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Enigme Maurice Blanchot Yale French Studies, No. 79, iterature and the Ethical Question (1991), 5-7. Stable URL: bttp//links jstor.org/sici?sic!=0044-0078%2819914%290%3A79%3CS%3AE% 3E2.0,CO%3B2-Y ‘Your use of the ISTOR archive indicates your acceptance of JSTOR’s Terms and Conditions of Use, available at hhup:/www.jstor org/about/terms.html. JSTOR’s Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the sereen or printed page of such transmission. Yale French Studies is published by Yale University Press. Please contact the publisher for further permissions regarding the use of this work, Publisher contact information may be obtained at hutp:/www jstor-org/journals/yale. htm Yale French Studies ©1991 Yale University Press ISTOR and the ISTOR logo are trademarks of ISTOR, and are Registered in the U.S. Patent and Trademark Office For more information on ISTOR contact jstor-info@umich.edv, (©2003 JSTOR hupslwww jstor.org/ Wed Oct 8 07:40:16 2003 MAURICE BLANCHOT Enigme Chere Madame, Pardonnez-moi de vous répondre par une lettre. Lisant la votre ot! vous me demandez un texte qui sinsérerait dans le numéro d'une revue universitaire américaine (Yale] avec pour sujet “La littérature et la question éthique,” ai &té effrayé et quasiment désespéré. “A nouveau, a nouveau,” me disais-e. Non pas que jaie la prétention d’avoir épuisé un sujet inépuisable, mais au contraire avec la certitude qu’un tel sujet me revient, parce qu’il est intrai- table, Meme le mot “littérature” m/est soudain étranger. Qu’en estil dela littérature? Et ce “et” entre literature “et” éthique? Si jeneme trompe pas, Adorno, dans un de ses livres sur Alban Berg dont il fut Véleve et Yami, rapporte qu'un jour Schumann parla de son horreur de la ‘musique.! De méme Alban Berg se rappeler la symphonie, si simple qu’elle soit, de Haydn, intitulée “la symphonie des adieux”| a cherché & donner forme par la musique a la disparition de la musique. Et je me souviens d'un texte sur la littérature od il est dit que celle-ci a un clair destin qui est de tendre a la disparition. Pourquoi alors parler encore dela littérature? Et sion lameten rapport avec la question de l’éthique, est-ce pour nous rappeler que Vexigence d’écrire (son éthique} ne serait rien d’autre que le mouvement infini par lequel elle en appelle vainement a la disparition? Déja Hélderlin: Pourquoi étre si breft Nraimerais-tu done plus 1. Je doute de cette citation. Schumann a certes soufert d'un excts de musi insi pu dire dans des moments de dépression ou exaltation: “Trop de musique. YES 79, Literature and the Ethical Question, ed, Claire Nowvet, © 1991 by Yale University, 6 Yale French Studies Comme autrefois le chant? Toi qui, plus jeune, Aux jours de 'espérance quand tu chantais, Ne savais plus finir! Et encore une fois Mallarmé. Dans un texte ancien (une lettre écrite dans la spontanéité de abandon}, ilfait sienne opinion de Poe:2 nul vestige d’une philosophie, ’éthique oula métaphysique, ne transparaitra; j'ajoute qu'il la faut incluse et latente (mais ici Mallarmé ne restaure-t-l pas Véthique? Cachée, elle garde son droit). Eviter quelque réalité d'échafaudage, demeuré autour de cette archi- tecture spontanée et magique n'y implique pas le mangue de puissants calculs et subtils, mais on les ignore, eux-mémes se font mystérieux expres. Crest essence en littérature de n’étre libre que par les régles ou les struc- tures qui se dérobent intentionnellement; elles n’agissent plus, si elles se ‘montrent. Mais Mallarmé nous propose alors une affirmation dont nous percevons la beauté, mais qui semble récuser ce qu’il vient de dire. Paroles toujours horsd’atteinte: “Le chant jaillit de source innée, antérieure d un concept, st urement que refléter au dehors mille rythmes d'images.” Obsession de I’antériorité. On la trouve sous maintes formes: “Au ciel antérieur oii fleurit la Beauté” et ailleurs |Hérodiade): “Par le diamant pur de quelque étoile, mais / Antérieure, qui ne scintilla jamais.” Nrest-il pas “clair” alors que ce qui est premier, ce n’est pas l’éthique (exigence morale}? On serait tenté dele dire, s'lne fallait dire aussi que, pour Mallarmé, “premier” ne suffit pas, ne convient pas: Antérieur ce qui serait premier et nous voila entrainés par un mouvement sans fin. Aussi, aprés, avoir affirmé: “Le chant jaillit de source innée, antérieur a un concept,” Mallarmé en revient a se donner des limites: “armature intellectuelle dus oeme” qui est moins dans l'arrangement des mots (les rimes ou les rythmes} que dans l'espace qui les isole. “Signicatif silence qu'il n'est pas moins beau de composer, que les vers.” ‘On comprend, j‘espére, que sije parle de contradictions, c’est pour mieux en éprouver la nécessité. Le pur jallissement de source. Et cependant les calculs qui n’agissent qu’en se dérobant. Ou armature intellectuelle qui se compose (espace, blanc, silence), done travail et maitrise. Et cependant quelle foudre d’instinct renfermer, simplement la vie, vierge, en sa synthese et illuminant tout. Innée et se donnant des régles, antéricure a tout principe et simplement la vie, vierge. Contradictions sans conciliation: il ne sagit pas de dialectique. 2. Citations empruntées aux "Ecrits sur le live” (ditions de Véclat. MAURICE BLANCHOT — 7 Et/‘ajouterai pour balbutier une réponse a votre question sur ’écriture et Véthique: libre mais servante, face & autru. Enigme que tout cela? Oui, énigme comme l’évoque la parole de Holderlin: Enigme est le pur jaillissement de ce qui jaillt Profondeur qui tout ébranle, Ia venue du jour, Et pardon encore pour cette lettre terminée si abruptement, comme s'il n'y avait plus rien a dire que s‘excuser, sans se mettre hors de cause. ‘Maurice Blanchot

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