peut faire sur lui
et les conséquences qu'il perçoit de ses actions (concept
2
d'assimilation/accommodation) . La logique et le raisonnement sont la forme optimale
de l'adaptation biologique (donc du cerveau) et cette adaptation n'est possible que par
l'activité opératoire du sujet lui-même et des sources d'équilibration qu'elle comporte.

Éléments biographiques
Né à Neuchâtel le 9 août 1896, Jean Piaget commence sa carrière scientifique à 11 ans en
écrivant un article sur l'observation d'un moineau albinos. Passionné d'histoire
naturelle, il publie en 1912 un article sur les mollusques d'eau douce vivant dans les lacs
suisses. En 1918, il publie Recherche, un roman philosophique religieux et obtient la
même année son doctorat en sciences naturelles. Il rejoint en 1919 le laboratoire d'Alfred
Binet à Paris et s'intéresse à la question de la logique chez l'enfant. Puis il s'installe en
1921, à l'Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève et se consacre alors à l'étude de la
pensée chez l'enfant jusqu'en 19803. Il décède à l'âge de 84 ans.

La pluridisciplinarité au service de la pensée piagétienne


Piaget, biologiste de formation, est passionné par l'histoire des sciences et notamment
par l'accroissement des connaissances. Il va trouver dans le développement de l'enfant
un terrain infiniment riche, réunissant ses principaux centres d'intérêt (développement
scientifique, biologie et raisonnement), qui va lui permettre d'élaborer sa théorie
(Bideaud, Houdé et Pedinielli, 2004). Fasciné par les mécanismes d'acquisition et
d'accroissement des connaissances chez le sujet en développement (« sujet épistémique »),
il pense, à l'inverse de Gesell (1949), que tous ces changements ne peuvent être imputés
à la seule maturation nerveuse et que l'expérience est un facteur nécessaire : la
connaissance n'est pas une copie de la réalité, mais un processus actif (activité
opératoire) qui consiste pour le sujet à assimiler un objet du milieu aux cadres de
connaissances du sujet (programmes d'action, structures mentales) et à accommoder ce
cadre de connaissances en retour pour s'ajuster à une modification de l'environnement.
Ainsi, l'intelligence est la résultante de deux processus interne et externe,
transitoirement équilibrée. Pour illustrer ces concepts, on peut citer la préhension : le
bébé applique une même structure de connaissance, le schème préhension, à différents
objets, comme un cube, un hochet, etc., l'objet saisi est assimilé par le schème. En retour,
si un objet présente des caractéristiques telles (ballon de foot ou bille) que le bébé ne
puisse appliquer directement le schème préhension, alors le bébé modifie son schème
préhension, s'accommode à l'objet (en utilisant les deux mains dans le cas du ballon ou
en utilisant la pince pouce-index dans le cas de la bille). L'équilibration est le jeu
d'interactions continuelles entre assimilation et accommodation.
Pour Piaget, l'intelligence humaine s'inscrit dans l'évolution générale de la vie et à ce
titre, est la meilleure forme d'adaptation à la vie, à l'environnement. Comme Darwin
(1859) qui montre qu'au cours de l'évolution, les espèces les mieux organisées et
adaptées survivent à leur milieu, Piaget considère que les conduites intellectuelles chez
l'homme sont l'aboutissement de l'évolution biologique, permettant à l'organisme de
s'adapter au mieux à son milieu. Ainsi, l'intelligence EST adaptation et permet à
l'humanité de survivre dans des milieux qui dépassent les possibilités d'adaptation de
l'organisme humain : « L'intelligence constitue une activité organisatrice dont le
fonctionnement prolonge celui de l'organisation biologique, tout en le dépassant, grâce
à l'élaboration de nouvelles structures. » (Piaget, 1936, p. 356.)
L'intelligence permet de créer des structures variées, de plus en plus sophistiquées au
cours du temps (développement). Cette variété de structures organisées naît de
l'interaction entre le milieu et le sujet, par l'activité du sujet, permettant une meilleure
adaptation de l'homme à son environnement. Cet accroissement nécessite le
raisonnement logique, forme suprême d'intelligence selon Piaget (donc d'adaptation).
Ce raisonnement est possible grâce aux actions du sujet qui transforme les objets et le
réel, et leur donne un sens. Ainsi pour Piaget, les enfants sont des inventeurs et non des
découvreurs, les enfants construisant du sens et du savoir pour eux-mêmes et par eux-
mêmes.

Les concepts clefs de la théorie constructiviste


Le modèle développé par Piaget a un double objectif :
• décrire les mécanismes qui permettent le développement de l'intelligence
(mécanismes d'assimilation/accommodation) ;
• rendre compte des acquisitions habituellement réalisées à chaque âge et comment
ces acquisitions d'une complexité croissante s'organisent. Pour cela, Piaget propose
que l'acquisition des connaissances s'établisse en une suite d'étapes définissant des
stades successifs dont l'ordre resterait le même pour tous les enfants.
Ainsi, le développement de l'intelligence consiste à s'adapter à son environnement
grâce aux schèmes, analogies d'actions et de représentations, dont la validité repose
éventuellement sur des connaissances structurales qui permettent d'organiser la pensée.
Cette adaptation est possible grâce à l'équilibration (Piaget et Inhelder, 1966) entre
assimilation et accommodation qui opère une réorganisation des schèmes.
L'équilibration est « une suite de compensations actives du sujet en réponse aux
perturbations extérieures et d'un réglage, à la fois rétroactif (systèmes en boucle ou feed-
back) et anticipatif constituant un système permanent de telles compensations » (Piaget,
1975, p. 9). L'assimilation est un mécanisme qui permet au sujet d'intégrer les objets (ou
les évènements) qu'il rencontre aux schèmes préexistants qu'il a pu déjà construire,
témoin de l'organisation de la pensée en structures de connaissances. Quant à
l'accommodation, qui peut se définir comme une reconstruction cognitive ou un
changement conceptuel de pensée, elle renvoie à un processus d'ajustement des
schèmes préexistants pour les adapter aux nouvelles données environnementales. Ainsi
les schèmes peuvent être complétés, modifiés, modulés4. Ces trois mécanismes
fondamentaux – l'équilibration, l'assimilation et l'accommodation – empruntés aux
concepts de la biologie permettent de passer d'une structure d'état N à une structure
d'état N + 1, soit d'un stade à un autre, basé sur des coordinations successives de
schèmes.

Les stades du développement


Si la notion de stade reste indissociable de la théorie de Piaget, il faut pourtant garder à
l'esprit que c'est avant tout le cheminement développemental5 conduisant aux
compétences qui retenait tout l'intérêt de Piaget (1947), cheminement permettant
d'aboutir à des constructions cognitives qualitativement nouvelles se traduisant alors par
des sauts quantitatifs qui font passer l'enfant par des paliers que l'on peut identifier et
objectiver dans le temps. Ainsi les stades permettent d'identifier une structure
d'ensemble, qui, lorsqu'elle est construite, détermine toutes les opérations possibles et
utilisables qu'elle contient (traitement cognitif effectué par l'enfant selon une
organisation logique). L'ordre de succession des acquisitions est constant et les étapes
ne peuvent être inversées. Piaget (1947) décrit 3 grands systèmes successifs en
développement : les actions, les représentations et les opérations. Il propose ainsi
3 stades : le stade sensori-moteur, le stade des opérations concrètes et le stade des
opérations formelles. Chaque stade est lui-même subdivisé en différents sous-stades,
dont nous ne donnons ici qu'une description générale.

Le stade sensori-moteur : de 0 à 18 mois/2 ans


Ce stade correspond à la construction de l'intelligence dite sensori-motrice, c'est-à-dire
que le bébé, puis le jeune enfant, résout progressivement des problèmes pratiques au
moyen d'activités sensorielles, toniques et motrices avant l'apparition du langage.
L'enfant n'a pas encore de représentation mentale, son intelligence se construit d'abord
de façon pratique, par l'action, par la constitution progressive de schèmes sensori-
moteurs comme le schème de l'objet permanent (l'enfant acquière la connaissance que
les objets existent en dehors de lui et continuent d'exister même s'il ne les perçoit plus).
Ce stade se subdivise en 6 sous-stades, qui vont de l'exercice des schèmes réflexes à la
combinaison mentale des schèmes d'action en passant par les coordinations.
L'intelligence apparaît pour Piaget au sous-stade 4, soit entre 9 et 12 mois, quand les
bébés sont capables de coordonner des schèmes secondaires et de les appliquer à des
situations nouvelles. Ces progrès sont rendus possibles grâce aux réactions circulaires :
au départ le bébé fait une action qui a un effet sur un objet, puis il cherche à reproduire
ces schèmes sensori-moteurs (réactions circulaires secondaires), à les coordonner entre
eux puis à les transférer. Pour autant, l'accommodation reste subordonnée au jeu de
l'assimilation et ne progresse qu'en fonction de la coordination des schèmes.

Le stade des opérations concrètes : de 2 à 12 ans


Ce stade se caractérise par une longue période d'émergence et d'organisation des
représentations (fonction sémiotique) qui aboutit aux opérations concrètes, c'est-à-dire à
la capacité à grouper des représentations mentales entre elles selon des règles. On
distingue la période dite préopératoire et la période des opérations.

La période préopératoire ou intuitive de 2 ans à 7/8 ans


Cette période est pour l'essentiel marquée par le développement du langage et de la
pensée symbolique. La fonction sémiotique se fonde sur l'image mentale (Florin, 2003),
mais pas seulement : l'imitation différée, le dessin, les jeux symboliques permettent à
l'enfant de construire une représentation d'un signifié au moyen d'un signifiant
différencié et ne servant qu'à cette représentation, la chose représentée pouvant être
absente (par exemple lorsque l'enfant fait semblant de donner de la soupe à son
poupon). Ainsi, l'enfant fabrique des signifiants qui sont stockés, les opérations de
l'intelligence travaillant alors sur des objets symbolisés ou mentalement représentés et
non plus sur des objets physiquement présents. Cette opération nécessite que les
schèmes sensori-moteurs soient progressivement traduits en concepts. Par exemple,
deux verres, de forme différente, contenant la même quantité d'eau (vérifiée dans un
verre mesureur au préalable) ne présenteront pas le même niveau d'eau. Cette
différence de niveau d'eau perçue ne se traduit pas alors par une différence de volume.
L'enfant, au cours de ce stade, apprend à se décentrer par rapport à ses perceptions et
acquiert une représentation mentale de la situation (si le verre est plus large, alors l'eau
est plus basse que si le verre est étroit). Toutefois pour Piaget, la pensée reste intuitive,
c'est-à-dire imagée, portant sur des configurations d'ensemble.

La période opératoire concrète : de 7/8 à 12 ans


À partir de 7−8 ans, la pensée intuitive de l'enfant évolue vers une pensée opératoire se
libérant des servitudes de l'image : les actions intériorisées deviennent mobiles et
réversibles, et peuvent se coordonner en structures d'ensemble se transformant en
opérations6. L'enfant établit des liaisons de forme logique entre des représentations
élémentaires. La notion de réversibilité en est le meilleur exemple. Pour reprendre
l'exemple des verres d'eau, l'enfant est capable de penser les objets transformés comme
ils étaient dans leur état antérieur, avant la transformation (quand les deux volumes
étaient mesurés dans le verre mesureur), car il est capable logiquement de relier
différentes actions entre elles, notamment les transformations inverses. Il est capable
d'extraire un invariant, quelque chose qui ne change pas dans la situation (ici les
quantités d'eau qui sont identiques) au cours des différentes actions (transvasement
dans des verres de forme différente). Durant cette période, il n'y a plus de
prépondérance de l'assimilation sur l'accommodation, mais coexistence égalitaire entre
les 2 processus. Les opérations ainsi constituées portent sur un plan concret, c'est-à-dire
sur des objets manipulables, soit perceptibles, soit imaginables. Elles ne peuvent pas
encore être généralisées à tous les contenus et tous les raisonnements.

Le stade des opérations formelles : à partir de 11/12 ans


Ce stade caractérise le passage des opérations jusque-là concrètes, c'est-à-dire reposant
sur les relations logiques entre représentations mentales d'objets réels, aux opérations
formelles, c'est- à-dire reposant sur la manipulation de relations de signes et de
symboles. L'enfant s'attache à la forme de son raisonnement, quel que soit le contenu
auquel il s'applique : il n'a plus besoin de support concret pour raisonner (structures
logico-mathématiques). Il peut désormais raisonner sur des propositions comme des
phrases, des idées ou des hypothèses et mettre en œuvre une pensée hypothético-
déductive, c'est-à-dire émettre des hypothèses, construire des plans d'expérience pour
les vérifier et en déduire si ces propositions sont vraies ou pas. L'intelligence s'affranchit
du concret et situe le réel dans un ensemble de possibles. Ce raisonnement hypothético-
déductif est sous-tendu par deux structures nouvelles : la combinatoire et le groupe des
transformations INRC (deux formes possibles de réversibilité : par inversion, N est
l'inverse de I, et par réciprocité : R est la réciproque de I). En d'autres termes cela veut
dire que l'enfant peut désormais imaginer faire des combinaisons à partir d'un ensemble
de possibles et effectuer des opérations en tenant compte de plusieurs systèmes et de
leurs liens de réversibilité.

Discussion
Le modèle dessiné par Piaget permet d'expliquer et décrire les acquisitions
habituellement réalisées à chaque âge et comment ces acquisitions d'une complexité
croissante s'organisent selon un processus d'équilibration progressive en une suite
d'étapes qui définissent des stades successifs dont l'ordre reste le même pour tous les
enfants. Ces stades peuvent s'apparenter à des marches d'escalier, où chaque marche
franchie correspondrait à un progrès dans la genèse de l'intelligence dite « logico-
mathématique » : ainsi, l'enfant passe d'une intelligence sensori-motrice (0−2 ans), basée
sur ses sens et ses actions, à une intelligence conceptuelle et abstraite chez l'enfant
(2−12 ans), l'adolescent (12−16 ans) et enfin chez l'adulte. Ces stades répondent à un
certain nombre de critères comme la constance dans la succession des stades : chaque
stade a une structure particulière et chaque nouvelle structure se construit sur la
précédente et l'intègre. Piaget admet toutefois des écarts entre les vitesses de
développement des différentes capacités mentales par rapport aux vitesses moyennes.
Ce décalage permet de rendre compte des variabilités phénotypiques7 plus ou moins
importantes et de déterminer des profils de développement selon des catégories
d'individus. Pour autant, la théorie de Piaget se veut universelle : elle postule que tous
les sujets construisent les mêmes structures, selon les mêmes processus et dans le même
ordre.

Les limites de la théorie piagétienne


Dès la fin des années 1970, un certain nombre de critiques à l'encontre de la théorie de
Piaget émergent dont nous dresserons ici une liste non exhaustive. La première porte
sur le caractère relativement figé de la succession des opérations logiques : certains
enfants ne réussissent pas forcément toutes les tâches d'un même niveau : ils peuvent
être « conservants » pour la substance, mais pas pour les volumes. Si, comme nous
venons de le dire, Piaget a repéré ces décalages horizontaux dès 1941, leur nombre,
leurs expressions, leur diversité par exemple en psychopathologie développementale
mettent à mal l'évolution linéaire et « majorante » du développement proposé par
Piaget. Ainsi, Bates et al., (1979) proposent le concept d'héterochronie pour définir les
écarts dans les vitesses de développement des différentes capacités mentales par
rapport aux vitesses normales, permettant de rendre compte des variabilités
phénotypiques plus ou moins importantes.
La deuxième critique concerne ce qu'on appelle « le paradoxe de l'apprentissage »
(Fodor, 1983). Dans la théorie de Piaget, une structure N donne naissance à une
structure d'intelligence supérieure N + 1. Or il n'est expliqué nulle part comment une
structure plus puissante peut se construire en s'appuyant sur une structure moins
puissante. C'est pour les nativistes (Melher et Bever, 1967 ; Melher et Dupoux, 1990 par
exemple), par exemple, un argument pour justifier le caractère inné des structures (cf.
chapitre 7). D'autres théories notamment basées sur l'auto-organisation proposent de
répondre à ce paradoxe (cf. chapitre 8).
La troisième critique pointe les domaines d'évaluation : les épreuves portent sur
l'acquisition des connaissances scientifiques, souvent indépendamment du contexte. S'il
est vrai que les facteurs environnementaux, comme l'influence du milieu social, la
motivation ou les émotions ont été volontairement mis de côté dans l'analyse de Piaget,
afin de faire émerger les structures du cheminement développemental logico-
mathématique, il n'en reste pas moins que des perturbations dans les domaines affectif
et émotionnel peuvent modifier grandement les réponses de l'enfant, sans pour autant
toucher aux capacités de raisonnement pures (cf. chapitre 14). Par exemple, Mugny,
Doise et Perret-Clermont (1976) ont montré que le passage d'un stade à un autre varie
selon que l'enfant résout une tâche en interaction avec quelqu'un ou tout seul. L'étude
du développement cognitif doit donc inclure non seulement tous les domaines de la
psychologie, mais considérer également les contextes d'apprentissages.
Quatrièmement, depuis les années 1980, les recherches portant sur le développement
cognitif périnatal montrent que les bébés ont des compétences beaucoup plus précoces
que ce que pouvait imaginer Piaget (Lecuyer, 2004,2014 ; Lecuyer et al., 1994 ; Houdé,
2004). En postulant que c'est par l'action motrice que le sujet se construit, Piaget,
minimise les compétences des bébés dont les actions motrices sont encore maladroites et
peu nombreuses avant 6/8 mois. Ainsi, des recherches de plus en plus nombreuses
montrent que l'action perceptive, moins contrainte en début de vie que l'action motrice,
peut témoigner d'un développement cognitif sophistiqué dès la naissance, voire in utero.
De fait, le clivage entre perception et action apparaît à l'aube du XXIe siècle obsolète, la
perception étant envisagée comme « une action simulée » (Berthoz, 1997). Le bébé
physicien proposé par Piaget, est précédé d'un bébé astronome (qui observe) comme le
propose Lécuyer (1989). Nous exposons ici deux recherches portant sur des thèmes
piagétiens centraux, l'une sur la permanence de l'objet, l'autre sur les quantités, afin
d'illustrer les compétences précoces de l'enfant qui ne passent pas nécessairement par
l'action. Ces recherches s'appuient sur la mesure des temps de regard du bébé.
Concernant la permanence de l'objet, l'expérience type consiste à présenter aux bébés
successivement deux situations sur un écran de télévision : sur la première vidéo, un
nounours « disparaît » derrière un cache puis réparait de l'autre côté ; sur la seconde
vidéo, le nounours qui réapparaît est différent. Les résultats montrent que les bébés dès
3 mois sont surpris (regardent plus longtemps) la situation où le nounours change !
Preuve que les bébés conçoivent qu'un objet continue d'exister lorsqu'il disparaît de leur
vue8. Concernant les quantités, Karen Wynn (1992) a montré que les bébés dès l'âge de
4−5 mois regardent plus longtemps une situation numériquement impossible (petit
théâtre de figurines où sont réalisés sous leurs yeux des événements possibles (par
exemple 1 figurine + 1 figurine = 2 figurines) ou magiques (1 + 1 = 1 ou 1 + 1 = 3) obtenus
par trucage expérimental) que la situation numériquement juste (1 + 1 = 2). Si on a un
temps interprété ce résultat comme la preuve que les bébés étaient capables de compter
dès 4 mois (le titre de l'article publié dans Nature ne s'intitule-t-il pas « Addition et
soustraction chez les bébés » ?), on sait aujourd'hui que cette augmentation du temps de
fixation est plus en lien avec la détection de critères autres que le nombre, comme la
densité ou le repérage spatio-temporel. Pour autant, cette recherche témoigne de leurs
capacités cognitives précoces, leur permettant de repérer de petites différences, cette
capacité constituant une première étape dans les constructions numériques ultérieures.
Enfin, dernière critique : le manque d'explications sur les mécanismes de
développement, le « pourquoi » on passe d'un stade à un autre. Piaget parle de pensée
intuitive puis opératoire, d'abstraction réfléchissante9 susceptible d'expliquer le passage
d'un stade à un autre, mais n'évoque pas à proprement parler les facteurs de
développement. Ce sera la préoccupation majeure des chercheurs dits « néo-
piagétiens » à la fin des années 1970, qui développent différentes théories dont nous
donnons maintenant les principales pistes de réflexion, à travers les théories de Pascual-
Leone et Case.

Les nouvelles théories du développement : l'après-Piaget


Dès les années 1970, un vaste mouvement scientifique se crée afin d'articuler la théorie
de Piaget au sujet réel, c'est-à-dire en contexte et plus particulièrement de réinterpréter
les apports théoriques du structuralisme piagétien à la lumière des connaissances en
psychologie cognitive, notamment sur le traitement de l'information et la mémoire de
travail10. Certains chercheurs comme Pascual-Leone (1970 ; 1988)11 ou Case (1985) y
voient une source possible d'explication du passage d'un stade à un autre (mécanisme
qui permet qu'un schème cesse d'être activé au profit d'un autre, ce qui n'est
effectivement pas décrit par Piaget).

La théorie des opérateurs constructifs (TCO) de Pascual-


Leone
Pascual-Leone (1988) fait l'hypothèse qu'il existe une ressource cognitive, une sorte de
puissance mentale, appelée attention mentale, qui permet à un moment donné d'activer
le bon schème12 (dit pertinent) au détriment du mauvais schème (dit trompeur). Il
imagine une architecture cognitive générale comprenant une mémoire permanente, une
instance attentionnelle et des instances de contrôle dont l'organisation fonctionnelle est
soumise à certaines contraintes. La mémoire permanente comprend l'ensemble des
répertoires des schèmes cognitifs (figuratifs, opératifs et exécutifs), mais il y inclut aussi
des schèmes affectifs (émotions, motivations) et personnels (styles cognitifs, valeurs,
croyances) déclenchés par une situation, qui introduisent une dimension contextuelle et
différentielle intéressante, non présente chez Piaget, chaque sujet apprenant dans un
contexte qui lui est spécifique et pouvant avoir un style cognitif particulier (notion de
trajectoire développementale). Ce système subjectif pourrait s'apparenter aux logiciels
dans un système informatique si le sujet était un ordinateur (nous choisissons les
logiciels de notre ordinateur en fonction de ce que l'on veut faire, de nos attentes et de
notre expérience). L'instance attentionnelle, quant à elle, est composée de différents
opérateurs dits silencieux ou hardware, dont celui de l'activation mentale (M), de
l'inhibition (I) ou du champ (F) qui contrôlent l'exécution des schèmes, comme le disque
dur d'un ordinateur (qui permet de faire fonctionner l'ordinateur au-delà de
l'expérience subjective, ici quel que soit les logiciels mis en place). L'opérateur
d'activation mentale M a pour fonction d'augmenter l'activation des schèmes pertinents
et l'opérateur d'inhibition I est chargé de désactiver les schèmes non pertinents en
synergie avec M. L'opérateur F (pour field, champ) a pour fonction d'activer les schèmes
en contexte et déjà appris (automatisés), constituant une sorte de pré-assimilation.
Toutefois, cet opérateur est susceptible de favoriser la résolution des problèmes ou de
l'entraver. S'il facilite la tâche, il allège donc la charge de l'opérateur M ; s'il l'entrave, il
la rend plus difficile en activant les schèmes non pertinents (dits trompeurs)13. Quant
aux instances de contrôle, Pascual-Leone distingue un opérateur exécutif E qui est
chargé de détecter les schèmes pertinents ou trompeurs eu égard aux objectifs et
mobilise les ressources attentionnelles (opérateur M) pour activer les schèmes
pertinents, ainsi que les ressources fournies par l'opérateur I pour inhiber les schèmes
non pertinents et les schèmes trompeurs. L'opérateur M est capable d'activer de plus en
plus de schèmes grâce à la puissance M qui augmente avec l'âge. Pour Pascual-Leone
(2000), le passage d'un stade à un autre s'explique par l'augmentation de cette puissance
avec le développement du système nerveux central : à chaque stade de développement,
il y a un nombre maximal de schèmes qui peut être activé si l'énergie nécessaire à leur
activation est présente. Ainsi, Pascual-Leone postule que la capacité M augmente avec
la maturation du système nerveux central au cours de l'enfance. Il définit même
précisément cette augmentation : à 3 ans elle ne peut activer qu'un seul schème pour
activer à 16 ans jusqu'à sept schèmes simultanément, avec en moyenne l'activation d'un
schème de plus tous les 2 ans (Pascual-Leone et Baillargeon, 1994). Cela correspond à la
valeur maximale de coexistence d'informations dans l'espace d'exécution (mémoire de
travail) à plus ou moins deux informations, bien que cette capacité reste très difficile à
évaluer hors contexte, c'est-à-dire indépendamment des domaines de compétences et
du degré d'expertise de l'individu.

La théorie de Case
Le psychologue canadien Robbie Case (décédé prématurément en 2000) propose quant
à lui un modèle où la mémoire de travail14 est un élément clef du développement. Il
garde de la théorie piagétienne l'idée que l'enfant est acteur de son développement
(constructivisme), et qu'il y a des structures liées les unes aux autres (structuralisme).
Pour autant chez Case (1985), ces structures ne se définissent plus par la logique, mais
par leur niveau de complexité. Et s'il emprunte à Pascual-Leone l'idée d'une capacité
limitée de traitement, il postule que cette capacité n'est pas seulement subordonnée à la
croissance nerveuse, mais aussi à l'optimisation de son usage : ainsi, ce ne serait pas la
capacité totale de stockage qui augmenterait, mais l'espace de stockage qui
augmenterait au fur et à mesure que l'espace occupé par le traitement diminuerait.
Outre la maturation biologique, c'est l'automatisation des tâches, devenues familières,
qui libérerait de l'espace de stockage dans la mémoire de travail. En pratique, pour
Case, l'enfant en développement est devant chaque nouvelle situation comme un sujet
devant un problème à résoudre. Partant de ce point de vue, Case définit :
1. une situation problème qui active une représentation de la situation actuelle ;
2. des objectifs à atteindre qui activent des représentations de la situation souhaitée ;
3. des stratégies à mettre en œuvre pour atteindre le but (grâce aux schèmes
exécutifs).
L'analyse de la tâche est réalisée en termes de buts et de sous-buts, de telle sorte qu'à
chaque sous-but correspond une stratégie spécifique. L'ensemble de ces stratégies est
géré par des Structures de contrôle exécutif (SCE) qui supervisent les transformations
effectuées (Case, 1992, 1996). Elles constituent le tissu conceptuel de la compréhension,
sorte de réseau interne de concepts et de relations conceptuelles, qui permettent aux
enfants de réfléchir sur des situations15.
D'un point de vue développemental, Case décrit 4 grands stades qui diffèrent par la
nature des schèmes sur lesquels portent la structuration (changements d'ordre
qualitatif).
• Le premier stade est dit sensori-moteur : il s'agit d'opérations coordonnant des
schèmes sensori-moteurs tels écarter un obstacle pour attraper un objet.
• Le second stade est appelé interrelationnel. C'est le stade des opérations de relations
qualitatives entre les objets : « plus que…, beaucoup, plus lourd que… ». Les enfants
sont en mesure d'expérimenter sur la relation qui unit deux objets et non plus
uniquement sur l'objet lui-même. Ils apprennent à manipuler le schème de
comptage, sans comprendre que la quantité peut être précisément déterminée par
un nombre et pas seulement par « beaucoup ou peu ».
• Le troisième stade, ou stade dimensionnel, se caractérise par le fait que l'enfant est en
mesure d'expérimenter sur l'aspect quantitatif des variables et non plus sur leur
aspect qualitatif uniquement, amenant ainsi une appréciation plus juste de
l'environnement. Par exemple, comme dans l'expérience de la balance où l'enfant
doit apprendre à coordonner deux dimensions quantifiables (le poids et la distance).
• Enfin le dernier stade, le stade vectoriel correspond à la capacité d'établir des rapports
entre les variations sur les dimensions considérées et à comparer ces rapports
(comprendre les rapports de proportions) ; l'enfant n'a finalement plus besoin de
support concret dans ses opérations et peut maintenant comprendre des systèmes
abstraits complexes (Lautrey, 2007a, 2007b).

Comparaison des stades chez Piaget et Case


Tout l'art de Case est d'avoir réussi à intégrer l'approche cognitive, sans pour autant
rompre avec l'héritage des stades piagétiens. On retiendra donc comme points de repère
du développement cognitif : les organisations sensori-motrices, les représentations
symboliques, les opérations et enfin les abstractions. Comme Piaget, Case conserve
l'hypothèse d'un développement universel, d'une hiérarchisation des stades où chacun se
caractérise par une structure qualitative unique et soutient l'idée que l'enfant est pourvu
de modes de pensées spécifiques à certains types de connaissances (le nombre, l'espace
et la narration). Toutefois, il postule que le développement des structures cognitives
dépend de la culture de l'enfant, de ses expériences vécues et du contexte dans lequel le
problème est posé, introduisant une dimension de variabilité intra- et interindividuelle.
De même, la nature de ce qui se développe n'est pas appréciée de la même façon : si
Piaget caractérise les changements de stades par la construction de structures cognitives
qualitativement nouvelles, Case les caractérise par de nouveaux objectifs qui sont à
atteindre.

Conclusion
La théorie de Jean Piaget a marqué incontestablement la psychologie du
développement. Elle a le mérite considérable de susciter débats et discussions et de
permettre la formulation de nouvelles hypothèses encore aujourd'hui. On retiendra
deux apports majeurs : d'abord celui d'avoir pensé l'intelligence sous une forme
structurelle logique. C'est l'accroissement des connaissances qui permettrait une
meilleure adaptation de l'homme à son environnement et cet accroissement requerrait le
raisonnement logique. Si les outils logico-mathématiques ne conduisent pas à eux seuls
à l'intelligence, ils y participent invariablement. Le second apport est d'avoir postulé
que c'est par l'action que le sujet construit son développement, une sorte d'intelligence
in progress. Ce rôle de l'action, qui a été critiqué, est pourtant vu comme un élément
majeur, la perception étant aujourd'hui également entendue comme un élément de
l'action.
Pour autant, les récentes connaissances sur les compétences du nouveau-né ou encore
le peu d'explications par Piaget des mécanismes permettant le passage d'un stade à un
autre ont obligé les chercheurs à modifier, spécifier ou repenser sa théorie. Les théories
néo-piagétiennes qui ont vu le jour dans les années 1970 gardent de Piaget l'idée que les
nouvelles structures sont à construire par l'enfant (constructivisme), mais ils
empruntent à la psychologie cognitive les concepts de traitement de l'information et de
modules (Fodor, 1983). S'ils s'accordent comme lui sur le rôle majeur de la maturation
du système nerveux central, ils ne considèrent pas pour autant qu'elle installe les
structures, mais qu'elle donne un nouvel espace de possibilités. S'ils cherchent à
dégager comme lui des principes de fonctionnement et une séquence de stades
généraux, ils ne lient pas ces stades à des structures contraintes par le développement
logico-mathématique, mais par la contrainte qu'exerce la limitation de la capacité de
traitement sur le fonctionnement cognitif (niveau de complexité croissant). Dans cette
perspective, les néo-piagétiens parleront d'intégration : des éléments cognitifs d'un
niveau qui se retrouvent unis dans un élément cognitif unitaire de niveau supérieur.
Cette capacité de traitement évolue avec l'âge, déterminant un niveau maximal de
complexité cognitive qu'un individu est capable d'appréhender dans la résolution d'une
tâche nouvelle. Enfin, chez les néo-piagétiens, ces structures sont universelles dans leur
séquence, mais spécifiques dans leur forme et leur occurrence ; elles sont applicables à
un domaine spécifique, elles sont acquises par l'environnement social et enfin elles
peuvent être enseignées. Reste à souligner les deux principales divergences existant
entre Pascual-Leone et Case : la première porte sur la nature de la capacité mentale.
Pour Case, il s'agit de la mémoire de travail, tandis que pour Pascual-Leone, il s'agit
d'un système de gestion de l'attention mentale. La seconde porte sur le développement
de cette capacité. Pour Pascual-Leone, c'est la capacité elle-même qui augmente, alors
que pour Case, c'est seulement l'espace de stockage qui augmente, au fur et à mesure
que l'espace occupé par le traitement diminue (du fait de l'augmentation de sa vitesse)
en fonction de la maturation et de l'expérience. Enfin, notons une divergence sur les
mécanismes qui mènent aux stades de développement, puisque Pascual-Leone postule
que c'est l'accroissement du nombre de schèmes pouvant être activés simultanément qui
permet de passer d'un stade à un autre, tandis que Case postule que le développement
en stades repose sur l'augmentation progressive de la complexité des sous-stades qui
débouche sur une automatisation permettant au stade suivant de démarrer.
À cette vision du développement qui considère que l'échec à une tâche suppose
l'absence de compétences ou un défaut de la programmation exécutive, Olivier Houdé
(2013) propose une autre interprétation : « … Le développement cognitif du bébé ne
devrait pas seulement être conçu comme l'acquisition progressive de connaissances,
mais aussi relever d'une capacité d'inhibition de réactions qui entravent l'expression de
connaissances déjà présentes. » Ainsi pour Houdé, se développer, c'est apprendre à
inhiber des stratégies qui entrent en compétition dans le cerveau. Dans cette
perspective, l'échec des enfants dans la tâche de la conservation du nombre n'est pas dû
tant au fait qu'ils n'ont pas encore accès à la structure logique idoine, mais qu'ils n'ont
pas appris à inhiber le schème trompeur (stratégie perceptive inadéquate « longueur
égale nombre »), appelé biais perceptif, schème qui fonctionne la plupart du temps et
que même les adultes appliquent16, mais qui parfois induit en erreur.
Enfin, la notion de stade, symbole de la pensée piagétienne contraint beaucoup le
concept de développement. Les nouvelles théories proposant des modèles basés sur
l'auto-organisation (voir le chapitre 8) tendent à concilier les versants continu et
discontinu du développement sans rompre avec le constructivisme piagétien (Lehalle et
Mellier, 2013).

Références
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1
Un grand merci à Henri Lehalle et Roger Lécuyer pour leur relecture généreuse et attentive.
2
Il faut rendre à James Baldwin (1861−1934) d'être le premier à postuler que l'enfant construit ses connaissances à la
fois en assimilant les informations de l'environnement (qui active des sortes de patrons d'actions) et en accommodant
son comportement aux spécificités de l'environnement.
3
C'est l'œuvre la plus vaste produite au XXe siècle dans le domaine du développement, avec une cinquantaine
d'ouvrages et plus de 700 articles.
4
Passionné par le cheminement développemental qui conduit aux compétences, Piaget a cherché à analyser et
comprendre l'évolution de ces structures de connaissances dans le temps en développant une méthode, dite
d'entretien clinique (cf. chapitre 42, qui consiste en une conversation avec l'enfant, à propos de la tâche qu'on lui
demande de faire et pendant qu'il la fait. Cette méthode clinique considère deux choses simultanément : la
manipulation de la tâche par l'enfant (le matériel a été choisi de manière à permettre un constat relatif à une question
que l'on se pose) et les verbalisations de l'enfant.
5
Le développement cognitif d'après la conception de Piaget, soit un processus continu et progressif.
6
Piaget identifie diverses opérations acquises pendant ce stade comme la classification, la sériation, le nombre et la
résolution d'opérations spatio-temporelles, constitutives des objets eux-mêmes.
7
Variabilité des caractères observables, par exemple variabilité de l'apparition de la marche, du langage, du « non »,
etc.
8
Pour une revue des recherches sur la transgression des attentes, voir le chapitre 7.
9
C'est la capacité d'observer son action pour en étudier les effets, la réfléchir afin qu'elle soit représentée par des
indices qui lui resteront attachés. L'enfant coordonne par la suite ces indices les uns avec les autres en les insérant
dans des schèmes en construction, lui permettant de diriger son action de manière à obtenir les effets alors attendus.
10
Par faute de place, on ne peut détailler tous les modèles des auteurs dits « néo-piagétiens ». On citera Kurt Fisher,
Andreas Demetriou ou Graeme Halford. Voir l'article de Ribeaupierre (2007) pour une revue plus complète de ces
modèles.
11
Pascual-Leone arrive à Genève en 1960 pour préparer une thèse sous la direction de Piaget. Il s'inscrit dans la même
approche constructiviste que lui, mais va rapidement prendre ses distances et finir sa thèse aux États-Unis, car si
Piaget décrit les stades de développement cognitif, il n'explique pas par quels mécanismes l'enfant passe d'un stade à
l'autre, ce que va tenter d'expliquer Pascual-Leone.
12
Structures de connaissances.
13
Par exemple, si notre ordinateur présente subitement un écran noir, on aura tendance à penser que le disque dur est
bloqué (schème trompeur) sans aller regarder si la prise n'est pas débranchée (indépendance à l'égard du champ
perceptif). Chez les enfants, l'opérateur F induit en erreur les enfants qui « voient » un verre plus plein que l'autre
alors que c'est la forme qui diffère.
14
Pour les psychologues cognitivistes, la mémoire de travail (située dans le lobe frontal) est le centre de traitement
des opérations mentales les plus complexes comme la planification, les calculs, la réflexion consciente, la stratégie,
etc.
15
En 1996, Case propose d'ajouter les structures conceptuelles centrales qui sont selon lui une seconde contrainte (la
première contrainte étant la capacité limitée de la mémoire de travail), cette fois-ci sémantique, qui structurent le
développement cognitif. Ces structures s'apparentent aux structures de Piaget dans le sens où elles sont un ensemble
interne d'opérations organisées en des systèmes cohérents évoluant en stades et sous stades. Pour autant, elles
diffèrent de celles de Piaget de façon majeure, en ce sens que les opérations qui les composent n'ont pas de caractère
logico-mathématique, qu'elles sont universelles dans leur séquence, mais spécifiques dans leur forme et leur
occurrence, qu'elles sont applicables à un domaine spécifique, acquises par l'environnement social et enfin qu'elles
peuvent être enseignées.
16
Des expériences réalisées avec Bernard et Nathalie Mazoyer à Caen ont permis de découvrir ce qui se passe dans le
cerveau de jeunes adultes avant et après l'apprentissage de l'inhibition d'une stratégie perceptive inadéquate, c'est-à-
dire avant et après la correction d'une erreur de raisonnement. On observe une reconfiguration des réseaux
cérébraux, notamment dans la zone dite « préfrontale ».
CHAPITRE 2

Le constructivisme social : de Lev


Vygotsky à Jerome Bruner
Caroline Guerini

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les théories socio-constructivistes
Les prolongations des théories socio-constructivistes
Conclusion

Introduction
À l'origine de la psychologie de l'enfant et du développement, au XXe siècle, les théories
de Sigmund Freud (1856−1939), Jean Piaget (Suisse, 1896−1980), Henri Wallon (France,
1879−1962) et Lev Vygotsky (Russie, 1896−1934) ont posé les bases sur le
développement psychologique de l'affectivité, des compétences sociales, et de
l'intelligence.
Michel Deleau (1999) élabore une réflexion sur ces théories en les classant selon deux
groupes : les théories orthogénétiques (Freud, Piaget), et les théories socio-constructivistes
(Wallon, Vygotsky). Ces deux groupes de théories s'opposent quant à leurs approches
du développement.
Les théories orthogénétiques1 de Freud et Piaget accordent une place prépondérante
aux facteurs internes dans les transformations de l'organisation psychique, même si
leurs objectifs diffèrent. La théorie de Piaget, centrée sur l'épistémologie génétique
(genèse des connaissances) et la construction de l'intelligence (1936, 1937), a mis en
évidence quatre stades généraux du développement de la naissance à la fin de
l'adolescence (stade sensori-moteur, stade préopératoire, stade des opérations concrètes,
stade des opérations formelles). La théorie de Freud (1905, 1915) concerne le
développement psychoaffectif et libidinal et repose aussi sur des stades généraux de
développement (stade oral, stade anal, stade phallique, stade de latence et stade
génital). Ces deux théories, quoique différentes sur les questions posées, partagent
néanmoins des implications. D'une part, elles mettent au centre de l'explication du
développement la notion de stade. Chaque stade est une structure générale d'ensemble
qui recouvre et régit les conduites. Les stades de développement se succèdent selon un
ordre, et sont universels. D'autre part, ces théories voient dans l'enfance, à travers les
transformations qualitatives, un modèle explicatif de l'organisation psychique adulte, et
considèrent ainsi l'organisation psychique de l'enfant comme radicalement différente de
celle de l'adulte. Selon ces principes, le développement est donc normé, avec un point
d'achèvement à la fin de l'adolescence, marquant le terme des transformations
qualitatives de l'enfance. Il s'agit pour Freud de l'avènement du stade génital, et pour
Piaget du stade formel. Ces deux théories postulent que le développement est régi par
des facteurs endogènes, dont le principe organisateur réside en l'individu. En
conséquence, le rôle du milieu environnant n'est pas un facteur déterminant ni
constitutif du développement. Le milieu environnant peut être à l'origine de différences
interindividuelles, mais d'après ces théories orthogénétiques, le développement est
indépendant de la culture.
Il en est tout autrement selon les théories épigénétiques, ou nommées aussi socio-
constructivistes : le rôle du milieu, et celui de l'éducation sont déterminants pour le
développement et l'organisation psychique de la conduite. Ainsi, les théories de Wallon
et de Vygotsky se rejoignent sur l'idée de la primauté des interactions sociales dans le
développement cognitif.
Dans une première partie, après avoir souligné les caractéristiques de ces théories,
nous présenterons les grandes lignes de celles de Wallon et de Vygotsky. La deuxième
partie sera consacrée aux auteurs qui ont prolongé chacune de ces théories.

Les théories socio-constructivistes


Les caractéristiques des théories socio-
constructivistes
Nous pouvons mentionner trois aspects caractérisant les théories socio-constructivistes :
le croisement de la ligne biologique et de la ligne sociale, l'histoire culturelle et
l'éducation, et une conception différente du développement par rapport à la notion de
stade présente dans les théories orthogénétiques.
Les théories socio-constructivistes ont pour caractéristique principale de considérer le
milieu social de l'enfant comme cadre organisateur de la régulation des conduites, et
accordent aux interactions sociales une primauté dans le développement des
connaissances de l'enfant. En effet, le nouveau-né, par son état d'immaturité biologique,
est dépendant de l'environnement pour sa survie (depuis la naissance et pendant
plusieurs années), mais il dispose de moyens pour communiquer et signaler ses états
physiologiques ou émotionnels. Les émotions constituent un premier système qui
établit et permet la régulation de l'échange avec le milieu social proche. En parallèle, les
personnes du milieu social décodent ces émotions, soutiennent et maintiennent les
échanges. Le système d'échange, basé sur les émotions, atteste donc bien qu'il y a très
tôt pour le nourrisson un croisement entre la ligne biologique et la ligne sociale.
Le milieu social humain ayant pour particularité, unique dans le mode des êtres
vivants, d'avoir développé des systèmes sémiotiques (c'est-à-dire des systèmes de
signes arbitraires, conventionnels représentant le réel), le jeune enfant dépend aussi des
adultes pour s'initier, découvrir, et intérioriser ces systèmes de représentation
complexes issus d'une longue histoire culturelle. Les théories socio-constructivistes
mettent ainsi en avant l'éducation et les apprentissages comme facteurs majeurs de
l'évolution cognitive de l'enfant. Ainsi pour Vygotsky, l'apprentissage précède le
développement, et c'est dans la relation asymétrique entre l'adulte et l'enfant (du point
de vue des connaissances) que l'enfant peut progresser et atteindre des niveaux de
connaissance qu'il ne pourrait pas atteindre sans la transmission, par l'adulte, des outils
culturels.
Les relations avec les adultes du milieu social environnant étant primordiales pour le
développement de l'enfant, on met en avant dans les théories socio-constructivistes les
conduites de l'enfant qui ont une valeur adaptative dans le milieu dans lequel il grandit.
Alors que, selon Piaget, le développement suit des stades de façon linéaire – le stade
étant une structure d'ensemble qui régit les modes d'actions et de pensée sur une
période de développement donnée – les auteurs socio-constructivistes conçoivent le
développement, non pas en changements globaux par paliers, mais plutôt comme des
changements liés à l'émergence de conduites dominantes à un âge donné (pouvant
coexister avec d'autres conduites possibles) (cf. Wallon), ou comme des zones
proximales de développement (cf. Vygotsky).

La théorie de Henri Wallon


Éléments biographiques
Agrégé de philosophie en 1902, docteur en médecine en 1908 (médecin militaire
pendant la Première Guerre mondiale, 1914–1918), Henri Wallon publia sa thèse de
doctorat ès lettres L'enfant turbulent (1925), après avoir fondé le laboratoire de
psychobiologie de l'enfant à Paris en 1922. Il fut directeur d'études à l'École pratique des
hautes études (EPHE) et président de la Société française de psychologie en 1927. De
1937 à 1949, il enseigna au Collège de France. En 1946, il fut député de Paris, et
président de la Commission de réforme de l'enseignement (cf. plan d'éducation
« Langevin-Wallon ») et il eut une influence déterminante dans la création des postes de
psychologie scolaire. Wallon fonda en 1948 la revue Enfance, actuellement dirigée par
Jacqueline Nadel.

Les grandes lignes de la théorie


La théorie de Wallon (1934, 1941, 1942, 1945) est construite autour de la notion de
personnalité, prise dans le sens de l'être total, physico-psychique et tel qu'il se manifeste
par l'ensemble de son comportement. Ainsi prendre en compte la personne dans sa
globalité et sa complexité, c'est s'intéresser à plusieurs domaines du fonctionnement de
l'individu : l'affectivité, l'acte moteur et le développement psychomoteur, la
connaissance, la socialisation.
Rappelons que Wallon ne conçoit pas les stades comme des entités homogènes. Les
stades, nommés aussi étapes ou phases, sont caractérisés par un mode prédominant des
rapports de l'enfant avec son milieu, en fonction des moyens dont il dispose à un
moment du développement. Ceci n'empêche pas la coexistence des autres dimensions.
L'auteur distingue le stade centrifuge, pour lequel l'orientation des conduites de l'enfant
est tournée vers l'extérieur, et le stade centripète, pour lequel l'orientation des conduites
est tournée vers le sujet lui-même. D'autre part, les stades ne sont pas strictement
délimités en termes chronologiques, car il peut y avoir des chevauchements et des
oscillations temporelles, dus au fait que des conduites fonctionnelles peuvent apparaître
transitoirement dans le développement, ou bien qu'une conduite puisse apparaître de
manière anticipée, disparaître momentanément avant de réapparaître définitivement.
Enfin, les stades marquent les crises du développement qui est essentiellement
discontinu selon l'auteur.
Selon Wallon, le nouveau-né est un être social, disposant de caractéristiques
physiologiques propres, et de capacités à être en interaction avec les personnes. La
personnalité, c'est-à-dire l'émergence de la conscience d'être une personne, sur la base
d'une différenciation moi-autrui, se construit tout au long des années, en particulier les
premières années, en fonction des interactions sociales. L'enfant ne grandit pas
seulement physiquement, il grandit aussi psychiquement, et l'entourage va modeler la
personnalité de l'enfant par les façons dont on le porte, lui parle, le touche, le regarde.
Ces interactions participent à la formation progressive de la conscience de soi chez le
jeune enfant.
Wallon indique plusieurs étapes du développement de la personnalité. La première
étape du développement est la vie intra-utérine. La naissance constitue la première
étape dans le monde aérien, dans lequel l'enfant ne dépend plus que de lui-même pour
ses besoins en oxygène. En revanche, il dépend d'autrui pour sa survie physiologique,
les besoins en nourriture et les soins physiques. Ainsi, la première étape d'impulsivité
motrice (0–6 mois) est centrifuge, tournée vers l'extérieur. La deuxième étape est le
stade émotionnel (3 mois–1 an), centripète, dans lequel les émotions se forgent en
moyens d'expression pour le bébé. La troisième étape (1 an–3 ans) est un stade
centrifuge : sensori-moteur et projectif, caractérisé par la prédominance des acquisitions
du langage et de la marche. La quatrième étape, centripète, est le stade du
personnalisme (3–6 ans), composé de trois périodes : période d'opposition vers l'âge de
3 ans (exprimé par le « non »), période de grâce vers l'âge de 4 ans, période d'imitation
vers l'âge de 5 ans. La cinquième étape est le stade catégoriel (6–11 ans), période des
acquisitions scolaires et des savoirs fondamentaux. C'est un stade qualifié de centrifuge,
car l'enfant se tourne vers les connaissances et les activités intellectuelles, et caractérisé
par l'évolution de la pensée en catégories mentales, ainsi que par l'abstraction
progressive du réel. À partir de 11 ans commence le stade centripète de la puberté et de
l'adolescence, marqué par une crise de la personnalité liée à des transformations
physiologiques et mentales, de même que des contradictions de la personnalité
caractéristiques de cette période.
La théorie de Wallon eut un retentissement important dans le champ des recherches
concernant le développement de la communication entre le nourrisson et
l'environnement social, la compréhension holistique du développement et la pédagogie.
La théorie de Lev Vygotsky
Éléments biographiques
Passionné par de multiples domaines : littérature, art (théâtre en particulier), histoire,
philosophie et psychologie, et diplômé en droit, Lev Vygotsky fut un chercheur et
psychologue, mais aussi éducateur, critique d'art et épistémologue. Né en 1896 en
Biélorussie, il développa ses activités après la révolution d'octobre de 1917. Il dispensa
des cours de psychologie, et créa l'Institut pédagogique d'un laboratoire pour jeunes
enfants. Il intégra, en 1924, l'Institut de psychologie de l'université de Moscou et
développa une pédagogie dans la lutte contre l'analphabétisme. En 1925, il fonda un
laboratoire de psychologie pour l'enfance déficiente. Atteint depuis 1919 de tuberculose,
il succombe à la maladie en 1934, à l'âge de 37 ans, après avoir dicté le dernier chapitre
de son livre majeur Pensée et Langage. L'ouvrage sera traduit en anglais en 1962 et en
version française en 1985.

Les grandes lignes de la théorie


L'ensemble de ses propositions théoriques et méthodologiques constitue un cadre de
référence très riche pour l'étude du développement socio-cognitif (Clot, 1999). Ce cadre
théorique peut se résumer sous le terme « théorie historico-culturelle ». Selon Vygotsky,
le développement de l'être humain ne peut être dissocié de l'histoire de la culture d'un
individu. Tout enfant qui vient au monde arrive à un moment donné d'une
phylogenèse2 et de l'histoire d'une culture. L'éducation vient permettre à l'enfant de
s'approprier ce que Vygotsky nomme les « instruments psychologiques ». En effet, au
cours de l'histoire de l'humanité, les êtres humains ont inventé des outils matériels qui
ont agi sur la nature, mais ils ont aussi inventé des outils (ou instruments) qui ont agi
sur le psychisme et ont évolué au cours de la phylogenèse.
Ces instruments psychologiques sont multiples. Ils ont des fonctions de représentation
du monde : formes d'écriture et de langage, formes de comptage et de calcul, moyens
mnémotechniques, diagrammes, schémas, cartes, plans, œuvres d'art. Selon Vygotsky,
par leur fonction de représentation, les instruments psychologiques outillent la pensée.
La pensée revêt différentes fonctions psychiques supérieures selon la terminologie de
l'auteur. Il s'agit de l'attention volontaire, de la mémoire logique, des concepts, du
raisonnement, et de l'activité langagière. Ces fonctions psychiques supérieures sont
possibles par l'intégration progressive des instruments psychologiques au cours du
développement de l'enfant. Les processus de base tels que l'attention ou la mémoire, par
exemple, deviennent des activités psychiques dites supérieures, à partir du moment où
ils fonctionnent avec des moyens de représentations qui transforment ces processus de
base du psychisme, en processus contrôlés par l'activité mentale elle-même. Autrement
dit, les processus supérieurs marquent la capacité de l'humain à contrôler et transformer
sa propre activité mentale. Par exemple, on peut avoir une mémoire visuelle
photographique d'un troupeau de moutons. Mais, si on utilise un moyen comme des
encoches dans un morceau de bois pour chaque bête du troupeau, cela devient un
moyen de compter et de mémoriser l'information sur un support, extérieur à la
personne. Cette information peut ainsi être stockée à long terme, et transmise à d'autres
individus, sans les erreurs possibles ou les approximations de la mémoire visuelle.
L'information, externe à soi, devient ainsi un objet psychique, sur lequel on peut
réfléchir. La pensée se développe sur la base de cette capacité de décontextualisation
que nous avons décrite lorsque l'enfant accède à l'usage signifiant des premiers mots.
Ainsi, instruments psychologiques et fonctions psychiques supérieures sont liés, car les
instruments psychologiques influent sur la pensée, qui elle-même influe sur la création
et l'évolution des instruments psychologiques.
Ce rapport entre les instruments psychologiques et la pensée a permis l'évolution de
l'histoire culturelle que rencontre le jeune enfant, dès le début de sa vie. Toutefois,
l'enfant ne réinvente pas, au cours de son développement, l'évolution historique des
instruments psychologiques. Ainsi pour Vygotsky, l'enfant doit bénéficier de
l'éducation, au cours des interactions, qui va lui permettre, grâce à un expert tel que
l'adulte (« expert » parce qu'il détient les instruments psychologiques de la culture)
d'intérioriser peu à peu des instruments qui sont, au début de la vie, extérieurs à lui.
Le concept de la zone proximale de développement (ou zone de développement prochain)
théorise la fonction de l'étayage. En effet, pour amener à comprendre comment les
fonctions psychiques s'intériorisent et s'individualisent, Vygotsky distingue deux
niveaux chez l'enfant au cours de la réalisation d'une tâche :
• ce que l'enfant sait faire à un moment donné, seul au cours d'une tâche ;
• ce que l'enfant peut faire au cours d'une tâche, avec l'étayage ou la tutelle de l'adulte.
La zone proximale de développement est la distance entre ce que l'enfant réalise
quand il est seul, et ce qu'il peut réaliser quand l'adulte apporte des instruments
psychologiques. Brossard (2004) souligne d'ailleurs qu'un troisième niveau est à
considérer qui est celui de ce que l'enfant pourra réaliser seul, après la relation d'étayage.
La loi de développement qui en découle est formulée de la façon suivante : « Chaque
fonction psychique apparaît deux fois au cours du développement de l'enfant : d'abord
comme activité collective, sociale et donc comme fonction interpsychique ; puis elle
intervient une deuxième fois comme activité individuelle, comme propriété intérieure
de la pensée de l'enfant, comme fonction intrapsychique. » (Vygotsky 1933 ; 1934).
Ce passage de l'interpsychique à l'intrapsychique peut être illustré dans le
développement par un phénomène qui apparaît vers l'âge de 2 ans jusqu'à l'âge de
5 ans : le langage égocentrique. Il s'agit d'un langage que l'on observe chez le jeune enfant
assez fréquemment au cours de ses activités ou de ses jeux, seul ou accompagné. La
particularité est que l'enfant parle tout haut, sans adresser les mots à quelqu'un. Ce n'est
donc pas une fonction sociale du langage qui est apparente ici, mais une fonction, selon
Vygotsky, d'intériorisation progressive de ce que l'enfant a partagé dans les
interactions, de ce qu'il a entendu, retenu, de ce qu'il s'est approprié. C'est en quelque
sorte le passage vers une pensée intérieure, un langage intérieur. On peut parler du
« brouillon de la pensée » si l'on fait un parallèle avec le brouillon d'une feuille écrite
lorsque l'on essaie d'exprimer et d'organiser sa pensée. Chez le jeune enfant, le langage
égocentrique montre qu'il pense tout haut. C'est l'indice apparent que l'enfant organise
sa pensée, dans le sens de l'interpsychique vers l'intrapsychique. Vers l'âge de 5 ans,
cette forme de langage disparaît, car le langage intérieur s'est constitué.
En conclusion de cette partie, nous soulignons donc que les théories de Wallon et de
Vygotsky se rapprochent sur le rôle du milieu social comme cadre organisateur dans le
développement de l'enfant et de l'adolescent, sur la culture créatrice d'outils
psychologiques, sur l'appropriation par le jeune enfant de ces outils lors des interactions
sociales et lors des apprentissages. La différence majeure entre Wallon et Vygotsky
porte sur le langage ; pour Wallon le langage est un moyen de représentation, alors que
pour Vygotsky, il est d'abord un moyen de communication sociale, dans les premières
années.

Les prolongations des théories socio-constructivistes


Les prolongations de la théorie de Wallon
Les découvertes de René Zazzo
René Zazzo (1910–1995), collaborateur et successeur de Wallon au laboratoire de
psychobiologie de l'enfant, a particulièrement développé les questionnements sur la
conscience de soi, les premières manifestations du sentiment d'identité de l'enfant, ainsi
que sur les relations d'attachement. Un autre volet de son œuvre concerne l'approche de
l'examen psychologique de l'enfant, et celle des débilités mentales.
Parmi ses travaux marquants, on peut relever les études sur la reconnaissance de soi
dans le miroir. À l'âge où l'enfant commence à dire son prénom, à dire « je » vers 18–
24 mois, il reconnaît aussi sa propre image dans le miroir (Fontaine, 1992 ; Zazzo, 1993).
La reconnaissance de sa propre image indique que sur la base d'une conscience de soi,
l'enfant comprend que « cet autre pas comme les autres » dans le miroir, selon
l'expression de Zazzo, est le reflet de son corps. L'expérience du miroir permet de
révéler la conscience de soi chez l'enfant, mais le miroir ne construit pas la conscience
de soi. Celle-ci est complexe et trouve son origine ainsi que son développement dans les
interactions précoces des premières années. Il soulignait que la conscience de soi, objet
central en psychologie, se développe et se modifie aussi tout au long de l'enfance et au-
delà. L'auteur a aussi longuement a travaillé sur la gémellité, comme paradigme d'étude
de l'hérédité, et de l'émergence de la personnalité (Zazzo, 1960).
Parmi les découvertes de Zazzo, une observation, faite en 1945, préfigurera un
courant important des recherches en psychologie du développement. En effet, Zazzo
observa auprès de son fils nourrisson de 25 jours que lorsque lui-même tirait la langue,
le nourrisson aussi (Zazzo, 1957) ! En 1957, l'auteur publia cette observation qui
l'intriguait, car à l'époque, aucune théorie n'avançait que le nouveau-né soit capable
d'imiter, en tant que conduite intentionnelle visant à reproduire un comportement.
Piaget et Wallon ne définissaient l'imitation que sur la base d'une représentation, à
partir de 12 mois. Ce n'est que bien plus tard, à partir de l'étude de Maratos en 1973
(citée par Bower, 1977), que des études expérimentales mirent en évidence l'imitation
néonatale, c'est-à-dire le fait que le nouveau-né de quelques heures réagisse à un
stimulus en mouvement (protrusion de la langue, ouverture de la bouche) et reproduise
le même mouvement (Meltzoff, 1977). Ce fut le début d'un grand nombre de recherches
sur le sujet visant à comprendre la façon dont le nourrisson interagit avec les personnes
de son entourage, bien avant de parler.
Zazzo (1974) contribua de façon importante à diffuser le débat autour du concept
d'attachement, avec la publication d'un colloque épistolaire, rassemblant les
contributions de douze auteurs parmi lesquels des psychanalystes (Anzieu, Bowlby,
Duyckaerts, Lebovici, Spitz, Wildlöcher), des éthologistes (Chauvin, Lorenz, Harlow),
des psychologues de l'enfance (Zazzo, Malrieu), et d'un pédopsychiatre (Koupernik).
Fondateur de la Nouvelle échelle métrique de l'intelligence (NEMI) (Zazzo et al.,
1966), Zazzo s'intéressa au développement atypique et aux retards de développement
(Zazzo 1969 a, b). Il souligna que le développement ne prend pas un chemin unique, et
que pour un même enfant, le développement se fait à plusieurs vitesses selon les
domaines. C'est l'hétérochronie développementale. On rejoint aussi l'idée de Wallon sur
le développement de la personnalité, selon différents domaines, exposée plus haut.
Ainsi pour un même individu, il peut y avoir, à une phase du développement, des
déficits dans un domaine, par exemple psychomoteur, mais aussi de hautes
compétences dans un autre domaine, par exemple langagier.

La perspective développementale et comparative


Jacqueline Nadel, directeur de recherche émérite au CNRS, a repris la thèse wallonienne
(Nadel, 1979 ; 1986) et montré que dans le développement social par exemple, une
conduite telle que l'imitation synchrone entre enfants, vers l'âge de 2 ans ½–3 ans, a une
valeur transitoire et adaptative pour communiquer, avant que le langage verbal ne soit
maîtrisé. Nadel (2011) a ensuite interrogé et appliqué cette notion de conduite
adaptative, en fonction des capacités de l'enfant à tel moment du développement, dans
le cadre des interactions possibles avec les enfants autistes.
Suivant une conception théorique socio-constructiviste, Michel Deleau, professeur
émérite de psychologie du développement à l'université Rennes II, a prolongé les thèses
de Wallon et de Vygotsky (Deleau, 1985 ; 1990), en s'intéressant à l'ancrage social des
conduites sémiotiques au cours du développement typique. Il contribua à approfondir
les perspectives comparatives (comparaison homme-animal, comparaison
développement normal-développement troublé, comparaisons intercultuelles, (Deleau
et Weill-Barais, 1994)). Dans le cas de handicaps physiques, ses études ont porté sur le
handicap de la surdité. Deleau a aussi traduit en français l'ouvrage de Bruner, Le
développement de l'enfant. Savoir-faire, savoir-dire (1983), que nous présenterons dans la
section suivante.

Les prolongations de la théorie de Vygotsky


Le courant cognitiviste développemental avec J. Bruner
Jerome Bruner (1915–2016) fut le fondateur de la psychologie cognitive à Harvard en
1960 (Center for Cognitive Studies). La même année, il publia un ouvrage traduit
ensuite en dix-neuf langues : The Process of Education. Il contribua de façon déterminante
à faire redécouvrir la théorie de Vygotsky et à prolonger ses travaux. Il mit en évidence
le rôle structurant des interactions sociales dans le développement cognitif de l'enfant,
et apporta une contribution essentielle à l'analyse du rôle de l'école (Bruner, 1996).
Comme Vygotsky, Bruner (1974, 1983) énonce que le langage se développe par
ancrage social. Le langage est avant tout un moyen de communication avec autrui, un
moyen de partager des intentions, de co-construire du sens par rapport au réel. Dans le
développement du jeune enfant, le langage est d'abord un moyen de communiquer, et
le nourrisson manifeste déjà une intention à communiquer.
L'auteur accorde une place prépondérante aux interactions entre l'adulte et le jeune
enfant, car c'est l'adulte qui détient les codes linguistiques du langage, mais surtout c'est
à l'adulte que revient le rôle de soutenir, guider et assister l'enfant dans sa découverte
de la culture.
Bruner analyse les interactions précoces comme des formats d'interaction qui sont des
structures de base servant à contextualiser les échanges. Le plus souvent, dans un
contexte routinier de la vie quotidienne (promenade, repas, toilette), des échanges
s'instaurent comme des échanges standardisés, sur un mode ludique, grâce au soutien
de l'adulte qui initie et soutient ces interactions. Bruner montre que peu à peu l'enfant
apprend à socialiser ses intentions communicatives, et à maîtriser les moyens
conventionnels du langage dès la première année de la vie.
Un autre aspect de ses études concerne l'interaction de tutelle, lors de situation de
résolution de problèmes. Son analyse permet de comprendre le fonctionnement et
l'apport de la tutelle de l'adulte vers l'enfant, et ce que cela implique dans le
développement cognitif. En cela, les interactions de tutelle illustrent le concept de la
zone proximale de développement de Vygotsky. Ainsi, la recherche de Wood, Ross et
Bruner (1983) a mis en évidence le rôle d'un tuteur avec des enfants de 3, 4 et 5 ans,
autour d'une tâche de construction d'une pyramide avec des plots qui s'encastrent. Il
s'agit donc d'une résolution de problème, avec un objet aux composantes complexes
pour les jeunes enfants. Il ressort de cette étude les six fonctions de la tutelle.
• L'enrôlement dans la tâche : le tuteur engage l'intérêt et l'adhésion de l'enfant.
• La réduction des degrés de liberté : le tuteur simplifie la tâche jusqu'au niveau où
l'enfant peut reconnaître qu'il a réussi ou non à répondre aux exigences de la tâche.
• Le maintien de l'orientation : le tuteur rappelle ou met en évidence le but ou les sous-
buts de la tâche, et permet à l'enfant de s'orienter vers des tâches plus complexes.
• La signalisation des caractéristiques déterminantes : le tuteur signale les caractéristiques
de la tâche qui sont déterminantes pour son exécution, et il apporte des indications
sur l'écart entre le résultat obtenu et le résultat à atteindre.
• La démonstration : le tuteur peut présenter des modèles de solution. L'imitation fait
partie du processus d'apprentissage, dans la mesure où les capacités d'imitation sont
en fonction du niveau de développement de l'enfant. Imiter facilite l'apprentissage,
car cela permet à l'enfant d'intérioriser des processus dans la zone de ses capacités,
et par là même ouvre une zone proximale de développement.
• Le contrôle de la frustration : le tuteur installe un climat de confiance afin de maintenir
la motivation qui risque de disparaître.
Selon Bruner, la capacité à l'imitation revêt un caractère essentiel dans l'éducation qui
elle-même permet d'accéder à l'appropriation de la culture et des systèmes sémiotiques.
Dans le même champ d'étude de la psychologie culturelle, les travaux de Tomasello ont
précisé ces aspects.
Le courant développemental et culturel avec M. Tomasello
Michael Tomasello, chercheur américain en psychologie cognitive, et directeur de
l'Institut Max Planck d'anthropologie évolutionniste à Leipzig, est spécialiste de l'étude
comparative des capacités cognitives des primates et des enfants. Dans la perspective
historico-culturelle de Vygotsky, Tomasello (2004) soutient l'idée principale que
l'histoire culturelle des humains repose sur la capacité à imiter une conduite ou un
savoir-faire, et sur la capacité à transmettre les apprentissages qui fonctionne comme un
effet cliquet, empêchant tout retour en arrière dans la construction des connaissances.
L'auteur écrit : « Certaines traditions culturelles accumulent des modifications
apportées successivement par un grand nombre d'individus ; elles deviennent plus
complexes, intégrant progressivement des fonctions adaptatives de plus en plus
étendues. C'est ce qu'on qualifie d'évolution culturelle cumulative ou d'effet “cliquet”.
(…). La métaphore du cliquet rend compte du fait que l'apprentissage par imitation
(qu'elle s'accompagne ou non d'une instruction délibérée) permet précisément que soit
préservée la variante nouvellement construite introduite dans le groupe, où elle
constitue la base de nouvelles innovations, celles-ci à leur tour variant selon qu'elles
sont plus ou moins individuelles ou sociales/coopératives. Ainsi ce qui distingue les
traditions culturelles humaines de celles des chimpanzés (ou des quelques
manifestations du même type que l'on peut observer chez d'autres espèces de primates),
c'est qu'elles accumulent les modifications réalisées successivement au fil du temps,
qu'elles ont en quelque sorte une "histoire" culturelle. Si elles peuvent ainsi être
cumulatives et avoir une histoire, c'est parce qu'elles font appel à des processus
d'apprentissage culturel particulièrement puissants. Et cette efficacité particulière leur
est conférée par l'adaptation cognitive propre aux êtres humains, qui leur permet de
comprendre que les autres sont, comme eux, des êtres intentionnels. Cela les autorise à
créer des formes d'apprentissage social agissant comme des cliquets, qui préservent
fidèlement les stratégies nouvellement apparues dans le groupe social, jusqu'à ce que de
nouvelles améliorations les remplacent. » (2004, pp. 39–42 ; voir aussi Tomasello, 2015).
Dans l'ontogenèse3, l'auteur analyse, comme Bruner, la capacité à l'attention conjointe
comme une base essentielle au développement du langage. C'est au cours des scènes
d'attention conjointe que le jeune enfant de quelques mois perçoit l'intentionnalité du
partenaire quant à l'usage des signes linguistiques, car les scènes d'attention conjointe
fournissent des contextes d'intersubjectivité au cours desquels se produisent les
processus de symbolisation.

Le courant cognitiviste et social avec W. Doise et G. Mugny


Willem Doise et Gabriel Mugny ont développé un courant de recherche qui a mis en
évidence le rôle des interactions sociales entre pairs sur le développement cognitif. Si les
interactions avec les adultes sont cruciales au cours de la petite enfance, les interactions
avec les pairs deviennent aussi un facteur de développement à l'âge scolaire. C'est
précisément l'objectif des travaux de Doise et Mugny (1981). À la jonction de la théorie
de Piaget et de celle de Vygotsky, les auteurs ont analysé les effets du conflit socio-
cognitif sur la résolution de problèmes.
À partir de tâches piagétiennes (tâche de conservation par exemple), ou d'autres
types de résolution de problèmes, les auteurs ont montré que l'interaction de deux
enfants au cours de la tâche amène des progrès cognitifs pour chacun des enfants (de
niveau cognitif équivalent), conduisant à une amélioration des performances.
Autrement dit, la situation d'interaction fait surgir un conflit socio-cognitif dans la
mesure où, en interagissant autour d'un problème, il y a déstabilisation des points de
vue de chaque enfant sur le problème, ce qui entraîne, pour chacun, un remaniement
cognitif, ainsi qu'une prise de conscience de leurs procédures de résolution.

Conclusion
Deux aspects dans l'historique de la psychologie du développement méritent d'être
soulignés : d'une part, l'évolution des modèles théoriques, et d'autre part, l'intérêt des
recherches développementales pour les premières années de la vie de l'enfant.

Des modèles généraux du développement aux modèles


locaux
Un des apports principaux des théories socio-constructivistes, essentiellement basées
sur l'histoire phylogénétique et culturelle, a été d'analyser les effets du milieu social sur
le développement de l'enfant. Ces théories ont souligné que ces effets s'enclenchent dès
la naissance, en se combinant avec le développement des capacités physiologiques de
l'enfant. En outre, la remise en question de stades généraux constituant le
développement a été fortement marquée chez Vygotsky qui conceptualise le
développement selon des zones de développement proximal. L'idée sous-jacente est que
l'évolution des conduites de l'enfant dépend de la tutelle et de la transmission d'outils
culturels, générant des processus de pensée supérieurs (attention volontaire, mémoire
logique, raisonnement, analogies).
La remise en question de la notion de stade a entraîné l'émergence de modèles locaux
du développement, cherchant à rendre compte d'un ensemble de phénomènes sur un
domaine très précis. Par exemple, le modèle de Siegler (1996) s'intéresse à des domaines
distincts du développement – psychomoteur, langagier, mathématique, social, moral –
avec une analyse micro-génétique des changements dans chacun d'eux. L'auteur
emploie la métaphore des vagues pour conceptualiser le développement, car comme les
vagues de la mer, l'enfant a un esprit bouillonnant, mouvant, dans lequel les stratégies,
ou modes de pensée se croisent. L'enfant a plusieurs stratégies disponibles à un
moment donné selon le domaine considéré, avec une stratégie dominante, qui coexiste
avec d'autres. Le développement selon Siegler est ainsi constitué par une grande
variabilité à la fois intra-individuelle et interindividuelle. L'idée corollaire des modèles
locaux, et que les théories socio-constructives ont amenée, est que le développement n'a
pas de point de finitude, et que tout n'est pas joué une fois pour toutes dans l'enfance.
De plus, les théories socio-constructivistes fournissent des bases intéressantes pour
envisager le domaine de la compréhension de l'esprit par l'enfant. En effet, en mettant
en évidence que les enfants font l'expérience de l'intentionnalité des comportements à
travers les interactions sociales, elles engagent la réflexion sur les capacités de l'enfant à
utiliser des théories naïves et à comprendre les états mentaux.
Mentionnons enfin que, à la suite de Piaget, Wallon, Vygotsky (en ce qui concerne la
psychologie du développement), l'intérêt envers le développement des capacités
précoces de l'enfant s'est largement accru, pour constituer des champs de recherche très
féconds en données sur le plan cognitif et social, au cours des premières années de la
vie.

Du bébé physicien au bébé philosophe


Des recherches post-piagétiennes menées avec des outils d'enregistrement modernes et
avec des méthodologies spécifiques (par exemple, méthode d'habituation et de réaction
à la nouveauté, ou méthode de transgression des attentes ; voir le chapitre 42) ont
montré chez le nourrisson des compétences apparaissant plus tôt que ce que Piaget
avait daté dans ses observations, notamment pour la permanence d'objets, la perception
des relations physiques entre les objets, ou encore le transfert intermodal des modalités
sensorielles (par exemple, vision/toucher (Streri, 1991)). Après l'idée du « bébé
physicien » dont les structures mentales évoluent selon les expériences sensori-motrices
(Piaget, 1936, 1937), est apparu le terme de « bébé astronome » pour celui qui observe
son environnement et en tire des connaissances, bien avant de pouvoir se déplacer seul
ou d'avoir les capacités motrices pour interagir avec les objets (Lécuyer, 1989).
Concernant les compétences précoces et leur évolution chez le jeune enfant, on se
reportera à l'ouvrage de synthèse de Gopnik et al. (1999), ainsi qu'aux ouvrages collectifs
sous la direction de Pouthas et Jouen (1993) et Lécuyer (2004), à l'ouvrage de Rochat
(2006), et à celui de Lécuyer (2014) pour une discussion sur les conceptions théoriques
autour de l'innéisme et du constructivisme. Les premières années de la vie apparaissent
ainsi déjà riches quant au développement des connaissances chez l'enfant, tant du point
de vue de l'environnement physique que de l'environnement social.
À l'heure actuelle, on interroge aussi les capacités du nourrisson à percevoir les
émotions des personnes, à comprendre le lien entre les émotions et les actions d'une
personne, à comprendre les intentions, les différents états mentaux (cf. la capacité à la
théorie de l'esprit, Astington, 1999). Les recherches s'intéressent aussi à l'émergence
chez l'enfant du sens de soi, de la conscience, des sentiments, du sens moral, de la
fiction. C'est le « bébé philosophe » (Gopnik, 2009).

Références
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1
Orthogenèse : théorie selon laquelle les changements dans l'organisation psychologique sont pilotés par un
processus finalisé.
2
Phylogenèse : mode de formation, développement de l'espèce.
3
Ontogenèse : histoire de la vie de l'individu pendant la période embryonnaire et dans la période postnatale.
CHAPITRE 3

La théorie de l’attachement : John Bowlby


et Mary Ainsworth
Raphaële Miljkovitch

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les comportements d'attachement
Les stratégies d'attachement
Les modèles internes opérants
Conclusion

Introduction
On doit la théorie de l'attachement au psychiatre anglais John Bowlby (1957), selon
lequel le lien mère-enfant revêt une importance capitale. Il a ainsi appréhendé ce lien
selon une perspective évolutionniste. Selon Darwin (1859), la survie constitue l'objectif
principal d'une espèce. Les caractéristiques de l'espèce qui permettent l'adaptation à
l'environnement participent à sa préservation à travers le temps. Les individus dotés de
ces caractéristiques parviennent à assurer leur descendance et à perpétuer leurs gènes,
tandis que ceux qui ne disposent pas de telles caractéristiques sont voués à disparaître.
Ainsi, les espèces qui résistent au temps sont celles qui disposent des « programmes »
les plus biologiquement avantageux.
Pour Bowlby, la tendance à s'attacher serait un de ces programmes qui favorisent la
survie de l'espèce à travers les millénaires. Selon lui, l'homme, comme de nombreuses
espèces animales, est doté d'un système comportemental d'attachement, c'est-à-dire une
tendance innée à déployer des comportements qui favorisent l'établissement et le
maintien du lien avec la mère1. Parmi ces comportements d'attachement, on peut citer
les cris, les pleurs, l'agrippement, le sourire, qui ont pour effet d'interpeller et mobiliser
le fournisseur de soins.
Tandis que Freud estimait que l'attachement à la mère se formait secondairement,
grâce à la relation de nourrissage, Bowlby considérait l'attachement comme un besoin
primaire qui ne découle d'aucun autre. Le fait qu'un bébé puisse pleurer alors qu'il vient
de manger et qu'il ne se calme qu'une fois pris dans les bras illustre l'indépendance du
besoin d'attachement par rapport à celui du nourrissage. Les observations de René Spitz
(1945) d'enfants élevés en institution témoignent de façon encore plus criante du
caractère essentiel de l'attachement : alors que ces enfants (âgés de quelques mois à
5 ans) bénéficiaient d'une alimentation et d'une hygiène satisfaisantes, leur
développement était entravé, parfois au point qu'ils se laissassent dépérir. Les
expériences de Harlow (1958) sur des bébés singes ont également montré une tendance
chez le petit à rechercher le contact tactile, sans que celui-ci ne soit associé au
nourrissage. En présence de deux substituts maternels, l'un doux au toucher et l'autre
en fil de fer muni d'un biberon de lait, les singes allaient rapidement se ravitailler
auprès du substitut à biberon pour ensuite se blottir contre celui en tissu des heures
durant.
Pour Bowlby, l'attachement constitue un besoin vital. En cela, il a souligné la nécessité
de s'attacher pour la survie du jeune. Grâce au lien qu'il établit au moyen de ses
comportements innés, l'enfant bénéficie de la protection d'un adulte spécifique qui
veille sur lui de façon durable et qui l'accompagne dans sa découverte du monde.

Les comportements d'attachement


L'état de dépendance dans lequel naît un enfant confère à la relation avec l'adulte un
caractère vital. Dès la naissance, le nourrisson dispose d'un système de peur-alarme qui
l'alerte en cas de menace et qui déclenche son système d'attachement. Autrement dit,
dès que le bébé perçoit un danger (qu'il soit interne ou externe), il le signifie à sa figure
d'attachement par ses comportements d'attachement (cris, pleurs, etc.). Ainsi obtient-il
de l'adulte une réponse qui lui permet de se sentir protégé et de retrouver un sentiment
de sécurité. Plus la personne est dépendante, plus la relation avec une figure
d'attachement s'avère indispensable. C'est pourquoi les bébés et les jeunes enfants ont
besoin de soins très rapprochés. Les personnes âgées qui ont perdu leur autonomie se
retrouvent également dans un état de dépendance qui mobilise leur système
d'attachement. Ainsi, la perception du danger est-elle fonction de l'âge et de la
vulnérabilité de la personne (la maladie peut aussi abaisser le seuil d'activation du
système d'attachement). Elle résulte également d'un héritage phylogénétique qui
prédispose l'être humain à repérer certains dangers spécifiques. Par exemple, l'arrivée
soudaine d'un objet ou d'une personne sur soi ou un changement brutal de stimulation
déclenche instinctivement une réaction de peur. Chez le bébé (et à un moindre degré
chez l'adulte), les situations non familières peuvent elles aussi être source d'inquiétude.
L'enfant veille donc constamment à sa sécurité et sollicite l'adulte (son « havre de
sécurité ») lorsqu'il perçoit un danger. Avec le temps, l'éducation et la culture vont
façonner ses réactions de peur innées.
Avec l'âge aussi, l'enfant va progressivement se familiariser avec des choses qui
pouvaient auparavant l'effrayer. Pour Bowlby, la relation d'attachement sert de support
à partir duquel un enfant apprend à dépasser ses craintes initiales pour, petit à petit,
s'aventurer seul dans le monde qui l'entoure. En d'autres termes, l'attachement n'est pas
une fin en soi, mais un moyen pour l'enfant de devenir autonome et accéder au statut
d'adulte. Cette progression est rendue possible grâce au système d'exploration qui
amène l'enfant à s'intéresser à son environnement pour, à terme, le maîtriser et en
contourner les dangers. La curiosité, l'intérêt pour l'extérieur, qu'il s'agisse du monde
physique ou social, supposent l'activation du système d'exploration.
En s'inspirant de la cybernétique, Bowlby a conçu le système d'exploration comme un
système antagoniste au système d'attachement. En l'occurrence, l'exploration serait
impossible tant que l'enfant ne se sentirait pas en sécurité et que son système
d'attachement serait sollicité. En revanche, si l'enfant se sent en confiance et n'est pas
préoccupé par l'accessibilité de l'adulte, il serait psychologiquement disponible pour
porter son attention sur son environnement. Les systèmes d'attachement et
d'exploration s'activent donc en alternance, mais jamais en même temps. Mary
Ainsworth (1967), la plus proche collaboratrice de Bowlby, a affiné la conceptualisation
de Bowlby en introduisant la notion de base sécurisante. Au départ, cette base
correspond à la présence physique de la figure d'attachement : grâce à la proximité de
sa mère, le bébé se sent à l'aise pour s'intéresser aux objets ou aux personnes qui
l'entourent. Outre la présence physique, l'enfant doit sentir la présence psychologique
de l'adulte qui ne se contente pas simplement d'être là, mais qui veille sur lui. Petit à
petit, ce n'est pas tant la présence immédiate de l'adulte qui compte, que son
accessibilité. L'enfant peut s'éloigner de plus en plus, à condition qu'il ait confiance dans
le fait que son parent interviendra en cas de difficulté. Plus tard encore, la base
sécurisante devient une ressource interne, qui permet à la personne de se sentir en
confiance dans ses différents périples. En cela, l'autonomie repose sur la mise en place
d'un attachement de bonne qualité, dans lequel l'enfant se sent protégé et guidé. Des
travaux plus récents, montrant que le fœtus s'anime davantage quand il est en présence
de stimuli familiers (exemple : la voix de la mère), donnent à penser que l'alternance des
systèmes d'exploration et d'attachement s'observe avant même la naissance
(Miljkovitch, Gratier et Danet, 2012).

Les stratégies d'attachement


Bien que le bébé soit prédisposé dès la naissance à déployer des comportements
instinctifs pour attirer sa mère, ceux-ci n'ont pas toujours les effets escomptés. Ainsi,
certains enfants n'obtiennent pas de leur figure d'attachement une réponse satisfaisante
à leurs appels. Pour dissiper le malaise à l'origine de ceux-ci, ils doivent élaborer des
stratégies plus efficaces pour obtenir les soins dont ils ont besoin. Au fil du temps, ils
intériorisent les régularités dans les échanges et ajustent leurs comportements aux
réactions du parent. Ils modifient donc le niveau d'activation de leur système
d'attachement en fonction de ce qui est le plus favorable pour eux. Ce faisant, ils
développent des « stratégies secondaires d'attachement » (par opposition aux
« stratégies primaires » qui correspondent aux comportements innés : Main, 1990).
Mary Ainsworth (Ainsworth, Blehar, Waters et Wall, 1978) a mis au point la Situation
étrange, un dispositif expérimental qui permet de révéler les stratégies d'attachement de
l'enfant de 1 an (pour une présentation plus détaillée, voir le chapitre 42). Il s'agit d'une
procédure en laboratoire en plusieurs épisodes où l'enfant est alternativement en
présence puis en l'absence de sa mère, avec des retrouvailles tantôt avec une étrangère,
tantôt avec elle. Le stress provoqué par la séparation donne lieu à une activation du
système d'attachement. Selon la manière dont l'enfant se comporte avec sa mère au
moment des retrouvailles, on arrive à inférer les stratégies d'attachement qu'il a mises
en place. Ainsworth a ainsi identifié trois styles d'attachement.
Une première catégorie d'enfants semble recourir à des stratégies primaires (c'est-à-
dire innées) : ils n'activent leur système d'attachement qu'en cas de stress (en
l'occurrence pendant la séparation) pour le désactiver aussitôt que la mère revient, et
être à nouveau disponibles pour l'exploration. Des jouets mis à disposition dans la pièce
permettent d'observer la capacité de l'enfant à explorer. Ces enfants sont considérés
comme « sécures » (confiants, sécurisés), car ils n'ont pas eu à élaborer des stratégies
secondaires. Ceci est rendu possible quand les stratégies primaires donnent lieu aux
réponses attendues de la part du parent (Main, 1990), c'est-à-dire quand l'enfant arrive
efficacement à obtenir l'attention et les soins dont il a besoin avec ses signaux innés.
D'autres enfants semblent par contre inhiber leur système d'attachement en ce qu'ils
ne manifestent pas de détresse ou de recherche de contact pendant la Situation étrange.
Ils peuvent ne pas montrer d'inquiétude lors du départ de la mère, faisant mine de
continuer à jouer. Lorsqu'elle revient, ils l'évitent au lieu de chercher à être réconfortés
par elle. Il s'agit des enfants insécures/évitants (ou anxieux/évitants). Malgré leur
apparente indifférence, des mesures électrophysiologiques montrent que ces enfants
ressentent bien le stress de la situation (Sroufe et Waters, 1977). Leur absence de
réaction au retour de la mère ne reflète donc pas un état de quiétude, mais bien une
inhibition de leur système comportemental d'attachement (voir Miljkovitch, 2011 pour
une discussion sur la signification des comportements lors de la Situation étrange).
À l'extrême inverse, on retrouve des enfants qui hyperactivent leur système
d'attachement. Cela se traduit par une protestation contre la séparation (également
observable chez les enfants sécures), mais plus spécifiquement par une sollicitation
durable de la mère à son retour. Celle-ci prend la forme d'un comportement résistant,
où se mêlent colère et recherche de proximité. Selon Bowlby (1973), la colère est un
comportement d'attachement en ce qu'elle a effet dissuasif : en voyant la colère de son
enfant, un parent serait moins enclin à lui infliger à nouveau une séparation. Ainsi, les
enfants « anxieux-résistants » ou « anxieux-ambivalents » signifient clairement et
longuement à leur mère leur détresse et la nécessité pour elle d'y mettre un terme. Les
signaux d'attachement sont ainsi amplifiés. L'hyperactivation fait aussi que l'enfant a du
mal à retrouver un état de calme lui permettant d'explorer à nouveau les jouets dans la
pièce.
Suite à l'étude princeps d'Ainsworth, la Situation étrange a été administrée à d'autres
échantillons d'enfants. C'est ainsi qu'on s'est aperçu que certains enfants ne
correspondaient à aucune des catégories identifiées par Ainsworth. À partir de ces cas à
part, Main et Solomon (1986) ont introduit la catégorie d'attachement
« désorganisé/désorienté2 ». Contrairement aux trois cas de figure présentés plus haut,
les enfants de cette catégorie ne semblent pas avoir réussi à mettre en place une
stratégie d'attachement cohérente. Ils adoptent des attitudes étranges et contradictoires,
où deux tendances incompatibles se heurtent l'une à l'autre : ils cherchent à la fois à
s'approcher de la mère et à s'en éloigner. Dans certains cas où le conflit entre ces deux
tendances atteint son paroxysme, l'enfant reste immobile et figé, comme paralysé et
impuissant dans la gestion de sa détresse. Une expression de peur s'observe chez eux.
Parallèlement aux observations faites en laboratoire, Ainsworth a effectué
d'importantes observations au domicile des familles, qui ont permis d'établir des
correspondances avec les comportements en laboratoire et de déterminer les possibilités
de généralisation en dehors de ce contexte expérimental (voir Ainsworth et al., 1978 ou
Miljkovitch, 2011). Cette étude pionnière, ainsi que d'autres par la suite, a aussi permis
de comprendre les comportements maternels à l'origine de ces stratégies (voir
Miljkovitch, 2001).
À l'exception du dernier, ces différents styles d'attachement correspondent à une
activation plus ou moins forte du système d'attachement. Main (1990) parle de
stratégies de « minimisation » pour décrire l'attachement évitant et de stratégies de
« maximisation » pour l'attachement ambivalent. Dans le cas de l'attachement sécure,
l'activation est à son niveau initial, intermédiaire. Dans le cas de l'attachement
désorganisé-désorienté, le niveau d'activation est fluctuant et instable. Les stratégies
secondaires des enfants insécures sont ainsi conçues comme relevant d'une modification
dans le seuil d'activation du système d'attachement. Il arrive toutefois que l'enfant
recoure à d'autres moyens que celui-ci pour obtenir la sécurité. En s'apercevant que des
comportements, dont l'objectif n'était pas au départ d'interpeller le parent, ont malgré
tout cet effet, l'enfant peut apprendre à user de ceux-ci pour obtenir l'attention de
l'adulte : on parle alors de stratégies d'attachement masquées (Miljkovitch, 2009). Par
exemple, il peut se rendre compte que quand il se met dans certaines situations
périlleuses (dont il ne perçoit pas forcément le danger), le parent s'intéresse
instantanément à lui. Voyant cela, il se remet dans ce genre de situation pour attirer
l'attention.

Les modèles internes opérants


Avec l'expérience, l'enfant, dès le plus jeune âge, intériorise les régularités dans les
échanges et se forment des modèles de relations à l'image de ce qu'il vit. Autrement dit,
il accommode les modèles à ses expériences. Puis, en s'appuyant sur ces modèles, il
interprète les nouvelles informations à la lumière des anciennes. Ce qu'il a appris du
passé l'oriente et l'aide à comprendre ce qui se passe dans le présent. C'est ainsi qu'à un
niveau implicite, il va faire des parallèles entre ce qu'il observe aujourd'hui et ce qu'il a
pu observer de similaire auparavant. L'analogie qui est faite va influencer sa manière de
comprendre les signaux actuels. En cela, l'enfant assimile les nouvelles expériences à ses
modèles et les interprète conformément aux représentations qu'il a construites. Les
modèles internes opérants (MIO) correspondent donc à des modèles de l'expérience qui
a été intériorisée, qui opèrent dans la vie du sujet en l'influençant dans sa manière de
percevoir les choses, de les anticiper et de ce fait, dans sa manière de se comporter.
Cette notion, introduite par le psychologue Kenneth Craik (1943), a été reprise par
Bowlby (1980) pour décrire le fonctionnement de l'individu dans ses relations
interpersonnelles.
Dans ce cadre, Bowlby considérait que selon la qualité des soins qu'il reçoit, l'enfant
se forme à la fois un modèle de lui-même comme plus ou moins digne d'amour, et de
l'autre comme plus ou moins aimant, fiable, etc. L'estime de soi serait donc une
composante du MIO qui varie selon le traitement parental (Goodvin, Meyer, Thompson,
et Hayes, 2008). Des interactions intériorisées naîtrait aussi une confiance dans autrui.
Celle-ci correspond au départ à la relation avec la principale figure d'attachement, mais
elle accompagnerait la personne tout au long de sa vie dans la confiance qu'elle accorde
aux autres (Miljkovitch, 2009). Des travaux récents (Fonagy, Luyten, Campbell, et
Allison, 2014) suggèrent aussi que les expériences d'attachement seraient à la source
d'une « confiance épistémique », c'est-à-dire une confiance dans la possibilité de
s'appuyer sur autrui pour apprendre et comprendre le monde social par l'authenticité et
la pertinence des échanges avec lui. L'absence de cette confiance serait un facteur
prédisposant à la psychopathologie.
Ainsi, les MIO orientent le fonctionnement de l'individu selon la trajectoire initiée
dans les relations qu'il a connues. L'influence des MIO précoces dans les nouvelles
relations est corroborée par des recherches montrant des similitudes entre les relations
avec les parents et les relations amicales (Schneider, Atkinson, et Tardif, 2001), ou à l'âge
adulte, dans les relations amoureuses (Miljkovitch, 2009 ; Miljkovitch et al., 2015) et les
relations à ses propres enfants (voir Miljkovitch, 2001, 2011).
Les MIO peuvent toutefois s'avérer trompeurs lorsque la personne change
d'environnement. Si l'on prend l'exemple d'un orphelin carencé, élevé plusieurs années
en institution, qui se trouve adopté par une famille désireuse de lui donner de l'amour,
il y aura une inadéquation entre ce qu'il aura appris sur la manière de vivre (par
exemple sans tuteur fixe, sans affection) et ce qui est attendu de lui dans son nouveau
contexte. Au vu de son passé, il lui sera difficile de concevoir une prise en compte de ses
besoins d'attachement (en l'occurrence par ses parents adoptifs). Ses comportements à
leur égard risquent de s'inscrire davantage dans le prolongement de ce qu'il a vécu
jusque-là que d'être ajustés aux ressources que sa famille actuelle a à lui offrir.
Pour pouvoir fonctionner de manière adaptée, une mise à jour des MIO s'avère
nécessaire. Toutefois, celle-ci peut être contrecarrée par certains obstacles
psychologiques. Bowlby a invoqué le rôle de « l'exclusion défensive », un mécanisme
qui consiste à ne pas traiter certaines informations. Ce phénomène peut être provoqué
par des interdits parentaux, transmis plus ou moins explicitement, qui empêchent
l'enfant d'exprimer, voire de penser certaines choses. L'enfant est ainsi poussé à ne pas
voir ou à nier l'expérience bannie. L'exclusion défensive peut aussi survenir quand le
système d'attachement de l'enfant est fortement sollicité, mais que ses appels se soldent
par un rejet, une humiliation ou une punition de la part du parent. Ainsi, plutôt que de
s'exposer à ce type de traitement ou de frustration, l'enfant trouve un relatif bénéfice à
exclure de sa conscience son besoin de sécurité.
Cette étanchéité représentationnelle peut venir expliquer pourquoi certaines
personnes parviennent difficilement à s'adapter à un environnement nouveau, quand
par le passé, les expériences qu'elles ont vécues les ont amenées à se construire un
modèle de relation d'un autre type. Elles restent influencées par d'anciens modes
d'interactions dans les nouveaux liens qu'elles tissent. Parce que l'exclusion défensive
survient dans un contexte d'insécurité, les personnes insécures courent un risque accru
de s'enferrer dans des scénarios relationnels répétitifs (Miljkovitch et Cohin, 2007 ;
Miljkovitch, 2009), au point parfois de développer un trouble de la personnalité dans
lequel l'ensemble des relations sont envisagées à travers le même prisme (Deborde et
Miljkovitch, 2013 ; Miljkovitch et al., sous presse).
À l'inverse, les personnes sécures, moins marquées par d'anciennes blessures, sont
plus ouvertes aux nouvelles expériences. Aussi ont-elles moins tendance à attribuer des
intentions malveillantes à leurs pairs, ce qui les prédispose à de meilleures compétences
sociales (Cassidy, Kirsh, Scolton, et Parke, 1996). De telles tendances vont bien sûr
engendrer des échanges plus favorables, venant corroborer leurs représentations
positives des relations.

Conclusion
Si les MIO, en déterminant les cognitions sociales que l'enfant met en place, amènent
celui-ci à induire un certain nombre de choses dans ses interactions avec son entourage,
il n'en reste pas moins qu'il continue d'intégrer de nouvelles informations émanant de
l'extérieur qui peuvent aller à l'encontre des modèles initialement établis et modifier sa
manière d'être. Les résultats d'études longitudinales montrent que si les premières
expériences ne sont pas effacées, le devenir de l'individu résulte néanmoins de
l'ensemble de son histoire d'attachement (Miljkovitch et al., 2015 ; Roisman et Fraley,
2013 ; Sroufe, Egeland, Carlson, et Collins, 2005).

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1
Dans la lignée des travaux en éthologie et à l'image du schéma familial classique de son époque, Bowlby s'est
focalisé sur la mère comme figure d'attachement principale. Bien qu'il ait introduit la notion de « monotropie » qui
suggère une hiérarchie dans les figures d'attachement, Bowlby n'excluait pas l'existence de figures d'attachement
secondaires telles que le père. Dans certains cas, ce peut être le père ou toute autre personne adulte qui occupe la
place de figure d'attachement principale.
2
Pour une présentation de l'étiologie de l'attachement désorganisé/désorienté, voir le chapitre 27.
CHAPITRE 4

Le modèle cognitivo-comportemental :
de B.F. Skinner à Albert Bandura
Raphaële Miljkovitch

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Le conditionnement classique
L'apprentissage opérant
La théorie de l'apprentissage social (cognitivo-comportementale)
Conclusion

Introduction
Ce modèle postule que le comportement est principalement influencé par
l'apprentissage qui prend place au sein d'un contexte social. Dans ce modèle, les
différences individuelles dans le comportement sont attribuées à l'histoire
d'apprentissage unique de l'individu en relation avec des personnes et des situations
spécifiques, et non pas à des traits de personnalité ou à une maladie mentale. Le milieu
culturel de chaque individu est vu comme étant une partie de son histoire
d'apprentissage unique. Les comportementalistes considèrent que la cohérence
comportementale (que d'autres appelleraient « personnalité ») résulte d'un
apprentissage généralisé et/ou de stimuli similaires présents dans les différentes
situations. Par exemple, un enfant peut devenir grognon dans la plupart des
circonstances si avant cela, ce comportement a été récompensé sur des années (par
exemple, on cherche à lui faire plaisir), dans de nombreuses situations sociales. Dans ce
modèle, on insiste sur l'importance des influences de l'environnement sur le
comportement. Les facteurs génétiques et biologiques ne sont pas pour autant mis de
côté, mais on considère qu'ils constituent la base à partir de laquelle l'environnement va
former les comportements. Le capital génétique peut fixer des limites du potentiel
comportemental ou intellectuel d'une personne, mais on stipule qu'à l'intérieur de ces
limites, ce sont les facteurs d'apprentissage qui déterminent le plus le comportement.
D'après le modèle comportemental, les mêmes principes d'apprentissage déterminent
à la fois les comportements problématiques et non problématiques. Par conséquent, une
évaluation vise à déterminer comment les difficultés actuelles d'un individu ont été
apprises et comment elles sont maintenues, de sorte qu'un apprentissage plus adapté
puisse être mis en place. Par exemple, la peur d'un enfant de maternelle peut être due à
une expérience négative dans une situation particulière, à une anxiété généralisée à
toutes les nouvelles situations, à la présence intimidante d'un autre enfant ou à d'autres
facteurs environnementaux.
Dans l'apprentissage opérant, on insiste sur la relation entre un comportement et ses
conséquences dans l'environnement. Dans l'apprentissage répondant, on se centre sur le
lien temporel entre stimulus et réponse. Dans l'apprentissage social ou cognitivo-
comportemental, on met l'accent sur la relation entre le comportement manifeste et la
cognition (les pensées) ou les attentes qu'une personne a à propos de ce comportement.

Le conditionnement classique
Le conditionnement classique (ou répondant) a été mis en évidence au XIXe siècle par
Ivan Pavlov. Il avait constaté qu'un chien se mettait à saliver dès que la lumière
s'allumait, celui-ci ayant intégré qu'une fois la lumière allumée, on lui donnait à
manger. Tandis que la nourriture est un stimulus inconditionnel, en ce qu'elle ne
nécessite pas d'apprentissage pour provoquer la salivation, la lumière, elle, était
devenue un stimulus conditionnel qui résultait de l'apprentissage d'une association
entre la lumière et la nourriture.
Quelques décennies plus tard, l'expérience de John B. Watson (Watson et Rayner,
1920) sur le petit Albert a donné lieu à une théorie sur l'apparition des phobies. Celles-ci
seraient induites par un processus de conditionnement classique où un stimulus qui ne
suscitait au départ aucune réaction de peur (par exemple, un lapin) est associé à un
stimulus aversif (par exemple un gros bruit soudain). Après avoir exposé Albert à ces
deux stimuli simultanément un certain nombre de fois, celui-ci en est arrivé à
développer une peur du lapin, ainsi que d'autres stimuli qui lui ressemblaient.
Joseph Wolpe (1958, 1982) a par la suite introduit la « désensibilisation systématique »
pour traiter l'anxiété. Ce procédé thérapeutique consiste à « défaire » l'association entre
un stimulus et sa réponse (par exemple anxiété) en induisant une réponse antagoniste
(par exemple état de détente). Ainsi, on expose de plus en plus le patient au stimulus
anxiogène à mesure qu'on lui apprend à chaque étape à se relaxer (par exemple, pour
une phobie des serpents, on commence par le fait d'imaginer des serpents, puis
regarder des images, puis aller voir des vrais serpents en captivité, puis le contact direct
avec un serpent). Une fois désensibilisé à une étape, on passe à la suivante jusqu'à
atteindre une désensibilisation globale par rapport au stimulus initialement effrayant.

L'apprentissage opérant
D'après Skinner (Skinner, 1953 ; 1971), le comportement est appris et les facteurs que
l'on ne peut pas observer, tels que le besoin ou la pulsion, ne sont pas nécessaires à la
compréhension de ce comportement. Selon lui, le fait d'observer des relations entre des
stimuli environnementaux et les comportements manifestes permet d'avoir une image
complète du développement, du maintien et du changement des comportements
humains. Au lieu de se baser sur des facteurs internes (comme le ça), Skinner préconise
l'observation et la description des manières dont le comportement est déterminé par ses
antécédents et par ses conséquences. On appelle cette approche l'analyse fonctionnelle
parce qu'elle s'intéresse aux relations fonctionnelles entre les stimuli, les réponses et les
conséquences.
Si le comportement indésirable d'un enfant a été et continue d'être récompensé,
aucune explication relative à un besoin interne n'est nécessaire, du moins la plupart du
temps. On présume que l'enfant a simplement appris à être ainsi. Patterson (Patterson et
Reid, 1984) s'est particulièrement intéressé aux comportements perturbateurs des
enfants, en décrivant les « pièges de renforcement » (reinforcement traps) typiquement
observés dans les interactions familiales hostiles. Par exemple, une mère demande à son
enfant de ranger sa chambre. Il se plaint, la mère insiste, l'enfant résiste et c'est
l'escalade du conflit. Lorsque le comportement difficile (aversif) de l'enfant devient
intolérable pour la mère, par exemple s'il pique une crise de colère, la mère cède et
l'enfant s'arrête. En cédant, la mère augmente les chances que son enfant recoure à ce
même procédé pour échapper à une corvée (fin de la nécessité de ranger sa chambre :
renforcement négatif1). La mère a également été renforcée négativement (par la fin de la
crise) dans son comportement et est donc plus susceptible de céder à l'avenir pour
mettre un terme au comportement aversif de son enfant. Ce pattern de renforcement
favorise l'escalade du conflit dans leurs futures interactions.

La théorie de l'apprentissage social (cognitivo-


comportementale)
Quelques adhérents de la théorie cognitivo-comportementale comme Albert Bandura
(1986) estiment qu'on ne s'est pas assez intéressé au rôle des processus cognitifs ou
symboliques (par exemple la pensée) dans le développement, le maintien et la
modification des comportements. Un des principaux points de la théorie de Bandura est
l'attention qui est portée sur l'apprentissage par observation et les processus cognitifs
indirects. D'après lui, le comportement se forme non seulement à travers ce que
l'individu apprend directement par les conditionnements classique et opérant, mais
aussi à travers l'observation et la représentation symbolique d'autres personnes et
événements.
Bandura a montré que les êtres humains peuvent acquérir de nouveaux
comportements sans renforcement évident et même sans avoir eu l'occasion de l'exercer.
Il suffit que la personne ait observé un autre individu, un « modèle », avoir le
comportement en question. Plus tard, surtout si le modèle a été récompensé par son
comportement, l'observateur peut aussi avoir cette même réaction si l'occasion lui est
donnée de le faire. Dans une expérience, Bandura, Ross et Ross (1963) ont fait observer à
des jeunes enfants des modèles soit en train d'attaquer une poupée, soit assis
tranquillement à côté d'elle. Après cela, les enfants qui avaient observé l'agression
tendaient à reproduire le comportement du modèle alors que ceux qui avaient vu le
modèle passif avaient tendance à ne pas être agressifs.
D'après Bandura, les effets des processus indirects peuvent être aussi déterminants
que les effets d'un apprentissage direct. Ils peuvent faire apparaître des nouvelles
réponses, l'inhibition ou la désinhibition de réponses déjà apprises (comme quand une
personne traverse au feu rouge après avoir vu quelqu'un d'autre le faire), et faciliter ou
inciter un comportement.
Bandura a insisté sur l'influence d'un autre type d'attente qu'il appelle l'auto-efficacité
(self-efficacy). Julian Rotter (1954) pense que les attentes qui influencent le comportement
sont acquises au travers de l'apprentissage. Pour avoir une attente de quelque chose, il
faut d'abord avoir vécu une expérience directe ou indirecte dans des situations
similaires dans le passé. Pour Bandura, les attentes d'efficacité renvoient à la croyance
qu'on peut réussir par le biais d'un comportement donné, quel que soit le résultat de ce
comportement. Bandura estime que le comportement que l'on adopte est déterminé par
l'auto-efficacité qu'une personne a : plus elle se perçoit comme efficace, meilleurs seront
les résultats de ce qu'elle a fait. Par exemple, l'auto-efficacité perçue peut réduire les
réactions de stress, encourager un comportement courageux dans des situations
précédemment redoutées, et mener à un contrôle de soi vis-à-vis de comportements
addictifs.
Alors que les premières tentatives de tenir compte des processus cognitifs portent sur
les attentes concernant les événements futurs, des travaux ultérieurs se sont intéressés
aux appréciations (Beck, 1976) et aux attributions (Abramson, Seligman et Teasdale,
1978) de situations ou de comportements présents, de même que d'anciennes croyances
(Ellis, 1962). Ces points de vue ont permis d'élaborer des théories et des modes
d'interventions pour les troubles dépressifs et anxieux.
Les appréciations correspondent à la façon dont on évalue son propre comportement
et les actes qui s'adressent à soi. D'après Beck (1976), les appréciations sont des pensées
automatiques qui précèdent et qui influencent la façon de réagir aux événements. Par
exemple, les individus qui trouvent continuellement que ce qu'ils font n'est pas bien ont
tendance à interpréter les compliments de manière à penser que les autres sont
simplement polis. Ainsi, ils ne bénéficient d'aucun renforcement positif. Les individus
qui perçoivent le monde de façon aussi négative se voient comme étant sans intérêt et
inaptes, ce qui les prédispose à avoir des pensées et des symptômes dépressifs. D'après
Beck, ces pensées deviennent automatiques au cours de la maturation et de l'expérience,
et elles influencent les réactions émotionnelles sans qu'on en ait conscience. Ce que vise
la thérapie cognitivo-comportementale de Beck, c'est que le patient prenne conscience
de ces pensées automatiques, pour ensuite les remettre en question.
Les attributions (Abramson, Seligman et Teasdale, 1978) sont les causes qu'on perçoit
des comportements, la manière dont on explique la survenue de certains événements.
Les attributions de comportements se produisent suivant trois dimensions :
• l'internalité : on perçoit la cause d'un événement comme étant due à soi (par
opposition à une cause extérieure à soi) ;
• la stabilité : on perçoit la cause comme étant persistante dans le temps (versus
transitoire) ;
• la globalité : on perçoit la cause comme étant généralisée (versus spécifique à la
situation).
Par exemple, si on pense avoir échoué à un examen parce qu'il était trop difficile, il
s'agit d'une attribution externe, spécifique et instable. Si toutefois on pense l'avoir
échoué parce qu'on n'est pas assez intelligent, l'attribution est interne, globale et stable.
Des travaux ont montré que les individus qui ont tendance à faire des
inférences internes, globales et stables dans les expériences d'échec sont moins enclins à
persévérer dans des tâches et plus susceptibles de présenter des symptômes dépressifs.
Ellis (1962) s'est intéressé aux croyances irrationnelles des individus et à la manière
dont elles peuvent engendrer de la détresse. Ces croyances irrationnelles sont souvent
associées à des affirmations sur ce qui « devrait » être (exemple tout le monde devrait
bien m'aimer). Des attentes aussi élevées et irréalistes font que la personne est sans cesse
confrontée à l'échec ou à la déception. La thérapie rationnelle d'Ellis a pour but de
remettre en question ces croyances irrationnelles jusqu'à ce que la personne réalise
qu'elles sont inefficaces et qu'elle change sa façon de voir les choses.
Plus récemment, Nicki Crick et Kenneth Dodge (1994) ont proposé un modèle de
traitement de l'information sociale qui rend compte des comportements sociaux des
enfants, notamment les enfants agressifs (voir aussi Lemerise et Arsenio, 2000 ou Burks
et al., 1999 pour un modèle similaire spécifique au comportement agressif). Ils y
expliquent les différents processus cognitifs à l'œuvre dans la manière dont les enfants
encodent les informations émises par leurs pairs en fonction des schémas qu'ils ont
intériorisés et comment cela affecte leur comportement à leur égard, ainsi que d'autres
aspects (par exemple, image de soi) liés à la qualité des échanges avec eux.

Conclusion
Le modèle cognitivo-comportemental présente l'intérêt d'une approche pragmatique du
développement. Plutôt que de chercher à comprendre les causes d'un comportement, on
s'attarde davantage à identifier ce qui participe à son maintien et ce qui pourrait, à
l'inverse, amener la personne à ne plus l'adopter. Toutefois, si la réalité du
conditionnement est incontestable, il n'en demeure pas moins que certains
comportements ne résultent pas de l'apprentissage ; de ce fait, ils résistent aux lois du
conditionnement. Ainsi convient-il de discerner les limites ou comportements qui
échappent à la volonté de la personne et auxquels l'approche cognitivo-
comportementale ne s'applique pas.

Références
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Critique and reformulation. J Abnorm Psychol. 1978;87(1):49–74.
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Wolpe. The Practice of Behavior Therapy. 3rd ed New York: Pergamon Press; 1982.

1
Le renforcement négatif repose sur la récompense d'un comportement par l'arrêt d'un stimulus aversif.
CHAPITRE 5

Le modèle systémique
Nicolas Favez

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les principes de l'approche systémique
La relation coparentale et son impact sur le développement de l'enfant
Conclusion

Introduction
L'approche systémique s'intéresse au développement de l'enfant dans son
environnement social, avec un accent important mis sur la famille. Trois grands
principes sous-tendent cette approche :
• l'individu se développe en étant situé dans un contexte ;
• les échanges qu'il entretient avec ce contexte ont une temporalité et sont évolutifs ;
• il y a des dimensions et des règles de fonctionnement systémiques qui régissent les
échanges entre l'individu et son contexte.

Les principes de l'approche systémique


Le premier principe est représenté au mieux par la théorie écosystémique de
Bronfenbrenner (1979). Selon cette théorie, le développement de l'individu ne peut se
comprendre que s'il est envisagé dans un contexte de vie fait de systèmes de différents
niveaux, emboîtés les uns dans les autres. Le premier niveau est celui des « micro-
systèmes », auxquels l'individu participe activement ; pour l'enfant, ce serait bien sûr la
famille, mais également l'école ou encore les groupes de pairs. Le deuxième niveau est
celui des « méso-systèmes » : il est constitué des liens entre micro-systèmes, qui font que
ceux-ci s'influencent réciproquement (par exemple les rapports entre les enseignants et
les parents). Le troisième niveau est celui des « exo-systèmes » : il est constitué de
systèmes auxquels l'individu ne participe pas directement, mais dont le fonctionnement
peut l'affecter (pour l'enfant, les milieux professionnels de ses parents sont des exo-
systèmes car ils ont un impact sur le fonctionnement psychologique des parents, qui se
répercute indirectement sur lui). Enfin, le quatrième niveau est celui du « macro-
système » : il est constitué des valeurs et idéologies culturelles qui influencent
l'ensemble des autres systèmes. Un aspect fondamental de cette théorie est la notion
d'interdépendance : des événements qui se produisent à un niveau donné ont des
répercussions à tous les niveaux. Cela implique que pour comprendre la façon dont
l'individu agit dans un micro-système (les comportements de rupture scolaire d'un
adolescent, par exemple), il faut analyser le sens de ce comportement non seulement en
fonction du système directement concerné (l'école), mais également en fonction des
systèmes plus larges, à commencer par les exo-systèmes (les comportements de
l'adolescent peuvent avoir commencé au moment où le père a perdu son emploi).
Le deuxième principe est l'insertion de l'individu dans une temporalité (le
chronosystème dans la théorie de Bronfenbrenner). Les systèmes ne sont pas statiques
et les relations que l'individu entretient avec son environnement sont évolutives. La
trajectoire de vie peut ainsi être segmentée en étapes successives, auxquelles
correspondent différents besoins et différentes « tâches » à accomplir. Parmi ces étapes,
l'une qui a été beaucoup étudiée en systémique est l'arrivée du premier enfant (la
transition à la parentalité), qui implique chez les parents de nombreux changements à la
fois identitaires (« être parent » devient une facette de « qui on est ») et relationnels (les
parents se découvrent l'un l'autre dans un autre registre que celui de la relation
amoureuse et ont la « tâche » de développer cette nouvelle facette de leur relation) ; la
réalisation plus ou moins réussie de ces changements a des conséquences sur le
développement de l'enfant. Il ne s'agit là que d'une étape ; d'autres transitions
importantes ont été décrites, comme l'entrée à l'école de l'enfant, la puberté, ou encore le
départ de la maison de l'enfant adulte (voir McGoldrick et Shibusawa, 2012, pour une
théorie des cycles de vie). Tenir compte de la temporalité implique que ce qui est
adaptatif à un moment donné (être très protecteur au moment de la naissance d'un
bébé, par exemple) ne le sera pas forcément plus tard (quand l'enfant sera devenu
adolescent) ; il est donc indispensable de connaître l'étape de vie dans laquelle se trouve
un individu pour comprendre son fonctionnement, ses besoins et ceux de sa famille.
Le troisième principe est l'existence de dimensions et de règles de fonctionnement
systémiques. Les deux dimensions de flexibilité et de cohésion ont été reconnues
comme les plus importantes pour le système familial (Minuchin, 1974 ; voir Favez, 2010,
pour une revue) ; pour chacune, les familles ont des règles d'application qui
déterminent comment elles sont implémentées. En ce qui concerne la flexibilité, un
système familial est constamment pris dans une tension entre changement (la capacité à
s'adapter au passage d'une étape de vie à une autre) et stabilité (la capacité à garantir la
pérennité du système). Cette tension provoque un équilibre qui doit être dynamique,
c'est-à-dire pouvant être remis en cause, déstabilisé, et réorganisé à nouveau. L'équilibre
est entre autres garanti par le principe d'équifinalité : peu importe qui accomplit les
tâches du système, pourvu qu'elles soient accomplies. Continuons l'exemple dans lequel
le père a perdu son emploi : une réponse possible du système serait que la mère
augmente son propre temps de travail et que le père prenne en charge une plus grande
part des tâches domestiques qu'auparavant (avec une règle de fonctionnement selon
laquelle il est possible de changer de rôle en cas de nécessité). Il y aurait là une réponse
flexible, dans laquelle les parents permutent une partie de leurs tâches (changement)
pour assurer qu'il y ait toujours un pourvoyeur de ressources (stabilité), ce qui revient,
du point de vue du système, à une opération neutre (équifinalité). Une stabilité
excessive (avec une règle établissant que seul le père a le droit de travailler) n'aurait pas
permis cette adaptation. En ce qui concerne la cohésion, il s'agit de l'épaisseur du tissu
relationnel de la famille ; elle est garantie par les liens, les sentiments d'appartenance,
les loyautés qui attachent chaque individu à son système familial. Il y a là aussi un
équilibre à réaliser, cette fois entre unité (être en lien) et indépendance (pouvoir se
différencier les uns des autres), qui peut être rendu impossible par des règles rigides qui
poussent à un extrême (dans notre famille, nous devons faire tous la même chose) ou à
l'autre (peu importe ce qui advient des autres). L'équilibre permet à l'individu de
devenir autonome, c'est- à-dire d'être « connecté » avec sa famille, tout en étant lui-
même, c'est-à-dire de se réaliser selon ses aspirations. Concrètement, cela implique par
exemple que l'enfant pourra développer ses propres centres d'intérêt même s'ils ne
correspondent pas à ceux des parents.
Corollaire de ces principes, l'approche systémique se veut non normative, en ce
qu'elle ne s'intéresse pas forcément à qui compose la famille, mais à sa capacité à
accomplir les différentes tâches relatives aux étapes de vie et à s'adapter aux demandes
changeantes du contexte. Lorsque les familles ont des règles menant à trop ou pas assez
de flexibilité, à trop ou pas assez de cohésion, elles risquent de ne pas pouvoir répondre
aux besoins de leurs membres et d'échouer dans les passages d'une étape à un autre,
avec des conséquences négatives notamment sur le développement de l'enfant. Pour
garantir son fonctionnement, la famille est pourvue d'un « système exécutif » qui est en
charge d'assurer cohésion et flexibilité dans des proportions appropriées (Minuchin,
1974) : la relation coparentale.

La relation coparentale et son impact sur le


développement de l'enfant
Cette relation est définie comme le soutien, instrumental et émotionnel, que les deux
parents s'apportent dans leurs tâches parentales. Une relation coparentale cohésive et
équilibrée implique la coopération (travailler « en équipe »), la négociation et les
compromis (garantissant une flexibilité adéquate), l'affection (la validation émotionnelle
que les parents s'apportent réciproquement) et une division des tâches qui soit
considérée comme équitable par les deux parents (McHale, 2007 ; McHale et Lindahl,
2011, pour une revue). La qualité de la relation entre coparents est déterminée par
différents facteurs personnels (les traits de personnalité), relationnels (des parents
mécontents de leur relation conjugale tendent à être mécontents de leur relation
coparentale), et issus du macro-système (la valeur donnée à l'investissement dans la
famille et le sens que chaque parent donne à la coopération). Par exemple, alors que
l'investissement maternel semble aller de soi, l'investissement paternel est plus fluctuant
selon les contextes socio-culturels ; de même, l'ouverture de la mère à « partager » avec
le père la responsabilité du foyer peut être variable (ce qui a été décrit sous le concept
de « garde-barrière »). Si les deux parents ont des valeurs compatibles, la relation
coparentale sera plus susceptible d'être cohésive. L'absence de cohésion peut se
manifester par des conflits intenses, non résolus, ou par le désinvestissement de l'un des
parents, qui se retire de la vie familiale, ou encore par une relation froide et
instrumentale entre parents qui ne collaborent que pour la gestion quotidienne des
tâches domestiques.
La qualité de la relation coparentale a un impact sur le développement de l'enfant :
dans leur méta-analyse regroupant des études avec des enfants de 7 mois à 16 ans,
Teubert et Pinquart (2010) montrent que la cohésion coparentale et la résolution flexible
des désaccords inhibent l'apparition des symptômes anxieux, des troubles de l'humeur,
et des troubles du comportement chez l'enfant, alors que le conflit semble les favoriser.
Ce constat est confirmé par les études portant sur l'impact du divorce sur l'enfant : ce
n'est en effet pas tant le divorce en lui-même qui a un effet négatif, mais les contrecoups
du conflit entre les parents et son éventuelle pérennité. Les effets négatifs du divorce
sont grandement atténués quand la relation coparentale reste cohésive malgré la
séparation et que les parents peuvent continuer à négocier sur tous les sujets relatifs à
l'enfant (Emery, 2012). Enfin, les conséquences ne se produisent pas que sur le
comportement émotionnel ; il y a également un impact sur le fonctionnement cognitif.
Les enfants confrontés à une relation manquant de cohésion ou au contraire trop rigide
ont par exemple un développement moins rapide de la théorie de l'esprit (Favez, Tissot
et Frascarolo, 2013).
Différents mécanismes de transmission établissent l'influence de la relation
coparentale non cohésive sur le développement de l'enfant.
Le premier est le plus classique dans une optique systémique : l'enfant est
« triangulé » dans le conflit entre ses parents. La triangulation est un processus
relationnel dysfonctionnel selon lequel un tiers (dans ce cas, l'enfant) est incorporé dans
le conflit entre deux autres personnes (les parents) et « utilisé » pour faire retomber la
tension dans le duo, soit parce qu'il est pris comme allié par l'un des protagonistes (ou
qu'il y a compétition pour s'en faire un allié), soit parce qu'il est désigné comme
responsable des problèmes (Bowen, 1976 ; Minuchin, 1974). Cela peut mener l'enfant à
adopter « volontairement » des comportements dysfonctionnels, pour obtenir comme
bénéfice secondaire une amélioration (apparente) de la relation entre ses parents.
L'enfant est donc dans un rôle de « soignant », alors que ce sont ses parents qui
devraient prendre soin de lui.
Le deuxième relève de la théorie de l'apprentissage : l'enfant peut reproduire par
apprentissage vicariant les comportements qu'il voit ses parents adopter et il les
généralise à d'autres contextes, comme celui de la vie scolaire. Tourner les talons sans
discuter peut par exemple devenir la manière dont l'enfant va essayer de résoudre les
désaccords, ou alors l'hostilité peut devenir la réponse apprise face aux frustrations. Le
développement de la théorie de l'esprit est moins rapide, car l'absence de
comportements empathiques des parents l'un envers l'autre prive l'enfant de modèles
dans lesquels il voit des adultes s'intéresser à leurs états internes réciproques plutôt qu'à
leurs comportements manifestes.
Le troisième consiste à considérer que l'enfant recherche naturellement une « sécurité
émotionnelle » dans les interactions de sa famille (Cummings et Davies, 2010), qui lui
permet de réguler ses propres émotions. Le désaccord parental menace cette sécurité,
que l'enfant va essayer de restaurer ; il peut alors soit intervenir dans le conflit pour
l'atténuer, soit ne plus se mêler des relations familiales. Dans les deux cas, la
généralisation de ces comportements (prendre parti dans des conflits qui ne le
regardent pas, et ne pas s'engager dans les relations sociales) va aboutir à des difficultés
d'intégration sociale.
Le dernier est un effet que l'on dit de « second ordre » ou de retombées (spillover) : le
conflit entre parents a des répercussions sur leur comportement parental. En effet, les
parents en conflit sont plus colériques avec l'enfant ; ils peinent à mettre des limites
adéquates et sont peu disponibles émotionnellement, ce qui mène l'enfant à adopter des
comportements dysfonctionnels – de colère et de retrait - avec ses pairs également
(Fainsilber Katz et Gottman, 1996).
Enfin, il faut noter que l'enfant a lui-même un impact sur la relation entre les parents
(McHale et Crouter, 2003). Les recherches ont par exemple montré le rôle du
tempérament de l'enfant (la disposition à réguler les émotions) : la probabilité de
conflits entre les parents est plus élevée si l'enfant a un tempérament « difficile » (il est
irritable, difficile à calmer). C'est une illustration de l'interdépendance des systèmes : les
relations familiales se développent selon des causalités dites « circulaires », c'est-à-dire
avec des influences réciproques.
Bien qu'ils aient été décrits à partir de recherches menées principalement sur des
familles nucléaires de premier mariage, l'ensemble de ces processus s'applique
parfaitement à la compréhension du fonctionnement des « nouvelles familles ».
Plusieurs études ont montré comment d'autres structures familiales peuvent accomplir
les tâches relatives au développement de l'enfant, avec toutefois des répartitions de
rôles et des interrelations systémiques spécifiques. Le premier exemple est celui des
familles recomposées. Celles-ci présentent un cas de figure particulièrement complexe ;
dans la situation la plus fréquente, celle dans laquelle l'un des parents est le gardien
principal de l'enfant et s'est remis en ménage, il y a au minimum deux relations
coparentales : celle entre les deux parents de l'enfant maintenant séparés, et celle entre
le parent gardien et son nouveau conjoint qui élèvent au quotidien l'enfant. En ce qui
concerne la relation parent-parent, les études apportent les mêmes résultats que ceux
issus des familles intactes : la cohésion coparentale est liée avec de meilleurs indices
développementaux de l'enfant, alors que le conflit qui perdure après la séparation est lié
à des difficultés psychologiques (Amato et Rezac, 1994 ; Hetherington et Stanley-Hagan,
2002). En ce qui concerne la relation parent-beau-parent, il y a par contre un effet
spécifique : une cohésion coparentale tendant plutôt du côté de l'indépendance, avec le
beau-parent se tenant en retrait, semble la configuration la plus favorable (Papernow,
2013). Le deuxième exemple est celui des familles homoparentales ; les études sur la
coordination et le soutien entre parents montrent que la relation coparentale s'organise
de manière analogue aux familles hétéroparentales ; la dynamique relationnelle entre
coparents transcende donc la différence des sexes (Bos, van Balen, van den Boom, 2007).
Chaque famille, quelle que soit sa composition, a donc la capacité de mener à bien ses
tâches développementales, dont la plus importante est d'élever des enfants qui vont
devenir autonomes au sens où nous l'avons défini plus haut.
Conclusion
L'approche systémique considère l'enfant comme membre d'un ensemble de systèmes
relationnels inter-reliés, tant proximaux (les micro-et méso-systèmes) que distaux (exo-
et macro-systèmes). Les valeurs du macro-système (« l'air du temps » quant aux rôles
parentaux, par exemple) ont ainsi des répercussions sur le fonctionnement au quotidien
des micro-systèmes et façonnent l'univers relationnel dans lequel évolue l'enfant. Une
logique similaire d'interdépendance s'applique à l'intérieur même des micro-systèmes,
comme le montre l'impact de la relation coparentale sur la relation de chaque parent
avec l'enfant. Dans le domaine de la clinique, ces interdépendances doivent mener à
considérer des systèmes plus larges que « simplement » celui dans lequel des
symptômes sont présents (Favez et Darwiche, 2016) ; ainsi, traiter les difficultés
psychologiques d'un enfant sans tenir compte de son contexte familial pourrait être
inefficace, si ces difficultés sont la conséquence d'un processus de triangulation et
trouvent leur source dans la relation entre les parents, « à l'extérieur » donc de l'enfant
et des relations qu'il entretient individuellement avec chacun de ses parents. Que cela
soit dans le développement ordinaire ou dans la psychopathologie, comprendre le
fonctionnement psychologique d'un enfant nécessite donc de comprendre le contexte
dans lequel il évolue, ce que permet l'approche systémique.

Références
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CHAPITRE 6

La psychologie interculturelle
du développement
Annamaria Lammel

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La relation entre culture et développement psychologique
Les différentes approches
La notion de l'intelligence
La relation entre les types de sociétés, les conceptions de la notion de soi et les
styles cognitifs
Les cultures en contact : l'acculturation
Conclusion

Introduction
Depuis plusieurs décennies, la psychologie interculturelle du développement a eu un
impact substantiel sur la psychologie du développement dans le monde entier.
L'augmentation significative du nombre d'études interculturelles publiées dans les
grandes revues de psychologie, ainsi que l'édition d'ouvrages scientifiques contribuent
à l'essor de la psychologie interculturelle.
La psychologie interculturelle se situe entre l'absolutisme et le relativisme et
représente une vision universaliste. Tandis que l'absolutisme stipule que les variables
psychologiques sont identiques dans toutes les cultures, le relativisme affirme que
toutes les constructions psychologiques sont constituées culturellement.
L'universalisme, se situant au milieu de ces deux visions, considère que les variables
psychologiques sont communes entre les cultures, mais que la culture influence le
développement et la manifestation de caractéristiques psychologiques. La psychologie
interculturelle exclut donc une vision ethnocentrique.
À travers des études approfondies dans différentes cultures et des comparaisons
systématiques de variables psychologiques dans différentes conditions culturelles, la
psychologie interculturelle du développement tente d'identifier la manière dont les
variables culturelles influencent le développement psychologique de l'être humain.
Ses objectifs s'organisent autour de trois axes principaux :
• tester la validité interculturelle des théories psychologiques (par exemple, la théorie
opératoire de Piaget) ;
• découvrir les variations psychologiques dans les différentes cultures (par exemple, le
rôle des rites de passage) ;
• intégrer les résultats généraux et spécifiques des théories psychologiques à une
psychologie universelle valable pour un large éventail de cultures (Berry, 2002 ;
Berry, Poortinga et Pandey, 1997 ; Bril et Lehalle, 1988 ; Cole, 1995 ; Guerraoui et
Troadec, 2000 ; Licata et Heine, 2012 ; Ungar, 2005).
Dans les recherches interculturelles, il faut prendre en considération la validité
culturelle et écologique de la méthodologie employée. Il est primordial d'utiliser des
stimuli qui aient un sens culturel. Pour mesurer l'influence des variables culturelles, il
faut utiliser des items ou des échelles complètes, non ambiguës, grâce aux recherches
exploratoires préalables (Van de Vijver et Hambleton, 1996). Dans l'analyse des données
interculturelles, les chercheurs associent souvent les méthodes qualitatives (en y
intégrant fréquemment une recherche ethnographique) et les méthodes quantitatives
(Harkness, Van de Vijver et Mohler, 2003 ; Ratner et Hui, 2003 ; Van de Vijver et Leung,
1997 ; Van de Vijver et Poortinga, 2002).
Dans le cadre du présent chapitre, il est impossible de présenter les résultats de la
psychologie interculturelle du développement qui concerne tous les domaines de la
période prénatale jusqu'à la fin de la vie. Nous avons donc choisi de centrer ce chapitre
sur les différentes approches au sein de la psychologie interculturelle du
développement et sur la présentation de quelques exemples de résultats parmi les plus
marquants.

La relation entre culture et développement psychologique


Quelle est la relation entre la culture et la psychologie humaine ? Un des personnages
les plus importants de la psychoanthropologie, Kluckhohn (1944), a élaboré une grille
de la « culture » dans sa relation à l'individu, constitué des éléments suivants :
l'ensemble du mode de vie ; l'héritage social que l'individu acquiert de son groupe ; la
façon de penser, de sentir et de se comporter ; l'ensemble de solutions pour les
problèmes courants ; la régulation normative du comportement ; l'ensemble de
techniques qui permettent de s'ajuster à l'environnement extérieur et à d'autres êtres ;
vivre dans l'histoire. Kluckhohn (1944) affirme que les êtres humains au cours de leur
développement intègrent les composants de la culture qui structurent ainsi leurs
comportements, leurs émotions et leurs cognitions. Pour cette raison, les individus
appartenant à la même culture partagent des comportements et des formes de pensée
similaires.
Dans la psychologie interculturelle du développement, la culture est définie dans son
rapport à l'individu comme une réponse fonctionnelle, une adaptation aux contextes
écologiques et sociopolitiques qui influencent le comportement par l'intermédiaire des
processus de transmission culturelle et d'acculturation (Segall, Dasen, Berry et
Poortinga, 1990 ; Dasen, 2003 ; 2007 ; Lammel, 2014).

Les différentes approches


La psychologie du développement en relation avec les facteurs culturels s'organise
principalement autour de trois courants historiquement constitués :
• les études s'inscrivant dans l'approche historico-culturelle de Vygotsky ;
• les études éco-culturelles d'inspiration anthropologique ;
• les études comparatives interculturelles.
Dans ce qui suit, nous présentons quelques caractéristiques importantes des trois
grands courants évoqués ci-dessus.

L'approche historico-culturelle
L'internalisation des activités et des modes de pensées historiquement et socialement
développées est une des caractéristiques distinctives de la psychologie humaine, et
constitue le passage de la psychologie animale à la psychologie humaine. L'approche
vygotskienne tente de relier les phénomènes collectifs culturels et l'individu. Vygostsky
part du fait que, dans l'histoire, les différentes sociétés créent et utilisent des signes et
des systèmes de signes variés qui permettent aux humains d'ajuster leur propre
personne (organisme) à l'environnement (stimulus). Les signes sont des médiateurs
dépendant de facteurs culturels et sont, par conséquent, inséparables des changements
survenus dans les processus supérieurs de l'esprit. Vygotsky (1978) insiste pourtant sur
l'idée qu'il existe de nombreux médiateurs et que l'activité cognitive ne se limite pas à
l'utilisation des outils ou des signes déjà existants (Lewin et Foley, 2004). Par cette
ouverture, il laisse la place aux médiateurs futurs qui modifieront la pensée humaine. Il
souligne également l'importance de la relation entre les pratiques socioculturelles et le
développement psychologique.
Un grand nombre de recherches dans le domaine de la psychologie historico-
culturelle tente d'identifier les mécanismes cognitifs qui permettent à l'individu de
s'adapter aux nouvelles contraintes cognitives. Cole (1999), un des représentants les
plus importants de ce courant, définit la psychologie historico-culturelle comme une
tentative pour comprendre le développement humain, en tant que processus émergeant
des contraintes « biologiques », « sociales » et « psychologiques » qui interagissent par
la médiation de la culture et des artefacts historiquement constitués par un groupe.
Dans un premier temps, la majorité des études dans ce paradigme (Cole, Gay, Glick et
Sharp, 1971 ; Saxe, 1981, 1983) ont été réalisées au sein de groupes dits « traditionnels »
qui devaient affronter les effets de la « modernisation ». Dans un deuxième temps, les
chercheurs se sont intéressés aux phénomènes cognitifs dans les micro-cultures, telles
qu'une classe d'école, ou au développement des enfants qui utilisent excessivement les
nouvelles technologies (Cole, 1995 ; Lammel, 2001). Ces études ont repris l'idée
vygotskienne selon laquelle l'activité fait partie des processus psychologiques.
Les études de Saxe (2012) sur le développement des conceptions mathématiques sont
très intéressantes, car elles montrent qu'il existe des relations dynamiques et mutuelles
entre la cognition individuelle et les formes culturelles : culture et cognition ne sont pas
dissociables. Ses études prouvent également que la flexibilité des systèmes linguistiques
et cognitifs contribue à l'adaptation aux changements culturels. Cette flexibilité permet
de modifier les modes de pensée (concret/abstrait) par l'activité.
En résumé, on peut constater que des études dans le paradigme de la psychologie
historico-culturelle exposent qu'une adaptation extrêmement rapide de la pensée des
nouvelles générations instruites à l'école peut se produire. À la continuité des modes
anciens de représentation s'ajoutent des changements rapides dans la cognition.

Les approches éco-culturelles


Dans un souci de comprendre le développement de l'enfant dans son milieu, Super et
Harkness (1982) ont défini un cadre d'analyse complexe, nommé niche de
développement. Le postulat de ce cadre d'analyse semble simple : tout être humain doit
acquérir des compétences motrices, cognitives, langagières et sociales pour pouvoir
survivre dans une société donnée qui, de son côté, va favoriser le développement des
processus psychologiques nécessaires pour obtenir ce but.
Toute niche de développement se définit par trois composantes :
• l'environnement physique, climatique, culturel et social ;
• les représentations ou les ethnothéories des adultes concernant les compétences à
développer chez les enfants, ainsi que sur le rôle de l'éducation ;
• les pratiques et les techniques de puériculture et d'éducation.
Ces ensembles se trouvent en interaction constante et interviennent dans le
développement psychologique de l'individu dans une relation mutuelle. Le cadre
conceptuel de la niche de développement permet l'analyse des composants universels,
mais aussi des composants spécifiques, relatifs à une culture donnée. Dans ce cadre
d'analyse écologique, le rôle de l'apprentissage et les critères de la transmission des
connaissances nécessaires dans un environnement sont intégrés (Super et Harkness,
2002). La culture est considérée comme un ensemble de phénomènes actifs dont une des
tâches primordiales est d'assurer le bon développement de l'enfant. Harkness et Super
(1983) définissent des « phases de l'enfance », en fait une division du processus de
développement en segments signifiants. Chacune de ces étapes serait caractérisée par sa
durée, par un ensemble de caractéristiques de l'environnement social et physique, et
finalement par un certain consensus sur ce que l'on attend à cet âge. Ainsi, et selon les
cultures et les domaines concernés, les ethnothéories des parents prévoient des
changements nécessaires qui doivent intervenir dans un bon développement (Bonnet et
Pourchez, 2007, Bril et Parrat-Dayan, 2008 ; Rubin et Chung, 2013 ; Sigel, 1992 ; Stork,
1995).
Dès les années 1970, une véritable approche dynamique de l'écologie du
développement humain s'est développée. Les cadres d'analyse « écologique »,
relativement exempts d'ethnocentrisme, apparaissent, permettant l'étude du rapport
entre le développement psychologique de l'enfant et les facteurs environnementaux et
culturels. Citer ici les travaux de Bronfenbrenner paraît incontournable, étant donné que
ses modèles éco-systémiques du développement humain ont permis à de nombreux
chercheurs de mettre en évidence l'interdépendance de certains processus
psychologiques du développement avec le système écologique dynamique qui entoure
l'enfant. Bronfenbrenner (1979) a pu élaborer un modèle éco-systémique du
développement qui démontre l'interrelation entre l'environnement et le développement
psychologique de l'enfant. Il a étudié, de ce fait, l'interaction entre l'organisme qui se
modifie avec un environnement changeant, en y incluant non seulement
l'environnement immédiat (famille, école, voisinage), mais également le contexte social,
culturel, économique, politique et leurs interrelations. Son modèle initial de 1979,
modifié et complété au cours des années (Bronfenbrenner, 1989, 1990, 1993), lui a
permis d'identifier l'impact du changement économique, politique et social accéléré sur
l'enfant. Le rapport à l'environnement change avec l'âge. Cette idée est bien intégrée
dans le modèle chrono-systémique de Bronfenbrenner et Ceci (1994). Son œuvre ne
reste pas purement théorique, mais sert également à l'amélioration de la vie des enfants
dans notre société en mutation rapide (Tudge, Mokrova, Hatfieldet Karnik, 2009).

La psychologie culturelle comparative


Dans les années 1960 et 1970 des recherches importantes ont été entamées, tant dans la
psychologie francophone que dans la psychologie anglophone, pour examiner
empiriquement la validité de la théorie opératoire de Piaget. Celui-ci, en étudiant le
développement cognitif de l'enfant et sa compréhension des phénomènes physiques
dans une perspective ontologique, ne s'intéressait pas aux variations interculturelles.
Dans ses travaux antérieurs aux années 1960, Piaget avait conclu que les performances
cognitives des enfants genevois pouvaient être considérées comme universelles, étant
donné que les formes fondamentales de l'interaction dans lesquelles grandissent les
enfants sont identiques chez tous les individus appartenant aux homo-sapiens.
Cependant les recherches sur le terrain dans différents groupes culturels ont mis en
évidence des différences interculturelles dans le développement cognitif de l'enfant.
Dans un premier temps la psychologie interculturelle a centré son intérêt sur l'étude des
quatre stades esquissés par Piaget. Lors de l'évaluation des tests, la performance réussie
était considérée comme preuve de la présence d'une opération donnée. La majeure
partie des recherches concernait le stade des opérations concrètes avec des résultats très
diversifiés. De nombreuses études ont constaté un retard dans l'acquisition des stades et
des sous-stades chez les enfants non occidentaux. Cependant, d'autres études
affirmaient qu'il n'existait pas de différence entre les enfants scolarisés et non scolarisés,
voire que les enfants non scolarisés pouvaient présenter de meilleures performances
dans certains domaines. Les recherches comparatives ont également constaté que les
enfants et les adolescents, dans les cultures non occidentales, ne parviennent pas au
stade des opérations formelles s'ils n'ont pas suivi un enseignement scolaire performant.
La psychologie post-piagétienne a cherché à identifier plus finement les causes des
différences constatées. Des erreurs méthodologiques ont été évoquées ; certains
chercheurs ont ainsi mis en évidence que le matériel utilisé dans les recherches
comparatives n'était pas adapté aux conditions réelles des différents contextes culturels,
qu'il était inconnu ou bien inhabituel pour les enfants (Irwin, Schafer et Feiden, 1974 ;
Greenfiled et Child, 1977). Une question primordiale s'est également posée concernant
le rôle de l'école dans l'acquisition des opérations concrètes. La remise en question des
hypothèses de travail et des méthodologies ethnocentriques a contribué au
développement des approches éco-culturelles du développement cognitif, même à
l'intérieur du paradigme piagétien. Ces études affirment que les opérations concrètes au
sens piagétien sont universelles, mais qu'elles s'appliquent plus facilement aux
contextes valorisés qu'à ceux qui le sont moins. Les différences culturelles produisent
d'une part des décalages temporels dans l'âge d'accession aux étapes du développement
opératoire et, d'autre part, elles renforcent les différences entre la compétence sous-
jacente et la performance à une épreuve.
Dasen (1998) considère que l'apprentissage et la généralisation des opérations
formelles démontrent qu'il est possible de réduire, ou même de supprimer le décalage
temporel par des interventions ponctuelles, sans transmettre tout un nouveau système
de valeurs, donc sans la nécessité d'une acculturation non souhaitée. Des changements
dans la société ne sont donc pas nécessaires pour que la totalité de la population accède
à une pensée formelle.

La notion de l'intelligence
Les études concernant la relation entre cognition, intelligence et facteurs culturels sont
fortement liées à un objectif : trouver une validité aux tests d'intelligence. Même si
l'emploi des tests d'intelligence élaborés dans les pays occidentaux pour des
populations non occidentales reste une pratique quotidienne (pour les enfants
d'immigrés des pays de culture non occidentale, par exemple), de nouvelles recherches
mettent en question la pertinence de cette pratique. Ainsi plusieurs courants cherchent à
démontrer l'absurdité du postulat selon lequel l'intelligence est ce que les tests mesurent
(Sternberg et Grigorenko, 1997).
Dasen et al. (1985) rapportent que la conception de l'intelligence développée par
différentes communautés africaines privilégie les qualités sociales mises au service de la
famille et de la communauté, à l'opposé des capacités logico-mathématiques
individuelles. Par exemple, pour les Baoulés (Côte-d'Ivoire), l'intelligence est à la fois
technologique et sociale, avec une primauté de l'aspect social. L'intelligence
« technologique » recouvre les aptitudes cognitives, l'intelligence académique, logico-
mathématique et linguistique. Mais l'intelligence « technologique » en tant que telle
n'existe pas en soi, en dehors de l'interaction du sujet avec son environnement. Il faut
qu'elle serve l'intérêt des autres et qu'elle soit associée à l'intelligence sociale.
La différence entre les notions d'intelligence selon les conceptions occidentales et
africaines peut permettre d'expliquer en partie les difficultés scolaires des enfants
immigrés. Dasen (2000) considère qu'un élève immigré qui ne répond pas aux attentes
de l'enseignant ne présente pas des difficultés intellectuelles, mais ne réussit pas à
mettre en valeur ses compétences dans le contexte scolaire occidental qui ne valorise
que l'intelligence logico-mathématique et l'intelligence linguistique, ou bien les
connaissances académiques (Lammel, Marquez, 2009).
Le psychologue camerounais Nsamenang (2006) a sévèrement critiqué les points de
vue de la psychologie occidentale concernant le développement de l'intelligence. Selon
lui, cette psychologie reflète l'ethnocentrisme euro-américain dominant qui en réalité
revendique de fournir un modèle du développement de l'intelligence applicable à toute
la diversité humaine. Nsamenang (2006) argumente que, dans la conception africaine,
les phases du développement humain sont cycliques et que l'intelligence se développe
par une socialisation systématique à travers les activités participatives correspondant
aux différents âges. Contrairement à la réalité euro-américaine, en Afrique les
connaissances ne sont pas divisées en différentes disciplines, mais forment un ensemble
entrelacé. Le développement cognitif fait partie d'une intégration sociale graduelle et
progressive et est inséparable du développement de la personnalité (personhood). La
socialisation africaine ne privilégie pas la réussite individuelle – par exemple dans le
cadre de l'école –, mais elle favorise plutôt les compétences sociales et la responsabilité
partagée au sein du système familial et de la communauté ethnique (Nsamenang et
Lamb, 1995 ; Greenfield, Keller, Fuligni et Maynard, 2003).
Des conceptions aussi différentes entre la vision euro-américaine et la vision africaine
engendrent des difficultés dans les processus d'acculturation. Le concept d'intelligence
est une construction culturelle et même un ensemble de connaissances culturelles,
partagées et transmises à l'intérieur d'une société. Du point de vue de la relation entre
culture et cognition, la nature de ce concept est très importante, puisqu'elle va
influencer le développement des performances cognitives nécessaires et valorisées dans
une société (Lammel, 2007). Les études citées ci-dessus montrent qu'une variété de
conceptions existe ou bien coexiste, même à l'intérieur de la psychologie scientifique et
que la notion de l'intelligence est inscrite dans les changements historico-culturels
(Lammel et Guillén, 2011).

La relation entre les types de sociétés, les conceptions de


la notion de soi et les styles cognitifs
En psychologie interculturelle, les études menées sur les variations des valeurs
humaines (Hofstade, 1980 ; Schwartz, 1994 ; Smith, Dugan et Trompenars, 1996), mais
également sur le concept du soi (Kashima et al. 1995) ont ouvert de nouvelles pistes de
recherche.
Dans la psychologie développementale, l'étude du développement de soi (self) est un
domaine de recherche important. La majorité des travaux partent cependant de l'idée
que le soi (personne) est un attribut universel de l'être humain et il est le résultat des
processus d'individuation, idée qui tire ses origines de la philosophie néo-platonicienne
et présocratique, et a été largement diffusée par les enseignements (doctrines) chrétiens.
La psychologie du développement, avec des perspectives comparatives, a intégré
l'idée que le développement du soi s'effectue en interaction avec un contexte
socioculturel donné (Rothbaum, Pott, Azuma, Miyake et Weisz, 2000 ; Dennis, Cole,
Zahn-Waxler, Mizuta, 2002). Cependant, certains auteurs attribuent à la famille le rôle
principal dans le développement de soi (Volling, Blandon et Kolak, 2006).
Les études qui reconnaissent l'existence d'importantes différences dans la
construction du soi soulignent également la différence entre deux types de sociétés : les
sociétés dites collectivistes et les sociétés dites individualistes. Selon Hofstede (1980,
2001), dans les sociétés individualistes, l'unité sociale la plus importante est l'individu,
tandis que dans les sociétés collectivistes c'est le groupe. Par conséquent, les sociétés
individualistes encouragent et valorisent la satisfaction des ambitions, des besoins et
des désirs personnels. A contrario, dans les sociétés collectivistes, l'intérêt du groupe (tel
que la famille, le voisinage ou le lieu de travail) prime sur l'intérêt et les désirs
individuels, puisque l'identité est définie par l'appartenance à ce groupe. Ces deux
types de sociétés déterminent deux manières différentes d'appréhender le monde : une
pensée plutôt analytique pour les membres des sociétés individualistes et une pensée
plutôt holistique pour ceux des sociétés collectivistes (Nisbett, Peng, Choi et
Norenzayan, 2001).
Dans les sociétés dites plutôt collectivistes, les obligations sociales sont réciproques et
l'individu fait partie d'une collectivité ayant des liens étroits. Les droits et les devoirs de
l'individu sont partagés par la communauté et réglés par une éthique. Les désirs et le
bien-être de la collectivité sont plus importants que les désirs et le bien-être de
l'individu. L'harmonie du groupe prime sur le bonheur individuel. Le soi est un soi
interdépendant et la communication entre les membres de la société se situe dans la
même sphère, les personnes qui échangent les informations ont les mêmes systèmes de
référence.
Dans les sociétés plutôt individualistes, les intérêts de l'individu sont prioritaires par
rapport aux intérêts des membres de la société ; le soi est indépendant et la
communication se réalise à partir de champs séparés : les repères ne sont pas communs
(Nisbett, Peng, Choi et Norezayan, 2001 ; Oyserman, Coon et Kemmelmeier, 2002 ; Peng
et Nisbett, 1999).
À la lumière de recherches approfondies, il apparaît donc actuellement évident que
les différences culturelles et sociales existant entre les groupes ne concernent pas
seulement leurs croyances concernant différents aspects du monde, mais aussi leur
système métaphysique, leur épistémologie et, à un niveau plus profond, les processus
cognitifs et plus généralement la façon dont les membres appartenant à une culture
donnée appréhendent le monde (Nisbett, Peng, Choi et Norenzayan, 2001).
Dans les sociétés collectivistes, dont le modèle par excellence est celui de la Chine, la
pensée est considérée comme plutôt holistique. Cette pensée prend en considération
l'ensemble du contexte et les relations de l'objet avec celui-ci, en expliquant et en
prévoyant les évènements à partir de ces relations. (Morris et Peng, 1994 ; Peng et
Nisbett, 1999). La pensée holistique se construit avant tout à partir des connaissances
fournies par l'expérience, et non par la voie de la logique abstraite. Elle est plutôt
dialectique et privilégie le changement, la reconnaissance des contradictions, les
perspectives multiples et la recherche d'une solution intermédiaire entre les
propositions opposées. La pensée holistique est associative et construite sur des
relations de similarité et de contiguïté.
Dans les sociétés individualistes, c'est la pensée analytique qui domine. Ici l'objet est
isolé de son contexte, la compréhension se focalise sur les caractéristiques propres à
l'objet pour déterminer son appartenance catégorielle, expliquer et prévoir des
événements à partir de ses propres règles. Les inférences dérivent de la
décontextualisation du contenu, en utilisant la logique formelle et en évitant la
contradiction. La pensée analytique circonscrit des systèmes de représentation
symboliques et sa formalisation est bâtie sur des structures de règles. La vision du
monde se construit donc différemment et l'image finale du monde, ainsi que le rapport
avec celui-ci, se situera dans des dimensions quasi opposées à celles des sociétés.
Ces études suggèrent de façon implicite que les visions du monde que l'adulte
transmet aux enfants en développement, selon ces deux grands systèmes de pensée,
sont fortement différentes.

Les cultures en contact : l'acculturation


La psychologie interculturelle définit l'acculturation comme un ensemble de
changements produits par le contact direct et prolongé entre les groupes/individus de
cultures différentes (Berry, 1997). Ce terme fait référence au processus des changements
psychologiques qui se manifestent plutôt chez les groupes ou les individus immigrés ou
minoritaires dans les sociétés d'accueil ou dans une société où les groupes ou les
individus se trouvent confrontés à un autre groupe, majoritaire et généralement en
position dominante.
Trois modèles principaux tentent de décrire les processus d'acculturation
psychologique : le modèle unidimensionnel (Gordon, 1964), le modèle bidimensionnel
(Berry, 1997), et finalement le modèle interactif (Bourhis, Moise, Perreault et Senéecal,
1997 ; Bourhis et Bougie, 1998). Le modèle unidimensionnel distingue, sur une même
ligne horizontale, trois étapes, identifiées à partir de sept dimensions (culturelle,
structurelle, matérielle, identitaire, perceptive, discriminative, motivationnelle) : non
acculturé, biculturel, acculturé. Ce modèle est de moins en moins utilisé. C'est le modèle
bidimensionnel de Berry (1997), qui a suscité et suscite de très nombreuses recherches
en psychologie interculturelle, en France également (Sabatier et Berry, 1994). Ce modèle
a pu mettre en évidence quatre stratégies d'acculturation : l'assimilation, l'intégration, la
séparation et la marginalisation. L'assimilation se caractérise par l'abandon des
composants de la culture d'origine et l'adoption sans réserve de la culture d'accueil, ou
majoritaire/dominante. L'intégration elle se définit par le maintien des composants
culturels originaux, parallèlement à une acceptation des pratiques de la culture
d'accueil, ou de la culture majoritaire/dominante. La stratégie de séparation correspond
à la décision de maintenir les éléments culturels originaux sans créer de liens avec la
culture d'accueil, ou majoritaire/dominante. Enfin, la stratégie de marginalisation,
souvent associée à des attitudes de ségrégation de la part de la culture d'accueil, ou de
la culture majoritaire/dominante, empêche la participation aux pratiques et activités de
la nouvelle culture, dans le même temps qu'elle renonce ou n'a pas d'accès aux
pratiques et connaissances de la culture d'origine.
Le modèle interactif est basé sur celui de Berry, mais Bourhis et al. (2000) considèrent
que l'acculturation est un processus de changements bidirectionnels qui se produisent
lorsque deux groupes culturels distincts se trouvent en contact prolongé l'un avec
l'autre.
Quelles sont les conséquences de l'acculturation sur le développement des enfants ?
Certaines des études concernent la complexité de l'interaction entre culture, langue,
cognition et développement dans le contexte scolaire. Elles prennent également en
considération les besoins spécifiques des élèves en situation d'acculturation. Ici nous
allons présenter l'acculturation cognitive.
Le terme « acculturation cognitive » (Van de Vijver, Helms-Lorenz, Feltzer, 1999)
désigne l'effort supplémentaire imposé par l'adaptation aux exigences du traitement de
l'information dans un nouvel environnement culturel. Les performances cognitives
nécessaires à une bonne adaptation dans une culture donnée s'avèrent défaillantes dans
la nouvelle culture et l'individu se voit confronté au choix du mode d'acculturation qui
concerne également son identité dans toutes ses dimensions, y compris cognitive. Van
de Vijver, Helms-Lorenz et Feltzer (1999) ont tenté de relier les stratégies d'acculturation
et l'acculturation cognitive. Les résultats vont dans le sens du modèle structural qui
postule la liaison entre les variables backgrounds (par exemple, la stratégie
d'acculturation, l'utilisation de la deuxième langue, âge et sexe) et les performances
cognitives. Les relations entre les variables étudiées sont plus accentuées dans la
première génération d'immigrés que dans la deuxième. Les enfants plus âgés ainsi que
les enfants qui adoptent une stratégie d'intégration montrent un plus fort degré
d'acculturation cognitive (Van de Vijver, Helms-Lorenz et Feltzer, 1999).

Conclusion
Comme cette revue a pu le montrer, les recherches interculturelles sur le
développement humain ont mis en évidence l'impact de l'environnement et plus
particulièrement de la culture sur le développement psychologique de l'individu. Ces
études montrent que la manière de transmettre les connaissances, la nature des outils et
des symboles qui servent comme médiateurs dans cette transmission, ainsi que la
structure même de la connaissance acquise contribuent à mettre en place les processus
supérieurs de l'esprit qui permettent de traiter les informations et de réaliser les actions
dans une culture donnée. Ce fait n'exclut pas les prédispositions biologiques.
En somme, la relation entre développement psychologique et les conditions éco-
systémiques s'inscrit dans l'histoire phylogénétique et historique. Les conditions
nécessaires au développement ontogénétique sont culturellement organisées à travers
des activités et des interactions diverses. Notre façon de grandir est notre nature. La
psychologie interculturelle du développement peut fournir des indices incontournables
pour que les enfants puissent grandir dans les conditions optimales.

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CHAPITRE 7

Nativisme et néoconstructivisme : rendre


compte des connaissances précoces
Roger Lécuyer

PLAN DU CHAPITRE
Introduction : un innéisme peut en cacher un autre
De l'impossible et de l'improbable
Les trois cadres théoriques
Connaissances innées ou apprentissages rapides ?
Conclusion

Introduction : un innéisme peut en cacher un autre


Parmi les grands classiques de la littérature en psychologie, dans la catégorie débats
interminables figure en bonne place la querelle inné-acquis (Lemaine et Matalon, 1985).
Mais cette pérennité du débat ne doit pas cacher que celui-ci porte sur des thèmes
différents, qui posent de problèmes différents, qu'il évolue dans le temps, à la fois en
fonction des connaissances nouvelles et de la manière de poser les problèmes, ni qu'il
concerte avant tout l'intelligence, et est de ce fait au carrefour du scientifique et du
politique, puisque, comme l'écrit Paul Guillaume (1932/1966) : « Dire qu'un être est
intelligent, c'est porter un jugement de valeur… Cette notion sert surtout pratiquement
à établir des différences entre les espèces, entre les races, entre les individus. » (p. 286)
Le présent chapitre porte bien sur une querelle inné-acquis, mais ce n'est pas la plus
célèbre : celle sur l'origine des différences individuelles ou de « race » dans
l'intelligence, et qui est fort ancienne, mais sur le thème beaucoup plus récent de
l'origine des premières connaissances. Pour certains auteurs, ces connaissances sont
« innées », pour d'autres, elles résultent comme toutes les autres d'apprentissages. Il est
donc aussi possible de considérer qu'il s'agit là de deux manières différentes de poser le
même problème. Toute la question est de savoir comment l'on envisage les relations
entre intelligence et connaissance.
L'innéisme classique est très lié à l'idée de mesure de l'intelligence et à la
psychométrie. En conséquence, il a toujours paru important après Binet de veiller à
séparer intelligence et connaissance et à ne pas faire un test de connaissances. Par
contre, pour Piaget, l'intelligence sert à organiser les connaissances. Il est donc pour lui
impossible de séparer l'outil de son usage et l'intelligence de la connaissance. De nos
jours, le concept d'intelligence est de moins en moins utilisé par les chercheurs, à
mesure que la notion de QI se popularise. Il est souvent remplacé par celui de cognition,
ce qui nous rapproche de la connaissance, sans pour autant nous éclairer complètement,
puisque le mot cognition est plus large encore que celui d'intelligence et recouvre à la
fois les connaissances et leurs modes de traitement. Derrière ces différences radicales
dans la manière de voir les relations entre intelligence et connaissance pourrait bien se
cacher le fait de privilégier un type de connaissance, soit très élémentaire ou
anecdotique, soit structurée. Prenons l'exemple de la principale connaissance mise en
avant par Piaget, et d'ailleurs reprise par les nativistes : la permanence de l'objet : un
objet visuellement disparu continue d'exister. Ce type de savoir général sur le
fonctionnement du monde environnant se distingue fondamentalement de
connaissances plus anecdotiques, comme les spécificités de la voix de la mère du bébé,
puisque les nouveau-nés sont capables sous certaines conditions de faire la différence
entre cette voix et celle d'une étrangère. Rien dans aucun des cadres théoriques qui
seront évoqués ci-dessous ne s'oppose à l'idée que des apprentissages factuels aient lieu
très vite après la naissance ou même avant. En particulier, le point de vue nativiste ne
porte pas sur ce type de savoirs. Le nativisme consiste dans l'affirmation que le bébé
humain possède à la naissance des connaissances qui ne sont pas simplement factuelles,
mais concernent aussi des règles élémentaires de fonctionnement du monde physique
(et du monde social), sans qu'elles aient fait l'objet d'un apprentissage. Les nativistes
sont donc d'accord avec Piaget… sur la nature de ce qui les oppose : l'origine des
connaissances organisées, donc intelligentes. En cela, les uns et l'autre s'opposent à
l'innéisme classique, à la recherche d'une intelligence indépendante des connaissances.
Pour bien différencier le débat sur l'origine des connaissances de celui sur la source
des différences individuelles, dans mes publications précédentes sur ce sujet (cf.
Lécuyer, 2001, 2002, 2006, 2011, 2014 : Lécuyer et Durand, 2011, 2012), j'ai utilisé le
concept d'innéisme pour faire référence aux débats anciens et celui de nativisme pour
faire référence à ce que Mehler (Mehler et Dupoux, 1990) a longtemps appelé l'état
initial du bébé, état de ses compétences et connaissances à la naissance, état comparé à
un état stable du fonctionnement cognitif de l'adulte. Cette opposition est explicitée
différemment par Spelke (1998) : « … La discussion entre nativistes et empiristes ne
porte pas sur les interactions entre les gènes et leur environnement, mais sur le fait que
la connaissance des choses dans le monde extérieur se développe ou non sur la base de
la confrontation à ces choses. »1 (p. 192). C'est de cette « discussion » qu'il sera question
ici.

De l'impossible et de l'improbable
Les questions méthodologiques sont toujours importantes en psychologie, mais elles le
sont particulièrement en psychologie cognitive du nourrisson pour plusieurs raisons
dont la principale est qu'il est toujours nécessaire d'interpréter les réponses observées.
De ce fait, les débats entre nativistes et anti-nativistes sont aussi méthodologiques. Pour
bien comprendre les enjeux, il faut commencer par un rapide tour sur les méthodes les
plus couramment utilisées dans les recherches avec les nourrissons (pour plus de détail,
voir par exemple Lécuyer, 1994a, 1996, 2004, 2014 ; Streri et Lécuyer, 1999).
À l'échelle temporelle où peut se situer un débat comme celui suscité par le nativisme,
l'essentiel de ce que nous savons sur le développement cognitif du nourrisson vient de
deux paradigmes expérimentaux proches.
Le premier, chronologiquement, est le paradigme de l'habituation/réaction à la
nouveauté. Il est né dans le début des années 1960, et s'est plus ou moins standardisé au
début des années 1970 : une habituation est une présentation plusieurs fois de suite du
même stimulus, pour des durées contrôlées par le bébé (l'essai s'arrête quand il
détourne le regard), jusqu'à satisfaction d'un critère préétabli : le plus souvent une
durée de la moyenne des trois derniers essais inférieure à la moitié de la moyenne des
trois premiers. Un nouveau stimulus est ensuite présenté et l'hypothèse à la base du
paradigme est la préférence pour la nouveauté : si la différence entre le stimulus qui a
fait l'objet d'une habituation et celui qui est présenté en test est perçue, les durées de
regard remontent durant ce test.
Ce paradigme a été utilisé dans des milliers d'expériences et n'est en général pas
contesté. Un problème particulier est toutefois soulevé quand les durées de fixation
pendant la période de test sont plus élevées pour le stimulus « familier » que pour le
stimulus nouveau. On sait, maintenant qu'il se produit quand la phase d'habituation a
été trop courte, et donc que le stimulus « familier » n'est pas complètement familier
(Lécuyer, 1996). Les choses sont plus complexes dans le cas de l'autre paradigme, dit de
la transgression des attentes ou de l'attente déçue, paradigme inventé par Baillargeon,
Spelke et Wasserman (1985) pour mettre en évidence la permanence de l'objet chez des
bébés de cinq mois, c'est-à-dire passer de l'étude de la perception à celles d'activités
cognitives plus abstraites. Invention méthodologique capitale et première utilisation
mettant en jeu une question théorique d'importance majeure, cet article réunissait les
conditions pour devenir célèbre… puis très attaqué (pour plus de détails, voir Lécuyer,
2014). Dans ce paradigme, est présenté un événement destiné à familiariser les bébés
avec une situation générale à partir de laquelle en test sont proposées deux variantes :
d'une part une situation dite possible, ou normale, et une situation dite impossible ou
étrange… pour les personnes qui connaissent une règle simple de la physique qui n'est
apparemment pas respectée dans cet événement. Par exemple : si un objet un instant
disparu réapparaît de l'autre côté d'une cloison qu'il ne peut normalement traverser, les
temps de regard peuvent être plus longs que s'il n'y a pas de cloison et donc qu'aucune
règle n'est transgressée. La conclusion tirée par les chercheurs est que si les bébés
regardent plus l'événement impossible que l'événement possible, c'est qu'ils connaissent
la loi qui n'a pas été respectée. Si cela se produisait à la naissance, alors cette
connaissance serait innée. Jusqu'à la fin du siècle dernier, ce paradigme semblait aller de
soi pour l'immense majorité de chercheurs, et a produit beaucoup de données
nouvelles.
Un premier problème qui s'est présenté avec ce paradigme est que tous les chercheurs
ne sont pas d'accord pour attribuer toujours les durées de fixation longues à la détection
du caractère impossible de l'événement ainsi conçu par le chercheur. L'interprétation est
ramenée par certains auteurs à la seule question de la nouveauté/familiarité.
Baillargeon trouve une permanence de l'objet à 3,5 mois, puis à 2,5 mois (Aguiar et
Baillargeon, 1999), mais pas avant. Des résultats de même type sont retrouvés par
d'autres chercheurs, dans des situations différentes (cf. par exemple Karen Wynn, 1992).
Mais quinze ans plus tard, l'expérience de 1985 fait l'objet d'une contestation
systématique de la part d'un certain nombre d'auteurs, qui ne retrouvent pas les
résultats de la recherche initiale dans toutes les conditions expérimentales testées (cf.
pour les débats techniques sur cette question Lécuyer 2014). Allen et Bickhard (2013)
considèrent que ce paradigme est fondamentalement nativiste, ce qui est abusif, mais
l'interprétation des résultats est souvent nativiste : ainsi, si le fameux événement
impossible l'est, c'est que le bébé possède une règle, une loi et qu'il sait quand
précisément un événement est ou non possible. Règle bien maîtrisée et donc innée.
Une interprétation plus économique des temps de regard est que les bébés, dans leurs
expériences précédentes avec le monde ont repéré des régularités, et qu'ils sont surpris
quand un événement ne correspond pas à ce qui se passe usuellement. Par exemple, ils
ne posséderaient pas la règle : « un objet ne peut pas en traverser un autre », ou : « un
objet partiellement caché garde son unité », mais ils remarqueraient dans leur
expérience quotidienne qu'arrivé au contact d'un autre, un objet ne le traverse
usuellement pas ou que, partiellement disparu derrière un autre, un objet réapparaît
habituellement ensuite entier.
La critique de l'interprétation des résultats obtenus par la transgression des attentes
s'articule à la question théorique de l'origine des connaissances. La crédibilité de
l'hypothèse d'apprentissages est renforcée par les données sur l'unité de l'objet
partiellement caché, question sur laquelle il est possible de décrire un développement
(Johnson et Aslin, 1996). Il faut pourtant noter qu'en toute logique, il n'est pas possible
de départager les deux hypothèses interprétatives, ce qui signifie que l'interprétation
classique en termes de connaissance de règles n'est nullement certaine. L'interprétation
usuelle des données est nativiste, en considérant l'improbable comme impossible.

Les trois cadres théoriques


Le débat entre empirisme et rationalisme est vieux comme la philosophie grecque, mais
il a pris des formes spécifiques à partir du moment où la question de l'origine des
premières connaissances s'est déplacée de l'enfant possédant une certaine maîtrise du
langage au nouveau-né, en particulier sous l'impulsion de Piaget. Ce saut a permis dans
un premier temps le développement de la théorie de ce dernier, puis celui du nativisme,
et enfin d'une tentative de réadaptation de l'empirisme aux connaissances nouvelles.
Mais si la position constructiviste piagétienne est première, et a dû subir les attaques
nativistes, elle est aussi actuelle et représente de plus en plus une alternative théorique
au nativisme.

Le point de vue des nativistes


Le nativisme apparaît dans les années 1960 et se développe dans les années 1970–1980,
essentiellement aux États-Unis, pour deux raisons : le développement de connaissances
nouvelles sur les capacités perceptives, puis cognitives des bébés, et les divers aspects
du contexte théorique de l'époque en Amérique.
Du côté de la théorie, on assiste à un certain épuisement des perspectives
traditionnelles behavioriste et maturationiste. D'un côté le behaviorisme radical de
Watson (1928) prétend que l'éducation peut tout et donc qui réduit le développement à
des apprentissages, de l'autre le maturationisme non moins radical de Gesell (1928 ;
Gesell et Ilg, 1943) assure que le développement n'est rien d'autre que la maturation du
système nerveux central et donc, dans une perspective parfaitement compatible avec
l'innéisme classique, décrit un développement plus centré sur l'intelligence que sur les
connaissances. Le caractère extrême de ces deux points de vue théoriques les avait
quelque peu discrédités, et le nativisme arrive à point pour relayer l'innéisme gesellien.
Par ailleurs se développe à la même époque le cognitivisme computationnel qui
compare cerveau et ordinateur et de ce fait minimise l'importance du support de la
« pensée » et maximise l'opérationnalité de ce support « programmé ». Enfin, il est
important de situer l'impact de la théorie de Piaget aux États-Unis à la même époque.
La traduction en anglais de La naissance de l'intelligence (1936) n'est faite qu'en 1952 et
celle de La construction du réel (1937) en 1954. Un certain nombre d'auteurs américains
ont tendance à oublier que les travaux initiaux précèdent de près de vingt ans la
traduction et à les resituer dans le contexte des années 1950. Pour prendre un seul
exemple et uniquement parce qu'il est récent, Witherington (2015) cite La naissance de
l'intelligence dans une liste d'écrits qui critiquent le débat nativisme-empirisme, alors
que ce n'est pas le souci majeur de cet ouvrage, écrit à une époque où le nativisme
n'existe pas encore.
Quelques années seulement se déroulent entre cette traduction de Piaget et les
premières recherches qui, concernant les nourrissons, donnent des résultats que sa
théorie n'explique pas. Ceci a nécessairement facilité la contestation de Piaget, dont
l'impact aux États-Unis a surtout concerné les enfants plus âgés. Chomsky (1965) a
développé sa conception nativiste des capacités langagières dont l'impact a été
considérable. Bower (1974/1982) semble montrer que pour les jeunes bébés, un objet
partiellement caché garde son unité, et qu'un objet complètement caché continue
d'exister pour des enfants de 8 semaines. On sait l'importance que Piaget accordait à la
permanence de l'objet et à sa construction progressive dans le courant des deux
premières années, comme témoin privilégié du développement de l'intelligence, et
comme illustration du rôle de l'intelligence sensorimotrice dans ce développement.
C'est donc de manière logique que ses successeurs ont fait l'hypothèse d'une
permanence innée et centré leurs recherches sur la découverte d'une permanence
toujours plus précoce, sans parvenir à descendre jusqu'à la naissance. Pour les
nativistes, la recherche de l'objet disparu ne peut plus être considérée comme unique
témoin de la permanence. Certes, dans les années 1970, plusieurs chercheurs ont tenté
de répliquer les expériences de Bower et n'ont pas toujours retrouvé les mêmes résultats
et la théorie a été rejetée avec les données empiriques.
Mais ce rejet n'a pas constitué la fin du nativisme. Le flambeau a été repris, en
particulier en France par Mehler, aux États-Unis par plusieurs auteurs, mais en
particulier par Spelke (1984, 1986, 1998, Spelke, Breinlinger, Macomber et Jacobson,
1992 ; Spelke et Kestenbaum, 1986). Si l'on ne tient pas compte des expériences de
Bower, la recherche de Baillargeon, Spelke et Wasserman (1985) est la première à
montrer l'existence d'une permanence de l'objet à cinq mois, donc bien plus tôt que ne le
pensait Piaget. De fait, cette publication va jouer un rôle décisif dans les débats qui vont
suivre.
En effet, le développement du nativisme n'est pas seulement dû à un contexte
théorique particulier. Il est aussi la conséquence de la mise en évidence de faits
radicalement nouveaux dans la psychologie cognitive du nourrisson. Ces nouveautés
sont elles-mêmes la conséquence du fait que les bébés sont entrés dans les laboratoires
(Berlyne, 1958 ; Fantz, 1958). En quelques années, c'est à un changement complet de
l'image des capacités du nourrisson que ces recherches ont conduites. Il est rare que des
révolutions se produisent dans les connaissances en psychologie, mais le mot n'est pas
trop fort pour décrire ce qui s'est passé dans les années 1960 dans ce domaine.
Les premières expériences de laboratoire avec des bébés ayant porté sur la perception
visuelle il est intéressant de confronter à ces premières données expérimentales les
descriptions faites à l'époque de la vision à ses débuts. Dans le premier mois de la vie,
Piaget la décrit comme une sensibilité aux changements de luminosité, plus les réflexes
palpébral et pupillaire, cependant que le corps médical enseigne volontiers aux parents
que « le nouveau-né est sourd, aveugle et agnosique. » (Lazorthes, 1982 p.27). Fantz
montre que les très jeunes bébés sont capables de discriminer des formes, ce qui est une
grande nouveauté. À la fin des années 1960, on commence à avoir une assez bonne idée
des capacités perceptives visuelles des jeunes bébés, ce qui permet à Vurpillot de
publier en 1972 Les perceptions du nourrisson, ouvrage déjà très bien documenté. Les
autres modalités sensorielles sont, elles, moins bien connues, mais outre que la vision
est la modalité dominante chez homo sapiens, les performances visuelles précoces
apparaissent comme d'autant plus spectaculaires que cette modalité n'entre
véritablement en scène qu'après la naissance.
L'argument essentiel fourni par Chomsky pour justifier son nativisme est celui de la
pauvreté du stimulus : le langage ne peut pas s'apprendre comme le pensaient les
behaviouristes par essais et erreurs, parce que cela nécessiterait des années, alors que
précisément, cet apprentissage est très rapide. C'est qu'il existe des structures
spécifiques préparées à cet apprentissage. L'argumentation de Mehler (1983, Mehler et
Dupoux, 1990) reprend celle de Fodor (1983) sur l'impossibilité de l'apprentissage : « Il
est impossible de concevoir un modèle d'apprentissage autre qu'un modèle qui
fonctionne par induction… Il en découle, donc, qu'un sujet ne peut apprendre de
concept nouveau, s'il ne possède pas déjà les bases conceptuelles requises pour
formuler les hypothèses nécessaires à sa confirmation. Il y a donc impossibilité
d'apprendre ce qu'on ne possède pas déjà sous une forme ou sous une autre » (1983).
Reste la possibilité d'apprentissages purement factuels, qui ne fait pas débat.
Il résulte de ces connaissances importantes qu'aurait le jeune être humain dès la
naissance, d'une part que l'étude du développement ne mérite pas l'intérêt qu'on lui
accorde généralement, d'autre part qu'il est possible de décrire un état initial du
fonctionnement cognitif du bébé que l'on peut comparer à un état stable de l'adulte, la
comparaison montrant de fortes similitudes.
Un point de vue moins extrême, mais identique sur le fond est exprimé par Spelke
(1998) qui met en question la nécessité d'interactions avec l'environnement pour la
possession de connaissances, et propose qu'aucune confrontation avec le monde n'est
nécessaire à la possession des premiers savoirs : il existe dès le départ un noyau de
connaissances qui sert de base à l'acquisition de savoirs supplémentaires.
Pour décrire ces savoirs initiaux, Spelke fait comme Piaget largement référence à la
notion d'objet. Dans le noyau de connaissances innées figure en bonne place le fait que
les objets ont une unité, une permanence et une identité. Kellman et Spelke (1983)
mettent en évidence l'unité de l'objet à 4 mois, et concluent que cette unité est donc
innée. Slater, Johnson, Brown, et Badenoch (1996) trouvent pourtant un résultat
contraire chez des nouveau-nés. Johnson et Aslin (1996) montrent ensuite que c'est aux
environs de 2 mois, et à un âge croissant avec la difficulté de la situation que cette unité
commence à être acquise.
La célèbre expérience de Baillargeon, et al. (1985) montre que la permanence de l'objet
existe à cinq mois, mais si cette permanence a été confirmée maintes fois depuis, et
retrouvée dès 2,5 mois, elle n'a pas non plus été démontrée à la naissance. Quant à
l'identité de l'objet, la question est très complexe et Spelke en a fait une analyse
approfondie, montrant que cette hypothèse d'identité précoce ne peut être testée que de
manière partielle.
À côté de ce nativisme revendiqué haut et fort existe ce que l'on pourrait appeler un
nativisme implicite. Dans les premières années du développement de la recherche de
laboratoire avec des bébés, deux facteurs ont contribué au développement de ce
nativisme qui semblait aller de soi. Le premier est que la littérature issue de cette
recherche était structurellement nativiste : les recherches étaient encore peu nombreuses
et les efforts portaient plus sur la diversification des capacités et connaissances à mettre
en évidence que sur la description de l'évolution avec l'âge de telle ou telle
connaissance. Le second facteur est que prises globalement, ces mêmes données
semblaient converger vers l'idée d'une impossibilité matérielle d'apprentissage assez
rapide pour que des connaissances soient présentes à trois mois ou moins. Bien plus
récemment, on retrouve cette idée chez Dehaene (1997/2010) dans le cas particulier du
nombre : « Pouvait-on démontrer scientifiquement que même des bébés de moins de
1 an connaissent déjà certains aspects du concept de nombre, avant qu'ils aient eu
l'occasion de les extraire de leurs interactions avec l'environnement ? La réponse est
positive. » (2010 p.54–55). Dans le débat entre la théorie nativiste et les points de vue
adverses, la possibilité de montrer ou non l'existence d'apprentissages précoces est donc
un élément clé. Le temps nécessaire pour que ces apprentissages s'effectuent en est un
autre.

Le point de vue des empiristes


Jusqu'à la fin du siècle dernier, les empiristes ont très peu réagi au développement du
nativisme. Le fait que des connaissances pouvaient être mises en évidence bien plus tôt
que tout le monde ne le pensait auparavant n'était pas niable, et l'image de la table rase
devenait de ce fait chaque jour un peu plus incongrue. Watson et Skinner semblant
débordés, la seule solution consistait à se réfugier derrière Piaget. Dans un chapitre
relativement récent de Oakes, Cashon, Casasola et Rakison (2011), en hommage à Leslie
Cohen, qui est un des leaders de cette forme de contestation du nativisme, plusieurs
auteurs reprennent des thèses déjà défendues dans un article de Cohen, Chaput et
Cashon (2002) et définissent leur position comme constructivist information-processing
approach. Définir son point de vue par le traitement de l'information n'est pas très
informatif, par contre, la référence au constructivisme est très claire en psychologie du
développement, puisque c'est Piaget qui a introduit le concept, pour définir sa théorie.
Or, le « constructivisme » de Cohen et du courant qu'il représente peut très largement se
résumer à l'idée que là où les nativistes ne voient que des processus descendants, eux ne
voient que des processus ascendants de construction des connaissances. Le problème
est que Piaget, lui voit en œuvre les deux types de processus. La construction d'un
schème piagétien peut être considérée comme un processus ascendant, mais son
utilisation quand il est rodé est au contraire un processus descendant. La différence
cruciale entre Cohen et Piaget est que pour le premier ce qui se construit, ce sont
seulement des connaissances, alors que pour le second, c'est principalement le sujet lui-
même. De fait, le point de vue exprimé par Cohen est beaucoup plus compatible avec
l'empirisme classique qu'avec le constructivisme piagétien. Il est difficile de se dire
empiriste aujourd'hui en psychologie cognitive du nourrisson.

Les points de vue néo-constructivistes


Le nativisme a pu naître et prospérer sur la base d'une difficulté de la théorie de Piaget :
son incapacité à rendre compte des savoirs précédant la coordination vision-préhension.
Ce point est capital concernant l'origine de la connaissance, mais ne constitue pas, loin
s'en faut, toute la théorie. Qu'est-ce que le constructivisme ? C'est d'abord l'idée que le
bébé transforme son environnement physique immédiat par l'action qu'il exerce sur
celui-ci et que cette transformation lui permet de comprendre cet environnement. Mais
de manière complémentaire, par cette activité il transforme sa vision du monde : sa
manière d'organiser ses propres connaissances. Ainsi, acquiert-il au quotidien des
savoirs nouveaux qui complètent les anciens sans en changer pour autant l'organisation
(Piaget parle alors d'assimilation), ou bien, quand un savoir nouveau n'est pas
compatible avec l'organisation existante des connaissances, se produit-il chez le sujet
une réorganisation de celles-ci (Piaget parle alors d'accommodation). Ce point de la
théorie est capital, parce qu'il distingue Piaget autant de l'empirisme que du nativisme.
De l'empirisme, car il n'y a pas à la naissance de table rase, mais des structures très
élémentaires d'interaction avec l'environnement sur lesquelles toute la pensée va se
construire progressivement. Du nativisme, et de ce fait, du rationalisme, car il n'y a pas
de connaissances innées.
En d'autres termes, ce qui distingue le plus le constructivisme du nativisme, c'est qu'il
est fondamentalement développemental, toutes les connaissances étant construites, et
l'intelligence du sujet se construisant par l'organisation des connaissances. Ce qui le
distingue de l'empirisme… c'est qu'il est fondamentalement développemental… Se
référant à une « Table rase » initiale ou à un « état initial », l'empirisme et le nativisme
nécessitent un point zéro du développement, alors que la théorie constructiviste place le
développement cognitif dans le prolongement du développement biologique. Cette
manière biaisée de voir la théorie de Piaget pose la question de savoir si un néo-
constructivisme, prenant en compte les difficultés de la théorie, n'est pas aujourd'hui
possible et salutaire.
Puisque c'est l'inefficience de l'action sensorimotrice dans les premiers mois qui pose
problème dans la théorie de Piaget, c'est du côté d'autres formes d'apprentissages qu'il
faut se tourner pour expliquer les savoirs précoces. La nécessité de l'action pour
effectuer des apprentissages est une donnée incontournable, mais le type d'action mis
en avant par Piaget dans les premiers mois de la vie est doublement paradoxal. D'une
part en effet, l'espèce humaine est, comparée à la plupart des mammifères, très en
retard dans son développement moteur, d'autre part, elle est en avance dans son
développement sensoriel (Granier-Deferre, DeCasper et Schaal, 2004).
Comme l'a écrit Piaget (1936), la perception est une activité. C'est pourquoi dans mon
ouvrage de 1989, j'avais proposé l'idée que les nouveau-nés apprenaient par l'activité
perceptive, et plus précisément par le mécanisme simple et précoce de l'habituation, qui
correspond bien aux capacités perceptives et motrices néonatales. Pourquoi
l'habituation ? Ce mécanisme d'apprentissage élémentaire, très utilisé dans la recherche,
ne peut l'être que parce qu'il correspond à un mode de fonctionnement cognitif
spontané et quotidien des bébés. Or, il a été démontré depuis bien longtemps que
l'habituation était possible chez des organismes très primitifs et très tôt dans l'espèce
humaine (Schaal, Goubet, Delaunay-El Allam et Durand, 2011). Cependant, si ces
possibilités d'apprentissage très précoces ne sont pas niables, ce qui manquait à cette
analyse était précisément l'aspect constructiviste. Il fallait décrire la complexification
des mécanismes d'apprentissage et des capacités de représentation. Le mécanisme peut
nécessiter une analyse temporelle des événements permettant de dégager des
régularités dont pourront être issues des règles (des lois, des principes) que les
nativistes supposent innées.
Pour ce qui est des capacités de représentation, la nécessité de décrire une
complexification progressive résultait d'abord de la polysémie du terme de
représentation et en conséquence des faux débats qui se sont développés autour. C'est
pourquoi, avec Karine Durand, j'ai développé un système de niveaux de représentation
qui s'est peu à peu affiné (Lécuyer, 1994,1996, 2000, 2001, 2004, 2011 ; 2014 ; Lécuyer et
Durand, 2011, 2012). Le mot représentation ne recouvre en effet pas les mêmes réalités
dans le cas où est représenté un objet simple, familier et unique qui vient d'être perçu,
ou bien la catégorie à laquelle appartient cet objet, évoquée par son nom.
Par ailleurs, l'habituation ne permet pas tous les apprentissages. Elle permet bien sûr
les apprentissages factuels, elle permet également la catégorisation, et c'est la
démonstration du fait que les bébés sont extrêmement actifs dans les situations
d'habituation, trop souvent décrites comme des diminutions d'une réponse, donc
comme un phénomène passif. Pour catégoriser, il faut trouver le point commun entre
les différents stimuli présentés successivement, ce qui nécessite… de le chercher, donc
de comparer chaque stimulus nouveau à la série de ceux qui viennent de passer. Mais il
ne semble pas parcimonieux de supposer que l'habituation permet des apprentissages
plus complexes, comme des régularités pouvant déboucher sur des règles. L'autre mode
d'apprentissage, qui est possible dès la naissance, est le conditionnement, qui
permet/nécessite de saisir les formes de relations causales entre événements.
À la même époque où je proposais un apprentissage par l'habituation, Mandler (1988)
faisait à peu près la même analyse dans un article célèbre au titre évocateur : How to
build a baby. Un article qui tente réellement de répondre à la question. Si comme Piaget,
Mandler utilise le mot construction, elle s'intéresse essentiellement dans cet article aux
capacités de représentation des bébés et critique fortement l'idée de stade sensorimoteur
et de représentation sensorimotrice. Elle oppose à cela une représentation perceptive et
une représentation conceptuelle. La première sert à emmagasiner des données
factuelles, la seconde à analyser ces données pour en dégager des règles générales. Or
bien évidemment cette seconde capacité n'existe que beaucoup plus tard pour Piaget, et
c'est elle qui d'après Mandler permet l'acquisition de connaissances avant que l'action
sensorimotrice ne soit assez efficiente pour l'autoriser. Ce point de vue a été repris et
développé par la suite dans une série d'articles (par exemple, Mandler 1992, 1998, 2012).

Connaissances innées ou apprentissages rapides ?


Sur l'origine des premières connaissances, il existe de fait deux grandes questions, ou
deux grandes sources de débat, d'où résultent plusieurs sous-débats. Le premier thème
peut être exprimé de manière simple : les recherches empiriques montrent-elles que les
« connaissances innées » sont réellement innées ? Le second est symétrique : puisque les
anti-nativismes supposent des apprentissages rapides et précoces, peut-on montrer que
ceux-ci sont possibles et en donner un certain nombre d'exemples ?
On retrouve ici l'asymétrie entre les deux positions. En effet, si l'on peut démontrer
qu'une connaissance est présente à la naissance et qu'elle ne doit rien aux
apprentissages prénatals, alors les théories anti-nativistes se trouvent infirmées. Par
contre, si l'on ne peut pas montrer l'existence de telles connaissances, la théorie nativiste
n'est pas infirmée pour autant : l'absence de preuve n'est pas la preuve d'absence. Ceci
semble placer le nativisme en position de force vis-à-vis des théories adverses, mais en
termes popperiens, cela le place en situation de faiblesse (Racine, 2013). Une théorie
dont on ne peut pas démontrer qu'elle est fausse n'est de ce fait pas une théorie
scientifique.
Notons également que si l'existence d'apprentissages avant la naissance peut être
démontrée, il est assez évident que cette possibilité est très ennuyeuse pour le
nativisme, mais elle l'est au moins autant pour l'empirisme : la table « rase » devrait déjà
être très encombrée à la naissance. Démontrer une continuité transnatale du
développement cognitif (Granier-Deferre, DeCasper et Schaal, 2004) rend complètement
vaine la recherche d'un point de départ (Molina et Jouen, 2014). En conséquence, l'un
des critères qui peuvent être pris pour juger de la robustesse d'une théorie du
développement est sa capacité à assimiler les connaissances prénatales.
A-t-on démontré l'existence de « règles », et par exemple de la permanence de l'objet
chez les nouveau-nés ? À la date de rédaction de ce chapitre, et dans les limites de la
connaissance de son auteur, la réponse est non. Depuis la publication d'Aguiar et
Baillargeon (1999), montrant une permanence de l'objet à 2,5 mois, elle n'a pas été
montrée plus tôt. Gageons que plusieurs tentatives ont pourtant été faites, car la
question est d'importance pour le nativisme. Sur la question voisine de l'unité de l'objet,
un développement semblant indiquer un apprentissage a pu être décrit. Mais ces
questions de permanence et d'unité ne sont évidemment pas les seules. Existe-t-il
d'autres connaissances de règles dont on pourrait démontrer l'existence avant cet âge de
2–3 mois ? Il est impossible de répondre à cette question en étant sûr d'être exhaustif,
mais il est intéressant de prendre l'exemple de quelques connaissances, avec comme
critère de sélection le fait qu'elles ont fait l'objet d'un grand nombre d'études et qu'elles
sont considérées par les nativistes comme faisant l'objet de savoirs innés.
Dans mon ouvrage de 2014, j'ai pris comme exemples la perception de la troisième
dimension dans des images, la numérosité, la causalité et la catégorisation. Il n'est pas
possible ici de revenir sur chacun de ces exemples, et je ne traiterai, rapidement, que de
la catégorisation, qui va nous conduire vers les apprentissages.
Il existe chez les nouveau-nés humains une capacité très importante, celle d'extraire
un invariant. Slater, Mattock, Brown et Bremner (1991) ont habitué de nouveau-nés à un
angle constant, présenté à chaque essai dans une orientation différente. En test, ils
regardent plus longtemps un nouvel angle que celui qui a fait l'objet de l'habituation
dans une orientation nouvelle. Ceci ne veut pas dire qu'ils possèdent le concept d'angle,
mais qu'ils ont extrait un invariant à travers les changements présentés. Il ne peut s'agir
là d'un savoir inné, mais d'un apprentissage postnatal très rapide. Dans les mois qui
suivent, les bébés vont apprendre à extraire des invariants de plus en plus complexes.
Les nativistes ne mettent pas en avant les capacités de catégorisation pourtant ultra-
précoces sous une forme certes élémentaire, mais efficace. C'est sans doute d'une part
parce qu'il ne s'agit pas de connaissances, mais de capacités à en acquérir, d'autre part
parce qu'il est possible de décrire un développement de ces capacités, sur des objets de
plus en plus complexes (Lécuyer, 1996, 2014). De plus, la manière dont sont mises en
évidence les capacités d'extraction d'un invariant par les bébés n'indique pas seulement
que celle-ci est possible, mais que les bébés la pratiquent spontanément, et cherchent
donc à comprendre l'organisation du monde.
De ce fait, il est logique de penser que des apprentissages très divers peuvent être mis
en évidence dans les premiers mois de la vie. C'est bien ce qui produit. Par exemple, les
bébés de trois mois peuvent apprendre pendant le temps d'une expérience une
catégorie artificielle comme la position (constante) de la découpe dans des figures
géométriques diverses (Lécuyer, 1991).
Mais ces possibilités d'apprentissage très rapide ne concernent pas que la
catégorisation. R. Baillargeon a mis au point des situations d'enseignement aux bébés
d'une « règle ». Si un objet tient sur un support où il est partiellement posé de telle
manière que plus de la moitié du volume est à côté du support, les bébés de 6,5 mois
sont étonnés, et regardent plus cette situation que celle où la plus grande part de l'objet
est sur le support. Mais les bébés de 5,5 mois regardent autant les deux situations et
n'ont donc pas encore acquis cette règle. Dans une pré-expérience, réalisée avec d'autres
objets, on pose en alternance l'objet au milieu du support, et il y reste, ou bien au bord
du support, et il tombe. Après cette phase d'enseignement, les bébés de 5,5 mois soumis
à la situation précédente se comportent comme ceux de 6,5. Ils appliquent la règle qu'ils
viennent d'apprendre. Baillargeon et ses collaborateurs ont étudié en détail le
développement de la compréhension de la relation de support : Baillargeon, 2004a,
2004b ; Baillargeon, Needham et Devos (1992) ; Baillargeon et Hanko-Summers (1990) ;
Hespos et Baillargeon (2008) ; Needham et Baillargeon (1993). Avec l'unité des objets
partiellement cachés, il s'agit d'un des meilleurs exemples décrits jusqu'ici de
l'apprentissage progressif d'une régularité de fonctionnement de l'environnement.
La même auteure a également montré que l'environnement quotidien pouvait faciliter
l'apprentissage de certaines règles, et pas d'autres qui sont pourtant logiquement très
proches. Ainsi, dès 4,5 mois, les bébés sont étonnés si un objet haut disparaît derrière un
cache bas, mais il faut attendre 7,5 mois pour qu'ils le soient quand le grand objet
disparaît dans un petit récipient et 11,5 pour qu'ils regardent plus longtemps quand le
grand objet disparaît sous le petit récipient retourné (Baillargeon et Wang, 2002). La
seule explication possible de ces différences d'âge gigantesques pour des situations très
proches est que l'environnement quotidien fournit bien plus de situations où un objet
disparaît partiellement ou totalement derrière un autre que dans un autre ou sous un
autre. Un bel exemple aussi pour montrer que la maturation est loin de tout expliquer. Il
est donc possible de montrer à la fois qu'un apprentissage peut se faire en quelques
minutes, que les bébés sont orientés vers la connaissance et que l'environnement
quotidien fournit des occasions multiples d'apprendre. Les réponses aux questions
posées en début de cette partie sont claires : des apprentissages très rapides sont
possibles dès la période néonatale et donc la présence d'une connaissance à deux mois
peut aisément s'expliquer par l'apprentissage. Il devrait être de plus en plus difficile
d'être nativiste.

