Liberez Vos Points Forts ! - Antoine Carpentier

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Mise en page : Nord Compo

© Dunod, 2021

11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff


www.dunod.com

ISBN : 978-2-10-083015-2
Sommaire

Couverture

Page de Copyright

Introduction

Chapitre 1 ■ Point fort/point faible :


de quoi parle-t-on exactement ?

Chapitre 2 ■ Améliorer ses points faibles :


un (mauvais) réflexe persistant

Chapitre 3 ■ Miser sur ses points forts :


le pari gagnant !

Chapitre 4 ■ La stratégie des points forts :


mode d'emploi

Conclusion

Annexes : outils et questionnaires


Introduction

« Notre grande erreur est d’essayer d’obtenir


de chacun en particulier les vertus qu’il
n’a pas, et de négliger de cultiver celles qu’il
possède. »
Marguerite Yourcenar

« Quand j’étais petit, j’adorais le cirque, et ce que j’aimais par-


dessus tout, au cirque, c’était les animaux. L’éléphant en particulier
me fascinait ; comme je l’appris par la suite, c’était l’animal préféré
de tous les enfants. Pendant son numéro, l’énorme bête exhibait un
poids, une taille et une force extraordinaires…
Mais tout de suite après et jusqu’à la représentation suivante,
l’éléphant restait toujours attaché à un petit pieu fiché en terre, par
une chaîne qui retenait une de ses pattes prisonnière.
Ce pieu n’était qu’un minuscule morceau de bois à peine enfoncé de
quelques centimètres dans le sol. Et bien que la chaîne fût épaisse
et résistante, il me semblait évident qu’un animal capable de
déraciner un arbre devrait facilement pouvoir se libérer et s’en aller.
Le mystère restait entier à mes yeux.
Alors, qu’est-ce qui le retient ? Pourquoi ne s’échappe-t-il pas ? À 5
ou 6 ans, j’avais encore une confiance absolue dans la science des
adultes. J’interrogeai donc un maître, un père et un oncle sur le
mystère du pachyderme. L’un d’eux m’expliqua que l’éléphant ne
s’échappait pas parce qu’il était dressé.
Je posais alors la question qui tombe sous le sens :
« S’il est dressé, pourquoi l’enchaîne-t-on ? »
Je ne me rappelle pas qu’on m’ait fait une réponse cohérente…
Le temps passant, j’oubliai le mystère de l’éléphant et de son pieu,
ne m’en souvenant que lorsque je rencontrais d’autres personnes
qui un jour, elles aussi, s’étaient posé la même question.
Il y a quelques années, j’eus la chance de tomber sur quelqu’un
d’assez savant pour connaître la réponse :
« L’éléphant du cirque ne se détache pas parce que, dès tout petit, il
a été attaché à un pieu semblable. »
Je fermai les yeux et j’imaginai l’éléphant nouveau-né sans défense,
attaché à ce piquet. Je suis sûr qu’à ce moment l’éléphanteau a
poussé, tiré et transpiré pour essayer de se libérer, mais que, le
piquet étant trop solide pour lui, il n’y est pas arrivé malgré tous ses
efforts.
Je l’imaginai qui s’endormait épuisé et, le lendemain, essayait à
nouveau, et le surlendemain… et les jours suivants… jusqu’à ce
qu’un jour, un jour terrible pour son histoire, l’animal finisse par
accepter son impuissance et se résigner à son sort.
Cet énorme et puissant pachyderme que nous voyons au cirque ne
s’échappe pas, le pauvre, parce qu’il croit en être incapable.
Il garde le souvenir gravé de l’impuissance qui fut la sienne après sa
naissance. Et le pire, c’est que jamais il n’a tenté d’éprouver à
nouveau sa force. »
Extrait du livre : Laisse-moi te raconter… les chemins de la vie,
Jorge Bucay, XO Editions, 2004.

Comme l’écrit joliment par ailleurs l’auteur de ces lignes, « les


contes aident les enfants à s’endormir et les adultes à s’éveiller ! »
En lisant celui-ci, il y a plusieurs années maintenant, j’ai souri,
comme vous peut-être : je me suis en partie reconnu dans cet
éléphant si bien retenu par ce pieu pourtant dérisoire. Nous avons
tous en nous un peu de cet éléphant enchaîné, tellement conscient
de ses faiblesses qu’il n’a depuis, jamais pris confiance en ses
forces.
Car ainsi est la mare culturelle dans laquelle nous avons trempé et
dans laquelle aujourd’hui nous continuons à baigner nos
éléphanteaux : elle est faite d’une eau trouble qui place la correction
des défauts bien avant le développement des forces, qui valorise le
doute plus que la confiance en soi, qui prône l’amélioration des
points faibles comme seule voie de succès.
Dès l’enfance, à la maison parfois, à l’école très souvent, dans les
activités sportives ou artistiques que nous pratiquions, les adultes
nous ont avant tout fait prendre conscience de nos manques, de nos
défauts, de nos limites, plus qu’ils ne nous ont aidé à prendre
confiance dans nos qualités, nos talents, nos points forts.
Plus tard, les managers de tout bord, quel que soit l’univers
professionnel dans lequel nous avons évolué, ont creusé la même
veine, pointant soigneusement nos points faibles dans le support
d’entretien annuel, avant de nous envoyer en formation ou de nous
adjoindre l’aide d’un coach pour les améliorer…
Je ne doute évidemment pas de leur bonne intention :
tous pensaient nous aider à progresser, à grandir, à devenir meilleur,
à réussir dans ce que nous entreprenions…
Ce que je remets en question, c’est le plan d’action : pour utiliser
une image simpliste mais parlante, mettre l’accent sur la correction
des faiblesses, revient à appuyer sur le frein d’une voiture pour la
faire avancer !
À force d’être confrontés à nos faiblesses, nous avons appris le
doute.
Dans le doute, et malgré lui, nous avons travaillé, progressé parfois,
réussi rarement. Nous avons souffert, stressé et souvent échoué.
Les difficultés, les erreurs, les déconvenues ont accrédité l’idée que
« décidément, nous n’étions pas doué pour ceci ou pour cela… »,
nous poussant peut-être même à renoncer à telle ou telle activité.
Ainsi était planté le piquet, petit et pourtant solide, qui, des années
plus tard, pouvait encore nous empêcher d’avancer, dans certaines
situations ou certains domaines spécifiques, parfois dans notre vie
plus largement.
Plus forte devient la conscience de nos faiblesses, plus faible
devient la confiance dans nos forces. Debout sur les freins, la voiture
est à l’arrêt. Il y a bien un moteur – nos aptitudes naturelles n’ont
pas disparu – mais sans le carburant qu’est la confiance en soi, la
mécanique ne tourne plus rond.
Pour tracer la route, il faut au contraire lâcher les freins et faire
confiance à la force d’entraînement du moteur. Mieux encore : en
connaître plus précisément le fonctionnement, apprendre à
l’entretenir et à en développer la puissance.

Ce livre est une invitation à poser un autre regard sur nous-mêmes


et sur les autres, en particulier sur ceux que nous avons la
responsabilité de faire grandir : nos proches, nos enfants, nos
élèves, nos collaborateurs.
La culture nous a conformés à l’idée de devoir travailler (ou faire
travailler) en priorité les points faibles. Je vous propose, dans les
chapitres qui suivent, de comprendre le faible niveau d’efficience de
cette injonction et pire, des risques qu’elle induit. Je voudrais vous
montrer pourquoi, à l’inverse, la logique consistant à développer ses
points forts et s’appuyer sur ses qualités, est une voie de progrès et
de succès plus pertinente.
Surtout, j’aimerais ouvrir quelques pistes pratiques vous permettant
de déployer cette approche dans différentes situations, à la fois pour
soi, à la fois dans l’accompagnement d’un tiers.
Cessons d’appuyer sur les faiblesses, prenons la mesure de ce que
nos forces peuvent nous permettre de faire et de réussir : libérons
enfin les point forts… et les éléphants !
Chapitre 1

Point fort/point faible : de quoi


parle-t-on exactement ?

Avant d’ouvrir le débat du meilleur chemin, il me parait important


de préciser quelques définitions. Je le disais, dans l’introduction, en
filant la métaphore pachydermique : la mare culturelle dans laquelle
nous baignons est d’une eau trouble qui place la correction des
défauts bien avant le développement des forces. Si l’eau est trouble,
c’est sans doute parce que s’y trouve mélangées différentes
notions se rapportant aux points forts/points faibles : les domaines
dans lesquels on réussit (ou pas), les qualités intrinsèques que nous
possédons (ou les défauts), le talent, l’inné, l’acquis, etc…
Pour tenter d’y voir un peu plus clair dans la mare aux éléphants,
commençons donc par faire le tri !

La confusion entre « quoi » et « comment »


Dans les conversations courantes, il est fréquent d’employer le
terme de « point fort » aussi bien pour désigner une qualité ou une
aptitude personnelles que pour évoquer un domaine, une activité ou
une situation dans lesquels nous réussissons avec facilité
(et inversement bien sûr pour le terme de point faible).
La même expression dit à la fois ce que je suis et ce que je sais
bien faire. Se confondent ainsi le « comment » je réussis et le
« quoi » je réussis : les aptitudes que je possède et les champs dans
lesquelles celles-ci me permettent d’exceller. Risquent donc de se
mélanger : l’intrinsèque, les qualités ou aptitudes spécifiques qui
définissent la personne, et l’extrinsèque, c’est-à-dire les domaines
d’expression de ces caractéristiques intrinsèques.
Ainsi, on dit souvent d’un enfant qu’il possède un très bon sens de
l’observation – c’est son point fort – mais aussi qu’il fait d’incroyables
construction en Lego – ce serait aussi un point fort.
On parle des points forts d’un élève à l’école, en pointant de la
même manière ses excellentes capacités d’abstraction et ses bons
résultats en maths. Et on dit que ses points faibles sont une difficulté
à s’exprimer oralement comme le serait aussi le français, matière
dans laquelle il ne brille pas !
Ce même mélange s’entend dans la description des points forts
du sportif. Les qualités de caractère de Nadal ou son endurance
physique sont mises au même plan que l’efficacité de son coup droit
lifté.
Le monde de l’entreprise et du management n’échappe pas non
plus à cette confusion entre qualités intrinsèques et activités
extrinsèques. Être capable de prendre du recul et de mettre les
choses en perspective est décrit autant comme un point fort que le
fait de bien parler anglais. Comme d’ailleurs manquer d’assurance et
mal maîtriser Microsoft Excel sont appelés points faibles.
Pour éviter cette confusion, il me parait nécessaire de s’en tenir à
une définition précise et restrictive de la notion de point
fort : « aptitude particulière à faire quelque chose » dit simplement le
premier dictionnaire venu, « capacité à ressentir, à penser et à se
comporter d’une manière appropriée pour atteindre des objectifs que
l’on valorise » selon Linley & Harrington1.
Retenir cette définition permet de recentrer le point fort (et donc le
point faible par effet miroir) dans la dimension intrinsèque de
l’individu. Le point fort désigne donc bien le « comment » dont se
sert plus spontanément une personne pour réaliser bien telle ou telle
activité (que l’on pourrait appeler le « quoi »). Cette distinction est
importante non pas seulement du point de vue sémantique mais
parce qu’elle oriente fondamentalement le raisonnement, je vais y
revenir.
Précisons avant cela qu’il y a bien sûr un lien entre le « quoi »
et le « comment », ce qui explique la fréquente confusion de ces
deux aspects. Lorsqu’une activité bien maîtrisée (les maths, parler
anglais, un bon coup droit…) est improprement appelée
« point fort », c’est souvent parce qu’on se contente d’évoquer
la conséquence observable du « vrai » point fort. Le « quoi »
représente ainsi un point d’entrée facile pour qui chercherait à
identifier ses forces, comme nous le verrons dans un prochain
chapitre : ce qu’on fait facilement, avec plaisir, sans effort et souvent
avec un résultat satisfaisant donne accès à la notion stricte de point
fort.
On pourrait ici utiliser l’image de l’artichaut, le « seul plat que
quand t’as fini de manger, t’en as plus dans ton assiette que quand
tu as commencé ! » disait Coluche. Comme l’artichaut, le point fort
se mérite : le meilleur est le cœur, mais le cœur ne se découvre
qu’une fois enlevé tout ce qui le cache (en annexe, vous trouverez
un questionnaire « Effeuillez l’artichaut » pour vous guider dans
l’identification de vos points forts). En l’occurrence, nous pourrions
dire ici que les domaines dans lesquels les qualités intrinsèques de
l’individu s’expriment (le « quoi »), cachent le point fort-cœur (le
« comment »).
Trouver quelles aptitudes constituent les forces de l’individu
implique d’aller au-delà de l’observable et donc de connaître
suffisamment la personne et les mécanismes de l’activité qu’elle
maîtrise pour identifier « comment » elle y réussit.
Cette exigence s’illustre bien dans le domaine sportif : percer les
secrets de fonctionnement d’un footballeur (ses qualités de
perception, d’équilibre, de vitesse, etc…) exige de solides
compétences techniques (en football bien sûr, mais aussi et surtout
en physiologie, en bio-mécanique, etc…). C’est la raison pour
laquelle les commentateurs sportifs devraient encore longtemps
continuer à montrer les feuilles de l’artichaut en lieu et place des
« vrais » points forts !
L’enjeu de cette différenciation entre le « quoi » et le « comment »
dépasse évidemment le seul plaisir mesquin de tacler les
journalistes de foot : il permet aussi d’en finir avec la croyance selon
laquelle il existerait des points faibles qu’il faut quand même bien
corriger.

Le mythe des points faibles rédhibitoires


Différencier les qualités personnelles des champs favoris
d’expression de ces qualités, permet d’abord d’échapper à l’une des
rengaines favorites des tenants de la « bonne vieille » méthode
corrective : certains points faibles, prétendent-ils, sont rédhibitoires
et, à ce titre, il faudrait donc bien les travailler !
Ainsi en serait-il des lacunes de l’élève en français, de ce revers
chopé trop imprécis du tennisman, ou encore de cet anglais, trop
approximatif et pourtant indispensable à ce collaborateur ayant de
nombreux contacts avec l’étranger.
Il s’agirait là de points faibles rédhibitoires au vu de l’activité ou du
contexte sur lesquels, peut-on penser, on ne peut pas faire
l’impasse ! De fait, oui, nombreuses sont les situations qui imposent
la maîtrise de tel ou tel savoir-faire. Mais ne pas savoir faire ceci ou
cela ne constitue en rien un « point faible », seulement une
compétence à acquérir !
Il « faut » bien que l’élève travaille son français, que le tennisman
trouve plus de précision dans son revers et que le collaborateur en
question progresse en anglais !
Nul ne doute de notre parfaite conscience de ces manques :
répéter qu’il « faut » progresser dans ces domaines n’a que peu
d’intérêt. Si nous avions trouvé comment faire pour y exceller, nous
l’aurions déjà fait depuis longtemps !
Comment, voilà où se situe le cœur du vrai débat qui se pose ici.
S’il y a des « quoi » dans lesquels nous peinons à briller, ce n’est
pas parce que nous ignorons qu’il faudrait travailler – nous avons
déjà sans doute déjà beaucoup tenté de le faire – c’est parce que
nous n’avons pas trouvé « comment » le faire, ou plus précisément,
parce que le « comment » exige de nous des qualités que nous
n’avons pas.
S’intéresser au cas de cet élève qui peine à progresser en
français, amènerait sans doute à découvrir que son fonctionnement
cérébral lui rend cette matière plus difficile d’accès.
Peut-être aussi que les préférences motrices et cérébrales du
tennisman ne lui permettent pas d’accomplir facilement la gestuelle
qui lui a été enseignée pour exécuter son revers chopé.
Probablement enfin que le caractère naturellement introverti de ce
collaborateur lui a compliqué l’apprentissage de l’anglais : malgré les
séjours d’immersion en Angleterre, malgré sa connaissance de la
grammaire et du vocabulaire, il peine toujours à s’exprimer
correctement dans cette langue.
La question à se poser pourrait donc être formulée ainsi : quelles
sont les aptitudes que possèdent ces individus (et par opposition, les
qualités qu’ils n’ont pas ou qui, en tous cas sont moins facilement
accessibles pour eux) et qui expliquent qu’ils ont plus facilement
réussi dans tel domaine que dans tel autre ?
En ce sens, on comprend qu’un point faible n’est pas un domaine
qu’on ne maîtrise pas, mais plutôt une inadéquation entre le
« comment » je fonctionne (mes qualités, au sens de
« caractéristiques » neutres) et le « quoi » à investir.
Tout l’enjeu alors est d’en tirer la bonne conclusion : que peut-on
faire face à un tel constat d’inadéquation ?

« Tous les points forts mènent à Rome ! »


Différencier la notion de « comment » de celle du « quoi » débouche
en effet sur deux options : l’une qui considère qu’il existerait des
qualités indispensables pour réussir dans tel ou tel domaine, et
l’autre, qu’il serait au contraire possible d’accéder à toute activité
quelles que soient les qualités que l’on possède.
Ces deux conclusions ont à l’évidence des conséquences
radicalement différentes !

Peut-être que tu n’es tout simplement pas fait pour ça !


La première conclusion posera que l’individu n’est « pas fait pour
ça » : « Ce n’est pas comme ça que vous réussirez dans la vie,
élève Guy Degrenne », prophétisait l’instituteur dans la publicité
datée pour la marque éponyme, se lamentant des croquis de
fourchettes et de cuillères du prétendu cancre ! La sentence, que
Degrenne n’est pas le seul à avoir entendu, repose donc sur l’idée
qu’il existerait, dans la vie en général, dans une activité en particulier
a fortiori, des qualités absolues et absolument requises. Par
opposition, donc, on parlerait de défauts qui, là aussi, de façon
absolue, nous handicaperaient à coup sûr.
Nous pouvons deviner ici le confort d’une telle conclusion pour
le pédagogue : qu’on me donne des élèves bien câblés, je les
ferai réussir ! Implacable logique mise en œuvre par les lycées qui
affichent 100 % de réussite au bac au prix d’un écrémage
drastique les années précédentes.
Nous voyons aussi sans peine les dégâts causés par cette
conclusion : Guy Degrenne qui n’a pas d’autre choix que de
dessiner des couverts toute sa vie , et plus sérieusement tant
d’autres qui renoncent à ces réussites qu’on leur présente comme
inaccessibles pour eux.
Jo Boaler, professeure d’enseignement des mathématiques
à l’Université de Stanford, ne dit pas autre chose s’agissant de
son domaine d’expertise : « de nombreuses personnes à travers
le monde ont été vraiment endommagées par l’idée que vous êtes
né ou pas avec un cerveau mathématique […] et à chaque fois
qu’ils peinent à résoudre un sujet en maths, ils pensent
simplement : “Oh, je ne peux pas faire ça”… puis abandonnent. »
Dans la droite ligne de ce constat, Jo Baeler a contribué à
populariser la théorie de l’esprit de croissance, inventée par Carol
Dweck2. Selon cette dernière, professeure de psychologie de
Stanford, il existe deux catégories de personnes :
• Celles dotées d’un état d’esprit « fixe », qui pensent que les
aptitudes sont déterminées à la naissance et ne peuvent plus
ensuite être développées : celles-ci redoutent les challenges,
persévèrent rarement dans leurs efforts, n’acceptent pas les
critiques et vivent très mal la comparaison aux autres. Bref,
l’archétype de l’éléphant de cirque retenu par un fil…
• Celles animées de cet état d’esprit « de croissance », qui
pensent que leurs capacités ne sont pas bornées mais peuvent
au contraire se renforcer par le travail… et qui ne manquent
d’ailleurs pas de le faire.

Et bien sûr, cet état d’esprit ne serait pas lui-même déterminé


par la naissance (ce serait un comble !). Dans ses travaux, et au
travers également des expériences menées sur le terrain3, Dweck
note l’importance des messages contribuant à ancrer l’un ou
l’autre des paradigmes.
Qui n’a pas dit ou entendu :
« Notre fils n’a pas la bosse des maths, il tient de toi… »
« Moi et la musique ça fait deux. »
« Les langues ce n’est vraiment pas pour moi. »
Citons les introvertis qui à force d’entendre qu’ils sont timides,
resteront parfois terrifiés toute leur vie à la seule perspective de
devoir parler en public – et qui, bien souvent, font des choix non
pas tant à partir de leurs désirs, mais dans le but d’éviter au
maximum d’être confrontés à l’exercice de prise de parole ;
Et, inévitablement, on peut enfin penser à toutes ces qualités
physiques sans lesquelles il serait difficile, voire impossible, de
réussir dans tel ou tel sport, les nombreuses exceptions ne venant
bien sûr que confirmer la règle !
L’effet du « tu n’es pas fait pour ça… » est double. Il ferme
d’abord en quelque sorte l’accès à certaines activités, entraînant
choix et renoncements qui pourront malheureusement plus tard
nourrir frustrations et regrets. Il a également une incidence plus
diffuse sur la confiance en soi, dégradée par l’existence de ces
horribles « défauts » que l’individu tente de cacher
tant bien que mal.
Même si, bon gré mal gré, nous avons réussi à nous construire
sans dommage majeur, quelques croyances limitantes restent
néanmoins inscrites en nous – comme autant de petits pieux
pouvant parfois retenir l’éléphant malgré sa force.

Il n’y a pas de qualité ou de défaut absolus


On peut tirer de la dissociation « quoi » et « comment » une seconde
conclusion, laquelle me plait bien davantage par ses implications,
tout en me semblant également beaucoup plus juste que la
première.
Elle pose que la réussite tout court (ou dans un domaine
spécifique) ne tient pas tant à la nature des qualités que l’individu
possède ou pas.
Dit autrement, il n’y a pas de qualités absolues (qui
permettraient de tout réussir) pas plus qu’il n’existe de défauts
absolus (synonymes d’un échec certain quoiqu’on entreprenne).
Nos modes de fonctionnement propres, nos façons de percevoir
les choses, de les concevoir, de décider, d’agir, etc. sont en réalité
des caractéristiques neutres : c’est au regard d’un contexte, d’une
situation ou d’un plan d’action donnés que celles-ci peuvent
s’avérer être un atout ou au contraire un handicap.
Qu’il s’agisse de traits de caractère ou d’aptitudes physiques,
il existe à l’évidence des spécificités qui offrent un avantage dans
certaines activités, tout en se révélant inutiles voire
embarrassantes dans d’autres.
Pour illustrer très simplement le propos, il suffirait de comparer
les jockeys, qui tirent plutôt partie de leur petite taille et de leur
poids peu élevé, avec un rugbyman de troisième ligne ! L’un ne
vaut évidemment pas mieux que l’autre, mais ce qui est un point
fort pour l’un, dans son sport, ne l’est pas forcément dans la
discipline de l’autre. De la même façon, la créativité pourra
certainement être une qualité précieuse pour l’employé du pôle
création d’une agence de communication… peut-être un peu
moins pour un comptable (en tous cas dans sa mission de
comptable !).
Cet aspect relatif se conçoit aussi s’agissant d’une seule et
même personne, selon les activités ou les situations : ce qui
semble être un point fort ou un talent pour un individu dans un
contexte donné, peut très bien s’avérer être un point faible pour un
autre face à des enjeux différents.
La capacité à agir avec prudence sera une qualité dans un
contexte délicat et complexe… mais pourrait par exemple devenir
un point bloquant dans les cas d’urgence.
Inversement, les défauts reprochés à une personne se révèlent
parfois comme de précieuses qualités lorsque le contexte change.
C’est ce que suggèrent les nombreuses biographies de Winston
Churchill. Unanimement dépeint comme colérique, arrogant,
ironique et méchant, obstiné voire obsessionnel, l’invivable
personnalité a fait un redoutable chef de guerre durant la Seconde
Guerre Mondiale. Comme le disait avec humour sa femme : « il
est désagréable avec ses proches, il le sera plus encore avec
l’ennemi ! »
Un trait de caractère ne constitue donc jamais un point fort
absolument, mais bien en fonction du contexte dans lequel nous
en faisons usage. C’est ce qu’ont montré les travaux de deux
psychologues américains, Aspinwall et Staudinger, publiés en
20034 et qui invitent à dépasser la dichotomie positif/négatif. Le
mot « force » peut être trompeur (tout comme celui de
« faiblesse ») car il peut sous-entendre une notion d’universalité et
de supériorité. Une « force », dans le contexte qui nous intéresse
ici, ne recouvre qu’une aptitude dont l’individu est « fortement »
doté (ou à l’inverse une aptitude avec laquelle il est « faiblement »
capable d’agir).
Enfin, la dimension relative des points forts/points faibles
recouvre une notion d’intensité dans l’usage de la qualité. S’il est
bon de connaître ses points forts et de s’appuyer dessus pour agir
(je ne vais pas dire le contraire !), il faut admettre l’existence d’une
logique que nous appelons effet « toumeuche » dans notre petite
entreprise de conseil. Cet effet tire son nom de la prononciation
hasardeuse du « too much » anglais par un de nos anciens
collègues aujourd’hui rangé des voitures. Dans cette logique du
« trop », l’individu investit tellement la qualité en question, qu’en
situation, elle devient contre-productive pour lui, et souvent
agaçante pour les autres.
Le prudent réfléchit tellement avant d’oser avancer qu’il ne
décide jamais. L’exigeant devient si pointilleux sur les détails qu’il
n’en finit pas de reprocher aux autres chacune des erreurs ou des
imperfections de leur travail. Le créatif de l’agence de pub a
tellement laissé divaguer son imagination qu’il ne répond plus du
tout aux attentes du client…
Vous trouverez, en annexe, une petite grille des qualités et de
leur possible « toumeuche » : il est toujours intéressant de prendre
un peu de recul en identifiant les situations dans lesquelles il peut
nous arriver d’être un peu « trop ».
Comme en toute chose, l’excès n’étant jamais bon, nous
verrons dans les développements plus pratiques qui suivront,
comment tirer parti de ses points forts sans jamais tomber dans
cet effet « toumeuche ». Ce qu’il est cependant déjà facile de
constater, c’est que cette logique du « trop » s’apparente à une
espèce d’oubli du sens, comme si l’individu ne savait plus à quoi
sert la qualité qu’il possède. Elle ne sert plus que lui-même, son
habitude, sa réassurance, mais ne satisfait plus son objectif ou
celui qu’il partage avec les autres. Déconnecté de son but, le point
fort peut vite devenir une « sale manie », un point faible en
quelque sorte.
Voilà une des raisons qui explique l’importance qu’il y a de
travailler ses points forts : il ne s’agit pas seulement de les
« muscler » dans l’absolu pour seulement « jouer plus fort sur ses
points forts » (ce qui pourrait mener tout droit au « toumeuche »),
mais d’apprendre à mieux s’en servir, dans des activités ou des
contextes de plus en plus variés, et de façon plus précise, plus
appropriée, plus intelligente. Le point fort est un outil pour
l’individu, tout comme peut l’être le marteau pour un bricoleur :
celui qui veut planter un clou a plus intérêt à savoir se servir de
son marteau plutôt qu’à taper de toutes ses forces. L’enjeu n’est
pas la puissance brute, c’est la maîtrise de la force, son usage
juste, au bon moment, avec la bonne intensité :
« Ne forçons point notre talent ;
Nous ne ferions rien avec grâce. »
Jean de la Fontaine, Fables, « L’âne et le petit chien », 1668.

Tout dépend du chemin proposé


Considérer que point fort/point faible est une notion relative,
c’est affirmer que la réussite dans un domaine ne dépend donc pas
de la nature des qualités de la personne, mais bien davantage de la
cohérence entre ses ressources et la manière avec laquelle elle les
utilise dans le domaine en question.
Or, il est surprenant de constater que, dans beaucoup
d’activités, on ne nous enseigne bien souvent qu’un seul chemin
de succès présupposant qu’il serait accessible à tout le monde.
En sport, les enseignants exigent souvent la répétition de
séquences précises : le geste à reproduire et l’exercice à réaliser
sont les mêmes pour tous… comme si nous étions tous dotés des
mêmes préférences de fonctionnement motrices ou cérébrales.
Nous constatons très vite d’ailleurs que tel exercice aisé pour un
élève est au contraire difficile pour l’autre.
Une simple observation des champions les plus connus montre
pourtant aisément les différences gestuelles. Les coups droits de
Nadal, de Federer ou encore de Djokovic, leur attitude et leur
position sur le terrain en retour de service, par exemple, n’ont pas
grand-chose de commun. Ils n’ont pas réussi dans leur discipline
parce qu’ils reproduisent à la perfection des gestes universels,
mais bien parce qu’ils ont su au contraire construire un
« comment » sur-mesure, conçu pour tirer le meilleur parti de leurs
qualités respectives.
La même logique prévaut dans le monde de l’entreprise.
Le développement de l’efficacité commerciale par exemple incite
ainsi souvent les vendeurs à appliquer tous les mêmes méthodes
de vente. Beaucoup d’entre elles d’ailleurs ont été conçues sur la
base d’un profil de personnalité similaire, marqué par des qualités
d’extraversion, d’affirmation de soi, de capacité de conviction :
la part belle y est faite à l’argumentation, à la négociation, à la
pression du « closing » (signature de la vente)… Les vendeurs qui
possèdent ces traits de caractère s’approprient assez facilement
les méthodes en question. Mais ces dernières sont évidemment
inadaptées à ceux possédant plutôt des qualités d’écoute ou
d’empathie par exemple. Il n’est ainsi pas rare de voir ces
personnalités plus introverties en conclure qu’elles ne pourront
jamais exceller dans ce métier !
Or, l’expérience montre que ces dernières qualités peuvent au
contraire trouver à s’exprimer de façon particulièrement efficace
dans une activité commerciale. La condition est toujours la même :
permettre à ce vendeur de trouver le « comment » qui valorise et
utilise le mieux ses points forts. Il s’agira certainement de créer ou
favoriser dans ses contacts commerciaux, les situations de
relation informelle ou encore de favoriser une écoute posée et
attentive de son client.
Ce que ces exemples illustrent, c’est bien l’idée que toutes les
qualités sont bonnes pour réussir. Il n’y a pas une manière,
un plan, une méthode, un « comment » universels pour progresser
et exceller dans un domaine. Comme se plaisait à le répéter
Christian Lemoine5 : « tous les points forts mènent à Rome ! »
Encore faut-il emprunter le bon chemin, devrait-on donc ajouter.
Cette idée est d’abord synonyme de remise en cause
permanente pour le pédagogue, quel que soit bien sûr le domaine
dans lequel il œuvre : « si mes élèves n’apprennent pas comme je
leur enseigne, alors il faut que je leur enseigne comme ils
apprennent. », dit une belle phrase dont je n’ai pas retrouvé
l’auteur (qu’il me pardonne s’il se reconnait !).
Un étudiant extraverti qui aime l’exploration, les découvertes,
les rencontres apprendra sans doute facilement une langue
étrangère en partant s’immerger quelques mois dans le pays.
Mais que donnera cette méthode avec quelqu’un d’introverti, plus
réservé voire solitaire ?
Croire que « tous les points forts mènent à Rome » implique
également un approfondissement de la relation à l’autre
(pour comprendre comment il fonctionne), une compréhension fine
des mécanismes de fonctionnement humains (cérébraux,
moteurs, etc…), une maîtrise poussée aussi de la discipline
enseignée (capacité à jouer avec les « modèles » traditionnels).
Gérard Depardieu, dans le récit qu’il fait de ses débuts
d’acteur6, livre à cet égard de surprenantes confidences. Il
explique comment est née sa passion pour le théâtre, alors que
rien, dans les premières années de sa vie, ne le prédisposait à
développer un tel talent. Né à Châteauroux, d’un milieu très
modeste, Gérard Depardieu a rapidement quitté l’école, se
débrouillant très jeune entre petits boulots et trafics en tous
genres. C’est après s’être introduit par effraction dans le théâtre
de la ville, emmené par un ami qui rêve de faire de la scène, que
l’adolescent qu’il est assiste à une représentation de Dom Juan,
« fasciné par la langue, la musique des mots… ».
« C’est si étonnant, poursuit le futur acteur, que je m’achète la
pièce et que je prends plaisir à déclamer tout seul des morceaux.
Je ne comprends pas un mot sur cinq, mais j’entends clairement
la musique et je me souviens comme ça me plait à l’oreille, tout en
me troublant. On ne m’avait jamais dit que des mots pouvaient
jaillir une musique et c’est une découverte qui me plonge dans des
abîmes de réflexion. »
Sans référence culturelle pour appréhender pleinement les
premiers textes qu’il doit apprendre, sans en comprendre le sens
ni même tous les mots, Depardieu réussira pourtant à de faire
remarquer par Jean-Laurent Cochet, ancien pensionnaire de la
Comédie-Française et professeur de théâtre réputé.
Là où un autre professeur aurait sans doute renoncé à
s’occuper de cet ex-voyou bègue et inculte, Cochet décèle un
talent singulier : ce ne sont ni la maîtrise des mots, ni la capacité à
incarner un personnage, ni la technique de jeu qui distinguent cet
élève hors norme. C’est une présence à nulle autre pareille,
mélange d’un physique imposant « d’homme des bois »
(l’expression est de Depardieu lui-même) et d’une manière de
déclamer les textes en rythme et en musicalité, bien plus qu’en
s’attachant à leur sens.
L’influence des « tiers privilégiés »
Le récit que fait Depardieu de son parcours est révélateur : « Ça
s’est fait comme ça », résume-t-il dans le titre qu’il a donné à son
livre.
S’il y a bien une part de hasard dans son histoire, comme dans la
plupart de nos destins, elle serait certainement la part du hasard des
rencontres.
Depuis notre plus jeune âge, nous vivons généralement entourés
de tiers : nos parents bien sûr, la famille plus largement, puis un
défilé d’enseignants, éducateurs, professeurs, managers en charge
de notre éducation, ensuite notre conjoint, nos enfants, nos amis
aussi, et autour tous ceux que nous croisons.
Il existe bien sûr, avec certains d’entre eux, un lien affectif. Mais,
au-delà de la dimension affective, se crée aussi un autre type de
relation : de quelques-uns de ces tiers, que nous appelons « tiers
privilégiés »7, nous cherchons l’estime. Le regard de ces référents
est essentiel pour nous, à tel point que chacun des messages que
nous percevons venant d’eux, un peu comme au Scrabble,
« comptent double » ou « comptent triple », sans pour autant que les
tiers en question ne soient eux-mêmes bien conscients de leur
influence.
Ce ne sont pas tant les expériences que nous vivons (succès ou
échecs) qui nourrissent l’estime que nous avons de nous-mêmes,
que le regard posé par nos « tiers privilégiés » sur elles.
Qu’ils mettent le doigt sur nos points faibles, qu’ils les décrivent
comme des défauts absolus et structurels, qu’ils affirment qu’à
cause de cela, nous ne serions pas « faits pour ceci ou cela », et
nous en concevrons un doute fort en nous-mêmes, capable de nous
empêcher de réussir dans de nombreux domaines et dans la vie en
général.
Au contraire, qu’ils louent nos qualités, nous aident à les renforcer,
nous montrent « comment » grâce à ces points forts, réussir
n’importe « quoi », et nous développerons un niveau de confiance
élevé en nous-mêmes.
Comme je le soulignais déjà précédemment, nos modes de
fonctionnement, nos traits de caractère, nos façons de percevoir,
de concevoir, de décider ou d’agir sont en réalité neutres. Ils sont ce
qu’ils sont, et ne disent pas, en tant que tels, ce que nous pourrions
ou pas réussir, ni là où nous pourrions ou pas exceller.
C’est très souvent le regard d’un « tiers privilégié » qui leur donne
une tonalité et qui en fera pour nous, soit un point fort source de
confiance et de progrès, soit un point faible, synonyme souvent de
doute, d’angoisse et de blocage.
Dans le regard positif de ce tiers, nous percevons au moins deux
éléments : un chemin à suivre (dont la direction nous est donnée par
la qualité valorisée par ce tiers) et une croyance globale dans notre
capacité à réussir (ce tiers semble croire en nous plus que nous n’y
croyons nous-mêmes !).
L’exemple du parcours atypique et inattendu de Gérard Depardieu
met ainsi bien en lumière le rôle de tiers privilégié tenu par Jean-
Laurent Cochet (dans la vraie vie et non dans une pièce de théâtre).
À noter que ce même Cochet, récemment décédé8, aura, dans sa
carrière de professeur d’art dramatique, contribué ainsi à développer
les talents d’une impressionnante liste de comédiens, de
Fabrice Lucchini à Isabelle Huppert, de Richard Berry à
Daniel Auteuil.
Un autre célèbre professeur de théâtre synthétise brillamment la
mécanique à l’œuvre : « c’est à l’élève de travailler cette part de lui
qu’on a découverte ensemble et qui, portée à son comble, va en
faire un comédien remarquable, c’est-à-dire digne d’être remarqué »,
souligne Michel Bouquet.
Dans un autre registre, je vous laisse découvrir comment le
philosophe André Comte-Sponville, auteur notamment du Petit Traité
des Grandes Vertus résume la découverte de sa vocation, grâce à
un professeur de philo « exceptionnel » comme il le dit lui-même9 :
« Je viens d’une famille déchirée et assez déchirante. Mon père
était très dur. Pas violent, mais très dur psychologiquement. Ma
mère, elle, était dépressive. J’ai grandi dans le malheur de ma mère,
craignant toujours son suicide. J’étais donc un enfant grave de
tempérament. En terminale, je découvre la philo et là, je cartonne !
Moi, le gamin mélancolique, le gosse peu doué pour la vie, je me
découvre doué pour la philo. À partir de là, j’ai choisi de mettre ma
force de penser au service de ma faiblesse de vivre. »
Ajoutons le témoignage de Boris Cyrulnik10, évoquant les effets de
la relation enseignant-élève :
« Il ne faut jamais oublier que l’intelligence est incroyablement
plastique, qu’un mauvais élève peut devenir bon en l’espace de
quelques mois quand il est dans un milieu sécure. Or, plus un
système est rigide – et le nôtre l’est – moins il tient compte de cette
plasticité de l’intelligence.
[…] Nous avons en France de bons enseignants, motivés, bien
formés et désireux de bien faire leur métier. Mais peu ont conscience
de l’impact affectif qu’ils ont sur les enfants. Certains instituteurs,
professeurs de collège et de lycées, vont rassurer et réconforter les
enfants par leur façon d’être, leur manière de parler, leur attention à
reprendre autrement une explication mal comprise… Généralement,
ils ne s’en rendent pas compte. Un encouragement, une
appréciation de leur part qui seraient perçus comme des banalités
par des adultes, auront chez un gamin en recherche de sécurisation,
une valeur inestimable. Ce sera un événement émotionnel fort qui
participera à structurer sa personnalité. D’ailleurs, lorsqu’on évoque
avec des étudiants leurs motivations à suivre telle ou telle filière du
Supérieur, il y a presque toujours le souvenir d’un enseignant en
particulier. »
Ce n’est pas le cœur du sujet, mais nous pourrions multiplier les
illustrations11. Les innombrables biographies ou autobiographies
de personnalités historiques, politiques, artistiques ou encore
sportives recèlent de ces portraits de « tiers privilégiés » ayant eu un
rôle-clé dans ces parcours tous uniques : la prise de conscience
d’un talent, l’émergence de la confiance en soi construite sur telle ou
telle qualité, la croyance affirmée du potentiel que celle-ci offre,
le renforcement acharné de cette force, …
Si nos « tiers privilégiés » révèlent, valorisent ou augmentent nos
qualités, puis nous montrent comment les exploiter, rien ne précise
leur origine : ces qualités sont-elles inscrites en nous ou procèdent-
elles de notre environnement ? Sont-elles acquises et immuables ou
peut-on les développer et les faire évoluer ?

Nature contre culture


Le débat, est-il besoin de le préciser, dépasse de plusieurs années-
lumière la portée de ce livre ! Et de plus loin encore mes propres
compétences.
En matière de talents, les tenants de la « nature » s’opposent à
ceux de la « culture » depuis des générations.
Les premiers considèrent que nos points forts sont des
prédispositions inscrites dans nos gênes, que nous sommes ensuite
susceptibles ou pas d’utiliser et de développer au fil de nos
expériences. Il s’agirait donc pas d’une détermination absolue, mais
en d’autres termes d’un potentiel que les occasions de la vie
permettraient éventuellement de révéler. On pourrait aussi parler
d’inclinations, de penchants spontanés ou de qualités naturelles.
Cette conception se rapproche de la notion d’état d’esprit « fixe », tel
que le définit Carol Dweck.
À l’appui de cette vision des choses, on peut se référer aux
nombreuses études qui tentent d’identifier ce qui différencie les
surdoués, les virtuoses, les champions… du commun des mortels.
Depuis longtemps déjà, les scientifiques ont pesé, disséqué, analysé
le cerveau des génies, avant même que les techniques
d’investigation modernes n’existent.
Poids du cerveau, volume total, volume de matière blanche ou
grise, périmètre crânien… ont fait partie des premières mesures,
démontrant bien un niveau de corrélation finalement assez peu
élevé, comme le confirme l’une des dernières méta-analyse
menée12 : même si les personnes à haut niveau de QI ont bien, en
moyenne, un cerveau plus gros, sa taille ne suffit pas à déterminer le
niveau de QI. Quelques célèbres exceptions en attestent d’ailleurs :
Albert Einstein ou Anatole France, pour autant qu’on considère qu’ils
fassent bien partie du cercle des personnes « douées », ou celui
plus fermé encore des génies, possédaient, dit-on, un cerveau plus
petit que la moyenne.
Plus récemment, les technologies permettant d’explorer le
fonctionnement du cerveau (IRM…) ont apporté diverses pistes de
corrélation possibles, notamment entre QI et spécificités
cérébrales13 :
• Plus grande activation de régions préfrontales et pariétales
postérieures.
• Plus grande connectivité fonctionnelle et anatomique,
particulièrement entre les deux hémisphères.
• Trajectoire développementale plus tardive de l’épaisseur du
cortex dans un certain nombre de régions.
• Hippocampe de moindre volume (relativement au volume
cérébral total).

Ces études sont passionnantes et permettent de mettre à jour des


aspects jusqu’ici inconnus de ce fabuleux organe qu’est notre
cerveau. Mais en dépit des corrélations qu’elles pointent, elles ne
peuvent en conclure que nos talents sont déterminés et bornés de
nature.
Les seconds, tenants donc du développement « culturel » de nos
aptitudes, affirment au contraire que celles-ci sont uniquement le
fruit de notre environnement, de notre éducation, de nos
apprentissages ou encore de notre travail. Notre patrimoine
génétique n’aurait que peu d’influence sur nos capacités à
apprendre, progresser et réussir dans n’importe quel domaine que
ce soit. Ainsi, nous pourrions, tout au long de notre vie, continuer de
les développer. On retrouve ici le paradigme qui fonde l’état d’esprit
« de croissance » cher à Carol Dweck.
À ce propos, le livre de Daniel Coyle, « Le Talent Code : on ne nait
pas talentueux, on le devient » (Editions Alisio, février 2020) apporte
des illustrations et une thèse intéressantes. L’auteur prolonge et
complète la théorie des 10 000 heures d’Anders Ericsson, rendue
populaire par Malcolm Gladwell en 200814.
S’appuyant sur ses propres travaux de recherches et sur des
études neuroscientifiques, Coyle met en lumière le rôle de la myéline
dans le mécanisme d’apprentissage. Selon lui « toutes les aptitudes
humaines, que ce soit jouer au baseball ou jouer du Bach, sont
créées par des chaînes de fibres nerveuses acheminant de
minuscules impulsions électriques – c’est-à-dire un signal qui
parcourt un circuit. La myéline a pour rôle vital d’envelopper ces
fibres nerveuses, à la manière de la gaine en caoutchouc qui
enveloppe un fil de cuivre, ce qui permet d’éviter les déperditions
d’impulsions électriques, et de rendre le signal à la fois plus fort et
plus rapide […]. Lorsque nous activons nos circuits correctement –
en nous entraînant à faire le bon mouvement de la batte ou à jouer
correctement une note – la myéline réagit en enveloppant des
couches d’isolant autour de ce circuit neuronal. Chaque nouvelle
couche correspond à une amélioration de la compétence et de la
vitesse. Plus la myéline devient épaisse, mieux elle est isolée, et
plus nos mouvements et nos pensées deviennent rapides et
précis. »
Ainsi Coyle défend l’idée que notre cerveau n’est pas pré-
programmé pour tel ou tel talent, mais capable en réalité, à force
d’entraînement, de créer une sorte de « réseau haut débit » sur-
mesure, dédié à n’importe quelle activité.
Bien d’autres études tendent ces dernières années à mettre en
lumière la plasticité de notre cerveau.
La neurobiologiste Catherine Vidal, directrice de recherche à
l’Institut Pasteur, résume ainsi les dernières avancées15 : « une des
découvertes les plus étonnantes est la capacité d’adaptation du
cerveau aux événements de la vie. Au cours des apprentissages et
des expériences, c’est la structure même du cerveau qui se modifie,
avec la fabrication de nouvelles connexions entre les neurones. On
parle de « plasticité cérébrale » pour décrire cette capacité du
cerveau à se façonner au gré de l’histoire vécue. Rien n’est jamais
figé dans nos neurones, quels que soient les âges de la vie. C’est
une véritable révolution pour la compréhension de l’humain. Les
anciennes théories qui prétendaient que tout était joué très tôt, avant
6 ans, sont révolues. Notre vision du cerveau est désormais celle
d’un organe dynamique qui évolue tout au long de la vie. »
Catherine Vidal précise : « quand le nouveau-né voit le jour, son
cerveau compte cent milliards de neurones, qui cessent alors de se
multiplier. Mais la fabrication du cerveau est loin d’être terminée, car
les connexions entre les neurones, ou synapses, commencent à
peine à se former : seulement 10 % d’entre elles sont présentes à la
naissance ; les 90 % restants se construiront plus tard. »
Par exemple, s’agissant du cerveau des musiciens, des études
ont pu montrer des modifications du cortex cérébral liées à la
pratique intensive de leur instrument depuis l’enfance (Gaser, 2003).
Des expériences ont été réalisées chez des pianistes professionnels
qui en moyenne avaient commencé le piano à l’âge de 6 ans.
Les images IRM ont révélé un épaississement du cortex cérébral
dans les zones dédiées à la motricité des mains et à l’audition.
Ce phénomène est dû à la fabrication de connexions
supplémentaires entre les neurones. Un point fondamental de cette
étude est que les modifications cérébrales sont proportionnelles au
temps consacré à la pratique du piano pendant la petite enfance. Ce
résultat montre l’impact majeur de l’apprentissage sur la construction
du cerveau des enfants, dont les capacités de plasticité sont
particulièrement prononcées.
La plasticité cérébrale est à l’œuvre également pendant la vie
d’adulte. Une étude par IRM réalisée chez des chauffeurs de taxi a
montré que les zones du cerveau qui contrôlent la représentation de
l’espace sont plus développées, et ce proportionnellement au
nombre d’années d’expérience de la conduite du taxi (Maguire,
2000). L’apprentissage de notions abstraites peut aussi entraîner
des modifications cérébrales. Chez des mathématiciens
professionnels, on a observé un épaississement des régions
impliquées dans le calcul et la représentation visuelle et spatiale
(Aydin, 2007). Un autre exemple éloquent de plasticité cérébrale a
été décrit chez des sujets qui apprennent à jongler avec trois balles
(Draganski, 2006). Après trois mois de pratique, l’IRM montre un
épaississement des régions spécialisées dans la vision et la
coordination des mouvements des bras et des mains. Et si
l’entraînement cesse, les zones précédemment épaissies
rétrécissent. Ainsi, la plasticité cérébrale se traduit non seulement
par la mobilisation accrue de régions du cortex pour assurer une
nouvelle fonction, mais aussi par des capacités de réversibilité
quand la fonction n’est plus sollicitée.
Alors ? Qui dit vrai, qui dit faux ?
Sommes-nous seulement les héritiers d’un patrimoine génétique
qui détermine nos capacités, nous attribue des talents et au
contraire nous limite sur d’autres aspects ? Ou avons-nous au
contraire la chance de disposer d’une « machine » évolutive,
configurable et reconfigurable, aux capacités potentiellement
infinies ?
L’extraordinaire avancée des recherches neuroscientifiques parait
attester de l’existence de cette « plasticité cérébrale » décrite par
Catherine Vidal dans l’article cité ci-dessus.
Mais mon point de vue n’est évidemment pas celui de
la recherche de la vérité : laissons aux scientifiques cette ambitieuse
mission. C’est plutôt une conviction que j’aimerais partager. Peu
importe au fond, à mon sens, de savoir quelle est la vérité : l’enjeu
est de déterminer à quel principe se tenir pour orienter le plus
efficacement possible nos actes et nos comportements.
En l’occurrence, partir du principe qu’il y aurait un potentiel
déterminé – donc par opposition des points « naturellement »
faibles – comporte un risque évident : celui d’accréditer l’idée de
limites dans le développement. Comment, à la moindre difficulté ou
stagnation, ne pas être alors tenté d’en conclure trop hâtivement que
ces limites « naturelles » sont atteintes ? Voilà encore une pensée
d’éléphant ignorant de sa force…
C’est ce même mécanisme d’auto-confirmation que peut
également déclencher le fameux Principe de Peter, tel en tous cas
qu’il est compris dans bon nombre d’organisations : dès qu’un
collaborateur se trouve en difficulté dans son poste, on invoque
l’atteinte de son seuil d’incompétence… sans prendre toujours le
temps de porter un regard plus fouillé et plus objectif sur la situation
et notamment sur la manière d’accompagner le dit collaborateur
dans sa fonction. Peut-être a-t-il simplement fini par s’éloigner un
peu trop de son point fort…
J’ai donc la conviction qu’il est plus sain de partir du principe
de « culture », en affirmant que tout individu peut développer le
talent de son choix. À défaut d’être vrai, ce pari au sens de Pascal,
oriente vers la mentalité « de croissance » et ouvre donc de bien
meilleures perspectives.
Le premier bénéfice de ce principe réside dans l’effet de mise en
confiance de l’individu lui-même : croire en ses capacités à réussir
est un indéniable facteur de succès, là où partir de l’idée qu’il existe
forcément des limites ne peut qu’amener à confirmer la croyance.
Les éléphants qui ont fini par s’échapper pourraient témoigner !
Ce qui me plait également, c’est que croire au potentiel illimité de
chacun impose un regard éminemment positif de la part de celui qui
a la charge d’aider la personne à progresser. Nous reviendrons sur
cet effet d’induction16 (ou effet Pygmalion) dans lequel on voit l’a
priori que l’enseignant a sur son élève, induire ses propres actes et
comportements à l’égard de cet élève, lesquels favorisent sa
progression – ou au contraire la freinent dans le cas d’un a priori
négatif (on parle alors d’effet Golem).
Ce qui m’importe enfin, c’est que le principe de culture implique,
encore une fois, un questionnement permanent sur la pédagogie
mise en œuvre : à l’enseignant, au coach, au manager de trouver le
chemin d’apprentissage qui permettra à l’individu de développer de
nouvelles qualités. Et si les progrès ne viennent pas, c’est la
responsabilité de du pédagogue qui est alors engagée –
responsabilité dans le sens non pas de culpabilité, mais comme
devoir d’apporter une réponse au problème.
La croyance que nous pourrions tous réussir à nous développer
dans n’importe quel domaine est sans doute naïve : même avec un
bon coach et beaucoup de travail, tout le monde ne réussira pas à
acquérir les qualités d’Einstein, celles de Federer, de Zidane ou de
Mozart ! Mais les orientations que donne cette croyance me
paraissent aller dans le bon sens : participer à libérer l’éléphant du
pieu dérisoire qui le retient parfois encore.
Cachez ce talent que je ne saurais voir…
Les derniers exemples que je viens de citer – Einstein, Federer,
Zidane, Mozart – font référence dans leurs domaines respectifs.
C’est le travers que nous avons souvent quand on évoque la notion
de points forts : par facilité, nous l’illustrons avec des personnages
d’exception… au risque de réduire la notion de talent à un don
génial. Le commun des mortels pourrait en déduire alors qu’en
comparaison, il n’a lui aucun talent !
Commençons ici par rappeler l’origine même du mot « talent »,
même si elle est relativement bien connue : le talent désignait une
unité monétaire utilisée dans la Grèce antique et jusque dans
l’Empire Romain. C’est la fameuse parabole des talents figurant
dans l’Evangile17 qui donnera au mot son sens moderne.
Cette histoire illustre l’obligation pour les chrétiens de ne pas
gâcher les dons reçus de Dieu (symbolisés dans le récit par les
talents – au sens monétaire – donnés par un Seigneur à ses
différents serviteurs) mais au contraire de s’engager à les faire
fructifier, même s’il y a un risque à le faire. Ainsi les serviteurs ayant
réussi à obtenir plus de talents qu’il n’en avait reçus initialement se
voient félicités, là où celui qui par peur de perdre son argent, l’avait
enterré, s’en trouve blâmé.
Devenu donc une « aptitude particulière à faire quelque chose »,
selon la définition simple du premier dictionnaire venu, le talent
s’apparente bien à la notion de point fort.
Pourtant, dans la culture populaire, ce terme de talent induit
souvent un caractère remarquable, voire exceptionnel, comme dans
les exemples de personnalités cités quelques lignes plus haut. Il
s’associe voire se confond avec le génie. Le dictionnaire ajoute
d’ailleurs cette dimension dans la deuxième définition proposée :
« Capacité, don remarquable dans le domaine artistique, littéraire ».
Et nombreux sont ceux qui partagent cette croyance selon laquelle
un talent serait forcément une aptitude rare, spectaculaire ou
exceptionnelle. Mozart, Tiger Woods, Van Gogh, Baudelaire auraient
du talent, contrairement au quidam. Ce don hors du commun
serait d’ailleurs bien l’unique explication du génie qu’ils ont démontré
dans la pratique de leur art. Le talent n’existerait donc qu’en
quelques très rares individus sur cette Terre, touchés par la grâce,
appelés à un destin fabuleux, par un Dieu, une chance mystérieuse
ou par le hasard de la génétique.
Le commun des mortels, lui, n’aurait pas eu cette « chance » :
sans talent, pense-t-il, le voilà alors, à coup sûr, condamné d’avance
à devoir travailler (beaucoup) pour espérer réussir (si peu). Le jeu
n’en vaut pas la chandelle ! Et tout poussera rapidement le
condamné à abandonner toute ambition et tout effort. Tout l’inverse
du génie qui lui, serait parvenu à briller sans travailler !
Le monde se diviserait donc entre les pauvres besogneux sans
don et une poignée de surdoués pré-destinés : on réussirait grâce
au talent, on échouerait parce qu’on en manque.
Pourtant plusieurs expériences semblent bien attester d’une vérité
beaucoup plus nuancée, plus proche de l’affirmation du député
britannique, Sir Thomas Fowell Buxton18 : « Avec un talent ordinaire
et une persévérance extraordinaire, on peut tout obtenir ».
Citons par exemple ici, l’expérience menée en 1990 par le
psychologue Anders Ericsson au sein de l’Académie de Musique de
Berlin.
L’étude commence par la répartition des violonistes en trois
groupes de niveaux différents :
• Le groupe 1, composé des « stars », jugées comme telles
car ayant le potentiel de devenir des solistes internationaux.
• Le groupe 2, réunissant les « bons », capables de vivre de la
pratique du violon.
• Et le groupe 3, formé de ceux n’ayant pas les capacités de
devenir des musiciens professionnels, destinés à une
carrière plus ordinaire de professeur de musique.

