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« Morocco ,, c'est Marlène à la démarche désabusée abandonnant tout pour suivrel'hommequ'el/eaime.

MO ROCCO chérie. La blonde fraulein accéda à ses


prières. Une voiture du studio, avec chauf-
A2-23.15 feur, la mena jusqu'à la clinique privée. Elle
entra dans la chambre du nabab, remonta
VENDREDI 20 sa jupe, dit quelques mots, et repartit.
C'était l'époque où Marlène n'avait pas
honte de convoquer Dietrich pour faire sa
charité.
Car elle s'est rebellée, depuis, contre la
provocante utilisation de son sex-appeal.
Elle a clamé que les regards chavirés qui

LA FEMME accueillaient ses déshabillés canailles lui


inspiraient « le plus profond dégoût ».
Dans ses prudes Mémoires, où elle s' ap-
plique à « dissiper de nombreux mo/enten-

ET LES PANTINS
Magdalena, une petite Allemande boulotte, s'escrime sur son violon.
dus me concernant », et s'attarde sur sa
conduite hérorque pendant la guerre, elle
s'insurge contre ce culte abusif voué à ses
jambes : « A la ledure du scénario de Dé-
siré d 'Ernst Lubitsch, ie Fut horrifiée : le film
Joseph Von Sternberg en fait une femme fatale: Marlène Dietrich est commençait par un gros plon sur mes
née. Les jambes les plus sublimes du cinéma vont enfin se montrer. iambes, touiours mes iambes ! Mois elles
n'ont iomois eu qu'une fondion utilitaire
'est Cocteau qui avait tout deux profils : celui de la complaisante nou- pour moi : elles me permettent de mor-

C
compris. « Votre nom, disait- nou mitonnant le goulash aux amis, et celui cher.»
il, débute por une caresse et de l'impossible tigresse dansant le charles- La ménagère popotte feint d'avoir oublié
s'achève par un coup de cra- ton à demi nue dans un bouge. A u moins que dans les « o ne waman show » qu'elle
vache. Vous portez des une fois, tout de même. Son producteur, un mit elle-même en scène sur les scènes les
plumes et des fourrures qui certain comte Sascha Kolowrat, était plus chics du monde, elle n'envoûtait pas
semblent appartenir à votre corps comme tombé si gravement amoureux d'elle qu'il seulement a vec sa voix rauque et son
les Fourrures des fauves et les plumes des sombra dans une dépression profonde phrasé troublant. Ses robes moulantes ou
oiseaux. » Marlène est une généreuse · quand il fut éconduit. Le malheureux était si fendues jusqu'à la hanche n'étaient-elles
dame de cœur et Dietrich une insolente atteint qu'il en chopa un cancer. Il maigrit conçues q ue pour lui permettre de marcher
femme fatale. de cent trente kilos en six mois. Et exprima droit?
Rarement la star, cette vamp-Joconde, sur son lit de mort le désir de contempler Le phénomène est bien connu. Combien
cet ange vénéneux, aura juxtaposé ses une dernière fois les jambes de sa vedette d'anciennes danseuses se drapent dans