Conclusion
Il est donc nécessaire de se demander pourquoi le nativisme reste une théorie très
répandue, voire dominante chez les chercheurs du domaine, même si elle est de plus en
plus contestée. La complexité des questions soulevées implique que plusieurs facteurs
doivent être envisagés.
Le premier est que les évolutions théoriques prennent plus de temps que l'apparition
de données nouvelles, ce qui n'est que prudence. En l'occurrence, le choc créé par les
recherches des années 1960 fut tel que pendant plusieurs décennies, la psychologie
cognitive du nourrisson est sortie du cadre de la psychologie du développement pour
constituer un îlot à part, ce qui à la fois résulte du point de vue théorique du nativisme
et en a favorisé la persistance. C'est tout le sens de l'opposition/comparaison faite par
Mehler entre état initial et état stable, avec la volonté d'en démontrer la grande proximité.
Le nativisme rejoint l'innéisme maturationnel en ceci qu'il constitue la recherche d'un
« quelque chose » qui serait stable. Ce quelque chose est différent : c'est du côté de
l'innéisme classique le gène plus la maturation. C'est du côté de l'innéisme nativiste un
bagage cognitif de départ, mais le point commun est la recherche d'un point fixe. Il est
assez fascinant de constater l'influence de cette recherche du fixe sur la manière de
poser les problèmes en psychologie, y compris du développement. C'est le sens de
l'innéisme massif dans la psychologie de l'intelligence et de l'invention du QI. Mais c'est
aussi le sens des débats entre un point de vue situé du côté du « social », donc de la
variabilité, et un point de vue opposé situé du côté du « biologique », « donc » de la
stabilité. Si les développements plus récents de la biologie ont montré que même
l'expression des gènes n'est pas constante, et si la plasticité cérébrale est chaque jour un
peu plus une évidence, il n'était pas nécessaire de le savoir pour constater que, par
opposition à la physique, la biologie est une science dont l'objet d'étude est en perpétuel
changement, et qu'elle doit être abordée comme telle.
Si tel n'était pas le cas, Claude Bernard n'aurait pas eu besoin d'écrire son Introduction
à la médecine expérimentale (1865). Si l'on pouvait opposer de ce point de vue biologie et
psychologie, Fraisse ne se serait pas autant référé à Claude Bernard pour écrire sa
Défense de la méthode expérimentale en psychologie (1956).
Si nous revenons à la littérature sur le développement cognitif du nourrisson, deux
évolutions sont à noter dans la période relativement récente, qui devraient contribuer à
diminuer l'influence du nativisme. Pendant très longtemps, chacune de nos
connaissances sur les capacités cognitives du nourrisson ne portait que sur un seul âge
ou sur un échantillon d'âges faible. Mais l'accroissement et la diversification des
recherches ont conduit à une description de l'évolution avec l'âge des capacités
cognitives. Ce changement apparaît déjà très clairement quand on fait un bilan même
rapide des connaissances actuelles (Lécuyer 2014). Un autre facteur de déclin du
nativisme est que la vitesse à laquelle les bébés peuvent apprendre est mieux évaluée.
Un changement relativement récent dans la littérature est le poids croissant d'une
psychologie sociale du nourrisson. Dans une perspective néo-constructiviste, prenant
aussi en compte le socio-constructivisme de Doise et Mugny (1981), pour acquérir des
connaissances sur le monde physique, il faut repérer des variations et des régularités
dans son fonctionnement. Or il se trouve que les objets sociaux sont aussi des objets
physiques et en manipulent, et que s'ils possèdent certaines spécificités très
informatives en tant qu'êtres vivants et en tant que congénères, ils sont aussi soumis aux
lois de la physique et constituent même la principale source d'information disponible
dans l'entourage de l'enfant (Lécuyer, 1989, 2014). Mais surtout, très jeune le bébé est
capable de communiquer avec son monde social, d'interagir et de percevoir si son
partenaire interagit avec lui (Murray et Trevarthen, 1985 ; Nadel, Soussignan, Canet,
Libert, et Gérardin, 2005). Nous n'avons pas fini de prendre en compte le fait que le
bébé est efficace sur son milieu social bien avant de l'être sur son milieu physique, et en
apprend les régularités.
Ce qui précède semble indiquer que le chercheur doit savoir sortir de son laboratoire,
dont le grand mérite est de standardiser les situations le plus possible, ce qui en permet
la comparaison, mais dont la faiblesse est de ne pouvoir faire que des photographies, ou
des mini-films de l'activité cognitive, qui dans le milieu usuel est un très long métrage.
Certes, l'observation à domicile est d'une très grande difficulté, mais pour le moins, elle
peut être invoquée. Il n'est pas très difficile de penser qu'à la maison, la mère du bébé,
ou quelqu'un d'autre, disparaît très souvent derrière un objet, totalement ou
partiellement en fonction des hauteurs respectives de l'acteur et de l'objet, mais que cet
acteur, ou un objet qu'il manipule, disparaît moins souvent dans un récipient et encore
moins sous une cloche. A contrario, la seule prise en compte des données du laboratoire,
donc de moments isolés, conduit plus facilement à une psychologie de l'instantané que
du développement. Les bébés, eux, ne semblent pas être nativistes.
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1
'The nativist-empiricist dialog is not about the interaction of genes and their environment, but about whether knowledge of
things in the external world develops on the basis of encounters with those things.'
CHAPITRE 8

Auto-organisation et développement :
modèles connexionnistes, dynamiques
et structuro-sémantiques
Henri Lehalle

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les ingrédients de tout modèle de développement et les références possibles
L'approche connexionniste et le neuroconstructivisme
L'approche dynamique et les variabilités individuelles
L'approche structuro-sémantique et le retour des contenus
Conclusion

Introduction
Les théories du développement doivent décrire des processus généraux tout en
intégrant les variabilités développementales… Quel défi ! Dans ce chapitre, ce défi sera
relevé en présentant trois approches complémentaires : les simulations connexionnistes
qui ont pour ambition de reproduire artificiellement les changements
développementaux, les modélisations dynamiques qui sont une approche de la
complexité du développement, les modélisations structuro-sémantiques qui visent à
montrer comment les contenus de pensée sont susceptibles de s'organiser. Toutefois,
avant d'exposer ces approches, il nous faudra expliciter l'épistémologie commune aux
modélisations du développement.

Les ingrédients de tout modèle de développement et les


références possibles
Un modèle de développement est une représentation – discursive, figurale,
mathématisée ou structurée – des processus, des mécanismes ou des déterminants du
développement (Lehalle, 2014). Cette définition souligne tout d'abord que, pour
représenter quelque chose (ici, le développement psychologique), divers moyens, ou
« formats de représentation », peuvent être employés : le langage, les schémas et
figures, les constructions mathématiques et logiques.
Par ailleurs, la représentation peut viser plusieurs références possibles : les processus,
les mécanismes et les déterminants du développement (Lehalle, 2014 ; Lehalle et Mellier,
2013). S'intéresser aux processus, c'est décrire le déroulement du développement aux
différentes échelles de temps (fonctionnement, microgenèse, macrogenèse). Le terme de
mécanismes désigne, ici, ce qui produit matériellement, et dès le tout début de la vie, le
déroulement non quelconque des changements développementaux. Chez Piaget,
pourtant bien connu par ses analyses en stades, les principes de l'équilibration
remplissent ce rôle, car ils produisent les ajustements et les changements
développementaux à tous les âges. Plus généralement, il faut souligner que les
mécanismes du développement sont obligatoirement neuropsychologiques. Les
déterminants correspondent aux occasions d'exercice, aux sollicitations sociales, aux
expériences positives ou négatives qui suscitent et différencient le développement. Par
définition, ils déclenchent la mise en œuvre des mécanismes et, par là même, ils
contribuent à spécifier la forme du déroulement (processus). Autrement dit, les
mécanismes peuvent être identiques, mais produire des trajectoires développementales
différentes si les déterminants qui les déclenchent sont différents.
La figure 8.1 résume les trois instances de la modélisation du développement. Tout
modèle a sa cohérence propre indépendamment de sa validité, c'est-à-dire de son degré
de pertinence psychologique. Il faut en effet soigneusement distinguer le modèle de la
réalité psychologique qu'il cherche à décrire (sa référence) dont il n'est qu'une approche.
La troisième instance est donc essentielle. L'analyse théorique doit en effet évaluer dans
quelle mesure le modèle est une représentation adéquate de sa référence. L'adéquation
entre les prédictions et les données renforce la validité du modèle, mais ce n'est
pas suffisant, car il faut aussi que les ingrédients du modèle soient scientifiquement
plausibles (Shultz, 2003, p. 22). C'est pourquoi il peut être utile de distinguer la
modélisation de la simple simulation. Les modèles pertinents ont toujours un aspect de
« modélisation » qu'il est utile d'expliciter (c'est-à-dire : quels éléments du modèle sont
supposés représenter quelle réalité psychologique ?) et un aspect de « simulation »
(c'est-à-dire : dans quelle mesure le modèle reproduit-il les données psychologiques et
les comportements observés ?).
FIGURE 8.1 Les trois instances de la modélisation
développementale.

L'approche connexionniste et le neuroconstructivisme


L'approche connexionniste consiste à s'appuyer sur un modèle du fonctionnement
neuronal pour agencer une architecture cognitive dont la dynamique (représentée par
une suite de calculs) parvienne à simuler le fonctionnement et le développement
psychologique. Dans cette courte présentation, les aspects strictement techniques seront
limités. En revanche, on insistera sur la discussion des progrès réalisés et de leurs
conséquences. C'est pourquoi une place sera réservée au point de vue
neuroconstructiviste sur le développement.
Comme indiqué dans Pélissier et Tête (1995), l'origine historique du connexionnisme
remonte à un article de McCulloch et Pitts (1943) où l'activité de chaque neurone est
modélisée comme un phénomène en tout ou rien, si bien que les règles de transmission
entre cellules apparaissent formellement équivalentes au calcul propositionnel de la
logique classique. À Genève, Piaget et ses collaborateurs étaient informés de ces
avancées théoriques. On en trouve la trace dans Biologie et Connaissance (Piaget, 1967,
p. 256) et dans le tome XXII des Études d'épistémologie génétique (Cellérier, Papert et
Voyat, 1968 : « Cybernétique et épistémologie »). Cellérier y défend l'idée que l'adaptation,
aussi bien pour une machine que pour un être vivant, ne peut se faire sans un processus
de régulation qui comporte un retour d'information à la suite des « actions » effectuées.
C'est bien ce qui se passe avec les réseaux connexionnistes.
Par la suite, le connexionnisme en psychologie s'est extrêmement diversifié. En ce qui
concerne directement la psychologie du développement, les deux ouvrages
complémentaires de Elman et al. (1996) et de Plunkett et Elman (1997) ont, pour le
premier, fait grandement évoluer notre conception de l'innéité à une époque où le
nativisme était encore relativement dominant, et pour le second, fourni un matériel
didactique très utile pour s'initier aux simulations connexionnistes avec le logiciel tlearn.
Par ailleurs, les travaux de Shultz et de ses collaborateurs ont proposé des simulations
connexionnistes en rapport avec les tâches et les concepts piagétiens (voir Shultz, 2003).
Enfin, Quinlan (2003) et Spencer, Thomas et McClelland (2009) ont rassemblé des
contributions qui illustrent l'étendue des domaines explorés par le connexionnisme (la
petite enfance, la motricité, le langage, l'apprentissage, etc.) et qui tendent inversement
à dégager les points communs et les correspondances entre les diverses approches.

Quelques principes de construction et d'apprentissage


Les réseaux connexionnistes visent à simuler le fonctionnement cérébral par une suite
de calculs effectués entre les éléments du système. Ces calculs reposent sur des choix de
modélisation qui sont à envisager sur deux plans principaux : celui de l'architecture et
du fonctionnement, celui de l'apprentissage.
Un réseau connexionniste se caractérise d'abord par son architecture, c'est-à-dire par
le nombre d'unités qu'il comporte et par leur agencement. Chaque unité fonctionne
comme on pense que les neurones fonctionnent et, entre les unités, il existe des liens
d'activation/inhibition, ou « connexions », qui correspondent à la circulation de l'influx
nerveux.
Comme suggéré sur la figure 8.2, reprise de Plunkett et Elman (1997, p. 2), de
nombreux agencements entre unités sont possibles ; par exemple, dans le cas (b),
l'activation/inhibition ne circule que dans un seul sens (feedforward) sans retour en
arrière.
FIGURE 8.2 Trois exemples d'architecture.
(a) Réseau entièrement récurrent ; (b) réseau à sens unique (feedforward) ; (c) réseau
composé de plusieurs modules. D'après Plunkett et Elman, 1997, p.2.

Le modèle de neurone que l'on retient pour constituer les réseaux est assez simple
(figure 8.3). On laisse de côté la complexité biochimique interne aux cellules et entre les
cellules (synapses) pour ne retenir que le principe quasi mécanique de leur
fonctionnement. Ainsi, il y a trois étapes :

FIGURE 8.3 Schéma de l'activation d'une unité. D'après Plunkett et Elman,


1997, p. 3.

• comme dans le cas d'un neurone réel, une unité formelle reçoit des impulsions
(activatrices ou inhibitrices) qui proviennent d'un certain nombre d'unités en amont ;
• en fonction de ces impulsions, un calcul interne est effectué ;
• selon le résultat de ce calcul, l'unité envoie ou non une impulsion aux unités
suivantes. L'impulsion reçue et éventuellement envoyée dépend de la force de la
connexion entre les neurones (en entrée et en sortie). Le déclenchement de l'activité
d'un neurone (en sortie) est en tout ou rien pour les valeurs très fortes vs très faibles
de l'activation reçue ; pour les valeurs moyennes, l'activité en sortie est
habituellement calculée selon une fonction sigmoïde de l'activation reçue.
Ainsi, chaque unité du réseau fonctionne « comme » un neurone. Mais le travail
effectué par une unité formelle correspond en réalité à celui effectué par tout un
ensemble de neurones réels. Une unité n'est pas un neurone bien que son
fonctionnement soit calqué sur celui d'un neurone.
Comment un réseau connexionniste peut-il simuler un apprentissage ? Il y a trois
catégories d'unités. Les unités d'entrée correspondent à la prise d'information (input du
réseau) : telle perception, telle combinaison d'items définissant les données d'un
problème, etc. L'autre catégorie d'unités, ce sont les unités de sortie (output) qui
correspondent aux réponses du réseau. Enfin, il y a très souvent des unités intermédiaires
entre les unités d'entrée et les unités de sortie. « Apprendre » pour un réseau consiste à
relier de façon adéquate telle configuration d'entrée (c'est-à-dire quelles unités d'entrée
sont actives) à telle configuration de sortie (quelles unités de sortie doivent être actives
selon la configuration d'entrée).
Comment cet apprentissage est-il possible ? Au départ, le poids de chaque connexion
est aléatoire, si bien que le réseau répond un peu n'importe quoi. On appelle
« balayage » (sweep en anglais) la présentation de l'un des patterns de configuration
d'entrée, ce qui induit un parcours d'activation/inhibition dans le réseau jusqu'aux
unités de sortie. Après chaque balayage, on calcule l'erreur du réseau, c'est-à-dire, en
général, l'écart entre la réponse du réseau (par exemple les activations que la ou les
unités de sortie ont reçues pour telle configuration de départ) et la réponse attendue. À
la suite de quoi, le poids des connexions (leur « force », comme formulé plus haut) est
légèrement modifié dans la direction de la réponse attendue et un nouveau balayage est
lancé. Ainsi, après un grand nombre de balayages (1000, par exemple), le poids des
connexions peut finir par avoir des valeurs telles que la relation entre entrées et sorties
est en conformité avec ce qu'il fallait apprendre…

Complexifier les modèles pour les rendre plus valides


Dans ce paragraphe, l'objectif est d'indiquer, sans les détailler, les principaux types de
réseaux qui sont dérivés des principes que l'on a présentés. Ensuite, nous verrons
quelles solutions connexionnistes sont apportées à deux questions essentielles pour la
psychologie du développement : l'augmentation développementale des ressources
cognitives et l'obligation pour la supervision du réseau (son guidage) de ne pas
anticiper sur les connaissances qui seront acquises.

Les principaux types de réseaux (d'après Shultz, 2003)


Parmi les principaux types de réseaux indiqués par Shultz (2003), on retiendra les
exemples suivants. Chaque type est plus particulièrement adapté à certains
apprentissages.
• Dans les réseaux feedforward, l'activation ne circule que dans un seul sens (de l'entrée
vers la sortie) et l'erreur est calculée dans le sens inverse (back-
propagation/rétropropagation de l'erreur depuis la sortie vers l'entrée).
• Simple Recurrent Networks (SRNs) : Comment représenter, dans les unités d'entrée,
des stimuli organisés en séquences de longueur variable et indéterminée, comme les
phrases d'une langue ? Pour cela, les réseaux SRNs ont une mémoire des balayages
précédents et permettent de simuler des tâches de prédiction : par exemple trouver
quel mot ou quelle catégorie grammaticale va suivre dans une séquence verbale.
• Feature-Mapping Networks : L'idée ici est de simuler des représentations qui
conservent les propriétés topologiques des objets représentés. Dans ce cas, des
éléments voisins sur l'objet de départ seront également voisins sur la représentation
interne. De telles correspondances sont fréquentes dans le fonctionnement cérébral
lorsqu'il s'agit de traiter les informations perceptives (vision, audition, somesthésie).
Ce type de réseau repose sur une relation de voisinage et il n'y a pas de « guidage
externe » (voir le paragraphe « Varier les modalités de la supervision »).
• Cascade-Correlation Networks (CC) : Ces réseaux reposent sur un algorithme qui leur
permet de grandir en fonction des besoins. L'idée de base est que le réseau va
apprendre en alternant deux phases d'entraînement. Dans la première phase,
qualifiée de « phase output », le réseau entraîne les connexions reliées aux unités de
sortie, selon des règles que l'on a déjà vues. L'autre phase, qualifiée de « phase
input », débute quand la réduction de l'erreur stagne (à la fin de la phase
précédente). Elle permet le recrutement d'une unité cachée (intermédiaire)
supplémentaire qui sera intégrée au réseau. Ces deux phases alternantes peuvent se
répéter plusieurs fois. En résumé, les réseaux en cascade-corrélation sont des
réseaux qui se développent. Le qualificatif de « cascade-corrélation » est facile à
comprendre : « cascade » parce que le recrutement des unités cachées se fait « en
cascade », par sauts successifs (phases input) entrecoupés d'apprentissages (phases
output) ; « corrélation » en raison du critère utilisé dans la phase de sélection d'une
nouvelle unité cachée (on choisit l'unité dont l'activation se trouve être la plus
fortement corrélée avec l'erreur du réseau). Dans le langage de la psychologie du
développement, les deux phases output et input correspondent à la distinction
habituelle entre « apprentissage » (au sens strict d'acquisitions reposant sur un
même niveau d'analyse) et « développement » (modification structurale induisant
un mode d'analyse plus performant pour résoudre des problèmes plus complexes).

Varier les modalités de la supervision


Lorsque les réseaux apprennent en comparant leurs réponses à ce qu'ils auraient dû
répondre, ils utilisent un « guidage externe » (teacher en anglais). Mais ce guidage n'est
pas véritablement « externe ». En effet, si le réseau a quelque part en mémoire la liste
des correspondances qu'il doit apprendre, on se retrouve dans le cas du paradoxe de
Fodor : pour apprendre, le réseau doit déjà savoir ce qu'il doit apprendre… On peut
admettre que ces modalités d'acquisition sont plausibles lorsque les apprentissages se
font par observation ou imitation. Ainsi, les apprentis musiciens peuvent avoir une
représentation idéale d'un morceau de musique tout en peinant lamentablement pour
tenter d'en approcher l'exécution. Mais, en développement, de nombreuses acquisitions
ne peuvent pas se faire de cette manière. Par exemple, on ne peut pas « montrer » la
notion de nombre en espérant que l'enfant y ajustera sa conceptualisation (Bideaud,
Lehalle et Vilette, 2004, cité par Lehalle et al. 2014).
C'est pourquoi, en accord avec Quartz (2003)1, trois types de supervision sont
possibles. Il y a tout d'abord les réseaux supervisés dont on a déjà parlé, avec un guidage
externe qui préexiste. Il y a aussi les réseaux non supervisés qui n'ont pas de guidage
explicite. Ils sont typiquement associationnistes puisqu'ils modifient leurs connexions
en fonction des régularités de l'input (voir des exemples dans Shultz, 2003). Rappelons
que la loi de Hebb, qui est à l'origine de ce type de réseau, stipule, dans sa formulation
actuelle, que deux neurones qui se trouvent activés en même temps verront leur
connexion se renforcer.
Il y a enfin les réseaux autosupervisés qui reposent sur une différenciation interne : une
région du réseau est utilisée pour guider le développement d'une autre région. Non
sans malice, Quartz (2003) estime que les neurobiologistes s'intéressaient déjà à ce type
de réseau alors que les cognitivistes exploraient encore les architectures supervisées.
L'algorithme en cascade-corrélation apprend sans guide externe ; on peut donc le
ranger parmi les réseaux autosupervisés. Et même, l'exemple des apprentis musiciens,
qui nous a servi plus haut, peut aussi très bien se comprendre comme un exemple
d'autosupervision ; en effet, apprendre à exécuter un morceau de musique, c'est
entraîner une partie de son cerveau en lui imposant comme guide une autre partie de
son cerveau, celle qui a pu éprouver perceptivement et mémoriser l'exécution idéale,
avec toute la dimension du plaisir sensoriel que cela implique.

Quelques simulations réussies pour mieux comprendre


les processus de développement
Les simulations connexionnistes permettent de mieux comprendre les processus et les
mécanismes du développement, ce qui est essentiel pour la pratique développementale
clinique et les remédiations.
De nombreux exemples sont actuellement disponibles. Ainsi, Lautrey (2007) présente
une recherche de Christiansen, Allen et Seidenberg (1998) sur l'acquisition par les bébés
de la segmentation des mots. Un réseau de type SRN (Simple Recurrent Network, voir
plus haut) est entraîné, dans une séquence présentée phonème par phonème et
construite à partir d'énoncés réels, à prédire le phonème suivant dans la séquence (avec
son accentuation) ou la fin de l'énoncé. Or, comme la distribution statistique des
phonèmes (et de leur accentuation) en fin d'énoncés n'est pas la même que dans le reste
de l'énoncé, le réseau va prédire des « fins » à d'autres moments que celui de la fin de
l'énoncé. Ce faisant, il va aussi apprendre à segmenter les mots (par exemple des « fins »
qui ne sont pas à la fin de l'énoncé), alors qu'il n'est pas du tout explicitement entraîné à
cela. La leçon à tirer de cette simulation est qu'il n'est pas nécessaire d'avoir une
connaissance préalable du langage pour en dégager, implicitement, les caractéristiques.
Il suffit de porter son attention sur le flux de parole, attention qui, chez les bébés, est
soutenue par le plaisir des échanges affectifs, et d'être sensible aux caractéristiques
perceptives et à la distribution statistique séquentielle des sons entendus.
Un autre exemple est celui des réseaux entraînés à prédire la catégorie grammaticale
du mot suivant dans une séquence de mots (Elman (1990, 1993, cités par Elman et al.,
1996). Un réseau SRN peut simuler cet apprentissage dans le cas de phrases simples,
pas si les phrases comportent des propositions enchâssées. Toutefois, il suffit de limiter
au départ les possibilités de mémorisation des états précédents par le réseau pour que
celui-ci puisse quand même apprendre la gestion des phrases simples, mais toujours
pas celle des phrases complexes qui sont trop longues. Ensuite, le simple fait
d'augmenter progressivement les capacités mnémoniques du réseau lui permet
d'apprendre aussi la gestion des phrases complexes, ce qu'il n'aurait pu faire
directement… Ces résultats suggèrent l'avantage qu'il peut y avoir à commencer un
apprentissage avec des ressources cognitives limitées, et c'est bien le cas des enfants
réels !
Autre exemple, la simulation de l'accès à la conservation du nombre, telle que l'a
décrite Schultz en 1998 (Shultz, 2003 ; Sirois et Shultz, 2003), permet de souligner
l'intérêt de l'algorithme en cascade-corrélation (CC). Ici, le réseau est confronté à des
variations typiques de cette épreuve de conservation. Les unités d'entrée codent par
exemple la longueur et la densité de chaque rangée avant et après la transformation. Les
unités de sortie permettent d'indiquer s'il y a plus d'items dans une rangée ou s'il y a le
même nombre d'items dans les deux. En moyenne, pour résoudre le problème de
conservation, 1305 périodes (epochs en anglais) ont été nécessaires2 et il a fallu le
recrutement en moyenne de 8,3 unités cachées. Les auteurs soulignent que les
20 réseaux, construits sur le même modèle CC, ont tous présenté des accélérations
soudaines de la performance (comme pour l'accès à un stade) et que ces accélérations se
sont produites après le recrutement d'une unité cachée. De plus, l'apprentissage a été
généralisé à de nouveaux exemples de problèmes ce qui indique qu'il ne s'agissait pas
d'une simple mémorisation de réponses.
Ainsi, avec un bel optimisme, Shultz (2003) estime que l'algorithme en cascade-
corrélation est une représentation calculable adéquate des principaux concepts
piagétiens. En particulier, le recrutement des unités cachées représente l'abstraction
réfléchissante qui, chez Piaget, a deux aspects : un aspect de réflexion-miroir qui
correspond à la projection des traitements du niveau précédent sur le nouveau palier de
traitement (c'est la phase input de l'algorithme CC), et un aspect de réflexion
conceptuelle qui est la mise en œuvre et la réorganisation des traitements au niveau
désormais atteint (c'est la phase output de l'algorithme CC).

Connexionnisme et neuroconstructivisme
Après l'ouvrage collectif de Elman et al. (1996) et sous l'impulsion, en particulier,
d'Annette Karmiloff-Smith et de Steven R. Quartz, les relations entre la croissance
cérébrale et le développement psychologique ont été théorisées comme un
neuroconstructivisme3. Cette nouvelle perspective constitue une synthèse à partir des
avancées obtenues dans trois domaines : les connaissances neurobiologiques du
cerveau, les modélisations artificielles (le connexionnisme en particulier), les théories du
développement (principalement le point de vue piagétien). La présentation qui va
suivre s'appuie essentiellement sur les contributions de Quartz (1999, 2003) et, en
français, de Thomas et Baughman (2014).
Comme le formulait Quartz dès 1999, le point de vue constructiviste est devenu
nécessaire pour théoriser la croissance cérébrale. Les principaux arguments, que l'on
retrouve chez de nombreux auteurs, ont trois orientations complémentaires :
• on ne peut pas décrire le fonctionnement cérébral des enfants en lui appliquant le
modèle du fonctionnement adulte, qu'il aura à long terme, mais qu'il n'a pas encore ;
• de nombreuses preuves empiriques soulignent l'importance de la plasticité
cérébrale ;
• la croissance cérébrale se poursuit tout au long de l'enfance et jusqu'à l'adolescence,
et cette croissance est dépendante de l'expérience.
Thomas et Baughman (2014) montrent que le point de vue neuroconstructiviste
bouscule les idées reçues et fait avancer notre conception du développement sur de
nombreux aspects. Ces avancées concernent tout d'abord les développements
atypiques. Il ne s'agit plus de rechercher une cause isolable en invoquant la défaillance
d'un module génétiquement prédéterminé. Avec le neuroconstructivisme, le point de
vue est tout autre : on s'intéresse aux diverses contraintes, aux causes profondes qui
interagissent pour orienter le processus développemental dans une direction atypique.
C'est pourquoi les chercheurs neuroconstructivistes privilégient l'analyse des
trajectoires développementales (Thomas, Annaz, Ansari, Scerif, Jarrold et Karmiloff-
Smith, 2009). S'intéresser à la forme du développement (au niveau individuel ou pour
des groupes d'enfants typiques ou atypiques) apporte en effet des informations que les
simples comparaisons de moyennes ne peuvent fournir. Cette focalisation sur les
trajectoires, et en particulier sur les trajectoires individuelles, remet en cause la
distinction traditionnelle entre une psychologie générale du développement et une
psychologie différentielle. En effet, les différences individuelles apparaissent comme
des variations dans les trajectoires développementales.
Enfin, le neuroconstructivisme valorise le recours aux simulations computationnelles.
Qu'il s'agisse des réseaux connexionnistes ou des équations dynamiques, les
simulations sont utilisées pour tester des relations potentielles entre variables (Thomas
et Baughman, 2014). Cette utilisation de la simulation a même permis de suggérer une
hypothèse nouvelle concernant l'autisme qui pourrait résulter de perturbations dans la
connectivité du réseau au moment de l'élimination sélective des synapses.

Conclusion
Cette présentation des simulations connexionnistes avait pour objectif d'en préciser les
principes et de souligner leur intérêt pour mieux comprendre les processus de
développement. Mais il est important de rappeler, en conclusion, que le
connexionnisme ne constitue pas en lui-même une théorie développementale, à la
différence du neuroconstructivisme qui pourtant s'est appuyé sur les résultats des
simulations connexionnistes. Le connexionnisme est essentiellement une manière de
tester la plausibilité des théories développementales. C'est en cela qu'il a contribué au
dépassement des postulats nativistes.
Ainsi, les simulations connexionnistes ont permis des avancées considérables dans la
compréhension du développement psychologique et de ses difficultés. Elles valident le
point de vue des théories constructivistes tout en soulignant que des conditions
préalables sont nécessaires (type d'architecture, algorithme d'apprentissage, sensibilité à
l'environnement, etc.) pour que s'enclenche le processus constructif. Toutefois, les
descriptions mathématiques de ce processus et de ses subtilités ont également été prises
en charge par les modélisations dynamiques dont il va être question.

L'approche dynamique et les variabilités individuelles


Pourquoi les psychologues développementalistes s'intéressent-ils aux modélisations
dynamiques ? Au début de son livre sur l'approche dynamique, Saskia Kunnen
(Kunnen et van Geert, 2012) rapporte à quel point elle avait été déçue par les premiers
résultats d'une recherche portant sur les relations entre motivation et performance
scolaire… Les corrélations s'étaient révélées significatives, mais vraiment faibles. Saskia
Kunnen est donc allée sur le terrain pour observer les attitudes et les comportements
des élèves. La variabilité et la complexité des relations en jeu sont alors devenues
évidentes. Ce sont ces dynamiques qui intéressent les psychologues : pas de relations
simples entre deux variables isolées, mais des relations complexes entre des variables en
elles-mêmes fluctuantes et dont les effets sont interactifs.
D'un point de vue formel, une approche est « dynamique » si une dimension
psychologique est explicitement reliée au temps et par conséquent si on cherche à
décrire les transformations successives au cours du temps (van Geert, 1998). C'est ce
qu'exprime la formule (1) ci-dessous, où (xt) désigne l'état du système à l'instant t, (xt + 1)
l'état du système à l'instant suivant, sachant que la période de temps qui sépare les deux
« instants » peut être très courte ou assez longue. La fonction « f » qui décrit
mathématiquement la succession des états du système peut être, en droit, linéaire ou
non linéaire. Toutefois, beaucoup d'auteurs se sont intéressés aux formes non linéaires.

(1)

Thelen et Smith (2006) ne manquent pas de rappeler que les modélisations


dynamiques ont une longue histoire, avec les contributions de Kurt Lewin, Conrad Hall
Waddington, Ludwig von Bertalanffy, Ilya Prigogine, Jean Piaget, et bien d'autres.
Notre ambition se limitera ici à définir les concepts essentiels, puis à souligner les
questions que pose l'analyse des trajectoires développementales : trajectoires
individuelles ou trajectoires de groupe. Ajoutons que l'approche dynamique n'est pas
aussi homogène qu'on aurait pu le penser. Deux grandes conceptions se sont
différenciées (van Geert et Steenbeek, 2005 ; Kunnen et van Geert, 2012), l'une est
centrée sur ce qui détermine les comportements dans le temps présent, l'autre accorde
un statut explicatif aux constructions psychologiques qui dépassent la sensori-motricité
et les boucles perceptivo-motrices tout en étant tout aussi « incarnée » que la première.

Les concepts essentiels


Les modélisations en systèmes dynamiques sont nécessaires parce que le développement
est un phénomène complexe. L'usage du terme de complexité n'est pas métaphorique. Il
signifie très précisément que les comportements et les acquisitions des enfants (le
niveau « macroscopique », selon van Geert et Steenbeek, 2005) sont en réalité
déterminés par l'interaction de multiples causes sous-jacentes (le niveau
« microscopique »).
Par conséquent, la formule (1) peut se compliquer très vite, même en restant à un
niveau de description relativement macroscopique. Van Geert et Steenbeek (2005, et
aussi Steenbeek et van Geert, 2005) prennent l'exemple de la dynamique d'un jeu entre
deux enfants (enfant x et enfant y) : l'état émotionnel de l'enfant x au temps t + 1 dépend
de son propre état émotionnel à l'instant t précédent, mais aussi de l'état émotionnel
précédent de son camarade de jeu (enfant y) ; et il en est de même pour l'enfant y, ce qui
donne les deux équations (2) et (3), où le modèle gagne en complexité et en interaction :
(2)

(3)

De plus, le fonctionnement du niveau microscopique relève d'un processus


d'autorégulation : les éléments du système réagissent les uns par rapport aux autres, en
intégrant éventuellement dans cette régulation les réponses de l'environnement
physique et social. Cela signifie que l'on n'a pas besoin de postuler l'existence d'une
instance de contrôle qui aurait spécifiquement pour rôle de gérer l'autorégulation et
donc l'auto-organisation éventuelle. Mais cela ne signifie pas que le processus repose
sur des déterminants uniquement internes : les ressources externes et les interventions
éducatives font partie du système dynamique décomposable en éléments
macroscopiques et microscopiques.
Lorsque le système a tendance à se stabiliser sur un mode de fonctionnement, on
parle d'attracteur. La figure 8.4 (Granic, Hollenstein, Dishion et Patterson, 2003) en
donne un exemple. Il s'agissait dans cet exemple d'observer les interactions familiales
entre un adolescent et ses parents dans une situation où les protagonistes devaient
résoudre un conflit lié à la vie quotidienne. Les observations ont été menées à cinq
périodes (repérées par l'âge de l'adolescent) selon un suivi longitudinal. Au cours d'une
session, chaque interaction est codée sur deux dimensions : le degré
d'hostilité/cordialité du point de vue de l'adolescent et aussi de celui des parents. Dans
cet espace à deux dimensions, le tracé reproduit la succession des codages pour les
interactions successives. La figure 8.4 indique les tracés pour une famille. On observe
que, pour cette famille, la variabilité est maximale vers 13–14 ans, tandis que des
positions (« attracteurs ») sont privilégiées avant et, progressivement, après cet âge.

FIGURE 8.4 Tracé des interactions familiales entre un adolescent (horizontalement) et


ses parents (verticalement).
On observe que la variabilité est maximale vers 13–14 ans, tandis que des positions
(« attracteurs ») sont privilégiées avant et, progressivement, après cet âge. D'après Granic,
Hollenstein, Dishion et Patterson (2003).
Quand le système se stabilise, l'« attracteur » est toujours caractérisé par une position
dans un espace à n dimensions. On peut imaginer que le développement s'accompagne
d'une extension de l'espace possible et de l'augmentation du nombre de dimensions à
considérer. C'est pourquoi les traditionnels stades de développement peuvent être
repensés en termes d'attracteurs, c'est-à-dire de stabilisation temporaire. Rappelons que,
chez Piaget, les stades sont associés à des équilibres relatifs et provisoires : tout
équilibre est susceptible d'être déstabilisé, ce qui induit une nouvelle équilibration
majorante. Cela dit, du point de vue des théorisations dynamiques, le terme d'attracteur
est plutôt mal choisi. Compte tenu des processus déjà décrits (« autorégulation »,
« auto-organisation »), il est clair qu'il n'y a pas d'entité qui attirerait quoi que ce soit :
personne n'attire personne !… Il se trouve simplement que les composantes
microscopiques du système interagissent de façon semblable et reproduisent le même
parcours.
À l'opposé du concept d'attracteur, il y a celui de transition de phase. Dans ce cas, le
système s'ajuste différemment, ce qui peut aboutir, si une nouvelle cohérence s'installe,
à un nouvel attracteur. Les transitions de phase s'accompagnent toujours de variabilités.
Il peut s'agir de variabilités intra-individuelles, car l'ajustement dynamique ne sera pas
obligatoirement le même dans tous les contextes (puisque chaque contexte induit un
espace d'états particulier). Les décalages horizontaux décrits par Piaget en sont un bon
exemple. Il peut s'agir aussi de variabilités interindividuelles, car les changements
dimensionnels qui induisent la dynamique du système peuvent varier selon les
circonstances, les occasions d'exercice, les sollicitations sociales, etc.
Un concept connexe est, par conséquent, celui de bifurcation. On désigne par ce terme
le fait que, à un moment de son développement, le système va s'orienter dans une
direction alors que d'autres directions seraient possibles. De plus, lorsqu'une direction
est prise, il est souvent difficile d'en sortir. La métaphore du paysage montagneux (et
épigénétique), proposée par Waddington et reprise par de nombreux auteurs (par
exemple, Thelen et Smith, 2006), permet de bien comprendre le phénomène. Selon cette
métaphore, se développer c'est comme dévaler une pente à partir du sommet de la
montagne et en suivant le chemin le plus facile et le plus « attrayant ». Dans ce
parcours, des bifurcations se présentent : on peut s'engager dans telle vallée ou dans
telle autre. Mais une fois que l'on est engagé dans une voie, il est difficile d'en sortir,
d'autant plus si cette voie a été suivie sur une longue distance.
De ce qui précède, il résulte que la dynamique du système psychique en
développement peut être suivie à plusieurs échelles de temps. Par exemple, à la figure 8.4,
deux échelles de temps sont considérées, chacune avec sa dynamique propre : il y a la
succession des interactions au cours de chaque session de discussion ; il y a aussi la
dynamique à plus long terme entre les sessions, dynamique dont l'étude longitudinale
cherche à dégager l'évolution. Les attracteurs, les transitions de phase, les bifurcations
sont éventuellement impliqués à chacune des échelles de temps. Smith et Thelen (2003,
et aussi Thelen et Smith 2006) citent une analyse de Lewis (2000) qui distingue trois
échelles de temps pour le développement des émotions.
Enfin, les modélisations dynamiques privilégient dès que possible les formulations
mathématiques de la description des phénomènes. Utiliser les outils mathématiques
permet de ne pas en rester à des approximations métaphoriques ou allusives. Chaque
équation proposée constitue en elle-même un modèle de tel ou tel aspect du système en
développement.

Les trajectoires et les variabilités individuelles


Les modélisations dynamiques invitent à se focaliser sur l'analyse des trajectoires
individuelles de développement. Décrire une trajectoire individuelle, c'est,
empiriquement et pour un enfant donné, spécifier un domaine de fonctionnement
psychologique (par exemple le langage parlé) puis recueillir longitudinalement (en
décidant d'une périodicité) une évaluation comportementale relative à ce domaine (par
exemple la complexité grammaticale des phrases prononcées). En pratique, le recueil
des données prend la forme d'une fonction développementale (fonction au sens
mathématique) : en abscisse le temps (noté par les moments successifs du suivi
longitudinal ou par l'âge de l'enfant), en ordonnée l'échelle de mesure retenue (ruler en
anglais) ; chaque mesure est repérée par un point dans le plan défini par les
coordonnées. La figure 8.5 présente deux trajectoires individuelles pour un enfant (Ari)
observé de semaine en semaine entre 11 et 25 mois (Robinson et Mervis, 1998).

FIGURE 8.5 Trajectoires de développement pour un enfant.


Nombre de mots nouveaux ajoutés au vocabulaire par semaine et proportion des pluriels en
contexte d'obligation. D'après Robinson et Mervis, 1998.
De telles trajectoires individuelles peuvent être modélisées de deux manières très
différentes. La première consiste, classiquement, à rechercher l'équation mathématique
(linéaire ou non linéaire) qui s'ajuste le mieux à la suite des points. On a alors une
fonction développementale comme on les définit habituellement : telle caractéristique
psychologique est mathématiquement reliée au temps qui passe… et l'équation sera du
type :

(4)

La seconde manière correspond à l'une des démarches les plus caractéristiques des
modélisations dynamiques (voir par exemple van Geert, 1998). Cette fois, l'équation
recherchée sera du type (1) comme indiqué plus haut. Elle devra prédire la valeur
observée au moment (t + 1) à partir de celle observée au moment (t). Il est essentiel de
comprendre la différence entre les équations (4) et (1) : dans les deux cas il s'agit de
modèles mathématiques… mais la signification psychologique des deux types de
modélisation est très différente. Dans le premier cas (équation 4), on décrit les
changements au cours du temps selon le critère de mesure retenu. Dans le second cas
(équation 1), on cherche à expliquer ces changements, car on teste un modèle
véritablement dynamique : il vise à cerner les déterminants de la transformation du
système au cours du temps.
Les changements observés dans plusieurs domaines de fonctionnement peuvent
dépendre les uns des autres. De ce point de vue, il est pertinent de se représenter le
système psychique en développement comme constitué d'un vaste ensemble de
« croissances » (growers en anglais). Chaque croissance est susceptible d'être décrite
comme une trajectoire développementale dont les déterminants sont à rechercher du
côté des caractéristiques environnementales et aussi au travers des influences que
peuvent exercer les niveaux atteints par les autres croissances.
Comme on pouvait s'en douter, les trajectoires individuelles se révèlent
habituellement très différentes d'un enfant à l'autre. Pourtant, cette variabilité
interindividuelle ne remet pas en cause la possibilité de décrire des processus généraux
communs aux diverses trajectoires. Pour autant, la construction de trajectoires
« moyennes » à partir des trajectoires individuelles est-elle pertinente ? Van Geert (2014)
met en garde contre ce type de traitement statistique. En effet, les propriétés d'une
classe d'individus ne conservent pas toujours ce qui fait l'essentiel des caractéristiques
individuelles.
Toutefois, Thomas et al. (2009) montrent l'intérêt que peut avoir l'analyse des
trajectoires développementales de groupe pour mieux comprendre les troubles du
développement (syndrome de Doll, syndrome de Williams, autisme, etc.). Ces
trajectoires sont obtenues selon le même principe de suivi temporel que celui de la
figure 8.5, sauf que chaque point de la figure correspond ici à un seul enfant. Chaque
enfant est repéré par sa performance et par un indice temporel (son âge chronologique
ou son âge mental). On aboutit ainsi, lorsque l'échantillon d'enfants est suffisamment
varié et nombreux, à une trajectoire collective formée par l'agrégation des coordonnées
notées pour chaque enfant, qui a telle performance à tel âge. Avec cette technique, les
auteurs ont pu comparer de façon très pertinente les développements d'enfants
typiques et atypiques (voir les exemples cités par Lehalle et Mellier, 2013, p. 318).

Quelques exemples d'études


De nombreuses études peuvent désormais illustrer les principes essentiels des
modélisations dynamiques et aussi la diversité des approches. Les quatre exemples
suivants sont développés dans la version longue de ce chapitre (version qui est
disponible sur Internet) :
• l'exemple de la fameuse « erreur A-non B » observée par Piaget chez les bébés de 8 à
10 mois tentant de retrouver un objet disparu (Smith et Thelen, 2003) ;
• l'utilisation de la théorie des catastrophes pour modéliser une transition
développementale en intégrant dans le modèle la variabilité intra-individuelle (voir
également la présentation que Lautrey, 2007, a faite de cette recherche de Jansen et
van der Maas, 2001) ;
• l'exemple des premières combinaisons de mots (Bassano et van Geert, 2007), avec la
distinction de trois types de relations entre les organisations cognitives successives :
une relation de soutien (lien positif) à partir des formes simples (plus précoces) vers
les formes complexes (plus tardives), une relation de condition nécessaire (un niveau
est nécessaire dans une croissance pour qu'une autre puisse débuter), une relation
de compétition à partir d'une forme complexe vers une forme plus simple ;
• l'analyse détaillée d'une équation dynamique proposée par van Geert (1998).

Conclusion et brève discussion


L'intérêt principal des modélisations dynamiques est d'intégrer dans l'analyse les
variabilités individuelles qui ne sont plus considérées comme de simples variations
aléatoires (Lautrey, 2014). Dans les périodes de transition, la variabilité intra-
individuelle fait partie du processus d'acquisition, comme on le verra également au
paragraphe « Deux cheminements développementaux imbriqués ». De plus, la
variabilité interindividuelle peut être intégrée au modèle, car une même équation
développementale peut modéliser des trajectoires développementales très différentes
par un ajustement des paramètres de l'équation (van Geert, 1998).
En définitive, le point de vue dynamique modifie complètement notre conception du
développement. Au lieu de privilégier une forme de développement, toutes les formes
de trajectoire sont a priori possibles : pas de progrès obligé (bien qu'il puisse être
ordonné en séquences), pas d'achèvement nécessaire au niveau le plus élevé, car la
progression et l'achèvement dépendent des circonstances et des sollicitations
environnementales. Ainsi, étudier le développement c'est étudier toutes les formes
d'évolution à long terme, typiques et atypiques, car elles constituent toujours une
manière de s'adapter aux circonstances nouvelles à partir des constructions précédentes.
Enfin, van Geert et Steenbeek (2005, p. 412) soulignent que les conceptions de Piaget
sont en parfait accord avec les modélisations dynamiques dans leur formulation
générale de l'équation 1. C'est pourquoi il nous faut examiner de plus près le
constructivisme structural de Piaget et son évolution possible.

L'approche structuro-sémantique et le retour des


contenus
En accord avec le point de vue piagétien, le terme de structure est utilisé ici pour décrire
l'organisation des actions ou des représentations en contexte. Pas les actions ni les
représentations en elles-mêmes, mais la manière dont elles se trouvent reliées. L'idée de
base est que ces relations, ces liens, donnent du sens à l'activité de la personne. En effet
la modélisation structurale n'a pas pour conséquence de se dégager des contextes et du
sens, car, du point de vue de la personne, c'est l'organisation des actions et des
représentations qui donnent un sens à chacune d'entre elles. Cette approche est rendue
nécessaire par le fait que les modèles généraux et asémantiques (l'idée de « fonctions
exécutives ») ne suffisent pas à rendre compte de toutes les données
disponibles (Vilette, 2001, et Demetriou, Christou, Spanoudis et Platsidou, 2002, cités
par Lehalle et al., 2014 ; Demetriou, Spanoudis et Shayer, 2014). La présentation de cette
problématique se fera en deux volets. Tout d'abord, on rappellera ce qui fait l'essentiel
du structuralisme piagétien. Ensuite, on montrera comment ce point de vue peut
évoluer en distinguant deux cheminements développementaux qui alternent de façon
dynamique.

Le structuralisme de Piaget n'est pas ce que l'on croit


Les structures utilisées par Piaget pour décrire les états d'équilibre sont bien connues.
En revanche, il est utile de montrer que le structuralisme piagétien n'a pas le caractère
prescriptif et figé qu'on lui attribue habituellement. En résumé, on retiendra les aspects
suivants (Lourenço et Machado, 1996 ; Lehalle, 1998).
Les modèles structuraux, chez Piaget, sont des modèles de la mobilité. Lorsque la
pensée fonctionne selon ces modèles, elle peut coordonner plusieurs points de vue ou
plusieurs transformations, envisager plusieurs solutions, etc. Par exemple, dans toutes
les situations de proportionnalité, la compréhension des rapports d'inversion et de
réciprocité est une condition nécessaire à la compréhension des solutions arithmétiques.
Plus généralement, un modèle structural est stable et équilibré par définition, bien que
sa référence puisse être le caractère mobile de la pensée.
Dans les écrits de Piaget, le même terme de « structure » est utilisé soit pour préciser
les propriétés du modèle soit pour désigner les organisations psychologiques qu'elles
décrivent. Mais Piaget ne confondait pas ces deux significations, que nous avons
explicitées dans la figure 8.1 en distinguant « modèle » et « références ». Les citations
que l'on trouve dans Lehalle (1998) sont très claires à ce sujet. Ainsi, les modèles
structuraux, chez Piaget, n'existent pas en tant que tel dans la tête des enfants. On
observe simplement que les actions ou les représentations des enfants finissent à plus
ou moins long terme par être organisées selon ces modèles.
En d'autres termes, l'aspect structural des structures psychologiques reste implicite.
C'est-à-dire que, au niveau où les structures psychologiques se construisent, l'enfant
traite toujours des contenus, pas les aspects formels de ces contenus. Ce caractère
implicite des structures sera discuté dans la sous-partie suivante « Deux cheminements
développementaux imbriqués ».
Enfin, la dynamique du structuralisme piagétien s'exprime aussi par le fait que les
structures décrivent des équilibres provisoires. Les organisations actuelles sont toujours
ouvertes vers de nouvelles organisations pourvu que des contraintes internes ou
externes les suscitent. Van Geert et Steenbeek (2005, p. 413) ont bien vu cet aspect. De ce
fait, même chez Piaget, les structures qui décrivent les équilibres provisoires ne
suffisent pas à expliquer le développement cognitif qui nécessite la mobilisation des
mécanismes de l'équilibration. C'est comme cela que l'on peut comprendre le point de
vue de Gréco sur Piaget « (…) C'est la dialectique qui est optimiste chez Piaget, pas
l'algèbre. » (Gréco (1977/1991 p. 38). « L'algèbre », ce sont les structures modèles qui
décrivent les organisations psychologiques provisoires. « La dialectique », c'est le
dynamisme de l'équilibration. Et c'est cette dynamique qui rend optimiste, car elle
induit le changement et le développement.

Deux cheminements développementaux imbriqués


Lehalle, Delrieu, Joay-Arrouquet et Vilette (2014) proposent une synthèse fondée sur les
conceptions structurales déjà définies. L'objectif est de montrer comment les contenus
de connaissance peuvent s'organiser à long terme. L'essentiel de l'analyse consiste à
distinguer deux processus développementaux alternants, ce qui permet d'intégrer dans
le modèle à la fois la continuité et la discontinuité du développement tout en offrant
une solution au problème des décalages (c'est-à-dire lorsqu'un mode de traitement
cognitif n'est pas d'emblée généralisé à tous les contenus de connaissance). Des
correspondances entre cette analyse et certains aspects du connexionnisme et des
modélisations dynamiques sont à souligner. L'article développe des exemples que l'on
ne peut rapporter ici.
Le fonctionnement psychologique est tout d'abord analysé en deux niveaux, un peu à
la manière de Pascual-Leone (voir Lehalle et Mellier, 2013, p. 212). Sur le versant
« subjectif », on parle ici de « traitement explicite » pour désigner ce que la personne
prend en compte : ses objectifs, ses procédures, les stimulations qu'elle perçoit, etc. Sur
le versant « métasubjectif », on parlera de « connaissances implicites ». En effet, au cours
d'un traitement cognitif, des connaissances se trouvent activées en arrière-plan et à des
degrés divers, sans pour autant qu'elles soient délibérément intégrées au traitement
effectué. Ce point de vue est compatible avec l'idée d'un réseau connexionniste qui
serait réactivé en contexte.
Lehalle et al. (2014) distinguent par ailleurs trois modalités de fonctionnement qui se
différencient par ce que traite effectivement la personne, c'est-à-dire par l'objet explicite
de traitement.
En modalité sémantique, chaque contexte est traité en lui-même, par une activation des
connaissances liées à ce contexte. Dans l'exemple de la quantification de l'inclusion, la
résolution est alors « empirique » (Bideaud et Lautrey, 1983, cité par Lehalle et al.,
2014) : l'enfant traite les quantités présentes dans la situation.
La modalité analogique consiste à utiliser un contexte plus familier pour en traiter un
autre. Les situations de proportionnalité, toujours difficiles même chez les adultes, se
prêtent à ce type de résolution.
Enfin, la modalité symbolique est celle des « experts » dans le domaine considéré. Dans
ce cas, tout problème active une représentation « symbolique » dégagée du contexte et
chaque contexte devient un exemple d'un mode de résolution général. Dans l'exemple
de la quantification de l'inclusion, l'objet explicite de traitement est devenu la relation
d'inclusion elle-même et l'on comprend qu'il y a toujours nécessairement plus de fruits
que de pommes, parce que, précisément, peu importe le matériel (les pommes et les
fruits, les marguerites et les fleurs, etc.), les contextes présentés ne sont qu'un exemple
d'un cas général.
Comme il est difficile d'imaginer un traitement symbolique qui n'aurait pas été
précédé d'un traitement sémantique, et comme le traitement symbolique porte sur des
contextes analogues, il est cohérent de proposer l'existence d'un cheminement
développemental qui irait du sémantique au symbolique en passant par l'analogique. Il
s'agit là du premier cheminement développemental que l'on avait à définir, l'abstraction
structurale (AS).
Or, Lehalle et al. (2014) montrent que les connaissances structurales qui conduisent à
la réussite sont identiques pour les trois modalités fonctionnelles décrites. Il s'agit du
même modèle structural. Simplement, en progressant du sémantique au symbolique,
l'enfant ne tient plus compte des caractéristiques spécifiques de chaque contexte
puisqu'il finit par traiter ce qu'ils ont en commun. Ainsi, la logique implicite, déjà
présente au niveau sémantique, mais liée au contexte, peut devenir en partie explicite.
Les constructions structurales (CS) constituent le second cheminement
développemental. Dans ce cas, le changement concerne l'organisation des connaissances.
Ici, le progrès consiste d'abord à regrouper des connaissances jusque-là séparées ou
alternantes. Il s'agit également et simultanément de qualifier la relation entre les
connaissances nouvellement regroupées : réversibilité, inverse, réciproque, involution,
compensation, équivalence, etc. Par conséquent, un nouveau modèle structural est
requis pour préciser logiquement les termes du regroupement et de sa qualification. Or,
l'une des propositions essentielles de Lehalle et al. (2014) est que toute construction
structurale se fait dans la modalité fonctionnelle sémantique. Cela signifie que la
nouvelle structuration est d'abord implicite au sens des connaissances implicites déjà
définies. Elle sera donc obligatoirement dépendante des contextes puisqu'il s'agit
d'organiser des significations en contexte. On retrouvera par conséquent l'effet de
variables de situation. Ce mode de construction structurale est en accord avec les
conceptions de Thelen et Smith (Smith et Thelen, 2003 ; Thelen et Smith, 2006), c'est-à-
dire avec une analyse dynamique de cette phase de construction en situation. Il rejoint
également les analyses fonctionnelles de Thornton (1999).
En définitive, Lehalle et al. (2014) proposent d'analyser les aspects cognitifs du
développement comme une alternance entre les deux cheminements qui sont en fait
imbriqués puisque les progrès de l'un reposent sur les progrès de l'autre. Cette
proposition n'est pas sans rappeler la modélisation connexionniste en cascade-
corrélation (voir le paragraphe « Les principaux types de réseaux »). Le développement
apparaît ainsi comme étant à la fois continu et discontinu : des nouveautés sont
effectivement construites en AS comme en CS (discontinuité), mais les nouveautés dans
un cheminement s'appuient sur les constructions antérieures dans l'autre, donc en AS
pour CS et en CS pour AS, ce qui exprime la continuité du développement. En résumé, la
formulation de Lehalle et al. (2014, p. 353) n'est qu'en apparence paradoxale : « (…)
l'abstraction structurale est en fait une nouveauté fonctionnelle (puisque l'organisation
structurale préexiste sans être innée) tandis que la nouveauté fonctionnelle de la
construction d'organisations en contextes est en fait structurale ».

Conclusion
Ce chapitre a été l'occasion d'une présentation didactique de trois orientations
essentielles dans les tentatives de modélisation du développement. Localement, nous
avons montré les correspondances possibles entre les diverses approches qui sont en
fait complémentaires. C'est pourquoi les chercheurs des différents domaines
ambitionnent de parvenir à une théorie unifiée du développement (Spencer, Thomas et
McClelland, 2009). Il est nécessaire en particulier de théoriser les relations entre les
différents moments du développement : fonctionnement, microgenèse et macrogenèse.

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systems approach to the study of development. Developmental Review.
2005;25:408–442.

1
Grand merci à Jacques Lautrey pour m'avoir orienté vers cette référence à l'occasion de discussions passionnantes
sur le connexionnisme et les systèmes dynamiques.
2
N.B. Une période correspond à la présentation successive de chaque problème.
3
N.B. On trouve aussi la terminologie « constructivisme neuronal ».
CHAPITRE 9

L'approche incarnée du développement :


corps, communication et culture
Maya Gratier; Rana Esseily; Anne Bobin-Bègue

PLAN DU CHAPITRE
Introduction : l'émergence d'un nouveau paradigme
« Une culture majoritaire » ?
Du corps enculturé à la cognition
L'appartenance culturelle
Conclusion

Introduction : l'émergence d'un nouveau paradigme


La psychologie cognitive, en tant que discipline instituée, est née au milieu du XXe siècle
par un processus historique complexe dont deux grands axes sont le rejet du paradigme
du béhaviorisme et la découverte du potentiel d'une « intelligence artificielle »1. L'esprit
humain devient ainsi l'objet d'étude fondamental et, en même temps, il est défini et
décrit à l'instar des systèmes computationnels qu'il a contribué à inspirer. D'une
« théorie de l'information » à la croisée des mathématiques et des sciences de l'ingénieur
(Shannon et Weaver, 1949) à une robotique développementale incarnée du XXIe siècle,
qui puise son inspiration dans la science de la cybernétique2, une inversion s'est opérée
entre l'objectif de définir l'esprit à l'aune des ordinateurs et celui de fabriquer des robots
inspirés des systèmes biologiques, capables d'abord de sentir, de se mouvoir et de se
coordonner aux autres. Et de la robotique et des sciences du mouvement nous viennent
aujourd'hui en psychologie des postulats qui remettent en cause bon nombre de
théories qui, pendant quelques décennies, ont placé l'esprit humain dans un isolement
relationnel, culturel et sensoriel. Ces postulats resituent l'individu au sein de
communautés empruntes d'histoire et capables de s'organiser pour laisser émerger une
« pensée distribuée » fondée sur des systèmes symboliques partagés. Ils relient
l'individu pensant à son corps dans ses dimensions physiologiques, neuronales et
kinésiques. Les avancées remarquables des neurosciences ont largement contribué à
l'émergence d'un tournant biologique en psychologie cognitive. La neuroscience
cognitive s'associe aujourd'hui à une neuroscience affective et sociale, et certains
chercheurs étudient plus spécifiquement les processus neuronaux qui permettent à
deux personnes de mener une cognition coordonnée - ou intersubjective (Donnay et al.,
2014 ; Dumas et al., 2010).
La nouvelle psychologie « incarnée » qui émerge depuis à peine deux décennies (cf.
Varela, Thompson et Rosch, 1993) propose de relier la cognition à l'organisme vivant
qui la réalise à travers ses actions. Elle se méfie d'une description de la cognition fondée
uniquement sur la représentation mentale. Les actions du corps, dans ce contexte, ne
sont pas la traduction de plans internes issus d'une série de computations sur une
information sensorielle mentalement recodée. Les intentions et les significations ne sont
pas dissimulées dans un espace intérieur qui échappe à l'observation directe ; elles
s'actualisent plutôt dans et par le corps dans un espace public susceptible d'être partagé.
Cette nouvelle approche remet en question la définition même de la cognition. Est-
elle séparable du corps mouvant et de sa polysensorialité ? Peut-elle se distinguer des
expériences émotionnelles ou des ressentis ? La cognition peut-elle être pensée en
dehors des contextes qui l'engendrent et dans lesquelles elle s'exprime : contextes
interpersonnels et contextes culturels ? Selon les nouveaux paradigmes de la cognition
incarnée, distribuée et située, une psychologie cognitive expérimentale qui se cantonne
à étudier les réponses, ou le cerveau, d'un individu isolé dans un laboratoire dont sont
absents les supports matériels de la pensée et les actions coopératives d'autrui, ne peut
fournir qu'une vision faussée et étriquée de l'être humain. Une « cognition à l'état
sauvage », qui est ancrée dans les contextes d'une vie vécue, en milieu « naturel », est
distribuée entre les membres d'un groupe, et ne peut être dissociée des artefacts
matériels et des techniques façonnés par l'histoire au service d'une résolution de
problèmes créative et coopérative (Hutchins, 1995).
Jerome Bruner (1990, 2015) a été un acteur central de la « révolution cognitive » qui
marque le déclin de la période béhavioriste. Il y a une vingtaine d'années, dans son
ouvrage Car la culture donne forme à l'esprit…, Bruner soutient que la culture est
constitutive du développement de l'esprit humain et il définit la culture comme un
processus d'interprétation sans cesse renouvelé par un ensemble de participants. Les
participants négocient et ré-interprètent ensemble, et avec intersubjectivité, le sens de
leurs propres actions et des règles qui les spécifient. Ainsi, les formes de
communication, les interactions sociales et les pratiques incarnées sont pour lui au cœur
du processus culturel et de la cognition humaine.
D'une certaine façon, le corps humain est à la fois le substrat biologique qui
prédispose à une cognition spécifiquement humaine et le site où s'installent et sont
régulées les pratiques culturelles. Le langage est considéré comme la compétence
cognitive la plus remarquable et la plus abstraite. Pourtant le langage prend son sens
dans la parole et parler est une activité motrice avant tout. La variété impressionnante
des langues parlées autour du monde s'actualise dans les actes de paroles de ses
locuteurs et dans leurs façons de porter leur langue dans la voix, les gestes et les styles
conversationnels (Fónagy, 1983 ; Gumperz, 1982). Dans son excellent essai sur les
« techniques du corps », l'anthropologue Marcel Mauss (1936) souligne la diversité des
façons dont l'homme se sert de son corps et il met l'accent avant tout sur le savoir
implicite qui se manifeste dans la manière de bouger, de marcher, ou de s'asseoir. Le
corps est ainsi conçu comme outil dont les techniques d'utilisation sont transmises
oralement ou par imitation dans un processus d'apprentissage. À la naissance déjà, les
pratiques de maternage (modes de portage, d'endormissement, techniques de soin, de
nourrissage, etc.) et les modes spécifiques de communication contribuent à l'inscription
progressive de la culture dans le corps du bébé et au développement de techniques du
corps propres qui elles aussi orienteront les premières interactions sociales du jeune
humain.
Ce rapide tour d'horizon de quelques-uns des tournants majeurs de l'histoire récente
de la psychologie amène à considérer qu'une cognition incarnée ne peut se passer d'une
étude approfondie des relations entre cognition et culture. Notre discipline a trop
longtemps ignoré le laboratoire naturel qu'offre une psychologie culturelle qui ne
cherche pas à se mesurer à une norme biologique, mais qui intègre la diversité culturelle
comme une donnée indissociable du développement lui-même.

« Une culture majoritaire » ?


La psychologie du développement s'est organisée autour des postulats d'une
psychologie cognitive et plus spécifiquement à partir des travaux, pionniers à bien des
égards, de Jean Piaget. Ses grandes théories ont été façonnées à partir d'observations,
puis de plus en plus à partir d'expérimentations, menées presque exclusivement dans
les sociétés occidentales. Certains chercheurs décrivent aujourd'hui ces sociétés, avec
une pointe d'ironie, comme les sociétés « WEIRD »3, leurs caractéristiques étant d'être
Occidentales, éduquées, Industrialisés, Riches et Démocratiques. Les théories ont pris
racine donc dans ces sociétés qui forment un monde minoritaire. C'est ainsi que la
psychologie du développement s'est orientée, sous l'influence du paradigme d'une
cognition computationnelle, vers l'étude de l'enfant isolé de ses proches et détaché des
contextes de sa vie quotidienne.
Il est alors possible de percevoir les liens entre les théories scientifiques de l'enfant et
les ethnothéories de l'enfant, c'est-à-dire les représentations de l'enfant véhiculées par
chaque culture. Il faut souligner que la majorité des enfants vivent dans des cultures
dont les ethnothéories sont en décalage avec les théories et les paradigmes scientifiques
sur lesquels reposent tous les savoirs actuels sur le développement humain. Par
exemple, les enfants dans les cultures WEIRD sont socialisés dès le plus jeune âge à être
indépendants et autonomes, car, dans ces cultures, une forte valeur est attachée à
l'expression de l'invidividualité. Dans d'autres contextes, l'enfant est encouragé très tôt
à former et maintenir des relations sociales caractérisées par l'interdépendance qui est
une valeur prédominante (Greenfield, Keller, Fuligny et Maynard, 2003). Les apports
d'une psychologie du développement centrée sur le monde « minoritaire » que
représentent les cultures WEIRD méritent d'être re-évalués au regard du rapport
complexe entre science et culture. Dans la lignée de ce que propose Jerome Bruner
(1990), une psychologie « culturelle » du développement humain tiendrait compte de la
diversité culturelle qui s'observe à la fois dans le comportement humain et dans
l'environnement social et matériel dans lequel l'enfant se développe.
Une approche possible consiste à investiguer les processus psychologiques communs
à plusieurs cultures afin de distinguer ceux qui seraient universels et ceux qui seraient
spécifiques aux différentes sociétés. Une psychologie qui intègre les variations
culturelles permet de resituer les théories dans leur contexte et de penser le
développement en tenant compte de sa diversité et de l'impact de la niche
développementale (Super et Harkness, 1986) sur les processus d'enculturation. En effet,
Super et Harkness (1986) ont théorisé la manière complexe dont la culture influence le
développement à partir de l'imbrication de 3 sous-systèmes : l'agencement du contexte
physique et social, les traditions culturelles de soin et d'éducation et les ethnothéories
des donneurs de soins. Actuellement, de plus en plus de chercheurs s'intéressent aux
liens entre culture et développement, mais nous sommes encore loin d'avoir une vision
équilibrée de la manière dont les processus psychologiques se manifestent selon le
contexte culturel.
La plupart des théories en psychologie du développement demeurent
ethnocentriques. Par exemple, Gergely Csibra et György Gergely proposent une théorie
de la pédagogie naturelle qui postule que la culture est transmise grâce à des indices de
communication fournis par l'environnement du bébé, et ce dès la naissance. Ces indices
explicites, « ostentatoires » (contact visuel, appeler le bébé par son prénom, langage
adressé à l'enfant), permettent d'attirer l'attention du bébé et de l'orienter vers des
informations pertinentes à apprendre. Cette théorie est fondée sur des recherches
effectuées sur une population de bébés et d'enfants hongrois observés dans le
« babyLab » de l'université de Budapest. Ces chercheurs proposent donc une théorie
universalisante sur la manière dont les bébés perçoivent et apprennent les conventions
culturelles. Cependant, d'autres chercheurs remettent en question l'idée que tous les
bébés, quelle que soit leur culture, acquièrent des connaissances culturelles de la même
manière. Par exemple, selon Rogoff, Mistry, Göncü et Mosier (1993), l'observation est
une méthode d'apprentissage qui a une place plus importante dans certaines
communautés indigènes, notamment celles où les enfants sont activement engagés dans
les activités des adultes très tôt dans leur vie. Dans ce contexte, l'enfant doit prêter
attention aux différentes activités du groupe afin de les apprendre et de les connaître.
Cette forme d'observation périphérique, mais régulière et très attentive permettra à
l'enfant de devenir un participant dans l'activité, sans pour autant avoir été
explicitement guidé dans l'accomplissement des tâches qui la composent (Rogoff et al.,
2003). Dans les sociétés occidentales, l'entourage social est davantage engagé dans la
transmission consciente de savoirs en guidant et orientant activement l'apprentissage
des enfants (Lòpez, Correa-Chàvez, Rogoff et Gutiérrez, 2010). Il est de ce fait rare
d'observer des enfants en classe par exemple en train d'observer spontanément d'autres
enfants réaliser certaines tâches. À l'inverse, les enfants sont en général activement
engagés par les adultes dans des activités individuelles ou collectives. Ainsi, selon la
culture dans laquelle se développe un enfant, la transmission des savoirs est plus ou
moins explicite et il est de ce fait difficile de conclure à l'universalité de la théorie de la
pédagogie naturelle, en tout cas d'après la manière dont elle est opérationnalisée.
Le danger d'une psychologie comparative est de considérer la culture comme un
simple facteur et de prendre l'une des cultures étudiées comme une culture de
référence. Cette approche, appelée approche étique ou absolutiste par Berry et al. (2002),
consiste à considérer que les théories et les outils de la psychologie sont applicables à
toutes les cultures et que les différences reflètent des différences réelles dans les
compétences évaluées. Pourtant, les compétences évaluées n'ont pas nécessairement ni
la même équivalence fonctionnelle, c'est-à-dire que le phénomène étudié ne répond pas
au même besoin dans les sociétés comparées, ni la même équivalence conceptuelle,
c'est-à-dire la même signification. De plus, les outils d'évaluation psychologique n'ont
pas une équivalence métrique dans les sociétés comparées. Bien que les approches
ethnocentriques soient rejetées par la psychologie interculturelle, celle-ci peut
difficilement s'affranchir du problème de la comparaison qui a tendance à se référer à
une norme.
À l'opposé, une approche émique ou relativiste s'intéresse à la spécificité de chaque
culture indépendamment des autres. Par exemple, Blandine Bril (1997) a cherché à
comprendre le développement moteur des enfants bambaras en comparant leur
« emploi du temps postural », à savoir les différentes positions de l'enfant données par
les autres ou prises par l'enfant lui-même observées durant des journées entières, avec
celui d'enfants français et coréens. Elle constate que chez les enfants bambaras, la
fréquence du contact, durant la journée, entre l'enfant et un partenaire est très élevée et
ce dès la naissance, et que les enfants sont très peu allongés dans la journée
contrairement aux enfants coréens ou français. Elle observe également une pratique de
massage et de gymnastique précoces chez des enfants de moins de 40 jours. Ces
spécificités culturelles qu'elle n'observe pas chez les enfants français permettent selon
elle d'expliquer en grande partie la précocité du développement moteur chez les enfants
africains. L'approche émique n'interdit donc pas la comparaison à condition de ne pas
considérer une culture comme la culture de référence et de comprendre ce qui est
spécifique à chaque culture et ce qui peut expliquer les différences observées.
Les spécificités culturelles sont certes importantes, mais, d'un point de vue théorique
et empirique, les points communs entre les différentes sociétés sont également
intéressants à prendre en compte. En effet, elles nous renseignent sur l'universalité de
certains phénomènes. Il s'agit d'une troisième approche médiane que Berry et al. (2002)
ont appelé « universaliste ». La recherche de l'universalité de certains processus
psychologiques est utile lorsque nous cherchons à comprendre le rôle de
l'environnement dans le développement de ces processus. Par exemple, Pica et al. (2004)
ont testé les compétences arithmétiques chez un groupe d'indigènes d'Amazonie qui ne
possèdent pas de mots dans leur langue pour désigner les nombres. Ainsi, ils ont
cherché à savoir si le calcul est possible sans langage ou si les habiletés arithmétiques
dépendent du langage. Ils ont constaté que les indigènes avaient un système de calcul
approximatif qui était semblable à celui que nous retrouvons dans une population
française, mais que le calcul exact n'était pas présent dans cette population. Ils ont pu
conclure que le langage tient un rôle important dans la représentation des nombres
exacts et que le système de représentation approximative des nombres est un système
commun à toutes les populations, y compris peut-être chez des espèces non humaines.

Du corps enculturé à la cognition


Des liens importants existent entre, d'une part, les environnements physiques et leurs
conditions écologiques, les ethnothéories, et les modes d'organisation sociale dans
lesquelles se développent les enfants et, d'autre part, les pratiques de maternage et de
soins qu'ils reçoivent (Whiting et Whiting, 1975). Or les pratiques de maternage
constituent également des opportunités et des contraintes pour le développement des
styles interactifs et relationnels entre le bébé et ses proches (Stork, 1986). Par exemple,
les techniques de portage (peau à peau, au dos avec un tissu, ou dans une poussette)
semblent propres aux différentes cultures. Il s'avère néanmoins que le choix du type de
portage est aussi dépendant d'un certain nombre de contraintes telles que le climat, la
nécessité de pouvoir allaiter facilement son bébé ou encore la maîtrise de la posture par
le bébé (Bril, 2012). Actuellement, un nouvel intérêt pour le portage corps-à-corps
apparaît dans les cultures occidentales, mais celui-ci est motivé avant tout par une
ethnothéorie centrée sur les compétences communicatives et ses effets sur le
développement cognitif. Dans le cadre des interactions tactiles, bien que les
ethnothéories relatives au toucher soient très similaires dans les cultures occidentales et
ouest-africaines, la place du toucher est différente selon le contexte (Carra, Lavelli et
Keller, 2014). Au cours des interactions sociales avec leur bébé, les mères italiennes
favorisent la stimulation tactile, notamment en prolongeant la durée du contact, par
rapport aux mères d'Afrique de l'Ouest qui, elles, ont recours à davantage de
stimulation motrice et privilégient les stimulations rythmiques, qu'elles soient tactiles
ou motrices (Carra, Lavelli, et Keller, 2014).
Hormis le fait que la propension même à interagir avec un bébé est très variable selon
les cultures, car dans certains contextes les adultes ne s'adressent pas spécifiquement au
bébé (Ochs et Schieffelin, 1984), on peut observer que dès la naissance, les modes de
communication adulte-bébé sont variables. Les positionnements et les postures dans les
situations de communication dépendent des techniques du corps empruntées par les
adultes à l'égard des enfants. Ainsi, l'enfant peut être positionné face à l'adulte,
permettant un contact visuel direct et une coordination vocale ou bien au dos favorisant
un contact peau à peau, une coordination posturale et des interactions avec plusieurs
personnes à la fois. Stork (1986) et Keller et al. (1999) ont comparé le mode interactif
distal des dyades mère-bébé occidentales avec le mode interactif proximal observé dans
les dyades africaines ou indiennes. Une autre étude a montré que les interactions
vocales en face à face entre mères et bébés en France, en Inde et aux États-Unis
s'organisent différemment malgré le fait que dans ces trois cultures les vocalisations des
mères et des bébés sont coordonnées entre elles (Gratier, 1999, 2003). En lien avec le
développement de la communication, le développement socio-émotionnel peut aussi
être mieux compris à la lumière des ethnothéories. Cela suppose que les comportements
et les expressions émotionnelles du bébé sont interprétés et compris en fonction de la
culture. La conséquence est que l'enfant en développement s'approprie cette
compréhension liée aux ethnothéories parentales (Kärtner, Holodynski, et Wörmann,
2013).
Les pratiques éducatives elles aussi traduisent les contraintes et représentations
spécifiques à chaque culture (Nisbett, 2003). Ainsi, dans une situation d'interaction libre,
les mères américaines nomment davantage les objets que ne le font les mères japonaises.
Les mères japonaises quant à elles utilisent davantage les objets pour engager leur bébé
dans des routines sociales (Fernald et Morikawa, 1993). Bien que le langage adressé au
bébé soit multimodal (vocal, gestuel, tactile) dans toutes les cultures, cette
multimodalité est utilisée de manière différente en fonction des cultures, suggérant que
le système de communication mère-bébé, s'adapte aussi aux spécificités lexicales de la
langue (Gogate, Maganti, et Bahrick, 2015).
Le chant adressé au bébé constitue peut-être une pratique communicative plus
universelle que la parole adressée au bébé (Trehub et Schellenberg, 1995). Le nourrisson
est d'ailleurs plus attentif à un chant qui lui est adressé qu'au langage (Nakata et
Trehub, 2004). Il apparaît que le chant adressé à l'enfant est aisément reconnaissable,
même par un auditeur étranger. Il existe deux types de chants : les chansons-jeux et les
berceuses. Les chansons-jeux, plus rythmées, sont utilisées par les adultes pour stimuler
l'enfant alors que les berceuses visent l'effet inverse. Lorsqu'on fait écouter des chansons
pour enfants d'une autre culture à des enfants, il apparaît que c'est le tempo plus que la
langue ou la mélodie qui porte l'information communicative (Conrad, Walsh, Allen, et
Tsang, 2011).
Il est probable que les techniques du corps (Mauss, 1936) et la manière dont elles
contraignent et organisent les interactions sociales dès le plus jeune âge influencent
directement le développement perceptif et cognitif de l'enfant. Cependant, nos
connaissances sur les continuités entre les apprentissages moteurs, sociaux et cognitifs,
notamment dans des contextes culturels diversifiés, sont encore lacunaires (mais voir
Nisbett, Peng, Choi, et Norenzayan, 2001 pour une revue). Pourtant nous savons que
des différences cognitives liées au contexte culturel existent déjà chez le jeune enfant.
Les Japonais par exemple utilisent une catégorisation relationnelle et les Américains une
catégorisation plutôt basée sur un ensemble de règles (Norenzayan, Smith, Kim, et
Nisbett, 2002). Les Japonais focalisent leur attention à la fois sur des éléments centraux
et périphériques alors que les Américains se focalisent essentiellement sur un objet
central. Les différences cognitives liées à la culture sont visibles dès 4 ans : les enfants
japonais sont plus sensibles au contexte que les enfants américains, les rendant par
exemple plus sensibles à l'illusion d'Ebbinghaus (Imada, Carlson, et Itakura, 2013 ; Oishi
et al., 2014).

L'appartenance culturelle
À la fin de la première année, le bébé manifeste une intense curiosité pour les
conventions et les normes culturelles. Il les observe, les écoute, les imite et les reproduit
inlassablement. Il recherche activement l'approbation de ses proches pour être rassuré
sur la légitimité de ses actions. Mais comment perçoit-il que son action est une action
valorisée par son entourage ? Le savoir culturel partagé précède la possibilité de parler,
la culture se vit déjà dans le corps, et la cognition sociale et culturelle dont le bébé est
capable à la fin de la première année de vie est certainement le socle indispensable pour
accéder au langage : nous en avons aujourd'hui de nombreuses preuves.
D'autres études montrent que même avant de manifester sa compréhension de
situations concrètes, le bébé identifie des marqueurs d'appartenance culturelle. Kinzler,
Dupoux et Spelke (2007) ont démontré une préférence sociale pour des locuteurs de la
langue native chez le bébé de 5 mois, et ils ont montré également qu'à 10 mois les bébés
sont guidés dans leur choix d'un jouet par l'appartenance du partenaire, indicé par la
langue parlée (Kinzler, Dupoux, et Spelke, 2012). À 12 mois, ils choisissent une
nourriture goûtée préalablement par un locuteur de leur langue natale plutôt que par
un locuteur d'une langue étrangère (Shutts, Kinzler, McKee, et Spelke, 2009).
L'appartenance au groupe semble signalée par divers comportements et
caractéristiques, dont la langue, qui est probablement un indice particulièrement
saillant pour le bébé. D'autres indices permettant de signer une appartenance au groupe
et susceptibles d'orienter les préférences de l'enfant sont le type ethnique, la qualité
conventionnelle des actions, la mélodie ou encore les attributs physiques comme la
couleur des habits (Krieger, Möller, Zmyj, et Aschersleben, 2016).
Pour de nombreux chercheurs en psychologie du développement, l'apprentissage
culturel ne commence qu'à partir du dernier trimestre de la première année de la vie, ce
que Tomasello (1999) appelle « la révolution des 9 mois ». Mais le bébé plus jeune
identifie déjà les membres de son groupe d'appartenance, notamment grâce à son
aptitude à reconnaître les sons de sa langue natale, qui est précoce. Les chercheurs qui
mettent l'accent sur le rôle d'une « cognition sociale » pour l'apprentissage culturel sous-
estiment peut-être l'importance de toutes les formes de communication qui relient le
bébé à ses proches. En effet, si la psychologie du développement a hérité d'une
conception biaisée de la cognition, celle d'une cognition individuelle, désincarnée et
généralisable à tous, elle a peut-être surestimé le rôle par exemple d'une attention
conjointe fondée sur le regard. Ce processus socio-cognitif constitue sans doute un
mode d'enculturation central, même dans des cultures où l'interaction sociale est plus
distale et organisée autour de plusieurs partenaires plutôt qu'en dyade, mais la forme
qu'il prend pourrait être éloignée de celle décrite par les spécialistes (Ramstead,
Veissière, et Kirmayer, 2016).
Le bébé semble pourtant doté d'une capacité remarquable pour accéder aux
expériences subjectives d'autrui. L'intersubjectivité dont fait preuve le bébé de manière
très précoce, et peut-être de manière universelle, ouvrirait la voie à une expérience
culturelle (Trevarthen, 1988) faisant naître chez le bébé un sentiment d'appartenance qui
pourrait alors motiver les acquisitions cognitives à la base des premiers apprentissages
conventionnels, du langage et de la pensée symbolique.
La cognition sociale qui amorce un apprentissage culturel explicite (mémorisation des
règles, conventions, croyances, attitudes) serait alors ancrée dans toute une histoire
d'échanges cordonnés et de pratiques implicites répétées constitutifs des styles
communicatifs qui méritent d'être mieux connus. La première expérience culturelle du
bébé est peut-être sensorielle et kinesthésique. Cette culture première, sensorielle et
corporelle, s'inscrirait alors dans une mémoire implicite et procédurale agissant sur la
sensibilité de l'individu plutôt que sur une pensée symbolique ou pré-symbolique
(Gratier et Apter-Danon, 2009).
Le développement d'un sentiment d'appartenance culturelle est vraisemblablement
indissociable des comportements d'attachement que manifestent les bébés à l'égard de
leurs proches. La théorie de Bowlby (1969/1982) a eu une influence incommensurable
sur toute la psychologie du développement, mais sa théorie, du fait notamment de ses
prétendues origines biologiques, court le risque d'être taxé de théorie ethnocentrique.
La définition même de l'attachement « sécure » implique une approche normative et
s'appuie peut-être sur une survalorisation du statut autonome de l'enfant.
Malgré l'importance de cette théorie pour la compréhension du développement
affectif précoce et de ses formes atypiques ou déviantes, quelques controverses
apparaissent quant à l'utilisation des différents styles d'attachement d'une manière
« étique ». En effet, Grossmann et Grossmann (1991) sont les premiers à avoir testé cette
théorie dans une autre culture occidentale, en l'occurrence en Allemagne, où ils
trouvent une répartition différente entre les 3 styles d'attachement (sécure, insécure
anxieux et insécure ambivalent) de celle trouvée dans les études anglo-saxonnes.
D'autres chercheurs ont répliqué ces résultats et proposent que la proportion élevée
d'enfants « insécures » reflète les styles et pratiques de parentage de l'Allemagne du
Nord (Levine et Norman, 2008), à savoir un système de croyances qui valorise
particulièrement l'indépendance et l'autonomie. Ainsi, il apparaît nécessaire de relier les
comportements observés chez les enfants aux ethnothéories et pratiques parentales.
Harwood, Miller et Irizarry (1995) ont justement exploré les représentations qu'ont les
mères des comportements de l'enfant au cours de la Situation étrange. Ils ont comparé
les perceptions de mères anglo-américaines et portoricaines immigrées aux États-Unis.
Leurs résultats montrent que les mères portoricaines valorisent davantage les
comportements qui permettent à l'enfant de maintenir un comportement respectable et
approprié par rapport au contexte, alors que les mères anglo-américaines ont un plus
grand intérêt pour les comportements permettant à l'enfant de développer son
autonomie. Ces résultats montrent que les croyances et ethnothéories des mères
portoricaines contrastent avec le style d'attachement « sécure ». Selon Harwood et al.
(1995), l'identification et la comparaison de modèles culturellement différents
permettrait un aperçu à la fois des comportements d'attachement qui sont universels et
de ceux qui sont culturellement modelés.

Conclusion
Moins d'un siècle après son avènement, nous pouvons constater que l'objectif principal
d'une psychologie du développement motivée par la « révolution cognitive » a été à la
fois de distiller l'essence de l'esprit humain tel qu'il se manifeste aux débuts de la vie,
avant d'être « enculturé », et de décrire les processus par lesquels l'esprit humain
« minimal » s'enrichit de l'apport d'un monde intelligent et technique. Les psychologues
se sont centrés sur l'étude de l'esprit dont le corps auquel il serait amarré, avec ses
« contraintes motrices », ne fait rien de mieux que de ralentir des opérations mentales
potentiellement démesurées. De nombreux théoriciens et chercheurs s'élèvent depuis
quelques années, voire une ou deux décennies, pour tenter de rééquilibrer ces
positionnements initiaux (Damasio, 1994 ; Gallagher, 2005 ; Johnson, 2013 ; Thelen et al.,
2001). Nous assistons sans doute aujourd'hui à l'émergence d'un nouveau paradigme en
psychologie, associant les nécessités de prendre en compte la place du corps dans la
cognition, ou l'indissociabilité du corps et de l'esprit et le rôle du contexte culturel et
social. La prise en compte de l'intrication cognitive entre les personnes ne peut être
séparée de celle qui existe aussi entre les êtres humains et les environnements si
particuliers dans lesquels ils vivent, qui sont déjà façonnés par - et pour - leur manière
de penser et de vivre. Mais un changement de paradigme scientifique ne peut
réellement s'opérer que si les théories sont articulées avec des méthodes permettant de
les tester. Le décalage actuel entre les théories d'une cognition incarnée, située et
distribuée et les méthodes permettant de l'appréhender laisse à croire que ce nouveau
paradigme demeure encore bien discret.

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1
Ce processus historique est souvent décrit comme la « révolution cognitive » (Bruner, 1990 ; Gardner, 1985).
2
La cybernétique de Norbert Wiener était une nouvelle discipline qui rassemblait plusieurs approches scientifiques :
mathématiques, biologie, sciences de l'ingénieur. Elle abordait les organismes vivants et non vivants comme des
systèmes pouvant se contrôler par des processus de guidage intériorisés. En ce sens, elle est précurseur d'une
intelligence artificielle incarnée.
3
Qui veut dire « bizarre » en anglais, mais l'acronyme condense les mots « Western, Educated, Industrialized, Rich
and Democratic ».
PA R T I E 2
Les domaines du développement
CHAPITRE 10

Le développement prénatal et sensori-


moteur
Françoise Morange-Majoux

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Le développement de la perception
Le développement de la motricité
Deux exemples du développement sensori-moteur
Conclusion

Introduction
Il faut rendre à Piaget, non pas d'avoir été le premier à utiliser le terme de sensori-
moteur, mais d'avoir considéré les interactions entre la perception et la motricité comme
source des tout premiers apprentissages, permettant à l'enfant de se construire une
représentation du monde physique. Ainsi, pour Piaget, l'intelligence sensori-motrice qui
se met en place au cours des deux premières années de vie permet à l'enfant de
résoudre des problèmes pratiques grâce à ses activités, avant l'apparition du langage et
des représentations mentales. Dans cette perspective, les structures se complexifient
allant des schèmes réflexes, qui incorporent des objets favorables à ce fonctionnement à
l'intériorisation des conduites (déduction sensori-motrice) en passant par les
adaptations acquises et les habitudes (exemple des secousses dans le berceau qui
déclenchent le mouvement du mobile et que le bébé répète à l'envi), et les actions
intentionnelles et dirigées (comme attraper un objet que le bébé voit et adapter la forme
de sa main à la prise d'informations tactiles comme la forme), déterminées spatialement.
Dans une vision plus dynamique, le développement sensori-moteur est envisagé
comme émergeant de l'interaction de multiples composantes elles-mêmes en
développement. La modification d'un seul paramètre d'une de ces composantes
entraîne une déstabilisation et pousse le système à s'auto-organiser vers un nouvel état
(comportement) plus stable créant ainsi le développement (Thelen et Smith, 1994).
Comme on le voit, expliquer le développement sensori-moteur ne peut se résumer à
la somme des deux développements, mais constitue un domaine spécifique où
perception et motricité se nourrissent l'un l'autre, dès la vie fœtale pour permettre une
connaissance intégrée du monde environnant, une cognition située, ou encore incarnée.
Pour autant, par commodité pédagogique, nous reprendrons les grandes lignes du
développement perceptif puis du développement moteur avant d'aborder deux
comportements signant ce codéveloppement sensori-moteur et qui permettront
d'illustrer cette approche intégrée: l'imitation et le développement de la préhension.

Le développement de la perception
La perception permet de reconnaître l'espace interne (sensations somesthésiques,
proprioceptives ou vestibulaires) et l'espace extérieur du corps (stimulations visuelles,
sonores, tactiles, olfactives), d'intégrer les qualités sensorielles afin d'identifier par
exemple les sons, les stimulations visuelles, tactiles, etc. À chaque type de stimulation
correspond un système sensoriel dédié. Selon le modèle d'Atkinson et Schiffrin (1968),
les activités perceptives demandent une mise en éveil attentionnelle afin de transformer
une sensation en un signal identifié, localisé et porteur de sens.
Si on a longtemps cru que le bébé était dépourvu de compétences perceptives, on sait
aujourd'hui qu'il possède des capacités multidimensionnelles lui permettant d'entrer en
contact avec autrui et qui se mettent en place dès la vie fœtale (figure 10.1). En effet,
l'immaturité relative des systèmes sensoriels n'est pas, comme on l'a longtemps pensé,
un obstacle à leur fonctionnalité. Ainsi, dès 13 semaines d'aménorrhées (SA), la
sensibilité tactile est la première à être fonctionnelle, suivie par l'équilibre (23 SA),
l'odorat (26 SA), la gustation (26 SA), l'audition et enfin la vision (Vauclair 2004). Cela
signifie donc qu'à 6 mois de grossesse, toutes les modalités sensorielles sont
fonctionnelles à des degrés divers (la vision, peu stimulée in utero, a un développement
sensiblement retardé par rapport aux autres modalités) (Granier-Deferre, Schaal et
DeCasper, 2004). Par exemple, la sensibilité kinesthésique, qui résulte de l'intégration
d'informations provenant de la proprioception et de l'appareil vestibulaire, est
fonctionnelle in utero, comme le montre la réactivité fœtale (augmentation du rythme
cardiaque par exemple) aux pressions exercées sur l'abdomen maternel (Lecanuet et
Jacquet, 2002). Dès la 9e semaine de gestation, les récepteurs réagissent à l'effleurement
de la zone oro- et péri-orale et Zoia et ses collaborateurs montrent que les fœtus font des
mouvements qui semblent coordonnés sur leur propre corps et la paroi de l'utérus à
partir de la 22e semaine de gestation (Zoia, D'Ottavio, Blason, Biancotto, Bulgheroni et
Castiello, 2012).
FIGURE 10.1 Développement des systèmes sensoriels in utero :
résumé des études anatomiques et comportementales.
Ainsi dans les parties qui vont suivre, nous envisagerons conjointement
développement des systèmes perceptifs et développement des compétences
perceptives. Ces dernières connaissances doivent beaucoup aux méthodes d'exploration
du bébé développées par les chercheurs à partir des années 1980 (voir les chapitres 7, 10
et 42 pour une revue détaillée), qui ont permis d'interroger le bébé dans des situations
favorisant un type attendu de comportements (bébés de laboratoire), et en utilisant des
paradigmes spécifiques, telle l'habituation, la succion non nutritive ou la transgression
des attentes.

Le développement du toucher
De nombreuses recherches ont été faites sur le développement du toucher, non
seulement parce que c'est un sens facilement accessible, mais aussi de par sa place
centrale dans l'établissement du lien entre le bébé et le monde social, notamment sa
mère : les échanges affectifs s'effectuent pour beaucoup, surtout au début de vie, via les
caresses et les effleurements. Les massages, comme les techniques du peau à peau
(méthode kangourou) apparaissent non seulement bénéfiques pour les bébés avec une
augmentation de l'activité gastrique et de la prise de poids (Field et al., 1986), mais aussi
pour les mères dont le niveau de stress s'abaisse (Scafidi et al., 1990 ; Hernandez-Reif,
Diego et Field, 2007). La méthode Kangourou1 favorise la synchronisation des
stimulations multimodales et on observe une meilleure qualité des interactions mère-
enfant, favorisant le lien d'attachement avec une diminution des pleurs et des sourires
plus fréquents (Klauss et Kennel, 1982).
Au niveau des compétences perceptives, on retiendra que les nouveau-nés peuvent
différencier tactilement un cylindre d'un prisme (Stréri, Lhote et Dutilleul, 2000) et
présentent dès 2 mois une mémoire tactile de la forme, certes fragile (Lhote et stréri,
1998), mais qui deviendra plus robuste deux mois plus tard (Lhote et Stréri, 2003). Ils
peuvent également transférer les informations acquises tactilement au système visuel
(Streri et Gentaz, 2003). Le système tactile est donc performant très tôt et permet au bébé
d'acquérir des compétences sur le monde environnant dès les premières heures de vie.
La sensibilité thermique est également présente très précocement, avec une sensibilité
qui semble plus précoce au froid. À la naissance, l'enfant peut discriminer deux tétines
de températures différentes (Hernandez-Reif et al., 2004) ou deux fioles contenant soit
de l'eau froide soit de l'eau chaude (Hernandez-Reif et al., 2003).

Le développement de la vision
L'acuité visuelle, qui se développe au cours des deux premières années de vie, reste
réduite dans les premières semaines, le bébé vivant dans un monde aux formes
imprécises jusqu'à 4 mois (Durand, 2004). Pour autant, le bébé est capable, dès la
naissance, de distinguer les contrastes, de percevoir les contours de cibles (Aslin et
Salapatek, 1975), et enfin de fixer et suivre une cible lumineuse de façon saccadée (Aslin
et Salapatek, 1975) puis douce à partir du troisième mois (Aslin, 1993). Ils sont
également sensibles aux mouvements dès les premiers instants de vie, le mouvement
pouvant apparaître comme un moyen d'attirer l'attention sur une stimulation précise
(Shea et Aslin, 1990). Concernant les compétences visuelles, le bébé est capable dès la
naissance de différencier des formes géométriques entre elles (Slater, 1995). Il préfère
regarder des configurations structurées et régulières, par exemple les points lumineux
d'une structure évoquant un humain (Berthendal, Proffitt et Cutting, 1984) et peut
reconnaître le visage de sa mère dès 3 jours (Pascalis, De Schonen, Morton, Deruelle et
Fabre-Grenet, 1995).

Le développement de l'audition
Le bébé naît avec des capacités de traitement du signal sonore déjà très fines, proches de
celles observées ultérieurement. Ils sont en particulier capables de percevoir des
différences d'amplitudes et de hauteurs, des intervalles de hauteurs, des différences
spectrales, des hauteurs relatives indépendamment du timbre, des contours mélodiques
ou encore de séparer deux flux auditifs simultanés (Winkler et al., 2009). Les bébés à la
naissance répondent à une stimulation auditive en modifiant leur rythme cardiaque et
leur comportement (clignement des yeux, mouvement de la tête vers la source auditive,
succion non nutritive). En 1980, nos connaissances sur leurs compétences auditives ont
été profondément réévaluées grâce à la publication de l'article désormais célèbre de
DeCasper et Fifer (1980) montrant le nouveau-né capable de modifier la durée des
pauses qui interrompent périodiquement sa succion non nutritive, soit dans le sens d'un
allongement, soit dans le sens d'un raccourcissement afin d'entendre l'enregistrement
de la voix de sa mère plutôt que celle d'une autre femme ! Ce résultat a ouvert la voie à
un grand nombre de recherches concernant la perception des propriétés des sons
complexes, comme les sons de la parole ou de la musique. Ainsi, les nouveau-nés
préfèrent leur langue maternelle à une langue étrangère (Nazzi, Bertoncini et Melher,
1998). Ils sont capables dès la naissance de distinguer les mots de la parole des non-
mots et à 1 mois ils sont capables de discriminer les lettres b/et p/et les sons ba/et
pa/(Eimas, Siqueland, Jusczyk et Vigorito, 1971). Enfin, le nouveau-né est capable de
discriminer différentes langues étrangères (Mehler et al., 1988 ; Moon, Panneton-Cooper
et Fifer, 1993 ; Nazzi et al., 1998), à la condition que celles-ci possèdent des propriétés
rythmiques différentes (Nazzi et al., 1998). Certaines de leurs capacités auditives
présentes à la naissance le sont déjà chez le fœtus proche du terme de la gestation
(Granier-Deferre et al., 2010, 2011). Plusieurs recherches ont démontré que les fœtus
pouvaient développer in utero une mémoire très spécifique pour des séquences de
paroles (DeCasper et Spence, 1986 ; DeCasper, Lecanuet et al., 1994) ou de musiques
(Granier-Deferre et al., 2011) très fréquemment et régulièrement présentées au cours des
semaines avant le terme de la gestation. Cette mémoire a été démontrée au cours de la
période fœtale, à 2–3 jours et 1 mois après la naissance, alors même que les enfants
n'avaient eu aucun contact postnatal avec les stimuli auditifs, confortant l'hypothèse
d'une contribution de l'expérience prénatale dans l'explication des performances
auditives de l'enfant à sa naissance.

Le développement de l'olfaction
Les recherches sur l'olfaction montrent que les nouveau-nés sont calmés et s'endorment
plus rapidement lorsqu'ils sentent une odeur d'origine maternelle par rapport à celles
d'une autre femme (Schaal, Montagné, Hertling, Bolzoni, Moyse, A., et Quichon, 1980).
Ils s'orientent également préférentiellement vers l'odeur de leur mère, ainsi que vers
leur liquide amniotique qu'ils différencient de celui d'une autre femme (Schaal, Marlier
et Soussignan, 1995). Ils sont sensibles aux odeurs plaisantes (sucre, vanille) et
manifestent des expressions faciales de dégoût face aux odeurs déplaisantes (poisson,
œuf pourri, etc.) (Engen et Lipsitt, 1965). Enfin, l'expérience olfactive qu'ils ont eue in
utero via le liquide amniotique (ail, anis, etc.) influence leurs réponses olfactives à la
naissance (Schaal, Marlier et Soussignan, 2000).
L'ensemble de ces recherches témoignent d'une organisation perceptive multimodale
sophistiquée, présente dès la vie in utero et qui est, à la naissance, déjà bien organisée.
Toutefois, les systèmes sensoriels ne se développant pas au même rythme et au même
moment, il faut veiller à en tenir compte lorsque l'on étudie le développement sensori-
moteur d'une manière globale et que l'on cherche à le théoriser.

Le développement de la motricité
La motricité a eu longtemps plus à faire avec le bon fonctionnement neurobiologique
que cognitif. Pour preuve les nombreux tests effectués dès la naissance à la maternité
qui témoignent de la bonne mise en place des principaux circuits neurobiologiques et
signent la vitalité psychique et physique du bébé. Pourtant les activités motrices ont
tout à voir avec la psychologie : elles sont génératrices d'intelligence (Piaget, 1936) et
sont au centre du développement cognitif : que ce soit pour agir sur les objets de
l'environnement (gestes manuels, fabrication d'outils, etc.), pour communiquer
(mimiques, langage articulé), pour exprimer des émotions (attitudes, etc.) ou se
déplacer (locomotion). Elles doivent donc « être envisagées comme produit du
développement et source de développement » (Lehalle et Mellier, 2013).
On trouve dans la littérature (par exemple Darwin, 1877, Gesell, 1945) nombre de
descriptions exhaustives du développement de la motricité (de leurs propres enfants !),
qu'elle soit spontanée (motilité) ou provoquée par un stimulus (réflexe ou geste
intentionnel), tant les répertoires sont riches et diversifiés, particulièrement entre 0 et
2 ans. Ainsi, de nombreuses échelles ont été créées afin d'inventorier et d'identifier les
grandes étapes du développement psychomoteur : tenue de la tête, préhension, station
assise, marche à quatre pattes, marche debout, saut, etc. On citera l'échelle standardisée
de développement moteur DF-MOT qui évalue à la fois le niveau de coordination
global, posturo-moteur et locomoteur (PML) et le niveau de coordination visuo-
manuelle (PCVM) fine de Laurence Vaivre-Douret (1997, 2003) en donnant des normes
statistiques des âges d'acquisitions des conduites motrices (figure 10.2).
FIGURE 10.2 Échelle de développement moteur DF-MOT ;
exemple de l'évaluation du niveau de coordination visuo-
manuelle (PCVM) fine. Vaivre-Douret, 1997.
Avant de décrire les différentes actions motrices du très jeune enfant, il est important
de rappeler que toute action n'est possible qu'avec une posture et un tonus adaptés. Le
tonus musculaire se définit comme un état de tension des muscles qui s'exerce de façon
permanente (tenue de la tête, redressement du dos, etc.), tandis que la posture qualifie
la position prise par le corps ou l'une de ses parties dans l'espace (position assise,
marche, saut, etc.). Les développements postural et tonique sont régis par deux « lois du
développement » au cours de la première année de vie :
• la loi du développement céphalo-caudal, qui témoigne d'une augmentation du tonus
de la tête vers les pieds. Ainsi à la naissance, le bébé se caractérise par une hypotonie
axiale et une hypertonie distale des fléchisseurs. Le contrôle tonique de son axe
corporel va lui permettre progressivement de tenir sa tête vers 3 mois, de se
maintenir assis vers 7 mois et de se tenir debout vers 1 an.
• et la loi du développement proximo-distal qui caractérise l'augmentation du tonus
des extenseurs progressant des épaules jusqu'aux mains. Ainsi, le contrôle tonique
de son axe proximo-distal lui permet, progressivement, d'attraper des objets vers
5 mois, d'effectuer une prise avec une pince à trois doigts (pouce, majeur et index) à
7 mois puis une pince fine à deux doigts (pouce/index) à 9 mois et de les manipuler
en changeant de main vers 8 mois.
On trouve chez le nouveau-né pas moins de 73 réflexes (Illingworth, 1990) : le réflexe
d'agrippement (ou grasping), le réflexe de Moro, la marche dite « automatique »…
Certains apparaissent et disparaissent au cours des premiers mois de la vie et d'un point
de vue pédiatrique, signent la bonne maturation du système nerveux central (c'est le cas
du grasping ou de la marche automatique, par exemple), d'autres arrivent plus
tardivement, comme les réflexes posturaux ou tendineux et ne disparaissent pas
toujours. Parmi les réflexes posturaux, on notera l'ATNR, réflexe asymétrique du cou,
dite position de l'escrimeur, où le bébé, la tête tournée vers un côté, a le bras opposé
replié vers sa tête et l'autre bras dirigé vers le côté où regarde sa tête (Coryell et Michel,
1978). Ce réflexe culmine entre 6 et 8 semaines et apparaît avoir un rôle fondateur dans
le développement et l'organisation des conduites sensori-motrices, notamment visuo-
manuelles (Bullinger, 2007).
Toutefois, ces réactions ne sont pas les seules présentes, comme on l'a longtemps
pensé : dans certaines situations, le bébé peut effectuer des conduites d'approche
d'objets dites volontaires ou dirigées (Hofsten, 1982). Ainsi, les pédiatres Amiel-Tison et
Grenier (1980) ont montré qu'en tenant la tête (ou la nuque) fixement dans le
prolongement de l'axe vertébral, on neutralisait de nombreux réflexes permettant en
quelque sorte de « libérer » la motricité volontaire du bébé. Cette méthode a permis
notamment de montrer et décrire les premiers gestes d'approche des objets chez le
nouveau-né (Hofsten, 1982).
Issue de la tradition biologique, il est d'usage d'opposer les réactions réflexes aux
conduites intentionnelles, comme si les premières étaient des conduites fermées et
rigides, les secondes des conduites ouvertes et souples. Touwen (1984, cité par Lehalle
et Mellier, 2013) propose de parler plutôt de « conduites spécifiques aux besoins du
nourrisson ». Cela signifie qu'en fonction des conditions environnementales, les
systèmes réflexes peuvent traiter des stimulations de l'environnement. Jouen et Molina
(2000) ont montré que le nourrisson de 3 jours utilise l'activité du réflexe d'agrippement
(grasping) pour explorer la texture de l'objet tenu et différencier la texture d'un objet de
même forme. Cette frontière réflexe/volontaire tombée, la motricité apparaît alors
comme modulable, souple, adaptable en fonction de l'environnement. Couplées à la
perception, ces sortes de modules sensori-moteurs permettent au bébé de relier des
informations sensorielles et motrices entre elles, temporellement réglées pour effectuer
un même but. Ces couplages sensori-moteurs apparaissent comme des « outils » pour
Bullinger (2007) permettant au bébé d'apprendre et d'expérimenter sur l'environnement.
En outre ils incitent à envisager la perception et l'action conjointement, dans une
perspective intégrée. Nous illustrons ci-dessous, à travers deux exemples, comment le
développement sensoriel et moteur se nourrissent l'un l'autre et font le développement.

Deux exemples du développement sensori-moteur


Le développement de l'imitation
L'imitation, en tant que coordination sensori-motrice, consiste en un ajustement entre
un comportement perçu visuellement et un comportement produit activement, cela
dans une fenêtre temporelle précise et étroite. L'imitation précoce, et a fortiori néonatale,
a longtemps été ignorée, car on considérait, comme Piaget par exemple, qu'il fallait une
représentation interne du schème d'action pour que l'imitation puisse exister, soit à
partir de 9–10 mois. Les âges précédents étant alors perçus comme des « préparations
réflexes à l'imitation ». Ainsi, les quelques imitations précoces rapportées, comme celles
de Zazzo (1957) ont été longtemps associées à des coïncidences accidentelles. Il faut
attendre les célèbres observations de Meltzoff et Moore en 1977 montrant des bébés2
âgés de 12 à 21 jours (voire âgés de 42 min de vie, Meltzoff et Moore, 1983) produisant
des réponses imitatives adaptées, notamment de protrusions des lèvres et de la langue
et d'ouverture de la bouche pour reconsidérer la question de l'imitation précoce, et du
coup, plus généralement, celle des coordinations sensori-motrices précoces.
Les recherches ultérieures ont conforté les observations de Meltzoff et al. (1977) et ont
même montré que l'imitation pouvait s'étendre à la reproduction de gestes manuels
particuliers comme la séquence de mouvements de doigts (Meltzoff et Moore, 1994).
Toutefois, il faut que le bébé ait entre 6 et 9 mois pour imiter des actions nouvelles pour
lui. Auparavant, il devient progressivement capable d'imiter des mouvements de bras,
de tête et de buste (à 2 mois, Nadel et Poirier, 2000), des trajectoires de mouvements
ciblés sur son corps (à 3 mois), des séquences de mouvements des doigts (à 4 mois) et
après 6 mois des actions simples familières impliquant des objets familiers. Enfin, à
2 mois les bébés imitent en réponse aux imitations de leurs mères (Nadel, 2004) et à
5 mois ils accompagnent leur imitation de manifestations émotionnelles intenses
témoignant d'une reconnaissance d'être imité. Entre 7 et 14 mois, on note l'émergence de
modifications dans la forme des séquences imitatives comme des enchaînements, des
répétitions, des accélérations ou des ralentissements d'actions avec attente des réponses
imitatives de l'autre (Meltzoff, 1990). Ces données témoignent d'un continuum de
l'imitation : il n'y a pas plusieurs imitations, mais une seule (Nadel, 2005). Ces données
sont soutenues par les recherches en neurobiologie qui montrent que faire une action,
regarder faire une action, imaginer faire une action et imiter une action ont des
mécanismes neuronaux et cognitifs communs (Decety et Grèzes, 1999). En outre,
Rizzolatti et ses collaborateurs (2002) ont montré qu'il existait dans le cortex prémoteur
des singes un système neuronal miroir, dont les neurones déchargent aussi bien
lorsqu'une action est observée que lorsqu'elle est exécutée donnant ainsi un substrat
neuroanatomique commun à ces comportements d'imitation.
Les recherches sur l'imitation, et donc les coordinations sensori-motrices précoces,
montrent qu'elles ont un rôle tout à fait fondamental sur le développement, en tant
qu'outil d'apprentissage et de communication (Nadel, 2004, 2005, 2011) : cette réponse
volontaire permet d'apprendre à faire quelque chose que l'on voit faire, au départ
simple et familière, puis qui devient progressivement complexe et nouvelle ; elle permet
également de communiquer, d'entrer en interaction et cela dès la naissance, par
l'alternance imiter/être imité et renvoie au développement de l'intersubjectivité des
premiers mois. En ayant un même centre d'intérêt, les deux partenaires se retrouvent en
interaction, en synchronie (Nadel, 2011). Cette synchronie est essentielle pour le
développement socio-cognitif, notamment le langage, la locomotion, les interactions
sociales, etc. À ces deux bénéfices –moteur et social- qu'apporte l'imitation, Jacqueline
Nadel y associe un troisième, la conscience de soi, qui permet au bébé de s'approprier
une action proposée par un autre et de se rendre compte des conséquences de sa propre
action. Nadel (2002) propose une séquence de développement de l'imitation qu'elle lie
de façon étroite aux « lois du développement » décrites plus haut : ainsi le bébé imite
d'abord avec la bouche avant d'imiter avec les mains ou le corps, et les imitations sont
d'abord globales, avec des gestes amples avant de devenir plus précises.

Le développement de la prise d'objets


Saisir un objet est une coordination sensori-motrice qui consiste à relier des
informations perceptives, telles que la proprioception (position du bras dans l'espace) et
la vision (position de l'objet) à des informations motrices (enserrement de la main sur
l'objet). Le développement du geste de préhension est intimement lié au développement
de la posture, comme nous l'avons vu plus haut avec les travaux d'Amiel-tison et
Grenier (1980) portant sur la position de la tête. Ainsi, Hofsten (1982) a montré que le
bébé, maintenu en position verticale, avec le tronc et la tête fermement tenus par la
chaise, peut faire des mouvements dirigés vers un objet présenté devant lui. Ennouri et
Bloch (1995) dans une situation expérimentale similaire ont montré que le bébé qui
regarde une cible fait plus de mouvements dirigés vers elle que s'il ne la regarde pas.
Plus encore, plus la fixation est longue, plus le mouvement arrive près de l'objet. Vers
4 mois, les progrès observés dans le geste d'atteinte sont significativement corrélés à la
maîtrise de la station assise (Rochat, 1992) et les gestes sont plus souvent réussis et sont
plus rapides en position assise qu'en position allongée (Carvalho et al., 2008) Enfin, dans
une perspective plus dynamique, Thelen et Spencer (1998) ont démontré comment le
développement du contrôle postural et de la tête était lié au développement du geste de
préhension : durant les 2 semaines précédant les premières saisies d'objet, les bébés
acquièrent le maintien de la tête en position médiane et la stabilité du tronc. On peut
penser que le contrôle postural permet de libérer certains muscles qui de ce fait
pourraient s'engager dans la préhension, voire en libérer d'autres.
Comme nous l'avons dit, à la naissance, des mouvements volontaires émergent pour
peu que la posture soit contrôlée. Ces premiers mouvements sont dits balistiques, car ils
consistent en une projection de la main vers la zone de l'objet sans possibilité de
modification de la trajectoire une fois initiée (trajectoire prédéterminée) et sans phase
d'ajustement de la main sur l'objet. Du reste, les contacts sont très rares avec l'objet et
entrainent le plus souvent un retrait de la main quand ils ont lieu (Trevarthen, 1974).
Ces mouvements sont discontinus, saccadés et arrivent généralement dans la zone de
l'objet et non sur l'objet lui-même (Hofsten, 1982). Les premiers gestes d'atteinte d'objets
apparaissent vers 3 mois ½ (Hofsten, 1991 ; Morange et Bloch, 1996) et comportent en
plus d'une phase de transport de la main, une phase d'ajustement de la main sur l'objet.
La préhension à proprement parler apparaît vers 5 mois ; la prise est palmaire,
puissante avec maintien de l'objet par les doigts figés comme des crampons. Entre 5 et
7 mois, on observe un meilleur contrôle de la stabilisation du bras, des mouvements
plus rapides, plus directement orientés vers l'objet et moins saccadés (Morange-Majoux,
Pezé et Bloch, 2000 ; Morange-Majoux et Dellatolas, 2010). On observe également une
anticipation manuelle avec un ajustement de l'ouverture de la main à la taille de l'objet
dès 5 mois (Hofsten et Ronnqvist, 1988), à l'orientation de l'objet (Lockman, Ashmead et
bushnell, 1984) dès 9 mois. À partir de 8 mois, la prise devient fine, formée par le pouce
et l'indexemple Enfin, à 9–10 mois, le bébé positionne ses doigts différemment en
fonction de la forme convexe ou concave des objets (Pieraut-Le Bonniec, 1985 ; 1986).
Pour Bushnell (1985), la vision joue un rôle crucial dans ce développement et
interviendrait en deux temps : dans un premier temps, c'est la vision de la cible qui
permettrait de déclencher le geste d'atteinte (forme balistique) ; puis dans un second
temps, le geste de préhension serait guidé visuellement : l'enfant ajusterait visuellement
les positions successives de sa main à celle de l'objet grâce à des rétroactions visuelles.
Par la suite, l'expérience et l'automatisation des actes moteurs familiers pourrait
entraîner une diminution des rétroactions visuelles. Dans cette perspective, une
coordination visuo-manuelle certes rudimentaire émergerait dès la naissance et se
mettrait en place au cours des premiers mois permettant la prise d'objets (Bushnell,
1985). Toutefois, la mise en évidence de gestes de préhension dans le noir complet chez
les bébés âgés de de 5 à 25 semaines (Clifton, Muir, Ashmead, and Clarkson, 1993) et de
5 à 7 mois (Clifton, 2001) ont réinterrogé le rôle de la vision à cet âge. En effet, le fait de
voir ou pas leur main ne change pas les paramètres kinématiques du mouvement
(Clifton, Rochat, Robin et Berthier, 1994) ni la préparation de l'orientation pour saisir un
objet. Certains auteurs ont suggéré ainsi que les progrès réalisés dans la préhension
entre 5 et 7 mois pourraient être dus plutôt à la coordination proprio-motrice que visuo-
motrice, qui apparaîtrait plus tardivement. L'apprentissage du mouvement consisterait
donc à mettre en relation des informations visuelles en provenance de la cible et des
informations proprioceptives fournies par le mouvement du bras. Toutefois, des
résultats récents menés par Morange-Majoux et ses collaborateurs (soumis) montrent
que lorsque le bébé de 6 mois peut voir sa main, il effectue de nombreux aller-retour
visuels entre elle et l'objet témoignant qu'il puise des informations visuelles lorsqu'il en
a la possibilité et qu'elles sont disponibles, lui permettant probablement de mettre en
relation l'ensemble des informations sensori-motrices dans un même espace-temps.
Quant à la manipulation, active, dynamique, qui consiste à faire bouger les objets
dans la main ou les faire passer d'une main à l'autre, elle débute à partir du moment où
le bébé est capable de conduites de saisie, d'orientation, ou d'ajustement de la main sur
les objets en fonction d'informations visuelles et tactiles, soit autour de 6 mois. Au cours
du deuxième semestre de vie, les actions sur les objets deviennent de plus en plus
variées selon le type d'objets, leur nombre ou leur forme. Dès que les objets sont
attrapés, les bébés les portent à la bouche ; ils les porteront devant les yeux un peu plus
tard (Lew et Butterworth, 1997). Toutefois, si on considère que la manipulation consiste
à extraire des informations propres aux objets, alors les recherches menées depuis
30 ans par Arlette Stréri sur le transfert intermodal attestent que les nourrissons sont
capables de manipulation : en effet, ils sont capables dès le lendemain de leur naissance
de reconnaître visuellement la forme d'un objet qu'ils ont préalablement exploré avec
leur main droite sans le voir ! La manipulation débute donc dès la naissance, et se
perfectionne au cours des deux premières années, avec des interactions de plus en plus
riches et sophistiquées entre vision, toucher, proprioception et action permettant
d'extraire des propriétés d'objet de plus en plus précises et de se faire une
représentation du monde de plus en plus fine.

Conclusion
Le bébé, est capable, dès lors qu'il est placé dans un contexte favorable, d'activités
organisées lui permettant d'accéder à différentes informations perceptives, de leur
donner un sens et en retour de construire progressivement son système de
représentation. Le développement psychomoteur témoigne d'interactions complexes
entre le moteur et le psychique. Ainsi la motivation, l'attention, les sens et l'intention
guident autant qu'ils sont guidés par la motricité. Ce développement psychomoteur
fait l'objet d'attention particulière de la part des cliniciens : s'il y a des compétences
sensori-motrices précoces, et si on peut les quantifier et les qualifier, alors on peut en
décrire la norme et par défaut extraire des comportements possiblement atypiques.
Il existe plusieurs échelles de ce type, nous citerons l'échelle de Brunet-Lézine
révisée (1997), très largement utilisée permettant de repérer des troubles dans le
développement sensori-moteur. C'est une échelle de développement psychomoteur
qui s'adresse à des bébés de 0 à 30 mois (tableau 10.1). Cette échelle permet de
repérer des perturbations dans ce développement, selon 4 domaines : 1. le domaine
moteur ou postural : Étude des mouvements de l'enfant dans les différentes
postures/positions étude de la locomotion, etc. ;

Tableau 10.1
Échelle du Brunet-Lezine révisée (1997).

Âge Posture Coordination Langage Sociabilité


2 mois V : soulève tête + épaules Suit des yeux une Répond à la voix par C : Sourire réponse
C : retient la tête droite au personne qui immobilisation C : S'anime quand on
tiré-assis bouge Vocalise 2 sons ou vocalises s'approche de lui
C : Se retourne du côté sur C : suit des yeux prolongées
le dos l'anneau sur
180°
Tourne la tête
pour suivre un
objet

3 mois A : tient la tête droite sans Regarde le cube C : vocalise en réponse à Q : s'anime aux préparatifs du
osciller posé sur la table l'examinateur biberon
V : s'appuie sur ses avant- C : tient Q : rit aux éclats C : soulève tête et épaules
bras fermement le au tiré-assis
C : joue avec ses mains, les hochet mis en
examine main
(Q) : conscient
de situations
nouvelles

4 mois V : garde les jambes en Regarde la pastille Tourne la tête immédiatement Participe à des jeux corporels
extension et la suit des pour regarder la personne qui (rit)
C : mouvements dirigés yeux parle
vers la serviette C : secoue et Q : exprime différemment
posée sur sa tête regarde le plaisir/déplaisir, colère/cris de
A : Tient assis avec un hochet mis en joie
léger soutien main
C : fait un
mouvement
dirigé vers
l'anneau
Saisit un cube au
contact

5 mois C : explore ses jambes et ses Tient un cube dans Q : rit et vocalise en manipulant Sourit au miroir
genoux sa main et ses jouets Q : crie quand un proche
D : tenu sous les bras, stade regarde le 2e Q : montre de l'intérêt aux s'éloigne
du sauteur Tend la main bruits extérieurs Différencie visages
jusqu'au hochet familiers et étrangers
tenu à distance
Saisit d'une
main l'anneau
balancé devant
lui

6 mois C : se débarrasse de la serviette Saisit dans sa Q : fait des roulades ou vocalise 4 Regarde ce que regarde l'adulte
C : prend ses pieds dans paume le cube sons si celui-ci montre du doigt
ses mains posé sur la table Réagit immédiatement à son (attention conjointe)
C : se met en position Tient deux cubes nom
assise au tiré-assis et regarde le 3e
Saisit la pastille
en ratissant
Soulève par
l'anse la tasse
retournée (cube
caché)

7 mois A : tient assis brièvement sans Saisit deux cubes, Q : attire l'attention par gestes, Participe activement au jeu de
soutien un dans chaque cris ou coucou
A : assis avec soutien, main émissions vocales (Q) : Joue à jeter ses jouets
enlève la serviette Cherche la
V : se hisse/genoux, pousse cuiller tombée
avec les bras Examine la
C : porte ses pieds à la clochette avec
bouche intérêt

8 mois V : enlève la serviette posée Saisit la pastille Q : vocalise plusieurs syllabes Manifeste quand on met un
sur sa tête avec distinctes objet hors de sa portée
C : se retourne du dos sur participation du Q : réagit à certains mots
le ventre pouce familiers
A : assis sans soutien, (Q) : joue à
enlève la serviette frapper deux
objets
Attire l'anneau
vers lui à l'aide
de la ficelle
Fait sonner la
clochette

9 mois V : mouvements nets de Accepte le 3e cube Q : émet des syllabes redoublées Q : comprend un interdit
déplacement en lâchant l'un Q : mange avec les doigts
D : se tient debout avec des 2 ou boit seul au biberon ou
appui Saisit la pastille boit au verre maintenu
D : soutenu sous les bras, entre le pouce et
fait des pas l'index
Retrouve le jouet
sous la serviette

10 mois C : se met assis seul Soulève la tasse et Q : Dit un mot de 2 syllabes Regarde ce que l'adulte regarde
D : debout avec appui, lève saisit le cube (sans que celui-ci montre
un pied et le repose caché dessous du doigt)
D : passe d'assis à debout Met un cube Q : Recommence ses
avec un appui dans la tasse ou propres mimiques
le retire
Cherche la
pastille à travers
le flacon
Cherche le
battant de la
clochette qui ont
fait rire

12 mois D : contrôle le passage de Prend le 3e cube Q : secoue la tête pour dire Q : se prête activement à
debout à assis sans se sans lâcher les 2 « non » l'habillage par l'adulte
laisser tomber autres Q : jargonne de manière (donne sa main ou son
D : fait quelques pas, tenu à Lâche un cube expressive pied)
une main dans la tasse
D : Tient debout 3 secondes Remet le rond
sans appui dans son trou
sur la planchette
Gribouille
faiblement sur
démonstration

14 mois D : marche seul couramment Reproduit une tour Q : utilise les onomatopées qui Montre du doigt ce qui
(5 pas) de 2 cubes sur font office de mots pour l'intéresse
D : monte à 4 pattes un modèle désigner objets, animaux, etc.
escalier Remplit la tasse Désigne 1 objet parmi 5 objets
de cubes (au présentés
moins 5)
Introduit la
pastille dans le
flacon
Place le rond
dans son trou
sur ordre
Fait un
gribouillage sur
ordre
17 mois D : marche à reculons Reproduit une tour Q : dit 5 mots Q : boit seul au verre en le
D : pousse du pied le de 3 cubes Désigne 3 objets parmi 10 tenant à 2 mains et mange
ballon Tourne les pages présentés seul à la cuiller
du livre Fait boire, manger ou coiffe
Retire la pastille l'adulte (2/3)
du flacon
Met le rond sur
la planchette
tournée de 180°

20 mois D : donne un coup de pied Reproduit une tour Nomme 2 ou désigne 4 images Assoit, donne à boire et brosse
dans le ballon après de 5 cubes sur 6 la poupée sur ordre (2/3)
démonstration Maintient la Désigne 4 objets parmi 10 Q : joue à faire semblant
D : court avec mouvements feuille de l'autre présentés (imitation différée)
coordonnés main pour Q : Fait des phrases de 2 mots
dessiner (déformés)
Place les 3
morceaux sur la
planchette

24 mois D : donne un coup de pied Aligne les cubes Nomme 6 images sur 15 Q : lave ses mains et essaie de
dans le ballon sur ordre pour copier un Désigne 8 objets ou en nomme les essuyer
D : se tient sur un pied train de 5 cubes 4 parmi 10
avec l'aide Imite un trait Q : Fait des phrases de 3 mots
d'une main tenue sans respect de Q : utilise son prénom quand
la direction il parle de lui
Met les 3
morceaux sur la
planchette
retournée

30 mois D (Q) : monte l'escalier seul en Reproduit un mur Nomme 10 images sur 15 Comprend 2 prépositions sur 5
alternant les pieds (avec ou fait avec 4 cubes Nomme 8 objets parmi 10 proposées (dans, sur,
sans appui au mur) (2 sur 2) présentés derrière, devant, dessous)
D : se tient sur un pied sans Reproduit une Q : utilise un des pronoms Q : enfile seul ses chaussons
aide (2 s) tour de 8 cubes « je, tu, il, elle » ou chaussettes
Imite un trait
horizontal et un
vertical

V : couché sur le ventre ; C : couché sur le dos ; D : debout ; Q : question aux parents. Si aucun item n'est spécifié,
l'enfant est assis devant la table (sur les genoux d'un parent pour les petits).

2. le domaine des coordinations oculomotrices : étude de la préhension et de la


motricité fine, des praxies, du comportement de l'enfant avec les objets ;
3. le domaine langagier : fonctions de compréhension et d'expression, champ lexical,
etc. ;
4. le domaine social : prise en conscience de soi, relations avec autrui, mimiques,
adaptations sociales, etc.

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Zoia S., D'Ottavio G., Blason L., et al. Enfance. 2012;9–23.

1
Cette méthode a été créée à l'origine en Colombie par Rey et Martinez (1978) pour pallier au manque de couveuses
et la pauvreté. Elle consiste à mettre aussi souvent que possible et le plus longtemps possible le bébé peau contre
peau avec sa mère ou son père, enveloppé et bien emmitouflé contre son parent.
2
Encore plus surprenant, ce qui était un comportement réservé à l'être humain s'avère exister chez le singe rhésus :
https://www.youtube.com/watch?v=k72WFYv6WMw
C H A P I T R E 11

Le développement conceptuel
Emmanuel Sander

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Au-delà de l'approche classique des concepts
Des concepts pour abstraire
Conclusion

Introduction
Sans la faculté de s'appuyer sur les régularités révélées par les expériences passées pour
faire face au présent, aucune adaptation n'est possible. Les concepts se développent tout
au long de la vie d'une personne, dès sa naissance, et s'ajustent selon ses expériences.
Sans concepts, l'être humain serait dans un chaos mental permanent et incapable de
donner sens au moindre événement, de prendre la moindre décision, de communiquer,
de mémoriser, d'apprendre, de porter son attention, de faire usage du langage, de
raisonner. Le développement conceptuel du bébé, de l'enfant, de l'adolescent et de
l'adulte oriente sa conception du monde, ses relations avec les autres, ses interactions
avec l'environnement, ses raisonnements, ses décisions, ses apprentissages, ses manières
de faire face à la nouveauté.
L'essentiel des capacités inférentielles résulte de la faculté de catégorisation. Alors
qu'une catégorie est une structure mentale qui permet d'organiser des informations et
d'y accéder, la catégorisation consiste en l'assignation d'une certaine entité ou situation
à une catégorie (Hofstadter et Sander, 2013). Sa fonction est principalement inférentielle
en rendant disponibles des propriétés non immédiatement perceptibles : « après avoir
identifié un objet comme un chien, les gens font des prédictions à propos de ses
comportements futurs ou de propriétés invisibles comme le fait d'avoir un estomac »
(Murphy et Ross, 1994, p. 148–149). La catégorisation donne une perspective sur une
situation, permet d'en construire une interprétation et de faire des hypothèses sur des
éléments non observables (une personne a un estomac), sur des événements à venir (ce
verre en train de tomber va se briser) ou sur le résultat de ses propres actions (si j'appuie sur
l'interrupteur, l'ampoule s'allumera). Comme tout point de vue, une catégorie filtre : elle
ignore certaines propriétés d'une situation et en rend d'autres saillantes (Lakoff, 1987).
La question de la nature des concepts et des processus par lesquelles ils naissent et
évoluent depuis la plus jeune enfance et tout au long de la vie est donc un des chantiers
d'envergure de la psychologie du développement.

Au-delà de l'approche classique des concepts


La position inconfortable de l'approche définitoire
L'approche dite définitoire ou approche classique des concepts, ou catégories (Smith et
Medin, 1981) ne compte plus vraiment de défenseurs sous sa forme stricte1. Elle a
pourtant été la seule envisagée jusqu'au début des années 1970. En effet, depuis les
premiers travaux en psychologie expérimentale (Hull, 1920 ; Smoke, 1932) jusqu'aux
multiples autres initiés dans le prolongement des travaux princeps de Bruner,
Goodnow et Austin (1956) sur les tâches dites d'identification de concepts, il était
considéré unanimement, parfois implicitement tellement cela semblait évident, que
seule la donnée d'un ensemble de propriétés définissait une catégorie. Différents
travaux ont mis une telle conception à l'épreuve.
Wittgenstein (1953) avait déjà mis en cause la possibilité d'une approche définitoire
en notant l'impossibilité d'identifier un ensemble de traits qui définisse de manière
nécessaire et suffisante certaines catégories. Il s'était appuyé sur la notion « d'air de
famille » à propos de la catégorie des jeux, mettant en évidence la difficulté de trouver
des propriétés communes à des jeux aussi différents que, par exemple, le jeu d'échecs et
le rugby. Des catégories abstraites, comme « vérité » (Barsalou et Wiemer-Hastings,
2005), posent aussi des difficultés importantes pour une approche définitoire, et, à vrai
dire, la plupart des catégories résistent aux définitions dès qu'on les examine de
manière approfondie. Murphy (2002, p. 18) cite à ce propos un extrait d'une conférence
inaugurale d'un expert en physique des métaux : « Eh bien, je vais vous dire quelque
chose. Vous ignorez ce qu'est un métal. Un groupe de gens ignore ce qu'est un métal.
Savez-vous comment on appelle ce groupe ? On l'appelle le groupe des experts en
physique des métaux ». Le désaccord sur le nombre et la nature des propriétés
nécessaires et suffisantes pour définir une catégorie n'a d'ailleurs rien de propre à la
physique des métaux et semble même a contrario caractériser l'expertise.
Par exemple, s'il y eut un vif débat entre astronomes pour décider si Pluton est ou
non une planète, ce qu'elle n'est officiellement plus, c'est parce que l'absence de
définition non équivoque de la catégorie planète rendait la question difficile à trancher.
Pour les mêmes raisons, il est inapproprié de se référer à nos cinq sens, car la
proprioception, la thermoception, la nociception, etc., manqueraient à l'appel ; on
mentionne plutôt nos cinq principaux sens du fait de la difficulté à s'accorder sur leur
nombre. Une définition consensuelle du vivant reste également à trouver et les
biologistes bouleversent sans cesse des taxonomies qui semblent pourtant immuables
aux béotiens (Murphy, 2002).
On pourrait être tenté de contrecarrer l'argument de Wittgenstein par l'affirmation du
caractère non conscient de la définition des catégories, car en principe des définitions
non conscientes pourraient exister et leur non-explicitation constituerait simplement
une mise en évidence supplémentaire de la difficulté humaine à conscientiser ses
processus. Dans ce cas, à défaut de pouvoir expliciter des définitions, des observations
conformes aux prédictions auxquelles mène l'approche définitoire apparaissent
nécessaires pour renforcer sa plausibilité. Les investigations expérimentales sur la
nature des catégories menées dès le début des années 1970 par Rosch n'ont pas produit
de tels résultats et ont au contraire mis en évidence des phénomènes dont les théories
contemporaines des catégories et de la catégorisation doivent rendre compte. Le
premier d'entre eux est que les catégories sont hétérogènes : elles ont des structures
graduées.

Les catégories ont des structures graduées


Les recherches initiées par Rosch (par exemple 1975, 1978 ; Rosch et Mervis, 1975) ont
montré qu'une catégorie a en général une structure hétérogène, allant de membres
centraux à des membres marginaux, jusqu'à des membres indécis. Plusieurs indicateurs
distinguent les membres des catégories selon leur typicité. Contrairement à ce que
prédit l'approche classique, un moineau ou un pigeon est plus oiseau qu'un pingouin ou
une autruche. En effet, dans une tâche de production l'un est mentionné plus
fréquemment que, et avant, l'autre, et les corrélations inter-sujets à des tâches de
jugement sur des échelles de typicité sont très élevées (Battig et Montague, 1969 ;
Mervis, Catlin et Rosch, 1976 ; Rosch, 1975). Un fort recouvrement de propriétés
s'observe entre les membres typiques, ce qui n'est pas le cas pour les membres
atypiques (Rosch et Mervis, 1975). Le temps de décision d'appartenance catégorielle
dépend également de la typicité des exemplaires (Rips, Shoben et Smith, 1973 ; Smith,
Balzano et Walker, 1978) et une résolution anaphorique est plus rapide lorsqu'une
phrase mentionnant une catégorie générale est précédée d'une phrase désignant un
membre typique qu'un membre atypique. Par exemple, la phrase « L'oiseau était à
quelques mètres » est lue plus lentement s'il est précédemment fait référence à une oie
(oiseau atypique) qu'à un pigeon (oiseau typique) (Garrod et Sanford, 1977). En outre,
une inférence inductive est plus fréquente d'un membre typique vers un membre
atypique que l'inverse. Par exemple, une maladie infectieuse est considérée plus
contagieuse d'un pigeon vers une oie que l'inverse (Rips, 1975 ; Osherson, Smith,
Wilkie, Lopez et Shafir, 1990). Ainsi, alors que l'approche classique exclut des
distinctions de degré d'appartenance, les indicateurs précédents établissent que, loin
d'être homogènes, les catégories ont des structures graduées, allant d'exemplaires
centraux, à des membres atypiques, voire à des membres incertains. En effet,
l'appartenance catégorielle est non seulement graduée, mais également indéterminée,
car les frontières des catégories sont définies de manière imprécise.

Les catégories ont des frontières floues


La loi du tiers exclu – une entité est membre ou non membre – s'applique-t-elle aux
catégories ? Selon l'approche classique, le critère définitoire est sans appel : les frontières
sont strictes et il n'y a pas d'ambiguïté d'appartenance. En fait, de nombreuses
divergences existent concernant les appartenances catégorielles. Une sandale est-elle
une chaussure ? Une olive est-elle un fruit ? Big-Ben est-il une horloge ? Hampton
(1979) a identifié un certain nombre d'entités qu'environ une moitié de la population
considérait comme membre d'une catégorie et l'autre moitié comme non-membre, par
exemple, parmi une population anglaise, les éviers inclus de justesse et les éponges
exclues de justesse de la catégorie ustensiles de cuisine. La variabilité des réponses
pourrait en principe résulter de catégories aux frontières individuelles strictes, mais
distribuées variablement au sein d'une population. En fait, la variabilité est également
individuelle, car une même personne modifie fréquemment sa décision d'une session
expérimentale à une autre. Ainsi, deux tiers des participants à une recherche de
McCloskey et Glucksberg (1978) pensent qu'un oreiller n'est pas un meuble et un tiers
change d'avis d'un essai à l'autre. Cette indétermination n'est pas le fait d'une versatilité
généralisée des participants, car leur stabilité est sans faille pour d'autres décisions
d'appartenance catégorielle. Ils sont consensuels et persistants sur le fait qu'un chien est
un animal ou qu'une pomme est un fruit, et les mêmes entités qui conduisent à des
jugements contrastés dans la population font l'objet des changements individuels les
plus fréquents.

Les catégories ne se limitent pas aux catégories d'objets


Les catégories sont graduées, leurs frontières floues, et leur nature est diverse. Ainsi, les
catégories naturelles, comme chien ou arbre, qui désignent des entités existant
indépendamment de l'intervention humaine, ou les catégories artéfactuelles, produites
par l'être humain, comme télévision ou vêtement, viennent spontanément à l'esprit. Elles
ont fait l'objet de nombreuses recherches, tout comme les catégories artificielles
construites en laboratoire pour étudier la catégorisation dans le cadre des tâches dites
d'identification de concept (par exemple grand triangle bleu ; Bruner, Goodnow et
Austin, 1956). Des travaux ont porté également sur des catégories de scènes (Tversky et
Hemenway, 1983), comme école ou ville, des catégories d'événements (Morris et
Murphy, 1990), comme sorties au cinéma ou mariage, des catégories abstraites comme
vérité ou moralité, ainsi que sur des catégories construites pour les besoins d'une tâche
(Barsalou, 1983) et non lexicalisées (Schank, 1999), qui sont analysées dans les deux
paragraphes qui suivent. Si les besoins cognitifs humains étaient restreints aux
catégories lexicalisées d'objets, cela remettrait en cause le caractère primordial de la
catégorisation dans la cognition. La variété des sortes de catégories atteste de
l'omniprésence de la catégorisation. On pourrait défendre l'idée qu'il n'y a pas d'activité
sans catégorisation : la diversité des activités entraîne la diversité des catégories.

Les catégories ne sont pas toutes lexicalisées


La conception saussurienne classique distingue l'étiquette lexicale ou signifiant, de la
signification à laquelle il réfère, le sens du mot ou signifié. Elle renvoie à la distinction
en psychologie entre lexique mental et mémoire sémantique. Sans cette distinction,
assimiler étiquette lexicale et catégorie viderait de sens une expression comme « la
signification d'un mot ». La distinction entre étiquette lexicale et catégorie est donc bien
établie. En outre (Hofstadter et Sander, 2013), certaines catégories ont des étiquettes
lexicales complexes, qu'elles soient associées à des mots composés (tire-bouchon) ou à
des expressions (bon à rien, va-nu-pieds, Marie-couche-toi-là). Les proverbes (Tant va la
cruche à l'eau qu'à la fin elle se casse) peuvent également être considérés comme des
étiquettes de catégories qui ne sont pas lexicalisées plus directement (Hofstadter, 2001 ;
Schank, 1999), et les fables comme référant également à des catégories non lexicalisées
(Sander, 2000 ; Sander et Richard, 1997, 1998). Par exemple, la fable d'Esope, Le renard et
les raisins, étudiée par Wharton et al. (1994), dans laquelle « un renard voulait des
grappes de raisin, mais ne pouvait les atteindre, alors il annonça à ses amis que, de
toute façon, les grappes étaient aigres » (p. 67) réfère à la catégorie choses désirées puis
dénigrées faute d'avoir pu être obtenues. L'existence d'une telle catégorie est probable, pas
forcément chez tout un chacun, mais chez un certain nombre d'individus. Cette
catégorie est d'ailleurs lexicalisée en anglais par l'expression « sour grapes » en référence
explicite à la fable2. D'autres catégories sont simplement privées d'étiquette lexicale.
Elles doivent être décrites par des périphrases, soit de manière relativement abstraite
(par exemple la catégorie des situations de type « difficulté de dernière minute, alors
qu'il était déjà très difficile de boucler à temps ») ou par des instances typiques (« c'est
comme la fois où je devais rendre mon rapport absolument le lundi avant 18H et qu'une
panne de courant a paralysé l'entreprise toute la matinée »). Schank (1999), en
introduisant les MOPS (Memory Organization PacketS) et les TOPS (Thematic
Organization PacketS), a proposé que les souvenirs spontanément évoqués par une
situation, les remémorations, manifestent l'activation de catégories abstraites non
lexicalisées. Comme le note Hofstadter (2001), les catégories lexicalisées pourraient
n'être que la partie émergée de l'iceberg et de multiples situations mémorisées comme
des événements spécifiques constituent également des catégories.

La catégorisation est dépendante du contexte


Outre la diversité des catégories, l'hétérogénéité de leur structure et l'imprécision de
leur frontière, les catégorisations dépendent du contexte (Barsalou et Medin, 1986 ;
Richard, 2004). Ainsi, le vieux piano du salon est un meuble dans le contexte d'un
déménagement, un instrument de musique dans celui d'un concert, et éventuellement
un attrape poussière pour la femme de ménage, un instrument de torture pour l'enfant
qui souffre des leçons qu'on lui impose, un signe de raffinement ou de réussite sociale
pour d'autres. Que la tomate soit fruit, légume, aliment, bien de consommation ou de
multiples autres choses est dépendant de la situation de catégorisation. La tomate cesse
d'être fruit à la cuisine et légume dans le jardin (Sander et Richard, 1998). Comme
Barsalou (1982) l'a montré, les propriétés activées d'une catégorie dépendent du
contexte : qu'un ballon de basket soit rond est activé dans tous les contextes, mais qu'il
flotte l'est dans des contextes spécifiques, par exemple des ballons dans un bateau. La
typicité des exemplaires d'une catégorie dépend également du contexte. Lors de la
lecture d'un texte, le contexte phrastique influence la typicité des membres des
catégories auquel le texte réfère (Rips et al., 1973).
Barsalou (1983) a initié l'étude de catégories qui ne préexistent pas en mémoire à long
terme, créées « au vol » pour les besoins d'une tâche, et les a dénommées catégories ad
hoc. Éléments à emporter d'une maison en feu, nourriture acceptable pour un régime dissocié,
cadeaux possibles pour l'anniversaire d'une adolescente urbaine, objets utiles pour un pique-
nique, bagages qui n'ont pas besoin d'être enregistrés en soute sont autant de catégories ad
hoc que tout un chacun est susceptible d'être amené à construire. L'existence même de
ces catégories ad hoc confirme la nature essentielle de la catégorisation dans les activités
humaines, car l'absence d'une catégorie adéquate pour résoudre une tâche est palliée
par la création de cette catégorie. Ainsi, un collier et un disque compact musical, jugés
au départ comme appartenant à des catégories distinctes par les participants (Barsalou,
1983), peuvent être finalement associés comme membre d'une catégorie commune, telle
que cadeaux possibles pour l'anniversaire d'une adolescente urbaine. Sans la
construction de cette catégorie, la possibilité de réaliser la tâche peut être mise en doute.
La construction de telles catégories intervient également dans la théorie de Glucksberg
et Keysar (1990) relative à la compréhension des métaphores, qui stipule qu'une
catégorie ad hoc est créée pour interpréter une métaphore. Par exemple, comprendre la
métaphore « son travail est une prison » nécessite selon eux la création d'une catégorie
ad hoc dénommée prison comme la prison matérielle, mais caractérisée essentiellement
par la propriété lieu déplaisant dans lequel on est confiné contre sa volonté. Cette
catégorie une fois créée, la cible (son travail) y serait assignée pour permettre la
compréhension de la métaphore. Comme Barsalou (1991) l'a montré, les catégories ad
hoc ont une structure graduée, avec des membres typiques et d'autres atypiques. Si une
tâche s'avère récurrente, par exemple si le pique-nique devient un rituel familial durant
l'été, ces catégories perdent leur statut ad hoc pour celui de catégories traditionnelles
stockées en mémoire à long terme.
Ainsi, il s'avère que les catégories sont de natures diverses, ont une structure graduée
et des frontières indéfinies, ne sont pas nécessairement lexicalisées et peuvent se
construire pour les besoins d'une tâche. Elles ont pour fonction de permettre des
inférences, en enrichissant la représentation de la situation : l'essence de la
catégorisation est d'être un déclencheur inférentiel. La multiplicité des catégorisations
possibles pour une même entité permet de changer de point de vue selon les besoins de
la tâche. L'abstraction, qui se manifeste par la propension naturelle des catégories à
s'étendre pour assimiler la nouveauté et qui permet, selon le contexte, de distinguer des
entités ou, à l'inverse, de les regrouper, a un statut cognitif essentiel.

Des concepts pour abstraire


L'abstraction résulte d'une propension à la généralisation et au changement de point de
vue qui répond à une nécessité cognitive de chaque instant. En premier lieu, deux
événements, deux objets ne sont jamais à strictement parler identiques. Pour mettre à
profit les acquis antérieurs, il est nécessaire et irrépressible de dépasser l'expérience
singulière et de la généraliser.

Abstraire pour prendre et changer de point de vue


Hofstadter (1995, 2001) a exprimé cette idée à travers la notion de halo conceptuel qui
caractérise à la fois l'idée de centralité et de degré d'appartenance variable à une
catégorie, mais aussi, ce qui n'est pas présent dans la théorie de Rosch, celle d'extension
naturelle des catégories. Ce phénomène est au cœur de l'appréhension de la nouveauté
et se manifeste par une tendance « expansionniste » des catégories à toujours repousser
leurs frontières. L'argument de plus grand poids pèse zéro gramme sur une balance,
tout en pesant lourd dans la balance, parce que les concepts poids et balance ont acquis
des significations abstraites. Cette abstraction se repère également aux sauts
sémantiques sur lesquels reposent des phrases aussi anodines que « la même chose m'est
arrivée », « c'est toujours comme ça », « la prochaine fois, on ne m'y reprendra pas ». De quelle
« prochaine fois » parle celui qui prononce cette dernière phrase suite à une déception
amoureuse ? Lorsque la « même » chose se produira avec la « même » personne ? Oui,
sans doute, mais ces « même » sont emplis d'abstraction. Hofstadter (1995) cite un
dialogue dans lequel une personne récemment mariée se trouve confuse devant le
garagiste parce qu'elle doit refaire le chèque qu'elle a signé de son nom de jeune fille ; ce
dernier lui répond « moi aussi, la même chose m'arrive en janvier chaque année »
(faisant allusion cette fois au changement de date). Ces « moi aussi » sont monnaie
courante dans la vie quotidienne. On ne leur prête guère attention parce que
l'abstraction est naturelle et que la littéralité semblerait souvent incongrue. Tabletop
(French, 1995) est précisément dédié à la simulation de tels « moi aussi » : deux
personnes se font face dans un restaurant, l'un fait quelque chose, par exemple toucher
sa tasse, et l'autre doit faire « la même chose », ce qui coule de source s'il a une tasse,
mais offre souvent de multiples possibilités de réponse nécessitant des glissements
sémantiques d'ampleur variable selon le contexte si ce n'est pas le cas.
Sur le plan du changement de point de vue, la diversité des niveaux d'abstraction
auxquels il peut être utile de catégoriser est due à la fois à l'importance de distinguer et
à celle de regrouper. D'un côté, existe-t-il meilleure distinction que l'assignation à
différentes catégories pour distinguer entre deux entités ? N'est-ce pas l'essence même
de la distinction que l'existence de catégories distinctives ? Mais, d'un autre côté, les
mêmes entités que l'on souhaite parfois distinguer (un garçon, une fille) peuvent se
regrouper dans une même catégorie dans certains contextes (des élèves). Le
regroupement, dont la pertinence n'est pas moindre que la distinction, repose sur
l'existence d'une catégorie qui englobe ces entités, c'est-à-dire sur l'existence d'un point
de vue qui les associe. Les relations de super-ordination et de subordination induisent
des points de vue auxquels l'importance cognitive du regroupement et de la distinction
conduit à donner un statut privilégié. La conséquence directe d'une catégorisation à un
niveau plus abstrait est que le faisceau de traits associé à cette catégorie s'applique : telle
est la manifestation de l'héritage de propriétés.
La flexibilité cognitive humaine, dans sa diversité, dépend profondément de la
capacité à varier les niveaux d'abstraction de la catégorisation tout simplement parce
qu'il est tantôt utile de distinguer et tantôt utile de regrouper. La subtilité repose parfois
sur la distinction, comme un expert qui reconnaît des variations là où le novice perçoit
l'identité. Pourtant, la subtilité repose tout autant sur le rapprochement. L'accroissement
des degrés d'abstraction, c'est-à-dire de la généralité des points de vue possibles,
conditionne l'adaptabilité dans la mesure où elle multiplie les possibilités de distinction
et de regroupement en fonction de la situation.
Abstraction et expertise
La diversité d'abstractions accessibles peut être envisagée comme un indicateur
d'expertise dans un domaine. Les connaissances acquises sont structurées et
l'organisation de celles-ci en catégories a un rôle essentiel dans cette structuration (Ross,
Gelman et Rosengren, 2005). Depuis les recherches princeps de Chi et al. (1981), la
démonstration a été faite qu'experts et novices catégorisent différemment. Les novices
en physique regroupent des problèmes faisant intervenir les mêmes objets, comme des
problèmes de poulie ou de plans inclinés. Les experts tiennent aussi compte de ces traits
de surface, mais regroupent les problèmes selon le principe physique mis en jeu, par
exemple la troisième loi de Newton. Les novices, contrairement aux experts,
construisent leurs catégories essentiellement sur la base d'informations superficielles,
comme les objets spécifiques, les termes utilisés, la forme de la question (Chi et al., 1981 ;
Schoenfeld et Herrmann, 1982). Chi et VanLehn (1991) ont montré également que les
élèves les plus performants sont ceux qui catégorisent les énoncés en fonction des
principes de solution.
En outre, le niveau d'expertise n'influence pas uniquement la nature de la
catégorisation, mais également son degré d'abstraction. En effet, plusieurs mesures,
perceptives ou fonctionnelles, convergent vers la mise en évidence d'une catégorisation
à un niveau d'abstraction particulier, le niveau de base (Rosch, 1978 ; Rosch et al., 1976),
qui n'est pas indépendant de l'expertise. Niveau le plus abstrait pour lequel les
membres de la catégorie ont des formes similaires et reconnaissables, il est aussi choisi
préférentiellement lors de la dénomination. Ainsi, un objet inanimé ayant quatre pieds,
un siège, et un dossier dans une configuration particulière sera dénommé chaise plutôt
que chaise de bureau ou meuble. Ce niveau est le plus informatif, car nettement plus
d'attributs sont donnés pour le définir que pour celui directement superordonné, et peu
d'attributs supplémentaires sont donnés pour définir un niveau subordonné (un meuble
est défini par peu d'attributs, une table par beaucoup plus, une table de cuisine par à
peine plus).
Alors que Fodor (1986) faisait volontiers du niveau de base le résultat d'un traitement
modulaire, Tanaka et Taylor (1991) montrent que ce niveau privilégié de catégorisation
n'est pas obtenu par des critères indépendants de l'observateur. Des experts en chiens et
en oiseaux catégorisent à la même vitesse au niveau subordonné et au niveau de base
dans leur domaine d'expertise, et plus lentement au niveau superordonné, alors que
l'avantage du niveau de base est retrouvé pour des novices. Ces résultats ont été
confirmés par des expériences de Johnson et Mervis (1997) qui ont montré que les
meilleurs experts pouvaient traiter comme un niveau de base, sans que ce dernier perde
son privilège, des niveaux ayant deux degrés de subordination par rapport au niveau
de base pour un novice.
Pour des catégories naturelles comme les arbres, les recherches de Berlin (Berlin,
1992) laissaient entrevoir une certaine universalité du niveau de base correspondant à
l'espèce (chêne, marronnier, sapin) pour différentes cultures et différentes populations,
comme les locuteurs Tzeltal (Mayas du Mexique). Elles ont été modulées par des
recherches auprès de populations urbaines peu en contact avec la nature dont le niveau
de base semblait avoir gagné un degré du super-ordination et être arbre (Dougherty,
1978 ; Rosch et al. 1976).
Si ces travaux ont bien mis en évidence l'interaction entre niveau d'expertise et niveau
d'abstraction de la catégorisation, la possibilité qu'une part de l'expertise consiste en la
possibilité de varier les niveaux d'abstraction de la catégorisation des situations en
fonction du contexte de la tâche est à explorer de manière plus approfondie. Chatard-
Pannetier, Brauer, Chambres et Niedenthal (2002) ont étudié la manière dont des
experts se représentent les informations dans leur domaine d'expertise. Dans une tâche
de tri portant sur des fauteuils d'antiquité, ils ont montré que des antiquaires, experts en
meubles, tiennent compte d'un nombre plus important de critères, à la fois concrets, tels
que la présence d'accoudoirs, et abstraits, tels que la similitude de style avec des
meubles modernes. Les novices, libraires spécialistes en livres anciens, prennent en
compte quant à eux principalement des critères concrets pour la même tâche, comme
par exemple la présence de bois. Les experts utilisent un nombre plus important de
niveaux de catégorisation pour se représenter les stimuli dans leur domaine d'expertise.
Les novices se représentent la catégorie de manière peu profonde, avec peu de niveaux,
et étroite, avec peu de classes.

Les concepts à l'articulation de l'incarnation et de


l'abstraction
De l'approche définitoire de la catégorisation (Collins et Quillian, 1969) aux théories
fondées sur la similarité avec des prototypes (Rosch, 1976) ou des exemplaires
rencontrés préalablement (Smith et Medin, 1981), de l'approche des schémas (Kintsch et
Greeno, 1985) à celle des modèles de situation (Nathan, Kintsch, et Young, 1992), d'une
vision logiciste du raisonnement (Braine et O'Brien, 1998) à la mise en évidence de
l'influence massive du contenu des prémisses (Stanovitch, 1999), de la conception d'une
pensée humaine symbolique (Newell et Simon, 1972) à la réhabilitation de l'analogie et
de la métaphore au cœur des mathématiques ou de la philosophie (Lakoff et Johnson,
1999 ; Lakoff et Nunez, 2000), et plus généralement de la pensée (Hofstadter, 1995,
2001 ; Sander, 2000), ces mouvements ont en commun d'ancrer la cognition dans une
certaine concrétude.
Deux points de vue souvent présentés comme opposés semblent alors nécessaires à
articuler. D'une part, les approches qui récusent une vision de la cognition fondée sur
des manipulations symboliques formelles ont connu des développements sans
précédents durant les dernières décennies, notamment à travers l'essor du courant de la
cognition incarnée (Gibbs, 2005 ; Overton, Müller et Newman, 2008 ; Pecher et Zwann,
2005 ; Varela, Thomson et Rosch, 1991). La mise en évidence du caractère particularisé
des représentations sur lesquelles opèrent les raisonnements, de la base expérientielle
des catégorisations, ainsi que de la place prépondérante de l'analogie et de la métaphore
dans la cognition font partie des contributions majeures de ces courants.
Cette vision exclut celle d'un développement dont l'aboutissement serait une pensée
symbolique désincarnée guidée par les règles de la logique. Elle substitue des
continuités à des oppositions en associant le passé et le présent (l'un se comprend par
l'autre), l'esprit et le corps (l'un donne forme à l'autre), l'expert et le novice (la
métaphore reste reine). Toutefois, savoir que l'être humain n'a pas seulement les pieds,
mais aussi « le cerveau » sur terre, que ses expériences lui font construire des catégories,
qu'il s'appuie sur elles et dépend d'elles pour penser les situations et en construire
d'autres ne signifie pas pour autant que toute pensée soit « terre-à-terre ». En effet, les
actes les plus anodins recèlent une abstraction, difficile à percevoir précisément parce
qu'elle est consubstantielle de la pensée : son omniprésence la rend invisible. La capacité
humaine de rapprocher des situations qui diffèrent en apparence repose sur une
perception de l'identité au-delà de la différence, qui conditionne les conduites
adaptatives les plus élémentaires tout comme les mises en relations les plus créatives.
« Quand un navire coule, on ne jette pas le capitaine par-dessus bord », affirme un
administrateur d'une banque venant à la rescousse de son président lorsque des voix
s'élevèrent pour le pousser à la démission. Cette phrase illustre, parmi des myriades, la
métaphoricité et l'ancrage de la pensée, certes, et est en même temps une démonstration
d'abstraction, car, durant ce processus, une banque est devenue navire, une perte
financière lui a fait prendre l'eau, un chef d'entreprise s'est métamorphosé en capitaine,
une sollicitation à la démission est devenue une mise à la mer.

Conclusion
Ainsi, dès la plus jeune enfance la pensée mobilise sans cesse des catégories et « glisse »
de l'une à l'autre en fonction de la situation. La diversité des catégorisations repose sur
la multiplicité des perspectives applicables à une même situation et sur la capacité de
passer d'une perspective à une autre. Une dimension adaptative de l'abstraction est
orientée vers la prise du point de vue le plus adéquat parmi l'ensemble des points de
vue possibles : les entités et les situations requièrent d'être parfois regroupées selon une
même catégorie, et parfois distinguées selon différentes catégories. La disponibilité
d'une pluralité de niveaux d'abstraction rend possible de catégoriser au niveau le plus
adapté. Un enjeu majeur des recherches sur le développement conceptuel est donc de
concilier une approche qui articule la métaphoricité de l'esprit humain ainsi que son
caractère incarné avec l'abstraction et la flexibilité de sa cognition.

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1
Malgré quelques tentatives pour concilier les premiers résultats expérimentaux défavorables à l'approche classique
(Osherson et Smith, 1981 ; Smith, Rips et Shoben, 1974).
2
L'expression « les raisins sont trop verts » a les faveurs du dictionnaire de l'Académie française suite à la reprise par
Jean de La Fontaine de la fable d'Esope dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, mais pas forcément celle des locuteurs
français ; elle semble peu connue.
CHAPITRE 12

Le développement du langage
Caroline Guerini; Louise Goyet

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Au commencement du langage : la période avant 2 ans
La période langagière de 2 ans à 5 ans
Conclusion

Introduction
Le langage permet de moduler les connaissances et pensées que nous avons sur le
monde et se définit comme une fonction d'expression de la pensée et de la
communication entre les hommes. C'est grâce aux organes de la phonation (à savoir la
parole) et au moyen d'autres signes matériels (écriture, gestes, dessins) que le langage
s'exprime. Le langage est un outil par lequel les humains élaborent leurs différents
systèmes de communication linguistique (langues orales, langues signées, langues
écrites) qui leur permettent de concevoir et d'acquérir des systèmes de communication
élaborés, et qui constitue également un instrument privilégié pour manipuler des
représentations mentales et abstraites (les concepts) pour penser. Les études ont permis
de découvrir chez le jeune enfant l'existence de capacités perceptives précoces
participant dès le début de la vie à l'acquisition du langage. Cette découverte amène
ainsi depuis un demi-siècle, les chercheurs à déterminer quels sont les mécanismes
d'acquisition précoces de la parole qui permettent aux enfants d'apprendre leur(s)
langue(s) maternelle(s). Ces recherches ont grandement modifié les théories de
l'acquisition du langage, soulignant ainsi que l'acquisition du langage repose sur un
système qui entre en action bien avant la production des premiers mots, et cela
probablement même avant la naissance. Selon les théories des innéistes et des nativistes
(Chomsky, 1957, 1965 ; Melher et Dupoux, 1990 ; Jusczyk, 1997 ; Spelke, 1998), les
enfants posséderaient des capacités d'acquisition langagières spécialisées et seraient
équipés à la naissance d'un dispositif spécialisé de contraintes et de connaissances sur ce
que peuvent être les langues. Les nativistes (Melher et Belver, 1967 ; Spelke, 1998, et
Melher et Dupoux, 1990) défendent une théorie nativiste qui sous-tend que « naître
humain, c'est posséder à la naissance les caractéristiques de l'espèce et par exemple la
prédisposition au langage. Et si dans ces caractéristiques spécifiques figure une grande
capacité d'évolution des connaissances, naître humain c'est déjà naître avec un bagage
de connaissance de base : un core knowledge (Spelke, 1998) ». Cette théorie postule que
l'enfant posséderait dès la naissance un bagage cognitif avec des mécanismes prêts à
fonctionner et qui seraient dépendants de toute influence de l'environnement
(Christophe, Dupoux, Bertoncini, et Mehler, 1994 ; Nazzi, 1997 ; Christophe, et Morton,
1998).
À l'opposé, le courant socio-constructiviste (Wallon, 1934, 1941, Vygotsky, 1934,
1933/1985, Bruner, 1974, 1983a, 1983b) postule que l'expérience précoce sensorielle
jouerait un rôle majeur dans la mise en place et initialisation des compétences
sensorielles et cognitives de l'enfant. Cette dernière accorde un poids important à
l'expérience sensorielle qui influence le développement de l'enfant et ne considère pas
l'existence unique d'un innéisme développemental (voir chapitre 7). De plus, les
théories socio-constructivistes ont permis de mieux comprendre quels étaient les
facteurs liés à l'apprentissage du langage oral, en particulier le rôle des premières
interactions, et leurs évolutions tout au long de la petite enfance (voir chapitre 8).
Dans ce chapitre, nous présentons les données développementales de l'acquisition du
langage durant la petite enfance jusqu'à 5 ans, en considérant de façon conjointe, d'une
part les aspects linguistiques, et d'autre part les contextes d'interaction qui participent à
cette évolution langagière.

Au commencement du langage : la période avant 2 ans


Le développement prénatal
Il a été mis en évidence que le fœtus présente une sensibilité auditive au milieu utérin
bruyant. En effet, les bruits internes (respiration, bruits cardio-vasculaires ou gastro-
intestinaux), les bruits extérieurs atténués par la membrane utérine et le bruit puissant
du cœur de la mère seraient très tôt perçus par le fœtus. Tout cela constitue donc pour
lui une stimulation auditive précoce qui sert de signaux pour le début du
développement du système auditif (Busnel et Granier-Deferre, 1983). Dès la 25e semaine
(6 mois) de gestation, le système auditif du fœtus commence à fonctionner. L'étude de
Querleu, Renard, et Versyp (1981) indique qu'à partir du sixième mois, le fœtus
présente des aptitudes à traiter ces sons linguistiques et à se familiariser avec les
propriétés spécifiques de la voix de sa mère et de la langue (ou les langues) parlée(s) par
cette dernière. Il commence également à être sensible aux indices prosodiques des sons
de parole (durée, intensité, fréquence de la parole) c'est-à-dire, aux intonations des
phrases et aux éléments rythmiques qui constituent la langue. Les travaux pionniers de
DeCasper et Fifer (1980) et DeCasper et Spence (1986) ont montré que dès 33 semaines
de gestation, le fœtus présente une sensibilité à la voix de la mère (qui peut être perçue
in utero en étant transmise à la fois par le milieu extérieur (voie aérienne) et par le milieu
intérieur (corps de la mère : os, tissus) voire même à l'intonation ou au rythme de la
voix de sa mère. Ainsi selon l'étude de DeCasper et al. (1994) le fœtus commence à
traiter et à se familiariser avec le langage et à en distinguer des propriétés linguistiques.
Cette expérience prénatale influencerait par la suite les capacités perceptives postnatales
impliquées dans le traitement des sons de la parole.

La période prélangagière : de la naissance à 2 ans


Le mot enfance provient du latin infans : celui qui ne parle pas bien, ou qui ne parle pas
encore. Cela correspond à la période de la naissance à l'âge de 5 ans, qui est celle de
l'émergence progressive du langage, jusqu'à la maîtrise du langage oral, dans ces
principales caractéristiques sur les plans lexical (mots), syntaxique (combinaison des
mots) et pragmatique (usage du langage en contexte, Bernicot, 1992, Bernicot et Bert-
Erboul, 2014).

Les dispositions aux interactions et au langage : de l'interaction à la


communication
Les premiers mots de l'enfant (reconnaissables par l'entourage) apparaissent vers l'âge
de douze mois, pour constituer entre 1 an et 5 ans un lexique de près de deux mille
mots, avec un accroissement rapide et important de celui-ci entre l'âge de 3 ans et 5 ans.
De nombreux psychologues ont souligné cet apprentissage extraordinairement rapide
du langage pendant cette période de la petite enfance (cf. Boysson-Bardies, 1996).
Au cours des deux premières années de vie, le jeune enfant commence à traiter et à
discriminer plus finement les sons de la parole humaine, à communiquer par le biais
d'expressions faciales, de gestes et de productions vocales. Ainsi dès la naissance, les
premières interactions sociales se mettent en place entre l'enfant et son environnement.
Dans la première année de vie, un système de communication sociale prélinguistique se
crée, par le biais d'échange de sourires, de dialogues vocaux et d'activités gestuelles. Ce
système de communication est dit asymétrique du fait que le jeune enfant ne contrôle
pas ses productions vocales et que son interlocuteur est capable d'interpréter les
messages émis par le jeune enfant. Au fur et à mesure du développement, l'enfant
apprend à communiquer socialement, selon des règles et codes communs à sa culture et
environnement social et commence à élaborer ses premières productions vocales, en
passant des cris, aux babillages, aux premiers mots, puis par la construction de phrases
complexes.
Il convient néanmoins de distinguer les termes « interaction » et « communication »
(Nadel, 1994). L'interaction définit les conduites de partenaires l'un envers l'autre sans
qu'il y ait forcément mise en commun de référent. En revanche, la communication,
verbale ou gestuelle, suppose le partage par deux ou plusieurs individus de thèmes
conversationnels, autour d'un référent. D'un point de vue développemental, les
recherches récentes ont conduit à s'interroger sur les premières interactions sociales, et à
en comprendre l'émergence et les évolutions.

Les interactions précoces : les premiers formats d'échange

L'imitation néonatale
Comme présenté dans le chapitre précédent, le nouveau-né de quelques heures et de
quelques jours présente le réflexe de succion : mouvements spontanés de la bouche et
de la langue si l'on stimule la lèvre du bébé. Il est également capable d'imiter à partir
d'un modèle, un comportement de protrusion de la langue, et d'ouverture de la bouche
(Meltzoff et Moore, 1977, 1983, 1989). Ce comportement s'observe lorsque le nouveau-né
est en état d'éveil calme, et lorsque l'adulte fait le mouvement de tirer la langue ou
d'ouvrir la bouche. C'est en effet le mouvement qui attire l'attention du bébé. Celui-ci
produit davantage d'imitations faciales, par rapport à une stimulation visuelle telle que
l'ouverture de la main. D'autre part, on note le caractère volontaire de la part du bébé
lors de l'imitation, l'effort dans la production du comportement. Cette imitation de la
protrusion de la langue va au-delà du simple réflexe, car elle est marquée par l'effort du
bébé à reproduire le même comportement que celui de l'adulte, orienté et en direction
de celui-ci. Bower soulignait déjà en 1977 le caractère précis et social de l'imitation chez
le bébé : « La quantité de coordination inter-sensorielle préétablie qu'implique l'aptitude
du nouveau-né à imiter est infiniment plus étonnante que tout ce que nous avons
rencontré dans l'examen des capacités perceptives. Le contrôle moteur de la bouche, de
la langue, des yeux ou des doigts y est infiniment plus précis que tout ce que nous
avons vu dans les études sur la motricité du nouveau-né. Et toutes ces capacités sont
mises au service de ce qui, je pense, est clairement, un but social. Le nouveau-né prend
plaisir à l'interaction sociale avec les adultes » (p. 35).
Ces études expérimentales ont soulevé la question de l'interprétation de ces conduites
d'imitation précoces. En effet, comment le nouveau-né de quelques heures, peut-il
imiter un mouvement du visage, alors qu'il n'a jamais vu de visage ? L'interprétation
des auteurs privilégie l'accordage sensoriel, un système d'équivalences entre canaux
sensoriels, ce qui correspondrait à une capacité d'analyse innée amodale (indépendante
d'une modalité sensorielle spécifique). Autrement dit, le nouveau-né percevrait
l'équivalence entre sa propre perception des mouvements de sa bouche, et les
mouvements de la bouche de l'adulte.
Dans cette période du début de la vie, se bâtit le système de communication imiter/
être imité (Nadel, 1994, 2011). En effet, imiter le bébé a pour effet d'obtenir le contact œil
à œil, et d'établir déjà l'intérêt social pour l'autre. Il s'agit d'un format d'interaction
rudimentaire, sans intermédiaire cognitif symbolique, mais format puissant pour
l'échange émotionnel et la reconnaissance de l'autre comme partenaire de l'interaction.
L'observation de l'imitation néonatale rejoint les études qui soulignent la sensibilité et
l'attirance du nouveau-né pour le visage humain. En outre, durant les premières
semaines après la naissance, le bébé ne voit bien un objet que s'il est à une distance de
20–30 cm. Il se trouve que cette distance est celle du bébé avec le visage de l'adulte qui
le porte. De plus, le visage humain possède toutes les caractéristiques qui stimulent les
bébés : mouvements (yeux, bouche, tête) avec sons (voix). Toutes les conditions à
l'interaction sociale sont ainsi réunies, à la condition première que l'adulte initie cette
interaction. Vinter (1985) a montré que l'imitation néonatale diminue et disparaît
progressivement après six à huit semaines. Ce premier format laisse place ensuite à une
période riche en partage émotionnel, entre deux et cinq mois.

Les proto-conversations
Cette période de deux à cinq mois est caractérisée par l'échange émotionnel entre le
nourrisson et les personnes de l'entourage. Bower (1977) a été un des premiers à étudier
le sourire social qui apparaît aux alentours de six à huit semaines après la naissance, et à
montrer l'attirance considérable que le bébé a pour les personnes qui sont interaction
avec lui. Notons que l'acuité visuelle s'améliore vers deux-trois mois et que l'enfant
manifeste un intérêt accru pour les personnes et leurs paroles. Trevathen (1979) a
nommé par le terme « intersubjectivité » la capacité innée du bébé à percevoir les
émotions chez l'autre et à s'y accorder, c'est-à-dire à répondre, et à influencer aussi les
émotions de l'autre. C'est la rencontre de deux subjectivités qui vont s'influencer et se
modifier en fonction de la relation à l'autre. Soulignons que le concept
d'intersubjectivité est largement repris dans le contexte de la psychopathologie
(Georgieff et Speranza, 2013).
Trevarthen (in Nadel & Camaioni, 1993) rapporte un ensemble de ses recherches sur
le sujet, et montre que dès deux mois, on peut observer des conversations entre l'adulte
et l'enfant, certes rudimentaires (d'où le terme « proto-conversations »), mais qui
révèlent la capacité du nourrisson à participer à un échange alterné (verbalisations pour
l'adulte et babillage pour le bébé), selon des tours de parole (voir chapitre 36). L'échange
se fait aussi par le partage des émotions exprimées par le visage, la posture, les
intonations. L'expérience de la double vidéo menée par Murray et Trevarthen, en 1985,
démontre assez clairement que le nourrisson de deux mois réagit très rapidement aux
perturbations des signaux de communication, en particulier à l'absence de synchronie
interactionnelle et émotionnelle. Le bébé et la mère se regardent dans une situation de
face à face par un système de caméra, moniteur et magnétoscope. Ils peuvent ainsi
interagir même sans la présence physique. Le dispositif a été conçu d'une part pour
permettre la proto-conversation avec synchronie dans la mesure où les deux se voient et
s'entendent en direct, et d'autre part, pour établir une interaction sans synchronie (on
montre au bébé une séquence enregistrée de la mère par l'intermédiaire du
magnétoscope). Cette astuce expérimentale permet de montrer que le bébé réagit dans
la situation sans synchronie, par des froncements de sourcil, des expressions de
grimace, de désintérêt pour la situation, alors qu'il s'agit pourtant toujours du visage de
la mère. Ceci tend à valider que dès l'âge de deux mois, le nourrisson est sensible aux
signaux de la communication, et que c'est l'accordage émotionnel dans la synchronie
interactionnelle qui maintient l'engagement du nourrisson dans l'interaction.
Boysson-Bardies (1996) relève que le bébé est très attentif à une personne qui lui
parle. L'auteur rapporte deux expériences, celles de Kuhl et Meltzoff (1984) et de
MacKain et al. (1983) qui montrent que, à partir de cinq mois, le bébé peut mettre en
correspondance les voyelles qu'il entend avec les mouvements de la bouche qu'il
observe (perception intermodale entre la vision et l'audition). Cette capacité à mettre en
correspondance la vision et l'audition apparaît capitale pour l'acquisition du langage, et
renforce l'importance des premières interactions en face à face entre le nourrisson et
l'adulte. Le bébé étant capable de relever des invariants, on peut dire que la formation
du langage se produit dès cette période de la vie, dans le cours des interactions (Yeung,
Werker, 2013).
Le fait que le partenaire social suscite chez le nourrisson à la fois de l'intérêt et une
émotion positive amène certains auteurs à soutenir la thèse d'une motivation très
précoce pour l'engagement social (Trevarthen, 1974). Il semblerait en effet que
l'imitation réciproque entre la mère et le bébé soutienne l'échange chez le bébé
(Kugiumutzakis, 1993, 1999 ; Pawlby, 1977). Nagy et Molnar (2004) ont même mis en
évidence qu'après avoir montré un geste plusieurs fois au nouveau-né, puis marqué une
pause, celui-ci relance l'interaction en initiant le geste. Cette alternance d'imitations de
l'un et de l'autre prend la forme de dialogues gestuels, annonçant les échanges plus
élaborés dont l'enfant sera capable par la suite. Au cours des quarante dernières années,
les chercheurs C. Trevarthen, D. Stern, E. Tronick ou B. Beebe ont montré que le
nourrisson est capable très tôt de s'impliquer dans des échanges sociaux et de les
influencer, notamment grâce à une compétence temporelle et rythmique déjà bien
développée à la naissance (pour une revue de cette littérature, voir Pouthas, 1995).
Réciproquement, l'entourage soutient le nourrisson dans sa curiosité. Les adultes qui
s'adressent au nourrisson modifient spontanément la prosodie de leur parole (Fernald
et Simon, 1984 ; Stern, Spieker et McKain, 1982), et adaptent d'ailleurs instinctivement
son langage pour attirer son attention, en simplifiant les mots (cf. « motherese » : « le
parler bébé »). En modulant son discours, l'adulte soutient le bébé dans sa capacité à
maintenir son attention (Fernald et al., 1989 ; Papoušek, Papoušek et Bornstein, 1985), à
travers une intonation et des gestes plus calmes et posés lorsqu'il s'excite et à l'inverse,
avec des gestes plus toniques lorsque le bébé se désintéresse.

Le traitement précoce du langage


Dès la première année de vie, les enfants sont sensibles aux propriétés prosodiques de
la parole. Après leur étude sur les nourrissons de moins de quatre jours montrant que
les bébés ont une préférence pour la voix de leur mère (DeCasper et Fifer 1980), l'équipe
de Decasper a été plus loin en comparant non seulement la réaction des bébés (3 jours) à
la voix maternelle et la voix d'une femme qui est étrangère à l'enfant, mais également
pour les deux types de voix, une version normale de la voix ainsi qu'une version de
laquelle les sons aigus ont été filtrés (qui ressemble à un enregistrement intra-utérin
grave) ont été présentées aux enfants. Les nouveau-nés préfèrent les versions (naturelle
et filtrée) de la voix de leur mère comparées à celles d'une voix étrangère. Pour ce qui
est de la voix de la femme étrangère, les enfants préfèrent la voix naturelle que filtrée.
Cette préférence serait liée à l'expérience fœtale avec les composantes de la voix
maternelle entendue in utero (Spence et DeCasper, 1986). Ces travaux soulignent bien
l'influence de l'expérience prénatale sur la reconnaissance des voix et des propriétés
prosodiques vocales chez le nouveau-né.
À un âge précoce, les enfants présentent une sensibilité aux propriétés
rythmiques/prosodiques de leur langue maternelle. Pour étudier cela, des recherches
ont exploré la capacité des jeunes enfants à discriminer des énoncés de langues non
natives. Les premières études qui ont étudié cette question ont conclu que les capacités
de discrimination des langues par le nouveau-né reposaient sur la reconnaissance des
propriétés prosodiques de leur langue maternelle (Mehler, Jusczyk, Lambertz, Halsted,
Bertoncini, et Amiel-Tison, 1988 ; Moon, Penneton-Cooper, et Fifer, 1993 ; Nazzi,
Bertoncini, et Mehler, 1998a). Des études portant sur la discrimination du pattern
rythmique des langues ont révélé que dès la naissance les nourrissons sont capables de
discriminer des langues appartenant à des classes rythmiques différentes. Ils ne peuvent
cependant discriminer des langues appartenant à la même classe rythmique (Nazzi,
Bertoncini, et Mehler, 1998a). Ainsi, Nazzi et al. (1998a) ont présenté à des nouveau-nés
francophones différentes combinaisons de langues qui leur étaient non-familières
(japonais, anglais, néerlandais). La distance rythmique entre ces langues était manipulée
de façon systématique, les langues contrastées appartenaient soit à deux classes
rythmiques différentes (anglais à stress et japonais moraïque), soit à la même classe
rythmique (anglais et néerlandais à stress). Les résultats ont fait apparaître une
discrimination seulement dans le cas des langues de classes rythmiques différentes. De
même, selon l'étude de Christophe et Morton (1998), cette incapacité à distinguer deux
langues de même classe rythmique s'étend à la langue maternelle du nourrisson. Ainsi
les nourrissons britanniques âgés de deux mois ne discriminent pas les énoncés anglais
des énoncés néerlandais. Cependant, des données plus récentes ont mis en évidence que
dès 4–5 mois, les nourrissons deviennent capables de discriminer leur langue maternelle
d'une langue de même classe rythmique (Bosch et Sebastian Gallés, 1997 pour des
résultats avec des enfants espagnols et catalans âgés de 4 mois ; Nazzi, Jusczyk, et
Johnson, 2000b, avec des enfants américains anglophones de 5 mois).
Les jeunes enfants sont également sensibles à une forme intonative particulière du
langage décrite précédemment : le motherese (parler-bébé). Cette forme de langage se
caractérise par une modulation de la prosodie de la voix des adultes, une simplification
du vocabulaire (mots simples) et de la syntaxe, de nombreuses répétitions, des
répétitions syllabiques, des variations de hauteur très exagérée, et une intonation très
marquée. D'après l'étude de Fernald (1985), dès 2–4 semaines, le jeune enfant présente
une préférence pour le motherese comparé à un langage adressé à l'adulte. Ces résultats
ont été confirmés par l'étude de Pegg, Werker et McLeod (1992) à 7 semaines et
montrent que les enfants sont sensibles aux variations prosodiques de leur langue
maternelle.
Par ailleurs, les jeunes enfants présentent des capacités à discriminer des contrastes
phonétiques (phonème : unité phonologique minimale qui existe dans un système
linguistique) de leur langue maternelle ainsi que des langues étrangères. Les travaux
pionniers d'Eimas et al. (1971) ont pu mettre en évidence qu'entre l'âge de 1 et de 4 mois,
les bébés sont capables de percevoir des contrastes phonétiques bien avant d'en avoir
produits. En effet, dès les premiers mois de vie, on observe chez les jeunes enfants des
capacités perceptives universelles leur permettant de discriminer des sons proches
comme/pa/et/ba/(1 mois). Vers l'âge de 6 mois, les enfants présentent une sensibilité aux
catégories vocaliques de la langue maternelle (Kuhl, 1991, 1992). Au même âge, les
enfants anglophones âgés de 6 à 8 mois ne distinguent plus les contrastes vocaliques
étrangers qui étaient alors discriminés entre 4–6 mois (Polka et Werker, 1994). Vers
10 mois, apparaît chez le jeune un déclin de ses capacités à discriminer des contrastes
consonantiques non présents dans la langue maternelle. Ce constat s'appuie en premier
lieu sur les travaux de Werker et Tees (1984, 2005) qui ont montré que vers la fin de la
première année, l'enfant cesse de discriminer certains contrastes phonétiques qui
n'appartiennent pas à la langue parlée dans son environnement linguistique. Cette
apparente régression est en fait le fruit d'une spécialisation vers le traitement de la
langue maternelle.
Ainsi au cours du développement, les mécanismes de traitement perceptif
fonctionnels dès la naissance vont peu à peu s'organiser en un système modulé par les
propriétés spécifiques (prosodiques, phonologiques, etc.) de sa langue maternelle, à
partir de 6 mois pour ce qui est de l'organisation perceptive, et vers 10 mois pour ce qui
est de la production (babillage). Grâce à cette détection des informations de bas niveau
(indices phonétiques et prosodiques), les enfants peuvent accéder à des informations de
plus haut niveau de traitement de parole, telles que pouvoir segmenter et extraire du
flux continu de la parole les unités de sons que sont les mots.
Accéder à la forme sonore des mots ne serait pas un problème si les frontières de
mots étaient clairement marquées acoustiquement. En effet, à l'oral, il est difficile de
découvrir où commencent et où se terminent les mots. À la différence de l'écrit où les
mots sont séparés par des espaces, le signal de parole est continu, rendant plus difficile
l'identification des mots. Cette difficulté de segmentation réside dans le fait que peu de
mots sont présentés de façon isolée. L'étude de van de Weijer (1998) souligne que dans
le corpus de mots analysés, seulement 10 % des mots étaient énoncés de manière isolée
(comme les fillers : oui, hmm, les vocatifs : prénom de l'enfant, et les expressions
sociales : coucou, merci, etc.). Par ailleurs, l'absence de vocabulaire fait que les enfants
ne peuvent s'appuyer initialement sur ces connaissances lexicales (mots) pour
l'identification de mots nouveaux dans le flux continu de parole. Donc comment les
enfants arrivent-ils à extraire dans le flux continu de parole ces unités de sons ? Quels
sont les différents mécanismes mis en jeu par les jeunes enfants pour extraire
initialement la forme sonore des mots (« segmentation boostrapping » ou initialisation
de la segmentation (Morgan et Demuth, 1996)) ?
Les nouveau-nés sont capables de détecter des indices prosodiques qui sont corrélés
aux frontières de mots (Christophe, Dupoux, Bertoncini, et Mehler, 1994 ; Christophe,
Mehler, et Sebastian-Galles, 2001). Ces travaux ont mis en évidence qu'entre l'âge de
deux et six mois cette sensibilité aux indices prosodiques jouerait un rôle déterminant
dans la segmentation et la mémorisation des séquences de mots présents dans le flux
continu de parole (en anglais, Mandel, Jusczyk, et Kemler Nelson, 1996 ; Nazzi, Kemler
Nelson, Jusczyk, et Jusczyk, 2000a ; Seidl, 2007). Ces données suggèrent qu'au cours de
la première année de vie, les enfants sont capables de découper le flux continu de parole
en unités de mots. Les études pionnières qui se sont penchées sur la question de la
segmentation de la parole en mots ont porté exclusivement sur l'apprentissage de
l'anglais et reposent sur le princeps que dès huit mois les enfants commenceraient à
extraire les mots de la parole continue (Jusczyk et Aslin, 1995). Dans une première
expérience, Jusczyk et Aslin (1995) ont présenté à des enfants anglophones âgés de 6 et
de 7.5 mois un protocole de segmentation mots-passages. Les enfants ont été
familiarisés avec deux listes de mots monosyllabiques (cup et dog ou bike et feet), puis
testés avec quatre passages (série de phrases), dont la moitié contenait un mot cible, et
l'autre moitié contenait un mot contrôle. Les résultats ont fait apparaître uniquement
pour les enfants de 7.5 mois, une préférence pour les passages contenant les mots
familiers, suggérant ainsi que ces enfants ont segmenté et reconnu dans ces passages,
les mots familiers. Une autre étude de Jusczyk, Houston et Newsome (1999) a montré
que les enfants anglophones peuvent des 7,5 mois segmenter des mots bisyllabiques
(deux syllabes) qui présentent un pattern accentuel trochaïque (accentuation fort-faible)
comme « DOCtor » (pattern accentuel dominant pour les langues dites à stress). Ce n'est
qu'à partir de 10 mois que les enfants peuvent segmenter des mots ayant un pattern
accentuel iambique (accentuation faible-fort) comme « guiTAR ». Ces résultats
suggèrent donc que dès le plus jeune âge les enfants sont sensibles aux propriétés
prosodiques de leur langue maternelle pour découper les mots dans la parole. En ce qui
concerne le développement des facultés de segmentation de la parole continue en mots
chez les enfants français, des études ont mis en évidence qu'entre 8 mois et 12 mois
(Nazzi, et al., 2006 ; Goyet, Nishibayashi, Nazzi, 2013 ; Nishibayashi, Goyet, Nazzi,
2015), les enfants francophones sont capables de segmenter les mots en tant qu'unité. En
conclusion, l'exposition fréquente à une langue donnée influencera chez l'enfant ses
capacités de traitement phonétique et phonologique.

Les prémices de la production langagière


Il faut rappeler que le conduit vocal du nouveau-né diffère de celui de l'adulte du fait
que chez le jeune enfant, le contrôle articulatoire est encore peu développé. De la
naissance à 1 mois, l'enfant produit des cris, pleurs et des sons végétatifs qui reflètent
des besoins (alimentaires, sommeil) et des réactions de confort et d'inconfort. De 1 mois
jusqu'à 7 mois, se mettent alors en place les premières vocalisations, l'enfant commence
à jouer avec sa bouche, à imiter les différentes intonations, c'est le début du contrôle
phonatoire. De 8 à 10 mois, l'enfant commence à produire des voyelles qui tendent vers
celles de sa langue maternelle, de même le babillage se met en place, ce dernier est
influencé par l'intonation de la langue maternelle. Le babillage (productions répétitives
avec alternance de consonnes et de voyelles) se particularise d'ailleurs progressivement
pour avoir les caractéristiques de la langue maternelle à partir de huit mois, ce qui
reflète l'influence de la langue maternelle sur les facultés de production des jeunes
enfants. Entre 10 et 12 mois, les enfants commencent à produire un large registre de
consonnes et des premiers mots. Entre 12 et 16 mois, l'enfant produit en moyenne
50 mots. À partir de 16 mois, émerge alors la production des premiers verbes et des
expressions. Vers 18–20 mois survient un phénomène d'un brusque accroissement de la
production des mots, désigné sous le terme d'explosion du vocabulaire (spurt lexical).
Les enfants se mettent à produire 3–4 mots par jour. À partir de 20 mois, les premières
phrases constituées de 2 à 3 mots sont produites et ce n'est qu'à partir de 24 mois que
commence à se mettre en place l'organisation séquentielle des énoncés qui constitue le
reflet d'une première ébauche de syntaxe.
Nous avons vu que les premiers contextes d'interaction participent en tant que
formats d'interaction, à la mise en place de la communication et des échanges adulte-
enfant. Au cours des échanges des six premiers mois, le nourrisson prélève des
éléments linguistiques qui forgent peu à peu l'acquisition des traits de la langue
maternelle. Cependant, la maîtrise du langage requiert une acquisition importante, celle
de savoir communiquer à propos d'un référent. Au cours du second semestre de la
première année apparaît la communication référentielle.
Les débuts de la communication référentielle
L'attention conjointe et les formats d'action partagée
La capacité à l'attention conjointe débute à partir de 5–6 mois, lorsque l'enfant est
capable de suivre le regard de l'adulte sur un référent extérieur à la dyade, et d'alterner
son attention visuelle entre l'objet extérieur et le partenaire adulte. On parle de
décentration de l'adulte par rapport à la période précédente de l'intersubjectivité
primaire.
Il s'agit d'une période de développement marquée par des changements perceptifs et
moteurs. L'émergence de la station assise et une meilleure acuité visuelle entraînent
chez le nourrisson une perception différente de l'espace. L'apparition de la coordination
vision-préhension (porter à la vue un objet tenu dans la main, ou tendre la main vers
objet apparaissant dans le champ visuel) vers 4–5 mois, développe les capacités
d'exploration manuelle de l'objet. Du point de vue de la phonation, c'est à partir de
5 mois que le bébé commence à contrôler ses productions vocales ; le babillage
commence à se mettre en place entre 6 et 8 mois.
Un des apports majeurs des travaux de Bruner (1974, 1983a, 1983b) a été de montrer
comment progresse, durant la première et au début de la seconde année de la vie, la
capacité à reconnaître et à attribuer une signification à l'action engagée envers l'autre
par l'un des partenaires de la dyade. Les progrès débutent à partir du moment où il y a
reconnaissance mutuelle des actes de l'autre, c'est-à-dire par la capacité à l'attention
conjointe sur un objet (regards partagés sur un objet référent), que l'on nomme aussi
intersubjectivité secondaire.
Le tout jeune enfant n'a pas à sa disposition les référents culturels nécessaires au
partage des thèmes qui sous-tend la communication. Grâce à la tutelle de l'adulte, plus
particulièrement la mère dans ces études, l'acquisition du langage est ancrée dans
l'action partagée et ritualisée. L'enfant ne peut utiliser les règles du langage que sur la
base des formats d'action. Ces formats constituent des jeux dont la fonction essentielle
est de permettre une certaine décontextualisation dans la mesure où il n'y a pas de but
adaptatif pour l'enfant, tels que manger, s'habiller, etc. L'objectif du jeu comme
« coucou, le voilà ! » est de bien former la séquence, et la signification du jeu n'existe pas
en dehors du jeu lui-même. C'est le jeu pour le jeu. À travers l'usage des premiers mots,
l'enfant apprend à créer et compléter une séquence selon une forme conventionnelle.
Le format étudié par Bruner (1983a) se produit au moyen d'une séquence de jeu, à
partir d'un objet que l'on nomme une marotte : un clown fixé au bout d'une tige et
entouré d'un cône en carton. Le jeu est fondé sur une structure de base : la disparition
du clown et sa réapparition. La structure de surface comporte les variations données
par la mère et l'enfant. La séquence complète se décompose de la façon suivante :
• une phase antécédente :
– la préparation phatique :
– attirer l'attention : Oh ! Regarde ce que j'ai là !
– énoncer l'action : Est-ce que l'on va le cacher ? Tu veux le faire ?
– la disparition :
– le début : çà y est ! Il va partir…
– l'action : parti, il est parti !
– la recherche : où est-il allé ?
• une phase conséquente :
– la réapparition
– l'annonce de l'action : voilà ! Il va venir te voir…
– l'énoncé : boo ! Me voici, bonjour !
– marqueur final : Tu vois, il est là.
– le maintien de l'attention sur l'objet
– action sur l'objet et onomatopée : bababoo !
– commentaire sur l'objet : Qu'est ce qu'on va en faire ? On ne doit pas le
manger…
C'est pour l'enfant une préparation à l'usage et l'échange du langage. Trois
caractéristiques liées au langage sont relevées. La première caractéristique est celle
d'une analogie entre la forme du jeu et la syntaxe. En effet, le format d'action comporte
comme la syntaxe une structure de base invariante, telle que l'apparition et la
disparition d'un objet. La structure de surface comporte les règles du jeu ou le contexte
selon le choix du référent, les variations sur la catégorie du référent, les commentaires,
les variations. Les formats d'action sur le jeu du « coucou, le voilà ! » sont largement
développés entre l'adulte et l'enfant sur plusieurs mois sous des formes diverses selon
les enfants. La structure de base est invariante, mais des référents nouveaux sont
intégrés pour créer de multiples contextes de communication. La deuxième
caractéristique du format par rapport à l'usage du langage est celle de la proto-
conversation. Par sa structure, le format d'action permet la décentration des rôles par
interchangeabilité. L'enfant apprend à être tour à tour l'acteur et le spectateur de
l'action, ceci impliquant que l'enfant connaisse bien la valeur de chaque acte et de la
verbalisation qui l'accompagne. L'alternance des rôles ne peut ainsi s'effectuer que par
le partage des règles du jeu entre les partenaires. La troisième caractéristique du format
d'action ritualisé réside dans le fait que la séquence ordonnée des événements
ressemble à la relation langagière thème-commentaire. Le jeu qui s'établit entre l'adulte
et l'enfant est le thème partagé, et les actions qui le composent constituent le
commentaire.
Deleau (1985) analyse ces jeux de routine selon quatre critères. Le premier critère est
la systématicité : les routines sont des situations microsociales définies par des règles, et
des séquences ordonnées. La répétitivité des jeux partagés est le second critère retenu :
en effet, les routines se répètent à la fois à court terme et à long terme. Le troisième
critère est l'intentionnalité, car la pratique des routines interactives renseigne l'enfant
sur « la pertinence de l'usage des signifiants par rapport au contexte de l'emploi ». Le
dernier critère définissant les jeux de routines est leur imprévisibilité. La forme ludique
de l'action partagée s'établit sur une base émotionnelle. Sa fonction est « d'instituer,
d'entretenir, de réguler le degré de tension émotionnelle du bébé et son engagement
comme partenaire actif dans la situation ».
La récurrence est le facteur constitutif de la ritualisation. Selon Bruner (1983a), la
récurrence des formats permet la différenciation de l'acte et de l'agent. En effet, au cours
des premiers formats, la focalisation de l'enfant s'effectue sur la mère en tant qu'agent.
L'adulte dramatise l'acte en accentuant l'approche de l'objet en émettant des vocalises
au contour prosodique montant. La répétitivité de l'acte fournit à l'enfant des occasions
contextuelles de prévoir ses intentions à propos de l'acte. D'autre part, cela permet à
l'enfant de porter et de maintenir son attention sur une séquence d'actions segmentées.
Il s'agit d'une observation longitudinale auprès de deux enfants, Richard, de l'âge de
5 mois à 24 mois, et Jonathan, de l'âge de 3 mois à 18 mois. L'observation a eu lieu au
domicile de l'enfant tous les 15 jours, pendant une durée d'une heure, au cours des
activités journalières des parents avec l'enfant. Les activités ont été enregistrées par
caméra et par magnétophone. Les transcriptions sont effectuées en trois parties :
• les énoncés de la mère notés temporellement ;
• les énoncés de l'enfant ;
• la description du contexte.
Pour Jonathan, le jeu du clown prend place avec la mère, à l'âge de 5 mois, après un
jeu de cache-cache sur l'enfant lui-même avec une serviette. Le jeu est repris 75 fois
spontanément, entre 5 et 9 mois. Puis, le jeu s'arrête pour réapparaître à l'âge de
14 mois.
Comment le jeu se ritualise-t-il avec la récurrence ? Au début, l'enfant est spectateur
de l'action que la mère imprime à l'objet, tout en essayant de l'attraper. L'adulte met
l'accent sur les pauses qui interviennent dans le déroulement de la séquence. L'adulte
entame l'action de plusieurs manières qui convergent vers une plus grande précision du
référent lors de la ritualisation : où est-il parti ? Où est-il ? Est-ce qu'il est là ? Peux-tu le
voir ? Où est le clown ? On note que la référence explicite au référent n'est effectuée
qu'après que le jeu soit devenu une routine dont les aspects sont prévisibles pour
l'enfant. Dès l'âge de 7 mois, l'enfant commence à anticiper le rythme du format. Les
aspects vocaux et prosodiques apportés par la mère assurent la constitution du format
et vont prendre des variantes avec la routine afin de maintenir un certain suspense pour
l'enfant. À 10 mois, le jeu du clown n'intéresse plus l'enfant, mais la structure de base
disparition-réapparition est encore utilisée pour un jeu de cache-cache au cours duquel
la mère se cache derrière une chaise. Le jeu s'établit par un contact œil à œil entre la
mère et l'enfant, ceci témoignant d'une connivence entre les partenaires familiarisés sur
une action répétée depuis de nombreuses fois. L'enfant manifeste l'anticipation de la
réapparition en regardant vers la chaise, en riant et vocalisant. C'est deux mois plus tard
que l'enfant complète la séquence de réapparition par une vocalisation proche de
« boo ! », en s'étant caché lui-même. Et, lorsque l'adulte disparaît à son tour, l'enfant
lance : « parti ! » À 14 mois, le jeu du clown et du cône reprend. L'enfant se montre de
plus en plus actif dans le déroulement de la séquence. Il anticipe la réapparition par un
geste du bras en disant : « ah ! » À cette période, l'enfant cherche à effectuer le jeu, et
marque les principales phases par les mots performatifs. Les rôles sont devenus
interchangeables. Plus encore, le jeu est entièrement partagé entre les deux partenaires
en exécutant l'action sur le clown par un mouvement synchrone et en vocalisant à
l'unisson. D'une part, l'enfant a appris la place exacte des mots, et d'autre part à mener
l'interaction par des moyens conventionnels négociés. À cet âge, l'action est menée sous
le contrôle du langage, et le jeu de routine permet l'extension du lexique de l'enfant.
L'autre enfant observé, Richard, présente une autre routine de cache-cache avec sa
mère : il s'agit de se cacher le visage avec un masque. Entre 6 et 11 mois, il y a 71 jeux
relevés sur 20 occasions, et 29 jeux moins complets jusqu'à 15 mois. Le jeu disparaît
pour reprendre à l'âge de 18 mois. Les premières vocalisations de l'enfant traduisent son
excitation envers le jeu, et deviennent en quelques semaines des vocalisations
ressemblant aux mots du lexique. De plus, l'aspect social de ces vocalisations s'affirme,
car elles sont dirigées vers le partenaire et non plus émises de façon diffuse. Les
résultats indiquent que l'initiation de l'enfant au jeu s'accroît considérablement entre 6
et 15 mois (0 % à 78 %). La participation de l'enfant comme acteur au jeu augmente
passant de 28,8 % de jeux au cours desquels l'enfant se cache le visage à 93,8 %. À
15 mois, l'enfant est ainsi capable de piloter la séquence du format et la faire partager à
l'adulte, ceci une fois que l'adulte a largement participé à la ritualisation du jeu. On
observe aussi que le pourcentage de jeux au cours desquels les vocalisations de l'enfant
sont présentes avant la phase de réapparition, et après cette phase, est plus élevé entre
14 et 15 mois qu'avant 11 mois. Ceci tend à montrer le fait que l'enfant maîtrise mieux la
séquence avec les premiers rudiments du langage, lorsque la routine a été de
nombreuses fois reprise. À 21 mois, le jeu de cache-cache est observé sur un objet de
façon symbolique. L'enfant présente un jeu ritualisé avec des objets (peluches par
exemple) qu'il salue d'un « hello » lorsqu'ils réapparaissent, et d'un « bye bye » lorsqu'ils
disparaissent, comme s'ils étaient des personnes. La connivence avec l'adulte est
marquée par des rires et des regards dirigés vers lui. Dans la même période, l'enfant est
capable d'utiliser les mêmes termes pour une situation réelle, par exemple, après avoir
entendu la sonnerie de la porte, pointer le doigt et dire « hello » à la personne qui entre.
Vers l'âge de 20 mois, le jeu symbolique semble être un support pour la ritualisation des
énoncés linguistiques conventionnels. Le contexte ludique des premiers jeux de faire
semblant a une fonction importante dans l'exercice des routines et dans l'acquisition des
aspects conventionnels qui régissent le partage de thèmes. Les formats d'action ne
restent pas sur le même modèle ; la récurrence permet l'extension du jeu à d'autres
objets et favorise l'échange par différenciation des rôles.
Jusqu'à l'âge de 10 mois, le rôle de l'adulte en tant qu'agent du format est primordial.
À 10 mois, l'enfant devient l'agent principal du jeu alors que l'adulte s'efface un peu.
Puis, les rôles s'équilibrent, les deux partenaires étant agents à tour de rôle. Ainsi,
l'enfant apprend à ne pas monopoliser l'action, à être tour à tour celui qui s'intéresse à
l'autre et celui à qui l'autre s'intéresse. Il s'agit d'une règle de la communication.
La prise en compte de l'autre comme partenaire social dans une action partagée se
manifeste aussi chez l'enfant par le nombre d'initiations au jeu. C'est aussi vers l'âge de
10 mois que survient un changement important par le fait que l'enfant initie le jeu
beaucoup plus fréquemment. Entre 10 et 12 mois, on observe que la moitié des échanges
sont initiés par l'enfant, ceci témoignant du fait que le partage s'effectue de façon
équilibrée entre l'adulte et l'enfant un peu avant la deuxième année. Ainsi, le rôle
d'étayage de l'action par l'adulte est surtout très marqué lors de la mise en place de la
routine. La part active de l'enfant dans l'initiation au jeu montre que l'enfant connaît le
jeu de routine, et qu'il suppose que le partenaire partage les mêmes règles que lui. On
peut y voir déjà les prémisses de l'attribution des états mentaux à autrui.
Une autre observation intéressante dans le partage du format d'action provient de la
décontextualisation de l'objet comme centre d'intérêt des deux partenaires. Selon les
observations de Bruner, l'enfant cherche de moins en moins à manipuler l'objet qui sert
de support au format. À 9 mois, on note une diminution importante de la durée de la
manipulation de l'objet. À 13 mois, l'enfant pointe le doigt vers l'objet. L'enfant partage
ainsi le jeu de routine de façon décontextualisée ; il traite l'objet comme moyen pour
communiquer, et non plus comme un objet à manipuler. L'objet devient un thème de
communication.
Avec la récurrence du thème, l'enfant comprend que le but du format d'action est
l'échange entre les deux partenaires à propos de quelque chose. C'est le début de la
communication référentielle et de l'usage des mots.