Aux trois groupes fut posée la même question : « depuis la


première fois que vous avez eu un violon en main, combien d’heures
avez-vous joué ? »
L’analyse des réponses fit ressortir les constats suivants :
• Les musiciens avaient généralement tous commencé à jouer
vers l’âge de 5 ans, totalisant à peu près 3 heures de
pratique du violon par semaine jusqu’à l’âge de 8 ans, sans
différence marquante d’un enfant à l’autre.
• En revanche, à partir de 8 ans, émergeaient des
comportements différents : là où les élèves du groupe 3
avaient maintenu une moyenne de 3 heures de pratique par
semaine, les « stars » du premier groupe avaient
sensiblement accru leur volume d’exercice, jusqu’à 16 h par
semaine vers l’âge de 14 ans, et plus de 30 heures à l’âge
de 20 ans.
• Au total, les musiciens les plus assidus avaient déjà, à
20 ans, cumulé environ 10 000 heures de pratique, là où
d’autres ne s’étaient exercé que 2 000 heures en moyenne.

Ericsson et son équipe n’avaient pas trouvé de musicien


« naturel », qui aurait réussi du seul fait de son talent. Les gens qui
atteignent le sommet possèdent certainement un don, mais ils
travaillent aussi plus et plus dur que les autres.
Daniel Levitin19, psychologue et neuroscientifique américano-
canadien, professeur de psychologie et de neurosciences
comportementales à l’Université McGill de Montréal le confirme :
« Que les études portent sur des basketteurs, des romanciers, des
patineurs, des joueurs d’échecs ou des criminels passés maîtres, le
nombre des 10.000 heures revient constamment ».
En 2008, le journaliste du New Yorker Malcolm Gladwell, reprenait
largement ces conclusions dans son best-seller Outliers, The Story
of Success. Pour lui, « le succès est une goutte de talent dans un
océan de travail ». attestant ce que déjà Aristote affirmait en son
temps pourtant bien lointain :
« L’excellence est un art que l’on n’atteint que par l’exercice
constant. Nous sommes ce que nous faisons de manière répétée.
L’excellence n’est donc pas une action mais une habitude. »
À en croire une fois de plus ces différentes études, l’influence des
prédispositions innées semble plus limitée que nous le laisse penser
l’évocation des « génies » que l’on tient pour représentatifs de la
notion de talent. Partout apparait le facteur travail, ce que les
spécialistes appellent la pratique délibérée. Le talent facilite,
encourage, motive celle-ci, mais ne fait pas tout !
Le talent n’est donc sans doute pas ce don hors du commun,
ce facteur mystérieux et différenciant dans lequel nous aimons
souvent croire : avouons qu’il peut être confortable d’invoquer
l’absence de talent pour justifier nos renoncements ou nos échecs.
Je crois au contraire que nous avons tous des talents : ces talents
ne sont pas autre chose que les qualités que j’évoque depuis le
début de ce livre. À croire que le talent est forcément une aptitude
hors du commun, on tend à sous-estimer nos propres qualités, à
perdre de vue les forces dont on est pourtant doté – comme
l’éléphant ! Il est d’ailleurs souvent plus difficile pour nombre de gens
de parler de leurs points forts que d’évoquer leurs défauts…
À ceux qui, malgré tout, auraient développé la conscience de leurs
talents, il est en outre conseillé de rester modestes : celui qui ose
dire qu’il possède un talent, est qualifié d’incroyable prétentieux.
Qu’il fasse la preuve de son génie, ou qu’il se taise !
Souvenez-vous (et si, comme moi, vous n’étiez pas né, faites
semblant…) …
Nous sommes au début des années 1950. Notre homme, depuis
des années, court après une carrière de chanteur « qui ne décolle
pas », comme il le reconnaît lui-même.
Les critiques se moquent de sa voix nasillarde, qui par ailleurs
manque de puissance. Ils raillent son physique et sa
gestuelle : « petit homme, petit chanteur » peut-on lire cruellement
dans la presse. À cette époque, après un énième « bide », il écrit lui-
même :
« Quels sont mes handicaps ? Ma voix, ma taille, mes gestes,
mon manque de culture et d’instruction, ma franchise, mon manque
de personnalité. Ma voix ? Impossible de la changer. Les
professeurs que j’ai consultés sont catégoriques : ils m’ont
déconseillé de chanter. Je chanterai pourtant, quitte à m’en déchirer
la glotte. D’une petite dixième, je peux obtenir une étendue de près
de trois octaves. Je peux avoir les possibilités d’un chanteur
classique, malgré le brouillard qui voile mon timbre. »
Lucide et obstiné à la fois, l’artiste y croit.
Et comme s’il agissait d’une provocation lancée aux critiques, c’est
précisément en clamant son talent qu’il connût enfin, quelques
années après, le succès tant espéré :
Je me voyais déjà en haut de l’affiche
En dix fois plus gros que n’importe qui mon nom s’étalait
Je me voyais déjà adulé et riche
Signant mes photos aux admirateurs qui se bousculaient
[…]
Moi j’étais trop pur ou trop en avance
Mais un jour viendra où je leur montrerai que j’ai du talent
Charles Aznavour, « Je m’voyais déjà », Barclay, 1961.

Ce n’est pas le don hors du commun qui fait la réussite, mais la


capacité de croire que nos talents ordinaires suffisent à réaliser des
choses extraordinaires, et l’investissement que cette croyance
déclenche.
Talent et point fort se confondent dès lors que l’on s’en tient à leur
définition commune : une aptitude à faire quelque chose, peu
importe qu’elle soit communément répandue sur la planète, ou au
contraire hors du commun, particulièrement forte ou juste singulière.
L’histoire d’Aznavour l’illustre bien : le chanteur a dû composer avec
une voix, un physique, une gestuelle qu’objectivement personne ne
voyait comme des atouts, mais qui ont bien finalement contribué à
forger un talent singulier. Gardons en tête cette notion de
« singularité » sur laquelle je reviendrai en évoquant les bénéfices
du développement des points forts.

Les deux faces d’une même pièce


Pour terminer de bien appréhender la notion de point fort/point
faible, nous pourrions la comparer aux deux faces d’une même
pièce.
Cette pièce décrit une partie de nous : notre façon de percevoir les
choses, de les penser, de concevoir une réponse, de prendre une
décision, une manière d’agir ou de se comporter. Chacune des deux
faces représente des aptitudes opposées l’une à l’autre.
Par exemple, si nous étudions la pièce « perception », nous
verrions que le côté pile de la pièce représente le mode « global »
(la capacité à percevoir un paysage dans son ensemble), là où le
côté face représente le mode « détaillé » (capacité au contraire à
envisager chaque élément du paysage). L’un verra la forêt, là où
l’autre regardera chacun des arbres qui la compose. Selon que l’on
utilise spontanément l’un ou l’autre des modes, on perçoit donc soit
ce qui nous entoure de façon conceptuelle (on s’en représente une
idée avant tout), soit de manière plus factuelle (juste les choses, une
par une, comme on les voit, comme on les entend, comme on les
sent).
Il existe à ce propos diverses grilles de lectures, dont la plus
utilisée est certainement celle issue des travaux de Carl Gustav
Jung.
À la base de nombreux tests de personnalité (dont le célèbre
MBTI®), les axes de Jung indiquent :
• D’où nous tirons notre énergie, soit plutôt de l’intérieur de
nous-mêmes (réflexion, calme, introspection…), soit plutôt
de l’extérieur (relations, environnement, action…). C’est l’axe
Introversion/Extraversion (I ou E dans le MBTI®).
• Comment nous percevons l’information : soit de nos
Sensations (chaque détail, chaque objet, sa forme, sa
couleur, sa taille…), soit plutôt de notre iNtuition (perception
globale et conceptuelle). Ce sont les lettres S ou N dans le
profil MBTI®.
• La façon avec laquelle nous faisons nos choix : soit de
manière raisonnée, Thinking selon le terme consacré
(argumentation, intérêt, calcul rationnel…), soit en utilisant
notre Feeling (sentiment, émotion, j’aime/j’aime pas…). Cet
axe renvoie au T ou au F du profil MBTI®.
• Enfin, notre manière d’organiser notre vie au quotidien : soit
de façon structurée, selon la fonction Jugement (préparation,
planification, ordre…), soit dans une logique plus spontanée,
en fonction de ce que l’on vit dans l’instant (Perception :
adaptation, changement, improvisation…). J ou P selon la
typologie MBTI®.

Précisons bien sûr d’emblée que nous sommes tous capables


d’utiliser chacune de ces 8 fonctions : ce qu’en revanche Jung a mis
en lumière (et que les chercheurs en neurosciences confirment),
c’est l’existence chez chacun d’entre nous, de fonctions dominantes,
c’est-à-dire de fonctions que nous utilisons de façon préférentielle, le
plus spontanément et le plus facilement. Ce sont nos points forts.
Si je décris rapidement ces différents axes ici, c’est pour mettre en
lumière l’idée des deux faces de la pièce. À chaque qualité
« dominante » pour reprendre ce terme, correspond en effet une
qualité que nous pourrions appeler « contradictoire » : quand nous
utilisons de façon préférentielle l’une, par définition, nous n’utilisons
pas l’autre – et notez que j’utilise bien ici le terme « utiliser » et non
pas le terme « avoir » qui laisserait penser que nous ne
posséderions l’une mais pas l’autre.
Aucun des deux côtés de la pièce n’est mieux, préférable ou plus
enviable que l’autre. Les deux faces sont d’ailleurs plus
complémentaires qu’opposées. Ni l’un ni l’autre n’est a priori un point
fort ou un point faible. Tout dépend, une fois encore, du « quoi »,
de l’activité pratiquée, du contexte ou de la situation. Que l’on soit
pile ou face, on peut réussir dans un nombre illimité de domaines à
condition de trouver le chemin d’apprentissage adapté à notre
dominante.
L’expérience suivante est certainement simpliste mais je la trouve
parlante. Essayez donc d’écrire votre nom avec la main gauche si
vous êtes droitier (ou l’inverse pour les gauchers) : vous y arrivez
sûrement, mais ce n’est ni agréable, ni aisé, ni rapide. Le résultat
n’est probablement pas terrible… Mais avec un peu d’entraînement,
vous réussiriez à vous améliorer. Si vous vous étiez cassé la main
(ce que je ne vous souhaite évidemment pas !), vous seriez bien
obligé de vous y faire. Droitier ou gaucher sont les deux faces d’une
même pièce. Nous choisissons d’utiliser une main ou l’autre en
fonction de nos préférences (souvent très affirmées depuis notre
jeune âge) ou, dans certains cas, selon l’activité que nous
pratiquons.
Me vient à ce propos l’exemple de Rafael Nadal, cas original de
« droitier contrarié » : Petit, jusqu’à 10 ans environ, le champion au
palmarès impressionnant tenait sa raquette avec les deux mains,
tant côté revers que côté coup droit. Pour son oncle et coach Toni,
l’heure était venue de choisir une main. Bien que le jeune garçon
utilisait sa main droite dans la vie de tous les jours, Toni décida
d’encourager son neveu à jouer au tennis avec la gauche.
Au cours de l’impressionnante carrière du majorquin, on aura eu
tout le temps de se rendre compte en tous cas de la redoutable
efficacité de son coup droit de gaucher ! On peut y voir une jolie
illustration du fait qu’un point fort peut se construire au-delà de ce à
quoi l’inné peut prédestiner. On remarquera aussi, si l’on est
amateur, la singularité de la gestuelle du joueur laquelle, loin d’être
académique, lui permet de tirer le meilleur parti de ses qualités.
Ses adversaires n’en finissent pas de remercier tonton Toni. Ils
pourraient aussi et surtout s’inspirer de la logique des points forts !
Chapitre 2

Améliorer ses points faibles :


un (mauvais) réflexe persistant

« Chassez le naturiste, il revient toujours


au bungalow ! »
Jean-Paul Grousset

Lors des rencontres que j’anime fréquemment auprès de chefs


d’entreprise, je croise beaucoup de patrons fiers de l’entreprise qu’ils
ont créée ou fait prospérer, que celle-ci soit de taille modeste ou plus
importante. Soucieux de la pérennité de leur activité et des emplois
qui en dépendent, ils sont le plus souvent très avides des pistes
pouvant leur permettre de progresser dans leur rôle de dirigeant.
En abordant avec eux le thème du management, j’évoque
systématiquement la question des points forts/points faibles comme
axe pouvant structurer leurs pratiques et celles de leurs
collaborateurs. Leurs réactions à cette proposition-là sont
révélatrices d’un paradoxe surprenant.
En effet, lorsqu’ils évoquent leurs parcours, en début de réunion,
les chefs d’entreprise insistent souvent sur leurs motivations
entrepreneuriales. Parmi celles-ci : la liberté de pouvoir faire les
choses comme bon leur semble, la possibilité d’exprimer ce qu’ils
sont à travers leur projet d’entreprise ou encore l’opportunité
d’affirmer leurs qualités et d’en tirer pleinement parti. Ceux qui ont
connu un parcours salarié disent d’ailleurs combien ils ont pu se
sentir enfermés quand leur patron d’hier bridait leurs talents.
Pourtant, curieusement, ce sont ces mêmes personnes qui, plus
tard dans la journée, expriment en majorité leur surprise – et pour
certains leur désaccord – quand donc je leur propose d’orienter le
management de leurs équipes sur les points forts et non pas sur les
points faibles.
Etonnant paradoxe : le réflexe des points faibles est si
profondément ancré que même ceux qui ont vécu l’expérience
positive des points forts peinent à en tirer les bonnes leçons !
Et si parmi eux certains, intellectuellement, partagent l’idée qu’il
est plus pertinent de miser sur les points forts, ils réalisent et
reconnaissent finalement qu’en pratique, ils continuent
inconsciemment à obéir au diktat des points faibles.
Mais pourquoi ce réflexe continue-t-il à persister de manière aussi
vivace ?

Travailler les points faibles :


une longue histoire !

L’effet d’habitude et de reproduction


La première raison est on ne peut plus basique : depuis notre plus
jeune âge, nous baignons dans la culture des points faibles. C’est
pourquoi le réflexe de travailler nos points faibles est inscrit en nous,
comme est enfoui chez l’éléphant le souvenir de ses vaines
tentatives d’arracher ce pieu fragile qui le tient pourtant solidement
attaché.
Comme l’éléphant, nous avons peut-être oublié l’usage que
nous pourrions faire de nos propres forces. Et par extension
logique, nous restons alignés avec la logique des points faibles
chaque fois que nous avons la charge d’accompagner un tiers,
qu’il s’agisse de nos enfants, d’élèves, ou de collaborateurs. Ainsi,
par le discours, ou seulement par nos pratiques éducatives,
pédagogiques ou managériales, nous continuons de perpétuer le
réflexe des points faibles.
Il n’y a peut-être que dans notre tendre enfance que nos parents
nous ont laissés libres d’utiliser nos forces. Il suffit d’observer les
jeunes enfants, à la maison ou dans les crèches et les écoles
maternelles : leurs occupations, leur manière de jouer, d’interagir
avec leurs camarades ou avec les adultes, leur façon de percevoir
leur environnement ou de bouger, sont autant de différences
facilement perceptibles.
À ces âges-là encore, tout est « mignon » : le petit garçon très
concentré sur son dessin, imperturbable à l’agitation qui l’entoure,
n’est pas encore un élève timide qui doit absolument sortir de sa
coquille. Il est appliqué et fait l’admiration de ses parents par la
minutie et le soin de ses œuvres.
À l’autre bout de la cour de récréation, la petite fille joyeuse et
insouciante, entourée d’amies, n’est pas encore l’élève turbulente
et dissipée. Elle est pour l’heure reconnue pour ses facultés de
sociabilisation et son extraversion.
Au-delà de ces quelques observations empiriques, différentes
études ont montré que les enfants développaient des aptitudes
surprenantes. Ainsi Sir Ken Robinson, universitaire britannique et
expert internationalement reconnu de l’éducation1, a mené une
étude auprès de 1 500 enfants de maternelle afin d’évaluer leur
créativité, en leur soumettant une question unique : « combien
d’usage pourriez-vous imaginer à ce simple trombone ? » 98 %
des enfants de 5 ans qu’il a interrogés ont été capables de trouver
au moins 200 usages différents (ce qui suppose d’imaginer que le
trombone pourrait mesurer 150 mètres de longueur, ou encore
qu’il puisse être fabriqué en mousse et non en métal…). Plus
intéressant : à 8-10 ans, ils ne sont plus que 30 % à trouver 200
usages, et seulement 12 % à l’âge de 13-15 ans. Encore mieux :
une majorité d’adultes ne parvient à trouver que 10 à 15 idées
d’usage…
Ce n’est évidemment pas l’âge en tant que tel qui dégrade notre
potentiel créatif, mais certainement l’étroitesse du moule éducatif
qui, plutôt que d’encourager cette aptitude naturelle à créer,
finit par la borner.
Dans l’enfance se trouve ce qui nous distingue des vieux
éléphants : cette insouciance d’être ce que nous sommes,
d’utiliser nos forces sans se conformer aux injonctions
modélisantes, nous l’avons connue, expérimentée, au moins
entrevue. Encore faut-il que nous en ayons gardé la mémoire :
« Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants,
mais peu d’entre elles s’en souviennent », disait Antoine de Saint-
Exupéry.
Il faut dire que très vite, dans notre enfance, a ensuite été planté
le pieu qui nous a solidement attachés à nos défauts. Dès que
sont apparues les velléités éducatives de nos parents,
efficacement relayées par beaucoup des enseignants que nous
avons ensuite connus, l’injonction à corriger nos défauts s’est
affirmée.
Je ne parle pas évidemment ici de l’apprentissage des règles de
base, qu’il s’agisse de politesse, de propreté ou d’ordre : ces
notions fondamentales – qui imposent des actions ou des
comportements souvent simples – n’ont rien à voir avec la
question des points faibles ou des points forts. Il s’agit d’exiger la
réalisation et l’intégration de « quoi » indispensables, loin du débat
sur le « comment ». Cette parenthèse me permet de préciser que
la valorisation des points forts – et l’approche consistant donc à ne
pas s’obstiner sur les points faibles – n’est en rien incompatible
avec la nécessaire intransigeance que l’on peut associer au
respect des règles. Mieux encore, je vois dans la complémentarité
de ces deux notions, un principe fort d’éducation, de pédagogie,
de management.
Les messages négatifs dont je parle ici, sont bien ceux qui
pointent nos prétendus défauts à corriger ou manques à combler :
• L’enfant extraverti, dont on disait « c’est bien, il est vivant et
joyeux ! » à qui désormais on reprochera de souvent parler sans
prendre le temps de réfléchir : « Ça te jouera des tours, tu
verras ! »
• L’élève de 6ème, au contraire, réservé, qui pourra souvent lire sur
son bulletin scolaire : « Élève sérieux et appliqué, mais doit
s’exprimer davantage en classe. »
• L’apprenti sportif, qui le mercredi, durant tout le cours de tennis,
entendra le moniteur pointer qu’il ne regarde pas assez la balle,
ne prépare pas ses coups assez tôt, ou ne pose pas bien ses
appuis : « C’est pour ça que ton coup droit ne passe pas ! »
• L’étudiant, jugé brillant par ses professeurs, mais qui peine à
s’organiser et travaille souvent à la dernière minute : « Il faut
apprendre à anticiper et gérer son temps, sinon vous n’y
arriverez pas : vous ne pourrez pas toujours compter sur votre
talent ! »
• Le collaborateur appliqué, toujours désireux de bien faire, qui
manque de recul et se noie dans les détails : « Prenez de la
hauteur de vue, apprenez à mettre les choses en perspective,
ça vous sera utile dans la suite de votre carrière ! »
• Le manager confirmé, qui chaque année pourtant, lors de son
entretien individuel d’appréciation, s’entend répéter sa « trop
grande » gentillesse et son « manque d’affirmation ».

À force d’entendre ces messages, nous connaissons d’ailleurs


plutôt bien tous nos défauts, souvent mieux que nous ne
connaissons nos qualités : les messages nous permettant de
prendre conscience de nos atouts sont moins nombreux, et
lorsque parfois néanmoins nous sommes valorisés, c’est
davantage au travers de la réussite dans un « quoi » (la partie
visible de l’iceberg), qu’en mettant en lumière le « comment » (la
force qui permet la réussite en question). Il en résulte que la
connaissance de nos défauts s’avère souvent complète et
détaillée, là où la conscience de nos forces reste à la fois
plus faible et plus floue.
Il faut avouer que cette prise de conscience des points faibles
correspond bien au vœu d’humilité que la culture nous invite à
faire : autant il est de bon ton de reconnaître ses manques, autant
il est mal vu de prétendre posséder telle ou telle qualité. Parler de
ses points forts est un péché d’orgueil qu’on ne pardonne qu’à
Aznavour et aux autres génies ayant pu démontrer l’immensité de
leurs talents : le « vantard » se verrait très vite reproché son
manque de modestie – ce qui en l’occurrence lui fera déjà un
premier vilain défaut !
Lorsqu’ensuite, nous devenons à notre tour en charge
d’accompagner dans leur réussite nos enfants, nos proches ou
encore nos élèves ou nos collaborateurs, nous reproduisons
généralement le même schéma, en nous intéressant bien
davantage à leurs points faibles qu’à leurs points forts.
L’analyse d’abord, nous porte à pointer les écarts entre les
modèles que nous avons en tête (ce que devrait être un enfant,
un élève, un collaborateur…) et ce que nous observons des actes
et des comportements de ceux que nous cherchons à aider.
Le sacro-saint entretien annuel, en vigueur dans bon nombre
d’entreprises, est très représentatif de cet exercice qui, dans ce
contexte, sera précédé en amont d’une analyse formalisée des
« axes de progrès » du collaborateur – car il va de soi qu’il fallait,
dans la novlangue, trouver une appellation positive à nos points
faibles ! Pour les découvrir, et donner un cadre à l’analyse, le
modèle par rapport auquel l’évaluation doit être faite est fourni : on
appelle ça un « référentiel » – eh oui ! Vous connaissez peut-être
ce principe : plus les mots sont alambiqués, plus les honoraires
des consultants sont élevés !
Bien entendu, un référentiel, comme tout modèle, pose un
idéal : il dresse le portrait du « parfait » collaborateur, celui qui
aurait toutes les qualités… et leurs contraires aussi ! Ce qui
assure que le manager menant l’entretien pourra toujours trouver
des axes de progrès, car comme le soulignent d’ailleurs les
consignes qui accompagnent souvent ces référentiels : personne
ne peut avoir 100 % dans tous les critères !
Il y a mieux : plus un collaborateur démontre des qualités fortes,
plus il a de chances de s’entendre dire qu’il a des manques
flagrants ou des marges de progrès importantes sur les qualités
antinomiques. De quoi passer l’envie d’affirmer ses points forts !
De quoi aussi encourager les profils « moyens », sans défauts…
mais sans qualités fortes non plus !
Une fois cette analyse des écarts posée, vient le temps de la
prise de conscience. Là aussi, l’injonction est forte : seul celui à
qui on aura fait prendre conscience de ses lacunes pourra
progresser. C’est évident, pense-t-on… Donc, pédagogiquement,
il faut dire aux gens leurs défauts et, si besoin, il faudra les leur
répéter, jusqu’à ce qu’ils admettent que « oui, c’est un point qu’ils
s’engagent à améliorer ! »
Là où nous prétendons viser un objectif d’efficacité – aider
l’autre à progresser – s’opère une sorte de glissement vers le
champ de la morale : il faudrait avouer son point faible, comme il
faut faire son mea culpa quand on a commis un mauvais acte.
Comme si le fait d’avoir tel ou tel trait de caractère pouvait être
assimilé à une faute !
Dans les entreprises, le fameux entretien annuel s’organise bien
souvent autour de cette logique de prise de conscience, en dépit
des objectifs de motivation généralement affichés : « faire prendre
conscience » au collaborateur de ses axes d’amélioration pour
l’année à venir, y a-t-il écrit dans le petit manuel du parfait
« manager-coach » !
Seule concession, pour la forme : on commencera par détendre
son interlocuteur avec quelques « feedbacks » bienveillants
(feedback bienveillant, un combo gagnant à forte valeur ajoutée
pour les consultants), avant de lui asséner la vérité sur ses axes
de progrès, à travers bien sûr un discours « mobilisant et non
culpabilisant » (deux mots à utiliser tels quels, on ne sait jamais,
sur un malentendu, ça peut marcher !).
Autre astuce proposée : tenter, par un jeu de questions,
d’amener l’autre à reconnaître lui-même ses points faibles ! La
ficelle est d’autant plus grosse que le manager, pas toujours adroit
dans l’art du questionnement, a recours aux tournures interro-
négatives du genre : « est-ce que tu ne crois pas que tu gagnerais
à travailler sur ceci ou cela ? » Obtenir des aveux n’est donc pas
seulement le Graal du policier, il est aussi celui du manager…
« À qui profite le crime ? », aurais-je envie de me demander en
poursuivant cette métaphore policière. Qui se réjouit le plus de
cette prise de conscience ? Qui a-t-elle le plus motivé ?
Le collaborateur touché (ou agacé) par ce nouveau reproche
(il l’a souvent pris comme tel) sur un point faible qu’il s’obstine à
atténuer depuis des années ? Ou le manager satisfait du devoir
accompli, qui pense avoir créé le « déclic du progrès » ?
La prise de conscience est un point-clé dans la mise en œuvre
de la logique des points faibles. Ce serait en effet l’étape décisive
marquant l’engagement de l’individu à corriger ses défauts. Par
cette sorte de « mea culpa », le voilà contraint de faire ce qu’il faut
pour changer !
Vient donc ensuite le temps de l’action, consistant à amener le
pauvre bougre2 à réellement travailler ses points faibles. Selon le
contexte, il s’agit de faire répéter, de former, de « coacher » (le
terme est impropre en réalité, car l’art du coaching consiste au
contraire à utiliser les ressources de la personne, ses points forts
en d’autres termes) : l’idée générale consiste à lui imposer de
développer des aptitudes qu’il ne possède pas.
Il n’y a bien sûr rien de choquant en soi dans cette idée : il est
même plutôt pertinent, dans une formation au management ou
encore dans un entraînement sportif, de placer l’individu dans des
situations qui sont pour lui inconfortables. Elles lui permettent
justement de mieux ressentir ses points forts et ses points faibles,
de comprendre comment exploiter le plus intelligemment possible
ses qualités et en ressentir les limites. Elles l’aident, nous y
reviendrons bien sûr, à trouver le meilleur chemin pour réussir.3
La difficulté vient du caractère exclusif et intense du travail sur
les points faibles, de ce que le chemin le plus ardu pour l’individu,
pour reprendre cette image, est ici imposé comme passage obligé.
Dans l’approche culturellement la plus fréquente, les points
faibles représentent le cœur des actions de formation ou
d’accompagnement. Le soutien scolaire de l’élève, la séance de
sport, le séminaire de formation ou les séances dites de
« coaching » n’ont alors comme seule finalité que l’amélioration
des points faibles, avec à la clé, comme nous le détaillerons plus
loin, beaucoup d’efforts et peu de progrès. Ainsi notre cobaye
pourra lui-même en conclure qu’au moins cette formation, à défaut
de l’avoir vraiment à progresser, lui aura « permis d’encore mieux
prendre conscience de ses points faibles. » CQFD !
Quel formateur, en entreprise, n’aura pas entendu cette
conclusion en tour de table de fin de session ?
« Merci, j’ai vraiment pris conscience de mes défauts… » : un
merci sincère mais un peu amer, qui précède l’engagement de
corriger les défauts en question, de mettre en pratique les
techniques répétées, etc…
Nous le savons pourtant : ce tour de table, culturellement en
phase avec l’approche par les points faibles, n’annonce pas un
très bon retour sur investissement pour l’entreprise qui a financé
cette formation.
Sans doute aurait-il mieux valu entendre : « Merci, j’ai pris
confiance dans mes points forts : je vois mieux maintenant
comment en tirer parti dans telle ou telle situation et je comprends
aussi dans quelle situation je dois être vigilant… »
Mais cela imposerait de changer assez radicalement la façon
avec laquelle l’entreprise construit sa politique de formation et de
faire évoluer également la manière de concevoir les pédagogies
de ces mêmes formations.
Dernier étage de la fusée des points faibles – qui n’a jamais mis
grand monde sur orbite (toute ressemblance avec une célèbre
phrase d’Audiard serait purement fortuite…) : le débriefing des
échecs.
En effet, dans la très persistante culture des points faibles, nous
avons tendance à reproduire une pratique que nous avons nous-
mêmes vécue (ou devrais-je dire subie !) : l’analyse a posteriori de
nos actions, toujours plus détaillée en cas d’échec qu’en cas de
succès. Pourtant, l’analyse de nos succès aurait une vertu
inestimable : nous aider à prendre conscience de nos qualités, de
nos points forts, de nos talents. Cela nourrirait notre confiance en
nous et notre motivation à poursuivre nos efforts. Et nous
éclairerait un peu plus sur la façon la plus efficiente de réussir
dans telle ou telle activité. Un précieux trésor… !
Mais non ! Dans la logique des points faibles, le plus important
est d’analyser les causes des échecs. On ne compte plus
d’ailleurs les livres ou les posts vantant les vertus de l’échec :
seuls ceux qui ont échoué réussissent, c’est dans l’échec qu’on
apprend, etc… À se demander si on ne veut pas plus aimer
l’échec que la réussite !
Que l’échec, lorsqu’il survient, puisse être bénéfique, personne
n’en doute. Qu’il soit porteur d’enseignement et donc facteur de
progrès, pour celui qui accepte de se poser les bonnes questions,
c’est une évidence. Mais cela ne doit pas faire oublier les
bénéfices qu’ont aussi les succès. Donc, dans la bonne vieille
logique des points faibles, il faut passer du temps à analyser les
causes de l’échec. Et, sans surprise, le diagnostic est souvent le
même : l’échec est dû à nos points faibles. Voilà pourquoi il faut
redoubler d’effort pour les améliorer, pouvons-nous en conclure
une fois de plus !
J’y consacrerai un développement plus loin dans le livre, car ce
diagnostic de prime abord très logique, est pourtant très
contestable : ces points faibles constituent généralement plus un
symptôme que la cause-racine de nos difficultés. Nous échouons
en réalité plus souvent parce que nous avons oublié nos points
forts, parce que nous nous en sommes décalés ou parce que
nous les avons insuffisamment travaillés.
Mais la première conclusion reste la plus fréquente : l’échec
rappellerait toujours plus fortement l’injonction à corriger ses
défauts.
La boucle est bouclée et la culture des points faibles peut ainsi
continuer à influencer les générations futures… alors même
qu’elle a fait la preuve de son inefficience.

L’influence de la psychologie traditionnelle


La persistance du réflexe d’amélioration des points faibles tient sans
doute aussi à l’influence de la psychologie, conçue d’abord pour
traiter ce qui ne va pas, pour guérir les troubles mentaux et alléger
les souffrances.
Durant tout le XXe siècle, la majorité des approches
psychologiques étaient dédiées aux pathologies. Peu à peu, cette
vision « patho-centrée » des fonctionnements de la psyché a
nourri notre inconscient collectif.
« Il n’est pas nécessaire de faire un calcul savant pour percevoir
cette différence quantitative d’intérêt de la psychologie pour les
dysfonctionnements humains. Pensons par exemple, au nombre
d’ouvrages écrits par des chercheurs en psychologie sur la
délinquance juvénile, la toxicomanie ou l’anorexie des
adolescents, etc., comparativement au nombre de ceux consacrés
au bonheur des enfants et des jeunes. Faut-il en conclure que
tous les jeunes sont violents et dépressifs ? », fait remarquer
Jacques Lecomte4 dans la revue du MAUSS 2018/1 (no 51)
Dans la même logique, souligne encore Jacques Lecomte,
« la conception négative de l’être humain est particulièrement
présente au sein de la psychanalyse. L’opinion de Freud a parfois
varié sur certains aspects du fonctionnement humain, mais une
constante se dégage sans ambiguïté de l’ensemble de son
œuvre : son regard sur l’être humain a toujours été très négatif.
Cela commence dès le jeune âge : « L’enfant est absolument
égoïste, il ressent intensément ses besoins et aspire sans aucun
égard à leur satisfaction, en particulier face à ses rivaux, les
autres enfants. » (Freud, 2004, p. 290).
Cette conception de la psychologie – et sans doute de l’être
humain plus largement, n’est sans doute pas étrangère à notre
tendance culturelle à repérer ce qui pourrait être « anormal » pour
chercher ensuite à éliminer le problème.
Ce n’est qu’assez récemment, à la fin des années 1990, dans le
sillage de Martin Seligman5, que s’est réellement développée une
« psychologie positive »6, visant à orienter la recherche et l’action
non plus seulement sur « ce qui va mal » chez les gens, mais sur
« ce qui va bien ». Certes, d’autres auteurs avaient déjà parlé de
« développement du potentiel humain » et de thèmes apparentés,
mais la plupart n’avaient guère eu le souci de vérifier
systématiquement leurs belles théories et les résultats de leurs
interventions. Seligman lui s’est appliqué à soumettre ses
découvertes aux règles de la vérification empirique qu’on utilise
pour évaluer les traitements médicaux et les psychothérapies.
Dans un texte de référence « What (and why) is positive
psychology », publié en 2005, la psychologue américaine Shelly
Gable et son confrère Jonathan Haidt, ont définit la psychologie
positive comme « l’étude des conditions et processus qui
contribuent à l’épanouissement ou au fonctionnement optimal des
gens, des groupes et des institutions. »
L’objectif majeur est d’aider les intéressés à construire une vie
heureuse par des « interventions positives » plutôt que par une
focalisation sur des dysfonctionnements psychologiques et une
analyse interminable d’événements du passé.
La « psychologie positive » s’intéresse notamment à trois
aspects positifs de l’expérience humaine, décrit comme trois
piliers essentiels d’une « vie pleine et heureuse ».
Le premier, nommé la vie plaisante, est centré sur notre
capacité à ressentir positivement ce que nous vivons
présentement. Elle cherche à maximiser les sensations et
émotions positives dont nous pouvons tirer notre plaisir. Les
études qui s’intéressent à ce domaine portent généralement sur
l’expérience subjective positive, par exemple, le bien-être, le
contentement et la satisfaction d’une vie bien vécue, démontrant
que nous n’avons pas tous les mêmes capacités à profiter des
plaisirs de la vie.
Le deuxième aspect, la vie engagée, consiste à utiliser les
forces de caractère et les talents pour bâtir une « bonne vie ».
Cette dimension rejoint le sujet traité dans ce livre. Elle
correspond à notre aptitude à prendre conscience de nos traits
personnels positifs de façon à pouvoir les exploiter dans ce que
nous faisons, et ainsi privilégier la construction d’une existence
« alignée » en tous points avec nos forces.
Le troisième aspect, nommé la vie signifiante (meaning life),
correspond plutôt à la notion de sens : elle valorise le sentiment
d’être au service de quelque chose de plus grand que soi,
remarquant que les personnes qui s’engagent pour une cause qui
les dépasse semblent vivre plus heureux.
De nombreuses critiques7 ont certes pointé les limites de ce
qu’ils qualifient de « pseudo-science du bonheur », dénonçant
pêle-mêle l’émergence d’un juteux business qui enrichit les
charlatans du « bien-être » (coachs en tout genre, happyculteurs,
Chiefs Happiness Officers, etc…), les études fumeuses aux
résultats plus que discutables quand ils ne sont pas purement et
simplement trafiqués, les innombrables méthodes de
développement personnel et positif sans fondement… Ces dérives
sont réelles, d’ailleurs fréquentes dès qu’apparait une mode quelle
qu’elle soit.
Quand elle est trop abondante, la mousse du savon pique les
yeux : faut-il pour autant jeter le savon ? interroge le dicton avec
bon sens.
Le véritable débat concerne peut-être moins les questions de
surabondance ou d’efficacité des techniques de mieux-être, que la
vision du monde que celles-ci véhiculent.
La critique dénonce ainsi souvent l’aspect individualiste de la
psychologie positive. Là aussi, même si toute la mousse du
développement personnel peut donner l’image d’approches très
nombrilistes, les fondements de la psychologie positive valorisent
au contraire l’altruisme, l’ouverture au monde, le rapport aux
autres, précisément pour leurs vertus positives, tant pour l’individu
que pour le collectif. Ce qui fait du bien à l’un, fait aussi du bien à
l’autre. Comme le précise Jacques Lecomte : « La psychologie
positive est à la fois un art de vivre avec soi-même mais aussi
avec les autres. C’est dans cette optique qu’elle peut constituer un
formidable moteur du changement social. »
Les contempteurs de la psychologie positive soulignent aussi le
risque que porte l’approche pour ceux qui, malgré les bons
conseils et les recettes magiques, ne seraient pas parvenus à être
heureux, épanouis et débordants d’énergie. À leur malheur
viendrait s’ajouter le sentiment de culpabilité : si la réussite se
mérite, c’est aussi que l’échec est mérité ! « C’est de ta faute, tu
n’as pas fait assez d’efforts », pourrait-on leur reprocher si l’on suit
ce raisonnement.
C’est un risque, admettons-le, notamment si l’on assimile
l’approche positive à une « méthode miracle ». La caricature est
tentante, et certains gourous n’hésitent pas à tomber dedans pour
vendre leur soupe, réussissant à séduire malheureusement
quelques gogos. Mais, si l’on veut bien dépasser les raccourcis un
peu trop rapides, on comprend que la psychologie positive ne
prétend pas « faire le bonheur » – et encore moins rendre le
malheureux responsable de son malheur ! Elle n’a pas vocation à
se substituer à toute autre vision des choses ni à s’opposer à la
psychologie « traditionnelle », qui garde bien entendu toute sa
valeur dès lors qu’il s’agit de soigner les troubles mentaux plus ou
moins graves. La psychologie positive se contente de mettre en
lumière, pour reprendre la définition déjà citée au-dessus, les
conditions et processus qui contribuent à l’épanouissement ou au
fonctionnement optimal des gens, des groupes et des institutions.
Il est, au passage, assez étonnant de constater la différence
entre le domaine de la santé physique, dans lequel personne ne
trouve à redire sur la dimension préventive (recommandations en
matière de nutrition, d’activité physique, de sommeil, etc.), et le
domaine de la santé mentale, au sujet duquel ce même aspect
préventif (bonnes pratiques pour bien vivre) fait débat…
Je trouve donc, pour ma part, le pari proposé par la psychologie
positive, très tentant. C’est le même pari, selon moi, que celui
décrit dans la Parabole des Talents : croire que nous avons tous
des ressources qui, bien utilisées, peuvent nous permettre
d’exceller et d’apporter quelque chose de soi au monde. Bien sûr,
comme dans tout pari, il y a un risque à courir, peut-être celui, en
effet, de se sentir responsable de ne pas avoir réussi tout ce qu’on
a tenté. Mais n’est-ce pas un danger moins grand que celui de
rester bloqués comme des éléphants par la vision négative de nos
défauts ou de nos points faibles ?

Le poids de la culture et de la morale


L’ancrage profond du réflexe de correction des défauts s’explique
aussi pour partie, par la force qu’exercent encore sur nous quelques
vieilles croyances culturelles ou morales, dont certaines déjà
évoquées précédemment, comme l’exigence de modestie.
De même que croire en ses talents et le dire n’est pas dans nos
coutumes, d’autres idées issues de notre « bon sens » culturel ou
de notre « juste » morale, participent à l’acceptation de l’injonction
à travailler nos points faibles.

■ « No pain, no gain ! »
Parmi ces croyances, je pointerais d’abord celles tournant autour de
la notion de souffrance, dont les origines remontent très loin dans le
temps.
En le chassant du jardin d’Éden, Dieu dit à Adam : « Tu
gagneras ton pain à la sueur de ton front. » (Genèse III, 19.).
Autrement dit, si tu veux vivre, tu travailleras. On comprend la
connotation négative du travail : le mot « travail » vient d’ailleurs –
cela est très largement connu – du latin tripalium, terme connoté
par la douleur et la souffrance. À l’origine, le tripalium était un
instrument de torture à trois pieux, utilisé par les romains pour
punir les esclaves rebelles. Le mot a été repris pour désigner un
appareil servant à immobiliser les chevaux rétifs qu’il faut ferrer ou
soigner.
Dieu dit également à Ève : « Tu enfanteras dans la
douleur. » Difficile de ne pas faire le lien avec les souffrances
inimaginables qu’ont endurées les femmes pendant des années.
Ajoutons qu’on n’hésitait pas, alors, à rappeler aux futures
mamans inquiètes, la valeur rédemptrice de leurs prochaines
inévitables souffrances ! Soulignons enfin la pugnacité
exceptionnelle qu’il a fallu à certains médecins et personnels
soignants pour que l’ensemble du corps médical (ou presque)
accepte enfin, après des siècles d’apologie de la souffrance, de
tout mettre en œuvre pour soulager les douleurs de
l’accouchement.
La société a évolué, fort heureusement, mais l’intérêt et la
valeur de la souffrance restent présents de façon sous-jacente.
« Pour réussir, il faut souffrir », entend-on encore très souvent, en
alternance avec sa version anglo-saxonne : No pain, no gain !
Un intéressant documentaire sur l’athlète jamaïquain Usain Bolt,
sur lequel je suis tombé par hasard en plein confinement, revenait
sur quelques-unes de ses courses les plus fabuleuses.
À l’occasion de sa victoire olympique au 100 m, lors des JO de
Pékin en 2008 – il bat à cette occasion le record du monde,
réalisant un temps de 9″69, le champion était interviewé par un
journaliste, juste après l’arrivée. Le premier commentaire du
journaliste en question est révélateur de l’empreinte culturelle qui
marque encore la notion de réussite : « ce n’est pas tant la vitesse
à laquelle vous avez parcouru cette distance qui m’a étonné mais
bien l’aisance avec laquelle vous avez accompli cet exploit », dit-il
à Bolt. Sous-entendu : il est quand même curieux de battre le
record du monde sans donner l’impression de se surpasser ni de
faire plus d’efforts que ça… à moins d’être dopé pourrait-on
ajouter avec un esprit retors !
« Ne vous fiez pas aux apparences, réplique immédiatement
l’athlète, vous ne pouvez pas vous imaginer les efforts que j’ai
faits et la souffrance que j’ai dû endurer ces deux dernières
années pour en arriver à ce niveau de la compétition. »
Il est évident qu’un exploit comme celui-ci est la conséquence
d’un entraînement hors du commun, fait d’efforts intenses et
répétés. L’essentiel se joue avant la course et c’est bien le prix à
payer pour trouver, le jour J, ce relâchement qui, dans le cas de
Bolt, laisse penser que la course est facile. Mais, dans l’esprit du
journaliste, on devine que la victoire aurait pu sembler plus belle –
et peut-être moins suspecte – si Bolt avait montré de plus grands
signes d’effort. Cette notion de No pain, no gain est si forte qu’elle
nous porte souvent à admirer davantage ceux qui font des efforts
– sans succès – que ceux qui obtiennent des résultats – sans
avoir eu l’air de beaucoup souffrir.
Le « héros » doit mériter son statut : idéalement, il aura dû lutter
contre ses handicaps de départ, il aura démontré une capacité à
endurer la souffrance. Il aura échoué, sera tombé, se sera relevé.
Peut-être aura-t-il réussi à la fin, mais en ayant gardé des
séquelles de ses efforts, à moins même, que le pauvre n’en soit
mort.
À l’inverse, il sera difficile d’être ainsi consacré pour celui ayant
eu l’arrogance de réussir sans (trop) souffrir, en tous cas sans
assez démontrer la probable dureté de ses efforts. S’il y a dans
son histoire, des conditions favorables, des atouts, des succès
rapides, peu d’erreurs, pas d’échec, il lui faudra accepter de
susciter d’étonnants sentiments de jalousie ou de suspicion plutôt
qu’un élan d’admiration. J’ai en mémoire les discussions que nous
avions eues dans une grande entreprise française au sujet
justement des effets de cette « culture du héros » sur la conduite
des projets.
Les responsables du département R&D de ce groupe
multinational avaient constaté qu’une partie des chefs de projet
avaient l’habitude de piloter leur projet de façon très
professionnelle selon les meilleurs principes et méthodes de
gestion de projet, ce qui assurait, dans la plupart des cas, une
création de valeur optimale – le projet aboutissant au résultat
attendu, dans le temps et le budget impartis. Le déroulement de
ces projets n’était naturellement pas exempt des difficultés, des
imprévus, des déconvenues inhérents à tous les projets, mais la
discipline de pilotage mise en place permettait au chef de projet et
à son équipe d’anticiper les dérives, d’éviter ou de maîtriser les
écarts et d’agir ou réagir sans délai. Tout portait à croire que ces
chefs de projet seraient les plus reconnus dans l’entreprise… On
pouvait aussi imaginer que leurs méthodes allaient être enviées et
copiées par tous les autres.
C’était sans compter sur le poids de la culture du « héros » !
Non seulement ces chefs de projet appliqués n’avaient pas
valeur de modèles, pas plus que leurs méthodes n’étaient imitées
dans tous les projets, mais pire : ceux qui faisaient figure de
« stars », au sein de cette entreprise, étaient plutôt des chefs de
projet « héroïques » qui, armés de courage, d’abnégation, de
persévérance, de résilience même, avaient livré de mémorables
batailles à l’occasion de projets au déroulement particulièrement
chaotique !
Plus il y avait de problèmes sur un projet, plus le chef de projet
pouvait démontrer l’étendue de son héroïsme : comment aurait-il
prouver sa valeur si, en mettant en œuvre toutes les bonnes
pratiques, il était parvenu à anticiper et éviter les problèmes ?
C’est ainsi que dans cette entreprise, les récits se
transmettaient des anciens aux nouveaux, à chaque occasion de
rassemblement. Un ingénieur confirmé vantait les mérites de tel
autre d’avoir mené à son terme un projet, qui à force de retards et
de compromis techniques, s’était révélé finalement être un gouffre
financier pour le groupe. Un vieux de la vieille se souvenait, une
larme à l’œil, de ces incroyables aventures vécues, au cours d’un
projet d’implantation d’usine dans un pays lointain, sous la
houlette d’un chef de projet, plus meneur de bande que pilote de
projet.
Les responsables de l’entreprise s’étaient ainsi rendu compte
que les moments de tension qui émaillaient les projets difficiles
avaient, avec le recul, bien plus soudé les équipes que les
paisibles réunions de pilotage qui ponctuaient les projets plus
sereins. Ils comprenaient enfin que cette culture du « héros »
pouvait induire un effet pervers et saper les efforts de formation et
de management visant à professionnaliser les pratiques de
conduite de projet.
Si réussir implique nécessairement de souffrir, alors le chemin
des points faibles est la voie royale ! Elle promet un niveau d’effort
considérable, une souffrance certaine, des erreurs et des échecs
probables : de quoi devenir un « héros » ! À l’inverse, le choix
d’une voie plus aisée, celle exploitant au mieux les forces
possédées, ne pourrait donc pas être la bonne : « Quand le travail
n’est pas assez dur, le progrès n’est jamais vraiment sûr ! »,
affirment certains.
Pire, derrière ce dicton apparemment inspiré par la recherche
d’efficacité, se cache une notion plus morale. Choisir le chemin de
la moindre résistance reviendrait à céder à la facilité, à fuir le
courageux combat consistant à affronter nos défauts. À celui qui
ose la confrontation est plutôt attribuée une image noble.
Envisager la voie la plus adaptée à ce qu’on est, et décider de
contourner la souffrance promise plutôt que de la supporter, passe
au contraire pour un aveu de lâcheté…
C’est pour ça que je suis fatigué
C’est pour ça que je voudrais crier :
Je ne suis pas un héros !
Daniel Balavoine, « Je ne suis pas un héros », album Un autre monde, 1980.