90 11LtRAMA N • 2074 - 11 OCTOBRE 1989


les protestations d'une pudeur outragée sans joie regorgent de travestis, les théâtres plus divers, elle se soucie surtout de jouer la
après avoir savamment cultivé l'art de l'ef- de revues ambiguës. femme et le pantin, indomptable et sulfu-
feuillage !Avec un rien de na"1veté, on pour- Là, Marlène (qui a plongé dans l'art dra- reuse. Celle dont Hitler a voulut faire sa
rait aussi tomber dans le panneau. Décrire matique « avec mon innocence coutu- maîtresse (alors qu'elle était farouchement
la pure jeune fille d'officier du début du mière » !) s'en donne à corps joie. Elle antinazie) n'envisagea-t-elle pas d'épou-
siècle, auréolée de dentelles neigeuses, fai- arbore monocle et boa, parade sans sous ser Luchino Visconti ?
sant des rêves de virtuose en peinant sur vêtements (« Je vais être une grande star, Et, ne lui en déplaise, ce sont ses jambes
son violon (« Bach, Bach, Bach, encore et ettrès vite »), aguiche les miroirs et envoûte qui ensorcelèrent cinéastes et spectateurs.
touiours Bach. Huit heures d'exercices par habillée en homme, chemise de soie Elle eut beau, lors des auditions pour
iour. »)Une gretchen un peu boulotte pro- ouverte. Elle danse le tango avec l'épouse L'Ange bleu, « arpenter la pièce avec une
jettent de se « marier, acheter une ferme, et d'un notable, fréquente les hommes mollesse bovine », ou, en arrivant à Holly-
élever des poulets », qui tricote des vête- habillés en femmes, même les nanas bava- wood, refuser d'abandonner le port du
ments pour les soldats en fredonnant des roises aux allures masculines. C'est pantalon, elle ne put se débarrasser de cet
airs patriotiques, et qui rafale de gâteaux à l'époque où la sexualité est omniprésente atout majeur : le public voulait voir ses
la crème. dans un art expressionniste en diable. Klimt jambes. Morocco (Cœurs brûlés}, c'est
On pourrait déplorer que, contrainte peint ses ondines sur fonds de mosaïques Marlène à la démarche désabusée, et le
d 'abandonner la musique à la suite d'une d 'or et d'azur, Schiele dénude ses modèles final où elle abandonne ses talons aiguille
déchirure de ligament de la main gauche jusqu'à l'obscénité. Le cinéma ne fera dans le sable du désert pour suivre
(sacré Bach !), la brave Magdalena soit qu'exploiter, jusqu'au mythe, ce folklore l' homme qu'elle aime, les longs voiles de sa
devenue la proie d'un cynique Pygmalion, d'érotisme ambivalent. robe de cocktail battus par le vent. Oisho-
Josef Von Sternberg, qui la transforme en De L'Ange bleu, où elle s'assied à cali- nored (X 27), c'est Marlène aux jambes
tentatrice. On pourrait même appeler à la fourchon sur un tabouret, jambes écartées, gainées de bas noirs arpentant un trottoir
rescousse le bonhomme Jean Renoir, plus exhibant sa culotte à dentelles, à Kismet, où de Vienne, Marlène déguisée en paysanne
attiré par les femmes bien en chair, qui se elle effectue une danse spectaculaire, vêtue russe et qui dénude ses genoux, Marlène
lamenta : << Elle me fait mal, parce que ie d 'ornements clinquants, de pierreries en mini jupe lamé, ou en grenadier à pail-
pense à toutes les privations que cette Alle- lettes, surcharge vestimentaire qui ne
mande potelée a dû s'imposer pour Ce sont ses iambes dévoile que deux jambes d 'albâtre, Mar-
acquérir le physique réglementaire. Elle lène enfin, face au peloton d'exécution,
serait tellement charmante en mère de qui ensorcèlent remontant son bas et retouchant son rouge
famille donnant à fêter à une dizaine d'en-
fants. Que le cinéma l'ait trans formée en un cinéastes, à lèvres.
Jambes provocantes et ornements. L'art
paquet d'os, voilà qui est impardon-
nable.»
produdeurs de la séduction consiste ici à dissimuler bru-
talement ce que l'on a impassiblement jeté
Marlène, donc, si bonne mère et femme- et spedateurs. en pâture aux désirs. Dans Shanghaï
enfant, ménagère dévoyée, fausse andro- Express, M arlène est habillée jusqu'aux
gyne, victime du fantasme païen de ses chevilles, dans Blonde Vénus, elle jaillit de la
cinéastes : ce serait touchant, mais pas luxueuses et les jambes peintes en or. peau d'un gorille, passe de la fourrure au
exact. Cette sensualité teintée d 'ironie, cette Fume cigarettes et œil cerné de mascara, . satin. Dans L'Impératrice rouge, elle croule
élégance léthargique, œil coquin et bouche talons hauts et lèvres cramoisies, cuisses en sous l'hermine et les toques de hussard,
dédaigneuse, Sternberg ne l'a pas inven- jarretières et guêpière résille, Marlène dans La Femme et le pantin sous les man-
tée. Même si elle rechigna à jouer L'Ange brouille les cartes. Le surréaliste Philippe tilles et robes andalouses... Puis, du Jardin
bleu, effarée de << faire la pute » (<< Qu'est- Soupault note en 1931 combien cette arro- d'Allah à La Maison des sept péchés,
ce que va dire ma mère? »). La vérité c'est gante qui s'offre froidement pour mieux se triomphe du drapé colonial, du sombrero
qu'elle adore jouer un double rôle, à la fois refuser incarne « la fin d'une civilisation. Elle cow-boy, du costume clinquant de l'entraî-
rusée et fragile, émancipée et conserva- a, écrit-il, démodé les conventions qui neuse à mitaines gaufrées.
trice. Ce que Sternberg avait parfaitement régissaient les rapports des femmes et des En fin de compte, que cette femme, las-
saisi, qui lui donna dans Blonde Vénus la hommes », elle abandonne les falbalas sée des maquillages et des trompe-l'œil, ait
possibilité d'être en même temps une affec- d 'une « coquetterie périmée », elle « tra- décidé de ne se consacrer qu'à ce qu'elle
tueuse maman et une fascinante chanteuse duit notre angoisse, parce que nous devi- juge authentique : ses élans d'affection,
de cabaret. nons qu'une époque, la nôtre, va finir. » pourquoi pas ! Reste qu'elle a dit un jour un
Marlène aime se déguiser. On la verra, Mais être un symbole, une statue de truc tout à fait déroutant : « La beauté vient
en 47, chez sa fille à New York, se faire pas- marbre, une icône érotique fantomatique et de l'intérieur. Ça semble horrible mais c'est
ser auprès des voisins pour la femme de baroque lui importe-t-elle ? Sophistiquée, vrai. » Vrai, personne n'en doute. Mais
c~ambre, fichu sur la tête à frotter les par- apathique jusqu'à attirer les fantasmes les pourquoi horrible ? e JEAN-LUC DOUIN
quets. Puis plus tard, en nurse, promenant
ses petits enfants dans Central Park. Dans
les soirées, elle se costume en « Léda et le
cygne », ou en queue de pie et haut de L'ADAMA présente
forme noir. Invitée par Alec Guiness pour
un dîner décontracté, improvisé dans la
Le SAM 89
cuisine, cette grande fille to ute simple
débarque en di.Jffle-coat... doublé de visan.
1er SALON AQUITAIN DES MUSIQUES
M ais son destin se joue dans le Berlin des
années 20, là où Louise Brooks a montré la
20 au 23 OCTOBRE
voie en mourant dans les bras de Jack HANGAR 5- BORDEAUX PORT
l'Eventreur. Ambiance fiévreuse où les gue-
nilles de L'Opéra de quat'sous côtoient les le• CONCOURS INTERNATIONAL DE COMPOSITION MUSICALE
smo kings et monocles d'une intelligentsia CONTEMPORAINE EN AQUITAINE
en plein désarroi. Bals masqués, cabarets
enfumés. Hystéries d'une société en
décomposition qui combat son désarroi en ffj_ Wa .
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attisant le feu des désirs obscurs. Les rues

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