La représentation et l'usage des mots et l'accès à leur signification


Les études qui ont porté sur des observations d'enfants ont montré que la
compréhension du sens des mots émerge avant la production des premiers mots.
Golinkoff, Hirsh-Pasek, Cauley et Gordon (1987), et Golinkoff et Hirsh-Pasek (1995) ont
étudié la compréhension des noms et des verbes chez des enfants lors du début de leur
deuxième année de vie. À 14 mois, les enfants comprennent les mots d'une phrase
simple et à 17 mois, ils interprètent l'ordre des mots. Ces recherches ont ainsi amené les
chercheurs à étudier comment les jeunes enfants âgés entre 12 et 24 mois acquièrent le
sens des mots et se forgent des concepts. L'objectif de ces études était d'explorer
comment le jeune enfant accède au lien ou à la correspondance entre les unités sonores
du langage (les mots) et les objets et évènements du monde qui l'entoure. Plusieurs
théories ont cherché à comprendre comment se met en place ce processus
d'appariement entre des unités de sons (signifiant) à leur référent sémantique (signifié).
La théorie des traits sémantiques de Clark (1973) postule que le sens des mots est
constitué par un ensemble de traits sémantiques communs dont l'acquisition se ferait du
plus général au plus spécifique (le chien : aboie, animal, quadrupède, etc.). Dans la
continuité de cette théorie a été élaborée la théorie du contraste (Clark, 1987, 1993) qui
considère que les unités de la signification des mots ne sont plus des traits sémantiques,
mais des contrastes. L'enfant comprend donc que tout nouveau mot doit contraster en
signification avec les autres mots connus. Une autre théorie développée par Markham
(Markham, 1991) considère que l'enfant acquiert les noms des objets et leurs concepts
grâce à quelques contraintes principales : celles de l'objet entier, de l'exclusivité
mutuelle et du lien taxinomique. Selon cette perspective, l'enfant peut considérer qu'un
objet peut-être dénommé comme entier que part l'une de ses parties, ou l'une de ses
propriétés. L'enfant peut également considérer qu'un objet ne peut être dénommé que
par une seule étiquette verbale et qu'un nouveau mot désigne un nouvel objet. Enfin
pour accéder à la classe d'objets, l'enfant peut considérer qu'un mot peut-être étendu à
d'autres objets qui ont avec le référent original des liens taxinomiques.
Une autre théorie influente est celle dite des prototypes (Rosch, 1978) qui sous-tend
que le sens d'un mot serait acquis dans un premier temps par le biais d'un référent
prototypique de la catégorie (exemple : pomme). Cette conception de l'acquisition par
prototype peut rendre compte des phénomènes de sous-extension (exemple : golden,
granny) et de sur-extension (exemple : fruit). Ainsi selon Rosch, 1978, les catégories sont
organisées en trois niveaux hiérarchisés, le niveau sur-ordonné, le niveau de base et le
niveau subordonné (exemple : animaux, cheval, shetland). Les erreurs commissent par
l'enfant montrent qu'il peut utiliser un mot de façon restreinte, comme employer le mot
chien pour faire référence au chien de la maison ou également produire des sur-
extensions, lorsqu'il emploie un terme trop large pour faire référence à des objets
différents qui partagent un certain nombre de traits perceptifs ou sémantiques en
commun (enfant qui parle de pomme pour nommer tous les fruits).
Par ailleurs, il faut préciser que la constitution du lexique s'effectue en interaction
avec le développement des autres domaines de compétence langagière, comme le
développement grammatical. En effet, cette sensibilité chez le jeune enfant aux indices
structuraux leur permet de repérer la classe grammaticale des mots et les enfants
peuvent donc utiliser le contexte grammatical pour développer leur acquisition lexicale.
Les mots grammaticaux qui sont connus avant la fin de leur première année de vie (Shi,
Werker et Cutler, 2006) pourraient aider les enfants à commencer ce travail de
catégorisation sémantique : par exemple, les articles sont souvent suivis par des noms
tandis que les pronoms par des verbes. Les adultes peuvent utiliser ces co-occurrences
et inférer qu'un non-mot comme « bamoule » est un verbe dans « je bamoule » alors que
c'est un nom dans « une bamoule » (Millotte, Wales, Dupoux et Christophe, 2006).
Au cours des deux premières années de vie, les enfants développent des facultés à
discriminer des sons, à segmenter la parole continue en mots, à accéder au sens des
mots, aux catégories sémantiques et syntaxiques et aux règles grammaticales de leur
langue maternelle. Par la suite, à partir de l'élaboration d'une grammaire correcte, mais
incomplète, de la deuxième année de vie, va se développer l'élaboration d'une
grammaire plus complète au cours troisième année de vie (âge au cours duquel, la
longueur, la complexité et la variété des phrases vont augmenter très rapidement). Le
développement de l'ensemble de ces facultés va par la suite permettre aux enfants de
développer d'autres capacités langagières plus complexes, comme la fonction
pragmatique du langage (Aguert, Laval, et Bernicot, 2010 ; Laval, Aguert, et Gil, 2012).

La période langagière de 2 ans à 5 ans


La période de 2 ans à 5 ans est marquée par l'expansion du langage verbal et les images
mentales, ainsi que les productions symboliques telles que les jeux de faire semblant
(jeux de fiction), les dessins. Pour Piaget (1945), ces productions recouvrent la fonction
sémiotique (ou fonction symbolique) qui émerge vers 18 mois avec les premières
imitations différées, et montre la capacité de l'enfant à distinguer le signifiant (mot) du
signifié (ce qui est désigné). Il s'agit d'un changement développemental important dans
l'accès à l'utilisation des signes et des symboles, dont le langage. En effet, chaque mot
(signifiant) du langage a un lien avec le signifié entièrement arbitraire et conventionnel.
Par exemple, les sons qui composent le mot « table » n'ont aucun rapport iconique, ou
de ressemblance, avec l'objet qui est désigné. Dans le langage, la distance est ainsi très
grande entre le signifiant et le signifié, comparativement, par exemple, aux panneaux
du code de la route qui présentent une certaine ressemblance visuelle avec ce qu'ils
désignent.
L'étayage du langage au cours des interactions adulte-
enfant
Après les formats d'action partagée que Bruner a mis en évidence entre l'adulte et
l'enfant durant le deuxième semestre de la première année, l'adulte garde un rôle
important durant la petite enfance, entre 2 et 5 ans. Cet apport fourni par l'adulte est le
propre de l'éducation selon Bruner, qui définit l'éducation comme un processus
d'assistance, de collaboration entre l'adulte et l'enfant. Rappelons que les travaux de
Bruner ont été fondés sur la théorie de Vygotsky (voir aussi Brossard, 2004).
Selon Bruner, la tutelle est définie comme fournissant ce qui est nécessaire et suffisant,
pour permettre à l'enfant de mener à bien la tâche proposée. La tutelle désigne ainsi les
moyens grâce auxquels un adulte ou quelqu'un de « spécialiste » vient en aide à
quelqu'un qui est moins adulte ou spécialiste que lui, sur un domaine particulier. En ce
sens, il s'agit d'une signification identique à celle de l'étayage, mais le terme est employé
plus spécifiquement dans la résolution de problème qui implique un guidage plus cadré
de l'activité. Précisons que le terme étayage est employé pour désigner les formes
d'intervention de l'adulte en vue de guider, soutenir et renforcer l'activité de l'enfant.
L'étude de Danis et al. (2000) illustre bien le rôle de l'interaction entre l'adulte et
l'enfant, et celui de l'étayage sur l'émergence de représentations impliquant des
inférences et une décontextualisation du référent. Dix-sept enfants âgés de 22 à 42 mois
(moyenne d'âge : 32 mois) sont filmés en dyade avec leur parent, autour d'un livre
d'images. L'adulte a pour consigne d'interagir librement sur le livre. Les verbalisations
de l'adulte et de l'enfant ont été retranscrites et codées selon quatre niveaux, selon une
graduation de complexité d'abstraction :
• niveau 1 : identification perceptive d'un référent dans le livre (« c'est une voiture ») ;
• niveau 2 : mise en relation d'ordre perceptif entre deux référents, comparaison
(« cette chaussure est comme l'autre chaussure ») ;
• niveau 3 : référence déplacée (dans l'espace, et le temps) (« tu te souviens ? On a
acheté des pommes au marché hier ») ;
• niveau 4 : inférence (raisonnement logique, description imaginaire, référence à un
savoir social) (« les pompiers vont venir mettre de l'eau sur la maison en feu »).
Une analyse statistique bayésienne des données montre que le niveau d'abstraction
adopté par le partenaire dépend du niveau que l'autre vient d'exprimer. On observe
ainsi une constante adaptation des deux partenaires l'un par rapport à l'autre.
Cependant, ce sont les adultes qui expriment des niveaux d'abstraction élevés plus
fréquemment que les enfants, créant ainsi une zone proximale de développement. En
effet, l'adulte stimule les habiletés représentationnelles de l'enfant dans la mesure où
l'enfant « suit » toujours l'adulte dans les niveaux d'abstraction plus complexes, que
l'enfant n'aurait pas initiés seul. L'interaction sociale, guidée par l'adulte, fournit ainsi
un étayage à l'émergence des représentations chez le jeune enfant.
Le rôle de l'adulte est encore prédominant pour l'enfant jusqu'à l'âge de 2 ans, mais
progressivement le champ social de l'enfant s'élargit, et les interactions entre enfants
vont commencer à se diversifier et à se complexifier.
La place du langage dans les interactions entre enfants
De la naissance à 2 ans, l'enfant a développé des compétences de communication grâce
à la tutelle et au soutien des adultes. Ces compétences, telles que l'attention conjointe et
la communication référentielle, vont se trouver en décalage développemental lors des
interactions entre enfants, car si l'enfant bénéficie de la tutelle des adultes lors des
interactions, ce n'est plus le cas lors des interactions entre pairs d'âge. La question se
pose alors de savoir comment les enfants interagissent entre eux. Toute la période de 2 à
5 ans est concernée par cette évolution de la communication entre enfants. Nous en
présentons ici quelques grandes lignes.
Avant 2 ans, les enfants manifestent un intérêt social entre eux : regards, sourires,
palpations, vocalises. Mais il n'y a pas d'interaction au sens de coordinations de
l'émission et de la réception du message. La communication référentielle survient vers
l'âge de 18 mois : les enfants commencent à partager un intérêt commun pour un objet.
Il y a donc un décalage de plusieurs mois avec l'attention conjointe dont l'enfant est
capable lorsqu'il est soutenu par l'adulte. L'objet devient un médiateur de la
communication (Nadel et Baudonnière, 1985).
À 2 ans, les interactions sont courtes et peu coordonnées. Il peut s'agir d'une offrande
vers un partenaire, mais le plus souvent quand l'émetteur émet, il ne reçoit pas de
réponse, ou s'il reçoit une réponse, il a déjà tourné le dos avant ! En conséquence, les
échanges sont brefs et intermittents.
Vers l'âge 2 ans ½, se met en place la première forme d'interaction soutenue entre
pairs d'âge : il s'agit de l'imitation gestuelle et synchrone du partenaire lors des
interactions. L'imitation immédiate, mise en évidence par Nadel et Baudonnière (1980),
est un puissant moyen de communication entre enfants alors même que les échanges
verbaux sont peu présents entre eux. Ce format de communication, essentiellement
gestuel, est ainsi adapté aux échanges entre enfants qui ne maîtrisent pas encore le
langage oral, et permet des interactions longues (émission-réponse-émission-réponse) et
soutenues, de tonalité très positive. En effet, le fait de s'imiter simultanément dans le
port d'objets, procure aux enfants un effet de miroir qui renforce l'interaction, dans un
dialogue qui semble dire : je m'intéresse à toi, tu t'intéresses à moi. Les échanges sont
ainsi parsemés de sourires et de rires, sur la base d'un intérêt réciproque pour l'échange
lui-même.
Ce format d'interaction, prédominant dans les échanges entre pairs, entre deux et
3 ans, est transitoire dans le développement. Étant essentiellement non langagière,
l'imitation immédiate laisse progressivement place à un autre format, basé sur de
meilleures compétences langagières : la complémentarité des rôles. Les enfants
communiquent ainsi vers 4 ans avec des interactions langagières soutenues et
coordonnées, avec des rôles différents (Nadel, 1986, Baudonnière, 1988, Nadel et al.,
1999).
L'objet reste un support de communication jusqu'à 4–5 ans, puis les capacités
conversationnelles se mettent en place vers l'âge de 5 ans. Les enfants commencent alors
à converser entre eux sur la base d'un thème qui n'est pas relié à l'objet présent.
L'évolution linguistique
Comme nous l'avons vu, les enfants produisent leurs premiers mots vers 12–14 mois et
leur première combinaison de mots vers 16–20 mois. À la fin de la deuxième année de
vie, il est observé une réorganisation du système de production reflété par une
augmentation du nombre de mots produits : « explosion lexicale » (spurt vocabulary) et
par une augmentation dans les formes de productions. Pour ce qui est de l'évolution de
la production des mots, des études ont montré que le langage de base est correctement
articulé et acquis entre 3 et 5 ans. Au-delà, le langage continue d'évoluer :
enrichissement du vocabulaire, construction d'une syntaxe élaborée (concordance des
temps, du nombre, du genre) et progresse sur le plan expressif. Le langage ne repose
pas uniquement sur le nombre de mots que nous disposons dans notre vocabulaire,
mais plutôt sur les combinaisons grammaticales de mots (la syntaxe). Ces combinaisons
nous permettent de partager des idées, des sensations des expériences avec autrui.
Apprendre la syntaxe nécessite avant que l'enfant soit capable de la construire. Pour
cela ils doivent apprendre pour chaque mot, les constructions avec lesquelles ils sont
compatibles. Ils commencent dans un premier temps par la combinaison de deux mots,
puis dans un second temps, ils intègrent les mots grammaticaux (genre, nombre, temps,
cas, etc.). Ainsi, c'est en trouvant les compatibilités dans la construction entre les mots
que les enfants apprennent la syntaxe de leur langue maternelle et que des phrases
complexes émergent. Vers 3 ans, l'enfant produit un énoncé de plus de deux mots
contenant un syntagme nominal (SN) correspondant au groupe du nom, et un
syntagme verbal (SV) correspondant au groupe du verbe. Par exemple : le grand chien
(SN) court à toute vitesse dans le jardin (SV).
Comprendre le langage oral n'est pas seulement une question de compréhension du
sens des mots, ou de grammaire, il faut être également capable de prendre en compte
un ensemble des règles sociales qui dépassent les règles grammaticales, autrement dit
tenir compte du contexte dans lequel est produit l'énoncé et par ailleurs, la façon et
l'intonation dont on l'exprime. La maîtrise d'une langue nécessite donc de comprendre
la relation entre l'énoncé produit et la situation ou contexte de communication dans
lequel il est produit. Cette relation, étudiée par le courant de la pragmatique, fait partie
des compétences nécessaires à la communication au même titre que l'acquisition des
aspects phonologiques et sémantiques du langage.
Morris (1955) a formulé une définition de la pragmatique « comme étant l'étude de la
relation entre les signes. L'interprète est un utilisateur de la langue qui détermine dans
un contexte particulier, le lien existant entre un signe linguistique et un objet. » La
pragmatique se définit donc comme l'étude des usages du langage dans le cadre d'une
situation de communication (Laval, Aguert, et Gil 2012). L'objet d'étude n'est plus la
structure du langage en tant que telle, mais le langage en son contexte, intégrés l'un à
l'autre dans une relation dynamique » (Laval, Aguert, et Gil 2012). C'est cette relation
étudiée par le courant de la pragmatique qui permet à un auditeur de déterminer la
signification de ce qui est énoncé. Selon Bernicot (2000), « toutes les situations où
l'interprétation des énoncés produits dépend du contexte, requièrent le recours à la
pragmatique chez le locuteur et l'interlocuteur.
Les études expérimentales qui analysent les actes de langage présents dans
différentes situations de communication de langage dit non littéral (figuré) comme les
promesses, les productions des assertifs, la compréhension des états mentaux d'autrui,
les expressions idiomatiques et l'ironie (Bernicot et Laval, 1996 ; Marcos et Bernicot,
1997, Laval, 2003) ont pour objectif de montrer le rôle majeur du contexte lors de la
production et compréhension des énoncés, et soulignent que pour les actes de langage
littéral et non littéral, leur interprétation est impossible sans tenir compte du contexte
jusqu'à l'âge de 6 ans.

Conclusion
Les interactions sociales au cours de la petite enfance préparent à l'avènement de la
période scolaire à l'âge de 5–6 ans. Le passage à l'école primaire correspond à une étape
de développement, liée à des capacités nouvelles chez l'enfant. La capacité à la théorie
de l'esprit (compréhension des états mentaux, cf. Astington, 1999) et la maîtrise du
langage oral forment des socles indispensables à un nouvel apprentissage : le langage
écrit. Loin d'être une simple transposition du langage oral, le langage écrit nécessite un
apprentissage didactique qui permettra un autocontrôle de l'activité langagière. Les
interactions de tutelle gardent toute leur importance dans cette période d'âge scolaire.

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CHAPITRE 13

Le développement socio-émotionnel
Geneviève Laurent; Karin Ensink

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
De l'expérience à la conscience et à la compréhension des émotions
La compréhension émotionnelle : définition du concept et positionnement
théorique
La compréhension émotionnelle et l'intégration sociale à l'âge préscolaire
Conclusion

Introduction
La compréhension émotionnelle1 (CE), un des éléments les plus fondamentaux de la
cognition sociale et de la mentalisation, est une importante habileté qui transforme la
façon dont les émotions sont ressenties et perçues puisqu'elle nous aide à comprendre
nos propres réactions et celles des autres. Identifier nos émotions et attribuer un sens à
celles-ci ainsi que comprendre et interpréter les réactions émotionnelles d'autrui nous
aide à rendre le monde interpersonnel compréhensible et prévisible. Durant l'âge
préscolaire, l'enfant développe sa compréhension émotionnelle, ce qui lui permet de
prendre une distance par rapport à ses émotions et de mieux contrôler ses réactions
émotionnelles. (Fonagy, 2008). Dans ce chapitre nous offrons une introduction au
concept de compréhension émotionnelle et le positionnons théoriquement par rapport à
des concepts similaires comme la mentalisation, la théorie de l'esprit et l'empathie. Nous
mettons l'accent sur le développement précoce de la compréhension émotionnelle
durant la période préscolaire et traçons le développement des émotions et de la
compréhension émotionnelle en clarifiant les liens qui les relient.

De l'expérience à la conscience et à la compréhension


des émotions
Le monde émotionnel procède à une évolution phénoménale dans les premières années
de la vie d'un enfant (Denham, 2007). En dessinant les expressions faciales de son fils,
Darwin (1877) a été le premier à documenter les émotions chez le nourrisson. Plusieurs
recherches ont par la suite démontré que les émotions se développent selon une
séquence définie. Les premières expressions faciales qui correspondent à la joie, à la
tristesse, à la colère et au dégoût apparaissent vers l'âge de 3 mois (pour une revue, voir
Lewis, 2008). Après l'âge de 1 an, les enfants commencent à ressentir une gamme
beaucoup plus large d'émotions grâce au développement cognitif et langagier. Après
l'arrivée de la conscience de soi, les émotions qui y sont liées (self-conscious emotions)
dont l'embarras et l'envie et plus tard la fierté, la honte et la culpabilité, apparaissent
(Lewis, 1992 ; Lewis, 2011).
En plus de l'élargissement du répertoire émotionnel, la période de la petite enfance
est caractérisée par le début des références aux émotions dans le discours des enfants
(Dunn, Bretherton, et Munn, 1987). Dans un suivi longitudinal d'une petite cohorte
d'enfants âgés de 2 à 5 ans, Wellman, Harris, Banerjee et Sinclair (1995) ont découvert
qu'à partir de 2 ans, les enfants se réfèrent aux émotions à valence positive (être
heureux, se sentir bien, rire, aimer ou se sentir aimé) et aux émotions à valence négative
(se sentir fâché, apeuré, être triste) dans les conversations avec les membres de leur
famille. Les jeunes enfants de l'étude parlaient majoritairement de leurs propres
émotions, mais ils faisaient aussi référence aux émotions des gens qui les entourent et ils
attribuaient également des émotions à des objets inanimés. À partir d'environ 2 ans, les
enfants possèdent ainsi le vocabulaire nécessaire pour nommer les émotions les plus
simples. D'autres études ont démontré que le lexique émotionnel subissait une véritable
explosion développementale entre 2 et 3 ans (Maillochon, 2008).
En utilisant couramment leur vocabulaire émotionnel, les enfants commencent à être
explicitement conscients de l'association entre les expressions faciales,
comportementales et verbales des émotions. Vers 3–4 ans, les enfants commencent ainsi
à se former des représentations conscientes et explicites des émotions, phénomène que
l'on désigne sous le terme de compréhension émotionnelle (Pons, Harris, et Doudin,
2002a ; Pons, Harris, et Rosnay, 2004). On distingue la CE d'une représentation
rudimentaire et implicite des émotions apparue plus tôt dans le développement. La
référenciation sociale par exemple, phénomène lors duquel l'enfant en situation
incertaine se sert de l'information fournie par l'expression émotionnelle de son parent
pour ajuster son comportement, représente bien la conscience implicite des émotions
(Vaish, Grossmann, et Woodward, 2008).

La compréhension émotionnelle : définition du concept et


positionnement théorique
La compréhension émotionnelle est une capacité socio-cognitive de base (Sharp,
Fonagy, et Goodyer, 2008), définie comme étant la capacité d'identifier, de prédire et
d'expliquer ses propres émotions ainsi que celles des autres (Harris et al., 1989).
L'émotion est ici traitée comme une source de savoir (De Rosnay, Harris, et Pons, 2008).
La CE joue un rôle important dans notre façon de comprendre l'environnement social et
comment nous réagissons à celui-ci. Le modèle de traitement de l'information sociale
adapté par Lemerise et Arsenio (2000) suggère que lors d'une situation sociale,
l'information est traitée en six étapes et que toutes les étapes sont influencées par les
processus émotionnels comme l'humeur et la réactivité émotionnelle, ainsi que les
connaissances sur les émotions. Plusieurs recherches empiriques ont démontré que la
compréhension émotionnelle contribuait effectivement tant aux étapes précoces qu'aux
étapes tardives du traitement de l'information sociale (Arsenio, Adams, et Gold, 2009 ;
Denham et al., 2014 ; Lemerise et Maulden 2010).
Fonagy et Target (1996) ont proposé un modèle développemental de la mentalisation
et du fonctionnement réflexif (FR), qui considère que la compréhension émotionnelle est
un des éléments les plus basiques de mentalisation des émotions. Le concept de
mentalisation réfère traditionnellement à un type d'activité mentale qui implique de
percevoir les intentions ou raisons sous-jacentes aux comportements d'autrui, et d'être
conscient de ses propres réactions et de leur impact sur les autres (Fonagy et Target,
1997). La mentalisation de ses propres émotions et de celles d'autrui a donc pour but de
donner un sens à celles-ci. La mentalisation des émotions a des implications majeures
pour la santé psychologique (voir Fonagy, Gergely, Jurist, et Target, 2002).
L'identification des émotions, accompagnée de la modulation et de l'expression de
celles-ci, formeraient les trois piliers de la mentalisation des émotions (Ensink,
Normandin, Target, Fonagy, Sabourin et Berthelot, 2015).
Tout comme pour la mentalisation, on distingue deux types de CE, soit la
compréhension de ses propres émotions (CSPE) et la compréhension des émotions
d'autrui (CEA). Bien que la plupart des études ne fassent pas la distinction, plusieurs
arguments sont en faveur de considérer ces deux types séparément. Pour comprendre
ses propres émotions, un individu doit se fier à ce qu'il ressent, alors que pour
comprendre celles d'autrui, il doit imaginer les émotions ressenties en évaluant la
situation et en appliquant ses connaissances sur les émotions (Bender, Pons, Harris, et
de Rosnay, 2011). Heubeck, Butcher, Thorneywork et Wood (2016) ont proposé que les
deux types de CE feraient appel à des systèmes de mémoire différents. La CEA tablerait
sur les connaissances générales des émotions prototypiques ressenties dans certaines
situations stockées dans la mémoire déclarative. La CSPE tablerait quant à elle sur la
mémoire épisodique et serait, selon les auteurs, possiblement plus chargée
émotionnellement puisqu'elle demanderait de s'impliquer davantage en reprenant
contact avec des émotions vécues. Au niveau développemental, quelques études ont
démontré que certains aspects des deux types de CE se développent à des rythmes
différents. Par exemple, certaines recherches suggèrent que les émotions mixtes d'autrui
sont comprises avant les siennes (Larsen, To, et Fireman, 2007 ; Zajdel, Bloom, Fireman,
et Larsen, 2013) alors que le regret ainsi que le soulagement sont compris d'abord chez
soi puis chez autrui (Weisberg et Beck, 2010). Malgré les processus cognitifs en cause et
la séquence développementale différents, la proposition de séparer la CE en deux types,
reste toutefois encore plutôt marginale.
La CE est parfois confondue avec deux autres capacités socio-cognitives dont elle est
proche théoriquement : la théorie de l'esprit et l'empathie. La théorie de l'esprit est
définie comme la capacité d'attribuer des états mentaux à soi-même ainsi qu'aux autres
et de comprendre que les états mentaux d'autrui diffèrent des siens (Premack et
Woodruff, 1978). Le concept de CE est donc englobé par celui de la théorie de l'esprit. Il
semble toutefois y avoir un consensus entre chercheurs pour dire que la CE représente
l'aspect affectif de la théorie de l'esprit, alors que le terme « théorie de l'esprit », bien
que cette division ne soit pas parfaite, est réservé pour désigner la compréhension des
états mentaux plus cognitifs comme les pensées, les souvenirs et les croyances (Bender,
Pons, Harris, Esbjørn, et Reinholdt-Dunne, 2015). Concrètement, la théorie de l'esprit
influence la CE (De Rosnay et al., 2008), imaginons par exemple un enfant qui doit
comprendre que son ami est fâché (émotion) parce qu'il n'a pas reçu le cadeau de fête
qu'il voulait (désir).
Cet exemple suscite également un questionnement sur la distinction entre la CE et
l'empathie. L'empathie est définie par Hoffman (2008) comme un état émotionnel
déclenché chez quelqu'un par l'émotion ou la situation d'autrui, provoquant ainsi les
mêmes émotions chez cette personne que si elle avait été à la place d'autrui. Par ailleurs,
l'empathie est généralement conçue comme étant déclenchée par la détresse d'autrui et
elle s'accompagne d'un comportement d'aide ou d'une intention de porter assistance,
motivée par un partage de la détresse (Hoffman, 2000). L'empathie est donc composée
d'une partie cognitive (c'est-à-dire prise de perspective) et d'une réaction affective
(Decety et Jackson, 2004). Bien qu'il soit possible qu'une réaction affective accompagne
la compréhension d'une émotion d'autrui, la CE est considérée comme étant une
connaissance et l'utilisation de celle-ci dans une situation précise. La compréhension
émotionnelle porte par ailleurs sur toutes les émotions, tant positives que négatives,
alors que l'empathie semble être considérée comme une variable d'intérêt surtout dans
des contextes où des émotions négatives et de douleur sont impliquées.
La CE est campée dans une perspective sociale. C'est en grande partie les travaux de
Suzanne Denham qui ont contribué à l'intérêt porté sur la compréhension émotionnelle.
Inspirée par les théories fonctionnalistes et dynamiques des émotions (voir Lewis,
Barrett, et Haviland-Jones, 2008), Denham (2006), ses travaux suggèrent que la CE
permet à l'enfant de fonctionner adéquatement dans le monde en l'aidant à négocier
avec succès les échanges interpersonnels et à atteindre des buts sociaux. De toutes les
périodes du développement, la compréhension émotionnelle apparaît comme
déterminante lors de l'âge préscolaire (Denham et al., 2002 ; Izard, 2002), puisque
comme plusieurs l'ont suggéré, le défi principal des enfants de cet âge est de
commencer à former des relations d'amitié (Parker et Gottman, 1989).

Les capacités de compréhension émotionnelle à l'âge


préscolaire
De nombreuses études se sont intéressées aux capacités de CE des enfants d'âge
préscolaire. Ces études ont démontré que les enfants de 3 et 4 ans sont capables de
reconnaître et de nommer les expressions faciales de joie, de colère, de tristesse et de
peur vues sur des dessins et des photographies (Denham et Couchoud, 1990a ; Widen et
Russell 2008) et qu'ils créent des théories sur les causes des émotions (Denham et
Kochanoff, 2002). À partir d'environ 4 ans, les enfants sont en mesure de citer les causes
familières de celles-ci (Fabes, Eisenberg, McCormick, et Wilson, 1988) et de distinguer
leurs causes des conséquences (Denham, 1998 ; Russell, 1990). Les enfants de 4 ans ont
en général saisi que les émotions sont provoquées par des situations différentes pour
chaque personne (équivocalité des émotions) (Denham et Couchoud, 1990b). Lors d'une
étude s'intéressant à la compréhension des émotions des camarades de garderie et de
leur mère, ainsi qu'aux attributions faites pour expliquer celles-ci chez des enfants de
4 ans, Hughes et Dunn (1998a) ont observé que la joie est mieux comprise que les autres
émotions et que les causes de tristesse et de colère étaient encore parfois confondues.
D'autres études ont démontré que la peur est plus difficile à comprendre que la
tristesse, la joie ou la colère à cette période du développement (Widen et Russell, 2003).
Widen et Russel (2008) ont démontré que les erreurs de catégorisation des émotions
vues sur des expressions faciales chez des enfants de 5 ans suggèrent qu'un processus
de différenciation est en cours à cet âge. Bien que les enfants commencent à ressentir
certaines émotions reliées à la conscience de soi comme l'embarras et l'envie, il semble
qu'ils n'en aient qu'une compréhension très rudimentaire (Bosacki et Moore, 2004).
Pons et son équipe (2004) ont créé un modèle qui divise le développement de la
compréhension émotionnelle en trois phases : publique, mentale et réflexive. Les
capacités des enfants de 4–5 ans leur permettraient de comprendre certains aspects
publics des émotions, soit les expressions faciales, les causes externes des émotions et
les souvenirs de situations antérieures. À cet âge, ils commencent aussi à saisir
l'influence de certains états mentaux sur les émotions, les préférences et les désirs
(Fabes, Eisenberg, Nyman, et Michealieu, 1991), qui sont caractéristiques du deuxième
stade. Par exemple, un enfant comprend qu'un ami sera déçu s'il reçoit un cadeau qu'il
n'aime pas. Le second stade serait véritablement atteint vers l'âge de 7 ans. Le troisième
stade, caractérisé par la capacité de réfléchir sur les émotions à partir de différentes
perspectives, serait atteint entre l'âge de 9 et 11 ans. Vers 4 ans, les enfants se situeraient
donc dans le premier stade de CE selon le modèle de Pons et les états mentaux
commenceraient à influencer graduellement la CE.
Moins d'études ont porté sur la CSPE des enfants d'âge préscolaire. Une étude de
Hughes et Dunn (1998b) a démontré que les enfants de 4 et 5 ans distinguent les causes
de leurs propres émotions des causes des émotions de leurs proches. Une étude de
Carroll et Steward (1984) portant sur les enfants de 4 à 9 ans, a démontré que la
description, des enfants de 4 à 5 ans de l'échantillon, de leurs propres émotions, était
composée en grande majorité d'indices visibles. Les enfants plus âgés arrivaient à
décrire les sensations internes et les états mentaux provoquant les émotions. Cette étude
suggérerait donc que la CSPE suit un parcours développemental similaire à celui de la
CEA décrit par Pons et al. (2004) allant d'une compréhension émotionnelle évoluant des
aspects externes aux aspects mentaux plus complexes. La variabilité de la
compréhension émotionnelle observée dans les études est toutefois très grande (Pons et
al., 2004) et plusieurs facteurs sont connus pour influencer les capacités de
compréhension émotionnelle des enfants.

Les déterminants de la compréhension émotionnelle


Les importantes différences retrouvées entre les enfants du même âge sont attribuables
à divers facteurs constitutionnels, épigénétiques et environnementaux. Nous nous
concentrerons sur deux de ceux-ci : la mentalisation parentale et les habiletés
langagières de l'enfant. La relation parent-enfant servira de point de départ pour situer
la contribution des facteurs, étant donné le très grand rôle des parents dans les
premières années de la vie de l'enfant pour lui fournir les outils lui permettant de
développer sa compréhension émotionnelle.

La mentalisation parentale
Dans le modèle théorique du développement de l'enfant proposé par Fonagy et Target
(1996,1997), le FR parental, c'est-à-dire les capacités de mentalisation du parent et
l'intérêt de celui-ci envers la subjectivité et l'esprit de l'enfant, est un facteur clé dans
l'établissement de ses propres capacités de mentalisation (Ensink et al., 2015). Selon ce
modèle, la prise de conscience d'un individu de ses propres états mentaux et de ceux
des autres émerge dans le contexte des premières relations d'attachement, à l'intérieur
desquelles l'enfant apprend à identifier et à se représenter mentalement ses propres
affects et états d'âme. La mentalisation parentale se traduit par différentes attitudes et
comportements parentaux présents dès les premiers mois de la vie qui signifient à
l'enfant qu'il possède des états mentaux qui lui sont propres (Slade, 2008 ; Ensink,
Leroux, Biberdzic, Normandin et Fonagy, 2017 ; Ensink, Normandin, Plamondon,
Berthelot et Fonagy, 2016). Lorsqu'un parent réagit aux comportements de son enfant
comme étant des tentatives de communication intentionnelle en lui disant, par exemple,
lorsqu'il pleure : « veux-tu que je change ta couche ? » ou encore « veux-tu un câlin ? »,
il lui transmet qu'il est un agent psychologique, c'est-à-dire un être capable de réfléchir
à ses propres buts, intentions et croyances ainsi qu'à ceux des autres (Fonagy et Target,
2003). Meins (2003) a quant à elle suggéré que les commentaires appropriés des parents
sur les états mentaux de leur enfant leur procurent un échafaudage conceptuel et
linguistique pour comprendre comment leurs processus psychologiques internes
affectent leurs comportements. Les mères ayant un meilleur fonctionnement réflexif
utiliseraient davantage ce type de commentaires en interagissant avec leur jeune enfant
(Bérubé-Beaulieu, Ensink et Normandin, 2016 ; Rosenblum, McDonough, Sameroff, et
Muzik, 2008). Des études empiriques ont également démontré que ces références aux
états mentaux de l'enfant dans le discours du parent lors de la première année de vie de
celui-ci prédit ses capacités de mentalisation mesurées plus tard dans l'enfance (Laranjo,
Bernier, Meins, et Carlson, 2014). D'autres recherches ont également suggéré que le FR
parental prédit les capacités de compréhension émotionnelle (Steele, Steele, Croft, et
Fonagy, 1999) et de FR (Ensink et al., 2015) des enfants. Finalement, tant le FR parental
que celui de l'enfant ont été associés négativement à toute une gamme de difficultés
psychologiques chez des enfants dont la dissociation (Ensink, Bégin, Normandin,
Godbout et Fonagy, 2016), la dépression et les problèmes externalisés (Ensink, Bégin,
Normandin et Fonagy, 2016 ; Ensink, Bégin, Normandin, Biberdzic, Vohl et Fonagy,
2016).
Lorsque les enfants développent le langage, la mentalisation parentale se répercute
sur la façon dont ils prennent part aux conversations avec leur enfant (Doan et Wang,
2010 ; Dunn, Brown, et Beardsall, 1991 ; Ruffman, Slade, et Crowe, 2002 ; Symons,
Fossum, et Collins, 2006). Plusieurs études ont démontré que les mères qui manifestent
une orientation vers les états mentaux de leurs enfants lors des conversations avec ceux-
ci, ont des enfants qui ont une meilleure compréhension des causes des émotions à la fin
de l'âge préscolaire (Dunn et Brown, 1993) et une meilleure compréhension des
émotions impliquées dans divers scénarios sociaux au début de l'âge scolaire (Dunn,
Brown, et Beardsall, 1991). Des recherches subséquentes ont montré que les mères qui
discutent des évènements passés chargés émotionnellement de façon curieuse et
engageante avaient des enfants qui ont une meilleure compréhension de l'esprit et des
émotions d'autrui (Raikes et Thompson, 2008 ; van Bergen et Salmon, 2010 ; Welch-
Ross, 1997), ainsi que de leurs propres émotions (Warren et Stifter, 2008). Fivush, Haden
et Reese (2006) suggèrent qu'en parlant du passé de cette manière, les mères aident leurs
enfants à se construire des représentations émotionnelles détaillées qui les aident à
comprendre les événements présents. En corollaire, les enfants de parents qui
mentalisent pauvrement ou de façon erronée, éprouvent de la difficulté à saisir la
nature des états mentaux des autres (Ensink, et al., 2015 Fonagy, et Goodyer, 2006).
Plusieurs études empiriques ont démontré que la sécurité de l'attachement de l'enfant
prédisait les capacités de mentalisation (Meins, Fernyhough, Russell, et Clark-Carter,
1998 ; Meins et al., 2002 ; Raikes et Thompson, 2006). Bretherton (1993) a proposé que les
enfants qui ont un attachement sécure seraient plus ouverts à parler d'émotions avec
leurs parents. Par ailleurs, la mentalisation parentale adéquate contribuerait aussi au
développement du lien sécure de l'enfant au parent (Fonagy et al., 2002).

Les habiletés langagières


Plusieurs études ont démontré que les capacités langagières prédisent de façon
importante des capacités de compréhension émotionnelle, notamment, Pons, Lawson,
Harris et Rosnay (2003) ont démontré qu'elles expliquaient autour de 50 % de la
variance de la CE dans un échantillon d'enfants de 4 à 11 ans. Également, les études
chez les enfants qui souffrent de retard langagier ont démontré que ces enfants
présentent un délai dans leur compréhension de l'esprit d'autrui (Andrés-Roqueta,
Adrian, Clemente, et Katsos, 2013). Harris, de Rosnay et Pons (2005) ont suggéré que les
habiletés langagières constituent les matériaux de construction des représentations
cognitives. Grâce au langage, les émotions prennent une forme concrète permettant de
les voir comme un objet de la réalité. Ils suggèrent également que le langage permet à
l'enfant de converser, ce qui lui offre des opportunités pour apprendre sur les émotions.
Cette idée implique que la capacité de l'enfant à bénéficier de l'effet des verbalisations
« mentalisantes » de ses parents et des discussions sur les émotions dépend aussi de ses
capacités verbales.

La compréhension émotionnelle et l'intégration sociale à


l'âge préscolaire
Plusieurs recherches suggèrent que les relations sociales sont définies par les échanges
émotionnels qui les caractérisent et que par le fait même, comprendre les émotions fait
figure de déterminant du succès social chez les enfants d'âge préscolaire
(Denham 2007). La compréhension des émotions d'autrui a d'ailleurs été associée avec
l'appréciation par les pairs, les comportements pro-sociaux et la résolution de conflits
(Denham et al., 2012 ; Dunn, Brown, et Maguire 1995 ; Dunsmore, Noguchi, Garner,
Casey, et Bhullar, 2008 ; Eggum et al., 2011 ; Liao, Li, et Su, 2013). Par ailleurs, des études
démontrent que le succès social à l'âge préscolaire a un rôle déterminant pour les
habiletés sociales, le nombre d'amis et la popularité à l'âge scolaire (NICHD ECCRN,
2008) ainsi que la qualité des relations d'amitié à l'âge adulte (Lansford, Yu, Pettit, Bates,
et Dodge, 2014). La compréhension des émotions d'autrui à l'âge préscolaire a
également été associée à la réussite scolaire à l'école primaire (Denham et al., 2012 ;
Izard et al., 2001 ; Trentacosta et Izard, 2007). Des auteurs ont suggéré que la CE
favoriserait le développement de bonnes relations avec les autres élèves et les
enseignants ce qui créerait un climat propice à l'échange d'information et à
l'apprentissage (Curby et al., 2015) contribuant ainsi au fait d'aimer l'école
(Denham 2006). En comparaison, une faible CEA a été associée à une faible compétence
sociale selon l'éducatrice ainsi qu'à une faible appréciation par les pairs (Denham, Blair,
Schmidt et DeMulder 2002). Peu d'études se sont toutefois intéressées à la contribution
de la compréhension de ses propres émotions sur le développement social des enfants
d'âge préscolaire. Le fait qu'il existe peu d'instruments de mesure de la CSPE adaptés
aux enfants d'âge préscolaire constitue un obstacle à la poursuite de recherches sur la
question. Jusqu'à maintenant, quelques recherches ont suggéré que les comportements
agressifs entraîneraient les difficultés sociales retrouvées chez les enfants ayant une
faible compréhension émotionnelle (Arsenio, Cooperman, et Lover, 2000). De
nombreuses études ont démontré que la compréhension émotionnelle est associée à
l'agressivité physique chez les enfants et les adolescents (voir la méta-analyse de
Trentacosta et Fine, 2010). Des recherches sur le modèle du traitement de l'information
sociale (Crick et Dodge, 1994 ; Lemerise et Arsenio, 2000) ont démontré que des
problèmes d'agressivité sont associés à la présence de biais, de déficits ou de distorsions
dans la compréhension des émotions d'autrui (Arsenio et al., 2009). Spécifiquement, un
grand nombre d'études a démontré qu'une mauvaise compréhension des émotions
d'autrui, qui a lieu lors des étapes d'encodage et d'interprétation, était associée à des
problèmes d'agressivité chez les enfants d'âge préscolaire (Denham et al., 2002).

Conclusion
Dans ce chapitre nous avons fait un survol du développement de la compréhension
émotionnelle de la naissance à l'âge préscolaire. En nous basant sur plusieurs recherches
scientifiques, nous avons proposé que la compréhension émotionnelle, en aidant à
trouver du sens dans les réactions d'autrui et les siennes, change la façon dont nous
faisons l'expérience des émotions et contribue ainsi à la régulation émotionnelle. De
plus, le développement de la capacité à se représenter les affects et à comprendre ce qui
les a déclenchés étayerait la mentalisation des émotions difficiles contribuant ainsi à la
régulation du self ainsi qu'à la régulation comportementale. Développer la capacité de
comprendre nos propres émotions est essentiel pour pouvoir imaginer ce que nous
projetons sur les autres et être capable de comprendre ce que les autres ressentent
revient à imaginer ce qu'il y a à l'intérieur de l'autre. Nous avons passé en revue les
recherches qui démontrent que les capacités de compréhension émotionnelle précoces
qui sont à la base de la mentalisation émergent lors du développement normal. Pour la
plupart des enfants, ces capacités deviennent rapidement automatiques et sont
succédées de « poussées de croissance » jusqu'à l'adolescence et au début de l'âge
adulte. Toutefois, certains enfants qui, pour diverses raisons comme l'abus et la
négligence, ont moins d'opportunités de développer leurs connaissances des émotions,
risquent d'avoir de la difficulté à identifier et à comprendre les émotions dans les
contextes interpersonnels chargés émotionnellement.

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732125.

1
Le présent chapitre se concentre sur la compréhension émotionnelle, facteur central dans le développement socio-
émotionnel. Des aspects complémentaires du développement socio-émotionnel sont par ailleurs traités dans les
chapitres 3, 5 et 39. Pour une revue des aspects liés au tempérament, le lecteur pourra se référer à Lemelin et
Therriault (2012).
CHAPITRE 14

Le développement du raisonnement et du
jugement moral
Sylvain Moutier

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les capacités de prise de décision chez l'adulte : un rôle prépondérant des
émotions ?
Les capacités de jugement sur l'incertitude et l'apprentissage à l'inhibition d'un
biais émotionnel
Conclusion

Introduction
Un exemple classique de dilemme susceptible d'inaugurer un chapitre dédié au
développement des capacités de raisonnement et de prise de décision sous incertitude
pourrait être le suivant : « soit la pensée humaine manque d'exercice logique (p), soit
l'essence de la pensée humaine n'est pas rationnelle (q), mais quoi qu'il en soit l'être
humain est très sensible aux biais de raisonnement ». En effet, pour les logiciens, le
dilemme correspond à un raisonnement qui, à partir de deux propositions disjointes (p
ou q), conduit à une seule conclusion, soit vraie (lorsque que l'une des 2 propositions au
moins est vraie), soit indéterminée si les deux propositions initiales p et q s'avèrent être
fausses. Bien que l'enjeu des chercheurs soit d'étudier le développement de la rationalité
logique des enfants, adolescents et adultes, les dilemmes expérimentaux proposés en
laboratoire s'éloignent du dilemme strictement logique pour se rapprocher de la
définition courante de nos dilemmes quotidiens où deux options concurrentes
conduisent à des conséquences radicalement différentes. En effet, ces dilemmes élaborés
par les chercheurs s'apparentent souvent à des situations de prise de décision qualifiées
de « pièges », dès lors qu'un des deux choix proposés est, par exemple, attractif, mais
dangereux, tandis que l'autre choix offert est nettement moins attirant, mais pertinent. Il
s'agit alors d'observer les choix privilégiés par les participants à ces expériences et
surtout de comprendre quels sont les mécanismes cognitifs qui sous-tendent leurs
décisions : les participants sont-ils en mesure de résoudre ces dilemmes en résistant au
piège et en sélectionnant la décision pertinente ou au contraire vont-ils tomber dans le
piège et prendre une décision non adaptée voire absurde ?
De façon intéressante, dans ce domaine, les premiers travaux de psychologie
cognitive, de psychologie du développement, mais aussi de neurosciences
développementales, ont montré que les adultes, dans certains contextes « pièges »,
produisaient quasiment systématiquement des réponses irrationnelles et cela malgré
d'indéniables capacités logico-mathématiques. Deux chercheurs désormais célèbres,
Tversky et Kahneman (1973 ; 1974 ; 1983), pionniers d'un important courant de
recherche sur la rationalité humaine et ses biais, ont été les premiers à utiliser des
épreuves de ce type, en créant notamment des dilemmes inspirés des jeux de hasard et
d'argent. Selon eux, au-delà de leurs simples apparences ludiques et essentiellement
distrayantes, les situations de prise de décision financière étaient en réalité bien plus
complexes qu'un simple jeu de hasard et devaient être envisagées comme de véritables
outils diagnostiques de nos capacités de prise de décision. Prolongeant les travaux de
Tversky et Kahneman dans le domaine arithmétique, une série d'épreuves très simples
en apparences, élaborées par Frederick (2005) pour son Cognitive Reflection Test, illustre
clairement les effets d'interférences, caractéristiques de ces dilemmes, provenant de la
compétition cognitive entre deux stratégies possibles de résolution : l'une habituelle,
automatique (« heuristique »), mais erronée, et l'autre reposant sur un calcul
arithmétique, légèrement plus complexe, mais correct. Il s'agit par exemple d'imaginer
que vous êtes dans un magasin de sport devant une raquette de tennis et une balle.
Vous apprenez non seulement que l'ensemble vaut un euro et dix centimes, mais aussi
que la raquette vaut un euro de plus que la balle. Combien vaut cette balle ? La
formulation de ce problème semble induire chez une majorité de sujets une réponse
intuitive, « 10 centimes », susceptible de court-circuiter le calcul arithmétique
élémentaire associée à la réponse correcte 5 centimes (la balle vaut 0.05 € ; la raquette
vaut 1.05 € et le total est donc de 1.10 €). Or, les résultats mettent en évidence qu'une
grande majorité de sujets adultes ne parviennent pas à sélectionner la stratégie
avantageuse (conduisant à la bonne réponse : 5 centimes) et répondent de façon erronée
« 10 centimes ». Une telle réponse irrationnelle pour un problème arithmétique aussi
simple découlerait, selon Tversky et Kahneman (1983), de l'utilisation d'un système de
pensée qualifié d'heuristique c'est-à-dire, global, automatique et peu coûteux en
ressources attentionnelles (conduisant à la mauvaise réponse : 10 centimes) qui court-
circuiterait notre second système de pensée analytique, logique, mais plus coûteux en
termes d'attention mentale. Ces premières recherches sur le système heuristique, et les
décisions absurdes qu'il entraîne allaient d'abord révolutionner la psychologie du
raisonnement avant de mener Kahneman jusqu'au Prix Nobel d'Économie en 2002,
6 ans après le décès de Tversky. Ce prix Nobel d'économie décerné à un psychologue
récompensait en particulier l'introduction, cruciale pour les modélisations macro-
économiques, d'un tout nouveau modèle psychologique de sujet humain « décideur »
susceptible de prédire, selon le contexte de la prise de décision financière, non
seulement les choix rationnels, mais aussi les décisions absurdes (Kahneman, 2012).
Après un tel succès, les dilemmes de prise de décision financière et leurs éventails de
contextes pièges ont ensuite été proposés par les chercheurs en psychologie du
développement à des sujets d'âges différents. En effet, à l'instar du Monopoly de notre
enfance ou des innombrables jeux de loterie ou de casinos intégrés dans nos loisirs
d'adolescents et d'adultes, ces situations expérimentales basées sur des jeux financiers
peuvent être appliquées à tous les âges de la vie, afin de rendre compte du
développement de la pensée rationnelle et de ses biais.
Ainsi, l'objectif de ce chapitre est de présenter quelques-unes des recherches les plus
originales qui, à partir d'étonnantes situations expérimentales « pièges », ont permis de
mieux comprendre non seulement le développement des capacités de prise de décision,
de raisonnement et de jugement moral, de l'enfant à l'adulte, mais aussi de découvrir
l'influence prépondérante des émotions lorsqu'il s'agit de résoudre un dilemme de la
cognition en résistant aux multiples pièges du contexte.

Les capacités de prise de décision chez l'adulte : un rôle


prépondérant des émotions ?
À partir de situations « pièges » dérivées de jeux de hasard et d'argent, Tversky et
Kahneman (1983) ont donc mis en évidence d'étonnantes erreurs systématiques ou
« biais » découlant de l'utilisation routinière de procédures « heuristiques » de
traitement de l'information, non seulement automatiques et peu coûteuses, mais
également très sensibles au contexte de présentation de la tâche. De façon intéressante,
cet effet de contexte caractéristique de la prise de décision financière est à l'origine de
l'une des formalisations majeures de Kahneman et Tversky, la théorie des perspectives
ou « prospect theory » (1979 ; Tversky et Kahneman, 1991). De telles situations « piège »
de prise de décision ne constitueraient donc pas un outil diagnostique des seules
capacités logico-mathématiques des sujets, mais aussi de leur capacité à supprimer des
stratégies concurrentes afin d'éviter d'en subir les interférences et de produire un biais
de raisonnement. C'est la raison pour laquelle, cette sensibilité des décideurs aux
puissants biais cognitifs associés aux effets provenant du cadre de la présentation
(framing effect), est utilisée dans les recherches actuelles comme mesure de l'efficience
exécutive des sujets adultes dans de nombreux travaux de psychologie et de
neurosciences cognitives. Plus récemment, à partir de ces travaux, De Martino,
Kumaran, Seymour et Dolan (2006), utilisant un paradigme d'imagerie
neurofonctionnelle, ont élaboré une tâche de prise de décision financière susceptible de
provoquer un important effet du cadre afin d'en étudier les bases neurocognitives. Au
début de chaque essai, les sujets sont informés qu'ils reçoivent une somme fictive de
50 € (« tu reçois 50 € ») avant de devoir prendre la décision de la remettre en jeu selon
une option sûre, ou une option risquée d'une valeur espérée identique et représentée
sous la forme d'une roue de la Fortune indiquant une certaine probabilité de perdre la
totalité de la somme de départ (ou de gagner la totalité de cette somme). La particularité
de cette épreuve repose sur la répétition de situations de prise de décisions financières
strictement identiques sur le plan arithmétique où seule varie la formulation de l'option
sûre, déclinée selon un cadre de gain, « tu gardes 20 € », ou selon un cadre de perte, « tu
perds 30 € ». Les données comportementales montrent clairement que les sujets adultes
ayant reçu 50 € choisissent préférentiellement de garder 20 € plutôt que de perdre 30 €.
En effet, dans ce dernier cas de figure, strictement identique, mais présenté sous forme
de perte et non de gain, les sujets préfèrent remettre en jeu leurs 50 €, acceptant le risque
de tout perdre ou tout gagner. Cette épreuve met donc en évidence la transgression
massive du principe d'invariance, puisque les mêmes sujets, malgré la stricte identité
mathématique, privilégient l'option sûre avec le cadre de gain, mais la rejettent avec un
cadre de perte, se révélant ainsi, en fonction de la formulation du problème,
alternativement aversifs aux risques ou preneurs de risques. Une telle modulation des
comportements s'inscrit typiquement dans l'effet du cadre. Rappelons que Tversky et
Kahneman (1981) rendaient compte de ce phénomène sous l'angle de la prégnance en
mémoire de travail d'un petit nombre d'opérations mentales nommées « heuristiques de
jugement » qui sous-tendent nos prédictions intuitives. Selon eux, les sujets adultes ne
disposant pas nécessairement d'un modèle formel adéquat pour calculer les probabilités
liées à des événements incertains, comme le résultat d'une élection ou la valeur future
du dollar, il est naturel d'avoir recours à ces jugements intuitifs et automatiques pour
évaluer, à moindre coût cognitif, l'incertitude. Ainsi, nos choix quotidiens seraient
largement déterminés par des automatismes associés à un système heuristique de
traitement cognitif (système 1) en conflit potentiel avec le système de traitement cognitif
analytique (système 2) correspondant aux normes classiques de la rationalité, définies
depuis les premières études de la psychologie de la décision, en référence à la théorie de
l'utilité espérée.
Pour cette même épreuve, les données neuroanatomiques de De Martino et al. (2006)
révèlent que l'effet du cadre est associé à une augmentation de l'activité d'un système
cérébral émotionnel (noyaux amygdaliens bilatéraux). Cet effet du cadre correspondrait
donc à un biais d'origine émotionnelle puisque les gains associés à une émotion positive
sont conservés, tandis que les pertes associées à une émotion négative favorisent la prise
de risque. De façon intéressante, les auteurs montrent que la résistance à cet effet
impliquerait elle aussi un système neurocognitif émotionnel complémentaire (cortex
préfrontal orbital et médian). Tout se passe comme si les individus les plus rationnels
disposaient, grâce à ce second système émotionnel, d'une meilleure prise de conscience
de leurs propres biais émotionnels et parvenaient à réguler ces derniers et ainsi à
résister aux pièges du contexte.
Si certaines erreurs de prise de décision ont une origine émotionnelle, dès lors que la
résistance à celles-ci relève également un système émotionnel, il s'agit alors de
comprendre comment les émotions s'intègrent aux systèmes exécutifs connus pour
rediriger la pensée des sujets, des erreurs vers la logique.
Ainsi, nous nous sommes tout d'abord intéressés à l'influence spécifique de la valence
émotionnelle (positive ou négative) sur la sensibilité à l'effet du cadre de jeunes adultes
lors de situations de prise de décision financière (voir Cassotti, Habib, Poirel, Aïte,
Houdé, et Moutier, 2012). En effet, selon les données de De Martino et al. (2006)
résumées ci-dessus, l'effet du cadre, ou la résistance à celui-ci, impliquerait différents
systèmes émotionnels. Afin de tester l'hypothèse selon laquelle différents contextes
émotionnels plaisants, déplaisants, ou neutres seraient susceptibles de biaiser les
stratégies de prises de décision des sujets, nous avons contrasté les performances de
57 sujets adultes, d'âge moyen 20 ans et 9 mois, répartis dans trois conditions
différentes de réalisation d'une épreuve informatisée dérivée de celle de De Martino et
al. (2006) décrite précédemment, associant respectivement l'affichage durant 5000 ms
d'images plaisantes (« contexte émotionnel positif »), déplaisantes (« contexte
émotionnel négatif ») ou d'aucune image (« contexte émotionnel neutre ») avant chaque
phase de décision nécessitant un choix entre l'option sûre ou risquée.
Chez ces sujets adultes, les contextes négatifs ou neutres ne modifient en rien leur
sensibilité à l'effet du cadre et les résultats soulignent la préférence de sélection de
l'option sûre dans un cadre de gain et de l'option risquée dans un cadre de perte. En
revanche, la présentation de stimuli visuels à valence positive, dont le contenu n'est
nullement lié à la situation de prise de décision, réduit de façon significative la prise de
risque des sujets en cadre de perte, supprimant ainsi l'effet du cadre. Ces données
comportementales confortent non seulement les conclusions de De Martino et al. (2006)
sur l'implication des émotions dans la sensibilité à l'effet du cadre, mais soulignent
surtout l'influence spécifique des émotions positives sur la capacité des sujets adultes à
résister à ce biais. Enfin, puisque seul l'ajout d'un contexte émotionnel positif semble en
mesure de supprimer le puissant effet du cadre via une réduction significative de la
prise de risque dans le cadre de perte, cela conduit à penser que cet effet du cadre
reposerait essentiellement sur une heuristique émotionnelle de type « aversion aux
pertes ». Cette heuristique « aversion aux pertes » serait en quelque sorte annulée par
l'introduction d'une émotion primaire comme la joie.
Selon nous, en accord avec les théories dites « à double système », toute la difficulté
pour les sujets reposerait donc bien dans ce type de situation de prise de décision sur la
gestion coûteuse, en mémoire de travail, de la compétition cognitive entre une stratégie
logico-mathématique pertinente (système 2) et une stratégie fortement automatisée
d'aversion aux pertes (système 1). Plus précisément, nos données montrent que
l'interférence qui en résulte peut être supprimée par la présentation de simples stimuli
visuels dont la valence émotionnelle est positive, facilitant ainsi la résistance à l'effet du
cadre et la gestion de la compétition cognitive entre systèmes 1 et 2 chez les sujets
adultes. Par ailleurs, une recherche complémentaire de Habib, Cassotti, Moutier, Houdé
et Borst (2015) montre que si l'on présente non plus des stimuli visuels positifs avant la
prise de décision, mais au contraire différents types de stimuli visuels négatifs, on
observe alors une influence des émotions de valence négative essentiellement dans le
cadre de gain et des effets opposés de la peur et de la colère : la peur conduit les sujets à
augmenter l'aversion au risque tandis que la colère la réduit et supprime alors
mécaniquement l'effet du contexte (la proportion de choix risqué étant équivalent en
cadre de gain et de perte).
Récemment, toujours afin de mieux comprendre l'influence des processus
émotionnels en jeu dans la prise de décision, plusieurs études originales ont eu l'idée de
contraster les prises de décision des sujets adultes typiques avec celles des personnes
autistes de haut niveau. En effet, si ces patients présentent des difficultés dans les
interactions sociales ainsi que des comportements stéréotypés ou des intérêts restreints,
ils possèdent en revanche un niveau intellectuel global dans la norme, voire supérieur à
la norme. De façon intéressante pour notre objet d'études, ces patients présentent des
difficultés à la fois dans la prise de décision dans la vie quotidienne (Luke, Claire, Ring,
Redley et Watson, 2012) et de traitement des émotions (voir Gaigg, 2012 pour une
revue). Plusieurs auteurs se sont donc intéressés à cette population avec l'objectif de
caractériser l'influence des processus émotionnels sur leurs processus décisionnels.
Notamment, De Martino, Harrisson, Knafo, Bird et Dolan (2008) se sont centrés sur le
rôle des processus émotionnels dans la résistance à l'effet du contexte chez les autistes
de haut niveau, à l'aide du même paradigme expérimental que celui décrit
précédemment dans ce chapitre (voir De Martino et al., 2006). Tandis que les résultats de
cette recherche confirment que les adultes autistes de haut niveau sont eux aussi
sensibles à l'effet du cadre de présentation (gain versus perte), cet effet apparaît atténué
par rapport à celui classiquement observé chez les adultes typiques. Il faut préciser que
les auteurs avaient eu recours pour cette étude à des mesures psychophysiologiques de
« conductance cutanée » (c'est-à-dire, mesure électrodermale reflétant les variations de
sudation à la surface de la peau consécutives à un ressenti émotionnel), afin de procéder
à l'évaluation comparative de l'intensité du ressenti émotionnel des sujets typiques et
atypiques au cours du jeu. Les résultats sont étonnants puisque, contrairement aux
sujets typiques, les autistes de haut niveau ne manifestent pas de différence de réponse
électrodermale suivant le cadre de présentation (gain versus perte) ce qui les conduit à
mieux résister à l'effet du cadre. De nouvelles recherches devront à terme déterminer s'il
s'agit simplement d'une moindre sensibilité émotionnelle à ce biais ou d'une plus
grande efficience logico-mathématique leur permettant d'adopter un comportement
plus rationnel en dépit des variations pièges du contexte.

Le développement des capacités d'anticipation en


situation de prise de décision sous incertitude
Ensuite, afin de caractériser le rôle des émotions, non plus seulement primaires et
incidentes comme ci-dessus, mais cette fois-ci plus complexes et directement liées aux
décisions des sujets en situation d'incertitude, nous nous sommes également intéressés
au développement de la capacité à ressentir des émotions telles que le regret et le
soulagement (Habib, Cassotti, Borst, Simon, Pineau, Houdé, et Moutier, 2012), chez
l'enfant d'âge scolaire, l'adolescent et l'adulte. Le regret et le soulagement sont des
émotions contre-factuelles, car elles résultent nécessairement d'une comparaison,
respectivement défavorable ou favorable, entre ce qui est advenu, c'est-à-dire la
conséquence factuelle de notre choix, et ce qui aurait pu advenir si nous avions effectué
un choix différent, c'est-à-dire la conséquence contre-factuelle. Mellers, Schwartz, Ho et
Ritov (1997) ont élaboré un paradigme élégant afin d'étudier le ressenti du regret et
l'anticipation de celui-ci. Le principe de cette épreuve expérimentale est de présenter
aux sujets des situations de prise de décision financière constituées de paires d'items
dont les probabilités de gains et de pertes sont symbolisées par des « roues de la
Fortune ». Après chaque décision, les sujets peuvent d'abord être informés du résultat
obtenu pour l'item sélectionné, avant que ce feed-back « partiel » soit ensuite complété
par un feed-back « complet » présentant le résultat qu'ils auraient obtenu en choisissant
l'autre option. Tandis que le feed-back « partiel » permet d'étudier le ressenti émotionnel
de la déception et de la satisfaction à l'aide d'une échelle d'auto-évaluation émotionnelle
allant de « très content » à « très mécontent », le feed-back complet, induisant une
comparaison contre-factuelle, permet d'étudier le ressenti émotionnel du regret et du
soulagement à l'aide de la même échelle émotionnelle. De plus, dans certaines
conditions, les résultats n'étaient pas fournis aux sujets qui devaient alors anticiper leurs
émotions hypothétiques. De façon intéressante, les données soulignent la précision de
l'anticipation des émotions, et notamment du regret, puisque les auteurs observent une
corrélation forte entre ressenti émotionnel anticipé et ressenti effectif. Plus récemment, à
partir du même paradigme, les travaux de Camille, Coricelli, Sallet, Pradat-Diehl,
Duhamel et Sirigu (2004) comparant des sujets sains et des patients avec des lésions du
cortex orbitofrontal, puis ceux de Coricelli, Dolan et Sirigu (2007) menés chez des sujets
sains, à l'aide des techniques de neuroimagerie fonctionnelle (IRMf), ont confirmé
l'influence de l'anticipation du regret sur la prise de décision des sujets adultes. Les
données mettent en évidence l'implication croissante du cortex orbitofrontal médian,
non seulement lors de l'expérience directe du regret, mais également juste avant la prise
de décision. Selon les auteurs, ce résultat souligne les propriétés intégratives du cortex
orbitofrontal médian, associant les composantes cognitives et émotionnelles, et
l'implication de celui-ci dans la modulation d'émotions à forte valeur adaptative,
comme le regret, dont le ressenti anticipé est susceptible de modifier la prise de décision
des sujets.
Afin de rendre compte du développement du ressenti du regret et de son influence
sur la prise de décision des sujets, nous avons donc récemment appliqué ce paradigme
de prise de décision financière (voir Habib et al., 2012) à 19 enfants (âge
moyen = 11.2 ans, SD = .66), 17 adolescents (âge moyen = 14.5 ans, SD = .40), et 17 jeunes
adultes (âge moyen = 20.2 ans, SD = 1.48), en ajoutant à l'échelle émotionnelle
habituellement utilisée (mesurant le ressenti du regret/soulagement) une échelle
d'évaluation rétrospective des choix (mesurant le souhait de modifier/reconsidérer le
choix initial). En effet, selon nous, tout l'intérêt de cette échelle complémentaire est
d'évaluer sur le plan comportemental, au-delà du gradient développemental du regret,
le degré en fonction duquel les participants souhaiteraient modifier leur choix. Nos
données mettent en évidence pour la première fois, d'une part le développement
progressif de la capacité à ressentir ces émotions contrefactuelles chez l'enfant,
l'adolescent et l'adulte et, d'autre part, le fait que cette expérience croissante du regret
s'associe au développement de la volonté de reconsidérer ses choix initiaux, mais de
façon plus marquée chez l'adulte que chez l'enfant.

Le développement des capacités de prise de décision et


sensibilité aux apprentissages émotionnels
Les premiers travaux, menés à l'aide de techniques neurophysiologiques, comme la
mesure de la conductance cutanée-SCR (Spiess, Etard, Mazoyer, Tzourio-Mazoyer, et
Houdé, 2007), et de neuroimagerie fonctionnelle en TEP (Houdé, Zago, Mellet, Moutier,
Pineau, Mazoyer, et Tzourio-Mazoyer, 2000 ; Houdé, Zago, Crivello, Moutier, Pineau,
Mazoyer, et Tzourio-Mazoyer, 2001), combinés aux données de neuropsychologie de
l'équipe de Damasio centrées sur l'étude de patients avec lésions préfrontales en
situation de prise de décision financière ambiguë (Damasio, Grabowski, Frank,
Galaburda, et Damasio, 1994 ; Bechara, Damasio, Tranel, et Damasio, 1997 ; Bechara,
Damasio, et Damasio, 2000), conduisent à penser que les bases neurales de la sensibilité
aux apprentissages émotionnels et à la résistance aux biais impliqueraient un réseau
neurocognitif émotionnel complexe, et tout particulièrement le cortex préfrontal ventro-
médian. Selon la théorie de Damasio (voir Damasio et al., 1994), cette région limbique
est fortement impliquée dans la construction de « marqueurs somatiques », associant le
ressenti émotionnel des sujets avec les choix qu'ils viennent d'effectuer, ainsi que dans
la réactivation de ces marqueurs émotionnels lors de nouvelles situations de prise de
décision isomorphes. Anticipant les conséquences positives et négatives des différents
choix proposés, l'accès à cet état émotionnel et à la sensation corporelle correspondante
avant la découverte du feed-back (résultat du choix), orienterait les sujets de façon
préconsciente vers des prises de décision à forte valeur adaptative. Tout se passe
comme si les aires préfrontales étaient impliquées dans la réactivation des expériences
émotionnelles, en particulier négatives. Ces alarmes émotionnelles préconscientes ont
été mises en évidence grâce à une célèbre tâche expérimentale ressemblant à un jeu de
poker simplifié et la technique d'enregistrement de la conductance cutanée : la Gambling
Task de Bechara et al. (2000). Inspirée de situations de la vie quotidienne où les
jugements sur l'incertitude conduisent à des récompenses ou des punitions, cette
Gambling Task se présente comme un jeu de poker simplifié dans lequel les sujets
disposent d'une réserve d'argent (2000 $) et ont pour instruction de piocher, une par
une, des cartes disposées en 4 piles identiques. Ce que les sujets ignorent, c'est que la clé
de la réussite est ici de résister aux gains en apparence faciles pour deviner, au fur et à
mesure des 100 essais, quels sont les tas de cartes les plus avantageux sur le long terme.
Néanmoins, après une vingtaine de sélections de cartes et sans avoir conscience du
piège, la plupart des sujets adultes réactivent des alarmes émotionnelles juste avant un
choix désavantageux, ce qui se traduit par une augmentation de la conductance
cutanée. Ces alarmes émotionnelles anticipées et le ressenti négatif qui en découle
faciliteraient l'évitement de certains choix antérieurement labellisés « dangereux » par
notre cortex orbitofrontal. En effet, tout se passe comme si les aires préfrontales étaient
impliquées dans la réactivation des expériences émotionnelles négatives associées à
d'importantes pertes financières subies dans ce même contexte lors de précédentes
sélections de cartes. Chez les sujets adultes, la réactivation de ces alarmes émotionnelles
lors de situations de prise de décision isomorphes faciliterait donc l'évitement des biais
et l'adoption de stratégies moins risquées. C'est ainsi que nous parvenons à résister à
l'appât d'un important gain financier immédiat en faveur de gains futurs plus
importants.
Mais qu'en est-il de la résistance aux gains immédiats et de l'aversion aux pertes
financières des enfants et des adolescents ? Afin de mieux comprendre l'évolution des
capacités de prise de décision caractéristiques des jeux de hasard et d'argent, nous nous
sommes ensuite intéressés plus spécifiquement au développement de la sensibilité aux
alarmes émotionnelles des sujets d'âge différent confrontés à différentes versions
informatisées de la Gambling Task. Ces derniers travaux ont mis en évidence le
développement spécifique de stratégies d'ajustement aux feed-backs. Notamment, dans le
cadre de la version classique de la Gambling Task, les résultats montrent que les
stratégies des enfants (âge moyen = 9 ans ½) ne diffèrent pas quels que soient les feed-
backs reçus (gains ou pertes), tandis que les adolescents (âge moyen = 13 ans et 8 mois)
et les adultes (âge moyen 19 ans et 11 mois) changeront plus fréquemment d'options
après une perte (stratégie loss-shift ») qu'après un gain (stratégie win-stay). De façon
intéressante, nous observons également des chemins développementaux inversés pour
ces deux stratégies dès lors que les adultes utilisent plus fréquemment la stratégie win-
stay que les adolescents et les enfants, mais moins fréquemment la stratégie loss-shift.
Ces données conduisent à penser que le développement de la sensibilité aux alarmes
émotionnelles associées aux feed-back de la Gambling Task s'associe au développement de
la capacité de gestion différenciée des feed-back en lien avec l'ajustement des stratégies
win-stay et loss-shift, pour une meilleure adaptation à cette épreuve de prise de décision
sous ambiguïté (voir Cassotti, Houdé, et Moutier, 2011). Concernant notre adaptation
de la Soochow Gambling Task, celle-ci nous permet de révéler la tendance systématique
des enfants (âge moyen = 8 ans ½), mais aussi des adolescents (âge moyen = 12 ans ½), à
privilégier essentiellement les options associées à des pertes financières peu fréquentes,
tandis que les adultes (âge moyen = 25 ans et 9 mois) ont développé une stratégie plus
avantageuse en coordonnant la fréquence des pertes, mais aussi l'ampleur des gains,
réduisant ainsi progressivement l'ambiguïté des différentes options. Ces deux
recherches soulignent ainsi le rôle adaptatif du développement d'une tolérance
psychologique et émotionnelle aux pertes, du point de vue de la capacité
d'apprentissage des caractéristiques des options, en situation de prise de décision
ambiguë (voir Aite, Cassotti, Rossi, Poirel, Lubin, Houdé, et Moutier, 2012).

Les capacités de jugement sur l'incertitude


et l'apprentissage à l'inhibition d'un biais émotionnel
Dès lors que l'ensemble des travaux expérimentaux présentés ci-dessus nous conduit à
penser que les systèmes émotionnels jouent un rôle majeur dans la gestion des
situations de compétition cognitive en facilitant la prise de décision, il s'agit alors de
définir les relations entre systèmes émotionnels et exécutifs. Plus précisément, l'objectif
ici est de mieux caractériser les relations qui existent entre sensibilité émotionnelle,
fonctions exécutives et jugement de probabilité, du point de vue de la résistance aux
erreurs de raisonnement tel que le biais de représentativité (Tversky et Kahneman, 1974,
1983 ; Kahneman et Tversky, 1972, 1979). En effet, au-delà du domaine de la prise de
décision financière, Kahneman et Tversky ont également mis en évidence la prégnance
de jugements intuitifs associés à nos stéréotypes sociaux et induits par le contexte
sémantique de la tâche, susceptibles de conduire les sujets adultes à des biais cognitifs
majeurs en situation de jugement sur l'incertitude. Depuis ces travaux princeps, la
psychologie cognitive du raisonnement met l'accent sur la difficulté des sujets adultes à
ignorer certains faits, contenus dans l'énoncé du problème, dès lors qu'ils sont
représentatifs de certaines de leurs croyances, ou encore lorsqu'ils sont familiers et
habituellement sollicités. Par exemple, imaginez une jeune femme, Linda, dont le profil
est celui d'une étudiante libérale des années 1970 aux États-Unis, célibataire,
extrêmement brillante, diplômée en philosophie, très impliquée pendant ses études par
les problèmes de discrimination sociale, mais aussi de lutte anti-nucléaire. Il s'agit alors
de faire l'évaluation comparative des probabilités pour que cette ex-étudiante ayant
atteint la trentaine soit caissière dans une banque (C), ou caissière dans une banque et
militante dans un mouvement féministe (C et F), ce qui correspond à des classes en
relation d'inclusion, la classe « caissière et féministe » étant incluse dans la classe
« caissière ». Étonnamment, 85 % des sujets adultes donnent une mauvaise réponse en
jugeant, à tort, la proposition Caissière et Féministe (C et F) comme « plus probable »
que Caissière (C), transgressant ainsi le calcul des probabilités selon lequel
P(CetF) ≤ P(C). D'après Kahneman et Tversky (1979), les sujets fondent leur jugement
sur le degré de similitude, entre les modèles proposés (C ; C et F) et l'élément considéré
(Linda). Les sujets procèdent donc à ce choix erroné (C et F) essentiellement en fonction
du critère de représentativité vis-à-vis du modèle (Linda) : il s'agit d'une manifestation
de l'heuristique de représentativité.
Au-delà de la mise en évidence, chez une majorité de sujets, de la prégnance de
stratégies heuristiques court-circuitant leurs capacités de raisonnement probabiliste, nos
travaux antérieurs (Moutier et Houdé, 2003) avaient souligné le rôle prépondérant d'un
mécanisme exécutif clef, l'inhibition cognitive, via la possibilité de rediriger, grâce à un
apprentissage exécutif, la pensée des sujets adultes des biais vers la logique. En effet, à
l'aide d'une méthode originale d'apprentissage expérimental à l'inhibition du biais de
représentativité, l'expérimentateur délivrait aux sujets adultes des explications sur une
épreuve différente, mais qui suscitait le même type de biais tout en reposant sur la
même règle de conjonction de probabilités. L'essentiel de cet apprentissage verbal était
donc de délivrer des consignes de résolution métacognitives, de type « attention, ici on
croit que c'est simple, mais on tombe dans le piège de la réponse la plus familière. Afin
de trouver la bonne réponse, il s'agit donc de se méfier de la réponse la plus familière
(c'est-à-dire, étape 1 « inhibition du biais ») avant de s'intéresser à tous les éléments du
problème, y compris ceux qui ne nous sont pas familiers, mais qui peuvent nous aider à
trouver la bonne réponse (c'est-à-dire, étape 2 « activation de la réponse correcte via le
recours à loi de conjonction de probabilité »). » Ces premières données démontraient la
possibilité pour les sujets adultes, confrontés à la même épreuve piège de jugement de
probabilité en pré- et post-tests, c'est-à-dire avant et après l'apprentissage, d'augmenter
de façon significative leur capacité à inhiber le mode de fonctionnement automatique et
intuitif (heuristique de représentativité), au profit d'un mode de fonctionnement
contrôlé, attentionnel et logique. Cependant, une proportion non négligeable de sujets
ne bénéficiait pas de cet effet de « debiasing », nous conduisant ainsi à étudier la
variabilité interindividuelle de la réceptivité à l'apprentissage à l'inhibition du biais de
représentativité (Cassotti et Moutier, 2010). Cette question de la réceptivité aux
apprentissages exécutifs avait précédemment été envisagée dans le domaine du
raisonnement déductif, du point de vue de l'apprentissage à l'inhibition du biais
d'appariement perceptif.
À ce stade de découverte des mécanismes psychologiques qui sous-tendent la prise
de décision humaine, l'enjeu pour les neurosciences comme pour la psychologie
cognitive, est alors de caractériser, dans la perspective micro-développementale des
apprentissages, les liens entre systèmes émotionnels et exécutifs du point de vue de la
résistance aux erreurs de jugements intuitifs. C'est précisément le défi que nous avons
relevé, avec une série de recherches comportementales, au cours de ces 5 dernières
années. Ainsi, afin de démontrer que la variabilité inter-individuelle de la réceptivité à
l'apprentissage à l'inhibition du biais de représentativité serait également fonction du
gradient de sensibilité aux émotions, nous avons complété notre paradigme
d'apprentissage exécutif avec la version informatisée de l'épreuve classique de prise de
décision financière (Gambling Task) de Bechara et al. (2000), connue pour être la
meilleure épreuve expérimentale diagnostique du gradient de sensibilité aux
apprentissages émotionnels des sujets. Lors d'un pré-test, 44 sujets adultes âgés de 18 à
22 ans (âge moyen = 18 ans et 9 mois) ont donc été confrontés à la version informatisée
de la Gambling Task ainsi qu'à une épreuve de type « Linda » (Tversky et Kahneman,
1973) nous permettant de vérifier leur sensibilité au biais de représentativité (100 %
d'échec dans notre échantillon, voir figure 14.1A). Ensuite, à partir d'une épreuve
différente de jugement de fréquence (calcul des fréquences relatives de mots de 7 lettres
de la forme « _ _ _ _ _ _ T » par rapport à des mots de 7 lettres de la forme, moins
fréquente, mais plus familière « _ _ _ _ _ N T », soit p(N et T) ≤ P(T) ; voir Tversky et
Kahneman, 1973), nous avons procédé à un apprentissage de l'inhibition du piège,
expliquant le danger de la familiarité de certains éléments du contexte (comme les mots
se terminant par « NT ») à une moitié de notre échantillon. En guise de contrôle et
toujours à partir de cette seconde épreuve, nous avons délivré à l'autre moitié de nos
sujets un apprentissage strictement logique, en leur rappelant uniquement les lois de
probabilité. Conformément à notre hypothèse, lorsque, juste après apprentissage,
l'épreuve de type « Linda » était à nouveau proposée aux sujets (post-test), seul le
groupe « inhibition » à qui l'on avait délivré des alarmes inhibitrices vis-à-vis des
éléments familiers, mais « pièges », voyait ses performances s'améliorer avec 8 sujets
présentant un pattern significatif du type biais logique (voir figure 14.1B). En revanche,
pour les sujets à qui l'on avait simplement rappelé les lois élémentaires de probabilité,
l'échec demeurait toujours aussi massif. Cet effet d'apprentissage de l'inhibition,
contrasté à l'absence d'effet d'une instruction logique, nous permet de dissocier deux
niveaux de fonctionnement (lois de probabilité et jugement intuitif) dont le recrutement
spécifique repose donc sur le degré d'efficience des capacités d'inhibition. Cependant,
au-delà de ces données répliquant nos travaux antérieurs, les résultats principaux issus
de la Gambling Task soulignent le lien entre la sensibilité aux alarmes émotionnelles et la
réceptivité à l'apprentissage à l'inhibition. En effet, les sujets ne parvenant pas à inhiber
le biais de jugement intuitif en post-test, après apprentissage exécutif, présentent
également des scores de performances significativement inférieurs à l'épreuve de la
Gambling task (voir figure 14.1C).
FIGURE 14.1 A. (a). Matériel utilisé pour la condition d'apprentissage expérimental avec
alertes exécutives émotionnelles. Le carré hachuré est utilisé durant cet apprentissage afin de
matérialiser les processus attentionnels exécutifs nécessaires à la réussite, les hachures
symbolisant l'inhibition du biais. (b). Matériel utilisé pour la condition d'apprentissage contrôle,
strictement logique et sans alertes exécutives émotionnelles.
B. Proportion de réponses biaisées à l'épreuve College Student Task, en pré- et post-tests
pour les groupes Apprentissages Expérimental et Contrôle.
C. Scores de performances à l'Iowa Gambling Task (IGT) – correspondant à la soustraction
entre le nombre de tirages dans les tas avantageux (C + D) et les tas désavantageux (A + B)
au cours des 5 blocs de 20 cartes (+ barres d'erreurs) – pour les seuls sujets de la condition
« Apprentissage expérimental » en fonction de leurs réponses soit de type « Logique », soit de
type « Biais » lors du post-test. Les sujets ayant proposé une réponse logique lors du post-test
choisissent significativement plus de cartes dans les tas avantageux à l'IGT par rapport aux
sujets ayant fourni une réponse biaisée. Source : d'après Cassotti et Moutier (2010).

Tout en confirmant que l'inhibition cognitive, en tant que puissant mécanisme


exécutif de suppression du piège, est bien la clef de la prise de décision logique, en
situation de jugement sur l'incertitude, ces données conduisent à une nouvelle
description de la programmation exécutive de l'inhibition du biais dorénavant
envisagée sous l'angle d'une indispensable coordination neurocognitive des systèmes
émotionnels et exécutifs.

Le développement des capacités de jugement moral chez


les enfants d'âge préscolaire et scolaire
Au cours de sa vie sociale, l'individu doit souvent se former des jugements à l'égard de
ceux qui l'entourent. Dois-je condamner un individu qui a causé un accident ?
L'intention de cette personne était-elle initialement bonne ou non ? L'élaboration d'un
jugement moral à l'égard d'un individu peut parfois se révéler particulièrement difficile
dès lors que l'action qu'il a effectuée est source d'évaluations contradictoires.
La plupart des chercheurs dans le domaine de la cognition morale s'accordent
aujourd'hui sur l'idée que certains processus impliqués dans le jugement moral ont une
nature intuitive (ou heuristique). Cependant il existerait également d'autres processus,
plus complexes et plus coûteux d'un point de vue cognitif, qui sont impliqués dans
certains types de jugements moraux.
À l'instar des travaux présentés ci-dessus dans les domaines de la prise de décision et
du jugement sous incertitude, les modèles théoriques, afin de rendre compte des
mécanismes cognitifs qui sous-tendent le jugement moral, impliquent un double
processus (Buon, Jacob, Loissel et Dupoux, 2013 ; Greene, 2009 ; Greene, Morelli,
Lowenberg, Nystrom, et Cohen, 2008 ; Greene, Sommerville, Nystrom, Darley, et
Cohen, 2001). C'est le cas notamment du modèle de Greene élaboré afin de rendre
compte des deux modes de résolution des célèbres dilemmes moraux personnels. Un
dilemme moral personnel consiste à juger une action qui d'une part évoque directement
un dommage à une personne particulière, et n'est pas la conséquence d'une menace déjà
existante et, d'autre part, pourrait permettre de causer plus de bénéfices (sauver cinq
vies par exemple) que de coût (ôter une seule vie par exemple), comme dans le célèbre
dilemme dit du footbridge : vous êtes sur un pont en dessous duquel se trouvent des
rails. Sur ces rails se trouvent cinq personnes qui risquent de se faire écraser par un
trolley fou, qui arrive à toute vitesse. Pour l'arrêter, vous avez cependant la possibilité
de pousser la personne qui se trouve à vos côtés. Celle-ci tombera sur les rails, ce qui
permettra d'arrêter le trolley et de sauver les cinq personnes. Cependant, il mourra
écrasé par le trolley. Est-il permis de pousser cette personne sur les rails ? Quels sont les
processus cognitifs impliqués dans une telle prise de décision ?
Le modèle à double processus de Greene stipule que, lorsque nous sommes
confrontés à ce type de dilemme moral, nous pouvons répondre :
• soit d'une manière intuitive, sur la base d'une réponse émotionnelle automatique.
Cela donne lieu à un jugement dit « jugement déontologique » - à savoir, un
jugement qui privilégie les « droits » et « devoirs » : nous décidons de ne pas
effectuer l'action. Dans ce cas nous nous focalisons sur l'effet nuisible de l'action par
exemple (son rôle causal) ;
• soit d'une manière rationnelle, non émotionnelle, sur la base de processus cognitifs
contrôlés, qui sont plus coûteux en termes de ressources exécutives. Cela donne lieu
à un jugement dit « utilitariste » – à savoir, un jugement qui permet des actions
nuisibles qui visent à maximiser des conséquences bénéfiques. Dans ce cas nous
nous focalisons plutôt sur la considération du ratio positif entre coûts et bénéfices de
l'action.
Face à ce type de dilemme moral, ces deux processus distincts peuvent entrer en
conflit. Parvenir à donner une réponse « utilitariste » dépend alors de notre capacité à
inhiber les processus intuitifs nous poussant automatiquement à donner une réponse
déontologique1.
Tel est le cas lorsque nous sommes confrontés à un individu qui cause
accidentellement du mal et qu'il faut procéder à une évaluation morale de son acte. Les
études scientifiques montrent en effet qu'il existe en pareil cas un conflit au sein de
notre système cognitif. D'une part, percevoir les conséquences de son action (quelqu'un
souffre) provoque en nous une forte décharge émotionnelle négative susceptible de
nous mener automatiquement à une évaluation morale négative. D'autre part, le fait de
constater qu'il n'avait pas l'intention de faire du mal, via nos connaissances acquises sur
le fonctionnement de l'esprit humain (ce qu'on appelle la théorie de l'esprit), nous
conduirait alors à une évaluation positive de l'action de l'individu, en contradiction avec
l'évaluation automatique précédente. Les travaux récents issus des neurosciences et de
la psychologie cognitive expérimentale montrent que les adultes parviennent à atténuer
leur première évaluation, non seulement à l'aide de leurs capacités de théorie de l'esprit,
mais également grâce à des capacités complexes de pilotage et de contrôle sélectif des
différentes stratégies conflictuelles. En l'occurrence, dans le cas des accidents, toute la
difficulté est alors d'atténuer la forte décharge émotionnelle que la situation perçue
provoque en « bloquant »/contrôlant les émotions négatives ressenties, au profit d'une
évaluation tenant compte de l'intention de l'individu. Une telle inhibition de la stratégie
émotionnelle est cependant très coûteuse, à l'instar de toute inhibition ou blocage de nos
automatismes. Tout l'enjeu de ce projet de recherche mené avec le Département
d'études cognitives de l'Institut Jean Nicod (ENS ; Gvozdic, Moutier, Dupoux, et Buon,
2016) est donc, à partir de ces données sur les mécanismes d'élaboration de l'évaluation
morale chez l'adulte, de mieux rendre compte, chez les enfants d'âges préscolaire et
scolaire entre 5 et 7/8 ans, de la construction progressive d'un jugement indulgent
envers quelqu'un qui cause accidentellement du mal. Il s'agit donc d'un projet innovant
puisqu'il ambitionne de mettre en évidence, pour la première fois, comment s'effectue
l'évolution du jugement moral chez l'enfant entre 5 et 8 ans, du point de vue du
développement de sa théorie de l'esprit et de ses capacités de résolution de conflits de
stratégies, en situation de « dilemme moral », grâce au contrôle de ses ressentis
émotionnels. Par ailleurs, il s'agit également de montrer que ces capacités de gestion
sélective des stratégies sont sensibles aux apprentissages et qu'un renforcement des
capacités de contrôle de ses stratégies et ressentis émotionnels lui permettrait d'élaborer
plus aisément un jugement moral mature.
Afin d'opérationnaliser notre hypothèse en termes de difficultés d'inhibition de la
décharge émotionnelle associée intuitivement au jugement négatif de l'agent ayant
causé la blessure, nous avons tout d'abord élaboré un paradigme permettant d'évaluer
dans quelle mesure les jugements moraux des enfants étaient sensibles au rôle causal
des agents (c'est-à-dire au fait de causer de la souffrance) et à leur intention de nuire.
Pour ce faire nous avons présenté aux enfants des vidéos par paires, contrastées soit par
le rôle causal de l'agent (« Accident », un agent cause du mal, mais n'en avait pas
l'intention versus « Coïncidence », un agent ne cause pas du mal et n'a pas l'intention de
faire du mal) soit par l'intention de nuire de l'agent (« Accident », voir description ci-
dessus versus « Agression », un agent cause du mal intentionnellement) (voir
figure 14.2).
FIGURE 14.2 Synopsis des 3 conditions utilisées en pré- et post-tests.
Dans la condition « Coïncidence », le protagoniste (avec le chapeau) se balance sans heurter
le personnage sur le chemin. Dans la condition « Accident », le protagoniste (avec le chapeau)
se balance et, sans savoir qu'un personnage arrive sur le chemin, finit par le heurter. Dans la
condition « Aggression », le protagoniste (avec le chapeau) se balance et heurte
intentionnellement le personnage qui arrive sur le chemin. Source : d'après Gvozdic, Moutier, Dupoux,
& Buon (2016).

Deux séries de questions permettaient de recueillir le jugement de l'enfant sur chaque


agent individuellement ou en comparaison avec l'autre agent du contraste. Ce design
nous permettait d'évaluer l'influence de l'intention des agents et de leur rôle causal
respectivement, dans le jugement moral des enfants. Pour chaque contraste, chacune
des vidéos était d'abord présentée deux fois et suivie par un questionnaire individuel,
composé d'une série de questions individuelles portant sur le personnage à juger : Q1 :
« Est-ce qu'il est gentil ? », Q2 : « Est-ce qu'il est méchant ? » Q3 : « Est-ce que tu veux
jouer avec lui ? », Q4 : « Est-ce que tu veux lui donner un cadeau ? ». Les enfants
donnaient leurs réponses sur les touches d'ordinateur où il était écrit « Oui » et « Non »,
à l'aide d'indices visuels affichés sur l'écran au-dessus des touches. Une fois l'évaluation
individuelle recueillie pour les deux personnages, les vidéos étaient présentées à
nouveau successivement pour permettre une évaluation comparative des agents.
Devant une image présentant les deux personnages à juger, les enfants devaient
répondre aux quatre questions formant le questionnaire comparatif : Q1 : « Lequel est
gentil ? », Q2 : « Lequel est méchant ? », Q3 : « Avec lequel est-ce que tu veux jouer ? »,
Q4 : « Auquel est-ce que tu veux donner un cadeau ? »
Après cette phase de pré-test, nous avons mis en place une manipulation
expérimentale (qualifiée de « phase d'entraînement ») visant à augmenter la capacité
des enfants à percevoir les états mentaux des agents et/ou à inhiber la perception du
rôle causal des agents. Cela consistait en 3 protocoles d'entraînements différents,
adaptés aux situations morales et contrastés du point de vue de la nécessité de renforcer
soit la capacité des sujets à inhiber la réponse automatique (portant sur la souffrance
causée perçue) et/ou la nécessité de se focaliser sur les états mentaux des agents, soit un
entraînement neutre, sans renforcement.
Enfin, après cette phase d'entraînement, afin d'étudier un éventuel transfert des
connaissances métacognitives acquises lors de la phase d'apprentissage, une évaluation
post-entraînement, identique à l'évaluation pré-entraînement, avait lieu.
De façon intéressante, nos résultats montrent qu'il est possible d'induire un
changement important dans les capacités de jugement moral des enfants d'âge
préscolaire et scolaire entre des évaluations morales effectuées en pré et post-tests, selon
le type de condition de renforcement métacognitif proposé (Gvozdic, Moutier, Dupoux,
et Buon, 2015). En effet, seule la manipulation métacognitive exécutive qui incluait, lors
de la phase d'apprentissage, des instructions verbales explicites du type « ne pas se
focaliser exclusivement sur les conséquences de l'accident et la douleur du personnage
blessé » a conduit les enfants d'âge préscolaire et scolaire à privilégier les arguments en
termes d'intention lors des jugements moraux effectués lors du post-test (voir
figure 14.3).
FIGURE 14.3 Les effets d'apprentissage : index de contraste.
Avant apprentissage. Index de contraste moyens obtenu en pré-test en fonction du groupe
d'âge (enfants versus adultes) et du type de contraste (causal versus intentionnel).
Après apprentissage. Index de contraste moyen obtenu en post-test chez les enfants en
fonction du contraste présenté et du type de condition métacognitive délivrée durant la phase
d'apprentissage (Contrôle (CR) versus Mentalist (MR) versus Mentaliste et Inhibiteur (MIR)).
Les étoiles en caractères noirs correspondent au degré de significativité des contrastes tandis
que les étoiles grisées indiquent les scores d'index qui diffèrent de la chance de façon
significative (n.s = non-significant, *p < .05, **p < .01, ***p < .001). Source : d'après Gvozdic, Moutier,
Dupoux, & Buon (2016).

D'une part, ces données confirment la sensibilité des enfants à l'intention des agents
en situation de blessure accidentelle, bien que cette sensibilité ne permette pas encore
une évaluation morale identique à celle de l'adulte. D'autre part, cette étude démontre
le rôle essentiel des ressources exécutives inhibitrices dans la résolution de ces
dilemmes où un personnage cause accidentellement une blessure.

Conclusion
En conclusion, si l'ensemble de ces données récentes sur le développement des capacités
de prise de décision et de jugement moral mettent en évidence l'implication des
systèmes émotionnels et exécutifs qui sous-tendent nos capacités de résolution des
dilemmes de la cognition, il reste néanmoins à mieux définir le rôle respectif de ces
systèmes dans la résistance aux biais de raisonnement ainsi que leurs bases neurales. À
terme, le renforcement de l'articulation entre les techniques comportementales de la
psychologie du développement, de la psychopathologie des émotions, et celles des
neurosciences (EEG/ERP et IRMf), devrait nous donner des indications nouvelles sur le
développement de l'architecture fonctionnelle de la prise de décision et des mécanismes
émotionnels permettant la résistance aux décisions absurdes des enfants, adolescents et
adultes (typiques ou atypiques) confrontés en perpétuelles situations de résolution de
dilemmes quotidiens ou professionnels.

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CHAPITRE 15

Vers une approche intégrative du


développement précoce
Maya Gratier; Anne Bobin-Bègue; Rana Esseily ; Bahia Guellai

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Motricité et sensorialité : une intégration avant la naissance ?
Le nouveau-né : continuités et discontinuités
Interaction et intersubjectivité
Le bébé explorateur
Interaction, cognition sociale et enculturation
Comprendre et se faire comprendre
Conclusion

Introduction
Jusqu'au milieu du XIX siècle, la période néonatale, voire toute la période de la petite
enfance, était considérée comme une période de confusion des sens. En atteste la célèbre
phrase de William James (1890) : 'The baby, assailed by eyes, ears, nose, skin, and entrails at
once, feels it all as one great blooming, buzzing confusion […]1' (pp. 462). Cette vision du
nourrisson, comme un être passif et incapable de distinguer entre ce qui provient de son
propre corps et ce qui provient de son environnement, a été progressivement remplacée
par une psychologie cognitive du nourrisson, s'attachant à lui attribuer des
compétences actives. Piaget décrivait l'émergence d'une pensée dans et par l'action du
bébé sur son environnement. Pourtant, selon lui, aucune intégration des modalités
sensorielles n'est possible dans les premiers mois de la vie. Les actions du nouveau-né et
du jeune nourrisson sont décrites comme des actions réflexes, sans but apparent et
répétées par hasard pour s'organiser peu à peu en actions intentionnelles
caractéristiques d'une « intelligence sensori-motrice ». La psychologie cognitive du
nourrisson qui se développera rapidement à partir des années 1970, remet en question
sur bien des sujets un certain nombre de postulats piagétiens et révèle une précocité des
acquisitions cognitives. Ce courant considère le bébé comme capable de traiter des
informations variées provenant de stimuli extérieurs, mais en mettant de côté la richesse
multimodale de son environnement naturel. De nouveaux paradigmes, comme ceux de
la cognition incarnée ou située, prennent en compte ces dimensions et envisagent les
expériences sensorielles du jeune bébé comme déjà organisées : « les parfums, les
couleurs et les sons se répondent » (Baudelaire : Correspondances, 1857). De fait, dès sa
naissance, le bébé évolue au sein d'un environnement multimodal rendu cohérent par
les adultes qui l'accueillent en mobilisant de manière ajustée les sens déjà actifs de leur
bébé. Les adultes mettent en œuvre une « redondance intersensorielle » (Bahrick et
Lickliter, 2000) comme lorsqu'ils s'adressent au bébé : une parole aux contours intonatifs
exagérés est associée à des expressions faciales exagérées. Cette redondance facilite la
perception chez le bébé révélant une intégration hautement adaptative entre ses
compétences et les formes de communication intuitives déployées à son égard. Cette
approche incarnée de la cognition redonne une place centrale au corps et à la
sensorialité dans le développement cognitif, alors que les travaux neo-piagétiens ont
occulté l'importance évidente d'un développement coordonné des capacités
sensorielles, motrices, sociales, affectives et cognitives dès la naissance.
Du fait de changements rapides et intenses sur les plans anatomique, neurologique et
psychologique au cours des deux premières années de la vie, les processus intégratifs
sont particulièrement saillants, mais les connaissances actuelles sur les modalités et
processus développementaux qui sont à la base de cette intégration sont encore
incomplètes. L'objectif de ce chapitre, centré sur cette période de développement rapide,
est d'appréhender l'ontogenèse des processus intégratifs pour montrer qu'ils forment le
socle du développement tout au long de la vie. Le chapitre décrit la manière dont les
premiers échanges et toutes les formes de communication précoces évoluent avec les
compétences du nourrisson et les adaptations de son environnement social. Il souligne à
quel point ce que l'on considère habituellement comme des domaines séparés du
développement (moteur, cognitif, social) sont en réalité étroitement liés.

Motricité et sensorialité : une intégration avant la


naissance ?
L'ontogénèse commence après la fécondation par la phase embryonnaire (d'une durée
d'environ 8 semaines) et la mise en place des principales structures (organes, tissus,
squelette), suivie par la phase fœtale (de 12 à 41 semaines environ) pendant laquelle les
structures sont fonctionnelles bien qu'encore immatures. Cette distinction entre états
fonctionnels et états matures des structures souligne que bien avant la naissance, le
fœtus dispose d'une motricité et d'une sensorialité rudimentaires qui vont lui permettre
non seulement de prendre contact avec son environnement, mais aussi d'interagir avec
lui, conduisant le fœtus vers ses premières acquisitions.

L'épigenèse : un premier niveau d'intégration


L'ontogénèse ne se limite pas au schéma fixé par des déterminants génétiques, mais
intègre les facteurs environnementaux par les mécanismes de l'épigénétique. C'est ainsi
que de nombreux facteurs d'environnement peuvent influencer et impacter le
développement bien avant la naissance : certains virus, certaines substances (drogues,
tabac, alcool, médicaments, etc.), mais aussi certains états maternels comme les
variations physiologiques liées à ses habitudes de vie ou la dépression (Oberlander et
al., 2014) et même certaines carences paternelles (comme une étude l'a montré chez la
souris2).

Un développement sensori-moteur prénatal


Les rythmes d'activités/inactivités du fœtus se développent avec la maturation du
système nerveux et s'organisent sous la dépendance du système circadien (Mirmiran,
Maas, et Ariagno, 2003). Ces alternances de phases laissent penser qu'il peut exister des
variations dans la réceptivité sensorielle et la réactivité motrice du fœtus aux
stimulations qui l'entourent et que ces variations, en phase avec les rythmes circadiens
maternels, vont lui permettre de s'adapter aux rythmes sociaux de son environnement.
L'activité motrice in utero est largement représentée par les mouvements généraux
(pour une revue, voir de Vries et Fong, 2006) et participe au développement
neurologique. Ils sont visibles jusqu'à la fin du deuxième mois environ après la
naissance, soutenant la notion de continuité transnatale. Entre 24 et 36 semaines de
gestation, le fœtus produit des mouvements faciaux de plus en plus complexes
(Reissland, Francis, et Mason, 2013) et il est capable de coordonner ses mouvements.
Certains mouvements (se toucher la bouche) évoquent une forme d'intentionnalité
(Sparling, Van Tol, et Chescheir, 1999), car ils sont liés à l'émergence d'une forme de
planification motrice (Castiello et al., 2010 ; Zoia et al., 2007) et d'anticipation (Myowa-
Yamakoshi et Takeshita, 2006). Le fœtus intègre dans ses mouvements les informations
de son environnement.

Les réponses du fœtus à son environnement


D'une manière générale, à partir de 36–37 semaines de gestation, le fœtus est capable de
traiter assez finement les informations qu'il perçoit et s'adapte aux stimulations
régulières de son environnement, comme les bruits d'un aéroport (Ando et Hattori,
1977) ! Dès la seconde partie de la gestation, le fœtus répond activement et
sélectivement aux stimulations extérieures telles que la voix maternelle et le toucher
abdominal maternel et les comportements d'autorégulation deviennent plus fréquents
en réponse à ces stimulations (Marx et Nagy, 2015). Ces nouvelles connaissances
soulignent à quel point le fœtus bénéficie déjà d'une expérience du milieu dans lequel il
vivra après la naissance, et ce malgré un certain nombre de bouleversements dans la
nature des expériences physiologiques, sensorielles, sociales et cognitives qui
l'attendent.

Le nouveau-né : continuités et discontinuités


La naissance, marquée par le passage d'un milieu aqueux à un milieu aérien constitue
un moment particulier et mal connu de l'ontogenèse. Le nouveau-né doit intégrer un
ensemble de stimulations nouvelles. C'est un stade de développement à part entière : le
plus court, mais aussi celui associé aux changements les plus rapides et les plus
marqués (Nagy, 2011). Néanmoins, une forme de continuité existe dans les informations
auxquelles accède le nouveau-né et, en ce sens, la naissance peut être conçue comme
une période qui prolonge la vie fœtale (Molina et Jouen, 2000).

Les éléments de continuité et de discontinuité


transnatales
Si la nature et l'intensité des stimulations et des contraintes changent pour le nouveau-
né, la continuité transnatale est soutenue par leurs caractéristiques temporelles qui
restent constantes dans les deux environnements, en particulier lorsqu'il s'agit
d'événements rythmiques. Le rythme cardiaque maternel, par exemple : perçu in utero,
il est une source d'apaisement pour le nouveau-né (Rosner et Doherty, 1979). D'autres
rythmes, comme les rythmes de marche maternelle, du langage et des activités sociales
perdurent pendant la période périnatale. Le bouleversement de la naissance ne rompt
pas non plus complètement avec l'expérience sensorielle vécue in utero puisque le
nouveau-né montre qu'il a retenu des éléments de son expérience anténatale. Tous les
systèmes sensoriels deviennent fonctionnels à des âges différents avant la naissance, ce
qui explique en partie la raison pour laquelle ils ont été étudiés indépendamment les
uns des autres. Nous ne savons pas à l'heure actuelle à quel point ces systèmes viennent
à se coordonner au cours de la gestation.
La sensorialité somesthésique est difficile à étudier, mais elle est continuellement
stimulée in utero du fait du contact avec les parois utérines, voire avec un jumeau, et
après la naissance, les nouveau-nés sont capables de discriminations tactiles
(Hernandez-Reif et al., 2000 ; Molina et Jouen, 1998).
La sensorialité chimique (goût et odorat) potentiellement fonctionnelle vers 16 à
20 semaines de gestation est stimulée par la variété de composés chimiques (fonction de
l'alimentation maternelle) (Schaal, Marlier, et Soussignan, 2000). Le nouveau-né préfère
les odeurs expérimentées in utero (Schaal, Marlier, Soussignan, 2000) et réagit plus à
l'odeur des sécrétions mammaires qu'à d'autres types d'odeurs (Soussignan et Schaal,
2001), même lorsqu'ils sont nourris au lait artificiel. Les nouveau-nés s'appuient donc
sur leurs expériences anténatales, mais surtout, ils font évoluer leurs préférences et
s'adaptent aux variations stables de leur environnement (Schaal et al., 2004).
En fin de grossesse, le fœtus manifeste une réaction cardiaque quand sa mère marche
ou se balance passivement (Lecanuet et Jacquet, 2002) et il est logique de penser que les
pratiques de bercement soutiennent une forme de continuité transnatale.
Le fœtus est sensible à bon nombre de caractéristiques de la langue (Granier-Deferre,
Ribeiro, Jacquet, et Bassereau, 2011) et du locuteur (Lecanuet, Granier-Deferre, Capponi
et Ledru, 1993). Le fœtus de 36 semaines réagit à la voix de sa mère (Voegtline,
Costigan, Pater, et DiPietro, 2013) et un bébé né prématuré, mais de même âge
gestationnel réagit lui aussi à la voix de sa mère qui s'adresse à lui (Filippa, Devouche,
Arioni, Imberty, et Gratier, 2013). Ces compétences auditives ont été aussi montrées de
façon transnatale (Granier-Deferre C., Bassereau, S., Ribeiro, A., Jacquet, A.-Y.,
DeCasper, A. J., 2011 ; De Casper et Spence, 1986) soulignant les capacités mnésiques du
fœtus pour ces stimulations.
De fait, les expériences visuelles du nouveau-né sont remarquablement différentes de
celles du fœtus (Granier-Deferre, 2011). Bien que leur accommodation visuelle porte à la
distance de la personne qui les porte (40 cm) et reste faible jusqu'à environ 2 mois, les
nouveau-nés savent discriminer un certain nombre de stimuli visuels. Même avec un
système visuel immature, les habiletés perceptives du nouveau-né sont suffisantes pour
lui permettre d'organiser les informations relativement complexes qu'il perçoit
(Salapatek, 1968). Sans doute parce qu'il peut s'appuyer sur son expérience tactile et
proprioceptive du visage in utero (Andersen, 2008 ; Slater, 2002), le nouveau-né
manifeste des compétences fines pour la reconnaissance des visages (Walton et Bower,
1993), soutenant l'idée qu'ils ont déjà un sens social incarné (Meltzoff, 1995).
En somme, la perception, qui peut être considérée très précocement comme une
activité cognitive à part entière (Streri et al., 2013), facilite la mise en place des premiers
liens sociaux. Le fœtus puis le nouveau-né non seulement perçoit, mais aussi mémorise
et organise ses perceptions : il ne vit pas dans deux mondes chaotiques distincts faits de
sons, de goûts, de contacts, de lumières, mais il détecte activement des éléments
organisés de continuité entre ces deux environnements qui vont l'armer pour interagir
avec ses partenaires sociaux.

Les habiletés sociales du nouveau-né


Au-delà d'impressionnantes capacités de reconnaissance des visages (voir aussi Pascalis
et de Schonen, 1994), le nouveau-né est aussi sensible à l'association entre la voix et le
visage (Guellaï et al., 2011). Les personnes de son entourage constituent pour le
nouveau-né un objet d'exploration privilégié (Legerstee, Corter et Kiennapple, 1990) et
dès les premiers jours de vie il manifeste des attentes quant à l'attention que lui porte le
partenaire social (Nagy, 2008). Le nouveau-né est capable de réguler ses réactions aux
stimuli extérieurs (Brazelton, 1979). Il peut imiter diverses expressions faciales, des sons
et des gestes. Certains auteurs ont suggéré que l'imitation néonatale sert à la
reconnaissance d'équivalence à soi (Meltzoff, 2007), mais aussi comme un outil de
communication (Nagy, 2006) initiant la proto-conversation et le turn-taking.
Pour pouvoir interagir de façon adaptée, le nouveau-né ne dispose que d'un système
immature qui lui impose un certain nombre de contraintes d'ordre physiologiques,
motrices et posturales et qui modulent ses états de vigilance et ses réponses aux
stimulations extérieures (Brazelton, 1979). Le passage d'un milieu aquatique à un milieu
aérien modifie les contraintes exercées sur le corps et rend les mouvements du
nouveau-né moins fluides. Néanmoins, rapidement après la naissance, les nouveau-nés
sont capables de réagir à une contrainte qu'on impose à leur bras, mais seulement si ils
peuvent voir leur bras contraint (van der Meer, van der Weel, et Lee, 1995). Perception
visuelle et action sont donc coordonnées très précocement.

Vers une cognition néonatale intégrative


L'ensemble des compétences décrites précédemment montre qu'au cours de la période
périnatale, le fœtus puis nouveau-né participe activement à ses premières acquisitions
cognitives comme la constance de la taille d'un objet (Slater, Mattock, et Brown, 1990)
ou d'un visage, la constance de la forme (Slater et Muir, 1999) et l'unité d'objet (Valenza
et al., 2006). La stabilité et la cohérence des objets sont aussi assurées par le transfert
d'informations perçues dans une modalité vers une autre (« transfert intermodal ») : par
exemple, faire correspondre l'expression d'un visage avec la production d'une voyelle
(Aldridge et al., 1999) et imiter des mouvements de bouche s'il est associé avec le son
correspondant (Coulon et al., 2013). Ces transferts sont néanmoins fragiles. Le nouveau-
né structure aussi temporellement son environnement et est capable d'anticiper les
événements réguliers (Provasi et Barbu-Roth, 2009). Cette compétence est fondamentale
pour le développement des compétences sociales par l'adaptation à son partenaire : le
nouveau-né synchronise son comportement moteur au discours d'un adulte (Condon et
Sander, 1974) et coordonne ses vocalisations au discours de sa mère lorsqu'elle lui parle
(Dominguez, Devouche, Apter, et Gratier, 2016).

Interaction et intersubjectivité
Dès la fin des deux premiers mois de vie, le nourrisson se souvient de ses expériences et
a acquis des habitudes (Rovee-Collier, 1999). Le bébé est aussi capable de s'appuyer sur
les informations temporelles des événements (Lewkowicz, 1992). Sa capacité à organiser
et à prédire des évènements dans le temps (Provasi, Anderson, et Barbu-Roth, 2014), lui
permet d'être impliqué dans des échanges sociaux et de les influencer (Stern, 1985 ;
Trevarthen, 1993 ; Tronick et al., 1980). Il est important de noter que la nouvelle
sociabilité qui marque cette période de la vie est associée, d'une part, à la possibilité du
bébé de rester plus longtemps dans un état d'éveil calme et, d'autre part, au contrôle
accru qu'il a de sa posture par le maintien de la tête et du tronc.
Dès l'âge de deux mois, le bébé est sensible à la contingence du comportement et
préfère nettement les situations contingentes (où une action est liée à une autre)
(Murray et Trevarthen, 1986 ; Tronick, Als, Adamson, Wise, et Brazelton, 1978). La
contingence est non seulement temporelle (Van Egeren, Barratt et Roach, 2001), mais
aussi affective : la mère s'accorde dans le temps aux expressions émotionnelles du bébé
(Malatesta et Haviland, 1982). Ces ajustements permettent aussi l'élaboration de
protoconversations observables quelques semaines après la naissance (Trevarthen,
1977) basées sur l'échange rythmé de signaux multimodaux (Devouche et Gratier, 2001)
et de coordinations tonico-posturales. À partir des premières vocalisations non réflexes
(Oller, 1980), vers 6 semaines, s'organise le turn-taking vocal entre le bébé et ses
partenaires sociaux qui lui permet de réguler ses affects, d'orienter son attention et de
développer sa compétence communicative (Gratier et al., 2015 ; Hilbrink, Gattis et
Levinson, 2015).
L'intersubjectivité est une expérience vécue simultanément par au moins deux
personnes, qui ne nécessite pas d'avoir un stock de connaissances partagées, bien qu'elle
s'établisse le plus souvent par la mise en évidence de références communes. Une
communication intersubjective n'est possible qu'à travers le lien réciproque entre
perception et action. Si l'intersubjectivité s'articule d'abord autour de l'expérience elle-
même, elle s'ouvre progressivement sur l'extérieur, passant d'une attention mutuelle
vers une attention partagée. Vers 5 mois, les interactions sociales s'organisent plus
souvent autour d'objets, de routines ludiques adaptées aux compétences du nourrisson,
soutenant ainsi le passage d'une intersubjectivité primaire vers une intersubjectivité
secondaire (Trevarthen et Hubley, 1978). Il faut noter que dans la relation
d'intersubjectivité secondaire, l'intérêt du bébé ne porte pas sur l'objet extérieur en tant
que tel, mais plutôt sur l'expérience de prêter attention avec le partenaire social à un
objet d'intérêt commun, comme dans la situation d'attention conjointe.

Le bébé explorateur
Le développement de l'attention et exploration des
objets
L'exploration de l'environnement est souvent étayée par l'adulte (Amano et al., 2004).
L'adulte, en « socialisant » les objets qu'il manipule et en les intégrant dans la relation
interpersonnelle qui le lie au bébé, lui permet d'interagir à son tour avec ces objets
(Bakeman et Adamson, 1984). Entre 5 et 8 mois, l'intérêt pour les objets augmente, alors
que les regards vers la mère diminuent (Pêcheux, Findji et Ruel, 2000). Entre 9 et
12 mois, les bébés comprennent la nature référentielle du regard puisqu'ils ne regardent
pas lorsque l'adulte tourne la tête vers un objet les yeux fermés et ils sont surpris
lorsque l'adulte regarde en direction d'un objet n'est pas présent ou lorsqu'il regarde
dans la direction opposée de l'objet. L'attention conjointe s'observe nettement autour de
12 mois en lien avec un noyau d'habiletés sociales comme la réciprocité, l'imitation ou la
référenciation sociale. Certains chercheurs considèrent l'attention conjointe comme un
précurseur de la Théorie de l'Esprit (Charman et al., 2000) et un soubassement important
pour le développement du langage (Tomasello et Todd, 1983), car elle reflète une
sensibilité à l'agentivité de partenaires sociaux.

Le lien entre perception et action dans l'exploration des


objets
En 1985, Baillargeon, Spelke et Wasserman (1985) ont démontré que sans aucune action
directe ou dirigée sur l'environnement, le bébé de 5 mois possède déjà une notion de
permanence de l'objet. Les compétences cognitives précéderaient ainsi les performances
motrices. Ce décalage entre action du corps et traitement des informations est
aujourd'hui remis en cause par les approches de la cognition incarnée et de plus en plus,
les chercheurs s'intéressent au développement moteur comme un élément essentiel
d'une boucle plus large englobant d'autres domaines comme la perception et la
cognition.
Pour explorer le monde qui l'entoure, le bébé doit apprendre à inhiber ses actions et à
connaître les contraintes et opportunités du monde physique. Les bébés sont capables
de se représenter les propriétés de l'objet dès l'âge de 6 mois ½ à partir de leurs
manipulations actives (Bourgeois, Khawar, Neal, et Lockman, 2005) et cette
représentation peut guider en retour leur action sur l'objet (Clifton et al., 1991). Vers
l'âge de 9 mois, les bébés explorent activement leur environnement, ce qui leur permet
une plus grande flexibilité cognitive et mnésique (Herbert, Gross, et Hayne, 2007). Par
exemple, les auteurs observent que les bébés qui se déplacent sont capables de se
rappeler une action observée dans une pièce et de la reproduire dans une autre pièce,
comparés à des bébés qui ne se déplacent pas et qui ne semblent pas présenter cette
flexibilité.
L'interaction continue entre développement moteur et cognition est également
démontrée par la découverte d'une mémoire à long terme chez le bébé de deux mois
puisque les souvenirs se forment par l'association répétée d'actions et de leurs effets
(Rovee-Collier, 1999). Les renforcements sociaux à travers les encouragements, le jeu et
l'attention conjointe fournissent également un guide important dans l'exploration
motrice et celle des objets et de leurs affordances (Gibson, 1966).

Explorer le monde en sécurité


La référenciation sociale fournit aux bébés des indices quant aux comportements à
adopter face à une situation ambiguë ou inconnue (Klinnert, Emde, Butterfield et
Campos, 1986). Dans la situation de la « falaise visuelle » (Gibson et Walk, 1960), le bébé
s'engage plus volontiers à traverser la zone « dangereuse » lorsqu'un adulte familier
l'encourage que lorsque celui-ci exprime de la peur. La référenciation sociale guide les
actions du bébé et libère sa motricité. Elle est portée par la qualité et la pertinence de
l'émotion partagée à travers les paroles, les expressions faciales et la voix (Ainsworth et
al. 1978 ; Vaish et Striano, 2004).

Interaction, cognition sociale et enculturation


La compréhension des états mentaux d'autrui entre
3 mois et 3 ans
Les bébés sont capables d'attribuer un but à un agent humain (Woodward, 1999), mais
aussi à des agents non humains (objets animés ou robots) dès l'âge de 4 mois (Csibra,
2008). Dès l'âge de 9 mois, les bébés différencient deux états mentaux aboutissant à la
même action (Behne, Carpenter et Tomasello, 2005) et dès l'âge de 12 mois, ils peuvent
inférer un but à l'action observée et reproduire ce but (Esseily, Rat-Fischer, O'Regan, et
Fagard, 2013). Vers 15 mois, le bébé peut se représenter les croyances d'autrui
(Baillargeon, Scott et He, 2010) et accéder à la théorie de l'esprit.
La majorité des études, dans une perspective constructiviste, sont centrées sur une
conception mentalistique de la perception d'autres agents intentionnels. Cependant,
certains domaines amènent à adopter une approche intégrative. Le maniement de
l'humour par le jeune enfant, par exemple, démontre à quel point le développement de
la compréhension d'autrui et les connaissances sur le monde sont intégrés aux
processus socio-émotionnels (Reddy, 2008). L'humour correspond au partage social
d'une incongruité à l'aide d'indices sociaux tels que le rire ou le sourire (Hoicka et
Akhtar, 2012) ou de caractéristiques acoustiques de la voix telle que la prosodie (Hoicka
et Gattis, 2012). De plus, l'humour facilite certaines formes d'apprentissage social et
pourrait ainsi participer de manière significative aux acquisitions cognitives (Esseily,
Rat-Fischer, O'Regan, Somogyi et Fagard, 2016). L'étude du développement de
l'humour ouvre une voie importante pour l'étude des processus intégratifs.

Imiter et apprendre : des processus intégrés


Les théories parfois contradictoires qui cherchent à expliquer les mécanismes sous-
jacents au développement de l'imitation soulignent son importance dans le
développement socio-cognitif (Paulus et Kiràly, 2013). Plusieurs chercheurs font une
distinction entre une imitation dont la fonction est communicative et une imitation
ayant une fonction d'apprentissage (appelée apprentissage par imitation ou par
observation) (Tomasello, 1999). En réalité, cette distinction n'est pas toujours simple.
Dans le contexte de l'apprentissage du langage par exemple, il est difficile de dissocier
l'imitation pour communiquer et pour apprendre. Le dénominateur commun de tout
comportement imitatif, qu'il soit synchrone ou différé, gestuel, langagier ou dirigé vers
un objet est sans doute le fait d'être motivé. De plus, la motivation à apprendre (les
symboles, les usages, l'utilisation d'outils) soutend également la motivation sociale qui
vise l'intégration dans une société et des formes de communication socialement
adaptées.

Affiliation, appartenance et prosocialité


Le contexte socio-culturel oriente la manière dont les adultes accueillent, portent et
soignent les enfants et les bébés sont sensibles aux caractéristiques spécifiques des
modes d'échanges qui en résultent (Gratier, 2003). Pour le bébé, comme pour l'adulte,
les caractéristiques liées au genre, à l'âge et l'origine ethnique sont des indices saillants
pour structurer le monde. Ainsi, les bébés de 3 et de 4 mois préfèrent regarder des
visages de femmes par rapport à des visages d'hommes (Quinn et al., 2002), sauf si le
bébé est élevé par une figure masculine, suggérant que l'expérience vécue par les bébés
module les préférences de genre. Dès 6 mois, les bébés préfèrent regarder des images
représentant des bébés de leur âge comparé à des images d'enfants plus âgés ou
d'adultes (Sanefuji, Ohgami, et Hashiya, 2006). Vers 3 mois, le bébé s'oriente
préférentiellement vers un visage de sa propre ethnie plutôt que celle d'une autre
origine (Bar-Haim, Ziv, Lamy, et Hodes, 2006). La langue est un indice majeur pour
guider les préférences sociales des bébés (Kinzler, Shutts, et Correll, 2010). Celle-ci
véhicule des informations importantes sur la personne et son appartenance groupale,
car elle renvoie non seulement au sentiment de familiarité, mais également à un partage
de culture et de normes (Oláh, Elekes, Bródy et Király, 2014). Dès la naissance, les bébés
préfèrent écouter leur langue natale comparée à une langue étrangère (Mehler et al.,
1988). Durant leur première année de vie et dès l'âge de 6 mois, les bébés préfèrent
regarder l'image d'une femme qui leur a préalablement adressé la parole dans leur
langue natale comparée à celle d'une femme qui leur a parlé dans une langue étrangère
(Kinzler, Dupoux, et Spelke, 2007), ils préfèrent écouter une musique présentée par une
personne qui parle leur langue natale comparée à la même musique présentée par une
personne qui parle une langue étrangère (Soley et Sebastian-Galles, 2015), ils choisissent
de prendre un jouet tendu par un garçon qui parle leur langue comparé à un garçon qui
parle une autre langue (Kinzler, Dupoux et Spelke, 2012) et ils choisissent la nourriture
qui a été goûtée par une personne qui parle leur langue natale comparée à une personne
qui parle une langue étrangère (Shutts et al., 2009).

Comprendre et se faire comprendre


À partir du moment où les bébés commencent à comprendre le sens des paroles et à se
faire comprendre (déjà avant de produire des paroles), un double processus se met en
place. Le premier est un processus de socialisation par le langage, c'est-à-dire qu'en
apprenant à parler l'enfant apprend aussi les manières spécifiques d'agir de sa
communauté, ses règles et normes. Le second est un processus de socialisation pour le
langage, c'est-à-dire que l'enfant apprend à travers une communication située et
pragmatique comment se servir du langage pour traduire et interpréter ses vécus et ses
désirs personnels (Schieffelin et Ochs, 1986).

Une communication située


Une communication réussie suppose la coordination entre l'attention du locuteur et de
l'interlocuteur sur le contenu de la situation partagée. Ce partage de l'attention est
rythmé, entre autres, par les gestes, les mots, les regards. Avant même de pouvoir
parler, le jeune nourrisson produit une variété de vocalisations expressives en dehors
du pleur et s'engage dans des échanges communicationnels relativement complexes.
Néanmoins, toute la difficulté pour l'enfant d'âge préverbal va être de se faire
comprendre et de comprendre la situation dans laquelle il est engagé. Dès les premières
heures de la vie, le nouveau-né est sensible à certains indices socio-communicatifs
comme la direction du regard lorsqu'une personne d'adresse à lui (Guellaï et Streri,
2011). Certains auteurs comme Masataka (2003) proposent que les précurseurs de
l'habileté à communiquer viennent de comportements comme la coordination
interpersonnelle et le turn-taking que nous partageons avec certains primates non
humains.
Les gestes qu'utilise le nourrisson sont d'abord liés au contexte d'interaction puis ils
vont être utilisés hors contexte et en tant qu'actes référentiels symboliques. Le
développement du langage ne peut être dissocié du développement d'une
communication symbolique. Dès la fin de la première année, les enfants comprennent
que les gestes symboliques ont une valeur particulière pour communiquer avec autrui :
au cours des interactions sociales, les parents dénomment l'objet d'attention de leur
enfant (Carpenter et al., 1998) et traduisent ses gestes de pointage en mots (Goldin-
Meadow, Goodrich, Sauer, et Iverson, 2007). Le geste symbolique peut se substituer à
l'énoncé verbal, mais les gestes, symboliques, iconiques et indexicaux, accompagnent la
production d'énoncés linguistiques tout au long de la vie (Guellaï et al., 2014). Vers
17 mois, le pointage vers un objet est accompagné du nom de l'objet en question
(Özçaliskan et Goldin-Meadow, 2006) et les combinaisons de gestes et mots (appelées
holophrases) précèdent les combinaisons de mots (Iverson et Goldin-Meadow, 2005).
Le développement du bébé dépend de la capacité de son entourage à lui fournir des
expériences à la fois suffisamment intéressantes ou nouvelles et suffisamment
familières. Dès la vie intra-utérine, l'imprégnation du langage participe à la préférence
du nouveau-né pour le langage par rapport à d'autres types de sons (Vouloumanos et
Werker, 2007). Puis, émerge intuitivement chez le parent le langage adressé au bébé
(LAB) (Papoušek et Papoušek, 1995) dont la forme évolue avec les besoins et les
possibilités perceptives du bébé, mais aussi en fonction de ses états (attention, émotion,
motivation). Ses fonctions aussi changent au cours du développement : la fonction
affective sera plus importante chez le jeune nourrisson alors que la fonction linguistique
devient de plus en plus centrale à partir de 8 mois. Les nourrissons préfèrent entendre
le langage adressé au bébé (LAB) que le langage adressé à l'adulte (LAA) (Cooper et
Aslin, 1990) : les caractéristiques prosodiques du LAB (intonation, intensité, rythme)
régulent son attention et ses émotions (Kitamura et Burnham, 1998). De plus, le bébé
contribue activement à la manière dont sa mère s'adresse à lui (Smith et Trainor, 2008).
Les comportements parentaux adaptés aux signaux de l'enfant ont une influence
positive sur le développement de ce dernier, notamment sur le plan linguistique, tandis
que les comportements parentaux qui interrompent, interdisent ou ignorent les
initiatives de l'enfant apparaissent être non liés ou négativement liés à ses habiletés
langagières ultérieures (Tomasello et Todd, 1983).

Le langage : perception et production à la fin de la


première année
Au cours de la période 0–2 ans, les mécanismes de traitement perceptif vont peu à peu
s'organiser en un système modulé par les propriétés typiques (prosodiques et
phonologiques) de la langue de l'environnement (Bertoncini et Boysson-Bardies, 2000).
L'apparition de la production des premiers mots vers 12 mois est loin de signer
l'acquisition définitive de la parole. En effet, ces premiers mots sont souvent déformés
par rapport à la prononciation adulte et leur usage en contexte donnera lieu à des
ajustements sur plusieurs années. Les parents doivent acquérir tout autant que l'enfant
un proto-langage permettant une compréhension mutuelle (Halliday, 1975) où
l'interprétation est soutenue par le contexte de production . Cela permet d'établir un
sens commun et d'attribuer du sens aux expressions en cours de stabilisation vers des
formes conventionnelles. L'âge d'apparition des premiers mots et le rythme de
développement du lexique varient en fonction du milieu culturel et social, du rang dans
la fratrie ou encore du tempérament (Florin, 1999), d'où l'importance d'adopter une
approche intégrative pour bien comprendre le développement de cette habileté. Le
langage repose très clairement sur des formes d'inter-compréhension liées aux
situations dans lesquelles l'enfant communique, aux motivations et aux anticipations
partagées avec des partenaires « à l'écoute », et aux gestes, expressions et postures qui
rendent publics les états mentaux. Plus tard, le langage pourra devenir dissocié des
actes de parole situés, de la matérialité du son expressif et des gestes qui y sont associés.
Il pourra devenir texte, et par là même le vaste reposoir des mémoires collectives.
Conclusion
L'état de connaissances actuel sur le développement précoce est riche et susceptible
d'applications pertinentes dans les domaines de la prévention, du traitement et de la
pédagogie, mais il est aussi de plus en plus fragmenté et contradictoire. Il devient
urgent d'adopter une approche proprement intégrative qui va au-delà d'une
compilation ou d'une mise en lien a posteriori des résultats de travaux menés dans un
secteur particulier. Dans les conférences récentes sur le développement précoce, on voit
de plus en plus de symposiums se succéder sur des sujets connexes sans que les
spécialistes ne pensent à (ou n'osent) se confronter les uns aux autres. Nous avons
besoin de programmes de recherches intégratives prenant en compte les inter-relations
spécifiques entre les facteurs biologiques et environnementaux, entre les pratiques
culturelles et les stratégies cognitives, entre les mouvements corporels et les
remémorations verbales. Bruner, en 1990, déplorait déjà la tournure imposée par une
psychologie cognitive qui définit la communication comme un transfert et un traitement
de l'information. Et il se demandait pourquoi la psychologie avait rejeté les notions de
sens, d'intersubjectivité et d'interprétation. Il paraît urgent aujourd'hui de resituer le
bébé dans son corps, avec ses proches et dans un milieu emprunt d'un sens
continuellement ré-interpréter. À cette fin, il nous faut des études longitudinales, plus
écologiques et qui réintègrent les corps et les esprits. Adopter une approche intégrative
permettrait de mieux prédire les trajectoires développementales de groupes d'enfants et
d'individus pour mieux prévenir d'éventuels troubles du développement ou pour
mieux accompagner les processus qui mènent à des vies d'adultes épanouis. Cela
permettrait aussi de comprendre les continuités et les discontinuités entre notre espèce
et d'autres espèces animales et ainsi de mieux raconter l'histoire si particulière de
l'humanité.

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1
Le bébé, agressé soudain par les yeux, les oreilles, le nez, la peau et les entrailles ressent tout cela comme une grande
confusion florissante et bourdonnante.
2
Lambrot, R., Xu, C., Saint-Phar, S., Chountalos, G., Cohen, T., Paquet, M., Kimmins, S. (2013). Low paternal dietary
folate alters the mouse sperm epigenome and is associated with negative pregnancy outcomes. Nat Commun, 4.
Retrieved from : http://dx.doi.org/10.1038/ncomms3889
CHAPITRE 16

Le développement des représentations : de


la relation à la cognition
Raphaële Miljkovitch; Emmanuel Sander

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La construction de modèles internes opérants (MIO)
La fonction des MIO : faire des inférences à partir d'un processus d'analogie
Les facteurs impliqués dans le rappel des MIO
Les MIO sont-ils des catégories ?
Au-delà des relations...
Conclusion

Introduction
La représentation de la mère est sans doute l'une des premières à se mettre en place,
avant même la naissance et bien avant le développement des représentations
symboliques (Miljkovitch et Vanwalleghem, 2016). L'idée que cette relation constitue un
prototype pour les relations futures a été largement étudiée. Mais des recherches de
plus en plus nombreuses suggèrent une influence des interactions précoces bien au-delà
des relations affectives. L'étude des mécanismes sous-tendant cette influence permet de
mieux comprendre les ramifications, nombreuses et parfois inattendues, que peuvent
avoir ces premières expériences. Elles reposent sur des représentations qui s'élaborent
dès les premiers moments de la vie et qui s'infiltrent dans les expériences du quotidien.
Dans le présent chapitre, nous prendrons l'exemple des représentations des premières
relations pour tenter de comprendre comment celles-ci se construisent, et comment elles
sont implicitement rappelées pour appréhender la réalité présente.

La construction de modèles internes opérants (MIO)


Pour comprendre la manière dont cette influence s'exerce, Bowlby (1969/1980) a
introduit le concept de « modèle interne opérant » (internal working model). Ce concept
renvoie aux modèles mentaux développés à travers l'intériorisation des relations
interpersonnelles et qui servent ensuite de filtres pour interpréter et comprendre les
nouvelles situations sociales. C'est à partir de nos premières expériences avec notre
entourage que nous nous forgeons une représentation de ce qu'est une relation. Chaque
geste, chaque expression prend un sens dans le contexte de ces premiers échanges. Le
modèle interne opérant correspond à la représentation intériorisée de tous ces moments,
et cette représentation guide par la suite l'individu dans sa perception des signaux
sociaux.
Dès la première année de la vie, les MIO se constituent. Selon Bowlby (1969/1980), au
deuxième semestre, l'enfant identifie des régularités dans les réponses de l'entourage à
ses signaux et élabore, à partir de cela, un modèle de l'autre. Ainsi constate-t-on que le
tout-petit se forme déjà des attentes par rapport au comportement de son entourage.
Des études ont révélé depuis que, dès l'âge de deux mois, le bébé est très sensible à la
contingence des gestes maternels (Murray et Trevarthen, 1985). Beatrice Beebe et ses
collaborateurs (2010) ont ensuite montré que le nourrisson de 4 mois développe un
ensemble d'attentes à partir de ses interactions sociales en face à face, qui peut être
considéré comme une forme de représentation procédurale de la relation à l'autre. Ces
chercheurs suggèrent que le jeune bébé stocke des modèles internes de la manière dont
ses interactions se déroulent : le nourrisson intègre par exemple les caractéristiques
rythmiques, de proximité spatiale, de tonalités affectives et de gestion de l'excitation
partagée, qui sont souvent répétées au cours des interactions quotidiennes avec ses
proches. Des patterns interactifs saillants, stabilisés sous forme de représentation
procédurale dynamique, constitueraient alors le noyau dur du modèle interne opérant
décrit par Bowlby (Miljkovitch, Gratier et Danet, 2012).
L'intériorisation des schémas d'interactions s'observe aussi plus tard, au niveau des
représentations mentales. À partir de leurs expériences précoces, les enfants se forment
des représentations de l'accessibilité et des réactions de leurs parents (voir Bretherton et
Munholland, 2016). Nous avons en effet trouvé que les représentations d'attachement
de jeunes enfants pouvaient être prédites par la qualité des interactions avec leur mère à
6 et 18 mois (Miljkovitch et al., 2013). À l'adolescence aussi, les représentations sont liées
à l'attachement (Dykas et al., 2006).

La fonction des MIO : faire des inférences à partir


d'un processus d'analogie
En plus d'être internes, les modèles décrits par Bowlby sont opérants, en ce sens qu'ils
guident l'individu dans son interprétation du monde. Bowlby a ainsi fait référence à la
notion d'assimilation (Piaget, 1947) pour décrire le fait que les nouvelles expériences
sont assimilées au modèle qui a été intériorisé. C'est ainsi que les relations précoces
serviraient d'exemples et de support d'interprétations pour les nouvelles relations qui se
mettent en place. Pour comprendre une nouvelle situation, l'individu percevrait dans le
présent les éléments similaires aux expériences passées, et anticiperait à partir de là la
suite des événements. En cela, la qualité de l'attachement précoce jouerait un rôle
important dans la mise en place des autres relations.
En même temps qu'on développe une certaine acuité par rapport aux comportements
qu'on est habitué à voir, on devient de plus en plus étranger à d'autres attitudes,
auxquelles on n'a pas été exposé. L'expérience actuelle se raccroche à ce qu'il y a de
familier. Ce phénomène se produit par le biais du processus de catégorisation des
situations. « Les catégories guident nos perceptions : elles prolongent nos sens
physiologiques et nous permettent ainsi de « palper » le monde extérieur […] au moyen
de nos concepts. Elles constituent le moyen d'appliquer les richesses de notre passé au
présent, sans quoi chacun serait aussi démuni face au monde que privé de ses sens :
notre pensée est profondément ancrée dans nos expériences passées. » (Hofstadter et
Sander, 2013, p. 317). C'est ainsi que les nouveaux échanges sont perçus à la lumière des
anciens. Ces derniers constituent le filtre à travers lequel ce qui nous entoure est perçu.
Si l'on a baigné dans un environnement bienveillant, on captera facilement les sourires
et expressions positives que l'on suscite. Si à l'inverse on a grandi dans un milieu
hostile, les intentions des autres sont vite interprétées comme inamicales.
Le concept de modèle interne opérant traduit l'ancrage des premières expériences
dans l'organisation de la pensée. L'individu va s'appuyer sur son passé pour interpréter
le présent et l'avenir. Dès lors, une insécurité d'attachement précoce peut conduire une
personne à un mode de raisonnement et de perception qui génère des émotions
négatives et limite sa capacité à surmonter celles-ci.
Plusieurs travaux confirment l'idée que l'attachement à la mère servirait de référence
à d'autres relations, les enfants sécures établissant des relations plus positives avec les
autres que les enfants insécures (pour une revue de la littérature, voir Berlin, Cassidy et
Appleyard, 2008 et Dykas et Cassidy, 2011). Tout d'abord, l'effet de l'attachement
précoce s'observe au niveau des intentions qui sont attribuées à autrui. Dès la
maternelle, on constate que les attributions que font les enfants concernant les
intentions de leurs pairs sont fonction de leur attachement précoce.
Outre les perceptions des relations, les relations elles-mêmes varient aussi en fonction
de l'attachement aux premiers fournisseurs de soins. Des résultats récents d'une méta-
analyse regroupant les données de plus de 4 000 participants révèlent que l'attachement
précoce à la mère est un prédicteur de la compétence sociale durant l'enfance (Groh et
al., 2014). Les résultats de l'étude NICHD (Study of Early Child Care and Youth
Development ; Belsky et Fearon, 2002) sur presque 1000 participants attestent également
d'un lien entre la sécurité d'attachement à 24 mois et une moindre tendance à entrer en
conflit avec les pairs une fois au CP (1 st grade).
À l'adolescence et l'âge adulte, l'attachement est également lié aux attentes concernant
les relations aux pairs (Zimmermann, 2004). Une correspondance entre la représentation
des parents et celle du partenaire amoureux a aussi été observée (Furman et al., 2002 ;
Miljkovitch et al., 2015). Chez l'adulte, Wais et Treboux (2003) ont même montré que le
récit concernant les relations avec ses parents 3 mois avant le mariage permettait de
prédire les scripts concernant le rôle de soutien du conjoint 8 à 10 ans plus tard ! Les
chercheurs recourant aux auto-questionnaires ont également trouvé chez les adultes
insécures une tendance à percevoir son partenaire comme moins soutenant, aidant et
attentionné (voir Dykas et Cassidy, 2011). Les représentations qu'ont les adultes de leurs
parents sont non seulement liées aux perceptions qu'ils ont de leur conjoint, mais
également à celles de leurs enfants (voir Miljkovitch, 2001).
Mais bien au-delà des relations avec les proches, l'attachement aux parents semble
aussi influencer la manière dont on perçoit les comportements d'un étranger (voir
Dykas et Cassidy, 2011). Les adolescents insécures s'attendent davantage à être rejetés
par autrui. Aussi, lorsqu'on leur demande d'imaginer un scénario avec des étrangers,
ceux-ci sont décrits en termes plus ou moins positifs, selon l'attachement du participant.
Les adultes insécures ont également tendance à percevoir les autres comme non dignes
de confiance, tandis que les personnes sécures perçoivent des groupes entiers sous un
jour plus positif.
Dans certains cas, les modèles internes peuvent induire des erreurs d'attribution.
Convaincue de susciter certaines réactions, une personne peut avoir du mal à concevoir
qu'elle puisse être considérée autrement. Ainsi peut-elle déformer les pensées de l'autre
pour les faire concorder avec ses expériences antérieures. Ces biais de perception
participent à la persistance du vécu, car elles renforcent l'existant. Les modèles internes
opérants peuvent aussi influencer la personne dans ce qu'elle anticipe des relations
actuelles, qui sont supposées suivre le même schéma. Le scénario vécu durant l'enfance
rejaillit (voir Miljkovitch, 2009 ou Miljkovitch et Sander, 2014 pour des illustrations
cliniques).

Les facteurs impliqués dans le rappel des MIO


Bien que les liens entre l'attachement précoce à la mère et les relations sociales
ultérieures puissent s'expliquer par des facteurs autres que l'influence continue des MIO
(voir Thompson, 2008), tels que la régulation émotionnelle, les MIO sont néanmoins
conçus comme des structures cognitives qui ramènent dans le présent des impressions
passées. Les modèles représentationnels sont activés dès lors qu'une nouvelle
information peut être comprise à la lumière d'expériences passées.
Furman et Simon (1999) stipulent que les représentations des différentes relations
s'influencent mutuellement (c'est-à-dire, la représentation d'une relation est récupérée
pour interpréter une autre relation) si elles concernent les mêmes systèmes
motivationnels. Par exemple, l'attachement et les relations amoureuses supposent toutes
deux l'attachement (c'est-à-dire obtenir de l'autre de la sécurité), mais le « caregiving »
(s'occuper de l'autre), la sexualité et l'affiliation ne concernent que les relations de
couple. Les résultats d'une méta-analyse sur l'attachement parent-enfant et les relations
avec les pairs (Schneider, Atkinson et Tardif, 2001) révèlent que les relations d'amitié
proche sont davantage liées à l'attachement que les relations avec les pairs moins
proches. Ce résultat corrobore l'idée que plus une relation est proche, plus les MIO
d'attachement sont susceptibles d'être utilisés pour guider l'individu dans sa
compréhension de cette nouvelle relation (voir toutefois Pallini et al., 2014 pour des
résultats contradictoires).
Étonnamment, en dehors du modèle de Furman et Simon, les travaux rendant compte
des facteurs en jeu dans ce qui sous-tend la convocation des MIO pour l'interprétation
des nouvelles informations sont rares. Ceci est d'autant plus surprenant que
l'attachement est présumé prédire presque n'importe quel domaine de développement
(Belsky et Cassidy, 1994). À ce propos, Thompson et Raikes (2003 ; voir aussi
Thompson, 2016) mettent en garde contre le risque d'occulter le véritable rôle de
l'attachement et de sous-estimer le rôle d'autres variables qui sont corrélées à
l'attachement. Par conséquent, un examen du rôle précis des MIO dans la prédiction
d'aspects du développement semble important.
Bien que Thompson et Raikes considèrent qu'une influence limitée des relations
d'attachement (par exemple, sur les seules relations proches) soit plus en accord avec la
théorie qu'une conception plus large impliquant à la fois les compétences sociales,
cognitives et affectives de l'individu, des travaux récents remettent en question l'idée
que la proximité soit une caractéristique nécessaire à la mobilisation des MIO : Johnson
et al. (2010) ont trouvé chez des bébés un lien entre leur style d'attachement et leurs
attentes concernant le comportement de deux cercles animés se séparant et se
retrouvant (figure 16.1). Étant donné que la notion de proximité affective ne s'applique
pas aux cercles, les propositions de Schneider et al. (2001) et de Furman et Simon (1999)
semblent insuffisantes pour rendre compte des facteurs en jeu dans les attentes dérivées
des relations.

FIGURE 16.1 Stimuli présentés aux bébés dans l'étude de


Johnson et al. (2010). Source : Johnson, S. C., Dweck, C. S., Chen, F. S., Stern, H. L., Ok, S.,
Barth, M. (2010). At the intersection of social and cognitive development: Internal working models of
attachment in infancy. Cognitive Science. 34(5):807–825.

Si l'empreinte du passé sur les relations affectives qui se tissent est déjà bien attestée,
on sait moins, en revanche jusqu'où les modèles internes peuvent gouverner les
agissements de l'individu. Certes, une relation dans son ensemble peut servir de
référence pour en comprendre une autre, mais les attachements précoces peuvent avoir
une influence qui va bien au-delà de la sphère relationnelle, du fait d'analogies
inconscientes qui guident de manière omniprésente les comportements.

Les MIO sont-ils des catégories ?


Dans son travail pionnier, Bretherton (1987) a comparé les MIO à la notion de scripts,
introduite par Schank et Abelson (1977), ainsi qu'au concept de schémas d'événements
de Nelson (1986). Des caractéristiques partagées à travers une variété d'événements du
même type constitueraient les éléments fondateurs de ces structures cognitives. Schank
et Abelson ont illustré ce processus à travers le script « aller au restaurant », qui inclut
les caractéristiques typiquement observées lorsqu'on va au restaurant, certaines étant
plus spécifiques à certains types de restaurants (par exemple : attendre pour être placé,
ce qui est spécifique aux restaurants plus chics) que d'autres (par exemple : lire la carte,
qui est moins spécifique). Le script correspond à un scénario typique, se déroulant selon
une séquence donnée. De même, les MIO contiennent des informations abstraites de la
vie de tous les jours sur la manière dont les relations se déroulent. Des généralisations à
partir d'épisodes spécifiques de types d'événements particuliers (par exemple :
demander de l'aide) s'appuient ainsi sur des similitudes observées d'une fois sur l'autre.
La notion de catégorie, dans son acception actuelle, recouvre la notion de script. Les
recherches récentes amènent à considérer les catégories, non pas comme des entités aux
contours clairs et rigides, mais comme des représentations complexes dont les
caractéristiques sont multiples (Hofstadter et Sander, 2013). Par exemple, si le sentiment
de tomber amoureux réactive un MIO passé d'un attachement fort à un parent qui s'est
soldé par son décès, ce sentiment « nouveau » sera teinté par l'ancien et déclenchera une
anticipation négative de perte de l'autre1. L'analogie qui est faite, sans même que la
personne s'en aperçoive, est sous-tendue par une catégorie qui pourrait ici correspondre
au fait de s'attacher et de courir le risque de perdre la personne aimée. On est donc bien
loin des catégories comme les meubles ou les animaux ; dans leur conception actuelle,
elles peuvent renvoyer à toute une série de situations très spécifiques et être colorées
affectivement.
Les catégories servent ainsi de vecteurs d'analogies : lorsqu'une situation ressemble à
une autre déjà connue, cela implique que la nouvelle et l'ancienne appartiennent à la
même catégorie. Du fait de l'analogie, les caractéristiques de la première situation sont
assimilées à la situation actuelle, ce qui débouche sur un « pressentiment » de ce qui va
arriver ; ce pressentiment est conforme à ce qui s'est passé antérieurement (par
exemple : « je vais perdre l'être cher »).
Le fait de considérer les MIO comme des catégories présente plusieurs avantages ; les
recherches sur la catégorisation ont connu un essor considérable ces dernières années et
permettent d'apporter un éclairage intéressant sur les processus en jeu dans l'analogie
(Hofstadter et Sander, 2013) et donc sur les mécanismes à l'œuvre dans la fonction de
filtres interprétatifs des MIO. Cette nouvelle conception permet d'examiner la sphère
d'influence de l'attachement selon un nouvel angle, au-delà des seuls systèmes
motivationnels impliqués. Ce ne sont pas alors uniquement les proches, mais
l'environnement dans sa diversité qui est concerné par les MIO.
C'est à l'occasion des premières interactions avec son entourage que le bébé élabore
des conceptions, des catégories relatives aux principales dimensions qui déterminent
son rapport au monde. Par exemple, en fonction de sa capacité à obtenir les soins dont il
a besoin, il développera un plus ou moins grand sentiment de contrôle sur le
déroulement des événements, d'accessibilité des objets désirés, de stabilité et de fiabilité
de l'environnement. Ces catégories de situations primitives constitueront un cadre
interprétatif sur lequel il s'appuiera pour interagir avec son milieu. Ainsi, ses
comportements s'ajusteront en fonction des catégories qu'il aura construites lors de ses
relations d'attachement précoces.
Douglas Hofstadter et Emmanuel Sander (2013) défendent l'idée que si les catégories
prennent leurs sources autour d'exemplaires spécifiques issus de l'environnement, un
mécanisme d'extension catégorielle par analogie conduit les catégories les plus
primitives à étendre leur champ d'application par un mécanisme de généralisation.
Ainsi, face aux situations nouvelles qui sont rencontrées, de natures diverses et
touchant des domaines pouvant être superficiellement très éloignés du domaine initial,
des analogies sont mobilisées et influencent et organisent les conduites. Mais qu'est-ce
que l'analogie et pourquoi a-t-elle un rôle tellement majeur ?
Une analogie est une mise en relation de deux constructions mentales, fondée sur la
ressemblance. Faire une analogie, c'est extrapoler l'identité au-delà de la différence ;
c'est voir « le même » là où pourtant il n'y a pas stricte identité. Si une personne devait
affronter chaque situation à laquelle elle est confrontée comme si celle-ci était
radicalement nouvelle, la condition de cette personne serait comparable à celle d'un
nouveau-né, devant reconstruire à tout moment les clés de l'interprétation de son
environnement. L'analogie rend possible d'aller au-delà de la singularité de chaque
expérience en la considérant comme similaire à une construction mentale préalable.
Alors pourquoi les relations d'attachement précoces seraient-elles des sources
d'analogies privilégiées, susceptibles de se répercuter jusque dans des sphères de la vie
apparemment sans rapport ?

Au-delà des relations…


Un bébé reconnaît sa maman en unifiant des centaines de milliers de perceptions
sensorielles, ce qui repose déjà sur l'analogie. Mais ce n'est que le tout début de
l'histoire, car il développe ensuite le concept plus générique de figure d'attachement,
noyau du concept plus large encore de personne sur qui compter. Ainsi, l'expérience
avec elle constitue la première référence pour interpréter les situations où on a besoin
de quelque chose, où on dépend de quelqu'un ou de facteurs extérieurs, où on a à gérer
une difficulté, un problème, etc.
C'est la plus ou moins grande analogie entre les situations d'origine et celles
rencontrées ultérieurement qui guidera les pensées et les agissements. Si l'on prend
l'exemple du contrôle, le sentiment d'en manquer, qui peut apparaître très tôt dans la
vie, peut réapparaître à l'occasion de multiples autres situations ultérieures et donner
lieu au même vécu de détresse. En cela, un attachement insécure peut avoir des
répercussions dans le rapport au monde et conduire à des pathologies, particulièrement
celles qui ont trait à la dépendance (Miljkovitch, 2013). Par exemple, un sentiment
précoce d'insécurité peut perdurer et augmenter le risque de recourir à des conduites
addictives pour soulager sa détresse ; ce, d'autant plus qu'on a développé le sentiment
de ne pas pouvoir trouver du réconfort auprès d'une personne proche.
Cela conduit à prendre en considération la sphère d'influence du modèle interne
opérant par la mise en évidence de son caractère envahissant dans les cas
pathologiques. C'est le cas lorsque le spectre des situations traitées comme analogues à
des situations d'attachement primaire par le modèle interne opérant conduit à une
rigidité des perceptions et du comportement, source d'affects négatifs.
Nous avons développé un outil d'investigation structuré sous forme d'entretien
(Miljkovitch et Sander, 2011), dont l'objectif est de mettre en évidence l'empan
d'extension du modèle interne opérant dans une diversité de sphères de la vie
quotidienne. Par exemple, en fonction de ses expériences de rejet ou de perte, un
individu donné aura-t-il un rapport particulier à la conservation, quel que soit le type
de situation ? Une même personne est-elle susceptible d'accumuler des milliers de
documents sur le disque dur de son ordinateur, d'avoir son appartement surchargé
d'objets, de conserver ses lettres échangées depuis son plus jeune âge et toute une série
de documents administratifs, de conserver à tout prix le contact avec ses amis les plus
anciens et ses anciennes relations amoureuses, alors qu'une autre, tout à l'inverse,
manifestera une constance dans le rejet de toute accumulation, se débarrassant de tout
ce qu'elle considère comme faisant partie de son passé, les objets comme les personnes.
Ces rapports transversaux peuvent s'observer dans des registres variés qui ont en
commun de reposer sur des analogies qui transcendent les domaines spécifiques de la
vie, pour manifester une unité personnelle reposant sur des modalités d'attachement
précoce. Ainsi, des types de rapports au monde tels qu'accumuler/se débarrasser,
contrôler/lâcher prise, posséder/ne pas posséder, dépendre/être autonome,
enseigner/apprendre, chercher à plaire/être indifférent à l'effet que l'on produit peuvent
s'avérer être des dimensions clés pour repérer des attitudes et des comportements
analogues, dans des sphères que l'on pourrait penser pourtant largement étanches du
rapport au monde. Ces analogies puiseraient leurs sources dans nos attachements
précoces qui, par généralisation, étendraient leur influence dans des champs
insoupçonnés. Une recherche réalisée par Marie Danet (2014) a exploré les liens entre
l'attachement et le rapport au monde sous ses diverses facettes, d'après l'entretien que
nous avons développé. Le codage des entretiens permet de repérer ces invariants, le
plus souvent inconscients, révélateurs de généralisations amples, fondées sur nos
relations d'attachement précoces. Nous disposons d'un corpus de témoignages,
révélateurs d'une constance d'un fonctionnement s'inscrivant dans le prolongement des
expériences d'attachement. Le cas suivant illustre bien la manière dont les modèles de
relations sous-tendent des parallèles avec d'autres domaines plus matériels et sans
rapport apparent avec l'attachement.
Gladys a reçu peu d'affection durant son enfance. Elle raconte à propos de sa mère :
« Une mère qui était présente ? Non, parce qu'elle travaillait pas mal, parce qu'il y a eu
une période où il a fallu qu'elle travaille jour et nuit. Donc euh… j'étais son substitut,
j'étais l'aînée, j'étais donc la plus responsable. Et fallait que… j'endosse ça. Humm elle
avait des liens privilégiés avec les autres. Peut-être moins avec moi. » Quant à son père,
elle dit : « Il était absent du lundi au dimanche. » Même pour les besoins élémentaires,
elle a connu des restrictions suite à la faillite de l'entreprise familiale : « J'ai pris sur moi,
donc j'ai été moins dans la demande, de ce qui était vestimentaire, de toute façon y avait
pas les moyens donc… mes frères et sœurs ont continué à être… ouais, prenaient soin
en tout cas de leur… de leur paraître. Moi c'était… y a plus rien, y a plus rien à sauver. »
Malade aussi, elle restait sans soin : « Je me rappelle vraiment de trucs, où j'étais
vraiment douloureuse, où j'étais pas bien, où j'avais des vertiges et où fallait que j'aille
jusqu'au bout, avant de pouvoir dire "J'ai mal". »
De ce que Gladys relate, se dégage l'impression qu'elle a été lésée et n'a pu compter
que sur elle-même. Très sensible au manque, elle tente de le combler chez les autres. À
l'occasion du divorce de ses parents, elle raconte : « Parfois mon père il lui offrait des
roses, donc j'offrais des roses à ma mère… ouais j'essayais d'être plus proche d'elle… de
combler en tout cas ce que pouvait laisser cette absence-là. Et pour mon père, pareil. J'ai
essayé d'être plus proche de lui. Voilà, j'achetais, j'achetais ses chemises… ouais et puis
quelques trucs comme l'ameublement. Comme, ses lunettes, comme… Voilà, j'ai décidé,
pour tous les deux, d'être, d'être présente et… d'être là pour eux. » On comprend qu'elle
tente de combler un manque affectif par une « présence » matérielle. Ainsi, la notion de
manque s'est étendue au-delà du champ des relations, pour inclure celui des objets. On
peut d'ailleurs constater que dans le domaine, sa tendance à la conservation est très
nette.
« Est-ce que vous avez tendance à davantage jeter ou garder les objets comme les
cartons d'emballage ? – Je les garde.
« Que faites-vous des objets dont vous ne vous servez pas, comme des magazines, des
bibelots… ? – Ils sont stockés dans un tiroir, dans lequel je vais jamais [Rire] Dans une
boîte dans laquelle je ne vais jamais ! Mais… mais voilà, ils sont stockés, les bibelots, ils
sont en évidence et les magazines, ben eux ils sont dans un tiroir. Mais après ils
bougeront au fil du temps, après ils iront dans un carton et au pire, au pire, au pire, au
pire, quand je ferai LE grand ménage, quelques années plus tard, je jetterai, voilà. En
général, je stocke comme ça jusqu'au moment où, bon là il faut peut-être que… je jette
ces magazines qui me servent à rien… et en général je demande à quelqu'un de les
descendre pour moi, sinon ça peut prendre beaucoup de temps !
« Que faites-vous de vos vieux textos ? – Humm… Ça dépend des personnes… Il y a
des personnes pour qui je peux très vite effacer, hum il y a des personnes pour qui je
garde beaucoup plus longtemps.
« Lorsqu'un aliment a dépassé sa date de péremption, qu'est-ce que vous en faites ? –
Ah bah je, je garde, parce que je les mange en dehors des dates de péremption, c'est…
et voilà c'est, c'est écologie, c'est éco-responsable pour moi, donc non non je garde.
« Lorsque vous n'avez plus faim et qu'il y a encore à manger dans votre assiette,
qu'est-ce que vous faites ? – Je mange. [Rire] Je mange. Euh, voilà. Lorsque j'ai pas
faim… je mange. … Je commence à savoir me dire… j'vais mettre au frigo… Mais c'est
rare que je jette. C'est vraiment rare que je jette. Si maintenant je ne vais pas forcément
le manger, je vais en tout cas le mettre de côté.
« Pour ce qui est de vos relations amoureuses, avez-vous gardé contact ? – Je vais pas
envoyer des textos constamment, mais c'est toujours vivant… mon ex ça fait 7 ans qu'on
n'est plus ensemble et il y a toujours un moment où il va me rappeler… et où j'vais
répondre et où… [Soupir]… j'vais trouver différents stratagèmes pour en avoir, et puis
après je vais me dire, mais non, mais c'est pas possible ! Et puis ensuite j'vais y
retourner.
« Que faites-vous des marques du passé comme les lettres, les photos ? – Elles sont
toutes gardées. Ça permet aussi de… de retrouver, d'avoir l'impression que je peux
retrouver ce dont je ne me souviens pas, si j'en ai besoin, si j'en ai envie… voilà. Et puis
parce que c'est aussi très important j'avoue ce truc de stocker… stocker voilà les traces
du temps visibles.
« Si on vous donne des échantillons, qu'est-ce que vous en faites ? – Je les stocke !
[Rire] »

Conclusion
Ainsi, tel un cercle qui s'élargit sans cesse, nos attachements précoces semblent se
répercuter, s'appuyant sur l'irrépressible propension humaine à réaliser des analogies,
là où on ne les attend guère, dans des sphères qui excèdent de beaucoup le champ des
relations et qui concernent le rapport au monde dans son ensemble. Ils contribuent à
notre unité, tout en fournissant des clés pour mieux la comprendre.
À l'issue de ce travail, nous proposons que le mécanisme qui sous-tend la convocation
d'un MIO pour interpréter des informations nouvelles repose sur des processus qui
dépassent la simple mobilisation des mêmes systèmes motivationnels (comme le
proposent Furman et Simon, 1999) et qui reposent sur un phénomène d'analogie entre la
situation présente et un ancien épisode stocké en mémoire. Ainsi, contrairement à ce
que suggèrent Schneider et al. (2001), la nécessité d'un lien de proximité ne serait pas
indispensable pour que le MIO soit appelé. Il semble plus judicieux de concevoir les
MIO comme de simples catégories, aussi multiples que les épisodes de la vie. Les
expériences d'attachement, du fait de leur précocité, serviraient de sources privilégiées
pour interpréter la réalité immédiate (et future) dans une infinité de domaines, bien au-
delà des relations interpersonnelles.

Références
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Lectures conseillées
Hofstadter D., Sander E. L'analogie : cœur de la pensée. Paris: Odile Jacob; 2013.
Miljkovitch R. Les fondations du lien amoureux. Paris: Presses universitaires de
France. Coll. « Le lien social »; 2009.

Adresses web utiles


https://www.youtube.com/watch?v=ifaEfw2tW3Y
http://www.colloque-tv.com/colloques/e-916/video-l-attachement-au-quotidien

1
Une étude que nous avons réalisée révèle que les personnes qui ont perdu un parent durant leur enfance sont plus
susceptibles de rompre prématurément une relation amoureuse (Miljkovitch, 2009).
PA R T I E 3
L'éducation
CHAPITRE 17

Le développement symbolique et l'entrée


à l'école
Caroline Guerini

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Que dit la recherche en psychologie du développement sur la petite enfance ?
Les nouveaux regards sur le dessin et le jeu symbolique entre 2 et 5 ans
Les interactions entre enfants autour des jeux symboliques
Conclusion

Introduction
Le thème de ce chapitre est celui de la petite enfance, considérée comme la période
située avant l'entrée à l'école primaire. L'objectif est de présenter un essai de
perspectives croisées entre les problématiques rencontrées par les adultes qui sont
concernés par les débuts de la scolarisation (parents, famille, enseignants, éducateurs),
et les données issues de la recherche fondamentale et appliquée en psychologie du
développement.
En France, il semble admis que la grande majorité des enfants de 3 ans soient
scolarisés à l'école maternelle. Par contre, de façon plus spécifique, le questionnement
de la scolarisation précoce à l'âge de 2 ans a agité les débats sociétaux depuis quelques
années, de même que celui de l'évaluation des compétences du jeune enfant par des
notes (Florin et Crammier, 2009). Si les études soulignent que l'accueil à l'école des très
jeunes enfants doit suivre certaines règles spécifiques liées aux limites de leurs capacités
bio-psycho-sociales, elles mettent en avant que la scolarisation précoce peut favoriser
leur développement. Cependant, de nombreux professeurs d'école et psychologues
scolaires sont confrontés à des problématiques fréquentes liées au développement du
langage (« insécurité linguistique » selon Bentolila (2007 a, 2007 b) aux troubles de
l'attention, aux troubles du comportement (agressivité, inadaptation, agitation,
inhibition), et aux difficultés d'apprentissage. La scolarisation en école maternelle
suppose de regarder de près l'évolution des compétences de l'enfant, durant cette
période riche en changements tant au niveau psychomoteur, qu'aux niveaux affectif,
social et langagier.
Nous verrons dans ce chapitre comment les études récentes sur la petite enfance,
relatives aux conduites sémiotiques (dessin, jeu) et aux interactions sociales, contribuent
à apporter des données développementales qui permettraient de répondre aux
interrogations sur l'accueil des jeunes enfants en structure scolaire.

Que dit la recherche en psychologie du développement


sur la petite enfance ?
La psychologie du développement s'est en majeure partie fondée dans ses débuts sur les
théories de Jean Piaget, Henri Wallon et Lev Vygotsky. À la différence de la théorie de
Sigmund Freud qui a établi des stades de développement à partir de données d'adultes
en cure analytique, Piaget, Wallon et Vygotsky ont constitué, par leurs observations
directes menées auprès d'enfants (ce qui n'était pas fréquent à leur époque, notamment
pour les nourrissons), des bases théoriques incontournables de la petite enfance.
Comment les auteurs classiques se sont-ils positionnés par rapport à la petite enfance
(2–5 ans) ? Pour Piaget, il s'agit du stade préopératoire. Situé après la période
sensorimotrice (0–2 ans), c'est le stade qui précède et prépare l'émergence de la logique
concrète au stade 3 à partir de 6 ans. Pour Piaget, ce qui caractérise ce stade, c'est
l'émergence de la fonction sémiotique (ou symbolique) et son expansion. Cependant,
l'enfant n'a pas encore accès à la logique, ce que Danset (1991) avait caractérisé comme
« une période sans nom » dans la théorie piagétienne. Wallon (1941), dont la théorie est
centrée sur le développement de la personnalité, analyse cette période comme
l'expression de la personnalité naissante avec ces moments de crise (la période du
« non » chez l'enfant, correspondant à la crise du personnalisme, vers 3–4 ans). La
période, centripète, est marquée par le développement des préoccupations de l'enfant
autour du « moi ». Dans la théorie de Vygotsky (1934), il s'agit de la notion de zone
proximale de développement (ou zone de développement prochain), qui recouvre la
distance entre ce que l'enfant peut faire seul, et ce qu'il saura faire seul après la
transmission par l'adulte d'outils psychologiques. La notion d'intériorisation d'outils de
pensée, issus de l'histoire culturelle d'une société (langue, moyens de représentation,
cartes, schémas, œuvres d'art, etc.), est centrale pour le développement de la pensée
autonome, notamment au cours de la période préscolaire avant 6 ans. La tutelle de
l'adulte avec un rôle d'étayage constitue un facteur de développement primordial, selon
Vygotsky, dans la petite enfance.
L'âge de 2 ans apparaît comme une période charnière, sur trois plans du
développement :
• la conquête de l'espace avec la locomotion autonome ;
• la conquête de l'identité avec la conscience progressive du corps, les signes de
reconnaissance identitaire (reflet dans le miroir, pronom « je » ou prénom) et les
liens d'attachement (Ainsworth, et al., 1978) ;
• la conquête du langage.
Le langage évolue rapidement en nombre de mots et en complexité durant la petite
enfance. Le langage est la forme la plus décontextualisée de la fonction symbolique, car
la différenciation entre le signifiant (enveloppe acoustique d'un mot) et le signifié (le
référent auquel renvoie le signifié) est dans ce cas arbitraire (pas de lien iconique ou de
ressemblance entre les deux) et conventionnel, puisque le lien entre les deux repose sur
le fait que plusieurs locuteurs en ont la même utilisation. Décrite par Piaget, la fonction
symbolique (ou dite sémiotique, de « semiosis » = signe), observée uniquement chez
l'humain, apparaît à la fin du stade sensori-motrice entre 18 et 24 mois, et se développe
entre 2 et 5 ans, avant la logique concrète. Elle émerge sur toute la construction des
schèmes sensori-moteurs, qui amène l'achèvement de la permanence de l'objet, c'est-à-
dire la capacité à se représenter mentalement l'objet alors que le contact sensoriel direct
avec l'objet est interrompu. La permanence de l'objet est complète à 24 mois, selon
Piaget. Corrélativement, la fonction symbolique recouvre diverses capacités telles que
l'imitation différée (la reproduction d'un modèle en son absence), les images mentales,
les dessins, le jeu symbolique et le langage.
Plusieurs questions se posent. Quelles sont les compétences de l'enfant durant cette
période ? Comment celles-ci évoluent-elles ? Comment comprendre la fonction
symbolique dans le développement au-delà de la petite enfance : y a-t-il continuité ou
discontinuité développementale ? Nous allons ainsi développer deux aspects de la
fonction sémiotique, le dessin et le jeu symbolique, caractéristiques des occupations des
jeunes enfants, en mettant en avant les nouvelles études qui ont renouvelé les théories
classiques.

Les nouveaux regards sur le dessin et le jeu


symbolique entre 2 et 5 ans
Le dessin
Les productions de dessins chez l'enfant intéressent les parents ainsi que les
professionnels de la petite enfance, instituteurs, psychologues, psychanalystes. De
nombreuses publications ont traité de l'aspect interprétatif du dessin de l'enfant.
Cependant peu de publications ont porté sur les aspects du développement cognitif liés
aux dessins durant l'enfance. René Baldy (2010, 2011) a apporté une contribution à ce
sujet, que nous présentons dans les grandes lignes.

La maîtrise des signifiants graphiques


L'acte de dessiner implique des processus moteurs, cognitifs et émotionnels. Il est en
interrelation avec des domaines tels que le jeu, le langage oral, les systèmes de notation
graphiques, la construction du schéma corporel, la motricité manuelle, la latéralisation.
Pour dessiner, l'enfant perçoit le réel, se représente les lieux et les objets, et aussi,
utilise un vocabulaire de formes graphiques. Pour imaginer un dessin, que ce soit avant
de dessiner ou pendant l'exécution du tracé, l'enfant se sert d'outils cognitifs que sont
les représentations, les connaissances, les catégories mentales, les scripts, les modèles
internes, les signifiants graphiques. Dessiner c'est exécuter des mouvements de la main,
avec l'intention de laisser une trace visible sur le papier. Baldy souligne que c'est cette
intention qui ajoute à l'action motrice la dimension symbolique du dessin.
Le dessin est la traduction dans les termes du dessin de certaines propriétés de l'objet
(éléments, nombre, formes), via le répertoire de signifiants graphiques dont dispose
l'enfant. Qu'entend-on par signifiants graphiques ? Selon Baldy, le dessin est écriture.
La construction d'un dessin s'apparente à celle d'une phrase. Comme on écrit une
phrase avec des lettres et des mots, on dessine avec des signifiants (ronds, points, traits).
L'évolution du dessin recouvre plusieurs aspects durant la petite enfance. Les
conditions préalables sont d'une part, de pouvoir réguler la tonicité et sa posture, et
d'autre part, de pouvoir tenir le crayon, ce qui dépend en partie de la latéralisation de la
main. Baldy note que le crayon devient progressivement un instrument de la main et de
l'esprit. Les premiers barbouillages et gribouillages (avant 2 ans) se font avec un
instrument intermédiaire du corps. Puis le gribouillage devient différencié vers 2 ans.
La transition vers le dessin se fait souvent par la pression de l'entourage qui cherche à
savoir ce que représente l'enfant. À 18 mois, on note les premiers contrôles du geste et
les premiers traits verticaux. À 3 ans intervient la maîtrise du rond, qui suppose la
capacité de freinage du geste. Entre 3 et 4 ans, l'aspect symbolique de l'activité
graphique augmente. Les premiers dessins utilisent les signifiants graphiques de base :
les traits, les ronds, les points. Entre 3 et 7 ans, les figures géométriques sont
progressivement maîtrisées : le cercle et la croix (entre 3 et 6 ans), fermeture du cercle
(entre 3 et 6 ans), le carré et le rectangle (4 ans), les dimensions et les angles des figures ;
copie du losange (entre 5 et 6 ans). À 7 ans, toutes les formes géométriques élémentaires
sont maîtrisées.
Les premiers signifiants graphiques ne sont pas spécifiques. Un trait par exemple
peut servir pour représenter les rayons du soleil, les doigts du bonhomme, ou les
pétales de la fleur. Peu à peu les signifiants augmentent en nombre, en même temps
qu'ils deviennent spécifiques à un signifié. Le vocabulaire graphique tend à se
complexifier après la petite enfance. L'enfant passe de dessins à base de formes
géométriques à des dessins de type figuratif. Si l'enfant tend à élargir son répertoire
graphique à la faveur de ses connaissances, de ses habiletés motrices mieux
automatisées et de ses représentations, le dessin change progressivement de statut
pendant la période scolaire.

Le développement du dessin, le dessin dans le développement


Baldy (2010) reprend l'analyse des étapes de l'évolution du dessin présentées par
Luquet (1927), et présente des points de discussion.
Vers 3 ans, l'intention figurative s'affirme, mais le dessin figuratif dépend beaucoup
des capacités graphiques de l'enfant. Or, comme on l'a vu, le jeune enfant n'ayant à sa
disposition que quelques signifiants sommaires, Baldy considère alors la phase de
« réalisme manqué » nommée par Luquet, plutôt comme une phase de « ressemblance
symbolique ». En effet, l'attention de l'enfant étant labile, et le jeune enfant ne cherchant
pas forcément la confrontation de réalisme du dessin avec l'objet, il s'agit surtout
d'intention figurative plus que de recherche de réalisme.
À 5–6 ans, émerge la phase de « réalisme intellectuel » selon Luquet (1927), que Baldy
nomme phase de « ressemblance intellectualisée ». Il écrit : « L'enfant n'admet pas que
la ressemblance conduise à masquer des caractéristiques, invisibles, mais essentielles de
l'objet. Il inclut dans une synthèse unique ce qu'il voit » (p. 51). Ainsi, à cet âge, l'enfant
figure dans le dessin des aspects invisibles dans le réel : des pommes de terre sous la
terre, l'enfant dans le ventre de sa mère. Il s'agit de dessins radiographiques du réel. De
ce fait, les dessins comportent des erreurs par rabattement, car pour rendre les détails
visibles, l'enfant dessine à plat, par exemple les pattes de l'animal, ou bien les enfants
qui font une ronde. Le dessin n'est pas vraiment réaliste, car l'enfant dessine une idée ce
qu'il connaît en général. C'est une phase encore symbolique selon Baldy, car il n'y a pas
de recherche intentionnelle de réalisme ; le réalisme étant de dessiner en respectant
l'apparence visuelle de l'objet.
À partir de 7 ans, il s'agit de la phase de « réalisme visuel » selon Luquet, et de
« ressemblance conventionnelle » pour Baldy. C'est la période pendant laquelle l'enfant
va apprendre les règles conventionnelles nécessaires pour pouvoir composer avec les
contraintes de la feuille à dessin. L'absence de profondeur de la feuille implique que
l'espace en tant que troisième dimension soit codé, ce qui nécessite un apprentissage.
Les jeunes enfants aiment dessiner, et se rendent compte très vite que leurs dessins
intéressent leur entourage social proche. Celui-ci valorise beaucoup les productions
graphiques enfantines, et cherche à en comprendre le sens (Baldy, 2015). Néanmoins,
vers la fin de l'école primaire, de nombreux enfants déclarent ne pas être bons en dessin
et ils abandonnent progressivement l'activité. Comme on l'a vu, l'évolution des
compétences graphiques nécessite un enseignement pour s'améliorer. Vers
l'adolescence, le dessin perd pour beaucoup de ses aspects spontanés qu'il avait
pendant la petite enfance, car il est perçu comme une activité d'enfant, et comme une
activité inutile dans laquelle on perdrait son temps. Ainsi, peu d'entre eux cherchent-ils
à approfondir les compétences en dessin, et se tournent vers d'autres centres d'intérêt.
Cependant, le dessin reste une activité profondément liée à la créativité, qui trouve
dans la fonction symbolique des racines communes avec le jeu symbolique. Baldy (2010)
précise quand même que « le dessin est plus qu'un jeu. C'est une initiation, une activité
apparemment futile, et pourtant fondatrice qui permet d'installer des habiletés
perceptives, grapho-motrices, et symboliques utiles dans l'apprentissage ultérieur des
systèmes sémiotiques conventionnels plus complexes » (p. 79).

Le jeu symbolique
Nommées jeu symbolique, jeu de fiction, jeu de faire semblant, ou encore jeu de
simulacre, ces activités ludiques sont spontanées chez le jeune enfant, et apparaissent
vers vingt mois de façon presque furtive pour devenir très présentes dans les
comportements de l'enfant. Elles ont été décrites avec finesse par Piaget, dont nous
discuterons la théorie à ce sujet.

Le jeu symbolique dans la théorie de Piaget


Selon Piaget (1945), le jeu symbolique est une manifestation de la fonction sémiotique
chez le jeune enfant. Piaget distingue trois structures de jeu au cours du développement
dans les premières années : l'exercice, le symbole, la règle. L'exercice ne requiert aucune
intervention du symbole ni de règles. Il s'agit de l'activation des schèmes sensori-
moteurs. Le jeu symbolique apparaissant au cours de la seconde année est fondé sur le
symbole permettant de différencier le signifiant et le signifié. Le jeu symbolique
« implique la représentation d'un objet absent, puisqu'il est comparaison entre un
élément donné et un élément imaginé et une représentation fictive puisque cette
comparaison consiste en une assimilation déformante ». Piaget insiste sur le fait que
selon lui, le lien entre le signifiant et le signifié dans le jeu symbolique est subjectif pour
l'enfant. Un enfant qui utilise une boîte en la déplaçant pour représenter une
automobile soumet la réalité par assimilation. Le jeu symbolique est sous-tendu par la
fonction de catharsis, compensation des désirs, liquidation des conflits. La structure du
jeu s'intériorise par l'imitation des choses et des personnes. C'est un processus
individuel et selon Piaget, le symbolisme collectif ne change rien au symbolisme
individuel. Aussi les observations de Piaget portent-elles sur les conduites de l'enfant,
sans influence de la communication entre enfants. Les jeux de règles se superposent aux
jeux symboliques, à partir de l'âge de 4 ans et sont particulièrement développés de 7 à
11 ans. Si le jeu symbolique est essentiellement individuel, la règle est au contraire
imposée par le groupe et chacun doit suivre cette régularité établie dont la violation
constitue une faute.
Il est intéressant de noter les trois raisons que Piaget donne au déclin du jeu
symbolique entre 4 et 7 ans, au profit du jeu de règles. La première raison concerne
l'extension du champ social de l'enfant. Si le jeu symbolique permet la liquidation des
conflits et l'expansion du moi dans la petite enfance, la diversité des relations sociales
offre à l'enfant plus d'occasions de le faire, sans avoir recours à des personnages
imaginaires. La seconde raison nous interroge particulièrement. Le jeu symbolique
collectif peut engendrer le jeu de règles. Par exemple, le jeu symbolique fondé sur les
personnages imaginaires tels que le gendarme et le voleur devient un jeu de règle pour
lequel l'objectif est de se poursuivre. Le jeu de règles est créé selon des conventions
partagées, mais pour Piaget, le symbole étant individuel, le jeu symbolique n'obéit pas à
un partage de conventions. La troisième raison selon laquelle le jeu de règles se
substitue au jeu symbolique tient au fait que le symbole devient de plus en plus imitatif
du réel et « l'imitation elle-même s'incorpore à l'adaptation intelligente ou effective »
(p. 152). Par exemple, l'enfant va entamer des jeux conformes au réel.
Observation 89.

Dès 5–6 ans, elle passe son temps à organiser des scènes de famille, éducation,
mariage, etc. avec ses poupées, mais en construisant des maisons, des jardins et
souvent des meubles. À 6 ; 5 (12) elle édifie au moyen de plots et de baguettes une
grande maison, une écurie et un bûcher, entourés d'un jardin et pourvus de chemins et
avenues. Ces poupées circulent et dialoguent sans arrêt, mais l'attention est portée
aussi sur l'exactitude et la vraisemblance des constructions matérielles.
Le symbolisme collectif qui suppose la coordination des rôles sociaux et les progrès
de la socialisation n'aboutit pas au renforcement du symbolisme, mais à « sa
transformation plus ou moins rapide dans la direction de l'imitation objective du réel ».
Jusqu'à l'âge de 7 ans, le jeu est égocentrique et la socialisation fragile : l'enfant cherche à
travers le jeu symbolique à assimiler le réel. Mais, après 7 ans, se manifeste un tournant
décisif, car les symboles deviennent objectifs et les enfants coordonnent leurs activités
ludiques selon une adaptation au réel. Les règles sont alors le fondement du
symbolisme collectif et les différents jeux de règles proprement dits, tels les jeux de
marelle sont essentiellement socialisés et marquent un progrès dans l'évolution de la
pensée. Les jeux de règles sont les seuls à perdurer à l'âge adulte.
Piaget distingue trois stades dans l'évolution du jeu symbolique. Les premières
manifestations symboliques se différencient des rituels liés aux exercices sensori-
moteurs. Le symbole est l'instrument de l'assimilation ludique du réel. Le jeu
symbolique se présente lorsqu'un schème sensori-moteur se reproduit en dehors de son
objectif habituel. Les deux particularités concernent les moyens employés. Il s'agit soit
d'objets conçus comme de simples substituts, soit de l'évocation de l'objet sans support
matériel. « Lorsque J. fait semblant de dormir en tenant un coin de drap et en penchant
la tête, alors en effet, le schème sensori-moteur ainsi activé donne lieu à plus qu'un
simple "exercice", puisqu'il sert à évoquer une situation non actuelle et que le coin de
drap devient un substitut conscient, et non plus simplement pratique ou moteur, de
l'oreiller absent. Avec la projection de tels "schèmes symboliques" sur d'autres objets, la
voie est alors ouverte à l'assimilation de n'importe quoi à n'importe quoi, toute chose
pouvant servir de substitut fictif à toute autre ».
Observation 65

À 1 ; 3 (6). Elle fait semblant de mettre un rond de serviette dans sa bouche, puis elle
rit, fait « non » de la tête et le retire. Ce comportement est encore intermédiaire entre le
rituel et le symbole, mais à 1 ; 6 (28), elle fait semblant de boire et de manger, sans rien
avoir dans la main. À 1 ; 7, elle fait semblant de boire en se servant d'une boîte
quelconque et l'applique ensuite contre la bouche de tous les assistants. Ces derniers
symboles ont été préparés depuis un à deux mois par une ritualisation progressive dont
les principales étapes ont consisté à s'amuser à boire dans les verres vides puis à
répéter la chose en mimant le bruit des lèvres et du gosier.
Ces exemples montrent que le symbole est encore intégré dans la conduite elle-même.
Les comportements de faire semblant portent sur des activités habituelles telles que se
laver, dormir, manger. La limite de ces schèmes symboliques provient du fait qu'il n'y a
pas encore assimilation d'un objet pour un autre, ni combinaison d'actes.
Le premier stade est caractérisé par plusieurs progrès. Tout d'abord, Piaget note la
projection des schèmes symboliques sur des objets nouveaux, et la projection des
schèmes d'imitation sur des objets nouveaux. Dans le premier type de jeu, l'enfant
reproduit un schème d'action sur différents objets. Ainsi, l'enfant dit « pleure » à son
chien en imitant les pleurs puis fait pleurer d'autres animaux en peluche. Dans le
second type de jeu, il y a projection d'un schème d'action emprunté à autrui. Ainsi,
l'enfant fait semblant de téléphoner en imitant la voix de l'adulte puis fait téléphoner sa
poupée, et peut aussi exécuter cette action avec des objets substituts (une feuille en
guise de cornet). Les progrès sont particulièrement marqués lorsqu'apparaissent les jeux
ludiques fondés sur l'assimilation simple d'un objet à un autre. Avec les premiers
schèmes symboliques, on pouvait observer que l'enfant se servait d'objets-substituts
pour l'application du schème (par exemple, pour le schème dormir, la queue de l'âne en
peluche est prise pour l'oreiller), mais dans ces cas, c'est le schème symbolique qui
détermine l'objet-substitut. Selon Piaget, le progrès à ce nouveau stade réside dans le
fait que c'est l'objet-substitut qui détermine l'action. L'observation suivante illustre ce
type d'assimilation ludique.
Observation 78

Chez L., je n'ai noté qu'à 2 ; 1 (26) les premières assimilations d'objets entre eux
indépendamment des schèmes symboliques d'action : une pelure d'orange est
assimilée d'abord à une pomme de terre puis à des pâtes (qu'elle offre ensuite à
manger à la poupée). À 2 ; 1 (27) elle fait couler lentement du gravier entre ses doigts et
dit « il pleut ».
Il faut souligner que ces conduites symboliques sont accompagnées d'énoncés
verbaux qui le plus souvent annoncent l'action. L'assimilation d'un objet à un autre
précède le schème imitatif, « le symbole apparaît donc, comme le produit d'une
collaboration devenue généralisable entre l'assimilation ludique et l'imitation » (p.135).
À ce même stade, Piaget note une autre forme d'assimilation qui concerne le
comportement d'autrui : l'enfant imite l'attitude observée chez quelqu'un qui est absent
lors de cette conduite symbolique. Le premier stade est aussi marqué par un autre type
de progrès, celui des combinaisons symboliques que Piaget date à partir de 2 ans ½
pour se complexifier jusqu'à 4 ans. Les observations présentées ci-dessous montrent
qu'à ce stade, les objets-substituts sont utilisés dans des scènes symboliques ; il ne s'agit
plus d'actions isolées, mais l'enfant reproduit des « scènes réelles, à développements de
plus en plus étendus ».
Observation 81

À 2 ; 5 (25) elle prépare un bain pour L. : un brin d'herbe figure le thermomètre, la


baignoire est une grande boîte et l'eau reste à l'état d'affirmation verbale. J. plonge
ensuite le thermomètre dans le bain et trouve l'eau trop chaude, elle attend un instant et
remet l'herbe dans la boîte : « ça va bien, quelle chance ». Elle s'approcha alors de L.
(en réalité) et fait semblant d'enlever son tablier, sa robe, sa chemise en faisant les
gestes, mais sans les toucher. Même jeu à 2 ; 8.
Observation 82

À 3 ; 3 (29) L. sa canne devient un personnage multiple, tour à tour petit cheval qu'elle
enfourche, une dame dont elle fait la toilette et avec qui elle se promène en lui racontant
des histoires. Après quoi la pelle devient une petite dame dont on a lavé les cheveux,
etc.
L'observation suivante souligne bien que ces jeux fondés sur des combinaisons
symboliques empruntées au réel se développent d'autant plus rapidement pour un
enfant qu'il a pu les observer chez un autre enfant. Cependant, Piaget ne tire aucune
conclusion d'un éventuel effet des échanges entre enfants sur les combinaisons d'actes
symboliques.
Observation 82

L. de même dès la fin de la seconde année reproduit des scènes entières avec des
poupées : les habille, les fait marcher et leur tient des discours ; elle leur donne à
manger et à boire et s'associe à leur repas, puis range tout dans l'armoire. Ces jeux de
développent rapidement les mois suivants par emprunt à ceux de J., ce qui explique
leur précocité plus grande.
Le second stade, entre 4 et 7 ans, est défini par des jeux symboliques de plus en plus
ressemblants avec la réalité. Pour Piaget, les jeux se rapprochent d'une simple
représentation imitative de la réalité, aussi bien pour les rôles des personnages que pour
les constructions matérielles accompagnant le jeu (exactitude des détails d'une maison
de poupées, par exemple). Notons qu'une des caractéristiques de ce stade est l'ordre des
représentations. L'enfant produit des combinaisons symboliques ordonnées. La
transition avec le stade précédent se fait par le passage d'activités non cohérentes à des
progrès dans la cohérence du jeu. C'est aussi à ce stade que les progrès portent sur les
jeux de rôles assumés par l'enfant. Ainsi, dans l'observation n° 88, l'enfant imite
parfaitement le rôle d'un adulte familier selon une séquence ordonnée.
Observation 88

J. à 4 ; 7 (3) porte une longue pierre représentant le pot de lait d'Honorine (jeune
Valaisanne qui nous apporte le lait le matin) :

« Je suis la sœur d'Honorine, parce que Honorine est malade. Elle a la coqueluche. Elle
tousse et elle crache un peu. Alors ce serait dommage si la petite (= J. elle-même)
l'attrape (le tout est dit avec accent valaisan et roulement des R. et est entièrement
imaginaire).

– Madame voulez-vous du lait ?

– Merci.

– Ah ! je suis venue trop tard. Tiens, voilà Honorine qui arrive. (J. change de rôle et
tousse). Je reste loin de la petite, pour pas lui donner la coqueluche ; (geste et verser le
lait). Je ne crois pas que je donne la coqueluche à ce lait ». (J. redevient alors elle-
même qui prend le lait).
L'émergence du symbolisme collectif est une autre caractéristique définissant le
second stade des jeux symboliques. Le symbolisme collectif correspond selon Piaget à la
différenciation et à l'ajustement des rôles. Avant l'âge de 4 ans, les enfants aiment jouer
à deux ou à plusieurs et « s'imitent quelquefois dans le détail ». Piaget observe que
« après 4 ans, au contraire, il arrive de plus en plus que les rôles se différencient et
deviennent complémentaires ».
Observation 90

À 3 ; 11 (26) J. semble essayer d'organiser avec L. un jeu de marchande : « Madame,


qu'est-ce que vous voulez ? Tends ta petite main (L. qui a 1 ; 7 n'y comprend rien et
s'énerve). Vous voulez des sacs de farine ? Je vends de la farine à cousine Sazoulet,
etc. L. s'en allant alors, J. dit : « c'est la dame qui est allée au grenier. Il n'y a donc pas
en réalité de rôles complémentaires et J. incorpore L. à son jeu comme elle le ferait
d'une poupée. À 4 ; 3 J. joue encore ce rôle passif avec un garçon qui est à peine son
aîné.

Par contre, lorsqu'il s'agit de jouer le même rôle avec imitation mutuelle, la collaboration
est possible plus tôt.

À 3 ; 9 J. dit à L. : « Deux sœurs qui lisent un livre, tu veux ? » et toutes deux (L. a 1 ; 4)
s'asseyent en regardant chacune son livre. À 4 ; 2 (13) même accord pour faire marcher
des avions, etc. (L. a 1 ; 7), mais les rôles identiques ne conduisent à aucun
développement suivi.

À 4 ; 7 (12) J. fait son possible pour monter une scène de promenade en auto. L. qui a
2 ; 2 (18) est en train de construire un lit et fait « brr » pour manifester sa participation
au mouvement de l'auto, mais n'abandonne nullement son jeu à elle. La suite est
d'abord un mélange inextricable des deux jeux pour L. tandis que J. organise les rôles
avec persévérance. J. finit par l'emporter, faisant de L. la femme d'une poupée (« Toi, tu
es la femme de ce mari. – Oui ») et d'elle-même une autre dame : (L.) « c'est deux
dames qui sont en auto » ; – (L.) Vous allez en auto, Madame ? – (J.) Oui, et je jette
votre mari et votre enfant par la fenêtre » (lance la poupée). Mais L. va les chercher et
oublie le jeu.

À 4 ; 7 (23) J. jouant avec une aînée (10 ans) s'adapte parfaitement à tous ses jeux de
dînette, famille, etc., et montre ainsi qu'elle aurait bien été capable de développer les
rôles complémentaires des jeux précédents si sa partenaire avait eu son âge. Quant à
L. éduquée par les exemples de J., c'est vers 3 ; 8-3 ; 9 qu'elle acquiert ce pouvoir.
D'après ces observations, le jeu symbolique collectif fondé sur la différenciation des
rôles ne serait possible qu'entre enfants de même âge. En effet, l'enfant plus jeune que sa
sœur, personne qui lui est pourtant familière, se lasse du jeu et ne participe pas de façon
complémentaire au déroulement de l'action. Il semble au contraire que J. âgée de 4 ans
et sept mois puisse coordonner le jeu avec une autre enfant plus âgée. Piaget suggère
que cette observation vient du fait que les enfants du second stade des jeux symboliques
partagent une forme de pensée socialisée qui se détache de « l'égocentrisme pur » à la
base des premiers jeux symboliques. Cependant, Piaget remarque que l'accord sur une
activité se produit par imitation du jeu, mais ce partage d'action semble limité puisqu'il
n'y a pas développement de l'action. Bien que Piaget ne fasse aucune hypothèse d'un
effet de la communication entre enfants sur les jeux symboliques, nous remarquons que
l'enfant plus jeune réalise des jeux symboliques complémentaires plus précocement que
prévu parce qu'elle a pu « s'éduquer » lors des échanges avec sa sœur. De plus, il s'agit
d'activités fondées sur des rituels familiers à l'enfant ; l'influence du milieu social nous
apparaît ici comme une source d'interrogation importante par rapport à l'aspect
d'égocentrisme que l'auteur met en avant dans les premiers jeux symboliques.
Le troisième stade des jeux symboliques est caractérisé par le déclin des symboles
déformants et l'émergence des jeux de règles. Les jeux symboliques observés à cet âge,
que Piaget situe entre sept et onze ans, sont essentiellement réalistes et sont marqués
par le fait que les enfants coordonnent leurs activités. C'est ce symbolisme collectif qui
mène à l'abandon du symbole individuel et à une organisation des activités selon des
règles. Par exemple, Piaget remarque que J. et T. âgés de 9 ans, improvisent des
comédies présentées devant des spectateurs puis en viennent à poser et à discuter à
l'avance les grandes lignes de l'histoire.