Dans cette tradition culturelle à l’empreinte encore forte – en


dépit des cris de Daniel Balavoine – le « héros » souffre pour
réussir, choisit toujours la voie la plus dure avec courage, se
confronte avec persévérance à ses points faibles…

■ Plaisir coupable…
Le fabuleux destin du « héros » ne réserve à celui-ci que bien peu
de plaisirs !
Et s’il y en a, ce ne pourra être à l’évidence, que le plaisir-
récompense, celui qui se mérite, une fois le succès
(éventuellement) remporté. Encore devra-t-il être discret et
mesuré, au risque de devenir très vite coupable…
Nous avons sans doute tous en mémoire les images de ces
présidents de la République juste élus ayant fait l’erreur ou
commis la faute (entourez l’expression que vous jugerez la plus
adaptée) de fêter leur victoire électorale dans des restaurants trop
« bling-bling ». Après le Fouquet’s, après la Rotonde, où nous
emmènera le prochain ? Suivra-t-il la règle du « jamais deux sans
trois » ou plutôt l’idée que la 1ère bévue est une erreur, sa
reproduction une faute et la récidive une provocation
impardonnable ?
Notre futur.e président.e nous emmènera-t-il.elle à la crêperie
du coin, chez Flunch ou au McDo, ou devra-t-il.elle renoncer à
fêter sa victoire ? J’avoue attendre avec amusement la prochaine
soirée d’élection présidentielle… Dans cette conception du plaisir
comme récompense, apparait bien sûr la vieille image du paradis,
auquel nous pourrions accéder après une vie de souffrance.
Ainsi s’est établi une sorte de logique séquentielle : le chemin,
pavé d’efforts – lesquels seraient associés fatalement à la
souffrance – mènerait ensuite, si ces efforts étaient suffisants, au
résultat, synonyme de délivrance. La souffrance seule autoriserait
la réussite, et la réussite autoriserait le plaisir, récompense ultime.
C’est cette même boucle effort/récompense qui oriente
beaucoup des approches que nous avons de la motivation,
souvent décrite comme la recherche par l’individu d’une
récompense externe censée le satisfaire : salaire,
8
reconnaissance, prime, etc…
Dans ce type d’approche, la « fin justifie les moyens » : l’effort
n’aurait pas d’autre intérêt que la récompense à laquelle il pourrait
donner droit. La motivation à réaliser l’action est dite
« extrinsèque », car liée à un élément externe, totalement dissocié
de l’action proprement dite.
Pour prendre un exemple, jouer sur cette logique de motivation,
reviendrait à enseigner les mathématiques à un enfant en lui
promettant qu’en fonction de la note qu’il obtiendra à son devoir, il
recevra le dernier jeu vidéo à la mode. Il y a fort à parier que les
mathématiques ne seront qu’un mal nécessaire, une souffrance
consentie en vue d’un espoir de récompense et de plaisir. On
mesure facilement les limites de cette logique : pas de motivation
réelle ni durable pour les maths, tentation de triche, ou tout au
moins recours au « bachotage » pour obtenir plus facilement la
récompense espérée, inflation des récompenses, etc…
L’autre logique, souvent sous-estimée, est celle de la motivation
« intrinsèque », dans laquelle l’activité est elle-même source de
plaisir. Réaliser l’action suffit à motiver, sans qu’il n’y ait besoin
d’attribuer une récompense en plus.
Dans l’exemple de l’enfant, il s’agirait de l’aider à trouver ce que
les mathématiques peuvent en tant que telles, lui apporter : peut-
être le plaisir du jeu, la découverte des nombreux usages que l’on
peut en faire, la satisfaction de résoudre des problèmes ou le fait
d’exercer ses talents… J’y reviendrai plus en détail dans le
chapitre consacré à la mise en œuvre de la logique des points
forts.
Face au poids de l’équation effort = souffrance, il a toujours
semblé « contre-culturel » de penser qu’il pouvait y avoir aussi du
plaisir dans le chemin, qu’effort et plaisir non seulement n’étaient
pas opposés, mais bien compatibles : en jouant sur ses forces, en
choisissant des plans qui valorisent nos talents, nous pouvons
allier action et motivation, prendre du plaisir à travailler et atteindre
des résultats plus grands que ceux construits dans la souffrance.
C’est le sens, selon moi, de l’expression « goût de l’effort »,
proche de l’oxymore à première lecture : si, dans la culture
dominante, le mot goût renvoie plutôt au plaisir, celui d’effort est
davantage connoté à la notion de souffrance. Sous cet angle, dire
qu’on a le goût de l’effort, c’est avouer un sérieux penchant
masochiste ! D’un autre point de vue, en considérant cette fois
qu’il existe bien des efforts que nous faisons avec plaisir – parce
qu’ils mettent par exemple en valeur nos forces et nous
permettent de nous sentir à l’aise dans l’action, nous pouvons
affirmer qu’il nous arrive bien de « goûter » (au sens d’apprécier)
certains efforts.
J’irais plus loin encore : ce ne sont pas tant les résultats qui
donnent du plaisir, que le plaisir qui donne les résultats.
Je ne crois pas, en effet, que l’effort-souffrance soit réellement
une condition de succès.
• Ce n’est pas parce que certains ont beaucoup souffert avant de
réussir, que cela démontre qu’il faut souffrir pour réussir !
• Ce n’est pas parce que certains ont connu des échecs avant
d’avoir du succès, que cela atteste que l’échec est un passage
obligé pour qui cherche le succès !
• Ce n’est pas parce que certains ont réussi sur leurs points
faibles, qu’il faut empêcher les autres de parier sur leurs points
forts !

Ma conviction est que l’effort, quand il est vécu avec plaisir


(parce que conduit par la motivation « intrinsèque »), est à la fois
plus intense et plus durable. Le plaisir fournit l’énergie
indispensable à notre engagement.
C’est l’une des raisons qui plaident pour cette recherche
d’alignement avec nos qualités telle que je la propose dans ce
livre. J’aurai bien entendu l’occasion plus loin d’argumenter plus
en détail sur ce point.

■ Le mythe de la perfection
Le dernier pilier de notre culture est peut-être celui qui est le plus
profondément ancré dans notre inconscient collectif. C’est en tous
cas celui qui participe le plus efficacement à fonder et entretenir
l’idée dominante qu’il est indispensable de travailler ses points
faibles. Ce pilier est celui de l’idéal de perfection.
La croyance qu’il porte consiste à faire de la perfection, LA
condition essentielle de la réussite.
Dans la logique de cette croyance, chercher la perfection serait
donc un enjeu de premier plan pour chacun d’entre nous.
L’idée n’est bien sûr pas totalement saugrenue : celui qui
posséderait toutes les qualités possibles pourrait exceller en tout.
On trouve facilement, dans le prolongement de cette idée,
d’amusants exercices proposant de dresser le portrait robot du
mari ou de l’épouse rêvé∙e (au cas où vous ne l’auriez pas déjà
trouvé∙e (écriture inclusive, bien sûr !), du ou de la top-model
parfait.e ou encore du champion de tennis imbattable.
Ce dernier, par exemple, empruntera à Federer son sens du
timing (ce n’est pas un Suisse pour rien !), à Nadal ses qualités
mentales de guerrier (on le compare souvent à un taureau… la
différence avec la corrida, étant qu’à la fin, sur la terre battue, c’est
plus souvent le taureau qui gagne !), à Djokovic sa souplesse,
etc…
Le jeu du parfait composite est amusant, et comme souvent,
s’agissant de sport, il suscite d’interminables débats sur les
comparatifs de qualités des uns ou des autres : mais tout le
monde a compris que ce joueur-là n’existait pas et non pas parce
qu’il n’était pas encore né, mais parce que simplement aucun
individu ne pouvait réunir toutes les qualités et leurs contraires en
même temps !
Si cet exercice anodin ne prête pas à conséquence, il en existe
d’autres qui peuvent induire de fâcheuses dérives. C’est le cas, à
mon sens, des référentiels de compétence construits par
beaucoup d’entreprises, et visant à définir ce qu’on attend d’un
collaborateur dans telle ou telle fonction : référentiel de
compétence, référentiel de management, …
Ce n’est bien sûr pas le référentiel en lui-même qui pose
problème : définir les exigences à tel ou tel poste est
incontestablement utile. Ce qui est en cause, c’est plus l’usage qui
en est fait ensuite, dans lequel la mention « à l’idéal » semble
oubliée.
La limite de la recherche de perfection réside dans la traduction
pédagogique qu’on en fait, lorsqu’oubliant l’aspect idéaliste de la
notion, le « modèle » n’est plus utilisé que pour repérer les points
faibles à travailler. Le moindre écart est présenté comme une
« anormalité » à corriger. Pour l’individu ainsi évalué, le diagnostic
est sévère et parfois lourd de conséquences : doute,
découragement, inquiétude, démotivation…
« Insuffisant », « incompétent », « niveau faible », ou tout
simplement « niveau – – » indique la colonne dans laquelle sera
tracée la croix lors de l’entretien annuel d’évaluation, sur chaque
ligne se rapportant aux points faibles.
Sur les autres lignes, correspondant pourtant aux points forts, il
ne sera pas indiqué « qualité remarquable » ou « point fort »…
mais souvent « satisfaisant », « conforme », « + + » ou parfois
« supérieur aux attentes ».
Par un effet de glissement moral, le référentiel devient
finalement une « grille d’évaluation » portant, qu’on le veuille ou
non, un jugement beaucoup plus qu’une aide à la connaissance
de soi. Mais on touche ici à un autre débat : celui de la raison
d’être ce ces entretiens annuels. Ceux-ci sont petit à petit devenus
l’un des outils-clés du processus de gestion des ressources
humaines, dans sa version rationnelle et financière. Ils ont été
souvent détournés de leur vocation initiale, très alignée avec le
sujet des points forts : un moment privilégié dans la relation
managériale – déconnecté des contingences quotidiennes –
permettant au manager et au collaborateur, de rechercher
ensemble la meilleure voie de progrès et de succès.
Dans cette optique d’origine, ce qui prime ce n’est donc pas tant
l’analyse des écarts avec le référentiel que la connaissance par
l’individu des qualités sur lesquelles il peut s’appuyer pour
continuer de se développer. Cette injonction à chercher la
perfection, donc à combler les manques ou corriger les défauts,
semble méconnaître les fonctionnements de l’individu. Comme
nous l’avons souligné déjà, points forts et points faibles ne sont
que les deux faces d’une même pièce. Par définition donc, parce
que nous possédons tous un côté pile (nos préférences, nos
qualités, nos forces), nous avons tous également un côté face (les
qualités opposées, que par nature donc, nous n’avons pas, ou en
tous cas qui sont moins facilement activables par nous).
Construits sur le désir de perfection, les référentiels ne tiennent
pas compte de cette réalité : en se contentant de lister les
attendus, ils dressent une sorte de portrait-robot de l’être sans
défaut, sorte de mouton à 5 pattes9.
Peut-être s’inspirent-ils du célèbre poème de Rudyard Kipling if,
traduit en 1918 par André Maurois sous le titre Si : tu seras un
homme mon fils.

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie


Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,


Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un seul mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,


Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu’aucun d’eux ne soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître


Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser le rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,


Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage
Sans être moral ni pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite


Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire


Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme, mon fils.

Ce magnifique poème, comme les « modèles » précédemment


évoqués (référentiels d’entreprise notamment), posent l’idéal vers
lequel tendre. Le « si » utilisé par Kipling semble d’ailleurs bien
insister sur l’immense défi que représente le projet de concilier
toutes les vertus et leurs contraires en même temps !
Utiliser ces « modèles » pour évaluer les écarts et ainsi indiquer
un chemin de progrès, revient à faire fausse route. D’abord parce
qu’en réalité, cette analyse ne nous apprend rien : elle se borne à
redécouvrir que, derrière le côté pile des différentes pièces
(qualités « naturelles » de l’individu), il existe un côté face
(qualités contradictoires). Ensuite, parce qu’on fixe une sorte
d’objectif inaccessible, au risque de créer doute, frustrations et
renoncements. Enfin, parce qu’on risque, une fois de plus, de se
tromper de chemin : sommes-nous en effet si sûr de ce lien entre
perfection et réussite ?
L’une des images fréquemment utilisées pour illustrer cette idée
est la métaphore de la chaîne, dont la résistance se résumerait à
la force de son maillon le plus faible. En d’autres termes, le défaut
étant la cause de tout échec, c’est bien à lui qu’il faudrait
s’attaquer.
« Objectif, zéro défaut ! » proclamaient ainsi les tenants de la
Qualité Totale dans beaucoup d’entreprises il y a quelques
années. Née dans le monde très cartésien de la gestion de
production, cette logique de Zéro Défaut peut se concevoir
s’agissant d’un processus – même si, finalement, il est établi
aujourd’hui que le coût et les efforts liés à l’atteinte du Zéro
absolu, sont faramineux au regard des gains obtenus.
S’il peut sembler rationnel de fiabiliser chaque étape d’un
processus, qui obéit par définition à un enchaînement de
séquences liées les unes aux autres, il parait assez contestable
de transposer la même logique à l’être humain, dont l’existence
est composée d’actions, d’activités, de comportements qui n’ont
souvent pas de liens entre eux. Ce n’est pas parce qu’il m’est
difficile de mettre en œuvre une qualité X ou Y, dans un domaine
précis, que l’ensemble de ce que j’entreprends est voué à l’échec !
Habitudes, apparent « bon sens » culturel, héritage de la
psychologie « patho-centrée », mythe de la perfection… sont
autant de facteurs continuant d’encourager la logique corrective,
partout où règne l’injonction du progrès et de la réussite : à la
maison, sous l’influence des parents désireux de nous « armer »
au mieux dans la vie, à l’école bien sûr, et durant nos études, dans
l’entreprise, mais aussi sur les terrains de sport ou dans les
activités artistiques par exemple.
Partout ou presque, le mot d’ordre est le même : pour
progresser, et in fine pour réussir, il faudrait avoir éliminé ses
points faibles, s’être débarrassé de ses défauts. Implacable
logique… en apparence.
Mais les apparences sont parfois trompeuses, rappelle le vieux
dicton.
Est-il vraiment possible de progresser et de réussir en travaillant
ses points faibles ?
Est-ce si indispensable que ça de passer par ce
chemin correctif ?
Pire, n’est-ce pas, au fond et au sens fort du terme, un contre
sens ?

Travailler les points faibles :


« j’voudrais bien mais j’peux point ! »
C’est bien Annie Cordy, alias la bonne du curé, qui me parait ici
résumer l’expérience que, sans doute, nous avons tous vécue, un
jour ou l’autre, en nous confrontant à nos points faibles : « j’voudrais
bien mais j’peux point ! ».
Si le point faible perdure, c’est rarement par manque de
conscience de son existence : il est resté faible simplement parce
que je n’ai jamais réussi à faire mieux ! Et tous les ceux qui se sont
rejoints pour me faire prendre conscience de la nécessité de corriger
ce défaut n’ont fait que me renvoyer à cette incapacité quasi-
structurelle.
Un point faible n’est pas « faible » pour rien : il correspond bien à
une ressource interne dont je manque, ou que je peine en tous cas à
mobiliser, par opposition à la qualité contradictoire que j’active
facilement et spontanément. Point fort et point faible, comme je l’ai
déjà expliqué, sont les 2 faces d’une même pièce.
Côté pile, je joue « facile », côté face, je suis « à la masse »
pourrait-on résumer dans un (très) mauvais slogan. C’est bien le
manque de cette qualité « face » qui, dans les situations, les
contextes, les activités où elle semble nécessaire, me met en
difficulté.
Or, souvent, la logique corrective se contente de poser un
diagnostic très superficiel, confondant le « quoi » (la situation, le
contexte, l’activité) et le « comment » (les qualités que je sais,
ou pas, mettre en œuvre). Dès lors, « travailler ses points faibles »
se résume souvent à se confronter encore et encore à la situation,
au contexte ou à l’activité en question en espérant que la qualité
manquante finisse par se développer !
C’est bien la définition qu’Albert Einstein donnait de la folie :

« La folie, c’est de faire toujours la même chose


et de s’attendre à un résultat différent. »

Albert Einstein et Annie Cordy, contre toute attente, s’unissent ici


pour illustrer le faible rendement du travail sur les points faibles.

Travailler plus pour gagner moins !


Si travailler ses points faibles était facile, nous l’aurions fait depuis
naturellement depuis bien longtemps !
En tant que droitier, s’il était facile pour moi de me servir de ma
main gauche, j’aurais déjà appris à le faire depuis longtemps et je
le ferais certainement aujourd’hui tous les jours, indifféremment,
sans même y penser, pour m’amuser, ou pour alterner et reposer
la main droite.
Mais, comme beaucoup de droitiers sans doute, je me connais
adroit d’un côté et gauche de l’autre ! Certes, avec un peu
d’entraînement, je pourrais probablement parvenir sans grande
difficulté à écrire mon nom. Mais recopier cent fois « je ne perdrai
plus mon temps à travailler mes points faibles » relèverait
davantage de la torture !
Outre la question du sens – à quoi bon ? – sur laquelle je
reviendrai plus loin, s’impose ici une logique d’économie
d’énergie : il faudrait ne rien avoir d’autre à faire – donc disposer
de réserves d’énergie inexploitées – pour consacrer de lourds
efforts pour corriger ce défaut qui n’en est pas vraiment un.
Le premier frein sur le chemin des points faibles est d’abord
celui de l’efficience : Travailler ses points faibles demande une
énergie colossale pour des résultats souvent décevants.
Pour illustrer cette notion d’efficience, dans les missions de
conseil et d’accompagnement que nous menons au sein
d’Animae, nous utilisons souvent une « modélisation » de la
performance.
Celle-ci pose la performance comme la production (et la
reproduction) de résultats dans la durée. En cela, elle ne se
confond pas avec la notion d’exploit, laquelle désigne plutôt
l’obtention d’un résultat ponctuel.
Cette équation fait de la performance le produit de deux
facteurs :
P=M×E
Performance = Moyens × Engagement
Les moyens, s’agissant d’un individu, sont un ensemble formé
de ses qualités intrinsèques, de ses acquis, de ses compétences.
Elargi à une entreprise, ce facteur des moyens intègrerait d’autres
ressources telles les budgets, l’organisation ou les outils de travail.
L’engagement, lui, désigne la quantité d’énergie réellement
investie par l’individu (ou s’il s’agit d’une entreprise, par l’ensemble
des collaborateurs). Ainsi le E de cette équation pourrait aussi être
le E de Effort. Ce n’est en effet pas seulement de motivation dont
il s’agit ici, mais bien de sa résultante concrète.
Qu’il faille allier « pouvoir » faire et « vouloir » faire pour obtenir
un résultat, dans quelqu’activité que ce soit n’est pas un scoop
bien sûr. C’est l’effet multiplicateur qu’il est plus intéressant de
pointer au travers de cette formule : le rendement de l’énergie
investie est d’autant plus élevé que la quantité de moyens
disponibles est grande. C’est exactement ce qui se joue tant que
l’on reste centré sur ses points forts. Dit très simplement : investir
un peu sur ses points forts suffit à développer des résultats
satisfaisants. S’engager davantage permet de viser l’excellence,
pour reprendre le terme de l’américain Tom Rath10, créateur du
célèbre outil Strengths Finder. Tom Rath propose une version très
approchante de notre équation de la performance, dans laquelle
l’excellence est le produit de la quantité de talent et de
l’investissement11.
C’est bien entendu tout l’inverse qui se produit lorsqu’on tente
de travailler ses points faibles : disposant, par définition, de
moyens moins abondants (ni talents, ni compétences solidement
ancrées…), on se trouve dans l’obligation de fournir un niveau
d’effort élevé pour espérer réussir.
Chacun l’a probablement déjà expérimenté : dès lors qu’il s’est
agi de travailler ses points faibles, il a fallu mobiliser une quantité
d’énergie phénoménale. D’abord pour s’y atteler – car la
conscience du défaut conduit à anticiper la dureté des efforts – et
ensuite pour activer des qualités qui ne sont pas, par définition,
des qualités faciles et spontanées.
Peut-être même se sera-t-on rendu compte de la facilité avec
laquelle le voisin, armé des qualités que je n’ai pas, aura, lui,
réussi le même exercice… Si ce n’est vexant, c’est au moins un
peu désespérant !
Mais ce ne sont là que des constats empiriques.
Différentes études ou approches ont permis de montrer le faible
rendement qu’avait l’investissement sur les points faibles. Parmi
elles, je vous recommande vivement de vous intéresser aux
perspectives qu’ouvre l’approche Action Types®12.
L’approche Action Types® est conçue, à l’origine, par deux
entraîneurs sportifs, Bertrand Théraulaz et Raph Hippolyte, qui ont
constaté, de façon empirique d’abord, que chaque athlète, dans la
même discipline, développait une gestuelle spécifique. S’appuyant
sur des recherches scientifiques, les deux fondateurs ont ensuite
construit un protocole de tests physiques et moteurs, permettant à
chacun d’identifier ses « préférences motrices et cérébrales ».
Ils résument leur approche ainsi : « Les sportifs ont tous leur
propre façon de bouger, de se coordonner dans l’espace… Une
fois que leurs préférences sont connues, il s’agit de travailler sur
leurs forces, et non sur leurs faiblesses. »
Aujourd’hui, le champ d’application de cette approche dépasse
très largement le seul domaine du sport, pour se répandre dans
l’univers de l’entreprise (management, communication) ou encore
dans celui de l’enseignement.13
Au contraire d’autres modèles, construits eux sur la base de
questionnaires plus traditionnels, Action Types® utilise nos
postures et notre gestuelle pour accéder à la compréhension de
nos fonctionnements cérébraux : si les réponses aux habituelles
questions peuvent être parfois trop réfléchies ou simplement
biaisées, le corps lui s’exprime spontanément révélant la manière
avec laquelle nous utilisons préférentiellement notre cerveau. « Le
mouvement est au centre et à la base de tout », explique Bertrand
Théraulaz, l’un des fondateurs de l’approche. « Au départ,
l’Homme a dû bouger pour survivre. C’est pour cela que le
cerveau s’est développé. Et non le contraire. »
En l’occurrence, en se livrant aux différents tests proposés par
les spécialistes certifiés, il est bluffant de constater la facilité avec
laquelle nous sommes chacun capables de réaliser les exercices
proposés dès lors que ceux-ci nous permettent d’utiliser nos
points forts, c’est-à-dire de fonctionner selon nos préférences
motrices et cérébrales.
À titre d’exemple, Action Types® distinguera, en reprenant les
axes de Jung et du MBTI, les personnes qui pour percevoir leur
environnement, utilisent plus naturellement la fonction N (iNtuition)
que la fonction S (Sensation). Ces deux fonctions correspondent à
des zones cérébrales opposées : le N perçoit plutôt les situations
dans leur globalité et leur finalité, là où le S voit chaque détail et
considère d’abord les faits davantage que les idées. Les études
menées par Action Types® montrent que cette préférence
cérébrale (sorte d’habitude d’utilisation de notre cerveau) se
retrouve dans notre façon de marcher.
Les N s’appuient sur l’avant du pied, dans un mouvement de
déséquilibre vers l’avant, initié par les épaules : l’un des tests
montre ainsi qu’en bloquant ceux-ci au niveau des épaules, le
testeur les empêche facilement d’avancer. Les S, eux, s’appuient
sur l’arrière des pieds, marchant dans une sorte de déséquilibre
arrière, compensé par un mouvement des hanches.
Soumis au même test, les S n’ont aucun souci à marcher,
malgré la force que le testeur applique contre leurs épaules. En
revanche, si ce dernier les bloque maintenant au niveau des
hanches, il parvient immédiatement à les empêcher de marcher –
ce blocage des hanches n’ayant lui aucun effet sur les N,
capables de se mouvoir tant que leurs épaules sont libres.
Même s’il est difficile de décrire avec des mots une expérience
qui se vit, les différents tests Action Types® nous confrontent de
manière très frappante et très concrète à nos points forts et à nos
points faibles. Voir que nous réussissons sans peine à faire des
exercices que d’autres « cobayes », juste à côté de nous, ont du
mal à réaliser, met particulièrement en lumière nos différences et
leur lien avec nos fonctionnements cérébraux.
Par ailleurs, l’approche Action Types® montre que ces
différences témoignent de « préférences » de fonctionnement : au-
delà de nos réflexes spontanés, nous possédons, tous autant que
nous sommes, la capacité d’utiliser les autres fonctions de notre
cerveau.
En suivant un protocole spécifique, les testeurs sont ainsi
capables de nous faire activer ces zones cérébrales dont nous
nous servons moins, et qui constituent donc pour nous des
« points faibles ». Les exercices que nous avions du mal à
effectuer auparavant deviennent alors accessibles pour nous,
mais avec une limite de taille : ce mode de fonctionnement, ne
correspondant pas à nos préférences, va consommer beaucoup
plus d’énergie que notre mode « naturel ».
L’approche Action Types® confirme l’observation empirique
selon laquelle le travail centré sur les points faibles demande
beaucoup d’efforts pour peu de résultats.
D’autres travaux viennent à l’appui de ce constat de la difficulté
qu’il y a à travailler « à contre-courant » de nos aptitudes
spontanées. Certains d’entre eux tentent notamment d’éclairer sur
la consommation énergétique du cerveau humain et sur l’impact
qu’aurait le fait de se livrer à des activités plus exigeantes.
On pourra par exemple se référer aux travaux du professeur
Ewan McNay, de l’université d’Albany, aux États-Unis, lequel
rappelle que le cerveau, est déjà, à la base, l’organe le plus
énergivore du corps humain : il pèse en moyenne 2 % de notre
poids total, mais nécessite 20 % environ de notre métabolisme de
base au repos – soit 320 Kcal des 1 600 Kcal absorbées
quotidiennement par un adulte type.
Mesurant le niveau de glucose – « carburant » du cerveau –
chez des cobayes qu’il soumet à différents tests, il arrive à la
conclusion que s’adonner à une tâche difficile représenterait un
surcroît de consommation d’à peu près 5 % en moyenne.
Des études complémentaires, comme celle de Messier,
paraissent nuancer cette moyenne somme toute peu significative
de 5 % : « Peut-être que si nous les avions poussés plus
durement, et fait faire aux sujets des choses pour lesquelles ils ne
sont pas bons, nous aurions pu avoir des résultats plus évidents »,
reconnait Messier en précisant que la difficulté et la durée des
tâches demandées aux participants étaient assez limitées.
L’autre nuance à apporter au résultat de l’étude de McNay porte
sur l’état d’esprit de l’individu par rapport à la tâche en question.
Nous savons tous que l’effort parait moins intense dans le cas
d’une activité que nous abordons avec plaisir. En revanche, face à
une tâche obligatoire – qui ne nous motive donc pas – ou que
nous anticipons comme très difficile (une épreuve d’examen, un
marathon, une activité correspondant à nos points faibles …), le
sentiment d’effort est plus grand.
Des études ont montré que quelque-chose d’identique survient
quand les gens font de l’exercice ou du sport : une large
composante de l’épuisement physique est dans notre tête14. Dans
une recherche apparentée, des volontaires qui ont fait du vélo
après un test informatique de 90 minutes exigeant une attention
soutenue ont arrêté de pédaler, épuisés, plus tôt que les
participants qui avaient regardé des documentaires
émotionnellement neutres avant l’exercice. Même si le test
d’attention ne consommait pas beaucoup plus d’énergie que de
regarder des films, les volontaires ont rapporté se sentir moins
énergiques. Ce sentiment était suffisamment puissant pour limiter
leur performance physique15.
Se confronter à ses points faibles – d’autant plus si cela nous le
vivons comme un challenge forcé – pourra probablement nous
faire ressentir ce sentiment de fatigue qui vient renforcer l’effective
dépense énergétique nécessaire.
Si utiliser le côté « face » peut être un choix conscient –
notamment lorsqu’on obéit à la pression de la logique corrective
ou bien sûr dans l’exemple de ces tests Actions Types® – il peut
aussi s’agir d’un glissement inconscient.
La conséquence est la même : à chaque fois que l’individu
fonctionne « à côté » de ses forces, dans des modes qui ne lui
sont pas naturels, il est contraint de devoir mobiliser une quantité
d’énergie plus grande que lorsqu’il agit « dans » ses forces.
Jung avait ainsi déjà avancé qu’en situation de stress, l’individu
avait tendance à se réfugier du côté « ombre », en d’autres termes
à adopter un schéma de fonctionnement opposé à son schéma
favori. Différents travaux tendent à confirmer ce mécanisme,
attestant également du faible rendement de ce passage côté
« face ».
Les études menées par Barbara Bryden16 paraissent confirmer
les intuitions de Jung sur les effets du stress.
D’après elle – et l’approche Action Types® le confirme – dans
les périodes ou situations de stress, nous nous mettons bien à
utiliser des zones du cerveau différentes des aires préférentielles
que nous activons d’habitude. Dans cet état, la consommation
d’énergie du cerveau serait jusqu’à 100 fois supérieure à la
normale, ce qui peut nous conduire à ressentir un sentiment
d’épuisement mental et physique.
On pourra néanmoins avancer que les nombreux symptômes
liés au stress contribuent de façon significative à ce surcroît de
consommation énergétique. Les hormones générées en situation
de stress tendent à mettre en tension l’ensemble du corps, en
réaction à ce qui est perçu comme une menace vitale. En
accélérant le rythme cardiaque, en renforçant la tension
musculaire, en stimulant les différents organes de sensation, etc.
… le stress prépare l’individu à fuir ou à agresser. Autant
d’adaptations qui s’ajoutent à l’utilisation de circuits cérébraux
inhabituels et nécessitent beaucoup d’énergie.
Que ce soit de façon empirique ou de façon plus scientifique,
que ce soit en corrélation avec un état de stress ou seulement par
volonté de progresser, tenter d’utiliser les qualités qu’on n’a pas –
car c’est bien à cela que cela revient – est un choix que ne ferait
sans doute pas le 1er investisseur venu : le rendement s’annonce
médiocre !
Quelques grands sportifs en ont fait l’amer constat, en voulant
se reconvertir dans un autre sport que celui dans lequel ils avaient
initialement réussi. Même si d’autres facteurs entrent très
certainement en ligne de compte pour expliquer les échecs en
question, le fait de ne pouvoir compter sur leurs forces habituelles
– et de devoir donc développer d’autres qualités – a
indéniablement joué.
Après avoir annoncé sa retraite de basketteur en octobre 2013,
Michael Jordan (trois titres NBA, deux titres olympiques, un collier
de médailles individuelles…) surprend à nouveau quelques mois
plus tard en se lançant dans le base-ball, avec la ferme intention
de jouer au plus haut niveau. Voici comment un de ses amis
basketteurs commente cette décision, à mots couverts et non
sans humour : « Michael a plus de chances d’être pro au baseball
qu’au golf. Je sais de quoi je parle, j’ai joué au golf avec lui… »
La seconde carrière de Jordan a en effet vite tourné
court. Malgré ses efforts, l’ex-star de la NBA doit se rendre à
l’évidence : il n’a pas le niveau requis. Certains médias ne cachent
pas leur déception, à l’image du très célèbre « Sports Illustrated »,
le grand hebdo sportif US, dont Jordan fit 50 fois la couverture
(plus que n’importe quel autre athlète), qui titra d’un lapidaire :
« Bag it, Michael ! » (Remballe, Michael !)
Plus près de nous, on a également en mémoire la vaine
tentative de reconversion d’Usain Bolt dans le football. Si le
Jamaïquain possède évidemment d’extraordinaires qualités
d’athlète (ses 8 médailles d’or le prouvent, s’il fallait une preuve !),
elles ne suffisent pas à exceller dans le football. Celles qu’il faut y
développer demandent un travail que les footballeurs confirmés
ont mis des années à réaliser : même pour un athlète de la trempe
de Bolt l’effort est colossal et le résultat incertain.

Le cercle vicieux du (mauvais) doute


Si l’injonction à corriger ses points faibles reste bien établie, il est un
domaine où l’on croise de solides contempteurs de cette théorie :
dans le monde des entraîneurs sportifs, dans l’univers du haut
niveau, nombreux sont ceux qui ont constaté l’impasse que
représentait la logique corrective.
C’est le cas notamment de Fabrice Pellerin, l’entraîneur de
l’Olympic Nice natation, qui en son temps s’occupait de quelques-
uns de nos meilleurs champions de natation tels Yannick Agnel,
Camille Muffat, Clément Lefert ou encore Charlotte Bonnet.
Pour mémoire, aux Jeux Olympiques de Londres en 2012,
ces 4 nageurs ont décroché 9 médailles (dont 4 en or), faisant de
Fabrice Pellerin l’entraîneur le plus titré du sport français aux Jeux
Olympiques.
Dans son livre17, l’entraîneur explique : « Beaucoup de gens
pensent sincèrement que consacrer 100 % de ses efforts aux
matières qui pêchent va améliorer leurs performances. Chez les
enfants notamment, on voit les effets toxiques d’une telle théorie.
Un minot est mauvais en maths ? En plus de ses cours au collège,
on lui en fait ingurgiter en leçons particulières et, pour libérer du
temps pour la sacro-sainte algèbre, on supprime même son
entraînement de foot, domaine où il excelle. Résultat : confronté à
haute dose à la matière qui le met en échec et privé des
expériences positives de réussite qu’il vivait en crampons, son
sentiment de compétence chute… Et avec lui, ses notes en
maths ! »
Ce que décrit Fabrice Pellerin, c’est l’apparition d’une spirale
négative, nourrie notamment par un sentiment de doute
envahissant.
À l’arithmétique un peu froide de cette notion de rendement
s’ajoute en effet un autre phénomène que rencontre celui qui
s’obstine à se confronter aux situations révélatrices de ses
manques : le doute et ses effets. Sans doute (c’est le cas de le
dire…) est-il utile d’abord de bien distinguer « bon » et
« mauvais » doute.
Là encore, la culture tend à valoriser la notion de doute : il serait
sage de douter. Assurément, le doute a ses vertus dès lors qu’il
filtre le regard que nous posons sur le monde : soumettre à la
critique ce que nous percevons, rester attentif en toute situation,
ne pas penser les choses acquises à l’avance, peser le pour et le
contre dans une prise de décision, etc… Ce doute-là, se
définissant donc comme l’intégration de la dimension toujours
incertaine des choses, contribue indéniablement à nous élever : il
nous pousse à la réflexion, à la prudence ou à la tempérance par
exemple. Il s’apparente à l’humilité qui anime celui qui sait
distinguer ce sur quoi il peut agir (ses choix, ses plans, ses actes)
et ce sur quoi il n’a pas prise (l’extérieur, les autres, le monde).
À l’inverse le doute, lorsqu’il teinte le regard que l’on porte sur
soi, sur ses capacités à entreprendre ou à accomplir telle ou telle
action, s’avère être un frein puissant. C’est bien à ce « mauvais »
doute que renvoie la logique corrective.
Imaginez-vous face au jury de ce Grand Oral… Je maîtrise mon
sujet. Je sais parfaitement ce que j’ai à dire. Pourtant, à cet
instant, j’aimerais être loin, très loin. En face de moi, quelques
paires d’yeux me scrutent, attendant mes premiers mots. Je les
connais par cœur, je les ai répétés encore il y a quelques minutes,
mais ils sont comme bloqués à l’intérieur. Je sens mon cœur qui
bat, j’ai chaud, de plus en plus chaud. Mes mains moites tremblent
en approchant le verre de mes lèvres : j’espère qu’un peu d’eau
redonnera vie à ma gorge asséchée.
Dans le son qui sort enfin de ma bouche, que j’entends comme
s’il émanait d’ailleurs, je reconnais ma voix, chevrotante et
hésitante.
« Laisse tomber, tu es ridicule » semble souffler mon cerveau à
cet instant, avant qu’une voix forte, en face de moi, ne coupe cette
pensée désagréable :
« Parlez plus fort, on ne vous entend pas ! », tonne l’un des
membres du jury.
J’ai envie de fuir, de rétrécir jusqu’à disparaître plutôt que
d’affronter ces regards dans lesquels je ne vois que ce point
faible, semblable à un immense trou noir absorbant toutes les
qualités, compétences, talents qui, par ailleurs, m’ont amené
jusqu’à l’ultime épreuve d’aujourd’hui.
Quiconque a vécu ce genre de mésaventure, dans une situation
de prise de parole en public, ou dans toute autre activité le
confrontant à son « pire » point faible, sait la force de ce doute. Le
doute, qu’avive la confrontation à ces situations mettant nos points
faibles en exergue, est ainsi : nourrissant un cercle vicieux (voir le
schéma ci-dessous), il prend toute la place, occupe tout l’espace,
nous vide de nos ressources, nous paralyse et nous rend malade.
Il n’est plus seulement la saine acceptation de l’incertitude
(le « bon » doute), mais bien ce biais de jugement par lequel nous
sous-estimons notre capacité à réussir ce que nous entreprenons.

Le cercle vicieux du doute

Pour éclairer ce phénomène, nous pourrions regarder l’individu


au travers de son « bilan » doute/confiance18. Un peu comme le
bilan est le reflet de l’état financier de l’entreprise, le bilan
doute/confiance décrit l’état « motivationnel » de l’individu.
Confiance et doute, comme l’actif et le passif du bilan
comptable, constituent les deux parties de ce bilan, liées l’une à
l’autre, par le principe des vases communicants : quand le niveau
de confiance augmente, le niveau de doute diminue, formant alors
un différentiel entre confiance et doute : ce différentiel représente
ce que nous pourrions appeler le « niveau d’énergie disponible »
de l’individu, sorte de réserve de motivation.
C’est ce qui se produit lorsque nous avons le sentiment que nos
efforts amènent un progrès, quand nous constatons que le travail
donne des résultats, ou encore que nous engrangeons un succès.
Ces différents messages positifs, dont l’impact est démultiplié par
le regard des autres (et notamment par le regard de nos Tiers
Privilégiés19), ancrent notre confiance en nous et
« récompensent » en quelque sorte notre effort initial. Tant que le
rendement est bon (apport > effort) et que la confiance se nourrit
de chaque progrès, de chaque succès, nous éprouvons ce
sentiment diffus mais certain d’être sur la bonne voie. Nous
prenons de l’énergie et ressentons une motivation accrue à
poursuivre nos efforts, dans une sorte de cercle vertueux.
Sur le difficile chemin des points faibles, en revanche, la spirale
tend à s’inverser.
Au-delà même de la quantité d’efforts à fournir, nous nous
confrontons d’emblée à un niveau de doute souvent supérieur au
niveau de confiance que nous avons en nous. Normal : jusqu’à
preuve du contraire, nous avons plutôt accumulé dans les
domaines se rapportant à nos points faibles, plus d’expériences
d’échec, d’erreur ou de difficulté, que de précédents positifs. Et
surtout, jusqu’alors, ces expériences ont été accompagnées du
regard de tiers nous invitant à prendre conscience de nos défauts,
limites ou points faibles.
La prise de parole en public, dont je parlais déjà précédemment
et « point de progrès » assez récurrent dans les entretiens
annuels d’évaluation, illustre assez bien l’influence de ce
mécanisme de doute. Dans les démarches de coaching que nous
menons régulièrement dans différents types d’entreprises, il nous
arrive souvent de croiser des cadres expérimentés tétanisés à
l’idée de devoir s’exprimer face à une salle pleine.
Pas besoin alors de divan pour les amener rapidement à avouer
qu’ils se débattent depuis très longtemps avec ce « point faible ».
Dès l’école primaire, les annotations des enseignants avaient
commencé à nourrir le doute : « élève appliqué à l’écrit mais trop
effacé à l’oral », « doit s’exprimer davantage en classe », « trop
timide », etc…
D’ailleurs, précisent certains, ce point faible a fait office
d’épouvantail dans le choix de leurs études, les conduisant à
éviter les matières exigeant des qualités de prise de parole.
Nombre d’entre eux ont donc bâti leur réussite dans d’autres
disciplines, plus alignées avec leurs points forts. Les progrès, les
succès et la reconnaissance obtenus dans ces domaines ont
alimenté leur capital confiance… jusqu’à ce moment donc, en
plein entretien annuel, durant lequel leur N+1 leur remet en
mémoire le « défaut » presqu’oublié : « Si tu aspires à progresser
au sein de l’organisation, il est vital que tu développes tes
capacités à t’exprimer en public ce qui, je l’ai constaté, n’est pas
ton point fort. En es-tu conscient ? »
Quelle question ! C’est même ce niveau de conscience aigu,
sédimenté par des années de remarques sur le point faible, qui a
forgé une masse de doute telle que la simple évocation d’un
exercice d’expression orale suffit à provoquer une montée de
stress.
Ce doute constitue le vrai défi pour le coach en charge de
l’accompagnement. Ce n’est pas la quantité d’effort – comme
dans l’équation décrite ci-dessus – qui sera en question. Ce n’est
pas non plus la technique qui pose problème. C’est bien
davantage la peur de ne pas être à la hauteur, le souvenir diffus
mais très présent de mauvaises expériences passées, le
sentiment d’avoir un « défaut » – au sens du manque structurel
par rapport auquel on ne pourrait décidément rien.
Tout effort supplémentaire est empêché par la peur. Toute
tentative d’apprentissage technique est vouée à l’échec. Tout
raisonnement, même simple, est perturbé le stress. Pris dans
l’étau de cette angoisse, l’individu en question peut même souffrir
physiquement : insomnie, perte d’appétit, maladie…
Que faire alors ?
Faudrait-il renoncer à affronter les situations de prise de parole
en public ? Évidemment non. Ces situations font partie du « job » :
être capable de les jouer de façon satisfaisante n’est pas
négociable. Miser sur les points forts ne signifie pas renoncer à
progresser ! Mais apprendre à gérer ces situations ne peut non
plus se résumer à forcer l’individu sur le chemin du doute : le
confronter à ce qu’il craint le plus en espérant qu’il finisse par
développer des qualités qu’il n’a pas, relève plus de la méthode
Coué que du coaching !
L’enjeu consiste à chercher avec lui une autre voie, qui exploite
son capital confiance et valorise ses points forts : comment, avec
les qualités qui sont les siennes, peut-on capter un auditoire ?
Une piste peut être par exemple de l’amener à concentrer son
énergie sur le fond plutôt que sur la forme : quels sont les enjeux
de la prise de parole sur le fond ? quels sont les objectifs ? les
informations essentielles à partager ? les messages à passer ?
etc… En restant le plus possible focalisé sur des points qu’il
maîtrise, en le poussant à l’excellence sur ces sujets, on
« réaligne » l’individu sur ses points forts. En se sentant de plus
en plus à l’aise sur le fond, il retrouve un peu de confiance. Il
devient alors plus facile de le valoriser, de l’encourager avec
sincérité.
Bien entendu, ce travail n’aura pas permis de faire disparaître
l’appréhension de la prise de parole. Mais il aura eu le mérite de
rehausser le niveau d’énergie permettant à l’individu d’oser
affronter ce qu’il craint, au point que l’on peut le sentir désormais
presqu’impatient de délivrer les messages qu’il a tant ciselés.
À cette préparation centrée sur les points forts, s’ajoutera,
le plus tard possible, une séance d’entraînement, dont l’objectif
n’est absolument pas de transmettre à la personne concernée
toutes les compétences du parfait orateur, et encore moins
évidemment de lui faire prendre conscience de ses lacunes, mais
juste de vivre la situation « à blanc » en lui apportant quelques
basiques (gestes ou des actions les plus simples possibles) de
concentration : reste debout sur la croix tracée au sol, fixe
alternativement le regard de 3 ou 4 personnes dans le public,
etc…
L’ultime consigne, avant l’heure H, sera bien entendu seulement
centrée sur la quantité d’effort accumulée sur le fond : « Souviens-
toi du travail que tu as fourni sur le fond : c’est ce que tu as à dire
qui compte… »
Le principe reste toujours le même : se servir des points forts
pour renforcer la confiance et pousser vers l’excellence, et se
contenter, sur les points faibles, de fixer l’attention sur quelques
réflexes peu nombreux et faciles à acquérir. Nous reviendrons
plus en détail sur ce principe dans le dernier chapitre.
Le doute est un frein très puissant : tension, nervosité,
incapacité de se concentrer ou à maîtriser ses actes et ses
gestes… Le doute nous rend indéniablement moins efficace dans
ces situations où nous touchons à nos limites. Pire, il peut nous
paralyser, son caractère naturellement globalisant nous amenant à
perdre toute confiance, même pour faire usage des qualités dont
pourtant nous nous savons pourvus.
C’est ainsi qu’en prenant le chemin ardu qui nous confronte aux
situations dans lesquelles on se sait faible, on court finalement
deux risques : ne pas réussir à devenir fort sur ses points faibles
et, plus grave encore, se sentir devenir de plus en plus faible sur
ses points forts ! Un comble…

Travailler les points faibles :


un passage obligé, vraiment ?
Une spirale de doute infernale, le regard des autres à affronter,
beaucoup d’efforts pour des résultats décevants… à quoi bon
s’infliger une telle épreuve ?
Le « bon sens » très partagé semble affirmer que nous n’avons
pas d’autre choix : progresser, réussir, imposent de passer par la
correction des défauts. Il faudrait donc travailler à développer les
qualités que l’on ne possède pas pour, enfin, parvenir à maîtriser les
situations ou les activités sur lesquelles nous butons encore.

Faut-il absolument chercher à tout savoir faire ?