Le jeu symbolique revisité par Harris


Paul Harris (2007) a apporté une nouvelle voie de théorisation du jeu symbolique, suite
à la synthèse de ces travaux depuis trente ans sur les activités symboliques du jeune
enfant. Son approche, exposée aussi par Deleau (2002), revisite à la fois la position
théorique de Piaget que venons d'exposer dans la partie précédente, et celle de Freud
que nous avons fait le choix de ne pas détailler ici, car Freud a peu observé directement
les enfants dans le contexte du jeu et c'est surtout avec Mélanie Klein que le jeu
symbolique a été envisagé pour sa fonction cathartique, dans le cadre de cures
psychanalytiques pour enfants.
Du point de vue de l'analyse développementale, la fonction cathartique du jeu
(comme décharge des conflits intérieurs de l'enfant), quoique mentionnée aussi
rapidement par Piaget, n'est pas relevée par Harris. L'auteur souligne tout d'abord que
tout enfant, bien portant, joue. Le jeu symbolique est avant tout l'expression des
significations que l'enfant construit à propos du réel. Cette activité se développe à partir
des premières catégorisations d'objets construites avant l'âge de 2 ans.
Harris met en évidence, à la différence de Piaget, que le jeu symbolique n'est pas une
simple distorsion du réel (avec processus d'assimilation), mais plutôt un découplage du
réel qui survient avec la fonction symbolique, c'est-à-dire la capacité à envisager le réel
sur un autre plan que l'on appelle la fiction. Un enfant qui joue à faire semblant de
monter à cheval avec un balai sait ce qu'est l'objet balai, mais pour un temps, il
« découple le réel », et le balai devient le cheval dans le plan fictif. L'enfant a donc les
deux représentations en même temps, celle du balai et celle du cheval. Cette double
capacité de représentation (méta-représentation) dans le jeu symbolique a été analysée
par Leslie (1987) comme un précurseur de la théorie de l'esprit. Pour Harris, le jeu
symbolique permettrait aussi aux enfants, lorsqu'ils partagent une action symbolique,
de simuler ce que le partenaire fait et donc de partager le même état mental. L'auteur y
voit une des origines de la capacité à la théorie de l'esprit.
En outre, dans le plan de la fiction, dans « l'imaginaire du réel », tout est possible :
l'enfant peut donner toutes les issues qu'il souhaite à son scénario fictif. C'est donc bien
le monde des possibles que l'enfant peut atteindre par le jeu libre. Selon cette même
idée, l'enfant accède aussi à un type de pensée ou de raisonnement de type logique : « si
je pense cela (si je fais semblant)… alors il peut se passer cela… » Ainsi, Harris réfute
l'idée que le jeu symbolique soit interprété comme une phase d'illogisme du jeune
enfant. Dans les jeux observés, l'enfant montre au contraire qu'il respecte les relations
causales entre les événements, et les objets ; par exemple, si une tasse vide se renverse,
l'enfant fait semblant d'essuyer la table… D'après les recherches de Harris, le contexte
fictif favoriserait le raisonnement aussi par syllogisme.
Cette capacité à la fiction est liée, selon Harris, à la capacité spécifiquement humaine
de l'imagination. Imaginer est une fonction cruciale dans le développement humain,
aussi bien affectif que cognitif. Le plan de la fiction a une dimension infinie en termes
de possibilités. Et l'enfant exerce déjà cette fonction dans le jeu qui est à mi-chemin entre
l'acte moteur et la pensée. La thèse de Harris est qu'il existe une continuité
développementale entre le jeu de fiction chez l'enfant et les productions artistiques chez
l'adulte, tels les romans ou les films. L'auteur analyse que l'imagination est la même
racine de ces productions. En effet, tout comme un enfant qui bâtit un scénario de
fiction à partir de ses connaissances vécues, le romancier utilise des événements réels
qu'il insère dans une histoire qui pourtant n'est pas réelle, avec des personnages de
papier. Dans le domaine scientifique, on peut aussi mettre en exergue la fonction
d'imagination qui se trouve à l'origine de nombreuses découvertes scientifiques et
technologiques ; les scientifiques auraient-ils calculé et réalisé les moyens d'aller sur la
lune si cette destination n'avait été rêvée auparavant, des siècles plus tôt ?
Ainsi Harris rejette-t-il l'idée piagétienne selon laquelle le jeu symbolique disparaisse
après la période de la petite enfance, au profit des jeux de règles et de la logique
concrète. L'auteur définit cette activité symbolique comme une base de la cognition
humaine, qui perdure dans l'existence, car elle est directement liée aux capacités
cognitives et communicationnelles de l'être humain.
Jouer est une activité quotidienne chez l'enfant, seul, à deux ou à plusieurs
compagnons, qui correspond à une capacité cognitive symbolique importante pour
l'accès aux méta-représentations. Le fait que ce soit une activité qui peut être partagée
est aussi en lien étroit avec le développement des compétences sociales de l'enfant.

Les interactions entre enfants autour des jeux


symboliques
L'évolution des compétences à communiquer et à
symboliser
Entre 2 et 5 ans, les compétences à communiquer entre enfants évoluent de manière
significative. Pour un exposé détaillé, on pourra se reporter au chapitre 12. À 2 ans, les
échanges entre enfants sont peu langagiers, et peu coordonnés. À 2 ans ½, l'imitation
gestuelle synchrone se présente comme le format d'interaction prédominant, permettant
de pallier les insuffisances langagières, et de faciliter la coordination des rôles. Les
compétences langagières et interactionnelles se complexifient ensuite à partir de 4 ans
(Nadel, Baudonnière, 1980 ; Nadel, 1986 ; Baudonnière, 1988).
Concernant les compétences à symboliser, l'approche cognitiviste proposée par Leslie
(1987) permet de poser les bases d'une analyse développementale précise, depuis les
premières actions de faire semblant jusqu'aux actions de méta-représentations. L'auteur
établit une distinction entre le jeu de faire semblant fonctionnel utilisant les propriétés
fonctionnelles de l'objet (réification : faire rouler la voiture en faisant « vroum-vroum »),
et les jeux symboliques impliquant une méta-représentation : attribution de propriétés à
l'objet, substitution de l'objet, objet imaginaire.

Le partage du jeu symbolique entre enfants


Nous avons repris les études de Nadel de façon à étudier le jeu symbolique au cours des
interactions entre jeunes enfants (Guerini, 1995 ; Nadel, Guerini et Rivet, 1996 ; Nadel,
Guerini, Pezé et Rivet, 1999 ; Jacot, 2008). Sachant que les formats d'interaction entre
pairs évoluent entre 2 et 5 ans, nous avons cherché à approfondir ces données en
mettant à l'épreuve l'hypothèse d'une co-construction de thèmes d'action par les
enfants. Dans le cadre de la psychologie socio-constructiviste de Bruner (voir
chapitre 2), nous avons supposé que la capacité à construire ensemble des thèmes de
jeux se trouverait favorisée par la répétition des rencontres entre enfants. Nous avons
filmé dans l'espace expérimental conçu pour l'expérience (figure 17.1) des dyades
d'enfants (sans la présence d'adulte) durant cinq séances de dix minutes (hypothèse
micro-génétique), et en comparant les groupes d'âge de 30 mois, 36 mois, 42 mois,
60 mois (hypothèse développementale).
FIGURE 17.1 Espace expérimental d'étude du jeu symbolique pour des dyades
d'enfants, utilisé par Guerini (1995), Jacot (2005).
Image extraite de la thèse de Guerini (1995).

À partir de la retranscription des actes et des verbalisations, notre codage s'est


focalisé sur les thèmes en actes et les thèmes verbaux exprimés par les enfants. Un
thème recouvre une activité, verbalisée ou non, relevée par le changement de référent
par rapport au thème précédent (indiqué par le port d'objets ou par les verbalisations).
Sur la base de l'analyse cognitive de Leslie (1987), nous avons codé chaque thème selon
trois axes.
• Diversification : il s'agit de relever le nombre de thèmes différents exprimés par les
enfants au cours d'une séance d'interaction.
• Complexification : l'analyse porte sur un thème et sa prolongation en sous-thèmes ou
thèmes qui lui sont sémantiquement reliés, ce qui permet de noter le nombre de
scripts, c'est-à-dire les séquences thématiques ou scénarios (« partir en
voyage »/« préparer les affaires »/« il y a une tempête »/« on est arrivés à
Tombouctou »).
• Distanciation symbolique : on distingue cinq niveaux de décontextualisation du thème,
du plus concret au plus symbolique, inspirés de l'analyse de Leslie :
– réification (faire semblant fonctionnel avec l'objet « s'asseoir dans le bateau et
imiter le bruit du moteur »),
– animation (attribuer des propriétés fictives à l'objet « faire bouger le bateau en
mimant les vagues »),
– substitution (détourner les propriétés fonctionnelles de l'objet pour en évoquer un
autre « le parapluie devient une rame de bateau »),
– objet imaginaire : évoquer une personne ou un objet qui n'est pas présent (« il y a
un requin »/« voir une araignée qui pleure »),
– situation imaginaire : évoquer un lieu qui n'est pas présent (« être en Italie »).
Nous avons pu observer des différences selon l'âge dans les compétences à élaborer
les thèmes de jeu. À 2 ans ½, les enfants partagent des interactions en actes, mais les
thèmes de jeux sont répétitifs entre les séances. Une fois partagés entre les enfants, les
thèmes n'évoluent pas, il y a peu de marge pour la nouveauté et donc pas de co-
construction. Les échanges sont essentiellement non verbalisés, sur la base de l'imitation
gestuelle. Les thèmes fictifs apparaissent sans langage et ne sont qu'épisodiques et très
brefs.
À 3 ans, le partage est majoritairement de format imitatif, davantage verbalisé. Il n'y a
pas de complexification spontanée des thèmes de jeux, sauf si les thèmes sont
récurrents. La diversification des thèmes devient importante. À 3 ans ½ : on relève que
les échanges sont beaucoup plus verbalisés, et que les thèmes fictifs augmentent en
durée avec les rencontres. Les enfants co-construisent des scénarios. L'imitation est
majoritaire, mais on note aussi un début de complémentarité des rôles entre enfants. À
5 ans : la complexification des thèmes est spontanée, indépendamment de la récurrence
des thèmes. On relève une riche diversification (nombre de thèmes différents) des
thèmes. Les thèmes fictifs se complexifient en scripts plus longs. De plus, les enfants
énoncent verbalement l'aspect fictif de leurs thèmes de jeux par de la méta-
communication, qui indique l'aspect imaginaire de leurs jeux, avec des propositions
(assorties d'une intonation particulière) précédant le thème telles que « on joue à… »,
« on dirait que c'est les vacances… », « on dit que c'est toi le docteur, et moi le bébé… ».
En résumé, les enfants à partir de 3 ans commencent à bénéficier de la répétition des
rencontres avec les partenaires du même âge dans leur production spontanée de thèmes
fictifs. Les rencontres entre enfants bénéficient à la dyade, tout autant qu'à chaque
enfant dans l'enrichissement de ses productions symboliques. Leurs compétences
langagières, sociales et représentationnelles leur permettent de co-construire des
échanges, ce qui n'est pas le cas pour les enfants de 2 ; 6 ans dont les échanges sont
répétitifs même si l'on peut noter l'émergence de thèmes fictifs, que les enfants
développent.

Conclusion
L'accueil des jeunes enfants en structure scolaire suscite de nombreuses questions sur le
développement de l'enfant (langage, comportement, acquisitions de compétences
psychomotrices, interactions sociales).
Concernant l'âge de la scolarisation, les études n'ont pas tranché en défaveur de la
scolarisation à l'école maternelle à l'âge de 2 ans. Cependant, le jeune enfant de 2 ans a
acquis la marche depuis peu de temps, et ses compétences psychomotrices sont
malhabiles ; le langage et les capacités représentationnelles sont limités, ainsi que les
capacités à se coordonner dans l'interaction avec un autre enfant. Il semble ainsi
nécessaire de souligner que l'accueil des tout jeunes ne peut se faire que dans des
groupes à effectifs très restreints. En effet, comment l'enfant pourrait-il apprendre et
développer le langage oral dans le brouhaha des grands groupes de vingt ou trente
enfants, avec un ou deux adultes pour les encadrer ? Le tout jeune enfant a besoin que
l'adulte s'adresse à lui dans des interactions d'étayage signifiantes et structurantes
(Brisset et Golse, 2006). Vers l'âge de 3 ans, les capacités langagières et symboliques et
les interactions entre enfants se développent significativement, et nous avons vu
qu'elles se complexifient tout au long de la petite enfance.
Nous avons mis en évidence le rôle des jeux de fiction dans les interactions entre
enfants. Le jeu libre à caractère fictif, co-construit au cours des interactions, forme des
moments privilégiés pendant lesquels les enfants évoluent sur plusieurs plans. Le jeu
libre symbolique est à mi-chemin entre l'acte moteur et la pensée. Il mène à développer
les méta-représentations et la capacité à la théorie de l'esprit (Leslie, 1987, Bradmetz et
Schneider, 1999 ; Deleau, 2002). On peut souligner que les interactions entre enfants ne
peuvent que favoriser le développement du langage, ainsi que la régulation des
émotions, et les capacités attentionnelles au cours d'échanges. Cela participe à la
capacité des enfants à surmonter les conflits, en comprenant l'état mental du partenaire.
De plus, comme il a été mentionné avec Harris, les enfants expérimentent le monde des
possibles et l'imagination à travers la fiction, ce qui constitue une racine fondamentale
du développement cognitif. Un autre caractère important du jeu libre est aussi
d'emmener l'enfant vers la maîtrise de script, étape non négligeable dans la
compréhension de la narration, un des éléments précurseurs de la lecture et de la
culture (Bruner, 2005).
L'activité graphique du dessin favorise le contrôle grapho-moteur, aspect
indispensable à l'écriture. Cependant, l'écriture des mots est le codage des sons avec des
signes, alors que le dessin est le codage des aspects visuels avec des signifiants
graphiques, ce qui confère à l'écriture un statut particulier dans les apprentissages, lié à
l'accès aux méta-représentations. Toutefois, le dessin participe aussi au développement
des capacités attentionnelles et de concentration sur une activité, ainsi qu'à l'expression
des représentations.
Ainsi, il nous apparaît important de tenir compte de ces trois aspects de la petite
enfance – dessin, jeu symbolique, interactions sociales – dans la réflexion à propos de
l'accueil donné aux jeunes enfants dans les structures scolaires de la maternelle, et ce
afin de favoriser la réussite de l'enfant dans les apprentissages fondamentaux, lors de
l'entrée à l'école primaire.

Références
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Paris: Éditions In Press; 2010.
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quatre ans. Paris: Presses universitaires de France; 1988.
Bentolila A. Le verbe contre la barbarie. Apprendre à nos enfants à vivre ensemble.
Paris: Odile Jacob; 2007a.
Bentolila A. Urgence école. Le droit d'apprendre, le devoir de transmettre. Paris: Odile
Jacob; 2007b.
Bradmetz J., Schneider R. La théorie de l'esprit dans la psychologie de l'enfant de 2 à
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Brisset C., Golse B. L'école à 2 ans : est-ce bon pour l'enfant ? Paris: Odile Jacob; 2006.
Bruner J. Pourquoi nous racontons-nous des histoires ? Le récit au fondement de la
culture et de l'identité individuelle. Paris: Pocket; 2005.
Danset A. Éléments de psychologie du développement. Armand Colin: Introduction et
aspects cognitifs. Paris; 1991.
Deleau M. La fiction dans le fonctionnement et le développement mental : vers de
nouvelles perspectives. In: Le monde fictif de l'enfant. 2002:213–222 Enfance. N° 3.
Florin A., Crammier C. Enseigner à l'école maternelle. Hatier: De la recherche aux
gestes professionnels. Paris; 2009.
Guerini C. Le partage de thèmes entre jeunes enfants : effets d'une expérience commune
sur l'accès à un imaginaire partagé. Sous la direction du Professeur J. Nadel. Sorbonne,
Université Paris V René Descartes. 1995.
Harris P. L'imagination chez l'enfant. Son rôle crucial dans le développement cognitif
et social. Paris: Retz; 2007.
Jacot V. Évolution des thèmes de conversation entre pairs : étude longitudinale du corpus
produit par deux groupes d'enfants de 3 ans et 5 ans. Mémoire de master 1, sous la
direction de C. Guerini. Université Paris 8, IED. 2005.
Leslie A. Pretense and Representations : The Origins of ‘Theory of Mind'.
Psychological Review. 1987;94(4):412–426.
Luquet G.H. Le dessin enfantin. Genève: Delachaux et Niestlé; 1927.
Nadel J., Baudonnière P.-M. L'imitation, mode d'échange prépondérant entre
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Piaget J. La formation du symbole. Neuchâte: Delachaux et Niestlé; 1945.
Vygotsky L. Pensée et langage (traduction de Françoise Sève, avant-propos de Lucien
Sève), suivi de « Commentaires sur les remarques critiques de Vygotsky » de Jean
Piaget (Paris : Éditions Sociales, 1985. Coll. « Terrains »). Réédition Paris: La
Dispute; 1934 1997.
Wallon H. L'évolution psychologique de l'enfant. Paris: Armand Colin; 1941.
CHAPITRE 18

La motivation et l'autodétermination dans


les apprentissages scolaires
Évelyne Clément

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
L'évolution des approches théoriques sur le concept de motivation
Le paradigme sociocognitif d'étude de la motivation humaine
Les recherches en éducation et sur les apprentissages menées dans le cadre de
la TAD
Conclusion

Introduction
Pourquoi avez-vous choisi de suivre des études de psychologie ? Qu'est-ce qui vous
pousse à poursuivre malgré les difficultés que vous pouvez rencontrer ? Comment
persister et ne pas perdre son objectif de départ ? Toutes ces questions, que chacun peut
se poser sur son propre comportement ou celui d'autrui, interrogent le pourquoi de nos
conduites, de nos engagements dans diverses activités de la vie quotidienne. En
d'autres termes, il s'agit de comprendre ce qui déclenche, ce qui pousse à persister et à
fournir des efforts dans ces activités, mais aussi la direction vers laquelle ces conduites
sont dirigées. Ces questions qui ont traversé l'histoire de la pensée humaine depuis
l'Antiquité restent aujourd'hui d'actualité dans des domaines aussi divers que celui de
l'éducation, de la formation, du travail, du sport ou du développement tout au long de
la vie. Elles sont le cœur des recherches sur la motivation. Dans ce chapitre nous
proposons de centrer notre propos sur les recherches menées en psychologie dans le
domaine de l'éducation et des apprentissages, la motivation étant envisagée comme la
condition nécessaire à l'initiation, au maintien et à la direction de toute activité
d'apprentissage. Après une brève introduction de l'évolution du concept de motivation
depuis les travaux scientifiques menés en psychologie de la première moitié du
XXe siècle, nous présenterons plus en détail le paradigme sociocognitif dans lequel
s'inscrivent les théories actuelles de la motivation. Le propos ici n'étant pas de présenter
l'ensemble de ces théories, l'une d'entre elles, la théorie de l'autodétermination (Deci &
Ryan, 2002), retiendra notre attention (pour un aperçu des différentes théories actuelles
influentes dans le domaine, voir par exemple l'ouvrage collectif dirigé par Carré &
Fenouillet, 2009). L'illustration par des études empiriques menées dans ce cadre
théorique permettra d'envisager son intérêt pour comprendre, dans une approche
intégrée du comportement, les facteurs motivationnels à l'œuvre dans les situations
d'apprentissage ainsi que leurs implications possibles dans le domaine des
apprentissages scolaires.

L'évolution des approches théoriques sur le concept de


motivation
Si l'on cherche une définition précise de la motivation, on ne peut que constater la
diversité des définitions qui sont proposées. Cette diversité est liée au moins à trois
raisons. La première est que c'est un terme très employé dans le langage courant,
souvent comme synonyme de désir, de volonté ou encore de forces et d'énergie. La
seconde raison tient au fait que la motivation est un phénomène complexe dont les
déterminants (qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui vous êtes motivé(e) – ou non – à vous
plonger dans la lecture de ce chapitre ?) et les conséquences (vous envisagez de
poursuivre ou d'abandonner sa lecture) dépendent, pour reprendre les termes de Nuttin
(1980), du caractère dynamique de l'interaction entre le sujet et la situation. La troisième
raison, liée à la précédente, tient à la diversité des théories motivationnelles et aux
différents niveaux d'analyse, biologique, comportementale, sociale, cognitive ou
psychodynamique qui sont appréhendés. Le bref aperçu historique que nous
présentons ci-après a pour objectif d'exposer les origines de cette diversité des points de
vue qui peut faire apparaître, de prime abord, la motivation comme un concept flou
(pour une présentation détaillée de l'évolution historique du concept, voir Fenouillet,
2012 ; Vallerand & Thill, 1993).
Les premiers modèles en psychologie qui ont décrit les comportements motivés
trouvent leur origine dans les travaux de physiologistes comme Claude Bernard ou
Walter Cannon. S'intéressant aux modifications physiologiques qui suivent un état de
privation (faim, soif), Cannon (1932), dans son ouvrage The Wisdom of the Body, introduit
le terme d'homéostasie pour décrire les mécanismes régulateurs de l'organisme qui
tendent à maintenir dans un état stable certaines caractéristiques des éléments du
milieu interne décrit par Claude Bernard, ou à rétablir leur équilibre quand celui-ci est
rompu. Ainsi, certains états de privation, comme la faim, créent dans l'organisme un
état de besoin (need en anglais) qui déclenche une activité orientée vers l'atteinte de
l'objet-but (ici la nourriture). C'est donc la recherche d'équilibre et de réduction des
tensions qui caractérise les conduites motivées.
Le modèle homéostatique, ou de réduction des tensions, tel que le définit Reuchlin (1981),
a largement influencé par la suite les psychologues étudiant les motivations à base
physiologique comme la faim, mais aussi un grand nombre d'autres types de
motivation. Reuchlin présente ce modèle de réduction des tensions comme la base de
deux grands courants théoriques du début du XXe siècle très influents en psychologie.
Un premier courant, dans lequel on peut regrouper les théories des instincts, dont Mc
Dougall (1908) est le représentant le plus illustre, ou celles des pulsions (trieb en
allemand) de la métapsychologie freudienne (trieb, comme le rappelle Reuchlin, étant
tantôt traduit par pulsion, tantôt traduit par instinct), avance que les instincts ou les
pulsions non conscientes orientent nos comportements. Un autre courant, qui a
longtemps marqué l'étude de la motivation en psychologie expérimentale de la
première moitié du XXe siècle, est la théorie des drives de Hull (1943). Dans l'approche
behavioriste défendue par l'auteur, les besoins physiologiques innés (faim, soif,
sexualité, besoin d'oxygène, de sommeil, etc.) quand ils ne sont pas satisfaits (par
exemple, un animal affamé) provoquent des pulsions qui déclenchent et orientent
l'activité (ici, la recherche d'aliments) afin de réduire la tension produite par la privation
et assurer le retour à l'équilibre des éléments du milieu interne. En somme, les
conduites motivées se manifestent dans des situations désagréables qui produisent une
rupture de l'homéostasie : elles ont ainsi pour but de rétablir un équilibre et d'assurer
l'homéostasie de l'organisme. Dans la perspective hullienne, la réduction des tensions a
une valeur adaptative et peut servir de renforçateur dans les apprentissages. C'est dans
le domaine de l'apprentissage associatif par renforcement, qu'il soit positif ou négatif,
que s'exprime le plus clairement la conception behavioriste des liens entre motivation et
apprentissage. Les expériences de conditionnement classique, dont la situation très
connue d'apprentissage à un chien à saliver à la présentation du son d'un métronome,
ont montré que le stimulus conditionnel (son du métronome) ne sera associé à la
réponse conditionnelle (la salivation) que si le stimulus conditionnel est associé de façon
répétée au stimulus inconditionnel (la viande). Le renforcement est ici constitué par
l'association apprise entre le stimulus et la réponse. Les behavioristes établissent un
rapport évident entre renforcement primaire et motivation : la viande qui joue ici le rôle
du renforçateur est l'objet-but à atteindre qui provoque (motive) la réponse émise. La
réduction des tensions intervient donc dans le renforcement primaire.
De nombreuses critiques ont été formulées quant à la pertinence du modèle de
réduction des tensions pour rendre compte des différents types de motivation autres
que physiologiques. En effet, dans certains cas, le sujet semble rechercher des
stimulations plus intenses impliquant un accroissement de la tension et donc un
déséquilibre (l'attrait de certaines personnes pour les sports extrêmes en est un
exemple). De la même façon, on peut s'engager dans des activités non pas pour mettre
fin à un état désagréable, mais au contraire pour accéder à un état agréable, au plaisir
(hédonisme). Par ailleurs, l'hégémonie du courant behavioriste dans l'étude du
comportement et de l'apprentissage a peu à peu été supplantée par les nouvelles
approches développées en psychologie dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment
par le cognitivisme et la réintroduction comme objet d'étude scientifique de l'activité
mentale médiatrice entre les stimulations et les réponses. Nuttin en 1975 écrit : « Le fait
que la motivation a été longtemps traitée en parente pauvre par la psychologie
expérimentale ne semble pas devoir s'expliquer uniquement par des difficultés
méthodologiques que pose cette étude. La raison essentielle se trouve dans le fait que la
psychologie formulait le "pourquoi" de la production d'un phénomène psychique en
termes d'associations et de connexions. », p. 10). Dans le domaine de la psychologie de
la motivation, Nuttin est un des chercheurs de langue française qui a grandement
contribué au développement d'un paradigme qui a émergé dans les années 1970 : le
paradigme sociocognitif de la motivation.

Le paradigme sociocognitif d'étude de la motivation


humaine
Nuttin remet en question le modèle de l'homéostasie, proposé par les behavioristes ou
les psychanalystes, pour expliquer ce qui motive le comportement humain. La
réduction des tensions ne peut être envisagée comme le seul mécanisme par lequel la
motivation agit sur le comportement, l'organisme étant dans certaines situations à la
recherche d'une augmentation de la tension. Sa théorie opère un changement radical
avec les théories classiques des instincts (Mc Dougall, Freud) ou celles des besoins
physiologiques (drive theories, Hull) : « le point de départ de la motivation [n'est] ni dans
un stimulus intra-organique, ni dans le milieu, mais dans le caractère dynamique de la
relation même qui unit l'individu à son environnement. » (p. 12) défend-il dans
l'introduction de son ouvrage paru en 1980, Théorie de la motivation humaine. Concevant
le comportement humain comme intrinsèquement relationnel (c'est-à-dire, comme une
relation entre l'individu qui agit sur le monde qui l'entoure et la représentation qu'il
construit sur ce monde), la motivation, pour Nuttin, n'est ni liée uniquement à une
poussée émanant de l'organisme, ni uniquement à la valence des situations. Il distingue
ainsi trois phases dans le comportement. Une première phase de construction
significative à partir de ce qui est perçu et conçu (représentations symboliques) de la
situation. Une seconde phase dynamique ou motivationnelle où le sujet élabore des buts et
des projets qui répondent à ses besoins. Une troisième phase d'exécution où le sujet agit
sur la situation afin de réaliser ses projets. Dans cette perspective sociocognitive, ce qui
permet d'expliquer le pourquoi du comportement motivé, ce ne sont pas des
stimulations internes ou externes qui poussent à agir, mais les représentations que
construit l'individu sur le monde qui l'entoure et sur lequel il projette d'agir pour
satisfaire ses besoins. Ainsi, « la motivation est au fond une question de relations
préférentielles entre l'organisme (l'individu), d'une part, et le monde, de l'autre. Elle est
l'aspect dynamique et directionnel du comportement qui établit, avec le monde, les
relations requises » (Nuttin, 1980, p. 29).
Le paradigme sociocognitif a profondément marqué le champ d'étude de la
motivation en psychologie en accordant une large place à l'analyse des représentations
d'avenir, du contexte social, et de la conception du soi. Deux postulats sont partagés par
les différentes théories de ce courant. Le premier stipule que le sujet n'est pas un sujet
passif soumis à l'influence de son environnement, comme le conçoivent les
behavioristes, mais un sujet qui peut agir, modifier son environnement (voir par
exemple, la perspective agentique de Bandura, 2001). Le second est qu'une explication
des comportements motivés requiert de prendre en compte l'interaction dynamique
entre le sujet social et le milieu dans lequel il évolue. La théorie de l'autodétermination
(TAD, Deci & Ryan, 1985, 2002) est probablement la théorie la plus influente et la plus
aboutie de ce courant.
La théorie de l'autodétermination (TAD)
Le postulat de base de la théorie est que l'être humain a une tendance naturelle à
s'engager dans des activités intéressantes, exercer ses compétences, développer des
relations sociales et intégrer des expériences psychiques et interpersonnelles dans une
relative unité. En somme, pour les auteurs, l'être humain a tendance à être motivé
intrinsèquement pour satisfaire des besoins psychologiques fondamentaux (Deci, 1975 ;
Deci & Ryan, 1985, 2002). Cette tendance de l'organisme à s'engager et agir sur le monde
qui l'entoure pourra se manifester tant que les conditions externes – l'environnement
social – permettent de satisfaire trois besoins psychologiques fondamentaux : le besoin
de compétence, le besoin d'autodétermination, et le besoin d'affiliation sociale.
Le besoin de compétence (White, 1959 ; Deci, 1975) est le besoin de se sentir efficace
dans les activités entreprises et de se sentir progresser en compétence. La perception
d'efficacité lors d'une activité procure une satisfaction qui va accroître la motivation à
poursuivre cette activité. Le besoin d'autodétermination (Angyal, 1965 ; de Charms,
1968 ; Deci, 1980 ; Ryan & Connel, 1989) est le besoin de se percevoir comme étant à
l'origine de ses comportements. Ce besoin correspond à la possibilité de faire des choix,
de prendre des décisions, des initiatives et d'exercer un contrôle sur son activité. Le
besoin d'affiliation sociale (Bowlby, 1958 ; Harlow, 1958) est le besoin de se sentir lié à
des personnes importantes pour soi. Ce besoin revêt un versant cognitif lié au sentiment
d'être compris, accepté, respecté, et de voir ses compétences reconnues ; le versant
émotionnel est relatif à l'attachement. Dans les situations et contextes sociaux (familial,
scolaire, professionnel) où ces besoins sont entravés, cette tendance disparaitra laissant
place à un fonctionnement psychologique non optimal. Ces besoins psychologiques
dépendent de conditions nécessaires pour un développement psychologique
harmonieux, et leur satisfaction est supposée être associée au fonctionnement le plus
optimal. Ainsi, les environnements sociaux qui favorisent la satisfaction de ces besoins
vont motiver l'individu à agir par intérêt pour une activité (ce qui définit la motivation
intrinsèque) ou pour atteindre un but important pour lui (ce qui définit la motivation
extrinsèque bien intériorisée).

La motivation intrinsèque
Les activités intrinsèquement motivées sont celles que les individus trouvent
intéressantes en elles-mêmes et en l'absence de toutes conséquences ou bénéfices
attendus. Cette conception est en accord avec celle de White (1959) qui conçoit que l'être
humain s'engage dans des activités pour pouvoir exercer ses compétences, et celles de
de Charms (1968) qui conçoit une tendance motivationnelle primaire de l'humain à se
sentir à l'origine de ses agissements. Deci (1975) propose ainsi que les comportements
intrinsèquement motivés sont fondés sur le besoin de se sentir compétent et
autodéterminé. Une série d'expériences a été conduite pour tester les effets de
l'environnement social dans son soutien à la satisfaction des trois besoins fondamentaux
et ses conséquences sur la motivation intrinsèque. Les résultats sont intéressants à plus
d'un titre et les enseignements que l'on peut en tirer sont source de réflexion sur le rôle
de l'intervention du formateur sur la persistance dans les apprentissages et sur la
qualité de ces derniers.

Le besoin d'autodétermination et la motivation intrinsèque


Les premières expériences menées par Deci montrent que les récompenses, par l'argent
par exemple, ont un effet négatif sur le niveau de motivation intrinsèque, se traduisant
par un niveau de motivation intrinsèque moindre après la récompense. Pour l'auteur,
les processus motivationnels ne peuvent se résumer à un mécanisme de renforcement
tel que les behavioristes l'envisageaient. En effet, les activités intrinsèquement motivées
sont liées à un locus de causalité perçu interne : ce sont des activités dans lesquelles
l'individu s'engage quand il se sent libre d'aller vers ses propres centres d'intérêt. Les
récompenses, externes à l'activité elle-même, produisent un sentiment de contrôle et un
changement du lieu de causalité perçu d'interne en externe. De la même façon, les
menaces, l'évaluation et les délais de réalisation (échéances) diminuent la motivation
intrinsèque, parce que là aussi, il s'opère un changement de locus de causalité. De plus,
les récompenses, les menaces ou, à l'opposé, le choix, qui ont tous des effets sur la
motivation intrinsèque, ont aussi des effets sur la créativité (Amabile, 1982), les
performances dans la résolution de problèmes complexes (McGraw & McCullers, 1979),
ou la profondeur du traitement conceptuel (Grolnick & Ryan, 1987). Par ailleurs,
l'autonomie perçue par le sujet quand il est engagé dans une tâche joue un rôle important.
Reeve et Deci (1996) ont étudié l'effet de la compétition dans un contexte contrôlant
(être le meilleur, quelle que soit la façon d'y arriver) ou soutenant l'autodétermination
(faire le mieux possible pour trouver la solution) sur la motivation intrinsèque de
participants résolvant des problèmes de type casse-tête. Les résultats montrent
qu'engager le sujet à être le meilleur dans une situation de compétition diminue la
motivation intrinsèque (mesurée par l'intérêt, le plaisir à résoudre les problèmes et
l'engagement dans la résolution de nouveaux problèmes), mais aussi que la perception
des participants de leur propre autodétermination médiatise l'effet du contexte
contrôlant sur la motivation intrinsèque : par exemple, un contexte contrôlant a un effet
moindre sur la motivation intrinsèque quand le sujet se sent engagé à être le meilleur
par choix personnel.

Le besoin de compétence et la motivation intrinsèque


Plusieurs études ont montré que, comparativement à une absence de feed-back, les feed-
back positifs augmentent la motivation intrinsèque et que les feed-back négatifs la
diminuent. En signifiant à la personne son efficience, les feed-back positifs rendent
possible la satisfaction du besoin de compétence, alors que les feed-back négatifs, en
soulignant l'inefficacité du comportement, entravent la satisfaction de ce besoin.
Toutefois, l'effet positif des feed-back positifs n'est observé que si les personnes se sentent
responsables de leur performance (Fisher, 1978) et quand ces feed-back n'altèrent pas
l'autonomie perçue (Ryan, 1982).

Le besoin d'affiliation sociale et la motivation intrinsèque


La satisfaction du besoin d'affiliation sociale joue elle aussi un rôle important dans le
maintien d'un comportement motivé par l'intérêt et le plaisir que procure l'activité dans
laquelle on est engagé. Par exemple, quand un enfant est engagé dans une activité qui
l'intéresse en présence d'un adulte qui ignore ses tentatives pour entrer en contact, pour
communiquer, la motivation intrinsèque de l'enfant diminue (Anderson, Manoogian, &
Reznick, 1976). De la même façon, les jeunes enfants ou adolescents qui perçoivent leurs
enseignants comme chaleureux et prévenants à leur encontre, présentent des niveaux de
motivation intrinsèque élevés (Ryan & Grolnick, 1986 ; Ryan, Stiller, & Lynch, 1994). En
somme, les contextes qui satisfont ce besoin de lien social sécurisant et stable favorisent
la persistance d'un comportement motivé intrinsèquement vis-à-vis d'une activité.

La motivation extrinsèque
L'activité intrinsèquement motivée, on l'a vu, a une grande importance, mais beaucoup
de nos activités de tous les jours ne sont pas nécessairement intéressantes en elles-
mêmes. Plusieurs de nos actions, en fait la majorité, sont extrinsèquement motivées, en
ce sens qu'elles relèvent d'une motivation instrumentale où l'on agit en vue d'une
conséquence attendue de notre comportement. La TAD suppose que certaines de ces
motivations extrinsèques sont autodéterminées en ce sens que l'engagement dans
l'activité, même s'il est de nature instrumentale, l'est par choix.
Plusieurs théories conçoivent l'intériorisation des normes sociales comme un
processus central de socialisation. Selon la TAD, cette intériorisation, considérée comme
un aspect essentiel de l'intégrité psychologique et de la cohésion sociale, est définie
comme la transformation active par l'individu de régulations externes en valeurs
internes. Il s'agit de l'intégration des valeurs sociales dans le soi (self). C'est le moyen par
lequel l'individu assimile et intériorise les régulations externes de telle façon qu'elles
font partie de son système de valeurs. C'est dans ce sens que des comportements
extrinsèquement motivés peuvent toutefois être autodéterminés. De la sorte, quatre
formes de motivation extrinsèque se définissent en fonction du type de régulation plus
ou moins internalisée, c'est-à-dire plus ou moins autodéterminée : la régulation externe,
la régulation introjectée, la régulation identifiée, et la régulation intégrée (figure 18.1).
FIGURE 18.1 Les formes de régulation de la motivation
extrinsèque. D'après Niemec et Ryan (2009).

La régulation externe du comportement


Il s'agit ici des cas typiques de comportements régulés par des pressions externes.
L'activité est investie pour obtenir une récompense ou éviter une punition, une menace.
Ce type de régulation est envisagé comme une régulation contrôlée. Ainsi, les
comportements régulés de façon externe sont dépendants de la situation contraignante
et ne perdurent pas dans le temps si les pressions externes disparaissent. Un exemple
typique de ce type de régulation est celui de l'enfant qui s'engage dans des activités
scolaires parce qu'il se sent obligé de le faire et qu'il craint une sanction (une mauvaise
note, être privé d'une activité de loisirs qu'il affectionne particulièrement, etc.) ou
cherche à obtenir les louanges de son enseignant ou de ses parents. Ces comportements
ne sont pas autodéterminés.

La régulation introjectée du comportement


À la différence de la régulation externe, cette forme de régulation du comportement
trouve sa source dans des pressions internes émanant de l'individu. On n'agit pas par
choix, mais pour valoriser son ego aux yeux des autres : par exemple, l'enfant va
investir la lecture et y consacrer du temps pour pouvoir être fier de lui, faire plaisir à
son enseignant, ou éviter la culpabilité ou la honte vis-à-vis des ses camarades, de
l'enseignant ou de ses parents s'il ne réussit pas dans les activités de lecture. Ces
comportements sont régulés par contraintes externes partiellement intériorisées et la
régulation n'est pas encore intégrée dans le soi (self). Les comportements régulés par
introjection relèvent eux aussi d'une motivation non autodéterminée.

La régulation identifiée du comportement


C'est le processus par lequel une personne reconnaît et évalue comme importantes les
raisons qui sous-tendent son comportement. On s'engage dans une activité pour un but
valorisé et jugé important pour soi. Par exemple, l'enfant peut déclarer lire parce que ça
lui permet d'apprendre de nouvelles choses, ou parce qu'il juge qu'apprendre à lire est
important dans la vie (Guay, Chanal, Ratelle, Marsh, Larose, & Boivin, 2010). Les
comportements régulés par identification sont perçus par la personne comme faisant
partie de son identité. Bien qu'ils soient extrinsèquement motivés parce
qu'instrumentaux (ici, lire pour apprendre de nouvelles choses), ils sont de ce fait plus
autonomes, car l'implication et l'engagement de la personne sont faits par choix, et non
par pressions externes ou internes comme dans les cas précédents. Il s'agit ici d'une
motivation autodéterminée.

La régulation intégrée du comportement


Ce type de régulation correspond à l'engagement dans une activité qui est jugée
importante et en cohérence avec les besoins, les valeurs et les buts de la personne. Par
exemple, un adolescent peut vouloir s'engager dans des actions humanitaires, car cela
est conforme à de grands principes et à des valeurs qu'il défend ainsi qu'à la façon dont
il donne sens à son implication sociale. Cette forme d'auto-régulation est la forme la
plus autodéterminée de la motivation extrinsèque.

L'amotivation
L'amotivation décrit l'engagement dans une activité sans pour autant percevoir les liens
entre ce que l'on fait et ce que cette activité peut apporter. L'amotivation est souvent
associée à un sentiment d'incompétence dans l'activité entreprise et de manque de
contrôle sur cette dernière. Cette perte de signification et de raisons pour s'engager
entraîne un désinvestissement dans les activités, de faibles performances et
s'accompagne souvent d'anxiété et de faible estime de soi.

Les recherches en éducation et sur les apprentissages


menées dans le cadre de la TAD
On a vu dans la section précédente, qu'au-delà d'une dichotomie entre motivation
intrinsèque et motivation extrinsèque, la TAD distingue différentes formes de
motivation qui se définissent par le caractère plus ou moins autodéterminé du
comportement. Cette conception qualitative de la motivation a permis de mettre en
évidence les conséquences de différents styles de régulation sur les apprentissages et
sur les attitudes des élèves vis-à-vis de l'école ou des études en général. Un grand
nombre de travaux menés auprès d'enfants d'école primaire, de collégiens, ou
d'étudiants engagés dans des études supérieures montrent des liens entre style de
régulation du comportement et les sphères affective (bien-être, estime de soi, anxiété),
comportementale (persistance dans les activités, les études, ou décrochage scolaire)
et/ou cognitive (performances scolaires, profondeur du traitement de l'information,
compréhension, mémorisation, créativité, etc.).
L'autodétermination et l'apprentissage scolaire
Un lien a été établi entre style de régulation et activité de compréhension : les enfants
qui présentent des styles de régulation autodéterminée (régulation intégrée et
identifiée) sont ceux qui montrent une meilleure compréhension dans la lecture d'un
texte. De la même façon, une corrélation positive a été observée entre les formes de
motivation autodéterminée pour les apprentissages (par régulation intégrée et
identifiée) et les performances effectives des enfants, ainsi qu'un lien entre le niveau
d'autodétermination et les compétences des enfants estimées par les enseignants (Ryan
& Grolnick, 1986 ; Grolnick & Ryan, 1987). Des corrélations positives ont aussi été mises
en évidence entre régulation introjectée (style relativement contrôlé) et anxiété face à
l'école, ou entre régulation introjectée et stratégies inappropriées de coping face à
l'échec et, à l'inverse, des corrélations positives entre régulation identifiée, plaisir d'aller
à l'école et stratégies proactives de coping face à l'échec (Ryan & Connell, 1989).
Un autre facteur important dans les apprentissages scolaires est le sentiment de
compétence perçu par les enfants durant leur apprentissage. En effet, les styles de
régulation autodéterminée et la compétence perçue d'enfants d'école primaire prédisent
leur attitude positive vis-à-vis de l'école et leurs performances aussi bien scolaires qu'à
des tests standardisés (Miserandino, 1996).
Enfin, plusieurs recherches sur les liens entre motivation intrinsèque et
apprentissages scolaires ont été menées dans le cadre de la théorie de
l'autodétermination. Dans la synthèse qu'ils présentent de ces différents travaux,
Niemiec et Ryan (2009) rapportent trois grands résultats. Tout d'abord, les modes
d'intervention de l'enseignant perçus comme non contrôlants par les élèves ainsi que
l'autonomie perçue dans la réalisation des tâches scolaires favorisent la motivation
intrinsèque, alors que des climats scolaires perçus comme contrôlants diminuent celle-
ci. D'autre part, quand ils sont intrinsèquement motivés, les élèves apprennent mieux et
sont plus créatifs notamment dans les tâches d'apprentissage conceptuel. Enfin, la façon
dont l'enseignant présente les tâches d'apprentissage influence la perception de
satisfaction des besoins d'autonomie et de compétence. Soit elle favorise la satisfaction
perçue de ces besoins et entraîne un apprentissage intrinsèquement motivé et de
qualité, soit elle entrave cette satisfaction et diminue ainsi l'engagement
intrinsèquement motivé.

Contexte familial, contexte scolaire et autodétermination


Par ailleurs, le contexte social (familial et scolaire) dans lequel l'enfant évolue et
développe ses apprentissages est un facteur influent. En menant des analyses
d'équation structurale pour identifier les antécédents (les déterminants) et les
conséquences d'une motivation autonome, Vallerand, Fortier et Guay (1997) ont montré
qu'un environnement soutenant l'autodétermination de la part des parents et des
enseignants conduit les élèves à être motivés de façon autonome et à se sentir plus
compétents dans leur travail scolaire, ce qui en retour entraîne moins d'abandons des
études. Par ailleurs, plusieurs études en éducation ont mis en évidence les conséquences
positives des styles d'autorégulation les plus autonomes sur la qualité du
comportement et sur la santé mentale. De façon plus générale, les recherches qui ont
étudié les styles de régulation, menées dans différents domaines comme les relations
amoureuses, le sport, la politique, la santé ou les comportements écologiquement
responsables ont rapporté des résultats convergents et montré qu'une régulation
comportementale complètement internalisée était associée avec une plus grande
persistance du comportement, de meilleures performances, et une meilleure santé
physique et psychologique (voir Deci & Ryan, 2008 pour une synthèse).

Conclusion
Pour conclure, les recherches menées dans le domaine montrent l'importance des
facteurs motivationnels dans l'initiation, le maintien et la persistance dans le temps du
comportement engagé. Elles montrent aussi les conséquences positives d'une
motivation autodéterminée sur la qualité des apprentissages, les performances scolaires,
et globalement sur le bien-être de l'enfant. La prise en compte de ces facteurs
motivationnels, de leurs déterminants et de leurs conséquences pour comprendre les
processus d'apprentissage dans une approche intégrée paraît nécessaire.
Ainsi, dans le domaine de l'éducation, comme dans d'autres domaines de la vie
quotidienne, la perception de satisfaction des besoins de compétence,
d'autodétermination et d'affiliation sociale semble déterminante dans le développement
d'une motivation autodéterminée, et les différentes recherches menées dans le domaine
montrent l'importance cruciale du contexte social sur l'investissement dans les
apprentissages et notamment les apprentissages scolaires. Les contextes scolaires et
familiaux qui favorisent la satisfaction des besoins fondamentaux de compétence,
d'autodétermination et d'affiliation sociale favorisent de la sorte l'expression de
comportements autodéterminés vis-à-vis des apprentissages qui ont, en retour, des
effets positifs sur les plans cognitif, comportemental, et affectif.

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CHAPITRE 19

L'apport des neurosciences dans le


domaine de l'éducation
Louise Goyet

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les neurosciences et l'éducation
Attention, émotion et apprentissages
Conclusion

Introduction
Depuis un demi-siècle, le domaine des neurosciences s'est ouvert et développé à
d'autres disciplines, comme la psychologie cognitive, clinique, développementale et
sociale ainsi qu'à d'autres champs d'application comme l'éducation et la pédagogie.
Pour ce qui est du domaine de l'éducation, les psychologues, neuro-scientifiques et
enseignants tentent de nos jours d'identifier quels sont les corrélats cérébraux impliqués
dans les diverses fonctions cognitives (la mémoire, l'attention, le langage, le calcul, les
capacités visuo-spatiales et les fonctions exécutives : la planification, l'anticipation, le
raisonnement, la résolution de problèmes et la prise de décision) qui jouent un rôle
majeur dans le développement des apprentissages fondamentaux (lecture, écriture et
mathématiques). Les travaux issus des neurosciences et de la neuropsychologie ont
permis aux enseignants de mieux appréhender et de mieux comprendre le
développement des fonctions cognitives qui sont impliquées dans la mise en place des
mécanismes et stratégies d'apprentissage. Ces travaux ont de plus permis d'explorer
sous un autre angle d'étude les troubles et difficultés d'apprentissage liés à des
dysfonctionnements cognitifs ou cérébraux. L'apport des neurosciences a donc permis
d'affiner les connaissances dont nous disposons sur l'implication de structures
cérébrales spécifiques dans le développement et la régulation de nos fonctions
cognitives (mémoire, attention, et autres paramètres cognitifs comme la motivation et
les émotions). Les travaux issus des neurosciences apportent par ailleurs des éléments
de réponse quant au développement neurocognitif et à l'évolution des fonctions
cognitives impliquées dans l'élaboration des apprentissages.
La création d'un pont entre les recherches issues du domaine des neurosciences et
celles issues de la pédagogie ouvre des horizons quant à l'application de nouvelles
théories pédagogiques qui prennent en compte le développement de l'organisation des
structures cérébrales et la modulation des fonctions cognitives impliquées dans les
apprentissages. Il est important de souligner que cette considération est appuyée par
l'utilisation croissante des techniques d'imagerie cérébrale qui permet d'affiner à la fois
chez l'enfant, l'adolescent et l'adulte, l'étude des processus cérébraux impliqués dans la
régulation des fonctions cognitives. En effet, les recherches issues des neurosciences
apportent de nombreuses informations quant aux questions éducatives qui touchent à
l'apprentissage de la lecture (Gabrieli, 2009) et des mathématiques (Nieder et Dehaene,
2009). Ces travaux apportent en outre de nouveaux indices sur les compétences et les
contraintes, instigatrices de limites, du cerveau qui apprend (Stern, 2005a ; Rothbart et
Sheese, 2007 ; Favre et Simonneau, 2012). Ces études ont permis par ailleurs
d'appréhender sous l'angle de la neuro-cognition, les difficultés d'apprentissage
rencontrées par les élèves.
Dans une première partie de ce chapitre, nous présenterons l'apport des
neurosciences dans le domaine de l'éducation et du lien existant entre apprentissage et
cerveau, en décrivant les structures cérébrales impliquées dans les apprentissages. Enfin
dans une seconde partie nous présenterons les structures cérébrales qui régissent le
contrôle de l'attention, de l'émotion et de la motivation, fonctions qui jouent un rôle
fondamental dans le développement des apprentissages et dans l'acquisition des
connaissances.

Les neurosciences et l'éducation


L'apport des neurosciences : l'étude du cerveau et
des fonctions mentales supérieures
Aujourd'hui, les neurosciences s'invitent dans le domaine de la médecine, de la biologie,
de l'informatique et de la robotique, de la psychologie, de l'éducation, de la pédagogie
et notamment dans l'étude des pratiques d'apprentissages. Les neurosciences
constituent une discipline scientifique qui étudie les fondements biologiques des
fonctions mentales humaines et le fonctionnement du système nerveux (le cerveau et les
éléments qui le constituent : synapses, neurotransmetteurs). Cette discipline étudie de
plus la mise en place d'un système de communication et d'interaction entre les
différentes aires du cerveau, la physiologie, la perception, et les mécanismes de la
cognition humaine (fonctions instrumentales et exécutives) ainsi que leurs
dysfonctionnements.
Au cours des siècles, différentes théories ont cherché à appréhender le cerveau et son
fonctionnement. Au XIXe siècle, le fonctionnement du cerveau et les processus mentaux
ont tout d'abord été étudiés par les neurologues, puis vers le milieu et fin du XXe siècle,
l'essor des sciences cognitives, discipline à la jonction de la psychologie et des
neurosciences, a conduit des chercheurs à étudier la spécificité et la nature du lien entre
les processus cognitifs et le cerveau. Autrement dit, explorer les zones du cerveau
impliquées dans le traitement élaboré et complexe de l'information et dans la mise en
œuvre des différents processus cognitifs (perception, mémoire, attention, langage,
calcul et raisonnement).
Depuis le début et le milieu du XIXe siècle, des recherches anatomo-cliniques (Gall,
1808) avaient pour objectif d'explorer les mécanismes biologiques et cérébraux
impliqués dans la reconnaissance et le traitement du visage des individus de notre
environnement (capacité à détecter et reconnaître un visage d'un individu parmi
d'autres en quelque seconde), dans la mémorisation des informations que nous
percevons et le soutien de l'attention vers un stimulus donné (visuel ou auditif). Cette
conception d'une localisation cérébrale impliquée dans les traitements perceptifs et
cognitifs a été développée par une théorie dénommée la phrénologie (Gall, 1808). Cette
théorie avance l'hypothèse que les fonctions mentales supérieures sont contrôlées par
des régions cérébrales spécifiques et que les différences perçues entre les individus se
traduisent au travers de proéminences crâniennes, comme la bosse des mathématiques
que l'on peut observer sur le crâne. Dans la continuité des conceptions de Gall, les
travaux réalisés par Broca (1861) ont affirmé à la suite d'analyses anatomo-cliniques que
la « faculté de coordonner les mouvements propres au langage articulé » se reflète par
une activation cérébrale localisée au pied de la 2e et 3e circonvolution frontale gauche.
Dix ans plus tard, Wernicke (1874) découvre que l'activation du gyrus temporal
supérieur gauche est impliquée dans la compréhension orale des mots. L'ensemble de
ces découvertes confirme bien l'hypothèse que les fonctions mentales supérieures sont
contrôlées par des régions cérébrales bien spécifiques. A contrario, la théorie de Flourens
(1824) rejette l'idée d'un localisationnisme cérébral, autrement dit que les fonctions
cognitives soient localisées dans des régions spécifiques du cerveau. À la suite de
travaux réalisés sur l'animal (des oiseaux), Flourens (1824) a montré que la lésion d'une
aire spécifique ne s'accompagnait pas de façon systématique de troubles
comportementaux précis. Selon sa théorie, il considère que l'ensemble du cerveau, et
non des structures spécifiques, serait impliqué dans les comportements de l'animal.
Vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, des neuro-anatomistes allemands
(Fristsch et Hitzig, 1870) ont montré par le biais de stimulation électrique de cerveaux
de chiens, l'existence de territoires cérébraux circonscrits, dont la stimulation
provoquerait des mouvements précis chez l'animal. Ces travaux ont ainsi confirmé
l'existence de structures spécifiques qui seraient impliquées dans l'activité motrice de
l'animal. L'ensemble de ces recherches a amené les neuroanatomistes et les
neuroscientifiques à considérer les aires cérébrales comme étant fonctionnellement
distinctes.
Dans le domaine de la psychopathologie, Charcot en 1885 a quant à lui établi des
schémas associationnistes pour relier les lésions aux troubles fonctionnels. Pour cela, il
s'appuie sur un schéma spécifique qui avance l'hypothèse que « les processus cérébraux
sont impliqués dans le traitement et l'élaboration du langage ». Selon son hypothèse « le
traitement des mots s'appuie sur quatre sièges cérébraux : le siège de la mémoire
auditive des mots, celui de la mémoire visuelle des mots, les sièges de la mémoire des
mouvements pour articuler des mots, enfin le siège de la mémoire du mouvement des
doigts pour écrire des mots » (Charcot, 1883–1884). L'atteinte de l'un de ces sièges
cérébraux entraînerait donc selon lui un dysfonctionnement langagier. Quelques années
plus tard, en 1891, Freud va critiquer les travaux des associationnistes en leur
reprochant de confondre phénomènes physiques et psychiques.
Actuellement, l'émergence des neurosciences, des travaux en sciences cognitives et
l'apport des données en imagerie cérébrale, apportent des précisions sur les processus
de traitement et de codage de l'information réalisés par le cerveau. L'avènement au
milieu du XXe siècle de techniques d'enregistrement électrique (neurophysiologie) et de
l'utilisation de techniques d'imagerie cérébrale a permis d'étudier l'activité du cerveau
lorsqu'un individu réalise une tâche d'ordre perceptive ou cognitive. Dans le domaine
des sciences cognitives, différentes méthodes sont utilisées, dont l'une évalue l'activité
électromagnétique des neurones (l'électro-encéphalographie), l'autre la fluctuation du
débit sanguin du cerveau (l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle : IRMf).
L'électro-encéphalographie mesure par l'intermédiaire d'électrodes l'influx nerveux des
neurones activés dans le cerveau. La méthode des « potentiels évoqués » (ou ERP en
anglais) consiste à mesurer les différences d'activité électrique du cerveau lorsque le
sujet est soumis à des stimulations auditives ou visuelles, ou doit réaliser une tâche
impliquant des processus cognitifs. Cette méthode présente l'avantage de réaliser des
mesures de temps de réaction du cerveau précise (millisecondes) qui reflète la
complexité des traitements opérés par le cerveau, et permet de différencier les activités
cérébrales au cours du temps. L'EEG constitue une méthode qui offre une résolution
temporelle fine de l'activité observée au détriment d'une résolution spatiale
approximative de cette activité. La seconde méthode, l'IRMf permet de mesurer l'afflux
sanguin du cerveau suite à une activité cognitive, et d'obtenir une mesure indirecte de
l'augmentation du débit sanguin, qui fait suite à l'activation des neurones. Cette
méthode offre une résolution spatiale de qualité au détriment de la résolution
temporelle.
L'utilisation de ces méthodes a permis de valider un certain nombre d'éléments
théoriques sur l'activation et l'implication de structures cérébrales spécifiques dans les
mécanismes cognitifs étudiés. Toutefois ces mesures restent à interpréter avec
précaution, car il faut tenir compte du fait que les données obtenues sont des
reconstitutions de l'activité cérébrale observée et qu'il est parfois extrêmement difficile
de dissocier une activité cognitive d'une autre.
Les travaux des neurosciences, appuyés par de nombreuses recherches en imagerie
cérébrale (Chi, Dooling, Gilles, 1977 ; Houdé, Zago, Crivello, Moutier, Pineau, Mazoyer,
Tzourio-Mazoyer, 2000 ; Draganski, Gaser, Busch, Schuierer, Bogdahn et May 2004 ;
Scholtz, Klein, Behrens et Johansen-Berg 2009) confirment certaines théories et
hypothèses antérieures et offrent également des indices et des informations
supplémentaires quant à l'activité du cerveau. Les résultats de ces travaux permettent
ainsi d'avancer l'hypothèse que ce dernier est organisé en structures qui sont à la fois
anatomiquement distinctes et liées entre elles.
Ces travaux soulèvent de nombreuses interrogations pour ce qui est du domaine de
l'éducation. Certains neuroscientifiques y voient l'opportunité d'explorer les structures
cérébrales et mécanismes neuro-cognitifs impliqués dans l'élaboration des acquis et
apprentissages fondamentaux.

Les liens entre neurosciences et apprentissages


Qu'est-ce que l'apprentissage ?
L'apprentissage est considéré comme étant une modification comportementale ou
cognitive lors de la réalisation d'une tâche sous l'effet d'une interaction avec
l'environnement. Pour Vygotsky (1934), l'apprentissage ne commence pas avec l'école, il
émerge bien avant. Il faut distinguer l'apprentissage de l'apprentissage scolaire. En effet,
l'enfant acquiert le langage avant d'entrer à l'école grâce aux interactions avec son
entourage, son environnement. Pour Vygotsky, tout apprentissage doit tenir compte du
niveau de développement de l'enfant (il faut considérer son âge biologique et mental,
ses capacités, etc.). Vygotsky a soutenu l'idée que l'enfant commence très précocement à
développer des capacités cognitives (fonctions psychiques supérieures) grâce aux
nombreuses interactions qu'il entretient avec les individus qui l'entourent. Sa théorie
considère plus spécifiquement que l'adulte joue un rôle de médiateur dans le rapport de
l'enfant à son environnement. Ainsi l'intervention de l'adulte permet à l'enfant de
construire et de s'approprier le sens et de développer sa faculté de représentation des
situations vécues. L'adulte joue également un rôle de tuteur et permet à l'enfant de
réduire l'écart existant entre ce qu'il peut faire à l'aide de son entourage et ce qu'il peut
réaliser seul (zone proximale de développement). C'est dans cette relation d'étayage que
l'enfant peut développer un certain nombre de compétences et devenir par la suite un
être autonome.

Les liens entre apprentissage et cerveau


Au milieu du XXe siècle, Piaget (1923) développe une théorie constructiviste qui postule
que l'apprentissage nécessite une re-modulation cognitive, sous forme d'un processus
d'assimilation et d'accommodation. Ce phénomène d'assimilation et d'accommodation
met en avant l'importance d'une adaptation et d'une transformation des processus
mentaux lors des situations d'apprentissages. Cette théorie va dans le sens des travaux
actuels qui montrent qu'au cours du développement, le cerveau est malléable, et qu'il
existe une restructuration des connexions cérébrales (la plasticité cérébrale). Le terme de
plasticité cérébrale représente donc la capacité du cerveau à recycler des circuits
neuronaux présents dès la conception de l'enfant et cela tout au long de la vie. Ce
mécanisme est particulièrement intense au début du développement et perdure jusqu'à
l'adulte d'âge mûr et même au-delà, durant le vieillissement (Park et Reuter-Lorenz,
2009). Ainsi au cours du développement, certaines connexions se spécialiseront tandis
que d'autres disparaîtront. Sur le plan comportemental, ce phénomène s'illustre par le
fait que dès le plus jeune âge, l'enfant est capable de discriminer et de reproduire (par le
biais de l'imitation) des sons, des mouvements faciaux, des expressions faciales et des
gestes (Meltzoff, et Moore, 1977 ; Nazzi, Bertoncini, et Mehler, 1998) produits par les
individus (adultes) qui l'entourent. L'émergence de ces facultés précoces montre ainsi
que dès la naissance l'enfant est réceptif à un certain nombre de signaux émis par son
environnement social et culturel, et que le cerveau de l'enfant présente des dispositions
lui permettant de développer l'ensemble de ses capacités qui évolueront et se
modifieront au cours du développement (ainsi chez le jeune enfant, les facultés de
discrimination des sons se spécialisent pour les sons de sa langue maternelle, au
détriment des sons des langues étrangères, Nazzi, et al., 1998).
Selon une approche neuro-scientifique, l'apprentissage se traduit par une activité
cérébrale d'un individu suite à une stimulation, ainsi l'information est perçue, traitée et
intégrée. L'acquisition de cette information est matérialisée par des modifications
structurelles (Draganski et al., 2004 ; Scholtz et al., 2009) au sein de réseaux cérébraux et
synaptiques (création de nouvelles connexions entre les neurones). C'est grâce à cette
plasticité cérébrale ou synaptique que peuvent se recycler des circuits présents dès
l'origine, et ce tout au long de la vie. En effet, au cours de notre développement, nous
apprenons en permanence de nouveaux savoirs et savoir-faire et les recherches en
neurosciences tentent à l'heure actuelle d'étudier quelles sont les structures cérébrales
qui jouent un rôle dans l'acquisition des connaissances. Autrement dit ces travaux
cherchent à analyser comment se manifeste sur le plan cérébral l'acquisition de
nouvelles connaissances.
L'étude de Draganski et al. (2004) a analysé par le biais de l'IRMf, la modification des
tissus du système nerveux central (substance grise : composée par les corps cellulaires
des neurones ; substance blanche : composée par les axones) suite a un apprentissage
moteur. Cette étude a montré chez des apprentis jongleurs, qu'à la suite d'un
entraînement où les participants devaient apprendre à maintenir des balles en l'aire, que
certaines structures du cerveau se modifiaient. Cette transformation est reflétée par une
augmentation du volume des structures qui sont impliquées dans la coordination
motrice et les capacités visuo-spatiales, soit une augmentation de la substance grise des
lobes temporaux (siège du traitement de l'information).
Scholtz et al. (2009) ont par ailleurs examiné des structures qui sont impliquées dans
le système nerveux central chez des participants qui se sont entraînés à maintenir des
balles en l'air, entre une minute et une demi-heure par jour pendant deux mois. Les
données de l'IRMf révèlent une augmentation des substances grise et blanche entre le
début et la fin de l'entraînement, contrairement au groupe témoin n'ayant pas appris à
jongler. Ces résultats ont été par ailleurs confirmés par l'étude de Sara Bengtsson, Nagy,
Skare, Forsman, Forssberg et Ullén (2005) qui ont mesuré la modification de la structure
de la substance blanche auprès de pianistes professionnels. Les auteurs ont constaté que
l'épaisseur de la substance blanche était directement liée au nombre d'heures de
pratique du piano réalisé au cours de l'enfance. Plus le musicien avait passé de temps à
pratiquer le piano au cours de sa jeunesse, plus la couche de substance blanche était
épaisse. Ainsi comme l'avancent May, Hajak, Gänßbauer, Steffens, Langguth, Kleinjung
et Eichhammer (2007), il semblerait que ces modifications structurales des tissus du
système nerveux central puissent être observées dès les premières semaines
d'entraînement, reflétant ainsi un phénomène de neuroplasticité.

Automatisation et inhibition des apprentissages


Pour ce qui est des apprentissages cognitifs et intellectuels, il existerait selon Houdé
(2004) deux formes complémentaires d'apprentissages : « l'automatisation d'un
apprentissage par la pratique et le contrôle de l'apprentissage par l'inhibition ». En ce
qui concerne les processus d'automatisation, des travaux réalisés en imagerie
fonctionnelle (Houdé et al., 2000 ; Houdé, 2007) ont permis de montrer que « c'est
initialement le cortex préfrontal qui est activé dans la mise en place d'habilités
cognitives qui font appel à la mise en place des fonctions exécutives, soit des habiletés
qui nécessitent un contrôle, tel que la planification d'une tâche, la mise en place de
stratégies ». Puis ces habiletés s'automatisent avec l'apprentissage et c'est la partie
postérieure du cerveau, ainsi que les régions sous-corticales qui prennent le relais. Les
fonctions exécutives sont donc impliquées dans la régulation de nos comportements et
régulées par le cortex préfrontal (Luria, 1973), qui constitue une structure du lobe
frontal localisée dans la partie des aires antérieures du cerveau. Pour ce qui est du
second type d'apprentissage, celui d'apprendre à inhiber des automatismes, dans le but
de modifier sa stratégie cognitive, les données issues de l'imagerie cérébrale montrent
que lors de la mise en place de processus d'inhibition apparaît une activation des lobes
frontaux. Les résultats indiquent précisément « un basculement des activations
cérébrales, de la partie postérieure du cerveau au cortex préfrontal, phénomène inverse
de l'automatisation » (Houdé, 2004).
Ainsi, dans le domaine des apprentissages, une des fonctions des lobes frontaux est
donc reflétée par le fait que l'apprenant (l'élève) doit souvent remettre en question ce
qu'il croyait appris comme vrai pour accéder à de nouvelles stratégies de résolution. Ce
mécanisme cognitif fait appel à des habilités de contrôle exécutif, comme la flexibilité
mentale et les stratégies d'inhibition.
La fonction principale des lobes frontaux (impliqués dans la régulation de ces
capacités de flexibilité mentale, d'inhibition) serait donc de permettre aux individus de
planifier et de coordonner et de modifier ses stratégies en fonction de buts donnés. Il
s'agirait donc pour l'élève de la capacité à prendre en compte de nouvelles règles afin de
pouvoir résoudre un problème d'une autre façon, de modifier ses représentations
mentales (Favre et Simonneau, 2012). L'acte d'apprendre nécessiterait donc de modifier
et de changer un système de représentation, comme le définit Piaget. Ainsi, pour
apprendre il est nécessaire, d'après le principe d'assimilation et d'accommodation, que
l'élève puisse se séparer de ses anciens acquis et représentations pour les faire évoluer et
les adapter à de nouveaux apprentissages. Selon Houdé (2004), l'enfant peut donc
apprendre à « inhiber des stratégies inadaptées soit en analysant ses propres échecs
(détection de ses erreurs), soit en étant guidé par autrui ». Ainsi des chercheurs comme
Diamond et Lee (2011) ont montré auprès d'enfants âgés de 4 à 12 ans, les bénéfices de
programmes d'éducation qui visent à apprendre aux jeunes enfants à appliquer des
stratégies d'inhibition et de contrôle cognitif, lors d'activités de comptage ou de
gymnastique. Ces bénéfices se font au profit du développement des fonctions
exécutives. À la suite de ces nouveaux programmes éducatifs, les élèves pouvaient de ce
fait se représenter mentalement les stratégies qu'ils devaient appliquer pour résoudre
des problèmes ou répondre à des questions. Cette capacité de représentation offrirait
ainsi la possibilité aux élèves de détecter des erreurs de raisonnement qui posaient
problème lors de la résolution d'un exercice donné.
Une étude de Houdé et al. (2000) a par ailleurs comparé chez l'adulte les
conséquences cérébrales de « l'apprentissage de l'inhibition d'une stratégie perceptive »
(qui implique des alarmes sur les erreurs possibles ou sur les pièges perceptifs) et de
« l'apprentissage rationnel et logique », considéré comme moins émotionnel et plus
scolaire. Sur le plan comportemental, seul l'apprentissage de l'inhibition est efficace
dans les situations de pièges étudiées. En outre, une région du cerveau s'active plus
intensément lors de l'apprentissage de l'inhibition d'une stratégie perceptive : celle du
cortex préfrontal ventro-médian droit. Les résultats montrent que la partie postérieure
du cerveau est activée quand les sujets commettent des erreurs de raisonnement (mise
en place de processus automatisés, à la validité incertaine) et la partie antérieure après
apprentissage de l'inhibition de la stratégie perceptive (évitement du piège). Houdé et
al. (2000) précisent de plus que le cortex préfrontal ventro-médian droit situé près du
système limbique est considéré comme le cerveau des émotions et joue donc un rôle
dans la régulation émotionnelle lors des apprentissages. Les émotions sembleraient
donc être impliquées lorsque des stratégies d'inhibition sont mises en place lors de
l'apprentissage.

Attention, émotion et apprentissages


Le rôle de l'attention dans les apprentissages
Les travaux de Posner et Rothbart (1992) ont montré le rôle crucial des régions
préfrontales, impliquées dans la commande de l'attention, celle de la prise de décision et
dans la résolution de conflits. En effet, selon les auteurs, ces régions ont pour fonction
de diriger et de maintenir sur le long terme l'attention lors de la formation et de la
réalisation d'une action ou d'une activité cognitive. L'attention joue donc un rôle majeur
pour planifier des actes et les réaliser en fonction des consignes données. Ce contrôle de
l'attention est donc nécessaire au fil de la scolarité et du développement d'un enfant, qui
doit se concentrer pour apprendre et pour initier des stratégies de raisonnement
adaptées. Rothbart et al. (2005) ont par la suite montré que des exercices de contrôle
attentionnel chez des enfants âgés de 3–4 ans pouvaient intensifier la connexion entre
les structures du cortex préfrontal et du cortex cingulaire antérieur et jouer également
un rôle central dans le contrôle des comportements, dans la régulation des fonctions
exécutives et des émotions. Le cortex préfrontal a donc pour fonction principale de
pouvoir permettre à l'individu de remettre en question ses représentations. Pendant
cette période d'apprentissage, il est alors possible pour les enseignants d'apprendre aux
élèves à préciser leur pensée, à prendre du recul sur leurs erreurs, et à utiliser ces
erreurs comme des informations pertinentes pour détecter les problèmes rencontrés.
Cette prise en compte peut ainsi être considérée comme un moyen pour l'enseignant
d'aider l'apprenant à progresser, à raisonner et à être attentif.

Le rôle des émotions dans les apprentissages


Comme vu précédemment, une caractéristique propre aux lobes frontaux est leur étroite
connexion aux structures nerveuses qui traitent et génèrent des émotions. Il s'agit d'une
interaction binaire, car si les lobes frontaux peuvent inhiber le fonctionnement des
structures qui régulent les états affectifs et émotionnels, la réciproque est aussi vraie.
Les lobes frontaux permettent donc d'avoir une prise sur la régulation de nos émotions.
En tant qu'individu nous sommes traversés par toutes sortes d'émotions allant de la
tristesse à l'euphorie. Les apprentissages susciteraient donc des émotions, des affects et
du plaisir plus ou moins intense variant selon les personnes et le type d'apprentissage.
L'une des fonctions des lobes frontaux est d'aider l'apprenant à ne pas être submergé
par ses émotions et d'avoir prise sur elles. En effet, dès que l'intensité des émotions
augmente, les lobes frontaux commencent à être inhibés, suscitant un sentiment de
perte de contrôle de soi et de ses émotions. La fonction des lobes frontaux est ainsi de
permettre à l'individu de prendre conscience de ses états émotionnels et de les utiliser
pour dépasser les difficultés rencontrées lors de l'apprentissage et ainsi progresser.
Les travaux du neuropsychologue Damasio (1994) ont de plus montré l'existence
d'une interaction entre le cortex préfrontal (cortex orbito-frontal) et système limbique.
Ainsi, la présentation d'un problème solliciterait la mémoire d'épisodes liés à des
souvenirs de réussites ou d'échecs antérieurs qui influenceraient les représentations et
les comportements des élèves et les stratégies cognitives mises en place lors de
l'apprentissage.
L'ensemble de ces travaux permet donc à la fois aux chercheurs et aux enseignants
d'aider l'élève à réguler et à manipuler l'ensemble des habiletés cognitives, telles que ses
émotions. Cette régulation cognitive permettrait à l'élève de se concentrer sur une tâche
précise et de contrôler ses états émotionnels. Le comportement des élèves à l'école et
face aux apprentissages pourrait dépendre de leur régulation cognitive attentionnelle,
émotionnelle ainsi que de leur motivation.

Le rôle de la motivation dans les apprentissages


La motivation se définit comme l'ensemble des facteurs qui influent le comportement,
les actions ou la manière de penser des individus. Elle permet d'expliquer la dynamique
de comportement de l'individu, et qui relève également de l'envie ou du désir. La
motivation est un concept intégré et impliqué dans le cadre des apprentissages. Elle se
situe à deux niveaux (Deci, Koestner, Ryan, 2001) : celui de motivation extrinsèque qui
est provoquée par une source extérieure de l'apprenant et celui de motivation
intrinsèque qui dépend de l'individu lui-même (désir d'apprendre). Ces deux types de
motivation sont nécessaires pour que l'élève puisse s'engager dans un processus
d'apprentissage comme dans toute autre activité.

Le système cérébral de la motivation


Au début du XIXe siècle, Thorndike (1898) a été l'un des pionniers à s'intéresser à la
« science des récompenses ». Celui-ci a par exemple étudié comment un chat pouvait
apprendre à tirer sur une ficelle en actionnant la porte de sa cage dans l'objectif
d'attraper un poisson. Dans un premier temps Thorndike a commencé par étudier les
séries d'échecs réalisées par l'animal, afin d'explorer dans quelles circonstances les chats
échouent à apprendre. Selon l'auteur, « le chat n'apprend pas par imitation, mais par
expérience, le chat n'apprend que par "essais et erreurs" ». Ainsi au fur et à mesure des
essais, le chat est de plus en plus rapide pour actionner la porte de sa cage et attraper le
poisson. Cette forme d'apprentissage progressif est nommée apprentissage par
renforcement du fait que l'animal reçoit une récompense.
Les chercheurs en neurosciences (Schmidt, Lebreton, Cléry-Melin, Daunizeau, et
Pessiglione, 2012) ont identifié les régions du cerveau qui s'activent quand un animal,
ou un être humain, anticipe ou reçoit une récompense. Il s'agit surtout du striatum et
des systèmes neuro-modulateurs (qui modulent la transmission entre neurones) qui
sont impliqués dans la régulation de la motivation. Ces réseaux s'activent d'abord
quand on espère une récompense, et ils motivent le comportement en stimulant les
régions cérébrales qui interviennent dans la tâche à accomplir, par exemple le cortex
moteur s'il s'agit d'un effort physique. Schmidt et al. (2012) ont ainsi montré que la
partie ventrale du striatum représente une structure spécifique impliquée dans ce
réseau motivationnel lorsque l'on réalise effort mental. Ainsi plus on est motivé par une
récompense, plus on aura tendance à faire des efforts, comme accroître ses efforts
(cognitifs) pour obtenir de meilleures notes à l'école. L'étude de Schmidt et al. (2012) a
cherché à déterminer si les efforts mentaux sont régis par un même centre de la
motivation ou par des régions cérébrales distinctes. Pour ce faire, ils ont enregistré par
le biais de l'IRMf l'activité cérébrale de participants qui réalisaient des efforts mentaux.
La tâche consistait à « trouver sur un écran le chiffre le plus élevé parmi deux chiffres de
tailles différentes », et de le sélectionner. Les participants pouvaient accumuler de
l'argent chaque fois qu'ils répondaient correctement. Les auteurs ont montré que le
striatum ventral s'active d'autant plus que la somme d'argent en jeu est importante, et
par conséquent, ils observent une augmentation du degré de motivation chez les
participants. Cette forme de motivation est donc considérée comme extrinsèque, car
déclenchée par une récompense monétaire. Si l'on transpose ces résultats au domaine
des apprentissages scolaires, on peut considérer que ce type de motivation, dit
extrinsèque peut jouer un rôle majeur dans les apprentissages et dans l'envie
d'apprendre, car elle est déclenchée par des récompenses soit positives soit négatives.

Conclusion
L'observation des structures neuronales impliquées dans les diverses fonctions
cognitives permet d'établir de nouvelles approches et perspectives sur les pratiques
éducatives. Cependant, ce « progrès » présente des limites, car cette science ne détient
pas de « la vérité absolue ». Les connaissances issues des neurosciences, notamment de
la neuro-imagerie, peuvent s'avérer utiles, car elles apportent des informations et des
connaissances précises sur les capacités et les limites du cerveau qui apprend, mais elles
ne permettent pas encore de comprendre pourquoi certaines situations d'apprentissage
sont plus efficaces et adaptées que d'autres pour certains enfants. Ces recherches
réalisées en neurosciences ne doivent pas être détournées des objectifs éducatifs et
pédagogiques, comme considérer qu'il existe un déterminisme ou un pré requis cérébral
lié aux facultés d'apprentissage ou aux « compétences » d'un élève. Ce serait une
déviance problématique de considérer les neurosciences comme ayant une vocation
d'outil qui influence l'orientation scolaire, professionnelle des élèves. Leur objectif est
d'accompagner et d'aider les enseignants et pédagogues à affiner leurs connaissances
sur le développement et sur la structuration des fonctions cognitives qui entrent en jeu
dans les apprentissages. La pédagogie peut bénéficier des connaissances scientifiques
nouvelles, dès lors qu'elle les intègre aux facteurs environnementaux, sociaux et
culturels qui accompagnent l'enfant tout au long de son développement. Enfin, le rôle
de l'enseignant lors de la transmission des connaissances, des savoirs et savoir-faire,
reste majeur.

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CHAPITRE 20

Les connaissances issues de la vie


quotidienne et les apprentissages scolaires
Emmanuel Sander

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les champs des connaissances naïves
Des modèles tacites aux métaphores conceptuelles
Les connaissances naïves en sciences
Conclusion

Introduction
Un élève mobilise à l'école des connaissances de natures diverses. Parmi elles, on
compte la riche palette de ce qu'il a construit en dehors de l'école. Cela signifie en
particulier que lorsqu'une nouvelle notion du programme est introduite par un
enseignant, l'élève ne part pas de rien pour la construire, mais tient mobilisable un
arsenal de connaissances qui viendra interagir avec l'enseignement reçu. Ces
connaissances issues de la vie quotidienne, des pairs, des parents, des interactions avec
l'environnement, etc. vont l'influencer, tout comme d'autres connaissances acquises à
l'école dans d'autres domaines ou sur d'autres notions du domaine. Ce phénomène est
essentiel à prendre en compte pour construire des progressions d'apprentissage, pour
comprendre les difficultés rencontrées par les élèves et pour élaborer des évaluations
pertinentes. Son ignorance peut conduire à se méprendre sur ce qu'un élève a acquis et
sur les contextes dans lesquels il est susceptible d'appliquer ce qu'il a acquis. Par
exemple, un vocabulaire conforme à la terminologie scolaire peut masquer des
conceptions qui en sont éloignées.

Les champs des connaissances naïves


On désigne par connaissances naïves (Sander, 2008 ; confère aussi les notions
apparentées de préconception, Tirosh et Graeber, 1991 ; de métaphore conceptuelle,
Lakoff et Nunez, 2000 ; de misconception, Clement, 1988 ; de « folk theory », Kempton,
1987 ; de théorie naïve, Carey, 1985 ; de théorie intuitive, McCloskey et Kargon, 1988 ;
de modèle tacite, Fischbein, 1989 ; de conception alternative, Fujii, 2014) des conceptions
objet d'enseignements scolaires interprétées en référence à d'autres issues de la vie
quotidienne, acquises hors l'école. Une connaissance naïve possède un domaine de
validité délimité par les caractéristiques partagées entre la connaissance issue de la vie
quotidienne et la notion scolaire, assimilable à l'empan des situations pour lesquelles
elle mène à des conclusions correctes sur le plan de la discipline scolaire concernée.
Hors de ce domaine de validité, il y a divergence entre la connaissance naïve et la
notion scolaire.
Inagaki et Hatano (1991) ont ainsi montré que les jeunes enfants raisonnent sur le
vivant en se fondant sur leur connaissance des humains, en convergence avec des
travaux de Piaget (1926), confirmant la part des connaissances naïves dans l'attribution
de propriétés à des animaux ou à des plantes. Des entretiens avec des enfants de 6 ans
comportaient des questions comme : « On nourrit normalement une cigale une à deux
fois par jour. Que se passe-t-il si on la nourrit 10 fois par jour ? » ou encore « Que
ressent une cigale si la personne qui prend soin d'elle chaque jour meurt ? » Tant
qu'elles ne sont pas contradictoires avec des observations directes ou d'autres
connaissances spécifiques, les enfants s'appuient sur leurs connaissances sur l'être
humain : trop fréquemment nourrie et en trop grande quantité, une cigale tombe
malade et meurt ; elle sera peinée du décès de la personne qui s'occupe d'elle. Cette
anthropomorphisation met à profit l'expérience de l'enfant dans un domaine a priori
suffisamment proche pour que ce processus soit adaptatif.
Un enfant qui conclut qu'une cigale serait triste de la disparition de la personne
prenant soin d'elle généralise-t-il son propre comportement ? Cela s'interprète de
manière plus large dans le cadre des connaissances naïves. Ainsi, lorsqu'il s'agit de
prédire le comportement ou certaines caractéristiques d'un animal inconnu, les enfants
projettent leurs connaissances sur les humains, catégorie prototypique du vivant. Susan
Carey (1985) a notamment montré cette propension : dans une expérience auprès
d'adultes et d'enfants, une propriété était attribuée à une catégorie animale (par
exemple, à des êtres humains, des chiens, des abeilles) et il était demandé si cette
propriété s'appliquait aux membres de la même catégorie (par exemple les autres
chiens) ou d'autres catégories (par exemple les êtres humains et les abeilles). Les plus
jeunes enfants, contrairement aux adultes, attribuent plus fréquemment la propriété à
une nouvelle catégorie si elle a été introduite comme s'appliquant à un humain qu'à un
chien ou une abeille. Les jeunes enfants possédant des connaissances plus développées
des êtres humains que d'autres catégories animales, la catégorie humain fait pour eux
référence dans le règne animal, d'où cette propension à généraliser à d'autres catégories
une propriété attribuée à un humain et à considérer l'inverse moins fondé.
Les connaissances naïves sont-elles à éradiquer du fait des inférences erronées
auxquelles elles conduisent ? Du fait du caractère plus ou moins étendu du domaine de
validité de la connaissance naïve et du fait de la nature dynamique des concepts, une
connaissance naïve conduit certes à des inférences inappropriées, mais permet aussi de
conclure qu'une cigale vit, respire, se reproduit, se déplace, se nourrit, a un cœur, etc.
autant de propriétés héritées à bon escient de la catégorie être humain et qui, en l'absence
de cette connaissance naïve, seraient occultées. Un enjeu à la fois sur le plan de l'étude
des processus de développement conceptuel que dans une perspective éducative, est de
considérer l'évolution de cette connaissance naïve pour que le concept de cigale, calqué
pour les jeunes enfants au plus proche de celui d'être humain, aux quelques ajustements
prêts dictés par les caractéristiques directement observables (taille, couleur, forme du
corps, mode de déplacement, présence d'antennes, absence d'un langage de type
humain, etc.), évolue pour progressivement coïncider avec les attentes pour un élève,
contribuant ce faisant au développement d'autres concepts comme celui d'être vivant ou
d'insecte. Les développements conceptuels se produisent tout au long de la vie. Cette
évolution rend inapproprié de concevoir les acquisitions scolaires en termes
dichotomiques : des ruptures et des continuités les guident (Carey, 1985). Certaines
approches mettent l'accent sur la cohérence des savoirs construits (Vosniadiou et
Brewer, 1992) tandis que d'autres se focalisent sur leur caractère fragmentaire (diSessa,
1988).
Vosniadou et Brewer (1992) se sont intéressés aux conceptions des enfants de la forme
de la Terre. Les réponses à des questions susceptibles de leur avoir été communiquées
dans leur vie quotidienne sont cohérentes avec la notion de Terre sphérique (dès 6 ans,
presque tous les enfants répondent que la terre est ronde, circulaire, ou sphérique). En
revanche, lorsque la réponse n'a pas été apprise antérieurement, mais nécessite des
inférences fondées sur la conception de l'enfant, les auteurs trouvent qu'un tiers des
enfants pensent que la Terre a un bord ou une fin, et un quart estime qu'on peut tomber
de ce bord. La connaissance naïve que la Terre est un disque explique cela : « parce que
les enfants ont des expériences antérieures avec des objets ayant des fins ou des bords,
mais pas avec la notion d'espace infini, ils sont susceptibles de conclure par analogie
que la Terre a également un bord » (p. 578). Le dialogue suivant avec une élève de 6 ans
illustre cette conception (Vosniadou et Brewer, 1992, p. 547)

E(xpérimentateur) : « Si tu marches droit pendant de nombreux jours, où arriveras-


tu ?
• S(ujet) : J'arriverai dans une autre ville.
• E : D'accord, et si tu continues à marcher encore et encore.
• S : … Si j'étais ici et si je continue à marcher jusque là (l'enfant montre le bord du
cercle qu'elle a dessiné pour représenter la terre), je marche juste en dehors de la
terre.
• E : Tu marcherais juste en dehors de la terre, n'est-ce pas ?… Pourrais-tu tomber du
bord de la terre ?
• S : Oui, si je joue sur le bord.
• E : Et où tomberais-tu ?
• S :… Sur d'autres planètes. »

L'élève décrit sa marche sur la Terre comme un déplacement d'un objet sur un disque.
Les enfants de son âge ont de nombreuses expériences de ce type, comme lorsqu'un
objet roule sur une table ronde : il se déplace jusqu'au bord, puis, arrivé à ce bord,
tombe. Cette connaissance est compatible avec l'expérience quotidienne d'une Terre
plate, et avec l'information répandue dans la vie quotidienne qu'elle est ronde. D'autres
enfants conçoivent une Terre creuse, ses habitants peuplant une région centrale plate à
l'intérieur. Cette connaissance est compatible avec le fait de vivre sur une Terre plate et
sphérique : « (les gens ne tombent pas) parce qu'ils sont à l'intérieur de la Terre… (la
Terre) est ronde comme une balle… (et nous vivons) à l'intérieur de la balle… au milieu
d'Elle » (Ibidem, p. 564). D'autres enfants s'appuient sur des connaissances naïves plus
proches de la conception d'une Terre sphérique telles que la Terre est « ronde, comme
un épais pancake » (Ibidem, p. 5481). Le pancake est lui aussi une connaissance familière
pour ces enfants, plat tout comme la Terre semble l'être, et rond et volumineux, tout
comme une sphère. Certains enfants conçoivent la Terre comme un gâteau à plusieurs
couches pour expliquer l'alternance de jour et nuit en Europe aux États-Unis, ils
évoquent une Terre plate Amérique sous la Terre plate Europe : durant la nuit
européenne, le soleil illuminerait la couche américaine (Vosniadou et Brewer, 1994).
Les connaissances naïves restent influentes au-delà de l'enfance. De nombreux
adultes voient ainsi le thermostat d'un radiateur comme une valve : comme une pédale
d'accélérateur contrôle la quantité d'essence injectée dans un moteur, une pièce d'une
maison est supposée chauffer d'autant plus vite que le thermostat est positionné vers le
haut (Kempton, 1987). Des débutants en électricité conçoivent un interrupteur électrique
comme la gâchette d'une arme, envoyant une impulsion du générateur électrique à
l'ampoule (Collins et Stevens, 1984). Une fable de Jean de la Fontaine que des
générations d'enseignants ont fait étudier à des générations d'écoliers, La cigale et la
fourmi, illustre également ce phénomène. Un passage mentionne la pénurie alimentaire
à laquelle la cigale doit faire face :

La Cigale, ayant chanté


Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.

Les deux dernières lignes indiquent : « Pas un seul petit morceau de mouche ou de
vermisseau. » Si Jean de La Fontaine avait choisi d'écrire : « Pas un seul petit morceau
de lion ou de taureau », tout lecteur, enfant comme adulte, serait choqué. Pourtant, à
leur stade larvaire, les cigales s'alimentent de la sève des racines puis, devenues adultes,
aspirent le liquide de branches ; elle ne peut pas plus consommer de mouches ou de
vermisseaux que de lion ou de taureau. Cette conception découle de la connaissance
naïve d'une cigale anthropomorphisée qui se nourrit de créatures de petite taille de son
milieu naturel (Hofstadter et Sander, 2013). Tout lecteur qui découvre cette aberration
biologique à la lecture de ces lignes indique par ce fait sa sensibilité persistante à la
connaissance naïve anthropomorphique.
Des modèles tacites aux métaphores conceptuelles
Lakoff et Nunez (2000) font dépendre les mathématiques de métaphores constitutives
de cette science. Leurs recherches rejoignent des travaux en sciences de l'éducation, en
particulier la théorie des modèles tacites de Fischbein (par exemple 1989, 1994). Selon
ces chercheurs, les conceptions des notions mathématiques sont déterminées par des
métaphores conceptuelles selon la terminologie de Lakoff et Nunez, ou modèles tacites
selon celle de Fischbein. Ce phénomène concerne y compris les notions les plus
élémentaires et résiste à la scolarisation. Selon la théorie des modèles tacites, « chaque
opération fondamentale en arithmétique reste généralement attachée à un modèle
intuitif, primitif, implicite et inconscient. L'identification de l'opération nécessaire pour
résoudre un problème… n'est pas directe, mais est faite par l'intermédiaire du modèle »
(Fischbein et al., 1985, p. 4). Les caractéristiques des modèles tacites sont les suivantes
(Fischbein, 1989, 1994) :
Il s'agit d'entités structurales, qui ne consistent pas en l'application d'une unique
règle, mais permettent une interprétation globale : des conceptions erronées peuvent à
première vue sembler sans rapport, mais relever d'une même connaissance naïve. Par
exemple, croire qu'un ensemble mathématique contient au moins deux éléments et que
ces éléments ont forcément des relations en commun dérive de la connaissance naïve
d'un ensemble vu comme une collection d'objets.
Construits à travers des expériences répétées, les modèles tacites sont concrets,
pratiques et liés à des actions, mais comportent une abstraction, car ils s'appliquent à un
grand nombre de situations.
Ils sont simples, peu coûteux à appliquer, directement représentables en termes
d'actions. Leur faible coût explique leur rôle privilégié dans le raisonnement
mathématique.
Ils imposent des contraintes. Par exemple, l'interprétation division-partage, qui
correspond à la division d'une collection d'objets en un certain nombre de sous-
collections, contraint les valeurs du dividende et du diviseur.
Ils sont robustes, en ce qu'ils subsistent après que la notion formelle ait été étudiée,
offrant un cadre interprétatif, comme le montrent par exemple les travaux de Tirosh et
Graeber (1991) auprès d'enseignants en formation.
Lakoff et Nunez (2000) distinguent les métaphores ancrées (grounding metaphors),
telles que la division conceptualisée comme un partage, qui prennent source dans
l'expérience concrète et dépendent peu de l'instruction scolaire, contrairement aux
métaphores de liaison (linking metaphors) qui lient deux notions mathématiques, l'une
étant métaphore de l'autre, par exemple des figures géométriques métaphores
d'équations algébriques ou une droite métaphore de l'ensemble des nombres réels. Les
métaphores constitutives des notions mathématiques élémentaires sont ancrées. La
connaissance naïve l'arithmétique est une collection d'objets permet ainsi de définir la
notion de nombre et les opérations arithmétiques. Un nombre est associé aux collections
d'une certaine taille, cette taille commune définissant sa valeur. La plus petite collection
correspond à l'unité, le terme supérieur signifie taille plus grande et le terme inférieur,
taille plus petite. La réunion de collections définit l'addition et l'exclusion d'une petite
collection d'une plus grande définit la soustraction. Les propriétés de l'arithmétique
élémentaire dérivent de celles des collections d'objets : la stabilité de l'addition et de la
soustraction dérive du fait qu'ajouter ou soustraire une collection d'une taille donnée à
une collection d'une autre taille donnée conduit à une collection de taille invariante.
L'addition et la soustraction apparaissent comme réciproques, car ajouter une collection
à une autre puis la retirer, ou vice-versa, aboutit à la collection originelle. Sophian (2007)
dans une perspective différente rattache également les interprétations des situations
additives et soustractives à un cadre ensembliste à l'intérieur duquel les différents types
d'énoncés peuvent s'interpréter. La multiplication consiste à regrouper des collections
de même taille ou additionner de manière répétée une collection d'une certaine taille.
Pour la division, il s'agit de séparer un tout en parties égales ou de soustraire
itérativement une collection à une autre. La collection d'objets n'est pas la seule
métaphore potentielle de l'arithmétique. Dans la version construction d'objets, les
opérations sont des constructions : l'addition construit une entité nouvelle en en
agrégeant deux et la soustraction construit une entité en enlevant une partie. Des
expressions telles que « 5 se décompose en 3 et 2 », ou encore « Si tu mets 2 et
3 ensemble, tu obtiens 5 », relèvent de cette métaphore. Dans le cadre d'une troisième
métaphore, celle du mètre étalon (measuring stick), l'unité est le mètre étalon, un nombre
est un segment d'une certaine longueur, l'addition consiste en l'accolement de deux
segments dont la longueur est le nombre d'unités associé à chaque valeur. La valeur de
deux nombres se compare par celle des segments correspondants. La métaphore sur
laquelle s'appuie préférentiellement l'élève, ou l'enseignant, n'est pas anodine. Par
exemple, selon Selter et al. (2012), la métaphore ensembliste de la soustraction, bien que
la plus fréquente, est moins productive que celle de la différence, qui elle est plus
aisément rattachable à celle du mètre étalon.
La connaissance naïve du signe = est dénommée métaphore processus-produit par
Kaput (1979). On y dispose d'un ensemble d'ingrédients et d'un produit final, résultat
du processus. Cette connaissance naïve aboutit à une seule valeur après le signe = (le
résultat du processus), à ce que l'égalité ne soit ni réflexive (on ne peut pas écrire qu'une
valeur est égale à elle même) ni symétrique (si on écrit a = b, on n'écrit pas b = a).
Ginsburg (1977) a montré que des élèves refusent l'écriture ? = 3 + 4 et que 3 = 3 est
interprété comme 7–4 = 3. Kieran (1981, p. 319) a trouvé que 4 + 5 = 3 + 6 donnait lieu à
des commentaires comme « Après le « = «, il devrait y avoir la réponse. C'est la fin et
pas un autre problème ».
Concernant la multiplication, la connaissance naïve « multiplier, c'est additionner
plusieurs fois » conduit aussi à des obstacles : en demandant à des élèves de 12 à 15 ans
le prix de 0.27 gallons d'essence si un gallon coûte £ 1.22, la réponse la plus fréquente
était 1.22/0.27. Pour des valeurs entières, par exemple 5 gallons au prix unitaire de 2 £,
les élèves proposaient la réponse correcte : 5 x 2 (Bell, Swan et Taylor, 1981). Cette
connaissance naïve conduit aussi à ce qu'il soit difficile de justifier que
ab = ba (que a + a + a… + a (b fois) = b + b + b… + b (a fois) n'a rien d'évident), à la
croyance que le multiplicateur soit nécessairement un nombre entier et à ce que le
résultat de la multiplication soit systématiquement plus grand que le multiplicande et
donc que la multiplication rende plus grand (Bell, Fischbein et Greer, 1984). Fischbein et
al. (1985) ont montré auprès d'une population de plus de 600 enfants âgés de 10 à 15 ans
que résoudre « Avec un quintal de blé, on obtient 0,75 quintaux de farine. Quelle quantité de
farine peut être obtenue avec 15 quintaux de blé ? » est nettement plus facile que résoudre
« Le volume d'un quintal de gypse est de 15 cm3. Quel est le volume de 0,75 quintaux ? ». La
première s'interprète comme une addition réitérée, contrairement à la seconde. Les
résultats d'expérimentations menées auprès d'adolescents brésiliens coutumiers du
commerce de rue sans avoir jamais été scolarisés vont dans le même sens (Schliemann,
Araujo, Cassundé, Macedo et Nicéas, 1998 ; confère aussi Brissiaud et Sander, 2010).
Une moitié d'entre eux doit résoudre le problème « Combien coûtent 3 objets à
50 cruzeiros l'un ? » et l'autre moitié « Combien coûtent 50 objets à 3 cruzeiros l'un ? ».
Les performances sont très différentes pour les deux groupes. Les trois quarts
réussissent le premier alors que le second a un taux de réussite nul, ce que la métaphore
de l'addition réitérée permet d'interpréter. Le premier problème se résout par l'addition
« 50 + 50 + 50 », qui ne contient que trois termes et fait appel à des faits numériques
connus (50 + 50 = 100 ; 100 + 50 = 150). À l'inverse, le second groupe se lance dans une
addition de 50 termes (3 + 3 + 3… 3 + 3) dont la quantité rend le contrôle impossible et
qui fait appel à des faits numériques inconnus. L'addition réitérée n'est pas simplement
une stratégie de multiplication, mais une connaissance naïve qui en contraint la
compréhension.
Selon la connaissance naïve du partage, diviser est répartir en un certain nombre de parts
égales (« 8 personnes se partagent un gâteau de 900 grammes, combien aura chacun ? ») et
selon celle de la mesure, diviser est soustraire de manière répétée (« Combien de parts de
150 grammes peut-on découper dans un gâteau de 900 grammes ? »). Dans le cas de la
division-partage, le dividende doit être plus grand que le diviseur, le diviseur doit être un
nombre entier, et le quotient doit être plus petit que le dividende. Dans le cas de la
division-mesure, la seule condition est que le dividende soit plus grand que le diviseur. Si
le quotient est un nombre entier, l'opération peut être vue comme une soustraction
répétée. Dans tous les cas, la division est conçue comme rendant plus petit (Bell,
Fischbein et Greer, 1984). Fischbein et al. (1985) ont observé de fortes différences de
performances selon que l'opération respecte ou non ces contraintes. Ainsi, concernant la
division-partage, résoudre « Avec 75 roses, on peut faire 5 bouquets identiques. Combien
de roses seront dans chaque bouquet ? » est nettement plus facile (93 % de réussite) que
« 15 amis ont acheté ensemble 5 kg de cookies. Combien chacun en a-t-il reçu ? » (28 %
de réussite). L'influence des connaissances naïves persiste après enseignement, comme
cela est fort bien montré par une étude de Tirosh et Graeber (1991) auprès d'enseignants
en formation. Des problèmes de division sont posés, conformes ou non aux sources
division-partage ou division-mesure. La réussite est presque totale pour les problèmes
conformes à l'interprétation partage contre deux tiers pour les non conformes. Pour les
problèmes conformes à l'interprétation mesure, trois quarts des réponses sont justes
contre à peine un tiers pour les problèmes non conformes. Cette étude montre
également que la connaissance naïve du partage est privilégiée par les futurs
enseignants à qui il est demandé de construire des énoncés : des problèmes de partage
sont proposés quasi exclusivement (voir aussi Sander, 2008).

Les connaissances naïves en sciences


Des études analysant les raisonnements sur les trajectoires illustrent l'influence des
connaissances naïves en sciences et ont donné lieu à des théories quelque peu
divergentes (Cooke et Breedin, 1994 ; diSessa, 1988 ; McCloskey, 1983). Un premier type
de situation concerne les trajectoires curvilignes : un objet décrit un mouvement à
l'intérieur d'un tube courbé et le participant prédit la trajectoire à la sortie. En
contradiction avec la première loi de Newton selon laquelle un objet sur lequel aucune
force n'est appliquée suit une trajectoire droite, une majorité prédit une trajectoire
curviligne (la moitié des sujets de McCloskey et al., 1980 ; trois quarts des sujets dans
une condition expérimentale de Catrambone et al., 1995). Un second type de tâche
concerne une balle lâchée par une personne en train de marcher ou une bombe lâchée
d'un avion en vol. Alors que la réponse exacte consiste à dessiner une trajectoire
parabolique dont le point d'impact avec le sol est situé directement sous le porteur qui a
continué à vitesse constante durant la chute, un tiers des sujets de McCloskey,
Caramazza et Green (1980) prédisent une trajectoire droite pour l'objet lâché, le point
d'impact étant alors sous la place que le porteur occupait au moment où l'objet a été
lâché (la moitié des sujets de McCloskey, Washburn et Felch, 1983 lorsque c'est une
personne en mouvement qui lâche une balle).
McCloskey (1983) considère que les sujets qui résolvent des problèmes de prédiction
de trajectoire se réfèrent à une théorie proche de la théorie pré-newtonienne de l'élan2,
développée sur la base de leur expérience quotidienne et qui subsiste, bien que dans des
proportions moindres, après des enseignements spécialisés en physique. Les
participants considèrent que mettre un objet en mouvement transmet à cet objet un élan
qui sert à maintenir ce mouvement. Cet élan se dissipe progressivement, ce qui
provoque le ralentissement puis l'arrêt de l'objet. Par exemple, un sujet mentionne « une
force exercée et mise dans la balle de telle sorte que la balle qui se déplace a maintenant
une certaine quantité de force » (p. 307). Analysant les causes de la croyance de la chute
en ligne droite lorsqu'un objet est lâché d'un porteur en mouvement, McCloskey,
Washburn et Felch (1983) proposent deux connaissances naïves sur lesquelles est
susceptible de s'appuyer cette croyance erronée. La première provient du fait que dans
une situation physique de marche avec lâcher de balle durant le mouvement, les sujets
perçoivent une chute en ligne droite (McCloskey, Washburn et Felch, 1983). La seconde
provient des observations à partir d'un référent en mouvement : dans un film montrant
un lâcher de bombe d'un avion, le mouvement sera droit si la prise de vue est faite
depuis l'avion. Les théories construites par les sujets sur les objets en mouvement
découlent donc de la référence à des expériences quotidiennes dans un certain ensemble
de situations. McCloskey et ses collègues considèrent que ces expériences initient une
théorie naïve sur laquelle se fondent ensuite les sujets. L'existence d'une telle théorie est
contestée par d'autres chercheurs, en particulier parce que les prédictions des
participants sont fortement sensibles à des effets de contexte (Cooke et Breedin, 1994).
Ainsi, Kaiser, Proffitt et Anderson (1985) ont observé que la présentation dynamique du
problème, en présentant des objets en mouvement, conduisait à des performances
meilleures qu'une présentation statique. Kaiser, Jonides et Alexander (1986) ont
répliqué des travaux de McCloskey et de ses collègues sur les trajectoires curvilignes,
cette fois dans des situations concrètes et familières pour les sujets, telles qu'un jet d'eau
dans un tuyau d'arrosage ou une balle tirée d'un fusil dont le canon est prolongé par un
tube curviligne. Les prédictions sont alors largement plus exactes, ce qui les conduit à
remettre en cause l'existence d'une théorie naïve.
Une possibilité est que les participants appliquent des caractéristiques de
phénomènes observés dont ils ont abstrait une interprétation. Selon diSessa (1983, 1988,
1993), les conceptions sont orientées par des p-prims (abréviation de primitives
phénoménologiques) : « les étudiants naïfs en physique débutent avec une riche…
collection de phénomènes reconnaissables en termes desquels ils voient et parfois
expliquent le monde. Ce sont les p-prims » (1983, p. 16), qui forment « une collection
fragmentée d'idées, faiblement connectées entre elles et… n'ayant aucune des
caractéristiques… attribuées aux théories. » (1988, p. 50) : « Les p-prims sont des
abstractions relativement minimales de phénomènes communs. » (1983, p. 32). Par une
méthode proche de l'entretien clinique piagétien, diSessa (1983) met en évidence un
certain nombre de p-prims. Par exemple, s'éteindre, mourir, tel un son qui se meurt
lentement, est une p-prim, primitive interprétative et explicative pour laquelle la
transition avec l'explication en termes de mécanismes dissipatifs tels que la friction n'est
pas aisée. Considérer que ce phénomène est naturel permet d'expliquer la croyance
selon laquelle une force doit être appliquée si on veut maintenir une vélocité constante à
un objet.

Conclusion
Les connaissances naïves déterminent les conceptions initiales de l'élève et il est
nécessaire de les prendre en compte dans l'enseignement plutôt que de les ignorer au
profit d'une tabula rasa conceptuelle qui est un modèle classique implicite. Elles restent
présentes après enseignement, même si les changements terminologiques induits chez
l'élève par l'école sont trompeurs : en effet, l'apparition du terme académique ne
garantit pas que le concept suive. Ainsi pour la division, le terme diviser est acquis par la
population enfantine ou adulte, mais la catégorie partage détermine la conception de la
notion. L'illusion de maîtrise de la notion par un élève repose sur l'usage de l'étiquette
lexicale du concept scolaire (diviser) et sur le fait qu'analogie naïve et concept
scientifique coïncident dans un certain nombre de cas (une part des situations de
division sont des situations de partage). L'école introduit une dénomination nouvelle,
distincte de l'item lexical usuel pour cette analogie naïve, mais l'évolution conceptuelle
depuis la jeune enfance est à questionner. Les travaux sur les trajectoires d'objets en
mouvement conduisent aux mêmes constats.
L'école a en charge de faire acquérir des notions, mais il est illusoire de penser que ces
notions objet d'enseignement s'acquièrent uniquement à l'école et de manière
suffisamment compartimentée pour qu'elles puissent s'enseigner en ignorant les
concepts quotidiens. Les connaissances acquises en dehors de l'école, préalablement ou
parallèlement, influencent considérablement la manière dont le contenu des
enseignements scolaires est appréhendé par l'élève. Il paraît fécond de construire des
enseignements selon une pédagogie dont la progression ne repose pas uniquement sur
la nature de ce qui est enseigné, mais sur la manière dont ce qui est enseigné s'ancre sur
les connaissances préalables, acquises dans la diversité des interactions avec
l'environnement, dont l'école constitue une composante.
Ces connaissances préalables sont des supports indispensables aux apprentissages.
En effet, les interprétations spontanées donnent sens aux notions, et s'appuyer sur elles
est utile pour les faire évoluer en développant de nouvelles catégories, ce qui ne signifie
pas la disparition de la connaissance initiale, mais l'accroissement des concepts
mobilisables. L'étude des connaissances naïves associées aux notions qui font l'objet
d'enseignement est ainsi nécessaire pour développer des cursus d'apprentissage qui
s'attachent à prendre en compte non pas seulement ce qui est exprimé par l'enseignant,
mais ce qui est compris par l'élève. Cela évite de se méprendre sur la nature de certaines
performances, qui ne révèlent rien d'autre que la compatibilité de la situation avec la
connaissance naïve associée à la notion (Sander, 2008). Cela permet aussi de prévoir les
situations qui devraient mettre l'élève en échec et favoriser l'identification des
évolutions conceptuelles requises pour permettre qu'un codage pertinent pour ces
situations se développe. Les connaissances naïves portent les inférences que l'élève met
en œuvre, qui coïncident parfois, mais pas toujours, avec celles attendues. Les réussites
limitées au cadre de coïncidence ne sauraient constituer le seul objectif de
l'enseignement qui, au-delà de performances satisfaisantes dans les cas où
connaissances naïves et structure profonde se rencontrent, vise à produire des
évolutions conceptuelles.
Les connaissances naïves sont à la fois support, obstacle et tremplin aux
apprentissages. Elles sont des supports parce qu'elles permettent de donner sens à une
notion ou à une situation – la question même de la conceptualisation se poserait en leur
absence – et ont un champ de validité à l'intérieur duquel la notion ou la situation
bénéficient des connaissances associées à la connaissance naïve. Toutefois, les
connaissances naïves sont aussi des obstacles parce que la notion est filtrée par la
connaissance naïve et certains aspects sont ignorés de ce fait, conduisant à des erreurs
dans les contextes où la connaissance naïve fourvoie. Les connaissances naïves sont
aussi des tremplins tout simplement parce que l'être humain se développe en
développant ses catégories, par un processus spontané lors de la confrontation à des
situations nouvelles ou du fait d'interventions scolaires destinées à le provoquer. C'est
donc un enjeu majeur pour l'éducation que d'envisager le développement des notions
pas simplement en rupture, mais en filiation avec des conceptions qui, quoi qu'il arrive,
n'ont pas vocation à disparaître, car elles restent parfaitement valides dans de
nombreux contextes quotidiens et en dehors du champ disciplinaire.

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1
Les participants de cette expérience étaient Américains.
2
Pour le terme anglais impetus.
CHAPITRE 21

L'apprentissage de la lecture-écriture
Hélène Labat; Jean Ecalle; Annie Magnan

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
L'apprentissage multi-sensoriel selon les pédagogues
Études expérimentales en faveur d'un apprentissage multi-sensoriel des lettres
Vers une cognition incarnée
Conclusion

Introduction
Il y a près d'un siècle, Maria Montessori, médecin et pédagogue italienne se fit connaître
pour avoir développé « l'éveil sensoriel », un ensemble de techniques d'enseignement
qui favorisaient les apprentissages scolaires chez le jeune enfant. Cette approche
intuitive a fait l'objet de développements ultérieurs amenant des chercheurs à
investiguer l'impact de cette approche multi-sensorielle dans le cadre de l'apprentissage
de la lecture-écriture. L'objectif de ce chapitre est de présenter des travaux
expérimentaux sur l'apprentissage des lettres. La conclusion s'attachera à montrer
comment la théorie de la cognition incarnée (embodied cognition) offre un cadre
interprétatif actuel pour comprendre l'intérêt d'une approche multi-sensorielle des
apprentissages.

L'apprentissage multi-sensoriel selon les pédagogues


Montessori (1915) a développé une méthode visant à favoriser le développement de
l'enfant et les apprentissages scolaires. L'enfant est acteur de ses apprentissages et
autonome (choix de l'activité et du temps consacré). L'environnement (espace classe et
matériel utilisé) occupe une place centrale, car les connaissances se développent grâce
aux sensations contrastées du matériel manipulé (sur la couleur, poids, forme, texture,
taille, son, odeur, température) pendant l'activité (reconnaissance, distinction,
classification, sériation, etc.). L'apprentissage lire-écrire débute avec des exercices
sensoriels généraux. Par exemple, l'exercice de graduation des couleurs vise à éduquer
la vision et consiste à distinguer l'intensité des tons pour chaque couleur et à les classer
du plus clair au plus foncé. Pour développer l'art d'écouter, l'enfant a les yeux bandés et
doit identifier les sons particuliers de la classe (exemple : ouverture d'une porte). Des
manipulations manuelles sont aussi réalisées : apparier des paires de tissus de textures
identiques en l'absence de vision (exemple : laine, flanelle, soie), se sensibiliser aux
propriétés de taille et de formes géométriques. Le remplissage de formes (dessin)
favorise aussi le développement des aptitudes de motricité fine. Ensuite, les symboles
alphabétiques sont appris grâce à des lettres rugueuses en papier de verre (traçage de la
lettre avec deux doigts) ou des lettres tracées dans le sable. Les voyelles et les consonnes
se distinguent par leur couleur. Les explorations sensorielles deviennent ensuite
simultanées afin de favoriser les connexions écrit-oral. Enfin, un travail sur la
construction des mots est aussi proposé avec un alphabet mobile pour apprendre
l'orthographe. En conséquence, les activités Montessori sont multi-sensorielles et
consistent à découvrir le son et la forme des lettres de manière visuelle et kinesthésique
(tracés). Elles ciblent donc le développement de la connaissance des lettres (familiarité
aux nom, son et forme) et des habiletés phonologiques (capacités de segmentation et
fusion des sons de parole), qui sont des prédicteurs puissants de la réussite en lecture en
psychologie cognitive (Schatschneider, Fletcher, Francis, Carlson, et Foorman, 2004).
D'autres approches ont été développées pour enseigner la lecture-écriture. La
méthode d'enseignement Orton-Gillingham (OG ; fondée sur les travaux d'Orton (1937))
recommande un apprentissage explicite, séquentiel, synthétique et analytique,
systématique (progressive et méthodique), adaptée aux besoins et aux habiletés du
sujet, et associée à un apprentissage multi-sensoriel des lettres . Le renforcement tactilo-
kinesthésique des associations audiovisuelles pourrait contribuer à remédier aux
difficultés à lire et à écrire. Bien que la revue de littérature de Ritchey et Goeke (2006)
souligne certains biais méthodologiques dans certaines études, elle relève aussi que
cette méthode est plus efficace qu'un enseignement traditionnel (9/12 études) avec des
personnes, pour partie dyslexiques, scolarisées en primaire, en collège ou en université.

Études expérimentales en faveur d'un apprentissage


multi-sensoriel des lettres
La connaissance des lettres
De nombreuses recherches suggèrent un lien causal entre le niveau de connaissance de
lettres et l'apprentissage de la lecture. Les études longitudinales indiquent que la
connaissance des lettres est l'une des compétences précoces les plus prédictives de la
réussite en lecture de mots (Foulin, 2007). Cette connaissance constitue un des piliers du
principe alphabétique. Ce principe repose sur le système de règles de correspondances
graphèmes-phonèmes. La maîtrise de ce principe permet de traduire, en lecture, une
séquence de lettres écrites (graphèmes) en une séquence de phonèmes correspondants
(Ecalle et Magnan, 2015 pour une synthèse). Cette procédure de décodage
phonologique s'avère être une étape primordiale, car elle permet la mise en place d'un
mécanisme d'auto-apprentissage qui favorise le stockage des représentations
orthographiques (Share, 1999). L'accès en mémoire devient automatisé et se traduit par
de meilleures performances en fluence. Le second argument provient de la méta-
analyse sur 52 études d'Ehri et al. (2001) qui met en évidence une efficacité plus
importante des entraînements phonologiques et à la connaissance des lettres
(exploration audiovisuelle) que des entraînements phonologiques seuls auprès de
jeunes enfants.
En outre, pour une amélioration supplémentaire des performances, l'ajout d'une
exploration sensorielle a été envisagé en se référant aux travaux de Montessori (1915).
Des études utilisant des protocoles expérimentaux issus de différents domaines telles la
géométrie (par exemple, Kalenine, Pinet et Gentaz, 2010) ou la litéracie (par exemple,
Gentaz, Colé, et Bara, 2003) viennent conforter l'intuition des pédagogues concernant
l'effet de la modalité haptique (toucher actif) dans le domaine de l'éducation (Minogue
et Jones, 2006 pour une synthèse). Dans le cas de l'apprentissage des lettres, plusieurs
recherches ont évalué l'effet d'un entraînement multi-sensoriel sur l'apprentissage de la
lecture-écriture, où l'exploration de la lettre est non seulement audiovisuelle, mais aussi
kinesthésique (haptique et/ou graphomotrice ).

Le rôle de l'exploration haptique


Deux types de perception tactile peuvent être distingués : la perception cutanée et la
perception haptique (Hatwell, Streri et Gentaz, 2000 ; Gentaz, 2009). Les informations
sont extraites via des mécanorécepteurs qui se situent dans les différentes couches de la
peau. Ils diffèrent sur les propriétés d'adaptation (rapide versus lent) et sur les champs
récepteurs (réduits versus larges). La perception cutanée résulte de la déformation
statique de la peau. Dans la perception haptique, la perception cutanée et l'action ne
sont pas dissociables. La dynamique d'exploration permet l'extraction d'informations
proprioceptives grâce à la stimulation des muscles, tendons et articulations.
L'exploration tactilo-kinesthésique des méthodes Montessori (1915) et Orton (1937)
peuvent être assimilées à l'exploration manuelle haptique.
Afin d'identifier les propriétés d'un objet, le nombre de mouvements exploratoires
(aspects quantitatifs) et les caractéristiques de ces mouvements (aspects qualitatifs)
moduleraient la perception. Les manipulations haptiques spontanées des enfants
seraient séquentielles et le nombre de mouvements serait faible, impliquant un
traitement incomplet (Berger et Hatwell, 1995). Lederman et Klatzky (1987) repèrent la
mise en œuvre de procédures exploratoires générales ou spécifiques chez les adultes,
correspondant à des patterns stéréotypés et invariants. La procédure maximise l'input
sensoriel et l'extraction de certaines caractéristiques, ce qui facilite l'encodage. Dans une
étude comparative, Klatzky, Lederman, et Mankinen (2005) analysent les manipulations
visuelles et haptiques de formes sur la précision du jugement perceptif chez des enfants
de 4–5 ans et remarquent des procédures similaires aux adultes (exemple : la modalité
visuelle est privilégiée pour juger la taille et la forme). De plus, la connaissance
spécifique d'un domaine serait reliée à la stratégie d'exploration chez les enfants de 4–
9 ans (Alexander, Johnson, et Schreiber, 2002). Lorsque l'enfant a peu de connaissances
du domaine, une stratégie de comparaison globale des caractéristiques saillantes est
mise en œuvre. À l'inverse, une bonne connaissance du domaine implique l'élaboration
d'hypothèses qui sont testées séquentiellement sur le premier objet puis le second. Deux
procédures exploratoires, déjà identifiées pour explorer les objets (Lederman et Klatzky,
1987) sont sollicitées dans le cas des lettres et impliquent des traitements différents
(Bara, Fredembach et Gentaz, 2010). Tout d'abord, la procédure générale
d'enveloppement correspond à des mouvements de la paume et des doigts sur l'objet et
permet l'extraction de données sur la forme globale de la lettre. Ensuite, la procédure
spécifique de suivi de contour a pour objectif d'extraire des informations séquentielles
et spatiales précises. Les explorations audiovisuelles partagent des traitements
communs avec la modalité haptique. Les perceptions haptique (procédure de suivi de
contour) et auditive (son de la lettre) impliquent un traitement analytique alors que les
perceptions haptique (procédure d'enveloppement) et visuelle impliquent un traitement
plus holistique et global (Hatwell et al., 2000). La différence de traitement (analytique
versus global), relative aux spécificités fonctionnelles des modalités sensorielles et aux
types de procédure exploratoire, pourrait rendre compte partiellement des difficultés
des enfants à connecter l'écrit et l'oral (Bara et al., 2004). De plus, les vitesses de
maturations non synchrones des modalités sensorielles peuvent aussi constituer une
explication possible (Hatwell et al., 2000). En conséquence, l'exploration haptique
implique une perception morcelée des propriétés de l'objet, nécessitant un travail
d'intégration inter-sensorielle en mémoire de travail (réorganisation perceptive et
coordinations) afin d'élaborer une représentation unifiée de l'objet (Revesz, 1950). Bara
et al. (2010 ; études 2 et 3) ont manipulé le type de matériel pour mieux comprendre
l'importance des mouvements exploratoires. Le matériel en creux implique une
procédure de suivi de contour tandis que le matériel en relief amorce une procédure
supplémentaire d'enveloppement. Les effets de ces entraînements étaient évalués sur la
reconnaissance haptique de lettres ou de formes géométriques chez les enfants de 5 ans.
Les résultats indiquent qu'une exploration haptique intégrant un double traitement
(analytique et global) apparaît plus efficace qu'un traitement unique (analytique ou
global ; voir aussi Labat, Vallet, Magnan, et Ecalle, 2015). Afin d'optimiser
l'apprentissage des lettres, des consignes précises relatives au type de procédure
exploratoire de la forme et/ou la présentation d'un matériel spécifique (lettres en creux
versus relief) apparait donc être une voie intéressante pour amorcer les traitements les
plus efficaces. Néanmoins, le rôle des procédures en fonction du type de modalité
sensorielle mériterait d'être approfondi (Labat et al., 2015).
Plusieurs travaux expérimentaux montrent que l'ajout d'une exploration haptique des
lettres amplifie le rythme d'acquisition de la lecture auprès d'enfants français de 5 ans
(Gentaz, Colé et Bara, 2003 pour l'étude princeps). Bara, Gentaz, Colé et Sprenger-
Charolles (2004) ont testé l'importance du traitement séquentiel du mouvement
haptique sur l'élaboration des connaissances. Les auteurs comparent les effets de trois
entraînements : HVAM (Haptique-Visuel-Auditif- Métaphonologique), VAM (Visuel-
Auditif-Métaphonologique) et VAM-séquentiel (VAM-seq ; observation d'écriture de
lettres à vitesse constante sur un écran d'ordinateur). L'amélioration supérieure en
décodage avec l'entraînement HVAM suggère un effet de la modalité haptique. De plus,
la nature des mouvements (vitesse constante versus naturelle d'écriture) ne semble pas
nuancer l'effet. En ce sens, un apprentissage par observation des mouvements naturels
d'écriture ne constitue pas un apport supplémentaire pour acquérir le principe
alphabétique (Hillairet de Boisferon, Bara, Gentaz, et Colé, 2007). Avec des enfants de
5 ans à risque de difficultés, l'entraînement multi-sensoriel s'avère aussi bénéfique sur
les compétences préparatoires à la lecture en fin de grande section de maternelle (lettres
et phonologie ; Bara, Gentaz et Colé, 2007). Ces progressions stimuleraient le
développement des capacités de décodage au cours préparatoire. Des effets positifs sont
aussi mis en évidence avec d'autres dispositifs. Bradley et Bryant (1983, 1985) entraînent
à la catégorisation de sons des enfants de 5–7 ans faibles en habiletés phonologiques.
Les deux groupes diffèrent sur la présence (manipulation de lettres en plastique et
connexions écrit-oral) versus absence de support écrit. Les performances en lecture-
écriture sont supérieures lorsque le groupe bénéficie d'un apprentissage avec motricité
manuelle. De plus, un maintien des connaissances en mémoire est observé pour le
groupe expérimental huit mois après. Enfin, l'exploration haptique pourrait être
également bénéfique avec des personnes en grandes difficultés de lecture. Dans une
étude de cas avec un enfant porteur de trisomie 21, Labat, Ecalle, et Magnan (2013)
relèvent une progression des scores en reconnaissance haptique de lettres, mais aussi
des difficultés de transfert pour les reconnaître visuellement. Ce type de travaux
mériterait d'être approfondi auprès d'un échantillon plus important.
L'exploration visuo-haptique améliore aussi l'écriture avec des enfants de 5 ans : sur
la qualité (Bara et al., 2010 ; Bara et Gentaz, 2011), la production écrite (Labat, Magnan,
et Ecalle, 2011 ; Labat et al., 2015) et la fluence (Palluel-Germain, Bara, Hillairet de
Boisferon, Hennion, Gouagout et Gentaz, 2007). Palluel-Germain et al. (2007) étudient
l'effet du dispositif Télémaque : il consiste à attirer le stylo dans la direction correcte
d'écriture et fournit par ce biais des feed-backs visuels et tactilo-kinesthésiques correctifs
à l'enfant. Au cours du développement de l'écriture chez l'enfant, ces deux types de feed-
back sont impliqués pour contrôler les mouvements d'écriture de manière rétroactive.
L'augmentation de la fluence en production écrite de lettres cursives (mesures
dynamiques : vitesse, pics de vélocité et pauses) est supérieure avec l'entraînement
multi-sensoriel comparé à un entraînement visuel (copie de lettres sur papier ou
ordinateur). Néanmoins, la production écrite de mots requiert non seulement
l'acquisition du geste graphique, mais aussi la connaissance des correspondances
graphophonologiques. En ce sens, Labat et al., (2011, 2015) ont montré un effet positif
d'une exploration visuo-haptique sur les performances en production écrite de pseudo-
mots chez les enfants de 5 ans.
L'ensemble de ces études s'accorde sur l'effet bénéfique d'une exploration haptique
sur l'apprentissage de la lecture-écriture. Elle renforcerait le développement des
connexions écrit-oral (hypothèse d'un bond-effect selon Fredembach, Hillairet de
Boisferon et Gentaz (2009). Il est possible d'envisager que son effet soit modulé par
plusieurs facteurs inhérents aux modalités sensorielles (vitesse de maturation ; Hatwell
et al., 2000), à l'environnement (type de procédure exploratoire déclenché par le matériel
présenté à l'enfant ; Bara et al., 2010), et à la connaissance du domaine (sélection de
stratégies ; Alexander et al., 2002).

Le rôle d'une exploration graphomotrice


Plusieurs travaux soulignent le rôle d'une autre exploration kinesthésique, l'exploration
graphomotrice (surlignage ou copie), sur l'apprentissage des lettres et de la lecture-
écriture. Longcamp et collaborateurs ont comparé deux apprentissages (écriture au
clavier versus manuscrite) chez les enfants de 3, 4 et 5 ans (Longcamp, Zerbato-Poudou
et Velay, 2005) et chez les adultes (Longcamp, Boucard, Gilhodes, et Velay ; 2006).
L'écriture manuscrite implique une progression supérieure en reconnaissance des
lettres/symboles (orientation), comparée à l'apprentissage au clavier avec des enfants de
5 ans et des adultes. En revanche, à 3–4 ans, l'efficacité des deux apprentissages ne
diffère pas. Le manque de maturité du geste graphique pourrait expliquer la faible
sensibilité à l'apprentissage à l'écriture manuscrite. En ce sens, la sensibilité au type
d'exploration kinesthésique (haptique ou graphomotrice) semble dépendre de l'âge des
enfants (Labat, Ecalle et Magnan, 2010). A 3 ans, une exploration haptique semble plus
efficace qu'une exploration graphomotrice pour apprendre les lettres. Un profil inverse
est mis en évidence à 5 ans : la sensibilité à l'entraînement graphomoteur est plus
importante qu'avec l'entraînement haptique. Dans le domaine de la neurospychologie,
Seki, Yajima, et Sugishita, (1995) ont étudié l'effet d'une rééducation de lecture
kinesthésique fondée sur le traçage des lettres au doigt et au crayon chez deux patients
alexiques. Une amélioration de la précision en lecture de lettres et de mots simples, sans
que les mouvements kinesthésiques soient réalisés simultanément, est mise en évidence.
Avec des patients aphasiques, Lott, Carney, Glezer, et Friedman (2010) identifient
également une progression de la vitesse de la lecture lettre-à-lettre grâce à une
rééducation similaire.
Vinter et Chartrel (2010) soulignent que les mouvements d'écriture facilitent
également les performances en copie de lettres cursives chez les enfants de 5 ans. Les
auteurs comparent les effets de trois entraînements sur les modifications de paramètres
dynamiques. L'entraînement visuo-moteur (c'est-à-dire l'observation d'écriture de
lettres et la copie) est le plus efficace pour améliorer l'automatisation du geste
graphique (augmentation de la vitesse d'écriture et diminution du nombre de pics de
vélocité). D'un côté, l'entraînement visuel (l'observation) améliore la forme générale de
la lettre et, d'un autre côté, l'entraînement moteur (la copie) favorise la fluence des
mouvements exécutés. De plus, Graham, Harris et Fink (2000) ont évalué les effets
d'une instruction graphomotrice sur le tracé de lettres auprès d'enfants anglophones de
6 ans en difficultés d'écriture. Les entraînements comportent diverses activités :
récitation de l'alphabet, reconnaissance de lettres, copie de phrases contenant plusieurs
exemplaires de la lettre cible, production écrite de la lettre (longue et grande, courte et
large, lettre incluse dans un dessin). Le groupe expérimental obtient des performances
supérieures à celles du groupe contrôle (entraînement phonologique) en dénomination
et en production écrite de lettres après l'entraînement et 6 mois plus tard. Labat et al.
(2011) comparent trois entraînements avec des enfants de 5 ans faibles connaisseurs des
lettres. Les progressions après les explorations haptique (toucher la lettre avec l'index)
et graphomotrice (surligner la lettre avec un crayon) ne diffèrent pas en écriture de
pseudo-mots (1 mois après le pré-test). En revanche, la présence de consignes
exploratoires (lettres en creux) pourrait constituer un facteur supplémentaire
permettant d'enrichir un entraînement (figure 21.1). À moyen terme (6 mois), un effet
différé de l'exploration graphomotrice est identifié, suggérant qu'elle est plus efficace à
5 ans pour apprendre à écrire (voir aussi Labat et al., 2010). Labat, Ecalle, Baldy, et
Magnan (2014) démontrent aussi l'apport d'une exploration graphomotrice avec des
enfants de 5 ans faibles connaisseurs de lettres. Dans cette étude, une approche
différentielle est proposée en comparant les trajectoires développementales de faibles
versus bons connaisseurs de lettres.

FIGURE 21.1 Exemple de matériel (lettre « p ») qui diffère sur le


type d'exploration (haptique – b et c –versus graphomoteur – a) et
sur les consignes d'exploration (présence – a et c – versus absence
– b –). Labat et al., 2011.
Peu de recherches ont précisé les effets spécifiques d'une exploration haptique et
graphomotrice (Labat et al., 2011 ; 2014). En effet, le contenu des entraînements concerne
souvent des tracés au doigt et au crayon. L'étude récente de Labat et al. (2015) a comparé
les effets de cinq entraînements multi-sensoriels de lettres (visuel, haptique,
graphomoteur, visuo-haptique et visuo-graphomoteur) auprès d'enfants de 5 ans. Les
entraînements qui comportent une exploration kinesthésique supplémentaire à la vision
(haptique ou graphomotrice) apparaissent plus efficaces pour apprendre les
correspondances graphèmes-phonèmes. En revanche, le geste graphique est mieux
intégré grâce à l'entraînement visuo-graphomoteur car l'enfant bénéficie d'un feed-back
visuel pendant le tracé. Ainsi, l'intégration du geste avec cet entraînement contribuerait
à expliquer les performances supérieures en production écrite de pseudo-mots,
comparativement à l'entraînement visuo-haptique (Labat et al., 2011).
Dans l'ensemble, ces études plaident en faveur de l'importance de l'action motrice sur
la forme de la lettre pour apprendre à lire-écrire. Dans une perspective de prévention et
de remédiation des difficultés, l'entraînement multi-sensoriel, où le tracé des lettres est
au doigt ou au crayon, favorise l'acquisition de la lecture. De plus, le tracé au crayon
constitue une voie privilégiée pour apprendre à écrire, car l'intégration du geste
pourrait libérer des ressources cognitives. L'effet amplifié des entraînements multi-
sensoriels sur les performances nous amène à nous questionner sur la nature de
l'encodage et de l'organisation des connaissances en mémoire. Certains facteurs
intégratifs pourraient renforcer les connaissances, tels que l'association orale de
consignes d'explorations suivant le sens conventionnel de l'écriture (Labat et al., 2011).
Auprès d'adultes, Danna et al. (2014) ont aussi montré qu'un feed-back auditif sur des
mesures cinématiques en temps réel pendant l'écriture de caractères favorise la fluence
des mouvements d'écriture des caractères appris et le transfert à ceux qui ne l'étaient
pas.

Vers une cognition incarnée


Contrairement à l'approche classique de la cognition où les connaissances sont
abstraites en mémoire (amodale), une autre approche (modale) consiste à proposer des
liens étroits entre les systèmes cérébraux, sensoriels et moteurs. Varela, Thompson et
Rosch (1993) postulent une inscription corporelle de l'esprit où le développement de la
cognition résulte de l'interaction du sujet et de l'environnement (voir aussi Glenberg,
1997). L'énaction désigne l'émergence de la connaissance suite à cette interaction. D'un
côté, la perception guide l'action, et d'un autre côté, l'environnement façonne la
construction des connaissances. Ainsi, l'interaction des capacités de traitement sensoriel
et de contrôle moteur du sujet avec l'environnement déterminerait la nature des
capacités cognitives (Wilson, 2002). Plus récemment, Barsalou (2008) propose une
approche incarnée de la cognition dans laquelle il souligne que l'expérience du corps,
du monde et de l'esprit implique une captation des propriétés perceptives, motrices, et
introspectives, via les modalités sensorielles, pour favoriser l'émergence d'une
représentation multi-modale. La présentation ultérieure d'une propriété active la
représentation multi-modale élaborée grâce aux expériences passées et simule sous
forme d'image mentale les autres propriétés. En d'autres termes, la cognition est
incarnée, car il s'agit d'une intégration d'états externes (perception) et internes
(proprioception, émotion), via l'action (Kiefer et Trumpp, 2012). L'approche incarnée
des connaissances en mémoire concernerait plusieurs domaines, et notamment
l'éducation : lecture et écriture, mémoire des évènements (épisodique), mémoire
conceptuelle des évènements (objets), et mémoire conceptuelle des nombres.
Les recherches comportementales plaident en faveur d'une représentation
multimodale et incarnée des lettres. Un constat similaire pourrait être fait grâce aux
études évaluant l'impact des expériences vécues en neurosciences (neuro-imagerie) et
en neuropsychologie. L'étude de lésions sur le cortex moteur ou sensoriel renseigne sur
les autres aires impliquées durant la tâche et la plasticité (cas des patients alexiques ;
Seki et al., 1995). Les progressions comportementales s'accompagnent de modifications
de la représentation neuronale (Longcamp, Boucard, Gilhodes, Anton, Roth, Nazarian
et Velay, 2008). Les enregistrements IRMf montrent une activation des aires pré-
motrices, sans l'exécution du mouvement d'écriture (action), lors de la perception
visuelle de la forme. De nombreux travaux soulignent que ces aires sont également
mobilisées pendant l'imagerie mentale et l'observation d'actions (perception). D'autres
types de relations d'activation inter-sensorielle peuvent être identifiés dans la
littérature, suggérant aussi que les propriétés d'une représentation sont distribuées sur
le réseau neuronal. Par exemple, Bangert et al. (2006) montrent qu'une exécution
silencieuse de mouvements de doigts sur un piano active les aires auditives chez les
pianistes professionnels. L'ensemble de ces travaux plaide en faveur de la nature
modale des connaissances en mémoire. De ce point de vue, la connaissance des lettres
pourrait être vue comme l'intégration de propriétés sensori-motrices en une
représentation unifiée multimodale. Les correspondances grapho-phonologiques mises
en œuvre durant la lecture-écriture seraient une illustration des connexions inter-
sensorielles de cette représentation.
Afin de mieux comprendre l'effet des entraînements multi-sensoriels, Labat et al.
(2015) suggèrent que les lettres seraient des objets spécifiques de connaissance et
proposent une modélisation se situant dans le domaine de la mémoire pour expliquer
l'émergence de la connaissance des lettres. L'originalité réside dans l'ambition de relier
deux grands domaines théoriques souvent distincts, l'apprentissage de la lecture-
écriture et la mémoire. Le modèle de mémoire à long terme Act-In (Activation-
Intégration développé par Versace et collaborateurs (Versace, Labeye, Badard, et Rose,
2009 ; Versace, Vallet, Riou, Lesourd, Labeye, et Brunel, 2014) postule que la
connaissance des objets est multimodale, dynamique, fonctionnelle et situationnelle. Les
traces mnésiques sont multimodales, car elles sont ancrées dans les composantes
motrice, sensorielle (perception et action) et émotionnelle. Les traces ne sont pas
stockées dans un système mnésique unique, mais ses propriétés sont distribuées à
travers le système neuronal. L'émergence des connaissances est dynamique, car elle est
contrainte par la situation présente, la nature de la tâche et le but du sujet. Dans cette
modélisation, deux mécanismes rendraient compte de l'émergence de la trace
mnésique : l'activation interactive (diffusion inter- et intra-trace) et l'intégration.
L'activation inter-trace représente la propagation de l'activation initiale (perception) aux
propriétés similaires des autres traces mnésiques. L'activation intra-trace renvoie à la
propagation de cette trace vers les autres propriétés (présentes ou absentes durant
l'expérience présente). L'expérience actuelle permet l'émergence d'une nouvelle trace
épisodique où les nouvelles propriétés seront intégrées à l'ancienne trace. Ainsi, la
distinctivité de la trace mnésique (par rapport aux autres traces) sera dépendante des
expériences du sujet avec son environnement et des propriétés déjà représentées sur le
réseau. En d'autres termes, l'ajout d'expériences haptique et graphomotrices pendant
l'apprentissage faciliterait l'intégration et l'activation ultérieure des propriétés en
mémoire, bien que ces propriétés ne soient requises directement dans la tâche. Des
études sont en cours afin de préciser la possibilité d'une telle approche pour
comprendre l'apprentissage des lettres.

Conclusion
Il est remarquable que la méthode pédagogique Montessori (1915), élaborée il y un
siècle, prônant une approche multi-sensorielle pour favoriser les apprentissages, trouve
écho dans les travaux expérimentaux en psychologie cognitive du développement, en
neuropsychologie et en neuro-imagerie.
Se pose toutefois la question plus générale de l'intérêt d'une approche pédagogique
inspirée des travaux de Montessori (1915). Lilliard et Else-Quest (2006) comparent le
bénéfice des méthodes d'éducation Montessori à celui des méthodes éducatives
conventionnelles avec des enfants de 5 ans. Ils montrent des performances supérieures
en phonologie, en lecture de mot et en mathématiques chez les enfants « Montessori ».
Néanmoins, aucune différence n'est mise en évidence entre les méthodes éducatives
conventionnelles et les méthodes Montessori « modifiées » (adaptation de la méthode
initiale). En conséquence, la qualité de l'implémentation des programmes Montessori
(séquences pédagogiques, matériel sensoriel, etc.) peut expliquer les différences
observées entre les classes (Lilliard, 2012).
Les travaux récents révèlent qu'apprendre les lettres en associant une modalité
kinesthésique (toucher ou tracer les lettres) aux modalités visuelle et auditive (son des
lettres) constitue des conditions optimales pour apprendre à lire-écrire. Les concepts de
la cognition incarnée offrent un cadre théorique pertinent pour envisager d'autres pistes
de recherche et étayer ce qui n'était au début chez Maria Montessori qu'une intuition. Il
s'agira désormais de mieux comprendre les processus sous-jacents à l'approche multi-
sensorielle, stimulant les apprentissages, la remédiation ou la réhabilitation.

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CHAPITRE 22

Le développement de la compréhension
Sabine Guéraud; Carine Royer

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Qu'est-ce que comprendre ?
Le développement des habiletés sous-tendant la compréhension
Évaluer la compréhension en situation de lecture
Perspectives : vers l'étude des processus mis en jeu au cours de l'activité de
compréhension
Conclusion

Introduction
La maîtrise de la langue orale et écrite constitue un des enjeux principaux de la
scolarisation dans notre société actuelle. L'Observatoire national de la lecture (ONL)
rapporte clairement, en accord avec les textes officiels (Horaires et programmes de
l'école primaire, BO n°3, 19 juin 2008) qu'apprendre à lire, c'est apprendre à comprendre
le message véhiculé par l'auteur. Cependant, une enquête menée lors des Journées
d'appel de préparation à la défense (JAPD) par De La Haye, Gombert et Rivière (2009) a
montré que 21,6 % des jeunes étaient des lecteurs inefficaces et qu'ils n'accédaient pas à
la compréhension d'un texte simple. De même, Cain et Oakhill (2006) soulignent que 10
à 15 % des enfants présentent des difficultés de compréhension de textes écrits (et
oraux) alors qu'ils ne rencontrent aucune difficulté à accéder au sens des mots qui
composent ces textes. Aussi, mieux comprendre les processus cognitifs impliqués dans
la compréhension en lecture chez l'enfant constitue un enjeu central. Ainsi, le présent
chapitre propose dans une première partie un état des lieux des recherches sur le
développement des habiletés de compréhension chez l'enfant afin de rendre compte des
difficultés.
Si déterminer les habiletés centrales dans le développement des compétences en
compréhension est la préoccupation majeure des chercheurs dans ce domaine, un
ensemble de publications récentes a contribué à faire émerger une seconde
préoccupation tout aussi importante à savoir celle de l'évaluation de la compréhension
que ce soit dans le cadre scolaire, thérapeutique ou dans celui de la recherche (Cutting
et Scarborough, 2006 ; Fletcher, 2006 ; Keenan, Betjemann, et Olson, 2008 ; Pearson et
Hamm, 2005 ; Sabatini, Albro, et O'Reilly, 2012 ; van den Broek et Espin, 2012). Comme
nous le développerons dans un second temps, cette seconde préoccupation n'est pas
sans conséquence sur le bilan que l'on peut faire des résultats obtenus jusqu'à
maintenant. Les évaluations de la compréhension tant dans le cadre scolaire que dans
celui de la recherche laissent de côté tout un champ de connaissances nécessaires à un
examen approfondi du développement des habiletés de compréhension : celui du
déroulement de l'activité de compréhension elle-même et ainsi des processus cognitifs
qui la sous-tendent.

Qu'est-ce que comprendre ?


Les composantes de la lecture
Comprendre un texte est une activité cognitive complexe qui repose sur la coordination
de deux principaux ensembles de compétences : des compétences de décodage
nécessaires à l'identification des mots présentés dans le texte et des compétences
relatives à l'habileté à comprendre c'est-à-dire à construire la signification de ce qui est
véhiculé par le texte (Gough et Tumner, 1986). Si pendant de nombreuses années, les
recherches se sont principalement focalisées sur le développement des compétences de
décodage, réduisant ainsi trop souvent l'apprentissage de la lecture à une activité de
décodage, la littérature actuelle témoigne de la prise de conscience de la nécessité de
s'intéresser tout autant au développement des compétences en compréhension. En effet,
l'idée selon laquelle l'automatisation du processus d'identification des mots constitue un
enjeu crucial, mais non suffisant pour permettre la finalité de la lecture à savoir
comprendre un texte est maintenant largement partagée (Perfetti et Adlof, 2012 ;
Perfetti, Landi et Oakhill, 2008 ; Wagner, Schatschneider, Phythian-Sence, 2009).
Cette idée a notamment été mise en avant par Hoover et Gough (1986, 1990) dans leur
approche qualifiée de Simple view of reading, approche dans laquelle ces auteurs
conçoivent la compréhension en situation de lecture comme étant le produit de ces deux
compétences (c'est-à-dire, L = I x C). De cette approche découle un postulat majeur sur
lequel reposent les recherches récentes : la composante décodage et la composante
compréhension constituent deux composantes distinctes dont la trajectoire
développementale est à envisager en parallèle (voire en interaction à certains moments
du développement) et non plus de façon séquentielle. Ce postulat implique deux
principales hypothèses qui guident les recherches actuelles :
• des habiletés langagières différentes sous-tendraient chacune des composantes ;
• la composante compréhension se développerait avant même que l'enfant entre dans
l'apprentissage du langage écrit.
Les études réalisées afin de déterminer les habiletés qui sous-tendraient le
développement des compétences de décodage et celles de compréhension apportent des
éléments concordants avec la première hypothèse. Les très nombreuses recherches
relatives à l'apprentissage de l'identification des mots écrits, telles que les études
corrélationnelles (Puolakanaho et al., 2007) et longitudinales sur l'effet positif
d'entraînements (Labat, Ecalle et Magnan, 2010, 2013 ; Labat, Magnan et Ecalle, 2011)
apportent des données convergentes vers deux principales habiletés déterminantes : les
habiletés phonologiques et la reconnaissance des lettres. Quant aux recherches menées
sur la composante compréhension, elles mettent en avant trois facteurs déterminants : le
vocabulaire, les connaissances et habiletés syntaxiques et les connaissances et habiletés
discursives (Oakhill et Cain, 2012). De plus, en accord avec la seconde hypothèse, des
études récentes attestent du développement précoce de certaines des habiletés mises jeu
dans l'activité de compréhension comme notamment la production d'inférences
(Kendeou, Bohn-Gettler, White, et van den Broek, 2008 ; Kendeou, Lynch, van den
Broek, Espin, White, et Kremer, 2005). Parce que le présent chapitre porte
spécifiquement sur la composante compréhension, et plus spécifiquement sur les
connaissances et habiletés discursives, nous ne développons ci-après que ces derniers
éléments.

La composante compréhension
Les recherches menées dans le champ de la compréhension de textes depuis plusieurs
décennies, que se soient auprès d'une population adulte ou sous un angle
développemental admettent deux postulats majeurs largement partagés. Le premier
postulat stipule que comprendre un texte consiste pour l'individu à construire une
représentation mentale de la situation évoquée par le texte (van Dijk et Kintsch, 1983).
Cette représentation mentale renvoie au construct de Modèle de situation ou de Modèle
mental (Johnson-Laird, 1983). La construction de cette représentation résulterait d'une
intégration des éléments explicitement fournis par le texte aux connaissances générales
de l'individu. Le second postulat admet que la représentation élaborée par le lecteur
doit être cohérente. La cohérence renvoie ici à l'idée selon laquelle les éléments
(événements, états et faits) qui participent à cette représentation doivent être reliés les
uns aux autres au sein de la représentation. Cette représentation peut être
conceptualisée ‘as a network of events, states and facts that are connected by meaningful
relations' (van den Broek et Gustasfon, 1999, p. 21). Dans cette perspective, le
développement des habiletés de compréhension en situation de lecture est envisagé
comme le développement des capacités qui sous-tendent la construction d'un modèle
de situation cohérent le plus adéquat et le plus riche possible.
La littérature chez l'enfant fait référence à trois capacités fondamentales à
l'élaboration d'une telle représentation mentale (en dehors de l'aspect décodage des
mots écrits qui y participe, mais est loin d'être suffisant) : la capacité à produire des
inférences, les capacités de métacompréhension et les connaissances textuelles et
métatextuelles. En effet, il a été montré une corrélation positive entre le développement
de ces capacités et le développement des habiletés de compréhension en situation de
lecture (Cain, Oakhill, et Bryant, 2004 ; Oakhill, Cain et Bryant, 2003). De plus, comme
nous allons le voir, ces capacités constituent les principales sources explicatives des
difficultés de compréhension des enfants dits faibles compreneurs1 (Cain et Oakhill,
2006 ; Perfetti, Landi et Oakhill, 2008).
Le développement des habiletés sous-tendant la
compréhension
La capacité à produire des inférences
La production d'inférence constitue un processus majeur de l'activité de compréhension
en situation de lecture. En effet, comprendre un texte nécessite – le plus souvent –
d'aller au-delà de ce qui est explicitement exprimé et de « remplir les trous »
volontairement laissés par l'auteur. C'est alors au lecteur que cette tâche revient et pour
cela, il produit des inférences, c'est-à-dire qu'il relie les informations du texte entre elles
et ajoute des informations sur la base de ses connaissances générales. Cette capacité à
production d'inférence constitue alors une fonction essentielle à la construction de la
cohérence de la représentation. Prenons en exemple une des phrases utilisées par
Garnham (1981) : « La fille s'est fait voler son sac chez le pédicure ». Comprendre que le
sac mentionné dans la phrase appartient à la fille mentionnée au début repose sur la
création d'un lien entre ces deux entités. Il s'agit ici d'une inférence qualifiée de
nécessaire dans la mesure où sans la création de ce lien, on ne peut pas dire qu'il y ait
compréhension de ce qui est véhiculé par la phrase. Mais le lecteur peut également
produire d'autres types d'inférences sur la base de ses connaissances générales. Ainsi,
on peut supposer que la majorité d'entre nous infère que le vol a eu lieu dans une pièce,
probablement la salle d'attente et non dans la rue, car nous savons qu'un pédicure
exerce en général dans un cabinet. Cependant, la compréhension de la phrase ne
dépend pas de la production d'une telle inférence. Ce type d'inférence est alors qualifié
d'inférence élaborative dans la mesure où sa production vient enrichir notre
représentation de la situation évoquée par le texte, mais ne constitue pas un élément
participant à la construction de sa cohérence.
Barnes, Dennis et Haefele-Kalvaitis (1996) ont examiné la capacité d'enfants âgés de 6
à 15 ans à produire des inférences nécessaires et des inférences élaboratives lors de la
compréhension d'un récit. Afin de s'assurer que les différences observées – si
différences il devait y avoir – entre les différents groupes d'âge pourraient être
interprétées en termes de capacité inférentielle et non de développement des
connaissances générales, une première phase de l'étude visait à harmoniser les
connaissances des participants. En effet, avant la lecture d'un récit se déroulant sur une
planète inconnue, la planète « Gan », les participants devaient apprendre un ensemble
de faits relatifs à la vie sur cette planète (sur Gan, les tortues ont des patins à glace. Sur
Gan, la fourrure des Ours est bleue, etc.). La compréhension du récit présenté lors de la
deuxième phase de lecture nécessitait l'utilisation de certaines de ces connaissances
préalablement apprises. Dans la troisième et dernière phase, la production d'inférences
était testée à partir de questions ouvertes portant sur des informations du texte, sur des
inférences nécessaires à la compréhension et enfin sur des inférences élaboratives. Deux
principaux résultats ressortent de cette étude :
• quel que soit l'âge des participants, ils produisent plus d'inférences nécessaires à la
compréhension que d'inférences élaboratives ;
• la capacité à produire ces deux types d'inférences augmente avec l'âge. Reprenant le
principe de cette étude, Cain, Oakhill, Barnes et Bryant (2001) ont également montré
que des faibles compreneurs obtenaient des performances inférieures sur les deux
types d'inférences.
Ainsi, l'ensemble de ces résultats suggèrent que les capacités inférentielles participent
au développement des habiletés de compréhension et ce indépendamment du
développement des connaissances nécessaires à leur production. De plus, cette capacité
constituerait une des sources potentielles des difficultés de compréhension des enfants
dits faibles compreneurs.
Parallèlement des études récentes ont examiné les capacités inférentielles des jeunes
enfants, avant l'entrée dans l'écrit. Kendeou, Bohn-Gettler, White, et van den Broek
(2008) ont notamment réalisée une étude longitudinale avec des enfants âgés de 4 à
8 ans dans laquelle ils ont examiné la production d'inférences à partir de différents
supports narratifs : des récits oraux, des récits télévisuels et des récits lus. Leurs
principaux résultats montrent d'une part une corrélation importante entre la capacité à
produire des inférences à partir des différents supports et d'autre part, que les capacités
à 4 ans et 6 ans sont prédictrices des habiletés de compréhension à 6 ans et à 8 ans
respectivement. Cette étude suggère ainsi que la capacité à produire des inférences se
développerait dès le plus jeune âge, avant l'entrée dans l'écrit.
Si de l'ensemble des travaux se dégagent les grandes lignes du développement de ces
capacités, les méthodes utilisées, sur lesquelles nous reviendrons dans notre deuxième
partie, ne permettent pas actuellement de déterminer à partir de quel âge l'enfant est en
mesure de produire spontanément ces inférences au cours de la lecture. Les études
actuelles nous indiquent seulement de quelles capacités inférentielles l'enfant dispose
lorsqu'il est incité à produire une inférence.

Les capacités de métacompréhension


Les capacités de métacompréhension correspondent à ce que l'on regroupe sous les
termes d'auto-régulation de l'activité. Elles peuvent être envisagées comme relevant des
habiletés spécifiques à l'activité de compréhension en situation de lecture dans la
mesure où, à l'inverse du traitement du langage oral, l'écrit se caractérise par une
permanence de la trace (Goigoux, 2003). Trois dimensions métacognitives seraient sous-
jacentes à la métacompréhension : la planification, l'évaluation et la régulation (Jacobs et
Paris, 1987 ; Paris et Jacobs, 1984). La planification renvoie à la connaissance des moyens
à mettre en place dans le but d'atteindre les objectifs de la tâche. Dans le cadre de la
compréhension en situation de lecture, elle correspond à l'idée majeure selon laquelle
l'enfant doit avoir assimilé que lire ne se limite pas seulement à décoder les mots, mais
que cette activité vise à comprendre le message véhiculé par le texte. De plus, elle sous-
entend également que l'enfant ait compris que les objectifs de la lecture puissent varier
d'une situation à une autre, et ainsi que les moyens à mettre en œuvre diffèrent lorsque
la lecture a pour visée l'acquisition de connaissances, la recherche d'informations ou
encore le plaisir. La dimension évaluative réside dans le fait d'être capable d'estimer, de
juger de sa propre compréhension afin d'atteindre une compréhension adéquate compte
tenu des exigences de la tâche à réaliser ou de l'objectif que l'on s'est fixé. Enfin, la
régulation concerne le contrôle et la modification de l'activité en cours qui reposent sur
la connaissance et la mise en place de stratégies afin d'atteindre la compréhension
souhaitée.
Les recherches en psychologie relatives au développement de la métacompréhension
sont moins nombreuses et les données parfois contradictoires. Certaines études
indiquent que l'habileté à évaluer sa propre compréhension apparaîtrait tardivement,
l'enfant n'ayant souvent pas conscience qu'il ne comprend pas (Markman, 1979 cité par
Cain, 2010). De plus, Eme et Rouet (2001) rapportent que lorsque des enfants de CE2 et
CM2 reconnaissent avoir eu des difficultés à comprendre certains passages dans un
texte, ils attribuent le plus souvent ces difficultés aux processus attentionnels, aux
processus d'identification des mots ou encore au vocabulaire, mais très rarement aux
processus impliqués dans la compréhension elle-même. D'autres études soulignent au
contraire que la dimension évaluative se développerait plus précocement, mais qu'elle
serait mise en jeu sous des conditions particulières, notamment lorsque l'enfant traite un
texte relatif à un thème qui lui est familier (Skarakis-Doyle, 2002). Enfin, les études dans
lesquelles des consignes d'objectifs de lecture ont été manipulées indiquent que les
faibles compreneurs n'y sont généralement pas sensibles et soulignent ainsi une absence
de prise en considération des objectifs de la tâche (Hacker, 1997 ; Cain, 1999). Une des
interprétations de ces résultats repose sur l'idée que pour les faibles compreneurs
l'objectif de la lecture demeure l'identification des mots écrits, processus auquel ils
alloueraient majoritairement leurs ressources attentionnelles au détriment des
processus mis en jeu dans l'activité de compréhension. Les données rapportées par Cain
(1999) confortent cette interprétation : dans une tâche dans laquelle des enfants de 7–
8 ans devaient choisir le meilleur élève parmi deux propositions, celui qui décode bien
et celui qui connaît le sens des mots, seulement 34,5 % des enfants faibles compreneurs
ont choisi l'élève qui connaît le sens des mots alors même que cet élève est choisi par
71 % des bons compreneurs de même âge. Enfin, il est important de souligner que les
stratégies utilisées par l'enfant lorsqu'il parcourt un texte dans le but de répondre à des
questions s'apparentent fortement à celles auxquelles il a recours lorsqu'il lit le texte
(Goigoux, 2003). Dit autrement, ces habiletés d'auto-régulation seraient mises en jeu non
seulement au cours de la lecture, mais également à nouveau lorsque l'on cherche à
évaluer la compréhension après-coup. Nous développerons davantage ce dernier point
dans la deuxième partie au sein de laquelle nous discuterons de ce que cela implique en
termes d'évaluation de la compréhension.

Les connaissances textuelles et métatextuelles


Les connaissances textuelles et métatextuelles constituent le troisième facteur
déterminant dans le développement des compétences en compréhension. Ces
connaissances fourniraient à l'enfant un cadre ou serviraient de guide au cours de la
lecture l'aidant d'une part à identifier et intégrer les informations principales et
importantes d'un texte et d'autre part à organiser et mettre en relation les éléments
contenus dans les différentes parties du texte. Les études réalisées dans l'objectif
d'examiner l'acquisition de ce type de connaissances ont principalement porté sur les
structures narratives dans la mesure où l'enfant est confronté précocement à la
narration, bien avant l'entrée dans le langage écrit. Les résultats actuels laissent penser
qu'à l'âge de 9 ans, l'enfant a acquis l'ensemble des connaissances relatives aux
principaux éléments constitutifs du schéma narratif ainsi que la manière dont ces
éléments s'articulent (Berman et Slobin, 1994 ; Makdissi et Boisclair, 2004). Des travaux
soulignent parallèlement que dès 3 ans les enfants possèdent des connaissances tacites
sur la manière dont sont structurés les textes narratifs et que l'apparition précoce de ces
connaissances est corrélée avec les habiletés générales de lecture (Cain et Oakhill, 1996 ;
Stein et Albro, 1997). Cependant, certaines recherches mettent en avant que si les
enfants développent précocement des connaissances de type structurel, ce n'est que plus
tard que l'on voit apparaître des connaissances de nature fonctionnelle (Eme et Rouet,
2001). Enfin, l'importance de l'acquisition de ces connaissances dans le développement
des habiletés de compréhension provient une nouvelle fois de la comparaison entre les
bons et les faibles compreneurs : des connaissances moindres relatives aux fonctions des
éléments narratifs ainsi que de leur organisation générale ont été relevées chez les
enfants faibles compreneurs (Cain, 1996 ; Cain et Oakhill, 1996, 2006 ; Yuill et Oakhill,
1991).

Évaluer la compréhension en situation de lecture


Nous tournons maintenant notre propos vers un second élément central relatif à
l'activité de compréhension à savoir comment l'évaluer. Plus précisément, il s'agit dans
cette deuxième partie d'effectuer un examen critique des outils en langue française dont
nous disposons. En effet, la plupart des travaux précédemment cités s'appuient en
partie sur l'utilisation de batteries d'évaluation de la compréhension écrite, comme
notamment les études comparatives entre bons et faibles compreneurs. La question
posée ici est la suivante : dans quelle mesure les méthodes actuelles mesurent-elles la
compréhension et peuvent-elles être considérées comme équivalentes ? Cette question
découle d'un ensemble d'études récentes en langue anglaise qui ont tenté d'y apporter
des éléments de réponse et desquelles il ressort que les scores obtenus à différents tests,
tous censés refléter la capacité d'un enfant à comprendre un texte, sont souvent
modestement voire faiblement corrélés (Keenan et al., 2008). Ce résultat interroge ainsi
sur ce qui est exactement évalué par chacun des outils s'ils conduisent à des scores de
compréhension différents pour un même enfant. Dit autrement, cela signifie que le
score obtenu par un enfant à différents tests peut conduire dans un cas à le considérer
comme présentant de faibles capacités à comprendre alors que dans un autre il pourra
être considéré comme possédant des capacités de compréhension normale. La question
est alors de savoir qu'est-ce qui, dans la constitution des outils d'évaluation, fait
émerger une telle variabilité ? Trois principaux éléments sont proposés comme facteurs
explicatifs de variabilité entre les tests :
• la modalité de lecture qui peut être soit prise en charge par un adulte, soit faite de
manière autonome par l'enfant ;
• le type de support écrit qui peut concerner le type de textes (expositif, narratif, etc.)
ou la longueur des textes (phrase, textes courts, textes longs, etc.) ;
• la modalité d'évaluation de la compréhension (choix d'images, questions à choix
multiples, question ouverte à réponse courte, restitution, closure2).
Nous proposons ci-après une analyse des outils d'évaluation de la compréhension en
langue française afin d'examiner dans quelle mesure nous pouvons également y
retrouver une telle variabilité et exposons ensuite les raisons qui font que ces éléments
peuvent être source de variation dans l'évaluation de la compréhension.

Les batteries d'évaluation de la compréhension écrite


en langue française
Concernant la langue française, nous pouvons dénombrer cinq principales batteries
couramment utilisées dans l'objectif d'évaluer la compréhension écrite : L2MA-2,
Batelem-R, Écosse, LMC-R et Orlec3. Nous nous attachons à examiner pour chacune de
ces batteries uniquement les tests ou épreuves se réclamant exclusivement de la
compréhension écrite.
La L2MA-2 (Chevrie-Muller, Maillart, Simon et Fournier, 2010), destinée aux enfants
de 8 ans ½ à 10 ans ½, est constituée d'épreuves portant sur des compétences très
différentes, l'objectif des auteurs étant de fournir un profil riche des capacités des
enfants. Concernant la compréhension écrite, 4 groupes d'épreuves sont concernées. Les
épreuves 15 et 16 regroupées sous le titre « Lecture-Puzzle » se basent sur la lecture d'un
même texte et selon, les auteurs, testent « le processus de lecture dans son intégralité,
processus qui inclut évidemment la compréhension du texte ». La « Lecture-Flash »,
basée sur la lecture et la compréhension d'une série de phrases, regroupe les
épreuves 18 à 20, constituées de trois mesures différentes (score de réussite, temps, note
pondérée) liées à une même tâche. Les épreuves 33 et 34 dites « Lecture-Compréhension
– Les Ours » s'appuient sur une même histoire, mais de longueur différente selon le
public visé (CE2 pour l'épreuve 33, CM1-CM2 pour l'épreuve 34) et demandent aux
enfants d'apparier un récit en images à un récit écrit. Enfin, la dernière épreuve
concernant la compréhension écrite est l'épreuve 35 portant sur la « Lecture-
Compréhension-Morphosyntaxe » et interroge la compréhension de phrases.
La Batelem-R (Savigny, Barbier, Coupey-LeRoy, Girard et Roussel, 2001) constitue
dans notre sélection la plus « scolaire » des batteries. Elle vise l'évaluation de différentes
compétences « pour l'école élémentaire » (cycle 2 et 1re année cycle 3). Parmi ses
différentes épreuves, deux (épreuves 10 et 11) concernent la lecture de textes suivie de
plusieurs tâches évaluant la compréhension de ces récits.
L'Écosse (Lecocq, 1996), destinée aux 4–12 ans, vise à évaluer « la compréhension
d'énoncés de constructions syntaxiques variées » et n'est constituée que d'une seule
épreuve, adaptée d'un test anglophone, le Test for Reception of Grammar, (TROG,
Bishop, 1989). Cette épreuve est présentée soit sous forme orale, soit sous forme écrite
(seule analysée ici) et consiste en une épreuve de compréhension de phrases.
La LMC-R (Khomsi, 1999) est une épreuve d'évaluation de la compétence en lecture
constituée de deux épreuves, une de lecture de mots et une de compréhension (seule
analysée ici). Cette dernière vise à évaluer selon les auteurs « les stratégies de
compréhension des enfants entre 3 et 7 ans » sur la lecture de phrases, comme dans
l'Écosse. L'auteur a réparti le matériel de son épreuve en 3 groupes, Un premier à
« contenu-morpho-syntaxique », un deuxième, à « contenu méta-discursif » et un
troisième à « contenu narratif ».
Enfin, l'Orlec (Lobrot, 1988) est composé de 4 épreuves pour les 6–11 ans afin de
mesurer « la lecture et l'orthographe ». Les épreuves L1, L3 et L4 concernent toutes les
trois la compréhension écrite. Elles réclament la lecture de phrases ou de textes et sont
suivies de tâches de compréhension.
Comme indiqué dans le tableau 22.1, il s'avère que ces batteries présentent des
variations sur les trois éléments précédemment cités et qu'elles peuvent donc faire
l'objet d'une analyse similaire. La variabilité la moins importante concerne la modalité
de lecture pour laquelle nous pouvons constater que tous reposent sur une lecture
silencieuse à l'exception du LMC-R et de l'Orlec-L1. En ce qui concerne le type de
matériel utilisé, une variation plus importante est observée, environ la moitié des
épreuves proposées impliquant une lecture de phrases isolées tandis que l'autre moitié
propose la lecture de textes. Enfin, l'élément sur lequel la variabilité la plus forte
apparaît concerne les modalités d'évaluation de la compréhension. Un premier niveau
de variation se trouve dans le nombre des tests proposés pour évaluer la
compréhension. En effet, si pour certaines l'évaluation de la compréhension repose sur
les résultats obtenus à différentes épreuves (L2MA-2, Batelem-R, et Orlec) pour
d'autres, elle s'appuie sur une seule mesure (Écosse et LMC-R). Un deuxième niveau
concerne le nombre de modalités différentes existantes à travers les tests. L'ensemble
des cinq batteries françaises proposées comporte à elles seules un total de six modalités
d'évaluation. Les trois plus fréquemment utilisées sont le choix d'images, les tâches de
complétion de phrase ou de texte et les questions à choix multiples. Les réponses
nécessitant une production verbale de la part de l'enfant telle que la reconstitution et les
questions ouvertes à réponse courte sont les plus rares.

Tableau 22.1
Analyse des éléments des épreuves en fonction des modalités de lecture, de
matériel et d'évaluation.

L2MA L2MA-Ep L2MA-Ep L2MA-Ep Batelem-R- Batelem-R- Ecosse LMC Orlec L1 Orlec L3 Orlec L4
- 18, 19 33 et 35 Ep 10 Ep 11
Ep et 20 34
15
et
16

Lecture

Oralisée X X

Silencieuse X X X X X X X X X X X

Matériel

Phrase X X X X X

Suite de
phrases

Texte X X X X

Évaluation

Choix X X X X
d'images

Closure X X X X
Choix X X
multiples

Réponse X
courte

Reconstitution X

Vrai/faux X X

Les sources de variations


L'analyse des batteries en langue française les plus couramment utilisées montre ainsi
que celles-ci varient sur les trois éléments explicatifs proposés par Keenan et al. (2008).
Mais en quoi, ces éléments peuvent-ils impacter l'évaluation de la compréhension ?
Le principal impact que peut avoir la modalité de lecture choisie dans un test réside
dans la place plus ou moins grande que cela laisse aux capacités de décodage. En
d'autres termes, le choix du type de présentation peut impliquer une évaluation qui
rend compte des capacités de décodage de l'enfant tout autant que de ces capacités de
compréhension. Par exemple, pour les tests de lecture de phrases tels que celui proposé
dans l'Orlec-L3, l'enfant doit lire le plus vite possible les phrases proposées pour
effectuer la tâche et le score calculé, même en étant basé sur un rapport
vitesse/précision, dépend alors fortement de l'automatisation de leur procédure de
décodage. Même si certains auteurs, notamment dans le L2MA-2, en ont conscience et
précisent que « les capacités de décodage doivent suffisamment être maîtrisées pour
que les processus de compréhension puissent être mis en jeu », ils ne proposent pas
pour autant de tâches qui permettraient de différencier les deux types de processus
(Chevrie-Muller et al., 2010).
Le type de matériel écrit paraît également déterminant et tout particulièrement la
distinction entre compréhension de phrases isolées et compréhension de textes quel que
soit le type de texte. En effet, les tests proposant des phrases mesurent finalement
souvent des capacités de type syntaxique, parfois annoncé comme tel (Écosse ou L2MA-
2, épreuve 35), mais parfois cette information n'est pas explicitement mentionnée (LMC-
R). Autant, Lecocq (1996) présente clairement l'épreuve comme mesurant des
connaissances syntaxiques, autant Khomsi (1999) le précise seulement pour le niveau 1
du test LMC-R (« contenu morpho-syntaxique »), mais n'évoque pas cette
caractéristique pour le matériel dit de niveau 3 (« énoncés à contenu narratif »). Il n'en
demeure pas moins que la compréhension de la phrase « la fille à qui le garçon a tiré les
cheveux a des lunettes » extraite du LMC-R niveau 3 nécessite une forte mobilisation
des connaissances morpho-syntaxiques elle aussi. On peut d'ailleurs noter que le
matériel de ces deux tests est extrêmement proche alors que l'objectif annoncé diffère.
Le recours à des phrases isolées pour évaluer la compréhension limite également leur
portée dans le sens où comprendre un texte ne peut se réduire à la compréhension des
phrases qui le constituent. Ainsi, tout comme les études comparatives concernant les
batteries anglophones l'ont révélé (Keenan et al., 2008), il serait peu surprenant que les
batteries utilisant des phrases pour évaluer la compréhension en français conduisent à
des résultats différents de celles évaluant la compréhension à partir de textes.
La dernière source de variation à l'étude concerne les modalités d'évaluation. Comme
mentionné ci-avant, cette variation relève autant de l'importante hétérogénéité des
modes d'évaluation utilisés que des limites dans l'évaluation même de la
compréhension. Les principales épreuves proposées au travers des batteries françaises
comportent toutes des limites qui pourraient rendre compte de variation intra-
individuelles dans l'évaluation de la compréhension. Premièrement, les tâches de
complétion, qu'elles soient de phrase ou de texte, dépendent souvent tout autant des
capacités de décodage que des capacités de compréhension. Pour illustrer notre propos,
prenons un exemple tiré des épreuves 18-19-20 du L2MA-2. Ici, il est demandé à l'enfant
de clore la phrase suivante « La pluie est tombée toute la nuit, la route » par un des
mots suivants « fouillée, rouillée, mouillée, mouchée, moisie ». Le fait que certains mots
proposés dans ce test de complétion à choix multiples (procédure la plus couramment
utilisée de closure, Cain, 2010) soient très proches à la fois phonologiquement et
orthographiquement engendre un choix de la bonne réponse (au-delà de la lecture de la
phrase comme signifiée au-dessus) qui dépend fortement des capacités de décodage de
l'enfant. Cette remarque s'étend plus largement à tous les tests nécessitant une lecture
correcte de réponses telle que les questions à choix multiples ou questions en Vrai/Faux.
En ce qui concerne l'utilisation d'une procédure par choix d'images, souvent proposée
comme alternative palliant la limite précédemment soulevée, elle biaise également
l'évaluation de la compréhension. En effet, comme déjà relevé par Ecalle (2010), la
présentation d'images peut faciliter l'accès à certains éléments sémantiques du message
du texte que l'enfant n'aurait pas relevés durant sa lecture. Il n'y a alors pas de garanties
que la réponse fournie ne soit pas simplement issue d'une procédure sous forme d'aller-
retour entre la représentation mentale de l'enfant et les éléments qu'il a sous les yeux.
L'image pouvant ainsi constituer une aide à la récupération des informations en
mémoire, il est alors fortement probable qu'elle conduise à de meilleures performances
en compréhension par rapport aux autres modalités d'évaluation de la compréhension.
Quant aux deux derniers modes d'évaluation que l'on retrouve dans les batteries en
langue française (questions à réponse courte et reconstitution), elles impliquent toutes
deux une production sous forme verbale. Leur limite commune se situe dans cette
nécessité à re-traduire verbalement ce qui a été compris de la phrase ou du texte lu, car
cela requiert de la part de l'enfant non seulement d'interroger la représentation mentale
élaborée au cours de la lecture, mais également d'être capable de verbaliser sa réponse.
Si l'on se base sur cette analyse, on peut considérer que les modalités d'évaluation
actuelles, notamment celles qui s'appuient sur des questions, peuvent poser problème
pour trois raisons. Elles ne testent la compréhension qu'indirectement, de manière
différée et surtout présentent un caractère incitateur/générateur.
Elles ne testent qu'indirectement la compréhension parce qu'elles placent l'enfant
dans une situation qui n'implique pas uniquement d'avoir compris le texte pour réussir
la tâche. Aussi, les performances sont autant révélatrices des capacités de
compréhension que des capacités à répondre à des questions de compréhension
(Goigoux, 2003). L'échec face à une question peut donc être interprété comme reflétant
une mauvaise compréhension – comme c'est souvent le cas –, mais tout aussi bien
comme résultant d'une simple difficulté à répondre à la question. Goigoux souligne à ce
sujet que viennent souvent s'ajouter aux difficultés rencontrées lors de la
compréhension du texte, des problèmes spécifiques à l'utilisation même d'un
questionnaire. Le fait que de telles méthodologies n'évaluent la compréhension qu'à
l'issue de la lecture, quant à lui, pose le problème de la différenciation entre la
mémorisation et la compréhension du texte. Sans remettre en question l'idée selon
laquelle la représentation finale stockée en mémoire à long terme est le résultat de
l'activité de compréhension, il n'en demeure pas moins qu'accéder à cette représentation
est un processus qui se surajoute lorsque l'on doit répondre à des questions sur la base
de cette représentation. Encore une fois, de faibles performances peuvent refléter une
compréhension inadéquate, mais peuvent également résulter d'un problème de
récupération au sein de la représentation de l'information requise. Enfin, le dernier
problème repose sur la caractéristique génératrice/incitatrice d'une question c'est-à-dire
sur le fait qu'elle puisse conduire l'enfant-élève à produire l'information nécessaire à
l'élaboration de la réponse au moment même où la question lui est posée. La réussite est
alors révélatrice de la capacité de l'enfant à générer la réponse lorsqu'il est incité à le
faire, mais ne peut être considérée comme reflétant nécessairement la récupération
d'une information préalablement produite au cours de la lecture et stockée au sein de la
représentation finale. Il est alors impossible de déterminer si l'enfant-élève est capable
de mettre en œuvre une telle capacité spontanément au cours de la compréhension. Or,
la question de la spontanéité constitue un aspect crucial dans le développement en
général, mais également plus spécifiquement dans celui des habiletés de
compréhension. En effet, les recherches menées chez l'adulte démontrent que la facilité
à comprendre un texte à l'âge adulte repose en grande partie sur un ensemble de
processus cognitifs mis en jeu spontanément au cours de l'activité de compréhension. Il
semble alors pertinent de supposer que ce n'est qu'à partir du moment où l'enfant-élève
met en œuvre spontanément au cours de la lecture les habiletés de compréhension dont
il dispose que ces habiletés pourront être considérées comme véritablement acquises.
Étudier cette spontanéité ne peut s'effectuer via des méthodes d'évaluation après-coup,
mais requiert une évaluation de ce qui se passe au cours de l'activité de compréhension
via des méthodologies permettant le recueil de données en temps réel à différents
moments au cours de la lecture.

Perspectives : vers l'étude des processus mis en jeu au


cours de l'activité de compréhension
S'il est facilement concevable que dans la pratique enseignante, seul le résultat du
processus de compréhension puisse être évalué, il n'en est pas de même dans le cadre
de la recherche en psychologie. Les performances à des tâches telles que répondre à des
questions littérales ou de types inférentiels, ou effectuer un rappel du texte sont
effectivement, en partie, révélatrices de la qualité de la représentation mentale
construite par le lecteur. Cependant, cette représentation résulte de l'intervention d'un
ensemble de processus cognitifs qui opèrent tout au long de l'activité de
compréhension. Aussi, ce qui détermine réellement la qualité et la richesse de la
représentation élaborée par le lecteur est l'efficacité et/ou l'adéquation des processus
mis en jeu au cours de la lecture. Il semble que les recherches actuelles se doivent d'aller
étudier plus précisément comment se mettent en place les différents processus sous-
jacents à l'activité de compréhension au cours du développement afin, à terme, de
prendre en compte ces éléments dans les évaluations de la compréhension à différents
âges (Perfetti et Adlof, 2012 ; van den Broek et Espin, 2012). Il nous semble ainsi
important, dans cette troisième et dernière partie, de souligner plusieurs points qui
laissent penser que l'étude des processus au cours de la lecture est nécessaire et possible
auprès de la population des enfants.
Premièrement, les processus cognitifs qui sous-tendent l'identification des mots écrits
ont déjà été investigués auprès d'enfants (Colé, Royer, Leuwers et Casalis 2004 ; Marec-
Breton, Besse, et Royer, 2010). Par exemple, des travaux concernant l'étude de la place
de la dimension morphologique (dérivationnelle) de la langue dans l'apprentissage de
la lecture ont été menés. Il s'agissait dans ces études d'apporter des éléments quant à la
question d'un traitement infra ou supra lexical de la structure morphologique des mots
écrits alors débattue, notamment chez le lecteur expert (Colé, Segui et Taft, 1997 ;
Grainger, Colé et Segui, 1991 ; Taft, 1994). Afin de tester l'hypothèse d'un traitement
supra-lexical qui se mettrait en place dès le début de l'apprentissage de la lecture,
une procédure de décision lexicale avec amorçage adaptée aux enfants de CP et de
CE1 a été conçue et a permis d'apporter des éléments en faveur de cette hypothèse (Colé
et al., 2004). De nombreux travaux sur l'influence précoce de la morphologie, sur son
potentiel de remédiation ou son impact sur l'orthographe ont également été réalisés,
suivant ou non une méthodologie dite en temps réel (Brèthes et Bogliotti, 2012 ;
Peereman, Sprenger-Charolles, Messaoud-Galusi, 2013 ; Sanchez, Ecalle et Magnan,
2012).
Deuxièmement, quelques recherches ont été menées auprès d'enfants et d'adolescents
en utilisant des mesures dites en temps réel avec succès (Casteel, 1993 ; Lynch et van
den Broek, 2007 ; Megherbi et Ehrlich, 2004, 2005, 2009 ; Royer et Guéraud, 2011,2012 ;
van den Broek, White, Kendeou et Carlson, 2009). Notamment, Royer et Guéraud (2012)
ont conduit une recherche dont l'objectif était d'examiner si des enfants normaux-
compreneurs de CM2 produisaient spontanément des inférences prédictives au cours
de la lecture. Dans une première étude, à la fin de la lecture de chaque texte
expérimental, les élèves de CM2 étaient invités à répondre à une question testant la
production de l'inférence attendue. Dans une seconde étude, une méthodologie issue de
la littérature chez l'adulte a été adaptée et consistait à interrompre la lecture au moment
où l'inférence était supposée être générée. L'activation de l'inférence était testée via une
tâche de décision lexicale. Les résultats de la première expérience indiquent que
l'inférence cible est très largement présente dans les réponses produites et confirment
ainsi les travaux antérieurs démontrant que lorsqu'une question suscitant la production
d'une inférence est présente, les élèves infèrent massivement ce qui pourrait se passer
dans la suite du texte. Cependant, la question centrale dans cette recherche était de
savoir si les élèves de CM2 infèrent spontanément au cours de la lecture ce qui va se
passer dans la suite d'un texte. Seuls les résultats de la deuxième expérience peuvent
nous apporter cette réponse. Les données recueillies révèlent que les enfants mettent
moins de temps pour décider que l'inférence supposée être produite est un mot de la
langue française lors de l'interruption de la lecture du texte dans une version propice à
la production de l'inférence par rapport à une version contrôle dans laquelle cette même
inférence n'était pas attendue. Ces résultats mettent ainsi en évidence que l'inférence est
bien générée spontanément au cours de l'activité de compréhension chez des enfants de
10 ans normo-compreneurs. Plus important encore, cette recherche illustre en quoi
l'observation systématique de la compréhension à mesure que l'enfant progresse dans
un texte peut apporter de nouveaux éléments, dans ce cas précis, relatifs à la production
d'inférences au cours de la lecture chez l'enfant, mais plus largement encore sur le
développement de la compréhension en situation de lecture. De fait, cette étude incite à
émettre des hypothèses plus précises sur le développement des habiletés de
compréhension, sachant que la mise en place de nouvelles méthodologies d'évaluation
permettra de les tester. Précisément, la question n'est plus tant de savoir quand l'enfant
possède les habiletés nécessaires à la production d'inférence, mais plutôt de déterminer
le moment à partir duquel il se met à produire spontanément ces inférences au cours de
la lecture.
L'étude de van den Broek et al. (2009) témoigne également de l'importance d'observer
les processus à l'œuvre au cours de la lecture. Dans cette étude les auteurs ont évalué la
compréhension d'adolescents (âgés de 9 à 15 ans) présentant des difficultés de
compréhension non seulement à l'issue de la lecture, mais également au cours de la
lecture grâce à l'enregistrement de leurs mouvements oculaires couplé à une tâche de
verbalisation à haute voix. Les résultats obtenus à l'épreuve réalisée à l'issue de la
lecture ne laissent apparaître aucune différence au sein du groupe de faibles
compreneurs. Cependant, les mesures prises au cours de la compréhension font
apparaître deux sous-ensembles distincts de faibles compreneurs : un premier sous-
ensemble au sein duquel les faibles compreneurs s'attachent principalement à créer des
relations entre les informations explicitement mentionnées dans le texte et un second au
sein duquel les faibles compreneurs s'engagent à aller plus loin que ce qui est
explicitement véhiculé par le texte, mais cet engagement les conduit trop souvent à
produire des inférences non pertinentes. En accord avec des travaux récents (Cain et
Oakhill 2011 ; Labat, Farah, Potocki, Ecalle et Magnan, 2012 ; Potocki, Ecalle et Magnan,
2013 ; Snowling et Hulme, 2012), cette recherche démontre que la population des faibles
compreneurs n'est pas si homogène que les données le laissaient supposer jusqu'à
maintenant. L'étude du déroulement de l'activité de compréhension a ainsi permis de
préciser davantage les raisons qui conduisent les faibles compreneurs à construire une
représentation moins élaborée et offre à plus long-terme la possibilité de discriminer
différents profils au sein de la population des faibles compreneurs.
Enfin, les processus cognitifs mis en jeu au cours de la compréhension ont fait l'objet
de recherches intensives auprès de la population adulte. La littérature chez l'adulte
fournit alors des pistes quant aux processus qu'il serait pertinent d'étudier et offre
parallèlement un large panel de méthodologies permettant l'étude de ces processus
(Guéraud, Harmon et Perrachi, 2005 ; Guéraud, Tapiero et O'Brien, 2008 ; Harmon-
Vukic, Guéraud, Lassonde et O'Brien, 2009 ; McKoon et Ratcliff, 1992 ; O'Brien, 1995 ;
van den Broek, Rapp et Kendeou, 2005).
Conclusion
Il ressort des éléments présentés dans ce chapitre que le développement des habiletés
de compréhension repose sur le développement de trois principales compétences que
sont la capacité à produire des inférences, la capacité à auto-évaluer et à réguler sa
propre compréhension et la capacité à utiliser efficacement ses connaissances textuelles
et métatextuelles. De plus, ces habiletés apparaissent toutes trois comme étant des
sources potentielles d'explication des difficultés des faibles compreneurs. Outre ce
premier constat, il convient de souligner que, parmi les études menées chez l'enfant,
rares sont celles qui examinent spécifiquement le déroulement même de l'activité de
compréhension (Casteel, 1993 ; Lynch et van den Broek, 2007 ; Megherbi et Ehrlich,
2004, 2005, 2009 ; Royer et Guéraud, 2011, 2012 ; van den Broek et al., 2009). Ce manque
de connaissances relatives aux processus par lesquels l'enfant opère, en temps réel, pour
comprendre un texte pose problème pour plusieurs raisons. Premièrement, ce n'est pas
la compréhension elle-même qui est étudiée, mais le résultat final de l'activité de
compréhension. Deuxièmement, modéliser le développement de la compréhension
requiert nécessairement de rendre compte à la fois de la représentation finale élaborée
par le lecteur et des processus cognitifs qui ont permis son élaboration. Enfin, ce
manque de connaissances relatives au déroulement de l'activité de compréhension chez
l'enfant contraint également la manière de concevoir son évaluation. Lorsque
l'évaluation de la compréhension se limite à une évaluation du résultat (c'est-à-dire la
représentation aboutie) sans prise en compte des processus mis en jeu en temps réel,
alors elle ne permet pas une détection fine des obstacles auxquels sont confrontés les
enfants au fur et à mesure de leur avancée dans un texte. Face à cet écueil, il apparaît
nécessaire que des recherches futures se fixent pour ambition de privilégier une
approche en temps réel de l'activité de compréhension chez l'enfant.

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1
Enfants qui se caractérisent par l'absence de déficit au niveau de l'identification des mots écrits, mais des difficultés
au niveau de la compréhension de texte écrit et souvent oral.
2
Tâche de complétion de phrase ou de texte.
3
Batterie langage oral, Langage écrit, Mémoire, Attention, Chevrie-Muller et al., 2010, Batteries d'épreuves pour
l'école élémentaire, Savigny, 2001, Épreuve de compréhension syntaxico-sémantique, Lecocq, 1996, Épreuve
d'évaluation de la compétence en lecture – Lecture de mots compréhension, Khomsi, 1999, Orthographe et lecture,
Lobrot, 1988.
CHAPITRE 23

Les apprentissages numériques


Emmanuel Sander; Jean-François Richard

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les processus à l'œuvre dans la résolution d'un problème mathématique
Le recodage comme cheminement de conceptualisation
Conclusion

Introduction
La soustraction « 8–3 = 5 » fournit la solution aussi bien au problème : « Laurent avait
8 bonbons. Il en a mangé 3. Combien lui en reste-t-il ? » qu'à : « Laurent avait 3 bonbons,
puis son ami lui a donné d'autres bonbons. Il a maintenant 8 bonbons. Combien de
bonbons a-t-il reçus ? » Un élève s'y prend-il pour autant de la même manière pour les
résoudre ? Si la résolution de l'un de ces deux énoncés est travaillée en classe, la
résolution de l'autre s'en trouve-t-elle améliorée ? Comment amener un élève à
percevoir que l'un comme l'autre de ces énoncés relève de la même notion
mathématique, en l'occurrence celle de soustraction ? Ces questions dessinent le plan du
chapitre, qui examinera les processus en jeu dans la résolution d'un problème et leurs
manifestations pour le transfert d'apprentissage pour aborder enfin la question,
éducative et développementale, de l'aide à la conceptualisation d'une notion.

Les processus à l'œuvre dans la résolution d'un problème


mathématique
Distinguer à l'intérieur des notions : le cas des
typologies de problèmes arithmétiques à structure
additive
Les deux énoncés introductifs décrivent des situations différentes. Le premier porte sur
la recherche d'une quantité restante, une fois qu'un événement a conduit à la
diminution d'une quantité initiale, alors que le second porte sur la valeur d'un
accroissement, étant connues les valeurs antérieures et postérieures à cet accroissement.
Au début des années 1980, des chercheurs ont cherché à mettre en évidence ce qui, du
point de vue des significations véhiculées, unit des situations de problèmes pourtant
déclinables à l'infini (en remplaçant les bonbons du premier exemple par des chocolats,
en les offrant ou en les perdant plutôt qu'en les mangeant, etc.). Il s'agissait d'établir une
typologie de caractéristiques communes à des familles d'énoncés et aisément perçues
par les élèves, se situant toutefois à un niveau moins abstrait qu'il serait fondé de le faire
sur le plan mathématique. Les travaux ont conduit à élaborer des classifications des
types d'énoncés qui reposent sur une même notion mathématique, tels que les
problèmes dénommés à structure additive à une étape, dont la solution s'obtient par une
seule addition ou soustraction. Nesher (1982) distingue ces problèmes selon que la
relation entre les éléments est statique (« Paul a 5 billes dans sa poche. 3 sont vertes et
les autres sont rouges. Combien Paul a-t-il de billes rouges dans sa poche ? » ou encore
« Pierre a 8 billes, il en a 5 de plus que Paul. Combien Paul a-t-il de billes ? ») versus
dynamique (« Victor avait 5 billes. Il en donne 2 à Joe. Combien de billes lui reste-t-
il ? »). Carpenter et Moser (1982) raffinent cette distinction « statique/dynamique » selon
la nature de l'opération effectuée sur un tout composé de deux parties (inclusion ou
disjonction) et selon la nature de l'évolution de la situation entre le début et la fin du
problème (augmentation ou diminution). Les classifications les plus fréquemment citées
sont celles de Vergnaud (1982) et de Riley et al. (1983), qui distinguent les cas de
transformation, dynamiques, évoluant d'un état initial vers un état final (« Jean avait
3 billes. Paul lui a donné 5 billes. Combien de billes a-t-il maintenant ? »), ceux de
combinaison, statiques, dans lesquels deux parties forment un tout et pour lesquels le
problème consiste en la recherche du cardinal du tout ou d'une partie (« Jean a 3 billes
et Paul a 5 billes. Combien ont-ils de billes à eux deux ? »), ceux de comparaison, qui sont
également statiques, mais pour lesquels des quantités sont comparées à l'aide de
relations de type : « plus que/moins que » (« Jean a 8 billes. Paul a 5 billes. Combien Jean
a-t-il de billes de plus que Paul ? »). Vergnaud (1982) prend également en compte les
relations entre les valeurs à combiner. Des différences de difficulté sont observées à
l'intérieur de ces catégories : les problèmes de transformation sont en général mieux
réussis que ceux de comparaison, et, parmi les problèmes de transformation, ceux pour
lesquels la question porte sur l'état initial sont plus difficiles que ceux pour lesquels la
question porte sur l'état final (De Corte et Verschaffel, 1987). Ainsi, ces typologies
trouvent leur pertinence psychologique dans le fait que du point de vue de l'élève, les
ressemblances entre énoncés sont supposées perçues à ce niveau de catégorisation,
considéré comme le niveau pertinent auquel expliquer les processus à l'œuvre dans une
résolution (Richard et Sander, 2000 ; confère aussi Thevenot et Barouillet, 2015 pour une
revue de question récente).

La théorie des schémas et ses limites


La théorie des schémas (Kintsch et Greeno, 1985) a cherché à rendre compte de ces
processus. Elle se fonde à la fois sur les distinctions entre classes de problèmes que nous
venons de décrire et sur les travaux sur la compréhension de texte (Van Dijk et Kintsch,
1983). Elle comporte des étapes aboutissant à une résolution experte par utilisation de
schémas, dans lesquels des caractéristiques abstraites interviennent dans la
représentation de l'élève : par exemple, pour « Laurent avait 8 bonbons. Il en a mangé 3.
Combien lui en reste-t-il ? », il s'agirait de repérer un état initial – connu –, une
diminution – connue – et un état final – recherché–, puis d'appliquer la stratégie qui mène
à la solution, dans le cas présent soustraire la diminution à l'état initial. Fayol et Abdi
(1986) avaient montré que le fait de placer la question au début plutôt qu'à la fin d'un
problème arithmétique améliore les performances. Ils y avaient vu l'indication que la
connaissance du but à atteindre facilite l'activation du schéma pertinent et son
instanciation par les éléments du problème au fur et à mesure de sa lecture. Cette
théorie suppose que l'élève traite de manière équivalente des problèmes qui
appartiennent à une même classe de la typologie dès lors que le schéma associé est
acquis.
Pourtant, comme une recherche de Hudson (1983) l'avait montrée, la formulation
d'un énoncé peut grandement influencer les performances y compris à l'intérieur d'une
classe d'une typologie. Il a montré qu'un problème de comparaison énoncé sous sa
forme stéréotypique « Il y a 5 oiseaux et 3 vers. Combien d'oiseaux y a-t-il de plus que
de vers ? » est considérablement plus difficile que « Il y a 5 oiseaux et 3 vers. Combien
d'oiseaux n'auront pas de vers ? » (17 % versus 83 % de réussite à 5 ans, et 64 % versus
100 % à 7 ans). Comment deux énoncés qui devraient évoquer un schéma identique, ici
de recherche d'écart entre deux termes connus qu'il s'agit de comparer, peuvent-ils être
de difficulté si différente ?

L'approche des modèles mentaux


Ce type de phénomène a conduit au développement de théories toujours inspirées des
travaux en compréhension de texte, mais cette fois privilégiant la notion de modèle
mental selon laquelle les élèves font appel à une représentation bien plus proche de
l'énoncé que ne le suppose la théorie des schémas, et qui prend même le contrepied de
cette dernière dans la mesure où un tel modèle est une représentation particularisée,
homologue à une situation du monde réel, qui incarne le problème en détail, en
précisant les agents, les actions et les relations entre les entités du problème (Reusser,
1990 ; Staub et Reusser, 1995).
Plusieurs travaux mettent en effet en évidence des phénomènes difficilement
explicables par la théorie des schémas et dont la théorie des modèles mentaux peut
rendre compte. Ainsi, Moreau et Coquin-Viennot (2003) montrent que l'information
superflue pour résoudre un problème conserve une utilité même pour les meilleurs
élèves. Des élèves de CM1 résolvent des problèmes arithmétiques riches en
informations superflues. Il leur est ensuite demandé de dériver des énoncés « aussi
courts que possible » et des énoncés « aussi faciles à comprendre que possible ». On
pourrait s'attendre à ce que les élèves performants, ayant construit le schéma adéquat,
proposent des énoncés similaires pour le problème court et celui facile à comprendre,
résultants de l'instanciation du schéma par les éléments spécifiques de l'énoncé. En fait,
il s'avère que même les meilleurs élèves conservent de l'information superflue pour
rendre le problème plus facile à comprendre. Thevenot et al. (2007), en s'appuyant sur
les résultats de Fayol et Abdi (1986) cités plus haut, obtiennent des résultats conformes à
l'hypothèse selon laquelle la résolution est plutôt guidée par un modèle mental que par
un schéma. Ils montrent pour cela que l'effet facilitateur de la question placée en début
d'énoncé est plus important pour les élèves les moins performants. Si la résolution
dépendait de seuls schémas, on s'attendrait à ce que les meilleurs élèves disposent déjà
des schémas pertinents et soient ceux qui bénéficient le plus du placement de la
question en début d'énoncé en les activant, or l'inverse est observé.
Ainsi, un modèle mental peut être le support de la résolution d'un problème
arithmétique sans qu'un schéma ait été construit. Il peut conduire de jeunes enfants à
trouver la solution en simulant mentalement l'action décrite lorsqu'elle est familière et
avant tout apprentissage scolaire de l'opération arithmétique concernée. Cela peut
expliquer des réussites très élevées pour certains énoncés, comme pour l'énoncé « Jean
avait 5 billes. Il en a donné à Paul. Maintenant Jean a 3 billes. Combien Jean a-t-il donné
de billes à Paul ? » en fin de maternelle et avant tout enseignement de la soustraction
(Fayol, 1989 ; De Corte et Verschaffel, 1987).

Le transfert d'apprentissage
Nous abordons maintenant la question des processus de transfert d'apprentissage : par
quels processus la résolution d'un énoncé particulier peut-elle se transférer à un nouvel
énoncé ? Dans la perspective de la théorie des schémas, il s'agit avant tout de repérer
que le même schéma de problème s'applique. Le transfert devrait donc être
systématique entre problèmes relevant du même schéma. En revanche, si l'on penche
vers l'idée que les élèves appuient leur résolution sur des modèles mentaux, le transfert
semble plutôt relever de processus représentationnels généraux. Certains travaux sur le
transfert d'apprentissage apportent des éclairages utiles, conduisant à montrer des
limites des théories des schémas comme des modèles mentaux. Ils invitent à aborder
une perspective qui fait intervenir des représentations abstraites comme les schémas
tout en étant directement ancrées sur les situations concrètes comme les modèles
mentaux. Il s'agit des structures induites (Bassok, 2001).

La structure induite comme guide du transfert


Selon le type de problème concerné, certains habillages s'avèrent plus adaptés que
d'autres à la résolution. Par exemple, une situation de différence d'âge, à la différence
d'une situation de mélange, facilite une résolution d'équations à deux inconnues
(Blessing et Ross, 1996) : le problème « Wendy est 4 fois plus âgée que sa nièce. Dans
5 ans, elle sera 3 fois plus âgée que sa nièce. Quel âge ont Wendy et sa nièce ? » se résout
plus facilement que celui, soluble par la même méthode, de mélanges : « Un maçon
mélange 4 fois plus de ciment dans un container que dans un autre. Il rajoute à chacun
d'eux 5 litres de ciment. Maintenant, il y a trois fois plus de ciment dans le premier
container que dans le second. Combien de litres de ciment y a-t-il dans chaque
container ? » Pour différentes structures de problème, Blessing et Ross ont mis en
évidence un habillage approprié qui facilite la résolution, un habillage neutre et un
habillage inapproprié rendant difficile la résolution.
Permettant de rendre compte de ce phénomène, des recherches sur le transfert,
portant généralement sur des populations adultes et sur la résolution de problèmes
mathématiques complexes, comme des problèmes de combinatoire, ont fait émerger la
notion de structure induite (Bassok, 2001). Les traits superficiels du problème
fournissent un ensemble d'indices qui conduit à induire une structure qui se substitue à
la structure mathématique et détermine ensuite les transferts entre problèmes. Ainsi, le
fait qu'une variable soit caractérisée par des changements brusques de valeur comme
pour une action cotée en bourse, ou conçue comme évoluant sans rupture au fil du
temps comme l'accélération d'un véhicule, influence le transfert entre problèmes. Ce
transfert est asymétrique : élevé et rapide du premier cas vers le second, rare et
laborieux dans la configuration inverse (Bassok et Olseth, 1995).

Les effets de congruence sémantique


Les relations qu'entretiennent les objets de l'énoncé influencent la structure de problème
induite spontanément par les participants (Bassok, Chase et Martin, 1998). Des
étudiants de premier cycle à l'université à qui l'on demande de construire des
problèmes arithmétiques à partir de la donnée d'un couple d'entités (par exemple des
pommes et des paniers, ou encore des pommes et des oranges) élaborent des problèmes
qui rendent congruentes les relations sémantiques entre les couples d'objets (par
exemple pommes et paniers sont dans une relation contenant/contenu) avec les
relations mathématiques entre les opérateurs (dividende/diviseur). Ainsi, le couple
(pommes, paniers) conduit à la construction de problèmes de division alors qu'une
structure additive est privilégiée par les participants lorsqu'il s'agit de pommes et
d'oranges, le terme pomme perdant sa fonction de contenu relativement au panier et
acquérant un statut symétrique relativement aux oranges. Martin et Bassok (2005)
montrent, auprès de collégiens, de lycéens et d'étudiants en premier cycle universitaire,
que la difficulté de résolution dépend de la nature des relations entre les objets. Les
problèmes qui contiennent des indices sémantiques congruents avec la structure
mathématique sont mieux réussis que ceux pour lesquels les entités ont un statut
symétrique du fait de leur appartenance à une catégorie commune. Par exemple, un
problème de division mettant en scène un vase et des marguerites (relation
fonctionnelle de contenant à contenu congruente avec l'opération de division) est mieux
réussi qu'un problème de division comprenant des vis et des boulons (relation
symétrique non congruente avec l'opération de division).

L'influence de l'expertise
Les variations de difficulté entre problèmes dépendent également des connaissances
préalables de celui qui le résout, comme les recherches portant sur l'influence du niveau
d'expertise dans la résolution de problèmes mathématiques l'ont montré. Ainsi, Silver
(1981 ; voir aussi Schoenfeld et Herrmann, 1982) a sollicité des élèves de collège pour
résoudre et classer seize énoncés, construits par le croisement de quatre stratégies de
résolution et de quatre thématiques abordées dans l'énoncé : les élèves commettant le
plus d'erreurs réalisent des regroupements en s'appuyant sur les ressemblances
thématiques (par exemple des problèmes de mélange) tandis que ceux qui réussissent le
mieux réunissent les énoncés qui se résolvent par la même stratégie et relèvent de la
même notion mathématique (par exemple un calcul de moyenne pondérée).
La catégorisation des énoncés est ainsi différente selon le degré d'expertise, ce qui
influence le transfert d'apprentissage : Novick (1988) a montré que les similitudes
thématiques entre des problèmes reposant sur des principes de solution différents
influencent le transfert entre problèmes pas seulement pour les élèves en difficulté, mais
aussi pour les meilleurs. Toutefois, si tous ont tendance à réaliser un transfert
négatif dans un premier temps en appliquant la procédure de solution inadaptée
apprise lors de la résolution du premier problème, les élèves les plus performants
tentent rapidement d'autres solutions alors que les autres persévèrent dans leur
application de variantes de la stratégie inappropriée. Cela suggère que la représentation
des élèves les moins performants est fondée sur la thématique du problème et concerne
ce qui est communément appelé son habillage. À l'inverse, les meilleurs intègrent dans
leur représentation des éléments de structure, ceux sur lesquels reposent la notion
mathématique et la stratégie de résolution, et qui conditionnent un transfert
d'apprentissage positif.
La question du transfert réussi et de l'asymétrie de transfert recouvrent largement
celle de la nature de la représentation induite. Si la structure induite par le problème
initial est identique ou plus générale que celle induite par le nouveau problème, le
transfert sera élevé ; dans le cas contraire, il sera faible. Avec l'expertise, la nature des
représentations induites par les élèves est modifiée, ce qui explique les effets observés
(Richard et Sander, 2000 ; Sander et Richard, 2005).

Le recodage comme cheminement de conceptualisation


L'analyse sémantique des énoncés
L'efficience d'un modèle mental dépend du problème à résoudre. Le modèle mental
peut en effet parfois conduire à l'impasse, comme le montre une expérience de
Schliemann, Araujo, Cassundé, Macedo et Nicéa (1998) dans laquelle deux groupes
d'enfants brésiliens non scolarisés de neuf à quatorze ans, qui font du commerce de rue,
résolvent chacun l'un des deux problèmes suivants : « Quel est le prix de 3 objets à
50 cruzeiros l'un ? » et « Quel est le prix de 50 objets à 3 cruzeiros l'un ? ». L'addition
itérée de 3 objets à 50 cruzeiros, soit 50 + 50 + 50, conduit au résultat pour le premier
énoncé, alors que pour le second, cette même stratégie aboutit à pas moins de cinquante
additions : 3 + 3 + … + 3. Or il s'avère que le taux de réussite est de 75 % pour le premier
énoncé et de 0 % pour le second. Pour résoudre le second problème afin de concevoir
que 3 × 50 équivaut à 50 × 3, un enseignement est nécessaire, alors que le modèle mental
de la situation et une simulation mentale de celle-ci sont suffisants pour le premier
énoncé. Brissiaud et Sander (2010 ; confère également Brissiaud, 2002 ; Gvozdik et
Sander, 2016) ont montré le caractère systématique de ce phénomène pour une large
diversité de problèmes. Ainsi un énoncé tel que « Paul a 27 billes. Il en gagne.
Maintenant il en a 31. Combien a-t-il gagné de billes ? » est presque deux fois mieux
réussi en CE1 que son homologue dans lequel la valeur 4 remplace la valeur 27. On
pourrait penser qu'il s'agit d'une question de taille des nombres, mais le phénomène
réciproque s'observe pour l'énoncé « Paul a 31 billes. Il en perd 27 à la récréation.
Combien lui en reste-t-il ? » qui est cette fois beaucoup plus difficile que son homologue
avec la valeur 4 substituée à 27. Des caractéristiques des situations décrites font donc,
pour des valeurs numériques données, qu'un énoncé peut être associé à une procédure
efficiente ou non : la simulation mentale de la situation évoquée par le premier scénario
oriente vers un comptage mental en avançant de 27 jusqu'à 31, ce qui ne pose pas de
difficulté. À l'inverse, si la valeur de départ est 4, le comptage de tête de 4 jusqu'à 31
n'est pas praticable. Pour les énoncés suivants, il est à l'inverse aisé de soustraire
mentalement 4 de 31 mais impraticable de lui soustraire 27. Une stratégie gagnante
serait que l'élève se libère du contenu spécifique de l'énoncé pour se lancer dans une
stratégie de résolution opportuniste selon l'efficience de la simulation mentale,
autrement dit aller de 27 à 31 ou ôter 4 de 31 mais pas l'inverse. Gamo, Sander et
Richard (2010 ; confère également Gamo, Nogry, Sander, 2014 et Gros, Thibaut et
Sander, 2015) ont montré l'influence de ce phénomène sur le transfert d'apprentissage,
conduisant à observer un transfert pauvre ou négatif dans la résolution de problèmes
additifs solubles par plusieurs stratégies : les sujets, y compris adultes, ignorent
majoritairement la stratégie optimale lorsque les structures induites ne sont pas
assimilables. Cela engage à s'intéresser à la nature des caractéristiques des problèmes
qui conduisent à la construction d'une certaine représentation plutôt que d'une autre et
aux possibilités de faire évoluer une représentation spontanément induite pour
favoriser la mise en place de stratégies opportunistes.
Sur le plan des apprentissages arithmétiques, cela suggère de réinvestir un énoncé de
problème et de guider l'élève dans l'analyse des relations sémantiques de cet énoncé
afin de lui montrer comment cette analyse conduit au choix d'une opération pour
résoudre le problème. Cette analyse peut le conduire à construire de nouvelles
catégories, plus générales que celles relevant directement de la situation décrite et qui
constituent la sémantique mathématique des opérations.
Le cœur de la question est donc la correspondance existant entre les propriétés des
situations décrites par les énoncés, liées à la sémantique de la vie quotidienne, et les
propriétés mathématiques en jeu. Il s'agit d'un phénomène majeur à prendre en compte
pour l'enseignement des mathématiques. La résolution de problème permet de faire
découvrir aux élèves les contextes sémantiques de mise en œuvre des notions
mathématiques, notamment quelles sont les relations entre les entités de l'énoncé qui
permettent l'utilisation des opérations arithmétiques. De manière générale, il est donc
crucial de déterminer sur quelle base on peut faire le choix des situations-problèmes
permettant de mettre en scène une notion mathématique de manière à ce qu'elle se
généralise le plus facilement possible à tous les contextes de problèmes où elle est
pertinente.

Le recodage sémantique
Pour cela, un processus de recodage sémantique, qui consiste à se représenter un type
d'énoncé de problème en lui attribuant des propriétés attribuées spontanément à un
autre type d'énoncé pourrait permettre de faire progresser l'élève. Un tel processus se
fonde sur l'idée que les catégories de problèmes ont certes des différences sémantiques
entre elles, mais dans la mesure où les problèmes relèvent de la même notion, ces
différences sont non pertinentes mathématiquement : ce sont sur les ressemblances qu'il
convient de s'appuyer, car elles justifient l'identité de procédure de résolution. Il existe
une grande diversité de situations de problèmes, mais on peut, par recodage
sémantique, conduisant à appliquer à un problème le schéma de description d'un autre
type de problème, faire apparaître l'analogie entre deux problèmes en apparence très
différents. On peut par exemple recoder un problème de transformation en un
problème de combinaison : « Pierre a dépensé 15 euros de l'argent de sa tirelire pour
acheter un jeu, il lui reste 29 euros. Combien avait-il dans sa tirelire ? ». Un élève qui ne
sait pas comment répondre à cette question devrait pouvoir se demander à quel
moment il avait le plus d'argent. S'il se pose cette question, la réponse est simple, c'est
avant l'achat. Cela oriente le codage vers l'idée que ce qu'il avait au début c'est ce qui lui
reste et en plus ce qu'il a dépensé, ce qui justifie une addition. Ainsi, l'élève est amené à
décomposer l'argent que Pierre avait à l'origine entre ce qu'il a dépensé et ce qui lui
reste : il s'agit donc non plus de chercher une valeur initiale en connaissant la quantité
perdue et la valeur restante, ce qui demanderait de remonter dans le temps dans son
raisonnement sans que la simulation mentale permette d'associer une opération
arithmétique particulière, mais de chercher le tout à partir de la connaissance de chaque
partie, ce qui est une des situations les mieux maîtrisées par les élèves. Dans cet
exemple, il y a recodage sémantique dans la mesure où un problème de transformation
est réinterprété avec la grille de lecture d'un problème de combinaison classique tel que
« Pierre a 29 euros dans sa poche droite et 15 euros dans sa poche gauche. Combien a-t-
il d'euros en tout ? » Une autre manière de favoriser le recodage sémantique est
d'introduire des énoncés ambigus quant à leur appartenance à tel ou tel classe de la
typologie, ce qui favorise le recodage d'une classe vers une autre : par exemple, un
énoncé comme « En partant à l'école, Pierre avait dans sa poche des billes rouges et des
billes bleues. Il perd ses 5 billes bleues, mais il lui reste ses 3 billes rouges. Combien
Pierre avait-il de billes dans sa poche en partant à l'école ? », se prête aisément à la fois à
un codage comme problème de transformation avec question sur l'état initial et comme
problème de combinaison avec la recherche d'un tout connaissant chacune des parties.
Des travaux ont pu montrer l'effet bénéfique du travail en classe de ce type d'énoncés
(Sander et Fort, 2014 ; de Longuemar et Sander, 2016) et en général d'une démarche
systématique de recodage conduisant les élèves à être en mesure d'envisager la diversité
des stratégies possibles pour résoudre un problème, fondée sur une réinterprétation de
la situation, et qui oriente également la conception d'évaluations (Scheibling-Sève,
Eichy, Pasquinelli et Sander, 2016).
La prise en compte des relations sémantiques présentes dans les énoncés de problème
est un levier extrêmement puissant pour permettre à l'élève de choisir à bon escient une
stratégie de résolution pertinente, et le recodage sémantique est un levier extrêmement
puissant également pour élaborer une interprétation alternative du problème lorsque
l'analyse sémantique première ne conduit pas à une stratégie gagnante. Un des enjeux
majeurs de l'apprentissage et de l'enseignement est de permettre aux élèves d'avoir
plusieurs lectures possibles d'une situation.
Conclusion
L'approche du recodage sémantique diffère profondément de celle qui met l'accent sur
les schémas de problèmes. Cette dernière incorpore les propriétés qui distinguent les
catégories de problèmes, mais qui ne sont pas pertinentes sur le plan mathématique,
puisque, quelle que soit la catégorie à laquelle il appartient, un problème à structure
additive se résout par le calcul d'une somme ou d'une différence. Insister sur les
différences sémantiques entre les problèmes risque de créer un obstacle à la perception
des propriétés communes aux différentes catégories de problèmes, lesquelles sont de ce
fait plus abstraites et donc plus proches des propriétés mathématiques. Il est important
de distinguer l'usage du schéma comme guide de la résolution, ce que prône la théorie
des schémas, de l'usage d'un schéma figuratif qui peut aider à comprendre l'histoire
racontée dans l'énoncé et aider à extraire du texte les éléments pertinents et à faire
abstraction des traits qui diffèrent à l'intérieur d'une catégorie de problème.
Les reformulations de l'énoncé ont été beaucoup étudiées et leur effet positif a été
souligné (De Corte, Verschaffel et De Win, 1985). Toutefois, contrairement à l'hypothèse
faite au départ, les reformulations situationnelles, qui précisent le scénario de l'histoire
racontée dans l'énoncé, n'ont pas d'effet conséquent sur la réussite comme l'ont montré
Vicente, Orrantia et Verschaffel (2007), à la différence des reformulations conceptuelles
qui fournissent des indices supplémentaires pour identifier la catégorie du problème.
Devrait-on pour autant en conclure qu'il faudrait proposer des énoncés qui facilitent
cette identification ? Cela est discutable, car on augmenterait le taux de réussite au
détriment sans doute de l'apprentissage, car si la reformulation est capitale elle doit
provenir de l'élève. C'est donc sur la capacité de reformulation qu'il est essentiel de
focaliser l'instruction, de manière à ouvrir de nouvelles voies pour tenter des solutions,
lorsque la première représentation construite conduit à un blocage.
Des interventions scolaires orientées vers le recodage sémantique devraient y
contribuer dans la mesure où ce recodage permet d'explorer le champ des propriétés
des situations auxquelles une notion mathématique donnée peut s'appliquer. Nombre
d'auteurs insistent sur l'importance de la flexibilité comme un objectif majeur des
apprentissages mathématiques et cet objectif est également mis en avant dans les
réformes récentes des programmes de mathématiques dans différents pays (voir
Vershaffel, Luwel, Torbeyns et Van Dooren, 2009). Cela recouvre à la fois la capacité
d'utiliser plusieurs stratégies et de choisir celle qui est la plus adaptée aux particularités
du problème.
L'approche de l'analyse sémantique des situations décrites dans les problèmes qui
vise à ancrer les apprentissages mathématiques sur l'analyse des propriétés des
situations et à permettre à l'élève de cheminer dans le réseau sémantique des propriétés
associées aux opérations partage pleinement cet objectif. Le défi est d'envergure, car du
point de vue des jeunes élèves les problèmes d'addition/soustraction (comme ceux de
multiplication/division) relèvent de situations peu liées les unes aux autres et il s'agit
d'aboutir à la possibilité de développement d'un codage plus général qui embrasse
l'ensemble de ces situations et permette d'en percevoir l'unité.
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Lectures conseillées
Hofstadter D., Sander E. Les analogies naïves. In: Hofstadter D., Sander E., eds.
L'Analogie. Paris: Odile Jacob; 2013:465–526.
CHAPITRE 24

Difficulté scolaire : les troubles du


langage et des apprentissages
Anne-Sophie Deborde

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Définitions : troubles spécifiques des apprentissages, troubles
neurodéveloppementaux et « dys »
Le diagnostic
Dépister les DYS : une démarche à systématiser
Conclusions

Introduction
L'échec scolaire est l'un des motifs les plus fréquents de consultation en psychologie.
Elle concernerait 20 % des enfants, soit environ 5 à 6 enfants par classe. Ces difficultés
peuvent être l'expression de faisceaux de causes multiples (psychologiques, absence
d'encadrement parental, facteurs socio-économiques variés, etc.). Parmi elles, la cause
neurologique est très souvent sous-diagnostiquée (Mazeau, 2014). Pourtant, elle est à
l'origine de ce qu'on appelle les troubles spécifiques des apprentissages, troubles qui
concernent 5 à 8 % des enfants d'une classe d'âge (pour la dyspraxie et la dyscalculie ;
voir Inserm, 2007). Autrement dit, un enfant par classe présenterait un trouble
spécifique des apprentissages. Ces troubles, surtout quand ils ne sont pas
diagnostiqués, ont des répercussions multiples et sévères sur l'enfant : retard cognitif et
scolaire, rejet social, troubles psychiatriques internalisés (dépression, anxiété, etc.) et/ou
externalisés (troubles oppositionnels, troubles des conduites, etc.).
Comment expliquer ce déficit diagnostique alors que les conséquences de ces troubles
sont particulièrement sévères pour l'enfant concerné ? Parmi les explications possibles,
deux hypothèses semblent probables :
Pour poser un diagnostic de troubles spécifiques des apprentissages ou de « dys »,
une approche neuropsychologique est nécessaire. Or peu de professionnels sont formés
à cette approche (Mazeau, 2014).
Il existe une forte comorbidité entre troubles spécifiques des apprentissages et
troubles psychiatriques. En effet, il est logique qu'un enfant « dys » non diagnostiqué
présente une dépression ou une anxiété dans la mesure où il se trouve quotidiennement
confronté à l'échec. Ces symptômes psychiatriques sont identifiés facilement par
l'entourage et les professionnels de santé. Ils deviennent alors la cible thérapeutique
alors qu'ils ne sont eux-mêmes que l'expression du trouble « dys ».
De plus, ces deux facteurs explicatifs se combinent entre eux : en effet, il y a
statistiquement une grande probabilité que la structure consultée en 1re intention soit
une structure avec une approche psychologique (psychologue scolaire) et/ou
psychiatrique (Centres médicaux psychologiques, CMP), ne disposant pas toujours d'un
professionnel formé à la neuropsychologie.
Pour faciliter l'accès au diagnostic et aux rééducations, les autorités de santé ont mis
en place des centres de référence pour les troubles du langage et des apprentissages. Il
en existe une quarantaine en France. La liste est consultable auprès de l'Institut national
de prévention et d'éducation pour la santé (INPES). Ces centres ont quatre missions
principales :
• assurer les soins : mise en place de consultations diagnostiques (avec bilans
pluridisciplinaires), suivi et proposition de rééducations ciblées en fonction du
trouble ;
• assurer la coordination des soins ;
• concevoir des formations à l'attention des professionnels au contact des enfants
concernés : médecins généralistes, pédiatres, pédopsychiatres, orthophonistes,
psychomotriciens, ergothérapeutes, enseignants, etc. ;
• contribuer à la recherche (outils diagnostic, protocoles de rééducation, etc.).
Le rôle des professionnels de santé, non formés à la neuropsychologie, est donc
d'orienter les enfants présentant des troubles des apprentissages sévères ou persistants
vers ces centres de référence, habilités à porter le diagnostic et à orienter la rééducation.
Toutefois, ces centres sont actuellement victimes de leur succès. Les délais d'attente y
sont longs (6 à 10 mois). C'est pourquoi, dans l'idéal, les intervenants en santé devraient
être plus avertis afin d'être capables de diagnostiquer les cas les plus évidents ou de
soumettre des dossiers déjà bien étayés aux centres de référence. Dans cette optique, ce
chapitre se propose d'apporter un éclairage sur les troubles spécifiques des
apprentissages et leur diagnostic.

Définitions : troubles spécifiques des apprentissages,


troubles neurodéveloppementaux et « dys »
D'après le DSM-5 (Crocq et Guelfi, 2015), le trouble spécifique des apprentissages
(lecture, expression écrite et calcul) est un trouble neurodéveloppemental, d'origine est
biologique. Il est caractérisé par des troubles cognitifs et comportementaux. Ainsi,
comme son nom l'indique, le trouble spécifique des apprentissages est avant tout un
trouble : il se différencie des difficultés scolaires par sa constance et sa sévérité.
Le trouble spécifique des apprentissages est un trouble dit
« neurodéveloppemental ». Les troubles neurodéveloppementaux débutent
précocement au cours du développement de l'enfant. Ils sont caractérisés par des
déficits de développement qui entraînent des répercussions significatives du
fonctionnement individuel, social, scolaire et professionnel. Ils peuvent concerner des
aspects très spécifiques (par exemple, apprentissages, fonctions exécutives) ou
beaucoup plus larges (par exemple, altération globale des compétences sociales,
déficience intellectuelle, etc.). Ces troubles sont souvent associés entre eux : par
exemple, on retrouve souvent des comorbidités entre troubles du spectre autistique et
déficience intellectuelle ou encore entre trouble spécifique des apprentissages et trouble
déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH). Selon le DSM-5, les troubles
neurodéveloppementaux sont :
• le déficit intellectuel ;
• les troubles de la communication (trouble du langage, trouble de la phonation,
trouble de la communication sociale et le trouble de la fluidité verbale apparaissant
durant l'enfance (bégaiement) ;
• les troubles du spectre autistique ;
• le TDAH (inattention, désorganisation, hyperactivité/impulsivité) ;
• les troubles neurodéveloppementaux moteurs (troubles de la coordination,
mouvements stéréotypés et tics) ;
• les troubles spécifiques des apprentissages.
Ces troubles sont d'origine biologique. En l'état actuel des connaissances, la littérature
suggère qu'ils résulteraient d'une interaction entre facteurs génétiques, épigénétiques et
environnementaux qui compromettrait le fonctionnement optimal du cerveau. Les
troubles neurodéveloppementaux incluent donc ce qu'on appelle communément les
troubles « dys » : dysphasie, dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dyspraxie. Il
convient toutefois de faire un point sur cette terminologie des « dys », car les « dys »
regroupent en réalité plusieurs catégories (figure 24.1). On distingue :
FIGURE 24.1 Troubles neurodéveloppementaux, « dys –
diagnostics », « dys-symptômes » et troubles spécifiques des
apprentissages.
• Les dys-symptômes (par exemple, dyslexie, dysorthographie, dyscalculie…
autrement dit les troubles spécifiques des apprentissages). Dans le cas des « dys-
symptômes », il faudra rechercher les causes primaires du symptôme. En effet, les
dys-symptômes sont généralement sous-tendus par un/des dys-diagnostic(s) (par
exemple, dysgraphie liée à une dyspraxie, dyscalculie liée à un syndrome
dysexécutif). Dans le cadre de la démarche diagnostique, il ne faut donc pas s'arrêter
à la constatation du « dys-symptôme », il faut également identifier le « dys-
diagnostic ». Autrement dit, un trouble des apprentissages (ex dyslexie) est toujours
sous-tendu par un ou des troubles cognitifs spécifiques (par exemple, langage,
mémoire). La rééducation du trouble cognitif est complémentaire à la rééducation
spécifique de l'apprentissage (ici la lecture) ; la combinaison des deux devrait
permettre une rééducation optimum.
• Les « dys-diagnostics » (par exemple, dysexécutif, dysphasie, etc.). Certains « dys »
constituent une étiologie, autrement dit, ils expliquent directement les symptômes
observés. C'est le cas par exemple des dysphasies, des dyspraxies, des troubles de
l'attention et des fonctions exécutives, des dysgnosies et des déficits mnésiques.
• Les troubles qui ne s'appellent pas « dys », mais qui en sont pourtant (par exemple,
Trouble d'acquisition de la coordination – TAC – ou Trouble déficitaire de l'attention
avec ou sans hyperactivité – TDA/H).
Il est bien entendu possible d'avoir plusieurs « dys » associés (multi-dys). Ce serait le
cas de la moitié des enfants concernés environ. Toutefois, cette prévalence est
probablement surestimée du fait de la confusion entre « dys-diagnostics » et « dys-
symptômes ». En effet, un diagnostic unique peut entraîner de nombreux symptômes :
pour reprendre l'exemple de Mazeau et Pouhet (Mazeau, 2014), une dyspraxie
visuospatiale peut induire une dysgraphie, une dyscalculie (spatiale) et une dyslexie
(visuelle). Au sens strict, on ne peut parler de comorbidité que lorsque deux dys-
diagnostics indépendants coexistent (par exemple, déficit attentionnel et du langage
oral).

Le diagnostic
Le diagnostic se fait selon les critères du DSM-5. Il nécessite de faire la preuve de
3 critères d'inclusion et 5 critères d'exclusion (voir tableau 24.1). Généralement, les
critères d'exclusion sont investigués en premier.

Tableau 24.1
Critères d'inclusion et d'exclusion nécessaire à l'établissement d'un diagnostic de
« dys ».

Critères d'inclusion Critères d'exclusion

1. Le trouble est durable : 1. Absence de déficit intellectuel.


– il se manifeste depuis au moins 6 mois ; 2. Absence d'une autre pathologie connue : psychiatrique,
– il se manifeste précocement et est généralement résistant potentiellement susceptible de se manifester par un
aux aides habituellement proposées ; trouble des apprentissages
2. le patient présente au moins un symptôme parmi les 6 cités 3. Absence de scolarisation régulière.
par le DSM-5 (dans les domaines de la lecture, de l'écriture ou 4. Absence d'une situation socio-économique susceptible
des mathématiques*). d'expliquer le trouble des apprentissages.
3. Le trouble est quantifiable. 5. Absence de difficultés liées à la langue dans laquelle est
fait l'enseignement.
*
Par exemple, dans le domaine mathématique, le sujet peut présenter des difficultés à appréhender la notion de
nombres (ordre de grandeur) et les calculs mathématiques de base (Crocq et Guelfi, 2015).

Critères d'exclusion
Établir l'absence de déficit intellectuel
Contrairement aux troubles spécifiques des apprentissages, la déficience intellectuelle
est un trouble cognitif global avec des conséquences dans tous les secteurs des
apprentissages. Pour écarter une déficience intellectuelle, il convient d'adopter une
démarche neuropsychologique plutôt que psychométrique. Historiquement, la
déficience intellectuelle était diagnostiquée en référence aux performances à une échelle
globale d'évaluation de l'efficience intellectuelle (par exemple, échelle de Weschler). Le
diagnostic était posé quand un sujet obtenait un score global inférieur à 70 (soit moins
deux écarts-types par rapport à la moyenne, voir figure 24.2).
FIGURE 24.2 Normal et pathologique.
Notes : pour presque toutes les capacités d'un sujet (plan langagier, mnésique, visuo-spatial,
lexical, moteur, etc.), il existe un continuum de performances : certain sujets sont très
performants, d'autres moyens, d'autres en difficulté et d'autres en grande difficulté. La
distribution des scores à une épreuve suit généralement une courbe en cloche (ou courbe de
Gauss). L'écart-type (ET) mesure la dispersion des scores par rapport à la moyenne. La norme
attendue se situe autour de la moyenne ± 1 ET. On définit comme pathologique toute
performance en deça de 1,5 ET de la norme (soit 6,6 % de la population) ou, si l'on est plus
strict en deça de –2 ET (soit 2,2 % de la population). Pour poser le diagnostic de trouble, il
convient donc de faire la différence entre difficulté (–1 à –1,5 ET) et trouble (à partir de
-1,6 ET) en utilisant des tests adaptés et validés.

Avec le développement des connaissances concernant la neuropsychologie, il n'est


plus pertinent d'interpréter une constellation d'épreuves de façon globale. En effet,
l'interprétation par indice (Indices de Compréhension Verbale, Raisonnement Perceptif,
Vitesse de Traitement, Mémoire de Travail) ne permet pas une analyse assez fine des
difficultés d'un sujet pour conclure précisément sur ses troubles ou difficultés (voir
Mazeau, 2014). Pour Mazeau (2014), si au moins une des quatre épreuves des échelles
de Wechsler très saturée en facteur g est réussie (c'est-à-dire dans la norme), alors on
peut éliminer une déficience intellectuelle ; les épreuves concernées sont : similitudes,
cubes, identification de concepts et matrices. Si ces quatre épreuves sont échouées, il
convient d'examiner deux hypothèses : la présence d'une déficience intellectuelle ou
une association de plusieurs troubles « dys », l'un affectant le traitement verbal (par
exemple, dysphasie) et l'autre le traitement non verbal (par exemple, dyspraxie). Il est
alors conseillé de faire passer une dernière épreuve saturée en « facteur g », mais ne
recrutant ni les compétences verbales, ni les compétences practo-spatiales (par exemple,
subtest analyse catégorielle de l'EDEI-R).

Établir l'absence d'un trouble du spectre autistique


Le trouble du spectre de l'autisme (TSA) se caractérise par :
• des difficultés sévères dans les interactions sociales ;
• un déficit de communication ;
• des centres d'intérêts limités et stéréotypés.
On parle de « spectre autistique » pour rendre compte de la variabilité importante des
signes cliniques et de leur degré de gravité.
Le diagnostic est clinique : en l'état actuel des connaissances, il n'existe aucun
marqueur biologique directement accessible. Il peut être posé à partir de 2 ans, en
référence aux critères du DSM-5 ou de la CIM-10 et comporte le plus souvent :
• une observation clinique ;
• un examen psychologique, comprenant généralement :
– des tests visant à établir le niveau de fonctionnement intellectuel et le profil
cognitif (Brunet-Lézine, tests de Wechsler, K-ABC, autres tests
neuropsychologiques, etc.),
– une échelle visant à évaluer les capacités socio-adaptatives (échelle de Vineland),
– un test spécifique : le PEP-R, évaluant le comportement et les compétences du sujet
dans différentes situations ;
• un examen du langage et de la communication ;
• éventuellement un examen du développement des fonctions motrices.

Autres critères d'exclusion


L'absence des autres critères d'exclusion (déscolarisation ou scolarisation insuffisante,
difficultés socio-économiques, etc.) est à investiguer au cours de l'entretien avec le
patient et/ou sa famille. Des bilans médicaux complémentaires peuvent également être
demandés afin d'établir l'absence de trouble neurologique ou sensoriel.

Critères d'inclusion
Les critères d'inclusion sont présentés dans le tableau 24.1.
Le 1er critère à investiguer est le caractère durable du trouble. Il doit être présent
depuis au moins 6 mois. Il est présent depuis toujours chez l'enfant, mais peut toutefois
s'observer tardivement dans la mesure où le trouble ne se manifeste que lorsque l'on
sollicite les fonctions dysfonctionnelles du sujet (par exemple, il est difficile de dépister
une dyslexie avant l'apprentissage de la lecture).
Dans un 2e temps, des épreuves visant à évaluer le fonctionnement intellectuel du
sujet sont habituellement proposées. Les épreuves les plus couramment utilisées en
première intention sont les échelles de Wechsler. Elles permettent de formuler des
hypothèses quant aux fonctions cognitives spécifiques susceptibles de contribuer au(x)
trouble(s).
Dans un 3e temps, il faut tester ces hypothèses, en évaluant les fonctions cognitives en
question (par exemple : l'attention, la mémoire, le langage, etc.) avec des tests
spécifiques.

Dépister les DYS : une démarche à systématiser


Pourquoi faut-il porter un diagnostic de « dys »
Poser le diagnostic de « dys » le plus précocement possible est extrêmement important
pour l'enfant et sa famille. En effet, ce diagnostic peut ouvrir le droit à être reconnu
comme personne présentant un handicap : les troubles seront donc pris en compte et
accompagnés. Dès lors que le diagnostic est posé, l'enfant n'est plus en échec, mais en
devenir : l'entourage reconnaît qu'avec ses capacités individuelles, il progressera à son
rythme et met sa disposition des moyens pour y parvenir.
Parmi les aides dont l'enfant peut bénéficier, on compte :
• Les aménagements spécifiques issus du Projet personnalisé de scolarisation (PPS). Le
PPS vise à accompagner l'enfant dans sa scolarité. Il est élaboré par la Maison
départementale des personnes handicapées (MDPH), en collaboration avec le
personnel encadrant de l'enfant (enseignant, rééducateurs, médecins, etc.) et suivi
par un enseignant référent. Le PPS permet entre autres :
– l'attribution d'une Auxiliaire de vie scolaire (AVS) ;
– l'attribution de matériel informatique (logiciel d'aide à la lecture, à l'écriture, etc.) ;
– l'aménagement des conditions d'examen (temps supplémentaire, droit à avoir
recours à un outil informatique, etc.)
– l'intervention d'un SESSAD (Service d'éducation spéciale et de soins à domicile) ;
– l'orientation vers une ULIS-école ou -collège (Unité localisé pour l'intégration
scolaire ; les ULIS-écoles correspondent à ce que l'on appelait anciennement les
CLIS : Classe d'Intégration scolaire) ;
– l'orientation vers un autre établissement spécialisé.
• Les rééducations et aides pluridisciplinaires : ces rééducations (auprès
d'orthophonistes, d'ergothérapeutes, de neuropsychologues, de psychomotriciens,
etc.), parfois intensives, permettent à l'enfant de recevoir une aide adaptée à ses
difficultés.
L'Allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH). Il s'agit d'une participation
financière réservée aux familles ayant un enfant handicapé afin de les aider à subvenir
aux frais liés à la prise en charge du handicap.

Pistes pour le bilan à l'attention du psychologue non-


neuropsychologue
Nous avons vu que le diagnostic de « dys » ou de troubles spécifiques des
apprentissages nécessitait d'adopter une démarche neuropsychologique. Or, peu de
professionnels sont encore formés à cette approche. Comment le psychologue non-
neuropsychologue peut-il détecter ce type de troubles ?

Entretien clinique
L'entretien avec les parents et l'enfant est l'indice le plus important. Le signalement de
difficultés scolaires doit systématiquement pousser le psychologue à investiguer la
présence de troubles spécifiques ou autres « dys ». Grâce à l'entretien et l'analyse des
résultats scolaires, il pourra relever la nature et l'intensité des difficultés. L'entretien doit
permettre de valider la plupart des critères d'exclusion (critères 2, 3, 4 et 5, voir
tableau 24.1) et les deux premiers critères d'inclusion (notion de durée des troubles et
nature des difficultés).
Lors de cet entretien, le psychologue doit considérer avec prudence les éventuelles
comorbidités psychiatriques. En effet, comme nous l'avons vu plus haut, le « tableau
dys » s'accompagne souvent de comorbidités psychiatriques (par exemple dépression,
anxiété, phobie scolaire, trouble oppositionnel, trouble des conduites, etc.). Avant de
considérer que les difficultés scolaires sont la conséquence des troubles psychiatriques
(ou de difficultés psychologiques), il convient de s'assurer qu'ils n'en sont pas la cause.

Passation d'une échelle de Wechsler


La passation d'une échelle de Wechsler ne permet pas de poser un diagnostic. En effet,
dans le cas d'un trouble spécifique des apprentissages, ces échelles ne mettent pas en
avant beaucoup de signes exploitables : éventuellement une chute au subtest
d'arithmétique dans le cas d'une dyscalculie, une lenteur et des tremblements au subtest
de code, rien dans le cas de la dyslexie. La passation de l'échelle de Wechsler a en fait
pour objectif d'écarter une déficience intellectuelle. Rappelons que cette étape est
indispensable pour poser le diagnostic de « dys » (voir critère 1 des critères d'exclusion,
tableau 24.1). Or, elle est chronophage et il est souhaitable de l'avoir validée avant
d'orienter l'enfant vers un centre de référence. En effet, ces centres sont bien souvent
surchargés. Quand le bilan est déjà bien avancé : avec une identification claire des
difficultés grâce à l'entretien et un bilan qui atteste d'une efficience intellectuelle
normale (validation de la plupart des critères d'exclusion et d'inclusion), le centre de
référence est consulté de manière optimale dans la mesure où il intervient pour valider
le diagnostic en faisant passer les épreuves complémentaires qui demandent une
expertise neuropsychologique et orthophonique (critère 3 des critères d'inclusion,
tableau 24.1).

Conclusions
Un enfant par classe présenterait des troubles spécifiques des apprentissages. Alors que
ces troubles ont des répercussions sévères et multiples sur les enfants, ils restent encore
sous diagnostiqués et mal connus des professionnels. Contrairement aux idées reçues, la
passation d'échelles de Wechsler ne permet pas leur diagnostic. C'est l'approche
neuropsychologique qui est la plus adaptée. Le diagnostic est primordiale parce qu'il
permet la mise en place d'aides adaptées et l'accès à un réseau de professionnels formés
spécifiquement à ces troubles.

Références
Crocq M.-A., Guelfi J.-D. DSM-5 : manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux (5e). 2015.
INSERM. Dyslexie, dysorthographie, dyscalculie - Bilan des données scientifiques.
Paris : Les éditions Inserm. 2007.
Mazeau M. Neuropsychologie et troubles des apprentissages chez l'enfant. Elsevier
Masson: Issy-les-Moulineaux; 2014.
Lectures conseillées
Grégoire J. L'examen clinique de l'intelligence de l'enfant : Fondements et pratique du
WISC-IV (2e édition revue et augmentée). Éditions Mardaga: Wavre; 2009.
Habib M. La constellation des dys. De Boeck-Solal: Bruxelles-Paris; 2014.
Lussier F., Flessas J., Voyazopoulos R. Neuropsychologie de l'enfant : Troubles
développementaux et de l'apprentissage (2e édition). Paris: Dunod; 2009.

Sites web conseillés


La liste des centres de référence des troubles du langage et des apprentissages est
consultable auprès de l'INPES : http://www.inpes.fr/ ou
http://www.inpes.sante.fr/10000/themes/troubles_langage/recherche_centres.asp
Pour plus d'informations sur le diagnostic de l'autisme, le lecteur peut se référer
aux recommandations de la Haute Autorité de Santé, accessibles sur internet :
http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_468812/recommandations-pour-la-
pratique-professionnelle-du-diagnostic-de-l-autisme
CHAPITRE 25

La psychosociologie des institutions


scolaires
Sandra Bruno

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Activité professionnelle et institution : l'exemple du système éducatif
L'environnement historico-culturel, l'institution politique et ses finalités
L'institué : les marqueurs institutionnels de l'activité professionnelle
L'instituant : les acteurs
Conclusion

Introduction
Dans une réunion d'enseignants chevronnés, l'un d'eux dit : « lorsque j'ai débuté ma
carrière, il y a un terme qui me posait problème, c'est le terme "institution". Partout il
était question de l'institution, j'entendais à chaque discussion "l'institution… notre
institution…" et à dire vrai, je ne comprenais pas son sens ». À cela, un autre enseignant
réagit de façon ironique, mais révélatrice : « parce que maintenant, tu crois savoir ce que
c'est ? ! » Ce court échange illustre à la fois l'omniprésence des institutions dans le
travail (ici celui d'enseignants), et la difficulté de les saisir, de s'en saisir.
Quel que soit son champ d'activité, tout professionnel est en lien plus ou moins direct
avec les institutions, et ce lien contient généralement une large part d'implicite. Même
en en ayant une connaissance formelle, l'institution reste d'une certaine façon obscure
au quotidien des pratiques professionnelles, sociales et personnelles.
Le terme « institution » a une double signification. L'institution comme action
d'instituer quelque chose renvoie à l'historique de la nécessité d'instituer, son processus
de mise en place et son évolution. L'institution comme la « chose instituée » (ou
l'institué) renvoie aux institutions sociales et administratives, c'est-à-dire à l'ensemble
des règles formalisées régissant la vie collective, les établissements et les services, leurs
personnels. L'institution est l'instrument politique qui permet la mise en œuvre des
politiques sociales, dans le but de maintenir la cohésion de la société, et de compenser
les inégalités (Thévenet, 2002).
Reboul (1989) développe certaines caractéristiques des institutions. Elles sont
autonomes et stables (avec une certaine relativité). Elles sont à la fois contraignantes et
protectrices : elles induisent des droits et devoirs qui cadrent les libertés des acteurs de
l'institution, en répartissant les pouvoirs et les délégations ; elles régulent les
fonctionnements inter-individuels des citoyens. Elles sont instrumentées matériellement
(établissements, outils) et représentées symboliquement.
L'objectif de ce chapitre est d'envisager certains effets de l'institution sur l'activité
professionnelle et de les analyser d'un point de vue de psychologue attaché à la
question de la conceptualisation et de l'action. Notre perspective est d'offrir des pistes
de réflexion afin de permettre au lecteur de prendre de la distance vis-à-vis des
dimensions institutionnelles de son métier (présent ou à venir), pour moins subir sans
les comprendre les influences (le « poids » dit-on parfois) des institutions. Ainsi, il
pourra relativiser les jugements sur les institutions : nécessité, forces, faiblesses, etc.

Activité professionnelle et institution : l'exemple du


système éducatif
L'institution est présente à différents niveaux de l'activité professionnelle, mais le degré
de conscience – et de maîtrise – de son effet est variable. De même, le degré de
« manipulation » voire d'« affranchissement » des injonctions institutionnelles est lui
aussi variable au cours de l'évolution d'une carrière. En effet, en affirmant son style au
sein de sa communauté, le professionnel peut être amené à utiliser plus aisément les
outils institutionnels qu'il a pu expérimenter, tout en pouvant agir, décider et évoluer
de façon distanciée.
Nous prendrons comme fil conducteur les situations d'enseignement en partant du
niveau d'influence institutionnelle le plus général, à savoir l'environnement historico-
culturel, pour nous rapprocher au plus près du sujet apprenant en abordant ses
relations aux objets de savoir scolaire et aux médiations qui les accompagnent. Nous
montrerons ainsi comment l'apprenant est inscrit dans un réseau d'influences dont les
paramètres institutionnels sont multi-niveaux (une présentation plus détaillée des
théories psychologiques décrivant ces différents niveaux peut être trouvée dans
Bruno et Munoz, 2010). Malgré tout, ces influences ne sont pas déterministes et nous
verrons que les enseignants, les parents et les élèves peuvent prendre une part active
dans ce phénomène. Enfin, nous conclurons avec quelques pistes de généralisation.

L'environnement historico-culturel, l'institution politique


et ses finalités
Dans l'omniprésence de l'environnement historico-culturel, l'institution éducative joue
un rôle primordial ; elle assure une mission politique à vocation d'influence durable sur
la société d'aujourd'hui et surtout de demain.
Tous les aspects éducatifs s'inscrivent dans les conventions et modes de pensée qui
entourent l'enfant depuis la naissance, à travers la première institution qu'il côtoie : la
famille. Vygotsky, puis Bruner ont démontré ce phénomène, en insistant
particulièrement sur le rôle du langage et de la situation d'interaction expert/apprenant.
À partir de l'approche socio-culturelle vygotskienne, Bruner (1996) développe l'idée que
la culture modèle la pensée, entre autres par des processus inhérents à la narration
spécifiquement et progressivement développée par l'humain, et prenant une place de
plus en plus majeure dans la société en général et dans les institutions de transmission
intergénérationnelle en particulier. De la sorte, les objets culturels abstraits et concrets
interfèrent dans le développement des fonctions mentales supérieures. À titre illustratif
de l'importance croissante du langage et de l'institution dans l'héritage de notre
patrimoine culturel, Bruner rappelle que l'humanité a évolué depuis des situations
d'apprentissage finalisées par un travail productif, vers des situations finalisées par
l'apprentissage en tant que tel. Dans les sociétés préindustrielles, les apprentissages
étaient inclus dans les activités de la vie quotidienne, procédant essentiellement par
imitation. Les enfants apprenaient en participant aux tâches des adultes.
Depuis, l'École s'est instituée par les enjeux et les lois d'une époque donnée. C'est
ainsi que les lois de Jules Ferry se sont inscrites dans les projets de sécularisation de la
société française, accompagnés des convictions des bienfaits de la science et donc de sa
diffusion auprès du plus grand nombre, dans le but de fournir aux citoyens, via
l'éducation, les moyens d'agir pour changer et faire évoluer la société.
Ferry (1876) : « Je ne crains pas de le dire, les sociétés modernes retourneraient très
vite à la barbarie, si l'État, si la société civile, si la puissance publique ne veillaient
incessamment sur l'enseignement. (…) La nécessité s'impose à la société moderne, en
face de l'industrialisme qui monte et qui menace de tout étouffer, de ne jamais délaisser
le haut enseignement. »
Avec le développement de l'industrialisation, l'école est aujourd'hui le moyen de
fournir à la société les compétences nécessaires à sa compétitivité. Il y a là un
« basculement » depuis une éducation fondée sur la mise en œuvre du principe
« liberté, égalité, fraternité » se destinant à former des citoyens capables de comprendre
et de transformer de façon créative leur « monde », vers une éducation destinée à
intégrer ses citoyens dans un « monde » (une société) pré-déterminé à travers – entre
autres – l'institué. Actuellement, il semble que la mission éducative de l'école soit en
pleine redéfinition.
Dans un entretien, Dubet (2005) explique comment les tentatives institutionnelles de
ré-équilibration des effets non souhaités sont non seulement vouées à l'échec, mais ont
même des incidences psychologiques contre-productives :
« Alors que l'école française fonctionnait selon un modèle théorique d'égalité des
chances, nous découvrons que, dans une société inégalitaire, non seulement l'école
reproduit les inégalités, mais aussi qu'elle en « rajoute une couche », car elle ne parvient
pas à proposer la même offre scolaire à tous. (…) Ajoutons que le système de l'égalité
des chances, même quand il fonctionne bien, peut être très dur pour les perdants qui
peuvent se sentir coupables de ne pas réussir, alors que les vainqueurs ont toutes les
raisons de croire naïvement en leur légitimité. »

L'institué : les marqueurs institutionnels de l'activité


professionnelle
Nous développerons deux exemples de références majeures pour l'enseignant : les
programmes et les manuels scolaires.

Les programmes scolaires


Chevallard (1985) décrit les programmes scolaires comme une étape de la transposition
didactique, phénomène de transformations successives des savoirs, depuis la sphère
savante jusqu'à leur acquisition et utilisation par les élèves. Ce travail est réalisé par un
ensemble d'acteurs qui constitue ce que cet auteur appelle la noosphère (experts en
pédagogie, didacticiens, inspecteurs, chercheurs, missionnés par le ministère de
l'Éducation). Le résultat est une « scolarisation » du savoir savant, proposée dans une
programmation des objectifs significatifs (relativement aux finalités de l'institution
politique) qui feront l'objet du processus d'enseignement et d'apprentissage à l'école.
Les extraits ci-dessous permettent une réflexion sur la façon dont l'enfant a une place
d'élève selon les intentions interprétables à partir de l'analyse des textes officiels. Il
s'agit d'extraits de programmes concernant l'apprentissage de la langue à l'école
maternelle. Nous avons choisi la compétence langagière comme exemple, car elle
constitue, comme l'indique chacun des programmes, une base critique pour les
apprentissages tels qu'ils sont envisagés dans notre système scolaire actuel. Nous
pouvons ainsi faire l'hypothèse que l'entrée dans cette compétence, et la façon de la
construire, conditionneront le type de rapport aux savoirs sur lequel s'appuiera l'enfant
pour poursuivre ses apprentissages. De plus, les compétences langagières peuvent
sembler relever d'une acquisition spontanée, ce qui donne l'impression que l'éducation
pourrait y participer de façon relativement intuitive. En effet, tout enseignant connaît la
langue française (qui est souvent sa langue maternelle). Mais cet exemple illustre
parfaitement l'idée que la compétence à enseigner dépasse largement la maîtrise de
l'objet d'enseignement.

B.O. du 14 février 2002 : Le langage au cœur des


apprentissages
« 1 - Permettre à chaque enfant de participer aux échanges verbaux de la classe et
inscrire les activités de langage dans de véritables situations de communication
Quand il arrive pour la première fois à l'école maternelle, l'enfant découvre que
(…) la communication avec les adultes, comme avec les autres enfants, perd
l'évidence attachée au milieu familial. (…)
Cette communication est loin d'être seulement verbale. Elle s'inscrit aussi dans les
gestes et les attitudes, dans la clarté et dans l'évidence des situations. Elle suppose
donc, de la part de l'enseignant, un respect scrupuleux de l'organisation des espaces
et du temps, une mise en place matérielle rigoureuse de chaque activité, une attention
permanente à ce qui se passe dans la classe, un souci d'explicitation du vécu
quotidien, une verbalisation simple et fortement ancrée dans son contexte. »
B.O. du 19 juin 2008 : S'approprier le langage
« Le langage oral est le pivot des apprentissages de l'école maternelle. L'enfant
s'exprime et se fait comprendre par le langage. Il apprend à être attentif aux messages
qu'on lui adresse, à les comprendre et à y répondre. Dans les échanges avec
l'enseignant et avec ses camarades, dans l'ensemble des activités et, plus tard, dans
des séances d'apprentissage spécifiques, il acquiert quotidiennement de nouveaux
mots dont le sens est précisé, il s'approprie progressivement la syntaxe de la langue
française. La pratique du langage associée à l'ensemble des activités contribue à
enrichir son vocabulaire et l'introduit à des usages variés et riches de la langue
(questionner, raconter, expliquer, penser). (…)
Comprendre
Une attention particulière est portée à la compréhension qui, plus que l'expression,
est à cet âge étroitement liée aux capacités générales de l'enfant. Les enfants
apprennent à distinguer une question, une promesse, un ordre, un refus, une
explication, un récit. Ils distinguent la fonction particulière des consignes données par
l'enseignant et comprennent les termes usuels utilisés dans ce cadre. »

B.O du 26 mars 2015 : Mobiliser le langage dans toutes ses


dimensions
L'oral
Oser entrer en communication
L'objectif est de permettre à chacun de pouvoir dire, exprimer un avis ou un besoin,
questionner, annoncer une nouvelle. L'enfant apprend ainsi à entrer en
communication avec autrui et à faire des efforts pour que les autres comprennent ce
qu'il veut dire. Chacun arrive à l'école maternelle avec des acquis langagiers encore
très hésitants. Entre 2 et 4 ans, les enfants s'expriment beaucoup par des moyens non-
verbaux et apprennent à parler. (…) Après 3–4 ans, ils poursuivent ces essais et
progressent sur le plan syntaxique et lexical. (…) Autour de 4 ans, les enfants
découvrent que les personnes, dont eux-mêmes, pensent et ressentent, et chacun
différemment de l'autre. Ils commencent donc à agir volontairement sur autrui par le
langage et à se représenter l'effet qu'une parole peut provoquer : ils peuvent alors
comprendre qu'il faut expliquer et réexpliquer pour qu'un interlocuteur comprenne,
et l'école doit les guider dans cette découverte. Ils commencent à poser de vraies
questions, à saisir les plaisanteries et à en faire.

Les programmes inscrivent très différemment dans la classe la relation entre


l'enfant, l'agir et le langage. À cet égard, les titres sont très évocateurs. Dans le
programme de 2002, l'action est le contexte et la référence de la prise de parole
nécessaire à la construction du sens et de l'usage de la langue pour le signifier. On peut
faire l'hypothèse d'une inspiration des pédagogies insistant sur le rôle des situations
dans les apprentissages. Dans le programme de 2008, le langage, qui permet en premier
lieu de « comprendre », est l'instrument par lequel l'enseignant fait agir l'enfant, de
façon conforme aux consignes. On peut faire l'hypothèse d'un évitement des références
possibles en pédagogie ou psychologie, pour privilégier les objectifs et résultats
attendus (le ministre porteur de la rénovation des programmes de 2008 avait dit que
l'évaluation des enseignants ne devait pas porter sur leurs méthodes, mais sur leurs
résultats). Dans le programme de 2015 apparaît une description du développement des
compétences de l'enfant en communication, en lien avec la psychologie du
développement (en particulier les descriptions des théories de l'esprit), et la linguistique
pragmatique. Par exemple, l'émergence de l'intention dans la communication de l'enfant
locuteur est prise en compte.

Les manuels
Lorsqu'un enseignant prépare ses leçons, il utilise des outils pédagogiques et
didactiques adaptés, pour le niveau de sa classe, à l'apprentissage des savoirs de la
discipline concernée. Dans cette démarche, il dispose de manuels conçus en fonction
principalement des programmes en vigueur, mais pas seulement : les manuels sont
fortement influencés par les modèles scientifiques contemporains à leur élaboration,
non seulement psycho-pédagogiques, mais aussi épistémologiques et techniques.
Pour illustrer cette influence, nous prenons un exemple concernant les premières
acquisitions mathématiques à savoir celles de nombre, vues sous l'angle de la logique
supposée du développement de l'enfant et de ses capacités de conceptualisation. En
comparant des manuels de différentes époques, il ressort, à travers la diversité
d'exercices portants sur le même concept, qu'au-delà des différences de forme (le type
d'objets représenté, l'organisation dans l'espace, etc.), le concept même de nombre peut
être appréhendé de différentes façons. Il apparaît que l'enseignement du nombre induit
des questions épistémologiques dont il s'agira d'institutionnaliser les réponses quant à
leur compréhension par des enfants de 6 ans. L'histoire des mathématiques, l'histoire de
l'épistémologie et de la didactique, l'histoire de la psychologie de l'enfant et l'histoire de
la pédagogie se retrouvent impliquées dans les choix de conception.
Les extraits ci-dessous (1960, 1970, 1985, 2015), portent sur la numération de position,
c'est-à-dire le système de calcul que nous utilisons dans nos sociétés occidentales, en
base 10. L'apprentissage de la dizaine est donc, pour notre système, fondateur des
opérations mathématiques que l'enfant apprendra par la suite.
Des années 1930 aux années 1960, les manuels sont assez semblables (figure 25.1).
Durant cette période, l'épistémologie des sciences est en plein essor, mais n'a pas encore
d'application à l'école. Quant à la didactique, elle ne s'est pas encore développée
institutionnellement ; le manuel est destiné tout autant à l'élève qu'à l'enseignant et la
place de l'enfant n'est pas intégrée dans une pédagogie. La base 10 est matérialisée par
les cartes de 10 boutons, mais son fonctionnement ne constitue pas un objectif. Les
objets qui servent d'appui sont issus du quotidien de l'enfant et de l'adulte,
correspondant à une conception utilitariste des mathématiques et de la fonction de
l'école en général. Les apprentissages qui sont mis en application dans les manuels
reposent sur un empirisme sensualiste : les connaissances se forment à partir de
l'expérience et de l'observation, en allant du simple au complexe.
FIGURE 25.1 Extrait n° 1. Manuel datant de 1960 (Delagrave).
Dans les manuels des années 1970 (figures 25.2 et 25.3), les situations abstraites
plongent l'élève à l'intérieur de l'univers mathématique. En référence aux théories
mathématiques ensemblistes, l'approche du nombre est structuraliste et logique.
L'enfant doit construire les notions sous-jacentes au nombre (désignation d'un
ensemble, catégorisation, etc.) avant de les utiliser pour élaborer le concept par
abstraction réfléchissante. Cette progression s'appuie sur une psychologie
constructiviste où la manipulation concrète des objets est à mettre en correspondance
avec la manipulation mentale des concepts. L'activité prime sur le verbal : c'est à partir
de l'action que l'enfant peut abstraire les notions. Dans ce cadre, les opérations réalisées
en bases autres que la base 10 sont des exercices visant à faire comprendre la logique
sous-jacente à notre système.
FIGURE 25.2 Extrait n° 2. Manuel datant de 1970 (J. Manesse et G. Lecouvez, Math001, Plastifiche,
Hachette).
FIGURE 25.3 Extrait n° 3. Manuel datant de 1977 (Nicole Picard (Dir) Activités
mathématiques à l'école élémentaire, OCDL).

Dans les manuels des années 1980, l'importance de l'action est conservée (usage des
baguettes cuisenaires dans la figure 25.4), mais avec très peu d'activités prénumériques.
L'approche est procédurale : c'est en construisant des procédures de résolution de
problème que la logique sous-jacente est utilisée et se renforce. La référence à la
psychologie cognitive considère l'individu comme un « système de traitement de
l'information » et une compétence à faire développer à l'enfant est celle de la sélection
des informations pertinentes à la résolution du problème, d'où un environnement
chargé en informations en tous genres. Le nombre prédomine d'emblée dans les
situations proposées. On « vit le nombre » avant de s'en construire une idée. Dans
l'extrait ci-dessus, l'exercice sur la base 3 est un travail d'écriture des nombres plus que
de manipulation des quantités qu'ils représentent.
FIGURE 25.4 Extrait n° 4. Manuel datant de 1985 (Frederic Joos, Vive les maths, Nathan).
Nous pouvons mentionner deux caractéristiques prédominantes dans les manuels
actuels (figure 25.5) : la multimodalité d'une part et le recours à des artéfacts
accompagnés de leurs schèmes d'usage d'autre part. L'extrait ci-dessous illustre à deux
reprises l'accompagnement des concepts mathématiques par leur expression verbale
(lorsqu'est signalée la difficulté des nombres « dont le nom ne correspond pas
directement au contenu arithmétique », et lorsque la réponse au dénombrement est
accompagnée de l'expression « Il y a… »). La « boîte-dix » est un outil de numération
proposé pour rester utile à l'élève tout au long de sa découverte du nombre. Des auteurs
comme Baruk, Duval, Rabardel, pour n'en mentionner que très peu, ont fort
probablement inspiré ces choix didactiques.
FIGURE 25.5 Extrait n° 5. Manuel datant de 2015 (Gérard Champeyrache, Alain Fréville,
Claire Mariacher, La clé des maths, Belin).

Avec ces illustrations de la diversité de présentation d'un domaine simple pour les
adultes, la numération, nous pointons la dimension institutionnelle des activités
proposées aux élèves. Les théories didactiques et psychologiques en cours dans une
société à un moment donné déterminent les conceptions que l'enseignant transmet aux
élèves. On peut s'interroger sur la nature des contenus d'apprentissage à l'école : pour
une même dénomination (par exemple « le nombre »), sont-ils les mêmes à travers le
temps ? En fonction des avancées scientifiques des différentes disciplines impliquées, et
des idéologies, l'institutionnalisation des savoirs prend des trajectoires variables. La
finalité de l'école est la construction des représentations du monde. Considérer
l'influence institutionnelle sur ce processus implique fondamentalement une
interrogation épistémologique : qu'est-ce que ce monde représenté ?

L'instituant : les acteurs


Après avoir envisagé des exemples significatifs à nos yeux de l'importance des
formalisations institutionnelles (l'institué), nous abordons à présent les acteurs de
l'institution. Il s'agit de la communauté formée par les professionnels, mais aussi par
d'autres personnes directement impliquées : les élèves, la famille, les partenaires de
l'école (associations, politiques de la ville et de la région, entreprises, etc.). Nous
souhaitons montrer qu'il leur est possible de faire vivre leur institution, de façon plus
ou moins intentionnelle, plus ou moins spontanée, et même de la faire évoluer. Ils
peuvent alors aller jusqu'à jouer un rôle instituant lorsque cette évolution est
institutionnalisée.

Les enseignants
Une loi peut avoir une influence plus large que l'objectif institutionnel pour lequel elle a
été initialement pensée et rédigée. Avec le cas très conséquent pour la pratique
quotidienne des enseignants concernant l'intégration des enfants en situation de
handicap (loi de 2005 pour la participation et la citoyenneté des personnes handicapées,
et la politique scolaire inclusive qu'elle implique), Feuilladieu et al. (2015) observe des
transformations des pratiques d'enseignement :
« Les aides pédagogiques mises en place relèvent à la fois de gestes spécifiques et
génériques. Diffusées à d'autres élèves de la classe n'étant pas en situation de handicap,
mais répondant aux mêmes besoins éducatifs et développées à partir des routines
professionnelles qu'elles rendent plus efficientes, ces aides ne constituent pas seulement
quelques outils de plus. Elles constituent aussi une évolution du métier, par
l'orchestration spécifique innovante de dispositions pratiques génériques, utile à tous. »
(ibid, p. 4.).
Ainsi, les professionnels s'investissent des conséquences des évolutions
institutionnelles pour être créatifs dans leurs champs d'action, ce qui peut les conduire à
être instituants et faire eux-mêmes progresser les cadrages institutionnels. Dans ce sens,
Hannoun (1995), parle d'« école instituée et école instituante » (p. 181) et pour ce dernier
cas, en tant que productrice de sa propre législation interne et de normes sociales
nouvelles.

Les familles
Le rôle des familles dans la scolarité de leurs enfants a beaucoup changé entre la loi du
28 mars 1882, « Loi qui rend l'enseignement primaire obligatoire » où leur fonction était
considérée comme assurant l'obligation scolaire (inscription puis présence de leurs
enfants) et la loi du 28 juillet 2013 « Loi d'orientation et de programmation pour la
refondation de l'école » qui décrit les modalités d'une « coéducation ».
Le rapprochement des familles vers les écoles a ainsi été récemment institué,
probablement pour cadrer la complexification croissante de cette relation.
Dans le cadre de sa démarche socio-clinique institutionnelle, Monceau (2008) propose
une « analyse résistancielle (analyse par les résistances) [qui] vise à éclairer les nouvelles
interférences institutionnelles entre Écoles/Famille générées par les transformations en
cours » (p. 4). Son analyse qualitative lui permet de dépasser une certaine conception
dichotomique en termes de démission ou d'envahissement :
« Nous avons ainsi observé comment des représentants de parents tentent et
parviennent parfois à renverser les rôles traditionnels et à enrôler idéologiquement les
enseignants dans des dispositifs de coopération. Il arrive ainsi que le conseil d'école
(auquel participent enseignants et représentants de parents) soit le lieu où des parents
réconfortent des enseignants en difficulté en soulignant l'importance de leur mission.
Ce faisant ils résistent à la perte de sens qui peut résulter d'une institutionnalisation de
la coopération. En interrogeant systématiquement sur les finalités des actions mises en
œuvre dans l'école, les parents contraignent les enseignants à expliciter une politique
d'établissement. Par le dialogue, ils peuvent influer sur celle-ci. Ces interventions
menées à partir des instances instituées s'appuient sur la légitimité conférée par la
réglementation scolaire elle-même. » (ibid p. 160)

Les élèves
Les élèves sont-ils susceptibles d'être des acteurs instituants ?
Nous ne nous arrêterons pas à l'institutionnalisation des délégués de classe en 1969,
exemple prototypique, mais considérerons un phénomène proposé ici à titre conjecturel.
À propos de la place des images dans la société et à l'école, nous avons développé
l'idée d'une possibilité de « mutation de l'école » dans ses critères d'excellence et de
sélection (Bruno et Bruno, 2014). Nous partons du double constat du recours de plus en
plus important aux images dans la communication, en particulier chez les jeunes, et de
la reconnaissance, en pédagogie, de la pertinence des images mentales dans le
raisonnement et les apprentissages.
« Une intuition futuriste accompagnée d'une interprétation de la situation actuelle
comme une mutation à l'œuvre nous conduirait à émettre l'hypothèse qu'il pourrait
exister une société dont la langue serait constituée d'images, voire des sociétés douées
de langues-images différentes. Dans ces conditions, la faculté de manipulation des
images serait source de positionnement social, de pouvoir. Après la maîtrise du latin
comme critère d'excellence des humanités classiques, la maîtrise des mathématiques
comme critère des humanités modernes, les images deviendraient-elles le signe
distinctif d'une nouvelle classe dominante ? La maîtrise des images ne serait plus un
critère explicite de réussite, mais une forme de pouvoir social de fait, non décrété,
institué par la "société civile" » (ibid, p. 325).
Conclusion
Les exemples que nous avons développés auront, nous l'espérons, convaincu le lecteur
que les institutions s'immiscent à un niveau psychologique fondamental et individuel,
et ce, de façon non flagrante pour l'observateur non averti.
Pour le professionnel, la prise de conscience de ces influences nous semble a minima
incontournable pour gérer les situations qui font partie de son métier, et tout
particulièrement dans le domaine de la psychologie.
La théorie piagétienne a été critiquée sur un point majeur qui nous semble significatif
dans la présente réflexion : le rapport que nous avons au réel n'est pas direct, mais
médié par la culture et ses institutions. Dans le cas des professions de l'humain, cette
médiation est double et constitue ainsi une mise en abîme : d'une part dans la relation
que le sujet (élève, patient, etc.) entretient avec la réalité qui l'environne et qu'il cherche
à comprendre/maîtriser, et d'autre part dans la relation du professionnel avec ce sujet
qu'il cherche à comprendre/aider/faire évoluer.
En réfléchissant aux implications institutionnelles dans le système éducatif dont on a
développé ici quelques exemples, le lecteur aura pu se positionner sur les différentes
alternatives rapportées, en y voyant, selon les cas, plus ou moins d'intérêt et de
pertinence. À partir de son système de représentations et de conceptions, il aura élaboré
son point de vue sur les finalités de l'école, sur la place à donner aux parents et autres
partenaires, sur l'activité à attendre de l'élève et donc sur le type de situation
d'apprentissage à lui proposer, sur les médiations possibles de l'enseignant. Désormais,
le lecteur a conscience que son adhésion à l'une ou l'autre des alternatives ne fait ni
consensus ni autorité par le fait même de sa conviction. Et c'est précisément à ce
problème que tend à répondre l'institution.
Plusieurs questions émergent alors. Comment juger de ma représentation des
institutions et de ma manière d'interpréter par exemple les droits et devoirs inscrits
dans le cadrage institutionnel ? Quel rapport existe-t-il entre l'institution et
l'organisation hiérarchique dans laquelle mon activité professionnelle s'inscrit ? Et
finalement, comment, de façon générale, considérer l'institution, de l'implication non
critique au rejet aveugle, c'est-à-dire comment ne pas subir sans comprendre ?
Pour guider la recherche d'éléments de réponse à ces questions, nous proposons ci-
dessous quatre pistes de réflexion.

L'interprétation du cadre
L'institution offre un cadre traduisant un système de valeurs dans le but de poursuivre
certaines finalités. Afin d'y définir sa marge de manœuvre, le professionnel doit donner
du sens à ce cadre, exprimé de façon formelle tout en contenant de l'implicite. Ce
processus induit la rencontre de différents registres sémiotiques : les modalités
d'expression et de représentation issues de l'institution ne sont pas les mêmes que celles
du quotidien.
Une approche utile pour mettre à jour ces sens est celle de la comparaison, qu'elle soit
temporelle (que nous avons adoptée ici avec des éléments de comparaison historiques),
ou spatiale (comparaisons inter-culturelles). Les interprétations que nous avons
proposées concernant les programmes et les manuels scolaires sont certes discutables,
mais l'objectif, dans le cadre précis de cet article, est de montrer l'influence idéologique
des textes institutionnels (non pas qu'une référence scientifique soit idéologique en tant
que telle, mais est instituée telle par son choix au détriment d'une autre).

La prise de conscience de l'action et l'explicitation des


savoirs sous-jacents
Le temps de l'interprétation du cadre, décrit ci-dessus comme nécessaire, n'est pas
toujours donné. Il faut gérer des situations en temps réel, et l'objectivité voulue du cadre
institutionnel est alors empreinte de la subjectivité de l'acteur en prises aux événements
inattendus.
L'institution ne s'exprime pas seulement à travers des formalismes, elle est présente,
de façon souvent opaque, dans les actions et décisions de ses acteurs. À ce niveau, les
possibilités de contradiction, d'incohérence, de faille, sont fréquentes.
Piaget décrit la prise de conscience comme un phénomène psychologique prenant
place dans la comparaison entre le résultat effectif d'une action et celui attendu. Ainsi, le
professionnel ne peut comprendre les institutions dont il dépend qu'en y prenant part
activement, tout en joignant à ses interventions une analyse de ses effets.

L'articulation des savoirs prédicatifs et des savoirs


opératoires
Nous appliquons à notre problématique la distinction que défend Vergnaud (1996)
entre savoirs opératoires et savoirs prédicatifs. Ainsi, on peut construire une
connaissance prédicative de l'institution, en étant capable d'en parler, de la définir, et la
décrire dans ses relations à d'autres concepts (tels que « groupe », « organisation »,
« individualisme », etc.), et ce à différents niveaux de généralité. Cela ne s'oppose pas à
une connaissance opératoire de l'institution (ou « connaissance en acte »), car les
individus agissent en situation selon une représentation personnelle de l'institution qui
n'est pas nécessairement formelle et verbale et parfois non consciente des effets qu'elle a
sur leurs décisions et actions.

L'équilibration, source de développement


Dans l'action collective, peuvent apparaître des conflits de conception entre l'institution
et les individus, et des conflits socio-cognitifs (entre individus). La résolution du conflit
est source de développement, de progression. Elle peut passer par des remises en
question plus ou moins profondes. Tout individu évolue par l'alternance de périodes de
stabilité et de déséquilibre, et il en est de même des institutions (voir par exemple : « la
structure des révolutions scientifiques », Kuhn (2008), pour le cas des institutions de
recherche).
En effet, les différents équilibres demeurent instables : la stabilité des institutions n'est
ni rigidité ni immuabilité. Les routines, incontournables dans l'activité de résolution de
problèmes, donnent des repères indispensables pour la confiance dont tout un chacun a
besoin pour s'engager et agir. De la sorte, elles sont des leviers au pouvoir d'action.
Cependant, elles sont aussi faites pour être remises en question.

Références
Bruner J. The Culture of Education. Cambridge, Mass: Harvard University Press;
1996.
Bruno S., Bruno F. Produire des images, fabriquer de la pensée : une articulation
en devenir. In: Meskel-Cresta M., Nordmann J.-F., Bongrand P., Boré C., Colinet
S., Elalouf M.-L., eds. École et mutation : Reconfigurations, résistances, émergences.
Bruxelles: De Boeck; 2014.
Bruno S., Munoz G. Education and interactivism : Levels of interaction influencing
learning processes. New Ideas in Psychology. 2010;28:365–379.
Chevallard Y. La transposition didactique du savoir savant au savoir enseigné. La
Pensée Sauvage: Grenoble; 1985.
Dubet F. Donner autant à ceux qui en ont moins. L'actualité éducative du CRAP. n°.
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Feuilladieu S., Gombert A., Assude T. Vers l'accessibilité aux savoirs des élèves en
situation de handicap. Recherches en éducation. 2015;23:3–11.
Ferry J. Discours à la chambre des députés. 1876.
Hannoun H. Comprendre l'éducation : introduction à la philosophie de l'éducation.
Paris: Nathan; 1995.
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Monceau G. L'usage du concept de résistance pour analyser la coopération des
parents d'élèves avec les enseignants dans l'institution scolaire. 1/7. Nouvelle
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Reboul O. La Philosophie de l'éducation. Paris: Presses universitaires de France. Coll.
« Que sais-je ? »; 1989.
Thévenet A. Les institutions sanitaires et sociales de la France. Paris: Presses
universitaires de France. Coll. « Que sais-je ? »; 2002.
Vergnaud G. Au fond de l'action, la conceptualisation. In: Barbier J.M., ed. Savoirs
théoriques et savoirs d'action. Paris: Presses universitaires de France; 1996 dir.
PA R T I E 4
La psychopathologie et les troubles du
développement
CHAPITRE 26

La contribution biologique en
psychopathologie développementale
Françoise Morange-Majoux

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Définitions et classifications des troubles neurodéveloppementaux
Le retard mental
La schizophrénie
L'autisme
Le trouble de l'attention avec hyperactivité
Conclusion

Introduction
On admet aujourd'hui que les troubles mentaux sont la manifestation, à des degrés
divers, de dysfonctionnements ou anomalies cérébrales, liés à des troubles fonctionnels
ou anatomiques, d'origine génétique et/ou environnementale. En effet, les gènes
interviennent de façon substantielle non seulement dans la genèse et la régulation de
molécules (neuromédiateurs, hormones, enzymes, etc.), mais également dans
l'organisation des connexions entre neurones. L'environnement, qu'il soit social ou
physique, endogène ou exogène, influence quant à lui l'expression des gènes, de telle
sorte que les troubles mentaux sont causés par une combinaison de prédispositions
génétiques et de facteurs environnementaux (sociaux et développementaux),
intervenant de façon plus ou moins prépondérante selon les pathologies (pour une
revue, voir Philips et al., 2000). Loin de constituer un clivage entre psychologues et
neurobiologistes, cette évolution des pensées doit être perçue comme une indéniable
avancée scientifique ayant pour objectif de mieux comprendre les processus et les
mécanismes psychophysiologiques à l'origine, mais aussi, en conséquence de ces
troubles (comme les stratégies cognitives chez les enfants dyspraxiques pour compenser
leurs troubles) afin d'apporter une remédiation au plus près du déficit cognitif,
d'identifier des trajectoires développementales spécifiques et in fine faire de la
prévention1. Enfin, les recherches en psychophysiologie constituent un socle de
connaissances sur lesquelles les chercheurs pourront non seulement s'appuyer, mais
aussi puiser des hypothèses de travail et des principes de fonctionnement. L'exemple de
la schizophrénie sert bien notre propos : considérée comme l'expression d'un esprit fou
au XIXe siècle, ses crises sont calmées pour une partie d'entre elles à partir des
années 1950, par des neuroleptiques dont la principale action est de bloquer les
récepteurs dopaminergiques surstimulés chez les patients schizophrènes. Ainsi, ce
chapitre a pour objectif d'apporter un éclairage neurobiologique aux troubles
psychiques. Pour des raisons d'espace et de clarté, nous n'envisagerons que quelques
exemples ciblés pour illustrer notre propos : le retard mental, la schizophrénie, l'autisme
et le trouble de l'attention avec hyperactivité.

Définitions et classifications des troubles


neurodeveloppementaux
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), les troubles neurodéveloppementaux
concernent 1 enfant sur 6 dans les pays industrialisés. La maladie
neurodéveloppementale est une maladie qui apparaît dès les premières années de vie et
qui évolue en fonction de la maturation du sujet. Elle se caractérise par une perturbation
cliniquement significative et qui est la manifestation d'un dysfonctionnement
comportemental psychologique ou biologique de l'individu. Elle est dite
neurodéveloppementale, car on fait l'hypothèse qu'il existe des anomalies cérébrales
d'origine génétique ou précocement acquises au cours du développement Le DSM-5
regroupe, dans les troubles neurodéveloppementaux, différentes pathologies aux
étiologies variables – génétiques, environnementales, dégénératives, ischémiques,
lésionnelles ou neurochimiques – apparaissant au cours de l'enfance ou de
l'adolescence, comme les troubles du développement intellectuel (retard mental), les
troubles du spectre de l'autisme (TSA), le trouble de déficit de l'attention (TDA), les
troubles des apprentissages et les troubles moteurs. La diversité des troubles et leur
variabilité inter-individuelle rendent difficile leur identification. La principale difficulté
tient au fait que ce trouble, par définition évolue au cours du temps, et peut, selon,
prendre telle out elle forme, stigmatiser tel ou tel comportement (Mises et Quemada,
1994). Les fonctions perturbées peuvent être aussi diverses que nombreuses : langage,
attention, apprentissage, habiletés motrices, mémoire, etc.
L'objectif de ce chapitre est d'aborder ces pathologies dans une perspective
résolument multidisciplinaire afin de tenter de rendre compte des multiples facteurs qui
interviennent, modifient, font évoluer un trouble mental du développement et de leurs
mécanismes de fonctionnement.

Le retard mental
Le concept de retard mental (3 % de la population générale) a fait l'objet de nombreuses
définitions depuis plus d'un siècle. Historiquement, on doit à Binet et Simon (1907) de
l'avoir défini pour la première fois comme la manifestation d'un retard de
développement de l'intelligence, le fonctionnement intellectuel étant significativement
inférieur à la moyenne mesurée par un test de QI. La classification du DSM-IV distingue
4 classes de retard mental qui va de léger (50 < QI > 70) à sévère (QI < 50), le retard léger
étant de loin le plus courant (80 %). Cette définition, subordonnée au calcul du QI
donne une vision continue de l'efficience intellectuelle et tend à faire apparaître le
retard mental comme une composante intrinsèque de l'individu. Or les aspects sociaux
du retard mental, notamment le caractère d'inadaptation sociale permet de relativiser le
retard mental selon les normes sociales, les cultures, les exigences scolaires et de lui
donner une dimension moins exclusivement endogène. Ainsi, les définitions récentes
distinguent clairement les aspects psychologique et social du retard mental aboutissant
à un modèle transactionnel ou le retard mental est défini comme la conséquence de
l'interaction entre les déficiences (cognitives, motrices, sociales, etc.) et incapacités d'une
personne et les caractéristiques de son environnement. Dans cette perspective, le retard
mental est envisagé comme un handicap ; il est donc non seulement évalué à partir de
tests psychométriques standardisés (QI < 70), mais également à partir d'échelles de
compétences adaptatives comme l'échelle de Vineland (Sparrow, Balla et Cicchetti,
1984). Enfin, on parle de personne en situation de handicap, afin d'externaliser le
handicap en mettant l'accent sur un environnement plus ou moins favorable à
l'individu (Fougeyrollas, 1998). Ainsi, la personne selon les caractéristiques de
l'environnement physique et social dans lequel elle évolue pourra ou pas être en
situation de handicap2.

Les facteurs étiologiques


On retrouve un facteur étiologique dans 50 à 60 % des cas (Chelly, 2000). Le nombre de
causes identifiées entraînant un retard mental, déjà importantes, ne cesse d'augmenter,
en lien avec des recherches toujours plus poussées. Ainsi, on identifie des causes
prénatales comme :
• les aberrations chromosomiques (exemple la trisomie 21) ;
• les anomalies génétiques (exemple syndrome de l'X fragile, le syndrome de Rett) ;
• les infections maternelles (exemple toxoplasmose) ;
• les malformations congénitales ;
• les maladies métaboliques ;
• l'alcoolisme maternel.
Il existe aussi des causes postnatales, très variées, comme des infections, des
traumatismes crâniens, des tumeurs, des intoxications, des AVC, etc.
Enfin, la prématurité constitue un facteur périnatal d'importance3 (L'Abbé et al., 2004 ;
Soto-Ares, Joyes, Delmaire, Vallee et Pruvo, 2005). Son origine peut donc être génétique
(30 à 50 % des cas, Goldberg et Saugier-Veber, 2010) et/ou environnementale.
Depuis peu, les anomalies céphaliques constituent un groupe étiologique à part
entière. Des anomalies structurales très diverses ont ainsi été identifiées, au niveau du
corps calleux, du cervelet, des ventricules, etc. Elles peuvent être majeures,
caractéristiques des malformations cérébrales ou mineures, concernant plutôt des
élargissements anormaux au niveau des ventricules ou des espaces sous-arachnoïdiens.
Ces recherches sont capitales pour permettre une meilleure prise en charge du patient.
Mais elles sont aussi essentielles pour mieux comprendre les liens entre anomalies et
troubles cognitifs, et plus globalement le rôle de ces anomalies dans la pathogenèse du
retard mental.

La neurobiologie au service du retard mental… et


inversement
L'étude du retard mental présente un double intérêt : non seulement celui de mieux
comprendre les domaines cognitifs lésés afin de proposer des remédiations adaptées,
mais aussi de modéliser le fonctionnement cognitif. La dimension développementale
permet de mieux appréhender les articulations et hiérarchies dans les fonctions
cognitives. Ainsi les études montrent que tous les secteurs ne sont pas forcément en
retard, comme la mémoire implicite qui, souvent, est préservée et présente même de
bons résultats (Vinter et Detable, 2003). En revanche, les secteurs nécessitant des
stratégies présentent un retard, et il semble que ce soit la compréhension de son propre
fonctionnement cognitif (métacognition), qui soit altérée chez la personne avec retard
mental : ainsi si elle n'est pas capable d'analyser ses propres difficultés face à une tâche,
elle ne saura pas modifier, annuler une stratégie pour en mettre une autre en place
(Cornoldi et Campari, 1998). Toutefois, il semble que les stratégies peuvent être
apprises, mais peinent à être transférées à un autre contexte (Büchel et Paour, 2005) : ce
qui pourrait caractériser le retard mental est donc l'incapacité à développer des
compétences de façon autonome et une faiblesse des fonctions exécutives4 et de leurs
transferts à d'autres situations. Cela est concordant avec les études en neuro-imagerie
qui montrent chez les patients atteints de retard mental, des anomalies dans la région
préfrontale (Soto-Ares et al., 2005). Enfin, les anomalies fréquemment rapportées au
niveau du cervelet semblent indiquer son rôle majeur sur certaines régions du cortex
préfrontal et suggèrent la présence de circuits cérébello-frontaux modulant l'activité
motrice, oculomotrice et cognitive, comme les opérations linguistiques, de planification
et d'attention (Soto-Ares et al., 2005). Ainsi, le cervelet longtemps considéré comme
maître d'œuvre des fonctions motrices pourrait également participer aux fonctions
cognitives, ces deux types de fonctions n'étant pas aussi indépendantes qu'on le pensait
(Hook, 1997).

La schizophrénie
La schizophrénie, du grec schizo pour fractionnement et phrénie pour esprit,
historiquement décrite comme une démence précoce (Kraepelin, 1889), doit son nom à
Bleuler (1911) afin de caractériser la dissociation des fonctions psychiques de la maladie.
C'est une pathologie grave qui concerne 1 % de la population et se caractérise par un
ensemble de symptômes hétérogènes, recouvrant souvent ceux d'autres troubles, et
évoluant au cours de la vie, avec une prévalence élevée de suicides et de toxicomanie.
Elle affecte essentiellement l'adolescent et le jeune adulte (entre 15 et 35 ans) pour
ensuite s'installer soit durablement, soit devenir chronique selon l'American Academy
of Child and Adolescent Psychiatry (AACAP) (2001). Souvent, elle débute brutalement
par une bouffée délirante aiguë accompagnée d'un passage à l'acte. C'est une des
pathologies mentales les plus handicapantes, avec une insertion professionnelle très
problématique et une insertion sociale faible (20 à 30 %).
Les symptômes majeurs (DSM-IV) comprennent des délires d'interprétation fortement
personnalisés, des hallucinations auditives et/ou visuelles, des changements émotionnels et un
discours désorganisé. Classiquement, on identifie trois types de symptômes : un
syndrome dissociatif, un délire paranoïde et un retrait autistique.

Les symptômes
Le syndrome dissociatif se caractérise par une dissociation psychique qui peut toucher
les versants intellectuel, affectif et comportemental. Ainsi, on trouve fréquemment des
troubles du langage, du cours et du contenu de la pensée (idées étranges, conduites
énigmatiques, néologismes, etc.). Concernant le versant affectif, on retrouve une
indifférence, des réactions émotives inappropriées, une ambivalence (coexistence
simultanée de sentiments contraires), un émoussement affectif et/ou un négativisme. Au
niveau comportemental, ce sont surtout les stéréotypies qui se remarquent, un certain
maniérisme, des troubles du tonus, des sourires immotivés et des parakinésies. Les
hallucinations psychosensorielles sont souvent au premier plan dans le délire
paranoïde : hallucinations auditives, visuelles cénesthésiques, psychomotrices (Russel,
Bott et Sammons, 1989). On note également des thèmes délirants fréquemment
rencontrés comme les thèmes perspectifs, mystiques, érotomaniaques,
hypocondriaques. Le retrait autistique se caractérise par un isolement social progressif,
qui va de pair avec une diminution des performances scolaires ou professionnelles, et
un détachement de la réalité. Dans certaines formes, on trouve une incurie et
l'émergence de comportements archaïques. Selon que les patients sont dans une phase
active (hallucinations, excitation, délires, etc.) ou passive (apathie, retrait, perte de
volonté, anxiété, etc.) on parlera de symptômes positifs ou négatifs (Kay et al., 1987). La
diversité et la distribution des symptômes font que les tableaux cliniques peuvent être
très différents d'un cas à un autre. C'est du reste un sujet de controverse chez les
chercheurs, certains considérant la schizophrénie comme une entité pathologique
unique, d'autres comme une cohorte de maladies liées entre elles.
Différentes hypothèses ont été avancées pour expliquer les causes de la
schizophrénie, mais la majorité des auteurs s'accorde à penser que ce trouble à une
origine multifactorielle. Ces hypothèses ne prétendent pas rendre compte de tous les
symptômes de la schizophrénie, mais plutôt d'un type de symptômes.

La neurobiologie pour expliquer la schizophrénie


L'hypothèse dopaminergique
En 1950, le professeur Henri Laborit, propose un médicament inédit, appelé
neuroleptique, la chlorpromazine® aux patients schizophrènes. Ce médicament a la
particularité d'agir sur certains récepteurs de la dopamine (D2) : il prend la place de la
dopamine, bloquant ses récepteurs, mais sans provoquer leur activation, ce qui a pour
conséquence, chez les patients schizophrènes de calmer les épisodes psychotiques
(Carlsson et Lindquist, 1963). Ces résultats suggèrent que leur cerveau pourrait
produire en excès de la dopamine, ce qui aurait pour effet de surstimuler les récepteurs,
entraînant un excès d'apprentissage : les patients chercheraient à donner du sens à tout
prix à des événements se produisant en même temps, mais de façon fortuite d'où les
pensées délirantes. Des recherches ont montré une corrélation forte entre la phase aiguë
de la schizophrénie et un excès de dopamine notamment dans la voie mésolimbique
(Bailly, 2007). L'idée que cet excès de dopamine soit en lien avec les pensées délirantes
observées chez les patients schizophrènes est confortée par les études sur les effets des
amphétamines. Les amphétamines déclenchent des expériences sensorielles proches de
celles des schizophrènes ; or elles ont pour action d'entraîner la libération de dopamine
(Laruelle et al., 1996). Depuis, d'autres familles de neuroleptiques ont été développées,
agissant non pas sur les récepteurs dopaminergiques, mais sur les récepteurs GABA et
glutamate, suggérant que des processus autres que les processus dopaminergiques sont
impliqués dans la schizophrénie (Kantrowitz et Javitt, 2012).

L'hypothèse structurale et neurodéveloppementale


Les études d'imagerie cérébrale montrent que les patients schizophrènes souffrent d'une
réduction anormale du volume de certaines régions cérébrales, comme le cortex
préfrontal, cingulaire et temporal médian (Ho et al., 2003). Ces réductions de volume
vont de pair avec une dilatation des ventricules cérébraux (Garey, 2010). Parmi les
différentes anomalies cérébrales observées, il y a celle de l'asymétrie cérébrale qui a
attiré l'attention des chercheurs : cette asymétrie cérébrale se met en place au cours du
deuxième trimestre de la grossesse, suggérant qu'il y ait eu, au cours de la neurogénèse,
un trouble de la maturation cérébrale, notamment au niveau du développement de
l'asymétrie des hémisphères cérébraux et des sillons corticaux, plus précisément un
trouble de la synaptogénèse (Goldmann-Rakic, 1995), de la migration ou encore de
l'inhibition neuronale. Des recherches biochimiques viennent conforter cette hypothèse
(Weinberger, 1986), certaines protéines développementales étant anormalement
produites chez les patients schizophrènes (Lieberman et al., 1997). Très récemment, des
chercheurs ont montré que certains gènes, chez la souris, contrôlaient le développement
de circuits inhibiteurs dans des zones corticales précises en régulant les connexions
entre neurones inhibiteurs (GABA) (Doherty, O'Donovan et Owen, 2012). Chez les
patients schizophrènes, l'expression de ces gènes pourrait être perturbée : un défaut
dans le développement de circuits corticaux inhibiteurs pourrait être responsable de
certains de leurs troubles cognitifs : il y aurait un mauvais développement des
connexions entre les régions corticales et/ou sous corticales, entraînant un syndrome de
misconnectivité (Insel, 2010).

L'hypothèse génétique
Si une origine génétique est indéniable (10 % de risque d'avoir un enfant schizophrène
s'il existe déjà un enfant atteint), les études sur les jumeaux montrent que si un jumeau a
la maladie, l'autre jumeau a un risque de 50 % de l'avoir aussi : on peut donc avoir les
gènes de la schizophrénie sans pour autant développer la maladie (MacDonald et
Murray, 2000).
Reste une apparente contradiction : si des anomalies cérébrales existent dès la vie
fœtale ou très précocement, pourquoi la maladie ne se manifeste-t-elle que plusieurs
années plus tard à l'adolescence ? Ce paradoxe est levé en partie grâce aux modèles
animaux : en effet, chez le singe, l'altération du cortex préfrontal pendant la vie
prénatale n'entraîne aucune modification des performances avant l'âge de la maturité
sexuelle. Le modèle en « deux coups » (Keshavan et al., 1994) postule que des
perturbations doivent être présentes pendant deux périodes critiques du
développement : le premier coup consisterait en une altération précoce du
développement cérébral pendant la période périnatale entraînant une vulnérabilité à
long terme ; le second coup correspondrait à une perturbation des processus de
connectivité et un manque de plasticité cérébrale entraînant les manifestations
psychotiques. Actuellement, on admet que des perturbations précoces biologiques et
une orientation génétique constituent un terrain de fragilité sur lequel des événements
ultérieurs, de nature biologique ou environnementale (facteurs dits précipitants),
agissent et entraîne le développement de la maladie. Certains individus, de par leur
héritage génétique, seraient plus vulnérables ou plus fragiles pour développer une
schizophrénie. Les facteurs environnementaux joueraient alors un rôle d'arbitrage,
déclenchant ou non la maladie (Brown, 2011).

L'autisme
C'est en 1943 que Leo Kanner décrit les symptômes d'une maladie rare et sévère, qui
apparaît au cours du développement de l'individu et auquel il donne le nom d'autisme.
Les enfants qu'il observe présentent une incapacité à établir des relations normales avec
les autres, un évitement du regard, des troubles du langage, des stéréotypies, et un
besoin de maintenir leur environnement stable et inchangé. Si jusqu'à la fin des
années 1960, l'autisme est classé, avec la schizophrénie, en tant que psychose,
progressivement, les différences entre les deux maladies se formalisent de telle sorte
que l'autisme apparaît classé dans le DSM-IV dans les troubles envahissants du
développement (TED) ; puis les critères diagnostiques à la fois s'affinent et s'élargissent
pour tenir compte des différentes formes de gravité de la maladie, de la diversité et de
la grande variabilité des symptômes individuels et de l'étendue des formes d'autisme,
comme en témoigne la nouvelle catégorisation du DSM-5 en tant que TSA, incluant
toutes les formes d'autisme (Asperger, TED non spécifiés, trouble désintégratif), eux-
mêmes inclus dans une catégorie plus vaste des troubles neurodéveloppementaux. En
outre, les troubles du spectre autistique sont classés en fonction du niveau de soutien
qu'ils nécessitent.

Les symptômes et facteurs épidémiologiques


Les manifestations cliniques portent sur l'altération de deux domaines principaux : les
troubles de la communication sociale et les comportements restreints et répétitifs. Les
premiers comprennent les déficits dans la réciprocité socio-émotionnelle, dans les
comportements de la communication non verbale et dans le développement, le maintien
et la compréhension des relations. Les seconds se manifestent au moins via deux des
critères suivants : mouvements moteurs, utilisation d'objets ou vocalisations stéréotypés
ou répétitifs, insistance sur la similitude, adhérence inflexible à la routine ou aux
schémas ritualisés de comportements verbaux ou non verbaux, intérêts très restreints et
figés avec un degré anormal d'intensité et de focalisation ; enfin réaction inhabituelle
aux stimuli sensoriels (dans le sens d'une hyper ou hyporéaction). Ces symptômes
doivent être présents dès la petite enfance.
Les données épistémologiques montrent qu'un enfant sur 150 est touché par
l'autisme, avec un sex-ratio en faveur des garçons (1/5). Le retard mental est associé à
l'autisme dans 75 % des cas, et 25 % ont souvent une pathologie associée (épilepsie,
trisomie 21, etc.). Si pendant près d'un demi-siècle, sous l'impulsion psychanalytique,
s'est répandue l'idée que l'autisme pouvait être lié à un trouble de l'interaction familiale
et plus particulièrement à un défaut maternel (Bettelheim, 1967), il est incontestable
aujourd'hui que l'autisme est la conséquence d'un trouble du développement
neurologique survenant probablement dès les premiers stades du développement, ce
qui pourrait expliquer la grande variabilité des troubles. Les recherches, très actives,
notamment en neurobiologie contribuent à compléter la description du processus
pathologique, très complexe, l'autisme ayant une origine multifactorielle impliquant -en
proportions variables et qui restent à définir- facteurs biologiques et psychologiques.

Les hypothèses étiologiques


Les hypothèses génétiques
Les études familiales et héréditaires montrent que la probabilité d'avoir un enfant
autisme augmente s'il y a déjà un enfant TSA dans la fratrie et les cas d'autisme chez les
vrais jumeaux sont plus fréquents que chez les faux jumeaux. En outre, les études
génétiques montrent que les chromosomes 2, 7 et 15 sont impliqués : les gènes
concernés interviennent dans la différenciation neuronale, le câblage synaptique, la
migration neuronale et le développement du cortex cérébral (Bailey et al., 1995). Ces
dernières années, la prévalence inexpliquée de l'autisme observée chez les garçons
(4 garçons pour 1 fille) a conduit certains chercheurs à suggérer qu'une exposition
précoce fœtale ou périnatale à des hautes doses d'androgènes pourrait augmenter la
sensibilité à l'autisme. Très récemment, Sarachana et ses collaborateurs (2011) ont
identifié un gène, le RORA, régulé de façon différenciée par les hormones femelles et
mâles : l'estradiol augmente significativement l'expression de RORA (c'est-à-dire la
fabrication de la protéine RORA) tandis que la testostérone diminue son expression. Or,
chez les patients avec autisme, on observe une diminution de l'expression de la protéine
RORA dans le cerveau, notamment dans le cortex frontal et le cervelet. Cette protéine
déclenche l'expression d'un certain nombre de gènes, et notamment la transcription
(l'expression) d'un gène codant pour l'aromatase, enzyme dont le rôle est de transformer
la testostérone en œstrogène. On devrait donc retrouver une diminution d'aromatase
chez les patients avec autisme. C'est ce que révèlent les études des tissus cérébraux post-
mortem de donneurs autistes et non autistes. La quantité d'aromatase dans les tissus
cérébraux, liée à la quantité de protéine RORA, est statistiquement plus faible dans les
tissus de donneurs autistes (Nguyen et al., 2010). Ainsi, les patients avec autisme se
retrouvent avec des taux de testostérone plus élevés puisque l'aromatase ne joue pas
son rôle et que son expression est en plus inhibée par la testostérone. Or, chez l'animal,
une exposition exagérée à la testostérone, entraîne un ralentissement du développement
de l'hémisphère gauche au détriment de l'hémisphère droit. Chez les sujets avec
autisme, il pourrait y avoir au cours du développement in utero, une surexposition à la
testostérone qui perturberait le développement de l'asymétrie hémisphérique,
notamment en empêchant l'hémisphère gauche de prendre en charge le langage,
entraînant des troubles du langage et de la communication. Cette hypothèse a
l'avantage de décrire des mécanismes moléculaires qui pourraient expliquer des
troubles du comportement.

Les hypothèses neurobiologiques


Des études en imagerie ont montré des anomalies à la fois anatomiques et
fonctionnelles dans la région temporale du cerveau. Au niveau anatomique, on note
une diminution de la substance grise dans les régions temporales supérieures gauche et
droite (Boddaert et al., 2004) et de la surface du sillon temporal supérieur (STS)
(Zilbovicius et al., 2006) ainsi qu'une forte corrélation entre la diminution de la surface et
la sévérité des symptômes (Saitovitch et al., 2012). Fonctionnellement, on note une
période courte et précoce de surcroissance du cerveau : une étude par TEP met en
évidence une diminution bilatérale du débit sanguin cérébral dans le lobe temporal
chez 80 % des enfants autistes (Courchesne et al., 2007). Certains ont suggéré des défauts
de la synaptogenèse au cours du développement, avec une surconnectivité dans
certaines zones cérébrales et une sous-connectivité dans d'autres structures. Cette
hypothèse a l'avantage d'expliquer les capacités de mémoire de certains autistes. Ce
sont des développements accélérés pathogènes dans certaines régions du cerveau qui
entraînerait ces perturbations dans la connectivité.
On retrouve également une activité cognitive réduite, voire des anomalies de
l'activation dans le cortex temporal et plus particulièrement dans le STS, cortex,
impliqué dans le contrôle de la direction du regard, la reconnaissance des visages,
l'identification des sons et le langage, la perception des mouvements biologiques
(Allison et al., 2000 ; Hooker et al., 2003 ; Zilbovicius et al., 2006 ; Meresse et al., 2005).
Ainsi, il est possible que les autistes n'arrivent pas à activer en réseau des aires
cérébrales spécifiques du cortex temporal et notamment le Sillon temporal supérieur
(STS), qui normalement transforment les signaux visuels et auditifs en expériences
vocales et faciales permettant de percevoir et comprendre les signaux sociaux de la
reconnaissance de la communication sociale. Ainsi Gervais et al. en 2004 ont montré que
l'aire spécialisée dans la reconnaissance de la voix humaine, le STS n'est pas activé chez
les patients autistes qui entendent quelqu'un parler.

Les hypothèses cognitives


Différentes propositions ont été émises : pour certains chercheurs comme Simon Baron-
Cohen (1995) les enfants autistes auraient des difficultés à se représenter les états
mentaux d'autrui ; ainsi, ils échouent plus fréquemment dans la tâche Sally et Ann, qui
teste la théorie de l'esprit. Pour Oberman et Ramachadrian, (2007), l'autisme serait dû à
des anomalies du fonctionnement des neurones miroirs. Pour Frith (1992), qui a élaboré
un modèle « du cerveau social », les autistes souffriraient d'un problème de la
« cohérence centrale » : il y a aurait une incapacité plus ou moins importante à oublier
ou négliger les détails, entraînant une grande difficulté à unifier (intégrer) les
différentes informations. Ainsi, les sujets TSA trouvent plus rapidement un morceau
d'une figure géométrique que les sujets tout venant (Shah et Frith, 1983). D'autres
suggèrent un défaut de la motivation sociale, les sujets TSA préférant regarder des
scènes géométriques que des scènes sociales (Pierce et al., 2011). Enfin, certains
chercheurs mettent en avant les troubles de l'orientation du regard : plusieurs
recherches récentes révèlent que les sujets adultes et enfants TSA ne regardent pas ou
peu les yeux dans une scène d'interaction sociale, mais des détails de la situation non
informatifs (Klin et al., 2002, Zilbovicius et al., 2006). Pelphrey et ses collaborateurs en
2004 ont étudié l'orientation du regard de patients autistes regardant des photos de
personnages exprimant des émotions et ont montré que les patients autistes ne
regardaient pas les yeux. Cela pourrait expliquer leurs difficultés à comprendre les
intentions et les émotions des autres.
Ainsi, les sujets avec TSA ne pourraient pas correctement interpréter les émotions, les
intentions des autres en ne regardant pas les éléments informatifs. Il ne pourrait donc
pas également se représenter les états mentaux de l'autre. Il en résulterait une incapacité
à percevoir correctement le monde qui l'entoure, qui n'auraient pour eux, pas de
signification sociale. Incompétent socialement, il développerait des compétences non
sociales (Zylbovicius et al., 2006), ou encore une autre forme d'intelligence, dès lors
qu'on abandonne nos outils classiques d'évaluation (Mottron, 2004).

Le trouble de l'attention avec hyperactivité


Le trouble avec déficit de l'attention et hyperactivité (TDAH) est un syndrome
spécifique composé de 3 symptômes : des agitations motrices, un déficit attentionnel et
une impulsivité (intolérance au délai5). Une altération significative du fonctionnement
social et scolaire est observée. L'échec scolaire est une conséquence classique, et est lié
aux troubles des apprentissages, eux-mêmes liés au trouble du traitement de
l'information. Les premiers signes cliniques apparaissent vers 4 ans. La prévalence est
de 3 à 10 % chez les enfants d'âge scolaire, avec un sex-ratio en faveur des garçons. Chez
30 à 50 % des patients, les symptômes persistent jusqu'à l'adolescence et l'âge adulte.
Anatomiquement, on note une réduction du volume des ganglions de la base, comme
le noyau caudé, le globus pallidus et le cortex préfrontal côté droit (Castellanos et al.,
1996 ; Ellison-Wright et al., 2008). Fonctionnellement, on observe un déficit d'activation
du cortex préfrontal droit lors d'épreuves d'inhibition (Rubia et al., 1999).
Aujourd'hui, le TDAH est considéré comme un trouble du système exécutif par
déficit du contrôle inhibiteur (Barkley, 1997 ; Sergeant et al., 2005), mais aussi par déficit
primaire de l'attention (Huang-Pollock, Nigg et Carr, 2005). Ainsi, les symptômes
seraient la conséquence du dysfonctionnement des fonctions exécutives. Ce modèle est
conforté par les résultats des enfants avec TDAH qui échouent aux tâches testant
l'attention sélective comme le test STROOP. Si ce modèle rend bien compte des
difficultés attentionnelles d'une grande partie des enfants TDAH, il rend moins compte
d'éléments moins cognitifs comme l'impulsivité. Récemment, Sonuga-Barke (2002) ont
introduit la notion de motivation : l'inattention associée au TDAH pourrait s'expliquer
en partie par la sous-stimulation des centres du cerveau dits de la récompense,
impliqués dans la motivation. Ce dysfonctionnement des mécanismes de récompense
entraînerait une difficulté à gérer le temps, plus précisément l'absence d'action (le délai)
quand une tâche s'arrête ; l'individu essayerait de compenser ce manque en cherchant
dans l'environnement et dans l'activité motrice un soulagement entraînant une
inattention. Pour conforter cette hypothèse, l'imagerie cérébrale révèle que les
personnes avec TDAH présentent un défaut de concentration des récepteurs à
dopamine D2 dans le mésencéphale et le noyau accumbens, des régions clefs du circuit
méso-limbique dopaminergique de la récompense (Volkow et al., 2009). De plus, ce
déficit est proportionnel à l'intensité des troubles de l'attention. Du reste, l'efficacité des
agonistes dopaminergiques comme la méthylphénidate (Ritaline®) entraînant la
réduction des symptômes centraux d'inattention, d'hyperactivité et d'impulsivité,
témoigne du rôle joué par la dopamine.
En conclusion, le TDAH apparaît comme une pathologie des ganglions de la base, liée
à un dysfonctionnement des systèmes dopaminergiques, probablement d'origine
génétique. La conséquence majeure de ce dysfonctionnement est un « emballement »
des systèmes de récompense, avec comme symptôme principal l'intolérance au délai, à
l'origine d'un ensemble de comportements inadaptés d'intensité variable selon les cas,
où dominent l'impulsivité et le défaut d'inhibition des réponses non pertinentes
(Castellanos et al., 2005). L'agitation motrice serait la première manifestation du
dysfonctionnement des systèmes de récompense. Les troubles de l'attention
proviendraient, quant à eux, d'un dysfonctionnement des systèmes exécutifs.

Conclusion
La compréhension des processus mentaux troublés (mécanismes élémentaires ou
soubassements biologiques) permet non seulement de mieux comprendre et
appréhender le patient dans sa maladie, mais également de définir d'éventuelles
remédiations. Pour autant, il faut se méfier de l'écueil d'explications trop mécanistes : il
importe de comprendre comment, en retour les facteurs environnementaux modulent la
structure biologique du cerveau : on sait, par exemple, que l'apprentissage chez
l'animal, peut avoir pour effet d'augmenter le nombre de terminaisons présynaptiques
tandis qu'une habituation, à l'inverse, entraîne une régression des connexions
synaptiques. C'est donc la prise en compte à la fois des aspects biologiques, socio-
émotionnels et environnementaux qui permettra de comprendre non seulement les
processus et mécanismes des troubles du développement, mais également d'envisager
les possibles remédiations. Comprendre comment les processus biologiques du cerveau
génèrent des événements mentaux, normaux ou anormaux, est sans aucun doute une
des facettes les plus fascinantes pour le psychologue. Faire le lien entre telle hormone et
un comportement, corréler une perte de neurones ou de connexions à tel déficit cognitif,
déterminer les facteurs environnementaux agissant sur l'organisation de telle structure,
ou production de telle molécule, sont autant de pièces de puzzle qui finissent par
s'assembler pour tenter de comprendre in fine la pensée humaine.

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and social perception. Trends in Neurosciences. 2006;29:359–366.

1
L'identification du virus Zirka comme agent pathogène de la microcéphalie par exemple, pourra permettre de
proposer un dépistage chez les femmes enceintes.
2
Auparavant, les caractéristiques de l'individu étaient décrites sous forme de manques suggérant que le handicap
était l'attribut d'une personne, désavantagé socialement, alors que dans un contexte particulier, il peut accomplir
certaines tâches : les enfants avec une trisomie 21 sont plus lents que la normale pour accomplir des exercices
scolaires, mais peuvent les accomplir pour peu qu'on adapte la situation pour eux, en leur laissant plus de temps, par
exemple.
3
Voir le chapitre 31.
4
Les fonctions exécutives comprennent la planification, l'intention, la stratégie, le contrôle de l'efficacité de cette
stratégie, l'inhibition, la métacognition, etc.
5
L'enfant n'arrive pas à s'empêcher de réagir dans certaines situations où il faut se retenir de répondre.
CHAPITRE 27

Les troubles de l'attachement et leurs


conséquences à long terme
Raphaële Miljkovitch

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
L'attachement désorganisé
Les troubles de l'attachement
Les anomalies dans les fonctions de havre et de base de sécurité
Les facteurs de généralisation du trouble
Conclusion

Introduction
Le bon développement de l'enfant repose sur la satisfaction de ses besoins primaires.
Sur le plan psychologique, le besoin de sécurité est sans doute l'un des plus importants
(Bowlby, 1973). Bien que couramment, les parents apportent une certaine protection à
leur enfant, il arrive parfois que des difficultés relationnelles ébranlent chez ce dernier le
sentiment de pouvoir compter sur eux, entraînant un sentiment d'insécurité. Un
décalage entre les réponses des parents et les besoins de l'enfant oblige celui-ci à
développer des stratégies adaptatives destinées à maximiser ses chances de s'en sortir
sans leur assistance ou, quand c'est possible, d'optimiser les soins qu'il reçoit (Main,
1990 ; Kobak et al., 1993).
L'anxiété suscitée par la non-réponse à leur détresse rend les enfants plus vulnérables
(voir DeKlyen et Greenberg, 2008), moins bien armés face au stress (Bernard et Dozier,
2010, Hertsgaard et al., 1995 ; Spangler et Schieche, 1998). Mais bien qu'elle les fragilise
dans leur développement psychologique, l'insécurité d'attachement ne relève pas
nécessairement de la psychopathologie.

L'attachement désorganisé
Parmi les styles d'attachement insécure,1 le plus problématique est sans doute
l'attachement désorganisé. Il se caractérise par une incapacité à trouver une stratégie
cohérente face à sa figure d'attachement pour être aidé à réguler le stress. On observe
alors chez l'enfant des attitudes contradictoires mêlant des mouvements de
rapprochement et d'éloignement (Main et Solomon, 1986).
Cet échec dans la mise en place d'une stratégie efficace s'expliquerait par des
comportements effrayants émanant de la figure d'attachement : Main et Hesse (1990)
ont constaté que des mères marquées par un traumatisme non résolu (i. e. deuil,
expérience d'abus ou de maltraitance) avaient plus souvent des enfants désorganisés. Il
est apparu par ailleurs que ces mères manifestaient, lors des interactions avec leur
enfant, des comportements effrayants/effrayés (par exemple, ton de voix « hanté »,
mettre sa main sur le visage ou la gorge de l'enfant). Main et Hesse ont ainsi proposé
que l'état d'appréhension de la mère et la production de ces comportements étranges
induiraient de la peur dans la relation et amèneraient l'enfant à ne pas pouvoir se
tourner vers elle pour être rasséréné. L'enfant se retrouverait dans une situation
paradoxale et insoluble où le havre de sécurité que représente le parent serait en même
temps une source de peur, d'où le conflit entre recherche de proximité et réaction de
fuite.
Plus récemment, on s'est aperçu que des ruptures dans la communication entre mère
et enfant pouvaient également être à la source d'un attachement désorganisé (Forbes,
Evans, Moran, et Pederson, 2007 ; Lyons-Ruth, Bronfman, et Parsons, 1999 ; Miljkovitch
et al., 2013). Il semblerait donc que des absences, non plus physiques, mais
psychologiques, de la part de l'adulte amènent l'enfant, lorsqu'il est très jeune, à se
sentir démuni et provoquent chez lui une réaction de détresse immédiate comme en
témoignent les réactions observées dans la procédure de la Still Face (Tronick, Als,
Adamson, Wise, et Brazelton, 1978). Cette détresse n'étant pas calmée par l'adulte, elle
irait en augmentant ; Mary Main (1995) parle d'une « peur sans solution ». Ce ne serait
pas tant la peur en elle-même que l'incapacité à y mettre un terme qui fragiliserait
l'enfant (Solomon et George, 1999).
Il n'est pas rare que les enfants désorganisés développent des symptômes (i. e. :
agressivité) voire des troubles (i. e. : trouble dissociatif), ce qui amène les chercheurs à
se demander si ce type d'attachement ne constituerait pas en soi un trouble
psychopathologique (van IJzendoorn et Bakermans-Kranenburg, 2002). On sait en tout
cas que l'attachement désorganisé constitue en facteur de risque en termes de
psychopathologie (Carlson, Egeland et Sroufe, 2009 ; voir aussi Deborde et Miljkovitch,
2013).

Les troubles de l'attachement


Dans les cas de négligence et/ou de maltraitance, les comportements d'attachement de
l'enfant sont sérieusement perturbés et donnent lieu à des troubles de l'attachement
graves qui, eux, s'apparentent clairement à des tableaux relevant de la
psychopathologie. Zeanah, Mammen et Lieberman (1993) ont proposé un système
de classification de ces troubles pour les enfants de 1 à 5 ans. Ils distinguent 5 types de
troubles de l'attachement différents (les deux premiers étant les plus graves).
• Dans le type I : trouble de l'attachement non attaché, l'enfant ne manifeste pas de
préférence particulière pour un adulte donné et ne semble s'attacher à personne. Il
peut, par ailleurs, présenter un retard de développement significatif. Une telle
perturbation s'observe en particulier chez les enfants élevés en institution, les cas de
négligence extrême ou les enfants dont les tuteurs se sont succédé les uns après les
autres.
• Le type II : le trouble de l'attachement indiscriminé se caractérise par une tendance à ne
pas s'assurer de sa sécurité auprès du parent dans les situations non familières et à
ne pas se réfugier vers lui en cas de peur ou d'appréhension. L'enfant fait plutôt
preuve de promiscuité, en allant vers n'importe qui pour obtenir des soins et du
réconfort. Dans le type II, on distingue les enfants qui ont en outre tendance à avoir
des accidents et des comportements à risque de ceux qui présentent une promiscuité
sociale avec recherche de réconfort de façon indiscriminée.
• Dans le type III : trouble de l'attachement inhibé, l'enfant se montre réticent à s'éloigner
de sa figure d'attachement et à explorer l'environnement comme le font les autres
enfants de son âge. Certains de ces enfants s'accrochent de manière excessive à leur
parent, une attitude qui va bien au-delà de la simple timidité. Face à des inconnus,
ces enfants se montrent extrêmement anxieux. Ce fonctionnement peut être induit
par un événement traumatique vécu en dehors de la relation, qui pousse l'enfant à
chercher une réassurance continue à son état de stress permanent. Une autre
catégorie d'enfants de type III se montre totalement soumis face à leur parent
(compulsive compliance) en lui obéissant en toute circonstance, sans manifester la
moindre résistance. Cet état résulte vraisemblablement d'une maltraitance physique
à son encontre. L'enfant se montre ainsi hypervigilent ; il contient ses affects et
manque de spontanéité en présence du parent maltraitant.
• Dans le type IV : trouble de l'attachement agressif, la relation avec le parent est
essentiellement marquée par la colère. L'enfant se montre très agressif envers sa
figure d'attachement (physiquement ou verbalement) et/ou envers lui-même (par
exemple : en se frappant la tête contre les murs). Souvent l'agressivité est tellement
prédominante que d'autres manifestations anxieuses comme des difficultés de
séparation ou des troubles du sommeil passent inaperçues ou sont interprétées par
les parents comme des tentatives de les mettre au défi. L'agressivité peut apparaître
dans d'autres contextes, mais à un moindre degré. L'enfant peut piquer des crises de
colère terribles lorsqu'il est frustré. De tels enfants sont généralement témoins ou
victimes de violence à la maison.
• Dans le type V : trouble de l'attachement avec inversion des rôles, l'enfant endosse le rôle
de parent et se soucie de manière inhabituelle du bien-être psychologique de celui-
ci. Dans son comportement, l'enfant peut infantiliser le parent en veillant sur lui ou
en le commandant et en le punissant. Un attachement désorganisé pendant la petite
enfance est associé à une inversion des rôles dans les années qui suivent (Main et al.,
1985).

Les anomalies dans les fonctions de havre et de base de


sécurité
Tant que l'enfant n'en arrive pas à renoncer à l'espoir d'être pris en charge par un adulte
bienveillant (auquel cas il se laisse mourir), on s'aperçoit que, quel que soit le milieu
dans lequel il évolue, il cherche à s'adapter à son environnement, en développant des
stratégies qui vont accroître ses chances de survie. Par exemple, s'il n'a pas eu de figure
d'attachement stable, il apprend à solliciter n'importe quel adulte pour assurer sa
protection. S'il n'a personne qui veille sur lui, il va tenter de se familiariser avec le
monde qui l'entoure par lui-même, sans attendre la guidance d'un adulte.
Malheureusement, bien que ces comportements soient adaptatifs, ils peuvent mettre
l'enfant dans des situations à risque. En outre, en raison du stress auquel l'enfant est
soumis (celui de ne pas être protégé), son développement et sa santé mentale sont
sérieusement entravés. De plus, les enfants négligés et/ou maltraités mettent en place
des comportements qui peuvent mettre au défi l'établissement de nouveaux liens
d'attachement, notamment en cas de placement. Mais bien qu'une mémoire du passé
subsiste, l'enfant a une certaine capacité de résilience et peut, s'il a l'opportunité de
tisser de nouveaux liens suffisamment tôt, tendre vers un nouvel équilibre
psychologique.
Les troubles de l'attachement se distinguent d'autres troubles en ce que le
fonctionnement anormal de l'enfant ne s'observe qu'en présence du parent avec lequel
la relation pose problème et pas nécessairement dans d'autres contextes. C'est d'ailleurs
pour cela qu'on ne l'envisage presque plus au-delà de l'âge de 5 ans, car, avec le temps,
ce fonctionnement peut se généraliser à d'autres contextes.
Quand il y a un trouble de l'attachement, ce sont les fonctions de havre de sécurité
et/ou de base de sécurité de l'adulte qui sont atteintes. La première fonction consiste à
apporter à l'enfant sécurité et réassurance lorsqu'il rencontre un stress : son réflexe est
alors de se réfugier vers le parent. Mais lorsque l'attachement est troublé, ce réflexe est
perturbé soit en devenant excessif (trouble de l'attachement inhibé), soit en ne se
manifestant pas (trouble de l'attachement non attaché) ; parfois, la détresse n'est pas
reconnue et est attribuée au parent (trouble de l'attachement avec inversion des rôles).
La fonction de base de sécurité permet à l'enfant, grâce à la présence protectrice de
l'adulte, d'explorer son environnement tant social que physique. Quand il y a trouble,
l'enfant ne s'assure pas de cette surveillance et s'aventure sans consulter le parent
(trouble de l'attachement indiscriminé) ; à l'inverse, il peut aussi se montrer incapable
de la moindre exploration (trouble de l'attachement inhibé).
Le Diagnostic et statistical manual of mental disorders DSM-5 propose une
classification plus générale que celle de Zeanah et al. Deux troubles s'y réfèrent : le
trouble réactionnel de l'attachement et le trouble de désinhibition sociale. Chacun de ces
troubles renvoie respectivement à des perturbations dans l'utilisation de la figure
d'attachement comme havre de sécurité pour le premier et comme base de sécurité pour
le second. Ainsi trouve-t-on dans le trouble réactionnel de l'attachement, les symptômes
suivants :
• l'enfant ne recherche presque jamais ou recherche minimalement du réconfort
lorsqu'il est en détresse ;
• l'enfant ne répond pratiquement pas ou répond minimalement au réconfort apporté
lorsqu'il est en détresse ;
• d'autres symptômes concernent la régulation des émotions, dans le sens d'une
inhibition (réactivités sociale et émotionnelle aux autres minimales, peu d'affects
positifs) ;
• ou d'une dysrégulation ;
• Épisodes de peurs, d'irritabilité ou de tristesse inexplicables observés lors
d'interactions non menaçantes avec des adultes significatifs pour l'enfant.
Dans les troubles de désinhibition sociale, l'enfant doit présenter au moins deux des
quatre critères suivants, qui témoignent d'une anomalie dans l'utilisation de la figure
d'attachement comme base de sécurité et qui ne résultent pas d'une impulsivité :
• Réticence réduite ou absente à approcher et interagir avec des adultes non familiers ;
• Comportements physiques ou verbaux trop familiers ;
• Ne consulte pas le parent avant de s'éloigner, même dans des endroits non familiers ;
• Accepte facilement de partir avec un adulte non familier.
Zeanah et al. n'incluent pas dans les critères diagnostics un défaut de soins en raison
de la difficulté à établir de tels faits. En revanche, le DSM-5 prévoit qu'une des
conditions suivantes soit remplie comme prérequis aux deux diagnostics :
• négligence sociale prenant la forme d'un manque persistant de soins provenant d'un
adulte afin de satisfaire les besoins de base d'un enfant pour ses besoins émotionnels
de réconfort, de stimulation et d'affection ;
• changements répétés de la personne prodiguant principalement les soins à l'enfant (i.
e. : changements fréquents de famille d'accueil), l'empêchant de former un
attachement stable.
L'enfant grandit dans un milieu inhabituel qui limite sévèrement ses possibilités de
former une relation d'attachement privilégiée avec un soignant (exemple : orphelinat
avec un ratio élevé d'enfants par soignant).
En bref, on constate que le système de classification de Zeanah et al. est plus
spécifique que le DSM et qu'il rend compte de présentations cliniques non incluses dans
cette nosographie (troubles de l'attachement inhibé, agressif, avec inversion des rôles)
bien qu'elles facilitent le repérage clinique d'un trouble de l'attachement.

Les facteurs de généralisation du trouble


C'est dans l'insécurité d'attachement que d'autres troubles peuvent prendre leur source.
D'importantes méta-analyses mettent en évidence un lien entre l'attachement insécure
et les troubles internalisés (Groh et al., 2012 ; Madigan et al., 2012 ; voir aussi
Miljkovitch, Pierrehumbert et Halfon, 2007). Le lien est plus net concernant les
symptômes anxieux et dépressifs (Brumariu et Kerns, 2012). Rappelons que dès le plus
jeune âge, l'enfant dispose d'un système de peur-alarme qui se déclenche chaque fois
qu'il perçoit un danger. Lorsque les soins qu'il reçoit sont défaillants et ne le ramènent
pas à un état de sérénité, l'anxiété persiste (Bowlby, 1973 ; voir aussi Cassidy, 1995).
Aussi, Bowlby (1982) considérait que les sentiments d'impuissance et de désespoir
caractéristiques de la dépression résultent d'un manque de confiance dans sa propre
capacité à établir et à maintenir des relations affectives. La dépression serait la
conséquence naturelle du sentiment d'abandon ou de ne pas être désiré ou apprécié.
Ainsi comprend-on ce qui, dans un contexte de carence affective, peut entraîner des
problèmes psychopathologiques de cet ordre. Notons toutefois que les tailles d'effets
sont relativement modestes, bien que très robustes. Cela revient à dire que sur
l'ensemble de la population étudiée, l'attachement joue un rôle certain, mais relatif, dans
l'apparition de troubles intériorisés ; d'autres facteurs sont alors susceptibles
d'intervenir. Malgré tout, dans les cas d'insécurité extrême, la part étiologique revenant
à l'attachement va être beaucoup plus importante.
Des liens ont également été trouvés avec les symptômes externalisés (agression,
opposition, hostilité) (Fearon et al., 2010). Plusieurs vecteurs peuvent rendre compte de
ces liens. L'un d'entre eux peut reposer sur les représentations que les enfants se
forment à partir de leurs expériences affectives (les « modèles internes opérants »). En
particulier, ils élaborent une image d'eux-mêmes et d'autrui en fonction des soins qu'ils
reçoivent (Bowlby, 1980). Plus ces soins seront de qualité, meilleure sera l'estime qu'ils
auront d'eux-mêmes et des autres (Cassidy, 1988). Et si au départ, ces représentations se
mettent en place dans le giron familial, l'enfant va ensuite s'appuyer sur elles pour se
faire une idée des personnes qu'il côtoie à l'extérieur. Les pairs, notamment, sont donc
perçus à travers ce prisme (Cassidy, Kirsh, Scolton, et Parke, 1996 ; Raikes et Thompson,
2008 ; Suess et al., 1992). Le style d'attachement de l'enfant a ainsi une incidence sur la
qualité des relations avec eux (Groh, Fearon et al., 2014).
Quand l'enfant est soumis à une maltraitance parentale, il est logique qu'il s'attende à
faire l'objet de comportements hostiles. Crick et Dodge (1994) ont constaté que les
enfants agressifs avaient une tendance exagérée à attribuer des intentions négatives aux
autres ; les auteurs parlent alors d'agressivité réactive (c'est-à-dire pour se défendre).
Les travaux de Bandura (Bandura, Ross et Ross, 1963) ont par ailleurs souligné
l'influence qui peut s'exercer lorsqu'un enfant est témoin de violences. Même s'il n'en est
pas la cible, le modèle qu'on lui donne participe chez lui à la mise en place d'une
représentation des rapports humains en termes de dominé/dominant, où la force est
banalisée, voire valorisée par un des parents. Cette représentation de la force va
favoriser chez lui la reproduction de ces mêmes comportements et peut en cela,
prédisposer à une agressivité « proactive » caractéristique du trouble des conduites.
Un autre vecteur qui vient se superposer dans de tels contextes est celui des capacités
réflexives. Selon Fonagy et al. (2003), un enfant soumis à la malveillance de son parent
va inhiber sa capacité à s'intéresser et comprendre les intentions des autres pour ne pas
se confronter à ce constat insupportable. Cette inhibition porterait sur les états mentaux
en général, y compris les siens propres. Les états internes de soi et d'autrui
deviendraient alors des données auxquelles il n'a pas accès, ce qui le handicaperait dans
la gestion de ses émotions. Ainsi, outre le fait qu'il ne reçoit pas d'assistance de la part
de l'adulte pour réguler ses affects (Lyons-Ruth et al., 1999), il serait mentalement
démuni pour y faire face. La dysrégulation émotionnelle qui en résulterait le
prédisposerait à des passages à l'acte et, à terme, à une symptomatologie borderline
(voir aussi Deborde et Miljkovitch, 2013). L'incapacité à gérer ses affects peut aussi
pousser vers la consommation de substances psychoactives ou vers des conduites
addictives (sexe, jeux en ligne, jeux d'argent, etc.) qui permettent d'apaiser ou de se
détourner de ce tourment (Danet et Miljkovitch, 2016 ; Miljkovitch, 2013).
L'empathie est une composante proche, qui peut aussi faire défaut dans un contexte
de maltraitance. Selon Favre et al. (2005), la coupure par rapport aux émotions
entraverait l'expression de l'empathie. Ainsi, au modèle de la violence sur lequel
s'appuie l'enfant, s'ajouterait une absence de considération pour le mal infligé à autrui.
Il n'y aurait en cela plus de frein aux conduites agressives.
Rappelons par ailleurs qu'un trouble de l'attachement peut se traduire par une colère
et une agressivité envahissantes (trouble de l'attachement agressif). Ces comportements
sont au départ destinés à accaparer le parent en réponse à une anxiété elle aussi
envahissante, anxiété qui donne lieu à un besoin d'attention continu. Les bénéfices
obtenus (i. e. gain d'attention) à travers ces comportements conduisent l'enfant à
« exporter » ces derniers en dehors de la famille ; ainsi s'en suit une généralisation des
comportements agressifs qui pourrait, dans certains cas, déboucher sur des troubles du
comportement. À ce propos, Bowlby (1944) avait remarqué, parmi un échantillon de
44 jeunes délinquants, que la quasi-totalité d'entre eux avait subi des séparations
importantes avant l'âge de 5 ans. Ce constat l'a amené à envisager la colère comme une
réaction naturelle à la séparation. Mais lorsque la situation délétère perdure, cette colère
deviendrait selon lui dysfonctionnelle et prendrait à terme des allures de tendances
antisociales.

Conclusion
Les vicissitudes des liens d'attachement jouent donc un rôle capital dans le
développement de la santé mentale. Il serait bien sûr excessif de conclure que les
psychopathologies évoquées dans ce chapitre n'ont comme seul facteur étiologique
l'attachement. De nombreux autres paramètres peuvent eux aussi concourir à la
survenue des troubles et il ne s'agit pas, ici, de minimiser ces autres facteurs et d'amener
à des raccourcis. Néanmoins, dans des cas d'extrême maltraitance, les perturbations
résultant de ces liens défaillants sont telles qu'elles suffisent à rendre compte du trouble.
Car l'attachement a de nombreuses ramifications qui agissent en parallèle dans le
développement de l'individu. L'anxiété est à la base de l'activation du système
d'attachement. Cette dernière peut donner lieu à de la colère qui, si elle n'est pas gérée
correctement, prend des proportions relevant de la pathologie. C'est aussi dans les
premières interactions qu'une image de soi s'établit en rapport avec autrui. Cette image
guide l'enfant dans son interprétation des intentions des autres, ce qui peut alimenter
un sentiment de persécution. En même temps, la capacité à se représenter leurs états
mentaux peut être mise à mal dans un contexte de maltraitance, ce qui participe à une
dysrégulation des émotions et parfois, une non prise en compte d'autrui.
On s'aperçoit malgré tout que les représentations issues de ces liens défaillants
participent pour une large part à l'inadaptation de l'individu, en pérennisant son vécu
d'insécurité. Plus une relation de qualité peut se mettre en place tôt, moins ces
représentations seront validées, plus leur effet délétère sera réduit. Des prises en charge
efficaces guident les parents ou nouvelles figures d'attachement dans la manière de
contrecarrer les automatismes morbides mis en place par les enfants perturbés.
Si une telle prise en charge a fait défaut et qu'il est impossible de revenir sur ce qui est
arrivé, il reste tout à fait envisageable d'élaborer autrement son histoire pour que celle-ci
reste à sa place : dans le passé.
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1
Pour une présentation des différents styles d'attachement, voir le chapitre 3.
CHAPITRE 28

Le handicap intellectuel et sensoriel


Stéphanie Vanwalleghem

PLAN DU CHAPITRE
Introduction : la situation de handicap
Le handicap intellectuel
Le handicap auditif
Conclusion

Introduction : la situation de handicap


Définition
La loi française n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées fait référence dans le champ
du handicap. Elle définit le handicap comme « toute limitation d'activité ou restriction
de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en
raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions
physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un
trouble de santé invalidant ». Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser
spécifiquement à deux types de handicaps : intellectuel et sensoriel auditif. En incluant
les retentissements du handicap sur les possibilités d'activité et de participation de la
personne, la définition du handicap de la loi française s'inscrit dans une continuité par
rapport aux travaux de l'OMS.

Le modèle de l'OMS
Selon l'OMS, le handicap renvoie « aux déficiences, limitations d'activités ou restrictions
de participation » et la situation de handicap doit être analysée de manière dynamique,
c'est-à-dire en étudiant les facteurs personnels et environnementaux, qui renforcent ou à
l'inverse réduisent le handicap. Par exemple, une personne en fauteuil roulant,
confrontée à un escalier, sans alternative de type ascenseur ou rampe d'accès, est en
situation de handicap en raison de son problème de santé, qui a entraîné une altération
de la marche, mais également d'une limitation environnementale, l'absence d'un accès
pour les personnes en fauteuil roulant. Si cette personne n'ose pas demander de l'aide
pour accéder au bâtiment en raison d'un trouble psychologique de type anxiété sociale,
sa situation de handicap sera majorée.
L'OMS a proposé un modèle biopsychosocial et multidimensionnel du
fonctionnement humain (2003), nommé Classification internationale du
fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF), permettant d'intégrer les problèmes
de santé, les facteurs environnementaux et les facteurs personnels qui retentissent sur
les activités et la participation de la personne en situation de handicap. L'analyse de ces
facteurs et de leurs interactions permet de penser la situation de handicap de manière
globale, dynamique et multidimensionnelle. Elle permet également d'envisager
différents niveaux d'action pour la mise en place de stratégies de compensation du
handicap ou de prises en charge pour faire évoluer la situation de la personne et
améliorer ainsi sa qualité de vie. Dans notre exemple, ces niveaux pourraient être la
rééducation de la marche par le kinésithérapeute, l'aménagement de l'environnement
par l'ergothérapeute et la prise en charge de l'anxiété sociale par le psychologue. Ainsi,
la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé constitue
un outil dont le psychologue, qui travaille avec des personnes en situation de handicap,
peut se saisir dans une perspective clinique, de recherche ou de travail
pluridisciplinaire.

Le handicap intellectuel
Définition
Dans le DSM-5 (2013), le handicap intellectuel ou trouble du développement
intellectuel, remplace le terme de retard mental du DSM-IV. Il est défini comme « un
trouble débutant pendant la période de développement, fait de déficits tant intellectuels
qu'adaptatifs, dans les domaines conceptuels, sociaux et pratiques. Les trois critères
suivants doivent être présents :
• déficit des fonctions intellectuelles, comme le raisonnement, la résolution de
problèmes, la planification, l'abstraction, le jugement, l'apprentissage scolaire et
l'apprentissage par l'expérience, confirmés par l'évaluation clinique et les tests
d'intelligence individuels standardisés ;
• déficit des fonctions adaptatives qui se traduit par un échec dans l'accession aux
normes habituelles de développement socioculturel permettant l'autonomie et la
responsabilité sociale. Sans assistance au long cours, les déficits adaptatifs limitent le
fonctionnement dans un ou plusieurs champs d'activité de la vie quotidienne
comme la communication, la participation sociale, l'indépendance, dans des
environnements variés tels que la maison, l'école, le travail, la collectivité ;
• début du déficit intellectuel et adaptatif pendant la période du développement.
La sévérité du handicap intellectuel doit être spécifiée : légère, moyenne, grave ou
profonde. Alors que dans le DSM-4, la sévérité était déterminée uniquement à partir du
Quotient intellectuel (ex : déficience légère : 55 < QI < 70), dans le DSM-5, elle l'est aussi
à partir des compétences sociales (ex : communication) et pratiques (ex : soins
personnels).
L'épidémiologie
La prévalence du handicap intellectuel est estimée à environ 3 % dans la population.
Les garçons sont plus fréquemment atteints que les filles dans une proportion de 1,5/1
(pour revue voir Lussier et Flessas, 2001).

L'évaluation psychologique
L'évaluation psychologique comporte l'évaluation du fonctionnement intellectuel et
adaptatif, puisque le diagnostic de handicap intellectuel implique l'objectivation d'un
déficit dans ces deux domaines. Il est intéressant de la compléter par une évaluation du
fonctionnement psycho-émotionnel, et parfois de certaines fonctions cognitives
spécifiques.

Le fonctionnement intellectuel
Les échelles de Wechsler font référence, au niveau international, pour l'évaluation du
fonctionnement intellectuel : on distingue la WPPSI-4 (Wechsler, 2014) pour les enfants
âgés de 2 ans ½ à 7 ans 7 mois, la WISC-4 (Wechsler, 2005) pour les enfants âgés de
6 ans à 16 ans 11 mois et la WAIS-4 (Wechsler, 2011) pour les adolescents de 17 ans et
les adultes. Dans ces échelles, la méthode de calcul du Quotient intellectuel (QI)
repose sur l'utilisation de la loi normale. Pour chaque tranche d'âge, la population est
distribuée selon une courbe de Gauss, de moyenne 100 et d'écart-type 15. Les personnes
présentant un handicap intellectuel ont un QI inférieur à 70, c'est-à-dire un QI qui se
situe à plus de deux écarts-types en dessous de la moyenne.
Il est possible de réaliser une évaluation du niveau intellectuel dès l'âge de 2 ans ½
afin de situer les compétences de l'enfant par rapport à ses pairs de manière fiable et
sensible. Toutefois, ce résultat n'est pas définitif, car le QI ne devient stable qu'à partir
de l'âge de 6–7 ans, même si au niveau individuel des changements peuvent encore être
observés après 6–7 ans (Grégoire, 2009). De ce fait, le diagnostic de handicap intellectuel
est généralement évoqué à partir de 6 ans, sauf dans les cas de déficiences sévères ou
profondes, où il peut être plus précoce. Lorsque le quotient intellectuel est déficitaire
entre 2 et 5 ans, le diagnostic de retard global de développement du DSM-5 (APA, 2013)
peut être utilisé.
Une fois un handicap intellectuel objectivé à l'aide de l'échelle de Wechsler adaptée à
l'âge chronologique du sujet, il est intéressant de transformer les scores bruts obtenus à
chaque épreuve en âge de développement équivalent, afin d'affiner l'estimation du
niveau de raisonnement de l'enfant. Lorsqu'un enfant obtient des âges de
développement inférieurs à 6 ans 2 mois à l'ensemble des épreuves de la WISC-4, on
peut lui proposer les épreuves de la WPPSI-4, même s'il est âgé de plus de 7 ans 7 mois
(âge plafond de la WPPSI-4), et convertir les scores bruts en âges de développement. La
conversion des notes brutes en âges de développement permet de suivre l'évolution
cognitive et les progrès de l'enfant. Quand l'enfant ne progresse plus au niveau des
épreuves de raisonnement, il peut continuer à progresser au niveau de l'étendue de ses
connaissances, par exemple au niveau de l'étendue de son stock lexical. Par ailleurs, les
scores exprimés en âges de développement fournissent des indications aux parents
quant au niveau d'activité adaptée à leur enfant. Par exemple, si un enfant âgé de 8 ans
a un âge de raisonnement de 4 ans ½, les activités conçues pour les enfants de 4 ans ½
seront souvent plus adaptées à son niveau de compréhension et lui permettront de
progresser, alors que les activités conçues pour les enfants de 8 ans risquent de le mettre
en échec et d'être trop difficiles pour lui permettre de progresser.

Le fonctionnement socio-adaptatif
Pour évaluer le fonctionnement socio-adaptatif, le psychologue peut utiliser l'Échelle
d'Évaluation du Comportement Socio-Adaptatif de Vineland II (Sparrow, Cicchetti et
Balla, 2015), adapté aux sujets âgés de 1 à 90 ans et récemment étalonné sur une
population française. La Vineland-II peut être proposée sous forme d'entretien semi-
dirigé ou de questionnaire à un « répondant très au fait du comportement habituel du
sujet dont le comportement adaptatif est évalué », par exemple un parent ou un
éducateur. La forme entretien permet d'obtenir des descriptions plus approfondies du
fonctionnement du sujet, mais les deux formes permettent d'obtenir une évaluation
sensible du fonctionnement socio-adaptatif dans les domaines de la communication
(réceptive, expressive, écrite), de la vie quotidienne (personnel, domestique,
communauté), de la socialisation (relations interpersonnelles, jeux et temps libre,
adaptation) et de la motricité (motricité globale, motricité fine).

L'évaluation psycho-émotionnelle
L'observation clinique du comportement de l'enfant pendant les temps d'entretien et
d'évaluation du niveau intellectuel et adaptatif fournit des indications sur ses capacités
d'interaction (ex : évitement du regard), de régulation émotionnelle (ex : anxiété de
séparation d'avec les parents au moment des tests) et sur son comportement (ex :
impulsivité). Il peut être intéressant de compléter cette observation par la passation du
questionnaire Children Behavior Checklist (Achenbach et Rescorla, 2001). Ce questionnaire
comporte une version pour les parents et une pour les enseignants, ce qui permet de
comparer le comportement de l'enfant dans les milieux familial et scolaire. Il évalue, à
l'aide d'une centaine d'items, différents troubles socio-émotionnels et comportementaux
regroupés en 8 échelles : anxiété/dépression, retrait/dépression, plaintes somatiques,
problèmes sociaux, troubles de la pensée, problèmes d'attention, comportements de
transgression de règles et comportement agressif. Cet outil ne permet pas de poser un
diagnostic, mais il permet de compléter les informations recueillies lors de l'entretien,
de dépister certains troubles et de suivre l'évolution du comportement.

L'évaluation cognitive complémentaire


Le profil cognitif des personnes présentant un handicap intellectuel peut être
hétérogène. C'est par exemple le cas des enfants porteurs d'un syndrome de Williams,
dont le QI se situe autour de 50–60 et dont le profil cognitif est généralement caractérisé
par des points forts au niveau du langage, de la mémoire verbale à court terme, de la
reconnaissance de visages et de la cognition sociale, et par des points faibles au niveau
du traitement des informations spatiales, du traitement des nombres, de la planification
et de la résolution de problèmes (pour revue voir Farran et Karmiloff-Smith, 2012).
Ainsi, une analyse cognitive fine s'avère pertinente pour déterminer les forces et les
faiblesses de chaque personne et mettre en place des ateliers de remédiation cognitive
personnalisés et spécifiques.
Parmi les fonctions cognitives qu'il est souvent intéressant de tester en complément
de l'évaluation du niveau intellectuel, il y a la cognition sociale. Celle-ci renvoie à la
compréhension des états mentaux d'autrui (ex : intentions), à la capacité d'identifier
différentes émotions et de comprendre les métaphores et le second degré. Ces
compétences sont particulièrement importantes pour s'intégrer socialement. Si elles sont
déficitaires, elles peuvent être développées dans des groupes d'habiletés sociales.
Toutefois, l'évaluation cognitive est souvent limitée par le manque de sensibilité des
tests, ceux-ci n'étant pas spécifiquement conçus pour les personnes présentant un
handicap intellectuel.
La connaissance des forces et faiblesses cognitives d'un sujet présentant un handicap
intellectuel peut permettre d'adapter les méthodes d'apprentissage. Par exemple, si les
compétences en mémoire à long terme sont supérieures à celles de raisonnement, peut-
être que l'apprentissage de la lecture (déchiffrement) sera plus facile avec la méthode
globale, c'est-à-dire grâce à la mémorisation « par cœur » de la forme des mots, qu'avec
la méthode syllabique. Il est par ailleurs intéressant d'évaluer le niveau d'apprentissage
dans le domaine de la lecture, de l'orthographe et du raisonnement logico-
mathématique, car celui-ci retentit sur l'autonomie de la personne en situation de
handicap intellectuel (savoir compter la monnaie, lire les panneaux, etc.).

La scolarité
La loi du 11 février 2005 « pose le principe d'un accès de droit à l'éducation
prioritairement dans l'établissement le plus proche du domicile de l'élève handicapé ».
Le service public doit assurer une « formation scolaire » aux élèves en situation de
handicap, ce qui signifie que l'environnement scolaire, humain et matériel, doit
s'adapter pour permettre à l'enfant en situation de handicap d'être en position d'élève.
Le nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire augmente
régulièrement. Toutefois cette intégration concerne rarement les enfants dont le
handicap intellectuel est profond ou sévère : ils sont généralement orientés vers un
établissement médico-social. Le délai d'intégration dans ces établissements peut être de
plusieurs années en raison du manque de places, ce qui implique parfois que les parents
gardent leur enfant au domicile en attendant une place.
L'enfant porteur d'un handicap intellectuel, de sévérité moyenne ou légère, est
généralement scolarisé en maternelle pendant quatre années, étant rarement prêt, du
point de vue des apprentissages et de l'autonomie, pour passer en CP après la 3e année
de maternelle. Souvent, l'enfant porteur d'un handicap intellectuel bénéficie dès la
maternelle d'un Projet personnalisé de scolarisation (PPS) et de l'aide d'une Auxiliaire
de vie scolaire. Après la maternelle, une orientation en ULIS (Unité localisée pour
l'intégration scolaire) peut être proposée. Il y a des ULIS école, collège et lycée. Ce sont
des classes à effectifs réduits qui accueillent des élèves en situation de handicap,
proposent un enseignement adapté et sont intégrées aux écoles de quartier. Lorsque
l'enfant porteur d'un handicap intellectuel est en difficulté en ULIS, une orientation vers
un établissement médico-social est proposée (Institut-médico-éducatif, Institut médico-
professionnel). Ces établissements proposent une prise en charge scolaire, éducative
(ex : activités visant à favoriser l'autonomie) et thérapeutique (ex : psychomotricité,
orthophonie, psychothérapie), à laquelle s'ajoute un parcours de formation
professionnalisant à partir de 14 ans (ex : apprentissage de différents savoir-faire
professionnels) et jusqu'à leur insertion professionnelle.

La vie affective et la sexualité en institution


Les droits à la vie privée et à l'intimité des personnes accueillies en établissement sont
protégés par la loi du 2 janvier 2002 sur les droits des usagers et par la loi de 2005 sur
l'égalité des droits et des chances et la promotion de la citoyenneté des personnes
handicapées. Toutefois, la question de la vie affective et sexuelle des résidents porteurs
d'un handicap intellectuel est complexe dans les établissements médico-sociaux. Elle
soulève des questions éthiques, car elle implique à la fois la protection de la personne et
le respect de son intimité. Les interrogations des équipes professionnelles concernent
par exemple la situation suivante : « lorsqu'un professionnel est témoin d'un
rapprochement entre adultes dans une chambre, un espace privé, est-il de rigueur de
s'assurer de la volonté de chacun à se retrouver dans cette situation et si oui, faut-il
respecter ce moment d'intimité ? » (Reinert, 2014). Cette question se pose au vu du
risque d'abus chez les personnes en situation de handicap intellectuel qui n'ont pas
toujours acquis l'autonomie « psychique » qui leur permettrait de se méfier de
personnes malveillantes et manipulatrices (Assouline, 2013). D'autre part, le respect de
l'intimité implique la possibilité de disposer d'un espace privé (en général la chambre)
ainsi que la gestion des espaces privés et collectifs. En effet, le respect se situe également
au niveau des autres résidents, ce qui implique d'éviter un débordement de
manifestations affectives et sexuelles dans les espaces collectifs.
Afin de respecter les droits et le bien-être de chacun, la création, par l'équipe
professionnelle, d'outils, comme une « charte des démonstrations affectives tolérées »
(ex : embrassade à l'arrêt de bus) peut-être aidante dans les établissements, et
notamment ceux pour adolescents (Assouline, 2013). La question de la sexualité se pose
aussi dans les établissements accueillant des adolescents. Assouline (2013) observe que
lorsque les jeunes autistes, ayant généralement un handicap intellectuel, viennent pour
l'admission dans leur nouvelle institution, ils manifestent rapidement un intérêt pour
les jeunes de leur âge. Cet intérêt favorise un mouvement d'indépendance par rapport à
la famille, mais les transformations psychologiques liées à la puberté sont entravées par
les déficits ou symptômes, ce qui peut compromettre l'adaptation des adolescents. C'est
pourquoi ces transformations nécessitent un accompagnement. Celui-ci peut se mettre
en place sous forme de groupes de parole, distincts pour les filles et les garçons. Il a
pour objectif d'amener les adolescents à évoquer leurs préoccupations en lien avec la
sexualité et de les aider « à la discrimination des identités sexuelles, des fonctions et des
organes, des mouvements pulsionnels et des contraintes sociales » afin de leur
permettre de comprendre leurs ressentis et de favoriser leur épanouissement et leur
adaptation.
L'insertion professionnelle
Le droit au travail constitue une composante fondamentale des droits de l'homme. Il est
donc important d'amener la personne en situation de handicap intellectuel à jouir de ce
droit ; celui-ci lui permettant une valorisation par le travail. Trois types d'insertion
professionnelle sont possibles pour les personnes porteuses d'un handicap intellectuel :
les Établissements et services d'aide par le travail (ESAT), les entreprises adaptées et les
entreprises du milieu ordinaire. Chaque adolescent ou jeune adulte a la possibilité de
faire un stage en milieu ordinaire, puis en entreprise adaptée avant d'être orienté, si
nécessaire, en milieu protégé (ESAT). Ce parcours permet l'expression des compétences
dans différents milieux professionnels et la construction d'un projet professionnel ; il
favorise une orientation professionnelle adaptée.
Dans les établissements médico-sociaux, l'insertion professionnelle se prépare
progressivement grâce à un service de la formation professionnelle qui propose une
découverte de différents ateliers préprofessionnels aux adolescents dès l'âge de 14–
15 ans. Il existe généralement une diversité des ateliers qui permet d'adapter le type de
travail aux capacités et aux centres d'intérêt des adolescents. Il existe une similarité
entre les machines des ateliers et celles des ESAT, permettant aux adolescents de
développer des savoir-faire en adéquation avec ceux qui leur seront demandés
ultérieurement en ESAT. Ce système favorise l'adaptation des jeunes adultes à leur
emploi lorsqu'ils intègrent une entreprise (Vanwalleghem, 2014).
Certains adolescents présentant un handicap intellectuel sont scolarisés en ULIS,
plutôt qu'en établissement médico-social. L'ULIS présente l'avantage d'intégrer les
adolescents dans des établissements scolaires de quartier. Mais, l'Unapei (2011), qui est
la première fédération d'associations françaises de représentation et de défense des
intérêts des personnes handicapées mentales et de leurs familles, a souligné le « risque
d'errance » après l'ULIS. En effet, bien que les élèves fassent quelques stages en milieu
ordinaire pendant leur scolarité, souvent ils ne parviennent pas à obtenir un diplôme, ni
une qualification professionnelle, en raison de leurs limitations cognitives, et ils n'ont
pas acquis de savoir-faire, car ils n'ont pas participé à des ateliers préprofessionnels.
Ainsi, lors de l'orientation scolaire des enfants et des adolescents, il paraît important
d'intégrer une réflexion autour de l'insertion professionnelle ultérieure afin de
déterminer l'orientation la plus adaptée. Il est parfois important d'orienter les jeunes en
établissement médico-social, plutôt que de les maintenir en ULIS, afin qu'ils acquièrent,
à leur rythme, le professionnalisme demandé dans le milieu professionnel, qu'il soit
protégé, adapté ou ordinaire. Un apprentissage débuté à l'âge de 14–15 ans favorise le
respect de cette temporalité. La proposition d'orientation en IME/IMPro est souvent
douloureuse pour les parents, car elle signe la différence liée au handicap intellectuel, ce
qui contribue à expliquer qu'elle survienne parfois tardivement, malgré les difficultés
de l'enfant pour suivre les apprentissages scolaires. Il est important d'accompagner les
parents dans leur cheminement psychique lié au projet scolaire et professionnel de leur
enfant, et d'être à l'écoute de leurs résistances et inquiétudes pour les aider à choisir, de
manière éclairée, la scolarité qui leur semble la plus adaptée à leur enfant.
Le vieillissement
L'augmentation significative de l'espérance de vie chez les personnes ayant un handicap
intellectuel s'accompagne de l'émergence d'une nouvelle problématique : celle du
vieillissement (Azema et Martinez, 2005). En vieillissant, la personne porteuse d'un
handicap intellectuel présente un risque de développer des déficits sensoriels, de
nouveaux troubles cognitifs ou des troubles mentaux qui se surajoutent à la situation de
handicap initiale et retentissent sur ses capacités d'intégration sociale et d'adaptation à
l'environnement.
Les personnes en situation de handicap travaillant en ESAT évoquent les effets du
vieillissement : elles ressentent une baisse des performances, une perte des motivations,
une chute du désir de travailler et des modifications de leur corps (CREAI Languedoc-
Roussillon, 1988). Ces effets du vieillissement sont source d'inquiétudes et peuvent les
amener à envisager la retraite plus précocement, avec le risque de perdre la valorisation
par le travail et de s'isoler. Afin d'éviter les ruptures et les changements, 65 % des
travailleurs handicapés vieillissants souhaitent rester dans leur logement (Soigneux et
Darty, 1999), mais un passage en Établissement d'Hébergement pour Personnes âgées
dépendantes (EHPAD) est parfois nécessaire.
Les ressources psychologiques de la personne porteuse d'un handicap contribuent à
la réussite ou au contraire à l'échec de l'adaptation nécessaire face aux changements liés
au vieillissement (démotivation, sentiment de ne plus jouer un rôle social satisfaisant,
perte de capacités). Le Centre Technique National d'Études et de Recherches sur les
Handicaps et les Inadaptations (CTNERHI) a mené, en 1996, des entretiens semi-
structurés et des observations auprès de personnes porteuses d'un handicap intellectuel
et de leurs familles (Zribi et Sarfaty, 1996). Les résultats montrent des corrélations entre
le degré d'autonomisation, le type de relation familiale et le vécu subjectif de l'avenir
pour le sujet et sa famille. Dans les situations de relations symbiotiques entre la
personne en situation de handicap et sa famille, la séparation était peu élaborée et
s'accompagnait d'une relation de dépendance de la personne en situation de handicap
envers ses parents et d'une insatisfaction de la famille vis-à-vis du milieu d'accueil.
Dans les situations opposées où la personne en situation de handicap était rejetée par sa
famille, l'adaptation à l'institution d'accueil était favorable. Toutefois, le développement
d'une dépendance envers l'institution était parfois observé. Cette dépendance de la
personne en situation de handicap à la famille ou à l'institution pouvait s'accompagner
d'une insouciance vis-à-vis de l'avenir : « la famille ou l'institution trouvera des
solutions pour eux ». Or, pour faire face aux réaménagements de vie liés à l'âge, les
auteurs ont souligné la nécessité d'une souplesse d'adaptation et d'une autonomie
affective suffisante. La prise en charge par les professionnels de santé, dont le
psychologue, peut favoriser le développement de cette autonomie.

La place du psychologue
Le psychologue peut apporter une aide aux personnes en situation de handicap
intellectuel tout au long de leur développement. Lors des interactions précoces avec
leur bébé porteur d'un handicap, le handicap peut amener les parents à douter de leurs
compétences parentales ; ils ont parfois besoin d'être guidés pour savoir comment
s'accorder à leur bébé qui peut présenter des particularités au niveau de la
communication et de l'expression des émotions.
Chez le jeune enfant, l'objectivation du retard de développement grâce à l'évaluation
psychologique standardisée permet des prises en charge précoces en psychomotricité et
en orthophonie pour soutenir le développement. Les apprentissages proposés doivent
reposer sur le plaisir et le jeu afin d'éviter l'entrée dans un processus de sur-stimulation.
Chez l'enfant plus grand, l'adolescent et l'adulte, la place du psychologue se situe au
niveau du soutien psychologique et des psychothérapies. L'étude de Sterkenburg et al.
(2008) a montré l'intérêt de proposer une thérapie inspirée de la théorie de l'attachement
à des enfants et adolescents présentant une déficience intellectuelle et visuelle. La
thérapie consistait en l'établissement d'une relation sécure avec l'enfant, préalable au
démarrage d'un programme comportemental visant à modifier les comportements
inadaptés. Les résultats ont montré que l'instauration d'une relation sécure favorisait la
réussite du programme.
La place du psychologue peut également se situer au niveau de la remédiation
cognitive. Celle-ci vise à améliorer les apprentissages en rééduquant une fonction
cognitive déficitaire ou en amenant le sujet à développer des stratégies compensatoires
à partir d'une fonction cognitive efficiente pour pallier la fonction déficitaire. Par
exemple, pour pouvoir travailler sur l'expression et la régulation des émotions dans le
cadre d'un soutien psychologique, il peut être nécessaire de proposer au préalable des
exercices de remédiation cognitive visant à développer sa capacité à nommer, à
exprimer et à reconnaître les émotions. Un autre exemple provient des recherches qui se
sont intéressées à la remédiation de la mémoire à court terme, en raison de ses
nombreuses interactions avec d'autres fonctions cognitives. Le postulat de ces
recherches était que l'amélioration des capacités de mémoire à court terme pourrait
retentir sur le développement d'autres fonctions cognitives. C'est dans cette perspective
que Bussy et al. (2013) ont élaboré un protocole permettant d'évaluer l'impact d'un
entraînement de la mémoire verbale à court terme sur le langage oral de 7 enfants
présentant une déficience intellectuelle. Les auteurs ont montré une augmentation de
l'empan à court terme, mais également une amélioration de certains aspects du langage.
Ces résultats suggèrent qu'un entraînement de la mémoire verbale à court terme
permettrait de favoriser le développement du langage oral chez les enfants présentant
une déficience intellectuelle. Il existe également d'autres champs d'action pour le
psychologue travaillant dans le domaine du handicap, comme l'accompagnement de
l'annonce d'un diagnostic, la prise en charge de la douleur, la place de la fratrie, etc.

Le handicap auditif
Définition et classification
Les déficiences auditives « altèrent la qualité et l'intensité de la perception sonore et
gênent par conséquent l'individu dans tous les domaines où l'audition joue un rôle et en
particulier dans la vie relationnelle » (Deschamps et al, 1981). Leur fréquence est de 1 à
2 enfants pour 1 000 naissances avant l'âge de 2 ans, ce qui correspond à entre 800 à
1000 nouveaux cas par an en France. Le Bureau international d'audiophonologie, BIAP
(www.biap.org), a classé les surdités à partir des résultats à l'audiogramme tonal
liminaire (cf. tableau 28.1) et a décrit les perceptions associées à ces pertes, ce qui permet
de se représenter l'impact de la perte auditive sur la communication. La fréquence de la
surdité totale est de 2 %.

Tableau 28.1
Classification des surdités par le BIAP.

Perte tonale
Déficience Perception
moyenne (dB)

Audition normale et < 20 L'atteinte éventuelle n'a pas d'incidence sociale.


subnormale

Déficience légère > 21 et < 40 La parole est perçue à voix normale, elle est difficilement perçue à voix basse ou lointaine.
La plupart des bruits familiers sont perçus.

Moyenne > 41 et < 70 La parole est perçue si on élève la voix. La personne sourde comprend mieux en regardant
parler. Quelques bruits familiers sont encore perçus.

Sévère > 71 et < 90 La parole est perçue à voix forte près de l'oreille. Seuls les bruits forts sont perçus.

Profonde > 91 et < 119 Aucune perception de la parole. Seuls les bruits très puissants sont perçus.

Totale (cophose) > 120 Rien n'est perçu.

Le développement de la communication
Jusqu'à l'âge de 6 mois, l'enfant en situation de handicap auditif vocalise et gazouille
comme un enfant entendant ; c'est pourquoi les parents observent peu l'incidence de la
surdité sur le développement du langage dans les premiers mois de la vie de leur bébé.
Toutefois, le développement du langage présente très tôt des spécificités, comme le fait
que, contrairement aux enfants au développement typique, les bébés présentant une
déficience auditive ne perdent pas la capacité à discriminer les sons de toutes les
langues du monde en vue de se spécialiser progressivement dans les sons de leur
langue maternelle.
De nombreux enfants ayant une déficience auditive présentent des troubles du
langage et de la parole. La fréquence de ces troubles augmente avec le degré de sévérité
de la surdité : 14 % pour les surdités légères à moyennes, 21 % pour les surdités
moyennes à sévères et 56 % pour les surdités profondes à totales. Ces troubles
concernent aussi bien l'apparition des premiers phonèmes que le développement du
vocabulaire. Par exemple, un enfant ayant une déficience auditive dispose en moyenne
de 10 mots de vocabulaire à l'âge de 23 mois et de 50 mots de vocabulaire à l'âge de
29 mois, au lieu de respectivement 15 et 19 mois (en moyenne) pour un enfant tout-
venant (Mellier et Deleau, 1991). Le retard ou l'absence de langage sont généralement
diagnostiqués à partir de la 2e année de vie (Guidetti et Tourette, 2014).
La langue la plus utilisée parmi les personnes en situation de handicap auditif est la
langue parlée. Elle leur permet de communiquer avec leurs parents qui sont entendants
pour 91,7 % des enfants déficients auditifs (Mitchell et Karchmer, 2004). Les possibilités
d'apprentissage de la langue parlée dépendent toutefois de facteurs tels que le désir de
parler, le choix des parents, l'existence de troubles associés, la précocité des mesures
compensatoires telles que l'appareillage, la lecture labiale, le langage gestuel, mais
dépendent surtout de la sévérité de la surdité. Le seuil de 70 décibels est discriminant
pour permettre la mise en place de stratégies d'acquisition du langage parlé. La langue
des signes constitue un moyen d'expression alternatif. Toutefois, si la personne en
situation de handicap auditif ne communique que de manière gestuelle, elle risque
d'être en difficulté pour s'intégrer parmi les personnes entendantes.
Les jeunes enfants présentant une déficience auditive s'approprient facilement la
communication gestuelle, ce qui rend la langue des signes accessible très tôt, en
complément ou à la place de la langue parlée. Les premiers signes à valeur linguistique
apparaissent à la fin de la première année de vie, ce qui correspond à la période à
laquelle les premiers mots apparaissent chez les enfants au développement typique
(Goodwyn et Acredolo, 1993 ; Marschark, 1994). Si l'enfant n'a pas la possibilité
d'apprendre la langue parlée, il est très important de sensibiliser les parents à
apprendre la langue des signes en même temps que leur enfant, afin de favoriser la
communication au sein de la famille.

L'évaluation psychologique
Pour évaluer les compétences des jeunes enfants ayant un handicap auditif au niveau
de l'interaction sociale, de l'attention conjointe et de la régulation du comportement, la
Haute Autorité de Santé (2009, HAS) a recommandé l'utilisation de l'Échelle
d'évaluation de la communication sociale précoce, créée par Guidetti et Tourrette (2009).
Cette échelle, étalonnée pour les enfants âgés de 3 à 30 mois, est particulièrement
intéressante pour les enfants présentant une déficience auditive, car elle permet
d'évaluer la qualité de leur communication préverbale.
Chez les enfants âgés de plus de 4 ans, les adolescents et les jeunes adultes, il est
possible d'évaluer l'efficience intellectuelle à l'aide de l'Échelle d'intelligence non
verbale de Wechsler, WNV (Wechsler et Naglieri, 2009). Cette échelle a été étalonnée
pour les personnes âgées de 4 ans à 21 ans 11 mois et a été conçue en tenant compte des
spécificités des personnes présentant un handicap auditif. En effet, le contenu des
subtests est indépendant de l'acquisition du langage ; les consignes sont en images et
nécessitent très peu de langage parlé ou de communication signée de la part du
psychologue ; le psychologue peut exprimer les consignes standardisées dans la langue
ou le mode de communication adapté à la personne testée ; et, il n'est jamais demandé
aux sujets de s'exprimer oralement, ni de signer, pour répondre. L'échelle WNV
comporte 4 épreuves pour les sujets âgés de 4 ans à 7 ans 11 mois (matrices, code,
assemblage d'objets, reconnaissance) et 4 épreuves pour les sujets âgés de 8 ans à 21 ans
11 mois (matrices, code, mémoire spatiale, arrangement d'images). Celles-ci sont
décrites dans le tableau 28.2.

Tableau 28.2
Descriptif des épreuves de l'échelle d'intelligence non verbale de Wechsler (2009).
Épreuve Description de la tâche Fonctions cognitives évaluées

Matrices Compléter une matrice où il manque un élément. Raisonnement fluide, raisonnement perceptif,
processus simultanés.

Code Compléter des associations de symboles en se référant à un Coordination visuomotrice, rapidité


modèle. graphomotrice, mémoire visuelle à court
terme, capacités attentionnelles.

Assemblage Reconstituer des puzzles. Organisation perceptive, compétences visuo-


d'objets spatiales, capacité à raisonner sur les
relations tout et partie.

Reconnaissance Regarder pendant 3 secondes un stimulus puis le reconnaître Mémoire visuo-spatiale immédiate.
parmi 4 ou 5 propositions.

Mémoire Le psychologue touche successivement des cubes sur un plateau Mémoire à court terme et mémoire de travail.
spatiale puis le sujet doit reproduire la séquence dans le même ordre
ou dans l'ordre inverse.

Arrangement Ordonner une série d'images présentées dans le désordre afin Organisation perceptive, repérage dans le
d'images qu'elles constituent une suite cohérente. temps et dans l'espace, raisonnement
logique et planification.

Le développement cognitif
Wechsler et Naglieri (2009) ont montré que les sujets présentant une déficience auditive
obtenaient des scores comparables à ceux des enfants ne présentant pas de déficience à
la WNV, ce qui suggère que le handicap auditif ne retentit pas sur l'efficience
intellectuelle. Ce résultat va dans le sens de ceux de Naglieri (2003), obtenus quelques
années plus tôt à l'aide du test d'aptitude non verbal de Naglieri (NNAT). Le NNAT est
une épreuve d'intelligence générale basée sur le principe des matrices analogiques, qui
est également adaptée aux enfants et adolescents présentant une déficience auditive.
Ces résultats sont également en accord avec ceux de Douet (1990) qui ont montré, à
l'aide des échelles d'intelligence de Wechsler, que les enfants ayant une déficience
auditive présentaient des résultats équivalents à ceux de la population d'étalonnage
pour les épreuves non verbales alors qu'ils présentaient des compétences
significativement plus faibles pour les épreuves verbales, même quand la passation était
réalisée en langue des signes, à l'aide de la lecture labiale ou à l'écrit. Selon Deleau
(1998), cette faiblesse des résultats aux épreuves verbales de l'échelle d'intelligence
pourrait être liée soit à des difficultés de conceptualisation causées par le retard de
langage, soit au fait que la surdité entraînerait, en plus du retard de langage, un
appauvrissement des stimulations environnementales, qui retentirait sur le
développement des connaissances générales, domaine évalué par les épreuves verbales.
En ce qui concerne les apprentissages scolaires, la surdité a un impact significatif sur
les capacités d'apprentissage puisque seuls 41 % des enfants sourds âgés de 6 à 11 ans
savent lire, écrire et compter sans difficulté, contre 81 % des enfants de la population
générale (Guidetti et Tourrette, 2014). Ce retentissement sur les apprentissages scolaires
provient principalement des difficultés spécifiques de langage et de communication. Il
paraît donc particulièrement important de favoriser leur prise en charge. Chez les
enfants ayant une déficience auditive, les troubles du langage sont des troubles acquis.
On ne pose pas de diagnostic de « dys » (dysphasie, dyslexie, dyscalculie, etc.) chez les
enfants présentant une déficience sensorielle, car celui-ci implique une intégrité des
organes sensoriels (DSM-5, APA, 2013).

Le développement psycho-affectif
La surdité ne constitue pas un facteur de trouble psychique, mais elle est susceptible
d'entraîner des troubles des relations ou des troubles du comportement réactionnels aux
difficultés de communication entre l'enfant et son environnement (HAS, 2009). Parmi
les enfants présentant une déficience auditive, 91,7 % sont nés de parents entendants
(Mitchell et Karchmer, 2004). Ces parents peuvent se sentir démunis face à l'absence de
réaction de leur enfant quand ils l'appellent ou lui parlent et sont à risque de désinvestir
progressivement la communication orale avec leur enfant en raison de l'absence de
réaction. Si ce désinvestissement perdure, il sera difficile pour l'enfant d'ajuster son
comportement aux situations de communication, de comprendre ses parents et de
s'exprimer. Ces difficultés pourraient expliquer la survenue de colères violentes chez
l'enfant présentant une déficience auditive : celui-ci ne parvenant pas à exprimer
verbalement les sources de sa colère, ni à entendre les paroles apaisantes de ses parents,
exprimerait sa colère et sa frustration physiquement. Le handicap auditif peut
également générer un sentiment d'insécurité, car l'enfant n'entend pas arriver les
personnes ou les objets. En réaction aux effets de surprise, l'enfant peut présenter un
comportement agressif. Enfin, l'enfant présentant une déficience auditive peut avoir
tendance à s'isoler si ses difficultés de communication lui demandent trop d'effort pour
s'adapter à son environnement (Guidetti et Tourrette, 2014).
Les signes d'une souffrance psychologique sont les mêmes chez l'enfant présentant
un handicap auditif que chez l'enfant au développement typique. Il peut s'agir par
exemple d'un regard qui devient fuyant ou trop insistant, de pleurs fréquents et
inexpliqués, de troubles du sommeil ou de l'appétit, d'un retrait ou d'une agitation
excessive (HAS, 2009).
Chez l'adulte, le handicap auditif n'est pas associé à une personnalité spécifique, ni à
des troubles psychologiques particuliers, mais certains comportements sont assez
fréquents tels que la sensibilité à la frustration, les comportements d'isolement en dépit
d'un fort désir de contacts sociaux et les conduites compensatoires à l'isolement comme
l'extraversion (pour revue, Guidetti et Tourrette, 2014).

L'impact du dépistage précoce de la surdité sur la relation


parent-enfant
Le premier dépistage est actuellement réalisé à la maternité, au moment où les parents
et l'enfant se rencontrent et apprennent à se connaître. Le dépistage précoce de la
surdité permet de mettre en place une prise en charge dès la première année de vie.
Toutefois, l'annonce du handicap auditif qui fait irruption dans la période néonatale,
alors que les parents ne s'y attendent pas, car ils n'ont pas encore pu repérer de signes
évocateurs d'un risque de surdité, génère un fort bouleversement émotionnel. Le Driant
et al. (2006) ont évalué le retentissement psychologique d'un résultat positif au test de
dépistage de la surdité néonatale réalisé à la maternité ou 2 mois après la naissance de
l'enfant. Ils souhaitaient évaluer si le fait d'informer les parents d'un dysfonctionnement
sensoriel potentiel dès les premiers jours de vie pouvait entraîner une désorganisation
des premières relations parents-enfant. Pour cela, ils ont mesuré le niveau d'anxiété
maternelle et la qualité de la relation mère-enfant à travers un entretien semi-directif et
le niveau de dépression du post-partum à l'aide de l'échelle MADRS. Les résultats ont
mis en évidence une détérioration de l'état psychologique de la mère, qui est plus
important lorsque le dépistage a été réalisé dans la période néonatale, que 2 mois après
la naissance. Les résultats suggéraient une diminution de la sensibilité maternelle aux
signaux du bébé et une remise en cause du sentiment de compétence maternelle,
lorsque l'enfant a été dépisté positivement à la surdité pendant ses premiers jours de
vie. Ces résultats soulignent l'importance de proposer un accompagnement
psychologique aux parents. Celui-ci peut favoriser l'expression des émotions associées à
l'annonce du handicap, l'émergence des stratégies de coping permettant de s'adapter à
la situation et l'adhésion à une prise en charge favorisant le développement de la
communication entre l'enfant et ses parents. Cet accompagnement vise également à
aider les parents à retrouver un sentiment de compétence parentale, afin de leur
permettre d'être sensibles et réactifs aux besoins de leur bébé et que celui-ci puisse ainsi
se sentir en sécurité. Notons par ailleurs qu'il existe un risque de faux positifs lors du
dépistage de la surdité dans les premiers jours de vie, c'est-à-dire un risque qu'un
problème d'audition soit initialement détecté, mais que celui-ci ne soit pas confirmé par
les tests ultérieurs.

Conclusion
Les interventions du psychologue auprès des personnes en situation de handicap se
situent à plusieurs niveaux et à différentes étapes du développement. Elles consistent
notamment en l'évaluation des compétences et des dysfonctionnements, tant au niveau
cognitif, adaptatif, que comportemental et émotionnel, le soutien psychologique ou la
psychothérapie, la remédiation cognitive ainsi que l'accompagnement des parents et de
la fratrie qui doivent faire face à cette situation de handicap qui fait irruption dans la vie
de la famille.

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CHAPITRE 29

Les troubles du spectre de l'autisme


Jean-Louis Adrien

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La psychopathologie du développement de l'autisme
Les méthodes d'évaluation psychologique du développement des enfants avec
TSA
Les méthodes d'intervention éducative et thérapeutique auprès des enfants avec
TSA

Introduction
L'autisme de l'enfant, syndrome qui a été individualisé par le psychiatre américain Léo
Kanner en 1943 sous le terme d'autisme infantile précoce (Early Infantile Autism) a été
considéré, durant ces 20 dernières années selon les classifications internationales, la
CIM-10/ICD-10 (1994/1993), et le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994) puis
sa version révisée, le DSM-IV-TR (2000/2003), comme un Trouble envahissant du
développement (TED) aux côtés de 4 autres syndromes. Le TED, distinct du trouble
« spécifique » tel que par exemple le trouble de la lecture, est caractérisé par une
perturbation de l'ensemble des fonctions psychologiques qui sont en développement
durant les premières années de vie. Le trouble autistique au sein des TED est caractérisé
par des altérations des interactions sociales, des difficultés de communication verbale et
non verbale, une pauvreté de l'activité imaginative, et une limitation et une restriction
des activités et des centres d'intérêt. Toutes ces altérations apparaissent durant les
30 premiers mois. Chacune de ces altérations est actualisée par plusieurs manifestations
comportementales telles que l'absence ou la pauvreté du contact par le regard, la
recherche de l'isolement, un langage non communicatif insuffisamment suppléé par les
gestes et la mimique, des activités stéréotypées et ritualisées et une intolérance au
changement.

Les nouveaux critères diagnostiques


Depuis la parution de la 5e version du système de classification de l'association
psychiatrique américaine en 2013 (70 ans après l'identification de ce syndrome par
Kanner), le DSM-5 (APA, 2013/2015), il n'est plus question de TED, mais de Trouble du
Spectre de l'Autisme (ou TSA). Le TSA est considéré et affirmé comme un trouble
neurodéveloppemental qui se développe dès les premiers jours de vie pour s'exprimer
dans son intégralité vers l'âge de 2 à 3 ans. Dans ce trouble du spectre de l'autisme, sont
exclus les deux syndromes qui appartenaient aux TED : le syndrome de Rett et le
Trouble désintégratif de l'enfance. Au contraire du DSM-IV-TR qui proposait une
approche catégorielle des syndromes, la version du DSM-5 propose une approche
dimensionnelle de la psychopathologie du développement de l'autisme, ce qui est
attesté par le concept de « spectre ». En effet, les enfants diagnostiqués TSA présentent
des signes cliniques communs, mais qui s'expriment de façon assez différente, non
seulement sur le plan de l'intensité, mais aussi au cours de leur développement. C'est
pourquoi les enfants atteints se différencient selon un continuum sur deux types de
signes cliniques d'autisme que sont :
• les troubles de la communication et des interactions sociales ;
• les activités stéréotypées, répétitives et restreintes, signes dont le clinicien doit
déterminer le niveau de gravité, ce niveau étant en fait déterminé par le « niveau de
soutien pour la personne ».
Ce dernier point, qui est nouveau dans cette version DSM-5, met donc en exergue les
besoins de la personne avec TSA et invite le clinicien à les déterminer précisément afin
que soient envisagées ensuite des interventions appropriées et coordonnées respectant
les modes de vie et la culture de l'enfant et de sa famille.

Le DSM-5 propose les critères cliniques suivants pour le diagnostic de TSA.


• Déficits persistants dans la communication et l'interaction sociales :
– incapacité de réciprocité sociale ou émotionnelle,
– comportements de communication non verbaux utilisés pour l'interaction sociale
déficients,
– incapacité à établir et à entretenir des relations avec ses pairs correspondant au
niveau de développement.
• Modèles de comportements, activités ou intérêts restreints et répétitifs, caractérisés
par au moins deux des éléments suivants :
– discours, utilisation d'objets ou mouvements moteurs stéréotypés ou répétitifs,
– attachement excessif à des routines ; modèles de comportement verbal et non
verbal ritualisés ou résistance excessive au changement,
– intérêts très restreints, à tendance fixative, anormaux quant à l'intensité et à la
concentration,
– hyper- ou hypo-réactivité » à des stimuli sensoriels ou intérêt inhabituel envers
des éléments sensoriels de l'environnement (indifférence à la douleur, à la chaleur
au froid, réponse négative à des sons ou à des textures donnés, le geste de renifler
ou de toucher de façon excessive les objets, fascination pour les lumières ou les
objets qui tournent.
• Les symptômes doivent être présents depuis la petite enfance (mais il est possible qu'ils se
manifestent pleinement seulement au moment où les demandes sociales dépassent
les capacités limitées).
• Les symptômes mis ensemble limitent et altèrent le fonctionnement quotidien.

Par ailleurs, lors de l'évaluation diagnostique, le clinicien doit spécifier :


• le fonctionnement intellectuel :
– avec ou sans déficience intellectuelle,
– décrire le profil verbal et non verbal,
– écart fréquent entre les capacités cognitives et le fonctionnement adaptatif ;
• le fonctionnement langagier :
– doit être évalué et décrit,
– langage réceptif peut être inférieur au langage expressif (pertinence d'évaluer les
deux composantes) ;
• si le TSA est associé à une condition médicale (p. exemple : épilepsie), génétique (p.
exemple le syndrome de Rett, X Fragile ou syndrome de Down) ou
environnementale (petit poids à la naissance, alcoolisme) ;
• dans 10 à 15 % des cas, une cause génétique est identifiable (syndrome X fragile,
syndrome d'Angelman, etc.) ;
• présence de comorbidité ; dépression, TDA-H, troubles anxieux, syndrome de Gilles
de la Tourette.
De plus, le clinicien doit déterminer le niveau de gravité des TSA à la fois dans le
domaine de la communication sociale et dans celui des comportements stéréotypés et
des centres d'intérêt restreints, et selon la graduation suivante :
• niveau 3 : nécessite un soutien très substantiel ;
• niveau 2 : nécessite un soutien substantiel ;
• niveau 1 : nécessite un soutien.

Les données épidémiologiques


L'étude synthétique de Fombonne (2009) à partir de plusieurs études épidémiologiques,
indique la prévalence des TSA de 1 pour 150. Les recherches récentes font apparaître
une augmentation de la prévalence des TSA dans le monde (Sun et Allison, 2010).
Certes, les méthodologies d'étude des prévalences peuvent varier d'une équipe de
recherche à l'autre et aussi selon les pays, et ainsi peuvent donner des résultats
différents. Si globalement, on considère que la prévalence des TSA est actuellement de 1
pour 100 ou 150, une étude par sondage toute récente, mais n'utilisant pas les
méthodologies épidémiologiques classiques, réalisée par le service de statistique de
santé nord-américain chaque année, auprès d'environ 10 000 personnes, a montré que la
prévalence estimée de TSA sur l'année 2014 était de 2,24 %, alors que celles
annuellement estimées de 2011–2013 étaient de 1,25 %. L'étude montre aussi qu'au
contraire, la prévalence des autres troubles du développement diminue de façon
significative de 4,84 % en 2011–2013 à 3,57 % en 2014. En revanche, la prévalence de la
Déficience intellectuelle ne change pas de façon significative entre toutes ces années de
2011–2013 (1,27 %) et 2014 (1,10 %) (Zablotsky et Black, 2015). Le sex-ratio est identique
d'un pays à l'autre et reste stable au cours du temps. Il est d'environ de 4 garçons pour
1 fille. Quant à l'incidence, en France, on estime qu'il y a actuellement 600 000, voire
700 000 personnes atteintes d'autisme. En fonction de la prévalence, ainsi, chaque année,
en France, il y aurait 5 000 naissances d'enfants à devenir autistique. Il s'agit donc d'une
maladie non rare.

Étiologies
Le trouble du spectre de l'autisme est un trouble neurodéveloppemental qui est
expliqué par plusieurs facteurs. Les facteurs génétiques concernent d'une part des
régions génétiques sur lesquelles sont notées des anomalies telles que des mutations, et
d'autre part des gènes de vulnérabilité impliqués dans la formation et l'activation des
connexions neuronales (Bourgeron, 2009). Les troubles neurologiques sont aussi notés,
tels que l'épilepsie touchant 30 ; % des enfants atteints de TSA. De même, des anomalies
cérébrales ont été mises en évidence et concernent généralement les régions frontales
(Zilbovicius et al., 2000) et temporales, responsables respectivement de la planification,
de la communication sociale et du traitement des sons et du langage (Bruneau et al.
1999, 2003) et des associations cross-modales et de la régulation des informations
(Martineau et al. 1998). Par ailleurs, des études d'exploration cérébrale centrées sur le
traitement de l'information, par exemple, la perception du visage, la perception,
l'activité du regard, l'identification des expressions émotionnelles montrent chez les
personnes avec autisme un défaut d'implication et de réactivité de certaines régions
cérébrales le cerveau social (sillon temporal supérieur, gyrus fusiforme et le cortex
orbitofrontal) qui sont connues pour être dédiées à ces types de traitement chez
la personne typique (Adolph, 2003). On note aussi des facteurs dits environnementaux,
comme les facteurs périnatals et néonatals (telle qu'une souffrance à l'accouchement,
une carence alimentaire). Tous ces facteurs n'expliquent pas eux seuls l'autisme, mais, se
combinant à des degrés divers et de façon variable et différentielle d'un individu à
l'autre, ils donnent les formes cliniques développementales et comportementales
d'autisme variées, associées ou non à d'autres troubles somatiques ou psychologiques et
du développement (par exemple, un syndrome génétique ; l'hyperactivité, le retard
global du développement ou la déficience intellectuelle, etc.). Il s'agit donc d'une
étiologie plurifactorielle qui intègre et engage tous les facteurs évoqués qui s'expriment
de façon idiosyncratique chez chaque enfant atteint de TSA. C'est pourquoi, les
explorations médico-psychologiques et sociales doivent-elles être aussi larges que
possible, à la fois pour bien connaître les causes du trouble de l'enfant et pour trouver le
meilleur traitement et l'intervention la mieux adaptée à ses besoins.

Les dysfonctionnements précoces : repérage et dépistage


L'autisme est un trouble qui apparaît dès la naissance et qui s'exprime et se développe
durant les deux premières années. De nombreuses études qui ont mis en évidence les
anomalies précoces qui surviennent durant cette période sont de deux types :
rétrospective et prospective. Les études rétrospectives explorent les comportements de
jeunes enfants de la naissance jusqu'à 2 ans et qui sont déjà diagnostiqués autistes, en
utilisant des documents datant de, ou portant sur cette période, comme notamment les
films réalisés par les parents ou les entretiens avec les parents (Adrien et al., 1991, 1993 ;
Baranek, 1999). Par exemple, sur la période de la première année de vie, les études
rétrospectives réalisées à l'aide des films familiaux montrent que les bébés
ultérieurement diagnostiqués TSA (UD-TSA) ont des difficultés à répondre à l'appel de
leur prénom, à regarder et sourire aux autres et qu'ils présentent des
dysfonctionnements moteurs et vocaux (Adrien et al., 1991, 1992 ; Teitelbaum et al. 1998 ;
Ozonoff et al., 2008 ; Degenne et al. 2009 ; Brisson et al., 2012, 2014). Les études
prospectives visent à suivre l'évolution d'enfants à risque d'autisme (comme les frères et
sœurs puînés d'enfants TSA), dès leur naissance et de façon fréquente et régulière
durant les deux premières années en utilisant une méthodologie d'évaluation et
d'observation directes (Zwaigenbaum et al., 2007 ; Ozonoff et al., 2010 ; Gliga et al., 2012 ;
Landa et Garrett-Mayer, 2006). Les résultats de toutes ces études prospectives et
rétrospectives montrent qu'à partir de l'âge de 1 an, les bébés UD-TSA ont une attention
sociale moindre que les bébés au développement typique, une pauvreté des contacts
visuels, un déficit dans les réponses aux paroles qui leur sont adressées et des difficultés
à s'engager dans des jeux ou des interactions sociales ainsi qu'une motricité
fonctionnelle défaillante à la fois globale et fine et de la gestualité et de l'anticipation
(Boulard et al., 2015).
Selon les recommandations de la HAS (2005, 2010, 2012), et la récente instruction
ministérielle (instruction N° DGCS/SD3B/DGOS/SDR4/CNSA/2014/221, 17 juillet 2014),
le repérage et le dépistage des troubles précoces doivent être réalisés le plus tôt
possible, notamment durant la seconde année de l'enfant et à l'aide d'outils de dépistage
qui ont fait l'objet d'études de validation reconnues. Pour ce qui concerne le repérage,
une liste de comportements atypiques ou de « signes d'alerte » a été construite sur la
base des résultats des recherches, pour identifier dès la première année et la seconde
année de vie les particularités de fonctionnement prémonitoires d'un trouble autistique.
Citons par exemple le signe, à partir de 4 mois et de plus en plus nettement ensuite :
l'absence de mobilisation du regard (absence de mouvements adaptés des yeux) en situation
d'interaction (notamment absence d'attention portée aux yeux de celui qui regarde l'enfant) et à
partir de 15 mois : l'absence de pointage en direction des objets, c'est-à-dire d'orientation du
regard vers ces objets lorsqu'ils sont désignés.
En ce qui concerne le dépistage, l'étude récente de Garcia-Primo et al., (2014) portant
sur 70 000 jeunes enfants et réalisée par un réseau européen de chercheurs cliniciens,
The COST Action Enhancing the Scientific Study of Early Autism (ESSEA-COST), fait un
état des pratiques en matière d'identification et de dépistage de l'autisme en Europe. En
conclusion, les auteurs recommandent vivement d'utiliser les outils qui ont fait l'objet
de validation scientifique, dont notamment le M-CHAT (Robins et al., 2001, 2014).

Le diagnostic des troubles du spectre de l'autisme


Pour ce qui concerne le diagnostic de l'autisme ou de TSA, le clinicien doit se référer
aux critères des systèmes de classification internationale tels que la CIM-10 ou le DSM-
5. Il doit en complément et systématiquement utiliser des outils diagnostiques validés
tels que l'ADI-R (Le Couteur et al., 1989 Lord et al. 1989, 1994) et l'ADOS-R (Lord et al.,
2000) ainsi que la CARS (Schopler et al. 1980).

La psychopathologie du développement de l'autisme


La psychopathologie du développement de l'enfant permet une approche
compréhensive des TSA (Rogé, 2015). Proposant plusieurs théories psychologiques
complémentaires et adaptées à la pathologie ou au handicap étudié, elle contribue à la
compréhension des particularités de développement et de fonctionnement des
personnes qui les présentent. Certaines de ces théories empruntent la voie de l'analyse
du développement atypique, d'autres celle essentiellement de la cognition, et enfin
d'autres celles de la communication et de l'émotion ou de la cognition socio-
émotionnelle. Les modèles peuvent être électifs en se centrant sur une seule fonction
dont la perturbation rend compte en cascade des dysfonctionnements des autres
fonctions ; d'autres globaux, c'est-à-dire expliquant l'ensemble de la psychopathologie
de l'autisme (Plumet, 2014).

Les particularités de la cognition socio-émotionnelle et de


la cognition
Les travaux de recherche de Mundy et al. (1994) ont montré que l'enfant avec autisme a
un déficit d'attention conjointe qui affecte le développement de sa communication avec
autrui, notamment son langage communicatif. Baron-Cohen et al. (1985) ont montré
l'existence d'un déficit cognitif concernant la capacité à penser les états mentaux
d'autrui, la « théorie de l'esprit ». Baron-Cohen (1989) montre qu'en fait cette capacité
serait retardée et déviante dans ses modalités d'expression (Richard et al., 2006) et que
son altération serait sous-tendue par le trouble d'attention conjointe. Dans ce sens,
Gattegno et al. (1999) ont montré à partir de l'analyse des films familiaux que le trouble
d'attention conjointe, présent dès l'âge de 11 mois et s'exprimant de façon différente
selon les enfants ultérieurement diagnostiqués autistes, pourrait être le précurseur de
celui de la théorie de l'esprit, celle-ci étant notée comme soit inexistante soit retardée
chez ces enfants. Les travaux récents montrent la complexité des dysfonctionnements de
cette capacité chez ces enfants, en lien avec d'autres capacités impliquées dans le
fonctionnement et le développement sociocognitif « différent » de ces enfants (Plumet,
2014).
De nombreux travaux, parmi lesquels ceux de Hughes et al. (1984) et Hill (2004), ont
montré que le trouble des fonctions exécutives expliquerait l'ensemble des altérations
des interactions sociales, les comportements stéréotypés et répétitifs et la résistance au
changement. Plus récemment, Zalla et al. (2010) montrent que le déficit n'est pas de
nature purement exécutive, mais qu'il concerne les capacités à se représenter la
séquence d'actions d'une activité à réaliser, et à comprendre les différentes sous-actions
nécessaires à l'atteinte du but de cette activité.
Tardif et al. (2007) et Lainé et al. (2011) et Gepner (2014) montrent que le trouble du
traitement des informations visuelles et auditives dynamiques qui participent fortement
aux échanges inter-individuels, pourrait expliquer les anomalies des interactions
sociales. Par ailleurs, Frith (2003) et Happé et Frith (2006) mettent en évidence un déficit
de cohérence centrale qui concerne la difficulté voire l'impossibilité des enfants atteints
d'autisme à traiter la globalité d'une information pour en saisir sa signification. Mottron
(2004) montre que ce style cognitif présenté par les enfants atteints d'autisme
correspond plutôt à un surfonctionnement du traitement local qu'à un déficit du
traitement de la globalité.
D'autres auteurs mettent en exergue un trouble global basique. Par exemple, le
trouble primaire de la régulation de l'activité, de nature neurophysiologique (Lelord,
1990) est caractérisé par des ruptures et interruptions des actions au cours de l'activité,
des dys-synchronisations et décoordinations des actions, un ralentissement ou
accélération des actions, une variabilité dans la mise en œuvre des compétences
(Adrien, 1996 ; Adrien et Barthélémy, 1994, Adrien et al., 1995). Il expliquerait non
seulement les troubles de la relation et de la communication des enfants atteints
d'autisme, mais aussi l'ensemble des anomalies du développement sensoriel, perceptif,
cognitif, conatif et émotionnel de ces enfants (Nader-Grosbois, 2007).

Les trajectoires de développement des enfants avec TSA


Partageant tous une même symptomatologie, les enfants atteints d'autisme se
développent pourtant de façon différente (Barthélémy et Bonnet-Brilhault, 2012). Ainsi,
Fountain et al. (2012) décrivent six trajectoires du développement de l'interaction
sociale, de la communication et des comportements répétitifs et stéréotypés chez des
enfants avec autisme et soulignent l'hétérogénéité de leurs modes d'évolution avec :
• pour certains enfants, une absence de développement ;
• pour d'autres des évolutions suivies de plateau puis de progrès ;
• pour d'autres encore des évolutions régulières puis une stagnation durable.
Baghdadi et al. (2012) étudiant les trajectoires des comportements adaptatifs d'enfants
de 3 ans à 15 ans observent aussi que les formes d'évolution sont très variables et
dépendantes des niveaux cognitifs et langagiers des enfants. Au total, tous ces travaux
montrent des modes d'évolutions très différents chez les enfants avec TSA,
généralement fonction de leurs niveaux cognitif et linguistique évalués à l'âge où le
diagnostic de TSA est posé et qui peuvent, malgré ces trajectoires précoces différentes,
présenter une même intensité symptomatique d'autisme (Landa et al., 2006).

Les méthodes d'évaluation psychologique du


développement des enfants avec TSA
Les évaluations du développement cognitif, verbal et non verbal, socio-émotionnel et
adaptatif de l'enfant avec TSA (Adrien, 2008, 2011) sont indispensables pour confirmer
le diagnostic et aussi pour mettre en place un projet individualisé d'intervention
psycho-éducative. Ces évaluations sont réalisées par des psychologues experts des TSA
à l'aide de tests adéquats et appropriés à l'âge et au niveau de développement de
l'enfant (par exemple l'échelle de Brunet-Lézine, la BECS, le PEP-R ou le PEP 3, les
EDEI-R, les échelles de Weschler et l'échelle de Vineland). Ces outils permettent de
déterminer les niveaux et les profils de développement et de calculer les âges et les
quotients de développement cognitifs et socio-adaptatifs des enfants. Les examens des
enfants doivent être réalisés dans des conditions particulières d'environnement
(environnement sobre et calme) et de passation (structuration spatio-temporelle)
adaptées aux caractéristiques des enfants avec TSA (attention, sensibilité sensorielle,
sensibilité aux changements) et à leurs besoins et intérêts spécifiques. L'examinateur
doit être attentif à l'enfant et faire preuve de patience et d'interaction soutenue pour le
mobiliser activement dans ses différentes capacités, même si celles-ci sont difficilement
actualisées.