C’est la première question qu’on peut se poser et à laquelle on
pourra répondre comme un Normand : « ça dépend ! ».
Bien entendu, dans nombre de cas, il faudra en effet
absolument parvenir, sinon à maîtriser, au moins à gérer certaines
situations, compétences, activités incontournables. Certaines
d’entre-elles peuvent a priori nous confronter à nos points faibles.
Dans la dernière partie du livre, nous verrons comment s’y
prendre pour s’engager dans cette voie avec les plus grandes
chances possibles de succès.
Mais, sans doute influencés par la petite et persistante voix du
« sois parfait » avons-nous trop tendance à élargir cette dimension
incontournable à un très (trop) grand nombre de champs.
Dans l’intéressant article publié par la célèbre Harvard Business
Review, plusieurs chercheurs du non moins célèbre MIT
(Massachusets Institute of Technology)20 relatent les études qu’ils
ont menées auprès de dirigeants, dans le cadre du Leadership
Center. Selon eux, le leader idéal se devrait de posséder 4
grandes compétences, essentielles pour diriger une entreprise
aujourd’hui : le sens (comprendre le contexte dans lequel
l’entreprise et ses collaborateurs opèrent), la relation (nouer des
liens, au sein de l’entreprise et à l’extérieur), la vision (créer une
image enthousiasmante du futur) et l’invention (développer de
nouvelles façons de concrétiser la vision). Ces compétences,
précisent les chercheurs du MIT, requièrent de nombreuses
aptitudes, à la fois intellectuelles et interpersonnelles, rationnelles
et intuitives, conceptuelles et créatives. Au cours de leurs études,
les auteurs assurent que « rares, si tant est qu’ils existent, sont
ceux qui excellent dans les quatre domaines ».
Le problème est que « le mythe du leader parfait (et son
corollaire, la peur de paraître incompétent) pousse beaucoup de
dirigeants à essayer de l’être, s’épuisant eux-mêmes et nuisant à
leur entreprise au passage […]. Il est temps de faire taire ce
mythe, non seulement dans l’intérêt des leaders inquiets, mais
aussi pour le bien des entreprises. »
Ainsi rencontre-t-on parfois des patrons désireux d’encourager
la confiance, l’optimisme et le consensus, qui au contraire
récoltent de la colère, du cynisme et du conflit, parce qu’ils ne
parviennent pas en réalité à réellement comprendre les autres et
reconnaître d’autres points de vue que le leur. Dans les relations
qu’ils s’efforcent d’entretenir au sein de leur entreprise, ils passent
en fait plus de temps à vouloir convaincre qu’à écouter.
Ce que montrent les chercheurs du Leadership Center du MIT,
c’est que les bons leaders acceptent d’être imparfaits.
Ce leader imparfait n’est pas un leader incompétent, ignorant de
ses faiblesses. C’est un patron qui « connaît ses aptitudes et ses
inaptitudes, et sait comment travailler avec les autres pour tirer
parti de ses forces et contrebalancer ses faiblesses ».
L’enjeu n’est plus tant, dès lors, celui de l’incarnation par une
seule personne, d’un leadership tout puissant, mais bien la
création d’un leadership partagé et de ce fait à la fois plus humble
et plus authentique.
C’est dans le même ordre d’idée, le constat fait par les
dirigeants du Groupe Michelin il y a de cela plusieurs années, sur
la base d’un indicateur : ce que, dans les grands cabinets de
conseil américain, on appelle le span of control, en clair le nombre
de collaborateurs rattachés à un manager. En l’occurrence, ce
chiffre était particulièrement bas, révélant qu’il y avait donc dans
l’organisation, un pourcentage trop élevé de managers rapporté à
l’effectif total : trop de chefs !
Derrière ce chiffre, une réalité : le seul moyen de faire
progresser les employés méritants, en termes de salaire, de
reconnaissance plus généralement – et donc de les fidéliser, était
de leur permettre de monter dans la hiérarchie.
Certains d’entre eux se révélaient être d’excellents managers.
D’autres en revanche se retrouvaient en difficulté, obligés de
lâcher l’activité dans laquelle ils avaient réussi et qui les motivait,
pour jouer un rôle très éloigné de leurs qualités personnelles… au
point que l’entreprise finissait par diminuer au maximum la taille de
leur équipe. Certains managers ne manageaient plus personne,
devenant, selon l’expression sur-réaliste, des cadres non-
encadrants !
Pour éviter ce travers fréquent (combien d’experts brillants dans
les entreprises finissent en managers toxiques et aigris ?),
Michelin décida de repenser son système de progression, pour
mieux prendre en compte la diversité des profils. Ainsi, en fonction
de ses qualités personnelles, un ingénieur peut accéder bien sûr
toujours à des responsabilités managériales. Mais, il lui est aussi
possible de s’épanouir dans la conduite de projet, prendre en
charge des affaires, puis pourquoi pas demain, des projets de plus
en plus stratégiques, jusqu’à intégrer le cercle des chefs de projet
les plus capés du Groupe. D’autres, enfin, préfèreront grandir
dans la voie de l’expertise, que celle-ci soit technique (en rapport
direct avec les produits), ou qu’elle se rapporte au marketing ou à
l’aspect juridique : peut-être alors pourront-ils devenir Expert
Monde, et à ce titre, faire là aussi partie de l’élite reconnue de
l’entreprise.
Ces quelques illustrations montrent qu’il peut exister d’autres
voies que celle consistant à travailler nos points faibles. Chercher
à être bon partout n’est sans doute pas l’obligation absolue que
l’on croit parfois.

Erreur de diagnostic ?
Il est même tentant d’aller plus loin dans le raisonnement. Et si cette
injonction à travailler nos points faibles relevait d’une mauvaise
analyse de nos difficultés ? Si, finalement, le défaut n’était pas la
cause de tous nos problèmes ?
Trop superficielle, l’analyse que nous faisons des échecs ou des
difficultés rencontrées se contente souvent de mettre la lumière
sur nos points faibles.
• L’équipe sportive sera passée à côté de la victoire à cause de
ses lacunes défensives légendaires, diront les commentateurs.
• Le manager en difficulté, confronté à une multiplication de
dérives de comportement au sein de son équipe, paye le prix
de son manque de fermeté, conclura le DRH.
• L’étudiant, recalé à un concours, regrettera ses lacunes
persistantes dans cette matière qu’il n’a jamais aimée.
• « Manque de puissance au service », analysera le journaliste
après la défaite de ce tennisman pourtant prometteur. Sans un
travail assidu, pour renforcer son physique et affiner sa
technique, il ne parviendra pas à se hisser au meilleur niveau,
affirmera-t-il.

En posant systématiquement le même diagnostic – les


difficultés ou les échecs sont la conséquence de nos points
faibles – on légitime une fois de plus l’approche corrective.
Ce diagnostic est pourtant contestable. En poussant un peu
plus loin l’analyse des situations difficiles que nous vivons, nous
constatons, qu’en réalité, le point faible constitue plutôt un
symptôme que l’origine même de l’échec. Dans bien des cas, en
effet, ce qu’indique l’apparition du point faible, c’est un moindre
alignement avec nos points forts : dès que nous nous éloignons
de nos points forts, ou dès que nous nous affaiblissons sur nos
points forts, le point faible devient visible et handicapant.
« On ne perd jamais à cause de ses points faibles », affirmait
Pete Sampras lorsqu’il était l’incontestable no 1 du tennis mondial.
« On perd à cause de ses points forts »… comme on gagne grâce
à ses points forts aussi bien sûr, serais-je tenté d’ajouter.
Que dit Sampras ?
Tant qu’il réussissait à imposer sa stratégie de jeu, dictant les
échanges grâce à ses coups forts (une première balle de service
capable de « sortir » l’adversaire du terrain, un coup droit
dévastateur, une couverture au filet exceptionnelle), Sampras était
un joueur très difficile à battre.
Mais, dans certains mauvais jours, moins en confiance, fatigué
ou blessé, il pouvait lui arriver d’être un peu moins fort sur ses
points forts : un moindre pourcentage de 1ères balles au service,
des coups droits un peu moins longs ou des volées moins
tranchantes. Dans ces moments-là, le no 1 mondial de l’époque
savait que son adversaire allait très certainement l’obliger à
frapper des revers, sans doute son coup le plus faible.
Dès lors, la mécanique de la défaite pouvait se mettre en ordre :
ne parvenant plus à s’appuyer sur ses points forts, Sampras se
trouvait en quelque sorte « réduit » à son point faible. Coincé côté
revers, il risquait de commettre des fautes ou d’offrir des balles
plus faciles à jouer à son adversaire.
L’analyse, un peu superficielle du match, concluait à
l’impérieuse nécessité de retravailler ce satané revers, cause
apparemment évidente de la défaite.
Mais, pour Sampras et son équipe, le diagnostic était différent :
quand le point faible devenait gênant, c’est qu’il était urgent au
contraire de renforcer ses points forts. Et ça tombe plutôt bien :
après un échec, ici en l’occurrence après une défaite, il est plus
facile de se recentrer sur ses points forts que de trouver l’énergie
pour corriger les points sur lesquels, jusqu’ici, on n’a jamais réussi
à briller !
Bien sûr, peut-on penser, il ne s’agit dans cet exemple, que de
tennis. Et pourtant, appliquer la logique de Sampras à d’autres
univers est tentant.
Citons le cas de cette entreprise, pour laquelle nous avons
travaillé il y a quelque temps. Répartie sur plusieurs sites en
France, cette entreprise œuvre dans l’univers de la logistique,
dispatchant auprès de détaillants, des produits livrés en gros.
Nous avions croisé le patron de l’un de ces sites, installé au fond
d’une campagne de l’ouest de la France. Dans cette région un peu
reculée, le recrutement se faisait beaucoup par cooptation, nous
avait expliqué ce Directeur : les collaborateurs se connaissent très
bien au-delà du cadre du travail, ayant souvent des liens entre
eux, familiaux ou amicaux. L’ambiance était donc, d’après le
responsable, très empreinte de convivialité.
Dans ce contexte, les managers éprouvaient des difficultés dès
lors qu’il s’agissait d’être exigeant ou de faire preuve d’autorité :
« avec une telle proximité relationnelle, il n’est pas simple pour les
managers de 1er niveau de recadrer leurs collaborateurs quand ils
sont hors-jeu », nous avait-il précisé. Face à une recrudescence
de dérives de comportement, notamment relatives au port des
équipements de protection individuels, il lui semblait indispensable
de combler cette lacune managériale.
L’analyse semble, à première vue, satisfaisante : le point faible
des managers (manque de fermeté) explique la multiplication des
hors-jeux. La solution coule de source : il faut former les managers
pour les amener à faire ce qu’ils n’ont jamais su faire…
Pete Sampras ne participait pas à la réunion du Comité de
Direction ce jour-là : il aurait pourtant certainement pu apporter
son éclairage dans la discussion que nous avions lancée. Les
rencontres que nous avions réalisées auprès d’un échantillon de
collaborateurs et de managers avaient en effet apporté de
nouveaux éléments venant se confronter à l’analyse initiale du
Directeur de Site.
Depuis quelques mois, nous avaient expliqué les personnes
rencontrées, l’entreprise avait initié quelques changements dans
son organisation et ses fonctionnements. La mise en place d’un
nouveau système d’information intégré devait faciliter le pilotage
de l’entreprise. Il avait impliqué une forte évolution de la mission
des managers de 1er niveau, à qui il était désormais demandé
d’effectuer beaucoup plus de tâches administratives.
D’ailleurs, pour leur permettre de s’y atteler plus facilement, les
bureaux des managers de terrain, auparavant installés au plus
près des ateliers, avaient été regroupés dans le bâtiment des
services supports, jouxtant la zone de production.
De fait, les managers passaient de moins en moins de temps au
contact de leurs équipes respectives. D’après certaines personnes
interrogées, la motivation s’en ressentait : les liens s’étaient un
peu distendus, quelques salariés évoquant même un sentiment
d’abandon.
Le déclic était venu de l’un d’entre eux, racontant un entretien
houleux avec son responsable : « il est derrière son PC toute la
journée, on ne le voit plus sur le terrain, il ne partage plus ce qu’on
vit, on dirait même qu’il ne s’intéresse plus à nous… et le seul truc
qu’il trouve à dire quand il descend dans l’atelier, c’est que ma
tenue n’est pas conforme ! ».
Qu’aurait dit Sampras ? Le point faible devient critique quand on
dégrade le point fort ! Les managers n’ont jamais été forts dans
les registres de l’exigence ou de la fermeté. Mais ils étaient
appréciés pour leurs qualités relationnelles, pour l’attention qu’ils
portaient à leurs collaborateurs, pour leur présence quotidienne.
Dans cette proximité de tous les instants, il y avait certes rarement
de grands discours d’exigence ou de recadrages très formels : les
règles étaient généralement respectées du simple fait que les uns
et les autres vivaient ensemble en permanence ou presque, et si
elles ne l’étaient pas, un simple regard ou une remarque « en
passant » suffisaient à recadrer le fautif en douceur.
Les hors-jeux n’étaient pas apparus du fait d’un manque de
fermeté des managers mais bien plutôt du fait que ceux-ci avaient
peu à peu déserté les ateliers par la force des choses. La
discussion en Codir, ce jour-là, fut constructive. Elle permit
d’inverser la logique corrective et d’opter pour l’approche centrée
sur les points forts. Sans renier la nécessité de tirer parti du
nouveau système d’information, il fut décidé de faire retravailler
les managers de 1er niveau sur leurs qualités historiques :
comment les aider à reconstruire puis à entretenir les liens et la
proximité avec leurs équipes, dans un contexte ayant changé
(bureaux distants des ateliers, tâches administratives plus
nombreuses…).
Se tromper de diagnostic est une erreur fréquente. Je citais
quelques exemples d’analyses un peu plus haut, que l’on pourrait
là aussi contester.
• L’équipe sportive sera passée à côté de la victoire à cause de
ses lacunes défensives légendaires, diront les commentateurs.
À moins que les attaquants habituellement très efficaces dans
leurs actions n’aient pas été aussi brillants que d’habitude !
• Le manager en difficulté, confronté à une multiplication de
dérives de comportement au sein de son équipe, paye le prix de
son manque de fermeté, conclura le DRH. À moins qu’il n’ait eu
des difficultés à créer des relations aussi motivantes que celles
qu’il entretenait dans le passé !
• L’étudiant, recalé à un concours, regrettera ses lacunes
persistantes dans cette matière qu’il n’a jamais aimée. À moins
qu’il ne paye, dans ce concours, son moindre engagement dans
les matières qu’il maîtrise le mieux !

Dans toutes ces illustrations apparait un point commun : le point


faible accusé constitue une faiblesse connue et identifiée,
« malgré » laquelle l’individu, l’entreprise ou l’équipe ont réussi
avant que n’apparaissent leurs difficultés. Les questions alors, qui
peuvent se poser, sont bien :
• Pourquoi, alors que ce point faible existait déjà, cet individu,
cette entreprise ou cette équipe réussissaient-ils ?
• Sur quels points forts reposait cette réussite ?
• Ces points forts sont-ils toujours mis en œuvre, et le sont-ils de
façon toujours aussi efficace ?

Ces quelques questions, essentielles mais non exhaustives,


réaffirment l’importance de l’habitude du débriefing systématique.
Souvent réservé aux situations d’échec, le débriefing reste
superficiel : à la question « qu’est-ce qui n’a pas marché ? » fait
immédiatement écho la trop évidente réponse des points faibles.
C’est en prenant soin de débriefer aussi les succès que l’on
peut acquérir une compréhension plus complète de ce qui nous
fait réussir… et donc aussi de ce qui nous fait échouer. Mieux
connaître notre propre « mécanique » de performance, c’est-à-dire
les points forts sur lesquels on construit habituellement nos
victoires, permet d’analyser bien plus finement les raisons de nos
échecs en évitant d’être leurré par nos points faibles. Je reviendrai
sur ces aspects de débriefing dans la dernière partie « La
stratégie des points forts, mode d’emploi ».
Comprendre qu’on échoue parce qu’on s’éloigne de nos points
forts – et non à cause de nos points faibles – est un point capital.
Cela dispense des efforts illusoires et des dégâts collatéraux que
nous promet la logique corrective, rarement couronnée de succès,
on l’a vu.
Mieux encore, cela évite un autre risque, plus grave encore :
s’éloigner un peu plus encore de ses points forts !

Travailler les points faibles :


un contre-sens !
Je le disais déjà plus haut : qui tente de travailler ses points faibles
court toujours deux risques.
Le premier, déjà détaillé, est de ne pas y arriver : on se fatigue,
doute, stresse, échoue… finissant souvent par abandonner.
Beaucoup d’énergie dépensée pour en conclure que « décidément,
on n’est pas fait pour ça ! » et finalement se recentrer sur ses points
forts. Nombreux sommes-nous certainement à avoir appris, par
l’expérience, à utiliser nos qualités naturelles, en évitant le plus
possible de nous engager sur des terrains exigeant les qualités
opposées. Nous verrons plus loin qu’il est possible d’aller beaucoup
plus loin que nous le pensons parfois, grâce à nos points forts.
Le second risque, pour qui veut corriger ses points faibles, serait
d’y arriver ! Le conditionnel est de mise, parce que le risque n’est
sans doute pas avéré dans la réalité. Il est néanmoins intéressant à
envisager, même seulement théoriquement, tant il démontre la
fragilité de la logique corrective.
Point fort et point faible, au sens strict du terme, définissent bien
ces aptitudes à faire, à agir, à réfléchir… Comme les deux faces
d’une même pièce, sur un sujet donné, le point fort désigne la qualité
que j’ai spontanément tendance à utiliser, le point faible étant au
contraire la qualité contradictoire (que je ne parviens pas à utiliser
facilement).
Face à une situation imprévue, X utilisera par exemple une qualité
de créativité, imaginant spontanément des solutions inédites et
originales… là ou Y, doué de rigueur, sera plus naturellement tenté
de s’en remettre à des plans déjà éprouvés ou des méthodes sûres
et connues.
Admettons que X ait finalement mis en œuvre une de ces
solutions nouvelles et que le résultat s’avère décevant : selon
l’habituelle logique corrective, il lui sera probablement reproché
d’avoir manqué de rigueur – là où une analyse un peu plus poussée
finirait peut-être par pointer au contraire une créativité mal utilisée ou
pas assez poussée.
Mais imaginons donc que X soit invité à travailler son point faible.
Le premier risque, évident, est qu’il peine à y parvenir, se
contentant, sous la pression, de quelques efforts à faible rendement,
tout en restant autant que possible dans sa zone de confort.
Le second risque donc, serait qu’il persiste dans ses efforts et
cultive désormais cette qualité de rigueur qu’il lui manquait. Attentif
maintenant à rester dans les recettes éprouvées, X ne prendrait plus
aucun risque et ne chercherait plus à imaginer d’autres pistes de
solution.
En ayant développé sa qualité contradictoire (son point faible
initial), X aurait fini par « perdre » sa qualité naturelle (son point fort
d’origine)… Peut-être même qu’au prochain entretien annuel, X
s’entendrait reprocher de ne plus être assez créatif !
Je l’admets aisément : dans l’exemple ci-dessus, volontairement
simpliste, le débat est réduit à un stade binaire, or la « vraie vie » et
les « vrais gens » sont bien plus complexes. Les choses ne se
résument pas à deux qualités contradictoires aussi marquées et
exclusives l’une de l’autre.
Certes mais le mécanisme est bien réel : à développer les qualités
qu’on ne possède pas, on se départit de celles qu’on possède. Dit
autrement : en devenant plus fort sur ses points faibles, on court le
risque de devenir plus faible sur ses points forts !
Prenons l’exemple de ce manager, Bertrand, croisé lors d’une
mission d’accompagnement menée dans une entreprise de conseil,
qui résume ainsi le contenu de son récent entretien annuel :
« Tu es proche de tes collaborateurs, c’est un vrai point fort !
D’ailleurs, je sais qu’ils apprécient tous énormément tes qualités
d’écoute et d’empathie. C’est précieux d’avoir leur confiance. », lui
dit son N+1.
« Mais tu dois apprendre à t’affirmer davantage face à ton équipe !
L’expérience de ce nouvel embauché, qu’on n’a gardé trop
longtemps et qu’il aurait fallu recadrer beaucoup plus tôt en atteste.
C’est là-dessus qu’il faut que tu travailles. Je te propose d’ailleurs de
suivre une formation qui, je pense, pourra t’aider à améliorer ce
point. »
Revenant de ce module de formation, Bertrand a en effet fait
évoluer ses pratiques de management.
Suivant les conseils du formateur, il a introduit une plus grande
rigueur dans sa réunion d’équipe hebdomadaire : là où le lundi matin
était une sorte de grand temps informel où pouvaient se mêler
discussions individuelles et collectives, sujets personnels et
professionnels, échanges descendants et ascendants, il existe
maintenant un ordre du jour, déroulé dans une ambiance plus
concentrée et plus studieuse.
De la même façon, Bertrand a introduit dans son agenda des
rendez-vous individuels bimensuels, afin de formaliser davantage le
feedback qu’il lui faut faire à ses collaborateurs. Il s’oblige à préparer
chacun de ces entretiens, constatant d’ailleurs que même s’il
n’aimait pas trop ça, il pouvait tout de même trouver à chaque fois
quelques remarques à faire aux uns et aux autres.
Pendant plusieurs mois, Bertrand s’est fait un peu violence,
forçant un peu « sa nature trop bienveillante », comme lui avait dit
un jour son N+1.
Soudain, en plein mois de mars 2020, la nouvelle tombe : la
France doit se confiner pour tenter d’enrayer la pandémie de Covid-
19.
Comme tout le monde, et comme beaucoup de managers en
particulier, la période est compliquée à vivre. Dès les 1ers jours, un
peu livré à lui-même, Bertrand s’en remet à son intuition. Ecoutant
son naturel empathique, il multiplie les contacts téléphoniques avec
les membres de son équipe. À défaut de pouvoir passer des
consignes claires à ses collaborateurs dans ce moment très
incertain – son N+1 est aux abonnés absents au début de la crise –
il s’enquiert de leur état, de leurs inquiétudes, de leurs difficultés
professionnelles mais aussi personnelles. Certains ont des enfants à
la maison, rendant le télétravail difficile. D’autres ont la chance de
disposer d’un espace propice à la concentration. Quelques-uns
dépriment. Beaucoup ont peur, pour leur santé, pour leurs proches
fragiles ou pour l’avenir de l’entreprise. Bertrand n’a pas de
réponses, pas de solutions, mais il écoute et rassure. À chaque coup
de fil, les membres de l’équipe remercient Bertrand d’être là, loin
mais présent.
Au cours d’un de ces échanges téléphoniques, l’un d’eux va plus
loin : « le confinement aura au moins eu une vertu, explique ce
collaborateur, il aura permis de nous rapprocher. »
« Nous rapprocher ? Que veux-tu dire ? », demande Bertrand.
« Euh… et bien depuis quelque temps, tu as changé », lui
explique le collaborateur. « Tout ce que tu as mis en place, les
réunions structurées, les entretiens de suivi individuels, cette plus
grande rigueur dans le pilotage de l’équipe, c’est bien… mais ça a
créé une certaine distance entre nous. Je ne suis pas le seul dans
l’équipe à regretter tous ces moments informels qu’on partageait
avant, qui sont devenus moins fréquents. Du fait du confinement, on
retrouve le Bertrand qu’on apprécie. »
En racontant cette mésaventure, Bertrand réalise qu’en voulant
améliorer une face de son management, il avait involontairement
négligé l’autre face. Cette prise de conscience est venue de l’équipe
elle-même, mais au fond de lui, Bertrand le reconnait : en me forçant
à investir des terrains éloignés de mes qualités naturelles, et en
délaissant au contraire mes points forts, j’avais aussi perdu en
motivation, en plaisir… un peu comme si j’étais « à côté de mes
pompes », comme si j’étais devenu un autre qui ne me ressemblait
pas et que d’ailleurs je n’aimais pas vraiment.
Là sans doute est l’un des plus grands écueils de la logique
corrective. Travailler ses points faibles de façon persévérante,
réussir à « changer », conduit à renier ses qualités naturelles,
de façon consciente ou inconsciente.
Or, ces qualités sont celles grâce auxquelles on a réussi jusqu’ici :
s’en éloigner, pour travailler les qualités opposées, revient à
renoncer à son « modèle » de performance le plus efficient : peu
d’effort pour beaucoup de résultat. En d’autres termes, il s’agit de
chercher à réussir en développant des qualités qu’on ne possède
pas a priori… au risque de perdre les qualités dont on dispose.
Ces qualités sont aussi celles dans lesquelles on éprouve ce
sentiment d’alignement interne, de motivation, de plaisir, de
confiance en soi. S’en éloigner, c’est investir un espace pavé de
doute, d’effort et d’inconfort.
Enfin, ces qualités sont celles avec lesquelles on a appris à
« exister au monde » : c’est par leur expression, dans nos actes et
nos comportements, que l’on a gagné la reconnaissance des autres
– et construit le sentiment de sa propre valeur. En courant le risque
de développer des qualités différentes, voire opposées, on change
soudain la vitrine : la nouvelle image que l’on donne, surtout quand
elle va de pair avec la moindre incarnation des qualités naturelles,
peut susciter incompréhension voire rejet de la part de l’entourage.
Chapitre 3

Miser sur ses points forts : le pari


gagnant !

« Ce qu’un autre aurait aussi bien fait


que toi, ne le fais pas.
Ce qu’un autre aurait aussi bien
dit que toi, ne le dis pas, aussi bien écrit
que toi, ne l’écris pas.
Ne t’attache en toi qu’à ce que tu sens qui est nulle
part ailleurs qu’en toi-même, et crée
de toi, impatiemment ou patiemment, ah, le plus
irremplaçable des êtres. »
André Gide, Les Nourritures terrestres, 1897.

En bon fan de tennis, frustré par des mois d’interruption des


compétitions pour cause de Covid-19, j’ai suivi avec attention les
tournois de reprise, programmés à l’automne 2020, dont celui
de Roland-Garros, exceptionnellement déplacé de fin mai à fin
septembre.
Comme c’est à chaque fois le cas, le tournoi a été ponctué de très
beaux duels, réservant quelques surprises.
De cette édition 2020, je retiendrai l’impressionnant parcours
d’Hugo Gaston. 239ème joueur mondial en arrivant Porte d’Auteuil,
le jeune et prometteur champion élimine plusieurs joueurs bien
mieux classés que lui (dont le suisse Stan Wavrinka, vainqueur du
tournoi en 2015, à nouveau finaliste en 2017), avant de s’incliner de
peu au bout d’un match d’anthologie, en huitième de finale, contre
l’autrichien Dominic Thiem, alors troisième joueur mondial.
Au-delà des victoires ou des défaites, ce qui force l’admiration,
c’est la manière avec laquelle Hugo Gaston a défié ses adversaires.
Avec son petit gabarit (1,73 m), il fait figure d’exception dans le
très fermé cercle des tennismen professionnels, assez largement
formé d’athlètes au physique impressionnant (la taille moyenne des
champions du Top 100 mondial s’établit à 1,86 m), capables de
rivaliser de puissance, au service comme dans les coups frappés du
fond du court.
Une seule voie possible pour lui : se servir le mieux possible des
armes qu’il possède. Miser sur ses points forts. Il sait bien sûr que
subir la puissance de ses adversaires, se laisser embarquer dans
leurs points forts à eux, le condamne à accumuler des défaites
sévères.
Et on comprend également que, dans son cas, chercher à
travailler ses points faibles est une voie sans issue : même en
mangeant de la soupe, il ne grandira plus ! Avec tous les efforts du
monde, il ne parviendra sans doute jamais à servir à 230 km/h ou à
envoyer des « parpaings » dans la diagonale, comme le font ses
rivaux.
Alors Hugo Gaston cultive sa singularité – comme d’autres joueurs
le font, tel Diego Schwartzman ou, il y a quelques années Fabrice
Santoro. Il mise sur son toucher de balle, sur une très large variété
de coups, sur son œil, sur sa vitesse d’exécution et de déplacement,
sur la précision de son jeu de jambes… Mais il sait que, dans ces
domaines, être « bon » ne suffira pas. Il lui faut, pour défier les plus
grands et compenser ses points faibles, pousser chacune de ces
qualités à l’excellence.
C’est, à la fin de son match, ce qu’a confirmé son adversaire
Dominic Thiem, passé tout près de la défaite : « Ça fait longtemps
que je n’avais pas vu un joueur avec un tel toucher. Ses amorties
viennent d’une autre planète, il m’a fait sprinter quatre cents fois vers
le filet (…) S’il continue comme ça, il deviendra un énorme joueur et
il apportera beaucoup de joie dans ce stade dans le futur ».
Quand Thiem dit « S’il continue comme ça… », on peut traduire :
S’il continue à travailler encore et encore ses points forts !
C’est bien cela qu’illustre le parcours de ce jeune champion de
tennis : la stratégie des points forts ne consiste pas seulement à
bien faire ce qu’on sait faire en restant paisiblement dans sa zone de
confort. Elle vise à cultiver ses talents pour exploiter le mieux
possible le potentiel que ceux-ci nous offrent. Et ce potentiel, nous
allons le voir, est immense… plus immense qu’on ne le pense.

Le choix de l’efficience
Les points forts, rappelons-le, constituent bien des ressources
internes : ce sont des qualités (physiques, mentales…) ou des traits
de caractère que nous possédons et que nous activons de façon
spontanée et facile.
Dès lors que la situation dans laquelle nous nous trouvons ou le
plan d’action que nous choisissons nous permettent de mettre en
œuvre ces qualités, nous bénéficions d’un effet de levier : peu
d’énergie suffit à produire des résultats.

Efficacité prouvée !

■ Le plus court chemin vers le succès


Les exemples sportifs abondent, dans les différentes disciplines, qui
montrent combien le champion (ou l’équipe), bien calé sur ses points
forts, tend à emporter la victoire.
Rafael Nadal et ses 13 titres à Roland-Garros impressionnent
toujours : derrière ces 13 succès, il a disputé au total 102 matches
sur la terre battue parisienne… et il n’en a perdu que 2 !
Et même dans des conditions difficiles qui, comme durant cette
édition 2020, semblent le désavantager, même face à un Djokovic
trop vite donné favori, le champion espagnol est présent, confiant
en ses forces, concentré sur son jeu, aussi affuté qu’il le peut sur
ses points forts… au point d’emporter le 1er set de la finale sur le
score de 6 jeux à 0.
Dans l’adversité, dans une situation délicate et à fort enjeu,
Nadal s’en remet à ce principe d’efficacité prouvée : compter sur
ses points forts, chercher à faire le mieux possible ce qu’il sait
faire, en l’occurrence, user et abuser de ce geste de coup droit lui
permettant d’imprimer une rotation exceptionnelle de la balle à
chaque frappe (3 400 tours/minutes en moyenne, avec des
pointes à près de 5 000 tours/minutes).
Lors de cette finale 2020, c’est encore avec ce grand coup droit
lifté, pilonnant le revers de Djokovic, que Nadal a gêné son
adversaire… comme chez les « juniors » déjà, quand il arrivait à
dominer Richard Gasquet, son très talentueux rival de l’époque !
Très rapidement, dans l’enfance, chacun d’entre nous
développe des manières préférentielles de voir, de réfléchir, de
décider ou encore d’agir. De façon spontanée, pour réussir ce que
nous entreprenons, qu’il s’agisse d’activités physiques,
intellectuelles, créatives, ludiques ou plus sérieuses, ou qu’il soit
question de relations aux autres ou au monde, nous apprenons
par expérience à utiliser les ressources les plus facilement
accessibles dont nous disposons. Sans que nous en soyons
conscients, s’affirment déjà nos points forts.
La psychologue et chercheuse Lea Waters, auteure du livre
« Cultivez vos forces »1, souligne que, dès le plus jeune âge, les
enfants mettent spontanément en œuvre des talents ou des traits
de caractère qui leur sont propres et les distinguent de leurs
camarades.
Ces points forts, dit-elle, se repèrent à la présence de trois
composantes :
• La performance : l’enfant réalise des choses au-dessus du
niveau moyen de son âge, apprend vite ou obtient des succès
précoces. Tel élève sait par exemple structurer des phrases
complexes et utiliser des mots choisis, mieux que ne le font les
autres. Tel autre réussit manifestement à inventer et raconter
des histoires originales, au-delà des standards habituels. Un
dernier enfin, fait preuve de capacités de coordination motrice
qui lui permettent de briller dans les activités physiques à
chaque récréation !
• L’énergie : l’enfant semble se sentir bien quand il utilise ce talent
ou ce trait de caractère. Son niveau de motivation est élevé au
point qu’il parait infatigable – ce qui n’est pas le cas de ses
parents qui, eux, sont épuisés !
• L’utilisation intensive de la force : l’enfant cherche à accroître le
temps passé à mettre en œuvre ses talents ou traits de
caractère. Par exemple, il consacre son temps libre à des
activités dans lesquelles sa force peut s’exprimer.

Spontanément, les enfants investissent autant qu’ils le peuvent


ces zones de force. Avant que les injonctions de l’éducation
« traditionnelle » ne se renforcent, ils jouissent de la liberté de le
faire.
Ce que Lea Waters propose, c’est d’encourager les enfants à
prendre conscience de leurs forces, puis de les développer, pour
leur permettre de construire leur estime de soi. Celle-ci, explique-t-
elle, fournit aux enfants une base stable à partir de laquelle il leur
sera ensuite possible d’enraciner leurs objectifs et de réaliser leurs
projets.

■ Bâtir son propre « modèle » de performance


Nos points forts constituent, en quelque sorte, notre « modèle »
spécifique de réussite, qu’avec l’expérience nous continuons de
consolider – tant que les tiers que nous croisons ne nous invitent
pas à le délaisser pour tenter de corriger nos points faibles…
Les spécialistes de l’approche Action Types® interviennent aussi
bien dans l’univers du sport que dans celui de l’entreprise. Au
cœur de leurs missions se répète l’idée de prise de conscience de
nos préférences motrices et cérébrales.
Au travers du protocole de tests physiques qu’ils ont mis au
point, il s’agit de permettre à chacun, quels que soient son activité
ou son métier, de comprendre ses fonctionnements « naturels ».
En matière de sport, il s’agit d’aider les athlètes à trouver ou
retrouver une pratique plus fluide, correspondant à leurs aptitudes
spontanées. La formation et l’entraînement, y compris parfois
lorsqu’il s’agit de grands champions, cherchent à imposer une
gestuelle « toute faite » – souvent copiée sur celle d’autres
sportifs – qui ne respecte pas les préférences naturelles de
l’athlète.
En redécouvrant celles-ci, le champion se réapproprie une
façon de faire plus naturelle et plus efficiente : plus de résultats
avec moins d’efforts – et moins de risques de blessure.
Connaître son « modèle » de réussite est essentiel pour obtenir
une efficacité durable, fiable et stable. Il ne s’agit pas seulement
de savoir dans « quoi » je réussis mais bien « comment » je
réussis.
Outre le fait que l’approche corrective ait pu finir par nous faire
perdre la confiance en nos forces, il peut aussi nous arriver de
croire qu’elles sont communément répandues. Il ne s’agit
évidemment pas de nourrir un sentiment de supériorité mal placé,
mais de comprendre que telle ou telle qualité, qui peut sembler
banale, ne l’est en réalité pas tant que cela : ce que je réussis
facilement, d’autres peinent à le réaliser.
C’est un des objectifs que l’on peut aussi assigner aux
séminaires qu’il nous arrive d’organiser dans les entreprises, par
exemple auprès d’équipes de direction : amener les membres de
l’équipe à comprendre leurs qualités naturelles et donc leur
singularité. Personne ne peut se prétendre supérieur à l’autre,
mais chacun sait peut-être faire, efficacement et facilement, ce
que l’autre ne réussit pas à faire.
Car si connaître son « modèle » de fonctionnement optimal
s’avère précieux dans une logique individuelle, on comprend
l’importance que cela revêt aussi dans la dimension collective.
C’est tout naturellement l’axe qui oriente la constitution des
équipes dont on attend un haut niveau de performance.
Qu’il s’agisse de former une équipe de foot, un commando, un
équipage pour une course à la voile, l’idéal est de choisir les
meilleurs dans chacune des spécialités qui concourent à la
performance globale. On ne cherche pas des gens parfaits et sans
points faibles, mais au contraire des personnes les plus efficaces
possibles dans leur domaine, qui connaissent et maîtrisent des
points forts complémentaires à ceux des autres.
Miser sur les points forts est un des principes qui ont guidé le
navigateur Franck Cammas au moment où il a décidé de relever le
défi d’engager Groupama 4 dans la Volvo Ocean Race 2011-2012,
cette course autour du monde en étapes, qui s’étale sur une durée
totale de 9 mois environ.
Franck Cammas connaissait parfaitement ses qualités
personnelles : « Ce compétiteur à tendance obsessionnelle pose
un oeil sur tout, des réglages des voiles jusqu’à la composition
des sacs de nourriture (huile d’olive pour tout l’équipage et gelée
royale pour son régime personnel) ou au détail des motifs peints
sur l’étrave (les plus simples possible, pour éviter les surplus de
poids inutiles) », dit de lui le journaliste Simon Roger2.
« Franck est un travailleur acharné et une bête à gagner,
toujours à fond dans la compétition. Qu’il fasse du bateau, du ski
ou du vélo, il faut qu’il arrive le premier. Je ne partirais pas en
vacances avec lui ! » ironise Jean-Luc Nélias, le navigateur de
Groupama 4.
De fait Cammas n’aura de cesse, à chaque étape, de compléter
son « modèle » de performance, débriefant avec une précision
obsessionnelle, chaque paramètre de navigation ou de réglage du
bateau. À tel point, témoignera plus tard, Thomas Coville, l’un des
équipiers de cette aventure, qu’au fil des étapes, l’équipage avait
pris confiance dans sa capacité à produire les meilleures
performances possibles.
Peu performant dans les premières épreuves, Groupama 4 a en
quelque sorte profité de chaque étape pour apprendre et
consolider le « modèle », avant d’engranger plusieurs victoires, et
de gagner finalement cette édition 2011-2012 de la Volvo Ocean
Race face aux favoris de l’épreuve.
Confiant en ses forces – et perfectionniste jusqu’à l’obsession
avec lui-même en la matière – Cammas est aussi conscient de
ses défauts, raison pour laquelle, il a cherché à s’entourer des
meilleurs équipiers, capables de compenser ce qu’il n’est pas, ne
sait pas ou ne veut pas faire.
Ainsi avait-il confié à Thomas Coville le soin de jouer dans
l’équipe, au-delà de ses rôles de barreur et de chef de quart, une
mission de « fédérateur », en charge de l’aspect humain et
relationnel : « Il [Franck] a une lecture toujours objective de la
performance du bateau et un très bon esprit de synthèse. En
revanche, la dimension humaine du projet le rebute. Moi, c’est
l’inverse ».
Curieusement, ce qui parait évident dans le monde du sport, en
l’occurrence ici dans celui de la voile, ne l’est pas aussi sûrement
dans l’univers de l’entreprise.
Le célèbre institut américain Gallup, qui mène depuis de
nombreuses années un travail suivi d’enquête sur l’engagement
des salariés, confirme que seulement 20 % des salariés ont
l’occasion, dans leur travail, de « faire tous les jours ce qu’ils
savent le mieux faire »3. Peu d’entreprises, d’après ces chiffres,
tirent parti des points forts de leurs collaborateurs… ce qui tendrait
à expliquer une partie du faible niveau d’engagement déclaré par
ces mêmes collaborateurs : 10 % d’entre eux se disent engagés
(90 % déclarent pas être engagés voire expriment leur
désengagement).
Plus intéressant encore : quand Gallup concentre son attention
sur les entreprises jugées les plus performantes (au regard de
critères comme la productivité, la satisfaction des clients ou le taux
de fidélité du personnel), le pourcentage de collaborateurs
déclarant « faire tous les jours ce qu’ils savent le mieux faire »
approche des 50 %, ce qui tendrait à montrer qu’en concentrant
davantage les salariés sur leurs points forts, les entreprises
pourraient accroître leur niveau de performance.
Les enquêtes Gallup montrent également que les collaborateurs
qui ont le sentiment de pouvoir faire tous les jours ce qu’ils savent
faire le mieux sont, en moyenne, moins malades et ont moins
d’accidents du travail que leurs collègues.
Ces études ou ces exemples viennent appuyer un constat que
chacun d’entre nous a déjà fait par l’expérience : dès que nous
avons la possibilité de prendre appui sur nos qualités naturelles, le
rendement de nos efforts est optimal. Avec peu d’énergie, nous
développons un niveau de résultat au-dessus de la moyenne.

■ Du temps de cerveau disponible


À ce rendement élevé, s’ajoute un autre bénéfice : la possibilité,
à force d’entraînement, de switcher en mode « automatique ». Agir
en utilisant ses qualités naturelles, par définition facilement
accessibles et rapidement mobilisables, peut en effet se faire sans
réfléchir. Ainsi, avec ce surplus de « temps de cerveau disponible »,
il nous est possible de nous concentrer sur d’autres aspects
importants de la situation ou de l’environnement.
Les commerciaux croisés lors des formations qu’animent les
consultants d’Animae, sur le thème de la négociation, ont tous
conscience de l’importance de l’écoute dans leur métier. Ecouter
est évidemment indispensable, d’un point de vue rationnel, pour
apprendre à connaître son interlocuteur et comprendre ses 5P :
Projet, Peurs, Priorités, Préoccupations, Passions (centres
d’intérêts, valeurs). Mais écouter répond aussi à un objectif plus
relationnel : reconnaître son interlocuteur (au sens considérer) et
lui montrer son désir de le servir.
Lors des situations d’entraînement proposées, certains de ces
commerciaux peinent à consacrer suffisamment de temps à ces
phases d’écoute. Pressés de parler, ils coupent la parole,
rebondissent à la moindre occasion de placer un argument,
multiplient les questions dans le seul objectif rationnel de faire dire
au client ses besoins… Bien sûr, selon la logique corrective, on
attend d’eux qu’ils progressent sur ce point. Mais l’appropriation
des techniques d’écoute (blocage des réflexes polémiques,
relances, repérage des dissonances verbales et
comportementales, etc…) leur est difficile. Dès lors, on les voit se
concentrer sur l’utilisation des techniques, plus préoccupés de
savoir quel type de relance utiliser à quel moment que d’écouter
vraiment ce que dit leur interlocuteur !
À l’inverse, d’autres vendeurs professionnels montrent
d’évidentes aptitudes à écouter, sachant avec beaucoup de
naturel, montrer un intérêt vrai pour les paroles de leur
interlocuteur, acquiescer à bon escient, ni trop ni trop peu,
relancer avec justesse, etc… Ils posent généralement peu de
questions, préférant laisser le client se dévoiler le plus librement et
spontanément possible. Ces commerciaux, en plus d’instaurer
rapidement un climat de confiance, ont aussi in fine une
compréhension bien plus précise de leur interlocuteur, ayant capté
dans ses dissonances verbales, mais aussi comportementales, les
points qu’il sait devoir clarifier dans l’exercice de négociation qui
suivra.
N’ayant pas à réfléchir à la mise en œuvre des techniques –
qui pour eux sont des automatismes – ils dédient toute leur
attention à réellement écouter leur client.
On retrouve ici cette notion de « modèle » de performance,
évoquée précédemment, et décrite également par les spécialistes
du cerveau. Conçu pour nous permettre d’assurer notre survie,
celui-ci dispose d’une capacité à concevoir, intégrer et stocker des
modèles : ceux qui nous permettent par exemple de percevoir un
objet en mouvement et de l’attraper d’un geste – réflexe utile pour
qui chasse une proie, ou plus près de nous, pour rattraper in
extremis un objet qui nous a échappé des mains.
Jean-Philippe Lachaux, Directeur de recherche à l’Inserm est
spécialisé dans l’étude des mécanismes cérébraux de l’attention.
Parallèlement grand amateur de tennis, il s’est notamment penché
sur les secrets du cerveau des champions :
« Au fil du temps, confirme-t-il, le cerveau réalise et stocke des
modèles. Il peut donc, par la suite, grâce à ces derniers, savoir de
façon intuitive quelle sera la zone qu’atteindra la balle, en fonction
de sa vitesse et de sa trajectoire. C’est codé dans les neurones,
un peu comme un programme. »
« En fait, c’est plus exactement le cervelet qui bosse dans ce
genre de situation », précise le chercheur.
« Quand tu réalises un geste et que tu ne l’as pas automatisé,
ça te demande de l’attention supplémentaire […] Si tu dois faire
attention à tout, tu ne t’en sors pas. Le véritable enjeu, c’est de
savoir, auprès des plus grands joueurs, quand ils décident de
prendre l’information. »4
C’est ainsi que l’on peut admirer la capacité des champions à
jouer aussi vite, à pouvoir, dans un temps très court, percevoir le
replacement de l’adversaire après sa frappe, prendre la bonne
décision tactique (tenter par exemple de prendre l’autre joueur à
contre-pied) et réaliser le geste parfait pour envoyer la balle à
l’endroit souhaité !
Si, potentiellement, ce mécanisme peut jouer dans n’importe
quelle situation, il nous est naturellement et plus facilement
accessible, quand nous pouvons nous appuyer sur nos talents.
Une fois ces modèles acquis et consolidés, la performance
devient plus stable. Par sa dimension « automatique », elle
autorise des ambitions plus grandes.

La confiance et le plaisir en plus !


L’efficacité n’est pas la seule vertu des points forts.
Activer ses talents est aussi source de confiance et de plaisir,
deux carburants indispensables à la motivation de l’individu.

La spirale vertueuse de la confiance


Au cercle vicieux du doute, dans lequel se trouve souvent embarqué
celui qui s’acharne à travailler ses points faibles, s’oppose la spirale
vertueuse de la confiance.
Si la satisfaction d’atteindre un bon niveau de résultat contribue
à alimenter cette spirale, elle n’en constitue pas pour autant sa
source. C’est bien la confiance qui fait les bons résultats et non
l’inverse !
Ainsi se développe la spirale vertueuse de la confiance (voir
figure ci-après).
La spirale vertueuse de la confiance

Comme dans le cas du cercle vicieux du doute, on pourra se


reporter ici au bilan doute-confiance évoqué dans la précédente
partie.
De la même manière qu’il convient de distinguer « bon » et
« mauvais » doute, celui qui nourrit une saine prudence (quand il
consiste à intégrer un principe d’incertitude) et celui qui nous limite
(quand il revient à se croire incapable de faire telle ou telle chose),
il est intéressant ici de bien définir cette notion de confiance en
soi.
La confiance en soi, sentiment d’être capable de réussir ce
qu’on entreprend, ne se confond pas avec l’image de soi, façon
avec laquelle on se voit. La confiance est affaire d’acte. L’image
est question d’être (ego), ou de ce que je pense être.
Schématiquement, nous prenons confiance en nous lorsqu’un
tiers formule des félicitations, c’est-à-dire quand il valorise et
encourage ce que nous faisons, les progrès que nous réalisons,
ou encore les résultats que nous obtenons (à condition de montrer
en quoi ceux-ci sont la conséquence de nos actes). Revient ici
l’idée de la mise en avant non pas tant du « quoi » (ce que j’ai
réussi) mais plutôt du « comment » (la manière avec laquelle j’ai
réussi). Les points forts (les qualités naturelles qui me permettent
de réussir), on le comprend bien, sont donc au cœur même de la
notion de confiance en soi.
À l’inverse, l’image de soi, elle, touchant donc plutôt au
sentiment d’être (être un champion, être le meilleur, être un
génie…), est alimentée par les compliments. Ces derniers, reçus
généralement après un succès (et non durant l’effort), ne détaillent
pas le « comment ». Formulés à l’aide du verbe Être (« Bravo, tu
es ceci, tu es cela… »), ils se contentent de poser un lien bien trop
simpliste entre ce que je suis et ce qu’ai réussi. Évidemment, les
compliments sont toujours agréables à entendre. Mais ils peuvent
avoir, à force, un effet pervers, en venant gonfler l’ego de façon
« artificielle », en accréditant le sentiment d’être ceci ou cela…
sans bien comprendre sur quoi s’appuyer concrètement pour le
devenir ou le rester !
Il est en effet frappant de constater combien les personnes à
fort ego – passant beaucoup de temps à parler d’elles, à se vanter
d’être extraordinaires, à se comparer aux autres, à mettre en
avant leurs succès (tout en attribuant toujours leurs échecs à des
facteurs externes) – peuvent en réalité manquer de confiance en
elle. Il n’est pas rare de les voir très en difficulté quand il s’agit de
passer à l’action…
À l’inverse, on peut être surpris, dans ces mêmes moments
d’action, par les actes « extraordinaires » accomplis par des gens
« ordinaires », capables de se concentrer pour faire le mieux
possible ce qu’il se savent capables de faire. Ils ont l’humilité de
reconnaître qu’ils ne sont pas parfaits, mais connaissent en
revanche parfaitement les forces dont ils disposent et la manière
de les utiliser au mieux. Ils savent qu’ils peuvent échouer, et
lorsque cela arrive, ont le réflexe de se remettre au travail.
Souvent plus intéressés par le progrès et l’apprentissage que par
le seul succès, ils ne cessent de chercher à acquérir de nouvelles
compétences.
Miser sur les points forts, ce n’est pas survaloriser l’ego. C’est
mettre l’individu sur la spirale vertueuse de la « vraie » confiance,
en l’aidant à comprendre sur quelles ressources internes (qualités,
traits de caractère) il peut s’appuyer pour agir, progresser et
réussir.