Les méthodes d'intervention éducative et thérapeutique


auprès des enfants avec TSA
Il existe plusieurs programmes d'intervention éducative et thérapeutique pour les
enfants avec autisme (Tardif, 2010 ; Adrien et Gattegno, 2011). Nous citerons les
principaux, qui ont fait objet de recherche, dont certains sont particulièrement
recommandés par la HAS (2012). Tous ces programmes partagent certains objectifs : ils
visent au développement, à la réduction des troubles du comportement et à une
meilleure adaptation sociale des enfants avec TSA, et ont en commun certains principes
de base : mis en place sur la base d'évaluations, standardisées ou non, des particularités
de comportement et de développement de la personne avec TSA. Certains mettent plus
l'accent sur l'inclusion scolaire (Philip et al., 2012) sans oublier pour autant l'autonomie
personnelle.
Citons tout d'abord les programmes issus de, ou guidés par la méthode Analyse
Appliquée du Comportement ou ABA (Lovaas, 1987 ; Leaf et McEachin, 2006 ;
Bourgueil, 2011), largement utilisés actuellement, et qui sont centrés sur l'apprentissage
(avec renforçateurs) de comportements appropriés pour communiquer avec autrui et
pour développer l'autonomie personnelle et sociale. Beaucoup de travaux ont validé
l'intérêt et l'efficacité de ce type d'intervention qui s'applique préférentiellement aux
enfants (Sallows et al., 2005 ; Eikeseth et al., 2012), mais qui est aussi utilisé pour les
adolescents et les adultes qui présentent des comportements problématiques.
Le programme Treatment and Education of Autistic and related Communication-
handicapped CHildren ou Traitement et éducation des enfants atteints d'autisme et de
troubles de la communication ou TEACCH est un programme psycho-éducatif
structuré, créé par E. Schopler (Schopler et al., 1988) qui vise aux apprentissages de la
communication, de la socialisation (école, loisirs, travail) et de l'autonomie personnelle
et sociale (Determann, 2011). Les deux principales stratégies utilisées dans l'éducation
structurée de ce programme sont l'emploi du temps avec supports visuels et
l'organisation spatio-temporelle du travail et des apprentissages. L'efficacité du
programme est déterminée par son individualisation qui nécessite des ajustements
constants et réciproques à la fois des activités et exercices éducatifs proposés et des
attitudes des thérapeutes et de la famille.
Le programme Early Start Denver Model ou Intervention précoce modèle de Denver
(ESDM) est un programme structuré et hiérarchisé, centré sur le développement de
plusieurs fonctions cognitivo-sociales, notamment le jeu, l'attention conjointe,
l'imitation, la communication verbale et non verbale ainsi que l'empathie et qui est basé
sur un modèle de psychopathologie développementale intégrative (Rogers et al., 1991 ;
Rogers et Dawson, 2013). Il concerne les enfants avec TSA durant la période
développementale de 2 ans à 6 ans et implique l'ensemble des personnes concernées par
l'enfant, parents et professionnels. Il nécessite d'être piloté par une personne
coordonnatrice, experte et formée. Le programme a fait l'objet d'études de validation et
d'efficacité (Dawson et al., 2010) qui montrent des progrès des enfants dans les
domaines de la communication, de la cognition et de l'adaptation.
Le programme « Intervention développement domicile ecole entreprise supervision »
(IDDEES) constitue une approche psycho-éducative éclectique et partenariale
(Gattegno, 2004) qui a pour objectifs d'accompagner des enfants, mais aussi des
adolescents et des adultes dans leur milieu de vie ordinaire en relation avec les parents
et toutes les personnes impliquées dans le processus d'éducation et/ou de formation. De
plus en plus pratiqué sur le territoire français, il a aussi montré son efficacité pour les
enfants avec autisme (Gattegno et al. 2005a et b ; Gattegno, 2011, Gattegno et al., 2012) et
les adultes (Gattegno et al. 2011). En fonction des besoins des personnes avec TSA et des
demandes des familles, les accompagnements ont lieu à domicile, à l'école, au collège,
au lycée ou dans l'entreprise. Les accompagnants sont la plupart du temps des
psychologues experts de l'autisme. Le dispositif d'intervention s'appuie sur une
évaluation du développement cognitif et socio-adaptatif de la personne et comprend
une supervision systématique effectuée par des psychologues, eux aussi experts dans le
domaine de l'autisme et des troubles du développement (Wolff et al., 2005). Les familles
sont régulièrement rencontrées, impliquées pour les ajustements des programmes de
développement personnel.
La méthode d'apprentissage de la communication à l'aide de supports visuels et
d'images, Picture Exchange Communication System (PECS), est pertinente pour les enfants
avec autisme qui n'utilisent pas encore le langage (Tuil, 2004). Elle est utilisée et
nécessairement de façon coordonnée par les différentes personnes de l'entourage de
l'enfant pour assurer une cohésion de l'intervention. Outre les rééducations en
orthophonie et en psychomotricité qui sont aussi régulièrement proposées aux enfants
et adolescents pour développer leurs capacités de communication verbale et non
verbale (HAS, 2012), une thérapie individuelle peut aussi être pratiquée régulièrement
pour les enfants TSA. Il s'agit de la Thérapie d'échange et de développement (TED) qui
vise à la réduction des dysfonctionnements, attentionnels, sensoriels et perceptifs, à
l'accentuation des capacités de contact, d'échange et de communication avec autrui
(Barthélémy et al., 1995). Elle comprend 3 séances par semaine d'une durée de 20 min
dans une salle neutre où un thérapeute propose de façon structurée à l'enfant de façon
sereine des activités qui correspondent à ses intérêts et à son niveau. Cette thérapie a
fait aussi l'objet d'étude portant sur l'évolution d'enfants en bénéficiant (Adrien et al.,
1998 ; Blanc et al., 2011).

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CHAPITRE 30

Le trouble déficit de
l'attention/hyperactivité
Stéphanie Vanwalleghem

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Description du TDAH
Les facteurs impliqués dans l'expression du TDAH et les modèles explicatifs
Conclusion

Introduction
Le Trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) concerne 5 %
des enfants d'âge scolaire (American academy of pediatrics, 2000). Ses premières
descriptions ont été faites au XIXe siècle par Hoffman en Allemagne, Bourneville en
France et James aux États-Unis (Dumas, 2007). Au cours du XXe siècle, le TDAH a fait
l'objet de diverses appellations telles que lésion cérébrale minime, dysfonctionnement
cérébral minime, syndrome hyperkinétique, réaction hyperkinétique de l'enfance,
trouble hyperactif avec déficit de l'attention, reflétant les divergences entre des théories
biologiques et des théories psychosociales. Actuellement, le TDAH est considéré comme
un trouble neurodéveloppemental dont l'étiologie est plurifactorielle et qui est composé
de deux dimensions, l'inattention et l'impulsivité-hyperactivité.

Description du TDAH
La symptomatologie
Les symptômes principaux du TDAH sont le déficit d'attention, l'hyperactivité et
l'impulsivité. Le déficit d'attention correspond à des difficultés pour porter l'attention
sur des détails, pour maintenir une attention soutenue, pour s'organiser ainsi qu'à une
distractibilité, des pertes d'objets, des oublis, des rêveries, des erreurs d'inattention et un
évitement des tâches qui demandent un effort mental soutenu. L'hyperactivité renvoie à
une agitation motrice et cognitive (tachypsychie, logorrhée). L'impulsivité correspond à
des difficultés pour attendre son tour, une tendance à interrompre les autres, à se
précipiter, à répondre avant la fin de la consigne, à être impatient, à trop parler.
Le diagnostic de TDAH est clinique et repose sur des critères diagnostiques précis,
tels que ceux proposés dans le DSM-5 (APA, 2013). Pour que le diagnostic de TDAH
soit posé, il faut que les symptômes d'inattention et/ou d'impulsivité-hyperactivité
persistent depuis au moins 6 mois, et qu'ils aient un retentissement négatif direct sur les
activités sociales et scolaires ou professionnelles. Il faut également que plusieurs
symptômes d'inattention ou d'hyperactivité/impulsivité soient apparus avant l'âge de
12 ans, et que les symptômes soient observés dans différents contextes (ex : familial,
scolaire/professionnel, activité de loisir). On distingue 3 types cliniques : la présentation
combinée où le sujet présente à la fois un déficit d'attention et une impulsivité-
hyperactivité, la présentation inattentive prédominante et la présentation
hyperactive/impulsive prédominante. Le DSM-5 permet de préciser la sévérité du
trouble et de spécifier si le sujet est en rémission partielle.

L'évolution du trouble avec l'âge


Le TDAH est un trouble précoce, dont certaines manifestations comportementales et
cognitives débutent avant l'âge de 7 ans. La présentation combinée du trouble, associant
le déficit d'attention et une impulsivité-hyperactivité, est prédominante après 6 ans et
jusqu'à l'adolescence, puis la symptomatologie évolue vers une atténuation de
l'intensité de l'hyperactivité et de l'impulsivité, alors que le déficit attentionnel persiste à
des degrés variables (Excoffier et al., 2006). Le TDAH est un trouble chronique qui
affecte tous les groupes d'âge (Wilens et Dodson, 2004). En effet, un à deux tiers des
enfants d'âge scolaire présentant un TDAH continuent à présenter des symptômes à
l'âge adulte (Steele et al., 2006).
Les filles qui ont un TDAH ont en moyenne moins de symptômes d'inattention,
d'hyperactivité-impulsivité et moins de problèmes de comportement que les garçons,
mais davantage de problèmes dépressifs et anxieux (Gershon et al., 2002).

Les troubles cognitifs


Sur le plan cognitif, en plus du déficit d'attention, un déficit des fonctions exécutives,
composées des capacités de flexibilité mentale, de mémoire de travail, d'inhibition et de
planification, est souvent observé chez les sujets présentant un TDAH (Excoffier et al.,
2006). Ces troubles peuvent être objectivés par un bilan neuropsychologique réalisé à
l'aide de tests tels que la batterie TEA-CH (Manly et al., 2004), les épreuves exécutives
de la NEPSY-2 (Korkman et al., 2012), le test de Stroop pour évaluer l'inhibition (Albaret
et Migliore, 1999), la Tour de Londres pour tester la planification (Lussier et al., 1998) ou
le test d'appariement d'images pour évaluer l'impulsivité (Albaret et al., 1999).
L'utilisation de questionnaires, comme les échelles de Conners (2008) permet d'évaluer
l'intensité des symptômes dans le milieu scolaire (questionnaire rempli par l'enseignant)
et dans le milieu familial (questionnaire rempli par les parents) et de suivre l'évolution
des symptômes. Le questionnaire Children Behavior Checklist (Achenbach et Rescorla,
2001) permet également de compléter le bilan grâce à une sous-échelle « troubles de
l'attention » et aux sous-échelles permettant d'évaluer les symptômes anxieux-
dépressifs, les difficultés relationnelles, ainsi que les comportements agressifs et
provocateurs. Ces dimensions sont pertinentes, car les enfants et adolescents présentant
un TDAH peuvent être concernés par d'autres troubles internalisés ou externalisés.

Les retentissements du TDAH


Le TDAH retentit sur la qualité de vie, au niveau du fonctionnement émotionnel et
comportemental, de la santé mentale et de l'estime de soi des sujets, ainsi qu'au niveau
de la santé émotionnelle des parents et de la cohésion familiale (Klassen et al., 2004).
Le TDAH retentit également sur la réussite scolaire. L'impulsivité rend difficile le
respect de la prise de parole et l'organisation du travail dans le milieu scolaire. Le déficit
d'attention rend difficile l'attention soutenue, ce qui génère des erreurs de lecture, des
omissions de mots en dictée, des erreurs d'inattention en mathématiques, un manque de
contrôle attentionnel pour envisager différentes solutions possibles à un problème, etc.
Le déficit d'attention retentit également sur la mémorisation : les informations doivent
être répétées et ne pas contenir trop de détails pour être mémorisées. Enfin,
l'hyperactivité entraîne un comportement agité, bruyant et perturbateur, peu adapté à la
vie scolaire (Touzin, 2002).
Le TDAH retentit aussi sur la qualité des relations sociales. Les parents perçoivent la
qualité de leurs relations avec leurs enfants TDAH de façon plus négative que les
parents d'enfants sans TDAH. À l'école, la moitié des enfants TDAH ont des difficultés
relationnelles avec les pairs et les enseignants. Ils sont parfois rejetés par leurs pairs, car
leur impulsivité les amène à intervenir dans les jeux collectifs sans respecter les règles
établies (Barkley, 2002). De plus, ils manquent souvent d'habiletés sociales et ont peu
conscience des conséquences possibles de leur comportement sur eux et sur les autres.
Enfin, le TDAH s'accompagne d'un risque accru d'avoir un accident ou de se blesser
en raison de l'activité excessive et de l'inattention (Dumas, 2007).

Les comorbidités du TDAH


Le TDAH est souvent associé à des troubles comorbides (cf. tableau 30.1), ce qui rend le
diagnostic et la prise en charge plus complexes et ce qui retentit sur le devenir des
patients (Spencer, 2006 ; Excoffier, 2006).

Tableau 30.1
Troubles comorbides fréquents chez les sujets présentant un TDAH.

Troubles comorbides et fréquence de


Description/Remarques
co-occurrence avec le TDAH

Trouble oppositionnel avec Comportements vindicatifs, coléreux, de contestation, refus des consignes.
provocation : 50 %

Trouble des conduites : 30 % Transgression des règles sociales, non-respect d'autrui, agressions envers des personnes et
des animaux, destruction de biens matériels, fugues, mensonges, vols.

Troubles anxieux : 25 % Agoraphobie (15 %), trouble panique (6 %), anxiété généralisée, phobies simples, anxiété de
séparation, phobie sociale, troubles obsessionnels compulsifs.

Troubles de l'humeur : de 10 % à 40 % Dysthymie, dépression (risque de suicide plus élevé).


selon les études

Troubles des apprentissages : 28 % Principalement des troubles du langage oral et écrit (Touzin, 2002).
(lecture) et 35 % (expression écrite)

Troubles du sommeil : 50 % Troubles de l'endormissement, sommeil agité, parasomnies, réveils nocturnes, impatiences,
mouvements des jambes.

Par ailleurs, Minahim et Rohde (2015) ont montré que parmi 39 enfants à haut
potentiel intellectuel, 15 % présentaient un TDAH, contre 7 % des enfants du groupe
contrôle. Ce résultat montre que le TDAH concerne également les enfants précoces.

Le diagnostic différentiel
Des symptômes d'inattention, d'impulsivité ou d'hyperactivité peuvent être observés
chez des sujets pour d'autres raisons que la présence d'un TDAH (Excoffier, 2006).
Ainsi, le TDAH est à distinguer de l'agitation classique du jeune enfant, de l'agitation
anxieuse et des troubles de l'attention secondaires à un trouble de l'humeur. Le TDAH
doit également être différencié du trouble bipolaire : ces deux troubles ont en commun
l'agitation psychomotrice, la distractibilité, la logorrhée, l'impulsivité avec colère et
l'irritabilité. Toutefois, la dysphorie avec labilité thymique et les symptômes
d'hypomanie (insomnie, besoin réduit de sommeil, idées de grandeur avec
désinhibition) permettent de faire le diagnostic différentiel, car ils ne concernent que le
trouble bipolaire.
Par ailleurs, des pathologies acquises neurologiques (ex : tumeurs), endocriniennes
(dysthyroïdies) ou sensorielles (ex : hypoacousie) sont également susceptibles de
donner un tableau clinique évocateur d'un TDAH. De même, certains médicaments (ex :
corticoïdes, benzodiazépines) peuvent entraîner une agitation, à distinguer d'un TDAH.

Les facteurs impliqués dans l'expression du TDAH et les


modèles explicatifs
Les facteurs neurobiologiques
Les bases cérébrales du TDAH ont été étudiées afin de rechercher des facteurs
explicatifs de ce trouble au niveau biologique. Les résultats des études suggèrent une
implication du cortex préfrontal et du striatum (structure sous-corticale) dans la
régulation de l'attention et du comportement (pour revue Arnsten, 2006). L'implication
de ces zones cérébrales repose sur les études en imagerie qui ont mis en évidence, à
l'aide de techniques d'imagerie, des altérations du cortex préfrontal et des connexions
entre le cortex préfrontal, le striatum et le cervelet chez des sujets présentant un TDAH.
Elle repose également sur l'observation de patients cérébro-lésés au niveau du cortex
préfrontal, présentant des symptômes de distractibilité, d'impulsivité, d'hyperactivité
psychomotrice, des oublis et des difficultés de planification. L'observation de ces
symptômes suggère que le cortex préfrontal est une région critique pour la régulation
du comportement, de l'attention, de la capacité d'inhibition des distracteurs
(informations non pertinentes).
Sur le plan biochimique, le TDAH serait lié à des dysfonctionnements au niveau de
deux neuromédiateurs : la noradrénaline et la dopamine. Des études
électrophysiologiques chez les animaux ont montré le rôle de ces neuromédiateurs dans
l'attention : la noradrénaline augmenterait l'intensité des « signaux », c'est-à-dire
l'attention portée aux informations pertinentes, grâce aux récepteurs a2 du cortex
préfrontal, alors que la dopamine diminuerait le « bruit », c'est-à-dire l'attention portée
aux informations non pertinentes, en réduisant les niveaux de stimulation du récepteur
dopaminergique D1. Chez le singe, le fait de bloquer les récepteurs a2 du cortex
préfrontal, c'est-à-dire d'empêcher le passage de la noradrénaline, entraînerait
l'apparition des symptômes du TDAH (pour revue, Arnsten, 2006). Chez l'homme,
Spencer et al. (2007) ont mis en évidence un dysfonctionnement au niveau des
transporteurs de dopamine dans le striatum de patients présentant un TDAH par
comparaison avec des patients contrôles. Le striatum pourrait être l'une des structures
cérébrales les plus impliquées dans la physiologie du TDAH, car il renfermerait jusqu'à
80 % de la dopamine cérébrale. Le dysfonctionnement dopaminergique entraînerait une
hypoactivité de la région corticale cingulaire antérieure, qui sous-tendrait les anomalies
cognitives, et une hyperactivité sous-corticale au niveau du noyau caudé (structure du
striatum), qui serait responsable de l'hyperactivité motrice (Castellanos, 1997).
Le développement des connaissances relatives aux mécanismes neurobiologiques
impliqués dans le TDAH a amené le développement du traitement médicamenteux par
méthylphénidate, commercialisé sous le nom de Ritaline® ou de Concerta®, un
psychostimulant qui agit sur ces deux systèmes : dopaminergique et
noradrénalinergique (Engert et Pruessner, 2008).

Les facteurs génétiques


Des facteurs génétiques sont impliqués dans le TDAH. En effet, les études
d'épidémiologie ont montré que le TDAH est surreprésenté dans les familles de sujets
atteints : les apparentés du premier degré ont un risque cinq fois plus élevé de présenter
un TDAH qu'une population contrôle (Biederman et al., 1992). Les études menées chez
les jumeaux ont mis en évidence des taux de concordance plus élevés chez les jumeaux
monozygotes (66 %) que chez les jumeaux dizygotes (28 %) : ainsi si un enfant a un
TDAH, son jumeau monozygote a 66 % de risque de développer également un TDAH.

Les modèles explicatifs issus de la neuropsychologie


Parmi les modèles issus de la neuropsychologie, celui de Barkley (1997a) est l'un des
plus connus. Barkley propose que le déficit primaire dans le TDAH serait un déficit
d'inhibition. Ce déficit entraînerait la perturbation secondaire de quatre fonctions
exécutives :
• la mémoire de travail, qui permet de maintenir une réponse à l'esprit ;
• l'autorégulation des affects, de la motivation et de la vigilance ;
• le langage internalisé, qui est impliqué dans la résolution des problèmes, l'auto-
questionnement et la génération de règles et ;
• la reconstitution, qui consiste en une analyse et une synthèse des comportements.
Ces quatre fonctions exécutives exerceraient un rétrocontrôle sur les processus
d'inhibition. Quand ce circuit serait fonctionnel, il permettrait une autorégulation et un
fonctionnement adaptatif optimal. En effet, les stimulations non pertinentes seraient
minimisées pendant l'exécution de réponses motrices, les réponses seraient générées en
fonction du but à atteindre et la mémoire de travail garderait à l'esprit la dernière
réponse et la réponse à venir durant l'exécution du comportement afin d'ajuster les
réponses subséquentes. À l'inverse, lorsque le processus d'inhibition serait déficitaire, il
générerait un déficit exécutif global, qui expliquerait l'impulsivité des patients
présentant un TDAH.
Si le modèle de Barkley permet d'expliquer les symptômes d'impulsivité-
hyperactivité, il ne permet pas d'expliquer les symptômes d'inattention. De plus, le
dysfonctionnement global des fonctions exécutives n'est pas systématique chez les
patients présentant un TDAH. Les modèles récents proposent de rendre compte de
l'hétérogénéité neuropsychologique observée chez les patients présentant un TDAH
(pour revue Stefanatos et Baron, 2007) en suggérant que d'autres dysfonctionnements
pourraient être impliqués au niveau de la régulation de l'état (comportements, pensées,
émotions) et de la capacité à différer les activités dans le temps.
Sohlberg and Mateer (1987) ont proposé un modèle qui permet de rendre compte de
l'hétérogénéité neuropsychologique présentée par les patients TDAH au niveau du
déficit attentionnel. Ce modèle distingue cinq processus attentionnels :
• l'attention focalisée, qui correspond à la capacité à orienter son attention vers des
stimuli ;
• l'attention sélective, qui permet de détecter des stimuli cibles parmi des stimuli
distracteurs (stimuli non pertinents) ;
• l'attention soutenue, qui renvoie à la capacité à maintenir une réponse
comportementale adaptée pendant une activité répétitive et continue ;
• l'attention alternée, composante qui correspond à la flexibilité mentale, c'est-à-dire à
la capacité de passer d'un traitement à un autre ;
• l'attention divisée, qui est la capacité à réaliser deux tâches simultanément.
Ce modèle a servi de support à l'élaboration de différentes batteries d'évaluation des
processus attentionnels tels que la TEA-CH (Manly et al., 2004). Tous ces processus
attentionnels n'étant pas nécessairement atteints chez les patients présentant un TDAH,
il est intéressant de les évaluer à l'aide d'épreuves spécifiques pour pouvoir proposer
des exercices de remédiation cognitive personnalisés (ex : programme informatisé
RehaCom ; programme informatisé Cognibulle de Virole, 2012 ; programme de
remédiation de la mémoire de travail Cogmed, Klingberg, 2012) et des aménagements
scolaires adaptés.

Un modèle cognitivo-comportemental du TDAH


Safren et al. (2004) ont élaboré un modèle conceptuel en vue de proposer une thérapie
cognitive et comportementale (TCC) à des patients présentant un TDAH. Selon leur
modèle, les symptômes spécifiques du TDAH tels que la distractibilité, le manque
d'organisation, les difficultés à mener une tâche à terme et l'impulsivité rendraient
difficile l'acquisition de stratégies de coping efficaces. Cette difficulté entraînerait un
maintien, voire une intensification des symptômes, et amènerait les patients à
expérimenter de multiples échecs et actions inachevées dans leur vie. Ces échecs
généreraient des pensées et des croyances négatives (ex : je ne réussirai jamais à
l'école » ; « personne ne voudra jouer avec moi au foot parce que je rate tout le temps le
ballon ») qui renforceraient la difficulté à élaborer des stratégies de coping (ex : mettre
en place des stratégies de relecture pour repérer les erreurs d'inattention ; adapter le
temps de jeu sur le terrain de football aux ressources attentionnelles de l'enfant). Les
TCC ont pour objectif d'interrompre ce cercle vicieux qui perpétue les symptômes. Pour
cela, les auteurs proposent un entraînement à des tâches comportementales permettant
d'amener le patient à développer des stratégies de coping efficaces, comme
l'entraînement à la planification (ex : planifier les différentes étapes permettant de se
préparer pour aller à l'école le matin) ou la diminution des évitements (ex : apprendre à
ne pas abandonner dès qu'une tâche demande un effort mental soutenu ; limiter les
actions que le parent fait à la place de l'enfant pour pallier son inattention et son
manque d'organisation). Cet entraînement comportemental vise à diminuer les
dysfonctionnements et à rompre le lien entre les symptômes principaux et une histoire
perpétuelle d'échecs et d'actions inachevées. Parallèlement, la thérapie vise, à l'aide de
techniques de restructuration cognitive, à modifier les pensées dysfonctionnelles à
l'origine d'évitements, de procrastination ou de shifts attentionnels (réorientation de
l'attention vers une autre activité). Par exemple, si l'enfant interprète une situation
d'échec à un contrôle scolaire en disant « c'est normal, je suis nul », il risque de se
décourager et de désinvestir les apprentissages scolaires. L'objectif est de l'amener à
envisager des interprétations alternatives à la situation telles que « la prochaine fois, je
prendrai le temps de souligner les mots importants de la consigne avant de répondre »
ou « je ne connaissais pas assez mes tables de multiplication, c'est pour ça que j'ai fait
beaucoup d'erreurs ». Le fait de se décentrer des pensées dysfonctionnelles permet à
l'enfant de ne pas rester bloquer dans la situation-problème et d'envisager des stratégies
pour éviter de répéter les mêmes erreurs à l'avenir.

Les facteurs éducatifs


La présence d'un TDAH perturbe souvent le fonctionnement du système familial
(Johnston et Mash, 2001). Les parents peuvent être en difficulté pour gérer les
comportements opposants, les accès de colère et la faible tolérance aux frustrations de
leur enfant présentant un TDAH. Ils peuvent parfois adopter des comportements qui
vont, involontairement, renforcer les comportements inadaptés de l'enfant. C'est le cas,
par exemple, lorsqu'un enfant a un accès de colère pendant que son parent s'occupe de
son frère ou de sa sœur. L'accès de colère attire l'attention du parent et celui-ci va
probablement aller vers l'enfant ayant un TDAH pour le calmer au lieu de continuer à
s'occuper de son frère ou de sa sœur. L'enfant TDAH va alors tirer un bénéfice de la
situation (il reçoit de l'attention de la part du parent), ce qui peut l'amener à reproduire
le comportement inapproprié (renforcement) pour avoir de nouveau l'attention du
parent, même si cette attention est négative. Parallèlement, si le parent accorde peu
d'attention aux comportements adaptés de ce même enfant, celui-ci expérimentera peu
de situations où il reçoit une attention positive du parent, ce qui risque de renforcer sa
tendance à se comporter de manière inappropriée pour attirer l'attention. Il est alors
conseillé d'inverser la situation en prêtant régulièrement une attention positive aux
comportements adaptés de l'enfant et en ignorant les comportements inadaptés lorsque
l'enfant ne se met pas en danger ou ne met pas les autres en danger. L'enfant aura alors
tendance à reproduire les comportements adaptés qui ont permis d'obtenir l'attention
des parents. Les difficultés éducatives constituent des facteurs de maintien des
comportements inadaptés, c'est pourquoi Barkley (1997 b) a développé un programme
de guidance parentale. Ce programme comporte un temps d'information sur le trouble,
puis vise au développement de stratégies pour faire face à la non-compliance de l'enfant
et pour apprendre à l'enfant à ne pas déranger les parents lors de certains moments
comme les conversations téléphoniques. Il a également pour objectif d'apprendre aux
parents à prêter une attention positive aux comportements adaptés de leur enfant, à
utiliser un système de récompenses visant à remplacer l'attribution arbitraire de
privilèges, à utiliser une procédure de time-out (mise à l'écart) pour gérer les
comportements inacceptables, à mettre en place des stratégies d'organisation pour le
travail scolaire (ex : fractionner le temps de travail en alternant des temps de travail et
des temps de pause pour favoriser la concentration pendant les temps de travail) et à
développer des stratégies pour gérer les comportements inadaptés lors des sorties.

Conclusion
Les modèles neuropsychologiques et cognitivo-comportementaux et la mise en
évidence de facteurs neurobiologiques dans le TDAH ont permis le développement de
traitements médicamenteux et de prises en charge non médicamenteuses, tel que des
programmes de remédiation cognitive, de thérapie cognitive et comportementale ou
d'entraînement aux habiletés parentales.

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CHAPITRE 31

Le développement de l'enfant prématuré


Daniel Mellier

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les données épidémiologiques
Le devenir des enfants nés prématurés
Les soins de soutien au développement de l'enfant prématuré
Conclusion

Introduction
Ce chapitre donne un état des connaissances issues des recherches scientifiques sur le
développement de l'enfant prématuré. Il défend que la prématurité réalise une situation
bio-socio-psychologique qui ne peut négliger aucune de ces trois dimensions pour saisir
la complexité de cette « niche de développement » originale. Il est ouvert par une
synthèse des données épidémiologiques qui donnent une image composite autant sur
l'évolution du taux de naissances prématurées depuis une dizaine d'années que sur le
devenir des enfants, notamment sur le plan de leurs capacités cognitives, sociales,
interactives.
La deuxième partie concerne les soins de soutien au développement. Elle rappelle
d'abord comment les intérêts des psychologues ont évolué depuis leur entrée dans les
services de néonatalogie qu'il s'agisse du plan de la clinique ou de celui de la recherche
développementale. On remarque ainsi comment les connaissances théoriques ou
méthodologiques en psychologie du développement éclairent les situations nouvelles
liées à l'abaissement du seuil de viabilité des bébés. On conçoit en retour que le
caractère inédit de ces situations suscite des demandes nouvelles au chercheur. Enfin,
elle rapporte comment les psychologues contribuent à prendre soin du bébé et des
familles pour améliorer la qualité de vie à l'hôpital, thématique majeure en psychologie
pédiatrique, et pour prévenir les effets négatifs de la naissance prématurée sur le
développement psychologique de l'enfant.
Les données épidémiologiques
Qu'est-ce que la prématurité ?
Un bébé est considéré prématuré s'il naît avant 37 semaines révolues de gestation ; une
durée normale étant de 40 semaines. Cette définition internationale définit le terme, ou
âge gestationnel (AG), en semaines d'aménorrhée (SA). Elle distingue cinq degrés de
prématurité selon l'importance des risques neuro-développementaux (tableau 31.1).

Tableau 31.1
Âge gestationnel, degré de prématurité, poids moyen attendu à la naissance et
estimation des risques biomédicaux et neuro-développementaux.

Âge gestationnel à la naissance en semaines Degré de prématurité Poids de naissance attendu en grammes Degré de risques

37–42 Néant (à terme) > 2 500

34–36,6 Tardive > 1 800 Bas

32–33,6 Modérée > 1 500 Haut

27–31,6 Grande prématurité > 1 000 Très haut

22–26,6 Extrême prématurité > 500 Extrême

Le poids de naissance peut-être normal (eutrophie) ou insuffisant (hypotrophie) pour


le terme de naissance. Le faible poids pour l'âge gestationnel (Small for Gestational
Age = SGA) est constaté à la naissance lorsque le poids de l'enfant est en dessous du
10e percentile de la distribution de référence de son terme. Il évalue le risque de
troubles de l'adaptation (hypothermie, hypoglycémie, etc.) et oriente les mesures
préventives pour l'alimentation. Ce faible poids à la naissance ne se confond pas avec le
retard de croissance intra-utérin (RCIU) même si ce dernier en est une cause fréquente.
Le RCIU est avéré quand la prise de poids, donc la courbe de croissance individuelle,
stagne et croise les courbes de percentiles pendant la gestation. Cela repose sur
plusieurs évaluations du poids qui est calculé, chez le fœtus, à partir de mesures
échographiques répétées. Le RCIU suppose donc une observation longitudinale de la
croissance prénatale alors que le SGA est une valeur ponctuelle (Bucher, 2010).
Alvarez-Garcia, Fornieles-Deu, Costas-Moragas et Botet-Mussons (2015) ont évalué le
comportement de 30 nourrissons prématurés observés à l'âge de 40 SA avec l'échelle de
comportement néonatal (Neonatal Behavioral Assessment Scale). Ils comparent les scores
des bébés prématurés aux 28 items de l'échelle à ceux de nouveau-nés à terme observés
à 3 jours en conduisant les comparaisons en fonction du degré de prématurité, du poids
à la naissance et du sexe du bébé. Les résultats indiquent que globalement les
nourrissons nés prématurés obtiennent des scores plus bas que ceux nés à terme. Le
poids à la naissance des bébés prématurés, quand il est normal pour l'âge gestationnel,
améliore le score de tonicité et les réponses à la présentation répétée d'une stimulation
lumineuse sur ses yeux fermés. Enfin, les filles nées prématurément obtiennent de
meilleurs scores à la très large majorité des items que les garçons du même terme et de
même poids de naissance. Cet effet défavorable au sexe masculin est attesté dans de
nombreuses études, autant pour l'évolution des paramètres biologiques que pour les
indications du développement psychologique.

Les données à travers le monde


Blencowe et al. (2012) s'appuient sur les données mondiales de 2010 pour constater que,
sur les 65 pays publiant des données fiables, 62 ont déclaré une augmentation du taux
de naissances prématurées au cours des 20 dernières années. Cela tient notamment à
l'accroissement de l'âge maternel et aux problèmes de santé maternelle sous-jacents
comme le diabète et l'hypertension, l'utilisation accrue de traitements contre l'infertilité
qui induit des taux plus élevés de grossesses multiples, et des changements de
pratiques obstétricales comme l'augmentation du nombre de césariennes avant terme.
L'amélioration des soins dispensés aux femmes avant, comme pendant les grossesses ;
l'accès aux contraceptifs et une plus grande autonomie sont les trois leviers de
prévention de la prématurité.

Les données françaises


Les données françaises comptaient 61 000 naissances prématurées en 2010, soit un taux
de 7,4 %. Il est passé à 65 000 en 2013 avec une augmentation surtout ciblée sur les
prématurités modérées et tardives alors que le taux de naissances avant 32 SA est
maintenu stable. On estime que plus de 40 % des enfants prématurés sont jumeaux
(naissances multiples). La prématurité reste la première cause de mortalité infantile en
2013 avec un décès sur 6 naissances prématurées avant 5 ans. La comparaison entre 1es
données épidémiologiques recueillies en 1997 et celles de 2011 (Ancel, Goffinet, et
EPIPAGE-2 Writing Group, 2015) indique que le taux de survie est en progression,
notamment chez les enfants nés entre 25 et 30 SA. Il est aussi notable que la proportion
d'enfants ne présentant pas de maladies sévères spécifiques de la prématurité
(rétinopathie, entérocolite, dysphasie broncho-pulmonaire, hémorragie intra crânienne)
a augmenté en 2011 par rapport à 1997, mais le taux n'est pas modifié pour ceux nés
avant 25 SA.

Le devenir des enfants nés prématurés


L'évolution des démarches
Berges, Boisselier, Harrisson et Lezine (1969) ont décrit sous le nom de « syndrome de
l'ancien prématuré », un ensemble de troubles évolutifs, mais non spécifiques, ayant
comme base des troubles d'ordre praxique. Cela implique des défauts d'organisation du
schéma corporel, du temps et de l'espace. En plus des difficultés portant sur les
fonctions corporelles, c'est l'ensemble de l'expression de la vie émotionnelle et affective
qui est gênée, conjointement aux fonctions cognitives. Ces troubles repérables dès
l'entrée à l'école maternelle peuvent se compliquer de difficultés dans les réalisations
graphiques, l'apprentissage de la lecture et des mathématiques, selon des désordres en
cascade. Ce syndrome qui concernait la prématurité tardive ou modérée si on transpose
dans les critères actuels, a souligné que la prématurité n'est pas seulement une affaire
d'immaturité qui affecte le développement somatique de l'enfant.
Les recherches ont depuis bénéficié de l'apport de l'épidémiologie pour réaliser des
suivis de cohortes. Ainsi le rapport EURO-PERISTAT (2013) présente les données de la
santé périnatale en 2010 pour 26 pays membres de l'Union européenne, plus l'Islande, la
Norvège et la Suisse. Le recul de bientôt cinquante ans permet de noter quatre lignes
d'évolution de ces travaux.
En premier lieu ils se sont étendus jusqu'à l'âge scolaire, parfois jusqu'au collège, alors
qu'ils étaient confinés sur la première enfance. Cela a nécessité d'organiser le suivi
prospectif des familles pour renseigner des questionnaires répétés et venir en
consultation pour la passation de tests comme le WISC ou le K ABC.
Une deuxième ligne d'évolution a été d'utiliser les données des études rétrospectives,
en particulier issues dans travaux en psychiatrie. Cela a conduit à envisager le devenir à
long terme dans des travaux qui incluent des adultes et à interroger des aspects du
devenir psychologique autres que les capacités mobilisées dans les apprentissages
scolaires. Johnson et al. (2010) concluent que l'extrême prématurité multiplie par 2 à 4 le
risque d'autisme : 8 % d'entre eux montrent un syndrome autistique à 11 ans. Nosarti et
al. (2012) montrent que les personnes nées avant 32 SA ont trois fois plus de risque
d'être hospitalisées pour un trouble psychiatrique après 16 ans que celles nées à terme.
Elles présentent 2,5 fois plus de risque de souffrir d'une psychose comme jeune adulte,
ont près de trois fois plus de risque de dépression et 7,4 plus de risque d'être victime
d'un trouble bipolaire. Le risque diminue avec la durée de la grossesse et aucun lien
fiable n'a été mis en évidence entre la prématurité et les troubles du comportement
alimentaire, l'alcoolisme ou la toxicomanie.
Une troisième voie de l'évolution des travaux a été d'insérer des paramètres socio-
familiaux dans les recherches pour évaluer les effets de milieu éducatif et culturel en
plus des caractéristiques biomédicales des dossiers des enfants. Larroque et al. (2011)
rapportent que, dans la population d'enfants nés en 1997 avant 33 SA, le nombre
d'enfants normalement en CE2 à 8 ans, qui n'ont donc pas doublé une classe jusqu'ici,
va de 90 % pour la catégorie socioprofessionnelle « cadres » (97 % population générale),
à 71 % pour la catégorie « employés de service » (88 % en population générale) et 57 %
pour la catégorie « ouvriers et sans emploi » (73 % en population générale). On note
ainsi un effet important du milieu social sur le devenir scolaire des enfants nés grands
prématurés, effet très fortement accentué en comparaison des données de la population
générale.
Une quatrième voie d'évolution a été de conduire des études comparatives des
aspects spécifiques du développement des enfants et des stratégies des parents pour
surmonter les événements traumatiques, développer leurs pratiques parentales de soins
et d'éducation. On dispose alors d'une myriade de connaissances qui, éclairant mieux le
devenir des enfants prématurés, permet d'expliquer les causalités développementales,
notamment par les travaux en psychopathologie développementale. La taille souvent
réduite des échantillons de population de ces recherches peut être compensée par le
recours à des méta-analyses. Il s'agit d'une démarche statistique qui, en combinant les
résultats d'une série de publications sur une question, permet de tirer des conclusions
plus généralisables.

Les faits développementaux les plus avérés


Du QI plus faible aux structures cérébrales plus petites
Plusieurs recherches ont évalué l'effet de la prématurité sur le développement de
l'intelligence traduit dans les scores du Quotient intellectuel (QI). Kerr-Wilson, Mackay,
Smith, et Pell (2012) présentent une méta-analyse de 27 études incluant des enfants âgés
de 5 à 16 ans. Ils notent un score plus faible de 12 points en moyenne chez les enfants
nés prématurés. Plus les enfants sont nés précocement et avec un faible poids de
naissance, plus le score de QI est faible. L'étude EPIPAGE concernant les enfants nés en
1997 en France à moins de 33 SA conclut aussi qu'une marge de 10 à 15 points de QI est
notable en comparaison du groupe témoin d'enfants nés à terme. 33 % des enfants
grands prématurés ont un QI inférieur à 85 à 5 ans (11 % pour les enfants nés à terme),
12 % un score en dessous de 70 (3 % pour les enfants nés à terme).
Des recherches ont mis en lien la prématurité de l'enfant, le score au QI et la mesure
volumétrique de structures cérébrales calculée à l'IRM. Ainsi De Kieviet, Zoetebier, Van
Elburg, Vermeulen et Oslam (2012) constatent des plus petits volumes de la substance
blanche, de la substance grise, de l'hippocampe et du cervelet chez les enfants nés
grands prématurés que ceux nés à terme et cela en corrélation avec les scores de QI.
Comme l'énonce Abbott (2015) ces données ne concluent pas que l'anomalie structurale
ou fonctionnelle du cerveau est la cause du neurodéveloppement de l'enfant prématuré.
Elles en sont néanmoins un indicateur qui ouvre des voies de recherche fondamentale et
clinique.

Une cartographie des risques de troubles


Un tableau composite des aspects psychologiques reconnus être particulièrement
fragilisés ou déficients au cours du développement des enfants nés grands prématurés
distingue trois périodes d'âge sans assurer que ce qui caractérise l'une s'est évanouie à
la suivante. On admettra qu'il s'agit d'éléments marquants, typiques, non exclusifs de la
période considérée, partagés par plusieurs sources de données dans la littérature.

La petite enfance
On remarque, pour la petite enfance jusqu'à 2 ans, des comportements possiblement
plus difficiles à prévoir pour le clinicien ou par les parents. La labilité des états d'éveil
met plus souvent à mal les capacités des parents à la fois pour réguler l'attention de
l'enfant et ses rythmes d'activités, mais aussi pour faire face aux troubles de sommeil
par exemple. On note qu'en vérité de moyennes, les enfants prématurés montrent des
capacités cognitives moins assurées pour traiter les informations de l'environnement de
sorte à en catégoriser le connu, le nouveau (habituation), à percevoir des qualités du
milieu en reliant les informations venues de canaux sensoriels différents (perception
intermodale).
En ce qui concerne l'habituation, on remarque que les capacités sensorielles les plus
précocement fonctionnelles au cours de la gestation offrent des possibilités de
discrimination étonnantes. Pour rappel, l'ordre ontogénétique va du tactile et de
l'olfaction tôt en place au cours de la gestation jusqu'à l'audition et la vue qui sont les
dernières à devenir fonctionnelles. Sur le plan tactile, Lejeune et Gentaz (2013)
rapportent ainsi que des nourrissons prématurés âgés de 28 à 31 SA versus 32 à 34 SA
montrent des capacités à distinguer la forme d'un objet qui leur est mis en main
(cylindre ou prisme). Ils citent aussi des observations de réponses différenciées à du
toucher passif quand il est appliqué à huit reprises pendant 4 secondes une caresse sur
le bras du nourrisson prématuré puis que son poignet est tenu et soulevé.
Sur le plan olfactif, Marlier, Gaugler, Messer (2005) ont noté des réponses négatives
avec blocage de la respiration à des odeurs acides. La présentation de vanille induit un
effet contraire qui libère la respiration et diminue la fréquence des apnées.
Sur le plan de la vision, des observations à la passation du NBAS ont conclu à des
réponses mieux organisées chez les enfants prématurés que chez les enfants à terme
quand on leur présente de manière répétée une stimulation lumineuse. Des résultats
non concordants ne permettent pas de généraliser cela à l'audition. D'ailleurs il est
remarqué que les nourrissons nés prématurés sont plus en peine que les enfants à terme
pour discriminer des voix familières comme celle de leur mère.
Ces observations ont en commun de montrer que le bébé prématuré, malgré
l'immaturité de ses systèmes sensoriels, est sensible aux propriétés de l'environnement,
qu'il est potentiellement capable de les traiter en les reconnaissant, en les évitant. On
remarque ainsi la dimension émotionnelle des réponses aux sollicitations du milieu,
notamment pour les entrées odorantes et les stimulations nociceptives. Cela sollicite les
initiatives des adultes pour aménager l'environnement proximal, tenir compte des
besoins développementaux de l'enfant et mettre à sa portée ce qu'il peut en
appréhender.
On remarque encore que les capacités d'interactions sociales paraissent, elles aussi,
moins performantes que chez l'enfant à terme. Les études indiquent que les enfants ne
codent pas aussi facilement les signaux sociaux, les invitent à interagir, qu'ils se
montrent moins habiles pour passer d'une source d'intérêt à une autre (flexibilité) donc
possiblement pour interagir à plusieurs ou s'engager et se désengager dans des activités
quand alternent l'intérêt pour l'objet et l'intérêt pour le dialogue avec l'autre. À cela
s'ajoute un taux inhabituel de formes d'attachement anxieux qui ne facilitent pas non
plus les interactions enfant-adulte ni son ouverture sur le monde des objets.
Sur le plan des comportements, les données convergent pour noter que les troubles
sont au moins deux fois plus nombreux dans les populations d'enfants nés grands
prématurés que dans les groupes d'enfants à terme. On compte ainsi 44 % de troubles
alimentaires se manifestant par la néophobie, la sélectivité, le petit appétit chez les
grands prématurés (20 à 25 % dans la population à terme) (Mellier, Marret., Soussignan,
Schaal, 2008)

L'âge préscolaire
La période correspondant à l'âge préscolaire indique un nombre plus élevé de troubles
perceptifs et praxiques que chez les enfants nés à terme. Les enquêtes épidémiologiques
suédoises (EXPRESS), britanniques (EPICURE) ont compté la fréquence de troubles à
30 mois ou à 36 mois en fonction du terme de naissance des enfants extrêmement
prématurés (22 à 26 SA) et en les regroupant en quatre catégories de gravité des
troubles (sévère, modéré, léger, aucun). Chaque catégorie concerne sans les distinguer
les troubles moteurs, visuels, auditifs. Torchin, Ancel, Jarreau, Goffinet (2015)
rapportent, comme on peut l'attendre, que le taux d'enfants sans aucun handicap
augmente avec le terme de naissance. Il ne dépasse pas pour autant 49 % dans le groupe
des enfants nés à 26 SA ou, de manière plus optimiste : 80 % quand les catégories sans
handicap et handicap léger de la cohorte EPICURE sont cumulées. Dans la cohorte
française EPIPAGE, les données recueillies à 5 ans comptent 52 % d'enfants nés entre 24
et 28 SA sans handicap ; 66 % quand ils sont nés à 31–32 SA.
Il y a plus d'enfants qui ont besoin de lunettes pour corriger leur vision : l'enquête
EPIPAGE compte 23 % d'enfants de 5 ans nés avant 32 SA qui portent des lunettes pour
corriger un strabisme ou des troubles de la réfraction. Toutefois, ce qui est mentionné ici
concerne plutôt l'efficacité des stratégies perceptives visuelles. L'analyse des détails par
des stratégies visuelles d'exploration, comme celles pour trouver « Où est Charlie ? »
dans une série d'images, en est un exemple. Sur le plan de l'audition, la même enquête
estime que 0,3 % des enfants nés grands prématurés utilisent un appareil auditif.
Néanmoins ici, ce sont plutôt les capacités de segmentation du flux sonore, dont le
découpage de la parole en unités signifiantes, qui sont plus malaisées que chez les
enfants nés à terme.
Enfin sur le plan praxique, et sans préjuger d'un diagnostic futur entrant dans la
galaxie des dys, l'enquête a rapporté que 40 % des enfants manifestent des troubles de
la coordination, de l'instabilité posturale, des troubles de la motricité fine. Nombre des
enfants sont peu intéressés ou franchement maladroits pour ajuster les pièces de lego.
Les études sur le fonctionnement exécutif montrent des déficits spécifiques dans les
tâches faisant appel aux capacités d'inhibition, de mémoire de travail, de planification et
de contrôle de l'attention (Deforge, Toniolo et Hascoet, 2011). Ces déficits concernent à
la fois la période préscolaire et l'âge scolaire qui sera évoqué ensuite. Il est important de
différencier les déficits qui empêchent le raisonnement et les difficultés qui le
ralentissent et le perturbent. On retiendra que la difficulté à résister aux sources de
distraction, autant remarquée par les praticiens de l'évaluation psychologique que par
les enseignants quand ils décrivent les comportements des enfants en classe, justifie de
veiller à faciliter les tâches des enfants en organisant leur espace de travail et en leur
apprenant à organiser eux-mêmes le déroulé de leurs activités.
Le développement du langage a été longtemps considéré comme peu affecté par la
prématurité compte tenu des variations connues liées aux pratiques éducatives et
culturelles. Plusieurs études avaient mentionné que la restitution d'une histoire d'abord
racontée à l'enfant montrait moins d'aisance dans la construction du schéma narratif
sans noter d'altérations sensibles du lexique, de la syntaxe, de la prosodie. Les travaux
récents qui utilisent des épreuves très ciblées pour évaluer le temps d'accès lexical ou la
qualité phonologique concluent que les enfants nés prématurés avant 33 SA produisent
des réponses significativement moins performantes que ceux nés à terme. Une méta-
analyse (Barre, Morgan, Doyle et Anderson, 2011) rassemble des données sur la maîtrise
du langage du point de vue sémantique, grammatical, la conscience phonologique, la
pratique discursive et la pragmatique d'enfants prématurés de moins de 33 SA. Les
résultats indiquent qu'ils sont plus nombreux que les enfants à terme à présenter des
difficultés en production et compréhension sémantique, mais que les différences ne sont
pas notoires pour la grammaire. D'autres études recensées dans cette méta-analyse
montrent des moins bonnes performances en conscience phonologique et pratique du
discours, mais pas pour la dimension pragmatique.
Il y a relativement peu de travaux à propos du développement des capacités sociales
des enfants nés prématurés hormis le relevé de la fréquence de difficultés
interpersonnelles se traduisant par des troubles oppositionnels externalisés. L'étude de
Jones, Champion, Woodward (2013) a concerné 103 enfants nés grands prématurés âgés
de 4 ans et 105 enfants nés à terme. Elle note des scores plus bas pour les enfants
prématurés tant pour les capacités d'ajustement et de régulation émotionnelle, que pour
le taux de relations positives dans les jeux avec les pairs d'âge et moins d'interactions
synchrones avec leurs parents. En ce qui concerne la théorie de l'esprit, les résultats ne
différencient pas les enfants prématurés des enfants nés à terme dans la réussite aux
épreuves de fausse croyance. Seulement 50 % réussissent l'épreuve Sally et Ann (lieu
inattendu) ; 10 % l'épreuve des smarties (contenu inattendu) et 25 % histoires de pêche
neutralisant les capacités de compréhension du langage de Woolfe, Want, Siegal (2002).
Les comportements sont plus souvent rapportés comme problématiques par les parents
(colères, agitation, difficultés à respecter les limites posées par l'adulte). On sait que ces
comportements sont fréquents chez l'enfant de 24 à 36 mois avec, le plus souvent, une
disparition vers 4 ans. Ces profils peuvent augurer de l'émergence de troubles
oppositionnels susceptibles de s'amplifier et de durer au cours de l'enfance et au-delà.
Conformément aux travaux de psychopathologie sur cette question (Campbell, 2002),
l'orientation psychopathologique durable est alimentée par des facteurs de risques
comprenant des attitudes négatives parentales ; le niveau socio-économique de la
famille, le degré de prématurité extrême, l'intensité des lésions cérébrales de la
substance blanche, le niveau d'anxiété maternel relevé pendant l'hospitalisation, mais
aussi des caractéristiques propres aux enfants comme le tempérament difficile,
l'attachement non sécure.

L'âge scolaire
À l'âge scolaire, au-delà des travaux déjà évoqués qui montrent des différences dans
l'architecture cérébrale, les données de l'enquête EPIPAGE (Larroque et al., 2011) notent
que les enfants de 8 ans nés grands prématurés obtiennent des scores inférieurs aux
enfants terme à l'évaluation nationale française de CE2 en français et mathématiques.
Plus de la moitié d'entre eux bénéficient de soutien scolaire, de rééducation ou de soins
psychologiques. Cela confirme les données de la littérature qui soulignent aussi un
nombre plus élevé de dyslexie, dyscalculie, dyspraxie chez les élèves nés grands
prématurés. L'hyperactivité, les troubles de l'attention sont aussi remarqués plus
fréquemment chez les enfants nés grands prématurés.
Enfin, une étude de Nadeau et Tessier (2003) avait conclu que les enfants nés grands
prématurés d'âge scolaire manifestaient moins d'habiletés sociales dans la cour de
récréation. Ils se sont montrés plus réservés, sont moins sollicités socialement par leurs
pairs d'âge, et ont des réseaux de camaraderie et amitiés plus restreints que les enfants
nés à terme. L'étude indique aussi qu'ils sont plus souvent victimisés (maltraités) par les
autres enfants, soulignant ainsi le risque plus important de harcèlement scolaire.
On remarque donc une convergence des résultats des travaux pour spécifier que
l'enfant prématuré est nettement plus exposé aux risques de perturbations et troubles
du développement. Les recherches montrent que des facteurs liés aux conditions de vie
et d'éducation aggravent le tableau de risques, mais que ces facteurs peuvent aussi
protéger le développement de l'enfant quand ils répondent positivement aux besoins
développementaux. Cela mobilise les soignants et les psychologues pour mettre en
œuvre des soins protecteurs qui soutiennent le développement psychologique de
l'enfant.

Les soins de soutien au développement de l'enfant


prématuré
L'évolution des intérêts et des missions des
psychologues
La situation très singulière créée par la naissance prématurée, qui survient le plus
souvent de façon inopinée, nécessite une hospitalisation dont la durée moyenne est de
100 jours pour les enfants nés grands prématurés. Elle constitue un contexte
particulièrement traumatique et anxiogène pour les parents, produisant des conditions
très inhabituelles de tissage du lien d'attachement à l'enfant. Les psychologues ont
d'abord été sollicités par les services de médecine néonatale pour accompagner les
parents et faciliter la formation du lien d'attachement. Cette mission constitue le fil
rouge jusqu'à ce jour. Elle est centrée sur le développement de la parentalité sitôt
l'hospitalisation du bébé et jusqu'à la préparation du retour à domicile en coopération
avec les équipes de puériculture. Après avoir confirmé les liens entre les discours
narratifs des mères et les pratiques de nursing qu'elles mettent en place, les recherches
ont validé des moyens d'exploration et d'observation que les cliniciens se sont
appropriés. Il en est ainsi des entretiens semi-structurés comme le CLIP (Keren,
Feldman, Eidelman, Sirota et Lester, 2003), utilisables dès la naissance de l'enfant, ou le
WMCI (Zeanah et Benoit, 1995) qui évalue l'attachement parent en fin de première
année.
Le CLIP permet d'explorer l'expérience subjective des mères concernant leur
grossesse, accouchement et la situation actuelle du bébé. Il évoque aussi leurs pensées et
émotions envers elles-mêmes, leurs réactions aux soins et à l'équipe de soignants, les
soutiens sociaux sur lesquels elles peuvent compter, leur capacité à imaginer le devenir
proche et plus lointain du bébé.
Le WMCI offre un accès aux modèles internes (d'attachement) du parent tels qu'ils se
sont formés dans la relation avec l'enfant. Il évalue la qualité des perceptions et de
l'expérience subjective du parent dans la relation à cet enfant. Des grilles de codage
permettent une exploitation systématisée des données à des fins de recherche ou pour
des suivis longitudinaux sur plusieurs mois. Des questionnaires ont aussi été construits.
Ils reposent sur l'auto-évaluation maternelle de ses sentiments envers l'enfant et de sa
perception du lien à l'enfant, par exemple le Maternal Postnatal Attachment Questionnaire
MPAQ (Condon et Corkindale, 1998) souvent cité dans les travaux sur la dépression et
les troubles du sommeil chez les mères de jeunes enfants. Le taux de dépression
pendant l'hospitalisation du nourrisson grand prématuré est estimé à 63 %.
Ces outils ont une double fonction. Il s'agit d'une part d'accompagner les parents, en
complément des aménagements proposés pour soutenir les actions de maternage, en
s'appuyant sur leur auto-réflexité. Ils permettent d'autre part de signaler les vécus
pathologiques d'attachement dans leur double composante du bonding (tissage du lien)
et du caregiving (intérêt et plaisir à prendre soin de l'enfant).
Ces problématiques développementales de l'attachement parent en cas de
prématurité ont été aussi documentées par les neurosciences affectives qui ont, à partir
de recherches chez l'animal, montré que l'ocytocine, jusqu'ici connue dans l'allaitement,
est une hormone qui régule l'organisme pour favoriser l'émergence des comportements
de proximité (regard, vocalisations, contact, vérifications répétées) et le sentiment de
plaisir dans le lien chez l'humain (Feldman, Weller, Zagoory-Sharon et Levine, 2007).
Son taux augmente au fil de la grossesse et est associé à l'attachement maternel au
fœtus. Il croit chez la mère avec le contact affectueux au bébé tandis que, pour le père,
son taux augmente avec les contacts de stimulation du bébé. On sait enfin qu'elle
favorise la lecture des émotions et module la réactivité au stress. Les mères de bébés nés
grands prématurés avec un poids de naissance de moins de 1 000 g ne sont pas
« aidées » dans l'attachement par le taux trop faible d'ocytocine. Elles n'ont ainsi que le
niveau psychologique et sont vulnérabilisées. Toutefois, la situation de danger du bébé
joue comme activateur puissant du caregiving et facilite l'engagement dans les soins de
protection à la condition que l'organisation hospitalière ne contrecarre les soins
parentaux. (Borghini et al., 2006)
Ces connaissances justifient que les psychologues évaluent pour chaque parent
comment le système d'attachement est sollicité. Elles invitent aussi à comprendre les
conduites intrusives, anxieuses, contrôlantes, exigeantes des mères en termes de besoin
de caregiving à satisfaire par l'engagement dans les soins plutôt que comme des
agressions orientées vers les soignants.
Les psychologues sont aussi mobilisés pour l'observation des nourrissons et le suivi
des enfants après l'hospitalisation. L'observation du nourrisson dans la couveuse ou le
berceau, éventuellement aidée par la passation de l'APIB (Assessment of Preterm Infant
Behavior, Als, Duffy, McAnulty, 1988), permet de restituer aux équipes et aux parents
une image dynamique de l'enfant et des besoins à respecter dans les soins. Il donne
aussi des indicateurs de la qualité des comportements du nourrisson et participe de ce
fait à la détection précoce de troubles potentiels. Als avait montré que toutes les
dimensions des comportements adaptatifs du bébé grand prématuré sont plus
désorganisées que chez le bébé né à terme. Il est donc légitime de suivre comment ces
capacités sensorielles, cognitives, émotionnelles s'installent pour éviter de les solliciter
plus que nécessaire.
Après le retour au domicile, le suivi de l'enfant en consultation contribue au
dépistage des troubles du développement et des apprentissages et, plus globalement au
conseil donné aux familles et aux professionnels pour l'éducation de l'enfant. Les outils
d'évaluation sont choisis parmi les échelles courantes Bayley, Brunet Lézine, WIPPSI,
WISC, K-ABC et des questionnaires renseignés par les parents comme le CBCL, le SDQ.
D'autres visent la détection de troubles attentionnels, de mémoire, de planification, de
flexibilité qui établissent, avec les épreuves de langage, de lecture et de maîtrise du
nombre, un profil des capacités et difficultés neurodéveloppementales rencontrées par
l'enfant en vue de définir, si nécessaire, un parcours de soin en relation avec l'école.
Une autre mission des psychologues a été de contribuer à la recherche de signes
précoces du handicap moteur, des troubles cognitifs et comportementaux, de la douleur
des nourrissons. Au-delà de participer à la validation d'outils d'évaluation, ils ont mené
des réflexions sur les incidences de ces démarches de diagnostic précoce. Ils ont ainsi
envisagé les enjeux psychologiques liés au dépistage précoce de troubles où, par
exemple l'équipe médicale prescrit des soins d'éducation en kinésithérapie qui
précipitent les parents dans le champ du handicap alors que les signes négatifs de
l'organisation de la motricité ne sont pas visibles pour eux. Considérant le long séjour
du bébé à l'hôpital, des équipes de psychologues ont préconisé des pratiques
psychologiquement pertinentes d'organisation des visites des frères ou sœurs au chevet
du nourrisson. Souvent seulement envisagée en termes d'hygiène, de contamination, de
tranquillité nécessaire du bébé qui ne doit être assailli par des visites trop nombreuses,
la visite du grand frère pose aussi la question de sa capacité à être confronté à
l'étrangeté du service, des machines et à l'image du bébé dans la couveuse. Une autre
préoccupation porte sur les différences culturelles en envisageant comment les mères
peuvent délivrer des pratiques propres à leurs origines géographiques dans le service
hospitalier. D'une manière plus générale, il s'agit de réfléchir à l'écart parfois important
entre les valeurs de santé inhérentes à un service de soins hospitaliers et les théories
parentales (Mellier et Sorin, 2013).
Enfin, les psychologues se sont investis dans la formation du personnel de soins en
explicitant, parmi d'autres thèmes, les besoins développementaux, les modalités
d'attachement, la dépression maternelle.

Les soins de soutien au développement


Ils désignent l'ensemble des stratégies comportementales et environnementales qui
visent à réduire le stress du nouveau-né prématuré et à améliorer le développement de
ses compétences. Ils sont à la fois organisés pour diminuer les stimuli nociceptifs des
soins intensifs sur les nouveau-nés, et favoriser le lien entre les parents et le nouveau-né
au travers d'une observation conjointe avec le personnel soignant puis d'un engagement
des parents dans les soins.
Les soins de développement, réponse préventive aux effets négatifs de la naissance
prématurée sur le développement de l'enfant, sont à l'origine fondés sur la théorie
synactive de Als (1986) qui définit l'ordre et les synchronies du développement du bébé
prématuré. Elle décrit particulièrement le développement précoce du degré de
différenciation des comportements et de la capacité du bébé à adapter et organiser son
propre fonctionnement depuis la conception jusqu'à 3 mois après la naissance. La
synaction est un processus d'intrication progressive des sous-systèmes (autonome ;
moteur ; états de veille/sommeil ; attention/interaction ; autorégulation) qui émerge
d'abord de manière indépendante. L'interaction réciproque de ces systèmes rend
d'autant mieux possibles l'intégration sensorielle et la régulation que le lien avec les
propriétés de l'environnement est ajusté à chaque niveau de ce développement. Les
soins de développement ont à veiller à cet ajustement des propriétés du milieu
physique et humain au niveau de développement des capacités synactives. Ils reposent
sur une observation minutieuse et répétée de la qualité des comportements du
nourrisson tels qu'ils expriment son bien-être ou sa détresse.
La théorie instrumentale de Bullinger (2015) constitue une autre source théorique de
ces pratiques de soins. Là aussi, les soins de développement visent à offrir, en
complément des soins médicaux, un ensemble de prestations optimisant les ressources
du bébé. L'équilibre sensori-tonique du bébé, étayé par ces soins, induit un état d'éveil
ouvert vers le milieu en rendant possible des réponses adaptées aux signaux sensoriels.
C'est en jouant sur les propriétés de l'environnement, l'ajustement tonico-postural et les
dimensions relationnelles que ces soins protègent l'organisme des stress et facilitent le
dialogue tonique et moteur. La dimension relationnelle harmonise les soins. Elle est
soucieuse des variations de l'état émotionnel du bébé comme dans le dialogue narratif
d'un adulte qui raconte une histoire à un enfant. Par analogie, l'adulte ne saurait
raconter à un enfant que le loup croque la grand-mère si l'enfant n'est pas
émotionnellement engagé dans l'histoire et prêt à réguler l'émotion suscitée par la scène.
Dans le cadre des soins au nourrisson prématuré, la dimension relationnelle apporte
des points d'appui tactiles de contenance, tâche qui revient aux parents et peut donc
leur être confiée. Les gestes et les appuis sur de larges parties du corps sont
recommandés plutôt que les contacts légers du bout des doigts qui s'avèrent contre-
productifs : ils irritent et désorganisent le bébé.
Ainsi formalisés, les soins de développement donnent lieu à des formations des
professionnels de santé. Le programme NIDCAP, élaboré par Als, est le plus diffusé. Il
considère le nouveau-né prématuré comme acteur de son propre développement, aidé
par des soins individualisés grâce à des observations comportementales de la grille
APIB, en collaboration avec les parents qui deviennent coacteurs de ces soins. Bullinger
propose une approche développementale des soins sensori-moteurs. L'individualisation
des soins de soutien au développement repose sur une observation fine du
comportement sensori-moteur de l'enfant, basée sur le respect du rythme de l'enfant,
l'adaptation des soutiens posturaux, la modulation des sollicitations sensorielles, le
soutien de l'activité de la sphère orale. Les parents sont intégrés dans cette approche en
tant que partenaires principaux.
Le soin de développement a d'abord pour but de contrôler les stimulations
environnementales de sorte à limiter les sur-stimulations liées aux intensités de lumière,
sons, etc. Le masquage de la lumière par des couvertures qui vont jusqu'à faire
l'obscurité dans la couveuse, le masquage des bruits avec des innovations où les
alarmes sonores sont remplacées par des modules vibreurs portés par l'infirmière, la
limitation des ruptures du sommeil en regroupant les soins infirmiers sur une seule
intervention.
Le soin de développement a aussi à compenser les sous-stimulations inhérentes au
manque de portage, de caresses. L'environnement peut être enrichi pour apporter des
stimulations d'apaisement par des plans tactiles :
• la peau de mouton ou des massages apportent des flux tactiles globaux ;
• le cocon qui cale le bébé prématuré dans des changements de position et sur lequel le
dos peut s'appuyer ;
• des odeurs qui diminuent les apnées ;
• des postures qui stabilisent les paramètres de respiration et facilitent la succion
déglutition (Pfister et al. 2008) ;
• la succion non nutritive pour restreindre les réactions à la douleur de soins.
C'est dans ce cadre que le portage kangourou du bébé en peau à peau sur la poitrine
de la mère (Charpak, 2005, pour synthèse) constitue en lui-même un soin de soutien au
développement. Les inventeurs colombiens le préconisent 24 h/24 dès lors que le bébé
n'a plus besoin de soins intensifs. Les effets positifs sont alors attestés par la diminution
de la morbidité néonatale, le meilleur développement cognitif, social et émotionnel à
long terme, la confiance parentale. Schneider, Charpak, Ruiz-Peláez, Tessier (2012) ont
eu recours à la technique des potentiels évoqués moteurs chez des adolescents (14–
15 ans) nés grands prématurés avec ou sans portage kangourou 24/24 et des adolescents
nés à terme. Les réponses des adolescents qui ont bénéficié du portage ne se distinguent
pas statistiquement de celles des adolescents nés à terme avec des réponses plus rapides
et une meilleure inhibition inter-hémisphérique que chez les adolescents nés
prématurés et sans portage kangourou.
En Europe, le portage kangourou est réalisé pour des périodes qui vont de quelques
minutes à quelques heures pendant les visites de la mère à l'hôpital. Cette pratique
facilite néanmoins la régulation thermique et respiratoire du bébé ainsi que
l'atténuation de ses réponses à la douleur. Elle a un effet positif sur développement
psychomoteur de l'enfant et sur les sentiments de compétences des parents (Pierrat et
al., 2004).
Le soin de développement a encore et surtout à corriger les dystimulations, c'est-à-
dire les incohérences entre des sources environnementales ou quand les signaux du
milieu ne correspondent pas aux moyens sensoriels du bébé. Ainsi l'ajustement s'avère
mieux réalisé quand le bébé peut voir et entendre le même lieu (objet visuo-sonore)
plutôt que lorsque la source visuelle et la source sonore sont dissociées dans l'espace. En
ce qui concerne les moyens sensori-moteurs et toujours sur le plan visuel, le délai de
réponse du bébé prématuré est extraordinairement allongé en comparaison du bébé à
terme. Il va de 8 à 18 secondes pour une fixation visuelle.
Les soins de soutien au développement impliquent les parents à la fois pour prendre
soin du bébé, pour les aider à assurer leur sentiment de compétence et de confiance et
pour optimiser la formation du lien d'attachement. Aagaard et Hall (2008) font une
méta-analyse de données qualitatives rendant compte de l'évolution des mouvements
psychiques maternels au cours de l'hospitalisation. Ils les énoncent comme point de
repère pour les soignants pour adapter leurs interventions. Ces processus ne sont pas
successifs. Ils correspondent à cinq tâches développementales des parents chacune
présentée comme un parcours :
• comme si la mère visitait un bébé anonyme jusqu'à l'identifier comme sien ;
• effort pour devenir mère malgré la technologie ambiante ;
• la centration sur les soins médicaux passe au second plan dans les préoccupations,
les sentiments et le discours ;
• passe du suivi studieux des conseils à assurer soi-même les soins ;
• le partage des savoirs sur le bébé devient possible.
Toutes les composantes des soins de développement reposent sur des évaluations du
niveau fonctionnel actuel du bébé (ce dont il est capable), de son potentiel de
développement (les capacités en émergence). Elles sont aussi dépendantes de
l'évolution des positions parentales. L'évaluation est sensible aux approches et retraits
qu'il s'agisse des comportements du bébé ou de ceux des parents dans leurs actions ou
leur discours.
La littérature rapporte que les soins de soutien au développement ont une action
bénéfique à long terme sur le développement des enfants nés prématurément. Leur
application diminue les besoins en oxygène, réduit la durée d'assistance respiratoire et
le nombre d'apnées. La période d'alimentation par sonde est plus courte et le gain de
poids est augmenté. Il est encore relevé un effet positif sur l'organisation des états de
veille et vigilance, une situation neurocomportementale améliorée avec des résultats
supérieurs au test de Bayley et en développement social. Enfin la durée
d'hospitalisation est plus courte.
Ces résultats ont été critiqués parce qu'il est difficile d'attribuer les effets aux seuls
soins de développement préconisés. Il est en effet remarqué que les études montrent des
résultats positifs aussi bien sur l'augmentation que la réduction de l'application de
stimuli, que ce soit sur des mesures physiologiques à court terme, sur les aspects
neurocomportementaux néonataux, ou sur des mesures à long terme de fonctions
cognitives supérieures. On ne peut pas précisément savoir si le meilleur développement
n'est pas dû à l'attention et au surcroît de soins (de façon non spécifique) qu'offrent tous
les programmes d'intervention. Il est encore notable que des programmes d'intervention
qui sont fondés sur des hypothèses théoriques opposées, et qui considèrent d'autres
programmes comme contre-indiqués ou potentiellement dangereux, montrent des
résultats favorables comparables sur des mesures identiques. Enfin, les données ne
permettent pas d'assurer si les acquis dont il est question sont transitoires ou stables.
Cela conduit à espérer des résultats complémentaires et nécessairement régulièrement
réactualisés puisque les conditions de soins médicaux évoluent suffisamment
rapidement pour qu'on considère qu'il ne faut pas dépasser une durée de 5 ans pour
admettre les comparaisons entre les études.
Il est à souhaiter que des suivis longitudinaux se réalisent pour évaluer les effets des
soins quand le développement est émaillé de l'émergence de troubles. Cela suppose de
recueillir des données répétées chez les enfants de sorte à définir aussi des trajectoires
du développement des vicissitudes pathologiques et de leur devenir.

Conclusion
Une conclusion importante est d'affirmer que les psychologues sont directement
engagés dans cette clinique et cette recherche de soins appropriés au bébé prématuré. Ils
ont à faire valoir leur expertise pour l'observation du nourrisson et le suivi de la
formation du lien d'attachement chez le parent.
Les soins de développement aiguisent l'attention critique des soignants sur les
propriétés de l'environnement et des soins. Ils sollicitent une réflexion sur les pratiques
routinières et la culture du service hospitalier en matière d'accompagnement et de
sollicitude. Enfin ils promeuvent une image positive du bébé prématuré qui est pensé
dans son écologie plutôt qu'en comparaison systématique avec le fœtus qu'il devrait
encore être ou du bébé à terme au domicile familial. C'est dans cette perspective que
s'orientent les travaux actuels, notamment dans leurs visées applicatives de soins de
développement.

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CHAPITRE 32

La dépression et les troubles anxieux chez


l'enfant et l'adolescent
Anne-Sophie Deborde

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La dépression chez l'enfant et l'adolescent
Les troubles anxieux chez l'enfant et l'adolescent
Conclusions

Introduction
Historiquement, l'idée que les enfants puissent présenter un trouble dépressif a
longtemps été rejetée, notamment parce que l'on pensait que les enfants n'étaient pas
assez matures sur le plan développemental pour expérimenter l'ensemble de la
symptomatologie dépressive (Luby, 2000). Cette idée a perduré jusque dans les
années 1960 et 1970. Pourtant, dès 1946, Spitz, un psychiatre américain, rapporta une
forme bien précise de dépression chez l'enfant : la dépression anaclitique. Il s'agit d'un
ensemble de symptômes qui survient chez l'enfant à l'occasion d'une séparation
prolongée avec sa mère et d'une carence affective : pleurs, retrait social, perte de poids,
déclin du quotient de développement. Malgré cette découverte, il fallut encore attendre
pour que l'idée de l'existence d'un trouble dépressif chez l'enfant soit véritablement
admise. Enfin, en 1980, Carlson et Cantwell (1980) montrèrent que la dépression chez
l'enfant pouvait être identifiée à partir des critères adultes définis par le Diagnostic and
Statistical Manual of Mental Disorders (DSM). Avec le DSM, les cliniciens disposaient
enfin d'un outil concret leur permettant de diagnostiquer les troubles dépressifs chez
l'enfant. À partir de ces critères, de nombreuses recherches ultérieures ont été menées
afin d'affiner les caractéristiques de la dépression chez l'enfant et son évolution, mais
aussi afin de définir des thérapeutiques adaptées (Luby, 2000). Ainsi, la dépression chez
l'enfant est maintenant pleinement reconnue. Son diagnostic est d'autant plus important
que ce trouble sévère entraîne une morbidité significative pendant l'enfance, mais aussi
à l'âge adulte. A la différence du trouble dépressif majeur, peu diagnostiqué ou peu
présent chez l'enfant et l'adolescent, les troubles anxieux concerneraient 15 % à 20 %
d'entre eux. Pour ces troubles, la difficulté du diagnostic réside principalement dans la
prise en compte de l'aspect développemental. Ainsi, ce chapitre vise à faire le point sur
les spécificités de la dépression et des troubles anxieux chez l'enfant et chez l'adolescent.

La dépression chez l'enfant et l'adolescent


Les critères diagnostiques de la dépression selon le
DSM-5
D'après le DSM-5, le trouble dépressif majeur (ou caractérisé), au moins cinq des
symptômes suivants – dont obligatoirement le symptôme (1) et/ou (2) – pendant une
période de deux semaines ou plus, presque tous les (1) tristesse, (2) perte de plaisir,
anhédonie, (3) changement de poids ou d'appétit significatif, (4) difficultés de sommeil,
(5) agitation ou ralentissement psychomoteur, (6) fatigue, (7) culpabilité, (8) difficultés
de concentration (9) idées suicidaires.. Lorsque le trouble dépressif majeur s'installe
pendant au moins deux ans, sans amélioration significative (sur une période d'au moins
deux mois), on parle alors de trouble dépressif persistant (ou dysthymie).

Les spécificités du trouble dépressif chez l'enfant


et l'adolescent
Dans le trouble dépressif majeur et le trouble dépressif persistant, on observe que peu
de critères diagnostiques prennent en compte la spécificité de l'enfant. Il est juste précisé
que, chez l'enfant, l'humeur peut être irritable plutôt que triste, la perte de poids peut
être masquée par la croissance (on considère donc l'absence de prise de poids plutôt que
la perte de poids) et la durée du trouble est considérée comme pathologique à partir
d'un an (au lieu de deux chez l'adulte). Pourtant, plusieurs travaux ont montré
davantage de spécificités du trouble dépressif au cours du développement. Parmi eux,
les travaux de Carlson et Kashani (1988) rapportent que les symptômes les plus
marqués chez l'enfant sont : l'agitation psychomotrice (en alternance avec le
ralentissement), les plaintes somatiques, une faible estime de soi et les hallucinations
auditives (dans le cas d'une dépression à caractéristiques psychotiques1). Chez
l'adolescent, les symptômes les plus marqués sont l'anhédonie, le sentiment
d'impuissance et de perte d'espoir, l'hypersomnie, les variations pondérales, les idées
délirantes et l'aggravation matinale des symptômes. Alors qu'ils ne sont pas mentionnés
dans les classifications des troubles mentaux, les plaintes somatiques et le retrait social
sont également extrêmement fréquents chez l'enfant. Les classifications internationales
actuelles ne sont donc pas exhaustives quand il s'agit d'enfants et d'adolescents
(INSERM, 2002). Toutefois, elles restent valides et constituent une base diagnostique de
référence. Mais, pour un diagnostic efficace, il appartient au clinicien de connaître les
spécificités développementales des troubles dépressifs.

Le trouble disruptif avec dysrégulation de l'humeur


(TDDH)
Les critères spécifiques à l'enfant et à l'adolescent ne sont donc pas encore
exhaustivement intégrés au DSM. Toutefois, certains aspects, mieux documentés par les
recherches, font néanmoins progressivement leur apparition. Récemment, un nouveau
trouble est entré dans le DSM-5 : le Trouble Disruptif avec Dysrégulation de l'Humeur
(TDDH). Il fait référence à un trouble dépressif spécifique à l'enfant puisque son
diagnostic se fait précisément pendant l'enfance, entre 6 et 18 ans. Il a été créé pour
rendre compte de troubles mixtes du comportement et des émotions, affectant des
enfants et adolescents, qui auraient par le passé fait l'objet d'un diagnostic de trouble
bipolaire ou d'un trouble du comportement perturbateur. Le TDDH est caractérisé par
des crises de colère sévères et chroniques. Ces crises sont observées au moins trois fois
par semaine et, entre les crises, l'humeur demeure irritable (et/ou colérique) quasiment
tout le temps. Pour poser le diagnostic, le trouble doit être présent depuis au moins un
an et observable dans différents contextes (à l'école, à la maison et avec les pairs). Ce
trouble est à différencier du trouble oppositionnel avec provocation (qui n'est pas un
trouble de l'humeur) et de l'épisode maniaque ou hypomaniaque (où l'on observe
d'autres symptômes tels que l'augmentation significative et anormale de l'activité,
l'augmentation de l'estime de soi, la réduction des besoins de sommeil, etc.).

Prévalence et comorbidités
La prévalence des troubles dépressifs majeurs2 varie beaucoup en fonction de l'âge ; en
effet, il faut distinguer trois périodes : avant 13 ans, de 13 à 15 ans et aux alentours de
18 ans (Holzer, 2014) :
• avant 13 ans, la prévalence de troubles dépressifs varie entre 1 % et 2,8 % en fonction
des études. Il n'y aurait pas de différence entre les filles et les garçons ;
• à partir de 14 ans, la dépression touche deux filles pour un garçon (Chabrol, 2011) ;
• entre 13 et 15 ans, la prévalence se situerait entre 1,9 % et 3,7 % pour atteindre 7 %
chez les 15–16 ans ;
• aux alentours de 18 ans, la prévalence augmenterait significativement ; entre 15 et
19 ans, les prévalences se situent entre 2 % à 4 % chez les garçons et entre 9 % à 10 %
chez les filles, selon les études (Chabrol, 2011).
Chez l'adolescent, les troubles les plus souvent associés au trouble dépressif majeur
sont les troubles anxieux, le trouble des conduites, les troubles liés aux substances
psychoactives, les troubles du comportement alimentaire et les troubles de la
personnalité (voir tableau 32.1, Chabrol, 2011). Les idées suicidaires ainsi que les
tentatives de suicide accompagnent fréquemment les troubles dépressifs (dont ils
constituent d'ailleurs un critère diagnostique, mais non obligatoire) ; ils représentent un
risque morbide significatif. Malgré ce que l'on pourrait penser, ces idées et passages à
l'acte concernent également les enfants, même si les prévalences sont plus difficiles à
estimer (voir Ridge Anderson, Keyes, et Jobes, 2016 pour plus d'informations sur le
suicide chez l'enfant).

Tableau 32.1
Prévalence (en pourcentage) de comorbidités et troubles psychiatriques chez des
adolescents présentant un trouble dépressif. Facteurs de risque et évolution.

Troubles liés
Troubles
Troubles Troubles aux Troubles Idées Tentatives
du comportement
anxieux des conduites substances de la personnalité suicidaires de suicide
alimentaire
psychoactives

Yorbik, 28 12 11 0,4 72
Birmaher,
Axelson,
Williamson,
et Ryan,
2004

Flament, 10 45 22,5
Cohen,
Choquet,
Jeammet, et
Ledoux,
2001*

Chabrol et 37 11 36 15
Choquet,
2009*

Ryan et al.,
1987

Grilo, Walker, 43 56
Becker,
Edell, et
McGlashan,
1997

Mitchell, 44 68
McCauley,
Burke, et
Moss, 1988

Études menées à partir d'échantillons d'adolescents déprimés, identifiés en population générale.

Facteurs de risque et évolution


Selon une étude longitudinale sur 4 ans, réalisée par Beardslee et al. (1996), les facteurs
de risque associés à l'apparition d'un épisode dépressif majeur chez l'adolescent sont : le
nombre de troubles mentaux (non thymiques) chez les parents, la durée cumulée des
épisodes dépressifs majeurs chez les parents et le nombre de troubles mentaux
antérieurs chez l'enfant. Lorsque plusieurs de ces prédicteurs sont présents, le risque
relatif de diagnostic de trouble de l'humeur chez l'enfant double. Une étude
longitudinale plus récente souligne également la présence de troubles thymiques chez
les parents comme prédicteur de la dépression chez l'enfant et l'adolescent (Klasen et al.,
2015). Parmi les autres facteurs prédictifs, on note également la présence de symptômes
dépressifs d'intensité modérée (ou troubles subcliniques), chroniques ou s'intégrant
dans une dysthymie (INSERM, 2002) chez le patient. Kovacs, Akiskal, Gatsonis, et
Parrone (1994) ont montré que, chez les enfants de 5 ans, 75 % des troubles
dysthymiques évoluaient vers un trouble dépressif caractérisé.
Concernant l'évolution du trouble dépressif, l'étude longitudinale de Weissman et al.
(1999) rend bien compte de la sévérité du pronostic. Dans cette étude, 73 adolescents
présentant un épisode dépressif majeur ont été suivis sur une durée de 10 à 15 ans. À
l'âge adulte, 7,7 % d'entre eux s'étaient suicidés et, comparativement aux témoins, ils
avaient fait 5 fois plus de tentatives de suicide, étaient significativement plus souvent
hospitalisés pour des raisons psychiatriques et présentaient davantage de difficultés
dans leur fonctionnement social, professionnel et familial. Enfin, 49 % des participants
avaient rechuté. D'autres études ont mis en évidence que le diagnostic de trouble
dépressif à l'adolescence augmentait le risque de présenter d'autres troubles à l'âge
adulte : troubles anxieux, usage de substances psychoactives, troubles de la
personnalité, troubles bipolaires et difficultés psycho-sociales (H Chabrol, 2011).

Les troubles anxieux chez l'enfant et l'adolescent


Définitions selon le DSM-5
Selon le DSM-5, les troubles anxieux font référence à :
(1) l'anxiété de séparation, (2) au mutisme sélectif, (3) à la phobie spécifique, (4) à
l'anxiété sociale (ou phobie sociale), (5) au trouble panique, (6) à l'agoraphobie, (7) à
l'anxiété généralisée. La classification présente également une catégorie « autre trouble
anxieux spécifié » et « trouble anxieux non spécifié ». La classification présente
également une catégorie « autre trouble anxieux spécifié » et « trouble anxieux non
spécifié ».
(1) L'anxiété de séparation est caractérisée par une peur excessive, compte tenu de
l'âge de l'enfant, d'être séparé des figures d'attachement.
(2) Le mutisme sélectif fait référence à l'impossibilité pour l'enfant de parler dans
certaines situations sociales (ex : à l'école). Dans les autres situations (par exemple en
famille), l'enfant parle normalement.
(3) La phobie spécifique se caractérise par une peur significative se rapportant à un
objet ou à une situation spécifique (par exemple la peur du noir).
(4) L'anxiété sociale fait référence à la peur intense d'une ou plusieurs situations
sociales au cours de laquelle le sujet est exposé au regard d'autrui. Chez les enfants, on
considère que le trouble est présent quand l'anxiété est observable avec des enfants
d'âges comparables et ne concerne pas exclusivement les relations avec les adultes.
(5) Le trouble panique se manifeste par la survenue d'attaques de panique chroniques
et soudaines caractérisées par des bouffées de peur (ou d'angoisse) et/ou d'un malaise
intense atteignant son paroxysme en quelques minutes. Le patient présente au moins 4
des symptômes suivants : palpitations, transpiration, tremblements, étouffement,
sensation d'étranglement, douleur ou gêne thoracique, nausée ou gêne abdominale,
vertiges, instabilité, impression d'évanouissement, frissons ou bouffées de chaleur,
paresthésies, déréalisation ou dépersonnalisation, peur de perdre le contrôle ou de
devenir fou, peur de mourir.
(6) L'agoraphobie se manifeste par une peur ou une anxiété significative dans des
situations dont il est difficile de s'échapper ou difficile d'obtenir de l'aide si le patient
venait à présenter un malaise. Ces situations se rapportent généralement à l'utilisation
des transports en commun, à certains endroits tels que les ponts ou les parkings, aux
endroits clos tels que les magasins, les théâtres, les cinémas, les files d'attente ou le fait
de se trouver au milieu d'une foule, le fait d'être seul à l'extérieur du domicile.
Enfin (7), l'anxiété généralisée se rapporte à une anxiété importante et incontrôlable.
Chez l'enfant, cette anxiété est objectivable si l'enfant présente au moins un des
symptômes suivants : agitation, fatigabilité, difficultés de concentration, irritabilité,
tension musculaire, perturbations du sommeil.

Les spécificités du diagnostic chez l'enfant


Le diagnostic de troubles anxieux chez l'enfant doit toujours prendre en compte l'aspect
développemental. Ces paragraphes s'attacheront à donner quelques exemples des
variables à considérer.
• Expression de la peur ou de l'anxiété : comparativement à l'adulte, la peur ou l'anxiété
chez l'enfant peut prendre de multiples formes : pleurs, accès de colère, réactions de
figement, retrait ou mutisme, etc.
• Exemple de l'anxiété de séparation : il faut prendre en compte le fait que ce type
d'angoisse est une étape développementale normale qui apparaît vers le 6e mois,
avec une intensité importante entre 8 et 11 mois, et qui est observable chez tous les
enfants entre 12 et 24 mois. Elle témoigne du besoin d'attachement, mis en évidence
par Bowlby (1982) ; ce besoin est vital pour l'enfant. En grandissant, celui-ci va peu à
peu tolérer d'être séparé de sa figure d'attachement. Il faut donc garder à l'esprit
qu'entre 2 et 4 ans, 41 % des enfants tout venant ne peuvent rester dans une pièce de
la maison sans venir voir leurs parents (contre encore 16 % entre 5 et 7 ans), 27 % ont
besoin d'un parent pour s'endormir (18 % entre 5 et 7 ans) et 17 % ont peur qu'un
danger ne les sépare de leur parent (15 % entre 5 et 7 ans, voir Gorin, Marcelli, et
Ingrand, 1996).
• Exemple de la phobie sociale (ou anxiété sociale) ou de mutisme sélectif : la peur d'un
adulte non familier constitue également une phase développementale normale chez
l'enfant.
• Exemple de la phobie spécifique : les nourrissons redoutent souvent les stimuli soudains,
les enfants d'1 an n'aiment pas les objets nouveaux, les enfants d'âge préscolaire ont
surtout peur des animaux (80 % entre 5 et 6 ans), du noir, des créatures imaginaires,
etc. Les enfants plus âgés redoutent les maladies, les accidents, les phénomènes
naturels (ex : orages, etc.). Ces peurs diminueraient de l'enfance à l'adolescence, avec
une recrudescence entre 9 et 11 ans (Mouren, Véra, et Vila, 1993).
Pour l'ensemble des troubles anxieux, le diagnostic prendra donc en compte :
• l'aspect quantitatif : l'intensité de la manifestation doit être significativement plus
importante que les réactions des autres enfants du même âge, selon une perspective
développementale ;
• l'aspect chronologique : la manifestation doit persister au-delà de la période
développementale correspondant à son expression ou une réactivation de la
manifestation doit être observée dans une période développementale où elle devrait
normalement être absente ;
• l'aspect clinique : il doit être possible d'objectiver des répercussions sur la vie sociale
et scolaire de l'enfant et/ou les manifestations entraînent une souffrance clinique
significative.
Enfin, certains troubles anxieux, tels que le trouble panique, l'agoraphobie et l'anxiété
généralisée sont peu diagnostiqués chez l'enfant (Beesdo, Knappe, et Pine, 2009).
Concernant le trouble panique, certains auteurs s'interrogent sur son existence chez
l'enfant. En effet, à cette période, le trouble se présente souvent sous une forme très
somatique, sans les manifestations cognitives (c'est-à-dire augmentation des
manifestations somatiques sous l'effet de pensées dysfonctionnelles négatives). Or, pour
que les manifestations cognitives soient observables, il faut que le sujet ait atteint un
certain niveau de développement. Le trouble ne pourrait donc pas concerner les jeunes
enfants et les symptômes observés résulteraient directement d'un syndrome
d'hyperventilation (Nelles et Barlow, 1988). Ce raisonnement n'est pas sans rappeler
celui qui a longtemps été appliqué aux troubles dépressifs, auparavant considérés
comme impossibles chez l'enfant (voir paragraphe sur la dépression chez l'enfant et
l'adolescent).

Prévalence et comorbidités
Chez l'enfant et l'adolescent, la prévalence de troubles anxieux s'élève entre 15 % à 20 %
(Beesdo et al., 2009). Les troubles les plus fréquents sont l'anxiété de séparation (entre
3 % et 8 %), les phobies sociales (7 %) et les phobies spécifiques (10 %) (Beesdo et al.,
2009). Comme nous l'avons déjà vu, les troubles anxieux les moins diagnostiqués dans
l'enfance sont l'agoraphobie et le trouble panique (moins de 1 %). Ces troubles se
manifestent davantage à l'adolescence : entre 2 à 3 % pour le trouble panique et entre 3 à
4 % pour l'agoraphobie (Beesdo et al., 2009). Tous les troubles anxieux sont plus
fréquents chez les filles : durant l'enfance, le sex-ratio est de deux filles pour un garçon ;
à l'adolescence, il passe à trois filles pour un garçon.
Chez l'enfant et l'adolescent, il est rare d'observer un trouble anxieux isolé (INSERM,
2002) : plusieurs troubles anxieux sont généralement associés (dans 15 % à 35 % des cas,
jusqu'à 90 % selon certaines études). Parmi les autres comorbidités rapportées, on
trouve fréquemment le trouble dépressif (25 % à 55 % des cas, voir aussi Beesdo et al.,
2009), un trouble du comportement (8 % à 27 % des cas), l'abus de substance ou la
dépendance (notamment parce que ces comportements permettraient de modérer
l'anxiété), et, les troubles du comportement alimentaire (20 % à 55 % pour l'anorexie
mentale et 13 à 75 % pour la boulimie). Ainsi, le diagnostic d'un trouble anxieux chez
l'enfant ou l'adolescent doit systématiquement pousser le clinicien à faire des
investigations complémentaires.

Les facteurs de risque et l'évolution


Selon la méta-analyse de Beesdo et al. (2009), les facteurs de risque les plus rapportés
dans la littérature concernant les troubles anxieux de l'enfant et de l'adolescent sont :
• certains facteurs démographiques comme le genre (les filles sont plus touchées que
les garçons), la situation financière de la famille et dans une moindre mesure un
niveau faible d'éducation ;
• la vunérabilité génétique et certaines particularités neurobiologiques (ex : hypothèse
d'une hypersensibilité de l'amygdale) ;
• le tempérament et la personnalité : neuroticisme, présence d'affects négatifs,
inhibition comportementale ;
• certains facteurs environnementaux : épreuves traversées dans l'enfance telles que la
mort des parents, des séparations, des négligences et/ou des abus ; dans une
moindre mesure, on retrouve également le style parental, le climat familial et
d'autres évènements de vie.
Les troubles anxieux évoluent généralement selon trois modalités : continuité
homotypique stricte (c'est-à-dire stabilité d'un trouble anxieux spécifique), continuité
homotypique élargie (c'est-à-dire évolution vers un autre trouble anxieux) et/ou
continuité hétérotypique (c'est-à-dire évolution vers un ou plusieurs trouble(s)
psychiatrique(s) (Beesdo et al., 2009). Si l'on considère la continuité homotypique stricte,
les troubles anxieux sont modérément stables dans le temps. Une étude longitudinale
sur 2 ans décrit une stabilité aux alentours de 20 % (Wittchen, Lieb, Pfister, et Schuster,
2000). Cette stabilité est très variable selon les troubles considérés : 44 % pour le trouble
panique, 30 % pour les phobies spécifiques, 13,4 % pour l'agoraphobie, et 15,8 % pour la
phobie sociale. Concernant la continuité homotypique élargie et la comorbidité
hétérotypique, elle est décrite dans de nombreuses études longitudinales. Par exemple,
l'étude de Woodward et Fergusson (2001) a mis en évidence une association
significative entre les troubles anxieux à l'adolescence et la survenue d'autres troubles
anxieux, d'épisodes dépressifs majeurs et de dépendances à des drogues à l'âge adulte.
Plus le nombre de troubles anxieux était important entre 14 et 16 ans et plus le risque de
survenue de troubles additionnels était élevé. Ces résultats sont représentatifs de ceux
mis en évidence par d'autres études (Beesdo et al., 2009 ; Costello, Mustillo, Erkanli,
Keeler, et Angold, 2003).

Conclusions
Chez l'enfant et l'adolescent, la dépression et les troubles anxieux ont des
caractéristiques spécifiques. Leur diagnostic demande de bonnes connaissances
développementales. Concernant la dépression, il faut garder à l'esprit que les
classifications internationales actuelles ne sont donc pas exhaustives. Toutefois, elles
intègrent peu à peu les recherches récentes, comme en témoigne l'entrée de nouveaux
troubles ou symptômes spécifiques (ex : trouble disruptif avec dysrégulation de
l'humeur dans le DSM-5). Concernant les troubles anxieux, le clinicien doit avoir à
l'esprit qu'ils sont fréquemment associés à d'autres troubles psychiatriques. Leur
diagnostic chez l'enfant et l'adolescent appelle donc à des investigations
complémentaires.

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Lecture conseillée
Chabrol H. Traité de psychopathologie clinique et thérapeutique de l'adolescent. Paris:
Dunod; 2011b.

1
Non détaillée dans ce chapitre.
2
Ces données ne prennent pas en compte le TDDH dont le diagnostic vient d'être récemment créé. Pour plus
d'informations sur le TDDH, voir Purper-Ouakil (2014). À noter également que les prévalences rapportées ici
concernent l'épisode dépressif majeur, trouble dépressif le mieux documenté dans la littérature.
CHAPITRE 33

Les addictions et troubles des conduites


alimentaires
Jean-Louis Nandrino

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Identifier des trajectoires développementales spécifiques des addictions
Les facteurs de risque et trajectoires développementales
Conclusion

Introduction
Un ensemble cohérent de recherches montre aujourd'hui que l'escalade de la
consommation de substances psycho-actives (alcool et drogues) ou d'addictions
comportementales (comme l'addiction aux jeux, au sexe ou à la nourriture) observée au
cours de l'adolescence ou au début de l'âge adulte ont des bases biologiques,
comportementales et sociales mises en place dès les premiers stades de développement
jusqu'au début de l'âge adulte. Ainsi les symptômes qui émergent au cours de périodes
sensibles correspondraient à l'expression de processus construits progressivement
plutôt qu'à l'effet d'événements actuels.
Cette idée s'inscrit dans la perspective de la psychopathologie développementale
(Rutter et Sroufe, 2000), où le concept de trajectoire développementale décrit les
contraintes qui s'installent au fur et à mesure du développement en fonction des
expériences de vie. Il s'agit ainsi de comprendre l'acquisition et l'évolution des
processus cognitifs et affectifs en fonction des contextes sociaux et environnementaux
impliqués dans le développement de ces comportements. Ces acquisitions serviront de
support plus ou moins organisé qui viendront guider la personne sur une trajectoire
développementale ordinaire, problématique, ou psychopathologique.
L'objectif de ce chapitre est de décrire dans un premier temps, des trajectoires
spécifiques (majoritairement liées à une expression symptomatique) qui ont été
identifiées chez les sujets dépendants puis dans un second temps, de présenter les
facteurs majeurs impactant l'évolution de ces trajectoires. Ainsi dans cette seconde
partie, nous traiterons en particulier la dimension génétique, la qualité de l'attachement,
les effets des expériences de stress et l'environnement familial. L'effet de ces variables
sur l'évolution des trajectoires de vie sera illustré à partir de 2 formes de dépendance
avec ou sans substance : l'alcoolo-dépendance et l'anorexie mentale (AN).

Identifier des trajectoires développementales spécifiques


des addictions
Déjà au cours de la période du collège, la consommation d'alcool et les problèmes liés à
l'alcool sont très répandus ; puis avec la période du lycée, ces difficultés augmentent
encore en fonction du rôle social et du contexte de vie. Par exemple, les résultats de
l'étude européenne HBSC (Health Behaviour in School-Aged Children), pour son volet
français (2009–2010), montrent que les adolescents âgés entre 11 et 16 ans au collège
consomment très régulièrement des substances et en particulier de l'alcool (59 % des
élèves de sixième ont déjà goûté à une boisson alcoolisée et 83 % en classe de troisième
(Curie et al., 2012). Par ailleurs, déjà à 11 ans, 5 % des garçons et 2 % des filles déclarent
consommer une boisson alcoolisée par semaine. Ces chiffres doublent à l'âge de 13 ans
pour atteindre respectivement 25 et 13 % à 15 ans.
Fort heureusement, tous les jeunes qui consomment de l'alcool ne développent pas de
conduites addictives à l'âge adulte et les habitudes de consommation se déroulent, avec
des variations individuelles considérables. Dans ce processus, des facteurs de
vulnérabilité ou de maintien ont été identifiés, mais il n'existe que peu d'études
longitudinales disponibles décrivant l'évolution des comportements de consommation.
L'étude longitudinale finlandaise Jyväskylä concernant le risque de développement de
conduites addictives (Pitkänen et al., 2008) a permis de suivre les mêmes personnes dès
l'âge de 8 ans jusqu'à leurs 42 ans. Cette étude a mis en évidence que les expériences
d'adversité au sein de la famille, les troubles du comportement, la faible réussite
scolaire, l'absentéisme scolaire et un début précoce de consommation associé à de fortes
consommations à l'adolescence étaient associées aux problèmes de consommation à
l'âge adulte, et ce pour les deux sexes. Les facteurs de risque pendant l'enfance et
l'adolescence et les consommations d'alcool jusqu'à l'âge de 20 ans expliquent 43 % de la
consommation des hommes et 31 % de celle des femmes à 42 ans ; et respectivement
31 % et 19 % à l'âge de 27 ans.
Les données longitudinales suggèrent une augmentation du niveau de la
consommation à la fin de l'adolescence avec des changements à l'entrée dans la vie
adulte notamment en fonction d'un changement de statut social et mettent en évidence
différentes trajectoires (Brown et al., 2008) :
La trajectoire la plus commune, constituée des individus abstinents et des buveurs
occasionnels, regroupe entre 20 et 65 % des individus. Une autre trajectoire commune
correspond aux individus qui consomment modérément, mais de façon constante. Ces
individus sont engagés dans des consommations stables, mais les épisodes de
consommation sévère pendant l'adolescence ou le début de l'âge adulte restent limités.
En fonction des études, on estime qu'environ un tiers des adolescents et des jeunes
adultes appartiennent à ce groupe. Regroupées, ces deux catégories d'individus
constituent la majeure partie des individus en population générale.
À côté de ces deux trajectoires, on identifie des groupes d'individus caractérisés par
une consommation excessive en distinguant un groupe de consommateurs chroniques
sévères et un groupe de consommateurs sévères à début tardif. Ces deux groupes se
distinguent en fonction de l'âge de survenue de leur consommation problématique
d'alcool. Les consommateurs sévères chroniques débutent leur consommation de façon
caractéristique à un âge relativement jeune et ne diminuent pas leur consommation
après vingt ans. En revanche, les individus caractérisés par une consommation massive
tardive commencent leur consommation après 20 ans et l'augmentent rapidement
(Brown et al., 2008). Enfin, on observe également des trajectoires moins stables
(Schulenberg et al., 1996) qui constituent entre 10 % et 12 % de la population adolescente
et jeune adulte. Ces individus font l'expérience d'une période de consommation sévère
au cours de leur développement qui passe par un pic puis décline au début de l'âge
adulte.
De la même façon, on a montré que la forme des évolutions des symptômes
alimentaires pouvait caractériser des sous-populations pour lesquelles des facteurs de
risque spécifiques pouvaient être identifiés. Lavender et al. (2011) ont identifié
4 trajectoires en fonction des trois symptômes alimentaires majeurs : un faible poids,
une consommation excessive de type binge eating (BE) et les symptômes de purges. Le
nombre et la forme générale de ces trajectoires individuelles sont comparables entre les
types de symptômes. Chaque regroupement décrit une forme stable d'absence ou de
présence du symptôme et des formes intermédiaires décrivant des variations d'intensité
ou de fréquences. Ces critères de stabilité ou d'instabilité des symptômes sont ainsi
centraux pour la caractérisation de profils.
L'étude d'Anderlues et al. (2009) illustre bien, à partir de mesures rétrospectives tout
au long de la vie, l'existence de formes évolutives distinctes : une anorexie tout au long
de la vie, une forme d'anorexie mixte avec purge et crise de boulimie avec ou sans
antécédents d'anorexie restrictive, une forme boulimique suivant un épisode d'AN et
une forme de boulimie présente tout au long de la vie. Ces catégories basées sur des
critères temporels (évolutifs) sont associées à la présence de traits obsessionnels
compulsifs dans l'enfance. Les individus avec des traits de perfectionnisme au cours de
l'enfance et un fonctionnement plus rigide vont présenter des périodes
d'amaigrissement, de restriction et d'hyperactivité physique plus importante. Ces
éléments infantiles semblent ainsi directement influencer l'évolution du sous-type de
trouble du comportement alimentaire (TCA).
Si ces études montrent bien l'existence de trajectoire évolutive, il est nécessaire de
considérer qu'une trajectoire est sous l'influence d'un ensemble de facteurs de natures
différentes dont les effets dépendront aussi du moment de leur survenue au cours du
développement.

Les facteurs de risque et trajectoires développementales


La vulnérabilité génétique
Dans les troubles sévères liés à l'usage d'alcool, la présence d'antécédents familiaux
d'abus ou de dépendance à l'alcool est considérée comme un facteur de risque majeur
(Merikangas et al., 1998). On estime aujourd'hui qu'il existe une héritabilité de ces
troubles estimée à environ 60 % et que les individus avec des antécédents familiaux
d'alcool auraient entre 2 et 4 fois plus de risque de développer une dépendance à
l'alcool. De nombreuses études en particulier ciblant le gène codant pour le deuxième
des cinq récepteurs de la dopamine (DRD2, pour Dopamine Receptor D2) ou le
gène DAT codant pour le transporteur à la dopamine (DAT), ont été réalisées sans
conclure à une relation directe, mais plutôt à une implication partielle dans l'expression
de phénotypes liés à la dépendance. On défend plutôt que cette vulnérabilité
correspond à l'idée de « maladie génétique complexe » pour lesquelles des altérations
au niveau de plusieurs gènes sont les déterminants multiples de la maladie et chaque
modification étant par elle-même incapable d'induire le trouble. Ainsi c'est la
conjonction entre cette vulnérabilité et des facteurs environnementaux spécifiques qui
conduit à une probabilité accrue de développer un trouble (Jacob et al., 2003).
Néanmoins, certains chercheurs considèrent que ces marqueurs génétiques ne
seraient caractéristiques que d'un sous-groupe d'individus à risque caractérisé par un
début de la consommation dès l'âge de 11-12 ans, multipliant par dix le risque de
développer une dépendance par rapport à une initiation vers 18 ans (Gorwood et al.,
2009).
De la même façon, pour l'AN, les études d'adoption, portant sur des paires de
jumeaux, soutiennent l'idée d'une vulnérabilité génétique aux TCA avec des taux de
concordance plus élevés chez les anorexiques que dans la population générale, ainsi que
des différences significatives entre jumeaux homozygotes et hétérozygotes (Lamas et al.,
2012). Mais encore une fois, on se situe dans le cas de maladie génétique complexe, une
association entre AN et gène reste dépendante d'effets complexes de facteurs
développementaux.

Stress, troubles périnataux et addictions


Le stress périnatal
Les recherches menées à partir des modèles animaux apportent un ensemble de
connaissances permettant d'étudier les effets d'éléments stressants pendant la période
périnatale et leurs effets sur l'émergence de conduites addictives.
Les premiers travaux menés par Harlow avaient montré que le besoin de contact,
indépendamment des besoins primaires, était essentiel au développement de jeunes
primates. Chez l'animal, un protocole classique consiste à séparer de façon temporaire,
mais répétée le nouveau-né de sa mère et d'observer les changements opérés à l'âge
adulte. Des séparations quotidiennes de courtes durées (15 minutes) n'ont pas d'effets
néfastes alors que les durées supérieures à trois heures quotidiennes conduisent à une
amplification des réponses comportementales et physiologiques au stress ainsi qu'à des
symptômes anxieux chez l'animal devenu adulte (Champagne, 2012). On constate
également que la durée de la séparation ne constitue pas la seule variable principale,
mais le comportement de soins adopté par la mère au moment des retrouvailles
intervient dans le développement d'une dépendance aux substances (Jensen-Peña et
Champagne, 2012).
La revue de la littérature de Francis et Kuhar (2008) montre que la vulnérabilité des
rats mâles aux substances psycho-actives (alcool et cocaïne) est inversement
proportionnelle à la quantité de soins maternels qu'ils ont reçus pendant l'enfance. Chez
l'animal et chez l'humain, ces dysfonctionnements de la qualité des soins maternels
conduisent à un dysfonctionnement du système de récompense (dopaminergique
mésolimbique). Ainsi, ces changements amènent ces individus avec de faibles soins
affectifs à accorder une valeur inappropriée et amoindrie aux signaux sociaux. Les
données des modèles animaux démontrent ainsi que les expériences de début de vie ont
un rôle crucial dans le développement des systèmes cérébraux. Les bébés rats qui ont
fait l'expérience de soins maternels de qualité développent des mécanismes de
rétroaction centrale hautement efficaces, qui régulent efficacement l'axe hypothalamo-
hypophyso-surrénalien (HHS). En revanche, ceux qui connaissent la privation
maternelle montrent des difficultés de régulation de ce système caractérisées par une
hyperactivité de cet axe (Francis et Meeney, 1999).

Stress et traumas au cours du développement


Les expériences négatives vécues au cours du développement vont également affecter
les processus en cours d'acquisition. Des événements traumatiques (maltraitances
physiques ou psychologiques, abus sexuels, rejet ou négligence, carences éducatives)
sont classiquement observés dans le parcours de vie de patients souffrant d'addictions
aux substances (Sinha, 2008) ou de TCA (Nandrino, 2015). La présence de ces
événements répétés ou très intenses conduit à une cascade de réponses physiologiques
favorisant le développement de troubles psychologiques et comportementaux. On
décrit classiquement dans les addictions des perturbations de l'axe HHS qui sont
associées à une hypersensibilité aux événements nouveaux, des déficits cognitifs et des
troubles socio-affectifs (Adam et Epel, 2007). Comparés à des individus n'ayant pas
vécu ces expériences négatives, ces individus présentent des taux plus élevés de cortisol
tout au long de la journée, suggérant une activité constante de l'axe HHS (Nicolson,
2004). De plus, l'effet de ces événements est dépendant du niveau de maturité du
système de défense dont dispose l'individu et donc à la fois des structures cérébrales en
développement et des stratégies cognitives et émotionnelles encore primitives chez les
plus jeunes.
Par exemple, dans le cas de l'AN, le modèle proposé par Connan et al. (2003) suggère
que des événements aversifs au cours du développement, associés à des troubles de
l'attachement, et une vulnérabilité biologique, interagiraient pour favoriser l'évolution
de réponses chroniques au stress et à un dérèglement des échanges de l'axe HHS. Les
modifications sociales et biologiques liées à l'adolescence vont exacerber ces déficits
préexistants. Ainsi lorsque le sujet est confronté à une nouvelle situation stressante, la
réponse d'ajustement comportemental est inadaptée et les réponses physiologiques
associées à cet axe sont aberrantes. Cette mise en route de l'axe corticotrope serait
corrélée à la mise en route des mécanismes cognitivo-affectifs permettant de contrôler la
situation. Lorsque les stratégies d'ajustement ont été efficaces, la cortisolémie revient à
la normale chez un individu sain alors que chez les vulnérables au stress, la tension liée
au stress persiste ainsi que l'hyper-cortisolémie et le sujet a l'impression d'être sans
maîtrise sur la situation.
La question de la capacité à intégrer l'événement douloureux est également majeure
dans la compréhension de l'installation de conduites addictives. On a constaté que les
stratégies utilisées par les individus souffrant d'addiction étaient des stratégies
d'évitement en premier lieu ou des stratégies de ruminations négatives (Aldao et al.,
2010). L'addiction, c'est-à-dire la répétition compulsive de certains comportements
(initialement à caractère positif) peut être alors considérée comme un autre moyen de
réduire le niveau de stress ou les signaux de menace lorsque les autres stratégies
d'ajustement ne sont pas efficaces ou de maintenir un état interne stable.

Le rôle de la qualité de l'attachement


Associée à ces expériences de séparation précoces, la qualité de la relation construite au
cours du développement entre le jeune et ses figures d'attachement est également en
jeu. On sait aujourd'hui que les expériences d'attachement déterminent les assises sur
lesquelles l'individu va pouvoir s'appuyer dans la gestion de ses états internes
impliquant son sentiment de contrôle, ses capacités de régulation émotionnelle et
interpersonnelle (Miljkovitch, 2001) et constituer une vulnérabilité importante aux
addictions (Zachrisson et Skarderud, 2010).
Les études portant sur les conduites d'alcoolisation ont initialement utilisé un modèle
à 3 catégories (voir Hazan et Shaver, 1987) qui correspond au modèle d'attachement
infantile. Par exemple, Brennan et Shaver (1995) ont observé que la quantité et la
fréquence d'alcool consommé sont significativement corrélées à un attachement évitant
et ne sont pas associées à des profils sécures ou insécure-anxieux. Néanmoins, de façon
plus classique, des études plus récentes ont mis en évidence, qu'à la fois les individus
avec un type d'attachement anxieux ou un attachement évitant présentaient une
consommation d'alcool plus importante que des individus sécures (Caspers et al., 2005 ;
Wedekind et al., 2013 ; Wyrzykowska et al., 2014).
Dans une conception un peu différente de l'attachement adulte proposée par
Bartholomew et Horowitz (1991), la relation d'attachement est construite selon deux
dimensions : un modèle interne de soi et un modèle interne des autres. L'attachement
est ainsi organisé en 4 formes :
• secure (représentation positive de soi et des autres) ;
• préoccupé (représentation négative de soi) ;
• rejetant (représentation positive de soi, mais négative des autres) ;
• et enfin craintive (représentation négative de soi et des autres).
Ces deux dernières formes correspondraient à deux expressions distinctes du style
évitant chez l'enfant. Mc Nally et al. (2003) ont montré que c'est en particulier une
représentation négative de soi qui est associée aux difficultés liées à l'alcool. Les
sentiments d'insécurité dans les relations, et en particulier, le sentiment pour ces
individus d'être inadaptés ou incapables de faire face à la situation (modèle négatif de
soi), semblent avoir un effet direct sur l'utilisation motivée de l'alcool pour réguler des
émotions négatives.
Concernant les TCA, déjà chez les adolescentes avec des TCA subcliniques, on
identifie des faibles niveaux de satisfaction concernant la proximité et le sentiment de
réconfort dans les relations familiales et amicales. En population clinique, les études
empiriques montrent des liens d'attachement de type insécure quels que soient les types
de symptômes alimentaires (Barone et Guiducci, 2009). Les personnes souffrant de
boulimie développent plutôt un modèle d'attachement insécure-préoccupé alors que les
personnes souffrant d'anorexie restrictive présentent majoritairement un modèle
d'attachement évitant/détaché. Cet attachement évitant est caractérisé par un sentiment
de distance dans les relations familiales ou sociales, par des angoisses de rejet, par une
recherche de proximité familiale, un besoin d'approbation affective ainsi qu'une
sensibilité élevée à la séparation et à la perte (Orzolek-Kronner, 2002 ; Troisi et al., 2005).
Ces troubles de l'attachement sont directement associés à des perturbations de la
construction des processus émotionnels et notamment dans la capacité à réguler les
émotions. L'attachement insécure est directement associé à des troubles de la réponse
émotionnelle ou de la reconnaissance des états émotionnels des partenaires et contribue
également au développement des troubles de la différenciation émotionnelle dans les
relations familiales (Tasca et al., 2009). Ces déficits de la capacité à percevoir leurs états
mentaux et émotionnels et ceux d'autrui viendraient renforcer les difficultés
interpersonnelles impliquant les sentiments d'inefficacité et l'évitement social
fréquemment observés chez ces individus.

Les troubles des mécanismes intéroceptifs au cours


du développement
Avec ces troubles de la relation ou la présence d'expériences aversives, certains
chercheurs font l'hypothèse que les individus vulnérables aux addictions présenteraient
des difficultés à identifier et catégoriser leurs propres signaux corporels et à construire
une bonne compréhension des relations interpersonnelles. Un déficit de la conscience
intéroceptive avait été évoqué dès les années 1960 à partir des travaux d'Hilde Bruch
dans les TCA et est aujourd'hui largement étudié dans les addictions aux substances
suite aux travaux de Damasio et son équipe. Ainsi, les individus vulnérables aux
addictions auraient développé au cours de leurs expériences une moindre grande
capacité à repérer et catégoriser ces états internes. La conscience intéroceptive se définit
comme la capacité à percevoir les processus physiologiques internes et notamment les
changements physiologiques en lien avec un état émotionnel particulier. Les processus
intéroceptifs ont également une fonction homéostatique en stimulant les
comportements d'approche ou d'évitement vers des stimuli et des ressources du monde
extérieur dans le but de maintenir un équilibre interne.
Sur le plan clinique, l'expérience des patients rapportant un trouble de la conscience
de leur état, ou leur incapacité à ressentir les sensations de faim et de satiété ou de
douleur est tout à fait cohérente avec ces hypothèses d'un déficit dans l'identification
des signaux somatiques. Une façon de penser l'interoception est de la considérer comme
un processus incarné (embodied) c'est-à-dire que les niveaux supérieurs de traitement
cognitif et affectif sont construits sur la base des expériences sensorielles et motrices de
l'organisme (Niedenthal, 2007). En conséquence, l'expérience d'un état émotionnel,
comme par exemple la colère, est intrinsèquement liée à l'état interne du corps, par
exemple la tension musculaire ou les réponses physiologiques associées. Certaines
structures cérébrales comme l'insula sont d'une importance cruciale dans le traitement
de ces états physiologiques et leur dérèglement dans les conduites addictives est
aujourd'hui bien documenté (Verdejo-Garcia et al., 2012).
Les conséquences de ces déficits pour ces individus se traduiraient par des vécus
émotionnels moins intenses (sorte de « cécité émotionnelle »). Accéder à ses propres
éprouvés corporels entraîne une expérience émotionnelle plus intense tandis qu'un
déficit de conscience intéroceptive serait associé à une conscience émotionnelle
émoussée dans le cas de l'addiction qui expliquerait en partie un fonctionnement
émotionnel et social moins adapté (Zonnevylle-Bender et al., 2005). D'autres auteurs
(Miller et al., 2003 ; Nandrino et al., 2012) à partir de procédures expérimentales
induisant un état émotionnel soutiennent particulièrement cette déconnexion entre la
dynamique physiologique associée à une induction émotionnelle et la perception
subjective de ces états par les patientes souffrant d'AN. On assisterait dans les
addictions à un défaut d'intégration cognitif des changements physiologiques plutôt
que d'une perturbation essentiellement d'ordre physiologique.
Ces dysfonctionnements de l'intégration des signaux somatiques sont également en
lien avec les troubles observés au niveau de la prise de décision. Ce processus
dépendrait directement du développement des processus émotionnels et en particulier
des déficits au niveau de la reconnaissance des signaux somatiques (Naqvi et Bechara,
2010). Ainsi chez les sujets vulnérables aux addictions ou installés dans une addiction,
on observerait un biais de décision vers les résultats qui maximiseraient la récompense
et minimiseraient la peine.

La qualité des relations familiales et formes éducatives


Parmi les facteurs familiaux, les troubles de la régulation de la distance interpersonnelle
et l'inhibition des processus d'autonomisation sont souvent évoqués à la fois chez les
individus présentant des TCA ou des comportements de dépendance aux substances
(Doba et al., 2014). Ces dérèglements familiaux constitueraient un processus commun
aux différentes pathologies addictives et interviendraient à la fois au niveau des
modèles éducatifs parentaux et au niveau de la forme ou de la qualité des interactions
(Bowen, 1984).
Les données empiriques soutiennent l'hypothèse d'une distance émotionnelle dans les
échanges familiaux et d'une pauvreté des soins parentaux. Il est classique d'observer un
haut niveau de dépendance interpersonnelle entre les membres de ces familles associé à
des soins parentaux de mauvaise qualité caractérisés par des comportements de rejet et
de contrôle. De la même façon, les mesures du niveau de cohésion ou d'enchevêtrement
intergénérationnel mettent en évidence une absence de proximité émotionnelle dans les
liens familiaux tant chez les adolescents présentant un trouble alimentaire de type
restrictif ou boulimique que les adolescents présentant une dépendance aux substances
(Doba et al., 2014).
Ce rôle des facteurs familiaux est également soutenu par les études évaluant la
sévérité des symptômes en fonction de l'intensité des dérèglements familiaux.
L'évaluation de l'intensité des dérèglements familiaux et de la composante
symptomatique individuelle atteste de l'existence d'une évolution conjointe entre la
sévérité de la maladie et les dérèglements familiaux. Le niveau de cohésion et le niveau
d'adaptabilité familiale prédiraient la sévérité des symptômes et le taux des rechutes
(Costantini et al., 1992). De la même façon, la sévérité des perturbations familiales
constituerait un pronostic défavorable à court et à long terme pour l'amélioration des
TCA et de la dépendance aux substances (Le Grange et al., 1992).

Conclusion
Le challenge actuel pour les chercheurs consiste à mieux connaître les facteurs
complexes qui expliquent pourquoi certains individus évolueront vers ces formes de
pathologie et d'autres non. Il faut dès lors envisager la contribution de facteurs de
différentes natures (biologique et génétique, cognitive et émotionnelle, sociale et
familiale) qui interviendront sur une large période de la naissance jusqu'à l'âge adulte
(Treasure et Schmidt, 2013).
Enfin, pour une meilleure compréhension, mais aussi pour un meilleur
accompagnement thérapeutique, il est indispensable aujourd'hui d'identifier les facteurs
de résilience qui vont permettre à l'individu de se développer malgré un ensemble de
facteurs de risque. Les caractéristiques biologiques, cognitives et émotionnelles des
individus, mais également les liens sociaux et la qualité de l'environnement de vie
peuvent contribuer à cette résilience. On sait en particulier que certaines compétences
d'intégration, comme la capacité de régulation émotionnelle qui se stabilise au cours de
l'adolescence, favoriseront la résilience et pourront protéger des trajectoires à risque.

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CHAPITRE 34

Les troubles du comportement


Henri Chabrol

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les symptômes et diagnostics
Le trait de dureté-anémotivité et les traits sadiques
L'épidémiologie
La comorbidité et les diagnostics différentiels
Les facteurs de risque
Les trajectoires développementales
Les processus développementaux
La prévention
Le traitement
Conclusion

Introduction
Les troubles du comportement représentent un tiers à la moitié des consultations de
psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Certaines demandes concernent des
comportements qui font partie du développement normal. À l'inverse, on peut regretter
la longue négligence des milieux familiaux et scolaires face à des troubles du
comportement vus tardivement, alors qu'associés à une lourde comorbidité et à une
situation d'échec ou de rupture scolaire. Seuls les troubles persistants et sévères relèvent
de diagnostics qui sont cependant controversés, car stigmatisants et parfois
destructeurs : ils enferment l'enfant et l'adolescent dans une escalade d'interactions
négatives en minimisant la responsabilité de la famille, de l'école et de l'environnement
social. Ces spirales négatives jouent un rôle majeur dans les trajectoires
développementales qui montrent, pour les troubles sévères, une continuité avec les
comportements antisociaux de l'adulte. Ce sont ces processus qu'une démarche
diagnostique dynamique devrait mettre en avant.

Les symptômes et diagnostics


Les classifications internationales présentent deux troubles, le trouble oppositionnel
avec provocation (TOP) et le trouble des conduites (TC). Les différences entre ces
classifications montrent l'incertitude des critères qui ont d'ailleurs changé dans les
éditions successives de chacune d'elle, reflétant leur caractère arbitraire et leur manque
de validation empirique. Le DSM et la CIM s'accordent pour décrire le TOP comme un
mode persistant et répété de comportements d'hostilité et d'opposition aux figures
d'autorité et les TC comme un ensemble de conduites, répétées et persistantes, dites
« antisociales », c'est-à-dire caractérisées par la violation des droits fondamentaux des
autres ou des normes et des règles sociales. Dans le DSM, le TOP et les TC sont des
diagnostics distincts. Dans la CIM, le TOP est un sous-type du TC dont la définition est
plus large que dans le DSM.
Les conflits avec l'autorité sont la caractéristique centrale du TOP. Les troubles
commencent souvent dans la petite enfance, plus marqués dans les interactions avec les
parents, et tendent à se généraliser ensuite à l'école et à la communauté. Les
comportements perturbateurs doivent être plus fréquents et sévères que ceux observés
chez la majorité des enfants ou adolescents du même âge et provoquer une altération
significative du fonctionnement.
Les TC concernent un groupe hétérogène de comportements perturbateurs incluant
les conduites agressives dans lesquelles des personnes ou des animaux sont blessés ou
menacés dans leur intégrité physique, les conduites où des biens matériels sont
endommagés ou détruits, les fraudes ou vols et les violations graves des règles établies.
Trois au moins de ces comportements dans les 12 derniers mois sont nécessaires au
diagnostic. Ces comportements sont de gravité variable allant des mensonges répétés et
des vols sans confrontation à la victime aux délits (coups et blessures, vandalisme, vols
à l'étalage, racket, vente de drogue, vol avec effraction, vol à main armée) et aux crimes
(viols, tentatives d'assassinat, meurtres). Les critères du DSM conduisent au diagnostic
de TC de gravité très variable allant, par exemple, du jeune qui manque souvent l'école,
ment et commet quelques larcins, pour lequel un diagnostic psychiatrique peut paraître
inapproprié, à une délinquance grave évoquant une personnalité antisociale sévère. Le
diagnostic réclame une altération significative du fonctionnement scolaire et social. Le
DSM distingue d'ailleurs trois degrés de gravité, les troubles léger, moyen ou sévère, en
fonction du nombre des conduites et de leurs effets sur autrui.
Cette distinction entre TOP et TC a été remise en question, principalement en raison
de leur comorbidité fréquente et de leur étiologie largement commune. Le trouble des
conduites pourrait être une forme plus sévère du même trouble sous-jacent. La
possibilité même de distinguer des catégories valides a été mise en doute au profit
d'une approche dimensionnelle qui réduit la stigmatisation, inclut les troubles du
comportement dans un continuum allant du normal à divers degrés de pathologie et
reflète la réalité évolutive qui corrèle la variété et la sévérité des comportements
perturbateurs au devenir progressivement aggravé.
Le trait de dureté-anémotivité et les traits sadiques
La dernière édition du DSM a rajouté un spécificateur, le trait de dureté-anémotivité qui
se manifeste par l'insensibilité, le manque d'empathie, l'absence de remords et de
culpabilité, l'impassibilité, un mépris inconsidéré pour sa sécurité ou celle des autres. Le
trait de dureté-anémotivité est prédictif de la sévérité et de la stabilité des TC chez
l'enfant et l'adolescent.
Les traits sadiques, marqués par le plaisir à faire souffrir autrui, à le dominer et à
l'humilier, pourtant si évidents dans le harcèlement, ont été longtemps négligés. Une
étude a montré la fréquence des traits sadiques chez l'adolescent et leur relation aux
comportements délinquants dont ils sont un prédicteur indépendant à côté des traits de
dureté-anémotivité (Chabrol et al., 2009). Les adolescents ayant un niveau élevé de traits
de la Tétrade Noire (Dark Tetrad : traits de dureté, traits machiavéliques, narcissiques et
sadiques) ont le niveau le plus haut de comportements antisociaux (Chabrol et al., 2015).

L'épidémiologie
La prévalence du TOP est estimée varier entre 2 % et 16 % en fonction des populations
étudiées et du mode d'évaluation. Il y a peu de différence entre les filles et les garçons.
La prévalence du TC peut varier de 1 % à 16 % en fonction aussi de la population et
des critères diagnostiques. Le TC est trois à quatre fois plus fréquent chez les garçons
que chez les filles.

La comorbidité et les diagnostics différentiels


Certains troubles peuvent être soit des diagnostics différentiels, soit des comorbidités
qui souvent aggravent le devenir. La fréquence élevée de ces comorbidités, en
particulier dans les échantillons cliniques, montre que les troubles du comportement ne
sont pas qu'un « mauvais » comportement relevant du contrôle social, mais l'expression
d'un trouble psychopathologique. Cette comorbidité, variable et parfois multiple,
contribue à l'hétérogénéité clinique des troubles du comportement.

Le trouble déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH)


Cette comorbidité est fréquente dans les échantillons cliniques et communautaires. Ces
enfants et adolescents sont plus impulsifs et plus agressifs et les troubles du
comportement tendent à débuter plus précocement et à avoir une évolution plus rapide,
plus défavorable et plus persistante (par exemple, Silberg et al., 2015).

Les troubles dépressifs


La dépression chez l'enfant et chez l'adolescent peut être dominée par l'irritabilité,
l'agressivité et l'agitation. La comorbidité avec les troubles du comportement est
fréquente et peut être ignorée. Pour les TC, elle est associée à des comportements
délinquants plus fréquents et plus sévères et à un risque plus élevé de tentatives de
suicide en cours d'adolescence, de dépendance aux substances psychoactives et
d'événements négatifs scolaires (redoublement, renvoi temporaire ou définitif).

Le trouble de personnalité limite (TPL)


Le trouble de personnalité limite n'est pas rare chez l'enfant et est fréquent chez
l'adolescent. Le TC et le TPL ont en commun l'impulsivité et l'irritabilité, mais ils se
distinguent par la réactivité émotionnelle. Le TC tend à se caractériser par une faible
émotivité (ou une anémotivité si les traits de dureté dominent). Le TPL se caractérise
par une forte réactivité émotionnelle manifestée par une hyperémotivité. Malgré ces
différences, la comorbidité est possible sinon fréquente. Les adolescents ayant à la fois
un niveau élevé de traits limites et de traits de dureté ont des comportements
délinquants plus fréquents (Chabrol et al., 2012).

Les troubles liés aux substances psychoactives


Les TC à l'adolescence, chez les garçons comme chez les filles, sont souvent associés à
l'usage et à l'abus d'alcool et de substances psychoactives illicites. Une étude a trouvé
que la consommation de cannabis était un prédicteur indépendant des comportements
délinquants de l'adolescent après contrôle de la consommation d'alcool, des variables
psychopathologiques et socio-familiales. L'usage du cannabis était associé à une
fréquence plus élevée de comportements délinquants chez les adolescents ayant un
niveau élevé de traits de dureté ou de symptômes dépressifs (Chabrol et al., 2010a).

Les troubles bipolaires


Les troubles bipolaires à l'adolescence peuvent prendre l'aspect d'un TC : les périodes
maniaques ou hypomaniaques peuvent être dominées par les troubles du
comportement, l'impulsivité, la colère et l'agressivité, l'abus d'alcool et de drogues, la
« libération des freins éthiques » et les conduites délinquantes.

Les troubles schizophréniques


Dans la schizophrénie pseudo-psychopathique, les comportements antisociaux sont au
premier plan et peuvent masquer des symptômes schizophréniques. Certaines
schizophrénies paranoïdes se manifestent principalement par des TC qui peuvent être
particulièrement sévères, les idées délirantes et les hallucinations restant masquées par
la réticence. Ces adolescents cachent ou dénient les symptômes délirants ou
hallucinatoires et préfèrent passer pour méchants que pour fous. Ces adolescents
peuvent être considérés à tort comme affectés d'une personnalité antisociale sévère.
Dans la population des jeunes ayant affaire à la justice, 5 à 10 % ont un trouble
schizophrénique. Les TC peuvent précéder de plusieurs années l'apparition des signes
caractéristiques de la schizophrénie.
Les troubles du spectre autistique
Les troubles autistiques se manifestent souvent par des troubles du comportement qui
peuvent parfois être la principale cause de la consultation. Beaucoup d'enfant et
d'adolescent ayant un TOP ou un TC ont des traits autistiques (insuffisants pour un
diagnostic).

Les facteurs de risque


De nombreux facteurs de risque peuvent contribuer au début, à l'aggravation et à la
persistance des TOP et des TC. On observe souvent une coalition de facteurs
personnels, familiaux et sociaux qui interagissent négativement.

Les facteurs personnels


Les facteurs biologiques : des interactions gènes-environnement
De nombreux facteurs biologiques peuvent contribuer aux déterminismes des troubles
du comportement : facteurs génétiques, exposition prénatale à des toxiques comme le
tabac, l'alcool et les substances illicites, souffrance fœtale ou périnatale, exposition à des
neurotoxiques comme le plomb dans l'enfance, lésions cérébrales comme celles
provoquées par les violences parentales dans le syndrome du bébé secoué. Les études
d'adoption ont montré que l'influence des parents biologiques est moindre que celles
des parents adoptifs. Des interactions gènes-environnement ont été montrées : par
exemple, la maltraitance augmente beaucoup plus le risque de trouble des conduites
chez les jumeaux à haut risque génétique que chez ceux à faible risque.
Un rythme cardiaque bas au repos est le corrélat biologique le plus constant des
comportements antisociaux chez l'enfant et l'adolescent. La conductance cutanée s'élève
moins en situation de stress chez les jeunes ayant des comportements antisociaux. Cette
disposition psychobiologique, appelée « faible inhibition comportementale » (low
behavioral inhibition), marquée par un faible niveau d'activation et de réactivité du
système neuro-végétatif et par une faible anxiété dans les situations nouvelles ou
stressantes est associée aux TC. Pour d'autres enfants et adolescents, c'est l'hyperactivité
émotionnelle avec des émotions fortes et persistantes qui est liée aux troubles du
comportement.

Les difficultés d'apprentissage


Le niveau de QI faible, les retards ou troubles du langage, le retard de lecture et le
déficit de l'attention ont des contributions multiples aux troubles du comportement : les
difficultés scolaires provoquent frustrations, protestations et colère s'exprimant dans
des troubles du comportement ; la déficience intellectuelle participe aux difficultés de
jugement, aux difficultés à planifier les activités et à prévoir les conséquences ; les
difficultés de langage limitent les capacités à mettre en mots les pensées et sentiments
plutôt que de les exprimer dans des actes ; déficience intellectuelle et difficultés de
langage participent aux déficits des compétences sociales et des habiletés de résolution
des problèmes sociaux.

Les distorsions des cognitions sociales


Les perturbations des cognitions sociales jouent un rôle important, en particulier les
« biais d'attribution hostile » où les messages sociaux ambigus sont interprétés
négativement comme une menace, et les distorsions cognitives égoïstes (self-serving
cognitive distortions) comme les biais égocentriques (ses propres besoins, droits, désirs
sont considérés comme si importants que ceux des autres ne sont pas pris en compte),
rejeter la faute sur les autres, ou considérer le comportement antisocial comme anodin
ou acceptable ou même admirable. Dans une étude chez les lycéens, ces cognitions
autocomplaisantes étaient le principal prédicteur des comportements délinquants avec
les traits de dureté (Chabrol et al., 2011).

Une famille dysfonctionnelle


Les principaux facteurs de risque familiaux sont les troubles psychiatriques parentaux
(en particulier personnalité antisociale, abus d'alcool ou de drogues), la discorde et la
violence conjugale, la séparation des parents et le père lointain ou absent, l'isolement
social de la famille, la négligence, le rejet et les sévices physiques ou sexuels, le manque
de supervision et une discipline inadéquate (une discipline incohérente avec alternance
de laxisme et de violence, ou une discipline laxiste ou une discipline trop dure), la
délinquance d'un parent ou d'un frère aîné.

Un environnement social et scolaire défavorisé


L'environnement social
Le faible niveau socio-économique, les mauvaises conditions de logement, vivre dans
un quartier défavorisé et surpeuplé, avec un niveau élevé de délinquance et de violence,
la fréquentation de jeunes ayant un niveau élevé de troubles du comportement
semblent avoir un effet cumulatif. Pour les jeunes issus de l'immigration, les
orientations d'acculturation semblent jouer un rôle significatif. Une étude a montré que
la séparation (le rejet de la culture du pays hôte et le repli sur la culture d'origine) était
un prédicteur indépendant des comportements antisociaux après contrôle des variables
sociodémographiques, psychopathologiques et des autres variables culturelles (van
Leeuwen et al., 2014a).

L'école
Plusieurs caractéristiques de l'école (locaux dégradés, peu adaptés aux enfants, classes
surchargées, les temps scolaires et les programmes inadaptés), de l'équipe (mauvaise
organisation, rotation élevée, faible moral général), des enseignants (faibles attentes
envers les élèves, peu d'encouragement pour les résultats scolaires et plus d'attitudes
punitives en réponse aux difficultés, insuffisante formation face au problème de la
violence des élèves, peu de contact avec les parents) semblent liées aux troubles du
comportement, indépendamment de l'environnement social.
Les trajectoires développementales
De nombreuses études longitudinales ont montré que les comportements perturbateurs
de la petite enfance et de l'enfance prédisent les comportements antisociaux de
l'adolescence et de l'âge adulte. Plus particulièrement, les agressions physiques de
l'enfance augmentent le risque de délinquance violente et non violente à l'adolescence,
principalement chez les garçons (par exemple, Broidy et al., 2003). Le devenir à moyen
et long terme semble particulièrement dépendant de l'âge de début des TC chez le
garçon (par exemple, Silberg et al., 2015).
Les troubles à début précoce dans l'enfance tendent à se caractériser par des
comportements agressifs, par un degré élevé d'innovation et par un niveau faible de
rémission. Ces sujets ont un risque accru d'évolution vers une personnalité antisociale
de l'adulte.
Les troubles qui ne se manifestent qu'en début d'adolescence tendent à se caractériser
par des comportements plus délinquants qu'agressifs, par un niveau faible d'innovation
(les comportements antisociaux restent du même type et ne se manifestent que dans un
nombre réduit de contextes) et par un niveau élevé de rémission, les difficultés
observées persistant plus rarement après l'adolescence. Cependant ces sujets ne sont pas
sans difficulté à l'âge adulte, ils continuent à commettre des délits et ils ont aussi des
problèmes avec l'alcool et les drogues. Cette dichotomie de pronostic entre début
précoce et tardif n'est donc pas si tranchée, comme le confirme, par exemple, la Great
Smoky Mountains Study (Copeland et al., 2009) qui a trouvé que le risque de personnalité
antisociale au jeune âge adulte était comparable pour les TC ayant débuté dans
l'enfance et dans l'adolescence.

Les processus développementaux


La tendance à la stabilité des troubles du comportement est liée à la stabilité des
tempéraments et traits de personnalité, à la stabilité du contexte, mais aussi à
l'enclenchement de multiples processus développementaux négatifs, intervenant au
niveau personnel, familial et social. Les approches cognitives comportementales,
psychanalytiques et systémiques ont contribué à les décrire et à les comprendre.

Les processus intrapsychiques


Voici quelques exemples de processus cognitifs ou psychodynamiques. Une interaction
négative entre comportements antisociaux et croyances morales a été suggérée. Elle fait
intervenir le concept de dissonance cognitive qui décrit un état intérieur inconfortable
dû à une contradiction entre actions, croyances et sentiments. Plus la dissonance
cognitive est forte, plus le sujet a besoin de la diminuer. Les comportements antisociaux
pousseraient donc à modifier les croyances morales pour les rendre plus tolérables pour
le sujet. Cet affaiblissement des croyances morales facilite les nouveaux comportements
délinquants auxquels le sujet s'adapte par un nouvel ajustement des croyances morales
dans un processus d'escalade (Leenders et Brugman, 2005). Une autre spirale
développementale a été décrite où les cognitions antisociales, les traits de dureté et les
comportements délinquants se renforcent mutuellement (van Leeuwen et al., 2014 b).
L'approche psychanalytique a proposé plusieurs modèles développementaux. Un des
plus connus, celui de l'identification à l'agresseur, rend bien compte du lien entre
victimisation et délinquance, observé dans la violence familiale et le harcèlement
scolaire. Autre exemple, un modèle psychanalytique conçoit les traits de dureté comme
une défense contre la dépression. Une étude a trouvé que la dépression prédit la dureté
et que les traits narcissiques sont un médiateur dans la relation entre dépression et
dureté. Les traits narcissiques (égoïsme, sentiment de supériorité) peuvent être une
défense contre la dépression et préparer le développement de l'indifférence pour les
autres et de la dureté. Les traits narcissiques et les traits de dureté masqueraient
progressivement les symptômes dépressifs (Chabrol et al., 2010 b).

Les processus familiaux


Les troubles des relations parent-enfant et les troubles du comportement se renforcent
réciproquement dans une escalade soit d'hostilité et de rejet mutuel, soit d'hostilité du
jeune et de démission ou soumission parentale.

Les processus sociaux


Les troubles du comportement provoquent des attitudes de rejet de la part des
camarades et des enseignants auxquelles l'enfant et l'adolescent répondent en
s'affirmant dans l'agressivité, le rejet du système scolaire, et l'association à des jeunes
perturbateurs. La plupart des actes délinquants des adolescents sont commis à deux ou
trois. L'imitation, l'émulation, la contamination par les cognitions antisociales, la
désinhibition liée à la dynamique groupale se potentialisent, contribuant à un effet
d'entraînement et à l'escalade dans la gravité des actes.

La prévention
Les interventions auprès des parents, l'apprentissage d'habiletés sociales cognitives, des
mesures appliquées en milieu scolaire comme l'aide aux apprentissages scolaires et
l'entraînement des enseignants à la gestion des difficultés en classes peuvent avoir une
efficacité modeste.

Le traitement
La guidance parentale et l'entraînement à la résolution des problèmes et aux habiletés
sociales pour l'enfant et l'adolescent sont les plus efficaces, surtout dans les TOP (par
exemple, Fossum et al., 2016). Le traitement des TC est plus difficile, nécessitant
habituellement de combiner des mesures psychothérapiques individuelles et familiales,
scolaires, sociales et souvent judiciaires, dont l'efficacité dépend des efforts de
concertation et de cohérence des différents intervenants. Le traitement des TC sévères à
l'adolescence est le plus décevant. Dans les TC, les thérapies cognitives
comportementales sont les plus efficaces. Les thérapies multisystémiques ont déçu (par
exemple, Vermeulen et al. 2016). Les psychostimulants peuvent être utiles en cas de
comorbidité avec le TDAH. L'utilité des autres psychotropes est discutée.

Conclusion
Dès leur installation, les troubles du comportement sont continuellement renforcés et
deviennent de plus en plus résistants aux traitements. Ce potentiel d'évolution
chronique invalidante est dû à la fréquente coalition des facteurs négatifs (génétiques,
familiaux, sociaux, etc.) qui les génèrent, à la multiplicité et l'interdépendance des
processus développementaux déviants qui s'enclenchent, et aux comorbidités qui les
surchargent, concourant à fixer le sujet dans une trajectoire de vie négative. Cette
complexité est un défi pour les chercheurs et les cliniciens. Les souffrances de l'enfant et
de l'adolescent perturbateurs et de son entourage familial, social, et scolaire, la durée du
trouble et son risque de chronicité et de répétition transgénérationnelle, les coûts
économiques qui y sont liés, réclament une mobilisation pour la prévention et le
traitement qui est un défi pour nos sociétés.

Références
Broidy L.M., Nagin D.S., Tremblay R.E., et al. Developmental trajectories of
childhood disruptive behaviors and adolescent delinquency : a six-site, cross-
national study. Developmental Psychology. 2003;39(2):222–235.
Chabrol H., Labeyrie N., Rodgers R.F., et al. An exploratory study of the relations
between psychopathic traits and depressive symptoms in a non-clinical sample
of adolescents. European review applied psychology. 2010a;60(3):181–187.
Chabrol H., Melioli T., Van Leeuwen N., et al. The Dark Tetrad : Identifying
personality profiles in high-school students. Personality and Individual
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Chabrol H., Rodgers R.F., Sobolewski G., et al. Cannabis use and delinquent
behaviors in a non-clinical sample of adolescents. Addictive Behaviors.
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Chabrol H., Valls M., van Leeuwen N., et al. Callous-unemotional and borderline
traits in non-clinical adolescents : Personality profiles and relations to antisocial
behaviors. Personality and Individual Differences. 2012;53(8):969–973.
Chabrol H., van Leeuwen N., Rodgers R., et al. Contributions of psychopathic,
narcissistic, Machiavellian, and sadistic personality traits to juvenile
delinquency. Personality and Individual Differences. 2009;47:734–739.
Chabrol H., van Leeuwen N., Rodgers R.F., et al. Relations between self-serving
cognitive distortions, psychopathic traits, and antisocial behavior in a non-
clinical sample of adolescents. Personality and Individual Difference.
2011;51(8):887–892.
Copeland W.E., Shanahan L., Costello E.J., et al. Childhood and adolescent
psychiatric disorders as predictors of young adult disorders. Archives of General
Psychiatry. 2009;66(7):764–772.
Fossum S., Handegård B.H., Adolfsen F., et al. A meta-analysis of long-term
outpatient treatment effects for children and adolescents with conduct
problems. Journal of Child and Family Studies. 2016;25(1):15–29.
Leenders I., Brugman D. Moral/non-moral domain shift in young adolescents in
relation to delinquent behaviour. The British Journal of Developmental Psychology.
2005;23(1):65–79.
Silberg J., Moore A.A., Rutter M. Age of onset and the subclassification of
conduct/dissocial disorder. Journal of Child Psychology and Psychiatry.
2015;56(7):826–833.
van Leeuwen N., Rodgers R.F., Bui E., et al. Relations between acculturation
orientations and antisocial behavior in adolescents and young adults from
immigrant families. International Journal Cultural Mental Health. 2014a;7(1):68–82.
van Leeuwen N., Rodgers R.F., Gibbs J.C., et al. Callous-unemotional traits and
antisocial behavior among adolescents : The role of self-serving cognitions.
Journal of Abnormal Child Psychology. 2014b;42(2):229–237.
Vermeulen K.M., Jansen D.E., Knorth E.J., et al. Cost-effectiveness of multisystemic
therapy versus usual treatment for young people with antisocial problems. Criminal
Behaviour and Mental Health 2016.

Lecture conseillée
Parent S., Turgeon L. In: Presses de l'Université du Québec; Intervention cognitivo-
comportementale auprès des enfants et des adolescents : Troubles de comportement.
2012;Vol. 2.

Adresses web utiles


http://www.conductdisorders.com
http://www.teenswithproblems.com
CHAPITRE 35

Les conséquences développementales


de la maltraitance
Karine Dubois-Comtois ; Chantal Cyr

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Le phénomène de la maltraitance
Les conséquences de la maltraitance sur le développement des enfants
Le développement des enfants placés en famille d'accueil
Les interventions parent-enfant prometteuses
Conclusion

Introduction
La maltraitance envers l'enfant est un des phénomènes les plus nuisibles à son
développement global, en plus d'être très coûteuse pour toutes les sociétés. Une
recension méta-analytique sur la prévalence mondiale de la maltraitance envers les
enfants âgés de 0 à 18 ans a récemment montré qu'environ 4 enfants sur 1 000 sont
signalés par des professionnels aux services de la protection de l'enfance pour
maltraitance parentale (Stoltenborgh, Bakermans-Kranenburg, Alink, et van IJzendoorn,
2015). Lorsque les données recueillies se fondent sur des questionnaires rétrospectifs
d'individus ayant été victimes de maltraitance durant leur enfance, ce nombre s'élève
entre 127 et 363/1 000, selon le type de maltraitance subie (abus sexuel, physique ou
émotionnel, négligence physique ou émotionnelle). Considérant les conséquences
graves de la maltraitance sur l'enfant, il est impératif de mieux comprendre les facteurs
de protection permettant de promouvoir leur développement, et ce, afin d'identifier les
cibles d'intervention les plus adéquates et efficaces. Le but de ce chapitre est donc
d'exposer la trajectoire développementale des enfants victimes de maltraitance, que
ceux-ci soient maintenus dans leur milieu naturel ou placés en famille d'accueil. Les
résultats prometteurs d'une intervention parent-enfant fondée sur la théorie de
l'attachement et la rétroaction vidéo, soit l'Attachement Video-feed-back Intervention, pour
améliorer le développement et l'adaptation des jeunes enfants (0–5 ans) maltraités sont
ensuite présentés.

Le phénomène de la maltraitance
La maltraitance représente un traumatisme interpersonnel chronique pour l'individu.
Chez l'enfant, elle se définit comme la commission ou l'omission d'actions par les
donneurs de soins qui ont un impact néfaste sur sa sécurité et/ou son développement.
Différentes formes de maltraitance sont répertoriées et celles-ci coexistent fréquemment
à l'intérieur des familles, plus de la moitié des enfants faisant l'expérience de plus d'une
forme de maltraitance (Manly, Kim, Rogosch, et Cicchetti, 2001). Différentes
catégorisations de la maltraitance sont disponibles (par exemple, Organisation mondiale
de la santé), lesquelles offrent des définitions plus englobantes ou spécifiques des gestes
répréhensibles observés.
• Négligence : incapacité de protéger l'enfant ou de lui prodiguer les soins nécessaires
pour répondre à ses besoins de base. Il s'agit de la forme de maltraitance la plus
fréquemment répertoriée.
• Abus physique : utilisation d'une force physique intentionnelle à l'endroit d'un enfant
susceptible de brimer sa santé, sa survie, son développement ou sa dignité.
• Abus sexuel : geste ou activité à caractère sexuel auprès d'un enfant qui ne peut y
consentir de manière éclairée ou pour lequel il ne possède pas la maturité
développementale.
• Abus psychologique ou émotionnel : environnement qui entrave le développement d'un
sentiment de sécurité, de l'estime de soi et de l'autonomie de l'enfant.
• Exposition à la violence conjugale : comportements agressifs et coercitifs qu'un adulte
inflige à son partenaire intime. Ce type d'expérience est de plus en plus considéré
comme une forme indirecte de mauvais traitements parentaux envers l'enfant.

Les conséquences de la maltraitance sur le


développement des enfants
La maltraitance étant souvent perpétrée à même la cellule familiale et à des périodes
développementales critiques, ses conséquences sont nombreuses et touchent l'ensemble
des sphères développementales de l'enfant, dont son développement neurocognitif et
socio-affectif.

La maltraitance et le développement neuro-cognitif


Les études sur la maltraitance dans le domaine des neurosciences proposent que les
mauvais traitements subis dans l'enfance contribuent à façonner le développement du
cerveau et ainsi mener à des différences dans les structures cérébrales (Twardosz et
Lutzket 2010). De telles différences peuvent affecter le développement des fonctions
cognitives des enfants et la disponibilité aux apprentissages. Notamment, une étude
épidémiologique réalisée sur 50 278 enfants américains âgés entre 0 et 21 ans montre
que les enfants victimes de maltraitance sont plus susceptibles de présenter un retard
intellectuel et des troubles d'apprentissage que leurs pairs non exposés à la maltraitance
(Sullivan et Knutson, 2000). Ces enfants sont également en moyenne deux fois plus à
risque de présenter un fonctionnement cognitif et des habiletés en lecture et en
mathématique à un écart-type sous la moyenne de la population générale (Crozier et
Barth, 2005). Parmi les habiletés cognitives de haut niveau, les enfants victimes de
maltraitance présentent des scores plus faibles sur des tâches évaluant les capacités
attentionnelles, l'intégration visuo-motrice et la performance motrice, en comparaison
aux enfants d'un groupe apparié non-victimes de maltraitance (Nolin et Ethier, 2007).
De plus faibles capacités cognitives et de lecture ont également été associées à
l'exposition à la violence intrafamiliale (Delaney-Black et al., 2002).
En particulier, les enfants négligés présentent les formes de perturbation les plus
sévères, avec un développement cognitif et des habiletés de résolution de problèmes
inférieurs à ceux ayant été victimes d'abus physiques (Egeland, Sroufe, et Erickson,
1983 ; O'hara et al., 2015). Ces résultats ne sont pas étonnants puisque la négligence est
considérée comme une absence d'expériences fondamentales au développement de
l'enfant et qu'elle est plus souvent présente de manière chronique qu'épisodique
(Erickson et Egeland, 2002). Elle laisse de profondes séquelles sur le développement de
l'enfant, bien au-delà de ce que les premiers travaux de recherche suspectaient.
L'exposition à de multiples formes de maltraitance serait également un facteur de risque
associé à davantage de déficits cognitifs (Ethier, 2007 ; Sullivan et Knutson, 2000).
Bien que la maltraitance soit généralement associée à de moins bonnes performances
du point de vue de la cognition et des apprentissages, il demeure qu'un faible
pourcentage d'enfants maltraités se montre résilient et présente un niveau
développemental similaire à leurs pairs non maltraités (Cicchetti et Rogosch, 1997). À
cet effet, les résultats de l'étude de Cicchetti et Rogosch montrent que ces enfants
maltraités âgés entre 6 et 11 ans ayant une trajectoire développementale plus favorable
possèdent des caractéristiques individuelles telles que l'estime et le contrôle de soi qui
agissent comme facteurs de protection. La période et l'intensité de l'exposition à la
maltraitance peuvent également expliquer les différences de fonctionnement des
enfants maltraités. Par exemple, la petite enfance serait considérée comme une période
critique au cours de laquelle une exposition à la maltraitance est susceptible d'affecter
de manière significative et durable le développement cognitif des enfants (Enlow,
Egeland, Blood, Wright, et Wright, 2012). D'autres recherches ont montré que les
enfants qui ont vécu de la maltraitance à plusieurs étapes développementales entre 0 et
9 ans présentent un fonctionnement intellectuel inférieur à ceux qui ont vécu de la
maltraitance qu'à une seule période au cours de leur vie (Jaffee et Maikovich-Fong,
2011).

La maltraitance et le développement de la régulation


émotionnelle
Les enfants victimes de maltraitance parentale sont exposés à des soins parentaux
inadéquats qui les fragilisent. L'absence de réconfort et de stimulation sur une base
quotidienne ainsi que l'exposition à des gestes et des propos blessants, voire même
effrayants pour l'enfant, sont extrêmement perturbants. Ces expériences éveillent et
exacerbent la détresse de l'enfant qui ne peut recourir à son donneur de soin pour être
apaisé et soutenu puisque celui-ci est à l'origine même de sa détresse. Devant un tel
paradoxe, l'enfant se retrouve sans solution ou stratégie de régulation émotionnelle
(Main et Hesse, 1990). Des expériences de soins parentaux d'insensibilité extrême ou
effrayants ont été associées au développement de comportements d'attachement
insécure désorganisé chez l'enfant, lesquels sont liés à un nombre important de
conséquences néfastes à long terme, comme des problèmes de comportement
intériorisés, extériorisés et des symptômes de psychopathologie (Van IJzendoorn,
Schuengel, et Bakermans-Kranenburg, 1999 ; Lyons-Ruth et Jacobvitz, 2008). Les
comportements désorganisés des enfants sont en fait les manifestations observables
d'un effondrement des stratégies d'attachement qui leur permettent de gérer leur
détresse. L'incapacité des enfants de recourir à leur parent pour abroger leur détresse
(par exemple, en recherchant la proximité physique de leur parent ou en partageant
activement avec lui ses émotions et ses pensées) exacerbe leur anxiété et les place dans
un état confusionnel et désorganisateur. Il n'est donc pas étonnant qu'une recension
méta-analytique indique que l'exposition à la maltraitance accroît considérablement le
risque pour l'enfant de développer un attachement insécure-désorganisé (Cyr, Euser,
Bakermans-Kranenburg, et van IJzendoorn, 2010).
Les enfants victimes de maltraitance présentent des trajectoires développementales
perturbées et de grandes difficultés de régulation émotionnelle, lesquelles ont été
largement documentées dans les écrits scientifiques (Cicchetti et Valentino, 2006). Ces
enfants, souvent exposés de manière chronique à des situations stressantes, présentent
des dérèglements de l'axe hypothalamo-pituito-surrénalien (HPS) qui peut accroître ou
diminuer la production de cortisol et altérer leurs structures cérébrales telles que
l'hypocampe (Gunnar et Vazquez, 2001). En situation de stress, un dérèglement dans la
production de cortisol amène l'enfant à présenter une réaction émotionnelle intense ou
encore à inhiber toute réponse émotionnelle (par exemple, il peut présenter une grande
agitation ou encore paraître figé). Ces réponses émotionnelles non adaptées engendrent
des conséquences sur le fonctionnement social et la santé mentale des individus.
Certaines réponses comportementales inadaptées sur le plan de la régulation
émotionnelle et fréquemment rencontrées chez les enfants victimes de maltraitance
prennent la forme de problèmes intériorisés (retrait, plaintes somatiques, anxiété et
dépression) et extériorisés (agressivité et comportements délinquants ; Kim et Cicchetti,
2004 ; Villodas, et al., 2015). En particulier, le taux de prévalence de certains diagnostics
psychiatriques est plus élevé chez les enfants maltraités que chez les enfants non
maltraités (Browne et Finkelhor, 1986 ; Famularo, Kinscherff et Fenton, 1992 ; Putnam,
2003). Une revue systématique des écrits a montré l'association entre la maltraitance
dans l'enfance et un risque suicidaire accru (idéations et tentatives) à l'adolescence, et
ce, autant auprès d'échantillons tout-venant, clinique ou à risque socio-économique
(Miller, Esposito-Smythers, Weismoore, et Renshaw, 2013). L'étude révèle que chaque
forme de maltraitance contribue de manière unique à la variance expliquée, mais que
les abus sexuels et émotionnels seraient des expériences plus marquantes pour
expliquer les comportements suicidaires des adolescents.
Le développement des enfants placés en famille d'accueil
Les services de protection à l'enfance ont pour mandat d'assurer la sécurité physique et
psychologique des enfants ayant subi ou étant à risque de subir de la maltraitance. Dans
le contexte où le milieu familial est jugé inapte à promouvoir le bien-être et la sécurité
de l'enfant, ce dernier peut se voir confier à une ressource alternative, telles une famille
d'accueil ou une ressource en hébergement.
Le placement est une mesure intrusive dans la vie de l'enfant, mais, parce que cessent
alors les actes de maltraitance lorsqu'il est retiré de son milieu, il est d'abord perçu
comme une forme d'intervention positive pour l'enfant. Effectivement, certains enfants
placés vont présenter un niveau de fonctionnement psychosocial adéquat, montrant
ainsi leur capacité à bénéficier du placement. En particulier, il a été montré qu'un
placement stable et réalisé en bas âge est un facteur de protection préservant les enfants
placés de difficultés d'adaptation à plus long terme (Newton, Litrownik, et Landsverk,
2000 ; Rubin, O'Reilly, Luan, et Localio, 2007). Il est possible que certains facteurs de
protection présents chez l'enfant placé (exemple, tempérament) et au sein de son nouvel
environnement, tels que la qualité de la relation au parent substitut, puissent prévenir
l'apparition de difficultés comportementales et émotionnelles, voire favoriser ses
capacités d'adaptation. Notamment, nous avons montré dans une récente étude que la
qualité des interactions avec le parent d'accueil est un meilleur prédicteur de
l'adaptation sociale de l'enfant placé que les expériences antérieures de maltraitances et
les conditions de placement (Dubois-Comtois et al., 2015).
Malgré cela, une variabilité est observée dans les capacités d'adaptation des enfants
placés et des auteurs proposent que l'absence de dysrégulation au moment et suite au
placement ne soit pas gage de bonnes capacités d'adaptation à long terme (Newton et
al., 2000 ; Rutter, 2000). En effet, les enfants placés demeurent susceptibles de manifester
des difficultés de fonctionnement à cause des expériences traumatisantes vécues avant
leur placement et du stress engendré par le changement de foyer. Le placement, bien
qu'il s'agisse d'une décision prise dans le meilleur intérêt de l'enfant, n'est donc pas sans
conséquence. Compte tenu des expériences problématiques ayant motivé leur
placement et de la rupture de la relation avec leurs parents naturels, les enfants placés
en famille d'accueil représentent un groupe à risque sur le plan de l'adaptation
socioaffective. Plusieurs études ont montré qu'une fois placés, ces enfants sont aussi
vulnérables de présenter des problèmes de comportement que les enfants maltraités
demeurant avec leurs parents naturels (Lawrence, Carlson, et Egeland, 2006 ; Mennen,
Brensilver, et Trickett, 2010). Les enfants placés en famille d'accueil présentent jusqu'à
2,5 fois plus de problèmes de comportement et de santé mentale que leurs pairs issus de
familles intactes à risque sans antécédents de maltraitance (Clausen, Landsverk,
Ganger, Chadwick, et Litrownik, 1998 ; dosReis, Magno Zito, Safer, et Soeken, 2001 ;
Zima, Bussing, Freeman, Yang, Belin, et Forness, 2000). Parmi les problématiques socio-
affectives présentes chez les enfants placés, on observe notamment la présence de
symptômes dépressifs (Litrownik, Newton, et Landsverk, 2005) et d'agressivité
(Pilowsky, 1995), ainsi que des comportements d'hyperactivité et des difficultés de
socialisation (Minnis, Everett, Pelosi, Dunn, et Knapp, 2006). De telles difficultés
pourraient émerger notamment lorsque ces enfants, fragilisés par les antécédents de
mauvais traitement, sont confrontés aux défis associés aux transitions
développementales, par exemple au passage de l'enfance à l'adolescence (Taussig,
2002).
Du point de vue de l'attachement, compte tenu des expériences de maltraitance et des
ruptures relationnelles, les enfants placés en famille d'accueil sont plus susceptibles de
présenter un attachement désorganisé en présence de leurs donneurs de soins lors de
leur arrivée dans leur famille substitut. Des études ont en effet montré une
surreprésentation de l'attachement désorganisé auprès des jeunes enfants placés en
famille d'accueil (28–42 % ; Bernier, Ackerman, et Stovall-McClough, 2004 ; Cole, 2005 ;
Dozier, Stovall, Albus, et Bates, 2001) comparativement à 15 % chez les enfants tout-
venant (Van IJzendoorn et al., 1999). Des études montrent également que les enfants
placés en famille d'accueil sont aussi à risque de présenter un attachement désorganisé
que les enfants adoptés de l'international, lesquels ont généralement été soumis à une
absence de soins parentaux et des environnements souvent caractérisés par de la
négligence extrême et un manque important de stimulation cognitive et socio-affective
(van den Dries, Juffer, van IJzendoorn, Bakermans-Kranenburg, 2009). Toutefois,
malgré les répercussions importantes des mauvais traitements parentaux avant le
placement, il est possible pour l'enfant placé de développer un attachement sécure
plutôt que désorganisé à son parent d'accueil. En effet, des études ont montré que
plusieurs enfants retirés de leur famille après avoir vécu des mauvais traitements ont
réussi à développer un lien d'attachement sécurisé avec leurs parents d'accueil (Dozier
et al., 2001 ; Howes et Segal 1993), sécurité qui serait associée à la sensibilité des adultes
qui prennent charge de l'enfant. Bien que ces études aient observé une proportion
similaire d'enfants avec un attachement sécure (0–20 mois) que celle observée chez des
enfants non placés, d'autres ont observé des degrés plus faibles de sécurité
d'attachement chez des enfants placés plus âgés (9–66 mois ; Gabler, Bovenschen, Lang,
Zimmermann, Nowacki, Kliewer, et Spangler, 2014).
Le modèle relationnel dysfonctionnel issu des premières expériences d'attachement
de l'enfant fait partie du bagage qu'il transporte avec lui dans sa famille d'accueil et
peut affecter sa capacité à établir une relation d'attachement sécurisante avec sa
nouvelle figure d'attachement. Pour éviter la répétition des patrons relationnels
dysfonctionnels, les parents d'accueil doivent non seulement se montrer très sensibles
aux besoins affectifs de l'enfant, mais ils doivent de surcroît posséder une
compréhension des diverses stratégies d'attachement problématiques et les habiletés
nécessaires pour modifier plutôt que consolider le patron insécure que présente l'enfant
(Dozier et Sepulveda, 2004). En l'absence d'une grande sensibilité de la part de la mère
d'accueil, il semble que non seulement l'enfant placé ne parvienne pas à recourir à cette
figure d'attachement pour se sécuriser, mais aussi qu'il développe ou maintienne un
patron d'attachement insécure-désorganisé à l'égard de celle-ci (Dozier et al., 2001).

Les interventions parent-enfant prometteuses


Les travaux sur les conséquences de la maltraitance ont permis d'identifier certains
mécanismes clés qui favorisent ou limitent l'adaptation des enfants maltraités. Ces
mécanismes constituent de potentielles cibles d'intervention précoces. Précisément, les
études dans le domaine de l'attachement ont montré l'importance de la sensibilité
parentale pour promouvoir le développement émotionnel, cognitif et social des jeunes
enfants (NICHD Early Child Care Research Network, 2005). Selon la théorie de
l'attachement, la sensibilité réfère à la capacité du parent à reconnaître les signaux et les
besoins de son enfant, à les interpréter et à y répondre le plus adéquatement possible
dans un délai acceptable. Des programmes d'entraînement parental orientés
spécifiquement sur la qualité de la relation parent-enfant afin de favoriser des
comportements parentaux plus sensibles aux besoins des enfants ont donc été
développés afin d'améliorer la sécurité d'attachement des enfants maltraités et leur
trajectoire développementale plus globale. Aujourd'hui, ces programmes d'intervention
(par exemple, Moss, Dubois-Comtois, Cyr, Tarabulsy, St-Laurent, et Bernier, 2011 ;
Dozier et al., 2006) figurent parmi les plus prometteurs.
Avec d'autres collègues cliniciens et chercheurs, nous avons mis sur pied au cours des
dernières années une intervention relationnelle qui a été réalisée auprès de différents
groupes d'enfants victimes de maltraitance. Cette intervention, nommée Attachment
Video-feed-back Intervention – AVI (Tarabulsy, Cyr, Dubois-Comtois, Moss, 2014), est
fondée sur les principes de la théorie de l'attachement et de la rétroaction-vidéo. Elle est
constituée de huit séances d'intervention (durée de 90 min) réalisées au domicile
familial. Les thèmes de discussion et les objectifs de travail sont personnalisés en
fonction des besoins de chaque famille, mais somme toute, se centrent sur les besoins
d'attachement et d'exploration des enfants, la régulation émotionnelle de chacun des
membres de la dyade, l'influence des expériences parentales antérieures et des modèles
d'attachement parentaux et l'importance de la réparation des comportements
inappropriés. Lors des séances, la dyade est invitée à réaliser une activité filmée d'une
durée d'environ 5 à 10 min (selon l'âge de l'enfant) qui a été conçue pour être plaisante.
Des consignes simples sont proposées au parent en début d'activité afin de l'aider à
promouvoir des comportements sensibles à l'égard de son enfant (exemple suivre les
initiatives de l'enfant, faire des tours de rôle, féliciter l'enfant à chaque succès/effort,
décrire ce que l'enfant fait et comment il se sent au cours de l'activité). Une rétroaction
vidéo est ensuite effectuée afin de permettre au parent de se voir avec son enfant et de
réfléchir à ses comportements et à leur impact. L'intervenant arrête la vidéo et renforce
les comportements sensibles du parent et les moments de plaisirs partagés. Il aide
également le parent à trouver de nouvelles solutions lorsque des comportements
insensibles sont observés. L'intervenant se comporte de manière à développer une
relation de confiance avec le parent, afin de représenter pour ce parent une base de
sécurité à partir de laquelle il pourra explorer de nouvelles façons de penser les
comportements de son enfant et leur relation, et de nouvelles façons d'interagir avec son
enfant.
Nous avons testé l'efficacité de ce type d'intervention auprès d'enfants victimes de
maltraitance demeurant avec leurs parents naturels ou placés en famille d'accueil. Nos
résultats ont montré que, chez les enfants issus de familles intactes, l'intervention a
permis d'augmenter la sensibilité parentale des parents ainsi que la sécurité
d'attachement des enfants (Cyr, Paquette, Lopez, et Dubois-Comtois, 2015 ; Moss et al.,
2011). Nous avons également observé une diminution de l'attachement désorganisé
chez les enfants du groupe intervention ainsi qu'une diminution des problèmes de
comportement pour les enfants plus âgés en comparaison aux enfants n'ayant pas
bénéficié de cette prise en charge. Plus récemment, nous avons montré, auprès d'un
sous-groupe de jeunes enfants victimes ou à risque de négligence, que cette intervention
est également efficace pour promouvoir leur développement cognitif et moteur
(Dubois-Comtois et al., 2017). Également, nous avons intégré l'AVI au sein d'un
protocole d'évaluation des capacités parentales comme outil permettant d'évaluer les
capacités de soins, de protection et de changement des parents. Notre étude a montré
que la récurrence de mauvais traitements un an suivant la fin de l'évaluation était
significativement moins à risque de survenir chez les parents ayant reçu l'AVI au cours
leur évaluation et pour lesquels leur évaluateur avait conclu qu'ils présentaient de
meilleures capacités parentales au terme de leur intervention/évaluation (Cyr et al.,
2015).
Pour la population des enfants placés en famille d'accueil, nous avons observé une
augmentation marginale de la sensibilité maternelle dans le groupe intervention AVI en
comparaison au groupe contrôle, c'est-à-dire les mères d'accueil sans AVI (Dubois-
Comtois, Cyr, Moss, St-André et Carignan, 2011). Ce résultat marginal peut s'expliquer
par le niveau généralement plus élevé de sensibilité parentale des mères d'accueil en
début d'intervention, mais il se peut aussi qu'avec un échantillon plus grand, un effet
significatif aurait été obtenu. D'ailleurs, avec un échantillon plus grand d'enfants
adoptés de l'international et leurs mères adoptives, présentant elles aussi un niveau de
sensibilité très acceptable en début d'intervention, nous avons observé une
augmentation significative de la sensibilité maternelle dans le groupe intervention AVI
en comparaison au groupe contrôle sans AVI (Blondin, Cyr, et Dubois-Comtois, 2017).
Nos résultats auprès des enfants placés en famille d'accueil ont aussi montré pour les
enfants plus âgés du groupe intervention une augmentation des comportements de
proximité à l'égard du parent d'accueil (voir Dubois-Comtois, Cyr, Moss, et Vandal,
2012). Nous avons également observé une augmentation du fonctionnement cognitif et
moteur chez les enfants issus d'environnements à plus faible risque, c'est-à-dire chez
ceux dont la mère biologique ne présente pas de limites cognitives ou encore chez ceux
qui ont été placés dans des familles d'accueil biparentales et plus favorisées sur le plan
économique.
L'ensemble de ces résultats indiquent autant auprès de dyades biologiques et non
biologiques que de favoriser des interactions parent-enfant harmonieuses où le parent
se montre sensible aux besoins de son enfant favorise l'adaptation de ce dernier sur le
plan cognitif, moteur et socio-affectif. Ces résultats soutiennent la pertinence de cibler
les enjeux relationnels dans les interventions auprès de cette population.

Conclusion
Les études rétrospectives et prospectives ayant porté sur les enfants victimes de
maltraitance sont sans équivoque pour dire que les mauvais traitements subis en bas
âge fragilisent les enfants sur un ensemble de sphères développementales. Les
expériences d'abus engendrent un stress intense qui ne peut être régulé par les enfants,
d'une part parce qu'ils ne possèdent pas la maturité développementale nécessaire pour
y parvenir et, d'autre part, parce qu'elles surviennent dans le contexte familial censé
représenter un havre de sécurité. De son côté, la négligence, qui représente l'absence de
soins appropriés, laisse l'enfant dans un état de privation sur les plans affectif et cognitif
ne lui permettant pas de développer les habiletés nécessaires à son adaptation et peut
faire émerger un sentiment d'abandon. Les conséquences de la maltraitance sur le
fonctionnement socio-affectif et neurocognitif sont donc nombreuses et il importe de
soutenir les enfants à risque de maltraitance afin d'optimiser leur adaptation. À cet
égard, les interventions fondées sur la théorie de l'attachement, visant à améliorer la
sensibilité du parent, sont une avenue des plus intéressantes pour soutenir le parent
dans son rôle parental, favoriser l'émergence d'une relation parent-enfant sécurisante et
permettre d'optimiser le fonctionnement comportemental et cognitif de l'enfant qu'il
demeure au sein de sa famille naturelle ou qu'il soit placé en famille d'accueil.

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PA R T I E 5
Transitions et enjeux sociétaux
CHAPITRE 36

La périnatalité : contexte social et arrivée


d'un enfant
Emmanuel Devouche

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La vulnérabilité prénatale des futures mères
Les débuts de la communication
Conclusion

Introduction
La période périnatale est une période de bouleversements et d'adaptation pour les
parents, adaptation sur un plan biologique, neuroendocrinien, psychologique et social.
Pour la plupart des futurs parents, tout se passe bien pendant la grossesse et à
l'accouchement, et les premiers échanges se font tout aussi naturellement. L'influence de
l'environnement sur le développement affectif, social et cognitif du nourrisson constitue
le principal objet d'intérêt de chercheurs d'obédience clinique ou socio
développementale. Le rôle de la mère dans cette médiation est central. La façon dont
elle va interagir avec son enfant dépendra d'une multitude de facteurs imputables
notamment à son histoire personnelle, sa culture, son milieu socioéconomique et son
état mental. Ainsi l'intérêt d'appréhender ce qu'elle apporte dans la relation dyadique
apparaît crucial. On sait désormais de manière certaine que le bébé n'est pas à la
naissance une tabula rasa. La mère non plus et va se comporter en fonction des idées,
croyances ou représentations qu'elle aura formées avant, pendant et après sa grossesse
sur ce qu'est ou va être son enfant, sur comment l'éduquer, l'aimer et sur son
développement.
Nous posons ainsi d'emblée la perspective dans laquelle nous proposons d'aborder la
mise en place des premiers échanges, une perspective interactionniste impliquant tout
autant le bébé que son partenaire, et un espace de rencontre que nous nommerons
« dyade ». L'interaction mère-bébé peut donc être vue comme un triptyque « mère-bébé-
espace dyadique » (Dominguez et al., 2014). Dans cette perspective, appréhender le
fonctionnement psychique d'une mère, c'est appréhender en partie sa relation à son
bébé et par conséquent la trajectoire développementale de ce dernier. Ainsi, lorsque la
mère présente une dépression anténatale, son trouble irradie sur ses relations avec son
enfant et donc sur l'enfant lui-même.
Dans le présent chapitre, nous proposons d'appréhender les origines de la
communication mère-bébé en posant un regard sur toute la période périnatale. Dans la
première partie, nous parlerons de la vulnérabilité prénatale des futures mères,
concentrant ainsi noter propos sur l'avant naissance quand elle est à risque, et sur le
premier volet du triptyque, la mère. La deuxième partie sera dédiée au volet « espace
dyadique » qui fournit le cadre aux premières communications (le volet « bébé » ne sera
pas traité dans ce chapitre). Une dernière partie sera consacrée à l'apport de la recherche
fondamentale sur la compréhension du (dys)fonctionnement interactif.

La vulnérabilité prénatale des futures mères


La grossesse a pendant longtemps été considérée comme une période bénie, joyeuse,
très centrée sur le bien-être de la mère et du futur bébé, une période sans risque
psychiatrique y compris chez les femmes ayant des antécédents (Apter, Devouche,
Gratier, 2011). Les femmes enceintes n'étaient pas sans exprimer des plaintes
somatiques ou sans subir de changements hormonaux, mais ces manifestations étaient
justement attribuées à la grossesse et non à un éventuel risque de dépression. Pourtant,
la grossesse ne protège pas du risque de rechute dans le cas d'antécédents dépressifs ou
bipolaires si aucun traitement n'est mis en place (Bennett et al., 2004 ; Freeman et al.,
2002). Elle ne protège pas non plus du risque d'un épisode dépressif même chez une
femme n'ayant jamais eu d'antécédent dépressif. Les femmes ayant des antécédents de
désordres psychiatriques telles que MDD, BPD ou autres psychoses sont en revanche
particulièrement vulnérables et menacées de rechute pendant cette période. La période
périnatale est aussi propice à l'apparition de nouveaux désordres mentaux qui renforce
la nécessité d'une détection et d'une prise en charge rapide.

La dépression anténatale (DAN)


La période de la grossesse s'accompagne de nombreux changements hormonaux,
physiologiques et psychologiques. Certaines femmes avancent avec difficulté vers cet
inconnu qu'est le devenir mère, s'autodépréciant et sous-estimant leur capacité à faire
face à ce nouveau rôle, rendant ainsi plus difficile la mise en place des premiers liens. La
dépression anténatale (DAN) a des conséquences non seulement sur la femme durant sa
grossesse, mais également après sa grossesse, la DAN persistant souvent dans la
période post-partum : près de la moitié des parturientes présentant une DAN
présenteront un épisode dépressif après la naissance (Dietz et al., 2007). Bien que les
mécanismes par lesquels la DAN influence la relation précoce mère-bébé restent encore
à explorer, nous savons que la DAN est associée à un risque de dysrégulation de
l'interaction précoce avec un développement émotionnel plus négatif et à un risque
d'abus ou de négligence. La détection et la prise en charge de la DAN ne sont donc pas
seulement une nécessité pour les futures mères elles-mêmes, mais également l'assurance
d'une bonne mise en place de la relation avec le bébé.
Il est donc essentiel, pour la mère comme pour le bébé à naître, de pouvoir dépister la
dépression dès la période prépartum dans un but de prévention précoce et
d'organisation de soins. Les études s'intéressant à la prévalence de la dépression
mettent en évidence que le taux de dépression prénatale est, si ce n'est plus, tout au
moins équivalent à celui de la dépression postnatale (Gavin et al., 2005 ; Marcus et al.,
2009). Ainsi, plusieurs études avancent une prévalence pendant la grossesse comprise
entre 10 et 20 % des grossesses (Areias et al., 1996 ; Kumar and Robson, 1984 ; Logsdon
et al., 1994 ; O'Hara et Swain 1996), et jusque 39 % dans des populations à risques,
médicaux et sociaux (Adouard et al., 2005). En 2004, Bennett et al. ont évalué la
dépression aux trois trimestres de la grossesse et ont obtenu des taux allant de 7,4 %
pour le premier trimestre à 12,8 % et 12 % pour les deuxième et troisième trimestres. La
présence de troubles psychiatriques est par ailleurs souvent associée à une mauvaise
prise en charge de santé (Kelly et al., 1999 ; Marcus et Heringhausen, 2009), les femmes
concernées tendant à retarder les visites de contrôle en service de gynécologie-
obstétrique voire même à ne pas se faire suivre du tout. Kelly et al. (1999) ont observé
1 million de femmes ayant accouché aux États-Unis et ont relevé que moins de 50 % de
celles présentant des troubles psychiatriques avaient été suivies pendant leur grossesse.
Le manque de suivi médical de ces femmes enceintes augmente le risque de non-
détection de problèmes médicaux majeurs tels que l'hypertension, le diabète
gestationnel ou encore le retard de croissance fœtale. Ces problèmes, à leur tour,
augmentent le risque de prématurité, de petit poids de naissance et toutes les
conséquences que ces problèmes entraînent eux-mêmes. Les troubles de l'humeur,
comme la dépression, sont une cause connue de la mauvaise qualité de suivi, du fait des
sentiments de faible estime de soi et de fatigue intense associés. Il existe donc un lien
direct entre DAN et risque médicaux pendant la grossesse et à la naissance qui font que
la DAN est un réel problème de santé publique.

Le trouble de personnalité borderline (TPB)


Le diagnostic de TPB est basé sur une constellation de critères cliniques dont
principalement une instabilité et impulsivité chronique dans les relations
interpersonnelles du sujet (Crandell et al. 2003). Décrit dans le DSM-IV selon 9 critères
regroupés en 3 domaines principaux (affect, identité et impulsivité), ce diagnostic est le
fruit d'une évolution très importante depuis les années 1970 et continue de faire débat
(Gunderson, 2009). Dans son état des lieux, Gunderson (2009) souligne que malgré une
littérature abondante, les patients atteints de ce trouble restent encore malgré tout très
stigmatisés et largement négligés, en particulier au niveau de la prise en charge. La
recherche s'est par ailleurs essentiellement intéressée au patient adulte (Paris, 2007),
investissant moins la dimension de la parentalité et les conséquences du TPB de la mère
sur sa relation à son bébé et sur son développement émotionnel et sociocognitif (Apter-
Danon et Candilis, 2005).
Pourtant, nous savons désormais que lorsque la mère présente un TPB, son trouble
irradie sur ses relations avec son enfant et donc sur l'enfant lui-même. Ce risque de
dysfonctionnement interactif et ses conséquences sur le développement de l'enfant sont
connus (Crandell, Patrick, et Hobson, 2003 ; Apter, Devouche, Garez, Valente, Genet,
Gratier, Dominguez et Tronick, 2016), mais encore assez peu explorés en petite enfance
en comparaison avec les recherches sur l'impact de la dépression postnatale sur
l'interaction précoce (cf. partie « La dépression anténatale »). Dans leurs études
microanalytiques des patterns interactifs entre des mères présentant un TPB et leur bébé
de 2–3 mois en situation expérimentale à travers le Face-to-Face Still Face Crandell et al.
(2003) et d'Apter et al. (2016) ont mis en évidence des perturbations dans l'interaction.
Les deux équipes ont décrit des interactions caractérisées par un style plus intrusif et
moins sensible de la part des mères présentant un TPB en comparaison à des dyades
tout-venant, mais leurs résultats diffèrent en partie en ce qui concerne les
comportements des bébés. Tandis que l'équipe de Crandell et al. (2003) n'a pas trouvé de
différences entre le comportement des bébés des deux groupes pendant le temps
d'interaction libre (T1), celle d'Apter et al. (2016) a constaté qu'à 3 mois les bébés de
mères présentant un TPB montrent plus de manifestations du système nerveux
autonome et suggère qu'à 3 mois déjà ces dyades présentent un pattern interactif assez
complexe de dysrégulation émotionnelle. Apter et al. (2016) expliquent cette différence
dans les résultats par l'âge des bébés au moment de l'étude. À 3 mois, les bébés
présentent un répertoire comportemental et émotionnel plus grand qu'à 2 mois, et la
répétition des patterns interactifs a permis au bébé de construire des attentes de plus en
plus spécifiques vis-à-vis du partenaire qu'est sa mère.

L'exemple de la parentalité prématurée


La prématurité est un problème pédiatrique constant de ces dernières décennies et les
différents troubles neurodéveloppementaux liés à la prématurité constituent un
important problème de santé publique (voir le chapitre 31). En France, la prématurité
représente 7,4 % des naissances en 2010, toutes prématurités confondues (DREES, 2011).
Au-delà de la dimension pédiatrique, la naissance prématurée d'un enfant
s'accompagne d'une entrée prématurée dans la parentalité, laquelle s'en trouve
également affectée. Forcada-Guex et al (2011) ont décrit le syndrome de stress post-
traumatique présenté par les parents de nouveau-nés prématurés. Ceux-ci sont
préoccupés en permanence par l'état de santé de leur enfant, entravés par ces
préoccupations qui les empêchent de se projeter et par conséquent de construire des
relations affectives précoces adaptées. Les auteurs mettent en évidence des
conséquences de la prématurité, non seulement sur la parentalité, mais également sur
les interactions : à 6 mois post-partum, les mères sont moins sensibles et tentent plus de
maîtriser les interactions avec leur enfant. Une naissance prématurée aurait tendance à
inhiber les capacités émotionnelles des parents par rapport à une naissance à terme.
La qualité des interactions précoces semble liée au degré de traumatisme subi : seules
des interactions précoces mères-enfants de bonne qualité apparaissent à même de
modérer les facteurs de risque familial (Minde, Whitelaw, Brown et Fitzhardinge, 1995).
Les interactions entre les mères et les nouveau-nés prématurés sont souvent loin d'être
optimales, impliquant une difficulté dans l'adaptation maternelle à la reconnaissance et
à l'ajustement des signaux de l'enfant, conduisant à une diminution du toucher
maternel, des vocalisations et du regard (Feldman, Eidelman, Sirota et Weller, 2002).
Zelkowitz et Papageorgiou (2005) ont mis en évidence que l'anxiété maternelle, évaluée
pendant l'hospitalisation de l'enfant en unité de soins intensifs en néonatalogie, est
associée à des réponses parentales moins efficaces, et ce, de la naissance jusqu'à l'âge
préscolaire de l'enfant.
Ces deux exemples illustrent des contextes psychosociaux parmi de nombreux autres
(troubles de la personnalité du parent, précarité sociale, isolement maternel, etc.)
susceptibles de mettre à mal la parentalité. Ces contextes à risque ne présument
toutefois pas du devenir de la relation précoce du parent avec le bébé, l'équation devant
intégrer l'inconnue « bébé ». La partie qui suit est ainsi dédiée aux débuts de la
communication et s'ouvrira sur une perspective psychopathologique.

Les débuts de la communication


La dyade mère bébé, à travers l'étude des phénomènes dynamiques de la relation,
constitue depuis plusieurs décennies, un terrain de recherche privilégié pour la
compréhension de ce qu'Isabella et Belsky (1991) décrivent comme les bases de son
développement social ultérieur. Dans une amorce de définition, Reddy et Legerstee
(2007) définissent la communication comme centrale dans la vie du bébé, non seulement
du point de vue du développement de la théorie de l'esprit, mais également parce
qu'elle est l'essence même de ce qui fait du bébé une personne dès le commencement et
une personne en devenir à la fois. Mais cette perspective est déjà parti pris et ne trouve
pas un plein consensus auprès des chercheurs qui ont alimenté la recherche dans le
domaine au cours des quatre dernières décennies.
En effet, la question de la compréhension des intentions d'autrui continue de diviser
la communauté scientifique. Précisément, il existe une controverse sur les compétences
sociocognitives qui sous-tendent la communication précoce. Certains auteurs défendent
l'idée qu'il faut attendre la fin de la première année voire de la deuxième année pour
que le bébé ait véritablement conscience de l'état mental d'autrui et de ce fait, soit
capable de communiquer (Barresi et Moore, 1996 ; Carpendale et Lewis, 2004 ;
Carpenter Nagell et Tomasello, 1998 ; Perner et Davies, 1991). Dans cette perspective
héritée du constructivisme piagétien, le bébé serait dépourvu des structures cognitives
et représentations mentales sur lesquelles s'appuie une connaissance du monde. Ainsi,
les discriminations précoces observées seraient sensorielles, et des comportements
comme l'imitation précoce de simples réponses réflexes à stimulations, du moins au
tout début. Pour d'autres auteurs, le bébé naît avec une capacité de compréhension
réciproque intime de l'autre et possède une capacité innée pour la communication
(Bruner, 1990 ; Gratier et Devouche, 2011 ; Legerstee, 2009 ; Reddy, 2008 ; Stern, 1985 ;
Trevarthen, 1998). Selon cette approche, le bébé présente dès la naissance un intérêt vis-
à-vis des émotions et des motivations de son partenaire et entre dès le début dans un
contact sympathique immédiat. Trevarthen (1988) propose le concept « d'intersubjectivité
primaire » pour désigner cette capacité innée du bébé pour l'intersubjectivité par
laquelle l'activité mentale est transmise d'un esprit à un autre.
Legerstee (2009) présente cette controverse au travers de l'opposition entre les
défenseurs d'une continuité développementale et les autres. Les théoriciens de la
continuité conçoivent le bébé comme prédisposé à une forme précoce de
communication qui serait une forme rudimentaire de celle que l'on voit émerger au fil
des mois pour prendre la forme que les autres théoriciens identifient comme la
première forme de communication (toujours au sens impliquant une compréhension de
l'état mental d'autrui). Selon Trevarthen (1998), le nouveau-né est prédisposé à de
nombreux invariants d'ordre supérieur (sensibilité du nouveau-né à la voix humaine, au
visage humain, aux expressions faciales ; cf. partie précédente), qui orientent ses
perceptions et actions. Dans cette perspective, la communication des premières
semaines de vie, essentiellement dyadique (ou personne-personne), laisse peu à peu
place à une forme plus élaborée, une communication triadique, référentielle, selon
laquelle le trio serait de type personne-personne-personne puis personne-personne-
objet (Bakeman et Adamson, 1984 ; McHale, Fivaz-Depeursinge, Dickstein, Robertson et
Daley, 2008).

La co-construction de l'espace dyadique


Feldman et Eidelman (2007) ont démontré que le nouveau-né de 2 jours de vie
manifeste sporadiquement des regards envers l'entourage et que les mères s'ajustent
alors à cet état d'éveil qu'elles jugent propice à la communication. Cet ajustement
maternel offre au nouveau-né ses premières expériences de contingence entre son
propre état interne et le comportement de sa mère. Feldman et Eidelman (2007)
observent par ailleurs que le bébé passe davantage de temps en état d'éveil alerte (ou
« calme et attentif », l'état 4 de l'échelle de Brazelton) lorsque la mère se montre
contingente. Ces résultats rejoignent les observations de Stern qui défendait déjà en
1985 que les mères étaient très tôt ajustées à leur bébé, épousant de manière étroite par
leur comportement ses signaux et états d'éveil. L'ajustement maternel semble en effet
très tôt faciliter et promouvoir l'engagement du bébé dans l'interaction (Papousek,
Papousek et Bornstein, 1985).
Stern (1993) propose l'expression « accordage affectif » pour décrire la réciprocité
intermodale des échanges, réciprocité non seulement comportementale, mais aussi
affective, et qui donne à l'enfant le sentiment d'être accompagné dans ses mouvements
et émotions. La dimension mutuelle de la communication des affects et des attentions
dans les interactions en face à face ainsi que le rôle actif que joue le bébé dans ce
premier partenariat sont désormais indiscutables (Reddy, Hay, Murray et Trevarthen,
1997). La co-construction, (Bruner et Hickman, 1983) la synchronie et la prise de tour
(Tronick, 1989), la co-régulation (Fogel, 1993), la sensibilité rythmique partagée
(Devouche et Gratier, 2001), le partage d'une base de temps commune (Brazelton,
Koslowski et Main, 1974) sont autant de qualificatifs qui insistent sur le caractère
dynamique (ou chacun modifie l'état de l'autre au cours des échanges), réciproque et
complémentaire de l'interaction dyadique mère-bébé. De nombreux auteurs ont tenté, à
travers une microanalyse des échanges, d'établir les patterns comportementaux
caractéristiques d'un ajustement contingent entre une mère et son bébé (Cohn et
Tronick, 1987, Symons et Moran, 1987,Van Egeren, Barratt et Roach, 2001, Devouche et
Gratier, 2001). Stern (1977) a appréhendé l'interaction précoce en s'intéressant
particulièrement à sa structure et à son réglage temporel. Il pense qu'un échange en face
à face, comme tout système communicatif, comprend des phases particulières, où les
comportements de chacun sont interprétés différemment selon leur position dans le
temps. D'après lui, l'interaction commence par une phase d'initiation ou un épisode
d'engagement se caractérisant par l'intention de la mère de capter et de maintenir
l'attention du nourrisson. Grâce à un rythme partagé auquel chaque partenaire est
sensible, cette phase permet ainsi la rencontre particulière des expressions de chacun au
cours de l'échange (Devouche et Gratier, 2001).

Rythme et protoconversation
« Le rythme partagé permet aux partenaires de se rencontrer à l'intersection de leurs
expressions vocales et corporelles » (Devouche et Gratier, 2001, p. 55). Le bébé semble
particulièrement attiré par le rythme spontané de la parole de la mère. C'est un rythme
qui n'est ni tout à fait aléatoire, ni tout à fait prévisible, et qui offre aux deux partenaires
un éventail de possibilités expressives. Plusieurs recherches ont mis en évidence que le
bébé vient au monde avec une capacité remarquable à appréhender le rythme. Dès
avant la naissance, le fœtus présente une attirance pour les événements rythmés
(Lecanuet et al., 1995) et des prématurés nés jusqu'à deux mois avant terme sont
capables de synchroniser leurs expressions vocales avec celles d'un adulte pour
participer à des protoconversations (Trevarthen, Kokkinaki et Fiamenghi, 1999).
Plusieurs auteurs ont relevé une coordination précoce entre les comportements de la
mère et ceux du bébé, ainsi qu'une régularité précise dans le timing interactif dès 2 mois
(Brazelton, Koslowski et Main, 1974 ; Brazelton, Tronick, Adamson, Als et Wise, 1975 ;
Trevarthen, 1977) qui atteste de l'aptitude très précoce du bébé à s'exprimer par le
rythme partagé.
Condon et Sander (1974) sont parmi les premiers à avancer que le rythme permet une
sorte d'accrochage entre la mère et son bébé. Selon Trevarthen (1999), l'échange précoce
mère-bébé s'apparente à un dialogue, ou à ce que l'auteur désigne par
protoconversation, soulignant son caractère très tôt réciproque malgré les compétences
encore limitées du bébé. Stern (1993) met l'accent sur la sensibilité du bébé à l'enveloppe
émotionnelle dynamique générée par les mouvements et les vocalisations de la mère.
Quant à Papoušek et Papoušek (1989), ils mettent en avant la primauté des imitations
parentales comme partie intégrante du support didactique intuitif que les parents
fournissent à leur bébé.
Ainsi, l'interaction mère-bébé peut-être représentée comme un triptyque composé de
la mère, du bébé et de l'espace dyadique au sein duquel se rencontrent les deux
partenaires. L'échange mère-bébé est abordé dans sa dimension dynamique : l'accent est
mis sur la dyade et sur la manière dont les comportements des deux partenaires se
coordonnent dans le temps. Les comportements de chacun tendent à se situer dans le
prolongement de ceux de l'autre, une mutualité qui est rendue possible par la
dimension temporelle et rythmique intrinsèque à l'échange.

Temps interactif et contingence sociale


À travers l'engagement réciproque, le bébé développe progressivement son sens du
partage d'expérience (intersubjectivité) lui permettant ainsi de mieux anticiper les
comportements de sa mère et de construire des attentes sociales. Séparément, mère et
bébé n'évoluent pas dans le même temps social et biologique, dans le même monde
temporel. L'interaction permettrait une rencontre dans un même monde temporel, un
espace mental de rencontres qui repose sur une unité temporelle commune. Le temps
interactif permet à chaque partenaire de partager le monde temporel de l'autre. Ce
partage favorise ainsi l'intégration de schémas comportementaux possédant une
certaine organisation temporelle, l'intégration de routines interactives propres à la
dyade. La répétition, la récurrence de liens psychologiques, la détection de la
contingence entre deux comportements sont autant de moyens de rendre le monde
moins imprévisible. L'espace de la dyade constitue le berceau de ces acquisitions en
offrant au bébé un monde temporel accessible. En intégrant des routines interactives, le
bébé emporte un morceau du temps interactif dans son monde temporel. Cette
intégration progressive d'associations comportementales permet au bébé de construire
des attentes, d'anticiper, et d'initier peu à peu la rencontre.
Plusieurs auteurs ont cherché à définir une fenêtre temporelle permettant d'apprécier
très précisément la contingence des comportements durant l'échange dyadique. Van
Egeren et al. (2001) soulignent le fait qu'un certain nombre d'études ayant recours au
paradigme d'habituation ont montré qu'un temps de latence de 3 secondes pouvait
provoquer le découragement des nourrissons dans l'association d'un évènement initial à
un évènement lui succédant. Les auteurs confirment ainsi les observations de Stern
(1977) qui suggèrent que lorsqu'une pause dans l'échange dure plus de 3 secondes, ce
qu'il appelle un temps mort, il y a désengagement du partenaire. Van Egeren et al. (2001)
évoquent également le fait que les recherches qui se sont intéressées plus précisément
aux temps de réponses dans la dyade utilisent pour la plupart des fenêtres temporelles
d'une durée courte (moins de 2 secondes). Papoušek et Papoušek (1989) ont estimé
qu'un temps de latence entre 200 msec et 500 msec indiquerait que la réponse du
partenaire serait non délibérée, Devouche et Gratier (2001) ont considéré qu'au-delà de
1,5 seconde, il y aurait une phase de désengagement au niveau vocal durant l'échange,
quant à Bigelow et Rochat (2006), ils se basent d'emblée sur une fenêtre temporelle de
1 seconde. Ces données différentes font donc état d'un manque de consensus
concernant la fenêtre temporelle la plus appropriée.
Selon Hains et Muir (1996), le nourrisson serait apte à former des attentes basées sur
son expérience antérieure afin d'identifier la contingence entre ses propres actions et les
conséquences qui en découlent. Stern (1977) insiste sur l'importance de la répétition des
stimuli à travers le tempo de la mère, répétitions permettant au bébé de prévoir les
comportements de son partenaire. D'un point de vue théorique, le concept de timing
énoncé par Trevarthen et Brazelton implique la prise en compte de cet aspect prévisible
des comportements des partenaires au cours de leur rencontre sur une base de temps
commune. Chaque partenaire garde de l'autre un souvenir ou une capacité
d'anticipation qui façonne sa ou ses réponses (Brazelton et al., 1974 ; Trevarthen, 1998).
L'appréciation de la contingence sociale à travers la notion de fenêtre temporelle n'est
pas aisée, et rares sont les recherches s'y étant intéressées. Ainsi, quantifier ce laps de
temps qui définit le sens même de la causalité entre deux comportements est d'un
intérêt majeur pour comprendre la dynamique des interactions précoces. L'enjeu est
d'autant plus important qu'il est indissociable de la question de l'intentionnalité des
comportements du bébé évoquée au début de cette partie. Les recherches récentes sur
l'échange vocal précoce présentées dans la partie suivante apportent un éclairage sur
ces questions essentielles pour la communication précoce.

Conclusion
La recherche a encore beaucoup de pistes à explorer pour mieux comprendre la manière
dont très tôt le bébé entre en communication avec le monde social qui l'entoure, et
comprendre ainsi quels chemins sinueux son développement peut parfois emprunter.

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CHAPITRE 37

La prise de risque à l'adolescence


Marianne Habib; Mathieu Cassotti

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La spécificité de la prise de risque à l'adolescence
Les modèles théoriques de la prise de risque à l'adolescence et arguments
expérimentaux
Conclusion et limites de ces modèles

Introduction
L'adolescence est communément définie comme une période de transition entre
l'enfance et l'âge adulte, qui s'accompagne de changements physiques (sur le plan
corporel et cérébral), cognitifs, émotionnels et sociaux. Cette période correspondrait
approximativement à la seconde décennie de vie. Elle commence au moment de la
puberté (aux alentours de 11–13 ans) pour se terminer entre 19 et 25 ans, l'entrée dans la
vie adulte pouvant être déterminée par des critères variables, tels que la majorité légale,
le début de l'indépendance financière ou encore l'entrée dans la vie professionnelle
(Casey, Getz, et Galvan, 2008 ; Galvan, Van Leijenhorst, et McGlennen, 2012). Cette
période de la vie peut être perçue comme un phénomène socialement et culturellement
déterminé, puisque des changements sociétaux – tels que l'allongement de la scolarité
obligatoire ou la réglementation du travail des mineurs – et hormonaux – le
déclenchement plus précoce de la puberté au cours du XXe siècle – ont contribué à étirer
dans le temps cette période développementale (Crone et Dahl, 2012). Cependant,
l'adolescence ne peut être comprise uniquement comme un phénomène sociétal, car les
adolescents présentent des caractéristiques particulières sur le plan cognitif,
comportemental et neurobiologique, qui conduisent à définir l'adolescence comme une
période de développement en tant que telle.
En effet, l'adolescence débute par un phénomène hormonal, la puberté, dont l'âge de
début varie selon les individus et en fonction du genre. La puberté jouant un rôle
majeur dans la définition de cette période, Galvan et al. (2012) proposent de distinguer
différentes phases au cours de l'adolescence, basées sur l'apparition des symptômes
pubertaires :
• la période de prépuberté, de 8 à 12 ans ;
• la période de puberté moyenne, de 13 à 15 ans ;
• la période de puberté tardive de 16 à 18 ans.
Cependant, la période de l'adolescence n'est pas uniquement définie par la puberté.
Différents changements neurocomportementaux sont observés durant cette période du
développement, tels que l'augmentation des tendances exploratoires, des changements
dans le traitement des récompenses et dans la recherche de sensation et de nouveauté
(Steinberg et al., 2008). Il a par exemple été montré que la recherche de sensation atteint
un pic à l'adolescence (entre 12 et 15 ans), comparé à l'enfance et l'âge adulte (Steinberg
et al., 2008). Ces changements neurocomportementaux ont été observés chez l'être
humain, comme au sein de différentes espèces animales au cours de la période de la
puberté, ce qui tend à soutenir que l'adolescence est une période développementale
particulière et commune à différentes espèces (Crone et Dahl, 2012).
Par ailleurs, l'adolescence, en tant que période de transition vers l'âge adulte, se
caractérise par une plus grande indépendance vis-à-vis de la famille et une meilleure
caractérisation de soi (de ses croyances personnelles et de ses standards). L'évaluation
de soi se fait à travers des dimensions sociales variées (sur le plan de l'apparence, des
activités sportives et extrascolaires, de l'appartenance à un groupe donné ou encore des
conduites morales), le point de vue des adolescents étant fortement susceptible de
varier en fonction des personnes en présence (Harter, Marold, Whitesell, et Cobbs,
1996 ; Steinberg et Morris, 2001). L'adolescence est ainsi une période au cours de
laquelle se produisent à la fois des changements comportementaux, neuronaux et
hormonaux.
La spécificité de la prise de risque à l'adolescence est un exemple emblématique des
influences variées qui s'opèrent à l'adolescence, car son explication repose sur des
changements développementaux qui s'opèrent à différents niveaux : cognitifs,
émotionnels et neurodéveloppementaux.

La spécificité de la prise de risque à l'adolescence


La prise de risque peut être définie comme l'engagement, délibéré ou non délibéré, dans
des conduites pouvant avoir des conséquences néfastes pour la santé ou le bien-être de
l'individu, telles que la consommation de substances psychotropes, la conduite en état
d'ivresse ou encore les relations sexuelles non protégées. La perspective de ces
conséquences négatives est bien entendu nuancée par la perspective de conséquences
positives, ce qui explique l'engagement dans ce type de conduite (Habib et Cassotti,
2015 ; Moore et Gullone, 1996). Notons que notre société valorise certaines formes de
prise de risque, qui s'apparentent à une recherche de découverte et de nouveauté, et
contribuent à forger l'identité (Furby et Beyth-Marom, 1992).
Ainsi, l'adolescence est une période au cours de laquelle la prise de risque augmente
de façon significative dans la vie quotidienne et semble même plus importante qu'à
l'âge adulte. Cet accroissement de la prise de risque conduit à une augmentation
massive des taux de mortalité et de morbidité par rapport à l'enfance (Dahl, 2004). La
mi-adolescence (de 13 à 16 ans) en particulier, qui est centrée sur les relations sociales
tout en opérant une distanciation des parents, est l'âge au cours duquel apparaissent les
premiers usages de substances illicites, abus d'alcool ou relations sexuelles non
protégées (EMCDDA, 2011 ; INSERM, 2014). Différents rapports nationaux et européens
s'accordent à dire que ces comportements risqués sont fréquents chez les adolescents
français, et le sont parfois plus que la moyenne européenne. En effet, les études
effectuées auprès des 15–16 ans révèlent que 42 % des adolescents de cette tranche d'âge
ont consommé de l'alcool au moins trois fois au cours du dernier mois et 20 % déclarent
avoir été soûl dans le mois écoulé (EMCDDA, 2011). En 2012, l'un des taux les plus
élevés pour la consommation du cannabis était observé en France, 39 % des adolescents
de 15–16 disaient avoir consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie et 24 %
disaient en avoir consommé au cours du dernier mois (EMCDDA, 2012). Enfin, 27,5 %
des 15–16 rapportent une relation sexuelle et parmi eux, 70 % rapportent ne pas avoir
utilisé de pilule contraceptive un quart disent ne pas avoir utilisé de préservatif.
En termes de santé publique, la compréhension des causes de cette prise de risque à
l'adolescence est critique, puisque cet âge de la vie est un âge de grande vulnérabilité
aux effets des drogues, le cerveau en particulier étant très sensible aux effets
neurotoxiques des drogues (Dahl, 2004). L'usage précoce de produits psychoactif peut
produire des changements à long terme sur le plan cérébral, pouvant conduire à des
dommages irréversibles, et peut être prédictif d'un usage nocif ou problématique des
drogues, d'addictions sévères ou de difficultés scolaires (EMCDDA, 2012 ; INSERM,
2014 ; Jones, Cservenka, et Nagel, 2016). Il s'agit donc de comprendre les raisons de
l'augmentation de cette prise de risque à l'adolescence.

Les modèles théoriques de la prise de risque


à l'adolescence et arguments expérimentaux
La prise de risque observée à l'adolescence pourrait a priori être attribuée à des
difficultés dans l'estimation ou la perception des risques associés à ce type de conduites.
Cependant, les adolescents présentent des capacités de prise de décision, d'estimation
des probabilités et de perception des risques qui sont souvent similaires à celle des
adultes en situation expérimentale (Habib et Cassotti, 2015 ; Reyna et Farley, 2006 ; Van
Leijenhorst, Westenberg, et Crone, 2008). Ainsi, un grand nombre de capacités
cognitives atteignent un niveau similaire à celui des adultes au milieu de l'adolescence,
telles que les capacités de raisonnement, de traitement de l'information, de perception
des risques et de probabilités (Steinberg, Cauffman, Woolard, Graham, et Banich, 2009).
Pour rendre compte de ce paradoxe d'un adolescent capable de percevoir les risques
au même titre que les adultes, mais s'engageant plus fréquemment dans des conduites à
risque, différents auteurs insistent sur la nécessité d'étudier la sensibilité aux risques et
aux récompenses dans une perspective intégrative en prenant à la fois en compte les
composantes cognitives et les composantes affectives (voir par exemple Casey et al.,
2008 ; Crone et Dahl, 2012 ; Steinberg, 2008).

Les changements neurobiologiques à l'adolescence


Une partie de la vulnérabilité et de la tendance à la prise de risque qui caractérise
l'adolescence pourraient s'expliquer par les nombreux changements neurobiologiques
qui se produisent au cours de cette période. La maturation cérébrale se poursuit, en
particulier dans les régions cérébrales dédiées au contrôle cognitif et aux traitements
affectifs et sociaux. Depuis une dizaine d'années, l'étude du développement cérébral des
adolescents a connu un fort engouement (voir Galvan et al., 2012 pour une revue de la
littérature sur le sujet). Ces travaux ont permis de mettre en évidence un décalage entre
la maturation des régions sous-tendant le contrôle cognitif et la maturation des régions
dédiées au traitement affectif qui pourrait expliquer ce paradoxe de la prise de risque à
l'adolescence (Casey et al., 2008 ; Chein, Albert, O'Brien, Uckert, et Steinberg, 2011 ;
Crone et Dahl, 2012).
Le système de contrôle cognitif joue un rôle crucial et nous distingue de la plupart des
espèces animales. Il se réfère à l'ensemble des processus cognitifs nécessaires à la
réalisation et au contrôle des réponses automatisées et des comportements complexes
dirigés vers un but, qui permettent par exemple de planifier nos actions, de faire preuve
de flexibilité ou encore de résister aux pensées ou aux comportements impulsifs et
inappropriés (Dahl, 2004 ; Houdé, 2000). Ce système repose sur l'activation des régions
du cortex préfrontal latéral (Somerville, Jones, et Casey, 2010).
Le système émotionnel est quant à lui responsable de la sensibilité aux récompenses, de
l'évaluation et de la prédiction des récompenses potentielles et du traitement des
stimuli émotionnels. Sur le plan cérébral, ce système impliquerait le striatum ventral,
l'amygdale et le cortex orbitofrontal (Chein et al., 2011).
Le premier modèle neurobiologique élaboré pour expliquer l'accroissement de la
prise de risque à l'adolescence s'appuie sur le décalage développemental existant entre
ces deux systèmes et a été élaboré par Casey et ses collaborateurs en 2008. Bien que le
contrôle cognitif soit plus efficient à l'adolescence par rapport à l'enfance, les régions
sous-tendant le système émotionnel deviendraient matures plus précocement que les
structures cérébrales impliquées dans le contrôle cognitif. Ce modèle postule que le
décalage développemental observé entre ces deux systèmes entraînerait une sensibilité
accrue du système émotionnel, conduisant les adolescents à privilégier les récompenses
immédiates et les sensations nouvelles au détriment de la prise en compte des
conséquences négatives sur le long terme (Casey et al., 2008 ; Yurgelun-Todd, 2007).
Chez les adultes en revanche, le système de contrôle cognitif serait plus à même de
réguler le système motivationnel, entraînant dès lors une diminution de la prise de
risque (Chein et al., 2011).
Ainsi, les adolescents présenteraient une sensibilité accrue aux stimulations
émotionnelles, ce qui réduirait leur capacité à contrôler les réponses automatiques, mais
erronées et attractives. Un des premiers arguments empiriques en faveur de ce modèle a
été apporté par Hare et al. (2008), qui ont élaboré un Go-NoGo émotionnel permettant
d'évaluer les capacités de contrôle cognitif et de régulation émotionnelle. Les tâches de
type Go-NoGo évaluent la capacité à supprimer des réponses impulsives et non
pertinentes. Lors des essais Go, le sujet doit produire une action, tandis qu'il doit inhiber
cette action lors des essais NoGo. Dans le Go-NoGo émotionnel, le participant doit
appuyer sur la barre d'espace lors des essais Go et ne pas appuyer lors des essais NoGo.
Le contexte émotionnel est manipulé par la présentation de visages avec une expression
émotionnelle (telle qu'une expression de joie). Lorsque la réponse du participant ne
repose sur aucune information émotionnelle, les adolescents présentent un pattern de
performance similaire à celui des adultes. En revanche, lorsque la décision est liée à des
stimuli émotionnels, les adolescents présentent davantage de réponses impulsives
(fausses alarmes) que les adultes et les enfants (Hare et al., 2008 ; Somerville, Hare, et
Casey, 2011). Sur le plan neurofonctionnel, les adolescents présentent une activation
inférieure à celle des adultes du cortex préfrontal latéral, lié aux capacités de contrôle
cognitif. En revanche, le striatum ventral est plus fortement activé lors de la
présentation de stimuli émotionnels chez les adolescents par rapport aux adultes et aux
enfants. Ces résultats confirment la présence d'un déséquilibre, à l'adolescence, entre le
réseau sous-tendant la sensibilité aux récompenses et le réseau impliqué dans le
contrôle cognitif.

L'influence du contexte socio-émotionnel sur la prise de


risque à l'adolescence
Un certain nombre d'études suggère toutefois que le modèle élaboré par Casey et al.
(2008) ne suffit pas à rendre compte de la complexité du phénomène de prise de risque
et notamment des étonnantes capacités de prise de décision que les adolescents
démontrent lorsqu'ils sont seuls en situation de laboratoire. Afin de compléter ce
modèle, l'équipe de Laurence Steinberg suggère que le déséquilibre entre le système
émotionnel et le système de contrôle cognitif serait d'autant plus important en contexte
social, lorsque les adolescents se trouvent en présence de leurs amis ou en situation de
comparaison sociale (Chein et al., 2011). Notons qu'à l'adolescence, les décisions se
prennent fréquemment en contexte social et les « récompenses » reposent souvent sur ce
contexte (être admiré, être accepté par le groupe, être aimé, se sentir utile, etc.). Ainsi,
les processus sociaux et affectifs vont souvent de pair à l'adolescence.
Afin de tester l'hypothèse selon laquelle la présence des pairs jouerait un rôle
significatif sur la prise de risque, Gardner et Steinberg (2005) ont confronté des
adolescents (âgés de 14 ans) et des adultes (âgés de 19 ans et de 35 ans) à une tâche de
simulation de conduite automobile. À chaque intersection, les participants devaient
décider ou non de freiner à l'approche d'un feu tricolore passant à l'orange. Plus la
voiture avançait, plus le participant gagnait des points, mais le non-respect de la
signalisation pouvait engendrer des accidents dramatiques conduisant à la perte de la
totalité des points engrangés pendant l'essai. La tendance à vouloir maximiser le
nombre de points entre ici en conflit avec le risque de tout perdre en cas d'accident. Les
participants effectuent soit cette tâche seuls, soit en présence de pairs. Dans la condition
de jeu individuel, les adolescents présentent une prise de décision légèrement aversive
au risque. En revanche, dans la condition de jeu en groupe, la prise de risque augmente
très fortement chez les adolescents, alors qu'elle ne varie pas chez les adultes les plus
âgés. Ainsi, en compagnie de leurs amis, les adolescents présentent une plus forte
tendance à la prise de risques que lorsqu'ils sont seuls (Gardner et Steinberg, 2005).
Cette étude a été reproduite à l'aide de l'imagerie cérébrale fonctionnelle, afin
d'étudier les zones cérébrales impliquées dans la prise de risque à l'adolescence (seul ou
en présence de pairs). Les adolescents présentent une activation plus faible du cortex
préfrontal latéral que les adultes, ce qui suggère que le système de contrôle cognitif des
adolescents est moins efficient que celui des adultes (Chein et al., 2011). Cependant,
l'activation de cette région n'est pas modulée par le contexte socio-émotionnel. Ainsi,
l'activation du système de contrôle cognitif est liée à l'âge, mais ne semble pas sensible à
la manipulation du contexte social. En revanche, les adolescents présentent une
activation plus importante des structures du système motivationnel (striatum ventral et
cortex orbitofrontal) par rapport aux adultes, et ce uniquement dans la condition de jeu
en groupe. L'activation du système émotionnel est donc liée à la présence des pairs à
l'adolescence, ce qui pourrait expliquer l'accroissement de la prise de risque dans ce
contexte.
Sur le plan comportemental, l'augmentation de la prise de risque observée dans ces
études pourrait s'expliquer par une sensibilité aux récompenses immédiates plus
importante en contexte social (par exemple en présence de pairs). Cette hypothèse a été
confirmée récemment à l'aide d'études basées sur une tâche de délai différé de
récompense (O'Brien, Albert, Chein, et Steinberg, 2011 ; Weigard, Chein, Albert, Smith,
et Steinberg, 2014). Dans cette tâche, les participants doivent effectuer un choix entre
une réponse immédiate (par exemple 500 € immédiatement) et une récompense différée
plus importante (par exemple 1 000 € dans 6 mois). Le délai de la récompense différée
varie de 1 jour à 1 an, selon les essais. En effet, la valeur subjective immédiate accordée
à une récompense différée, nommée aussi point d'indifférence, est plus faible lorsque la
prise de décision des adolescents est effectuée en présence d'amis. De plus, dans cette
même condition, le degré de dévaluation d'une récompense en fonction du délai (1 jour,
1 mois ou 6 mois, nommé taux de dévaluation) est plus important qu'en condition
individuelle. La présence des pairs renforce donc la préférence pour les récompenses
immédiates par rapport aux récompenses différées, ce qui pourrait expliquer
l'accroissement de la prise de risque observée à l'adolescence.
Par ailleurs, on peut se demander si cette augmentation de la prise de risque est la
conséquence du fait que les adolescents sont ignorants des risques potentiels, ce qui les
conduit à sous-estimer les risques dans un contexte social (comme le fait de traverser la
route en dehors d'un passage piéton). Knoll, Magis-Weinberg, Speekenbrink et
Blakemore (2015) ont souhaité déterminer si le degré de conformisme social à
l'adolescence variait en fonction de l'origine de cette influence (pair ou adulte) dans des
situations de prise de risque. Les participants, des enfants, des adolescents ou des
adultes, se sont vu proposer différents scénarios impliquant un risque potentiel pour la
santé (qui pouvait être modéré ou élevé), avant d'indiquer à quel point ils trouvaient
cette situation risquée. Après avoir indiqué leur propre perception du risque, ils
visualisaient la réponse donnée par un autre participant, qui était soit un adulte, soit un
adolescent et devaient à nouveau indiquer leur perception du risque. Cette étude
indique que les enfants perçoivent en moyenne les situations présentées comme plus
risquées que les adolescents et les jeunes adultes (avec une courbe en léger u inversé).
Par ailleurs, il existe une influence sociale à tous les âges. Tous les groupes d'âge
modifient leur réponse dans le sens de la réponse d'autrui et cette influence décroît avec
l'âge. Enfin, tandis que les enfants et les adultes se conforment plus souvent à la réponse
d'autrui lorsqu'elle vient d'un adulte, les jeunes adolescents (12–14 ans) sont plus
influencés par les réponses données par d'autres adolescents que par celles des adultes.
Ces résultats soulignent donc un effet de conformisme social à tous les âges, même si les
pairs ne sont pas physiquement présents. Cependant, le début de l'adolescence semble
être une phase cruciale au cours de laquelle les individus percevraient les situations
comme moins risquées et accorderaient plus de crédits à leurs pairs qu'à la figure
d'autorité qu'est l'adulte, qu'ils tendent à contester (Knoll et al., 2015).
L'ensemble des études citées précédemment souligne l'influence du contexte socio-
émotionnel sur la sensibilité aux récompenses des adolescents et permet d'apporter une
explication au paradoxe de la prise de risque à l'adolescence. Ainsi, l'augmentation de la
prise de risque, de la recherche de sensations et de la sensibilité aux récompenses
observée à l'adolescence ne serait pas uniquement le reflet d'une sensibilité accrue du
système émotionnel (et du striatum ventral). Ces comportements seraient fortement
modulés par le contexte social (comme la présence de pairs ou la compétition sociale)
dans lequel le choix s'effectue (Braams, Peters, Peper, Güroğlu, et Crone, 2014).
Cependant, ces études ne prennent pas en compte la sensibilité aux émotions
négatives au cours du processus décisionnel. Il a pourtant été mis en évidence que les
émotions négatives pouvaient avoir un impact important sur la prise de risque à l'âge
adulte (voir par exemple les articles de Blanchette et Richards, 2010 ; Mellers, Schwartz,
et Ritov, 1999 ; Zeelenberg et Pieters, 2007).

La prise en compte de la sensibilité aux conséquences


négatives
Afin de pallier ce manque, Monique Ernst (2014) a élaboré un modèle triadique basé sur
le développement et l'interaction de trois systèmes fonctionnels. Le premier système est
un système « d'approche », qui gère les récompenses et qui implique l'activation du
striatum ventral. Le second système est un système « d'évitement » des punitions (ou
pertes), qui implique l'activation de l'amygdale (centre de la peur), décrite comme un
« frein comportemental » protecteur contre les émotions négatives. Enfin, le troisième
système est un système de régulation, qui module les contributions relatives des deux
systèmes précédents. Il implique le cortex préfrontal et régule l'influence des systèmes
motivationnels et émotionnels (Ernst, 2014). La maturation de ces systèmes s'effectue
dans un ordre particulier qui affecte les comportements en fonction de l'âge. Ces trois
systèmes sont interdépendants sur le plan neuroanatomique et fonctionnel et leur
équilibre, ou déséquilibre, permet d'expliquer la tendance au risque. Par exemple, les
comportements impulsifs (qui peuvent se traduire par la recherche de récompenses
immédiates) et la prise de risque seraient le reflet d'une hyper-activation du système
d'approche conduisant à une recherche accrue des récompenses, combinée à un faible
évitement des stimuli potentiellement négatifs et à un contrôle cognitif peu efficient,
incapable de réguler l'augmentation de la prise de risque. À l'inverse, lorsque ces trois
systèmes sont à l'équilibre, ils permettent l'évitement des situations dommageables, le
système d'approche jouant également un rôle de motivateur. Certains arguments
expérimentaux corroborent l'hypothèse d'une compétition entre un système de
récompenses et un système d'évitement des punitions, en montrant que les adolescents
présentent un niveau d'activation de l'amygdale exagéré par rapport aux enfants et aux
adultes lors d'une tâche de régulation émotionnelle (un Go-NoGo émotionnel ; Hare et
al., 2008). Cependant, ce modèle triadique n'inclut pas directement l'impact du contexte
socio-émotionnel comme facteur influençant ces dynamiques.
Pourtant, le contexte socio-émotionnel peut influencer le ressenti d'émotions
négatives complexes à l'adolescence. Le regret, en particulier, est une émotion
hautement adaptative, car elle peut permettre de réduire la prise de risque. En effet, les
adolescents les plus à même d'anticiper les émotions négatives associées aux
conséquences de leurs actes ont moins tendance à s'engager dans des comportements
risqués (Galvan, Hare, Voss, Glover, et Casey, 2007). De plus, le fait d'inciter les
adolescents à anticiper le regret qu'ils ressentiraient après un comportement
potentiellement dangereux pour leur santé, comme les relations sexuelles non protégées
ou le tabagisme, contribue significativement à réduire leur intention de s'engager dans
de telles conduites (Conner, Sandberg, McMillan, et Higgins, 2006 ; Richard, Van Der
Pligt, et De Vries, 1996). Un contexte socio-émotionnel fort – tel qu'un contexte de
compétition sociale – semble biaiser l'évaluation rationnelle du regret chez les
adolescents (Habib et al., 2013). Lorsque les adolescents ont perdu de l'argent dans une
tâche de prise de décision informatisée, mais que leur compétiteur en a gagné, les
adolescents n'indiquent pas ressentir de regret alors qu'ils en sont parfaitement capables
dans une situation de jeu individuel (Habib et al., 2012, 2013). Sachant que le regret et
son anticipation peuvent contribuer à réduire la prise de risque à l'adolescence (Conner
et al., 2006 ; Richard et al., 1996), ces résultats pourraient en partie expliquer la forte
propension à la prise de risque observée à l'adolescence dans la vie quotidienne.

Conclusion et limites de ces modèles


Ces dix dernières années, l'adolescence est redevenue un objet d'étude majeur en
psychologie et en neurosciences développementales suscitant l'enthousiasme de
nombreuses équipes de recherches dans le monde. Nul doute que cet engouement doit
beaucoup aux modèles neuro-développementaux proposés par des auteurs comme
Casey, Steinberg et Ernst. Ces modèles ont rendu possible la démonstration
expérimentale d'une hypersensibilité émotionnelle à l'adolescence associée à une
immaturité des processus de contrôle cognitif. Ils ont également permis de placer le
contexte social au cœur des phénomènes de prise de risque. Cette approche au carrefour
de la psychologie du développement, des neurosciences cognitives et de la psychologie
sociale conduira nécessairement à enrichir notre compréhension de l'adolescence.
Toutefois ces modèles ne sont pas sans limites qu'il convient de considérer brièvement
ici.
En opposition avec la vision réductrice des modèles neuro-développementaux
présentés dans cette synthèse selon laquelle les émotions viendraient nécessairement
parasiter la prise de décision et stimuler la prise de risque exacerbée des adolescents,
l'Hypothèse des marqueurs somatiques (HMS), d'Antonio Damasio, suppose qu'un
« signal d'alarme » automatique (pouvant être conscient ou non) d'ordre émotionnel
conduirait, au contraire, les individus à faire attention aux résultats néfastes associés à
une action particulière et viendrait ainsi guider les processus décisionnels (Bechara et
Damasio, 2005). Plus spécifiquement, les individus développeraient, en réaction
immédiate à une stimulation déplaisante, une réponse émotionnelle primaire
impliquant des structures comme l'amygdale. D'après Damasio (1994), une trace de ces
marqueurs résultant des récompenses et punitions précédemment associées à un
contexte précis serait conservée en mémoire et pourrait être réactivée ultérieurement
dans des situations similaires afin de guider la sélection des options possibles. Ainsi, la
récupération des expériences émotionnelles antérieures entraînerait l'émergence d'un
marqueur somatique secondaire sous-tendu par le cortex préfrontal ventromédian
(CPFVM) qui permettrait de rejeter ou d'admettre rapidement certaines options
(Bechara et Damasio, 2005 ; Dunn, Dalgleish, et Lawrence, 2006). Les expériences
émotionnelles antérieures et leur récupération dans un processus d'apprentissage
pourraient avoir un rôle fondamental dans la prise de risque à l'adolescence que les
modèles neuro-développementaux actuels sous-estiment largement. Or, les études
récentes en psychologie soulignent une difficulté des adolescents à développer ce type
de marqueurs somatiques et à apprendre des conséquences négatives de leurs propres
expériences (Cassotti et al., 2014).
Par ailleurs, l'influence du contexte social dans la prise de décision a principalement
été décrite sous l'angle de son effet de stimulation sur la réactivité émotionnelle
conduisant à un pic de prise de risque à l'adolescence. On pourrait se satisfaire de cette
approche tant elle apparaît suffisante, selon certains chercheurs, pour expliquer les
comportements risqués des adolescents. Une fois encore, il s'agirait d'une conclusion
précipitée qui ne tiendrait pas suffisamment compte de la complexité que peuvent
revêtir les influences sociales.
Comme nous venons de l'expliciter, les adolescents éprouvent des difficultés à
apprendre de leurs propres erreurs dans les situations de prise de risque. Dans la
mesure où le contexte social semble un facteur déterminant à l'adolescence, nous
pouvons naturellement formuler la question suivante : les adolescents peuvent-ils
apprendre des erreurs de leurs camarades ? Cette vision plus positive de l'influence du
contexte social sur la prise de risque des adolescents fait actuellement l'objet de
recherches qui conduiront sans nul doute à nuancer les résultats antérieurs et enrichir
les modèles neuro-développementaux de l'adolescence.

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CHAPITRE 38

L'impact des nouvelles technologies


sur le développement
Marie Danet; Joël Billieux

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les TICs dans le développement
Les conséquences négatives associées à l'utilisation des TICs chez l'enfant et
l'adolescent
Conclusion

Introduction
L'usage d'écrans par les enfants et les adolescents s'est aujourd'hui largement
démocratisé, que ce soit pour le divertissement, la communication ou encore dans le
cadre des apprentissages. Malgré une littérature relativement récente, les conséquences
de ces usages, positives ou négatives, commencent à se dessiner.

Les TICs dans le développement


Le développement cognitif et les apprentissages
Les enfants sont de nos jours exposés de plus en plus précocement aux écrans, lesquels
se sont multipliés dans les foyers (smartphone, tablette tactile, télévision, ordinateur).
L'impact de l'usage des écrans sur le développement du langage de l'enfant dépend de
l'âge de ce dernier. En effet, avant l'âge de 18 mois, voire même 30 mois selon certains
auteurs, les jeunes enfants tendent à mieux apprendre (pas uniquement au niveau
langagier) dans un contexte d'interactions physiques que « virtuelles », c'est-à-dire via
les écrans (Linebarger, 2015 ; Radesky, Schumacher, et Zuckerman, 2015). On retrouve
souvent le terme de video deficit dans la littérature pour expliquer ce phénomène. Ce
déficit d'apprentissage lié aux écrans serait lié en grande partie au contenu qui, lorsqu'il
est interactif, permet un meilleur apprentissage linguistique qu'un contenu « passif »
(Radesky et al., 2015). Le contexte des interactions sociales demeure donc essentiel au
développement du langage chez les jeunes enfants (Roseberry, Hirsh-Pasek, et
Golinkoff, 2014). Le video deficit réside aussi dans la difficulté qu'ont les enfants à
transférer ce qui est perçu sur l'écran aux situations de la vie quotidienne (Zimmermann
et al., 2015). Après 24 mois, ce déficit se réduit pour certaines acquisitions. Les enfants
ont ainsi la possibilité d'apprendre du vocabulaire à partir de la télévision ou autre
média (Kirkorian, Wartella, et Anderson, 2008). Ainsi, il apparaît que le fait de regarder
la télévision est susceptible d'avoir un effet positif sur le développement du vocabulaire,
pour autant que cette activité soit réalisée sous supervision parentale (Linebarger, 2015).
L'influence des technologies de l'information et de la communication (TICs) s'étend
au-delà de l'accès à la parole. Certaines recherches font état d'une facilitation de
l'apprentissage de la conscience phonologique et de l'utilisation du langage écrit (voir
Burnett et Merchant, 2013) ainsi que de la compréhension en lecture grâce à la
possibilité d'associer des sons et des mots (Kucirkova, 2014). Les contenus enrichis des
livres électroniques et des applications destinées à la lecture, qui les rendent attractifs
pour les enfants, en seraient à l'origine. De plus, les enfants, aujourd'hui exposés
précocement aux TICs, ont acquis une certaine habileté et un sentiment de maîtrise dans
leur usage. Par conséquent, les outils numériques peuvent être perçus par les enfants
comme plus attractifs que les méthodes d'apprentissage traditionnelles. Les enfants sont
ainsi plus motivés et autonomes dans les apprentissages lorsqu'ils sont confrontés à du
matériel de type tablette (Flewitt, Messer, et Kucirkova, 2015 ; Roussel et Tricot, 2014).
L'implication des enfants, en termes d'intensité et de créativité, dans les tâches
d'apprentissage est d'autant plus forte lorsqu'ils ont la possibilité de personnaliser les
contenus, comparés à des applications moins interactives (Flewitt et al., 2015). On
observe également un effet des contenus interactifs sur la collaboration entre enfants
d'une même classe (Flewitt et al., 2015).
En contrepartie, ces environnements numériques très stimulants placent l'enfant dans
une situation d'attention divisée, ce qui peut nuire à la compréhension globale à la
lecture d'un texte (Radesky et al., 2015). L'utilisation des écrans place également
l'utilisateur dans une situation multitâche (possibilité de faire plusieurs choses
simultanément). Les conséquences de cette situation multitâche demeurent à ce jour
incertaines, certaines études ayant montré un effet facilitateur sur la capacité à passer de
manière flexible d'une tâche à une autre, alors que d'autres études mettent en évidence
des résultats opposés (voir Cardoso-Leite, Green, et Bavelier, 2015). Certaines études
montrent que l'usage d'écrans lors de tâches d'apprentissage permet une meilleure
concentration des enfants à la tâche (Flewitt et al., 2015). Cela s'observe notamment pour
des jeux vidéo où l'enfant exerce un rôle actif. Les jeux vidéo d'action permettraient
notamment d'améliorer les capacités d'attention visuelle, la flexibilité cognitive, les
capacités d'attention soutenue ainsi que l'efficience de certains processus de prise de
décision (voir Bach, Tisseron, Houdé, et Léna, 2013). Cependant, ces capacités ne se
généralisent pas à d'autres contextes que celui du jeu.
Pour finir, la question de l'apprentissage de l'écriture sur des supports numériques se
pose aujourd'hui dans les environnements scolaires. Dans ce contexte, les TICs peuvent
réduire l'anxiété que certains enfants éprouvent vis-à-vis du geste graphique (Beck et
Fetherston, 2003). Néanmoins, des données récentes suggèrent une meilleure
acquisition des principes alphabétiques lorsque l'acquisition des lettres est faite à
travers une approche multisensorielle (couplage vue/toucher ainsi que vue/geste
graphomoteur) (Labat, Vallet, Magnan, et Ecalle, 2015). En conséquence, l'usage des
nouvelles technologies ne doit pas se substituer à l'usage d'autres matériels plus
traditionnels.

Le développement socio-émotionnel
Les appels vidéo sont aujourd'hui pratiqués dès le plus jeune âge (ex : maintien des
liens parents-enfant lors des séparations). L'analyse de ces échanges vidéo avec les
enfants de moins de 2 ans montre que les parents adoptent des comportements
comparables à ceux utilisés en face à face, sont sensibles aux réponses de l'enfant et sont
capables de susciter son attention pour maintenir l'échange (McClure, 2015). Le jeune
enfant, quant à lui, serait capable de faire la distinction entre un échange vidéo avec un
proche versus une vidéo ordinaire (McClure, 2015). Ce type de données suggère que le
jeune enfant perçoit la contingence d'une interaction, même lorsque celle-ci se déroule
via un écran.
En ce qui concerne l'impact des écrans sur les interactions parents-enfant, les
chercheurs considèrent qu'ils ont, dans l'ensemble, un impact négatif sur la relation
parent-enfant (réduction des échanges parents-enfant, de l'attention portée aux enfants,
voir National Center for Infants, toddlers, and Families, 2013). D'autre part, les écrans
sont de plus en plus utilisés pour calmer les jeunes enfants (moins de 2 ans) ou encore
lors des repas (voir Radesky et al., 2015). L'impact de l'usage des TICs sur la régulation
émotionnelle demeure à ce jour pourtant peu étudié. Relevons toutefois que des
données récentes suggèrent une meilleure reconnaissance des émotions non verbales
après une période de cinq jours sans écran (Uhls et al., 2014).

Les conséquences négatives associées à l'utilisation des


TICs chez l'enfant et l'adolescent
Ces quinze dernières années, un nombre croissant d'études s'est intéressé aux
conséquences négatives associées à l'usage des TICs. Récemment, l'utilisation
problématique des TICs semble même avoir acquis le statut de « potentiel nouveau
trouble psychiatrique ». En effet, la cinquième édition du Manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux (DSM-5, American Psychiatric Association, 2013)
mentionne le « trouble lié à l'usage des jeux vidéo en ligne » dans sa section 3, qui
répertorie les troubles potentiels devant faire l'objet de recherches futures avant
inclusion définitive (voir Deleuze, Maurage, de Timary, et Billieux, 2016, pour une
approche critique en français). Plus récemment, un rapport de l'OMS a pour la première
fois attesté du fait que l'utilisation excessive des TICs est à considérer comme un
problème de santé publique (OMS, 2015). Le rapport des experts mandatés par l'OMS
souligne néanmoins que les troubles liés aux TICs sont hétérogènes. À titre d'exemple, il
convient de distinguer les usages addictifs des conduites antisociales (ex : cyber-
harcèlement), ou encore des conduites à risque telles que l'utilisation du téléphone
portable lors de la conduite d'un véhicule motorisé ; tous ces comportements pouvant
constituer de potentiels problèmes de santé publique distincts. L'usage problématique
des TICs est en outre à mettre en lien avec une variété d'activités (ex : communication
entre deux ou plusieurs individus, jeux vidéo, réseaux sociaux, activités sexuelles en
ligne) dont la fonction, les antécédents ou les conséquences ne sont pas comparables. Le
rapport de l'OMS met finalement en garde la communauté internationale quant aux
faiblesses méthodologiques de la plupart des études épidémiologiques existantes, le
manque de données longitudinales (notamment développementales), ainsi que le
corpus extrêmement restreint de données concernant la prévention ou le traitement des
troubles liés à l'utilisation des TICs.

L'usage problématique des TICs chez les enfants et pré-


adolescents
À quelques exceptions près, la plupart des études publiées à ce jour ont été conduites
auprès d'adolescents (âge ≥ 12 ans) et d'adultes (Kuss, Griffiths, Karila, et Billieux, 2014).
L'étendue des connaissances actuelles sur l'utilisation problématique des TICs par les
enfants et les pré-adolescents est donc très limitée, et cela en dépit d'une exposition sans
cesse grandissante des enfants aux TICs, que cela soit au sein du foyer familial ou via
les milieux éducatifs (Kabali et al., 2015). Une exception notable est l'étude longitudinale
menée par Gentile et al. (2011) à Singapour auprès d'un échantillon de 2998 enfants et
pré-adolescents et visant à déterminer les facteurs de risque liés à l'utilisation
pathologique des jeux vidéo et les conséquences associées. Cette étude, largement citée
dans la littérature scientifique, met en évidence l'existence de facteurs de risque
permettant de prédire le développement d'un trouble lié aux jeux vidéo, à savoir le
degré d'investissement (nombre d'heures passées à jouer), une pauvreté des
compétences sociales, et une impulsivité élevée. Par ailleurs, la présence d'un trouble lié
aux jeux vidéo décelée au premier temps de l'étude prédit un certain nombre de
conséquences négatives au deuxième temps de l'étude (2 ans plus tard), et notamment
une augmentation des symptômes dépressifs ou anxieux (anxiété généralisée et anxiété
sociale), ainsi qu'une diminution des résultats scolaires. Relevons qu'une des principales
limitations de cette étude est de ne pas avoir pris en compte les types de jeux vidéo
pratiqués (ex : jeux « en ligne » versus « hors-ligne », jeux à forte composante sociale ou
de compétition).

L'usage problématique des TICs chez les adolescents et


jeunes adultes
Chez l'adolescent et le jeune adulte, l'usage intensif des TICs, via différents types de
média (ex : ordinateurs, téléphones portables) et en relation avec différents types
d'applications (ex : jeux en ligne, réseaux sociaux), a notamment été associé à des
symptômes d'addiction (ex : perte de contrôle, obsessions), des symptômes
psychopathologiques (ex : dépression, anxiété, inattention, hyperactivité), des
conséquences sur le plan de la santé (ex : perturbation du sommeil, réduction de
l'activité physique, maux de tête et de dos, mauvaise alimentation), ou encore des
perturbations sur le plan des performances scolaires (Gentile et al., 2011 ; Männikkö,
Billieux, et Kääriäinen, 2015 ; Thomée, Härenstam, et Hagberg, 2011).
Au-delà de leur usage excessif ou « addictif », les TICs ont aussi été mis en lien avec
une variété de comportements antisociaux, agressifs ou à risque. À titre d'exemple,
plusieurs études (dont des méta-analyses) semblent montrer que la pratique de certains
types de jeux vidéo violents promeut les conduites agressives (Bushman, Gollwitzer, et
Cruz, 2015). Relevons toutefois que l'effet des jeux vidéo sur la violence est largement
sujet à controverse dans la communauté scientifique. Ainsi, selon Ferguson (2015), les
effets démontrés seraient au moins partiellement attribuables à des biais de sélection
dans les méta-analyses publiées. Ces dernières années, une attention croissante a
également été portée au phénomène dit de cyber-harcèlement (pour une revue, voir
Tokunaga, 2010). L'expansion des conduites de cyber-harcèlement peut notamment être
attribuée à la popularité croissante des réseaux sociaux chez les (pré)adolescents ainsi
qu'à la démocratisation des smartphones (qui permettent par exemple de réaliser des
photos humiliantes aisément diffusables via des réseaux sociaux ou des messageries
instantanées). D'autres phénomènes, moins étudiés à ce jour, revêtent néanmoins un
caractère préoccupant. C'est notamment le cas du sexting, qui consiste à faire circuler à
ses pairs des photos de soi-même à caractère érotique ou sexuel, et cela en dépit des
conséquences négatives qui pourraient en résulter (ex : diffusion des photos par des
pairs mal intentionnés, regrets liés au fait d'avoir envoyé un sexting impulsivement sans
en mesurer les conséquences, voir Dir, Cyders, et Coskunpinar, 2013).

Conclusion
L'impact de l'usage des TICs sur le développement de l'enfant et de l'adolescent s'opère
à plusieurs niveaux. Il touche aux sphères cognitive, émotionnelle, et relationnelle de
l'individu, et peut parfois être lié à des troubles psychopathologiques. Ce champ de
recherche étant en plein essor, les recherches futures nous permettront certainement
d'avoir une meilleure vision des impacts à long terme de l'usage des TICs sur le
développement de l'enfant et de l'adolescent.

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CHAPITRE 39

L'entrée dans le monde adulte, couple


et parentalité
Raphaële Miljkovitch

PLAN DU CHAPITRE
L'adolescence : une transition vers le monde adulte
Les facteurs en jeu dans la « crise d'adolescence »
C'est quoi être adulte ?
La vie amoureuse
La naissance d'un enfant

L'adolescence : une transition vers le monde adulte


L'adolescence est une période charnière entre l'enfance et l'âge adulte pendant laquelle
il s'agit de passer du stade d'être dépendant à celui d'être autonome, voire responsable
d'autrui. La survenue de la puberté prédispose l'individu à cela, en le poussant vers un
partenaire sexuel et en l'amenant à pouvoir se reproduire. La maturation diminue en
même temps le besoin de trouver en l'autre protection et sécurité et augmente
l'autonomie et les capacités d'exploration. Il n'en reste pas moins que la plupart des
adolescents continuent de se tourner vers leurs parents en cas de stress majeur
(Steinberg, 1990) et que les parents continuent d'être des figures d'attachement jusqu'à
l'âge adulte (Fraley et Davis, 1997). Naturellement, le jeune est donc enclin à se
détourner de ses parents pour investir de nouvelles sphères relationnelles. Ce transfert
peut parfois poser problème, selon les modalités relationnelles qui ont été mises en
place au sein de la famille.
Cette prise d'autonomie par rapport aux parents participe au processus de
différenciation. Étant moins dépendant d'eux pour satisfaire ses besoins d'attachement,
il n'est plus aussi indispensable à l'adolescent de s'assurer de leur soutien (Kobak et
Cole, 1994). Main et ses collègues (Main et Goldwyn, 1984 ; Main, Goldwyn et Hesse,
2003) désignent la liberté cognitive et émotionnelle par la notion d'« espace
épistémique », espace qui permet d'évaluer les parents de manière plus objective. À
cette liberté de penser s'ajoutent des capacités cognitives accrues qui participent, elles
aussi, à la différenciation de l'adolescent. Les progrès cognitifs de l'adolescent l'amènent
à envisager ses différentes expériences de manière plus globale, participant ainsi à la
formation de sa personnalité. En atteignant le stade des opérations formelles, il devient
plus aisé pour lui de réfléchir de manière abstraite, en conjuguant des informations
contradictoires. Ainsi l'adolescent devient capable de comparer ses différentes relations
entre elles ou à un idéal. Ce faisant, il a le moyen de « des-idéaliser » ses parents, en les
voyant avec leurs qualités et leurs défauts (Steinberg, 2005). Ce processus réflexif ne va
pas sans ébranler la relation avec les parents et peut trouver une issue variable, selon la
manière dont cette période de tumultes est gérée. L'ajustement que demande le
nouveau positionnement de l'adolescent constitue un moment critique, en ce qu'il s'agit
pour lui de résoudre des désaccords dans la relation d'attachement, une capacité qui lui
sera utile dans les relations qu'il pourra établir par ailleurs.
En transférant ses besoins d'attachement des parents vers ses pairs, l'adolescent entre
dans un mode de relation différent, car symétrique. La moins grande dépendance vis-à-
vis du partenaire modifie les comportements d'attachement à son égard, par rapport à
ce qui pouvait s'observer auprès des parents (Miljkovitch, 2009). Cette moins grande
dépendance peut aussi rendre le fonctionnement de l'adolescent plus souple et ainsi lui
permettre d'être plus « opportuniste » dans le choix de ses figures d'attachement, en
s'attachant de manière transitoire selon le besoin du moment (Allen, 2008). Plutôt que
de chercher à définir l'attachement à l'adolescence tel qu'il est défini pour le jeune
enfant, Allen (2008) propose d'en avoir une conception continue, selon laquelle les
relations à l'extérieur de la famille ont de plus en plus une fonction d'attachement,
même si cette fonction est moins immédiate et cruciale que dans la relation précoce avec
les parents et plus « diluée » à travers les différentes relations. Mais joint à la pulsion
sexuelle, le système d'attachement pousse malgré tout à l'établissement de relations
intenses et proches, qui prennent le pas sur les relations vis-à-vis des parents. La
sexualité motive l'adolescent à approfondir la relation avec le partenaire ; le partage de
nouvelles expériences intimes le détourne encore davantage de ses parents.

Les facteurs en jeu dans la « crise d'adolescence »


La qualité de l'attachement
La « crise d'adolescence » n'est en aucun cas systématique (Steinberg et Morris, 2001).
Mais la facilité avec laquelle la transition vers l'âge adulte se fera va dépendre
notamment de la qualité de la relation entre l'adolescent et ses parents. S'il existe, au
préalable, un « partenariat corrigé quant au but » (Bowlby, 1973), c'est-à-dire un mode
de communication ouvert, où chacun tient compte des besoins et contraintes de l'autre,
la demande d'autonomie de l'adolescent pourra être entendue et encadrée sereinement
(Allen, 2008). On constate effectivement que les adolescents sécures parviennent à gérer
le différend avec les parents à travers des discussions constructives permettant de
préserver la relation entre eux, malgré la plus grande autonomie (Allen, Porter,
McFarland, McElhaney, et Marsh, 2007). Becker-Stoll, Delius et Scheitenberger (2001)
ont même constaté que les adolescents permettent à leurs parents de répondre plus
sensiblement à leurs besoins, en leur exprimant plus clairement ce qu'ils attendent. À
l'inverse, la difficulté à communiquer est caractéristique des dyades insécures, que cette
difficulté émane des parents (Reimer, Overton, Steidl, Rosenstein, et Horowitz, 1996) ou
non.
On sait que l'adolescent insécure a davantage tendance à se sentir débordé par les
affects provoqués par les désaccords (Kobak, Cole, Ferenz-Gillies, Fleming, et Gamble,
1993) ; il peut ainsi percevoir ces derniers comme une menace à une relation déjà perçue
comme fragile. Une redéfinition de la nature du lien peut s'en trouver affectée et
bloquer le processus adolescent. Alors que le jeune évitant1 aura tendance à ne pas
entrer en matière pour négocier des réaménagements (Becker-Stoll et Fremmer-Bombik,
1997), l'adolescent préoccupé (ambivalent), lui, sera plus enclin à se lancer dans des
disputes infructueuses, qui n'ont finalement pour effet que de le maintenir dans un lien
enflammé avec ses parents, au détriment d'autres relations (Allen et Hauser, 1996).
Cette implication forte vis-à-vis des parents se retrouve encore à l'âge adulte : les jeunes
préoccupés ont plus de difficultés à quitter la maison pour faire leurs études et
continuent d'entretenir des liens animés avec leurs parents (Bernier, Larose, et Whipple,
2005).
En bref, la qualité de l'attachement au parent va jouer un rôle important dans la
capacité à prendre son envol. À travers ces remaniements au sein de la relation,
l'adolescent teste à nouveau ses parents comme base sécurisante, voit jusqu'à quel point
il peut compter sur leur soutien. Les relations problématiques le freinent dans son élan
vers l'extérieur et dans l'établissement de relations avec les pairs, tandis que les relations
sécures vont lui permettre d'explorer sans crainte le monde adulte (Gavin et Furman,
1996). On relève d'ailleurs de meilleures habiletés sociales vis-à-vis des pairs chez les
adolescents sécures (Allen et al., 2007 ; Weimer, Kerns et Oldenberg, 2004 ;
Zimmermann, 2004).

Le fonctionnement familial
Il va sans dire que l'attachement de l'adolescent à l'égard de ses parents est intimement
lié à la manière dont ceux-ci s'occupent de lui. Les systémiciens, qui s'intéressent
particulièrement aux influences mutuelles entre parents et enfants, se sont penchés sur
la manière dont les parents participent à ce départ du jeune de la famille. En
l'occurrence, ils se sont davantage focalisés sur ce qui peut venir freiner ce processus
d'autonomie. Jay Haley (1980/1987) va jusqu'à dire que les apparentes
psychopathologies déclarées par le jeune au moment où il est censé devenir
indépendant ne sont en fait qu'une manière de préserver l'équilibre familial, autrement
menacé.
Dans la même lignée, Salvador Minuchin (1974) considère que le symptôme est le
marqueur d'une structure familiale dysfonctionnelle. Le symptôme surviendrait à un
moment critique où la famille, du fait de pressions internes (comme l'entrée dans l'âge
adulte d'un enfant, la naissance d'un cadet, etc.) ou externes (événements extérieurs à la
famille), est amenée à devoir s'adapter et mettre en place un nouveau mode d'échange
entre ses membres. L'accès de l'enfant au monde adulte suppose des réaménagements à
la fois physiques (par exemple, parents désormais seuls à la maison) et relationnels
(plus grande symétrie dans les rapports entre parents et enfants). Dans certains cas, de
tels changements peuvent sembler menaçants et ainsi pousser la famille à cristalliser
son fonctionnement pré-existant. Car en acceptant une telle évolution, les parents
perdent encore davantage le contrôle sur ce que fait leur enfant. Il s'agit aussi pour eux
de se réorganiser en tant que couple, leur fonction parentale n'étant plus au premier
plan. Betty Carter et Monica McGoldrick (1989) ont redéfini le « cycle de vie de la
famille », suggérant que le développement de l'individu est fonction de celui de la
famille. Autrement dit, la famille exerce un rôle important dans la prise d'indépendance
de l'enfant.
D'après Minuchin la manière dont cette transition se fait dépend de la structure de la
famille. Celle-ci est déterminée notamment par qui a le « pouvoir », c'est-à-dire qui
prend les décisions. Selon sa conception, il est capital que ce soit les parents qui
détiennent ce pouvoir. Dans le cas contraire, les frontières entre générations sont floues,
ce qui n'est pas sans poser problème. Ainsi décrit-il une typologie des familles selon un
axe allant de frontières diffuses à des frontières rigides. Dans le premier cas, il parle de
« familles enchevêtrées » : les frontières individuelles y sont brouillées, la différenciation
de l'individu diffuse. Ceci a pour conséquence que ce qui arrive à l'un se répercute de
manière importante sur les autres. Inutile de dire que dans un tel système, qui prône
l'interdépendance entre ses membres, le détachement d'un individu de la famille va à
l'encontre des modes d'échanges mis en place. La famille est ainsi amenée à résister à
toute tentative de départ.
Pour Haley (1973), le comportement problématique du jeune serait induit par un
problème de couple entre les parents. Ainsi, plutôt que d'y être confrontés, les parents
bénéficient, « grâce » aux difficultés de leur enfant, de sa présence continue, présence
qui en plus, permet de monopoliser l'attention sur lui et de la détourner de leurs
problèmes conjugaux. Dans son approche stratégique, Haley recommande alors
d'instrumentaliser le symptôme de l'enfant comme prétexte pour amener les parents à
collaborer et s'entendre, et ainsi surmonter leurs différends sous-jacents.
Dans le cas d'une famille rigide, c'est l'assouplissement des rôles qui va poser
problème. Les parents rechignent à laisser leur jeune prendre ses propres décisions et
s'affranchir de leur autorité. Cela nous renvoie à la tâche principale de l'adolescence
soulignée par Erik Erikson (1972) qui est de développer son sentiment d'identité.
Murray Bowen (1978) a d'ailleurs beaucoup développé la notion de « différenciation »
et la manière dont elle découle du fonctionnement familial. Il a ainsi décrit un processus
de triangulation, qui consiste à inclure un tiers dans une relation à deux lorsque celle-ci
pose problème. En l'occurrence, un parent frustré dans sa relation de couple peut se
tourner vers son enfant pour compenser ce manque ressenti. L'autre parent serait ainsi
soulagé de ne plus devoir répondre aux attentes de son/sa partenaire et participerait, en
restant à l'écart, à ce fonctionnement familial. L'enfant devient alors le réceptacle des
doléances parentales et est mis en position de devoir se préoccuper du bien-être de
l'adulte. C'est cette « contamination » qui viendrait entraver la bonne différenciation de
l'enfant. (Bowen suggère en outre que la relation qui s'établit entre les parents et leur
enfant est elle-même le produit de la relation qu'ils ont eue avec leurs parents respectifs
et ce, sur plusieurs générations.)
D'après Bowen, plus il y a une fusion émotionnelle entre les générations, plus le
risque de coupure émotionnelle est grand. Le besoin d'indépendance peut se traduire en
termes physiques (par exemple, vivre très loin de ses parents) ou psychologiques (par
exemple, éviter de parler de sujets intimes, ne jamais être seul avec le parent). Malgré
une autonomie apparente, ces personnes peuvent devenir soumises et effacées face à
leurs parents une fois en contact avec eux.
Les personnes indifférenciées sont définies par Bowen comme étant gouvernées par
une accumulation de sentiments de la part des gens qui les entourent. Ce manque de
différenciation les amènerait à adhérer aveuglément à ces sentiments ou à les rejeter
avec véhémence. Elles réagiraient donc de manière émotionnelle : en conformité ou à
l'inverse des dictats familiaux. À l'inverse, les personnes différenciées, parce qu'elles
n'ont pas été impliquées dans les problèmes des autres membres de leur famille,
arrivent à penser par elles-mêmes. Cette capacité leur permet d'établir une relation
proche avec autrui, sans pour autant perdre leur identité. Cela nous ramène à la notion
de frontières de Minuchin, frontières souples en l'occurrence, car à la fois perméable aux
autres, mais sans menace pour son sentiment d'identité.
On voit donc que la quête d'identité est précipitée au moment où le jeune entre en âge
de quitter le domicile. Mais selon les aléas de la relation avec les parents, celle-ci sera
plus ou moins facilitée. Dans le cas où l'enfant ne parvient pas à se libérer de l'ascendant
de ses parents, la quête peut se prolonger bien au-delà de l'entrée à l'âge adulte.

C'est quoi être adulte ?


Selon Arnett (2000) et contrairement à ce que prévoyait Erikson, la quête d'identité
aurait essentiellement lieu au début de l'âge adulte. Il cite des recherches qui suggèrent
qu'un sentiment d'identité abouti est rarement accompli à la fin du secondaire
(Waterman, 1982) et que cela se prolonge généralement entre 20 et 30 ans (Valde, 1996 ;
Whitbourne et Tesch, 1985). D'ailleurs, lorsqu'on demande aux 18–25 ans s'ils se sentent
adultes, près de 60 % d'entre eux répondent « d'un côté oui, d'un autre non » (Arnett,
2000). Ce taux descend à 30 % pour les 26–35 ans, puis à moins de 10 % pour les 36–
55 ans. Ainsi ont-ils le sentiment d'avoir quitté l'adolescence, sans être véritablement
devenus adultes.
Les adolescents et jeunes adultes considèrent que le fait d'être un adulte ne repose pas
tant sur des transitions démographiques telles que la fin des études, le début d'une
carrière, le mariage ou le fait de devenir parent, mais plutôt sur des traits de
personnalité et plus précisément, sur le fait de prendre ses responsabilités et de prendre
ses décisions de manière autonome. Mais dans les faits, la plupart des adultes disent
que c'est après avoir eu un enfant qu'ils se sont sentis véritablement adultes. Les parents
considèrent cet événement comme le marqueur le plus important dans l'accès vers l'âge
adulte (Arnett, 1998). Il ne s'agit plus simplement d'être responsable pour soi-même,
mais de le devenir aussi pour quelqu'un d'autre.
Le passage au stade d'adulte succéderait, d'après Arnett, à une période d'exploration
intense « d'adulte émergent » (période désignée emerging adulthood). En d'autres termes,
avant de se stabiliser dans une vie bien tracée, le jeune expérimente différentes options
de vie sur les plans de l'amour, du travail et de la vision du monde. La notion d'adulte
émergent s'inscrit dans la continuité d'autres travaux : la notion de « moratoire psycho-
social » d'Erikson, qui suppose un cocon permettant de tester différents rôles, en
repoussant les engagements et les responsabilités à plus tard. Daniel Levinson avait
aussi introduit la « phase novice » dont l'objectif est d'aller vers une structure de vie
stable, mais qui se caractérise par une grande instabilité dans les domaines du travail et
des relations amoureuses. Keniston (1971) a quant à lui décrit la « jeunesse » (youth)
avec l'expérimentation continue de rôles typiquement adolescents et d'autres
typiquement adultes. Il s'agit, selon cet auteur, d'un moment de tension entre soi et la
société, avec un refus de socialisation.
Enfin Parsons et Parsons (1942) avait souligné l'existence de cette période de vie
comme étant la seule sans norme démographique, les situations de vie étant très
diverses. En reprenant ce point, Arnett relève par exemple que 40 % des adultes
émergents vivent indépendamment de leurs parents et que les 2/3 ont vécu en couple.
Cela laisse une proportion importante de jeunes, dont le mode de vie ne correspond pas
à ce schéma. Aussi s'agit-il de la période de vie où le taux de changement de domicile
est le plus élevé, ce qui témoigne, là encore du passage d'une période d'exploration à
une autre.
La vision du monde est elle aussi très changeante durant ce stade. Au départ, le jeune
est habité par les valeurs qui lui ont été inculquées pendant l'enfance et l'adolescence.
Mais avec les études ou le travail, il s'expose à d'autres visions du monde qui
participent à l'élaboration de ses propres opinions.
Arnett souligne par ailleurs que les comportements à risque atteignent des pics chez
les jeunes adultes (environ 21–22 ans), davantage encore que chez les adolescents. Le
plus classiquement, il s'agit de conduites sexuelles à risque, de consommation de
substances ou encore d'un comportement routier à risque (vitesse, conduite en état
d'ivresse, etc.). Cette prise de risque est favorisée par le relâchement du contrôle
parental, de même que par l'absence de contraintes quant à un rôle à tenir (exemple rôle
de parent, d'époux, etc.).
En bref, Arnett considère qu'il est important de distinguer cette période d'adulte
émergent de l'adolescence et de l'âge adulte proprement dit. Selon lui, cette phase
débute à 18 ans, âge de la majorité, mais sa limite supérieure est plus floue, même si le
plus souvent, elle se situe à la fin de la vingtaine-début trentaine. Dans ses deux stades
limitrophes, la variabilité des situations est bien plus faible. À l'adolescence, la majorité
des jeunes vivent avec leurs parents, se trouvent au lycée ou dans une filière
professionnelle, fréquentent les pairs de l'école. Ces caractéristiques communes ne
concernent plus nécessairement les adultes émergents. Quant aux adultes (non
« émergents »), la plupart se trouvent dans une situation stable, le plus souvent en
couple avec enfant(s), avec un travail fixe. La notion d'adulte émergent paraît d'autant
plus pertinente qu'elle correspond au vécu subjectif des jeunes adultes d'être à la fois
adultes, et pas tout à fait encore.

La vie amoureuse
Parmi les domaines dans lesquels la personne se stabilise au cours de sa vie adulte, on
retrouve celui des relations amoureuses. Malgré une période de plus grande instabilité
chez l'adolescent et l'adulte émergent, le fonctionnement amoureux de l'adulte s'inscrit
dans la continuité de l'enfance (Miljkovitch, 2009). En effet, les « règles relationnelles »
qui ont été apprises au sein de la famille, puis dans les relations affectives successives
en dehors de celle-ci, influencent l'individu dans son fonctionnement amoureux.
La notion de modèle interne opérant (MIO) de John Bowlby (1980) rend bien compte
des continuités entre l'enfance et l'âge adulte. Rappelons que cette notion renvoie à des
modèles de relations qui se mettent en place dès le début de la vie, à partir de ce que le
bébé « enregistre » de ses interactions quotidiennes avec son entourage familial. Une
fois constitués (bien qu'ils restent ouverts au changement), ces modèles influencent
l'individu dans sa perception des relations : il interprète les nouvelles informations à la
lumière de ses expériences vécues. C'est ainsi que le sentiment de confiance se construit
dès les premières années de la vie. Les intentions qui sont attribuées aux autres et la foi
en leurs sentiments dépendent notamment de ces premières expériences.
Cette perception des relations vient évidemment conditionner l'envie d'être en
couple. Alors que les personnes sécures abordent le couple de manière confiante,
d'autres personnes sont susceptibles de voir dans les relations amoureuses l'occasion de
souffrir à nouveau. Dans ces cas, la volonté d'échapper à des affects négatifs déjà
connus entraîne une difficulté à rester en couple. Par exemple, il apparaît que la
tendance à désinvestir une relation alors même qu'elle semblait se consolider apparaît
cinq fois plus souvent chez les personnes qui ont connu des pertes significatives durant
leur enfance (Miljkovitch, 2009). La première relation amoureuse semble aussi
déterminante pour l'envie de s'établir (ou non) dans une vie à deux : celle-ci est décrite
comme moins rassurante par les personnes célibataires que par les personnes en couple
(le plus souvent avec une autre personne que ce premier amour).
La rupture peut se fonder sur des interprétations erronées, car ce qui est perçu chez
l'autre, ce n'est jamais le reflet exact de ses pensées. Il s'agit en fait d'une lecture à
travers le prisme de son propre passé (les MIO). C'est ainsi que quelqu'un qui a maintes
fois été repoussé, sera plus enclin à attribuer des intentions de rejet chez les personnes
qu'il côtoie, et en l'occurrence, chez son partenaire amoureux (voir Miljkovitch, 2009).
Parallèlement aux MIO qui se sont construits, la personne a mis en place un
fonctionnement relationnel qui lui est propre et qui est susceptible de se reproduire
dans ses différentes relations. C'est ainsi que les stratégies d'attachement de l'adulte
dans sa relation de couple seraient le plus souvent les mêmes que celles utilisées dans le
passé vis-à-vis de ses parents (Miljkovitch, 2009). Les personnes qui disent s'être
« oubliées » (compulsive compliance) dans la relation avec leurs parents ont tendance à
faire de même avec leur conjoint ; celles qui ont appris à taire leurs besoins ont du mal à
être proches de leur partenaire amoureux (s'il y en a un) ; celles qui expriment
facilement ce qu'elles ressentent dans le couple rapportent la même chose avec leurs
parents ; celles qui hyperactivaient leur système d'attachement, en ayant des demandes
d'attention importantes, revendiquent leur insatisfaction ou leur besoin de réassurance
dans le couple aussi. D'une manière similaire, le célibat s'inscrit souvent dans la
continuité d'une enfance où la personne a appris à ne pas trop se reposer sur les autres
et à être autonome très tôt (compulsive self-reliance).
Des études longitudinales (Grossmann et al., 2005 ; Miljkovitch et al., 2015) tendent à
confirmer ces résultats d'étude rétrospective (Miljkovitch, 2009) : il apparaît en effet que
le style d'attachement à l'égard du partenaire amoureux est prédit par celui à l'égard de
la mère. En revanche, aucune influence du père ne ressort. Ceci suggère que ce serait
surtout la relation avec la mère (ou peut-être plutôt la principale figure d'attachement)
qui joue un rôle dans les modalités amoureuses de l'adulte.

La naissance d'un enfant


La relation qui s'établit avec sa progéniture n'est pas non plus indépendante des
expériences d'enfance. Une littérature abondante montre que la manière dont une mère
s'occupe de son enfant est liée à la façon dont elle a assimilé sa propre histoire. Or, cette
sensibilité maternelle est déterminante dans la nature de la relation qui se met en place
au sein de la dyade (van IJzendoorn, 1995).
Certaines recherches montrent même que les représentations que la mère a de son
enfance pendant la grossesse permettent de prédire dans 75 % des cas le style
d'attachement que son enfant va développer à son égard lorsqu'il aura 1 an (Fonagy,
Steele et Steele, 1991 ; voir aussi Madigan et al., 2015). Ces recherches, qui montrent
l'existence d'une transmission intergénérationnelle des modalités d'attachement,
s'appuient sur la mise en correspondance de deux outils évaluant l'attachement. Le
premier, l'Adult Attachment Interview (George, Kaplan et Main, 1985), est administré aux
parents pour évaluer leurs stratégies représentationnelles d'attachement ou « état
d'esprit » relatif à l'attachement2. À partir de leurs réponses à un entretien semi-directif
sur leurs expériences avec leurs parents, on infère la manière dont ils traitent
l'information émotionnelle (voir Hesse, 2008). Le deuxième outil utilisé pour évaluer
l'attachement chez l'enfant est généralement la Situation étrange (détaillée au Chapitre 3).
Ainsi, les stratégies de traitement de l'information des parents peuvent être mises en
parallèle avec les différents styles d'attachement des bébés, styles qui consistent eux
aussi à se détourner de l'attachement ou à se focaliser dessus (voir Miljkovitch et
Pierrehumbert, 2008). Deux études montrent même que cette transmission
intergénérationnelle s'observe sur trois générations (Benoit et Parker, 1994 ; Hautamäki
et al., 2010 ; Cassibba et al., 2016).
D'autres études (Gloger-Tippelt et al., 2002 ; Goldwyn et al., 2000 ; Miljkovitch et al.,
2004) ont également mis en évidence une transmission des représentations d'attachement,
avec les histoires d'attachement à compléter (Bretherton, Ridgeway et Cassidy, 1990).
Plus généralement, la correspondance mère-enfant est retrouvée, quel que soit l'outil
utilisé (Tarabulsy et al., 2005), ce qui écarte l'idée que les liens observés soient dus à un
artéfact méthodologique.
En revanche, les études montrent une faiblesse voire une absence de lien du côté du
père (voir van IJzendoorn, 1995 ; Cassibba et al., 2016 ; Miljkovitch et al., 2004).
Toutefois, dans les familles monoparentales où il est l'unique fournisseur de soins, une
influence s'observe (Bernier et Miljkovitch, 2009 ; Miljkovitch, Danet et Bernier, 2012).
Aussi, en Finlande, où la politique sociale favorise une présence importante des pères
auprès de leur enfant, on retrouve ce phénomène de transmission (Hautamäki et al.,
2010). Ces différents résultats convergent vers l'hypothèse d'une transmission
conditionnée par le degré d'implication du parent dans la vie de l'enfant. Le fait que la
mère soit le plus souvent la principale figure d'attachement et que la transmission
s'observe de manière constante de son côté va également dans le sens de cette
hypothèse.
Dans la même lignée, il est intéressant de noter qu'une concordance entre
l'attachement maternel (mère d'adoption) et celui de l'enfant s'observe aussi quand
celui-ci est placé (Dozier et al., 2001) ou adopté (Verissimo et Salvaterra, 2006). Ces
résultats suggèrent que la transmission reposerait sur des facteurs autres que des
facteurs génétiques. Une étude très récente sur des enfants adoptés (Schoenmaker et al.,
2015) montre en outre que la sensibilité de la mère aux signaux de son nourrisson
adopté permet de prédire la sécurité d'attachement de celui-ci une fois adulte.
L'essentiel des recherches sur la transmission intergénérationnelle s'est d'ailleurs
centré autour de la notion de sensibilité maternelle comme chaînon intermédiaire entre
l'attachement de la mère et celui de l'enfant. L'étude princeps de Mary Ainsworth
(Ainsworth et al., 1978) a montré que sur les plans de la sensibilité, l'acceptation, la
coopération et la disponibilité affective, les mères d'enfants sécures ont des scores
significativement plus élevés que les mères d'enfants insécures. Elles arrivent mieux à
s'accorder affectivement à leur enfant parce qu'elles respectent son rythme, sans le
soumettre à leur volonté. Les soins qu'elles lui donnent ne répondent pas à des critères
d'éducation stricts et rigides. À mesure qu'il grandit, elles l'encouragent sans lui
imposer de faire des progrès pour lesquels il n'est pas encore prêt. Dans les interactions
en face à face, elles se distinguent des autres mères par leur capacité à ajuster leur
regard et leur comportement en fonction des signaux que l'enfant émet. Pendant les
neuf premiers mois de la vie, les mères d'enfants sécures sont plus affectueuses que les
autres mères. Or, à l'âge de douze mois, on remarque que leurs enfants ont moins
besoin de garder un contact avec elles et sont moins enclins à pleurer que les autres
enfants. Ainsworth en a conclu que, grâce à la constance et à la qualité des réponses
maternelles, ces enfants acquièrent une confiance en leur propre capacité à contrôler ce
qui leur arrive. En outre, ces attitudes maternelles permettent au nourrisson d'exprimer
spontanément ses émotions, quelles qu'elles soient, sans devoir restreindre la
manifestation de certaines d'entre elles.
Une littérature abondante atteste du lien entre les représentations d'attachement des
mères et leur sensibilité à l'égard de leur enfant (par exemple, Atkinson et al., 2005 ;
Biringen et al., 2000). À l'instar de Main, Kaplan et Cassidy (1985), Fonagy et al. (1991)
rappellent que la « capacité de comprendre l'enfant dépend […] de la construction de
représentations mentales cohérentes, issues des relations d'attachement que l'on a soi-
même vécues » (p. 214)3. En d'autres termes, les représentations que l'adulte a
construites auraient plus d'influence sur son attitude vis-à-vis de son enfant que ses
relations d'attachement passées étant donné qu'elles déterminent la façon dont l'enfant
est perçu et, par suite, la façon dont il/elle interagit avec lui (voir aussi la notion de
« modèle d'assimilation du caregiving » de George et Solomon, 2008).
Selon George et Solomon (1989), les mères sécures répondent adéquatement aux
besoins de leur enfant parce qu'elles sont capables de traiter tous les signaux qu'il
véhicule, y compris les démonstrations d'affects négatifs. N'ayant pas besoin de tenir à
l'écart certaines représentations que l'enfant est susceptible d'éveiller, elles sont en
mesure d'appréhender chez lui toute une gamme d'émotions. En particulier, ayant
accepté leur passé avec tous les aspects négatifs qu'il comporte, les mères sécures ne se
sentent pas menacées par la détresse qu'exprime leur enfant, même si celle-ci leur
rappelle d'anciens souvenirs douloureux.
Par contre, chez un parent insécure qui n'a pas bien intégré ses expériences et ses
affects négatifs, l'attention et l'information en rapport avec l'attachement seraient
restreintes (Main et al., 1985). Selon Bowlby (1973/1980) un parent interagit avec son
enfant de la manière qui met le moins à l'épreuve sa propre « homéostasie
représentationnelle ». En fait, l'adulte insécure ignorerait ou déformerait certains
signaux qui ont tendance à déstabiliser son organisation mentale des expériences
passées. Les demandes d'affection d'un enfant, et en particulier sa détresse, menacent,
d'après Main (1983), l'image idéalisée que le parent a forgée de ses propres expériences
précoces qui, au niveau conscient, sont dépourvues de tels affects. Pour cette raison, ces
demandes ne pourraient être perçues ou traitées. Dans ce type de fonctionnement, les
caractéristiques de la relation, quelles qu'elles soient, seraient déformées pour s'ajuster
au modèle du parent.
Ces restrictions d'informations se manifestent dans le discours par des contradictions
(notées dans l'AAI) et dans le comportement par de l'insensibilité ou de
l'incompréhension. Dès l'âge de six mois, la manière dont une mère « s'accorde
affectivement » (Stern, 1985) à son enfant indique à celui-ci les émotions qu'il est
acceptable de partager avec les autres. Si elle n'appréhende pas ou réagit mal à certains
de ses affects, l'enfant apprend déjà à les ignorer, ne pas en tenir compte ou ne pas les
exprimer. Ainsi, la limitation des informations traitées par le parent induit une
communication restreinte au sein de la dyade, qui débouche ensuite sur une limitation
dans le système de représentation mis en place par l'enfant.
D'autres travaux documentent le lien entre la sensibilité maternelle et l'attachement
de l'enfant (De Wolff et van IJzendoorn, 1997 ; McElwain et Booth-LaForce, 2006 ; Raval
et al., 2001), y compris au niveau des représentations, plusieurs années après
(Miljkovitch et al., 2013). Une méta-analyse sur plus de 800 dyades confirme le rôle de la
sensibilité maternelle comme médiateur de la transmission intergénérationnelle ;
toutefois celle-ci n'en explique que 23 % de la variance (van IJzendoorn, 1995 ; voir aussi
Madigan, Moran et Pederson, 2006). Ainsi se dessine un « chaînon manquant » dans la
transmission (transmission gap), qui renvoie à d'autres mécanismes supplémentaires en
jeu. D'autres études rapportent une variance expliquée comparable, qui varie toutefois
selon le temps passé entre les mesures (Atkinson et al., 2000 ; De Wolff et van
IJzendoorn, 1997 ; Goldsmith et Alansky, 1987), l'âge de l'enfant (lien plus fort avec
l'âge), le niveau socio-économique (lien plus faible dans milieux défavorisés : De Wolff
et van IJzendoorn, 1997) et même l'époque (lien qui s'observe de moins en moins avec le
temps : Verhage et al., 2013).
Une étude très récente (Bernier, Matte-Gagné, Bélanger et Whipple, 2014) montre que
lorsqu'on dépasse la notion de sensibilité maternelle pour y ajouter celle de soutien à
l'exploration, le phénomène de transmission est beaucoup mieux expliqué. L'étude
révèle que l'état d'esprit de la mère détermine non seulement sa qualité d'écoute à
l'égard des besoins de réassurance de son enfant, mais aussi à l'égard de ses besoins
d'exploration. Puis, en se montrant plus ou moins étayante dans son envie de
s'aventurer, elle participe encore davantage à la mise en place d'un attachement sécure
ou insécure.
Un champ de recherche complémentaire s'est aussi orienté vers la manière dont une
mère se représente son enfant plutôt que sur la manière dont elle se comporte avec lui.
Elizabeth Meins (1999) a introduit la notion de mind mindedness pour désigner la
capacité du parent à se représenter son enfant comme un être séparé qui a sa propre
pensée (voir Demers, Bernier et Tarabulsy, 2009 pour une revue de littérature). Cette
capacité s'avère effectivement liée à l'attachement (état d'esprit) de la mère (Demers et
al., 2010b) ainsi qu'à sa sensibilité et à l'attachement de son enfant (Demers et al., 2010a).
Dans un autre champ de recherche, on invoque le rôle de la conscience réflexive de la
mère, c'est-à-dire sa capacité à se représenter les états mentaux. Ainsi, en saisissant ce
que vit son enfant, elle serait plus à même de réagir à ses signaux de manière adaptée,
lui procurant ainsi la sécurité nécessaire à un développement harmonieux. L'étude de
Fonagy et al. (1993) montre que cette conscience réflexive durant la grossesse a une
valeur prédictive de l'attachement mis en place par l'enfant à l'âge de 1 an. Par la suite,
Slade et al. (2005) ont pu mettre en évidence le rôle médiateur de la conscience réflexive
dans ce qui lie les représentations maternelles à l'attachement de l'enfant. Très
récemment, Madigan et al. (2015) ont trouvé que les représentations d'attachement des
mères (c'est-à-dire vis-à-vis de leurs propres parents) sont liées aux représentations
qu'elles ont de leur enfant avant même sa naissance (rejoignant ici ce que Serge Lebovici
appelait « l'enfant imaginaire ») et que celles-ci prédisent la qualité de l'attachement
qu'il va mettre en place à la fin de sa première année. Plus encore, les représentations
que les mères se font de leur enfant une fois celui-ci né n'ajoutent rien au pouvoir
prédictif de leurs représentations prénatales.
Ces résultats surprenants donnent à penser que la qualité de l'attachement que va
former l'enfant à l'égard de sa mère dépend finalement assez peu de lui. Plus
exactement, c'est la représentation que la mère s'en fait qui change peu (les
représentations pré et postnatales sont généralement proches). C'est du moins ce que
Madigan et al. observent quand l'enfant a 11 mois ; il reste encore un certain laps de
temps pour que ces représentations évoluent !
Mais si l'on revient à la question du rôle de l'enfant dans la relation qui se met en
place, les études montrent que le tempérament de l'enfant ne va pas tant déterminer s'il
est sécure ou non, mais plutôt les stratégies d'attachement qu'il élabore quand il est
insécure (Marshall et Fox, 2005 ; voir Miljkovitch, 2001 ou Vaughn, Bost et van
IJzendoorn, 2008 pour une revue de la littérature). Néanmoins, dans certaines
conditions, telles que la prématurité, une affection physique invalidante (en l'occurrence
une dermatite atopique) ou une forte irritabilité chez l'enfant, l'attitude du parent
change (Cassibba et al., 2004 ; Schmucker et al., 2005) et le processus de transmission se
voit modifié, voire disparaît (Cassibba et al., 2004 voir aussi Miljkovitch et al., 2013). Les
études sur les facteurs génétiques livrent aussi des résultats qui suggèrent que la
relation d'attachement de l'enfant ne repose pas significativement sur les
caractéristiques personnelles de celui-ci. Par exemple, Raby et al. (2012) ont trouvé
qu'une région du cerveau ne permet pas de distinguer les enfants sécures des insécures,
mais qu'elle est toutefois prédictive de l'attachement résistant. En même temps, deux
autres recherches (Bakermans-Kranenburg, van IJzendoorn, 2007 ; Bakermans-
Kranenburg, van IJzendoorn, Caspers, et Philibert, 2011) suggèrent que les gènes
déterminent une plus grande sensibilité à l'environnement, qu'il soit positif ou négatif.
Autrement dit, l'impact de l'expérience serait plus important chez les porteurs du
DRD4-7R que chez les non-porteurs. On est donc face à un phénomène non pas
génétique, mais épigénétique (voir Meaney, 2001).
Malgré tout, il serait excessif de conclure que l'enfant n'a pas de rôle significatif dans
la relation. Nous avons cité des situations dans lesquelles il semble agir sur le
fonctionnement du parent (Cassibba et al., 2004 ; Schmucker et al., 2005). On sait aussi
que tout petit déjà, il peut affecter le niveau de sensibilité de sa mère lorsqu'il est
difficile à calmer (van den Boom, 1989 ; Denham et Moser, 1994 ; voir aussi Calkins et
Fox, 1992) ou au contraire gratifiant (Leckman et al., 2005). N'oublions pas non plus que
l'enfant élabore des stratégies d'attachement sur mesure, qui consistent justement à
influencer le parent dans le sens de ce qui est préférable pour lui (Main, 1990). Et selon
son tempérament, il sera plus ou moins apte à supporter les manquements parentaux
(Vaughn et Bost, 1999 ; Atkinson et al., 2005). La relation n'est donc définitivement pas à
sens unique !
Ainsi revient-il au parent de composer avec ce qu'il a assimilé de son enfance et la
réalité présente de la relation. Parmi les éléments actuels de la relation, il y a donc
l'enfant lui-même, mais il y a aussi d'autres paramètres extérieurs à la dyade. Certains
auteurs (Aviezer et al., 2003 ; Sagi et al., 1997 ; van IJzendoorn et Bakermans-
Kranenburg, 1997) parlent de « contraintes écologiques » (c'est-à-dire contextuelles)
pour rendre compte de l'ensemble des facteurs qui agissent sur la relation qui s'établit
entre le parent et l'enfant et qui peuvent parfois modifier le processus habituel de
transmission intergénérationnelle. C'est ainsi que les relations que le parent entretient
avec d'autres personnes, à commencer par son conjoint, s'intègrent aux représentations
qu'il s'est faites à l'issue de son enfance et amènent vers une conception actualisée des
relations (Feeney, 2008 ; Miljkovitch et al., 2015) ; c'est sur cette nouvelle base que le
parent s'appuie pour envisager la relation avec son enfant (voir Belsky et Jaffee, 2006 ;
Tarabulsy et al., 2005 ; voir aussi Cochran et Niego, 2002). Le contexte social peut à son
tour, plus ou moins favoriser le bon déroulement de la relation et ce faisant, agir sur
l'ouverture et l'acceptation du parent à l'égard de son enfant (Widmer et al., 2006). Le
stress peut aussi peser sur les parents et les rendre moins disponibles pour leur enfant
(Kobak et Mandelbaum, 2003). Nous avons aussi envisagé le rôle de la politique sociale
du pays qui peut privilégier une plus forte implication du parent dans la vie de l'enfant
et ainsi augmenter la part qu'il y joue. Les paramètres susceptibles d'influencer le cours
de la relation parent-enfant sont nombreux. La figure 39.1 récapitule de manière
synthétique les différentes étapes du processus.
FIGURE 39.1 Le modèle écologique de la transmission
intergénérationnelle de l'attachement. D'après Van IJzendoorn et Bakermans-
Kranenburg, 1997.

Ce schéma est centré sur l'impact des différents paramètres sur le phénomène de
transmission, mais il va sans dire que les effets sont réciproques et n'influencent pas le
seul enfant, mais aussi l'adulte. Nous avons vu combien l'arrivée d'un enfant convoque
le passé du parent, quand il était lui-même enfant. Mais au-delà de cela, elle vient
bouleverser la vie de l'adulte. Arnett (1998) remarquait que l'accès à la parentalité
conduit une majorité de personnes à se considérer comme de « vrais » adultes. Arnett
définit cette période comme une phase de la vie où la personne se stabilise et diminue
ses activités d'exploration. Même si cette expérience est en elle-même unique et peut à
ce titre aussi relever de l'exploration, on conçoit facilement que les contraintes imposées
par l'arrivée d'un enfant limitent de façon drastique les autres domaines d'exploration et
participent, par la force des choses, à une plus grande stabilité (apparente) de l'adulte.
En même temps, cet événement vient bouleverser le couple, qui doit alors composer
avec la survenue de ce tiers. Selon sa dynamique antérieure, il sera plus ou moins bien
armé pour se réorganiser de manière à ce que l'arrivée du bébé ne constitue pas un
véritable obstacle à la vie de couple. Il s'agit en même temps que chacun trouve sa place
et qu'aucun des membres ne soit exclu (voir Fivaz-Depeursinge et Corboz-Warnerey,
2001). Ainsi, dès sa constitution, la famille met en place une structure qui, on l'a vu,
selon sa capacité à évoluer, préparera plus ou moins bien l'adulte en devenir à prendre
son envol et continuer le cycle générationnel.

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1
Pour une présentation des différents styles d'attachement, voir le chapitre 3.
2
Pour une présentation plus détaillée de l'AAI, voir Miljkovitch, 2001 ou le chapitre 42.
3
Traduction de l'auteur.
CHAPITRE 40

Le vieillissement cérébral et cognitif : une


approche plurifactorielle et lifespan
Martial Van der Linden

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les limites de l'approche biomédicale dominante : l'exemple de la maladie
d'Alzheimer
Une autre approche du vieillissement cérébral et cognitif
Vieillissement et environnement prénatal, postnatal et infantile
Conclusion

Introduction
Il existe de grandes différences interindividuelles dans l'importance des changements
cérébraux et cognitifs liés à l'âge. Par ailleurs, les études longitudinales montrent que la
variabilité des performances cognitives s'accroît avec l'avancée en âge. Comprendre les
sources de cette hétérogénéité constitue dès lors une question centrale pour la recherche
sur le vieillissement, avec des implications importantes tant théoriques que cliniques
(voir Lindenberger, 2014).
L'approche biomédicale dominante a abordé cette question en considérant que les
aspects problématiques du vieillissement cérébral et cognitif traduisaient la présence de
maladies (des démences neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer, la
démence frontotemporale ou encore la démence à corps de Lewy) ayant chacune une
cause neurobiologique précise et spécifique, qui les distingue du vieillissement dit
normal. Il s'agit donc d'une approche qui considère que ces maladies ont une essence
(un agent causal relativement simple, propre, nécessaire et unificateur), possédée par
tous les individus qui ont cette maladie et par aucun individu qui ne l'a pas. Il s'agit
aussi d'une approche catégorielle, qui décrit le vieillissement cérébral et cognitif
problématique à partir de catégories de maladies, différentes et spécifiques.
Par ailleurs, des catégories diagnostiques correspondant à des états intermédiaires
entre le vieillissement dit normal et la démence ont été élaborées. Historiquement, les
personnes âgées manifestant des difficultés cognitives légères étaient considérées
comme ayant des problèmes bénins, liés à l'âge. Cependant, l'approche biomédicale a
conduit à considérer que ces personnes avaient une maladie, ou à tout le moins un état
susceptible de progresser vers une maladie démentielle (par exemple, une maladie
d'Alzheimer). C'est ainsi que sont nés les concepts de trouble cognitif léger (Mild
Cognitive Impairment ou MCI) et de maladie d'Alzheimer préclinique (asymptomatique).
En parallèle, on a vu naître de nombreuses consultations de la mémoire, lesquelles ont
constitué une structure pivot de l'approche biomédicale du vieillissement. Elles ont
essentiellement pour objectif d'identifier les personnes présentant une maladie
démentielle ou un état prédémentiel afin de leur administrer un traitement
pharmacologique.
Cette conception a eu de nombreuses conséquences néfastes, tant sur le plan de la
recherche sur le vieillissement que de la pratique clinique. En particulier, elle a extrait
les manifestations de la démence du cadre général du vieillissement cérébral et cognitif.
Ce faisant, elle a contribué à la médicalisation et à la pathologisation du vieillissement
et en a propagé une vision réductrice. Elle a également suscité l'attente désespérée d'un
traitement médicamenteux ou biologique miracle, mettant ainsi à l'arrière-plan
l'ensemble des démarches susceptibles d'optimiser le bien-être, la qualité de vie, le
sentiment d'identité, et ce, tant chez la personne présentant un vieillissement
problématique que chez les proches aidants.

Les limites de l'approche biomédicale dominante :


l'exemple de la maladie d'Alzheimer
Différents constats empiriques ont conduit à mettre en question les fondements de cette
approche biomédicale, catégorielle, et essentialiste du vieillissement cérébral et cognitif
(une description détaillée de ces constats et des études sur lesquelles ils se fondent peut
être trouvée dans Van der Linden et Juillerat Van der Linden, 2014 a et b).
Tout d'abord, il existe de très grandes différences dans la nature des difficultés
cognitives présentées par les personnes ayant reçu le diagnostic de maladie d'Alzheimer
(MA). Ainsi, outre des déficits de mémoire, et parfois sans troubles importants de ce
type, ces personnes peuvent montrer une grande variété de difficultés cognitives (de
perception du monde, de réalisation de gestes, d'organisation des actions, de langage,
d'attention, etc.). Ainsi, Scheltens et al. (2016) ont identifié 8 sous-types cognitifs
distincts (dont certains avec un fonctionnement mnésique relativement préservé) auprès
d'un vaste échantillon de personnes présentant une MA. De plus, ces sous-types étaient
associés à des caractéristiques démographiques et neurobiologiques distinctes.
Par ailleurs, l'évolution de ces difficultés cognitives varie très fortement d'une
personne avec MA à l'autre et, chez un grand nombre d'entre elles, la situation peut
rester stable et évoluer très lentement pendant plusieurs années (jusqu'à 7 ans), voire
s'améliorer, indépendamment de la prise de médicaments « anti-Alzheimer » (Bozoki,
An, Bozoki, et Little, 2009). Il a également été montré, sur un suivi de 2 ans, que
certaines personnes ayant reçu un diagnostic de MA ou de MCI pouvaient présenter
une amélioration du fonctionnement cognitif avec, en parallèle, une amélioration au
niveau des atteintes cérébrales, ce qui suggère le caractère dynamique du vieillissement
cérébral et cognitif (Song et al., 2013).
En outre, la MA n'est pas strictement associée à des changements spécifiques dans le
cerveau. En effet, quand on examine le cerveau de personnes décédées ayant reçu de
leur vivant un diagnostic de MA, on constate, chez bon nombre d'entre elles, divers
types d'anomalies : pas uniquement celles considérées comme typiques de la MA
(les plaques séniles / amyloïdes et les dégénérescences neurofibrillaires), mais aussi de
nombreuses autres anomalies, comme des corps de Lewy, des lésions vasculaires
variées, une sclérose hippocampique, etc. (Jellinger et Attems, 2015).
De plus, la frontière entre le vieillissement dit normal et la MA n'est pas claire. Par
exemple, on observe dans le cerveau de certaines personnes âgées qui n'ont pourtant
pas présenté de difficultés cognitives importantes (pas de démence) de leur vivant un
taux important des signes neuropathologiques considérés comme caractéristiques de la
MA (Dugger et al., 2014). Le vieillissement normal s'accompagne également de
modifications cérébrales dans les mêmes régions que celles où l'on observe des
changements, quoique plus marqués, chez les personnes ayant reçu le diagnostic de MA
(Fjell, McEvoy, Holland, Dale, et Walhovd, 2014). Plus généralement, comme l'ampleur
des difficultés cognitives et des modifications cérébrales varie considérablement, tant
chez les personnes âgées considérées comme normales que chez celles ayant reçu un
diagnostic de MCI ou de MA (Mungas et al., 2010), il n'est pas possible de définir de
façon précise la limite entre le normal et l'anormal.
Notons aussi que de nombreuses études ont mis en évidence la faible validité
prédictive du diagnostic de MCI. En fait, le devenir dominant des personnes ayant reçu
ce diagnostic n'est pas la démence, mais plutôt la stabilité, le retour à la normale, voire
une amélioration (Matthews et al., 2008). De nombreuses données ont également mis en
question la validité diagnostique des biomarqueurs (voir, par exemple, Knopman et al.,
2013). Il faut d'ailleurs relever qu'environ 65 % des personnes âgées de plus de 80 ans
ont une positivité amyloïde (révélée par l'imagerie) et pourraient donc être
diagnostiquées, selon l'approche biomédicale, comme ayant une MA ou une pré-MA
(Rowe et al., 2010).
Il faut aussi mentionner que l'on ne dispose aujourd'hui d'aucun médicament ayant
une réelle efficacité sur l'autonomie et la qualité de vie des personnes ayant reçu un
diagnostic de maladie d'Alzheimer ou qui puisse entraver le développement de cet état
(Cooper et al., 2013).
Enfin, des données en nombre croissant montrent que la présence, plus ou moins
importante, de difficultés cognitives chez les personnes âgées, résulte de facteurs de
risque et de protection très divers, dont l'influence peut se manifester aux différents
âges de la vie. Ces facteurs incluent l'activité physique, le niveau scolaire et socio-
économique, les activités cognitivement stimulantes, le stress, le fait d'avoir des buts
dans la vie, le sentiment de solitude, les stéréotypes négatifs sur le vieillissement, les
toxines environnementales, les facteurs de risque et troubles vasculaires, le diabète de
type 2, le fait d'avoir subi un traumatisme crânien, le tabagisme, la prise de
benzodiazépines, les problèmes de sommeil, etc. (pour une description des études ayant
mis en évidence ces facteurs de risque, voir Van der Linden et Juillerat, 2014a). Une
pluralité de facteurs de risque a également été identifiée chez des personnes ayant
présenté une démence avant 65 ans (Nordström, Nordström, Eriksson, Wahlund, et
Gustafson, 2013), dont la plupart se sont manifestés dès l'adolescence (tels que l'usage
de neuroleptiques, une intoxication aiguë à l'alcool ou à d'autres drogues, la dépression,
une pression systolique artérielle élevée). Dans ce contexte, Barnes et Yaffe (2011) ont
estimé qu'une réduction de 10 % de sept facteurs de risque (diabète, hypertension,
obésité, tabagisme, dépression, faible niveau scolaire ou inactivité cognitive, et inactivité
physique) amènerait à une diminution de 1 100 000 cas de MA dans le monde.

Une autre approche du vieillissement cérébral et cognitif


L'ensemble de ces constats a conduit plusieurs auteurs à défendre une autre approche
du vieillissement cérébral et cognitif, qui réintègre ses manifestations plus ou moins
problématiques dans le contexte plus général du vieillissement, sous l'influence de
nombreux facteurs et mécanismes intervenant tout au long de la vie. Ce changement de
conception peut être résumé comme suit : le cerveau vieillit chez tout un chacun,
comme les articulations, la peau, la vue, l'ouïe, etc. Il s'ensuit que le vieillissement
s'accompagne inévitablement de difficultés cognitives (d'attention, de mémoire, etc.)
qui, dans le grand âge, affectent, de façon importante, de nombreuses personnes. En
d'autres termes, le vieillissement cérébral et cognitif fait intrinsèquement partie de
l'aventure humaine. Cependant, l'importance des problèmes cognitifs liés au
vieillissement varie considérablement d'une personne âgée à l'autre : ils sont plus légers
chez certaines personnes et n'évoluent que très lentement, alors que, chez d'autres, ils
sont plus graves et évoluent très rapidement. Enfin, cette évolution plus ou moins
problématique du vieillissement cognitif dépend de très nombreux facteurs
(biologiques, médicaux, psychologiques, liés au style de vie, sociaux, culturels, et
environnementaux), agissant à tous les âges de la vie.
Plus spécifiquement, Chen, Maleski et Sawmiller (2011), dans un article intitulé Vérité
scientifique ou faux espoir ? Comprendre la maladie d'Alzheimer du point de vue du
vieillissement, ont proposé un modèle selon lequel la racine de la démence se trouverait
dans l'accroissement de l'espérance de vie. En d'autres termes, le vieillissement naturel
jouerait un rôle important dans les phénomènes neurodégénératifs, lesquels feraient
ainsi partie intégrante des modifications du corps qui se produisent dans la dernière
étape de la vie. Par ailleurs, le fait que toutes les personnes âgées ne présentent pas de
démence conduit à faire appel, non pas à un facteur pathogène, mais à différents
facteurs de risque : à l'âge avancé, la fragilité des cellules cérébrales fait qu'elles sont
vulnérables à toutes sortes d'influences négatives, telles qu'une absence d'activité
physique et cognitive, une nutrition inadéquate, un isolement social, etc. En agissant de
manière additive et durant les dernières étapes d'une longévité étendue, les facteurs de
risque déclencheraient la mort cellulaire ou amplifieraient les effets négatifs des
phénomènes neurodégénératifs naturels. Du fait de la variabilité des contextes de vie,
l'action de ces facteurs de risque aurait un caractère essentiellement probabiliste. Les
auteurs ajoutent que d'autres problèmes peuvent affecter le cerveau vieillissant et
contribuer à son évolution problématique, en particulier les problèmes vasculaires et
infectieux, les effets d'un traumatisme crânien ou des mutations génétiques. Ainsi, les
auteurs envisagent la MA comme une condition hétérogène, liée à l'âge avancé, sous
l'influence de différents facteurs de risque. Dans ce contexte, les interventions ne
devraient pas viser à inhiber des processus pathogènes (comme c'est le cas dans les
maladies singulières), mais plutôt cibler les facteurs de risque (la prévention) et la
protection des neurones âgés. Selon Chen et collaborateurs, une telle approche ne
conduira cependant à des progrès substantiels que si une prise de conscience générale
se développe, amenant notamment à des priorités de financement. À ce propos, ils
montrent en quoi la recherche scientifique dans le domaine du vieillissement est
soumise à une importante pression sociale : la peur aurait infiltré la recherche
scientifique, en poussant les chercheurs à trouver un traitement curatif au détriment de
la vérité scientifique.
De même, Brayne et Davis (2012) considèrent que la conception selon laquelle les
processus physiopathologiques de la MA seraient clairement distincts de ceux
impliqués dans le vieillissement semble de plus en plus contestable. Cette conception
découlerait de la tendance à réifier les entités diagnostiques (c.-à-d. à les considérer
comme des entités concrètes, stables), de postulats réducteurs concernant les facteurs
étiologiques et du fait que peu d'études longitudinales ont été menées sur des
échantillons représentatifs de la population réelle (la plupart des études ayant été
réalisées sur des volontaires, sur des personnes recrutées dans des cliniques de mémoire
et sur des personnes âgées de moins de 85 ans, ce qui limite considérablement la
généralisation des résultats obtenus). Ainsi, Brayne et Davis plaident pour la mise en
place de recherches sur la démence davantage ancrée dans la population réelle.
Les études s'inscrivant dans une telle approche devraient considérer le vieillissement
cérébral/cognitif en termes de continuum et non plus sur base de catégories de maladies
(Walhovd, Fjell, et Epseseth, 2014). Elles devraient en outre tenter d'identifier, de façon
plus précise, les différents facteurs (biologiques, médicaux, psychologiques, sociaux,
environnementaux), ainsi que leurs relations, impliqués dans la survenue, plus ou
moins progressive et rapide, de déficits affectant certains domaines cognitifs, variables
selon les personnes. Au plan plus strictement neurobiologique, il s'agirait de s'affranchir
de l'approche réductionniste basée sur l'exploration de cascades de petites molécules
pour explorer d'autres hypothèses, impliquant en particulier des interactions entre
diverses combinaisons de mécanismes neurobiologiques. Il n'est nullement question de
contester l'intérêt qu'il y a à étudier la validité prédictive de certains marqueurs
biologiques concernant le vieillissement cérébral/cognitif problématique. Par contre, ces
biomarqueurs devraient être envisagés comme étant le reflet de certains mécanismes
généraux, au sein d'un ensemble complexe de mécanismes en interaction pouvant se
présenter de façon variable et dans des combinaisons également variables chez des
personnes âgées présentant des difficultés cognitives plus ou moins importantes. Par
ailleurs, plutôt que de suivre une approche cérébrale localisatrice, il semblerait plus
pertinent d'explorer les facteurs pouvant contribuer, avec l'avancement en âge, à une
réduction, plus ou moins progressive et rapide, de la coordination (de l'intégration) de
l'activité cérébrale entre différents réseaux cérébraux à grande échelle (comme, par
exemple, le réseau cérébral par défaut ou default network), laquelle peut s'accompagner
de difficultés cognitives dans plusieurs domaines (Ahmed et al., 2016). Il s'agirait
également d'examiner dans quelle mesure une fragilité développementale de certains
réseaux cérébraux pourrait expliquer, en interaction avec d'autres facteurs, l'existence
disproportionnée et progressive de déficits dans certains domaines cognitifs. Ainsi,
Seifan, Assuras, Huey, Mez, Tsapanou et Caccappolo (2015) ont montré que des
difficultés développementales affectant l'acquisition du langage conduisaient, chez les
personnes âgées, à une prévalence plus élevée de déficits langagiers progressifs (de type
phonologique) associés à une atrophie temporo-pariétale.
Enfin, il importe également de prendre en compte les capacités compensatoires (la
plasticité cérébrale et cognitive) des personnes âgées et d'examiner les facteurs qui
modulent cette plasticité et qui contribuent dès lors aux différences interindividuelles
(voir le modèle Scaffolding Theory of Aging-revised, STC-r ; Reuter-Lorenz et Park, 2014),

Vieillissement et environnement prénatal, postnatal et


infantile
Parmi les multiples facteurs et mécanismes qui contribuent aux expressions plus ou
moins problématiques du vieillissement cérébral et cognitif, il en est certains qui
semblent intervenir durant les périodes pré- et postnatales, ainsi que durant l'enfance.
Plusieurs auteurs (voir Lahiri et Mahoney, 2010 ; Schaefers et Teuchert-Noodt, 2013)
défendent en effet l'idée selon laquelle certains facteurs in utero (par exemple, une
contrainte au développement du fœtus du fait de la taille du corps de la mère, un
dysfonctionnement placentaire ou encore une perturbation hormonale maternelle) et
différents types d'exposition environnementale durant les périodes pré-, péri- et
postnatales, ainsi que durant l'enfance (infections périnatales ; mauvaise alimentation et
déficience en micronutriments ; exposition à des métaux lourds tels que le plomb, le
mercure, le cadmium, le manganèse ; une exposition à des pesticides ; une exposition à
l'alcool, au tabac, à des drogues et des psychotropes ; une stimulation environnementale
et sociale appauvrie ; de mauvais traitements ; un manque d'exercice physique, etc.)
pourraient jouer un rôle dans la survenue ultérieure d'un vieillissement cérébral et
cognitif problématique (ou d'une démence).
Schaefers et Teuchert-Noodt (2013) considèrent que ces différents facteurs survenant
durant des périodes sensibles et critiques du développement laisseraient une empreinte
dans la structure cérébrale adulte, en affectant à long terme la neuroplasticité et la
capacité d'auto-organisation cérébrale. Cela conduirait à des troubles (cognitifs et
autres) quand la dynamique de la neuroplasticité décline avec l'âge ou à la suite d'un
nouveau défi cérébral survenant durant l'âge adulte (un traumatisme, un évènement
stressant, etc.) que le cerveau affecté par des influences développementales néfastes ne
pourrait pas relever.
Dans la même perspective, Lahiri et Mahoney (2010) ont proposé le modèle LEARn
(Latent Early-life Associated Regulation) qui aborde la MA en intégrant l'intervention
précoce de facteurs de risque environnementaux. Plus spécifiquement, ils considèrent
que l'exposition à divers facteurs négatifs durant les périodes pré- et postnatales (voir
supra) conduit à des changements épigénétiques, à savoir des modifications dans
l'expression des gènes, induites par le contexte développemental. Cependant, ces
changements épigénétiques resteraient latents et ne conduiraient à des symptômes (à
une démence) que suite à la confrontation ultérieure avec un autre facteur
environnemental négatif, tel qu'un traumatisme crânien ou une alimentation
déséquilibrée durant la cinquantaine.
Même si ces interprétations développementales de la survenue d'un vieillissement
cérébral et cognitif problématique sont déjà appuyées par diverses recherches menées
tant chez l'animal que chez l'humain, elles doivent encore être davantage explorées afin
qu'elles puissent être mieux étayées et que les mécanismes impliqués soient mieux
compris. Cependant, on voit dès à présent l'intérêt qu'il y aurait à renforcer les
stratégies de prévention visant à réduire la contribution des facteurs de risque durant
les périodes pré- et postnatales, via des interventions concernant le style de vie,
l'alimentation, les pratiques éducatives, l'accès aux études et à des loisirs de qualité,
l'environnement de vie, etc. De tels changements ne découleront pas uniquement de
choix individuels : ils dépendront en très grande partie d'une réduction des inégalités
sociales et de la pauvreté et, plus généralement, de modifications dans le mode de
fonctionnement socio-économique, la relation à l'environnement, les priorités
concernant l'éducation, la médecine intégrative et la culture. D'autres stratégies, plus
hypothétiques, pourraient avoir pour but de tenter d'inverser les changements
épigénétiques induits par les expositions environnementales néfastes ou de traiter les
effets neurotoxiques de ces expositions.

Conclusion
Une conception du vieillissement cérébral et cognitif qui assume la complexité et la
diversité des facteurs en jeu et qui réintègre les manifestations problématiques dans le
contexte plus large du vieillissement doit conduire, non seulement à des changements
importants sur le plan de la recherche, mais elle devrait aussi amener à des
changements profonds dans les évaluations (neuro) psychologiques (voir Van der
Linden et Juillerat Van der Linden, 2014b). Il s'agirait d'adopter une démarche
d'évaluation qui favorise la formulation d'une interprétation psychologique
individuelle et intégrée (une formulation de cas), prenant en compte différents types de
processus psychologiques (cognitifs, affectifs, motivationnels, relationnels) et
conduisant aussi à l'identification du rôle possible des facteurs sociaux, des événements
de vie et des facteurs biologiques. Par ailleurs, cela devrait aussi conduire à donner
davantage d'importance aux interventions psychologiques et sociales individualisées
visant à optimiser la qualité de vie et le bien-être des personnes âgées (voir Van der
Linden et Juillerat Van der Linden, 2016).
Il importe également de prendre clairement le tournant de la prévention, en visant à
différer ou réduire les expressions problématiques du vieillissement cérébral et cognitif,
et ce, par des interventions préventives multiples durant la vie entière (par exemple,
accroissement du niveau scolaire chez l'enfant et le jeune adulte, contrôle actif des
facteurs de risque vasculaires durant l'âge adulte, maintien d'une vie socialement,
physiquement et mentalement active durant le milieu de la vie adulte et la vieillesse ;
Barnett, Hachinski, et Blackwell, 2013). Il faut cependant être conscient du fait que
défendre l'idée selon laquelle un « vieillissement réussi » pourrait être atteint par
l'adoption d'un style de vie approprié conduit de fait à dévaluer les personnes âgées
présentant des troubles cognitifs et fonctionnels. Ainsi, gardons à l'esprit que nous
sommes mortels et qu'un grand nombre d'entre nous rencontrerons, durant le grand
âge, des difficultés physiques, cognitives et fonctionnelles (voir Brayne, Gao, Dewey, et
Matthews, 2006). En outre, la conception du « vieillissement réussi », en mettant l'accent
sur les choix individuels d'un style de vie potentiellement bénéfique et sur la
responsabilité personnelle dans l'optimisation du vieillissement, néglige le fait que ces
choix et cette responsabilité sont fortement contraints par des facteurs socio-
économiques et environnementaux (ressources financières, accès aux soins de santé et
aux activités stimulantes, etc. ; voir Katz et Calasanti, 2015).
Dans un article publié en parallèle dans le Journal of Alzheimers Disease et le Journal of
Intergenerational Relationships (afin d'établir un pont entre les deux lectorats),
Whitehouse (2013a et b) en appelle à une approche intégrative de ce qu'il nomme les
défis cognitifs associés à l'âge. Cette approche rétablirait l'équilibre entre un point de
vue biomédical (assumant réellement la complexité des mécanismes biologiques en jeu
dans le vieillissement) et les perspectives psychologique, sociale, environnementale et
culturelle. Il s'agirait également de concevoir une société « personnes âgées admises », y
compris quand elles ont des troubles cognitifs importants, et d'amener les membres
de cette société à considérer que, même en présence de difficultés cognitives, la
personne âgée conserve un potentiel de vitalité, une identité et une place dans la
communauté : une société qui serait d'ailleurs bénéfique à chacun d'entre nous, quel
que soit notre âge ! Une telle approche devrait nous amener à ne pas considérer le
monde comme étant divisé entre ceux qui ont la MA et ceux qui ne l'ont pas, mais
plutôt à penser que nous partageons toutes et tous les vulnérabilités liées au
vieillissement cérébral et cognitif. Cela pourrait contribuer à créer davantage d'unité
entre les générations et à mettre en place des structures sociales dans lesquelles les
personnes âgées, quels que soient leurs problèmes, peuvent trouver des buts et un rôle
social valorisant.

Références
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Whitehouse P. The challenges of cognitive aging : Integrating approaches from
science to intergenerational relationships. Journal of Intergenerational
Relationships. 2013b;11:105–117.

Lectures conseillées
Blazer D.G., Yaffe K., Liverman C.T. Cognitive aging. Progress in understanding and
opportunities for action. Washington, D.C: The National Academies Press; 2015.
Van der Linden M., Juillerat Van der Linden A.-C. Penser autrement le vieillissement.
Mardaga: Bruxelles; 2014.

Adresse web utile


http://www.mythe-alzheimer.org/
CHAPITRE 41

Des écologies du développement


de l'enfant : la prévention, le placement et
l'adoption
Laura-Émilie Savage; Audrey Gauthier-Légaré; Karine Poitras; Réjean Tessier; George M. Tarabulsy

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
La recherche sur la vulnérabilité socioéconomique des familles et le
développement des enfants
La prévention des effets de la pauvreté sur le développement de l'enfant
La parentalité alternative : le placement en protection de l'enfance et l'adoption
Conclusion

Introduction
La recherche sur les familles et le développement de l'enfant a crû de manière très
importante au cours de la dernière génération. Cette recherche, qui porte sur le
développement des enfants et des adolescents, est fondée sur des études longitudinales
qui suivent des familles et des enfants sur des dizaines d'années afin de valider des
postulats théoriques. Plusieurs études concernent également des stratégies
d'intervention qui nous renseignent non seulement sur la validité de modèles
théoriques, mais aussi sur les meilleures façons de soutenir les familles et enfants aux
prises avec différents enjeux et obstacles de vie (voir Tarabulsy, Provost, Lemelin,
Plamondon et Dufresne, 2012). Jamais auparavant nous avons eu autant d'informations
nous permettant de mieux comprendre comment se développent les enfants et de quelle
manière le fonctionnement familial et les divers environnements des enfants peuvent
aider ou nuire à ce développement (Rutter, 2000 ; 2012). Il est néanmoins important de
noter que la vaste majorité de ces études a pris place dans des milieux familiaux et des
contextes « typiques », où l'on observe une diversité de facteurs qui contribuent au
développement : l'expérience intra-utérine de l'enfant, les interactions parent-enfant, la
stimulation, l'attachement de l'enfant envers son parent, ainsi que la surveillance
qu'effectue le parent de son enfant, lui assurant sécurité et soutien pour son autonomie.
Ces phénomènes sont centraux à notre compréhension du développement de l'enfant.
Toutefois, de nombreuses expériences de développement ont lieu dans des contextes
moins typiques, ou à risque, ou même dans des circonstances où des individus autres
que les parents biologiques assurent la garde temporaire ou permanente des enfants.
Bien qu'il reste encore beaucoup de connaissances à acquérir en ce qui a trait à ces
expériences « atypiques » de développement, les recherches permettent à ce jour de tirer
certaines conclusions préliminaires que nous soulignerons dans ce chapitre.
Ce chapitre se divise en trois sections. Premièrement, certains résultats de recherche
portant sur le risque socioéconomique familial, le comportement parental, l'interaction
parent-enfant et le développement des enfants dans les sphères cognitives,
émotionnelles et sociales seront présentés. Deuxièmement, les différentes stratégies de
prévention ayant pour but d'optimiser l'expérience développementale des enfants
provenant de familles vulnérables seront présentées. Ces stratégies, qui impliquent une
intervention provenant d'autres personnes impliquées dans la famille ou des services
sociaux, fonctionnent pour soutenir le développement des enfants dans des situations
de précarité sociale. Troisièmement, des situations de parentalité alternatives,
impliquant le placement d'enfants ou l'adoption, seront également décrites en lien avec
leur impact sur le développement et les processus qu'elles interpellent. Lorsqu'il est
mené correctement et avec respect pour les familles biologiques et d'accueil, le
placement peut être salutaire pour le développement. De même, l'adoption a
régulièrement été décrite comme étant une stratégie d'intervention de choix pour les
enfants qui se retrouvent dans des circonstances d'abandon ou qui sont orphelins de
leurs parents.

La recherche sur la vulnérabilité socioéconomique des


familles et le développement des enfants
Le contexte socioéconomique de la parentalité
Il est établi depuis longtemps que les processus développementaux pouvant mener à
des problèmes pour les enfants ont plus souvent lieu dans des contextes de pauvreté et
de manque de scolarisation chez les parents (Rutter, 2012). Il faut toutefois être prudent
avec cet énoncé. Dire qu'il y a un lien robuste entre pauvreté et difficultés familiales à
l'enfance est un constat qui émerge des statistiques démographiques provenant de la
plupart des pays occidentaux. Mais ce constat demeure le résultat d'une inférence
statistique servant à générer des hypothèses au plan clinique. Plusieurs chercheurs ont
souligné l'importance de ne pas exagérer le risque associé à la pauvreté puisque nos
travaux recèlent de nombreuses familles vivant dans des circonstances de vulnérabilité
qui fonctionnent très bien (SmithBattle, 2009). Le lien statistique peut aider l'intervenant
dans l'administration de sa pratique, mais il demeure une hypothèse qui doit être
validée avec chaque personne rencontrée.
Néanmoins, le risque et la vulnérabilité socioéconomiques sont présents et plusieurs
ont tenté de documenter les processus par lesquels ces facteurs peuvent exercer leur
influence sur les familles et les enfants. La pauvreté chronique peut être débilitante pour
une famille. L'absence de revenus fait que la majeure partie des énergies des individus
est dédiée à obtenir le minimum nécessaire pour survivre ou vivre décemment. Dans de
tels contextes, le jeu, l'exploration et l'apprentissage, pourtant l'apanage de l'enfance,
sont moins fréquents (McLoyd, 1998). La pauvreté chronique place les individus à
risque de difficultés futures, et vient accentuer l'impact des autres facteurs de risque
déjà présents dans l'écologie développementale. Ainsi, les contextes de pauvreté
semblent être à la base d'une constellation de difficultés individuelles ayant des
ramifications dans la manière dont auront lieu les interactions parent-enfant à l'intérieur
des familles et, ultimement, le développement de l'enfant.

Comment se fait le lien entre pauvreté et développement


Les études démontrent clairement que les enfants grandissant dans des circonstances de
pauvreté présentent des caractéristiques qui les désavantagent lorsqu'on les compare
aux enfants provenant de milieux à moins haut risque sur le plan socioéconomique. Les
enfants de milieux défavorisés ont davantage de difficultés scolaires et décrochent plus
souvent de l'école avant l'obtention de leur diplôme. Ils sont surreprésentés dans les
services sociaux et médicaux, ayant besoin davantage de services, incluant la protection
de l'enfance. Ils ont aussi plus de difficultés avec la loi, étant plus souvent arrêtés et
incarcérés (Duncan, Magnuson, et Votruba-Drzal, 2014). De plus, les filles sont
confrontées au risque d'être enceintes très jeunes et d'avoir parfois plusieurs enfants,
compromettant ainsi leur propre développement (Organisation mondiale de la santé
[OMS], 2014 ; Tarabulsy, Moran, Pederson, Provost, et Larose, 2011). Dans un sens très
réel, vivre et grandir dans un contexte défavorisé crée une tendance plus importante à
s'engager dans une trajectoire de vie truffée de difficultés, et des facteurs de risque
pouvant agir de manière néfaste sur l'ensemble du développement humain.
La pauvreté peut exercer un impact sur le développement de l'enfant de différentes
manières. Nous en soulignons deux :
• directement, en donnant à l'enfant un environnement qui est peu stimulant et/ou
potentiellement nocif ;
• indirectement, en modifiant les expériences les plus proches de l'enfant, notamment
ses interactions avec ses parents et d'autres personnes de son entourage immédiat
(O'Connor, 2003).
Bien qu'on aborde ces impacts comme étant distincts l'un de l'autre, ils ne sont pas
mutuellement exclusifs et agissent sur l'enfant de manière concertée.

Les effets directs de la pauvreté sur le développement de


l'enfant
Par définition, les effets directs de la pauvreté touchent les éléments qui peuvent avoir
un impact direct sur l'enfant ayant des contributions minimales provenant d'autres
facteurs. Certains processus prénataux, incluant le stress prénatal maternel, la nutrition,
la consommation de drogues, tabac et alcool peuvent influencer à court, moyen et long
terme le développement de l'enfant (Pearson, Tarabulsy, et Bussières, 2015).
De plus, des processus postnataux survenant dans des environnements défavorisés
peuvent aussi être empreints de cette pauvreté et ainsi affecter directement le
développement de l'enfant. Du point de vue social, dans ces milieux, les enfants ont
plus fréquemment des interactions avec des personnes qui luttent avec des difficultés
d'adaptation, parfois plaçant un fardeau additionnel sur les relations entre pairs. En
effet, une série de travaux a démontré que les enfants provenant de milieux à risque
s'affilient davantage avec des pairs aux prises avec des difficultés d'adaptation
importantes (Dupéré, Leventhal, et Vitaro, 2012 ; Lamarche et al., 2007). Ces jeunes sont
alors plus susceptibles d'adopter les comportements, les valeurs et les mœurs de ces
groupes, augmentant le risque qu'ils expérimentent également ces difficultés.
Un troisième exemple d'impact direct sur l'enfant concerne la qualité des
environnements scolaires et de soins offerts dans les milieux plus défavorisés. Les
travaux qui portent sur cette question documentent que, même dans les pays les mieux
nantis sur le plan économique, les crèches et les écoles qui se situent dans des quartiers
désavantagés sont de moins bonne qualité et offrent de moins bons soins aux enfants
que ceux qui sont dans d'autres milieux (Duncan et al., 2014). Dans une étude très
exhaustive sur la question, le National Institute of Child Health and Human
Development (NICHD ; 2006) américain fait la démonstration claire que même le choix
d'une crèche pour un enfant d'âge préscolaire est lié au statut socioéconomique des
parents et au lieu de résidence. Pour que ces parents puissent faire un autre choix,
habituellement, il faut quitter le quartier.

Les effets indirects de la pauvreté sur le développement


de l'enfant
Malgré tout ce qui est connu des effets directs de la pauvreté sur l'enfant, la pauvreté
d'une famille exerce probablement son impact le plus important sur le développement
de l'enfant par voies indirectes, notamment par l'impact qu'elle a sur les parents. Tout
comme les enfants, les parents qui vivent dans ces contextes de pauvreté ont plus
souvent expérimenté des niveaux importants d'adversité durant leur enfance, leur
adolescence et leur vie adulte, parfois des évènements traumatisants comme de l'abus
psychologique, physique, sexuel ou de la négligence chronique (Lowe et al., 2016). Ces
évènements ont un impact sur l'adaptation et l'émergence de difficultés psychologiques
comme les troubles de conduite et l'agressivité, la dépression, l'anxiété et le syndrome
de stress post-traumatique (Lowe et al., 2016 ; Tremblay, 2010).
De plus, le stress et les exigences des milieux défavorisés continuent d'exercer leurs
pressions sur les parents tant qu'ils y sont exposés. Ces parents rapportent plus de stress
que ceux qui viennent de contextes à moins haut risque social et ces niveaux de stress
élevés laissent une empreinte importante sur le fonctionnement familial (Barajas-
Gonzalez et Brooks-Gunn, 2014). Ils sont en lien avec la qualité de la relation conjugale
et le niveau de conflit qui est exprimé entre conjoints, incluant la violence conjugale et la
qualité des échanges et interactions avec les enfants (Sturge-Apple, Davies, Cicchetti, et
Fittoria, 2014). De plus, les travaux dans ce domaine suggèrent que les parents
provenant de milieux démunis manifestent plus souvent certains modèles d'interactions
avec leurs enfants, dès la naissance. Or, ces interactions et les relations parent-enfant qui
en découlent constituent un des principaux moteurs du développement en début de vie
(Tarabulsy et al., 2008).

Décrire les interactions parent-enfant


Afin de comprendre les études qui ont exploré l'effet de la pauvreté sur le
développement, il est nécessaire de qualifier le comportement des parents envers les
enfants dans le cadre d'interactions quotidiennes, surtout en ce qui a trait à la sensibilité
parentale. La notion de sensibilité parentale, applicable autant aux contextes de parents
biologiques qu'aux figures parentales alternatives, touche la façon dont le parent
répond aux signaux, aux émotions et aux comportements de l'enfant. On perçoit l'enfant
comme étant adapté à l'interaction avec le parent. Cette interaction sert à organiser son
comportement, son attention, ses émotions et sa physiologie et lui permet d'acquérir la
sécurité d'attachement nécessaire afin d'intégrer le monde social, à mesure qu'il
développe ses compétences cognitives, émotionnelles et motrices. Une réponse
parentale est dite sensible envers l'enfant si elle est prévisible pour l'enfant, chaleureuse,
communiquant un degré d'affection envers ce dernier, et appropriée, cohérente avec
son comportement (Pederson, Bailey, Tarabulsy, Bento, et Moran, 2014). La sensibilité
du parent organise tant le parent que le jeune enfant afin qu'ils puissent avoir des
interactions synchrones, impliquant des regards mutuels, des vocalisations, des
touchers, de la proximité et des contacts physiques. Les travaux fondateurs de ce
domaine ont été réalisés par Mary Ainsworth et d'autres qui ont porté un regard sur
l'élaboration de la relation parent-enfant dans la perspective du développement du lien
d'attachement (Ainsworth, Blehar, Waters, et Wall, 1978). Ces travaux démontrent que
sur les plans du développement neurophysiologique et langagier, des processus
cognitifs, ainsi que des caractéristiques émotionnelles et sociales, plus les parents sont
sensibles aux signaux de leurs enfants, plus le développement est favorisé (Atkinson et
al., 2013 ; Fearon, Bakermans-Kranenburg, van Ijzendoorn, Lapsley, et Roisman, 2010 ;
Madigan, Atkinson, Laurin, et Benoit et al., 2012 ; Raby, Roisman, Fraley, et Simpson,
2015). Dit autrement, la sensibilité du parent dans les interactions quotidiennes organise
différents aspects du développement précoce de l'enfant et ceci peut avoir des
répercussions à long terme sur son adaptation.
Durant la petite enfance, surtout durant la période du nourrisson, les parents
provenant de milieux plus démunis ont tendance à agir de manière moins sensible
envers leur enfant, étant plus souvent intrusifs ou inconstants, parfois ignorant l'enfant
pendant de longues périodes, le laissant seul dans son lit ou dans une chaise et
répondant peu à ses signaux et demandes. Ces conduites ont des impacts sur l'enfant,
tant par l'absence de stimulation qu'il expérimente, affectant son développement
cognitif et langagier, que par la leçon émotionnelle qu'elles lui transmettent. Dans un
sens très réel, le fait d'ignorer un enfant ou de le négliger communique clairement qu'il
n'est pas digne de l'affection de ses parents, commençant ainsi un cycle négatif d'estime
de soi (Bretherton, 2013).
Le développement des enfants de milieux vulnérables
Dans ces contextes, il n'est pas surprenant de constater les plus fréquentes difficultés de
développement cognitif, langagier, émotionnel et social des enfants provenant de
milieux à risque. Ces difficultés se manifestent dès le début de la vie par un niveau de
risque biologique élevé, comme en témoignent les naissances de petit poids et
prématurées plus fréquentes chez les enfants qui viennent au monde dans des contextes
de vulnérabilité socioéconomique (Bussières et al., 2015). Les difficultés impliquent aussi
et très tôt les modèles d'interactions et de relations parent-enfant, ce qui touche la
régulation émotionnelle, l'organisation biologique et les réponses émotionnelles
(Lupien, King, Meaney, et McEwen, 2001). Les relations d'attachement sont plus
souvent insécurisantes et désorganisées (Fearon et al., 2010 ; Madigan et al., 2012) et les
enfants sont plus souvent victimes de négligence, d'abus sexuel, physique ou
psychologique (Cicchetti, 2013). Les enfants expérimentent davantage de difficultés
cognitives et langagières (Malmberg et al., 2016) qui contribuent à des difficultés au
moment de l'entrée scolaire qu'ils peinent à rattraper (Wallander et al., 2014). Plus tard,
ces difficultés continuent de se manifester dans les contextes préscolaires et scolaires.
L'émergence de troubles du comportement intériorisés et extériorisés se concrétise
davantage dans la troisième année de vie et démontre une stabilité remarquable dans le
contexte de familles vulnérables (Broidy et al., 2003). Ces difficultés sont associées à
divers marqueurs de conduites parentales à l'égard de l'enfant (Fearon et al., 2010 ;
Madigan et al., 2012). Ces modèles, ainsi que le mode relationnel qui s'établit dans la
famille, influencent la manière dont les enfants s'engagent dans des relations avec leurs
pairs (Pallini, Baiocco, Schneider, Madigan, et Atkinson, 2014).
Ces difficultés se répercutent dans d'autres sphères. Dans la mesure où les
interactions parent-enfant dans des contextes de vulnérabilité ont été insécurisantes
pour les enfants, on peut comprendre les défis auxquels ces enfants sont confrontés
dans les situations scolaires et sociales. Les enfants qui se retrouvent avec ces difficultés
peuvent expérimenter des problèmes en lien avec la réussite scolaire, les troubles
d'adaptation et de comportement pendant l'adolescence et, à moins d'être exposés à une
intervention efficace, pendant la période de jeune adulte, des difficultés en lien avec la
santé mentale, la délinquance ou la criminalité (Tremblay, 2010).

En somme…
Malgré le fait que nous ayons encore des questions sur les processus qui lient la
pauvreté et la vulnérabilité familiale au développement, il est important de faire les
constats suivants :
• la pauvreté socioéconomique implique des facteurs de risque importants, touchant
de manière directe et indirecte le développement des enfants, les rendant
vulnérables dans leur développement et tout au long de leur vie ;
• parmi les effets indirects, cette pauvreté affecte les divers comportements parentaux
à l'égard des enfants ;
• ces facteurs peuvent influencer l'ensemble des sphères développementales.
La prévention des effets de la pauvreté
sur le développement de l'enfant
Les études sur la résilience démontrent qu'il est possible pour des enfants dans des
contextes de haut risque de se développer de manière harmonieuse. Dans ce chapitre, il
est question des différentes avenues qu'ont prises les chercheurs et les établissements
afin de prévenir les potentiels effets délétères liés à l'exposition à un contexte de vie
difficile que ce soit par des stratégies de prévention visant :
• l'enfant directement ;
• des caractéristiques de l'organisation familiale ;
• l'amélioration de la relation entre l'enfant et la figure parentale.

La prévention directe auprès de l'enfant


Perry Preschool
Au cours des années 1960, alors que les pays occidentaux commencent à vouloir mieux
soutenir les familles et les enfants provenant de milieux à risque, Weikart élabore un
programme visant à préparer les enfants à l'école en leur offrant des ateliers structurés
de stimulation. Le High/Scope Perry Preschool Program (PPS) (Weikart, Deloria, Lawser, et
Wiegerink, 1970) a été instauré dans un milieu urbain et défavorisé du Michigan. Le
programme est structuré autour de deux éléments. Le premier consiste à recevoir des
enfants de 3 et 4 ans dans un contexte éducatif pendant deux heures et demie, cinq jours
par semaine pendant deux ans avant l'entrée scolaire à 5 ans. Ces activités touchent la
créativité et l'imagination, le développement du langage et l'alphabétisation, les
relations sociales, la motricité, la musique, les nombres, l'espace et le temps
(Schweinhart, 2010). Ce programme s'est révélé avoir des conséquences positives pour
le développement de l'enfant. Au plan cognitif par exemple, 67 % des enfants ayant été
exposés à PPS obtiennent des scores dans la normale pour des épreuves d'intelligence,
comparé à 28 % des enfants du groupe témoin. Ce programme a également eu des effets
à long terme sur la délinquance. De fait, 36 % de ceux qui ont été exposés à PPS sont
arrêtés par la police 5 fois ou plus, comparé à 55 % pour ceux du groupe témoin (avant
l'âge de 40 ans). Jamais on ne pensait qu'une intervention éducative, ayant pour but de
mieux préparer les enfants pour l'entrée scolaire à 5 ans, pouvait avoir un impact sur la
délinquance à l'âge adulte. Ces résultats étaient parmi les premiers à nous montrer que
l'intervention directe auprès des enfants pouvait avoir des effets bénéfiques sur le
développement, même après plusieurs décennies. Ce type de recherche a convaincu de
nombreux parents qu'il était possible pour leur enfant d'expérimenter des soins non
parentaux et avoir un développement harmonieux.

Les services de garde


Depuis les 30 dernières années, partout en occident, la majorité des enfants reçoivent
maintenant des services éducatifs à l'extérieur du milieu familial tôt dans leur vie (OMS,
2014). Ces services permettent à l'enfant d'entrer en relation avec des adultes autres que
ses parents. Bien que ces milieux semblent avoir relativement peu d'impact sur le
développement des enfants à faible risque sur le plan social, ces services (crèches) visent
à améliorer le développement des sphères cognitives, émotionnelles et sociales chez les
enfants provenant de milieux défavorisés. Cette expérience de soins non parentaux peut
avoir différents impacts chez l'enfant, positifs ou négatifs, la qualité du service étant une
modalité pouvant influencer l'expérience et le développement de l'enfant (NICHD,
2006).
Plusieurs travaux ont démontré l'importance de la qualité des services de garde pour
que l'enfant puisse en bénéficier. Par exemple, Gialamas, Mittinty, Sawyer, Zubrick, et
Lynch (2015) ont démontré que le développement cognitif et le comportement social des
enfants lors de l'entrée à l'école étaient plus favorables chez les enfants provenant de
milieux défavorisés qui avaient bénéficié d'une relation éducatrice-enfant de bonne
qualité. Cette relation est un des principaux indicateurs de la qualité des services de
garde. Malheureusement, en Occident, la qualité des milieux de garde laisse souvent à
désirer (Japel, Tremblay, et Côté, 2005). Phillips et Lowenstein (2011) affirment qu'aux
États-Unis, la qualité des services de garde varie autour d'une moyenne que l'on peut
qualifier de « médiocre ». Des constats similaires se font dans plusieurs sociétés
occidentales. Au Québec, par exemple, une récente enquête sur la qualité des services
de garde à la petite enfance révèle que la qualité des interactions entre les éducateurs et
les enfants n'est pas optimale pour l'ensemble des enfants (Gingras, Lavoie, et Audet,
2015). Sachant que pour les très jeunes enfants, l'interaction entre le donneur de soin et
l'enfant est importante pour son développement émotionnel et cognitif, cet aspect de la
qualité du milieu de garde est prioritaire.
Cependant, il est important de souligner qu'à titre préventif, il a régulièrement été
démontré que la fréquentation d'un milieu de garde de qualité par un enfant provenant
d'un milieu défavorisé peut agir à titre de facteur de protection (Côté, Borge, Geoffroy,
Rutter, et Tremblay, 2008). Par exemple, selon Côté et ses collaborateurs, un enfant
provenant d'un milieu à risque montre moins d'agressivité physique à 4 ans lorsqu'il a
fréquenté un milieu de garde en très bas âge. Selon ces auteurs, un enfant qui
expérimente des difficultés relationnelles à la maison, mais qui fréquente un milieu de
garde sensible à ses besoins, peut compenser pour ses difficultés en entrant en relation
avec un autre adulte et développer un lien favorable. Dans cette perspective, on conçoit
que l'enfant peut évoluer avec le sentiment de sécurité nécessaire à l'exploration de son
environnement (Burchinal, Cryer, Clifford, et Howes, 2002).
Des résultats analogues ont également été trouvés suite à l'implantation de
l'intervention Early Head Start, un programme de prévention qui vise des enfants de bas
âge provenant de milieux hautement à risque sur le plan social (Love, et al., 2005). Dans
une évaluation de l'efficacité de ce programme, Ayoub et al., (2009) font la
démonstration d'un effet « réparateur » : lorsque ces enfants provenant de milieux à
haut risque sont intégrés tôt dans un milieu de garde de très haute qualité, ayant un
programme de stimulation cognitive et langagière et veillant aux besoins socioaffectifs
des enfants, ils arrivent à l'école avec un niveau de fonctionnement social, langagier et
cognitif égal à celui d'enfants provenant de milieux à faible risque. Il souligne l'impact
potentiel du milieu de garde pour favoriser un développement plus harmonieux chez
les enfants les plus vulnérables.
Cependant, il est important de nuancer ces propos avec les travaux recensés par Love
et ses collaborateurs (2003). Dans certains pays, on documente le lien entre l'exposition à
des milieux de garde de mauvaise qualité et plusieurs difficultés touchant différentes
sphères du développement : l'attachement parent-enfant, le développement cognitif et
les troubles du comportement. Ces études indiquent que le défi de la qualité n'est pas
facilement relevé par les crèches et, bien qu'il soit possible de soutenir le développement
d'enfants provenant de milieux vulnérables par une garderie de qualité, une garderie de
mauvaise qualité peut miner le développement davantage.
Que peut-on retirer des travaux sur les crèches et les services de garde ? Une
première conclusion est que de telles expériences de soins non parentaux, lorsque
structurées et de bonne qualité, peuvent agir comme facteur de protection pour le
développement d'enfants provenant de milieux à risque. Dans une société qui se
préoccupe de l'avenir des enfants, il est important d'être concerné par la qualité de cette
aide familiale (Rutter, 2000). Une deuxième conclusion, maintes fois soulignée par les
chercheurs du NICHD (1997), est que malgré le potentiel réparateur que constitue le
milieu de garde, les parents demeurent la principale source d'influence sur le
développement de l'enfant (NICHD, 2006). Dans leurs réflexions sur les résultats des
études portant sur la période d'âge de 0 à 5 ans, les chercheurs américains notent leur
surprise concernant le résultat que la famille a, et de loin, l'influence la plus marquante
sur le développement de l'enfant et que la crèche ne peut qu'agir qu'en soutien au
milieu familial.

La prévention visant le parent et l'organisation familiale


Bien que le PPS et les services de garde puissent favoriser le développement des enfants
vulnérables, le parent, quant à lui, reste plutôt à l'écart de ces stratégies qui visent
l'enfant. La pauvreté et le risque social affectent toute la cellule familiale. C'est donc
pourquoi il est pertinent de considérer des stratégies de prévention qui ciblent
différentes dimensions familiales qui touchent le développement de l'enfant.
Vers la fin des années 1970 et pendant les années 1980, David Olds et de nombreux
collaborateurs ont abordé la question du rôle de la pauvreté sur le développement de
l'enfant d'une manière différente de ce qui avait été fait dans la cadre du PPS. Au
moment d'élaborer le NFP dans les années 1970, les États-Unis avaient 2,5 millions
d'enfants maltraités et/ou négligés. Toutes ces problématiques étaient inextricablement
liées aux questions de vulnérabilité socioéconomique et aux évènements qui
caractérisent les milieux plus marginalisés.
En élaborant le NFP, Olds (2010) vise l'amélioration de la santé des mères pendant et
après la grossesse et celle des bébés, l'amélioration de l'organisation familiale et de
l'intégration sociale et professionnelle, ainsi que l'amélioration des conduites des
parents à l'égard des enfants. Le NFP fait appel au concept d'intervenante attitrée,
habituellement une infirmière de formation, qui fait une trentaine de visites au domicile
des parents du 7e mois de grossesse au 24e mois de vie de l'enfant. Ces rencontres
portent sur un ensemble de sujets touchant la vie de famille et les soins à l'enfant.
L'intervenante reçoit plusieurs semaines de formation. Son travail avec les familles est
structuré et manualisé, comportant des cibles précises d'intervention.
Le NFP a été évalué pendant plusieurs années impliquant plus de 2 000 dyades mère-
enfant dans plusieurs sites afin de mieux comprendre ses effets à court et long terme.
Quelques résultats émergent de ces évaluations :
• amélioration de l'alimentation et diminution du tabagisme chez les mères ;
• 80 % moins de signalements retenus pour maltraitance avant l'âge de 2 ans ;
• améliorations cognitives pour les enfants les plus à risque ;
• 42 % moins de grossesses avant que l'enfant cible n'ait atteint l'âge de 48 mois ;
• à 15 ans, les enfants exposés avaient moins tendance à être impliqués dans des
activités criminelles, un résultat qui était plus important pour les enfants provenant
des milieux les plus vulnérables ;
• amélioration de l'organisation familiale.

La prévention misant sur l'amélioration des interactions


entre l'enfant et la figure parentale
Une des critiques qui peut être faite des stratégies visant l'enfant (PPS ; services de
garde) ou l'organisation familiale (NFP) est qu'elles n'abordent qu'indirectement les
expériences d'interactions parent-enfant, qui pourtant sont au cœur du développement
de l'enfant. Afin de combler cette lacune, plusieurs chercheurs ont appliqué les
principes de l'attachement parent-enfant dans des protocoles d'intervention. En
abordant directement les interactions auxquelles l'enfant est exposé, on touche un des
médiateurs importants du développement de l'enfant en bas âge. Les résultats de deux
études importantes dans ce domaine sont présentement résumés (voir aussi les
chapitres 35 et 45).
Moran, Pederson et Krupka (2005) ont réalisé une étude auprès de mères adolescentes
et leur enfant. Ils font la démonstration que six rencontres structurées, axées sur
l'amélioration de la sensibilité parentale, augmentent cette sensibilité ainsi que la
sécurité de l'attachement des enfants. Cette étude est la première qui aborde la
sensibilité maternelle en faisant appel à une stratégie de rétroaction vidéo dans le cadre
de l'intervention. Dans cette approche, une partie du temps de chaque rencontre avec la
jeune mère est dédiée à un jeu mère-enfant qui est enregistré sur vidéo. Dans une
perspective d'encouragement, d'enseignement et de valorisation du rôle parental, cette
séquence est visionnée avec la mère afin de lui montrer les comportements de sensibilité
qu'elle démontre à l'égard de son enfant et de souligner l'importance de ces gestes pour
différents aspects du développement de ce dernier.
Cicchetti, Rogosch et Toth (2006) ont réalisé une étude impliquant des parents
maltraitants et leur enfant de 12 mois, assignés à l'un de trois groupes expérimentaux :
1. psychothérapie parent-enfant ;
2. approche psychoéducative-attachement parent-enfant ;
3. intervention habituelle en protection de l'enfance.
Il y avait aussi un quatrième groupe d'enfants provenant de familles non
maltraitantes. Les deux premiers groupes d'intervention comprenaient 23 rencontres
avec les parents. Les parents du Groupe 1 étaient exposés à des rencontres de
psychothérapie impliquant leur enfant. Les parents pouvaient aborder différentes
questions en lien avec la relation qu'ils avaient avec leur enfant, leur propre histoire
avec leurs parents, ainsi que les évènements marquants de leur propre développement.
Les parents du Groupe 2 étaient exposés à des ateliers ayant pour objectif précis
d'améliorer la qualité des réponses maternelles aux signaux, émotions et besoins des
enfants. Les résultats démontrent que les enfants des deux premiers groupes
manifestent une nette amélioration dans la sécurité de l'attachement en comparaison au
groupe recevant les traitements habituels. Ces travaux soulignent que l'intervention
ciblée sur l'interaction parent-enfant peut aider même les dyades les plus démunies
dans la sécurité de leur lien, ce qui est bénéfique pour la suite du développement.

La parentalité alternative : le placement en protection


de l'enfance et l'adoption
L'intervention plus radicale : le placement en
protection de l'enfance
Les stratégies d'intervention dont il a été question jusqu'à maintenant portent sur la
présomption qu'avec un certain soutien, le développement de l'enfant peut être
préservé ou amélioré dans sa famille. Or, dans certaines situations, il faut agir plus
rapidement avec davantage d'intensité afin de préserver l'intégrité du développement
de l'enfant et peut-être même sa sécurité physique. Le placement d'un enfant dans une
famille d'accueil, une pratique socio-judiciaire présente dans la plupart des pays
occidentaux, est une forme radicale et extrême d'intervention directe auprès de l'enfant
qui vise l'amélioration de ses perspectives de développement. Dans plusieurs
législations, lorsque les parents agissent envers leur enfant de manière à compromettre
son développement ou sa sécurité, des intervenants ont pour mandat d'agir sur les
plans social et judiciaire. Parfois, cette intervention requiert le retrait de l'enfant de sa
famille afin de le placer dans un milieu plus sécuritaire ou un milieu qui lui donne le
soutien minimal nécessaire pour son développement. Ce « placement d'enfant » peut
être temporaire et de courte durée, ou de plus longue durée.
Lorsqu'un enfant est placé en milieu substitut, dans une famille d'accueil, est-ce qu'il
en bénéficie ? Est-il possible de préserver ou d'améliorer son développement ? Le
placement de l'enfant en milieu substitut demeure une intervention dont les bénéfices
pour l'enfant ne sont pas clarifiés par la littérature scientifique (Berger, Bruch, Johnson,
James, et Rubin, 2009). Évidemment, les mesures de placement visent à protéger l'enfant
et à assurer son développement en lui offrant un milieu familial plus adéquat. Dans
certains cas, le simple fait de préserver la santé physique de l'enfant est le principal
objectif. Cependant, il existe un questionnement quant à l'efficacité du placement dans
d'autres circonstances.
Certains travaux confirment le succès des mesures de placement et démontrent les
améliorations significatives du développement des enfants placés (Fanshel et Shinn,
1978). Notamment, Wald, Carlsmith et Leiderman (1988) montrent que les enfants
maltraités et placés en familles d'accueil vivent moins d'abus, reçoivent de meilleurs
soins physiques, fréquentent davantage l'école et ont un meilleur dossier académique.
Barber et Delfabbro (2004) soutiennent que les enfants placés dans un milieu d'accueil
adéquat peuvent combler les retards attribuables à leurs expériences difficiles vécues
dans leur milieu familial d'origine sur les plans cognitifs et émotionnels.
Cependant, certains autres travaux indiquent que les enfants placés vont
expérimenter davantage de difficultés en lien avec leur placement. La rupture précoce
d'un lien significatif est associée à des réactions à court et moyen terme chez l'enfant
(Chisholm, Carter, Ames, et Morison, 1995) et peut être à la base d'importantes
difficultés d'adaptation. Ces difficultés font du placement une intervention qui demeure
contestée. Certains auteurs sont d'avis que les Occidentaux ont recours trop facilement à
cette intervention extrême et qu'il serait plus approprié d'être plus intensif dans
l'application de mesures de prévention. Lawrence, Carlson et Egeland (2006) examinent
l'impact du placement en famille d'accueil sur les problèmes comportementaux et le
fonctionnement psychologique de l'enfant, en contrôlant statistiquement pour les
mesures socioéconomiques et d'adaptation lors de l'entrée en famille d'accueil. Ces
auteurs démontrent que les enfants victimes de maltraitance pendant l'enfance ayant
ensuite été hébergés en famille d'accueil présentent davantage de difficultés
comportementales au terme des mesures de placement que les enfants maltraités ayant
été maintenus dans leur milieu familial. Ces données suggèrent que le placement en
famille d'accueil peut conduire à une augmentation des problèmes comportementaux.
Il est donc pertinent de s'interroger sur les circonstances qui favorisent le
développement de l'enfant lorsqu'il y a nécessité de placement. Tout comme pour les
études portant sur les services de garde, il est important de considérer la « qualité » du
milieu familial d'accueil. Les travaux dans ce domaine démontrent que cette qualité, qui
se définit par un ensemble de caractéristiques, exerce un rôle particulièrement
important dans l'adaptation de l'enfant. Ces facteurs comprennent l'environnement
offert par la famille d'accueil (Orme et Buehler, 2001), de même que les caractéristiques
des parents d'accueil, impliquant leur personnalité et des aspects de leur adaptation,
leurs qualités parentales (Sinclair et Wilson, 2003) et l'engagement des parents d'accueil
auprès de l'enfant placé (Dozier, 2005). Ces éléments ont été démontrés comme étant
prédicteurs d'un meilleur fonctionnement et de difficultés comportementales et
émotionnelles moins sévères chez l'enfant placé.
Certaines caractéristiques propres à l'enfant peuvent aussi influencer l'expérience de
l'enfant dans son nouveau milieu. En effet, l'enfant peut influencer les comportements
parentaux, de même que le niveau de détresse psychologique vécu par les parents
substituts, ce qui peut engendrer des effets délétères sur le développement de l'enfant
(Newton, Litrownik, et Landsverk, 2000). Très souvent, les difficultés émotionnelles des
jeunes seront accompagnées de difficultés en lien avec des symptômes d'extériorisation
(agressivité ; hyperactivité ; troubles d'attention ; opposition). Ces comportements
viendront teinter ses interactions avec ses parents substituts (Vanschoonlandt,
Vanderfaeillie, Van Holen, De Maeyer, et Robberechts, 2013). Il n'est pas surprenant de
constater que la présence de comportements extériorisés chez un enfant peut mener à
des comportements chez les parents substituts qui nuisent au développement de
l'enfant et qui peuvent ainsi rendre le placement plus susceptible d'être instable à
travers le temps. Dans un certain sens, par le bagage émotionnel qu'il apporte dans son
nouvel environnement, l'enfant placé peut perturber de façon importante le milieu qui
l'accueille. Et dans les faits, les organisations de protection de l'enfance notent que les
enfants qui luttent avec des difficultés d'extériorisation ont des changements de milieux
d'accueil plus fréquents que les autres (Wang, Christ, Mills-Koonce, Garrett-Peters, et
Cox, 2013).
Ainsi, compte tenu des caractéristiques des enfants qui arrivent en milieu d'accueil, le
niveau de sensibilité des parents substituts dans les interactions avec l'enfant placé joue
un rôle important sur le développement et l'adaptation de ce dernier. Dans ce contexte,
tout comme dans les familles biologiques des enfants, la qualité des interactions parent-
enfant et des conduites parentales est primordiale pour comprendre la suite du
développement de l'enfant (Moss et al., 2011).
Bien que contestée, il ne semble pas que la mesure de placement doive être remise en
question. Notamment, elle peut s'avérer judicieuse lorsque les situations de vie des
jeunes appellent à des mesures extrêmes afin de préserver leur intégrité dans
l'immédiat. Cependant, les travaux dans ce domaine démontrent que le simple fait de
placer un enfant en famille d'accueil n'assure pas un soutien à son développement.
Comme pour l'expérience de l'enfant dans son milieu biologique, le développement est
étroitement associé aux conditions qui caractérisent le milieu d'accueil. Les
caractéristiques de « la nouvelle famille » doivent être considérées au premier plan afin
d'essayer de prédire l'adéquation d'un milieu aux besoins et caractéristiques de l'enfant
placé.

L'adoption
Selon les l'Organisation des Nations Unies (2009), il y a plus de 260 000 adoptions
chaque année dans le monde, dont plus de 120 000 ont lieu aux États-Unis uniquement.
Ces chiffres concernent l'adoption domestique et internationale. D'autres pays sont
également très actifs à ce niveau, dont la Chine (plus de 45 000 adoptions par année) et
la Russie (environ 20 000 adoptions par année). L'adoption n'est pas une forme
d'intervention comme les autres qui ont été recensées jusqu'à présent dans ce chapitre.
Certes, dans la plupart des situations d'adoption, l'enfant est à très haut risque.
L'adoption locale implique habituellement (mais pas toujours) des abandons ou des
mauvais traitements à l'égard des enfants. L'adoption internationale peut également
impliquer ce type de situation et/ou des soins potentiellement problématiques durant la
période pré-adoption, toujours dans le contexte d'une forme d'abandon de l'enfant. De
plus, parmi les différences avec les autres stratégies, on implique une nouvelle famille
qui est motivée à accueillir l'enfant d'une façon différente. La motivation et
l'engagement parentaux sont des facteurs qui créent des conditions de succès pour le
placement en protection de l'enfance. Ce désir d'enfant de la part des parents adoptifs
constitue donc un facteur qui peut exercer un rôle positif dans la suite de l'expérience
de l'enfant. Or, pour de nombreux chercheurs qui se sont penchés sur cette question,
l'adoption constitue une façon d'intervenir auprès d'enfants qui auraient peu d'autres
options (Tessier, Paquin, et Marinova, 2012).
Les travaux de plusieurs chercheurs dans ce domaine démontrent que l'adoption est
bénéfique pour les enfants. Il est important, cependant, de considérer la méthodologie
de recherche de ces travaux. Deux stratégies sont généralement utilisées, soit de faire la
comparaison avec des enfants provenant des mêmes milieux d'origine, mais qui ne sont
pas adoptés, ou de comparer les enfants adoptés à un groupe qui ressemble à des
enfants de la population d'accueil, vivant avec leurs parents biologiques.
Dans le cas des comparaisons avec les enfants non adoptés qui viennent des mêmes
milieux, que cela concerne l'adoption domestique ou internationale, les résultats sont
très clairs : l'adoption agit comme une intervention intensive, continue et stable. Les
enfants adoptés expérimentent moins de problèmes médicaux et présentent davantage
d'indicateurs de santé favorables (poids, taille, périmètre crânien). De même, dans
diverses études longitudinales, on démontre qu'ils ont un développement cognitif
supérieur et sont en mesure de développer des relations d'attachement sécurisantes
plus fréquemment que les pairs non adoptés. Certains chercheurs démontrent que
l'adoption agit sur la plasticité cérébrale, ainsi que sur le traitement de l'information des
nourrissons et des jeunes enfants, ayant des implications pour diverses fonctions
cognitives. Enfin, on note moins de troubles du comportement et, plus tard, de
délinquance chez les enfants adoptés selon van IJzendoorn et Juffer (2006). Ainsi,
comme mode d'intervention, l'adoption est si efficace qu'elle donne lieu à des
rattrapages « massifs » du développement qui favorisera l'enfant tout au long de sa vie.
Cependant, van IJzendoorn et Juffer (2006) démontrent également dans leur série de
méta-analyses que l'adoption ne garantit pas que le développement de l'enfant soit
complètement protégé. De fait, certaines caractéristiques des enfants influencent leur
développement après l'adoption. Notamment, l'âge de l'enfant au moment de l'adoption
et le degré de privation expérimentée en institution avant l'adoption (souvent en lien
avec le pays d'origine de l'enfant). Si l'enfant est jeune au moment de l'adoption (moins
de 12 mois surtout) et s'il est né dans un pays qui se préoccupe de la santé et du
développement des enfants abandonnés, il aura de meilleures chances de rattraper le
développement de ses pairs. Dans le cas de l'adoption domestique ou internationale, ces
deux conditions n'arrivent pas toujours ensemble.

Conclusion
Il y a 30 ans, lorsqu'on intervenait auprès de familles en difficulté, nos meilleures
stratégies d'intervention reposaient sur des connaissances acquises au fil de l'expérience
des intervenants : psychologues, psychiatres, éducateurs, etc. qui avaient eu la ténacité
de rester impliqués dans la vie des enfants les plus vulnérables. D'une certaine manière,
ces intervenants avaient acquis une connaissance anecdotique qui leur était très utile au
quotidien dans leur travail auprès des familles. Or, depuis cette époque, la recherche
empirique a su codifier une partie de ces connaissances et en ajouter d'autres afin de la
rendre accessible au plus grand nombre. Ces connaissances doivent être encadrées par
des politiques et une motivation communautaire de faire ce qui est possible pour
soutenir le développement des enfants qui grandissent dans des circonstances de
vulnérabilité. Bien qu'il reste beaucoup d'information à acquérir sur l'intervention et le
développement des enfants, le fonctionnement des familles et la façon dont les
contextes sociaux affectent l'adaptation individuelle et collective, un des enjeux majeurs
de notre époque réside dans notre capacité de mettre en pratique, collectivement, une
partie de ce que nous avons appris au cours de cette dernière génération (Tarabulsy et
al., 2012).

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PA R T I E 6
Les méthodes en psychologie du
développement
CHAPITRE 42

Les méthodes d'investigation


en psychologie du développement
Françoise Morange-Majoux; Raphaële Miljkovitch

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Évaluer le changement (développement)
Évaluer le comportement : l'observer ou le provoquer ?
Exemples de méthodes
Les méthodes spécifiques au bébé
Les mesures électro-physiologiques
La méthode des tests
Les questionnaires
Les entretiens
La sociométrie
Conclusion

Introduction
Quel que soit le cadre théorique dans lequel on se place, se pose la question de la
mesure du développement. Que mesurer et comment le mesurer ?
Avant de déterminer les outils d'évaluation, il convient de planifier le déroulement de
la recherche en fonction des objectifs poursuivis. Il s'agit, en psychologie du
développement, de comparer des individus d'âges différents ou à des âges différents, à
l'aide de coupes respectivement transversales ou longitudinales. Ces comparaisons
permettent de repérer les changements et de les analyser. Chacune des deux procédures
présente des avantages et des inconvénients et sont choisies l'une ou l'autre en fonction
de la problématique et des contraintes de terrain.
Une difficulté spécifique à la recherche en psychologie du développement réside dans
l'attention à porter sur l'adéquation de l'outil utilisé à l'âge des participants. En effet, des
outils élaborés et validés auprès d'un échantillon de personnes d'un âge donné ne
peuvent être considérés valides à d'autres âges. La difficulté est d'autant plus grande
qu'on cherche à mesurer une même variable à des âges différents, alors que les
manifestations de cette variable évoluent beaucoup à travers le temps et que les outils
doivent eux aussi être adaptés aux différents stades de développement. Nous verrons à
travers quelques exemples comment les outils et les nouvelles technologies permettent
« d'épouser » les compétences et comportements de l'individu selon l'âge et ainsi
refléter au mieux ce qu'ils sont censés mesurer.

Évaluer le changement (développement)


Classiquement, on distingue les études transversales des études longitudinales. Les
premières permettent de comparer différents groupes d'âge à un même moment et de
regarder le changement de niveau de la variable dépendante (exemple : compréhension
du langage). Cette approche permet le recueil rapide des données et met en évidence
des différences liées à l'âge. En revanche, elle présente l'inconvénient de dater
seulement les changements sans expliquer les processus sous-jacents qui s'opèrent.
Ainsi, on ne peut se prononcer sur la continuité ou la discontinuité des processus au
cours du temps étant donné que les moyennes obtenues concernent des individus
différents pour chaque tranche d'âge.
Les secondes permettent d'étudier les mêmes participants à différents moments dans
le temps. C'est la mesure de choix de la psychologie développementale, car elle permet
d'analyser non seulement les changements individuels, mais également les différences
interindividuelles en fonction de l'âge. Toutefois, ces recherches restent très coûteuses
en temps et en sujets ; elles sont donc bien souvent utilisées pour compléter des
résultats. En outre, le taux d'attrition, généralement élevé, fait que l'échantillon final est
très réduit par rapport à l'échantillon d'origine. L'abandon des participants peut
entraîner un biais (seuls les participants « stables » sont étudiés), ce qui limite les
possibilités de généraliser les résultats obtenus. La « perte » de sujets n'est pas rare.
Ainsi le chercheur travaille généralement sur une population bien plus large (souvent
augmentée de 50 %) pour être sûr d'avoir in fine le nombre de sujets requis pour faire
des analyses fiables. Toutefois, des programmes statistiques d'imputation de données
sont aujourd'hui disponibles pour générer artificiellement des données et compléter les
données manquantes, évitant ainsi le biais induit par l'étude des seuls participants
« stables ».
Il peut aussi exister un « effet de cohorte », c'est-à-dire des différences entre les
générations qui sont liées, par exemple, au changement de contexte dans lequel elles ont
évolué. Ainsi, le comportement amoureux, comme le nombre de partenaires au cours de
la vie a beaucoup changé au cours de ces dernières décennies. Des différences observées
entre les personnes âgées et les jeunes gens, plutôt que de découler de caractéristiques
personnelles (comme leur style d'attachement), peuvent simplement s'expliquer par des
évolutions sociétales. Une solution à ce problème réside dans le recours à un plan
séquentiel, qui consiste à suivre des groupes d'âges différents sur plusieurs temps. Ainsi
peut-on évaluer l'existence d'un effet de cohorte en comparant deux groupes évalués au
même âge (l'un à T1 et l'autre à T2). L'effet longitudinal est ainsi mieux appréhendé.
L'approche longitudinale présente également le risque d'interpréter comme linéaire
un comportement qui ne l'est pas. C'est le cas du grasping par exemple (réflexe du
nouveau-né qui consiste à enserrer le doigt de l'adulte à la naissance). Ce comportement
réflexe de préhension s'observe dès la naissance et jusqu'à 2 mois ½ environ ; il disparaît
vers 3 mois et réapparaît à partir de 4 mois et demi. De prime abord, ce comportement
semble unique et sa présence semble fluctuer selon l'âge. En réalité, il s'agit de deux
comportements différents, sous-tendus par des mécanismes de planification et d'action
neuropsychologiques spécifiques (le premier est un comportement réflexe, le second un
comportement volontaire).
Maintenant que nous avons vu ces deux façons de mesurer le développement, nous
allons décrire les méthodes qui peuvent tester, répondre et mettre en évidence les
différents aspects du développement. Une méthode se définit comme une suite
d'opérations ou de procédés que l'on doit appliquer de façon homogène en vue de tester
des hypothèses déterminées. Traditionnellement, on distingue l'observation de
l'expérimentation. Pourtant, comme nous allons le voir, les deux approches sont
souvent couplées, voire imbriquées, de telle sorte que cette dichotomie semble
artificielle.

Évaluer le comportement : l'observer ou le provoquer ?


On peut considérer que l'évaluation d'un comportement se fait sur un continuum qui va
du moins interventionniste au plus interventionniste. Selon la position du curseur sur
ce continuum, c'est-à-dire selon qu'on provoque les comportements et les situations
qu'on étudie ou qu'on les laisse arriver naturellement, les méthodes divergent ; elles
présentent chacune des avantages et des inconvénients.
Pendant longtemps, l'évaluation du comportement sans intervention a prévalu. En
effet, méthode privilégiée en psychologie du développement, elle permet de catégoriser
les comportements et d'apprécier leur évolution. L'observateur sélectionne dans un
premier temps les personnes, les groupes de comportements, les événements, les
situations ou les périodes de temps sur lesquelles on doit porter son attention. Il faut
également prévoir comment les observations vont être enregistrées : la mémoire de
l'observateur, des enregistrements audio ou vidéo, des systèmes de mesures
physiologiques, des chronomètres et des compteurs sont tous possibles. Les
observations peuvent être faites à intervalles réguliers (par exemple, 5 min toutes les
heures). Une autre manière de procéder est de ne s'intéresser qu'à certaines activités ou
comportements. En dernier lieu, une grille pour coder les observations brutes en
variables spécifiques doit être mise au point. En pratique, le chercheur constitue une
grille où certains comportements sont prévus. Par exemple, on se questionne sur le
comportement visuel au cours de la préhension chez le bébé : on constitue une grille
dans laquelle on « prévoit » certains comportements visuels (modalités) appelés
comportements cibles : « le bébé regarde l'objet », « le bébé regarde l'expérimentateur »,
« le bébé regarde sa mère », « le bébé regarde ailleurs » (on peut définir cette modalité
plus précisément en fonction de sa pertinence avec la question). On teste ensuite la
grille d'observation sur un petit échantillon ce qui permet d'ajuster la grille : ainsi
certains comportements prévus peuvent ne jamais apparaître et d'autres non prévus,
comme « le bébé regarde sa main » apparaître. La grille d'observation n'a pas pour seul
objet de relever l'occurrence d'un comportement, elle a aussi pour fonction de donner la
durée de ce comportement et l'organisation séquentielle des comportements entre eux.
Il s'agira donc de déterminer la durée de l'observation, adaptée au sujet de recherche, en
pratiquant la méthode des échantillons temporels ou l'analyse image par image des
comportements. Cette opérationnalisation est souvent la tâche la plus difficile des
procédures d'observation.
De l'autre côté du curseur, on trouve l'expérimentation, qui est la (re)production
artificielle d'un comportement dans des conditions permettant de maîtriser tous les
paramètres, de telle sorte que tout chercheur puisse les reproduire. Si la méthode
expérimentale se veut la méthode scientifique par excellence comme l'a défini Claude
Bernard, elle est aussi une méthode de choix pour l'étude du développement et de ses
changements. Elle vise à établir l'existence d'une relation de cause à effet entre différents
phénomènes observés par la manipulation d'une série de facteurs de variabilité. Elle
permet de tester des hypothèses et d'apporter des preuves. Il s'agira typiquement de
comparer à des âges différents un même comportement ou état : une variable
indépendante (ici l'âge) est alors envisagée comme une cause dans les variations des
variables dépendantes (une compétence par exemple) ; ces variations sont interprétées
comme les effets de la/des variables indépendantes.
Nous allons maintenant décrire quatre approches, graduellement interventionnistes.
Toutefois, la méthode expérimentale, de par sa définition et ses contraintes (cadre strict,
consigne verbale et/ou motrice), est très difficile à appliquer sur l'ensemble du
développement, tout particulièrement chez le bébé. En effet, d'une part, il est difficile,
voire impossible de contraindre le bébé à faire quelque chose qu'il ne veut pas faire,
d'autre part, son champ de réponses comportementales est extrêmement réduit (absence
de langage, réponses motrices limitées, périodes de veille restreintes, etc.). Dès lors, on
comprend mieux pourquoi pendant très longtemps, la psychologie du développement a
porté sur les enfants d'âge verbal et pourquoi l'observation est restée longtemps la
méthode de choix lorsque l'on s'intéressait au développement précoce.

Exemples de méthodes
L'observation naturaliste
Dans cette situation, l'observateur regarde le comportement lorsqu'il survient dans son
contexte naturel (i. e. à la maison, à l'école, au parc). Ces cadres sont réalistes et
pertinents pour comprendre le comportement du sujet et les facteurs qui l'influencent.
Le cas typique de l'observation naturaliste émane de l'anthropologie où le chercheur se
joint à une tribu, une sous-culture ou d'autres unités sociales pour observer leurs
caractéristiques et les comportements des individus qui en font partie. Dans de tels cas,
l'observateur est un participant dans tous les sens du terme, et les observations sont
généralement enregistrées sous forme de notes anecdotiques qui, plus tard, sont
transformées en un rapport détaillé.
L'étude pionnière de Mary Ainsworth des dyades mères-bébés en Ouganda est un
bon exemple de recherche basée sur des observations naturalistes. Elle a observé,
pendant plusieurs mois, 28 dyades ougandaises à leur domicile pour tenter de répondre
à plusieurs questions de recherche :
• Comment l'attachement se forme-t-il ?
• Quels sont les facteurs qui en favorisent ou en freinent le développement ?
• Quels sont les critères permettant de juger si un attachement s'est mis en place ?
Ainsi, elle voulait arriver à décrire en termes précis ce qui permet d'évaluer la force et
la nature de l'attachement. Elle partait de l'idée qu'un bébé qui a un fort attachement à
sa mère manifestera une plus grande détresse lorsqu'il en est séparé qu'un bébé dont
l'attachement est faible, voire inexistant.
Mais au fil de ses observations, elle a constaté que certains enfants qui avaient l'air
très attachés à leur mère ne protestaient pas ou n'essayaient pas de la retenir lorsqu'elle
s'apprêtait à partir. C'est alors qu'Ainsworth s'est demandé si ces enfants n'avaient pas
tout simplement confiance dans le fait que leur mère revienne, autrement dit, s'ils
étaient sécures. N'étant plus convaincue que la force de l'attachement soit simplement
proportionnelle à la détresse manifestée au départ de la mère, elle a tenté de repérer ce
qui lui donnait l'impression que certains enfants étaient attachés, alors qu'ils n'étaient
pas ébranlés par la perspective de son absence. C'est ainsi qu'elle a identifié plusieurs
comportements qu'elle considérait comme des comportements d'attachement. Certains,
comme les « pleurs différentiels » (c'est-à-dire le fait d'arrêter de pleurer lorsque le bébé
est pris par sa mère alors qu'il continue s'il s'agit de quelqu'un d'autre), témoignent
d'une préférence pour la mère par rapport à d'autres personnes. D'autres aussi ne
s'observaient qu'avec la mère (par exemple le scrambling, c'est-à-dire le fait de jouer avec
ses cheveux, son visage, ses habits, etc.)1.
Une fois ces comportements identifiés, Ainsworth a tenté de retracer la genèse du lien
d'attachement en repérant la première occurrence de ces comportements. Mais n'ayant
pas su à l'avance quels allaient être les éléments pertinents à observer, ses notes
précédentes présentaient le risque d'être incomplètes : Ainsworth elle-même reconnaît
n'avoir peut-être pas, alors, prêté suffisamment attention à eux pour les relever de
manière systématique. On voit là l'avantage d'avoir à sa disposition une grille
d'observation précise, ce qui, au début des observations naturalistes, n'est pas encore le
cas.
Un autre inconvénient, lorsque la manière de relever des informations n'est pas
systématisée, est de relater les événements en fonction d'interprétations d'appréciations
subjectives (exemple rapporter de la « colère » alors que le comportement observé
refléterait pour quelqu'un d'autre une autre émotion). Il convient alors d'établir un
accord interjuges pour s'assurer que l'interprétation du comportement fait consensus.
S'ajoute à cela le problème de généralisation : on ne peut, à partir de quelques cas,
tirer des conclusions sur une population. L'avantage en revanche est de pouvoir repérer
des changements subtils dans le développement et, à travers des observations fines,
ouvrir sur de nouvelles idées ou théories, qui elles, peuvent faire l'objet d'études
quantitatives. Pour éviter les rapports non systématiques, il est recommandé de
focaliser son attention sur des comportements spécifiques.
Ces observations d'Ainsworth en Ouganda, bien qu'essentielles, n'étaient que le point
de départ d'observations de plus en plus systématisées. Elle a à nouveau observé
26 dyades, mais cette fois aux États-Unis, pour préciser encore davantage les
comportements pertinents à observer et repérer ceux qui sont présents dans les deux
cultures et qui seraient a priori plus universels que culturels.

L'observation contrôlée
Le principal avantage de l'observation naturaliste est qu'elle recouvre un grand nombre
de comportements spontanés qui surviennent dans des circonstances pertinentes,
intéressantes pour le psychologue. Cependant, dans les procédures naturalistes, on n'a
parfois aucune garantie que le comportement auquel on s'intéresse va survenir, ce qui
peut entraîner une perte de temps considérable. Une manière de surmonter certaines
difficultés associées à l'observation naturaliste est de faire apparaître des circonstances
particulières dans lesquelles les sujets peuvent être observés pendant qu'ils réagissent à
des événements planifiés et standardisés. L'observation dite expérimentale est à cette
autre extrême. Ici, le psychologue met en place une situation particulière dans laquelle
on provoque le comportement.
Ici encore, les travaux d'Ainsworth illustrent bien comment, à partir d'observations
naturalistes, elle est arrivée à mettre en place une observation contrôlée en créant une
situation permettant de déclencher des comportements pertinents. L'objectif des
comportements d'attachement est de mobiliser le parent pour que celui-ci intervienne
en cas de détresse. Constatant que les bébés étaient peu inquiétés par le départ de leur
mère au sein du domicile, lorsqu'elle allait dans une autre pièce, Ainsworth a imaginé
une situation où son absence constituerait un stress suffisant pour que ceux-ci
ressentent le besoin de faire appel à elle. Elle a donc mis au point la Situation étrange
(Ainsworth et al., 1978/2015), qui consiste à placer l'enfant dans une pièce qu'il ne
connaît pas et le confronter au départ de sa mère, ainsi qu'à la venue d'une personne
étrangère (figure 42.1). Ayant constaté par ailleurs, au cours de ses observations à
domicile, une interdépendance entre les comportements d'attachement et d'exploration
(c'est-à-dire sentiment de sécurité nécessaire à l'exploration), elle a également mis à
disposition de l'enfant des jouets, pour voir comment son intérêt pour les objets fluctue
à mesure que sa mère s'absente ou revient dans la pièce.
FIGURE 42.1 La Situation étrange.
La mise au point d'une procédure expérimentale est réussie lorsqu'elle permet, tel que
prévu, de provoquer le comportement attendu. Mais il reste encore à établir un système
de codage suffisamment précis pour arriver à exploiter les données de façon valide et
systématique. Comme pour tout outil, il convient alors de partir de la définition de la
variable évaluée pour articuler l'observation autour d'elle.
L'objectif de la Situation étrange est de mesurer l'attachement. Selon Ainsworth, la
sécurité d'attachement se définit par :
• la capacité de l'enfant à solliciter le parent en cas de stress (c'est-à-dire l'utiliser
comme « havre de sécurité ») ;
• sa capacité à l'utiliser comme « base de sécurité » permettant l'exploration.
Dans ses observations à domicile, Ainsworth s'était donc focalisée sur ces deux types
de comportements et sur la manière dont ils se combinent ; elle en est arrivée à une
classification des enfants en 5 catégories. Elle a ensuite observé ces mêmes enfants dans
la Situation étrange, pour dégager les principaux patterns de comportements qui
ressortaient dans ce contexte. En effectuant un recoupement des catégories établies à
domicile et celles repérées avec la situation expérimentale, elle en est arrivée à
3 principales catégories, correspondant aux fameux styles d'attachement sécure, évitant
et ambivalent/résistant2.
Une limite courante des procédures expérimentales concerne la validité écologique.
Autrement dit, le comportement observé dans cette situation artificielle est-il
représentatif du comportement de l'individu dans son contexte naturel ? Le croisement
qu'Ainsworth a fait entre le style d'attachement observé à domicile et celui observé
durant la Situation étrange révèle un lien significatif entre eux, qui atteste de la validité
de son système de classification : la manière dont réagit l'enfant durant la procédure
expérimentale est révélatrice de sa manière de se comporter à domicile3.

Remarques sur l'évaluation des observations


Il faut garder à l'esprit que l'observation n'est jamais neutre (l'observateur poursuit un
but et a des hypothèses, il choisit de filmer telle ou telle chose, etc.4), ni totalement
descriptive5. Les sujets peuvent réagir au fait d'être observés en changeant de façon
intentionnelle ou non les comportements que l'on cherche à étudier. On retrouve
d'ailleurs ce même type de problème pendant les entretiens ou les tests. Le fait de
s'observer soi-même peut modifier ses réactions. Pour éviter que les comportements
observés soient modifiés par l'observation (et ne soient donc pas représentatifs), les
données d'observation peuvent être récoltées par des personnes qui font partie du
quotidien du sujet.
Il peut arriver que l'on demande directement au sujet d'observer et d'enregistrer son
propre comportement : il doit garder un rapport écrit de la fréquence, la durée ou
l'intensité de son comportement. Une grille peut être utilisée pour noter l'occurrence
d'événements tels que le fait de pleurer, de se mettre en colère, etc. Ceci peut être une
forme réactive d'observation, c'est-à-dire que le fait d'observer peut modifier le
comportement que l'on observe. De ce fait, l'auto-observation est parfois employée
comme méthode de traitement. Néanmoins, l'influence est difficile à prédire ; cela peut
parfois augmenter, parfois diminuer la fréquence d'un comportement. Comme pour
tout instrument d'évaluation, l'observation doit répondre à des critères de fiabilité, de
fidélité et de validité (voir chapitre 43 pour une présentation succincte de ces notions).

L'opérationnalisation expérimentale du raisonnement : la


méthode piagétienne
Jean Piaget a eu recours dès les années 1950 à cette méthode pour rendre compte du
développement de l'enfant. Ne voulant se contenter ni de l'observation pure, ni de la
méthode des tests opérationnalisée par l'échelle Binet-Simon (voir plus loin), Piaget
propose une méthode inspirée du diagnostic et de l'investigation psychiatrique
(conversation avec le malade, le suivre dans ses réponses, etc.).
Pour expliquer sa méthode clinique, il faut revenir sur la démarche piagétienne
d'évaluation du développement. Piaget met au point des expériences, à différents âges,
afin de décrire le développement du raisonnement et de la logique. Nous prendrons
l'exemple des expériences dites « expériences de conservation » dans lesquelles Piaget
examine à quel âge l'enfant est capable de dire que des quantités, comme les volumes
ou les nombres, sont égaux malgré des aspects visuels différents. Par exemple, pour la
conservation des volumes solides, on présente à l'enfant une boulette de pâte à modeler
(A) en lui demandant d'en confectionner une autre (B) de même grandeur et de même
poids. On vérifie avec l'enfant qu'elles font le même poids en les pesant. L'identité étant
reconnue, l'expérimentateur transforme la boulette B en saucisse ou galette, la boulette
témoin A restant sur la table. On demande à l'enfant s'il y a encore dans la boulette B la
même quantité de matière que dans la boulette A.
L'originalité de la méthode clinique piagétienne est de demander aux enfants de
justifier leurs réponses. En faisant cela, Piaget s'approche au plus près de la mise en place
du raisonnement ou encore le raisonnement in progress. Il cerne au plus près la pensée
de l'enfant, en dépassant les questions standardisées au profit d'une investigation
contextuelle : adaptation aux réponses, aux attitudes et au vocabulaire de l'enfant.
Il peut également contrôler ses hypothèses sur le développement intellectuel en
conversant librement avec les enfants à propos de thèmes dirigés et en suivant leurs
réponses par des demandes de justification et des contre-suggestions. L'investigation est
néanmoins contrainte par quelques questions clés que Piaget introduit toujours dans la
conversation et qui sont relatives aux expériences qu'il propose aux enfants. Concernant
par exemple, la conservation de la substance, il distingue différentes réponses : avant
8 ans, la plupart des enfants répondent qu'il y a plus de matière en B parce que c'est
plus long. Ensuite ils avancent des arguments dits de réversibilité qui permettent
d'expliquer pourquoi il y a autant de matière en A qu'en B : on peut refaire la boulette A
comme la boulette B (réversibilité simple) ; B est plus long, mais plus mince
(réversibilité subtile) et enfin on n'a rien enlevé, rien ajouté donc c'est pareil (identité).
Ainsi, la pensée de l'enfant reste prisonnière de la perception de la configuration des
objets perçus. Si on modifie cette configuration, toutes les propriétés de cet ensemble
changent.
On constate que la particularité de la méthode piagétienne réside dans le fait de ne
noter que les comportements « intéressants » pour ensuite, éventuellement faire varier
la tâche dans laquelle se trouvait l'enfant afin de voir si cela donnerait lieu à une
réponse différente. Ainsi on peut décortiquer, analyser le raisonnement qui se met en
place.
Ces approches peuvent être combinées pour satisfaire des besoins d'évaluation
spécifiques, ce qui fait qu'il y a plusieurs sous-types d'observations, à la fois naturaliste
et expérimentale. Ces procédures peuvent également différer dans le rôle que
l'observateur prend. Les observateurs participants étant souvent visibles et ils peuvent
interagir avec les sujets. Les observateurs non participants ne sont pas visibles bien que
dans de nombreux cas, les sujets savent que l'observation a lieu.

L'opérationnalisation expérimentale de la théorie


de l'esprit
La théorie de l'esprit est la capacité d'attribuer à autrui des croyances, des désirs ou des
représentations mentales, et de prédire et expliquer le comportement d'autrui par des
états mentaux inobservables. Par exemple, si on observe un ami en train de regarder des
nuages par une fenêtre, on est capable de distinguer son comportement (regarder des
nuages) de ses états mentaux (penser, rêvasser, songer) et on lui demandera « à quoi
penses-tu ? » plutôt que « tu les trouves beaux ces nuages ? »
Historiquement, on doit à Premack et Woodruff (1978) d'avoir pour la première fois
interrogé cette notion en publiant un article intitulé : « Les chimpanzés ont-ils une
théorie de l'esprit ? » Ces auteurs cherchaient à définir l'intelligence et se demandaient
si les chimpanzés pouvaient attribuer des états mentaux à un autre chimpanzé. Très
vite, les recherches portent sur l'enfant et on s'interroge sur l'âge d'apparition de cette
compétence (Wimmer et Perner, 1983). Pour cela, ces auteurs construisent une
expérience composée d'un petit théâtre et de marionnettes. L'objectif est de simuler des
comportements humains et des états mentaux par le biais des marionnettes. On
présente à des enfants de 3 à 5 ans deux marionnettes : Maxi et sa maman et on raconte
une histoire : la maman revient des courses et Maxi l'aide à les ranger. Il range le
chocolat dans un placard bleu et part jouer dehors. Lorsqu'il est parti, sa maman décide
de faire un gâteau et prend un morceau de chocolat. Elle place le chocolat restant dans
le placard rouge. Maxi revient, il a faim et veut prendre un morceau de chocolat. On
pose alors aux enfants la question suivante : « Où Maxi va-t-il chercher le chocolat ?
Dans le placard bleu ou dans le placard rouge ? » Les enfants de 3 ans répondent tous
dans le placard rouge sans percevoir que Maxi ne peut pas savoir que le chocolat n'y est
pas. Il faut attendre 4–5 ans pour qu'ils y répondent correctement et se mettent à la
place mentalement de Maxi. Cette situation typique de la psychologie expérimentale
permet de répondre à une question préalable, définie sous forme d'hypothèse qui fait
varier une ou plusieurs variables indépendantes. L'analyse de la variable dépendante
(ici la réponse de l'enfant attestant de sa théorie de l'esprit) permet de répondre à la
question posée (dispose-t-il de la théorie de l'esprit à l'âge de x ans ?).
Toutefois comme on l'a dit précédemment, les méthodes utilisées pour analyser le
développement de l'enfant passe par des réponses verbales. Il est donc très difficile
d'interroger le bébé sans passer par cette modalité, ce qui explique que ce n'est que très
tardivement qu'on s'est intéressé au bébé. Il faut attendre les années 1980 pour que des
chercheurs (Marie-Germaine Pêcheux, Arlette Stréri, Tony de Casper, Roger Lecuyer,
Jacqueline Nadel, Jean-Pierre Lecanuet, etc.) réussissent à expérimenter avec des bébés,
en créant des situations où l'activité du bébé est canalisée vers des types attendus de
comportements, et en utilisant des paradigmes spécifiques que nous allons décrire ci-
dessous.

Les méthodes spécifiques au bébé


La réponse motrice : exemple de l'expérience A non B
Historiquement, les premières recherches qui ont étudié le bébé avaient pour variable
dépendante la réponse motrice. Le meilleur exemple est sans doute la réponse A non B,
initiée par Piaget.
La situation princeps est la suivante : l'expérimentateur présente un objet à l'enfant
âgé de 8 mois. Dans un premier temps il le cache sous un écran A. L'enfant soulève sans
peine l'écran pour retrouver l'objet. Dans un second temps, on place l'objet
successivement sous le cache A puis B en montrant les déplacements à l'enfant. L'enfant
échoue alors à trouver l'objet et continue d'aller le chercher en A. C'est ce qu'on appelle
l'erreur A non B. Il faut attendre l'âge de 10 mois pour que cette tâche soit réussie. Pour
Piaget, l'enfant ne confère une existence à l'objet que s'il a agi sur lui. Avant 10 mois,
Piaget pense que les bébés ne conçoivent pas l'existence d'un objet indépendamment de
la perception immédiate et donc que ce n'est qu'après 10 mois que l'enfant est capable
de s'en faire une représentation mentale. Ce défaut de permanence de l'objet est
interprété par Piaget comme une difficulté conceptuelle.
Toutefois, la réponse motrice reste très liée au développement cérébral et à la
myélinisation des systèmes. Dès lors, comment savoir si le défaut de recherche de l'objet
en B est dû à une erreur conceptuelle ou bien à défaut d'inhibition ? En effet, les
fonctions exécutives sont encore rudimentaires avec une immaturité des régions
préfrontales. Dans ce contexte, le bébé pourrait ne pas réussir à inhiber la réponse qu'il
aurait programmée quand il voit l'objet en A ; par conséquent, il se tromperait en B
(Houdé, 1995). Diamond (1985) a montré que si on augmente le temps qui sépare la
disparition de l'objet et l'activité de recherche, on réduit l'erreur A non B, pouvant
témoigner que le bébé a eu le temps d'inhiber sa première réponse motrice. Enfin,
d'autres proposent que cette erreur soit liée à un problème d'intentionnalité (Willats,
1999). Ainsi, Shinskey et Munakata (2001) ont montré que si le cache est transparent
(visibilité de l'objet caché), les enfants de 7 mois augmentent de façon significative le
nombre de mouvements dirigés vers le cache pour retirer l'objet (comportement
intentionnel).
Toutefois, ce type de méthodes, basé sur la réponse motrice peut présenter des limites
chez le bébé, et a fortiori le nouveau-né, encore immature à ces âges précoces. À la fin
des années 1980, certains chercheurs proposent d'autres types de réponses, comme les
réponses sensorielles, surtout visuelles ou réflexes. En combinant ces nouvelles
variables dépendantes à des méthodes de conditionnement, comme l'habituation, on
obtient une autre palette d'outils ou méthodes qui permettent d'interroger le bébé sans
passer par la modalité verbale.

L'habituation
L'habituation est la forme la plus élémentaire d'apprentissage. Adaptée très largement
au bébé (elle est devenue une méthode classique), elle permet entre autres de tester ses
capacités d'apprentissage et ses connaissances. Elle repose sur un phénomène naturel :
la présentation d'un stimulus de façon répétée tend à diminuer la fréquence de la
réponse du bébé. Il s'agit d'une réponse neuropsychologique : les systèmes sensoriels
tendent à moins réagir à une même stimulation (visuelle ou auditive par exemple).
La diminution du taux de réponse est fonction du nombre de présentations. Ainsi, on
habitue le bébé à une stimulation (présentation de la même stimulation plusieurs fois de
suite) et on enregistre soit la durée de la réponse (dans le cas d'une habituation visuelle
par exemple), soit la réponse (dans le cas d'une réponse motrice, par exemple tourner la
tête en direction d'un son). Lorsqu'il est habitué (par exemple, lorsqu'il y a une
diminution de 50 % de la durée des essais ou lorsque la moyenne des derniers essais est
moitié moins longue que la moyenne des premiers essais, critère de Cohen, 1976), on
introduit une nouvelle stimulation, qui, si elle est perçue comme nouvelle, doit
entraîner un regain d'attention : on parle alors de réaction à la nouveauté. La préférence
pour la nouveauté est une réponse cognitive : le bébé regarde plus une stimulation
nouvelle qu'une stimulation qu'il connaît déjà. On déduit, à partir de cette réaction, que
le sujet a perçu le nouveau stimulus. Cette méthode est une méthode de choix pour
étudier les capacités de catégorisation ou de discrimination par exemple.
Dans une recherche récente (Morange-Majoux et Provasi, sous presse), nous avons
proposé à des bébés de 4 mois de suivre visuellement sur un écran une balle
rebondissante, un son étant associé à chaque rebond. Une fois que le bébé est habitué,
on lui présente la même scène visuelle, mais avec le son décalé du rebond et on
enregistre son temps de regard à la recherche d'une réaction à la nouveauté. Dans notre
recherche, les bébés regardent plus longtemps la scène dite désynchronisée : c'est la
preuve qu'ils perçoivent la synchronie.

La préférence visuelle
C'est à Fantz (1958) que l'on doit d'avoir mis au point la première méthode d'étude des
capacités visuelles du nourrisson. Cette méthode consiste à faire l'hypothèse que les
bébés n'exploreront pas visuellement le même temps deux objets différents. On
enregistre donc le temps de regard sur chacun des objets et s'il y a une différence, on
conclut que le bébé a des capacités à discriminer les deux cibles. L'expérience peut
contenir plusieurs essais. Par exemple, avec cette procédure, nous avons montré que les
bébés préfèrent regarder une personne qui parle qu'une personne qui ne parle pas
(Devouche et al., 2014). En revanche, on n'observe pas de préférence chez les bébés selon
que la personne parle avec un langage spécifique (ce qu'on appelle le langage adressé
au bébé avec des accentuations toniques très fortes) ou un langage neutre. Dans cette
procédure, on alterne généralement le côté de présentation des cibles pour être sûr que
le bébé regarde bien davantage une certaine image plutôt qu'un côté particulier de
l'image.

La préférence pour la nouveauté


Cette méthode s'appuie sur la préférence visuelle. Le postulat de départ est que le bébé
– grand consommateur de nouveauté – regardera plus une stimulation non familière
qu'une stimulation familière. En pratique, il y a deux phases : une phase de
familiarisation et une phase test : on présente plusieurs fois un objet au bébé de façon à
ce que l'objet devienne familier. Puis on présente l'objet nouveau. Si le sujet regarde
plus l'objet nouveau, alors on considérera qu'il a perçu une différence entre les deux
objets. Typiquement, ces méthodes sont utilisées pour la reconnaissance des visages afin
de déterminer si les bébés sont capables de différencier les visages.
Attention à ne pas confondre l'habituation (définie plus haut) avec la familiarisation.
L'habituation est une réponse neuropsychologique : les systèmes sensoriels tendent à
moins réagir à une même stimulation (visuelle ou auditive par exemple). La
familiarisation est une réponse qui nécessite un traitement cognitif.
La transgression des attentes
Ce paradigme a été proposé par Renée Baillargeon dans les années 1980 pour tester les
connaissances des bébés sur les objets (permanence, propriétés intrinsèques,
extrinsèques, etc.). Ce paradigme est connu sous le terme de paradigme de l'évènement
impossible et est basé sur la capacité des bébés à percevoir des situations, non plus
nouvelles, mais inattendues ou impossibles. L'originalité de cette méthode est que la
variable dépendante enregistrée est une réponse sensorielle, plus précisément visuelle.
Elle a été largement utilisée dans l'expérience A non B pour compléter les expériences
de Piaget où la réponse était motrice. Classiquement, on présente au bébé un bâton
caché par une plaque. Si le bébé a une conception de la permanence de l'objet, c'est-à-
dire qu'il sait que des parties non visibles de l'objet peuvent exister alors qu'elles sont
cachées, alors le bébé s'attend à voir, si on enlève la plaque, un bâton et non deux bouts.
Il devrait donc regarder plus longtemps la situation dite inattendue. Le chapitre 7
rédigé par Roger Lécuyer revient largement sur cette méthode et ses possibles
interprétations et conséquences d'un point de vue plus théorique.

La succion non nutritive


Ce paradigme est basé sur un comportement naturel qu'est la succion dite non nutritive
parce qu'elle n'est pas liée à l'activité de se nourrir. Ce comportement a une fonction
exploratoire et apparaît classiquement lors de l'exploration d'un nouvel objet dans la
bouche, comme la tétine. Pratiquement, la succion non nutritive présente des bouffées
de succions espacées plus ou moins les unes des autres. On définit deux paramètres :
l'espace entre deux bouffées et l'amplitude d'une bouffée. Par exemple, on peut
entraîner un bébé à faire des succions non nutritives de rythme A (avec un certain laps
de temps entre les bouffées) associée à une première stimulation et des succions non
nutritives de rythme B avec la seconde stimulation. Imaginons que la stimulation 1 soit
un rythme rapide et la stimulation 2 un rythme lent, on présente ensuite au bébé des
stimulations de rythmes intermédiaires et on observe comment le bébé catégorise les
différents rythmes en examinant les rythmes des succions non nutritives !

Le conditionnement opérant
Ce paradigme bien connu chez l'animal est utilisé pour étudier les capacités
d'apprentissage du bébé. Pour ce type d'expérience, il est nécessaire d'apprendre au
bébé à faire un comportement particulier afin d'obtenir une récompense. Par exemple,
on peut conditionner la succion non nutritive : on apprend au bébé à faire des succions
d'un certain rythme pour obtenir un résultat particulier qui l'intéresse. Dans une étude
désormais célèbre, DeCasper et Fifer (1980) ont montré que les bébés, dès la naissance,
sont capables de modifier la durée des pauses qui interrompent les accès de succion non
nutritive, soit dans le sens d'un allongement, soit dans le sens d'un raccourcissement,
afin d'entendre l'enregistrement de la voix de la mère plutôt que celui de la voix d'une
autre femme.
Les mesures électro-physiologiques
La psychologie dite scientifique, notamment la psychologie du développement n'a eu
de cesse depuis plus d'un siècle de rechercher des indices physiologiques témoins d'une
activité psychologique afin de s'émanciper de la psychologie dite clinique, et de l'étude
de cas. Les mesures psychophysiologiques ont ainsi vocation à éprouver les relations
comportement/organisme, c'est-à-dire mettre en évidence une réaction physiologique
liée à une activité mentale, à décrire les phénomènes observés et enfin expliquer les
processus cognitifs par leurs sous-bassements organiques. Ces mesures s'appuient soit
directement sur l'activité cérébrale – comme l'EEG, les potentiels évoqués, l'IRM – ou
plus généralement sur l'activité organique – comme l'activité électrodermale, pupillaire,
musculaire, cardiaque. En révélant l'activité nerveuse sous-jacente de l'individu, les
mesures électro-physiologiques constituent un outil précieux dans l'interprétation d'un
comportement ambigu comme nous le verrons plus loin.

L'activité électrodermale
La peau peut présenter des différences de potentiel électrique pour peu que le sujet ait
une réaction émotionnelle. Le recueil de données consiste alors en l'enregistrement des
variations de ces potentiels à l'aide d'électrodes externes.
L'activité électrodermale6 (AED) est largement utilisée dans les domaines de
l'attention, l'émotion, ou les processus d'apprentissage. En effet, une émotion trop forte,
une surprise, une douleur, une respiration profonde peuvent faire varier la réponse
électrodermale. Les plus hauts niveaux de réponses AED sont associés à une
augmentation de la vigilance et de l'effort lorsque les sujets doivent apprendre de
nouvelles choses (Andreassi, 1966). Elle est utile chez le bébé qui ne peut exprimer
verbalement ce qu'il ressent.

L'activité cardiaque et cardiorespiratoire


« L'amour fait battre le cœur à la chamade » : on connaît tous la relation qui unit activité
cardiaque et phénomènes psychologiques comme les émotions (joie, peur, colère, etc.).
Dans le domaine de la psychologie, ce sont les modifications du rythme cardiaque –
nombre de battements par minute – qui vont devenir pertinentes pour le chercheur.
En effet, de nombreuses recherches montrent que le rythme cardiaque est une
variable sensible qui peut témoigner d'une activité psychologique. Cette mesure est très
intéressante pour les développementalistes, car elle peut être pratiquée sur le fœtus.
Ainsi, il est possible de corréler cette mesure à certains apprentissages et de décrire les
compétences des fœtus. Ainsi, Lecanuet, Granier-Deferre, Jacquet et Busnel (1992) ont
montré que les fœtus, proches du terme, exposés à une stimulation auditive répétée de
90 dB (20-30 dB in utero) présentaient une décélération cardiaque qui débute dès les
premières secondes après la stimulation, suggérant que le fœtus détecte et réagit aux
stimulations acoustiques. Kisilevsky et al., (2009) a montré que le fœtus discrimine la
voix de sa mère de la voix d'une autre femme : en effet, le rythme cardiaque augmente
en présence de la voix de la mère, mais décélère en présence d'une voix inconnue.
L'activité oculaire
On identifie classiquement trois méthodes liées à l'enregistrement des mouvements des
yeux : la pupillométrie, l'electro-oculogramme et l'eye-tracking.
• La pupillométrie consiste à mesurer les variations du diamètre de la pupille de l'œil
selon les émotions générées par des stimulations visuelles par exemple.
• La technique électro-oculographique (EOG) est une technique qui permet de
mesurer les différences de potentiels électriques induits par la rotation oculaire,
captés par des électrodes placées autour des yeux. On distingue les saccades, qui se
réfèrent aux mouvements des yeux pour passer d'un point de fixation à un autre, la
poursuite douce, qui apparaît lorsque le sujet doit suivre un objet en mouvement et
les nystagmus, qui sont des oscillations des yeux, souvent horizontaux. Des activités
telles que la reconnaissance d'objets, la discrimination, la lecture passent par des
mouvements de scan des yeux, mouvements non conscients qui sont enregistrés
grâce à l'EOG.
• Les techniques actuelles d'eye-tracking qui se sont développées dès les années 2000
permettent de savoir très exactement quelles parties d'un objet sont explorées et
combien de temps (ce sont des techniques utilisées au départ dans la publicité et qui
permettent de savoir ce que le client regarde dans une affiche publicitaire, par
exemple). Elles sont désormais largement utilisées en psychologie cognitive,
notamment au cours du développement, car elles permettent d'analyser le
traitement cognitif d'un bébé/enfant non verbal au moyen de l'exploration visuelle.
Ainsi nous avons montré (Devouche et al., 2014) à l'aide d'une analyse eye-tracking
que les bébés préfèrent explorer les yeux d'un visage qui leur parle que la bouche.
Dans le domaine de la psychopathologie développementale, cette technique est très
utilisée chez les enfants non verbaux, par exemple les enfants avec autisme. Grâce à
ces recherches, on a pu montrer que les enfants avec autisme explorent de façon
différente les visages : ils regardent plutôt la bouche ou même des détails
insignifiants de la scène visuelle (Saitovitch, 2014). Ces résultats confirmés chez
l'adulte (Klim et al., 2002) sont associés à un défaut de substance dans le sillon
temporal supérieur suggérant un trouble de la cognition sociale (Zylbovicius, 2014).

L'activité cérébrale spontanée et provoquée


Le cerveau est composé de milliards de neurones, chacun ayant sa propre activité
électrique. Pour autant, lorsque des populations de neurones agissent ensemble et de
façon synchrone, leurs potentiels s'additionnent et on peut récolter, en posant des
électrodes à la surface du crane, une activité électrique. Cette activité électrique
permanente apparaît dans deux types de conditions : soit spontanément, sans
stimulation et on parle alors d'activité électrique spontanée (c'est ce qu'enregistre
l'électroencéphalogramme, EEG) soit au cours de stimulations particulières ; dans ce cas
les potentiels sont liés aux évènements, on parle de « potentiels évoqués ».
L'EEG permet d'enregistrer l'activité électrique spontanée globale du cortex
cérébral7 ; ses principaux intérêts sont d'être non invasif, direct, et d'avoir une très
bonne résolution intrinsèque temporale, de l'ordre de la milliseconde. En outre, cette
technique permet de mesurer les fonctions cérébrales et de faire des inférences sur des
régions de l'activité cérébrale, dans des domaines aussi variés que les processus
cognitifs émotionnels, langagiers, tant au niveau de leurs dysfonctionnements que de
leur développement. Son principal inconvénient est sa résolution spatiale, relativement
pauvre. On identifie différents types d'ondes d'importance (de nombreuses autres
ondes existent) qui peuvent se modifier en fonction de l'activité cérébrale.
À l'inverse, les potentiels évoqués8, comme leur nom l'indique, correspondent à des
potentiels électriques qui sont « évoqués » ou engendrés par une stimulation sensorielle
et/ou une activité motrice et sont donc émis en réponse à une stimulation spécifique.
Pour autant, il est difficile de repérer cette réponse électrique, qui non seulement varie
d'un essai à l'autre, mais est également masquée par l'activité électrique spontanée du
cerveau. Il est donc nécessaire de répéter plusieurs fois la stimulation et de sommer les
tracés recueillis. Ainsi les potentiels liés temporellement à la stimulation (et donc qui
apparaissent toujours au même moment) émergent avec cette méthode, tandis que les
potentiels spontanés arrivant au hasard temporellement tendent à disparaître
(discernement signal/bruit). Les potentiels évoqués endogènes, modulés par la
signification du stimulus, c'est-à-dire liés à la tâche demandée au sujet et à son attitude
vis-à-vis de l'expérience intéressent tout particulièrement le chercheur en psychologie,
car ils permettent d'inférer des informations sur les traitements cognitifs requis par la
tâche et le fonctionnement cognitif du sujet. Ainsi, on distingue l'onde P300 qui apparaît
lorsque le sujet détecte un stimulus attendu, mais imprévisible quant à ses
caractéristiques, considérée comme la manifestation d'une décision perceptive ou
comme un phénomène inhibiteur et la VCN (variation contingente négative) qui
apparaît lorsque le sujet est soumis à une attente ; elle est alors interprétée comme le
reflet de l'activation des processus attentionnels dont le rôle est de préparer le sujet à
l'action.