La force de la motivation intrinsèque


Si la spirale des points forts développe la confiance en soi, elle se
nourrit aussi du plaisir.
Celui-ci n’est pas seulement lié à la satisfaction d’obtenir des
résultats. Il est immédiat, présent dès lors qu’il s’agit de « faire »
en utilisant ses qualités naturelles, en se sentant, en quelque
sorte, « aligné » : « je fais ce que je suis, comme je suis fait ! »
L’entraîneur de natation Fabrice Pellerin livre un de ces
principes structurant sa façon de faire travailler les champions :
« D’abord, dit-il, je demande à mes nageurs de choisir la nage
dans laquelle ils se sentent le mieux, et c’est celle-ci que nous
travaillons en priorité. Yannick [Agnel], par exemple, a choisi le
crawl, qui lui procure un plaisir physique immédiat, une agréable
sensation d’explosivité musculaire. Va pour le crawl ! Partir de ce
que chacun aime spontanément exprimer : tel est, à mes yeux, le
meilleur tremplin vers le succès. »
On le perçoit bien ici : ce que Fabrice Pellerin cherche, c’est
l’enclenchement de la spirale vertueuse.
Voilà un point de vue qui tranche avec les conseils souvent
entendus dans les entreprises, comme par exemple dans ces
formations à la Gestion des Priorités (selon l’expression
consacrée), qui recommandent de mettre en tête de la sacro-
sainte To Do List, la tâche la plus rébarbative ou la plus difficile.
Certes, on adorerait s’en débarrasser et pouvoir se consacrer à
d’autres activités plus agréables. Sans doute s’agit-il aussi d’éviter
de procrastiner… Mais quelle énergie faut-il pour s’infliger le plus
dur au commencement de la journée !
Et si, pour changer, on s’engageait d’abord sur les tâches qui
mettent en jeu nos qualités naturelles, histoire de surfer sur la
vague du plaisir et de la confiance, pour remonter le ressort qui
permettra d’affronter, un peu plus tard dans la journée, les
épreuves les moins simples ?
En effet, l’autre vertu de la concentration sur les points forts est
d’activer, immédiatement chez l’individu, ce qu’on appelle la
motivation intrinsèque5. Il s’agit d’un moteur à la fois très puissant
et très endurant. Pourtant, ce moteur intrinsèque reste peu connu
et mal exploité, peut-être bien parce qu’il suppose, pour se
déclencher et fonctionner, d’accepter de prendre le chemin des
points forts : or, nous l’avons souligné déjà, celui-ci est loin de
constituer la voie la plus culturellement empruntée. Il suffit
d’ailleurs d’écouter ce qui se dit autour de la notion de motivation
pour comprendre qu’on la réduit souvent à sa dimension
extrinsèque.
La motivation dite intrinsèque est celle qui provient directement
de ce qu’éprouve l’individu en réalisant une tâche : le fait de
« faire » procure un ensemble de sentiments ou même de
sensations qui nourrissent le plaisir (instantané), le désir de
continuer et l’envie de recommencer. On peut retrouver ici la
notion d’apport/effort exposé précédemment : l’apport d’énergie
est non seulement supérieur à l’effort consenti (dépense
d’énergie), mais aussi simultané.
La motivation extrinsèque, elle, n’a pas de lien direct avec la
tâche : elle provient d’éléments extérieurs qui me seront apportés
pour compenser ou récompenser l’effort. Il peut s’agir du salaire,
qui compense le temps que le travailleur n’a pas pu consacrer à
une autre activité, ou encore d’avantages consentis en
contrepartie de son engagement (assurance, congés payés,
etc…). Il s’agit également des primes, promotions, médailles et
autres récompenses au titre de ses bons résultats ou de ses
victoires par exemple.
Si la culture managériale compte autant sur la motivation
extrinsèque, c’est certainement parce que son aspect « externe »
la rend moins mystérieuse que la motivation intrinsèque qui, par
définition, se joue dans l’intime, évidemment moins accessible.
Dans le monde de l’entreprise, la dimension extrinsèque offre
l’immense avantage de se traduire en recettes « simples », pour
ne pas dire « simplistes », jusqu’aux caricatures des tables de
ping-pong, des baby-foot ou autres salles de sieste censés
garantir la motivation des salariés… Ce qui apparait, en réalité,
c’est que ces éléments externes (dont il est tout à fait agréable de
pouvoir profiter), ne jouent pas tant sur le niveau de motivation
(envie de faire, notion de conquête) que sur le degré de
satisfaction (confort, notion de conquis).
Si l’on met autant l’accent sur la mécanique extrinsèque, c’est
aussi peut-être parce que nous considérons un peu vite que le
travail, en soi, ne peut être motivant, raison pour laquelle il faudrait
chercher la motivation en dehors de l’activité elle-même.
De fait, on peut facilement admettre que certains emplois
peuvent paraître moins intrinsèquement riches que d’autres. Sans
doute que la profession d’ingénieur est, du point de vue de
l’intérêt, plus attractif que le métier de caissier en supermarché.
Mais au-delà de ces évidences de café du commerce, la façon
avec laquelle on vit et pratique son travail, peut aussi peser dans
le plaisir intrinsèque qu’on y trouve.
L’ingénieur qui a le sentiment de ne pas pouvoir exploiter ses
points forts (par manque d’autonomie par exemple, ou parce que
son manager ne cesse de le presser à travailler ses points faibles
en l’attelant à des tâches à contre-emploi) pourra ne tirer aucune
motivation intrinsèque de son quotidien. À l’inverse, le caissier qui
aura le sentiment de pouvoir exprimer ses aptitudes relationnelles
pour accueillir et fidéliser ses clients, à qui l’on demandera
d’ailleurs des idées pour l’organisation du prochain anniversaire
du magasin, qui sera valorisé pour ses talents au sein de l’équipe,
sera certainement intrinsèquement motivé par son métier pourtant
considéré comme ingrat par le commun des mortels.
Bien que très répandue, la mécanique de la motivation
extrinsèque s’avère en réalité moins performante que ne l’est le
moteur intrinsèque.
En premier lieu parce qu’elle fait dépendre la motivation non pas
de l’individu lui-même mais des décisions ou comportements des
autres acteurs qui apporteront ou pas, les récompenses
attendues. Et nombreux sont ceux qui, comptant sur ces facteurs
de motivation externes, estiment rapidement qu’ils mériteraient de
recevoir (beaucoup) plus pour leurs efforts et finissent par en
concevoir un sentiment de frustration persistant.
S’ajoute à ce souhait très humain, un mécanisme
« inflationniste » lui aussi naturel, qui conduit l’individu à s’habituer
au confort qu’il a déjà et à réclamer toujours plus pour les mêmes
efforts.
C’est toute l’histoire de nos enfants auxquels on tend parfois à
céder tous les caprices, pour constater finalement que la
satisfaction éprouvée à chaque nouveauté offerte s’efface de plus
en vite devant l’envie suivante : à peine paramétré, le smartphone
dernier cri no 11 n’amuse déjà plus, d’autant que le no 12 de la
série est déjà annoncé sur les réseaux sociaux. Et devinez quoi ?
Il est encore mieux que le 11, parce qu’il aura des fonctionnalités
« trop géniales » !
Autant le dire : pour éviter cette « course à l’échalote » infinie et
stérile (ruineuse aussi !), il est important d’avoir très tôt aidé nos
chérubins à découvrir le moteur intrinsèque, celui qui n’a besoin
de rien d’autre pour se mettre en route que le simple fait de faire
ce qu’on aime faire.
Malheureusement, dans nos réflexes éducatifs, le bon vieux
tandem « punition et récompense » reste très présent. La carotte
« Fais ceci et tu pourras obtenir cela… » ou au contraire le bâton
« Si tu ne fais pas ceci, tu risques cela… », sont d’un recours
facile quand il s’agit de motiver un enfant. Bien plus efficace serait
la relation invitant l’enfant à découvrir, expérimenter, explorer tout
ce que telle ou telle activité peut lui apporter en tant que telle : des
sensations, du plaisir, de l’apprentissage, un défi contre soi-même,
le développement de telle ou telle vertu…
Le plus grand risque de la mécanique extrinsèque, au-delà de
ses limites d’efficacité, est qu’elle tend à prendre le pas sur la
motivation intrinsèque.
Plusieurs études tendent en effet à montrer que lorsqu’il existe
un enjeu extrinsèque (quelque chose à gagner donc, sans lien
avec la tâche elle-même), cet enjeu crée une sorte de pression qui
ronge la motivation à faire. Comme le résument parfois les bons
entraîneurs sportifs : la pression d’enjeu dégrade le plaisir du jeu !
C’est ce mécanisme que décrit Dan Pink dans son livre sur la
motivation6. S’appuyant sur les travaux de différents chercheurs,
il met en lumière l’effet néfaste que la motivation extrinsèque peut
avoir sur la mécanique intrinsèque.
Parmi les multiples expérimentations qui étayent sa
démonstration, il cite notamment le problème de la bougie, conçu
par le psychologue Karl Duncker dans les années 1930 et utilisé
depuis dans différents contextes. En l’occurrence, ici, l’expérience,
menée par le psychologue Sam Glucksberg, confronte 2 groupes
à ce même problème de la bougie, consistant à fixer une bougie
sur un mur en faisant en sorte qu’une fois la bougie allumée, la
cire ne coule pas par terre. Pour cela, chaque groupe dispose du
même matériel à savoir une bougie, une boite de punaises et des
allumettes.
Il est annoncé à tous les participants qu’ils sont chronométrés.
Mais à ceux du premier groupe, il est expliqué que la mesure des
temps doit seulement permettre d’établir une moyenne, alors
qu’on promet aux participants du second groupe des
récompenses financières pour les plus rapides.
Aux cobayes du premier groupe, il ne fallut en moyenne que
quelques minutes pour trouver la solution à ce problème qui
implique de penser « hors du cadre » : vider la boite de punaises,
en utiliser deux ou trois pour fixer la boite vide au mur, en ayant
préalablement fait couler un peu de cire pour y fixer la bougie. Aux
membres du second groupe, il fallut 3 minutes 30 secondes de
plus en moyenne pour identifier la bonne solution !
L’interprétation que fait Glucksberg de cet écart est la suivante :
le cerveau des « motivés extrinsèques », centré sur l’appât du
gain, tend à chercher une solution simple, connue, pour aller vite.
Là où, la motivation intrinsèque, poussant davantage au jeu,
favorise au contraire la créativité.
Cités également par Dan Pink, d’autres chercheurs, dont
Edward L. Deci qui a théorisé ces notions de motivation
intrinsèque/extrinsèque, confirment : « L’examen minutieux des
effets des récompenses observés dans 128 expérimentations
aboutit à la conclusion que des récompenses tangibles exercent
généralement un effet substantiellement négatif sur la motivation
intrinsèque. »7
Dans cette même logique, on peut être frappé, en entendant les
plus grands champions de la planète, tous sports confondus,
évoquer le plaisir qu’ils continuent à prendre, non pas seulement
en gagnant des matches, mais aussi à l’entraînement. « L’amour
du jeu », « le plaisir de progresser encore », « la passion du
geste »… autant de façons de décrire la motivation intrinsèque,
moteur essentiel de leur carrière. Certes, il y a toujours quelqu’un
pour conclure, façon « brève de comptoir » : « Ouais, enfin, c’est
surtout l’argent qu’ils gagnent qui les motive ! ».
Et pourtant, malgré les sommes importantes que continuent
d’engranger ces champions après l’arrêt de leur carrière sportive,
tous ou presque témoignent des mois difficiles qu’ils ont vécus.
Dans cette « petite mort », selon le terme que la psychologie du
sport a consacré pour désigner ces fins de carrière, les athlètes
pointent le ressenti profond de manque, du fait d’être désormais
privés de toutes ces sensations intrinsèques propres à chacun :
l’intensité émotionnelle, le goût de l’effort, le plaisir du jeu,
l’adrénaline…
« Je suis mort à 32 ans, le 17 mai 1987 » a dit un jour Michel
Platini, évoquant le jour de son dernier match de football
professionnel. Antoine Blondin l’avait dit à sa manière « Le
champion est un homme dont le destin est de mourir deux fois8 . »
Le sport reste, bien sûr, un monde à part – surtout quand on
s’arrête aux quelques figures exceptionnelles qui en écrivent la
légende. Mais il permet d’illustrer un peu plus la force de cette
notion de motivation intrinsèque, souvent masquée par les
croyances sur l’efficacité prétendue des facteurs extrinsèques.
En ce sens, miser sur les points forts est un acte doublement
vertueux : par la spirale de confiance et de réussite qu’il crée,
mais aussi par la découverte (ou redécouverte) de cette
motivation intrinsèque méconnue (ou enfouie), source d’énergie
sans cesse renouvelée par le simple fait de faire ce qu’on aime
faire.
Un état de grâce !
En prenant le chemin des points forts, nous pouvons parvenir même
jusqu’à ressentir un ensemble de sentiments et de sensations bien
connu des champions, mais aussi des musiciens virtuoses, des
danseurs émérites ou encore des grands chefs cuisiniers. Cet état
mental particulier a été notamment mis en lumière par le
psychologue Mihály Csíkszentmihályi dans les années 1970, et
appelé flow.
Le flow (flux en anglais, les sportifs disent souvent aussi en
français « être dans la zone ») se caractérise par une sorte
d’hyper-concentration dans une activité. Dans ces moments
particuliers, exceptionnels et parfois fugaces, l’individu est
totalement absorbé par son occupation : corps, cerveau,
émotions, perceptions… tout parait alors en harmonie avec
l’action. La réussite parait facile et sans effort.
Être dans le « flux », dit Mihály Csíkszentmihályi, c’est « être
complètement impliqué dans une activité pour elle-même. L’ego
n’existe plus, la perception du temps non plus. Chaque action,
mouvement et pensée découle inévitablement de la précédente,
comme lorsque l’on joue du jazz. Votre être tout entier est
impliqué, et vous utilisez vos compétences à l’extrême. »
Six sensations caractérisent ces expériences de flow :
1. Une concentration intense focalisée sur le moment présent :
rien d’autre ne peut me distraire que ce que je suis en train
de faire, ici et maintenant.
2. La disparition de la distance entre le sujet et l’objet : je suis
« immergé » dans l’action.
3. La perte du sentiment de conscience de soi : je ne suis plus
que ce que je fais.
4. L’impression de contrôle et de puissance sur l’activité ou la
situation : tout parait simple et facile à réaliser et à réussir.
5. La distorsion de la perception du temps : je ne vois pas le
temps passer.
6. Le fait que l’activité soit en soi source de plaisir (on parle
d’activité autotélique) : on trouve, dans l’action, une
motivation intrinsèque.
Régis Boxelé, médecin du sport à Paris, connaît bien ce
phénomène au travers des confidences des champions dont il
prend soin : « Un très grand gardien de but français de handball
m’a décrit ce moment de « transe » où il lui a semblé que les
balles étaient ralenties et les arrêts, plus simples. Ou encore cet
ancien champion du monde de squash qui se souvient, en pleine
finale, d’avoir eu le sentiment de flotter au-dessus du court et donc
d’anticiper tous les coups de l’adversaire, ce qu’il a fait. Pour y
parvenir, il faut des années et des années d’entraînement avec
des gestes presque automatiques. »
Le pilote de Formule 1, Ayrton Senna, durant les qualifications
du grand prix de Monaco, en 1988, décrivait ainsi ses
impressions : « J’étais déjà en pole position […] et je continuais.
J’avais deux secondes d’avance sur tout le monde, même sur
mon binôme qui avait la même voiture. Et tout à coup j’ai réalisé
que je ne conduisais plus la voiture consciemment. Je la
conduisais comme instinctivement, mais j’étais dans une autre
dimension. J’étais comme dans un tunnel. Pas seulement dans le
tunnel sous l’hôtel : tout le circuit était un tunnel. Je continuais et
continuais, encore et encore. J’avais largement dépassé la limite
mais j’étais toujours capable de trouver plus. »
Si le fonctionnement du cerveau, en état de flow, reste encore
bien mystérieux – pas évident par définition de voir ce qu’il se
passe à l’intérieur d’une personne en mouvement – il semble bien
qu’au travers de ce phénomène d’hyper-concentration, le cerveau,
tout entier dédié à une seule tâche, soit alors en mesure de traiter
un plus grand nombre d’informations que lorsqu’il partage ses
capacités entre plusieurs activités.
D’après Csíkszentmihályi, notre système nerveux serait capable
de traiter 110 bits d’informations à la seconde.
Dans une conversation par exemple, nous aurions besoin
d’utiliser environ la moitié de cette capacité (60 bits d’info/sec.), ce
qui explique pourquoi il nous est difficile de faire autre chose en
même temps !
En état de flow, le cerveau consacrerait la quasi-totalité de sa
« puissance de calcul » à la seule activité pratiquée
(environ 100 bits d’info/sec.), ne laissant plus la possibilité au
système nerveux de faire attention au reste.
Ainsi, dit le psychologue, dans cet état de flow, l’individu n’est
plus préoccupé par tout ce qui pourrait le déconcentrer : il ne peut
plus penser ni à l’enjeu, ni à la prime, ni à son image, ni à tous ces
éléments extérieurs potentiellement perturbants. La
« concentration dans le jeu » est telle qu’elle chasse toute « la
pression de l’enjeu ».
Mais on le comprend : ce n’est pas un état qui se crée sur
commande. Et les quelques illustrations montrent bien qu’il s’agit
de moment de grâce rares, y compris pour des personnes
rompues à la pratique intensive d’une activité.
Pour autant, cet état n’est pas réservé qu’aux seuls champions
sportifs ou aux grands musiciens. Chacun d’entre nous peut, ne
serait-ce que fugacement, ressentir, dans la sphère personnelle
ou professionnelle, un de ces instants de flow, durant lesquels tout
semble facile et fluide : une partie d’échec accrochée, un morceau
adoré chanté sous la douche, un grand oral sur un sujet de
passion, une présentation parfaitement maîtrisée face à un
client…
Peu importe la situation : c’est bien sûr du côté de nos points
forts qu’il faut chercher, quand on se sent comme profondément
aligné avec ces qualités dont on aime user et abuser.

À la recherche de l’excellence
Sans nécessairement chercher à trouver le Graal que représente cet
état de flow, aussi difficilement accessible que reproductible,
il convient bien de considérer les points forts non comme un acquis
mais bien comme un potentiel à développer.
Comme le disait déjà la Parabole des Talents, évoquée au
début du livre, il serait dommage de se contenter s’user de ses
forces et de ne pas faire fructifier les dons que l’on possède. Avoir
du talent n’est pas qu’une chance : c’est aussi un devoir, celui de
le travailler.
Trop souvent encore, en parallèle de l’injonction corrective, on
entend dire : « ce n’est pas la peine de travailler cet aspect, c’est
déjà un point fort ! »
Laisser un talent en jachère fait courir plusieurs risques. Bien
sûr, celui déjà cité, consistant à perdre la confiance en son
« modèle » de performance voire la conscience même de ses
forces. Mais aussi, le risque de perdre petit à petit en maîtrise : le
talent seul ne fait pas tout. Seul le travail permet de consolider la
pratique, d’ajouter de la technique au don.
Les politiques de formation continue, mises en œuvre dans les
entreprises, répondent plus souvent, comme nous l’avons déjà
souligné, à la logique corrective qu’à celle du développement des
points forts.
« Pourquoi envoyer un commercial dans un module sur l’écoute
puisqu’il possède naturellement ce don de bien écouter ? », peut
arguer le responsable formation.
Voici pourtant quelques bonnes raisons de le faire :
• La motivation d’abord : le vendeur en question viendra sans
doute avec envie pour participer à un module de formation qui
valorise ce qu’il est et ce qu’il sait faire (bien plus qu’assister à
une session qui le remet en cause et le met en difficulté…).
• La consolidation : en ajoutant de la technique à ce qu’il fait
certainement déjà naturellement, le vendeur en ressortira
conforté, plus confiant, plus solide, avec un sentiment renforcé
de compréhension de son « modèle » de performance. Il sera
d’ailleurs capable de transmettre plus facilement à ses
collègues une partie de son savoir-faire (impossible à
transmettre quand il ne se fonde que sur le talent « brut » et en
partie inconscient).
• L’amélioration : le commercial pourra très probablement trouver
dans la formation de nouvelles techniques, de nouvelles
pratiques rendant son écoute plus pointue, plus précise encore.
• L’application : on le sait bien, les participants, après une
formation lambda, ne mettent en pratique que très peu
d’éléments… Ce taux d’application est bien plus élevé quand
les stagiaires repartent avec des engagements alignés avec
leurs forces et l’envie souvent grande de les tester.

Miser sur ses points forts ne consiste donc pas à rester dans sa
zone de confort : il s’agit d’en repousser les limites, non pas en
basculant dans la logique corrective, mais en poussant plus loin le
développement de ses qualités naturelles. Car si l’espoir que l’on
peut nourrir en travaillant ses points faibles reste limité à la seule
acquisition d’un niveau de base, l’objectif que l’on peut se fixer en
cultivant ses forces est bien plus ambitieux : c’est un objectif
d’excellence.
La spirale de confiance, la motivation intrinsèque, l’efficacité
constatées par celui qui exploite ses talents dessinent en effet des
perspectives de progrès très profondes.
Déjà évoquée au début du premier chapitre de ce livre, la
théorie du psychologue d’origine suédoise, K. Anders Ericsson
évalue à 10 000 heures le temps nécessaire à l’atteinte d’un
niveau d’excellence dans une activité donnée.
10 000 heures équivalent à 10 ans de travail à raison de
20 heures par semaine ou 5 ans à temps plein. Selon Malcolm
Gladwell, qui a largement contribué à populariser ce « nombre
magique de la grandeur » (“magic number of greatness”), tous
ceux qui sont devenus maîtres dans leur discipline ont travaillé
plus que la moyenne, qu’ils soient magnats des affaires, artistes,
sportifs, génies de l’informatique, scientifiques de renom…
Chacune des personnalités qu’il étudie (de Bill Gates aux
Beatles) possède d’indéniables talents au départ, probablement
même supérieurs à la moyenne.
C’est bien d’ailleurs l’existence de ces pré-dispositions qui
permettent de déclencher et d’entretenir la motivation que requiert
l’effort de ces 10 000 heures de pratique : jamais, partant d’un
point faible, un individu pourrait endurer une telle charge de
travail.
À une époque où l’accès à l’informatique était encore réservé
aux spécialistes, Bill Gates, adolescent, avait trouvé différentes
façons de s’adonner à sa passion pour la programmation : en
proposant à des entreprises de tester leurs programmes, le futur
fondateur de Microsoft a commencé à cumuler des heures à se
perfectionner. Découvrant, à 15 ans, que les ordinateurs du centre
médical de l’université de Washington ne servaient pas la nuit
entre 3h et 6h, Bill Gates et ses amis continuaient à exercer leur
pratique, à l’heure où les autres adolescents du même âge
dormaient paisiblement. Ainsi, quand Bill Gates achevait ses
études à Harvard, il cumulait déjà 7 ans d’informatique à haute
dose, largement plus que les 10 000 heures de travail.
Entre 1957 (date de la première rencontre entre Lennon et
McCartney) et 1964 (année de l’explosion de leur succès), les
Beatles se sont produits ensemble des centaines de fois, jouant
parfois des heures durant. Alors même qu’ils n’avaient toujours
pas sorti de disque, ils possédaient déjà un impressionnant niveau
de maîtrise de leur art.
La règle des 10 000 heures tente finalement de mesurer le
temps qu’il faut pour « modeler » le cerveau : une fois capable de
fonctionner de façon automatique (les « modèles » déjà évoqués
précédemment), le cerveau devient disponible pour d’autres
aptitudes. Parmi celles-ci, l’intuition, l’anticipation, la créativité
semblent jouer un rôle-clé pour permettre aux « génies »
d’accéder au firmament de leur art.
L’idée n’est évidemment pas d’aspirer systématiquement à
devenir une star du rock ou un patron emblématique ! Il s’agit juste
ici de souligner que les points forts constituent un potentiel
fantastique : grâce à la spirale de motivation et de confiance qu’ils
nourrissent, il est possible d’accéder à un niveau de maîtrise et de
performance inespéré.
Exceller dans un domaine, en s’appuyant sur ses points forts,
est évidemment très précieux. Par effet de halo, cela permet
parfois de compenser ou sur-compenser ses faiblesses : l’éclat
des succès obtenus masque les défauts !
Comme le prédisait Roger Federer à 17 ans : « J’ai un gros nez,
mais quand je serai numéro 1 mondial, les gens ne le verront
plus ! ».

Sur le chemin du sens


Le pari des points forts ne répond pas simplement à un enjeu
pratique de performance. Il peut mener plus loin encore que
l’excellence : sans mauvais jeu de mots (mais un peu quand
même…), il indique le bon sens.
En cette année 2020 marquée par cette crise sanitaire sans
précédent dans notre histoire récente, on ne peut que constater, tout
autour de nous, au bureau, à la maison, sur les réseaux sociaux,
l’affirmation plus forte d’un besoin de sens. Bien sûr, on en
comprend aisément l’origine : quand tout se met à chanceler dans
notre environnement, y compris les repères que nous pensions
assurément stables, lorsque le futur n’est que brouillard, chacun
éprouve le besoin de s’accrocher à l’essentiel, de trouver « un
pourquoi qui permet de surmonter presque tous les comment », pour
paraphraser Nietzsche.
Ce qui frappe, en revanche, c’est la manière avec laquelle la
plupart des gens entreprend cette quête de sens, espérant le voir
apparaître au cours d’un séminaire improbable de développement
personnel, au détour d’une de ces démarches ésotériques – ou
attendant même de leur patron ou de leur manager qu’il leur
« donne » le sens (pour reprendre l’expression ornant souvent la
une des revues de management).
Voilà qui ressemble étrangement à cette vieille légende hindoue
retrouvée au fond d’un placard…
Cette histoire dit qu’il fut un temps où tous les hommes étaient des
dieux. Comme ils abusèrent de ce pouvoir, Brahma, le maître des
dieux, décida de le leur retirer et de le cacher dans un endroit où il
leur serait impossible de le retrouver. Oui, mais où ? Brahma
convoqua en conseil les dieux mineurs pour résoudre ce problème.
« Enterrons la divinité de l’homme », proposèrent-ils.
Mais Brahma répondit :
« Cela ne suffit pas, car l’homme creusera et trouvera. »
Les dieux répliquèrent :
« Dans ce cas, cachons-la tout au fond des océans. »
Mais Brahma répondit :
« Non, car tôt ou tard l’homme explorera les profondeurs de
l’océan. Il finira par la trouver et la remontera à la surface. »
Alors, les dieux dirent :
« Nous ne savons pas où la cacher, car il ne semble pas exister
sur terre ou sous la mer d’endroit que l’homme ne puisse atteindre
un jour. »
Mais Brahma répondit :
« Voici ce que nous ferons de la divinité de l’homme : nous la
cacherons au plus profond de lui-même, car c’est le seul endroit où il
ne pensera jamais à chercher ! »
Et depuis ce temps-là, conclut la légende, l’homme explore,
escalade, plonge et creuse, à la recherche de quelque chose qui se
trouve en lui.
Voilà une façon imagée de rappeler que le sens est un trésor à
découvrir en nous, et non à l’extérieur et sans attendre a fortiori, que
quelqu’un d’autre puisse nous le donner.
Qu’est-ce que le sens, si ce n’est le sentiment que ce que l’on fait
est utile au monde qui nous entoure ?
C’est en substance ce qu’expliquait la philosophe et politologue
Hannah Arendt : se poser la question du sens, c’est bien se
demander comment « apporter une part de soi au monde
commun ».
Les points forts peuvent apporter un début de réponse, en tous
cas indiquer l’endroit où creuser. Et si, avec ce que j’aime faire et
que je sais bien faire, je pouvais être utile au monde qui m’entoure ?
Et si j’arrivais à mettre mes talents au service des autres ?
En ce sens, miser sur les points forts n’est pas simplement gage
d’efficacité, ni seulement du plaisir auto-centré ou de la passion
égoïste auxquels peuvent faire penser la motivation intrinsèque de
l’instant… C’est aussi accéder à sa vocation, à ce Ikigaï importé du
Japon et très à la mode, à sa raison d’être pourrait-on aussi dire.
« Là où vos talents et les besoins du monde se rencontrent, se trouve
votre vocation »
Aristote

Miser sur les points forts, ce n’est pas seulement se servir, c’est
aussi servir. Nos forces ne sont pas seulement un atout « pratique »,
elles portent en elles une dimension « éthique » : en les mettant au
service du monde extérieur, elles prennent tout leur sens et
contribuent à en nourrir celui de notre existence.
Allier performance et sens, c’est en quelque sorte le pari que fait
l’équipe d’Initiative Cœur, bien connue dans le monde de la voile. En
s’alignant au départ des plus prestigieuses courses autour du monde
(Vendée Globe, Route du Rhum, Transat Jacques Vabre, etc.),
l’Imoca9 Initiative Cœur, barré par la talentueuse navigatrice
Samantha Davies, promeut la cause de l’association Mécénat
Chirurgie Cardiaque10, tout en relevant un défi sportif et technique de
haut niveau. Profitant de l’exposition médiatique des aventures de la
skipper et grâce au soutien de ses partenaires (K-Line, VINCI
Energies…), le projet a permis à Mécénat Chirurgie Cardiaque de
financer 314 opérations d’enfants depuis 2012.
Pour des sportifs de haut niveau, comme Samantha Davies (ou
avant elle, Tanguy de Lamotte, skipper d’Initiatives Cœur entre 2012
et 2017), vivre de ses talents est en soi déjà un privilège. Pouvoir les
mettre au service d’un projet et d’une cause comme celle-ci donne
un sens bien plus grand encore à l’aventure.

L’être unique
Miser sur ses points forts, choisir résolument de développer ses
talents, revient finalement à affirmer ce qu’on a de singulier.
Depuis nos plus jeunes années, la logique corrective, l’un des
bras armés de la pression sociale, cherche plutôt à conformer,
en gommant les défauts – mais, on l’a compris, en atténuant par
conséquent aussi les forces. Ne pas être faible mais ne pas être trop
fort non plus. Noyer nos façons de faire trop personnelles dans un
océan de bonnes manières conventionnelles (je dénonce mais je
poétise !).
Et s’il faut briller, ce doit être davantage par le combien que par le
comment : réussir mieux que les autres, en faisant comme les
autres ! De cette conception du succès découlent, à mon sens,
rivalité malsaine, jalousie, frustrations… pour, en fin de compte, peu
de succès !
Copier les autres, vouloir « faire comme » ses idoles, voilà un des
réflexes conditionnés par la logique conformiste, que l’on retrouve
dans beaucoup d’univers, notamment chez les jeunes sportifs.
Imiter le swing de Tiger Woods, reproduire les gestes de Messi ou
mimer le coup droit de Nadal sont quelquefois les vaines obsessions
des athlètes en devenir.
L’entraîneur de natation Fabrice Pellerin confie avoir un temps cru
en la puissance de la reproduction, idée encore largement partagée
par certains de ses confrères tous sports confondus. Et, ajoute-t-il,
même « si le succès sportif n’est pas au rendez-vous, pas question
d’incriminer l’insuffisance de cette méthode imitative et causale,
mais plutôt celle des athlètes censés s’y soumettre. Ils n’auront pas
assez bien répété, pas assez studieusement exécuté. CDFD. »
Ainsi, raconte Fabrice Pellerin, au début de la décennie 2010,
l’une des priorités pour le prometteur Yannick Agnel, consistait à
copier le champion américain Ryan Lochte qui se distinguait alors
par une impressionnante « coulée » d’après-virage, extrêmement
rapide et longue d’une quinzaine de mètres – là où les autres
nageurs remontaient à la surface après seulement six ou sept
mètres en moyenne !
Après plusieurs mois de travail, raconte l’entraîneur, Yannick
Agnel a travaillé dur pour allonger sa « coulée » et tenter de copier
l’atout du « modèle » américain. Mais, même en parvenant à
« couler » jusqu’à huit mètres, le nageur reste encore loin du niveau
de son rival, comme en atteste cette décevante 5ème place en finale
des championnats du monde de Shangaï en 2011. La frustration est
d’autant plus grande, précise Fabrice Pellerin, qu’à l’entraînement,
Ryan Lochte ne parait pas investir beaucoup d’effort à travailler sa
« coulée » !
C’est de l’observation de ce paradoxe que le coach a tiré l’un des
enseignements qui a ensuite orienté sa pratique, et qu’il désigne
sous le terme d’impersonnation : « Lochte gagne car il possède un
joker né de son irréductible singularité. Les concurrents auront beau
tenter de le parodier : n’ayant ni le même physique, ni les mêmes
aptitudes, ils ne pourront jamais l’égaler […] Rien n’est plus efficace
que de cultiver notre singularité, notre intime façon de faire, la
qualité qui nous fait sortir du lot, ce style irremplaçable, ce petit
quelque chose qui nous différencie et, surtout, que les autres n’ont
pas. »
C’est ainsi que Fabrice Pellerin se mit ensuite à chercher la
« botte secrète » de ses nageurs et nageuses.
Pour Yannick Agnel, ce fut un geste, consistant à baisser la tête,
comme pour s’effacer sous l’eau, environ un mètre cinquante avant
d’aborder son virage, geste qui, après ses performances
exceptionnelles de 2012 et 2013 (2 médailles d’or aux JO de
Londres, deux autres aux Championnat du Monde de Barcelone
l’année suivante), fut copié et imité par une partie de ses
concurrents ! À noter que malgré sa « coulée » toujours au-dessus
du lot, Lochte ne put rivaliser lors de la finale du 200 m nage libre,
remportée cette fois par Yannick Agnel.
Pour Camille Muffat, la « botte secrète » eut d’abord l’apparence
d’un défaut : une sorte de roulis que, d’ordinaire, n’importe quel
entraîneur aurait cherché à gommer. En l’encourageant au contraire,
Pellerin y a décelé un atout permettant à la championne de trouver
un relâchement et une allonge finalement gages de performance.
« Pour performer, il faut plutôt faire croître et embellir ce qui
n’appartient qu’à nous », en conclut Fabrice Pellerin. Cultiver sa
singularité ouvre une voie de réussite. Mais c’est à mon sens, un
chemin qui mène bien plus loin encore. Le but ne se résume pas à
l’aspect compétition : « être le meilleur ». Il intègre aussi, et surtout,
la dimension réalisation de soi : « être pleinement soi », éprouver le
sentiment de pouvoir, au travers d’une activité, exprimer ce qu’on
est.
Voilà qui peut ouvrir une perspective plus large aux débats sur la
recherche de sens et renouveler le traditionnel exercice du projet,
qu’il s’agisse d’un projet personnel ou d’un projet d’entreprise.
Même si, dans le contexte inédit, inattendu et pour le moins
bousculé de cette année 2020, l’ambiance n’est pas à l’affirmation
de grandes ambitions, on continue de constater que nos projections
sur le futur restent teintées d’une logique de « conquête du
monde » : devenir no 1 sur le marché, ou gagner la médaille d’or,
accroître les parts de marché, ou gagner plus d’argent, etc… autant
d’exemples inspirés de la culture conformiste qui, outre la volonté de
copier, suscite l’esprit de compétition ou de comparaison.
Penser « conquête de soi », en cherchant à développer sa
singularité, c’est ouvrir un autre champ, hors de la rivalité avec les
autres, tourné vers l’exploration et l’affirmation de soi : l’enjeu n’est
pas de ravir ce que d’autres possèdent, bien plutôt d’ouvrir un
nouvel espace… au risque d’ailleurs qu’il finisse lui-même par attiser
la convoitise !

Jean Giono écrivait avec bien plus de poésie :


« Nous voulons de la place au soleil – C’est normal mon garçon ; alors
fais du soleil au lieu de chercher à faire de la place. »
Le bonheur fou, éditions Gallimard, 1957

De façon collective, l’idéaliste que je suis, voit dans les projets


d’affirmation de sa singularité, l’espoir d’un monde meilleur (rien que
ça !). Non seulement, dans bien des domaines, nous pourrions faire
l’économie de ces confrontations nées des projets de « conquête du
monde », sources de conflits, de rancœur, de stress, mais aussi
trouverions-nous sans doute à enrichir et agrandir le monde de ce
que chacun pourrait y apporter.
Sur le plan individuel, affirmer son identité au travers du talent qui
nous distingue des autres, c’est trouver aussi une voie plus
épanouissante que l’obsession de la ressemblance ou la recherche
de la place la plus haute sur le podium. Quelle libération que de se
sentir exister, d’être fier de ce qu’on réalise, de profiter d’un espace
à soi, de plaisir et d’expression, sans avoir à rivaliser ou se
comparer ! Une fois encore, on recroise la notion déjà évoquée de
motivation « intrinsèque », dans laquelle le « faire » – et ce que
m’apporte le fait de « faire » – suffit à m’apporter de l’énergie, sans
attendre de récompense extérieure.
« Des cafés pas comme tout le monde », voici le slogan qu’en ce
mois de novembre 2020, on peut lire sur les affiches placardées en
région parisienne pour nous inviter, dès après la fin du confinement,
à nous rendre dans un de ces Cafés Joyeux ouverts ces derniers
mois à Paris, Bordeaux et Rennes, pour manger une part de tarte,
un morceau de gâteau ou boire un de ces cafés « servis avec le
cœur ».
Ces cafés-restaurant proposent, bien sûr, une carte classique, des
produits de qualité, dans un cadre moderne et chaleureux et avec
une qualité de service professionnelle. Là n’est pas leur particularité.
Derrière la ressemblance de l’enseigne avec bien d’autres
établissements de restauration, les Cafés Joyeux se sont
développés autour d’un projet différent : celui d’offrir à des
personnes trisomiques un vrai travail stable, source d’apprentissage,
de confiance, de reconnaissance.
Certes, bien d’autres associations ou entreprises emploient des
personnes handicapées, mais le choix des Cafés Joyeux est un peu
plus engagé encore : « rendre le handicap visible et favoriser la
rencontre ».
Je peux me tromper, mais je crois pouvoir affirmer que l’ambition
de Café Joyeux ne se mesure ni en parts de marché conquises, ni
en Ebitda, ni en ticket moyen – même si je sais que le modèle, pour
d’évidentes contraintes de survie, se veut rentable. On peut sans
doute aussi facilement imaginer que ce n’est pas un rêve de
conquête du monde qui anime la belle équipe, mais bien plus l’envie
d’apporter la différence au monde, de mettre en avant cette
singularité que d’autres pourraient regarder comme un défaut.
« Chez Café Joyeux, personne n’est parfait, tous nos équipiers
sont uniques », cette phrase, qui figure sur la page internet de
l’enseigne, résume de belle manière l’état d’esprit de ce projet.
Les vertus de l’affirmation de la singularité sont telles qu’on se
prend à rêver d’une évolution des pratiques de tous ceux qui ont
pour mission d’éduquer, d’accompagner, de former ou de manager
les autres. Dans les entreprises, sur les terrains de sport, l’intérêt de
s’orienter vers le développement des talents individuels mériterait
d’être unanimement partagé.
Pourtant, le système scolaire et universitaire, en dépit des efforts
de nombreux enseignants, ne parait pas avoir résolument intégré
cette orientation.
S’il s’efforce de transmettre le fameux socle commun de
compétences, ce qui reste un point de passage indispensable, notre
système n’encourage pas la singularité : qu’il faille apprendre à tous
les élèves un ensemble de savoirs standards, cela semble
incontournable. Qu’il faille que chaque élève l’apprenne de la même
manière est en revanche plus discutable. C’est, une fois de plus pas
le « quoi » qui pose débat, mais le « comment ».
Dans cette difficulté à envisager et à tirer parti des singularités – et
je mesure, en écrivant ces mots, la complexité du sujet –
s’annoncent des problèmes scolaires : décrochages, perte d’estime,
sentiment d’incapacité structurelle à acquérir le « quoi » alors qu’il
n’y a bien souvent qu’une singularité réclamant un « comment »
différent.
Au-delà même des histoires difficiles, nous mesurons souvent,
notamment dans les entreprises, le conformisme d’une grande partie
des jeunes embauchés : ceux-ci ont, pour le coup, eu des parcours
scolaires réussis, de beaux diplômes et une tête bien remplie. Ils ont
peu de défauts, mais paraissent aussi « manquer de personnalité »
pour reprendre l’expression des recruteurs.
Or, ce dont les entreprises ont aujourd’hui besoin, mais au-delà
des entreprises, le pays et le monde (voyons grand, tant qu’à
faire… !), pour relever les défis majeurs (économiques,
environnementaux, sociaux, etc…), ce n’est pas d’individus
standards aux solutions copiées-collées mais plutôt de gens
différents. De l’alliance de ces différences, de l’apport des
singularités, de l’affirmation de talents complémentaires viendront
des idées nouvelles.
C’est pourquoi je rêve de voir se développer une culture qui,
à l’école d’abord, et partout autour ensuite, cherche à mettre en
avant l’être unique, en aidant chacun à déceler sa force, à la
développer, à l’utiliser, tant pour sa propre motivation que pour la
mettre à disposition du monde.
Jean Rostand, élu par l’Académie Française à la place laissée
vacante par feu Edouard Herriot, donna, lors de son discours de
réception sous la Coupole, le 12 novembre 1959, une magnifique
définition de l’enseignement :
Former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les
endoctriner, les armer sans les enrôler, leur communiquer une force
dont ils puissent faire leur force, les séduire au vrai pour les amener
à leur propre vérité, leur donner le meilleur de soi sans attendre ce
salaire qu’est la ressemblance : qui ne voit la difficulté de suivre à la
rigueur un tel programme, mais en est-il un autre pour satisfaire une
conscience ombrageuse quant au respect des âmes ?
Chapitre 4

La stratégie des points forts : mode


d’emploi

« Le plus grand bien que nous faisons aux autres


hommes n’est pas de leur communiquer notre
richesse, mais de leur révéler la leur. »
Louis Lavelle L’Erreur de Narcisse, Grasset, 1939.

Dans cette belle entreprise en croissance, très attentive au bien-être


de ses collaborateurs, le café est gratuit mais surtout il est excellent,
et le DRH qui m’en propose une autre tasse, m’est fort
sympathique : j’accepte donc avec grand plaisir de prolonger nos
échanges qui, justement, portent depuis un moment déjà, sur la
culture des points forts. Et je dois reconnaître que si cet homme
m’est si sympathique, c’est peut-être parce qu’il partage mon point
de vue !
D’ailleurs m’explique-t-il, miser sur les points forts des
collaborateurs est un des principes de management qu’il s’efforce de
porter partout dans l’entreprise.
Ça tombe bien : Animae, le cabinet que je dirige avec mon
associé depuis des années, a été choisi pour concevoir et mettre en
œuvre un projet de renforcement des pratiques managériales de tout
l’encadrement. Nous devrions pouvoir donc construire ce projet sur
un socle de convictions communes.
Au-delà du plaisir de partager des cafés, notre réunion ce matin a
un objectif : s’imprégner de la culture managériale « maison »,
notamment en collectant les différents outils et en recensant les
pratiques déjà mis en place par les managers.
Parmi ces outils et ces pratiques : l’entretien annuel de progrès et
le support qui va avec, récemment remis en forme, me précise le
DRH avant sa très prochaine digitalisation (digitalisation du support
pas du DRH bien sûr…). Le support est en effet joliment conçu :
c’est un document de 4 pages, aux couleurs de l’entreprise, à la
mise en page claire et aérée, imprimé sur un papier épais de belle
facture.
Sur la première page, détaille mon interlocuteur, se trouvent
plusieurs cases permettant de formaliser les principaux éléments de
bilan de l’année écoulée. « C’est dans ce rectangle ici qu’on peut
inscrire les points forts », m’indique-t-il, avant d’ouvrir le document
pour me montrer un grand tableau occupant quasiment toute la
double page intérieure : « les managers peuvent, sur ces différentes
lignes, faire apparaître les axes d’amélioration pour l’année à
venir. »
« Les axes d’amélioration ? »
« Ben oui, les managers disposent par ailleurs d’une grille
d’évaluation des attendus pour les principaux métiers de l’entreprise.
C’est à partir de cette grille qu’ils peuvent identifier les points forts et
les points faibles de leurs collaborateurs… pardon, les axes
d’amélioration de leurs collaborateurs. »
Voilà qui peut sembler incompréhensible : ce même DRH,
apparemment partisan engagé de l’approche par les points forts,
prône l’utilisation de supports qui continuent d’encourager la logique
corrective. Et l’usage forcé d’un vocabulaire « positif » – axes
d’amélioration au lieu de points faibles – ne trompe personne.
Cette interprétation du fameux « en même temps » n’est pas une
exception. Il est même assez fréquent de croiser des DRH, des
managers, des patrons intellectuellement en phase avec le principe
de développement des points forts, qui, en même temps, dans leurs
pratiques ou leurs outils, restent inspirés par la dimension corrective,
qu’il s’agisse de l’entretien annuel donc, des pratiques de feedback
ou encore des choix faits en matière de formation continue.
On n’est pas à une incohérence près… pourrait-on en conclure en
faisant preuve d’indulgence.
Mais ce décalage, entre les discours volontiers tenus et la réalité
vécue par les équipes, a des effets toxiques : outre la déception qu’il
suscite, outre également la décrédibilisation des dirigeants, il amène
une partie des collaborateurs à la conclusion erronée de l’inefficacité
de la théorie des points forts. Classique : quand la pratique est
défaillante, on remet en cause la théorie !
Il serait tentant de suivre l’auteur inconnu de cette phrase :
« Un jour, j’irai vivre en Théorie, parce qu’en Théorie, tout se passe
bien ! »1
À moins qu’on ne tente de réaligner les pratiques avec la théorie.
Miser sur les points forts n’implique pas seulement de pivoter
intellectuellement, mais évidemment de repenser sa façon de faire,
qu’il s’agisse de son propre développement ou qu’il soit question
d’accompagner ceux dont on aurait la charge, en tant que manager,
enseignant, éducateur, entraîneur, etc…
La difficulté est à la hauteur de l’enjeu, car nos réflexes et nos
pratiques sont encore teintées de la culture corrective. C’est à un
véritable défi de reprogrammation qu’il faut s’attaquer !

À la recherche des forces perdues


L’une des premières difficultés à laquelle se heurte celui qui cherche
à travailler ses points forts est de les identifier.
Comme le soulignent Valérie Jacquemin-Ngom et Nicolas Dugay
dans leur ouvrage Cultivez vos points forts2, « d’expérience, nous
éprouvons tous des difficultés à nous définir par nos points forts, soit
parce que nous ne les percevons pas – nous avons le sentiment que
tout le monde est comme ça –, soit parce que nous manquons de
vocabulaire pour les définir : celui des points faibles est bien plus
étoffé ! Par ailleurs, nous disséquons souvent nos échecs pour en
déduire nos faiblesses à corriger, alors que nous réfléchissons
rarement à nos réussites pour en extraire nos points forts. »
Dans beaucoup de cas, en effet, tel l’éléphant de la fable, nous ne
connaissons pas (ou plus) notre force : aspirés par le tourbillon de
l’approche corrective, nous avons été bien plus éduqués à prendre
conscience de nos manques qu’à repérer nos qualités.
Nous voyons généralement mieux ce que nous ne serions « pas
assez » ou peut-être ce que nous serions « trop », que ces atouts
qui, pourtant, devraient nous aider dans nos projets.
Le redouté exercice de l’entretien d’embauche est, à ce propos,
révélateur.
« Que faut-il répondre au recruteur qui, à coup sûr, me demandera
de citer les qualités et les défauts qui me caractérisent ? » se
questionnent souvent les candidats.
La seule formulation de la question en dit long : « que faut-il
répondre ? » sous-entend qu’il pourrait y avoir de bonnes et de
mauvaises réponses a priori.
De fait, on trouve ici ou là, des conseils sur les qualités ou au
contraire les défauts à ne pas citer, le risque annoncé étant de
paraître trop sûr de soi ou de se dévaloriser excessivement. « Vous
devez être modeste sur vos qualités et assumer vos défauts »,
conseille ainsi un expert auto-proclamé en recrutement, qui propose
ensuite de piocher dans une liste de qualités et de défauts présentés
comme acceptables !
C’est ainsi que les recruteurs voient défiler face à eux, des légions
de candidats qui ont pour qualité d’être « perfectionnistes » et pour
défaut de l’être un peu trop parfois, d’autres qui sont animés « d’une
grande ambition sans doute excessive de temps à autre », ou
« d’impatients qui peuvent avoir du mal à patienter ! »
Le vrai intérêt de cette question iconique des qualités/défauts n’est
finalement pas tant dans les réponses apportées, ni toujours
sincères, ni vraiment intéressantes ; il est dans ce qu’il révèle de
cette difficulté qu’ont les candidats à parler d’eux, de la crainte qu’ils
ont d’avoir l’air trop contents d’eux et de la peur de dévoiler un
défaut dont ils n’ont souvent que trop conscience.
Pourtant, dans la logique des points forts, l’échange devrait être
« dépassionné » : sans jugement sur la personne elle-même, il
devrait s’agir de comprendre « comment » fonctionne le candidat de
façon à cerner la manière avec laquelle il pourrait appréhender le
« quoi » (ce qu’il aura à faire s’il rejoint l’entreprise).
L’enjeu premier, pour qui entend miser sur ses points forts, est
donc d’apprendre à mieux se connaître, non pas tant bien sûr pour
vendre une image acceptable de lui-même, que pour fonder son
action sur des bases solides.

La méthode empirique
La façon la plus simple d’identifier ses talents consiste à se fier à
son expérience. L’analyse de ce que nous avons fait, réussi ou raté,
permet de comprendre, années après années, notre propre
« modèle de performance » – pour reprendre l’expression déjà
utilisée dans le chapitre 3.
Engager ce travail d’exploration suppose deux conditions.
La première condition est de ne pas arrêter l’analyse au « quoi »
– qui peut en revanche utilement servir de point d’entrée dans la
réflexion – mais bien de creuser jusqu’au « comment ». Un point
fort ne se définit pas par une action, une situation, une activité
dans laquelle je réussis bien. Un point fort est une qualité qui me
permet de réussir facilement dans l’action, la situation ou l’activité
ou grâce à laquelle j’ai pu développer la compétence
superficiellement visible.
La seconde condition est de résister aux tentations de l’analyse
version corrective, centrée sur ce qui a manqué. La recherche des
points forts implique de conduire la recherche sur un seul axe que
l’on pourrait résumer en une question :

Quelle est la qualité que j’utilise, facilement, spontanément, avec


plaisir
qui, quand je la mets en œuvre, produit un résultat,
et qui, à l’inverse, dès lors que je ne m’en sers pas,
conduit à l’échec (ou en tous cas, rend l’action plus laborieuse) ?
Chercher à répondre directement à cette question n’est pas
chose facile. Pour obtenir des réponses solides plus sûrement, je
vous propose quelques étapes simples.

■ Comment s’y prendre concrètement ?


1. Partir du « quoi »
Le « quoi » est la partie émergée de l’iceberg : ce que l’on voit
le plus facilement et qu’il est le plus simple à décrire. Pour cela, la
question pourrait être la suivante :
Quelles sont les activités, les domaines, les situations dans
lesquels…
• Je me sens bien et aligné.
• J’ai le sentiment d’exprimer le plus ce que je suis.
• J’éprouve du plaisir à faire (motivation intrinsèque).
• J’ai une impression de liberté.
• Je me sens capable de créer quelque chose.
• J’éprouve un sentiment de facilité (c’est naturel et spontané).
• Je ne vois pas le temps passer.
• Je n’ai pas à faire de grands efforts de concentration.
• Je pourrais continuer même si rien ne m’y obligeait.
• J’acquiers facilement des compétences.
• Je progresse sans forcer.
• J’obtiens souvent de bons résultats.
• J’attire le regard des autres.
• Je suis valorisé par mon entourage.
• J’ai obtenu quelques succès remarquables.

L’idée de cette première liste est de « penser large » : peu


importe la nature des activités qui y figurent, professionnelles ou
personnelles, artistiques ou sportives, individuelles ou
collectives…
Nul besoin bien sûr que chaque élément de cette liste réponde
absolument aux 15 critères énoncés dans la question ci-dessus :
en fonction de la nature des activités, certains critères pourront
paraître plus ou moins à propos.
Dans beaucoup de cas, d’ailleurs, la liste des activités pourra
sembler mettre en lumière une logique de complémentarité :
certaines de ces activités répondent à des motivations de progrès
et d’apprentissage, là où d’autres satisfont peut-être davantage un
besoin de reconnaissance.
1. Creuser le « comment »
Dans cette deuxième étape, il s’agit d’aller explorer la partie
immergée de l’iceberg, où se cachent les « vrais » points forts que
nous cherchons.
Pour chaque activité, cela implique de se poser ces quelques
questions, complémentaires, permettant de cerner des réponses
devant évidemment se recouper :
• Qu’est-ce que, dans cette activité, je réussis particulièrement
bien à faire ?
• Sur quelle capacité personnelle je m’appuie naturellement ?
• Dans la pratique de cette activité, quelle est l’aptitude/la
qualité/la ressource que j’actionne le plus spontanément ?
• Qu’est-ce que je prends particulièrement plaisir à faire quand je
pratique cette activité ?
• Quelle est exactement la nature des résultats obtenus ?
Comment les expliquer ?
• Qu’est-ce que cette activité m’apporte intrinsèquement ?
Qu’apporte-t-elle aux autres autour de moi ?

Ces différentes questions n’ont qu’un but : mettre en lumière les


qualités personnelles constituant des points d’appui naturels et
spontanés dans la pratique des activités dans lesquelles je me
sens aligné. Selon la nature des activités, ces forces pourront
prendre la forme de traits de caractère, de qualités relationnelles
ou encore d’aptitudes physiques.
Pour vous aider à cerner ces qualités, et à mettre des mots
dessus vous pourrez vous inspirer des nombreuses listes
disponibles sur internet ou dans différents ouvrages. Nous en
avons sélectionné quelques-unes présentées en annexe.
À ce stade, vous devriez arriver à dresser une liste de 5 à 6
qualités-clés maximum.
1. Reboucler et valider
La troisième et dernière étape consiste à affiner cette liste, tant
dans le nombre de forces identifiées que dans la définition même
de chacune d’entre elles.
Pour ce faire, voici quelques pistes de questionnement. Pour
chacune des qualités listées :
• Quels sont les autres domaines/situations/activités dans
lesquels cette qualité me sert également ?
• Me permet-elle alors d’éprouver les mêmes sensations (facilité,
plaisir, spontanéité, etc…) ?
• À l’inverse, que se passe-t-il quand je ne peux pas utiliser cette
qualité (situation particulière, activité qui exige plutôt la qualité
contradictoire, etc…) ?
• Qu’est-ce que les mauvaises expériences que j’ai pu vivre
(échec, erreurs, difficultés) peuvent m’apprendre sur cette
qualité ?

Au bout de ce processus introspectif, l’objectif est de parvenir à


déterminer les trois à cinq qualités :
• Qui nous donnent de l’énergie, que nous pratiquons avec
aisance et sur laquelle nous nous appuyons fréquemment.
• Qui participent à l’atteinte de nos objectifs et à notre
épanouissement.
• Construites à partir de capacités innées puis, au fil du temps,
développées grâce à nos efforts.
• Reconnues par les autres comme dignes de louanges, pour leur
contribution positive au développement d’autrui.
Précisons ici que mettre en exergue ces quelques qualités-clés
ne signifie pas pour autant que nous ne savons pas utiliser
d’autres qualités : l’enjeu, ici, consiste bien à déceler nos points
forts, donc évidemment pas tout ce que nous sommes capables
de faire, mais bien ce qui nous distingue des autres, ce que nous
faisons avec plus de facilité, plus de succès ou plus de plaisir que
la moyenne.

■ Faire appel à un ami…


Dans les règles du jeu « qui veut connaître ses points forts », il est
possible de solliciter l’aide de son entourage. C’est même vivement
recommandé !
Le regard d’un tiers (ou de plusieurs) qui nous connait bien est
précieux dans ce travail d’identification des qualités-clés, tant dans
la méthode empirique que dans les démarches plus outillées
présentées un peu plus loin.
L’idéal, est de proposer à ce tiers de suivre le même
cheminement de questionnement et de partager les mêmes grilles
de lecture, pour le laisser aboutir à ses propres conclusions sans
l’influencer.
C’est du partage des résultats de chacun que pourra naître une
discussion souvent très fructueuse :
• D’où proviennent les éventuelles divergences ?
• Sont-elles seulement liées à une question de vocabulaire (façon
de nommer les qualités) ou bien plus fondamentalement à une
question de perception ?
• Quelles « preuves » chacun peut-il apporter (mise en œuvre de
la qualité dans telle ou telle situation/activité/domaine) ?

La fenêtre de Johari, créée par Joseph Luft et Harry Ingham,


psychologues américains, en 1955 – d’où son nom (Jo pour
Joseph Luft, hari pour Harry Ingham) – et inspirée de la
Programmation Neuro-Linguistique, peut, à cette occasion
apporter une lecture intéressante des écarts de perception.
La matrice de Johari

Ce qui est Ce qui est


connu de soi inconnu de soi

Zone aveugle
Zone publique
Ce qui est Ce que les Autres voient
connu des Autres Ce qui est perçu par tout
de moi, que je ne vois
le monde
pas

Ce qui est Zone cachée Zone mystère


inconnu des Ce que je cache aux Ce qu’on ignore ou qu’on
Autres autres n’a pas encore exploré

S’il y a une grande cohérence entre les qualités citées par le ou les
tiers et celles que j’ai identifiées de mon côté, cela atteste d’une
zone publique très large : en l’occurrence, cela signifie que je suis
déjà probablement très centré sur mes points forts. Je joue souvent
sur ces qualités-clés et mon entourage me reconnait ces talents.
Quand les divergences de vue font apparaitre des qualités
perçues par mon entourage que je ne m’étais pas attribuées – en
tous cas pas comme un point fort – c’est qu’il y a une zone
aveugle, comme une sorte d’angle mort. Je ne suis pas conscient
de posséder une qualité que les autres, pourtant me
reconnaissent. Il s’agit d’une situation somme toute très logique :
un point fort étant une qualité que nous utilisons spontanément et
naturellement, nous pensons souvent qu’elle fait partie de la
nature humaine et que tout le monde, autour de nous, la possède
et sait la mettre en œuvre de la même manière. Une fois encore,
la culture corrective et le peu d’attention portée aux qualités,
encouragent cette tendance, exactement comme elles favorisent
la croyance inverse, consistant à penser que nous avons plus de
défauts ou que ceux-ci sont plus marqués que la moyenne !
Dans la zone cachée, s’inscrivent les qualités que je me
connais, mais que l’entourage consulté ne m’a pas attribuées.
Il peut s’agir notamment de traits de personnalité ou de talents
qui font effectivement partie intégrante de ce que je suis, mais qui
ont plutôt été pointés comme des défauts que comme des
qualités. Pour cette raison, j’ai pu prendre l’habitude de les cacher,
par exemple en ne les exprimant que dans certaines activités
privées.
C’est aussi le cas de certaines qualités que j’ai développées
dans certains domaines ou activités et qui, à première vue, ont pu
me sembler « décalées » ou « incongrues » dans d’autres
domaines. En pratique, dans certaines missions
d’accompagnement d’équipes de Direction, dans le but de
favoriser une meilleure cohésion et de faire travailler le collectif sur
l’alliance et la complémentarité des qualités, il m’arrive de
m’inspirer de cette grille.
J’ai ainsi le souvenir d’une réunion Codir3 particulièrement
impliquante, dans laquelle chaque directeur, à la demande du
directeur général, s’était livré à un petit exercice d’ouverture aux
autres, consistant à partager le rêve qui était le sien à
l’adolescence.
« Je dois vous faire une confidence, avait lancé le directeur
général : quand j’avais 15 ans, je ne rêvais pas de devenir DG
d’une entreprise agro-alimentaire… Je voulais être explorateur,
découvrir des territoires inconnus, vivre l’aventure, repousser les
frontières, etc… Et finalement, ajouta-t-il, je crois que ce qui me
plait dans mon job aujourd’hui, ce sont ces mêmes dimensions.
Ce dont je prends conscience, c’est que cette envie-là, je ne l’ai
finalement jamais plus développée que ça dans ma mission. »
« Et vous, c’était quoi votre rêve ? » avait alors enchaîné le DG
en s’adressant aux autres membres du Codir.
Parmi les réponses, celle du DRH m’avait marqué : « moi, à
15 ans, je rêvais d’être clown : je voulais faire rire les gens,
apporter du bonheur et voir de la joie dans leurs yeux !… et
finalement, dans ma carrière, j’ai fait des plans sociaux, des
négociations syndicales, des accords d’entreprise, que des trucs
pas drôles. »
De fait, bien que souvent souriant et toujours poli, l’homme
n’avait rien d’un clown, ni d’un clown blanc encore moins d’un
Auguste. D’ailleurs, autour de la table, ses collègues du Codir
n’avaient pas pu s’empêcher de sourire du décalage entre l’image
renvoyée par le professionnel et ce rêve intime qu’il venait de leur
livrer.
D’ailleurs, avait ajouté le DRH, « vous ne le savez pas – et peu
de gens en dehors de ma famille le savent – j’ai longtemps
consacré une partie de mon temps libre à faire des spectacles. Je
mets mon costume de clown, je fais mon numéro et je fais rire des
gens qui ne se doutent pas une seule seconde que j’orchestre par
ailleurs un plan de licenciements ! »
Il y eut, ce jour-là, un déclic intéressant dans cette équipe de
Direction. Au-delà des vertus relationnelles de tels échanges qui
ont immanquablement contribué à rapprocher les individus les uns
des autres, chacun a compris qu’il avait des qualités, cachées ou
publiques, développées ou endormies et qu’il pouvait
certainement trouver à les exprimer au sein de l’équipe, tant pour
son épanouissement personnel que pour la réussite collective.
Le DRH, au quotidien, découvrit qu’il pouvait, dans certaines
situations, investir bien davantage les qualités humaines qu’il
n’osait le faire avant, de peur de perdre en autorité. Certes, il lui
fallait garder une certaine distance dans les moments de
négociation par exemple. Mais il comprit aussi qu’il gagnait
beaucoup, en plaisir et en influence, à jouer sur ses points forts
quand il s’agissait d’interagir avec les autres le reste du temps.
Pour l’anecdote, sur l’idée d’un de ses camarades du Codir,
il accepta, quelques semaines plus tard, d’assurer une partie du
spectacle de Noël que l’entreprise, traditionnellement, offrait aux
enfants des salariés. Personne, ce soir-là, ne le reconnut. C’est en
venant saluer son public, à la fin du spectacle, une fois retiré son
chapeau, son nez rouge et sa perruque, que les salariés eurent la
surprise de découvrir que le clown qui les avait fait rire, était le
DRH… ou l’inverse !
Enfin, pour finir de compléter cette matrice de Johari, si même
avec l’aide de tiers, je ne parvenais pas à identifier clairement des
points forts, qu’il y avait donc une très large zone mystère, cela
pourrait révéler le très fort impact de la culture corrective dans
laquelle j’ai probablement baigné. Dans ce cas d’ailleurs, il est
frappant de constater que n’apparaitraient dans cette matrice de
Johari que les défauts et les points faibles : ceux que je cherche à
cacher, ce que je reconnais (trop) volontiers et sans doute ceux
que les Autres n’osent pas ajouter (tellement ils craignent
d’épuiser le peu de confiance qu’il me reste !).
En prenant un peu plus de recul encore, l’échange avec les
tiers, au-delà même de ce seul sujet des points forts, a le mérite
d’aider à agrandir la zone publique, soit en m’amenant à dévoiler
ce que je cachais (ouverture de soi), soit en prenant en compte ce
que perçoivent les autres (demander du feedback sur soi).
S’affirme à nouveau ici la recherche d’un plus grand
« alignement », entre ce qu’on est et ce que l’on vit (ce que l’on
fait, ce pour quoi on est reconnu, etc…).
La méthode empirique a le mérite donc d’obliger à
l’introspection et, comme nous venons de le voir, la vertu
également de nous amener à chercher le regard des autres.
L’intérêt, pour qui s’engage sur cette route, n’est pas seulement
d’arriver à destination et d’avoir donc identifié ses qualités-clés : il
est aussi de profiter de ce qu’il peut découvrir en chemin, bien au-
delà de ses seuls points forts.
Néanmoins la crainte de l’errance, le temps passé ou l’envie
d’être rassuré par un modèle éprouvé peuvent motiver à choisir
d’autres moyens d’apprendre à mieux connaître ses forces.

Tests en stock !
Sur le marché des tests de personnalité, l’offre est abondante.
Différents modèles se côtoient, et certains se complètent, offrant
chacun la possibilité de se découvrir sous un angle différent.

■ Avant de choisir
La plupart des modèles peuvent aider à identifier ses forces – et par
la même occasion, ses faiblesses.
Là est l’un des points-clés à valider pour qui est tenté de passer
l’un de ces tests :
Quelle est la philosophie qui le sous-tend ? Est-ce la
traditionnelle logique corrective qui en donnera une lecture
« points faibles à améliorer » ? Est-ce bien l’approche « points
forts » qui visera à faire ressortir les qualités à utiliser et à
renforcer ?
Et, surtout, au-delà du choix du test lui-même, quelle est
l’intention du consultant qui débriefera les résultats ?
Rappelons-le ici, l’intérêt de ces tests, aussi bien construits
soient-ils, n’est pas seulement dans la lecture d’un rapport, mais
dans l’échange auquel invite l’analyse des conclusions. Comme je
l’ai déjà souligné, nous avons tous en nous les différents traits de
caractère ou les différentes aptitudes : même si nous nous
contentons parfois, en parlant de soi ou de quelqu’un d’autre, de
le résumer en « tout ou rien », la réalité est bien plus nuancée.
Il arrive ainsi souvent que les résultats à tel ou tel test ne
fassent pas ressortir de très forte aspérité, l’individu testé
semblant avoir « un peu » de toutes les qualités : symptôme de
celui qui n’a pas, jusque-là, résolument choisi de s’appuyer sur
ses points forts ou capacité « caméléon » de celui qui, avec les
années, à appris, à utiliser ses qualités en fonction des situations
qu’il rencontre. Le seul moyen d’aider l’individu à mieux se
connaître est de le questionner : dans quelles situations se
comporte-t-il de cette façon ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui peut
l’amener à se comporter différemment dans d’autres situations ?
Etc…
À la logique psychométrique des questionnaires de
personnalité, doit venir s’ajouter l’éclairage empirique : les chiffres
et les conclusions des tests ne délivrant pas de vérité absolue, ne
sont que des « prises », comme celles qui permettent à l’alpiniste
de progresser dans son ascension.
Dans beaucoup de modèles, les résultats positionnent la
personne testée sur des axes correspondant aux différentes
qualités. Par exemple, en fonction des réponses à un certain
nombre de questions, le modèle évalue le niveau
d’introversion/d’extraversion.
Sur cet axe, il n’est pas rare de voir des résultats équilibrés,
sans que l’un de ces penchants ne semble plus développé que
l’autre. En l’état, de tels résultats n’apportent qu’assez peu
d’enseignements, si ce n’est qu’il serait tentant d’en déduire
qu’aucun de ces deux traits de personnalité ne constitue un point
fort !
L’enquête à mener sur les bases de ce résultat doit permettre
d’en savoir plus, et par exemple, de découvrir qu’il y a bien,
derrière la capacité à activer également les deux qualités, une
préférence.
Ainsi l’individu peut expliquer qu’il lui arrive souvent d’utiliser
son aptitude extravertie : dans de multiples
situations, professionnelles ou privées, il sait aller vers les autres,
engager la conversation et nouer des relations. Il le fait sans
difficulté dès qu’il se trouve dans une situation publique.
Mais peut-être, ajouterait-il que lorsqu’il en a le choix, il aime
aussi prendre du temps pour lui, être au calme pour réfléchir,
rester seul. Il préciserait sans doute que ces moments sont
importants pour lui parce qu’ils l’aident à se retrouver et à se
ressourcer. Il dirait probablement qu’il a besoin de se préserver
suffisamment de temps de ce genre, notamment quand il a par
ailleurs un planning de sorties chargé.
À l’évidence, dans cette illustration, on comprend être plutôt en
présence d’une personne naturellement introvertie, qui puise son
énergie plutôt en elle-même. La relation aux autres ne lui pose
pas pour autant de difficulté : elle sait le faire, elle a appris à le
faire, mais cela lui coûte en énergie un peu plus que ça ne lui en
apporte (Apport < Effort pour faire le lien avec le mécanisme
évoqué précédemment).
■ Les tests de personnalité génériques
Dans la catégorie « générique » peuvent être rangés tous les outils
de découverte et de connaissance de sa personnalité qui ne sont
pas spécifiquement liés à la notion de points forts.
Utilisés par les recruteurs, ou dans le cadre de processus
d’évaluation dans les entreprises, ils cherchent à décrire les
différents aspects de la personnalité, aussi bien les qualités que
les « défauts ». Ainsi ils peuvent tout aussi bien alimenter la
logique des points forts que participer à appuyer encore un peu
plus la culture corrective. C’est malheureusement sans doute dans
cette dernière voie qu’ils mènent le plus souvent.
Toutefois, s’ils viennent aider la cause des points forts, les
différents modèles existants, plus ou moins complexes, s’avèrent
très utiles.
Parmi les plus connus et les plus utilisés, citons le MBTI (Myers
Briggs Type Indicator), créé au début des années 1960 par Isabel
Briggs Myers et sa mère, Katherine Cook Briggs. Ce modèle,
dérivé des travaux du psychiatre suisse Carl Gustav Jung sur les
« types psychologiques »4, permet de déterminer le type
psychologique d’une personne (parmi 16 types de personnalité
possibles) en fonction de ses préférences de fonctionnement :
Extraversion/Introversion, Intuition/Sensation, Pensée/Sentiment
et Jugement/Perception.
Ce modèle MBTI, et plus largement les recherches de Jung, ont
inspiré une longue liste de déclinaisons.
Un autre psychologue, contemporain de Carl Gustav Jung,
mérite d’être également cité : il s’agit de William Moulton Marston,
à l’initiative d’un autre modèle fréquemment utilisé, le DISC, mais
également créateur du personnage de Wonder Woman, première
super-héros féminine de l’histoire des Comics. Le lien entre test
de personnalité et super-héroïne peut sembler a priori difficile à
établir, et pourtant…
Au début des années 1940, quelques dix ans après la parution
de ses travaux sur le DISC5, Marston constate la force du
sentiment d’infériorité empêchant filles et femmes de l’époque de
s’affirmer, de prendre confiance en elles et de s’épanouir : « Les
grandes qualités des femmes ont été méprisées à cause de leur
faiblesse »6, explique-t-il alors.
En créant un personnage féminin à l’égal d’un Superman ou de
tout autre super-héros masculin, Marston espérait alors
promouvoir l’idée que les femmes pouvaient prétendre aux
mêmes qualités que les hommes, accéder aux mêmes métiers,
briller dans les mêmes sports ou les mêmes activités. Déjà il
s’agissait d’inverser la spirale : croire en ses forces et les cultiver,
plutôt que de rester attaché à ses défauts !
Revenons au DISC, que l’on connait souvent au travers de sa
déclinaison la plus répandue, la roue Success InsightTM à 4
couleurs (rouge, jaune, vert et bleu). Cette roue associe ces 4
couleurs aux types d’énergie de la théorie du DISC, qui seraient à
l’origine des comportements de l’individu : Dominance (D),
Influence (I), Stabilité (en anglais Submission, S), et Conformité
(C).
Outre le MBTI et le DISC, il est fréquent également de croiser,
notamment dans les entreprises, l’approche Process Com
(Process Communication Model selon le terme d’origine), fruit des
travaux du psychologue Taibi Kahler, inspirés eux-mêmes par
l’Analyse Transactionnelle conçue par Eric Berne. Connu pour
avoir été utilisé dans les années 1970 par la NASA, dans le cadre
du recrutement des équipages d’astronautes, le modèle Process
Com, centré sur les enjeux de communication inter-personnelle,
détermine six types de personnalité : Travaillomane, Persévérant,
Rebelle, Promoteur, Empathique et Rêveur.
Plus récemment, à partir des années 1980, puis dans la
décennie suivante, les travaux de Lewis Goldberg, repris et
complétés par Costa et McCrae, ont donné naissance au modèle
des Big Five, visant à décrire la personnalité au travers de 5 traits
dominants, repris par l’acronyme OCEAN (le modèle est d’ailleurs
également connu sous ce terme) : Ouverture, Conscienciosité,
Extraversion, Agréabilité (Amabilité), Neuroticisme (ou
Névrosisme).
Citons aussi Hexaco (version enrichie d’OCEAN),
l’Ennéagramme, ou encore les Sosie et autres Papi, passages
souvent obligés des processus de recrutement.
À chacun de chercher l’approche dans laquelle il se reconnait le
mieux : les démos, les exemples, les explications abondent sur la
Toile. Y compris des versions gratuites de certains des tests qui
peuvent avoir le mérite d’illustrer le modèle. Mais, une fois le choix
fait, mieux vaut s’en remettre à l’expertise et l’expérience d’un tiers
habilité pour pousser plus loin l’exploration : je le répète, tout
l’intérêt de ces différents modèles n’est pas dans la lecture d’un
rapport chiffré, mais bien dans l’échange, l’interprétation et l’usage
que l’on peut en faire.

■ Les approches spécifiques


À côté des tests de personnalité génériques, dans le sillage de la
psychologie positive, sont apparus des modèles pensés
spécifiquement sur la logique des points forts.
La promesse de ces approches est claire : identifier ses qualités
naturelles pour pouvoir ensuite résolument apprendre à les utiliser
et les développer.
En la matière, deux organisations américaines se partagent le
leadership.
La première est la Gallup Organization, société fondée en 1958.
D’abord connue pour ses activités de sondage, l’entreprise,
rachetée en 1988 par la Selection Research Inc. (SRI), développe
ensuite des activités de conseil, sous l’influence de son nouveau
président, le psychologue Donald O. Clifton. Celui-ci est persuadé
qu’au sein des entreprises, les employés et ceux qui les dirigent
pourraient réussir plus et plus facilement, en se concentrant sur
leurs forces plutôt que sur leurs seules faiblesses.
En 1999, il met au point un outil, le Clifton StrengthsFinder,
aujourd’hui devenu évaluation CliftonStrengths : 177 questions
sont censées permettre d’aider à identifier sa propre combinaison
de forces. Le modèle recense 34 forces, réparties en quatre
grands domaines.
Traduit en de nombreuses langues, le test aurait été passé par
plus de 24 millions de personnes, ce qui permet à Gallup de
disposer d’une base de données incroyablement riche sur les
forces les plus courantes ou au contraire sur les moins répandues.
Outre le test et les offres d’accompagnement accessibles en
ligne sur le site Gallup, l’entreprise propose également divers
ouvrages, dont « Découvrez vos forces » de Marcus Buckingham
et Don Clifton et sa version actualisée en 2007 par Tom Rath,
sous le titre « StrengthsFinder 2.0 ».
L’autre organisation américaine ayant développé un outil
d’identification des qualités, est le VIA Institute on Character.
Organisme à but non lucratif, créé par une équipe de
psychologues et de chercheurs, dont Neal H. Mayerson, et Martin
Seligman (encore lui !7), cet institut poursuit des recherches sur la
compréhension des phénomènes liées aux forces de caractères et
propose d’aider les individus, enfants ou adultes, à identifier leurs
qualités naturelles.
À partir d’un ensemble de travaux réunis dans le livre
« Character Strengths and Virtues : A Handbook and
Classification »8, l’institut VIA a construit le VIA Inventory of
Strengths. Accessible gratuitement (pour sa version de base),
l’enquête permet d’identifier ses « forces de caractère » parmi les
24 recensées dans le modèle9.
Créés par des chercheurs de renoms, validés sur le plan
psychométrique et très largement éprouvés, ces deux outils
américains, le CliftonStrengths et l’enquête VIA, ont beaucoup
d’atouts à faire valoir, si ce n’est la difficulté peut-être de
s’approprier certains des termes utilisés dont la traduction en
français n’est pas toujours explicite. Cela étant, il s’agit d’une
remarque qui vaut aussi pour nombre des approches génériques
évoquées auparavant.
Enfin, parmi les méthodes spécifiques, l’approche Action Types
déjà présentée page 67, mérite une attention particulière. Bien
qu’utilisant le modèle MBTI, elle est résolument orientée vers la
détection des « préférences », très alignée donc avec la logique
des points forts.
Par ailleurs, et c’est bien là son originalité et son intérêt, cette
approche venue de l’univers du sport de haut niveau, se fonde sur
l’identification des « préférences motrices et cérébrales », au
travers d’un protocole de tests physiques révélateurs du
fonctionnement spécifique de notre cerveau. Cette manière de
découvrir ses préférences est bluffante, notamment lorsque
chacun constate que l’exercice qui lui est si facile à réaliser est
autrement plus compliqué pour son voisin, doté de préférences
différentes. Elle permet aussi de contourner les biais associés aux
méthodes de testing classiques fondées sur des questionnaires.
Enfin, en associant les dimensions physiques et psychiques, elle
ouvre des perspectives passionnantes dans d’autres champs, de
l’apprentissage des langues à la pratique sportive, de la
communication interpersonnelle au traitement du mal de dos,
contribuant à démontrer l’efficacité de la logique des points forts :
tenir compte de ses préférences motrices et cérébrales, quelle
que soit l’activité, est gage de progrès et de réussite.
Recherche empirique, en introspection ou dans l’interaction
avec un tiers, utilisation d’outils de connaissance de soi,
génériques ou spécifiques, ou bien sûr alliance des méthodes, à
chacun de trouver le cheminement le plus juste pour parvenir à
éclairer au mieux les qualités sur lesquelles il peut compter.
Cette quête n’est sans doute jamais achevée, chaque
rencontre, chaque nouvelle expérience, succès comme échec,
pouvant rouvrir un autre questionnement aidant à affiner, nuancer
ou compléter la conscience et la confiance en ses forces : d’abord
très pixellisée par endroits, la photographie deviendra plus nette
au fil des ans.
Une meilleure connaissance de soi, même si elle reste encore
parcellaire, permet de se lancer dans la construction de son
propre « modèle de performance » : nul besoin de posséder la
photographie en version haute résolution pour avancer.
L’enjeu, maintenant, est double : apprendre à faire le meilleur
usage possible des qualités dont on pense être pourvu et
continuer à les travailler encore et encore… c’est que le début
d’accord, d’accord (hommage à Francis Cabrel !).
Miser sur ses qualités : travaux pratiques !
« Posséder de grandes qualités n’est pas suffisant,
il faut encore savoir s’en servir. »
Henri-Frédéric Amiel
Mettre en œuvre la logique des points forts consiste d’abord à savoir
tirer le meilleur parti possible des qualités que l’on possède de façon
à pouvoir, le plus souvent possible, jouer son jeu, et profiter ainsi du
rendement, de la confiance, du plaisir que cet alignement peut
conférer.
Plus concrètement, il peut s’agir déjà de privilégier les activités
dans lesquelles ces points forts sont un indéniable atout.
À défaut de pouvoir choisir son terrain, miser sur ses qualités
consiste, quelle que soit l’activité, à concevoir et mettre en œuvre la
stratégie de jeu la mieux adaptée à ses ressources personnelles.

Bien choisir son terrain


Le bon général sait qu’il y a des champs de bataille qui, pour son
armée, seront des marécages : ce vieil enseignement de Sun Tzu et
de son Art de la Guerre pourrait inspirer ce premier principe, à la
connotation guerrière près…
Optons donc plutôt pour Albert Einstein et sa fameuse phrase :
« Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson à sa
capacité de grimper à un arbre, il vivra toute sa vie en croyant qu’il
est stupide ».
Au moins une partie de sa vie, pourrait préciser Patrick
Mouratoglou. C’est l’expérience que raconte celui qui est
maintenant devenu un des personnages les plus influents du
tennis mondial, en tous cas l’un des plus médiatiques10.
Dans l’épisode de la série Secrets de Coach11 que lui a
consacré Netflix, le coach dévoile le mal-être qui a terni son
enfance. D’une timidité maladive, incapable de tisser des liens
avec les autres, souvent paralysé d’angoisse, craintif et dépourvu
de confiance, il fuyait les interactions, restant le plus souvent à
l’écart des autres. Même face au psychologue que ses parents
l’envoyaient consulter chaque semaine, il lui était difficile de
s’exprimer, au point qu’il lui fallut une année entière avant d’oser
prononcer un premier mot.
Il lui fallut plus de temps encore pour découvrir qu’en
contrepoint de ce point faible, il avait peu à peu développé un
talent précieux. Le plus souvent silencieux, à l’écart, il avait appris
à écouter, à observer, à tenter de décoder les comportements ou
les réactions des gens, à deviner leurs pensées, à comprendre ce
qui pouvait se jouer dans leurs interactions avec les autres, en
prêtant attention à chaque détail, à chaque mot, chaque
expression, chaque attitude.
C’est bien cette aptitude à cerner les individus, qui a permis
à Patrick Mouratoglou de réussir dans son parcours de coach.
« Ma plus grande faiblesse est devenue ma plus grande force »,
résume-t-il dans une phrase qui sonne comme un tour de magie.
Aucune prestidigitation dans cette histoire, mais plutôt du bon
sens – au sens littéral des mots, comme mettre dans le bon sens.
Les traits de caractère de Mouratoglou, en eux-mêmes, sont
finalement neutres. Leur tonalité dépend du domaine dans lequel il
évolue. À l’école, tel que l’intéressé le décrit, et dans son enfance
en général, sa personnalité d’observateur introverti était un
handicap. Dans sa mission de coach, elle est devenue un atout.
Constatant le personnage médiatique qu’il est aujourd’hui,
coach, chef d’entreprise, consultant télé, d’une grande assurance
devant les caméras, on devine qu’une fois retrouvé le bon sens –
celui dans lequel il a pu prendre conscience et confiance en son
talent – l’homme a cumulé deux victoires souvent indissociables. Il
a non seulement réussi là où les forces qu’il avait développées
pouvait être reconnues, mais il est aussi désormais capable de
briller dans les situations qu’il fuyait à l’époque ! C’est en
travaillant sur ses forces que l’on finit par se débarrasser de ses
faiblesses.
L’exemple de l’expérience d’une seule personne, qui plus est
résumée en quelques lignes pour servir un message, ne fait
évidemment pas une généralité. Elle ne fait ici qu’illustrer
l’importance de dépasser, une fois de plus, les limites de
l’approche corrective. Parce qu’un ou plusieurs traits de caractère
peuvent constituer une faiblesse dans un domaine, la logique des
points faibles peut amener à poser un jugement global et négatif
sur la personne, éclipsant du même coup la ou les qualités dont
elle dispose pourtant. L’individu se résume alors entièrement à
son ou à ses défauts, vus comme un handicap absolu.
Le risque, nous l’avons déjà détaillé, est d’engager une bataille
contre cette faiblesse et d’amener l’individu dans la spirale du
doute et de l’échec, le dit défaut, et plus encore la conscience de
ce défaut, devenant rapidement un obstacle apparemment
insurmontable.
Aucun défaut n’est un handicap absolu. Certes, telle ou telle
caractéristique (trait de caractère ou spécificité physique) peut
s’avérer handicapante dans un domaine ou une activité. Mais elle
l’est rarement pour toutes les activités ou dans tous les domaines.
Mieux, derrière ce qui est pointé comme un défaut, sur l’autre
face de la pièce, dans l’ombre, il existe une qualité. C’est bien
cette qualité qu’il est vital d’aller rechercher pour trouver ensuite le
champ dans lequel elle pourrait s’exprimer et se développer.
Je vous propose d’aller à la rencontre d’un autre personnage…
À première vue, cet homme est bizarrement bâti… Il mesure
1,93 m, mais du fait de ses jambes relativement courtes (81 cm),
il parait avoir un torse démesurément long. La disproportion est
d’autant plus frappante que la nature l’a doté de bras immenses :
écartés, ils lui donnent une envergure de plus de 2 m, soit près de
10 cm de plus que sa taille. À cette description, il convient
d’ajouter des pieds de géant, taille 49,5 et des articulations hyper-
flexibles. Bref, un corps assez éloigné de celui de l’Homme de
Vitruve12 dessiné par Léonard de Vinci.
Côté caractère, le garçon a souffert d’un trouble hyperactif avec
déficit d’attention, très handicapant à l’école.
Pourtant, malgré ces défauts, ou grâce à ses qualités plutôt,
il est devenu l’un des plus grands champions sportifs de l’Histoire,
tous sports confondus : le plus titré et le plus médaillé de l’histoire
des Jeux olympiques, avec 28 médailles dont 23 en or, auxquelles
il faut ajouter 26 titres de champion du monde et une longue liste
de records dont certains tiennent encore.
À première vue, et dans beaucoup d’autres disciplines
sportives, les caractéristiques physiques hors norme de Michael
Phelps sont gênantes, sauf en natation. Son torse particulièrement
long par rapport à sa taille lui confère une portance accrue. Ses
bras lui procurent un effet de levier précieux à chaque
mouvement. Ses grands pieds, associés à des chevilles très
mobiles, lui permettent de fouetter l’eau un peu comme s’il
possédait des palmes.
Dans l’eau, Phelps est dans son élément, pour utiliser
l’expression consacrée que je trouve très à propos.
« Phelps n’est pas bon sur terre. Il est étrangement hyper-
flexible, ce que l’on appelle parfois à double articulation, et donc
pas entièrement stable. Il ne soulève pas de poids. Il avait
l’habitude de courir mais a abandonné à cause d’une tendance à
entrer dans des trous ou à trébucher sur rien. S’exercer sur terre,
même modérément, c’est risquer un péril orthopédique », confirme
le journaliste Michael Sokolove qui lui a consacré un long article
en 200413.
Que se serait-il passé si Phelps, dans ses jeunes années,
n’avait pas suivi ses deux grandes sœurs, elles-mêmes bonnes
nageuses, à la piscine ?
Chacune de nos spécificités personnelles, qu’elle soit physique
ou de caractère, peut tout à la fois se révéler comme un défaut
dans certaines situations ou certaines activités tout autant qu’elle
est un atout dans d’autres.
Il est tentant de croire qu’il n’y a que hasard, chance ou destin
dans les parcours de ces gens qui, comme Phelps, semblent avoir
trouvé leur élément ou découvert leur vocation.
Il me semble en réalité que notre environnement nous offre de
nombreuses opportunités : une expérience nouvelle, une
rencontre intéressante, une lecture inspirante… Pour les voir
comme des opportunités, encore faut-il être conscient et confiant
en ses qualités, et non bloqué et aveuglé par ses faiblesses. D’où
l’importance de la quête que nous pouvons entreprendre pour
identifier nos préférences.
Pour les saisir ensuite, il nous faut accepter de sortir du cadre
traditionnel auquel voudrait parfois nous réduire l’approche
corrective : vaincre le défaut sur le terrain même où il est le plus
handicapant.
Choisir la voie des points forts, c’est en quelque sorte, déplacer
le débat : il ne s’agit plus d’affronter un problème là où il se pose
le plus, mais de construire un projet là où le terrain parait propice.
Mais est-ce vraiment le critère des qualités personnelles qui
guide les choix d’une matière à l’école, d’une orientation dans les
études, d’un métier, d’un projet, d’une mission ?
Plus souvent en réalité, nous faisons d’autres calculs : travailler
une matière pour accéder plus sûrement aux meilleures classes,
opter pour des études vers des métiers offrant des débouchés
nombreux, privilégier le métier le mieux payé ou celui qui garantit
de bonnes conditions de travail ou une sécurité d’emploi, nous
investir dans le projet ou la mission qui nous aideront peut-être à
obtenir une promotion…
Par cette recherche de récompenses ou de bénéfices autres
que ceux apportés par la pratique de l’action elle-même, nous
privilégions nos motivations extrinsèques à notre motivation
intrinsèque : choisir en fonction de ce que l’on aime faire et de ce
que l’on sait faire, en tenant compte donc des qualités que l’on
possède, c’est alimenter ce moteur essentiel au rendement
exceptionnel. L’obtention de la récompense attendue ou du
bénéfice escompté satisfait pour quelque temps avant de laisser
place à une nouvelle attente à satisfaire, dans une sorte de
mouvement sisyphien, là où la découverte de sa vocation – ce
pour quoi je suis fait – motive des années durant.
Les deux, bien sûr ne s’opposent pas. À la motivation
intrinsèque, se développant sur la mise en œuvre de ses qualités
personnelles, vient souvent s’ajouter le plaisir de satisfactions
extrinsèques : celui qui trouve sa voie, dans son progrès et ses
succès, gagne en effet souvent au passage, reconnaissance,
réussite matérielle et autres récompenses externes. L’inverse, en
revanche, n’est pas assuré, la recherche de satisfactions
extrinsèques pouvant entraîner loin de ses terrains de prédilection,
où il faut lutter contre ses faiblesses plutôt qu’exploiter ses forces.
Aider nos enfants à trouver leur voie devrait être un principe
fondateur dans leur éducation, à l’opposé de celui qui, en les
évaluant par rapport à un référentiel complet, tend à mettre en
lumière leurs points faibles. Levez le doigt ceux qui ont souvenir
d’avoir pu lire, sur leurs bulletins scolaires, la description de leurs
qualités personnelles ! Pour les autres, revenaient presque
systématiquement, sur chaque appréciation, indépendamment des
notes, bonnes ou moins bonnes, la mention des faiblesses, avec
en prime une variété de termes et de formulation remarquables.
Voilà peut-être pourquoi nous possédons spontanément plus de
mots pour parler de nos points faibles que pour désigner nos
points forts !
Aider les enfants à trouver leur voie consiste d’abord à leur
permettre de prendre conscience de leurs qualités naturelles et
non seulement de leurs défauts.
Cela implique ensuite de leur ouvrir un champ d’expérimentation
le plus large possible, de façon à ce que chacun puisse découvrir
des activités, des domaines, des disciplines dans lesquels il
pourra tirer le meilleur profit de ses points forts. Si ce principe
d’ouverture existe s’agissant de quelques rares matières dans
lesquelles le programme permet de toucher un peu à tout (EPS,
matières artistiques), de façon générale, le principe dominant
reste celui de l’accumulation d’un ensemble de connaissance sur
les bases jugées essentielles – principe par ailleurs dont on
comprend l’intérêt évidemment. L’un pourrait compléter l’autre : le
fait d’avoir trouvé un terrain d’expression de ses qualités, d’y
prendre confiance, d’y trouver également de la motivation et une
reconnaissance, constitue toujours un point d’appui pour continuer
de se développer en parallèle là où on ne brille pas.
Combien de cancres – désignés comme tels en tout cas – ont
pu finalement réussir dans des domaines qu’ils n’avaient pas eu
l’occasion d’explorer durant leur difficile scolarité ? Artistes,
cuisiniers, artisans, sportifs… parmi les personnalités connues,
nombreuses sont celles à avoir évoqué leurs difficultés scolaires
et les complexes qui les ont longtemps bloquées, avant qu’elles
ne puissent trouver l’espace où allaient se révéler leurs qualités
jusque-là enfouies.
Mais combien d’autres de ces cancres se sont peu à peu
éteints, réduits à leurs manques et leurs défauts, sans jamais
avoir pu trouver leur voie ?
Si le système scolaire peut très certainement être amélioré,
les évolutions à générer sont bien plus larges : elles touchent en
premier lieu à notre responsabilité en tant que parents. Elles
impliquent également tous les intervenants en contact avec nos
enfants, dans les activités ludiques, sportives, artistiques
auxquelles ils ont accès, à charge pour eux d’intégrer que leur rôle
n’est pas exclusivement de transmettre aux enfants un savoir ou
une pratique, mais de voir comment l’activité en question peut leur
révéler leurs qualités.
Si choisir sa voie est un must, c’est peut-être néanmoins un luxe
que tout le monde ne peut pas se permettre. Nous n’avons pas
toujours le choix, et quand bien même nous l’aurions, les
exemples de réussite, tout particulièrement dans les univers
sportifs ou artistiques, ne doivent pas masquer les très nombreux
échecs. Chacun mériterait d’être analysé pour comprendre ce qui
a pu manquer : des efforts pour l’un, un bon coach ou un bon
professeur pour l’autre, un talent pas assez grand possiblement…
ou peut-être un choix qui n’est pas le bon.
Choisir son terrain n’est en effet pas si simple que ça.
L’identification de ses qualités n’est pas évident, nous le savons.
Et le choix du terrain qui permettra de les exprimer pleinement ne
l’est pas davantage.
Pour une personne en difficulté scolaire ou professionnelle,
il peut ainsi être tentant de s’engager dans un projet alternatif qui
obéit bien plus à une logique échappatoire qu’à une authentique
vocation. Un simple goût pour un sujet, le seul fait d’y trouver du
plaisir ou un peu de reconnaissance d’un cercle très rapproché de
personnes, peuvent soudain rendre l’alternative très attirante,
notamment par contraste avec le terrain d’échec. Le désir de fuite
n’est pas toujours de bon conseil.
Pour exemple, on peut citer cette étude menée en 2002 auprès
de 532 étudiants canadiens, par l’équipe du psychologue
Robert J. Vallerand14.
Les résultats révèlent que 84 % d’entre eux disent avoir une
passion pour laquelle ils seraient prêts à s’investir, ce qui pourrait
laisser penser que ceux-ci ont très majoritairement trouvé leur
voie. En réalité, parmi les activités citées, seules 4 % étaient en
rapport avec les études poursuivies ou avec les professions sur
lesquelles celles-ci pouvaient déboucher. 96 % avaient trait à ce
que l’on pourrait plutôt qualifier de hobbies. Ainsi, figuraient dans
le top 5 : la danse, le hockey (nous sommes bien au Canada !), le
ski, la lecture et la natation !
Comme pour identifier ses qualités, le regard des autres et
l’expérimentation seront de précieux garde-fous, qui peuvent aider
à différencier une simple attirance bercée de douces illusions, de
la vocation vraie, qui alliée à de réelles qualités, permet
d’alimenter dans la durée, cette pratique délibérée indispensable à
la réussite.
Voici également quelques questions qui peuvent aider à
confirmer le choix d’une activité comme terrain privilégié
d’investissement :
• Cette activité me permet-elle d’utiliser ma qualité essentielle ?
• Cette qualité me donne-t-elle un avantage certain dans l’activité
en question ?

Plus de facilité que d’autres, plus de performance, une


originalité…
• Quand je pratique cette activité, je me sens :
– Aligné
– Cohérent
– Concentré
– Motivé
– En pleine possession de mes moyens
– Influent
• Serais-je capable de pratiquer cette activité même si elle devait
ne rien m’apporter ?
• Pourrais-je la pratiquer sans me fatiguer ?
• Me manque-t-elle quand il m’arrive de ne pas pouvoir la
pratiquer ?

Construire sa stratégie
Et si, malgré tout, je n’avais pas trouvé ma voie ? Et si, comme
la plupart d’entre nous peut-être, j’avais choisi des terrains non
pas en fonction de ce critère des points forts, mais pour d’autres
raisons ou tout simplement par l’enchaînement des
circonstances ?
La tentation pourrait être de changer de voie, cédant à
l’attirance superficielle et trompeuse du projet alternatif.
Je quitte mon poste de cadre dans une grande entreprise pour
ouvrir un restaurant, parce que oui, j’en suis sûr, il n’y a qu’un pas
entre faire un bon petit plat pour mes amis une fois par semaine et
en faire son métier !
Je me lance dans la chanson parce que j’adore pousser la voix
sous la douche quand la maison est vide. Je me suis inscrit au
casting de « The Voice », c’est tellement plus motivant que d’avoir
la tête dans les bouquins à la fac !
J’aime beaucoup aider les autres. D’ailleurs, mes amis me le
disent : « tu devrais être coach, ça t’irait bien ! ». C’est décidé, je
négocie une rupture conventionnelle et je me mets auto-
entrepreneur pour développer mon activité de « coach de vie ».
Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant
existé serait purement fortuite… Échecs et déceptions, en marge
desquels on trouvera bien quelques exceptions.
À condition, une fois de plus, d’avoir pris le temps d’identifier
ses forces, il existe une bien meilleure alternative que celle de la
rupture et du changement de vie : rester sur le même terrain mais
en adaptant la stratégie.
Comme je le soulignais dans le premier chapitre du livre, il est
courant de croire qu’il n’y a, dans une activité donnée, qu’une
seule façon de faire, et pour réussir donc, qu’une seule
combinaison possible de qualités. Toute personne dépourvue de
ces qualités serait fatalement condamnée à échouer, raison pour
laquelle il lui faudrait absolument combler ses manques et
travailler ses points faibles. L’issue est pourtant connue : malgré
de lourds efforts, au prix d’un doute envahissant et d’un plaisir
chaque jour décroissant, les progrès restent décevants. Peut-être
tout simplement n’est-elle pas faite pour ça !
Avant d’envisager le changement de voie, explorons un peu
mieux le terrain actuel. Qu’il y ait, dans chaque activité, des
modèles de réussite dominants, c’est évident. Que ces modèles
favorisent la réussite des individus doués des aptitudes sur
lesquelles ces modèles sont bâtis, est indéniable. Pour autant,
cela ne démontre pas qu’il est impossible de tracer d’autres
chemins, en mettant en œuvre d’autres types de qualités.
« Pour moi, c’est une révélation ! », reconnait ce dirigeant
d’entreprise, en faisant le bilan de cette drôle d’année 2020.
L’aveu a le mérite d’être honnête mais il n’en est pas moins a
posteriori inquiétant. Il est en tous cas révélateur d’une part de
notre culture managériale, bousculée depuis mars 2020 par la
crise sanitaire de la Covid-19.
En imposant le télétravail généralisé partout où le métier le
permet, les confinements successifs ont permis de fait à bon
nombre de collaborateurs d’accéder à un niveau d’autonomie
inespéré, démontrant à ce patron, comme à bien d‘autres
managers sans doute, les bénéfices d’un management moins
directif.
Dans cette entreprise en tous cas, non seulement une grande
majorité des salariés ont rempli leurs missions avec succès, mais
en plus avec engagement et une productivité améliorés. Cette
autonomie, expliquent les personnes que nous avons rencontrées,
nous offre enfin la possibilité de faire à notre manière, de
reprendre un peu la main sur notre travail, d’y mettre de nous-
mêmes, donc de retrouver une part de sens et de créativité.
Cette entreprise n’avait pourtant pas, avant la crise, de
problèmes particuliers sur ce sujet : le patron, et la culture
managériale qu’il avait inspirée, n’était pas plus dure, plus
contrôlante, plus directive qu’ailleurs. Mais, sans mauvaise
intention ni même conscience de ce qu’ils faisaient, le DG et son
encadrement investissaient néanmoins un rôle de prescription du
travail, distribuant les missions mais se mêlant aussi de la façon
de les jouer.
En janvier 2020, une enquête Ifop réalisée pour le media en
ligne Philonomist15, portant sur le bonheur et le sens au travail,
semblait confirmer la frustration des salariés : 46 % des employés
interrogés à l’époque se disaient infantilisés par leur hiérarchie.
Dans une autre étude, menée par Audencia en 201716, 74 % des
personnes interrogées regrettaient que leurs supérieurs
hiérarchiques « ne leur imposent leurs points de vue ».
Ces mois de télétravail imposés auront peut-être eu le mérite de
changer un peu la donne, révélant qu’à laisser chacun jouer selon
ses qualités, on pouvait allier contribution aux résultats collectifs et
motivation individuelle. Tout l’enjeu est de savoir si ces nouvelles
pratiques managériales « libératrices » pourront perdurer dans les
mois à venir ! Rêvons que les dirigeants s’inspirent de ce
qu’affirmait déjà Théodore Roosevelt (26ème président des États-
Unis entre 1901 et 1909, à ne pas confondre avec Franklin
D. Roosevelt, le 32ème président de 1933 à 1945, malgré leur
patronyme et leurs ancêtres communs) au tout début du
e
XX siècle : « Le meilleur manager est celui qui sait trouver les
talents pour faire les choses, et qui sait aussi réfréner son envie
de s’en mêler pendant qu’ils les font. »

■ La méthode égyptienne
(si Toutânkhamon avait connu les points forts)
Comment, dans l’activité que l’on pratique, donc sans changer
de terrain, construire une stratégie qui valorise le mieux possible
les qualités que l’on possède ? Comment, pour reprendre
l’expression déjà utilisée précédemment créer son propre
« modèle de performance » ?
Voici des éléments de méthode pour y parvenir, illustrés d’un
schéma en forme de pyramide et de quelques exemples simples.
Au commencement est donc cette pyramide à trois étages, qui
correspondent aux 3 étapes principales de la réflexion.

Étape 1 : Concentration stratégique


La première étape est celle de la concentration stratégique.
Elle suppose, au préalable, de connaître ses points forts. Elle
consiste à mettre en lumière le lien entre mes ressources
personnelles et les facteurs de succès intervenant dans l’activité
en question.
Le point de départ peut être l’activité et le recensement des
facteurs qui déterminent la réussite dans cette activité. Dans ce
cas, il s’agit ensuite d’évaluer en quoi mes aptitudes personnelles
s’articulent avec ces facteurs. La question pourrait être :
Quelles sont les conditions de succès dans cette activité ?
Qu’est-ce qui y détermine la réussite ?

Puis dans un second temps, comment mes qualités peuvent me


permettre de remplir certaines de ses conditions de succès.
L’autre angle d’attaque consiste à engager la recherche par les
qualités personnelles :
En utilisant mes qualités, qu’est-ce que je pourrais apporter de décisif
dans la pratique de cette activité ?