La neuro-imagerie fonctionnelle
L'avènement de l'imagerie cérébrale marque incontestablement la fin du XXe siècle en
permettant, en plus de l'observation des structures cérébrales, de représenter par
l'image, l'activité cérébrale pendant que le sujet effectue une tâche mentale : c'est
l'imagerie fonctionnelle, qui permet de « voir » le cerveau en action.
On distingue la tomographie par émissions de positons (TEP), basée sur l'injection
d'un marqueur radioactif dans l'organisme, qui permet de repérer l'augmentation du
débit sanguin lors d'une activité cérébrale grâce à un appareil détecteur de radioactivité.
La technique de l'IRM fonctionnelle (IRMf) quant à elle, utilise un champ magnétique
puissant qui induit dans les molécules d'eau du corps des changements qui peuvent
être mesurés. En pratique, lorsque des aires cérébrales s'activent, elles s'engorgent de
sang oxygéné, dont les propriétés magnétiques divergent du sang pauvre en oxygène.
L'analyse des données d'IRMf vise à déterminer s'il y a des structures cérébrales qui ont
modifié leur consommation en oxygène suite à une tâche mentale et si oui, quelle est
leur localisation.
De très nombreux domaines de recherches ont été investis par les méthodes de
neuroimagerie et particulièrement la psychopathologie développementale. Ainsi, par
exemple, des chercheurs ont montré que les enfants avec autisme présentent une
diminution de la substance grise dans les régions temporales supérieures gauche et
droite (figure 42.2) et une diminution de la surface du sillon temporal supérieur.

FIGURE 42.2 Diminution de la substance grise dans les régions


temporales supérieures gauche et droite. D'après Zylbovicius et al., 2000.
Fonctionnellement, l'aire spécialisée dans la reconnaissance de la voix humaine
(sillon temporal supérieur) n'est pas activée chez les patients autistes lorsqu'ils
entendent quelqu'un parler (figure 42.3).

FIGURE 42.3 Absence de stimulation du sillon temporal


supérieur chez les sujets avec autisme. D'après Zylbovicius et al., 2000.

On constate donc que les progrès réalisés sur la compréhension de l'autisme sont en
grande partie dus au développement des nouvelles technologies, qui permettent de
marquer très précisément les défauts neuroanatomiques et neurofonctionnels. Voir à ce
sujet la vidéo du Dr Monica Zilbovicius intitulée Les troubles du spectre autistique.
La méthode des tests
Historiquement, ce sont des méthodes typiquement « développementales », le premier
test ayant été mis au point par Binet en 1906 dans le but d'évaluer le retard scolaire et de
dépister les enfants « anormaux ». Ainsi, la première batterie de tests mise au point par
Binet au début du siècle dernier, avait vocation à distinguer les enfants susceptibles de
bénéficier d'un enseignement spécial, dans les classes de perfectionnement. La méthode
des tests répond à l'objectif de provoquer les comportements (dans des conditions
précises et constantes) pour les observer et confronter les résultats avec des normes. Les
tests sont souvent faciles et pratiques à faire passer. La plupart du temps, les réponses
peuvent être codées sous forme de scores, ce qui permet de traduire le comportement
du sujet de manière quantitative. Leur seule contrainte est d'être administrés de façon
standardisée, parce que des différences au niveau des conditions de passation d'un test
pourraient influencer les résultats et rendre son interprétation non valide.
Ils sont nombreux, certains visant à étudier un aspect psychologique spécifique
(émotion, verbal, raisonnement, etc.), d'autres ayant vocation à évaluer l'individu dans
sa globalité (pour une présentation plus détaillée des tests et de leurs qualités
psychométriques, voir le chapitre 43).

Les tests d'intelligence


Les tests d'intelligence mesurent des compétences spécifiques du fonctionnement
cognitif de l'enfant (mémoire, vocabulaire, etc.). Malgré cette spécificité, le QI est un bon
prédicteur de l'adaptation scolaire de l'enfant. Ces tests sont standardisés, c'est-à-dire
qu'ils prévoient des consignes et une cotation des réponses précise ; ils ont été étalonnés
de manière à pouvoir situer l'enfant évalué par rapport aux autres enfants de son âge.
Des facteurs autres que l'intelligence peuvent cependant modifier la capacité de l'enfant
à répondre aux consignes. Par exemple, l'anxiété peut bloquer l'enfant ; un enfant avec
un déficit de l'attention peut en revanche mieux réussir à un test de QI que dans le
cadre habituel de l'école, en raison du format très structuré du test. En même temps, la
passation du test va permettre au psychologue d'observer d'autres caractéristiques que
l'intelligence : capacité à suivre des consignes, distractibilité et capacités de
concentration, qualité du contact, flexibilité cognitive, anxiété, réaction à la réussite ou à
l'échec.

Les tests projectifs


La personnalité de chacun détermine, en partie au moins, la façon dont on va
interpréter les choses. Frank (1939) a nommé les tests qui encouragent le sujet à
exprimer cette tendance « les techniques projectives ». En général, ces tests suscitent des
réactions à des stimuli ambigus ou sans structure (tels que des taches d'encre ou des
phrases incomplètes), qui sont interprétés comme un reflet de la structure et de la
dynamique sous-jacente de la personnalité. Les réponses sont transcrites ou enregistrées
pour un codage ultérieur.
Initialement, le codage des tests projectifs était plus subjectif que le codage des tests
objectifs. Pendant de nombreuses années, les principales indications pour coder les tests
projectifs venaient d'experts, qui, après avoir administré des centaines de tests
projectifs, résumaient leur expérience dans une longue liste de règles pour
l'interprétation des différentes réponses. Cette méthode de codage donnait souvent lieu
à de grandes différences entre les différents examinateurs, ce qui remettait en question
les conclusions tirées à propos de la personne testée. Pour remédier à ce problème, les
psychologues ont mis au point des systèmes de codage plus quantitatifs pour les tests
les plus répandus. Ces systèmes ont amélioré la fidélité des tests projectifs et ont aidé à
maintenir leur utilisation pour un usage scientifique.
De nombreux tests projectifs se présentent sous forme d'images, ce qui rend la tâche
plus accessible aux jeunes enfants ne disposant pas encore de capacités verbales très
élaborées. Voir par exemple le test d'attribution d'intentions de Vanwelleghem et
Miljkovitch, 2016 (figure 42.4) où l'enfant doit se prononcer sur l'intention du
personnage qui cause du tort – exprès ou pas ? – à l'autre.

FIGURE 42.4 Test d'attribution d'intentions. Issu de Vanwalleghem &


Miljkovitch, 2016.

Pour pallier l'éventuelle difficulté à formuler une réponse, certains tests projectifs
permettent à l'enfant de mettre en scène sa réponse plutôt que de la décrire
verbalement. C'est le cas, par exemple, des histoires d'attachement à compléter
(Bretherton et al., 1990), accessible aux enfants dès l'âge de 3 ans, qui se présentent sous
forme de figurines que l'examinateur met en scène pour représenter un début d'histoire
que l'enfant doit ensuite compléter (pour une présentation plus détaillée de la tâche,
voir le chapitre 43).

Les questionnaires
Ce sont des instruments d'évaluation de variables individuelles ou environnementales
très pratiques pour recueillir de l'information. Ils permettent d'étudier de grands
groupes et d'obtenir ainsi des résultats statistiques robustes. Les questionnaires
présentent toutefois certains inconvénients, dont le principal est d'introduire un biais
dans les réponses données. On invoque le plus souvent le biais de désirabilité sociale,
qui consiste à dire ce qu'on pense être désirable ; le participant répond en fonction de
l'image qu'il veut renvoyer plutôt qu'en fonction de ce qu'il pense vraiment. Se pose
alors le problème de la validité : l'instrument mesure-t-il bien ce qu'il est censé
mesurer ?
Une échelle très utilisée en psychologie du développement est l'échelle d'estime de
soi de Harter pour les enfants de 7 à 12 ans (Self Perception Profile for Children ; validation
de la version française par Pierrehumbert et al., 1987). Elle donne lieu à 4 sous-scores
correspondant chacun à des domaines spécifiques : compétences scolaires, compétences
sportives, compétences sociales, estime de soi générale. À ces domaines s'en sont
ensuite rajoutés deux autres : apparence physique et conduite/moralité (Harter, 1985).
Chaque domaine est couvert par 7 items. Afin de limiter le biais de désirabilité
sociale, les items présentent les deux pôles, positif et négatif, sans emploi du pronom
« je » : « Certains enfants réussissent bien dans leur travail scolaire, mais d'autres enfants
ne réussissent pas bien dans leur travail scolaire ». Le jeune participant doit préciser à
quel groupe d'enfants il ressemble le plus et à quel point il leur ressemble (« plutôt
vrai », « tout à fait vrai »). Il reçoit ainsi un score de 1 à 4 pour chaque item, selon la
valeur qu'il pense avoir dans le domaine concerné. Une recherche de validation
(Maintier et Alaphilippe, 2006) révèle que l'estime de soi est plus importante chez les
plus jeunes, mais aussi, étonnamment, chez ceux qui sont en zone d'éducation
prioritaire. Une étude de Cassidy (1988) croisant les réponses à ce questionnaire avec
une évaluation de soi selon un entretien semi-directif où l'enfant est invité à parler de
lui-même (présenté ci-dessous) livre des résultats non significatifs : aucun lien n'est
trouvé entre les deux mesures. Au vu de la manière dont les enfants parlent d'eux-
mêmes lors de l'entretien (comme étant plus ou moins « parfaits »), Cassidy considère
que certains se défendent contre l'idée d'avoir des défauts et ont besoin de les
dissimuler ; ceci donnerait lieu à une représentation idéalisée d'eux-mêmes, qui serait
déconnectée de leur véritable perception de ce qu'ils sont.
Ces différents résultats interrogent donc sur ce qui est réellement évalué à l'aide de ce
type d'échelle. D'une manière générale, on peut considérer que les auto-questionnaires
permettent d'évaluer ce que les participants veulent bien laisser paraître d'eux-mêmes.
L'auto-questionnaire peut être particulièrement intéressant pour mesurer certaines
variables peu « bruyantes » qui sont parfois mieux rapportées par les enfants eux-
mêmes que par les adultes de leur entourage. C'est le cas par exemple des troubles
internalisés (dépression, anxiété). Achenbach (Achenbach et Rescorla, 2001, version
française : Lacharité et Villemure, 1986) a développé le Youth Self-Report pour une
évaluation globale de l'état de santé mentale (c'est-à-dire, troubles du comportement
intériorisés et extériorisés, compétences sociales) des enfants à partir de 11 ans. Il
comporte des questions ouvertes (par exemple : « écris les sports que tu aimes le plus
faire »), ainsi que des questions à choix multiples (exemple, à la question « comparé aux
enfants de ton âge, combien de temps passes-tu à faire du sport ? » l'enfant doit cocher
« moins », « pareil » ou « plus »). L'outil vient en complément de l'hétéro-questionnaire
(Child Behavior Checklist ou CBCL) qui est rempli par les parents ou les enseignants qui
eux, peuvent rapporter des comportements selon une perspective complémentaire (voir
le chapitre 43, pour une présentation plus détaillée de l'outil, ainsi que des versions à
destination d'enfants plus jeunes).
Les entretiens
Comme d'autres méthodes moins « directes » (observation, tests projectifs, etc.),
l'entretien peut constituer une méthode de choix pour contourner le biais de désirabilité
sociale.
Toutefois, la structure d'un entretien peut varier : on trouve l'entretien non directif,
où le psychologue évite au maximum d'interférer avec le cours du discours et les
thèmes évoqués par la personne, et de l'autre, l'entretien structuré, sous forme de
questions-réponses. Entre ces deux extrêmes, il existe plusieurs formes d'entretiens
qu'on appelle les entretiens semi-directifs (ou semi-structurés). L'entretien est une
méthode rarement utilisée avant l'âge de 10 ans, car il est difficile pour les jeunes
enfants de porter un regard sur eux-mêmes. Néanmoins, certaines adaptations
permettent d'appréhender les représentations à un âge plus jeune. Cassidy (1988) a mis
au point une interview où l'enfant (âgé de 6 ans) répond à une marionnette animée par
la main de l'examinateur. Afin de faciliter la libre expression de l'enfant, l'examinateur
regarde la marionnette et non l'enfant pendant l'entretien, atténuant ainsi l'impression
que toute l'attention porte sur lui. La marionnette pose donc une série de questions à
l'enfant à propos de lui-même, mais comme s'il s'agissait d'une tierce personne
(exemple, Bix, est-ce que tu aimes [prénom de l'enfant] ?). Plutôt que de s'en tenir à ce
que l'enfant veut bien dire sur lui-même, Cassidy a codé les réponses en fonction de la
capacité de l'enfant à aborder ses éventuels défauts ou limites (« parfait » : aucun défaut
évoqué, « négatif » : commentaires négatifs sur soi ou « ouvert/souple » : portrait
globalement positif, mais reconnaissance de quelques failles). Cette évaluation de la
représentation de soi de l'enfant permet donc de contourner le biais de désirabilité
sociale.
D'une manière générale, une compréhension fine de la dynamique interne de
l'individu peut davantage ressortir durant un entretien semi-directif, dont la gamme de
réponses est plus large qu'avec un questionnaire ou un test standardisé, qui n'autorisent
que des réponses types, non spécifiques à l'enfant interrogé.
La méthode d'entretien est particulièrement utilisée dans le domaine des relations
parents-enfants. Parmi les entretiens qui existent, un des plus utilisés est l'Adult
Attachment Interview (AAI : George et al., 1985). Dans cet entretien semi-directif, la
personne interviewée est invitée à parler des relations qu'elle a eues avec ses parents en
tant qu'enfant. Évaluer l'attachement à l'âge adulte est plus compliqué que chez le jeune
enfant, car il ne suffit pas de séparer la personne quelques minutes de sa figure
d'attachement pour l'alarmer et déclencher son système comportemental d'attachement.
Il s'agissait donc de concevoir une méthode qui puisse faire apparaître le niveau de
sécurité de la personne, ainsi que ses stratégies d'attachement. Afin de contourner le
problème de la désirabilité sociale et parce que la description de son propre
fonctionnement est un exercice difficile que de nombreux adultes ne parviennent pas à
faire, Mary Main a élaboré un système de codage évaluant la cohérence interne du
narratif, afin d'identifier les informations qui semblent mal intégrées au système de
représentation (car contradictoires, par exemple : « Ma mère est très affectueuse » versus
« Non, je n'ai aucun souvenir de tendresse qui me vient à l'esprit ») et qui seraient
révélatrices d'une défense contre une insécurité sous-jacente (voir Miljkovitch, 2001 ou
Hesse, 2008 pour une présentation plus détaillée de l'outil). La validité de l'AAI repose
essentiellement sur son pouvoir prédictif sur le style d'attachement formé par les
enfants des adultes interrogés (voir Bakermans-Kranenburg et van IJzendoorn, 1993,
2009 ; Hesse, 2008). Par conséquent, certains auteurs proposent que l'AAI mesure
davantage un style parental que l'attachement proprement dit (Miljkovitch, 2001 ;
Steele, Steele et Fonagy, 1996). Plutôt que d'être sécurisé, l'adulte serait sécurisant.
En effet, s'il révèle bien la manière dont les informations relatives à l'attachement sont
traitées, il paraît hasardeux de se prononcer, sur la base de ces seuls indices, sur la
manière dont une personne se comporte avec ses figures d'attachement. Pour pallier ce
problème, nous avons élaboré un entretien (l'Attachment Multiple Model Interview ou
AMMI, anciennement ASSSI) interrogeant la personne sur la façon dont elle s'est
comportée dans différentes situations passées (Miljkovitch, 2009). À partir des réponses
du sujet, le codeur peut faire des inférences sur sa stratégie d'attachement (exemple, « Je
n'ai rien dit et j'ai fait comme si ça ne me faisait rien » suggère une stratégie
d'évitement). Une étude longitudinale dans laquelle l'attachement a été évalué de l'âge
de 4 ans jusqu'à 21 ans révèle que les scores aux échelles d'attachement de l'AMMI sont
corrélés aux scores cumulés d'attachement au cours de l'enfance (Miljkovitch et al.,
2015). Aucun lien significatif avec les scores cumulés n'a été trouvé pour l'AAI (voir
Groh et al., 2014 pour des résultats similaires). Ces résultats suggèrent bien que l'AAI
mesure autre chose que l'attachement proprement dit, tandis que l'AMMI semble mieux
l'appréhender.
On voit là que l'entretien semi-directif constitue un outil précieux pour creuser
certaines questions et aboutir à une évaluation qui échappe à l'image que le participant
souhaite véhiculer. Mais la difficulté réside dans le codage, parfois plus subjectif que
pour les tests « objectifs » comme les questionnaires. Aussi, la validité de construit, c'est-
à-dire la capacité de l'outil à mesurer ce qu'il est censé mesurer, dépend tout autant du
choix des questions posées que du système de codage. Si l'on reprend l'exemple de
l'AAI, les questions ont bien été étudiées pour évaluer l'attachement. En revanche, les
classifications qui en découlent ont été définies à partir des catégories d'attachement des
enfants des mères interrogées (exemple mères d'enfants sécures considérées comme
« sécures-autonomes »). Il n'est donc pas surprenant que l'entretien appréhende
davantage les qualités de l'adulte en tant que parent que son fonctionnement en tant
que personne attachée (c'est-à-dire en position d'être sécurisé par autrui).

La sociométrie
La sociométrie (Singleton et Asher, 1977 ; Cassidy et Asher, 1992) constitue un outil
intéressant pour étudier l'enfant, car elle conjugue le point de vue subjectif de celui-ci à
une perspective plus extérieure. Plus exactement, l'enfant exprime son avis sur ses
camarades de classe en même temps que ces derniers disent ce qu'ils pensent de l'enfant
en question. Pour ce faire, on récolte les photographies de tous les enfants de la classe
pour que l'enfant puisse tous les avoir en tête.
Une première étape consiste à ce que l'enfant attribue, à chaque camarade, un smiley
parmi 5 plus ou moins souriants, pour décrire combien il apprécie l'enfant représenté
(les smileys sont ensuite convertis en scores de 1 à 5). Au préalable, l'enfant s'exerce sur
des questions d'entraînement (exemple, combien il aime la glace, les épinards) pour
s'assurer qu'il comprend bien la tâche. Les réponses de tous les enfants permettent
ensuite de calculer la moyenne des scores obtenue pour chacun, moyenne qui reflète
son niveau de popularité.
Dans une deuxième étape de l'épreuve, l'enfant doit choisir le camarade avec lequel il
préfère jouer, et ce, à trois reprises (c'est-à-dire pour 3 camarades). Une fois les
photographies correspondantes retirées, on lui demande de la même manière avec
lesquels 3 il aime le moins jouer. Un score de préférence sociale est obtenu en
soustrayant le nombre de fois où l'enfant a été cité comme le moins apprécié du nombre
de fois où il a été cité comme plus apprécié. Si ce score atteint des extrêmes, l'enfant est
considéré comme « populaire » ou au contraire « rejeté ». Un score d'impact social est
obtenu en additionnant ces deux scores. Les scores très bas mènent à la catégorie
« négligé », tandis que les scores très élevés mènent à la catégorie « controversé ». Les
enfants qui reçoivent des scores moyens à ces deux échelles sont considérés comme
« moyens » (average).
Cette procédure a donné lieu à des centaines de recherches sur les relations aux pairs.
Une version informatisée permettant de faire des analyses plus poussées vient de
paraître (Endedijk, et Cillessen, 2015).

Conclusion
Il apparaît donc que les méthodes nourrissent la connaissance et inversement : les
progrès technologiques ont permis de faire avancer nos connaissances, notamment en
permettant d'examiner ce qui se passe dans la « boite noire ». Mais les résultats
poussent sans cesse les chercheurs à imaginer, mettre au point de nouvelles méthodes
qui permettent de tester leurs hypothèses. Ces méthodes occupent tous les champs : de
la clinique à la sociale en passant par l'éducation. Cette diversité permet en outre de
faire des ponts entre les disciplines et à terme d'aider à la comprehénsion des
mécanismes humains.

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1
Pour une présentation exhaustive des comportements d'attachement identifiés, voir le chapitre « Infancy in
Uganda » (Ainsworth, 1967).
2
À l'usage, il s'est avéré que certains enfants ne correspondaient à aucune de ces trois catégories. C'est ainsi que la
catégorie « désorganisé/désorienté » fut ajoutée (Main et Solomon, 1986).
3
Pour une discussion plus approfondie sur la validité de la Situation étrange, voir Miljkovitch, R. (2011).
L'attachement : aspects développementaux et psychopathologiques. Sarrebruck : Éditions universitaires européennes.
4
Pensez à l'observation exploratoire critique de Piaget qui consiste à observer l'enfant dans une tâche et le
questionner afin d'induire « le maximum possible de prise de conscience et de formulations de ses propres attitudes
mentales » (Piaget, 1947).
5
Pour Fourez (1992), l'observation est une certaine interprétation théorique non contestée.
6
Cette technique de l'AED a été rendue célèbre d'une part par Carl Jung, célèbre psychanalyste, qui étudia les
relations entre réactions émotionnelles de ses patients et association de mots et d'autre part par le test de détection de
mensonges, dont la réponse dermale fait partie d'un des nombreux signaux enregistrés.
7
La magnéto-encéphalographie (MEG) a été développée par la suite afin d'étudier les variations non plus de potentiel
électrique, mais de champs magnétiques résultant de l'activité électrique neuronale.
8
On parle de potentiels évoqués (PE), et en anglais, d'Event-Related Potentiels (ERP).
CHAPITRE 43

Les tests et outils psychométriques


Jean-Charles Houillon; Stéphanie Vanwalleghem

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les qualités psychométriques
Les outils et leurs formes
Déontologie, interprétation et restitution des données
Conclusion

Introduction
Dans cette partie, nous présenterons quelques tests fréquemment utilisés dans le cadre
de l'examen psychologique et psychométrique. Leur construction, leurs utilisations
clinique et pratique, leur intérêt, mais aussi leurs limites, seront abordés. Les aspects
éthiques et déontologiques liés à l'utilisation des tests seront également abordés.
Les premiers tests ont vu le jour au début du XXe siècle avec l'apparition du « Binet-
Simon » (Binet & Simon, 1905). Celui-ci se voulait être originellement un test de tri
permettant de sélectionner et comparer des élèves dans le but d'homogénéiser les
classes et de créer un enseignement spécial pour les enfants déficients intellectuels, alors
dénommés « débiles mentaux ». Les applications de ces types de tests ont désormais
dépassé le cadre scolaire. Ils se sont développés et participent de l'examen
psychologique d'un sujet également en psychopathologie et pour la sélection ou
l'orientation professionnelle (Huteau & Lautrey, 1979). Ces tests permettent de situer le
sujet dans ses développements en le comparant à une norme statistique établie par des
résultats collectés sur une large population.
Nous savons néanmoins (Voyazopoulos, Vannetzel, Eynard, et al, 2011) que la
compréhension d'un fait psychique ne peut s'opérer sans une approche à la fois
diachronique (celle de l'histoire du sujet) et synchronique (celle du contexte actuel).
Aussi, la rencontre avec le sujet, à laquelle tout psychologue devra réfléchir en fonction
de son expérience, de son positionnement éthique et déontologique ainsi que de ses
conceptions à la fois épistémologiques et théorico-cliniques, ne saurait se réduire à la
passation d'un ou plusieurs tests. L'outil test est au service du sujet, au service de la
relation d'aide ou de la demande de bilan ou examen psychologique, plaçant le
praticien dans une observation au plus près du sujet et de ses cheminements cognitifs
(Jumel B., 2008).
Les aspects déontologiques de la passation des tests sont définis depuis 1996 dans le
code de déontologie des psychologues. Ceux-ci stipulent que le psychologue doit
exposer son intervention en expliquant et clarifiant les règles qui dirigent son action,
tout en affirmant son engagement éthique. À titre d'exemple, nous renverrons le lecteur
à l'article 17 du code de déontologie1.
À l'heure actuelle, il existe sur le marché une grande diversité d'outils-tests (plusieurs
milliers sont répertoriés2) dans des domaines aussi variés que l'évaluation cognitive,
neuropsychologique, praxique, psycho-pathologique, affective, scolaire et sociale. Ils
sont construits sur un mode scientifique et défendent l'idée d'une standardisation qui
permet une confiance dans leur utilisation. Il convient de vérifier qu'ils répondent aux
critères de validité, fidélité et sensibilité avant d'en faire un usage professionnel3.

Les qualités psychométriques


Le concept de validité d'un test
La validité donne à un test sa véridicité, sa valeur et sa légitimité quant aux résultats de
l'évaluation psychologique. Il faut pragmatiquement considérer que les modèles
théoriques sont à ce jour approximativement vrais (il n'existe pas de certitude absolue)
et que les tests actuels rendent compte et sont adaptés à ces modèles théoriques.
Rappelons ici cette phrase célèbre de Binet à qui il était demandé ce qu'était
l'intelligence. Il répondit : « L'intelligence, c'est ce que mesure mon test ».
Nous voyons bien dans cette phrase que le lien entre la mesure et le concept est
simplifié de manière exagérée. Les conceptions actuelles de la validité ont abandonné ce
que Guion appelait « la Sainte Trinité conduisant à la rédemption psychométriques »
(Guion, 1980) et qui consistait à distinguer la validité de critère, de contenu et de
construit. Seul le dernier critère semble suffisamment important aujourd'hui pour
unifier les trois premiers. Ainsi, la notion de validité de construit (ou théorique,
conceptuel ou hypothético-déductif) renvoie à l'analyse de scores obtenus qui doivent
être une manifestation conforme aux hypothèses de la théorie, spécifiant leur
signification présumée. En d'autres termes, c'est bien l'analyse statistique des scores et
leur interprétation (puisque d'autres interprétations sont toujours possibles) qui vont
pouvoir assurer que le test employé mesure bien ce pour quoi il a été construit, c'est-à-
dire assurer qu'il est valide.

La fidélité
Chaque test doit être fiable ou fidèle, c'est-à-dire qu'il doit pouvoir être reproduit avec
des variations qui sont les plus faibles possible. Par exemple, le niveau de fatigue du
sujet lors de la passation d'un test d'intelligence est un facteur qui peut faire varier sa
performance au test. Toutefois, si le test est fidèle, il sera peu sensible à ce facteur et
l'erreur de mesure liée au facteur fatigue sera limitée et ne pénalisera pas
l'interprétation du score. Toute mesure observée est décomposable en une mesure dite
« vraie », inobservable, mais estimée par une moyenne (le nombre important des sujets
donnera une moyenne plus ou moins fiable) et une « erreur ».
Le coefficient de fidélité correspond au rapport entre la variance « vraie » et la
variance observée.
Pour tester la fidélité, il est donc nécessaire de répéter un test afin de comparer les
scores obtenus, car certaines variables sont supposées plus stables que d'autres
(exemple anxiété trait versus état) faisant ainsi varier la fidélité.
Les répétitions peuvent se faire sur les mêmes sujets à des temps différents (test-
retest) ou il peut être aussi demandé à deux personnes différentes une même conduite
d'évaluation, afin de voir s'il existe des différences qui seraient imputées à la passation.
Notons que la standardisation des tests et des consignes drastiques de passations
tend à réduire les risques d'erreur et augmente de fait la fidélité du test.

La sensibilité
Cette notion est en lien avec l'étalonnage d'un test, c'est-à-dire sa capacité à discriminer
des sujets de manière fine.
Lorsque des items sont trop simples ou trop complexes, ils ne permettent pas de
différencier les individus. Il existe alors un « effet plancher » (score faible de tous les
sujets) ou un « effet plafond » (score élevé de tous les sujets).
Une des façons d'éviter ces effets pour les tests de performance est d'ajouter un critère
de vitesse à l'exécution (exemple des épreuves de vitesse de traitement au WISC-IV).
Ces tests dits « de vitesse » peuvent donc être proposés à une population plus
importante et variée en âge.
La différentiation interindividuelle (donc la sensibilité) est la plus forte quand il est
proposé aux sujets des tests ou items réussis par 50 % de la population que l'on veut
tester.
De manière pragmatique, proposer une WPPSI-IV (de 3 à 7 ans ½) à un enfant de
7 ans est risqué, car le risque d'effet plafond est présent (sauf s'il est admis qu'il
manifeste un fort décalage avec sa classe d'âge). Il convient mieux de proposer un test
pour enfant de 5 à 12 ans (KABC-II par exemple).

Les outils et leurs formes


Les tests sont des outils qui nécessitent une formation spécifique, à la fois théorique et
pratique. Afin d'illustrer la diversité des outils à la disposition du psychologue, nous en
avons sélectionné quelques-uns que nous allons désormais décrire.

Mesurer le fonctionnement intellectuel ou les fonctions


cognitives
Les tests généraux (fondés sur les travaux de Cattell-Horn-Carroll,
CHC)
Les échelles de Wechsler
Wechsler, par une approche pragmatique et s'inspirant des travaux de Binet (Binet &
Simon, 1905), créa une échelle multidimensionnelle d'abord pour les adultes, puis en
1949 pour les enfants. L'idée d'une mesure de l'intelligence qui se fonde sur une
évaluation des différentes aptitudes se mettait en place, abandonnant l'idée de Quotient
intellectuel (QI) total et séparant deux secteurs d'intelligence sous la forme d'une double
échelle « langage-performance ».
Les versions suivantes WISC-R (1974), WISC-III (1991) et WISC-IV ainsi que leurs
déclinaisons pour adultes (WAIS) et très jeunes enfants (WPPSI) ont toujours été
marquées par cette idée de comparer la performance mesurée du sujet à celle de ses
pairs d'âge. La dénomination commune de QI avec celui qui est établi à partir du Binet-
Simon (ou les épreuves dérivées telles les échelles de Stanford ou de Terman) masque
donc une différence importante. En effet, pour Binet-Simon le QI est un rapport entre
l'âge mental et l'âge réel, Il serait donc illégitime de postuler une continuité entre des QI
établis à partir de ces deux catégories de tests (Cattell, 1963).
Les échelles de Wechsler se sont d'abord appuyées sur la théorie de Cattell. C'est
Cattell (Cattell, 1963) qui a proposé de scinder le facteur global (facteur g) en deux pour
créer les notions d'intelligence fluide (Gf) correspondant au secteur performance et
cristallisée (Gc) qui correspond au secteur verbal. L'idée chez Cattell est de trouver une
mesure indépendante de la culture. Les meilleures mesures de Gf sont donc, comme
chez Spearman (1939), les mesures classiques du facteur g, par exemple les matrices
(matrices de Raven ou toute épreuve similaire dans les échelles de Wechsler). Les
échelles de Wechsler sont plutôt des mesures globales de Gc, car elles ont une partie
verbale importante. Cette idée d'indépendance culturelle des tests est cependant
dépassée. En effet, toute épreuve est culturelle (Culture free means intelligence free,
Brunner, 1974, p. 364).
Aujourd'hui, le modèle reconnu est celui de Cattell-Horn-Carroll (ou CHC). Ainsi, le
secteur Gc, correspondant à l'intelligence cristallisée selon un modèle hiérarchique4
(voir Grégoire5, 2009, p. 63–64) hérité du modèle de Gustafsson (Gustafsson, 1984),
serait composé des épreuves suivantes : vocabulaire, connaissances verbales et
mathématiques (tout ce qui a trait aux connaissances apprises et aux procédures
récupérables en mémoire à long terme).
Le secteur Gf, serait lui composé d'épreuves de « compréhension des relations
figurales » comme les matrices, de raisonnement inductif, d'épreuves mettant en œuvre
l'empan mnésique (mémoire à court terme).
Deux épreuves homogènes dans leurs résultats par secteur sont suffisantes pour avoir
une estimation de l'intelligence.
L'intégration de la vitesse de traitement et de la mémoire de travail durant ces
20 dernières années ne va pas dans le sens d'une assimilation du facteur g à ces secteurs.
Notons néanmoins que la corrélation de 0,60 entre facteur g et mémoire de travail
(MdT) ou plus particulièrement le système de contrôle attentionnel, montre que celui-ci
joue un rôle important dans les épreuves saturées en facteur g.
Rappelons cependant que si « les techniques d'analyse factorielle6 nous aident à
mettre en évidence l'organisation des facteurs latents qui sous-tendent les performances
cognitives. Elles ne permettent pas d'en comprendre le fonctionnement » (Grégoire,
2009) p. 79).

Le WISC-IV
Le plus connu de tous les tests utilisés, il est, par son élaboration, dans une filiation avec
le premier WISC, puis WISC-R, et encore le WISC-III.
Le WISC-IV (Wechsler, 2005) apparaît comme plus construit théoriquement, et
s'inspire à la fois des travaux de Cattell-Horn-Carroll (CHC), des néo-piagétiens et des
cognitivistes qui voient dans les fonctions exécutives (Miyake & Shah, 1999) et
particulièrement la mémoire de travail (Baddeley, 1990) des corrélations avec
l'intelligence.
Le chiffre global (QIT) devient alors fortement tributaire de quatre échelles appelées
indices, qui ne présentent pas forcément chez tous les sujets un résultat homogène.
Ainsi, chaque indice est relativement indépendant des autres, et mesure plus
précisément des dimensions plus théoriquement cohérentes, par rapport aux versions
précédentes.

Description du WISC-IV
Le WISC-IV se compose de 10 épreuves obligatoires et 5 optionnelles, réparties en
4 échelles qui donnent chacune un indice de fonctionnement intellectuel.
• L'indice de compréhension verbale (ICV) comprend une épreuve de
conceptualisation (vocabulaire), de catégorisation (similitudes), de connaissances des
règles sociales (compréhension) et deux épreuves optionnelles qui mesurent les
connaissances (information et raisonnement verbal).
• L'indice de raisonnement perceptif (IRP) est évalué par trois subtests.
• L'épreuve des cubes où le sujet organise 4 ou 9 cubes bicolores en se référant à une
image-modèle. Les capacités à analyser, abstraire et synthétiser sont ici mobilisées.
• Le subtest Identifications de concepts est proche de celui de similitudes. Le sujet doit
apparier des images présentées par lignes (deux ou trois) qui appartiennent à une
même catégorie conceptuelle. Les raisonnements abstraits et catégoriels sont ici
sollicités.
• L'épreuve des matrices semble conçue comme le test de RAVEN (matrices
progressives, 1938), mais s'en distingue par un passage progressif du concret à
l'abstrait.
• L'épreuve complètement d'images qui consiste à trouver sur des images un élément qui
manque, est devenue optionnelle. Le sujet doit faire attention aux petits détails et se
trouve confronté à une comparaison entre deux représentations (interne-versus-
externe), mais également à sa possibilité ou non d'accéder au « manque », donnée
plus clinique.
• L'indice de mémoire de travail se compose de deux épreuves obligatoires, mémoire
des chiffres et séquences lettres-chiffres et d'une épreuve optionnelle, arithmétique. Les
deux premières ne font pas appel à des connaissances et mesurent les empans de
mémoire par une demande de rappel simple ou plus complexe.
Bien que la boucle phonologique soit plus particulièrement évaluée, le calepin visuo-
spatial (Baddeley, 1990) intervient dans le maintien des données.
Ces épreuves mettent en jeu de manière forte les processus attentionnels.
• Le subtest arithmétique est composé de petits problèmes oraux sollicitant la MdT,
mais aussi faisant appel à des procédures mathématiques acquises en milieu
scolaire.
• L'indice « Vitesse de traitement » est composé de l'épreuve de code et de celle des
symboles qui consiste dans un temps donné à reproduire graphiquement, comme le
modèle, des signes associés spatialement à des chiffres ou à repérer la présence ou
l'absence d'un ou deux stimuli donnés en début de ligne avec cinq autres dans la
suite de cette même ligne. L'attention, la mémoire, l'aisance graphique, l'inhibition
ou la confiance en soi sont en jeu dans ces épreuves ; c'est pourquoi une observation
attentive du comportement du sujet est nécessaire pendant l'épreuve. Ces deux
épreuves sont soumises à une contrainte de temps, annoncée au sujet (2 minutes
pour la réalisation).
• Le subtest optionnel barrage mesure également la rapidité de discrimination.

Les qualités métriques de l'échelle


Sans rentrer ici dans les détails qui sont développés par Lautrey (Lautrey J., 2006), les
fidélités de ce test (consistance interne et stabilité test et re-test) sont satisfaisantes. De
même, la validité théorique ou de construit a été vérifiée par la méthode d'analyse
factorielle.

Les intérêts et utilisations


Ce test favorise des approches à la fois psychométrique, cognitive et clinique, du
fonctionnement intellectuel du sujet. Il situe pour chaque indice mesuré l'enfant dans sa
classe d'âge (rang percentile) et donne des indications sur la façon dont il organise ses
connaissances et son raisonnement. Le WISC IV est un outil assez complet pour rendre
compte de l'efficience intellectuelle d'un sujet à un moment donné. Cependant, il ne
mesure pas des aptitudes et ne renseigne pas sur les étapes de développement d'un
enfant (Voyazopoulos, Vannetzel, Eynard, et al, 2011).
Il s'adresse aux enfants de 6 à 16 ans pour lesquels une déficience intellectuelle ou un
ou plusieurs troubles cognitifs spécifiques sont suspectés. Il est aussi fort utile dans la
mise en évidence des enfants à haut potentiel (HP). Selon Rozencwajg (Rozencwajg,
Aliamer, & Ombredane, 2008) les enfants HP ne se distinguent pas par une
hétérogénéité de leurs performances qui leur serait spécifique, mais par une
« brillance » de leur intelligence cristallisée (elle se mesure par l'ICV) qui pourrait bien
être le fondement de leur excellente capacité intellectuelle.
Dans la recherche des troubles spécifiques appelés communément « troubles dys »
(Passolunghi & Mammarella, 2012), il permet une approche différentielle permettant
d'éloigner une suspicion de déficience et donne quelques éléments par secteur qui
peuvent conduire le psychologue à poursuivre des investigations plus précises avec des
tests plus ciblés.

Le WISC-V
Sa sortie en France est prévue pour fin 2016. Sa structure ressemble à la WPPSI-IV en
intégrant les 5 mêmes secteurs (décrits ci-dessous). Il est à noter que l'épreuve
d'arithmétique appartient maintenant au raisonnement fluide, et qu'une épreuve
mesurant le calepin visuo-spatial est intégrée dans la mémoire de travail. Il partage avec
le WISC-IV 12 épreuves, revues dans leurs consignes de passation.

La WPPSI-IV
Dans une même approche pragmatique que pour les autres tests créés par David
Wechsler, la WPPSI-IV apparaît en 2014 (version française) et vient, par cette quatrième
édition, améliorer la WPPSI-R et WPPSI-III (2004) dans les domaines à la fois théorique
et pratique.
Postérieure au WISC-IV, elle reprend entièrement les idées qui ont fondé l'approche
théorique de ce premier et propose des épreuves aux enfants âgés de 2 ans 6 mois à
7 ans 7 mois.
De plus, les mesures des échelles en note composite qui se dénommaient encore QI
dans le WPPSI-III deviennent des indices, soulignant bien la véritable rupture théorique
qui marque l'apparition des nouvelles échelles de Wechsler s'appuyant solidement sur
les recherches récentes sur la mémoire de travail, sur le raisonnement fluide, la vitesse
de traitement et les fonctions exécutives. En raison d'une filiation directe avec le WISC-
IV, certaines épreuves seront simplement citées.

Description de la WPPSI-IV
La WPPSI-IV se compose, selon l'âge du sujet, de 5 à 6 épreuves principales et jusqu'à 4
à 10 épreuves supplémentaires et optionnelles, réparties en 5 échelles qui donnent
chacune un indice de fonctionnement intellectuel.
• Pour les enfants âgés de 4 ans à 7 ans 3 mois, il est possible de présenter jusqu'à
15 épreuves. L'échelle verbale (ICV) est construite comme celle du WISC-IV et
contient en plus une échelle d'acquisition verbale qui comprend deux épreuves avec
un support imagé (compréhension de mots et dénomination d'images) permettant au
sujet de nommer ou pointer les images ou concepts qui lui sont présentés.
• L'échelle visuo-spatiale (IVS) est évaluée par deux subtests. L'épreuve des cubes et
l'épreuve assemblage d'objets (assemblage en un tout cohérent de morceaux d'un
puzzle présentés de manière standardisée). Elles mesurent essentiellement
l'organisation spatiale du sujet.
• L'échelle de raisonnement fluide (IRF) contient les subtests Identifications de concepts
et matrices qui sont proches de ceux du WISC-IV.
• L'échelle de Vitesse de traitement (IVT) est composée principalement des épreuves
de symboles et de barrage. Ces trois épreuves ont en commun de demander au sujet
d'utiliser un tampon encreur et se font en un temps limité et chronométré. Il est à
noter que les capacités graphiques de l'enfant ne sont pas ici sollicitées.
• L'échelle mémoire de travail (IMT), qui mesure les prémices à la mémoire de travail,
est constituée de deux nouvelles épreuves, mettant en jeu le calepin visuo-spatial
système esclave de la MdT (Baddeley, 1990). L'épreuve de reconnaissance d'images,
qui s'apparente dans la passation à celle de reconnaissance des visages du KABC-2
(Kaufman & Kaufman, 2008). Elle nécessite que l'enfant regarde un temps des
images sur une page du livre de stimuli, puis les retrouve sur la page suivante parmi
d'autres. La seconde épreuve, mémoire spatiale, consiste à replacer sur un plateau de
jeu partagé et quadrillé (2 à 8 cadres) des cartes représentant des animaux que le
psychologue a auparavant placées pour un temps dans ces mêmes cadres.
Les différences principales avec le WPPSI-III apparaissent donc principalement dans
ces deux dernières échelles. En effet, la vitesse de traitement se sépare des aspects
graphiques pour tenter de ne mesurer que les aspects visuo-perceptifs des capacités
d'inhibition. Cela a ses limites et le praticien pointe une dérive de jeu chez les plus
jeunes ou chez les enfants un peu agités qui consiste à jouer avec les effets du tampon
encreur.

Les intérêts et utilisations de la WPPSI-IV


Ce test est fort proche dans ses avantages et dans ses limites du WISC-IV. En effet, il
permet une vision à la fois psychométrique, cognitive et clinique du fonctionnement
intellectuel du sujet.

Le KABC-II
Alan S. et Nadeen Kaufman ont donné leur nom à ce test qui date de 1983 pour sa
première version américaine, et qui n'a vu le jour en France qu'en 1993. La version II
apparaît en 2008 en France (2004 aux États-Unis). Ce test visait à prendre en compte les
travaux des neurologues (Luria, 1980) et des psychologues cognitivistes (Neisser, 1967)
qui ont mis en évidence deux grands types de fonctionnement mentaux dans la
résolution de problèmes : les processus séquentiels et les processus simultanés. Nous
rappellerons brièvement les principes de ces types de fonctionnement, bien que dans la
version II soit enrichie du modèle CHC que l'on retrouve dans la construction du WISC-
IV. Ainsi, le psychologue a le choix d'analyser les résultats à l'aide de l'un de ces deux
modèles en fonction de ce qu'il est pertinent de mettre en évidence chez le sujet.
Dans le modèle neuropsychologique qu'il propose, Luria (1980) distingue 3 blocs : le
bloc 1 relatif au maintien de l'attention, Le bloc 2 relatif au codage et au stockage de
l'information et le groupe 3 relatif à la planification et à l'organisation des conduites.
Ces trois blocs s'articulent entre des traitements de « bas » et de « haut » niveaux et
correspondent aux aptitudes mesurées par le KABC-II. Ainsi en exemple, des
informations sensorielles dites de « bas niveaux » du bloc 1 sont analysées dans le bloc 2
qui fera le lien avec le bloc 3 en vue d'une planification (traitement dit de « haut
niveau ») pour une prise de décision.
Le double modèle théorique du KABC-II est complémentaire dans sa construction : le
modèle CHC repose essentiellement sur des analyses factorielles, alors que le modèle de
Luria repose sur des observations cliniques et des études empiriques sur des sujets
cérébro-lésés (la spécialisation des hémisphères cérébraux pouvant ainsi apparaître).
Le modèle CHC sera plutôt choisi pour des enfants dont les faibles connaissances ne
risquent pas de compromettre la mesure de l'échelle générale. Autrement, c'est le
modèle de Luria qui sera choisi (exemple : un contexte de bilinguisme, un
environnement culturel peu stimulant pour l'enfant, un enfant présentant des difficultés
de langage ou un trouble du spectre de l'autisme ou une déficience auditive).

Les épreuves du KABC-II


Le KABC-II se compose de 18 subtests, mais certains ne sont passés qu'à un âge donné,
si bien qu'au maximum 13 épreuves sont présentées aux sujets.
Pour le modèle de Luria, entre 5 et 8 épreuves sont présentées au sujet, alors que pour
le modèle CHC, 2 épreuves au minimum seront présentées par échelle. Nous renvoyons
le praticien au manuel d'interprétation du KABC-II (Kaufman & Kaufman, 2008).

Les particularités
Il est essentiellement utilisé avec les enfants scolarisés en maternelle et élémentaire. Il
permet de penser les difficultés rencontrées des élèves en termes de remédiations
pédagogiques possibles.
Un de ses grands avantages est qu'il peut être proposé (dans sa partie analyse des
processus) aux enfants parlant peu la langue française ou présentant des troubles de
l'apprentissage de la langue orale sans que ceux-ci soient pénalisés par la non-maîtrise
de la langue. Il est aussi utilisé avec des enfants présentant des difficultés langagières
dans le cadre d'un syndrome comme celui de la trisomie 21 (Frenkel, Lagneau, &
Vandromme, 2005).

Les matrices de RAVEN (PM38, PM47, APM)


Les matrices progressives de Raven sont constituées d'une suite d'épreuves visuelles
(dessins et figures géométriques abstraits) faisant appel à l'induction et à la déduction.
Elles ont été souvent, mais de façon impropre, appelées « test de facteur g » en raison de
leur saturation forte avec ce facteur (.83), et des travaux de Spearman (1939) qui
constituent leur fondement théorique.
Elles datent de 1938 (ou 1947 pour le PM 47 en couleur), mais un réétalonnage a été
fait en 1998 (Raven, Raven, & Court, 1998). Elles mesurent l'intelligence fluide.

Description des PM 38 et 47
Les PM 38 sont composées de soixante planches représentant des dessins abstraits. Le
sujet doit trouver la logique sous-tendant chaque planche afin de trouver le dessin
complétant la planche.
Ce test s'adresse à des enfants de 7 à 11 ans ½ dans sa version 1 (SPM 1), mais peut
aussi être proposé à des adultes (SPM 2). Nous ne traiterons ici que les tests pour
enfants. Cinq séries par ordre de difficulté progressive sont ainsi données au sujet. Petit
à petit, des transformations sur les axes viennent se mélanger à un dessin interne.
Le PM 47 est en couleur et s'adresse à des enfants plus jeunes (4 à 11 ans), ou des
personnes plus fatigables ou atteintes d'infirmités ou de troubles (aphasie, surdité ou
lésions cérébrales). Il peut aussi s'adresser à des déficients mentaux. Le cahier de
passation propose trois séries de douze problèmes. Les trois séries (A, AB et B)
ressemblent dans leur étalonnement de difficultés aux séries A et B des PM 38. Une
version encastrable existe pour les plus jeunes
Enfin, une version pour enfants dont on soupçonne une intelligence supérieure existe
aussi avec un étalonnage spécifique. Il s'agit de l'APM (Progressives matrices avancées).

L'intérêt des Progressives matrices (PM)


Les PM constituent un test d'éduction, c'est-à-dire la possibilité donnée à un sujet de
sortir du chaos pour donner du sens à une situation en élaborant des systèmes de
pensée complexes. Ce test se passe en peu de temps et présente aussi des aspects
ludiques, permettant aux enfants distractibles de bien investir la passation.

L'UDN-II
L'UDN-II évalue la construction, l'utilisation du nombre et la structure logique de la
pensée chez l'enfant de 4 à 11 ans. Construite à partir des théories piagétiennes du
développement de l'intelligence chez l'enfant, cette batterie se compose de 8 épreuves
dites « piagétiennes » (Piaget & Inhelder, 1959) et de 8 épreuves centrées sur l'étude des
premières notions logico-mathématiques.
Ce test est foncièrement différent des autres échelles de type Wechsler, car il ne prend
pas fin sur plusieurs échecs consécutifs du sujet d'épreuves en épreuves, mais sur une
réflexion étayée par le psychologue de ce que le sujet a produit. Par des suggestions ou
contre-suggestions que l'examinateur propose au sujet (« explique-moi comment tu as
fait, d'autres enfants pensent que ce qui se passe est différent de ce que tu dis », etc.) se
crée un échange actif autour d'un espace-problème.
Nous invitons le lecteur à se référer au test pour une description des épreuves ainsi
qu'au livre de Meljac et Lemmel (2007) qui expose la méthodologie du test et propose
11 cas cliniques variés, sans regroupement par famille nosographique et donc encore
très ouverts à l'interprétation pour un lecteur en recherche de données cliniques.

La construction de l'UDN-II
Cinq familles d'épreuves constituent l'UDN-II, sans que celles-ci soient fondées sur des
liens statistiques ou des corrélations avec le facteur g comme dans d'autres tests. En
effet, ce test mesure le développement des opérations logico-mathématiques et donne
une mesure des compétences du sujet dans ce domaine. Il s'agit de : conservations,
logique élémentaire, utilisation du nombre, épreuves d'origine spatiale et connaissances
scolaires (compétences et acquisitions)
La cotation est essentiellement qualitative et se réfère pour chaque épreuve à un « âge
clé » correspondant au moment où 75 % de la population de l'étalonnage réussit la tâche
proposée, tandis que moins de 10 % seraient encore en difficulté. Les 15 % restants
seraient dans une zone intermédiaire non stable encore.
La conduite de l'enfant est aussi analysée en termes d'adéquation ou non à ce qui est
attendu à chaque essai de résolution de la tâche. Trois cotations sont possibles :
NA = non adéquate, AP = approximative, AD = adéquate.
Le croisement de la réussite à l'âge clé et de ces conduites vont donner pour chacun
des subtests un niveau de réussite ou d'échec noté : E = échec, I = intermédiaire,
R = réussite.
Ainsi, le sujet est donc comparé pour chaque épreuve, avec des sujets de sa classe
d'âge, sur des épreuves qui sont autant d'obstacles à franchir en conformité avec ce qui
est attendu de lui à son âge réel. Pour un exemple, voir Lana dans le chapitre 44.

L'évaluation neuropsychologique
La batterie neuropsychologique pluridimensionnelle : la NEPSY-II
La NEPSY-II, dont le nom est un acronyme de NE pour NEuro et PSY pour
PSYchologie, a été créée par Korkman, Kirk et Kemp et adaptée en français en 2012.
C'est une batterie qui vise à évaluer le développement neuropsychologique des
enfants et des adolescents, âgés de 5 à 16 ans, dans 6 domaines : l'attention et les
fonctions exécutives, le langage, la mémoire et les apprentissages, la perception sociale,
le sensorimoteur et le visuospatial.

Conception et objectifs de la NEPSY


La première version de la batterie NEPSY était finnoise et a été créée par Korkman en
1988. Il s'est inspiré des apports théoriques du psychologue russe Luria (1973, 1980). Les
31 subtests de la NEPSY-II permettent d'évaluer de nombreuses sous-composantes de
fonctions cognitives complexes.
La passation de la NEPSY-II permet de repérer les déficits cognitifs qui sous-tendent
les problèmes d'apprentissage ou de comportement afin de proposer des objectifs de
remédiation cognitive et des aménagements scolaires.

La pertinence de l'outil
La NEPSY-II permet de comparer les performances d'un sujet à celles des sujets du
même âge, mais également de suivre le développement cognitif d'un même sujet entre 5
et 16 ans à l'aide des mêmes épreuves. Elle propose une mesure normée des
compétences du sujet dans de nombreux domaines de fonctionnement cognitif,
notamment dans le domaine de la perception sociale. Sa passation est complémentaire à
la passation d'une échelle d'intelligence, telle que la WISC-IV.
La NEPSY-II autorise une flexibilité dans le choix des subtests et dans l'ordre de
passation. Elle permet également de personnaliser l'évaluation selon les objectifs du
clinicien : soit une passation de l'ensemble des subtests (représentation globale du
fonctionnement cognitif du sujet), soit de faire une sélection de certains subtests en
fonction du motif de consultation.
Le manuel de la NEPSY-II propose plusieurs façons de sélectionner les subtests afin
de faire une « évaluation générale », une « évaluation diagnostique » en lien avec la
recherche de troubles spécifiques des apprentissages ou une « évaluation sélective »
d'une ou plusieurs fonctions cognitives.

L'étalonnage et l'adaptation française


Les données normatives de certains subtests ont été conservées de la première version
de la NEPSY, comme certains subtests sensorimoteurs, avec le postulat qu'ils n'étaient
pas soumis à l'effet Flynn, ni à des changements dans la population.
Le recueil de données françaises n'a été effectué que pour 8 des 31 subtests de la
NEPSY-II. Pour les subtests n'ayant pas bénéficié d'un recueil de données françaises,
c'est l'étalonnage américain qui est utilisé pour la cotation.

Les six domaines de la NEPSY-II


La NEPSY-II est composée de 31 épreuves mesurant les capacités de ces domaines, et
chaque domaine comprend de 2 à 6 épreuves.
• Attention et fonctions exécutives : attention, vigilance, inhibition, flexibilité,
planification.
• Langage : compréhension de consignes, fluence sémantique et phonologique,
conscience phonologique, productions oromotrices, codage et décodage sémantique
• Mémoire et apprentissages : mémoire de travail, mémoire à long terme, mémoire
visuo-spatiale, mémoire à court terme (narrative)
• Fonctions sensorimotrices : analyse visuo-spatiale et kinesthésique, programmation
motrice, vitesse et précision graphomotrice, imitation d'une séquence de
mouvements rythmiques, dextérité digitale.
• Perception sociale : reconnaissance d'émotions, théorie de l'esprit
• Traitements visuo-spatiaux : compétences motrices et visuo-spatiales, reproduction
en 2D et en 3D, jugement d'orientations, rotation mentale, analyse visuo-spatiale,
traitement visuo-spatial, représentation mentale.

La passation et la cotation
La durée de la passation est variable selon le nombre de subtests proposé. La passation
de l'ensemble des subtests dure de 2 h30 à 3 h30, celle des subtests de l'évaluation
générale est d'environ 1 h. Il est important de prendre en compte les capacités de
concentration et la fatigabilité de l'enfant pour déterminer les subtests prioritaires.
Il y a 4 types de notes ou cotations (notes principales, notes de processus, notes de
comparaison et observations comportementales) qui permettent d'établir un profil mettant
en évidence les forces et les faiblesses du sujet.
En conclusion, la NEPSY-2 permet, par les secteurs différents et indépendants qu'elle
mesure, de compléter les tests généraux, comme les tests d'intelligence, lorsqu'un
trouble cognitif spécifique est suspecté.

Les tests évaluant spécifiquement un domaine cognitif


Le test de Stroop
Le test de Stroop, dont la première version date de 1935, est inspiré des recherches de
Cattell (1963). Nous allons présenter la version proposée par Albaret et Migliore, éditée
par les ECPA en 1999 : elle est destinée aux enfants et adolescents âgés de 7 ans 6 mois à
15 ans 5 mois et a été étalonnée à partir d'un échantillon de 835 enfants et adolescents
français.
Le test de Stroop permet de mesurer l'attention sélective et la capacité d'inhibition, un
des processus des fonctions exécutives. Pour cela, ce test place le sujet dans une
situation d'interférence : en effet, le sujet doit inhiber une réponse automatique, la
lecture de noms de couleur, pour pouvoir dénommer la couleur de l'encre avec laquelle
chaque nom de couleur est écrit.
Le sujet doit lire des noms de couleurs écrits en noir et blanc, lire des noms de couleur
écrits en couleur (différence de couleur entre le nom de la couleur et la couleur de
l'encre), nommer la couleur de rectangles de couleur, puis nommer la couleur de l'encre
de noms de couleur (condition d'interférence).

Intérêts et remarque
Ce test est très utilisé au niveau international pour mesurer les processus d'inhibition,
aussi bien auprès d'enfants, d'adolescents que d'adultes.
En complément d'un test d'évaluation du niveau intellectuel, il est particulièrement
pertinent pour les sujets chez qui on suspecte un trouble des fonctions exécutives ou un
trouble de l'attention, que ce soit par exemple dans le cadre d'un Trouble déficitaire de
l'Attention avec Hyperactivité, d'une schizophrénie ou d'une maladie de Parkinson

Les tests praxiques


La figure de Rey
Les figures complexes de Rey sont des épreuves graphiques mixtes, à la fois de copie et
de mémoire. Au départ, son concepteur (Rey, 1959) voulait évaluer les pertes supposées
de mémoire de patients traumatisés crâniens.
Cette épreuve mesure un percept et une façon de construire et d'élaborer l'espace à
partir de souvenirs visuels et graphiques qui ont été donnés à voir et à reproduire.

Description
Cette épreuve se passe en deux temps qui sont chronométrés. Le sujet est d'abord
conduit à reproduire avec modèle (sans outil autre que des crayons et une feuille de
format A5) une des deux figures selon son âge (Baby Rey pour les enfants d'âge
maternel jusqu'à 6 ans), puis dans un second temps il lui est demandé de reproduire la
figure de mémoire, sans le modèle.
Les crayons de couleur7 (en général 4) qui sont donnés au fur et à mesure que le sujet
reproduit la figure vont permettre au psychologue de noter très précisément le
« schéma d'exécution » de la figure afin de déterminer la façon dont s'organise
l'exécution de celle-ci.
Ainsi, selon le type d'organisation que va choisir le sujet pour copier la figure, le
nombre d'éléments restitués, le temps mis par le sujet et la précision de la construction,
il sera possible de déterminer un score qui pourra être comparé avec celui d'un âge
donné.

L'intérêt du test
Ne réclamant que très peu de matériel, de nombreux auteurs se sont intéressés à ce test
et en ont fait des lectures cliniques qui dépassent la simple organisation spatiale et
mnésique. De manière plus interprétative, Mannoni propose une lecture symbolique de
certains éléments de la figure mis en relation avec d'autres signes cliniques (Mannoni,
1964), (Debray, 1983) et (Jumel B., 2008). Ces approches ne renvoient pas aux théories
du développement cognitif.
Enfin, des recherches (Danis, et al., 2008) ont été faites sur les liens entre processus
attentionnels et réalisation de la figure de Rey (BB-Rey).

Les questionnaires psychopathologiques


Les questionnaires d'ASEBA
Les questionnaires proposés par The Achenbach System of Empirically Based Assessment
(ASEBA) ne sont pas spécifiques d'un trouble ou d'une catégorie de troubles ; ils sont
généralistes. Ils permettent de rechercher un grand nombre de problèmes
comportementaux, émotionnels et sociaux (agressivité, dépression, troubles de
l'attention, etc.).
Il existe différents questionnaires ASEBA selon l'âge du sujet et la personne qui
remplit le questionnaire. Ainsi, l'on peut distinguer les questionnaires destinés aux
enfants âgés de 1 an ½ à 5 ans, les questionnaires destinés aux enfants et adolescents
âgés de 6 à 18 ans (forme parents : Child Behavior Checklist for ages 6–18, forme
enseignant : Teacher's Report Form et forme auto-questionnaire pour les jeunes âgés de
11–18 ans : Youth Self-Report) et les questionnaires adultes : forme auto-questionnaire et
forme aidant.
Nous allons présenter ici les questionnaires destinés aux 6–18 ans (Achenbach et
Rescorla, 2001) ; les questionnaires pour les 1–5 ans et pour les adultes sont construits
sur le même modèle que ceux des 6–18 ans.

La description des questionnaires


Chaque questionnaire nécessite 15 à 20 minutes pour être complété.
Les 3 formes (auto-questionnaire, forme parents, forme enseignant) ont été
construites en parallèle afin de favoriser une comparaison entre les résultats de chaque
forme.
La forme parent très utilisée dans le domaine clinique, commence par quelques
questions démographiques concernant l'enfant et la personne qui remplit le
questionnaire, puis elle est composée de 2 parties : l'échelle de compétences et de
l'échelle de problèmes que nous ne ferons que résumer.

L'échelle de compétences
L'échelle de compétences permet d'évaluer le fonctionnement adaptatif et scolaire.
Enfin, elle propose aux parents de décrire leurs préoccupations vis-à-vis de leur enfant
et les aspects positifs de leur enfant.

L'échelle de problèmes
L'échelle de problèmes est composée de 113 questions portant sur des problèmes
comportementaux, émotionnels ou sociaux. Le parent doit attribuer un score de 0, 1 ou
2 pour chaque item : 0 correspond aux situations où le comportement n'est pas vrai
pour l'enfant, 1 aux situations où le comportement est parfois ou un peu vrai, 2 aux
situations où le comportement est très vrai ou souvent vrai.
Sur l'échelle de profils, les items sont regroupés en 8 échelles syndromiques :
• anxiété/dépression ;
• repli sur soi/dépression ;
• plaintes somatiques ;
• problèmes relationnels ;
• troubles de la pensée ;
• problèmes attentionnels ;
• comportement de transgression de règles ;
• comportement agressif.

Intérêts
Ces questionnaires peuvent être utilisés pour réaliser une évaluation initiale du
fonctionnement adaptatif, scolaire, comportemental, émotionnel et social d'un sujet,
mais aussi pour réaliser des évaluations de suivi destinées à suivre l'évolution du sujet
et à mesurer les effets de la prise en charge proposée. Il permet dans certains cas d'aider
à poser un diagnostic comme le trouble déficitaire de l'attention avec ou sans
hyperactivité (TDAH),

Les limites
Les limites sont les mêmes que celles de tout questionnaire. Le sujet peut choisir de ne
pas répondre honnêtement aux questions afin de choisir l'image qu'il donne de lui ou
de son enfant (biais de désirabilité sociale). Le croisement des différentes versions par le
psychologue (parents, enfant, enseignants) permet néanmoins de réduire la subjectivité
de l'évaluation.

Les tests projectifs8


L'ASCT
L' Attachment Story Completion Task (ASCT), nommé en français « Histoires
d'Attachement à compléter », s'inscrit dans le champ des recherches sur la théorie de
l'attachement, initié par Bowlby (1969). Cet outil d'investigation a été créé par
Bretherton, Ridgeway et Cassidy (1990) pour mettre en évidence les représentations
d'attachement chez les jeunes enfants. Celles-ci renvoient au concept de modèles
internes opérants (MIO), qui sont des modèles de relations construits à partir des
expériences d'attachement, qui influencent la perception et le comportement du sujet
dans les interactions sociales.
La théorie de l'attachement propose de distinguer les enfants sécures des enfants
insécures, et parmi les insécures, ceux qui sont anxieux-évitants (stratégie
d'hypoactivation du système d'attachement), anxieux-ambivalents (stratégie
d'hyperactivation du système d'attachement) de ceux qui sont désorganisés (absence de
stratégie d'attachement cohérente).

Description
Pour évaluer les représentations d'attachement des enfants à l'aide de l'ASCT,
l'investigateur met en scène des personnages dans différentes histoires puis il demande
à l'enfant de raconter la suite de l'histoire. Les personnages correspondent aux membres
d'une famille. Ces histoires mettent en scène des situations critiques, supposées activer
le système d'attachement : par exemple l'enfant renverse un verre de sirop, l'enfant
tombe en escaladant un rocher et se fait mal au genou, etc. Certaines versions
contiennent également une histoire où l'enfant a perdu son chien, puis le chien revient.

La cotation et l'interprétation
Il existe différentes façons de coder l'ASCT. Nous allons présenter très succinctement le
système de codage développé par Miljkovitch et al. (2003), qui permet à la fois d'évaluer
les stratégies d'attachement des enfants au niveau représentationnel (sécure, évitant,
ambivalent, désorganisée) et de caractériser leur façon de construire un narratif. Pour
cela, les auteurs ont créé un questionnaire Q-sort composé de 65 items (ex : absence de
narratif, l'enfant reste inhibé face au matériel, à la situation, refuse d'élaborer, ses
personnages réagissent de façon appropriée aux émotions des autres personnages, etc.).
Ce système permet de définir le profil de l'enfant selon les 4 axes : sécure, évitant,
ambivalent et désorganisé, plutôt que de le placer dans l'une de ces 4 catégories.
Pour utiliser le système de codage développé par Miljkovitch et al. (2003), il est
parfois nécessaire de filmer le jeu avec l'enfant et de le visionner plusieurs fois en étant
attentif au récit, aux déplacements des personnages, aux relations entre les personnages
et aux émotions exprimées. Le codage se fait en 3 étapes : on trie les 65 items à 3 reprises
afin de distribuer les différents items dans 7 piles en fonction de leur degré de
caractérisation des réponses du sujet.

Les entretiens semi-structurés : l'AMMI


L'Attachment Multiple Model Interview (AMMI) est un outil d'investigation qui permet
d'évaluer et de comparer les modèles internes opérants (MIO9) d'attachement relatifs à
3 types de relations spécifiques, la relation à la mère, la relation au père et la relation
au(x) partenaire(s) amoureux, chez les grands adolescents et les adultes. Il a été créé et
récemment validé par Miljkovitch et al. (2015).
L'AMMI est un entretien semi-structuré fondé sur le récit rétrospectif de personnes
quant à leur figure d'attachement : l'investigateur interroge le sujet sur des situations
passées de détresse ou de vulnérabilité (peur, maladie, danger, changement majeur ou
perte) et sur des situations qui ont pu menacer la relation (séparation, conflit, rivalité).
L'investigateur cherche à faire émerger les stratégies d'attachement au niveau
comportemental, en interrogeant le sujet sur ce qu'il a fait dans la situation évoquée et
au niveau représentationnel, en interrogeant le sujet sur ses pensées et sur les émotions
ressenties.

Intérêts
L'AMMI présente l'avantage d'investiguer les représentations d'attachement concernant
les relations avec de multiples figures d'attachement, et de mieux comprendre les
influences respectives des attachements précoces à la mère, au père et à d'autres
caregivers, sur la construction d'un état d'esprit général et sur le développement psycho-
émotionnel.

Déontologie, interprétation et restitution des données


Le code de déontologie et conférence de consensus
(2010) sur l'examen psychologique
Un grand nombre d'auteurs issus de milieux différents de la psychologie se sont réunis
dans ce qui a été appelé une « conférence de consensus » (Voyazopoulos, Vannetzel,
Eynard, et al. 2011) et ont voulu réfléchir et émettre des recommandations (au nombre
de 32) afin que les psychologues puissent se donner des règles communes dans
l'exercice de l'examen psychologique. Nous renvoyons le lecteur à la lecture exhaustive
de ces recommandations et n'en présenterons dans ce chapitre que les lignes et idées
essentielles.
• Les 4 premières recommandations concernent les compétences nécessaires pour
réaliser un examen psychologique.
• Les 5 suivantes s'intéressent aux critères d'acceptation de la demande d'examen.
• Les recommandations R10 à R15 s'attachent au cadre de l'examen qui est toujours
situé dans un contexte spécifique qui doit être pris en compte.
• Les recommandations suivantes (R16 à R21) renvoient aux sources d'information et
des choix des méthodes, laissant au professionnel toute latitude dans le cadre de ses
compétences pour choisir, administrer et analyser les outils dont il se servira.
• L'interprétation des données et la formulation de recommandations font l'objet des
recommandations R22 à R27.
• Les dernières recommandations R28 à R32 s'intéressent à la communication des
résultats qui doivent être communiqués accompagnés d'une interprétation et de
propositions (enfants ou responsables légaux). Un écrit daté et signé du psychologue
est produit et présenté dans le cadre d'entretien à l'enfant et à ses responsables
légaux. Toute communication à des tiers se fait avec l'autorisation expresse des
intéressés, dans le respect des règles du secret professionnel.

L'interprétation des données


La question de la stabilité dans le temps d'un résultat à un test se pose et il convient de
penser que cette stabilité se mesure dans une population qui est comparée à une autre
quelques années après. Cette stabilité statistique qui se fait sur un grand nombre de
sujets et qui n'est validée qu'à partir de 7–8 ans pour le sujet n'est absolument pas
applicable à un individu. En effet, c'est la moyenne du groupe mesuré qui ne varie que
très peu avec le temps, pas la mesure d'un individu qui peut fluctuer en fonction
d'autres paramètres que ceux relatifs à l'intellect.
De même, afin de valider un diagnostic de déficience intellectuelle ou de précocité, il
est nécessaire de refaire un second test 18 mois environ après le premier. En effet, une
évaluation du fonctionnement psychique d'une personne n'est qu'une représentation du
fonctionnement de cette personne à un moment donné dans un contexte donné.
Dans une perspective de développement tout au long de sa vie (idée de néoténie), la
représentation forcément partielle et tributaire de l'avancée des connaissances et
modèles théoriques que le clinicien se donne ne doit pas figer le sujet dans un
diagnostic. Cela nous renvoie à l'idée même du construit d'un test qui par l'analyse des
scores et de ses mesures peut rendre compte de sa validité par une analyse hypothético-
déductive.
Ainsi, tout praticien se doit en respect avec le sujet même qui n'est jamais défini dans
sa totale vérité, de garder de la modestie, comme tout chercheur devant un objet de
recherche dont il ne peut voir que les manifestations et juste en inférer une
compréhension.

Utiliser des tests récents : effet Flynn


L'effet Flynn (psychologue néo-zélandais) correspond au vieillissement d'un test et au
fait que les scores de deux populations comparables en âge au moment des passations,
mais dont ces dernières seraient distantes de 10 ans ou plus, ont tendance à être
différents (Flynn, 1987).
Ayant mené des travaux sur 4 continents (quatorze pays), il aboutit à la conclusion
que la progression moyenne est d'environ 5 points de QI par décade, ce qui correspond
à un écart type par génération. La mesure de l'intelligence fluide tend à plus progresser
que l'intelligence cristallisée.
En dehors de ce constat maintes fois répété, des hypothèses multiples sont émises afin
d'expliquer ce phénomène, mais aucune ne semble à elle seule être prépondérante
(Chartier & Loarer, 2008).
Ainsi, devant l'obsolescence rapide des tests et de leurs étalonnages il conviendra
donc pour le psychologue d'éviter autant que possible d'utiliser un test qui a 10 ans
d'âge et de toujours utiliser la version la plus récente.

Conclusion
Il existe, nous l'avons pointé, de multiples outils qui se déclinent dans des formes
différentes et qui nécessitent tous une formation spécifique, à la fois théorique et
pratique, afin de pouvoir être compris, présentés sous forme d'un protocole à un sujet,
et enfin analysés. Cette analyse propre des résultats d'un sujet à un test, sera finalement
remise en perspective avec les autres aspects ou formes de connaissances que le
psychologue aura du sujet (entretiens, éléments d'anamnèse, signes cliniques, contexte
familial, social et éventuellement scolaire) afin d'appréhender ce même sujet dans les
dimensions de son développement psychique.

Références
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Wimmer H., Perner J. Beliefs about beliefs : Representation and constraining
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Cognition. 1983;13:103–128.

1
« La pratique du psychologue ne se réduit pas aux méthodes et aux techniques qu'il met en œuvre. Elle est
indissociable d'une appréciation critique et d'une mise en perspective théorique de ces techniques. »
2
http://ecpa.fr/default.asp
3
Nous renverrons le lecteur aux travaux de Huteau et Lautrey pour une description plus détaillée de ces concepts
(Huteau et Lautrey, 2006).
4
Un modèle hiérarchique intègre à la fois un facteur g, des facteurs de groupe et des facteurs spécifiques.
5
L'ouvrage de Jacques Grégoire est la référence pour comprendre les théories de l'intelligence.
6
Sélection des facteurs les plus représentatifs d'une mesure.
7
Il existe à ce jour une version avec stylo numérique (ELIAN), permettant d'enregistrer l'ordre de construction des
éléments de la figure. http://eliansoftware.com/web/FR/PageProduits.php
8
Un test projectif utilise et analyse les réponses spontanées produites par un sujet soumis à des stimuli souvent
équivoques afin d'appréhender son fonctionnement.
9
Les MIO sont conceptualisés comme des structures mentales qui se développent de manière dynamique tout au
long de la vie au fur et à mesure des expériences (pour revue Miljkovitch et al, 2015).
CHAPITRE 44

Les aides institutionnelles, l'orientation


scolaire et le bilan psychologique
Stéphanie Vanwalleghem; Jean-Charles Houillon

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Les aides institutionnelles
Les orientations
Le bilan psychologique
Conclusion

Introduction
De nombreux enfants et adolescents peuvent être en difficulté, voire en situation de
handicap, en raison par exemple de troubles cognitifs, du comportement, du
développement ou d'une maladie somatique. Ces difficultés peuvent être transitoires ou
chroniques. Elles peuvent nécessiter des aides institutionnelles et des orientations telles
que celles présentées dans ce chapitre. Un bilan psychologique peut être aidant pour
définir ces aides et orientations.

Les aides institutionnelles


L'école a pour mission d'analyser les difficultés des élèves et de penser les remédiations
comme des outils nécessaires et institutionnels ; c'est pourquoi elle propose différentes
aides.

Les Projets personnalisés de réussite éducative (PPRE)


Les élèves peuvent bénéficier d'un temps d'aide au travail personnel, en petits groupes,
dans le cadre des activités pédagogiques complémentaires (APC). En CE1, CM1 et CM2,
les élèves qui en ont besoin peuvent participer à des stages de remise à niveau,
organisés pendant les vacances scolaires. Le PPRE coordonne les différentes aides et
précise les objectifs, les ressources et les moyens mis en œuvre. C'est un dispositif de
droit et tout élève qui n'atteint pas la fin du CE1, le CM2 ou la fin de l'année de
3e au collège peut en bénéficier. Le psychologue de l'éducation participe à l'élaboration
des PPRE ; il apporte son expertise et sa connaissance des aides déjà mises en place pour
l'enfant.

Le Réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté


Les aides du réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) ont lieu dans le
cadre scolaire et pendant le temps scolaire. Les professionnels des Rased aident les
équipes pédagogiques des écoles à analyser les situations des élèves en difficulté et à
construire des réponses adaptées. Ils contribuent à l'aide personnalisée et à la mise en
œuvre des PPRE. Il existe des aides spécialisées à dominante pédagogique et d'autres à
dominante rééducative proposées par des enseignants spécialisés. Le suivi
psychologique constitue le troisième type d'aide. Le psychologue de l'éducation aide à
l'analyse de la situation particulière d'un enfant en liaison étroite avec la famille et les
enseignants. Il réalise des observations, des bilans et des suivis psychologiques ainsi
que des entretiens avec l'enfant, les enseignants et les parents pour comprendre la
situation d'un élève, analyser ce qui fait obstacle à l'appropriation des apprentissages et
rechercher conjointement l'ajustement des conduites pédagogiques et éducatives.
Lorsque cela paraît souhaitable, le psychologue scolaire peut conseiller à la famille la
consultation d'un service ou d'un spécialiste extérieur à l'école (cf. textes officiels de
20141).

Les plans d'accompagnement personnalisés


Les troubles développementaux de type « dys », souvent durables, peuvent nécessiter
un accompagnement spécifique des élèves tout au long de leur scolarité. Un plan
d'accompagnement personnalisé (PAP)2 peut alors être proposé après avis du médecin
scolaire. C'est un dispositif d'accompagnement pédagogique qui prévoit des
aménagements et adaptations de nature pédagogique, afin que les élèves concernés
puissent poursuivre leur parcours scolaire dans les meilleures conditions, en référence
aux objectifs du cycle. Le psychologue rencontre l'enfant et pratique la plupart du temps
un examen psychologique pour l'établissement d'un PAP.

Les projets d'accueil individualisé


Un projet d'accueil individualisé (PAI)3 peut être élaboré pour permettre aux élèves
atteints de troubles de la santé évoluant sur une longue période de poursuivre leur
scolarité. Le directeur d'école ou chef d'établissement élabore ce projet à la demande des
parents, avec le médecin scolaire ou la protection maternelle et infantile et l'infirmier
scolaire, en lien avec le médecin de famille. Le PAI permet la prise de traitement, la mise
en place d'un protocole d'urgence (exemple : allergie) de régimes alimentaires,
d'aménagements d'horaires et d'activités de substitution ainsi que la dispense de
certaines activités.
Les aides extérieures
Quand un enfant a besoin d'une prise en charge de type rééducation ou psychothérapie,
les familles peuvent s'adresser aux équipes des Centres médico-psychologiques (CMP)
ou des Centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP) ou à des professionnels libéraux.
La démarche de soins revient à la famille. Le psychologue peut l'aider dans cette
démarche, mais il est important que la demande de soins soit formulée par la famille
afin de favoriser l'investissement de celle-ci dans les soins.

Les Projets personnalisés de scolarisation : l'aide dans le


champ du handicap
Si les aides présentées précédemment ne sont pas suffisantes pour aider un élève ou si
l'enfant est porteur d'un trouble ou d'une maladie qui le conduit à être en situation de
handicap, l'intervention de la Maison départementale des personnes handicapées
(MDPH) est nécessaire.
Les Projets personnalisés de scolarisation (PPS) correspondent à la partie scolaire du
projet de vie d'une personne en situation de handicap. Ils définissent les modalités de
scolarisation du jeune ainsi que les actions pédagogiques, psychologiques, éducatives,
médicales et paramédicales répondant à ses besoins. Ils tiennent compte de ses souhaits
ainsi que de ceux de ses parents, et assurent la cohérence et la continuité du parcours
scolaire. C'est sur la base du PPS que la Commission des droits et de l'autonomie de la
personne handicapée (CDAPH) se prononce quant à l'orientation du jeune en situation
de handicap, en particulier dans le cas d'une orientation en milieu spécialisé.
Le psychologue participe au PPS et à l'Équipe de suivi de scolarisation (ESS) annuelle
qui se réunit afin de modifier ou aménager le parcours scolaire de l'enfant en situation
de handicap. Le psychologue apporte des éléments psychologiques, qu'il inscrit dans un
document officiel appelé GEVA-Sco (guide d'évaluation des besoins de compensation
en matière de scolarisation) et défini par l'arrêté du 6 février 20154. Les autres membres
de l'ESS remplissent également le GEVA-Sco afin de transmettre des données à l'équipe
pluridisciplinaire de la MDPH lui permettant de statuer sur des modifications d'aides.
Si les aides décrites ci-dessus ne peuvent être efficaces ou suffisantes, des orientations
scolaires sont proposées à l'enfant et à sa famille.

Les orientations
On distingue les orientations qui dépendent de l'Éducation nationale et qui n'entrent
pas dans le champ du handicap, des dispositifs proposés par la MDPH.

Les classes adaptées relevant de la commission


départementale d'orientation (CDO)
Les sections d'enseignement général et professionnel adapté5 (Segpa) accueillent des
élèves qui ne maîtrisent pas toutes les compétences et connaissances définies dans le
socle commun de connaissances, de compétences et de culture attendues à la fin du
cycle des apprentissages fondamentaux (début CE2), et qui présentent des lacunes
importantes risquant d'obérer l'acquisition de celles prévues au cycle de consolidation
(après la 6e). La Segpa accueille des élèves présentant des troubles du comportement ou
des difficultés liées à la compréhension de la langue française, ainsi que d'autres élèves
en grande difficulté scolaire.
Les établissements régionaux d'enseignement adapté (EREA6) prennent en charge des
adolescents en difficulté scolaire et sociale ou présentant un handicap. Les orientations
des élèves en Érea sont effectuées par la commission des droits et de l'autonomie des
personnes handicapées (CDA) pour les élèves présentant un handicap moteur ou
sensoriel et la commission départementale d'orientation vers les enseignements adaptés
du second degré (CDO) pour les élèves présentant des difficultés scolaires graves et
durables. Comme la Segpa, l'Érea prépare les jeunes à une formation professionnelle
qualifiante et diplômante de niveau V. Sa spécificité tient au fait qu'en plus de former
des jeunes dans le cadre du handicap sensoriel, l'Érea propose un internat.

Les classes d'inclusion relevant de la MDPH


Ce sont les unités localisées pour l'inclusion scolaire (Ulis). Elles accueillent des élèves
en situation de handicap, de type troubles des fonctions cognitives ou mentales,
troubles spécifiques du langage et des apprentissages, troubles envahissants du
développement, troubles des fonctions motrices, troubles de la fonction auditive ou
visuelle ou troubles multiples associés (circulaire n° 2015-129 du 21-8-2015). Les Ulis
permettent aux élèves de suivre le plus souvent possible des apprentissages dans une
classe correspondant à leur niveau d'acquisition et de suivre les autres au sein de l'Ulis.
Si un élève ne parvient à suivre aucun apprentissage au sein d'une classe correspondant
à son niveau d'acquisition, c'est qu'une réorientation doit être envisagée. Le
psychologue de l'éducation suit les enfants scolarisés en Ulis.

Les classes relais de lutte contre l'exclusion et le


décrochage scolaire7
Ces classes concernent des élèves âgés de plus de 10 ans et incluent les dispositifs type
APC et PPRE ainsi que les accompagnements personnalisés et éducatifs, auxquels le
psychologue participe.

L'orientation en IME, ITEP, hôpital de jour et


accompagnement par un Sessad
Dans le cadre d'un besoin médical ou éducatif particulier, la MDPH peut proposer une
orientation dans un établissement spécialisé de type Institut médico-éducatif (IME) ou
Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP). Les IME accueillent des enfants
et adolescents présentant une déficience intellectuelle, et les ITEP des enfants ou des
adolescents présentant des troubles du comportement, sans pathologie psychotique ni
déficience intellectuelle. Un enseignement peut être dispensé dans l'établissement par
des enseignants spécialisés et il existe des possibilités d'intégration dans des classes
ordinaires ou spécialisées des établissements scolaires proches.
L'admission en hôpital de jour est faite par un psychiatre, avec accord de la famille,
sans obligation de constitution d'un dossier MDPH. Elle est préconisée quand le besoin
de soins prédomine sur les autres besoins, notamment éducatifs et scolaires. Si l'enfant
est suffisamment disponible psychiquement, il existe une possibilité de scolarisation au
sein de l'hôpital de jour ou dans une école de secteur.
Les Services de soins et d'éducation spécialisés à domicile (Sessad) sont composés
d'un personnel médical (médecin, psychiatre, infirmier), paramédical (psychomotricien,
orthophoniste, ergothérapeute), de psychologues et souvent d'un enseignant. Ils
proposent des prises en charge à des personnes en situation de handicap à domicile ou
à l'école.
Nous allons désormais présenter le bilan psychologique, en décrivant d'abord les
différents temps d'entretien qui précèdent et succèdent à la passation des tests, puis en
développant trois situations cliniques : le retard de développement psychomoteur, la
dyscalculie et les troubles de la mémoire dans le cadre d'un traitement pour une
leucémie.

Le bilan psychologique
Les entretiens
L'entretien préliminaire à la passation des tests avec l'enfant et ses
parents
L'entretien précède l'évaluation à main armée, c'est-à-dire l'évaluation réalisée à l'aide
de tests standardisés. Il permet de comprendre la plainte du sujet, recueillir des
informations sur l'anamnèse, présenter le déroulement du bilan et ses objectifs,
recueillir le consentement du sujet et de ses parents pour le bilan, construire une
alliance, proposer des questionnaires évaluant le comportement à remplir par les
parents et l'enseignant, observer les comportements du sujet (état émotionnel, réactions
face aux questions, motivation, niveau de fatigue) ainsi que la qualité des interactions
entre les parents et l'enfant. Connaître la plainte précise, rapportée par le sujet lui-même
ou par ses parents, est nécessaire pour orienter les hypothèses et donc le choix des tests.

L'entretien avec l'enseignant


L'entretien avec l'enseignant permet de recueillir des informations sur la scolarité de
l'enfant, son comportement face aux apprentissages (ex : implication, efforts malgré la
situation d'échec, abandon, concentration), son comportement en classe (exemple :
calme, participatif, agité, perturbateur) et ses interactions avec l'enseignant et avec ses
camarades.

L'entretien de restitution
L'entretien de restitution a lieu après la passation des tests. Il permet d'appréhender le
vécu du sujet par rapport à l'évaluation, de restituer une synthèse orale et écrite des
résultats au sujet et à ses parents et de proposer des aménagements/orientations
scolaires et des prises en charge rééducatives et psychologiques. Lorsque le
psychologue doit annoncer un trouble ou un handicap, il est intéressant de faire le lien
entre les difficultés décrites lors de l'entretien précédant la passation des tests et les
résultats de l'évaluation, afin de montrer comment les résultats de l'évaluation
contribuent à comprendre et expliquer ces difficultés. L'annonce d'un trouble/handicap
donne du sens aux difficultés rencontrées et s'accompagne généralement d'émotions,
qui peuvent être négatives (exemple : sidération, colère, tristesse) ou positives (ex :
soulagement de comprendre les difficultés). Il est important de prendre le temps
d'accompagner la famille, qui peut être blessée narcissiquement par cette annonce, afin
de lui permettre de faire face à la situation et de s'y adapter ; cela peut nécessiter
plusieurs entretiens. L'annonce peut constituer une « révélation » : la révélation est un
terme qui vient de l'hébreu « gala » et qui a été traduit en grec par le mot
« apocalypse », ce qui permet de se représenter l'effet de certaines annonces.

Trois exemples de bilan psychologique


Le retard de développement
Il est fréquent que le psychologue soit sollicité pour une évaluation du développement
psychomoteur du jeune enfant de moins de 2 ans dans les services hospitaliers de
neuropédiatrie et de pédopsychiatrie, mais également d'hématologie ou de néphrologie
pédiatrique, où les enfants sont suivis pendant plusieurs mois ou années et où
l'attention qui leur est portée est globale et inclut leur développement psychologique.
Chez les enfants âgés de 2 à 30 mois, il n'est pas possible d'évaluer l'efficience
intellectuelle, en revanche, on peut évaluer le développement psychomoteur à l'aide du
baby-test Brunet-Lézine-Révisé (2001). Lors de la passation de ce test, le psychologue
propose à l'enfant différentes situations de jeu, permettant d'évaluer le développement
de la posture, de la coordination visuomotrice, du langage et de la socialisation, puis de
calculer un quotient de développement global. Cette évaluation permet de suivre le
développement de l'enfant, de déterminer, en cas de retard, si celui-ci est global ou
spécifique (exemple : retard de langage) et de proposer très tôt des prises en charge
(exemple : orthophonie, psychomotricité, accompagnement psychologique pour les
parents). La durée de la passation, de 25 à 60 minutes selon l'âge, est adaptée aux
capacités de concentration des enfants et le matériel, simple et varié, suscite leur intérêt.
Cette évaluation nécessite une connaissance du développement des enfants afin de
maintenir leur intérêt et de s'adapter à leurs réactions (faim, sommeil, inquiétudes,
frustration de se voir proposer puis retirer des objets). L'évaluation nécessite la présence
de l'un des parents pour permettre à l'enfant de se sentir en sécurité et pour répondre à
certaines questions du test (voir encadré 44.1).

Encadré 44.1
Illustration clinique : le développement de Louis âgé de 1 an
et 2 jours
Le diagnostic médical
Louis présente un syndrome de Joubert avec déficience visuelle. Ce syndrome est
caractérisé par une malformation congénitale du tronc cérébral et une agénésie
(absence) ou hypoplasie (altération) du vermis cérébelleux.
Les données principales recueillies lors de l'entretien avec les parents
Louis est le 1er enfant du couple. Sur le plan moteur, ses parents observent qu'il se
retourne du dos sur le ventre et inversement, qu'il se déplace en rampant sur le dos
ou se propulse en arrière avec le trotteur en poussant sur ses jambes. Au niveau de la
motricité manuelle, Louis manipule les objets qu'on lui propose ou qu'il attrape. Sur
le plan des interactions, la mère de Louis rapporte qu'il distingue les voix familières
des voix étrangères, qu'il participe à des jeux interactifs et qu'il sollicite ses parents
pour des interactions. En ce qui concerne l'éveil, Louis aime chanter et danser quand
il entend de la musique. Sur le plan sensoriel, il porte des lunettes, mais sa vue n'est
que partiellement corrigée et il est gêné par un nystagmus (mouvements
involontaires des yeux). Il a une séance d'orthoptie et de kinésithérapie par semaine.
L'évaluation du développement psychomoteur à l'aide du Brunet-
Lézine-R, en présence des parents
L'observation du comportement
Louis s'engage avec plaisir dans les interactions proposées par sa mère : par exemple,
il répète les « lalala » de sa mère. Il découvre les objets en les portant à sa bouche et
s'amuse à les faire tomber. Il fait tomber les objets surtout quand il observe que son
action entraîne une réaction de l'entourage : en effet, il le fait plus souvent quand ses
parents lui disent « non » ou « coquin » et cela le fait rire. Sur le plan émotionnel,
Louis exprime le plaisir par des sourires, un jargon, des rires. Il exprime également le
refus : par exemple lorsqu'on lui présente un ballon avec une surface composée de
petits piquants en plastique, il met les mains sur sa tête et la détourne. Sur le plan
sensoriel, Louis est attentif aux sons et recherche avec ses mains les objets qui font du
bruit. Il distingue différents sons et voix ainsi que différentes sensations tactiles : le
ballon à petits piquants mous est nettement repoussé alors que les cubes en bois et la
tasse en métal sont bien investis. Sur le plan visuel, il est très difficile d'orienter
l'attention visuelle de Louis du fait du nystagmus et des troubles visuels, même
lorsqu'on présente un objet devant ses yeux. Néanmoins, lorsqu'on présente un
miroir à Louis, la fréquence du nystagmus diminue un peu et Louis semble
progressivement orienter son regard vers son image le temps d'un court instant.
L'orientation de l'attention se fait généralement par l'intermédiaire d'une stimulation
sonore ou tactile.
Les résultats au Brunet-Lézine-R (tableau 44.1)

Tableau 44.1
Résultats au Brunet-Lézine-R.
Âge de Quotient de
Interprétation
développement développement

Développement global 5 mois 18 jours 46 Score déficitaire

Posture 6 mois 21 jours 55 Score déficitaire

Coordination 2 mois 17 Score déficitaire


visuomotrice

Langage 10 mois 83 Score dans la norme au niveau de la moyenne


faible

Socialisation 8 mois 66 Score déficitaire

L'interprétation des résultats


Le Quotient de développement global est déficitaire (QDG : 52), mais sa valeur reflète
peu le développement psychomoteur de Louis, car son profil est hétérogène. En effet,
les QD de la posture, la socialisation et la coordination visuomotrice sont déficitaires
alors que le QD du langage se situe dans la norme. L'analyse par domaine de
développement est donc plus informative que l'analyse globale.
L'analyse par domaine de développement
Louis présente un retard de développement postural, avec un âge de développement
correspondant à 6 mois 21 jours. Il parvient à prendre ses pieds dans ses mains et à
les porter à la bouche quand il est sur le dos. Il peut se retourner du dos sur le ventre
et inversement. Il se déplace en rampant sur le dos et essaie de se mettre debout. En
revanche, il ne tient pas assis sans soutien.
La coordination visuomotrice
Le développement de la coordination visuomotrice est fortement entravé par la
déficience visuelle. Louis recherche avec les mains les objets qu'il a entendus, comme
la sonnette, ou qu'il a manipulés, comme les cubes. Il parvient à saisir les objets en
ratissant et dispose de la pince pouce-index. Toutefois, la recherche et la saisie
d'objets ne sont pas accompagnées du regard et reposent sur les sensations tactiles et
auditives. Par exemple, lorsqu'on met une forme ronde dans sa main puis qu'on
encastre cette forme dans une planchette en bois, Louis parvient à retirer la forme
ronde sans l'aide de la vision, grâce à l'exploration du support avec sa main.
La socialisation
En ce qui concerne la socialisation, Louis est pénalisé par certains items qui
nécessitent la vision (exemple : regarder ce que l'adulte regarde, pointer du doigt ce
qui l'intéresse, différencier les visages familiers/étrangers), ce qui retentit
négativement sur son score. Les items de cette échelle montrent qu'il a réussi à mettre
en place des stratégies de compensation de sa déficience visuelle pour certaines
compétences. Par exemple, Louis parvient à attraper un gâteau et à le manger seul. Il
recommence certaines de ses actions qui ont fait rire ses parents, ce qui montre qu'il
comprend la situation. Il se prête activement à l'habillage, comme les enfants de son
âge. L'attention conjointe est possible en modalité auditive, mais pas visuelle.
Le développement du langage
Le développement du langage est le domaine le plus avancé puisqu'il correspond à
un âge de développement de 10 mois. Louis jargonne de manière expressive, il
vocalise plusieurs syllabes et émet des syllabes redoublées. Il réagit à certains mots
familiers ; par exemple il se met à sourire quand il entend sa mère prononcer le nom
de leur chien. Il utilise des émissions vocales ou des cris pour attirer l'attention.
Conclusion
Le développement psychomoteur de Louis est hétérogène. Il est caractérisé par un
retard d'acquisition au niveau de la posture, de la coordination visuomotrice et de la
socialisation, que l'on peut, en partie, mettre en lien avec sa déficience visuelle. Il
présente par ailleurs un développement dans la norme au niveau du langage. Sur le
plan socio-émotionnel, Louis présente de bonnes capacités d'interaction et est capable
d'attention conjointe. Afin de soutenir sa découverte de l'environnement et le
développement de son aptitude à utiliser d'autres sens que la vision pour explorer et
se repérer, nous proposons de compléter la prise en charge actuelle par des séances
de psychomotricité. Nous proposons également de réaliser un bilan comparatif à l'âge
de 2 ans afin de suivre l'évolution du développement de Louis.

L'évaluation repose sur les performances et sur l'observation du comportement de


l'enfant. L'observation commence dès l'entretien et se poursuit pendant la passation du
test. Elle renseigne sur la relation entre l'enfant et son parent, son attitude vis-à-vis du
psychologue, ses capacités d'exploration de l'environnement, de contrôle émotionnel, de
concentration, etc. Ces observations contribuent à comprendre le développement de
l'enfant et à interpréter les scores obtenus (exemple : si un score est déficitaire, mais que
l'enfant présente un comportement opposant, on ne conclura pas à un déficit). Les
scores sont exprimés en âge de développement (AD) et en quotient de développement
(QD) pour chacun des domaines testés : posture, coordination visuomotrice, langage et
socialisation, ainsi que pour l'échelle globale. On considère qu'un enfant présente un
retard de développement lorsque son QD est inférieur à 70, c'est-à-dire lorsqu'il se situe
à 2 écarts-types ou plus en dessous de la moyenne, qui est de 100. Afin de s'ajuster aux
spécificités du développement des enfants nés prématurés, une correction d'âge est
réalisée. Par ailleurs, le test étant étalonné sur des enfants tout-venant, l'interprétation
des scores doit être adaptée en cas de déficience sensorielle ou motrice.

Le trouble du calcul, innumérisme ou dyscalculie


Nous allons désormais présenter un bilan psychologique (voir encadré 44.2) qui montre
la complexité des difficultés rencontrées par une élève, Lana, au cours de sa scolarité et
la multiplicité des demandes de compréhension du fonctionnement de cette enfant afin
que les enseignants puissent ajuster leurs interventions. Le test UDN-II (Meljac et
Lemmel, 2007) a été utilisé pour évaluer les compétences arithmétiques, comprendre la
construction de la pensée logique et le rapport de l'enfant à la notion de nombre.

Encadré 44.2
Illustration clinique :
Les données principales issues des entretiens avec l'enfant, ses parents
et avec les enseignants
Le motif de la demande et son parcours scolaire
Enfant signalée en CE1 pour des difficultés d'entrée dans l'écrit, Lana a été
accompagnée tout au long de sa scolarité par des aides orthophoniques et scolaires.
Les demandes d'aides adressées au psychologue ont été au nombre de trois. Le
premier bilan a été fait en CE1 et a débouché sur un suivi orthophonique (éléments
dyslexiques légers). En CE2, en raison d'une difficulté pour comprendre et résoudre
les problèmes, un bilan en mathématiques a été réalisé pour une suspicion de
dyscalculie. En CM2, un nouveau bilan a été demandé en raison d'un niveau scolaire
et d'un investissement dans les apprentissages trop faibles au regard des attentes du
collège.
Les éléments d'anamnèse
Lana est décrite par sa maman depuis le CP comme une enfant qui s'oppose
facilement dans le milieu familial et qui tend à exiger les mêmes prérogatives que ses
aînées, tout en faisant preuve d'une autonomie assez réduite dans les tâches de la vie
quotidienne. En revanche, elle semble à l'école avoir une attitude d'élève
respectueuse des règles de classe. Son attention peut être fluctuante et il est remarqué
une grande difficulté à mémoriser des procédures et des apprentissages déclaratifs.
Les résultats aux tests
La dimension affective
Lana ne met pas de sens sur les activités scolaires, même si elle a un projet
professionnel (elle veut s'occuper de chiens). Elle voudrait savoir sans avoir à
apprendre. Les discours accompagnant ses dessins la placent souvent dans une
certaine toute-puissance qui l'empêche d'accéder à une position d'apprentissage et de
remise en question (acceptation de l'erreur). Son estime d'elle-même semble altérée en
raison de la conscience qu'elle a de ses difficultés et de sa passivité face à celles-ci. Il
existe des bénéfices secondaires à son « trouble » qui la placent dans une position de
dépendance vis-à-vis de son entourage, n'encourageant pas, comme cela a pu être
pointé antérieurement, les processus d'autonomisation. Il est aussi à noter de
nombreux termes qui ont trait à la dévalorisation de son travail (« c'est nul, c'est
moche, la maîtresse elle aime que les enfants qui travaillent bien… ») et qui laissent
penser que les défenses mises en place par Lana pourraient cacher des affects plus
dépressifs.
Le dessin et le graphisme
Les dessins sont d'un niveau développemental de 6/7 ans (Baldy, 2005) de facture
simple, mettant en scène des personnages à peine différenciés (sexe et génération). Ils
sont pour Lana l'occasion d'entrer en relation verbale avec l'adulte. Ils sont prétextes à
ce que Lana puisse parler de ce qu'elle aime, mais aussi se mettre en scène, contrôler
et séduire, sans que les éléments puissent être véritablement dessinés avec précision.
Les échelles de Wechsler
La WISC-IV a été présentée deux fois, à 2 ans d'intervalle à Lana. Celle-ci était
désireuse de bien faire et a présenté un comportement charmeur. Son attention
cependant a été sans faille, acceptant volontiers à la fois les remarques de cadrage et
les épreuves proposées. Il a été remarqué une impulsivité primant sur la réflexion
dans des épreuves visuelles qui ont eu une influence négative sur le résultat.
Les résultats présentés dans le tableau 44.2 montrent que les capacités cognitives de
Lana se situent dans la moyenne des enfants de sa classe d'âge. Néanmoins, ces
résultats sont à interpréter avec précaution en raison d'une hétérogénéité inter et
intra-échelle. Le tableau 44.3 permet une vision des points forts et faibles de Lana en
comparaison avec la passation précédente.

Tableau 44.2
Résultats obtenus lors de la deuxième passation du WISC-IV.

Indice de Indice de
Indice de mémoire Indice de vitesse de Échelle
compréhension raisonnement
de travail traitement totale
verbale perceptif

Intervalle des notes 95–110 80–95 100–115 83–100 91–102


standards à 90 %

Rang percentile 58 18 73 25 39

Zone Moyen Moyen Moyen Moyen Moyen

Tableau 44.3
Comparaison des notes obtenues à chacune des passations de la WISC-IV.

Subtests Notes standards (passation 1) Notes standards (passation 2) Différences

Cubes 9 9 0

Similitudes 10 12 +2

Mémoire des chiffres 12 13 +1

Identifications de concepts 11 9 –2

Code 11 8 –3

Vocabulaire 11 9 –2

Séquence Lettres chiffres 12 10 –2

Matrices 12 6 –6

Compréhension 13 11 –2

Symboles 11 9 –2

Complètement d'Images 10 11 +1

Information 10 10 0

Arithmétique 9 5 –4

Il est constaté un léger tassement des résultats entre les deux passations. Le premier
bilan montrait une homogénéité des résultats entre les épreuves et les échelles,
contrairement au deuxième qui pointe assez fortement des écarts au sein des mêmes
échelles. De plus, il apparaît que dans trois épreuves, les capacités de Lana semblent
s'être déprimées, renvoyant à des difficultés de traitement graphique, spatial et
procédural. L'épreuve code renvoie aussi à l'investissement et l'envie de réussir qui
est moins marquée lors de la deuxième évaluation. Il semble que Lana ne fasse pas
preuve d'une fluidité de pensée suffisante pour se donner un espace « à penser »
assez souple et malléable pour traiter les données qui lui sont proposées. Les
processus cristallisés (Grégoire, 2009) en lien avec la mémoire à long terme sont en
revanche bien installés et Lana possède des connaissances verbales (95 < ICV < 110)
qu'elle peut mobiliser facilement. L'utilisation de la mémoire de travail est aussi un
point fort à condition que les données à traiter ne soient pas à combiner et à ajuster
avec des informations stockées en mémoire à long terme (IMT > Arithmétique). Ainsi,
l'impulsivité tend à prendre le dessus dès que Lana doit faire face à un problème
mobilisant les fonctions exécutives. Lana fait preuve de capacités qui peuvent être
mobilisées de manière tout à fait efficiente, mais qui fonctionnent souvent « comme
des outils à vide », sans véritable rapport avec le sens de l'activité. Ses connaissances
ne sont ni structurées ni indexées, la faisant apparaître aux yeux de ses enseignants
comme une enfant sans mémoire des apprentissages scolaires ou ne pouvant retenir
des procédures. Cela apparaît de manière manifeste dans l'écart que nous constatons
entre ses capacités intellectuelles mesurées au WISC-IV (dans les variations de la
normale)1 et ses compétences scolaires affichées par ses enseignants.
L'UDN–II
L'attitude pendant la passation de l'UDN-II
Lana semble très à l'aise dans la relation avec l'adulte. Pendant l'entretien et la
passation des tests, elle est dans une relation de type coopérant, mais facilement
agitée, dans une attention fluctuante, impulsive, et dans une proximité parfois
excessive et mal gérée avec l'adulte. Par moments, elle adopte un comportement
théâtral, ou montre un souci excessif du détail (les bûchettes doivent être
parfaitement alignées, la pâte à modeler bien lisse) montrant à la fois une maîtrise du
réel, mais aussi une fuite de la réflexion dans du factuel.
Les résultats à l'UDN-II
Lana montre un décalage relativement important par rapport à son âge dans tous les
domaines mathématiques mesurés. Elle dispose de quelques automatismes de base
pour traiter les nombres, mais ne connaît, pour une tâche donnée, qu'une partie de la
procédure de résolution et présente un important déficit dans le sens des opérations,
rendant la résolution de problème ardue. Les principes de dénombrement de Gelman
et Gallistel (1978) sont acquis, mais le dénombrement est difficile en raison d'un
manque de stratégie dans l'ordre du dénombrement. Cela pèse vraisemblablement
sur la mémoire de travail dans cette tâche. Le recomptage pour les additions et la
comparaison directe de longueurs sont acquis. En revanche, les procédures de
surcomptage2 et de décomptage3 ne sont pas opérationnelles, le dénombrement n'est
pas automatique et dans les problèmes complexes, Lana a tendance à commencer
avant d'avoir une stratégie de résolution (exemple : sériation des longueurs). De plus,
le transcodage4 est problématique pour les nombres irréguliers (93, 78).
Les tests complémentaires
Des tests complémentaires montrent un léger retard dans l'appréhension de l'espace
géométrique et un manque de reconnaissance des constellations du dé (sauf 1, 2, 3).
Lana présente un trouble électif en mathématiques au regard de ses résultats au
WISC-IV qui se trouvent dans la norme attendue à cet âge. La corrélation entre
trouble en mathématiques et mémoire de travail que l'on peut trouver dans les
travaux de recherche (Barrouillet & Lépine, 2005) n'est pas observée chez Lana. Ses
difficultés sont vraisemblablement liées au fait qu'elle ne perçoit pas de sens, ni sur
l'apprendre, ni sur les objets mathématiques. Il est possible que ses difficultés soient
le résultat d'un désintérêt lié à cette absence de sens, à moins qu'il y ait là un
diagnostic de dyscalculie. Le terme de dyscalculie renvoie à des aspects
développementaux (Butterworth, 2005), ou des aspects plus descriptifs (Geary &
Hoard, 2005). Il est constaté une comorbidité de l'ordre de 25 % avec le trouble
dyslexique (Huc-Chabrolle et al., 2010).
Les aides mises en place
Pour Lana, un travail concret ciblé sur le sens des opérations plus que sur les
techniques opératoires (par exemple en utilisant la calculatrice) a été entrepris pour
aider au déblocage de la situation, et permettre dans un second temps un retour aux
apprentissages techniques. En effet, non seulement cette enfant n'avait pas acquis les
procédures et compétences nécessaires pour suivre un programme ordinaire en
mathématiques avec sa classe d'âge, mais la condition même de recherche en
situation de problèmes ne faisait pas sens pour elle. Ce travail d'aide en classe a
permis de progresser, mais pas de réduire le décalage avec les autres élèves.
Conclusion
Au regard des éléments de l'examen psychologique, et parce que ses capacités
intellectuelles sont dans les variations de la normale, il apparaît que Lana présente
des troubles spécifiques des apprentissages. La lecture est certes acquise en raison
d'un accompagnement orthophonique, mais le passage à l'écrit demeure très difficile
pour elle. Le décalage avec ses pairs dans les compétences mathématiques et le
raisonnement logique permettent de parler d'une possible dyscalculie. En termes
d'aide et d'orientation, Lana n'est pas en mesure de suivre une scolarité ordinaire au
collège. En raison du trouble spécifique qu'elle manifeste, une orientation en Ulis
(dys) ou en EGPA5 pourrait être une solution en fonction de ses attentes et projets
scolaires et/ou professionnels. Un accompagnement psychologique serait à envisager
pour aider Lana à construire harmonieusement sa personnalité et restaurer son
narcissisme, car le risque dépressif à terme est présent.
1
Se référer au chapitre 43.
2
Pour ajouter deux quantités, il s'agit pour l'enfant de savoir réciter la suite des
nombres à partir de n'importe quel nombre, et de commencer avec le « bon nombre »
sur le premier objet de la deuxième collection (effectivement ou mentalement).
3
Pour la soustraction.
4
Savoir écrire en chiffres un nombre entendu.
5
Enseignement général professionnel adapté.

La leucémie et les troubles mnésiques


Les enfants traités pour une leucémie reçoivent des traitements par chimiothérapie et
parfois par radiothérapie. Le système nerveux central est l'une des cibles des
traitements de la leucémie, c'est pourquoi plusieurs auteurs ont étudié l'impact de ces
traitements sur le développement cognitif des enfants. Les résultats de Mulhern et al.
(1991) ont montré des retentissements cognitifs des traitements chez environ 22 % à
30 % des patients. La radiothérapie entraînerait plutôt une altération du fonctionnement
intellectuel global, alors que la chimiothérapie entraînerait plutôt des atteintes
cognitives spécifiques, au niveau de l'attention, des fonctions exécutives et de la
mémoire (Buizer et al, 2009 ; Butler et Copeland, 2002 ; Butler et al, 1994 ; Campbell et
al, 2007 ; Cousens et al, 1988 ; Marcoux et al, 2011 ; Monge et al, 2013 ; Mulhern et al,
1991).
Nous allons présenter le cas d'une jeune fille traitée pour leucémie qui a présenté une
plainte mnésique à distance des traitements (voir encadré 44.3). Pour évaluer son
fonctionnement mnésique, nous avons utilisé la batterie Children Memory Scale (CMS).

Encadré 44.3
Illustration clinique : les troubles mnésiques de Sonia
Sonia se plaint de difficultés de mémorisation ; elle a été traitée par chimiothérapie
pour une leucémie 4 ans plus tôt.
Les données principales recueillies lors de l'entretien avec Sonia et sa
mère
La scolarité
Sonia a redoublé le CP, car elle n'a pas pu aller à l'école pendant 8 mois du fait de sa
maladie. Elle est actuellement scolarisée en CM1 et présente d'importantes difficultés
de mémorisation qui retentissent sur ses capacités d'apprentissage. En revanche, elle
se souvient bien des évènements de vie personnels, ce qui suggère que la mémoire
autobiographique est préservée. Sur le plan attentionnel, la maman décrit des
symptômes d'inattention, caractérisés par une distractibilité, des temps de
concentration de courte durée et des rêveries. Sonia participe à des séances de soutien
scolaire.
La régulation émotionnelle et comportementale
Sonia est décrite comme une jeune fille qui a peu confiance en elle et qui présente des
comportements d'opposition à la maison, mais pas dans le milieu scolaire. La maman
rapporte de bonnes capacités relationnelles avec les pairs.
La prise en charge actuelle
Sonia a deux séances d'orthophonie par semaine et ne bénéficie pas de mesures d'aide
dans le milieu scolaire.
L'évaluation psychologique
L'efficience intellectuelle
Les résultats obtenus à la WISC-IV montrent que l'efficience intellectuelle de Sonia se
situe dans la norme. L'Indice de mémoire de travail se situe dans la moyenne faible
(IMT = 84) et les scores au sein de cette échelle sont hétérogènes, ce qui évoque une
fluctuation de l'attention.
Les compétences mnésiques (CMS)
L'indice de mémoire générale se situe dans la zone limite, ce qui suggère une fragilité
de certains processus mnésiques. L'indice attention/concentration se situe dans la
zone limite, ce qui suggère une fragilité des processus attentionnels, pouvant retentir
sur la qualité de la mémorisation. Les indices de mémoire immédiate se situent dans
la moyenne aussi bien en modalité visuelle que verbale, ce qui suggère que la
mémoire à court terme est préservée. En revanche, les scores sont plus faibles au
niveau de la mémoire différée, avec un score dans la moyenne inférieure en modalité
visuelle et un score très faible (déficitaire) en modalité verbale, qui suggère des
difficultés au niveau de la mémoire à long terme.
L'analyse des subtests révèle que Sonia présente des capacités dans la moyenne
pour mémoriser des visages, aussi bien à court terme qu'à long terme, ce qui montre
que face à des informations de type visages, les processus de mémorisation sont
préservés. Aux épreuves localisation de points, histoires et mots couplés, elle obtient
des scores déficitaires lors du rappel libre différé, aussi bien en modalité visuelle que
verbale, mais des scores dans la moyenne lors de la reconnaissance différée. Cela
suggère que Sonia présente des difficultés au niveau du processus de récupération
d'informations verbales et visuelles en mémoire à long terme. En revanche, le
processus de stockage est préservé puisque Sonia peut retrouver l'information
apprise en situation de reconnaissance, c'est-à-dire lorsqu'elle doit retrouver les
informations apprises parmi d'autres informations. Le processus d'encodage des
informations semble également préservé puisque l'indice d'apprentissage se situe
dans la moyenne.
Au total, les résultats suggèrent la présence d'un trouble mnésique au niveau du
processus de récupération des informations visuelles et verbales en mémoire à long
terme, sauf lorsqu'il s'agit de visages. Les résultats mettent également en évidence
une fragilité des processus attentionnels, au niveau de la capacité à soutenir et diriger
l'attention, à traiter rapidement les informations et au niveau de la mémoire de
travail, qui peuvent retentir sur la mémorisation et notamment sur la qualité de
l'encodage des informations.
L'évaluation cognitive complémentaire
Celle-ci a confirmé une fragilité des processus attentionnels, aussi bien en modalité
visuelle qu'auditivo-verbale, à l'aide d'épreuves évaluant différents processus
attentionnels.
L'évaluation des apprentissages scolaires
Celle-ci a mis en évidence une dyslexie-dysorthographie-dyscalculie.
Conclusion
L'efficience intellectuelle de Sonia se situe dans la norme, mais la jeune fille présente
un trouble cognitif spécifique au niveau mnésique et une fragilité des processus
attentionnels. Ceux-ci retentissent au niveau des apprentissages, en entraînant une
dyslexie-dysorthographie-dyscalculie. Les troubles des apprentissages retentissent
sur la confiance en soi de Sonia et génèrent de l'anxiété et des inquiétudes. Au niveau
familial, elles sont source de nombreuses tensions. Au vu du profil cognitif et des
troubles spécifiques des apprentissages, une orientation vers une Ulis peut être
proposée. Si celle-ci n'est pas possible, un redoublement du CM1 avec mise en place
d'un Projet personnalisé de scolarisation (PPS) peut être envisagé. Les aménagements
suivants pourraient être inclus dans le PPS :
▶ déterminer avec Sonia quelle est la place en classe où elle parvient le mieux à se
concentrer ;
▶ valoriser ses efforts de participation afin de renforcer la confiance en soi ;
▶ accorder un tiers temps, soit sous forme de questions en moins, soit sous forme de
temps en plus ;
▶ alléger les devoirs et les leçons en indiquant à Sonia les éléments les plus importants
à apprendre ;
▶ aider Sonia à créer des indices visuels et verbaux qui favorisent la récupération des
informations stockées en mémoire ;
▶ proposer une interrogation sous forme de choix multiples quand Sonia est en
difficulté.
À la maison, il est intéressant d'alterner des périodes de travail (15 à 30 minutes) et
des périodes de pause afin de favoriser la concentration, et donc la mémorisation,
pendant les périodes de travail. La durée des périodes de travail varie en fonction de
la fatigue de l'enfant et doit être préétablie avec l'enfant avant de commencer les
devoirs.
Des séances de remédiation cognitive sont recommandées afin d'aider Sonia à
développer des stratégies de concentration et de mémorisation et la poursuite de la
prise en charge en orthophonie est nécessaire au vu des troubles des apprentissages.

La CMS (Cohen, 2001) a été conçue pour évaluer les capacités d'apprentissage
(acquisition de nouvelles informations) et les processus de mémorisation (rétention des
connaissances acquises) des enfants et adolescents âgés de 5 à 16 ans. Cette batterie
standardisée bénéficie d'un étalonnage français et sa passation dure environ 1 heure.
Elle évalue la mémoire antérograde, c'est-à-dire la capacité à mémoriser de nouvelles
informations, mais pas la mémoire rétrograde, qui correspond à la mémoire des
évènements passés.
Elle est composée de 9 subtests, qui testent soit la mémoire auditivo-verbale
(mémoriser deux histoires, apprendre des couples de mots, apprendre une liste de
mots), soit la mémoire visuelle (apprendre un pattern de points, mémoriser des visages,
mémoriser des scènes de la vie quotidienne) soit l'attention/concentration (empans de
chiffres, manipulation mentale de séquences d'informations). La mémoire à court terme
est évaluée à l'aide de rappels libres immédiats et de reconnaissances immédiates (tout
de suite après l'apprentissage), et la mémoire à long terme à l'aide de rappels libres
différés et de reconnaissances différées (après un délai de 30 minutes). La qualité de
l'apprentissage est évaluée pour certains subtests. Pour chaque subtest, on calcule des
notes standards qui se distribuent selon une loi normale de moyenne 10 et d'écart-
type 3. On peut également calculer des scores d'échelles (indices) qui se distribuent
selon une loi normale de moyenne 100 et d'écart-type 15.
L'analyse des scores permet de déterminer si les difficultés concernent la
mémorisation d'informations verbales, visuelles ou les deux. Elle permet de repérer si
les difficultés se situent au niveau du processus d'encodage, de stockage ou de
récupération des informations. Si c'est l'encodage qui est altéré, les scores seront
déficitaires dès l'apprentissage ou le rappel libre. Si c'est le stockage, les scores de rappel
et de reconnaissance différés seront déficitaires, mais les scores d'apprentissage seront
dans la norme. Si le rappel libre est déficitaire, mais que le sujet parvient à retrouver les
informations grâce à la situation de reconnaissance, cela suggère qu'il peut encoder et
stocker les informations, mais qu'il est en difficulté pour les récupérer. À l'inverse, si le
sujet parvient à redonner les informations en situation de rappel libre, mais pas en
situation de reconnaissance, l'hypothèse d'un trouble des fonctions exécutives,
caractérisé par une sensibilité à l'interférence (difficulté à retrouver la bonne
information parmi plusieurs), peut être avancée.
La CMS comporte un indice d'attention, car l'attention est un prérequis nécessaire
pour apprendre et mémoriser. Elle est au centre de plusieurs modèles de la mémoire.
Par exemple, le modèle de mémoire de travail de Baddeley (1990) comporte un
administrateur central : celui-ci a la capacité de coordonner deux tâches (attention
divisée), de prendre en compte sélectivement une cible en inhibant les distracteurs non
pertinents (attention sélective), d'inhiber des automatismes, et de récupérer et
manipuler les informations stockées en mémoire à long terme. Ainsi, si le sujet présente
un déficit d'attention, cela retentira sur ses capacités de mémorisation. Il est donc
important de repérer un tel déficit.
D'autres facteurs tels que l'état émotionnel, la motivation, la compréhension des
consignes, influencent également la qualité de la mémorisation et nécessitent d'être pris
en compte pour l'interprétation des résultats. Par ailleurs, l'interprétation des résultats à
la CMS nécessite qu'une évaluation de l'efficience intellectuelle ait été réalisée au
préalable afin de déterminer si les troubles mnésiques sont spécifiques ou s'ils
s'inscrivent dans le cadre d'une déficience intellectuelle. Il est également intéressant
d'interpréter les résultats de la CMS à la lumière des résultats à d'autres épreuves
cognitives évaluant le langage, les troubles neurovisuels, ainsi que l'attention et les
fonctions exécutives.

Conclusion
Ces trois cas cliniques illustrent la nécessité d'une évaluation psychologique
approfondie pour proposer des aménagements scolaires ou une orientation scolaire
adaptés aux difficultés d'apprentissage des enfants ainsi qu'un parcours de soin
personnalisé.

Références
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Site conseillé
EDUSCOL : http://ddec85.org/ash/wp-content/uploads/2013/06/Ressources-
TSA_EDUSCOL_225466-1.pdf.

1
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=81597
2
http://www.education.gouv.fr/pid25535/bulletin_officiel.html?cid_bo=85550
3
http://www.education.gouv.fr/cid50297/la-sante-des-eleves.htmletxtmc=paietxtnp=1etxtcr=1
4
Article 1 : ELI: http://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2015/2/6/MENE1502719A/jo/article_1
5
http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=94632
6
http://eduscol.education.fr/cid46766/les-etablissements-regionaux-d-enseignement-adapte.html#2
7
http://www.education.gouv.fr/cid55632/la-lutte-contre-le-decrochage-scolaire.html
CHAPITRE 45

La méthode d'intervention auprès des


parents et de leur jeune enfant
Ellen Moss; George Tarabulsy; Rachèle St-Georges; Karine Dubois-Comtois; Chantal Cyr; Diane St-Laurent; Katherine
Pascuzzo; Vanessa Lecompte; Annie Bernier

PLAN DU CHAPITRE
Introduction
Un programme d'intervention de rétroaction vidéo pour des dyades enfant-parent
maltraitantes
Étude de cas
Conclusion

Introduction
Les problèmes d'attachement chez l'enfant constituent un problème social important,
ayant des effets potentiels néfastes à long terme sur le développement social,
émotionnel et cognitif des enfants (Moss et Lecompte, 2015). C'est un défi important de
développer des stratégies d'intervention efficaces pour les parents et leurs enfants ayant
des patrons d'attachement insécure (Moss et al., sous presse). Très souvent, les
intervenants présument que le fait de traiter les problèmes psychosociaux des parents,
tels que la dépendance à la drogue ou le stress, aura comme résultat d'améliorer leurs
habiletés parentales. Or, de tels programmes changent souvent peu le développement
de l'enfant, l'accent étant placé davantage sur le bien-être et l'adaptation du parent et
non sur les interactions parent-enfant ou la relation d'attachement qui sont au cœur du
développement de l'enfant en début de vie (Tarabulsy et al., 2008). Les parents ayant des
enfants avec des troubles de comportement sont souvent orientés vers des programmes
d'intervention didactique, qui offrent des informations sur le développement ou la
stimulation des enfants. Bien que les parents aient souvent besoin d'informations sur
certains aspects fondamentaux du développement des enfants, des approches, qui ont
souvent lieu dans le cadre de rencontres de groupe, n'ont pas produit ces changements
substantiels sur le développement de l'enfant. Certains programmes mettent l'accent sur
la stimulation du développement moteur ou cognitif, au détriment des processus socio-
émotionnels. À titre d'exemple, une mère avec laquelle nous avons eu du succès
subséquemment en utilisant l'approche de rétroaction vidéo avait participé à un groupe
d'intervention axé sur la stimulation des enfants qui lui avait été imposé par le tribunal.
Lorsque nous avons observé ses interactions avec son enfant âgé de 2 ans, nous avons
constaté qu'elle s'engageait dans un monologue auprès de son enfant, sur les couleurs et
les objets qu'elle lui présentait pour le stimuler. Comme elle n'avait jamais appris à être
en synchronie affective avec son enfant, à suivre son intérêt et à s'investir dans des
interactions réciproques, il y a eu peu d'impact sur le développement du langage ou les
habiletés conceptuelles de ce dernier. La mère était devenue de plus en plus frustrée
face aux difficultés d'apprentissage de son enfant, ce qui a contribué à augmenter son
niveau d'hostilité et d'intrusion à son égard, en plus d'augmenter son propre sentiment
d'impuissance dans son rôle parental. Nous percevons son comportement d'intrusion et
de stimulation à l'égard de son enfant comme étant un reflet du type d'intervention
auquel elle avait été exposée.
L'intervention précoce auprès des dyades parent-enfant avec un attachement insécure
est donc cruciale afin de prévenir l'émergence de symptômes de psychopathologie et
rediriger le développement vers des trajectoires plus positives. La théorie de
l'attachement constitue un modèle solide sur le plan théorique permettant d'encadrer le
développement de programmes d'intervention pour cette population. Tel que rapporté
précédemment (Juffer, Bakermans-Kranenburg et van IJzendoorn, 2008), la réussite de
stratégies d'intervention à court terme portant sur l'attachement a été démontrée pour
différentes populations à risque.
En 2011, nous avons développé une intervention à court terme portant sur
l'attachement visant à augmenter le niveau de sensibilité parentale, améliorer la sécurité
de l'attachement chez l'enfant et réduire la fréquence d'attachement désorganisé chez les
enfants (Moss, Dubois-Comtois, Cyr, Tarabulsy, St-Laurent et Bernier, 2011). Le
développement et la mise en œuvre de ce programme ont été rendus possibles grâce à
une subvention du Centre national de prévention du crime (CNPC), en collaboration
avec le ministère de la Sécurité publique du Québec et les Centres jeunesse de
Lanaudière. Le programme, maintenant implanté au Québec auprès de diverses
populations de parents et d'enfants en difficulté, a d'abord été évalué avec des parents
maltraitants. Ce programme d'intervention de 8 semaines est pertinent pour les
chercheurs et cliniciens, car il s'agit du premier programme à court terme fondé sur les
principes de l'attachement qui s'est avéré efficace pour améliorer la sensibilité parentale,
augmenter la sécurité d'attachement et diminuer l'attachement désorganisé chez des
dyades parent-enfant ayant fait l'objet d'un suivi par les services sociaux pour
maltraitance.
Étant donné qu'un plus grand nombre d'enfants sont référés en clinique à l'âge
préscolaire comparativement à la période de la petite enfance – en partie à cause de
l'augmentation de problèmes de comportement agressif et de la difficulté des parents à
composer avec les différents enjeux de discipline et d'encadrement avec les enfants de
cet âge – le programme a été conçu afin de cibler un groupe d'âge assez large, soit les
enfants âgés de 1 à 5 ans. Nous avons démontré l'efficacité du programme au plan
empirique. Dans les prochaines sections, nous présentons des informations sur la
conception du programme et son implantation qui sont susceptibles d'intéresser les
cliniciens. De plus, une étude de cas est présentée afin d'illustrer son application auprès
de dyades parent-enfant suivies par la protection de la jeunesse.

Un programme d'intervention de rétroaction vidéo


pour des dyades enfant-parent maltraitantes
Les objectifs du programme
Comme d'autres programmes de rétroaction vidéo (exemple, Juffer et al., 2008), ce
programme d'intervention est conçu pour augmenter la sensibilité parentale aux
signaux émotionnels et comportementaux de l'enfant. La sensibilité parentale inclut les
éléments suivants :
• répondre aux signaux de détresse de l'enfant en offrant du réconfort ;
• superviser et soutenir l'exploration active de l'enfant lorsqu'il n'est pas en détresse.
Comme nous devons composer avec des enfants d'âges variés, dont plusieurs ayant
un modèle d'attachement désorganisé, nous avons également incorporé des concepts
tirés d'observations d'enfants d'âge préscolaire et leur mère impliqués dans des
relations d'attachement désorganisé et contrôlante (Moss, Cyr et Dubois-Comtois, 2004 ;
Moss, Pascuzzo et Simard, 2012). Dans un premier temps, les séances d'intervention ont
été conçues avec l'objectif de structurer et d'encourager, par le biais de la rétroaction
vidéo, un comportement plus sensible de la part du parent, afin de réduire l'insécurité
et la désorganisation chez l'enfant. De brèves discussions personnalisées sur des thèmes
reliés à l'attachement, à la régulation des émotions et à la discipline et l'encadrement
font également partie de ce programme d'intervention.

La conception des visites à domicile


Ce programme d'intervention manualisé consiste en une série de 8 visites à domicile
d'une durée approximative de 90 minutes chacune qui incluent quatre éléments.
• Une discussion de 20 minutes sur un thème choisi par le parent. Durant cette
discussion, les parents partagent de récents événements, posent des questions reliées
à l'enfant et obtiennent des informations concernant les relations parent-enfant
potentiellement problématiques. Cette discussion ciblée est également importante en
vue de développer une alliance thérapeutique, l'intervenante pouvant utiliser ces
moments pour susciter la confiance du parent et ainsi constituer une base de sécurité
pour le parent dans le cadre de l'intervention.
• Une séance interactive enregistrée sur bande vidéo de 10 à 15 minutes utilisant des
jouets fournis par l'intervenante. L'activité est choisie en fonction de l'âge de l'enfant
et des besoins particuliers de la dyade (par exemple, favoriser la réciprocité, la
recherche de proximité de l'enfant, encourager le parent à suivre l'intérêt de
l'enfant).
• Une séance de rétroaction vidéo de 20 minutes durant laquelle l'intervenante repasse
la séquence qui vient tout juste d'être enregistrée et discute avec le parent de ses
sentiments et fait des observations sur les comportements du parent et ceux de son
enfant durant l'interaction. Les commentaires de l'intervenante sont centrés sur des
séquences positives afin de souligner l'influence du comportement parental sensible
sur le comportement et l'état émotionnel de l'enfant.
• Une période de récapitulation de 15 minutes durant laquelle le progrès est souligné
et le parent est encouragé à poursuivre des activités similaires avec son enfant. Les
quatre composantes de l'intervention sont articulées autour des défis d'interaction
spécifiques qui caractérisent la dyade.

L'évaluation de la dyade parent/enfant


Un élément déterminant de l'implantation du programme d'intervention concerne
l'évaluation du modèle d'attachement des enfants participants. Bien que de nombreux
cliniciens soient familiers avec des comportements tels que l'évitement de l'enfant,
l'opposition et les actes de provocation, de même que le renversement de rôles parent-
enfant, peu d'entre eux ont examiné ces comportements dans le cadre d'une perspective
théorique reliée à l'attachement. Durant la formation des intervenants, plusieurs heures
sont investies dans l'observation de segments vidéo qui illustrent les modèles
d'attachement sécure et insécure durant la petite enfance et l'âge préscolaire. Les
exemples de relations parent-enfant sécurisantes qui sont présentés constituent des
modèles clairs que les intervenants pourront utiliser afin d'amener les parents à adopter
un comportement plus sensible à l'égard de leur enfant. Les exemples de modèles
d'attachement insécurisés-organisés caractérisés par l'évitement ou l'ambivalence
illustrent comment les enfants peuvent s'adapter à un parent qui a tendance à rejeter de
manière répétée le comportement d'attachement de l'enfant (évitement) ou un parent
qui se montre imprévisible et inconstant dans sa manière de répondre aux
manifestations de détresse de l'enfant (ambivalence). Durant la formation, beaucoup de
temps est consacré à aider les intervenants à avoir confiance en leur habileté à
reconnaître les modèles d'attachement désorganisé et contrôlant, qui reflètent
l'incapacité de l'enfant à faire appel à une stratégie organisée de recherche de proximité
auprès de sa figure d'attachement durant les périodes de détresse (Moss, Cyr et
Comtois-Dubois, 2004). Pour une description et une discussion détaillée des modèles
d'attachement contrôlant et désorganisé, ainsi que leur manifestation chez les enfants
d'âge préscolaire, voir Moss, Bureau, St-Laurent et Tarabulsy (2011) et Moss, Pascuzzo
et Simard (2012).

Modifier les dynamiques relationnelles sous-jacentes


à l'attachement insécure
Un principe fondamental de la théorie de l'attachement, ainsi qu'une composante clé de
toute intervention fondée sur l'attachement, concerne le fait que la qualité de la relation
est tributaire de la sensibilité et de la capacité du donneur de soins à répondre aux
besoins de l'enfant (Ainsworth, Blehar, Waters et Wall, 1978). Les donneurs de soins dits
« sensibles » perçoivent aisément les signaux émotionnels des enfants en lien avec leur
recherche de contact et de proximité et y répondent de manière appropriée et
contingente. Dans des échantillons incluant un pourcentage élevé d'enfants
désorganisés, les donneurs de soins sont décrits comme hautement insensibles à la
détresse de l'enfant, avec des épisodes répétés d'intrusion hostile ou de détachement
émotionnel (Lyons-Ruth, Yellin, Melnick et Atwood, 2005). Ces réactions maternelles
atypiques sont liées aux représentations d'impuissance ou d'hostilité qu'ont les
donneurs de soins en regard de leurs expériences avec leurs propres figures
d'attachement.
L'intervention fondée sur l'attachement auprès de parents et d'enfants d'âge
préscolaire s'avère un peu plus complexe qu'avec des nourrissons, car la gestion de
l'agressivité chez l'enfant d'âge préscolaire devient une cible d'intervention importante
dans plusieurs cas. En fait, la majorité des parents de notre étude identifient la
discipline et l'encadrement comme étant les enjeux relationnels avec lesquels ils ont le
plus de difficulté avec leur enfant. Étant donné que les programmes d'intervention à
court terme fondés sur l'attachement découlent en grande partie de travaux effectués
auprès d'enfants plus jeunes, avant la période préscolaire, il y a eu relativement peu de
tentatives jusqu'à présent d'intégrer la régulation du comportement oppositionnel chez
l'enfant dans les interventions. Dans une perspective d'attachement, le conflit parent-
enfant est perçu comme étant un échec du partenariat à but corrigé, une caractéristique
déterminante des relations d'attachement au-delà de la période de la petite enfance. Au
cours de la période préscolaire, les dyades parent-enfant qui fonctionnent bien font
montre d'un bon partenariat à but corrigé, c'est-à-dire que l'enfant et le parent sont de
plus en plus capables de manifester des attitudes, des objectifs et des sentiments qui
structurent et régulent adéquatement le fonctionnement de la dyade. Dans de tels
contextes, une plus grande réciprocité et une communication émotionnelle plus
élaborée engendrent l'inhibition du comportement agressif non verbal chez l'enfant au
moyen de mécanismes tels que la négociation verbale et la résolution de problèmes.
Toutefois, dans les familles des enfants avec un attachement désorganisé,
caractérisées souvent par la présence d'expériences potentiellement traumatisantes et
l'exposition à divers facteurs de risque, les dyades parent-enfant sont restreintes dans
leur exploration mutuelle de thèmes émotionnels, donnant lieu à des niveaux inférieurs
de réciprocité, de communication ouverte et de capacité à réparer les situations de
désaccords et de conflit. Les dyades maltraitantes sont caractérisées par des relations
parent-enfant partiellement déséquilibrées, reflétant une structure relationnelle dans
laquelle les initiatives d'un des membres de la dyade sont adoptées au détriment de
celles de l'autre. Nos propres observations de dyades parent-enfant avec un
attachement désorganisé-contrôlant révèlent la présence de communications affectives
perturbées, caractérisées par un manque de réciprocité, un faible engagement ou des
interactions conflictuelles hostiles (Dubois-Comtois, Cyr et Moss, 2011 ; Moss, Bureau,
Cyr, Mongeau et St-Laurent 2004).
Bien que des études portant sur des interventions fondées sur les principes de
l'attachement aient montré l'efficacité de ces interventions pour l'amélioration de la
sensibilité maternelle et de la sécurité d'attachement de l'enfant auprès de divers
groupes de dyades, peu d'études à court terme ont été réalisées avec des enfants d'âge
préscolaire. Malgré le fait que la qualité des réponses maternelles aux signaux de
l'enfant et à ses besoins de sécurité continue d'être la cible d'intervention principale chez
les enfants plus âgés, comme chez les plus jeunes, il est nécessaire d'adapter les buts de
l'intervention en fonction des besoins des enfants plus âgés. En particulier, il est
important que les donneurs de soins se montrent sensibles aux besoins croissants
d'autonomie et d'autorégulation des enfants d'âge préscolaire et scolaire. En même
temps, les parents doivent maintenir la hiérarchie des rôles parent-enfant et conserver le
contrôle de la relation. Les intervenants peuvent aider les parents à reconnaître et à
interrompre les interactions qui dénotent un renversement des rôles parent-enfant,
impliquant des modèles d'interactions d'attachement insécure et contrôlant qui sont
prédicteurs de développement de problèmes d'extériorisation et d'intériorisation à l'âge
scolaire (Moss et al., 2006).
Les résultats de récentes recherches, qui démontrent que les enfants varient dans leur
susceptibilité face aux effets nocifs et bénéfiques des interactions parent-enfant
auxquelles ils sont exposés, de même qu'aux tentatives d'altérer leur environnement
relationnel par le biais d'interventions (Belsky, Bakermans-Kranenburg et van
IJzendoorn, 2007), suggèrent que certains enfants pourraient être plus susceptibles que
d'autres de bénéficier des processus de changement sous-tendant les interventions. À
titre d'exemple, Bakermans-Kranenburg, van IJzendoorn, Pijlman, Mesman et Juffer
(2008) ont démontré que les nourrissons porteurs de l'allèle DRD4 7-répété étaient
davantage susceptibles que ceux sans l'allèle de manifester des diminutions de
problèmes de comportement extériorisé suite à une intervention à court terme de
rétroaction vidéo visant à soutenir les comportements parentaux positifs. Les mères de
ces enfants ont également montré une plus grande amélioration dans leurs
comportements d'encadrement positif.

La rétroaction vidéo avec des dyades parent


maltraitant/enfant
Tel que mentionné précédemment, les objectifs principaux d'une intervention à court
terme fondée sur l'attachement sont d'aider la dyade parent-enfant à s'engager dans des
interactions davantage réciproques, d'encourager les parents à permettre à leur enfant
d'explorer plus librement parce qu'il se sent davantage en sécurité et de favoriser le
développement de l'expression émotionnelle chez les deux membres de la dyade,
permettant ainsi d'atteindre une plus grande synchronie affective. La rétroaction vidéo
constitue une technique particulièrement bien adaptée pour favoriser l'émergence de
ces habiletés. Les intervenants peuvent utiliser les démonstrations audio-visuelles
d'émotions et de comportements tirées des segments vidéo comme sujets de discussion
associés à ces thèmes. Ainsi, les thèmes qui émergent durant les courtes périodes de
discussion peuvent être développés et illustrés à partir des segments vidéo provenant
d'interactions entre le parent et l'enfant. Il est important de distinguer une telle
approche des interventions à plus long terme fondées sur les principes de l'attachement.
Bien que dans les deux approches, l'intervenant et le donneur de soins explorent des
thèmes liés au domaine de l'attachement, l'usage à court terme de la rétroaction vidéo
porte essentiellement sur des discussions davantage associées à l'interaction et la
relation parent-enfant, plutôt que sur l'histoire développementale du parent lui-même.
La rétroaction vidéo donne à l'intervenant l'opportunité de donner un feed-back
immédiat dans le cadre d'interactions parent-enfant ayant eu lieu dans les minutes
précédentes. Les émotions et les représentations évoquées durant l'expérience
demeurent facilement accessibles aux parents. Cela est en contraste marqué avec les
modèles cliniques typiques, dans lesquels les événements discutés sont souvent abordés
après un délai de temps considérable. Le caractère « immédiat » de l'expérience
d'intervention et l'emploi de séquences vidéo entre le parent et l'enfant permettent aussi
chez le parent un accès plus facile aux représentations cognitives et affectives de soi et
des autres, favorisant ainsi le changement. Le fait d'observer son propre comportement,
tout en étant guidé par un intervenant sensible et compétent, peut aider un parent à
revoir ses représentations biaisées, négatives ou idéalisées qu'il peut entretenir sur lui-
même ou sur son enfant.
L'un des éléments importants du programme d'intervention est de mettre l'accent sur
les interactions et les comportements positifs. L'intervention doit viser en priorité des
exemples de comportement positif des parents et des enfants dans les séquences
d'interactions parent-enfant. Bien qu'il puisse s'avérer difficile au cours des premières
séances de trouver de nombreuses séquences positives caractérisées par de la
synchronie et de la réciprocité parent-enfant, ou une réponse parentale sensible à la
détresse de l'enfant, ou du soutien à son égard, nous avons toujours réussi à trouver
quelques exemples lors des premières séances de rétroaction vidéo. Ces épisodes isolés
tendent souvent à augmenter considérablement en fréquence à partir de la troisième
séance et sont souvent accompagnés de changements significatifs dans le contenu
émotionnel des interactions. Le renforcement des comportements déjà présents dans le
répertoire comportemental du parent, plutôt que le rappel de principes abstraits ou le
rappel de comportements négatifs, constitue un puissant incitatif au changement.
L'image de soi de certains parents, parfois endommagée par un passé personnel
difficile, ne les prédispose pas naturellement à se percevoir comme étant capable de
réaliser des changements significatifs dans le cadre du processus d'intervention.
Toutefois, le fait, pour le parent, de faire le visionnement répété de séquences
d'interactions positives avec son enfant lui donne l'occasion de rehausser sa perception
de compétence personnelle dans son rôle parental.
La sélection de l'activité dyadique proposée et les directives données au parent
doivent être en lien avec les difficultés interactives afin de favoriser la transition d'un
style parental qui met l'accent sur l'intrusion et/ou le détachement émotionnel vers un
modèle relationnel dyadique caractérisé par la prévisibilité et la synchronie interactive,
ainsi qu'une structure de rôles plus équilibrée. À titre d'exemple, les donneurs de soins
ayant un style parental intrusif sont souvent invités à d'abord observer leur enfant, pour
ensuite répondre uniquement aux initiatives de ce dernier à leur égard. Cela transforme
rapidement la dynamique relationnelle, fournissant des occasions pour des interactions
plus équilibrées, qui peuvent ensuite être commentées et renforcées positivement
durant la période de rétroaction vidéo. Les dyades parent-enfant impliquées dans des
relations d'attachement insécures ont souvent moins d'habiletés à résoudre les conflits
que les dyades ayant des relations d'attachement sécurisantes (Britner, Marvin et Pianta,
2005). En vue de faciliter le développement des membres de la dyade dans ce domaine,
la rétroaction vidéo peut être utilisée pour identifier des moments de discorde qui n'ont
pas été résolus, tels que des segments dans lesquels l'enfant manifeste de la colère ou
démontre un comportement agressif suite à un épisode de détachement maternel. Il
arrive souvent au cours de séances subséquentes, une fois qu'une alliance thérapeutique
est bien établie, que les parents demandent eux-mêmes de revoir ces segments sur la
séquence vidéo. Dans de telles circonstances, le parent reconnaît plus facilement sa
confusion et recherche activement conseil. Les intervenants peuvent alors inviter le
parent à discuter de différents moyens de répondre à l'enfant qui manifeste ses
émotions de cette manière. Il est généralement déconseillé de mettre l'accent sur des
séquences interactives négatives tant qu'une solide base de confiance entre le parent et
l'intervenante n'a pas été établie grâce à l'observation répétée de séquences positives, ce
qui permettra au parent d'augmenter sa propre perception de compétence et sa
confiance à l'égard de l'intervenant.

La supervision
Selon notre expérience, les intervenants qui ont du succès dans l'utilisation de la
rétroaction vidéo avec leurs clients ont besoin d'un type particulier de supervision, qui
permet de modeler le rôle qu'ils auront auprès de leurs clients. Ainsi, nous
recommandons que les intervenants visionnent leurs bandes vidéo sur une base
hebdomadaire en compagnie d'un intervenant d'expérience qui peut les aider à
examiner le contenu des séquences sans porter de jugement. L'expérience de faire appel
à un pair qui agit comme base de sécurité peut s'avérer précieuse en enseignant au
nouvel intervenant comment mieux accompagner un parent durant la période de
rétroaction vidéo. Le superviseur pourra également suggérer à l'intervenant des
stratégies permettant à certaines dyades d'aller de l'avant, particulièrement lorsque le
processus semble stagner. En fait, nous avons découvert que la quatrième ou la
cinquième semaine du programme de 8 semaines s'avère généralement un moment
durant lequel le processus de changement s'accélère. À cette étape, une alliance
thérapeutique a généralement été établie et les parents ont une meilleure idée du
fonctionnement et l'utilité de la technique de rétroaction vidéo.

L'efficacité du programme d'intervention


Nous avons mené la première étude permettant d'évaluer l'efficacité d'une intervention
à court terme fondée sur les principes de l'attachement auprès de 67 parents
maltraitants (63 mères, 4 pères, tous la principale figure d'attachement de l'enfant) et
leur enfant, âgé de 3,35 ans en moyenne (ET = 1,38 an ; étendue : 12–71 mois ; voir Moss
et al., 2011). L'insécurité d'attachement, et plus particulièrement la désorganisation, sont
très répandues parmi les enfants maltraités. Les études dans ce domaine indiquent
qu'entre 32 % et 86 % des dyades présentent un attachement désorganisé (Cyr, Euser,
Bakermans-Kranenburg et van IJzendoorn, 2010). Nos hypothèses pour cette étude
étaient les suivantes : nous nous attendions à ce que les parents dans le groupe
d'intervention augmentent leur niveau de sensibilité après avoir été exposés au
programme d'intervention de 8 semaines. Nous nous attendions également à observer,
dans le groupe d'intervention, une augmentation de la proportion d'enfants démontrant
un attachement sécurisant, une diminution de la proportion d'attachements
désorganisés, de même qu'une diminution des symptômes de nature intériorisée et
extériorisée. Des observateurs indépendants ont évalué l'attachement des enfants au
pré-test (avant d'être exposés à l'intervention) et au post-test (après les 8 semaines
d'intervention) par le biais des procédures habituelles de séparation-réunion. D'autres
observateurs étaient responsables de l'évaluation de la sensibilité maternelle et les
parents ont complété les questionnaires décrivant les symptômes de troubles de
comportement de leur enfant. Suite aux évaluations réalisées au pré-test, les familles ont
été assignées aléatoirement au groupe d'intervention et au groupe contrôle (groupe qui
n'a pas reçu l'intervention en attachement). Ces deux groupes recevaient l'intervention
habituelle des services de la protection de l'enfance. Ces visites mensuelles de la part
d'un intervenant social portent habituellement sur le suivi des conditions liées à la
négligence et l'abus (par exemple, nutrition et hygiène, utilisation de discipline
coercitive de la part des parents à l'égard des enfants) et, plus rarement, incluent de
l'aide clinique. Les évaluations pré- et post-test étaient identiques. La rencontre post-test
a eu lieu environ 10 semaines après les évaluations pré-test, à la fin des 8 semaines
d'intervention.
Les résultats sont publiés dans Moss et al. (2011) et ne sont que brièvement résumés
ici1. Le programme d'intervention s'est révélé efficace pour augmenter la sensibilité
parentale, améliorer la sécurité d'attachement chez l'enfant et pour diminuer la
désorganisation. De plus, l'intervention a contribué à réduire les symptômes de
comportements extériorisés et intériorisés chez les enfants d'âge préscolaire faisant
partie de l'échantillon. Bien que des recherches futures devront établir la stabilité à plus
long terme des résultats de ce programme d'intervention, l'approche fondée sur les
principes de l'attachement testée au cours de cette étude pourrait être un outil
d'intervention efficace pour les enfants maltraités et les autres enfants à risque de
développer des difficultés en lien avec les comportements agressifs. Pour illustrer le
programme d'intervention, une étude de cas est présentée dans la section qui suit. Les
noms des participants ont été changés par souci de confidentialité.

Étude de cas
La mise en contexte
Sylvie est la mère d'un petit garçon, Pierre, qui est âgé de 2 ans ½ au début de
l'intervention. Elle nous a été référée par les intervenants de la protection de la jeunesse,
car ils estiment qu'elle peut bénéficier de l'intervention de rétroaction vidéo parce
qu'elle a récemment récupéré la garde de son enfant. Au moment de l'étude, Sylvie doit
habiter avec sa propre mère, dans un contexte où elle doit partager la garde de son
enfant avec celle-ci, car les autorités l'ont évaluée comme n'étant pas apte à protéger
seule son fils, ce dernier ayant subi de l'abus de la part du père biologique. Le père, qui
a été incarcéré pour ce délit, a un droit de visite mensuelle supervisée avec Pierre
pendant la durée de l'intervention. Les évaluations pré-test révèlent que Sylvie a un
faible score de sensibilité maternelle (évalué par le biais du Tri-de-cartes du
comportement maternel ; Pederson et Moran, 1995) et que Pierre montre un niveau
clinique de symptômes de comportement intériorisé selon la mesure de Achenbach et
Rescorla (2000).

Les comportements de séparation-réunion pré-


intervention
Au début de l'étude, au pré-test, nous avons évalué le comportement d'attachement de
Pierre, à l'aide du Système de classification de l'attachement chez les enfants d'âge
préscolaire (PACS) (Preschool Attachment Classification System, Cassidy et Marvin, 1992).
Il est classifié comme ayant un attachement insécure-évitant, accompagné d'un score
modéré (4) sur l'échelle de désorganisation. Les observations réalisées durant la
procédure de séparation-réunion ne révèlent que de brèves interactions entre Pierre et
sa mère durant la première réunion. Au moment de cette réunion, lorsque Sylvie entre
dans la pièce, Pierre continue à jouer avec ses jouets sans rechercher la proximité avec sa
mère. Sylvie organise alors immédiatement le matériel de jeu de Pierre, sans porter
attention à ce qu'il était en train de faire. Pierre a dit : « Non, non » d'une voix faible,
presque inaudible. Sylvie s'empresse de présenter un jouet à l'enfant, qu'il refuse de
prendre. Elle se relève ensuite du sol et se dirige vers une chaise, au fond de la pièce, où
elle demeure assise pour les quatre dernières minutes de la rencontre. Pierre s'approche
une fois ou deux dans sa direction, mais, avant d'atteindre sa mère, il se retourne,
comme pour aller chercher un jouet. Suivant cette première réunion, il y a une seconde
séparation de 5 minutes durant laquelle Pierre est visiblement en détresse. Il joue peu,
s'engage dans des comportements d'auto-réconfort et appelle Maman à une occasion. La
deuxième réunion est presque identique à la première. La mère manifeste un bref
épisode de comportement intrusif, après lequel elle se retire au fond de la pièce pour le
reste de la période. Un score modéré de désorganisation est attribué à l'enfant pour
certaines postures corporelles inhabituelles adoptées durant la procédure.

Séances 1 et 2
Tel que prescrit dans le protocole d'intervention pour la première visite à domicile,
l'intervenante et la mère entament la séance avec une discussion d'une vingtaine de
minutes. Durant l'échange, Sylvie mentionne qu'elle n'a pas apprécié avoir été obligée
de partager la garde de son enfant avec sa mère, qui se montre très critique à son égard.
Sylvie mentionne qu'elle a de la difficulté à se percevoir dans un rôle parental. À un
certain moment, elle note : « Je me sens davantage comme une sœur que comme une
mère pour Pierre ». Lorsqu'on lui demande ce sur quoi elle aimerait travailler durant les
séances d'intervention, Sylvie identifie les thèmes suivants comme étant des domaines
dans lesquels elle a le sentiment d'avoir des faiblesses : la discipline et l'encadrement de
son enfant, la gestion de sa propre colère et les connaissances des besoins
développementaux de son enfant.
À la suite de la brève discussion, l'intervenante choisit une activité ouverte pouvant
servir de contexte d'observation pour permettre l'évaluation de l'interaction entre Pierre
et Sylvie. L'intervenante leur présente de la pâte à modeler, un petit rouleau à pâtisserie
et des moules à biscuits, et leur demande de fabriquer quelque chose ensemble. Dans ce
contexte, l'intervenante observe que la mère est extrêmement préoccupée par sa propre
activité durant la séance, avec seulement de brefs regards occasionnels vers son fils. Les
deux jouent en parallèle, de manière assez indépendante. Lors des quelques occasions
où Sylvie interagit avec Pierre, c'est uniquement pour lui demander de faire la même
chose qu'elle avec la pâte à modeler, bien qu'elle ne lui ait pas montré d'une manière
sensible, ajustée à son niveau de développement, comment procéder. La mère adresse
quelques commentaires occasionnels à l'enfant, plus particulièrement lorsqu'il se
conforme à ses demandes. Pierre se lève fréquemment de la table pour se promener
dans la pièce ou pour regarder la caméra, ce qui semble déranger Sylvie, mais elle ne
fait rien pour ramener Pierre à se concentrer sur la tâche. À un certain moment, tandis
qu'il s'amuse avec la pâte à modeler, Pierre dit : « Pain, pain… », afin de nommer ce
qu'il tente de faire. La mère regarde Pierre d'un œil désapprobateur en disant :
« Ouache, ce n'est pas du pain ». Peu de temps après, Pierre se lève à nouveau pour se
promener dans la pièce.
À la suite de la visite, l'intervenante note les forces et les faiblesses de la relation
mère-enfant en vue de concevoir un plan d'intervention. Du côté positif, la mère paraît
engagée par moments, elle tente de démontrer à son fils comment façonner différents
objets et elle émet à l'occasion des commentaires positifs sur ce que Pierre est en train de
faire. Toutefois, ces comportements se produisent à un rythme relativement peu
fréquent durant la période d'interaction de dix minutes. Concernant les faiblesses,
l'intervenante note l'insensibilité générale de la mère pour ce qui est de communiquer
de manière ouverte avec son enfant et lui fournir une base sécurisante pour son
exploration. Il y a, en général, un faible niveau d'engagement dyadique dans des
activités communes. De plus, Sylvie invalide les efforts de Pierre à plusieurs reprises.
Elle semble également impuissante lorsque Pierre se désengage de la tâche et elle ne
semble pas avoir de stratégie pour l'amener à reprendre l'activité avec elle. La mère et
l'enfant ne se regardent presque jamais, ne partagent presque aucune émotion
ensemble, se sont très peu engagés dans une forme de communication minimale. On
constate que Pierre ne peut communiquer clairement ses besoins à sa mère et qu'il ne
peut compléter la tâche tout en demeurant près d'elle.
Durant la rétroaction vidéo, afin d'aider l'émergence de plus de synchronie affective
et davantage de réciprocité, l'intervenante positionne la vidéo sur chaque manifestation
d'une émotion positive d'un partenaire envers l'autre, ou chaque fois qu'il y a un plaisir
partagé (par exemple, Sylvie et Pierre se sont regardé tous deux et ont esquissé un
sourire). À cette étape de l'intervention, de tels moments sont rares, mais il est
important de les identifier et de les souligner. L'intervenante pose les questions
suivantes à la mère au moment du visionnement de chacun de ces segments vidéo :
« Que ressentiez-vous et qu'aviez-vous envie de faire ? Comment Pierre se sentait-il et
qu'avait-il envie de faire ? » L'intervenante arrête la vidéo également lors des séquences
où l'enfant manipule le matériel de jeu suite à une suggestion de la mère ou lorsque
Sylvie observe l'activité de Pierre et émet un commentaire positif. Pour renforcer l'idée
que l'enfant désire l'implication de sa mère et a besoin de son aide, l'intervenante
demande : « Pourquoi croyez-vous que Pierre semble s'amuser autant ? » À ce moment,
Sylvie collabore bien avec l'intervenante et exprime le désir de poursuivre les séances
d'intervention.

Séance 3
Durant la période de discussion, Sylvie demande qu'on aborde la question de la
discipline. Elle partage également son inquiétude que Pierre puisse avoir un problème
de langage, parce qu'il ne parle pas beaucoup et qu'il a de la difficulté à prononcer
certains mots. Afin de faire le lien entre ces préoccupations de la mère et l'objectif de
l'intervenante que la mère puisse avoir une meilleure compréhension des besoins
développementaux de son enfant, l'intervenante aborde la question de l'autonomie chez
l'enfant. L'intervenante souligne l'importance de laisser aux enfants de l'âge de Pierre
une certaine autonomie pour prendre des décisions (par exemple, le choix des jouets) et
de l'encourager à exprimer ses sentiments à l'aide de mots. Une discussion sur ce que
l'enfant pourrait avoir envie d'exprimer est utilisée afin de rendre ces idées plus
concrètes.
L'intervenante décide d'utiliser un casse-tête comme jeu pour l'activité dyadique. Afin
d'aider la mère à centrer davantage son attention sur Pierre et à réagir de manière plus
sensible à son égard, l'intervenante donne les directives suivantes pour la séance de jeu :
« Observez l'enfant, suivez son rythme et répondez s'il a besoin de vous. Regardez votre
enfant jouer et ne répondez que s'il a besoin d'aide. » Durant la période d'observation
de la séance de jeu, l'intervenante note que la mère éprouve des difficultés à ne pas être
intrusive à l'égard de son enfant et à ne pas contrôler l'interaction. Durant la rétroaction
vidéo, chaque fois que Sylvie émet un commentaire positif sur l'activité de Pierre ou
souligne ses initiatives de manière sensible, l'intervenante arrête la vidéo sur ces
segments et utilise des questions semblables à celles mentionnées plus haut afin de
sensibiliser la mère à l'importance de ces évènements. À un certain moment, alors que
Pierre éprouve de la difficulté à insérer une pièce du casse-tête, il se tourne vers sa mère
(il s'agit de la première fois où l'enfant demande l'aide de sa mère depuis le début des
séances d'intervention). Dans la séquence filmée, Sylvie ne répond pas à cette initiative
de Pierre. Bien que l'objectif de la rétroaction vidéo soit généralement de souligner
uniquement les comportements positifs et les interactions synchrones durant les
premières séances, l'intervenante sent ici que c'est un moment opportun pour souligner
et aborder des éléments qui avaient déjà été abordés dans le cadre des discussions
précédentes. Elle arrête la bande vidéo (lorsque l'enfant se tourne vers sa mère) et
demande : « Quelle était l'intention de Pierre dans ce geste ? » Sylvie répond : « Il
voulait que je lui vienne en aide. » L'intervenante demande alors : « Comment auriez-
vous pu lui apporter votre aide ? » Sylvie ne répond pas. Afin de ne pas laisser la mère
dans un état d'impuissance, ou mettre l'accent sur ses inaptitudes, l'intervenante offre
alors une suggestion : « La prochaine fois où il se tourne dans votre direction, vous
souhaiterez peut-être lui suggérer quelques idées de ce qu'il pourrait faire avec le
jouet ». Ici, l'intervenante constate que la stratégie d'aider la mère à observer son enfant
et à répondre à ses initiatives semble fonctionner.
Séance 4
Durant la brève discussion du début de la séance, l'intervenante utilise les questions
suivantes afin de sonder et encourager la mère à commencer à assumer sa
responsabilité de maintenir les changements en dehors des séances d'intervention :
« Comment les choses se sont-elles passées durant la semaine ? Avez-vous appris
quelque chose de nouveau au sujet de Pierre ? Les activités de jeu se sont-elles bien
déroulées ? Pourquoi ces dernières se sont-elles bien passées ou non ? » La mère semble
comprendre le concept de « réponse sensible aux signaux de l'enfant » et elle est plus
confortable avec l'idée de permettre à l'enfant d'être plus autonome. Sylvie souligne
qu'elle a beaucoup plus de plaisir à jouer avec Pierre et elle semble mieux comprendre
comment un parent peut venir en aide à son enfant dans son exploration et son jeu. La
mère demande de pouvoir parler de discipline. Elle décrit Pierre comme « faisant
continuellement ce qu'il veut ». L'intervenante aborde l'importance d'établir des
routines telles que des heures de repas et de coucher régulières. Elle encourage la mère
à établir un horaire qui lui permettrait de répondre à ses propres besoins autant qu'à
ceux de Pierre.
Pour l'activité dyadique filmée, l'intervenante choisit une activité de construction
commune (Monsieur Patate). Durant l'activité, Sylvie démontre qu'elle a acquis
l'habileté de répondre avec sensibilité aux initiatives de son enfant. Plus fréquemment,
la mère et l'enfant manifestent du plaisir et on observe un certain nombre d'échanges
affectifs positifs. Il est évident pour l'intervenante que la mère et l'enfant éprouvent
beaucoup de plaisir ensemble. À un certain moment durant l'activité, Sylvie exprime
qu'elle est fière de Pierre. Tout au long du jeu, Pierre est clairement plus actif dans sa
manière d'explorer le jouet qu'il ne l'avait été durant les séances précédentes.
L'intervenante sent que Sylvie est plus à l'aise avec l'autonomie grandissante de son fils
et qu'elle peut agir en tant que base sécurisante pour son enfant dans le cadre de son
exploration. Au moment de la rétroaction, l'intervenante arrête la vidéo à de
nombreuses occasions sur des épisodes de sourires partagés et de renforcement verbal
de la part de la mère. Ces éléments se produisent maintenant à une fréquence plus
régulière. Durant ces moments, Sylvie parle plus aisément du plaisir qu'elle a avec son
enfant et de la fierté qu'elle ressent à son égard. Elle reconnaît les changements dans la
communication de son enfant à son égard et dans l'intérêt qu'il manifeste pour jouer
avec elle. Dans ce cadre, l'intervenante sent qu'une bonne alliance thérapeutique a été
établie avec la mère. Avant de terminer la séance, elle suggère à Sylvie de viser à rendre
les périodes de bain (et autres moments du quotidien) plus amusantes et d'établir un
horaire qui inclut une certaine routine pour les couchers. La mère et l'intervenante sont
d'accord sur le fait que l'intervention progresse rapidement.

Séance 5
Sylvie ouvre la période de discussion en demandant de parler du sujet de l'estime de
soi. Dans le but d'amorcer une conversation sur le rôle des figures d'attachement pour
offrir du soutien dans différentes situations, l'intervenante demande à Sylvie : « Est-ce
qu'il y a quelqu'un qui vous fait sentir spéciale, unique ? » Sylvie répond : « Ma mère ne
m'a pas fait sentir comme si j'étais unique, mais maintenant mon copain est là pour
moi. » L'intervenante poursuit sur cette idée en discutant de l'importance des parents
dans le fait de se sentir unique et valorisé et elle tente de rendre la discussion plus
concrète en demandant : « Comment pouvez-vous communiquer à Pierre que vous êtes
fière de lui et que vous aimez être avec lui ? » Elles discutent de l'importance
d'encourager l'enfant, de lui dire qu'il fait bien les choses et de souligner de manière
positive ses accomplissements.
L'intervenante choisit une activité dyadique de « lecture ouverte » afin d'encourager
la proximité et la communication verbale dans la dyade. Sylvie est invitée à raconter
une histoire, tandis que Pierre feuillette un livre avec des images de parents et d'enfants
qui participent à différentes activités et partagent différentes émotions. L'intervenante
note que, durant l'activité, Sylvie est systématiquement plus engagée envers Pierre que
lors des premières séances, mais pas toujours d'une manière qui respecte son rythme
naturel. Toutefois, bien qu'elle semble avoir de la difficulté à demeurer sensible dans ses
réponses dans ce contexte non structuré et plus intime, elle démontre qu'elle a vraiment
intégré l'idée du renforcement positif en l'utilisant souvent pour souligner les
accomplissements de Pierre. Durant la rétroaction, l'intervenante a arrêté la vidéo sur
les images montrant une réelle proximité et un plaisir partagé. Sylvie réagit bien devant
les images d'elle-même comme étant une source de réconfort pour Pierre et celles de
Pierre qui manifeste qu'il apprécie cette proximité.

Séance 6
Durant cette séance, Sylvie demande de poursuivre la discussion sur l'estime de soi.
L'intervenante sent que la mère fait beaucoup de progrès dans sa capacité de voir les
liens entre ses propres sentiments de confiance dans son rôle de parent, ses nouvelles
capacités parentales et la confiance accrue de son enfant en lui-même. Dans ce contexte,
l'intervenante continue d'utiliser les sentiments de sécurité et de dépendance de Sylvie
envers son copain comme une métaphore pour l'aider à comprendre les besoins
d'attachement de Pierre. Sylvie reconnaît les changements positifs dans l'expression
émotionnelle de Pierre, sa nouvelle disposition à lui demander de l'aide, ainsi que son
plus grand engagement et son autonomie accrue dans le jeu. L'intervenante aide la mère
à faire un lien entre ses observations et l'amélioration dans l'estime de soi de Pierre,
rendue possible par une plus grande ouverture de sa part aux initiatives de ce dernier et
à son soutien dans ses activités et ses accomplissements.
L'intervenante choisit une activité conjointe de blocs de construction. Sylvie invite
Pierre à jouer avec elle. Durant la rétroaction, l'intervenante souligne de nombreux
épisodes positifs qui témoignent de la consolidation de la sensibilité interactive chez la
mère. Elle est positionnée face à son fils, suit du regard ses activités, offre une certaine
structure à l'activité sans la contrôler et ramène Pierre à poursuivre la tâche sans se
montrer négative.

Séance 7
Pour cette séance, l'intervenante propose une activité conjointe de maquillage. Il s'agit
d'une activité qui représente un défi important pour les dyades ayant un historique de
maltraitance, car elle peut susciter des angoisses et des craintes liées à des expériences
passées effrayantes qui, comme cette activité, ont impliqué un contact physique et de
l'intimité. Pour ces raisons, cette activité n'est introduite que vers la fin des séances
d'intervention. Au début, l'interaction ne se déroule pas aussi bien que durant la séance
précédente. Sylvie se montre trop contraignante en essayant de maquiller son fils. Elle
se montre intrusive et, dans ce contexte, Pierre cherche systématiquement à éviter et à
résister aux efforts de sa mère de le maquiller. Ce modèle d'intrusion/évitement n'a pas
été observé depuis plusieurs semaines. À un certain moment, Sylvie devient très
frustrée, se tourne vers l'intervenante et lui dit : « Il ne m'aime pas. » L'intervenante
répond simplement : « Suivez son élan. » Sylvie s'apaise et elle tend le pinceau à Pierre.
Elle lui permet de peindre son visage durant un moment, au grand plaisir de son
enfant. Rapidement, elle partage le plaisir de son garçon et le niveau de synchronie
interactive augmente pour le reste de la période de jeu.
Bien qu'il y ait un recul évident au début de la séance, sans doute attribuable à la
difficulté de la tâche, mais aussi peut-être à cause de la fin imminente du programme
d'intervention, la séance permet de mettre en évidence le progrès qui a été réalisé dans
les dernières semaines. En se tournant vers son intervenante et en verbalisant ses
sentiments lorsqu'elle ressent que son enfant la rejette, suite à ses propres
comportements intrusifs, Sylvie démontre qu'elle peut maintenant se tourner vers une
personne de confiance pour obtenir du soutien. Plus important, en persévérant dans son
interaction avec Pierre, au lieu de se retirer comme elle l'avait fait lors de la procédure
de séparation-réunion au moment du pré-test, elle démontre qu'elle peut désormais se
concentrer sur les besoins de son enfant, tout en gérant ses propres insécurités
personnelles. Cette séance illustre bien l'objectif de l'intervention de rétroaction vidéo à
court terme fondée sur l'attachement. L'intervenante ne répond pas aux remarques de
Sylvie liées au fait qu'elle ne se sent pas aimée en l'invitant à explorer davantage ses
propres expériences et ses représentations ; elle l'aide plutôt à recentrer ses efforts sur la
restauration de la relation avec Pierre. De nombreux parents avec un historique de
maltraitance devront composer avec des défis psychologiques pour le reste de leur vie
sur le plan de la régulation émotionnelle et des enjeux liés à l'estime de soi durant les
périodes de stress. Bien qu'une psychothérapie puisse être bénéfique pour plusieurs
d'entre eux, ils doivent acquérir à court terme des habiletés parentales efficaces afin de
fournir à leur enfant un environnement qui soit favorable à son développement.

Séance 8
Au cours de la dernière séance, l'intervenante prépare la conclusion de l'intervention en
célébrant avec Sylvie les progrès qu'elle a faits dans la compréhension des liens entre
ses propres sentiments et comportements et ceux de Pierre, ainsi que dans sa façon d'y
répondre de manière plus sensible. Sylvie amorce également une discussion touchant
les épisodes négatifs et les comportements alternatifs qu'elle aurait pu adopter. Lors des
premières séances, toute discussion concernant des évènements négatifs amenait
souvent Sylvie à se dénigrer elle-même ou à dénigrer son fils. L'intervenante a
maintenant plutôt l'impression que Sylvie a acquis une nouvelle compréhension
fonctionnelle des relations d'attachement et qu'elle était désormais en mesure de
maintenir ses nouvelles habiletés parentales sans le soutien de son intervenante. À la fin
de la séance, Sylvie dit : « J'ai appris à être une mère et à ressentir la joie d'être une
maman. Je suis plus consciente des besoins de mon fils. Je peux l'encadrer et lui fournir
des soins quotidiens plus appropriés. Pierre est plus calme. J'ai davantage confiance en
moi et en lui également. J'aime beaucoup jouer avec lui. »

Le profil comportemental de la dyade après l'intervention


Lors de l'évaluation post-test, Pierre est classifié comme ayant un attachement sécure
avec sa mère dans la procédure de séparation-réunion. Durant la procédure, Pierre ne
manifeste aucun signe de désorganisation. Il y a une différence remarquable concernant
les divers éléments reliés à la classification d'attachement. Sylvie répond à la détresse de
Pierre, elle s'ajuste à son rythme, elle encourage son exploration et lui fournit le soutien
dont il a besoin. Il y a du plaisir partagé au cours de l'activité conjointe. La sensibilité
maternelle telle que mesurée à l'aide Tri-de-cartes du comportement maternel s'est
améliorée, passant d'un niveau problématique à un niveau normal (0,04 à 0,55). L'enfant
ne démontre plus un score élevé de problèmes intériorisés .

Conclusion
En conclusion, cette étude de cas illustre comment la rétroaction vidéo peut être utilisée
de manière efficace auprès de dyades parent-enfant ayant un historique de
maltraitance. Ces changements observés sur le plan de la sensibilité maternelle, de la
sécurité et de l'organisation de l'attachement, ainsi que dans les manifestations de
troubles de comportement, suite à une courte intervention fondée sur les principes de
l'attachement sont d'une importance théorique et clinique considérable. Sur le plan
théorique, le fait qu'une intervention centrée sur la sensibilité parentale puisse conduire
à des changements dans l'attachement de l'enfant est cohérent avec le lien maintes fois
documenté entre la qualité des réponses et de la sensibilité parentale et l'attachement de
l'enfant. Ces résultats apportent également un appui aux données de recherche qui
soulignent l'importance de la sensibilité parentale comme agent de promotion d'un sain
développement auprès de diverses populations. Davantage d'études sont nécessaires
afin de déterminer si les effets positifs de l'intervention présentement observés à court
terme concernant la sécurité et l'organisation de l'attachement et la diminution des
symptômes de troubles de comportement se maintiennent à plus long terme. De telles
recherches pourraient aider les intervenants à réduire le risque développemental et de
santé auquel sont exposés les enfants maltraités.

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Tarabulsy G.M., Pascuzzo K., Moss E., et al. Attachment-based intervention for
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1
Toute correspondance concernant cet article et toute demande d'informations sur le programme d'intervention qui y
est décrit doivent être adressées à Ellen Moss, Département de psychologie, Université du Québec à Montréal, C.P.
8888, Succ. Centre-ville, Montréal, Québec, Canada, H3C 3P8. Courriel : moss.ellen@gmail.com.
Index des termes

A
ABA 314
Abstraction 111–114
Abus 141, 289, 300, 344, 350, 368, 427, 487
émotionnel 365
physique 363–364, 421–422
psychologique 363, 421–422
sexuel 363, 365, 421–422
Accommodation 4–5
Acculturation 46, 358
cognitive 47
modèle
bidimensionnel 47
interactif 47
unidimensionnelle 47
Actes de parole situés 167
Action 163–164
motrice 231
Activité
électrodermale 444
gestuelle 118
professionnelle 267
Addiction 178, 293, 393
Adolescence 7, 15, 69, 71–72, 140, 156, 340, 383–390, 397
Adoption 403, 420, 428
Adult Attachment Interview (ou AAI) 402, 404, 450
Adulte 7, 148
émergent 400
Affiliation sociale
besoin d' 200
Âge gestationnel 327
Agitation 356
Agoraphobie 343
Agressions 359
Agressivité 140, 356
Alcool 357, 384
Alzheimer (maladie d') 411–412
Amitié 140, 175
AMMI. Voir Attachment Multiple Model Interview 450
Amygdale 385, 387
Analogie 28, 173–182
Anxiété 293
de séparation 341
généralisée 343
sociale 341
Apprentissage 31, 58, 150, 227–236, 334, 391
cognitivo-comportemental 32
multi-sensoriel 228
opérant 32
social 32
Apprentissages
scolaires 197
Approche
biomédicale dominante 412
éco-culturelle 43
incarnée 159
intégrative 164, 167
systémique 35
Assimilation 4–5, 174, 177
Attachement 139, 174, 331, 437–440
à l'adolescence 397
anxieux ou insécure 27, 365, 404, 481, 483
comportements 25
désorganisé/désorienté 27, 289, 365, 482–484, 487
évitant 27, 398
préoccupé 398
sécure 27, 367, 403–404, 483
stratégie 401
style 27, 402
système 26
comportemental 25
hyperactivation 27
inhibition 27
Attachment Multiple Model Interview (ou AMMI) 450, 463
Attachment Story Completion Task (ou ASCT) 463
Attention 331, 392
conjointe 123
Attribution 175
d'intentions 29, 33, 293, 401, 448
Audition 330
Autisme 283, 329
hypothèses
cognitives 285
génétiques 284
neurobiologiques 285
STS 285
testostérone 284
Autodétermination
besoin d' 200
théorie de l' 197, 199
Autonomie 398
Autorégulation 71
AVI 367

B
Babillage 122
Base de sécurité 26, 291, 398, 439, 483
BECS 313
Besoin
d'affiliation sociale 200
d'autodétermination 200
de compétence 200
Biais de raisonnement 145
Bilan psychologique 467

C
Cannabis 384
Capacités
de discrimination 121
de métacompréhension 240
Catégories 176
syntaxiques 127
CBCL 449
Célibat 402
Centres de référence pour les troubles du langage et des apprentissages 259
Changements neurobiologiques 385
CHC 455
Child Behavior Checklist (ou CBCL) 449
Cognition
antisociale 359–360
incarnée 159, 164, 227, 232
située 159
sociale 135, 164
Cohésion 36
Colère 293
Communication 117–118
mère-bébé 375
précoce 160
référentielle 123
située 165
Compétence
besoin de 200
Compétences sociales 193
Complexité 70
Comportements
antisociaux 356, 393
à risque 401
Compréhension 126, 238
Compreneur, faible 239
Concentration 392
Concepts 126
Conditionnement
classique 31
opérant 444
Conductance cutanée 358
Confiance 403
épistémique 28
Conflits 37
Conformisme social 387
Congruence 254
Connaissance
des lettres 227–230, 232–233
naïve 218–223
précoce 8
textuelle 241
Connexionnisme 64
réseaux
autosupervisés 67
non supervisés 67
supervisés 67
supervision 67
unités d'entrée 66
Conscience
de soi 19
réflexive 293, 404
Conservation de la substance 441
Constructivisme 3
accommodation 4
activité opératoire 4
adaptation 4
assimilation 4
équilibration 4
stades du développement
opérations concrètes 6
opérations formelles 6
stade sensori-moteur 5
Contexte 35, 76
social 386
Contingence sociale 380
Contraintes écologiques 405
Contrastes phonétiques 121
Contrôle cognitif 385
Coordination 331
tonico-posturale 163
Coparentalité 36
Copie de lettres sur papier 230
Cortex
cingulaire 283
orbitofrontal 385
préfrontal 283, 387
latéral 385
ventromédian 389
temporal médian 283
Crèche 421, 424
Crise d'adolescence 398
Croyances morales 359
Culpabilité 356
Culture 41–42, 80
Cyber-harcèlement 394

D
Décodage 230
Déficience intellectuelle 358
Déficit cognitif 364
Démence
à corps de Lewy 411
frontotemporale 411
Dépression 356
anténatale 376
Dessin 186
Déterminants du développement 63
Développement 117, 145, 343
coordonné 160
de soi 45
du langage 391
du raisonnement 440
imitation 97
motricité 94
perception
audition 93
olfaction 94
toucher 93
vision 93
précoce 167
préhension 98
prénatal 26
psychomoteur. See Développement sensori-moteur
sensori-moteur 91, 160
socio-émotionnel 83
Développement neuro-cognitif 364
Différenciation 399
Dissonance cognitive 359
Divorce 37, 179
Dopamine 282
Dys 259
Dyslexie 332
Dyspraxie 332
Dysthymie 339

E
Early Start Denver Model 314
Échanges
sociaux 120
verbaux 129
vidéo 392
École 203, 210, 213, 217, 223, 268–269, 300, 334, 355, 358, 420–421, 424, 427, 447, 467, 470,
474
élémentaire 242
maternelle 194
primaire 195, 237
Écologie du développement 43
Écrans 391
Écriture 229, 232
manuscrite 230
EDEI-R 313
EEG 446
Effet
cliquet 21
Flynn 464
Efficacité 368
Émotions 119, 146
Empathie 137, 293, 356
Empirisme 53, 56
Enculturation 81
Enfant 7
adopté 368
imaginaire 404
Entraînement 229, 231
multi-sensoriel 230, 232
Entretien 5, 178, 223, 263–264, 268, 299, 302, 306, 333, 402, 449–450, 463–465, 467, 470–
471, 473, 475–476
Environnement 118
numérique 392
scolaire 421
Épidémiologie 327
Épigenèse 160, 405
Équilibration 4
Érea 469
Estime de soi 28, 203, 292
Établissements régionaux d'enseignement adapté 469
Étude
longitudinale 29, 174–175, 402
rétrospective 402
Évaluation 298
Événement
impossible 52
improbable 52
Évolutionnisme 25
Exclusion défensive 29
Exclusivité mutuelle 127
Expérience 117
graphomotrice 233
haptique 233
sensorielle 159, 161
traumatisante 366
Expertise 108, 112, 254
Exploration 291, 400, 406
audiovisuelle 228
graphomotrice 227–228, 230
haptique 227–229, 231
kinesthésique 227–228, 230
visuo-haptique 230
Explosion lexicale 129
Extension catégorielle 177
Eye-tracking 445

F
Facteurs
de protection 366
de risque 357
génétiques 405
Famille 35
cycle de vie 399
d'accueil 426
enchevêtrée 399
homoparentale 38
recomposée 38
rigide 399
Feed-back 201
Fiction 192
Figure de Rey 461
Flexibilité 36
Fonction
exécutive 151, 207
inhibition 152
symbolique 186
Fonctionnement réflexif 136
Formalisme 275
Format
d'action
partagée 123, 128
ritualisé 124
d'échange 119
Fœtus 118
Frontières 399–400

G
Génétique 283
Gestes 162, 167
de pointage 166
Go-NoGo 385
Graphèmes 228
Grossesse 375

H
Habileté
phonologique 230
sociale cognitive 360
Habituation 52, 57, 330, 442
Hallucinations 357
Handicap 297, 331
intellectuel 298
Harcèlement scolaire 332, 359
Havre de sécurité 26, 291, 439
Héritage social 42
Hétérochronie développementale 20
Histoires d'attachement à compléter 402
Homéostasie 198
Hyperactivité. See TDAH
Hyperémotivité 357
Hypothèse des marqueurs somatiques 388

I
IDDEES 314
Idées délirantes 357
Identification à l'agresseur 359
Identité 399–400
Image
de soi 485
mentale 127
IME 469
Imitation néonatale 119
Immigration 358
Impulsivité 357
Incarnation 113
Indices prosodiques 118
Inférence 107–108, 111, 238
Influences institutionnelles 268
Innéisme 51, 117
Institut
médico-éducatif 469
thérapeutique éducatif et pédagogique 469
Institutionnalisation 267–269
instituant 273
institué 273
Institutions scolaires 267–276
Instruction graphomotrice 231
Instruments psychologiques 18
Intégratif 159, 162
Intégration 160, 163
des modalités 159
Intelligence 44, 51, 54, 91
artificielle 79
sensori-motrice 159
Interaction 117–118, 335
de tutelle 21
format 123
parent-enfant 392, 422
précoce 377
protoconversation 379
sociale 119
Intersubjectivité 80, 119, 163, 167
secondaire 123
Intervention 481
parent-enfant 367
IRM fonctionnelle 446
ITEP 469

J
Jeu 124
de fiction 188
symbolique 186
vidéo 392
Jugement moral 154

K
KABC-II 458

L
Langage 117–134, 139, 334
Langue maternelle 121
Lecture 227–229, 231, 233, 237, 358
Lecture-écriture 227–236
Lettres 227, 229, 231
manipulation 230
Lexical 118
Lexique 118, 127
Lien
mère-enfant 25
taxinomique 127
Linguistique 117
Lire-écrire 227
Locus de causalité 200
Loi du développement
céphalo-caudal 95
proximo-distal 95
M
Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) 468
Maladie 405
Maladie d'Alzheimer 411–412
Maltraitance 290–291, 293, 357, 363
Manipulation d'objet 99
Marqueur somatique 389
MCI. See Trouble cognitif léger
MDPH. See Maison départementale des personnes handicapées
Mécanismes de développement 63
Mémoire 228–230, 232–233
fœtale 94
Mémoire de travail (ou MdT) 457
Mensonge 355
Mentalisation 135–136, 138
Méta-analyse 329
Métaphore conceptuelle 217, 219
Méthode
Kangourou 93
spécifiques au bébé 442
Mild Cognitive Impairment. See Trouble cognitif léger
Milieu social 329
MIO. See Modèle interne opérant
Modalité haptique 229
Modèle
de développement 63
de situation 238
dynamique
attracteur 71
bifurcation 71
variabilité 70
interne opérant (MIO) 28, 173, 292, 401, 403, 463
mental 252–254
structuro-sémantique 74
tacite 217, 219
Modélisation 64
Monoparentalité 402
Monotropie 25
Motherese 120
Motivation 197
extrinsèque 200
intrinsèque 200
Motricité 91
libérée 95, 98
Mots 117–118
grammaticaux 127
sens 126
Multi-sensorialité 227–229, 231, 233
Multitâche 392
Mutisme sélectif 341

N
Nativisme 117
état initial 52
pauvreté du stimulus 55
Négligence 141, 290–291, 363, 421, 487
Néo-constructivisme 56
NEPSY-II 460
Neuroconstructivisme 64, 69
Neurones miroirs 97
Niche de développement 43, 327
Nouvelle échelle métrique de l'intelligence 20
O
Objet entier 127
Observation
contrôlée 438
naturaliste 437
Olfaction 330
Outils
d'évaluation 242
de diagnostic du TSA
ADI-R 312
ADOS-R 312
CARS 312
PEP 3 313
PEP-R 313
numériques 391

P
PAI. See Projet d'accueil individualisé
Pairs 140
Paradigme
sociocognitif 199
Paradoxe de l'apprentissage 7
Parentalité 400, 402, 405
prématurité 377
Parole 117
Partenaire social 120
Partenariat à but corrigé 398, 484
Pauvreté 420
PECS 315
Pédagogie naturelle 82
Pensée 117
analytique 46
intuitive 6
Perception 57, 91, 163–164
et production 166
haptique 228
Père 25, 402
Permanence de l'objet 54–55, 58
Personnalité 17
Personnalité antisociale 356, 359
Perspective
comparative 20
historico-culturelle 21
Peur 32
Phobie 32
Phobie spécifique 341
Phonèmes 228
Phonologie 122, 129, 227–229, 231, 233
Piaget, Jean 188
stades du développement 5
sujet épistémique 4
théorie constructiviste 91
Placement 366, 403, 420, 426
Plainte mnésique 473
PM 38 459
Posture 95
Potentiels évoqués 446
PPS 468
Pragmatique 129
Précoce 162
Prédicteur 227–228
Préférence pour la nouveauté 443
Prématurité 332–333, 405
Premières connaissances 51
Présence des pairs 386
Prévention 231, 423, 425
Principe alphabétique 228–229
Prise
de conscience
implicite 275
de décision 145
Problèmes
extériorisés 365
intériorisés 365
psychosociaux 481
Procédure expérimentale 439
Processus
cognitif 246
intégratif 160, 165
Production 117, 122–123
écrite de la lettre 231
Projet
d'accueil individualisé 468
personnalisé de scolarisation 263, 468
Propriétés prosodiques 120
Prosodique 122
Prototype 127
Psychologie
culturelle comparative 44
historico-culturelle 42
interculturelle 41
Psychopathologie 290, 365, 399
développementale 329
Psychose 329
Psychostimulants 360
Puberté 383
Puériculture 43

Q
QI 358

R
Racket 355
Raisonnement 145
Rased 467
Réaction à la nouveauté 52
Réceptivité sensorielle 160
Recherche
de nouveauté 384
de sensation 383
intégrative 167
nourrisson 55, 58
Recodage sémantique 255–256
Récompenses 386
Reconnaissance de lettres 231
Redondance intersensorielle 159
Réflexe
ATNR 95
Règles 123
grammaticales 127, 129
sociales 129
Regret 388
Régulation émotionnelle 175, 293, 365
Relation
amicale 28
amoureuse 28, 174, 177, 401
avec les pairs 398
en pairs 174
filiale 29, 359
sexuelle 384
sociale 384
Remédiation 231
Réponse motrice 442
Représentation 28, 173–182
abstraite 117
d'attachement 402
maternelle 402, 483, 485
mind mindedness 404
mentale 117, 238
Réseau cérébral par défaut 414
Réseaux de neurones 65–66
Résilience 364
Résolution de problème 360
Retard
de développement 470
mental 280
Réticence 357
Rétroaction-vidéo 367
Réussite scolaire 140
Révolution cognitive 80
Risque
perception 384, 387
prise de 384
sensibilité 385
socioéconomique familial 419
sous-estimation 387
Rythme 118, 161, 379
social 160

S
Schémas 252–253, 256
corporels 328
Schizophrénie 279, 281
paranoïde 357
pseudo-psychopathique 357
syndrome dissociatif 282
Scolaire
manuel 269
programme 269
savoir 268
Scolarisation précoce 185
Scolarité 300
Scripts 176
Sections d'enseignement général et professionnel adapté 469
Segpa. See Sections d'enseignement général et professionnel adapté
Self 201
Sémantique 126, 129
Sens 126
Sensibilité 367
aux récompenses 385–386
maternelle 402–404, 483–484, 492
parentale 422, 482–483, 487
Sensorialité 159–160
chimique 161
somesthésique 161
Sensori-moteur 91
Sens social incarné 162
Services de soins et d'éducation spécialisés à domicile (SESSAD) 470
Sévices physiques 358
Sexting 394
Sexualité 398
Signifiant 126
graphique 186
Signification 126
Signifié 126
Simulation 64
Situation étrange 27, 402, 438, 439
Socio-constructivisme 117
Sociométrie 450
Soins
de soutien au développement 333
parentaux inadéquats 365
Soutien à l'exploration 404
Spillover 38
Stades 63
de développement 71
Stigmatisation 356
Stratégie 334
d'attachement 26–28, 405
Stress 365
Striatum ventral 385
Structuralisme 74
Structure familiale 399
Styles cognitifs 45
Succion non nutritive 444
Surdité 303
Symptôme 399
Synchronie interactionnelle 120
Syndrome du bébé secoué 357
Syntaxe 118, 123, 129
Système
d'approche 387
d'attachement
hyperactivation 402
inhibition 402
de contrôle cognitif 385
de peur-alarme 26
de régulation 387
d'évitement des punitions 387
d'exploration 26, 397–398
dynamique 70–71
non linéaire 91
émotionnel 385
motivationnel 385
psychique 73
sensoriel 161

T
TDAH 319, 332, 356
TEACCH 314
Tempérament 405
Test
d'intelligence 447
projectif 447
Tétrade Noire 356
Théorie
constructiviste 3
de l'autodétermination 197, 199
de l'esprit 137, 155, 332, 441
des drives 198
des traits sémantiques 126
écosystémique 35
orthogénétique 15
socio-constructiviste 15
Thérapie
cognitivo-comportementale 33, 360
multisystémique 360
Tonus musculaire 95
Toucher 330
Tracé
au crayon 231
au doigt 231
Traitement de l'information 34, 402–403
Traits
de dureté-anémotivité 356
machiavéliques 356
sadiques 356
Trajectoire
de développement 72, 313
de vie 35
Transfert 251, 253–255
Transgression des attentes 52, 443
Transmission
intergénérationnelle 399, 402–405
Triangulation 37, 399
Trouble
anxieux 33, 341
bipolaire 357
cognitif 334
léger 411
de désinhibition sociale 291
de l'attachement 290–291
de l'attention avec hyperactivité 286
de la personnalité 29
borderline 293, 357, 376
déficit de l'attention 319, 356
dépressif 33
majeur 339
persistant 339
des conduites 293, 321, 355–362
disruptif avec dysrégulation de l'humeur 340
du comportement 293
alimentaire 329
extériorisé/externalisé 259, 292, 320, 365, 422, 427, 449, 487
du langage 358
du spectre de l'autisme 262, 309–318, 357
internalisé/intériorisé 259, 292, 320, 365, 422, 449, 487, 492
lié à l'usage des jeux vidéo 392
lié aux substances psychoactives 357
mental 279
neurodéveloppemental 260, 279
oppositionnel 332
avec provocation 321, 355–362
panique 343
psychique 279
schizophrénique. See Schizophrénie
TSA. See Trouble du spectre de l'autisme
évaluation psychologique 313
intervention
éducative 314
thérapeutique 314
outils
de dépistage 311
de repérage 311
trajectoire de développement 313
Tutelle 123
Typicité 108, 110

U
UDN-II 459
Ulis. See Unités localisées pour l'inclusion scolaire
Unités localisées pour l'inclusion scolaire 469
Usage addictif 393
Utilisation problématique 392

V
Valorisation par le travail 301
Vandalisme 355
Variabilités individuelles 70
Ventricules cérébraux 283
Victimisation 359
Video deficit 391
Vieillissement 302
cérébral et cognitif 411–418
autre approche 413
biomarqueurs 412, 414
capacités compensatoires 414
environnement prénatal, postnatal et infantile 415
facteurs de risque et de protection 413
interventions psychologiques et sociales individualisées 416
prévention 416
Violence
conjugale 364
familiale 359
Vision 331
Vocalisations 123
Vol 355

W
WPPSI-IV 457

Z
Zone proximale de développement 18
Index des noms

A
Abramson, Lyn 33
Achenbach, Thomas M. 449
Adrien, Jean-Louis 309
Ainsworth, Mary 26–28, 403, 437–439
Allen, Joseph P. 398

B
Baillargeon, Renée 52, 443
Bandura, Albert 33, 199
Bernier, Annie 402, 404
Beck, Aaron Temkin 33
Billieux, Joël 391
Bobin-Bègue, Anne 79, 159
Bowen, Murray 399
Bower, Thomas G. 54
Bowlby, John 25, 85, 173–174, 401
Bretherton, Inge 176, 402
Bronfenbrenner, Urie 35
Bruner, Jerome 20, 80–81
Bruno, Sandra 267

C
Carter, Betty 399
Case, Robbie 9–10
Cassotti, Mathieu 383
Chabrol, Henri 355
Chomsky, Noam 55
Clément, Évelyne 197
Cohen, Leslie 56
Crick, Nicki 34, 140
Cyr, Chantal 363, 481

D
Danet, Marie 26, 391, 402
Darwin, Charles 25
Deborde, Anne-Sophie 259, 339
Deleau, Michel 15, 20
Devouche, Emmanuel 162, 375
Dodge, Kenneth 34, 140
Doise, Willem 22
Dubois-Comtois, Karine 363, 481

E
Ecalle, Jean 229
Ellis, Albert 34
Ensink, Karin 136, 138–139
Erikson, Erik 399–400
Esseily, Rana 79, 159, 164

F
Favez, Nicolas 35
Fonagy, Peter 28, 80, 136, 138, 293, 402, 403

G
Gauthier-Légaré, Audrey 419
Gergely, Csibra 81
Gergely, György 81
Gopnik, Alison 23
Goyet, Louise 117, 207
Gratier, Maya 26, 79, 83, 85, 159, 162
Guellai, Bahia 159
Guéraud, Sabine 237
Guerini, Caroline 15, 117, 185

H
Habib, Marianne 383
Haley, Jay 398–399
Harlow, Harry 25
Harris, Paul 192
Houillon, Jean-Charles 453, 467

K
Karmiloff-Smith, Anette 69

L
Labat, Hélène 229
Lammel Annamaria 41
Laurent, Geneviève 136
Lebovici, Serge 404
Lecompte, Vanessa 481
Lécuyer, Roger 51
Lehalle, Henri 65
Leslie, Alan 192

M
Magnan, Annie 230
Main, Mary 27, 403, 405, 450
Mandler, Jean M. 57
Mauss, Marcel 80
McGoldrick, Monica 399
Mehler, Jacques 52, 54
Mellier, Daniel 327
Meltzoff, Andrew N. 97
Miljkovitch, Raphaële 26, 28, 29, 31, 173, 289, 398, 401, 402, 405, 438
Minuchin, Salvador 36, 399
Moore, M. Keith 97
Morange-Majoux, Françoise 3, 91, 279, 437
Moss, Ellen 481
Moutier, Sylvain 145
Mugny, Gabriel 22

N
Nadel, Jacqueline 20, 97
Nandrino, Jean-Louis 347
Nuttin, Joseph 198

P
Pascual-Leone, Juan 9
Pascuzzo, Katherine 481
Patterson, Gerald 32
Piaget, Jean 3, 15, 51, 74, 80, 91, 174, 440
Poitras, Karine 419
Pons, Francisco 138

Q
Quartz, Steven R. 67, 69

R
Reuchlin, Maurice 198
Richard, Jean-François 251
Rogoff, Barbara 81
Rotter, Julian 33
Royer, Carine 237

S
St-Georges, Rachèle 481
St-Laurent, Diane 481, 483
Sander, Emmanuel 107, 163, 173, 217, 251
Savage, Laura-Émilie 419
Shultz, Ted R. 65, 67
Siegler, Robert S. 22
Skinner, Burrhus Frederic 32
Smith, Linda B. 72
Solomon, Judith 27
Spelke, Elizabeth 52
Spitz, René 25
Stern, Daniel 379

T
Tarabulsy, George M. 404, 405, 419, 481
Target, Mary 136, 138
Tessier, Réjean 419
Thelen, Esther 72
Thomas, Michael S. C. 69, 73, 76
Tomasello, Michael 21, 84
Trevarthen, Colwyn 84, 378

V
Van der Linden, Martial 411
van Geert, Paul 70
Vanwalleghem, Stéphanie 297, 319, 453, 467
Vygotsky, Lev 17
W
Wallon, Henri 16
Watson, John 32
Wynn, Karen 8

Z
Zazzo, René 19

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