De ce travail de concentration stratégique, dans un sens où


dans l’autre, doivent émerger les deux ou trois atouts sur lesquels
je pense pouvoir miser.
Ainsi, par exemple, pour quelqu’un devant animer des sessions
de formation au management, on peut imaginer différents types de
qualités associées à des stratégies métier elles-mêmes
différentes. Certains accèdent à la formation après un solide
parcours opérationnel, notamment dans des fonctions
d’encadrement d’équipes. Ils connaissent leur sujet pour avoir
vécu des situations variées et expérimenté nombre des
techniques ou outils qu’ils proposent. Ils auront certainement à
cœur de valoriser cet atout, en concevant une animation qui fait la
part belle aux situations concrètes et aux échanges d’expérience.
D’autres s’engagent plus jeunes dans cette activité, par passion
pour la matière mais sans nécessairement posséder une longue
expérience de management. Ils peuvent avoir pour eux une
intelligence conceptuelle développée et de très solides
connaissances théoriques. En travaillant très précisément la
pertinence des contenus de leur formation, ils peuvent réussir à
passionner leurs participants, à les « embarquer » dans un niveau
de réflexion qu’ils n’avaient jamais eu jusqu’ici et, in fine, créer des
remises en cause profondes.
Enfin, certains formateurs sont mus par l’envie de se mettre au
service des autres, de les aider à trouver des réponses à leurs
problématiques. Qu’ils possèdent ou non une grande expérience
de management eux-mêmes, ils peuvent se différencier par leur
capacité à écouter et comprendre ce que vivent les gens qu’ils ont
en face d’eux puis par leur aptitude à co-construire des réponses
véritablement sur-mesure.
Aucune de ces trois voies n’est a priori meilleure que les autres.
Mais dans un tel métier, qui demande un engagement renouvelé
face aux nouveaux groupes de stagiaires qui se succèdent, le
formateur qui n’a pas trouvé son style, s’épuiserait très rapidement
à jouer un rôle de composition.
Dans certains cas, la réflexion sur ce niveau stratégique pourra
sembler simple, signe peut-être que l’on est en réalité dans un
type d’activité pour lequel nous possédons des aptitudes
naturelles adaptées. La construction de la pyramide ne fera alors
que confirmer globalement ce que je fais déjà. Cette confirmation
et pourquoi pas quelques enrichissements au passage peuvent
néanmoins ancrer et renforcer le sentiment d’alignement.
Dans d’autres cas, l’articulation entre ressources personnelles
et facteurs de succès paraîtra autrement moins apparente. Dans
ce constat réside tout l’intérêt de la démarche : permettre de
trouver un chemin là où il n’y a pas d’évidence. Parfois il arrive
qu’aucun de mes points forts ne semble en mesure de satisfaire
les conditions essentielles de succès : aucun atout stratégique ne
se dégage à première vue. Il faut alors continuer de chercher dans
des facteurs qui peuvent sembler moins essentiels, voire très
secondaires : ils peuvent permettre non pas d’aller rivaliser avec
les plus forts, mais de se différencier. Dans ce dernier cas,
l’alignement et la concentration stratégiques sont particulièrement
cruciaux : la cohérence peut compenser la puissance.
Cette articulation entre ressources internes et attentes externes,
entre ses forces et ce qu’implique l’environnement, est au cœur de
la notion même de stratégie.
Les choix stratégiques des entreprises, qui orientent leurs
investissements et leurs développements, illustrent cette
dialectique entre interne et externe. Si les grands groupes peuvent
se permettre de choisir des stratégies concurrentielles les
amenant à rivaliser frontalement sur des facteurs-clés de succès
identiques à ceux de leurs concurrents, beaucoup d’outsiders
optent pour des stratégies différenciantes, préférant les eaux plus
calmes de l’océan bleu à celles, rouges du sang de la bagarre que
se livrent les géants du marché17.
C’est, par exemple ce qu’avaient décidé de faire à l’époque les
pionniers du transport aérien low cost, en choisissant résolument
d’aligner leur modèle sur l’atout prix tout en dégradant une grande
partie des autres éléments de l’offre traditionnelle.
Étape 2 : Alignement tactique
La deuxième étape est un travail d’alignement tactique,
consistant à décliner de façon opérationnelle, dans un plan
d’action personnel, les axes stratégiques choisis en haut de la
pyramide.
Le principe qui guide cette étape consiste à optimiser l’action en
termes d’efficience : pouvoir passer le plus de temps possible,
quand j’agis, à me servir de mes aptitudes naturelles – et limiter
au maximum les occasions de me confronter à mes points faibles.
Concrètement, dans mon modèle de performance, à cet étage
tactique, apparaîtront d’abord ce que nous appelons
généralement, des plans d’actions préférentiels : il s’agit de
schémas tactiques privilégiés parce que me permettant d’exprimer
pleinement mes qualités. Plaisir, confiance, efficacité, facilité,
authenticité… la cohérence entre ce que je suis et ce que je fais
me confère un avantage certain.
En s’inspirant de la célèbre loi des 20/80, il s’agit des 20 %
d’actions sur lesquelles je dois concentrer 80 % de mes efforts,
de mon temps ou de mon énergie.
Le sport, ici encore, peut apporter une illustration parlante de ce
que sont ces plans d’actions préférentiels.
Contrairement à ce qu’on peut parfois imaginer, les grands
champions, au tennis, ne réinventent pas de nouveaux plans de
jeu en fonction de leur adversaire du jour. Ils opèrent bien entendu
des ajustements, cherchant à tirer parti de leurs propres points
forts tout en exploitant les points faibles de l’autre joueur.
Mais ils comptent avant tout sur quelques schémas tactiques
favoris, leurs 20/80. Bien que connus de leurs adversaires, ces
schémas privilégiés construits sur des coups ou des aptitudes
forts, créent des situations de jeu dans lesquelles ils savent avoir
un ascendant sur la plupart de leurs rivaux. Aussi passent-ils
beaucoup de temps à répéter ces enchaînements à
l’entraînement, à les peaufiner, à les améliorer, pour pouvoir, dans
les moments difficiles ou sur les points importants du match, en
faire un usage efficace.
Les 80 % d’actions restantes – toutes celles qu’il faut
nécessairement accomplir dans le cadre de l’activité en question –
ne sont évidemment pas abandonnées. Si elles ne figurent pas
dans les 20/80, c’est bien que j’ai considéré, jusqu’ici, qu’elles
n’étaient pas une opportunité d’utiliser mes points forts. Une
bonne pratique consiste à les reprendre, une par une, pour
remettre en question la façon avec laquelle nous les jouons :
qu’est-ce que cette action donnerait si je la jouais à ma façon,
c’est-à-dire avec mes qualités naturelles ? C’est cette question qui
nourrira l’étape 3, détaillée ci-après, de consolidation basique,
constituant le socle de la pyramide.
Une fois de plus, on se rend souvent compte qu’au-delà des
idées convenues, il existe différentes manières de réaliser des
actions. Si ces actions revues et corrigées, qui exploitent
désormais un peu mieux mes qualités – et évitent de solliciter mes
qualités manquantes – ne figureront pas pour autant dans la
catégorie préférentielle, elles pourront néanmoins compléter très
utilement le modèle de performance. Elles forment ce que nous
appelons les plans d’actions adaptés.
Prenons un exemple… Dans le cadre de sa mission d’animation
d’équipe, un manager sera forcément un jour ou l’autre confronté
à des situations d’annonce à ses collaborateurs d’une décision
délicate, à l’occasion par exemple d’un changement dont tout
porte à croire qu’il pourrait générer quelques résistances de la part
de certains collaborateurs.
L’art de la conduite du changement stipule généralement qu’il lui
faut, dans cette situation, prévoir une réunion d’annonce à son
équipe. Celle-ci, à en croire les manuels, serait un temps de
communication formel impliquant un discours du manager sur le
changement en question : outre l’annonce de la décision elle-
même, il faudrait expliquer les raisons qui la motive bien sûr, mais
aussi évoquer ce que les collaborateurs pourront y trouver comme
bénéfices, décrire les nouvelles attentes que cela génère à leur
égard, sans oublier de détailler le dispositif de mise en place et de
pilotage. La clé, dans ce moment, serait l’énergie de la conviction,
la capacité à persuader ses collaborateurs, l’aptitude à les
« embarquer » par la parole…
Autant dire que pour certaines personnalités, ce plan d’action
apparait comme un chemin impossible, tant il suppose des
qualités que tout le monde ne possède pas. Pour les managers
d’un naturel introverti, plus à l’aise dans le contact individuel que
dans la prise de parole collective, ou qui eux-mêmes abordent
toujours les changements avec prudence et réserve, ce type de
réunion se solde souvent par un échec – qu’ils réussissent
d’ailleurs à rattraper généralement dans les jours suivants par leur
investissement dans des actions qui leur ressemblent davantage.
Pour ces managers, le travail d’alignement tactique consiste
notamment à envisager différemment ce type de situation.
Comment réussir l’annonce d’un changement compte tenu des
qualités qui sont les miennes ?
Et si au lieu d’organiser une réunion formelle, cette annonce
intervenait lors du rituel très informel du café habituellement
partagé le lundi matin ? Le contexte aiderait peut-être le manager
à adopter, dans son message d’annonce, un style plus direct, plus
authentique et plus congruent.
Et si, au lieu de chercher à convaincre, il se contentait
d’annoncer le strict minimum (la décision elle-même et son timing
de mise en œuvre peut-être), pour laisser plus de temps aux
échanges avec l’équipe ? Il lui serait certainement alors plus facile
d’apporter les éléments nécessaires au travers de dialogues
directs plutôt que dans un monologue descendant.
Et si, au lieu de chercher à faire croire à une conviction qu’il ne
partage pas viscéralement en réalité, il se posait comme faisant
partie de l’équipe, aussi bousculé que tout le monde par cette
décision de changement ? Éviter de devoir mentir lui donnerait à
n’en pas douter une sincérité propre à susciter des réactions
positives.
Bref, dans le management, comme dans toute activité, il existe
des situations comme celles-ci, renvoyant à des plans convenus
et standardisés qui, en réalité pourraient et devraient être adaptés
aux ressources de chacun.
Une fois ce travail accompli, il restera néanmoins quelques
situations dans lesquelles je ne peux échapper à la mise en
œuvre d’actions que nous appelons actions-limites : celles qui, par
leur nature, me confrontent à mes points faibles. Elles exigent,
pour être réalisées, des aptitudes que je ne possède pas, ou que
je mets en œuvre avec beaucoup de difficultés et, pour cette
raison, elles me poussent au-delà même de ce que je suis – d’où
le terme actions-limites.
La recherche d’alignement tactique sur les forces vise à limiter
le temps passé sur ces actions-limites au strict minimum.
Ce strict minimum se définit par le caractère incontournable des
actions au regard de l’activité : ce sont des actions indispensables,
dont la non-réalisation induit un risque d’échec ou de blocage
majeur.
Le manager que je prenais en exemple quelques lignes plus
haut, connaitra très certainement des situations qui le mettront
face à ses limites.
Il pourrait s’agir de la prochaine convention rassemblant toute
l’entreprise, au cours de laquelle il lui faudra prendre la parole
devant 300 personnes, exercice dans lequel ses qualités
naturelles ne lui sont pas d’un grand secours. Ce pourrait être
aussi cette période d’intérim qu’il doit assurer en l’absence
provisoire de son responsable hiérarchique, qui l’obligera à animer
chaque semaine une réunion d’équipe formelle : son N+1 compte
sur lui pour garder en place les rituels de management existants.
Ce manager le sait : il y a des points de passage obligés. C’est
bien pour ça, pense-t-il, qu’il faut au maximum tirer le meilleur parti
possible de ses qualités dès qu’on le peut : jouer son jeu permet
de prendre l’énergie et la confiance en soi dont on a besoin pour
affronter ces situations-limites !
Dans nombre de cas, on se rend compte que ces actions-limites
incontournables sont en réalité moins nombreuses qu’on peut le
craindre. Soit parce qu’on se rend compte que finalement, toutes
ces actions ne sont pas indispensables dans la pratique de
l’activité. Soit parce que certaines d’entre elles peuvent être
déléguées. Soit, enfin, parce que l’engagement croissant sur les
plans d’actions préférentiels crée, en pratique, un supplément
d’efficacité qui vient mécaniquement réduire les occasions de
devoir jouer ces actions-limites.
Restons dans l’univers du management et de la conduite du
changement. Imaginons que le manager décrit précédemment, ait
effectivement aligné ses pratiques de management avec ses
qualités naturelles.
Plus à l’aise dans la relation individuelle que dans l’animation
collective, il est attentif à multiplier les échanges avec chacun de
ses collaborateurs. Observateur, plutôt à l’écoute, il décode assez
bien les attentes des uns et des autres. Chacun dans l’équipe sait
d’ailleurs qu’il peut exprimer sa pensée sans crainte d’être jugé.
Peu à peu, se sont ainsi créées des relations de confiance :
l’ambiance au sein de l’équipe s’en ressent. La communication est
facile, sans non-dits, ni arrière-pensées, ni a priori négatifs.
De ce fait, quand apparait un nouveau changement, l’exercice
de l’annonce n’a plus le même niveau d’enjeu. Quelles que soient
les conditions de cette annonce, et même s’il devait se retrouver
sur le terrain inconfortable d’une réunion formelle, ce manager est
confiant : il sait que le niveau de bienveillance de son équipe est
tel que celle-ci lui pardonnerait d’éventuelles maladresses, et
qu’au-delà de la forme, elle prendrait cette annonce de
changement comme un sujet à traiter, de façon dépassionnée,
sans confusion entre le message et le messager.
Cette même logique se retrouve dans le contexte sportif : plus
un champion ou une équipe réussit à imposer son jeu à son
adversaire, plus il ou elle diminue les occasions de se retrouver
dans des positions inconfortables.
En résumé, une fois réalisé ce travail d’alignement tactique,
nous devrions aboutir à un ensemble de plans d’action, au cœur
de la pyramide, formé donc de deux types d’actions :
• Mes 20/80, actions préférentielles, auxquelles je dois consacrer
le plus de temps et d’attention. Directement alignées avec mes
qualités, elles sont en quelque sorte mon moteur principal : fort
rendement, motivation intrinsèque, confiance en moi,
authenticité…
• Les actions adaptées, dans lesquelles un travail technique m’a
permis de trouver comment les jouer pour pouvoir y exprimer le
mieux possible mes talents.

À ces actions, qui m’occuperont idéalement donc environ 80 à


90 % de mon temps, viendront s’ajouter enfin les actions-limites,
que je serai obligé de réaliser dans le temps restant – dans des
modalités que nous détaillerons dans l’étape 3 ci-dessous.
Étape 3 : Consolidation basique
Bien qu’arrivant chronologiquement en fin de réflexion, cette
étape est en réalité la plus importante, puisqu’il s’agit de
consolider le socle de la pyramide et de compléter de façon très
opérationnelle, le modèle de performance.
Ce socle est « basique » parce qu’il désigne l’ensemble des
gestes techniques de base : toutes les opérations unitaires – on
ne peut pas diviser davantage chaque élément – dont la mise en
œuvre est essentielle pour réussir les actions identifiées à l’étage
tactique. On pourrait aussi parler de Fondamentaux.
Représenter ces Fondamentaux comme un socle, c’est rappeler
que toute performance se construit d’abord et avant tout par
l’acquisition (la découverte, l’apprentissage, la répétition,
l’ancrage) de ces gestes de base : rien ne sert d’avoir de belles
intentions tactiques ou de grandes ambitions stratégiques si l’on
n’est pas en capacité de mettre en œuvre ces
Fondamentaux avec justesse et fiabilité.
Évidemment, en guise d’illustration, viennent spontanément à
l’esprit les activités manuelles.
Maîtriser les gestes de base de la cuisine est un prérequis pour
tout chef qui se respecte. Les nombreuses émissions télévisées
culinaires nous le rappellent. Elles montrent aussi que, des
années plus tard, les étoilés reconnus ou les meilleurs Ouvriers de
France ne le sont pas seulement par l’originalité de leur cuisine, la
créativité de leurs plats ou l’inventivité des goûts. Ils restent
concentrés sur leurs fondamentaux, ou peut-être mieux, ont
poussé la perfection basique encore plus loin. L’attention portée
au geste (la cuisson, la présentation, le taillage du légume, le
découpage de la viande, etc…) et à sa réalisation est à la hauteur
du talent !
Peut venir aussi l’image de ces métiers à risque, dans lesquels
la qualité des gestes de base est une priorité, car un gage de
sécurité : chacun des points de la check-list du pilote d’avion ou
encore, dans un autre univers, le parfait ajustement de la tenue
d’intervention du membre du GIGN avant une interpellation
potentiellement dangereuse.
En sport, l’évidence est aussi facilement partagée : pas un
athlète qui n’ait cette obsession de chercher encore et encore à
fiabiliser, ciseler, renforcer les gestes de base. À quoi sert un choix
tactique – même bon – si la réalisation des gestes ne suit pas ?
Voyez d’ailleurs le nombre de défaites, quels que soient le sport et
le niveau des prétendants, qui s’expliquent par des
approximations basiques. Les meilleurs, là aussi, ne sont pas
seulement supérieurs du fait de stratégies géniales ou de
tactiques sophistiquées, mais souvent seulement d’un niveau de
maîtrise basique plus constant.
À côté de ces exemples évidents, il serait faux de croire que les
activités intellectuelles échappent à la notion de discipline
basique. On peut parfois croire que le management, la vente,
l’innovation, la formation ou la philosophie sont au-dessus de ça :
une sorte de prétendue noblesse dispenserait du caractère
besogneux des basiques.
Et pourtant…
Prenons la vente. Savoir formuler un message sonar pour
sonder le client et l’amener à accepter la relation au début d’un
acte commercial ; savoir poser des questions ouvertes ; savoir se
taire pour relancer ; savoir dans quel ordre classer ses
arguments ; savoir annoncer un prix, sans laisser transparaître le
doute sur son visage ouvrant ainsi la porte à une négociation
perdue d’avance, etc. Les bons vendeurs ne sont pas juste des
beaux parleurs, façon Jean-Claude Convenant avec gourmette
plaquée or et Citroën Xantia : ce sont des champions comme les
autres, qui se préparent et s’entraînent à maîtriser leurs
techniques de base jusqu’à en faire des automatismes. Alors
seulement, une fois ces réflexes ancrés, il leur est possible de
consacrer ce temps de cerveau disponible aux aspects tactiques :
adapter la proposition aux attentes et besoins du client, ajuster le
budget, ajouter une offre optionnelle, etc.
Cette étape de consolidation basique consiste donc à revenir
sur ces Fondamentaux au regard des réflexions menées lors des
deux premières étapes.
En premier lieu, il faudra repartir des plans d’actions
préférentiels. Dans la mesure où il s’agit d’actions qui, par
définition, sollicitent mes qualités naturelles, il est probable que,
sur le plan des gestes technique, les bases soient déjà ancrées.
Celui qui possède un talent d’écoute, par exemple, maîtrise
souvent parfaitement les techniques de relance ou de
reformulation. Il arrive également très bien à décoder le non-verbal
ou encore à se synchroniser avec son interlocuteur. Il sait faire
tout ça, mais dans bien des cas, il ne sait pas qu’il sait le faire ! Il
agit instinctivement et inconsciemment. Il peut penser d’ailleurs
que tout le monde fait spontanément de même, que ce sont là des
réflexes universels, propres à la nature humaine.
Prendre conscience des pratiques instinctives qui rendent nos
talents opérants revient à les appréhender comme des
techniques, que l’on peut reproduire de façon consciente, par
exemple dans les jours sans, durant ces périodes de méforme
dans lesquelles le talent semble nous faire défaut. C’est l’exemple
que donnent parfois les grands champions qui, dans leurs rares
mauvais jours, loin de dominer leur adversaire avec leur niveau
d’aisance habituel, restent durs à battre : leur capacité à faire ce
qu’il faut faire, en se recentrant sur leurs bases, leur permet de ne
pas perdre, à défaut de gagner avec talent ! D’où le fameux mot
d’ordre souvent entendu dans la bouche des entraîneurs lorsqu’il
s’agit de remobiliser une équipe menée au score : « back to
basics ! ». Faites ce que vous savez faire, mais faites-le bien.
La consolidation basique consiste aussi à pousser plus loin son
niveau de maîtrise technique pour jouer les actions préférentielles.
Au lieu de passer du temps à se former sur ses points faibles –
avec un faible retour sur investissement – courrez vous former
sur vos points forts ! La motivation à progresser sera là. Les
perspectives de trouver encore à s’améliorer est sans limite. La
capacité à créer, à mettre au point, à jouer des techniques sans
cesse plus justes, plus fines, plus ciselées est à la hauteur du
talent déjà naturellement présent.
La fameuse injonction à sortir de sa zone de confort peut
prendre tout son sens ici. Si elle se borne à nourrir l’approche
corrective, en se traduisant par la volonté de délaisser ses points
forts pour affronter ses points faibles, elle ne présente pas
beaucoup d’intérêt… En revanche, si elle enjoint à repousser sans
cesse les frontières là où on est en mesure de le faire, notamment
sur ce terrain préférentiel, alors elle constitue un précieux conseil.
L’incroyable carrière de Roger Federer en est une illustration.
Le champion suisse, malgré les années de pratique et le palmarès
dont il pourrait se contenter, n’a jamais arrêté de progresser, en
utilisant ses points forts comme moteur de cette dynamique.
Parmi ses qualités, il y en a une qui se révèle être au fil des
années, un atout majeur : ce que les spécialistes appellent
« l’œil », en réalité ses aptitudes cérébrales et non seulement
visuelles à percevoir et analyser les informations (la trajectoire, la
vitesse ou l’effet de la balle). Ces capacités hors du commun lui
permettent d’anticiper ses déplacements donc d’arriver à
l’heure sur la balle, d’être placé avec justesse, et de déclencher sa
frappe au bon moment.
Roger, ou plutôt Rodgeur (il y tient beaucoup et peut, parait-il,
se fâcher d’entendre son prénom prononcé à la française !), a
toujours cherché à se muscler dans ce domaine.
Ainsi, sur ce simple basique « Regarde la balle ! », mille fois
répété au débutant, Federer a réussi à pousser le curseur très
loin. À l’entraînement, il s’est exercé des heures durant à aiguiser
son œil, s’obligeant par exemple, à distinguer dans un ensemble
de balles envoyées aléatoirement par son sparring-partner, celles
marquées d’un point rouge tracé au marqueur. Le but du jeu : ne
frapper que les balles normales, et laisser passer les balles
marquées. À la vitesse à laquelle arrivent les balles, il faut un
couple œil-cerveau hors du commun pour être capable de
détecter la présence du point rouge, de prendre la bonne décision
et d’organiser l’éventuel mouvement de frappe. Tout se joue en
quelques fractions de secondes.
Cet œil incroyable, Federer l’a donc exercé encore et encore.
Et c’est sur cet atout qu’il a aussi continué à améliorer son jeu,
notamment en cherchant à prendre la balle un peu plus tôt que
ses adversaires : en gagnant quelques centièmes de seconde sur
chaque frappe, il a pu, au fil des années, raccourcir la durée des
échanges et ainsi compenser des capacités physiques
d’endurance et de résistance qui diminuent avec l’âge – il
approche maintenant de la quarantaine tout de même !
C’est aussi grâce à son œil que le GOAT18 a même inventé un
coup il y a quelques années. Baptisé SABR, pour Sneak Attack
By Roger (attaque en douce signée Roger), le coup consiste à
initier une course vers l’avant sur la seconde balle de service de
l’adversaire, pour exécuter un retour en quasi demi-volée et se
retrouver ainsi au filet d’entrée de jeu : mi-provocant, mi-suicidaire,
le SABR a surpris et déstabilisé ses plus fidèles rivaux (Novak
Djokovic enrage encore…).
Tous les univers animés par une forte ambition de performance
ont ce point commun de ne pas seulement compter sur le talent
brut mais aussi sur une impressionnante quantité de travail
ajoutant au point fort naturel des bases techniques d’une solidité à
toute épreuve : un socle basique en granit ! D’où cette recette :
Talent × Technique = Excellence
S’agissant toujours de Roger Federer, on ne sera pas surpris de
lire ce qu’en disait Pierre Paganini, son préparateur physique
depuis 20 ans : « c’est quelqu’un qui a un talent énorme,
notamment une coordination d’athlète qui est phénoménale. Cela
ne veut pas dire qu’il a moins besoin de travailler. Au contraire,
comme c’est un point fort, il doit le travailler plus encore pour faire
la différence. »19
Si la consolidation basique doit d’abord s’appliquer aux actions
préférentielles, elle peut dans un second temps aider à
l’adaptation d’autres types d’actions, celles qui, à première vue,
m’obligent à solliciter mes points faibles. Pourront alors émerger
ce que j’appelais plus haut, les actions adaptées.
Comme je l’expliquais dans l’étape d’alignement tactique, un
des axes de travail à suivre, consiste à reprendre une par une les
actions indispensables dans la pratique de l’activité considérée,
pour précisément questionner la manière basique avec laquelle on
les met en œuvre. En dépit de ce que nous avons parfois appris,
pour accomplir une action, il n’existe pas qu’un seul geste
efficace : pour croiser les bras, certains préfèreront passer le
gauche au-dessus du droit, d’autres feront spontanément
l’inverse… Il en est de même pour n’importe quelle autre action,
physique ou intellectuelle : il n’y a jamais une seule façon
d’engager un mouvement, de concevoir une idée, de prendre une
décision, d’exprimer une pensée ou, pour reprendre l’exemple
déjà développé précédemment, d’annoncer une décision de
changement à une équipe lorsqu’on occupe des fonctions de
manager.
En redescendant explorer l’étage basique, l’enjeu est de trouver
à adapter sa technique à ses préférences, tant que la nature des
actions le permet. Cette exploration n’est pas tant intellectuelle
qu’opérationnelle : expérimenter est bien sûr la meilleure manière
de chercher, de dresser des hypothèses, de les mettre en œuvre
pour les infirmer ou les valider, sur la base des deux critères
essentiels que sont l’efficacité et la facilité (suis-je plus à l’aise
dans cette gestuelle ?).
Pour autant, et comme je l’ai déjà souligné, il y a probablement
des actions à propos desquelles ce travail d’adaptation échoue.
On retrouve ici la notion d’actions-limites : leur accomplissement
exige la mise en œuvre de gestes qui sollicitent mes points
faibles, sans qu’il n’y ait a priori de chemin alternatif.
Traditionnellement, l’approche corrective nous engage à
chercher une solution qu’au regard de la pyramide, on pourrait
qualifier de stratégique : corriger nos défauts ou, dit positivement,
développer les qualités que nous n’avons pas, pour être à même
de réussir ces actions-limites. Développer plus d’assertivité,
vaincre ta timidité, devenir plus rigoureux,… en un mot : changer !
Nous savons maintenant que cette approche est le plus souvent
vouée à l’échec, ou qu’elle engage en tous cas un travail
psychologique ambitieux !
Dans cette voie de la consolidation basique, nous proposons
d’aborder ces actions-limites avec moins d’ambition et plus de
pragmatisme. C’est bien le sens du mot basique : il désigne à la
fois le côté essentiel, la base, et pointe à la fois l’aspect simple et
peu sophistiqué du geste. Un basique est facile à comprendre,
facile à jouer, il ne demande ni moyens ni compétences
particulières. C’est par la répétition, l’entraînement, l’ancrage
réflexe qu’il acquiert sa valeur. La formule de Jean-Pierre Raffarin
pourrait assez bien résumer la philosophie du travail sur les
basiques : « la route est droite, mais la pente est forte ! »
S’il est illusoire – en tous cas difficile – d’espérer acquérir des
qualités que l’on ne possède pas, il est en revanche possible,
moyennant un peu d’entraînement, de réussir à maîtriser quelques
gestes basiques – même si le talent n’est pas là.
À nouveau, cette recherche peut passer par l’expérimentation,
notamment si l’on a la chance de bénéficier d’une aide extérieure,
du regard d’un expert, d’un coach ou tout simplement d’un pair.
Dans la plupart des cas, notre ennemi, dans la réalisation des
actions-limites, est notre point fort : nous avons naturellement
tendance à aborder et jouer ces actions en utilisant nos qualités
naturelles qui, en l’espèce, ne sont pas les ressources
appropriées. Le regard d’un tiers peut nous aider grandement à en
prendre conscience, donc à trouver les quelques réflexes
basiques à adopter pour réorienter son action.
Un manager empathique par exemple, aura sans doute une
capacité à nouer des liens de confiance avec ses collaborateurs.
Dans l’approche par les points forts, il sera bien inspiré d’aligner
ses pratiques de management sur cette qualité. Plus il passera de
temps à consolider ces relations, moins certainement, il se
trouvera confronté à ces situations de tensions ou de conflits qu’il
redoute tant.
Néanmoins, en dépit de l’excellente ambiance relationnelle qu’il
aura su créer, il pourra lui arriver de constater parfois des
comportements border line. Certains collaborateurs seront peut-
être tentés d’abuser de ce qu’ils prennent pour de la gentillesse,
s’affranchissant des règles établies.
Rien de grave, mais le manager sait bien l’importance qu’il y a
de ne pas laisser ces micro-dérives s’installer ou se répéter. Pour
cela, il lui faudra, de temps en temps, réaliser des entretiens de
recadrage. Compte tenu du profil de ce manager, ce type d’acte
de management constitue une action-limite, à la fois indispensable
et à la fois hors du registre habituel de l’intéressé.
Mettre ce manager en situation, sur un cas fictif, est assez vite
révélateur : instinctivement, il engage l’entretien comme s’il
s’agissait d’un échange anodin. « Comment ça va ? », demande-t-
il pour lancer la discussion face à ce pair qui joue le rôle d’un
collaborateur fautif, lequel en profite pour évoquer des sujets
opérationnels bien entendu très éloignés du sujet-clé. N’osant pas
le couper, le manager écoute à moitié, visiblement inquiet de
trouver le bon moment pour oser recadrer. Quand enfin, il se
lance, les mots sortent avec hésitation, de telle sorte que l’effet
d’autorité attendu parait tomber à plat…
Quelques basiques pourraient l’aider, non pas à trouver comme
par magie des qualités d’assertivité et d’affirmation de soi, mais
déjà à bloquer sa qualité naturelle, qui dans ce cas, l’amène à
écouter, à porter de l’attention, à penser à ce que son interlocuteur
ressent : écrire mot à mot, et le plus simplement possible, l’entrée
en matière de l’entretien, en l’occurrence le constat factuel du
comportement hors-jeu, l’apprendre par cœur, bloquer le réflexe
de la question ouverte habituelle (« comment ça va ? »), etc.
Pour nourrir cette expérimentation basique, on pourra bien
entendu aller puiser dans les ressources de référence pouvant
exister sur l’activité en question : les formations, fiches-
techniques, manuels, etc. regorgent de trucs & astuces dont
certains peuvent, à l’usage, sur ces actions-limites, devenir de
bons basiques. Pris sous cet angle, il y a même moyen de faire de
ces actions-limites, un terrain de jeu, dans lequel ce qui prime
n’est pas tant la recherche d’efficacité, que le plaisir de tester ou
d’inventer.
Cela me rappelle ce professeur de physique-chimie qui, au
lycée, trouvait toujours, pour chaque nouvelle connaissance à
acquérir, une application très concrète de cette connaissance
dans la vie courante. Ce qui était théorique devenait
immédiatement concret et pratique. Et alors même que nous
étions quelques-uns à ne pas avoir d’atomes crochus avec les
matières scientifiques, les cours et les devoirs devenaient un jeu
auquel nous nous prêtions avec plaisir… à défaut de brillamment y
réussir. Puisque nous ne sommes pas doués, essayons au moins
de nous amuser !
C’est tout l’enjeu du travail de consolidation basique qu’il faut
accomplir s’agissant des actions-limites : trouver les gestes les
plus simples possibles (un acte, une technique, une phrase, etc.),
jouables même sans talent – ce que par définition, ici, je ne
possède pas – qui, à défaut de briller, permettent de réaliser
l’exigence de base. Les trouver d’abord, puis les répéter et
s’entraîner jusqu’à en faire des automatismes. Il n’y aura peut-être
jamais de génie dans la réalisation de ces actions, mais il finira
par y avoir le socle minimal nécessaire : le basique.
Dans ce socle basique, traduction la plus opérationnelle qu’il
soit de l’activité considérée, nous nous focalisons sur l’ancrage
des gestes qui permettront à chacun de réaliser les différentes
actions avec la meilleure alliance entre efficacité et facilité. La
maîtrise de ces Fondamentaux, leur consolidation réflexe, est
essentielle à trois égards :
• Pour assurer fiabilité puis excellence dans la mise en œuvre des
actions préférentielles, là où chaque détail compte, là où
l’enrichissement du geste, aussi minime soit-il, peut apporter un
progrès notable.
• Pour améliorer le rendement dans l’accomplissement des
actions qui peuvent être adaptées un peu mieux à ce que je
suis.
• Pour permettre d’acquérir le niveau minimal requis dans les
actions-limites.

En synthèse, voici visuellement représentés, les différents


éléments découlant des trois étapes proposées :

Pour résumer très simplement le principe qui sous-tend cette


méthode pyramidale, je reprendrais les mots de Nick Bolletieri.
Fondateur de la célèbre Académie de Tennis éponyme, et
« faiseur de champions » (Andre Agassi, Jim Courier, Monica
Seles, Anna Kournikova, Maria Sharapova, pour ne citer que les
plus célèbres). La clé, disait-il, consiste à « s’efforcer de gagner
sur ses points forts et de ne pas perdre sur ses points faibles. »
Pour cela, retenons qu’il faut penser stratégique sur ses points
forts et se contenter d’être basique sur ses points faibles.

■ Le schéma du rocher sous la mer


Au travers de cette pyramide et des trois étapes de la méthode
égyptienne qui va avec, se forge une dynamique maintenant
évidente, reposant sur une sorte d’effet de levier : chaque effort
investi dans le pilier central (aligné avec mes qualités naturelles)
produit des résultats plus grands et plus durables que ceux engagés
sur les côtés du schéma.
Ainsi, en choisissant de privilégier une stratégie résolument
centrée sur ses points forts – et non une stratégie imposée par
l’environnement ou l’activité elle-même – en prenant soin d’aligner
ensuite la tactique et de consolider le basique, on acquiert une
aisance, une confiance et un niveau de performance plus grands
dans l’activité en question.
La métaphore du rocher sous la mer – souvent utilisée en
psychiatrie pour décrire des phénomènes bien plus lourds20 – peut
assez bien symboliser cette dynamique.
Dans ce schéma (ci-dessous), le rocher représente les points
faibles : des défauts, perçus comme tels, aussi solides que du
granit.
L’existence de ces points faibles rend la navigation
dangereuse : dans mon activité, à plusieurs reprises, je me suis
heurté à ces récifs. J’ai échoué parfois, pour utiliser ce mot à
connotation marine (Figure 1).

Schéma des rochers sous la mer – Figure 1

Nombreux d’ailleurs sont les tiers venant appuyer ce que ces


malheureuses expériences avaient révélé : pour progresser et
réussir, il va bien falloir accepter de s’attaquer aux rochers. Il n’y
aurait pas d’autre choix que de chercher à supprimer les points
faibles.
Se faisant, ces tiers engagent la première partie du plan : me
faire prendre conscience que ces récifs constituent bien des
défauts rédhibitoires. Efficace ! À force, en effet, les rochers
apparaissent, comme chaque jour un peu plus dévoilés par la
baisse du niveau de la mer. La mer, dans cette métaphore,
représente le niveau d’énergie vitale, de motivation, de confiance
en soi. Le fait est qu’à force de m’entendre décrire de plus en plus
précisément mes défauts, de réaliser qu’il me va falloir réussir à
m’atteler à les corriger, je me sens comme sur une plage
bretonne, à marée descendante, un jour de gros coefficient. Je
touche le fond !
La seconde étape du plan annoncé s’avère particulièrement
difficile : doute, angoisse, démotivation ne sont pas les meilleurs
atouts pour s’attaquer aux rochers. Le granit dont ils sont faits
imposerait l’usage des grands moyens : mais, en pleine marée
basse, je n’ai que de maigres réserves de volonté, de courage, et
d’abnégation. Je reste alors souvent échoué au pied du rocher,
convaincu qu’il vaudrait sans doute mieux trouver un autre projet
de navigation ! (Figure 2)

Schéma des rochers sous la mer – Figure 2

La dynamique des points forts mise à l’inverse sur la marée


haute.
En mettant l’accent sur la détection des talents, sur la
concentration stratégique, l’alignement tactique et la consolidation
basique, elle vise à me placer le plus souvent possible dans des
situations préférentielles, adaptées à ce que je suis, où plaisir,
confiance et efficacité se rejoignent. La plupart du temps donc, je
navigue bien au-dessus du niveau auquel culminent les fonds.
(Figure 3)
Schéma des rochers sous la mer – Figure 3

Pour autant, les rochers n’ont pas disparu : ils sont juste
masqués par le niveau de la mer.
Ce que rappelle ce schéma, c’est que la réussite, dans une
activité, ou plus généralement dans tout ce que nous
entreprenons, ne se donne pas aux gens sans défauts : elle s’offre
à ceux qui ont réussi à développer leurs forces.
Les biographies des grands du monde présent ou de l’Histoire
sont à ce propos souvent éclairantes. Rares sont, parmi les
artistes, sportifs, dirigeants politiques, chefs d’entreprise les plus
reconnus, les personnalités sans relief. S’en dégagent
généralement d’immenses qualités – à l’origine de leur œuvre de
quelque nature soit elle – compensant et masquant de gros
défauts.
Ainsi Steve Jobs est connu bien entendu comme un inventeur
créatif et un entrepreneur visionnaire. Mais ceux qui l’ont approché
l’ont aussi souvent décrit comme un patron caractériel, capable
par exemple dans ses accès de colère, d’humilier ses équipes en
public.

Accompagner dans le bon sens


À plusieurs reprises, j’ai évoqué l’intérêt d’être aidé par un tiers :
il est évidemment difficile de parvenir seul à détecter ses points forts,
à trouver comment les utiliser au mieux, à prendre du recul sur ce
que l’on fait et sur la façon avec laquelle nous le faisons.
C’est le point de vue de ce tiers que je vous propose maintenant
d’adopter.
Quelles que soient notre profession ou notre situation personnelle,
nous sommes en effet tous amenés à jouer ce rôle de tiers, comme
manager, enseignant, entraîneur, coach, collègue ou équipier, parent
ou ami. À ce titre, il nous appartient d’essayer d’aider celui ou celle
qui nous accorde sa confiance, à progresser, à se relever d’un
échec, à trouver sa voie ou à s’épanouir.
Méfions-nous alors de nos habitudes et de nos réflexes, souvent
nourris de culture corrective quand ils ne sont pas purement et
simplement la copie conforme de ce que nous-mêmes avons vécu
quand nous étions en posture d’apprenant !
Voilà pourquoi j’aimerais ici ouvrir quelques pistes pratiques pour
orienter l’accompagnement dans le bon sens : celui du renforcement
des points forts.

Créer des opportunités


La simple discussion pour identifier ses forces est une première
étape, nous l’avons vu. Amener son interlocuteur, par le
questionnement, à réfléchir sur ses préférences, en s’aidant ou non
d’un test de personnalité, est une piste simple et accessible.
Mais convenons que celle-ci peut vite tourner en rond si elle ne
mène pas sur le terrain de l’expérimentation.
C’est au travers de l’action que le rôle d’aidant apporte en effet
tous ses bénéfices. Les grands débats sur les qualités disent tout
et rien. On peut discuter longtemps du mot à employer pour
désigner telle ou telle capacité, mais l’essentiel n’est pas là. Le
vrai sujet reste ce que j’en fais : comment la mettre en œuvre
dans telle ou telle activité ? Comment l’exploiter ? Comment
l’utiliser dans certaines situations ou au contraire s’en méfier dans
d’autres ?
Se confronter à l’action reste la meilleure manière de trouver
des réponses solides à ces questions.
Voici donc quelques pistes.

■ L’apprentissage différencié
Le principe de cette différenciation21 consiste à créer et proposer,
dans le cadre d’un travail d’apprentissage sur une situation donnée,
des exercices, des plans d’action, des entraînements les plus variés
possibles, sollicitant différentes aptitudes.
Loin de la logique traditionnelle qui, pour réaliser un quoi tend à
n’enseigner qu’un seul comment, il s’agit ici de permettre à
l’individu d’explorer plusieurs manières de faire, en proposant des
comment variés. Au travers de ces expérimentations différentes,
l’idée est de s’intéresser aux résultats, mais surtout aux ressentis
de la personne, pour l’aider bien sûr à cerner plus précisément les
aptitudes, les préférences, les qualités qui sont les siennes.
Ce principe explique pourquoi un bon expert de l’activité en
question n’est pas forcément le meilleur pédagogue. S’il n’a pas
en tête cette logique de diversité, s’il n’est pas conscient qu’il
existe plusieurs comment pour réussir un quoi, il peut s’obstiner
parfois à vouloir enseigner seulement sa façon de faire.
Aider quelqu’un à préparer une prise de parole devant un large
auditoire, quand il n’en a pas l’habitude, peut utilement faire
intervenir ce principe de différenciation.
Plutôt que de chercher à faire entrer cette personne dans le
moule imposé, pourquoi ne pas profiter d’un temps de préparation
pour lui permettre d’expérimenter différentes possibilités : parler
avec notes ou sans notes, sur la base d’une simple trame ou en
répétant un discours écrit et appris mot à mot, avec des supports
à l’écran ou sans, derrière un pupitre ou au milieu de la scène, en
tenant un micro ou en s’équipant d’un micro-casque, etc.
Bien sûr, quoiqu’il arrive, il y aura des basiques à respecter :
articuler, balayer le public du regard, se tenir droit les pieds bien
ancrés dans le sol, etc.
Mais, face à un exercice inhabituel et stressant comme celui-ci,
adapter tout ce qui peut l’être, et expérimenter ces différentes
options, aide l’orateur d’un jour à trouver ce qui lui convient le
mieux, quitte à faire des choix de mise en scène originaux.

■ Le principe d’intention
Depuis de nombreuses années, j’ai la chance de pouvoir passer
certains de mes week-ends en famille au Touquet-Paris-Plage.
Chacun de ces séjours est l’occasion d’un détour par le prestigieux
club de tennis de la ville. Sur le court, j’y retrouve toujours avec
plaisir Patrice Kuchna et son père Stan, lequel à l’approche de ses
80 ans continue d’enseigner le tennis avec passion ! Au-delà de ses
états de service plus qu’honorables – ex-125ème joueur mondial en
simple, un huitième de finale à Roland-Garros en 1987, après avoir
éliminé Andre Agassi au deuxième tour – Patrice est le professeur
de tennis attitré d’Emmanuel Macron qui, lui non plus, ne manque
jamais de passer au tennis-club lors de ses rares moments de
repos. Bref…
Face à Patrice Kuchna, aucun répit. Mieux vaut être « jeune et
vigoureux », comme il le dit ! Droite, gauche, devant, derrière, il
faut enchaîner les coups en rythme, tenir la cadence, défendre,
attaquer, volleyer, smasher…
Il arrive heureusement (pour mon cœur) que The Human
Machine – selon le surnom que lui vaut son autre activité de
testeur pour un fabricant de cordages – s’arrête. Jamais par
fatigue, cette notion lui est étrangère ! Non la machine s’arrête soit
faute de balles bien sûr, soit pour débriefer un coup raté.
L’échange prend alors assez rarement la forme d’un conseil
technique, il s’engage plutôt par la question préférée de Patrice :
« quelle était ton intention ? »
Il faut avouer que, dans bien des cas, je n’ai pas la réponse.
Parce qu’effectivement, il s’agit d’un coup joué sans aucune autre
intention que de renvoyer la balle. En visant nulle part, j’ai toutes
les chances que cette balle atterrisse ailleurs !
Au tennis – mais c’est évidemment vrai dans n’importe quel
autre domaine – avoir une intention ne consiste pas seulement à
viser un point, mais à savoir ce que l’on veut provoquer pour son
adversaire : lui imposer un déplacement lointain ou le prendre à
contre-pied, le forcer à courir sur le côté, à avancer ou au
contraire à reculer, à jouer un coup difficile au-dessus de l’épaule
ou plutôt une balle basse et rasante, etc.
Évidemment, tout l’enjeu, tactiquement, est d’avoir, selon la
situation de jeu du moment, l’intention la plus juste. Mais au-delà
de ces considérations tactiques, on s’aperçoit que le seul fait
d’avoir une intention est déjà déterminant. C’est cette intention qui
oriente la réalisation du geste, amenant le cerveau à ajuster et
coordonner l’ensemble des paramètres pour produire le coup
adéquat.
Cette notion d’intention est une des clés de la méthode Nadal.
Toni Nadal, l’oncle et coach de Rafael, a souvent expliqué
l’importance de ne pas se contenter des classiques exercices de
répétition au panier. Taper des centaines de balles qui arrivent au
même endroit, à la même vitesse, avec le même effet, sans avoir
d’autre objectif que de bien réaliser le mouvement, peut permettre
certes d’ancrer une gestuelle dans le cerveau. Mais dans la réalité
du jeu, rares seront les balles correspondant exactement à celles
proposées dans l’exercice. Et risqué serait de les renvoyer sans
intention tactique : il faudrait alors compter sur la capacité du
cerveau à trouver les solutions d’adaptation nécessaires, en plein
match, sans qu’il ait été entraîné à ça !
Toni Nadal l’assure : si l’une des forces de Rafael est de ne
jamais renoncer à chercher des solutions par lui-même, c’est qu’il
a été depuis toujours entraîné selon ce principe d’intention. À
l’entraînement, les consignes étaient de nature intentionnelle : des
balles arrivant indifféremment, sur le revers ou le coup droit,
longues ou courtes, liftées ou chopées, que Rafa devait envoyer
selon l’intention indiquée. Au joueur, selon ses aptitudes, de
laisser son cerveau construire les ajustements gestuels pour
réussir les coups en question.
Vu différemment, cela revient à dire : ce n’est pas moi, coach,
qui peut te dire quel geste tu dois faire. C’est à toi, joueur, de le
trouver, à partir des intentions que tu as ou de celles que je te
donne.
Ce principe d’intention complète celui de différenciation de
l’apprentissage. Si ce dernier permet de guider l’apprenant dès la
découverte de l’activité, la logique d’intention prend tout son sens
à partir d’un niveau de maîtrise minimum des bases techniques.
À nouveau, au travers de ce principe, on retrouve les niveaux
de la pyramide. En fonction de mes points forts (niveau
stratégique), quelles sont les intentions les plus appropriées
(niveau tactique), et comment trouver la bonne
gestuelle/technique pour servir efficacement et facilement
chacune de ces intentions (niveau basique) ?
Si l’on reprend l’exercice de prise de parole en public, dans
l’objectif d’aider un orateur un peu plus expérimenté, il serait par
intéressant de travailler selon cette approche par intentions.
Que veut-il générer comme réaction chez ceux qui l’écoutent ?
Les faire rire, les surprendre, les faire réfléchir, bousculer leurs
croyances ? Et s’il voulait les surprendre, comment s’y prendrait-il
concrètement ?
Charge à nous ensuite de tester et d’ajuster pour s’assurer que
ce comment fonctionne et, le cas échéant, trouver une meilleure
intention.

■ L’approche par double objectif


Dans l’accompagnement orienté points forts, notamment lorsqu’il
nous semble avoir commencé à bien cerner les préférences de la
personne à aider, il peut s’avérer pertinent de proposer à celle-ci
deux objectifs dans la réalisation d’une même action.
Le premier objectif est connecté à l’intention : produire le
résultat attendu. Il oriente vers l’efficacité, et à ce titre, demeure
incontournable. Mais, dans certains cas, la volonté d’atteindre cet
objectif peut créer une pression qui tend à détourner l’individu de
ses fonctionnements préférentiels.
L’approche Action Types déjà citée à plusieurs reprises permet
d’expérimenter ce phénomène de façon très éclairante. Les
différents exercices qui constituent le protocole d’exploration de
nos fonctionnements moteurs et cérébraux, nous font en effet
facilement ressentir nos préférences. Compte tenu de celles-ci,
nous réussissons avec une grande aisance ce que d’autres, au
même moment, juste à côté, peinent à réaliser.
Mais il suffit de créer un peu de stress pour que nous nous
décalions de ces fonctionnements spontanés. Comme si la
machine s’était déréglée, nous nous retrouvons désormais en
difficulté sur l’exercice qui, il y a quelques minutes encore, nous
paraissait si simple !
Voilà pourquoi, sous pression, il peut arriver – même aux
meilleurs – de ne plus sembler aussi impressionnants de facilité et
d’efficacité : le coup de pied arrêté du footballeur qui parait moins
naturel, le mouvement de service du tennisman moins rythmé, le
discours du conférencier aguerri devenu soudain moins fluide, etc.
L’approche par double objectif consiste à compléter le premier
but évident et centré sur le quoi (objectif final), par un second
objectif qui oriente le comment (objectif instrumental). Cet objectif
de moyen impose en quelque sorte le plan : l’utilisation de tel ou
tel outil, la mise en œuvre de telle ou telle pratique, etc. Il répond à
un enjeu d’expérimentation, pour mieux cerner un point fort ou
pour ancrer son usage.
Ce pourrait être un formateur, par exemple, qui à l’occasion
d’une session de formation, sur une séquence particulière,
s’obligerait à mettre en œuvre des modalités pédagogiques
différentes de celles qu’il utilise habituellement.
Il pourrait aussi s’agir d’un commercial qui, pour progresser
dans ses pratiques, s’entraîne à laisser parler son client, à
l’écouter 15 minutes montre en main, en utilisant uniquement des
relances mais sans poser de questions.
Ce second objectif a une autre vertu que celle seulement de
l’expérimentation. Par la concentration à laquelle il oblige, le but
instrumental tend à diminuer la pression finale du 1er objectif :
le souci de bien faire – jouer le plan prévu – prend le pas sur la
peur de ne pas réussir – atteindre le résultat final. Aussi ce
principe de double objectif peut-il servir lorsqu’on se trouve
confronté à un enjeu potentiellement stressant : face à un défi,
définir un objectif instrumental (évidemment dans ce cas très
aligné avec ses qualités) est une consigne bien plus utile que
d’accroître la pression sur l’objectif final ou à l’inverse de tenter de
relativiser l’enjeu.
Ces quelques principes, d’apprentissage différencié, d’intention
ou encore de double objectif, visent à nourrir les briefings que
nous pourrions partager avec l’individu que nous souhaitons
accompagner. Pour l’aider à mieux cerner ses points forts, à en
mesurer également l’efficience puis à ancrer leur mise en œuvre, il
est également important de porter le bon regard et de distiller les
bons messages au fil de l’expérimentation et de l’apprentissage.
Car, là encore, nos habitudes peuvent nous amener à jouer à
contre-sens…

Apprendre à (bien) valoriser


Ce premier acte d’accompagnement dans l’action n’est pas notre
réflexe le plus spontané. Dans notre culture plutôt cartésienne, le
tiers aidant se distingue par la justesse de son analyse : il est celui
qui sait, ce qui lui confère toute la légitimité pour pointer ce qui doit
être amélioré.
Loin de moi l’idée de jeter aux oubliettes cette aptitude :
elle garde évidemment tout son intérêt lorsqu’elle intervient au bon
moment avec la bonne intention. J’y reviendrai un peu plus loin.
La capacité à valoriser s’inscrit dans une logique mêlant
plusieurs mécanismes :
• Un mécanisme de reconnaissance d’abord, qu’à gros traits on
pourrait résumer de la façon suivante : la motivation d’un
individu dans une activité dépend du niveau de reconnaissance
(attention, intérêt, etc.) que les autres lui accordent quand il
pratique ladite activité. Plus celle-ci me donne le sentiment de
prendre un peu plus de valeur dans le regard des autres (et tout
particulièrement de ce tiers en qui j’ai confiance), plus j’ai envie
de m’y investir.
Les enfants sont une illustration souvent criante de ce
mécanisme. On croit parfois, en jouant avec eux à tel ou tel jeu
que celui-ci les intéresse. Appelés par nos activités d’adulte, nous
pensons alors pouvoir les laisser jouer seuls. Peine perdue ! Il ne
faut que quelques minutes au plus pour les entendre réclamer
notre présence à nouveau. Car au fond, pour l’enfant, aucun jeu
n’est intéressant en soi à moins que tous les jeux ne le soient… ce
qui compte, c’est l’attention que nous leur accordons ou pas à
l’occasion de ce jeu.
• Un mécanisme de confiance en soi22, par lequel on comprend
que chaque message que l’individu perçoit comme positif (le
simple regard qui ne juge pas, l’attention à ce qu’il fait, raconte
ou ressent, mais aussi les paroles d’encouragement ou de
félicitation) vient alimenter le sentiment d’être capable de
réussir. À l’inverse, on peut se souvenir que d’autre messages
(en dépit de la louable intention de l’émetteur) renforcent le
doute et abîment la confiance : pointer une erreur, souligner un
manque, mettre en lumière un point faible, tous ces messages
que contiennent nos analyses cartésiennes, certes justes, mais
potentiellement démotivantes.
• Il est à noter l’importance du timing dans lequel interviennent
ces messages : « à chaud », c’est-à-dire dans l’action ou juste
après l’action, notre sensibilité aux regards extérieurs est
particulièrement marquée. La moindre critique est facilement
ressentie comme un reproche tandis qu’un simple
encouragement nourrit grandement la confiance en soi.
• Un mécanisme d’ancrage émotionnel : la leçon apprise dans le
plaisir, via une expérience regardée, encouragée et applaudie,
s’enracine plus sûrement que les enseignements associés à
des émotions négatives. On peut évidemment très bien
apprendre de nos échecs, mais cela n’empêche pas de
constater que nous pouvons aussi beaucoup apprendre de nos
succès. Il est d’ailleurs à l’évidence plus facile pour notre
cerveau ou notre corps de reproduire ce qu’on vient de faire que
d’éviter de reproduire une erreur. Si je vous dis : « Ne pensez
pas à un éléphant rose ! », à quoi pensez-vous ?
• Un mécanisme d’induction enfin, sorte d’effet Pygmalion23 :
le simple fait de poser un regard positif sur la personne
accompagnée, de mettre par exemple en lumière une qualité ou
une réussite – quand bien même celle-là ou celle-ci n’ont pour
l’instant rien de remarquables – tend à créer une spirale positive
qui permettra peut-être de constater demain que cette qualité ou
cette réussite sont devenues exceptionnelles.

Sans nous en rendre compte, nous faisons jouer ces


mécanismes dans l’éducation de nos enfants. Lorsqu’ils se
lancent dans de premières activités, qu’il s’agisse de dessiner ou
de jouer au ballon, nous sentons naturellement le besoin de les
encourager. Et nous savons, dans ces moments-là, bloquer nos
réflexes cartésiens d’analyse de leur prestation qui nous conduirait
à des jugements justes sans doute, mais durs :
– « Ce gribouillis, tu appelles ça un dessin ? »
– « Même au PSG, ils ne voudront pas de toi si tu joues comme
ça. Le seul point commun que tu as avec Messi, c’est le tee-
shirt ! »
Sauf pathologie grave, nous optons pour une valorisation,
disons même une survalorisation du prime essai. Ces pieux
mensonges ont d’ailleurs pour effet d’amener nos enfants à croire,
pendant quelques années peut-être, qu’ils ont un talent pour le
dessin ou pour le foot… avant que nous ne jugions qu’ils ont
atteint l’âge de raison.
Dans ces quelques années, certains de ces enfants, motivés
par l’activité en question et par la croyance qu’ils y ont un talent
particulier, réussissent à en cultiver un. On pourra bien sûr dire
que ce talent est un don qui ne demandait qu’à se révéler. On peut
aussi penser qu’en réalité, l’enfant n’avait pas de plus grand
potentiel que ses petits camarades, mais juste une plus grande
croyance en ses aptitudes !
Concrètement, mettre en œuvre ce principe de valorisation,
c’est acquérir quelques réflexes (puisque valoriser n’est pas notre
point fort, soyons basiques !) :
1. Aller vers l’autre « à chaud », le plus souvent possible
Nous attendons parfois, la porte ouverte, comme disent certains
livres de management, que l’autre ait besoin de nous – ce qui en
dit long sur la persistance de la posture d’expert sachant.
Puisqu’on parle ici de reconnaissance, il s’agit plutôt d’aller vers,
pour témoigner de l’intérêt qu’on porte à la personne.
Cette démarche est d’autant plus essentielle quand celle-ci
devait affronter une situation à fort enjeu ou simplement réaliser
une action-limite, pour reprendre ce terme. De façon générale,
parce que la valorisation est un acte très opérationnel, elle doit
d’être un réflexe du quotidien : un entretien annuel ne vaut pas
valorisation.
Précisons enfin qu’il ne s’agit pas d’attendre le succès du siècle
pour valoriser ! S’il y a succès tant mieux : ce serait bien
dommage de ne pas en profiter. Mais sans doute est-il encore plus
essentiel de valoriser dans les périodes difficiles, quand au
contraire les efforts ne produisent pas les résultats attendus. C’est
dans ces heures sombres qu’il est bon d’éclairer un peu l’individu
d’un regard bienveillant et confiant !
2. S’intéresser (en vrai)
Quand le regard de l’analyste cartésien juge (ce qui a marché,
ce qui a manqué, etc.), celui du tiers qui valorise se contente
d’abord de s’intéresser à l’interlocuteur et à la façon avec laquelle
ce dernier a vécu son expérience.
Il s’agit avant tout de regarder, faire raconter, écouter, laisser
l’autre parler bien sûr, sur son ressenti, sur ses difficultés ou ses
fiertés, sur ce qu’il a fait, sur les erreurs qu’il pense avoir
commises s’il décide d’en parler.
Ce qui compte, ce n’est pas ce que je vois de mon habituel
promontoire d’expert sachant, c’est d’accepter d’aller m’asseoir
sur la chaise à côté de l’autre, pour qu’il me décrive son paysage,
de son point de vue. Comment comprendre ce que sont
réellement ses aptitudes, ses préférences, ses points forts si je
reste dans mon monde ?
3. Soutenir
Ce soutien peut revêtir deux formes complémentaires.
Des messages d’empathie d’abord, au sujet des difficultés
rencontrées. Ce n’est pas parce que l’acte de valorisation a une
tonalité positive, qu’il faut tout « positiver ». Mieux vaut se
« synchroniser » avec son interlocuteur, partager sa déception par
exemple, comprendre sa colère, ou s’inquiéter de sa fatigue, que
de nier les ressentis négatifs quand ceux-ci s’expriment. Une fois
de plus, si je m’assois à côté de lui, je peux sans doute parvenir à
comprendre et partager son point de vue et donc ses sentiments.
Des messages de félicitations ensuite, sur les points positifs.
Ces félicitations peuvent porter sur les résultats atteints, s’il y en a,
mais visent en premier lieu à mettre en lumière la manière. Car si
les résultats sont visibles, la façon d’y arriver peut l’être moins
clairement. À propos du comment, l’idée est d’éclairer non pas
tant les qualités elles-mêmes (ce qui amènerait à glisser de la
félicitation au compliment), mais d’être en mesure d’expliquer
quels actes ont produit quels effets. Dire à un joueur de tennis qu’il
a un bon coup droit est une valorisation plaisante certes, mais
assez inutile – il le voit bien tout seul ! En revanche, savoir lui
expliquer pourquoi ce coup droit passe bien, c’est précieux.
Se contenter de dire à quelqu’un : « bravo, tu es très doué, tu es
un bon vendeur, tu as un bon relationnel, etc. » peut certainement
faire du bien à son ego. Mais, s’agissant de l’aide qu’on cherche à
lui apporter sur ses points forts, ces compliments n’ont pas qu’un
intérêt limité. Plus pertinentes sont les félicitations précises et
ciblées, qui décrivent comment, dans l’action en question, les
qualités de la personne se sont traduites : « C’est intéressant de
constater qu’en posant des questions ouvertes, les gens te parlent
facilement. Tout le monde ne le fait pas. Or c’est une très bonne
pratique quand on veut s’appuyer sur son relationnel comme tu le
fais ». Aider mon interlocuteur à comprendre comment marche
son modèle de performance est le but essentiel.
4. Stop…
À ce stade, le risque est de se laisser aller au message de trop,
celui qui d’un seul coup d’un seul nous ramènerait sur la planète
cartésienne et corrective. Ce petit « tant qu’on y est… » prononcé
du bout des lèvres qui introduit une exigence de progrès, une
remarque, un conseil, une critique, indéniablement judicieuse sur
le fond, mais qui n’aurait ici pour effet que de démotiver ou
braquer mon interlocuteur.
C’est le sens de ce stop ! Je devine déjà les réactions outrées :
« il faut bien quand même qu’on lui fasse remarquer ses
erreurs ? » ou « et alors, donc, je le laisse repartir sans lui faire
prendre conscience de son point faible ? »
Je persiste : à ce stade, si celui ou celle que j’accompagne a pu
comprendre un peu mieux comment il réussit, l’entretien a atteint
son objectif.
En guise d’étape 4 donc, conclure par « bravo », « bonne
soirée », « repose-toi » suffiront amplement.
S’il le faut, nous prendrons plus tard, « à froid », un moment
pour retravailler plus en détail sur ce qui fonctionne et ce qu’il faut
améliorer. Je vais y venir.
Savoir valoriser « à chaud » puis savoir analyser « à froid »
pourrait constituer un bon résumé de la juste articulation entre
l’indispensable encouragement positif qui nourrit la confiance,
l’envie et ancre les bonnes pratiques et le traditionnel regard
rationnel qui développe la compréhension, l’intelligence et la
conscience.

Apporter la bonne analyse


Parce que davantage établi dans notre culture, l’analyse nous parait
plus naturelle. Le registre plus rationnel nous rend l’exercice un peu
plus familier sans doute. Il y a pourtant quelques points-clés à se
remettre en tête, sur le fond ou sur la forme.

■ Le bon moment
Du fait de son caractère cartésien, précis, rigoureux, exhaustif,
l’entretien de débriefing, pour utiliser l’anglicisme consacré, suppose
que les acteurs concernés, le principal intéressé et son
accompagnant, soient dans les meilleures dispositions possibles :
ouverts à un échange rationnel et dépassionné, sans perturbation
émotionnelle, ayant pu prendre du recul sur les faits et avoir peut-
être même chacun initié leur propre analyse de la situation…
C’est la raison pour laquelle, le débriefing se joue plutôt
« à froid », le lendemain par exemple de l’entretien de valorisation
réalisé lui « à chaud » juste après l’action.
C’est pourquoi aussi il est toujours préférable que ces temps de
débriefing soient annoncés à l’avance et planifiés. Même si
certaines situations critiques peuvent obliger à déclencher un
débriefing de la veille pour le lendemain, l’idéal reste de convenir
d’entretiens séquentiels. L’avantage de ces rendez-vous, fixés à
l’avance selon une fréquence adaptée au sujet, est de
systématiser la prise de recul et de bien montrer qu’elle ne dépend
pas des résultats de l’action mais bien d’un souci de progrès
permanent. Le risque sinon est de tomber dans nos travers
correctifs habituels : ne débriefer que les échecs ou les situations
difficiles… et oublier d’analyser les succès. Nous aurions alors
plus de mal à rester orientés dans l’axe points forts et finirions
sans doute par ne plus voir que les défauts de la personne. Du
point de vue du principal intéressé, on comprend aussi qu’un
débriefing imprévu, qui plus est « à chaud », aura toutes les
chances d’être vécu comme un reproche : on sait dans ce cas que
les premiers réflexes de la personne exposée à un tel débriefing,
quand bien même le contenu de l’analyse est juste, sont ceux de
la justification, de la défense, de l’excuse bien plus que ceux
recherchés de l’analyse ou de la remise en question. Lorsque le
débriefing est prévu, qu’il revêt un caractère systématique – sans
lien avec le résultat de l’action – et qu’il se tient « à froid », il
encourage une posture de responsabilité : possibilité de se
préparer, de prendre du recul, de dépasser les premières
émotions (négatives sans doute en cas d’échec, ou positives et
excessives peut-être en cas de succès : euphorie…), etc.

■ L’art du questionnement
Bien des débriefings se résument à une analyse (plus ou moins)
brillante du coach qui, de son œil extérieur et forcément bien avisé,
explique ce qu’il s’est passé, ce qui a été bien fait, ce qui pourrait
l’être différemment ou ce qui pourrait être amélioré.
Mais ce n’est pas d’avoir raison tout seul qui importe dans cet
exercice. C’est d’amener son interlocuteur à se rendre compte par
lui-même, de ce qui l’a fait échouer ou au contraire réussir.
Ce qui prime, en posture de débriefing, c’est la pertinence des
questions posées. S’il est intéressant d’avoir une analyse juste de
la situation, ce n’est pas tant pour la délivrer telle quelle, dans une
attitude de sachant qui éblouit de son intelligence (et de sa
supériorité !), que pour identifier les bonnes questions à poser à
son interlocuteur. Ces questions peuvent être des questions
d’analyse – ce qui suppose déjà une capacité de recul suffisante
de l’individu – mais il peut aussi s’agir plus basiquement de
questions descriptives, visant à lui faire décrire tel ou tel aspect de
la situation vécue :
• Qu’a-t-il ressenti à tel moment ?
• Que s’est-il dit dans l’instant où ?
• Qu’est-ce qui l’a poussé à faire ceci ou cela ?
• Quelles réactions cela a-t-il généré de la part des
protagonistes ?
• Comment a-t-il interprété ces réactions ?
• Etc.

Qui raconte se rend compte ! Le simple fait de se poser ces


questions, de revivre en quelque sorte l’action, amène peu à peu à
une analyse plus juste que la volonté d’obtenir d’entrée de jeu un
décryptage très sophistiqué de ce qu’il s’est passé.
Notons également que ces débriefings par questionnement ont
l’avantage de pouvoir être pratiqués même quand on n’a pas été
en mesure de voir l’action en question – ce qui est un cas très
fréquent.
Enfin, l’art du questionnement rend l’exercice du débriefing
accessible à toute personne quel que soit son niveau de
compétence dans l’activité concernée. Peut-être même que le fait
de ne pas être expert dans le métier est gage d’une bonne posture
en débriefing.

■ L’acceptation de la différence
Si l’expertise n’est pas toujours bonne conseillère en matière
d’accompagnement dans la logique des points forts, c’est parce
qu’elle peut conduire à croire qu’il n’existe qu’une seule façon de
réussir : celle qui m’a fait devenir expert !
Le risque est alors de concevoir le débriefing comme l’analyse
des écarts entre ce que l’individu a fait et la méthode que je tiens
comme LA seule possible.
Une fois de plus, dans ce type de posture, les situations d’échec
feront immanquablement apparaître des points faibles vite
qualifiés de rédhibitoires.
C’est ce qu’il peut arriver, à l’école, à ces enfants dits précoces,
appelés Enfants à Haut Potentiel (EHP) dans les référentiels de
l’Éducation Nationale.
Du fait de leurs facilités à apprendre et mémoriser, certains
s’ennuient rapidement : semblant « décrocher » du reste de leurs
camarades, ils chahutent ou se réfugient dans leurs pensées.
Pour les enseignants, ces comportements peuvent parfois
apparaître comme un déficit de l’attention avec hyperactivité, pour
un manque d’éducation, pour de la nonchalance ou encore de
l’insolence.
Pour d’autres de ces élèves, la précocité peut expliquer une
hétérogénéité dans les apprentissages. À côté de leurs aptitudes
naturelles supérieures à la moyenne dans certains domaines
(langage, abstraction, raisonnement), ils peuvent se trouver en
échec dans d’autres disciplines comme l’écriture : celle-ci est
illisible, irrégulière et il arrive que ces élèves aient beaucoup de
mal à investir l’écrit, un peu comme si le stylo n’arrivait pas à
suivre le rythme de leur pensée ! Là encore, ces enfants, en dépit
de leurs prédispositions, peuvent être vus comme des élèves en
difficulté.
L’Éducation Nationale connait évidemment parfaitement bien le
sujet et a mis en place différentes expériences et actions pour
aider les enseignants – et plus largement toutes les parties
prenantes – à mieux prendre en charge ces élèves, à l’instar de ce
Vademecum « Scolariser un élève à haut potentiel »24 qui
rappelle l’enjeu :
« Les caractéristiques des enfants et adolescents à haut
potentiel montrent une grande diversité de profils. Ainsi, un élève
pourra notamment avoir un haut potentiel intellectuel ou créatif.
Les besoins spécifiques des élèves à haut potentiel et leurs
différences doivent être pris en considération pour qu’ils
s’épanouissent et développent pleinement leurs potentialités. »
Réaliser de bons débriefings suppose d’intégrer la notion de
diversité des talents : chacun réussit par une voie qui lui est
propre. L’objectif de l’accompagnement, et en l’occurrence du
débriefing, est donc bien d’aider l’individu à trouver cette voie,
celle qui assure le meilleur alignement entre ce qu’il est et ce qu’il
fait.
Là encore, procéder par questionnement plutôt que livrer sa
propre analyse de la situation, est le plus sûr moyen d’incarner
cette croyance dans la différence. Il ne s’agit pas de réussir à
confirmer sa vérité, mais plutôt d’aider l’autre à découvrir la
sienne.

■ Débriefer les succès


Le débriefing, nous l’avons dit, revêt un caractère systématique.
Dans l’approche visant à développer les points forts, il est en effet
essentiel de s’appuyer sur les réussites : nous savons qu’à ne
débriefer que les échecs, nous pourrions nous laisser leurrer par la
trop évidente explication des points faibles.
Débriefer les succès, c’est décortiquer la façon avec laquelle
l’individu a réussi, pour mettre en lumière, les différents aspects
de la pyramide : basique, tactique et stratégique. Certes, un échec
peut, par effet miroir, révéler à mon interlocuteur son « modèle de
performance », mais la situation de succès le met en lumière de
façon bien plus évidente : elle apporte une preuve expérimentale
déterminante dans l’objectif d’ancrage recherché.
En outre, parce qu’elle est associée à des émotions positives,
l’analyse des réussites assure un apprentissage plus durable. Les
progrès réalisés ces dernières années par les neurosciences ont
conforté les constatations empiriques réalisées à ce sujet, comme
l’explique notamment le très brillant Idriss Aberkane dans ses
conférences ou ouvrages.25
Enfin, s’habituer à débriefer les actions réussies est la meilleure
façon d’éviter l’effet de confusion que peut générer le succès,
entre ce que je suis et ce que j’ai réussir à faire. En s’obligeant à
débriefer les réussites en détail et rigoureusement, et non
seulement à les valoriser d’un simple bravo, on aide à dissocier
l’être des actes : « je n’ai pas réussi parce que j’étais doué, génial,
talentueux, etc… ; j’ai réussi parce que j’ai fait ceci ou cela ».
Au-delà de la valeur morale de l’humilité, cela prépare l’individu
aux situations qui se présenteront. Face à un enjeu, il se
préparera soigneusement au lieu de compter sur son génie. Dans
l’action, il se concentrera pour faire le mieux possible ce qu’il sait
important de faire, plutôt que d’attendre le talent, l’inspiration ou
les sensations. En cas d’échec, il ne cherchera pas des excuses
externes ou des justifications foireuses : il assumera de ne pas
avoir été capable de faire suffisamment bien ce qu’il devait faire,
sans pour autant se sentir accablé de ce doute qui semble dire
« et si, finalement, je n’avais en réalité aucun talent ? ».
Du débriefing des succès – qui bien entendu ne dispense pas
de celui des échecs dont je parlerai juste après – émergent deux
vertus majeures :
• Confirmer par l’analyse rationnelle, le ressenti expérientiel du
« modèle de performance » : éprouver et comprendre comment
on réussit permet d’ancrer les automatismes et les préférences
tactiques.
• Contribuer à forger un rapport sain au succès, à l’enjeu, au
travail et aux échecs, dans lequel l’individu place sa juste
responsabilité : celle de faire, d’agir ou de réagir.
Ce n’est sans doute par pour rien que ce principe de débriefing
systématique est appliqué avec soin dans les univers faisant de la
recherche de la performance une priorité : l’armée et ses fameux
RETEX (RETours sur EXpérience), ou encore le sport et ses
analyses de matches systématiques.
Rafael Nadal (toujours lui !) illustre parfaitement bien ces
attitudes d’humilité et de combativité, de souci constant du progrès
et de confiance en soi. Plus que tout autre, il est animé de cette
responsabilité bien posée : ne jamais se croire génial quand on
gagne, ne jamais se croire minable quand on perd, ne jamais
chercher d’excuses, toujours chercher des solutions.
Toni Nadal, l’oncle et coach de Rafael jusqu’à ces dernières
années, livre une anecdote qui illustre cet état d’esprit qu’il a su
inculquer au champion. Rafa a alors une quinzaine d’années.
Il dispute un tournoi quelque part en Espagne, opposé aux
meilleurs joueurs de sa génération. Parti regarder les rivaux de
son neveu sur d’autres courts, Toni n’assiste pas au début de
match difficile de son protégé, contre un adversaire pourtant à sa
portée. C’est un de ses amis, croisé par hasard, qui l’alerte : « tu
devrais peut-être aller soutenir Rafael, il a l’air d’être en
difficulté ! ».
5 à 0 dans le premier set : arrivant au bord du court, Toni
découvre en effet que son neveu est largement dominé. Au-delà
du score, il constate, dans le jeu de Rafa, un nombre anormal de
fautes directes. Le son des frappes du jeune champion permet
rapidement au coach d’identifier la probable cause de cette
contre-performance : le cadre de sa raquette semble fendu, ce qui
expliquerait à la fois le son anormal de chaque coup et surtout la
difficulté à tenir les balles dans les limites du terrain. Toni fait
immédiatement passer le message à son neveu, qui attrape une
autre raquette dans son sac. Malgré ce changement, Rafa perdra
son match 6-0 / 7-5.
« Mais comment un bon joueur comme toi, aussi expérimenté,
a-t-il pu jouer plus d’un set sans te rendre compte que ta raquette
était cassée ? », lui demanda son coach à la sortie du court.
« Tu m’as tellement souvent dit que les choses dépendaient de
moi que je n’ai pas imaginé un seul instant que la raquette pouvait
me faire perdre ! », rétorqua Rafa.
Comme le dit l’expression anglaise : Losers complain,
Champions train !

■ Débriefer les échecs


Si le débriefing des succès est un point d’appui essentiel, celui des
échecs exige également un peu de méthode.
D’abord, pour des raisons psychologiques ou motivationnelles :
nous l’avons tous vécu un jour ou l’autre, l’épreuve de l’échec peut
être facteur de doute, de démotivation ou de découragement.
L’attitude du tiers dans ces moments-là, son regard et ses mots,
ont alors une importance considérable. Même si le fait d’intervenir
« à froid » – après l’étape de valorisation « à chaud » – atténue un
peu l’effet de sensibilité, celle-ci peut demeurer plus grande qu’on
ne le pense.
Disposer d’une méthode claire pour débriefer les échecs est
essentiel également pour aider l’individu à tirer de sa
mésaventure, les bons enseignements, sans risquer de dériver
dans la logique corrective. À la base de cette vision du débriefing,
il faut revenir à une notion déjà abordée lors dans la partie
consacrée à la persistance du réflexe des points faibles (voir ici) :
on n’échoue pas tant parce qu’on est faible sur ses points faibles,
on échoue souvent quand on n’est pas assez fort sur ses points
forts.
Je me souviens ainsi d’un dirigeant croisé lors d’une mission
d’accompagnement menée au sein d’une agence conseil en
communication. Cette agence avait connu des années de gloire
avant d’accumuler les revers.
Ce jour-là, confronté à un bilan comptable inquiétant, le patron,
que nous appellerons Paul, avait réuni son équipe rapprochée.
En fait de débriefing, la réunion virait à un règlement de comptes
dont le dirigeant faisait largement les frais. Manque d’intérêt pour
la gestion, manque de rigueur dans le pilotage des coûts
notamment, manque d’anticipation, manque d’organisation, etc. :
l’homme avait tous les défauts et ces insuffisances paraissaient
expliquer à elles seules tous les déboires de l’entreprise.
Un des participants, vieux compagnon de route du patron de
l’agence, ajoutait même, pour enfoncer le clou, que de toute
façon : « Tous ces constats ne sont pas nouveaux : en fait, Paul,
tu n’as jamais été capable de gérer cette boite comme il aurait
fallu le faire ! »
En voyant cette dernière carte posée sur le château en réalité
fragile de ce débriefing en reproches, plusieurs questions me
viennent pour alimenter, ou plutôt réorienter les échanges.
« Si, en effet, ces défauts tant reprochés ont toujours existé,
comment expliquer les bons résultats que l’entreprise a connus il y
a quelques années alors qu’elle était déjà dirigée par Paul ? »
« Parce qu’à l’époque, osa un des participants, c’était différent :
nous gagnions beaucoup de compétitions et donc nous avions un
tel volant d’activité que la gestion n’était pas un problème !
D’ailleurs, Paul s’en occupait sans doute encore moins
qu’aujourd’hui ! »
« C’est vrai, coupa Paul… Tout vient du fait qu’avec notre
succès d’alors l’entreprise a grandi et mon rôle a changé. Vous le
savez bien, je me suis dégagé de l’opérationnel mais comme cela
a été dit, je n’ai pas été capable d’assumer ce rôle de patron : je
suis bien conscient qu’il me faut combler toutes ces lacunes…
mais je crains malheureusement qu’il ne soit trop tard. »
Silence de mort…
« Pardon, mais pour bien comprendre, j’ai encore quelques
questions : tu dis, Paul, que ton rôle a changé du fait de cette
phase de croissance… C’était quoi ton rôle avant ? », demandai-je
au principal intéressé.
« J’étais à fond dans l’opérationnel, j’avais le feu sacré à
l’époque : je courais de prospects en clients, de campagnes en
appel d’offres. Les équipes étaient très courtes dans ces temps-là,
j’étais souvent directement impliqué, à apporter mes idées, ma
créativité, mon énergie aussi. »
« Dois-je comprendre, Paul, que tu ne fais plus tout ça ? »
« Non en effet, quasiment plus, je n’ai plus le temps… »
Nul besoin de poursuivre les échanges. La situation s’éclaire, et
la spirale infernale des points faibles apparait à nouveau,
implacable. Paul est passionné par son métier d’origine : en bon
pubard, tendance créative, il n’aime rien d’autre que s’imprégner
de l’univers des annonceurs, inventer des slogans percutants ou
des concepts marquants. À lui seul, sur son point fort, entouré des
bonnes personnes, il a d’abord « tiré » l’agence et en a fait la
réputation. Puis, lentement, il s’est décalé, obligé de partager son
temps avec d’autres activités moins motivantes pour lui.
Évidemment, les tentatives d’intégration de créatifs talentueux
n’ont pas fonctionné : même s’il n’était plus tout à fait concentré
sur le sujet en question, et en dépit de sa volonté de renforcer
l’agence sur cet aspect, il n’a jamais été prêt en réalité à lâcher
complètement cette dimension. C’est son point fort : il sait mieux
que quiconque… mais en pratique, n’a plus le temps de s’occuper
de chaque compte comme il le faisait avant.
D’ailleurs, l’effet ne tarde pas : quelques gros clients perdus,
des compètes manquées. Les signaux pourraient inquiéter mais
chacun a toujours une bonne explication. Et surtout, à côté de ces
signaux, d’autres voyants clignotent et attirent l’œil d’autant plus
qu’ils correspondent à des faiblesses déjà repérées : la gestion ne
suit pas, les décisions prises en la matière ne sont pas les
bonnes, la rentabilité baisse, et surtout Paul parait être en butée
sur ces problèmes.
Très rapidement, ceux-ci prennent le pas sur le reste, mettant
Paul au pied de l’immense écueil de ses points faibles, auquel il
aurait dû s’attaquer depuis longtemps. CQFD.
Débriefer en situation d’échec ou de difficulté est un exercice
toujours délicat tant nous pouvons rester pris dans nos habituels
raisonnements « défectologiques », consistant à faire de la
suppression des défauts apparents, le seul axe de solution.
On retrouve parfois ce biais dans les études de satisfaction
client, dont l’interprétation peut conduire au contre-sens. En
réponse à la question « que devrions-nous améliorer au produit/au
service que nous vous proposons ? », les consommateurs
dressent généralement une liste de ce qu’ils considèrent comme
des points faibles.
Jacques Horowitz, le regretté fondateur de Chateauform’ –
entreprise qui propose des lieux exclusivement dédiés à
l’organisation de séminaires ou événements d’entreprise –
expliquait, il y a maintenant plusieurs années, l’aspect
potentiellement trompeur de ces enquêtes. Très soucieux de
répondre aux attentes des entreprises et des participants, les
hôtes des différents lieux de séminaire recueillaient les feedbacks
de leurs invités après chaque réunion, au travers de leur « billet
doux ou acidulé », sorte de questionnaire de satisfaction.
Parmi les points faibles cités par les participants, revenaient
notamment l’absence de télévision dans les chambres ou encore
l’absence de baignoire – les chambres étant systématiquement
équipées de douches. Le bon sens aurait pu faire de ces points
faibles, des axes de travail, surtout dans une période difficile dans
laquelle chaque détail peut compter.
Pourtant, ce raisonnement est contestable si l’on se place du
point de vue du fondateur de l’entreprise. Comme aimait à le
rappeler Jacques Horowitz, Chateauform’ n’est pas un hôtel mais
un lieu de séminaire, dans lequel il s’agit de permettre aux
participants de passer un maximum de temps ensemble, pour
travailler ou se former certes, mais aussi pour profiter de toutes
les activités proposées, de la piscine au karaoké, du baby-foot au
bar à cocktails. Tout est inclus, à volonté, on se sert, bref on fait
« comme à la maison » (slogan de l’entreprise). C’est l’ADN du
concept, et ce qui en fait indéniablement la force par rapport à la
concurrence hôtelière traditionnelle.
C’est d’ailleurs en ce sens qu’ont été pensées les chambres : il
n’y a pas de télévision pas plus que de baignoire, parce que la
vocation de Chateauform’ n’est pas d’encourager les participants
à se retrancher dans leur chambre pour regarder un match de foot
ou macérer une heure durant dans un bain moussant !
D’ailleurs, s’ils veulent regarder PSG-OM, il y a bien sûr, dans
les différents salons librement accessibles à tous, un grand écran
qui permet d’improviser une soirée foot collective. À moins que
d’autres ne préfèrent profiter des installations du spa pour se
détendre, en compagnie de ses collègues.
Même s’il arrive que les clients interrogés pointent ces
faiblesses, investir pour les corriger serait doublement risqué.
D’abord cela demanderait un investissement lourd, à faible
rendement (avoir une télévision ou une baignoire dans la chambre
ferait-il venir plus de clients ?), qui pourrait obliger à rogner sur
d’autres budgets plus essentiels (activités ou restauration, qui sont
eux des points forts et décisifs). Ensuite parce que cela pourrait
finalement, peu à peu, dénaturer le concept même de l’offre : quid
de la promesse des moments informels partagés en équipe si,
après les réunions de travail, chacun est tenté de se réfugier dans
sa très confortable chambre ?
Le défaut, le manque ou la faiblesse, qui causent une difficulté
ou provoquent un échec ne sont pas nécessairement les reflets de
ce qui permet le succès. Les supprimer ne suffit pas à retrouver le
chemin de la réussite. Pire, ils peuvent même en éloigner. Nous
pourrions ici reprendre la métaphore déjà utilisée de mécanique
automobile : si les freins peuvent ralentir ou stopper la voiture, il
n’y a bien que le moteur qui peut la faire avancer ! L’approche
« défectologique » nous amène parfois à ne voir que ce qui freine
en oubliant de vérifier le bon fonctionnement du moteur.
En miroir de cette approche, Michel Lobrot, pédopsychologue,
spécialiste des questions d’apprentissage et de pédagogie prône
ce qu’il appelle l’approche « perfectologique », consistant à partir
des conditions de succès.
« Les facteurs qui expliquent l’absence de quelque chose ne
sont pas les mêmes qui expliquent la présence de cette chose.
Cette remarque capitale s’applique par exemple à la théorie de la
“sélection naturelle” de Darwin, qui explique parfaitement pourquoi
des espèces ont disparu mais non pas pourquoi elles sont
apparues. Une espèce n’existe pas seulement parce qu’elle n’a
pas disparu, même si sa non-disparition est une condition de son
existence. Il existe des processus spécifiques qui font apparaitre
et naitre les choses, y compris les organes qui leur permettent de
se défendre. Ce sont ces processus qu’il faut découvrir […]. Je
propose d’appeler perfectologie la méthode complétement inverse
à la méthode traditionnelle. Cette méthode consiste à essayer
d’expliquer pourquoi les sujets qui réussissent dans les
apprentissages, précisément réussissent. »26
Ainsi, débriefer l’échec implique d’avoir en tête ce qui,
habituellement, constitue le « moteur » de l’individu, son modèle
de performance pour reprendre cette expression, pour rechercher,
en premier lieu, d’éventuels écarts entre ce qui a été mis en
œuvre par l’individu dans la situation ayant mené à l’échec et son
mode d’action préférentiel.
En cas d’écart avéré, la recherche pourra se poursuivre autour
des questions suivantes :
• Qu’est-ce qui l’a empêché de jouer sur ses points forts ?
• Comment se recentrer ?
• S’il avait pu jouer sur ses qualités, que ce serait-il passé ?
• Etc.

S’il n’y a pas d’écart, la réflexion devra se porter sur les


interrogations qui suivent :
• Qu’est-ce qui explique que les points forts habituellement
efficaces n’aient manifestement pas donné les résultats
escomptés ici ?
• Faut-il les travailler mieux ? différemment ? dans l’absolu ou
seulement au regard de ce type de situation ?
• Dans ce type de situation, de quelle qualité faudrait-il disposer ?
et quels réflexes basiques, de ce fait, devons-nous construire ?
• Etc.

Reviennent ici les notions déjà évoquées au travers du schéma


de la pyramide : s’agit-il d’un problème d’alignement tactique
(invitant à se recentrer sur le plan d’action préférentiel) ou ce
débriefing met-il en exergue une situation-limite (qui oblige à
acquérir des réflexes basiques) ?
Qu’il s’agisse d’orienter le travail d’expérimentation, de valoriser
et encourager les efforts ou encore de débriefer les actions,
l’assistance que l’on apporte à l’individu misant sur ses qualités,
est essentielle. Elle vaut à la fois pour son caractère opérationnel,
consistant à l’aider à ancrer ses façons de faire, à trouver ses
préférences et les exploiter le mieux possible, en toute situation.
Elle compte aussi par sa dimension psychologique et
motivationnelle, indispensable dans les périodes d’échec, de
difficulté ou de doute, comme à l’inverse dans les moments parfois
euphorisant du succès.
La dernière conquête
Miser sur ses points forts, c’est finalement compter sur ses propres
ressources qu’il nous arrive de méconnaître, ou peut-être
simplement de ne pas suffisamment bien exploiter, à force d’être
réduits parfois à nos manques ou à nos défauts.
Ainsi définis par nos insuffisances ou nos faiblesses, il nous arrive
de croire que le progrès implique une conquête hors de soi : réussir
à aller chercher des ressources que nous ne possédons pas,
acquérir des qualités que nous n’avons pas. Nous nous prenons
alors à rêver de changer, à envier ces talents dont brillent les autres,
à vouloir devenir différents…
Miser sur ses points forts, c’est prendre conscience de la richesse
de ce que nous possédons. C’est entreprendre d’abord la conquête
de soi, découvrir ses aptitudes que d’autres n’ont pas, apprendre à
créer les situations dans lesquelles elles trouveront le mieux à
s’exprimer, continuer toujours à les développer.
En ce sens, se dessinent bien deux chemins : celui consistant à
travailler nos points faibles, celui privilégiant donc l’utilisation et le
renforcement de nos points forts.
À ce propos fait souvent écho la même croyance : ces deux
chemins, parce qu’opposés l’un à l’autre, mèneraient à des
destinations différentes ! Celui des points faibles, plus difficile certes,
aboutirait à devenir meilleur, plus complet, parfait même, si l’on osait
rêver. Celui des points forts serait plus facile, mais ne conduirait qu’à
une sorte de réussite individualiste synonyme de
renoncement confortable et moralement contestable : repli sur soi,
égocentrisme, défauts persistants…
En réalité, si le chemin diffère, la destination reste la même. Miser
sur ses ressources propres ne signifie pas renoncer à devenir
meilleur. C’est même le plus sûr moyen d’y parvenir !

La confusion objectif/moyens
Nos raisonnements, parfois un peu rapides, nous amènent souvent
à confondre objectif et moyens, en croyant que le but visé indique
nécessairement le moyen à mettre en œuvre, comme si le seul
chemin possible était toujours la ligne droite.
En l’occurrence, dans ce débat entre points forts et points
faibles, on peut croire qu’il faut, pour devenir meilleur, s’attaquer à
ces défauts qui nous empêchent de l’être.
Comme dans beaucoup de situations, la meilleure stratégie
n’est bien entendu pas la plus évidente ni la plus directe !
Négocier, motiver, communiquer, vendre sont autant d’activités
qui peuvent facilement illustrer cette logique.
Si l’on veut par exemple rassurer une personne inquiète, nous
savons bien qu’il faudra trouver mieux que le naïf et direct
« Rassure-toi », finalement plus inquiétant qu’autre chose !
Comme je l’évoquais précédemment dans la partie consacrée
au débriefing des échecs, l’approche « perfectologique » doit
primer la « défectologique » : ce qui compte est de comprendre ce
qui permet à un individu de prendre confiance, bien plus que de
chercher à lutter frontalement contre son sentiment d’inquiétude.
Ce que j’ai voulu partager dans ce livre, c’est bien ce que nous
apprennent les observations, les recherches, les études sur les
gens qui réussissent. Leur stratégie suit la même ligne et met en
exergue les mêmes facteurs-clés de succès : maximiser ses
ressources personnelles pour alimenter confiance, motivation et
progrès.

Effet collatéral
Partir de ses qualités revient donc à ne pas commencer par
s’attaquer à la correction des défauts.
Mais, en réalité, comme je l’ai indiqué en déclinant la pyramide
du modèle de performance, la stratégie des points forts ne peut
totalement les ignorer : privilégier résolument nos préférences
tactiques (principe des 20/80) n’évite jamais de devoir se
confronter aux situations-limites qui nous confrontent à nos
manques ou nos faiblesses. On sait que dans ces cas-là, la
motivation et la confiance accumulées au travers des actions
préférentielles s’avèreront précieuses pour soutenir les efforts
nécessaires. Ceux-ci devront être les plus basiques possibles
(mise en œuvre de gestes simples, facilement jouables, plutôt que
recherche d’acquisition de qualités que par définition nous n’avons
pas).
Il y a bien peu de chances que ces situations-limites deviennent
des points d’appui ou des zones d’aisance. Ce n’est d’ailleurs pas
le but : l’enjeu, rappelons-le, est d’assurer, quand nous y sommes
confrontés, le minimum syndical.
Il arrive pourtant qu’en empruntant cette voie, nous puissions
finalement aller plus loin que ce socle de base.
En acceptant de se livrer à l’entraînement basique que suppose
l’ancrage des bons réflexes, nous pouvons trouver une efficacité
dans l’action à laquelle nous ne nous attendions pas, loin des a
priori peu à peu consolidés par tous ces messages reçus sur nos
prétendues faiblesses : nous pensions que nous n’étions pas faits
pour ça – et de fait, nous n’avons pas les aptitudes naturelles
adéquates – mais nous découvrons qu’avec un peu de méthode et
de travail, nous pouvons quand même réussir honorablement.
Comme le suggèrent les travaux du psychologue Maurice
Reuchlin27, sur les processus vicariants, face à la même situation,
chaque individu met en œuvre des modes de fonctionnement
différents. En fonction de ses aptitudes naturelles, de ce qui lui est
le plus spontané, le plus facile, le plus accessible, il consolidera
des conduites préférentielles.
En reprenant ce terme de vicariance28, Reuchlin a montré qu’un
individu était néanmoins capable d’adapter son mode de
fonctionnement en fonction des situations : le coût cognitif est plus
important (effort, temps, anticipation d’une plus grande probabilité
d’échec) et l’efficacité moindre.
Par exemple un individu qui a des difficultés de rappel direct
d’un nom, d’une date, etc. tend à développer des activités de
recherche dans lesquelles il passe en revue une série de
souvenirs qu’il sait être associés à celui qu’il cherche, puis, si
celui-ci se présente, il le reconnaît comme correct.
À côté de l’idée habituelle qui peut laisser penser que de la
présence d’une aptitude découle ensuite le bon savoir-faire – et
qui nourrit donc la croyance qu’il faut développer les qualités que
nous n’avons pas pour réussir à faire ce qu’on ne sait pas faire –
se pose une autre logique : celle-ci part du basique pour aller au
stratégique. C’est en forçant le geste, en le répétant, en créant les
réflexes que l’on finit par, en quelque sorte, forger l’aptitude
manquante ou seulement à en apprivoiser le manque.
Nombreuses sont ainsi les personnalités publiques ayant révélé
la timidité, pour certains presque maladives, malgré laquelle ils ont
pourtant réussi à maîtriser l’exercice de prise de parole en public.
C’est le cas notamment de l’avocat et académicien Jean-Denis
Bredin qui raconte :
« Plaider fut toujours pour moi un exercice difficile. Ce juge qui
m’écoute, est-ce que je ne l’ennuie pas ? J’ai toute ma vie envié
ceux qui ne connaissent pas cette angoisse. Dans ma génération,
dans la société où je vivais, tout était fait pour que l’enfant
devienne timide. « Tais-toi ou dis quelque chose de meilleur que le
silence », me répétait-on. Parler était audacieux, il fallait travailler.
À la faculté, j’ai eu d’admirables professeurs, donc je suis devenu
professeur de droit […] La timidité s’efface, mais on ne s’habitue
pas. Elle a aussi bien des avantages. Le timide ne cesse de
parfaire son argumentation, sa réfutation, tandis que l’extraverti
est tenté de faire confiance à son talent. »29
Réaliser que nous sommes capables finalement d’apprivoiser
ces situations-limites, crée une satisfaction d’autant plus forte que
la conscience du défaut est grande. Le fait qu’il nous ait été autant
reproché, le fait d’avoir tant rêvé de posséder cette qualité
manquante, décuple la fierté de ces petits succès, et peut susciter
une motivation forte à pousser plus loin l’exploration, comme s’il y
avait une revanche à prendre.
Mais, même dans ce cas, la mécanique reste la même : elle
consiste à trouver le point fort, la qualité d’appui, le moteur qui
fournit l’énergie, la confiance, la motivation et qui permet d’aborder
ces situations-limites, certes techniquement maîtrisées mais
toujours stressantes.
« J’y vais mais j’ai peur », disait Nathalie, le personnage joué
par Josiane Balasko dans les Bronzés font du ski. C’est un peu le
ressenti que l’on peut avoir quand, malgré des années de
pratique, on continue à redouter certaines situations nous mettant
face à nos manques.
C’est, en substance, ce que me confiait, il y a quelque temps un
grand patron, souvent appelé à s’exprimer en public. Il confessait
ressentir, à chaque fois, un trac immense, le corps qui tremble
comme une feuille, le cœur qui bat, les mains moites, l’envie
de fuir… Pourtant, concentré sur la technique, il savait donner le
change : la voix parfaitement assurée, le débit maîtrisé, le rythme
bien en place. Mais il ajoutait que la condition, pour réussir cet
exercice à contre-emploi, était d’avoir travaillé le contenu du
discours avec une attention particulière, jusqu’à sentir une vraie
force de conviction dans chacune des idées développées.
Si la stratégie des points forts invite donc d’abord à une
conquête de soi, ou peut-être faudrait-il dire à une reconquête des
qualités ombrées par la mise en lumière des points faibles, elle
vise bien in fine à agrandir le terrain de jeu. En partant de ce que
nous sommes, elle dispose ensuite à l’exploration de nouveaux
territoires plus éloignés : ceux que nos défauts nous rendent
difficilement accessibles.
Affronter nos points faibles, tenter de maîtriser les situations
dans lesquels ceux-ci nous limitent, n’est pas la première bataille
à mener : c’est la dernière conquête d’une campagne menée
d’abord en s’appuyant sur nos forces.
Conclusion
« Ne vous demandez pas de quoi le monde a besoin.
Cherchez ce qui vous fait vibrer et faites-le.
Parce que ce dont le monde a besoin, c’est de personnes qui vibrent
avec la vie. »
Howard Thurman

Au moment d’écrire ces dernières lignes, en cette fin de


janvier 2021 un peu (beaucoup !) morose, au milieu d’un monde
durement ébranlé par le virus SARS-COV-2, les Français se
préparent à encaisser l’annonce d’une troisième période de
confinement. Partagés entre l’espoir suscité par la campagne de
vaccination et la lassitude des privations à répétition, entre l’envie
de retrouver le plaisir d’être ensemble et le souhait de préserver
sa santé ou celle de ses proches, chacun se résigne à passer
de nouvelles semaines éprouvantes.
Ce débat entre points faibles et points forts semble bien
dérisoire quand nous en sommes réduits à (sur)vivre au jour le
jour. Les questions de développement personnel sont un luxe
dans un tel contexte de crise. D’autant que cet adjectif –
personnel – évoque furieusement l’esprit individualiste et égoïste
qui parait sous-tendre l’objectif du dit développement. Ce mot si
souvent utilisé de force n’est-il pas d’ailleurs la preuve que la
démarche portée par ce livre, vient continuer d’alimenter le règne
des plus forts ?
En grand idéaliste – c’est mon point fort ! – je veux croire au
contraire que le développement des points forts est justement bien
moins égocentré que ne l’est l’approche corrective : celui qui
s’obstine à lutter contre ses points faibles est tellement préoccupé
par ses problèmes qu’il n’a ni le temps ni l’énergie pour se mettre
en projet.
C’est bien là toute la valeur que me semble créer la dynamique
des forces : celle-ci n’est pas une stratégie de domination où il
s’agirait de performer pour écraser, elle s’inscrit dans une
aspiration de contribution, par laquelle ceux qui trouvent leur voie
deviennent spontanément désireux non pas d’user de leur
excellence pour asservir mais au contraire pour servir. Valoriser
l’individualité ne renforce pas l’individualisme, mais libère et
encourage le désir d’être utile aux autres.
Le point fort est au cœur de la notion de sens : je ne me sens
bien que si j’ai trouvé ce que je peux apporter au monde. Aussi
cette quête de sens, qui semble préoccuper beaucoup d’entre
nous en ces heures sombres, doit-elle plutôt nous conduire non
pas à attendre que l’environnement nous le donne, mais bien
plutôt nous amener à aller le chercher là où il est : dans nos
qualités sous-estimées, dans l’usage que l’on sait en faire, dans la
mission qu’elles indiquent, dans ce que parfois on appelle la
vocation.
« Il y a une vitalité, une force de vie, une accélération qui se traduit
à travers l’action, et parce que vous ne ressemblez à aucune autre
personne dans l’éternité des temps, cette expression est unique.
Si vous la bloquez, elle ne s’exprimera jamais plus. Elle sera perdue.
Le monde ne l’aura pas.
Ne vous préoccupez pas de savoir si elle est bonne, ce qu’elle vaut, ni
de la comparer aux autres expressions.
Ce qui importe, c’est de vous l’approprier clairement et pleinement, de
rester ouvert et conscient des élans qui vous motivent.
Gardez cette voie ouverte. »
Martha Graham Extrait de Martha : The Life and Work de Martha Graham, par
Agnes de Mille (Knopf, 1992)
Annexes :
outils et questionnaires

Bourse aux qualités


Il existe plusieurs types de référentiels de qualités. Il serait impossible de les faire tous figurer ici, mais
en voici 2 exemples pouvant vous aider à identifier vos forces.
La note va de 0 (ce n’est pas du tout moi) à 5 (c’est tout à fait moi).

Exemple 1

Domaine Qualité Note entre 0 et 5

Loyal

Solidaire

Rassurant

Esprit d’Équipe, relation aux autres (écoute, coopération,


Bienveillant
serviabilité…)

Protecteur

Patient

Attentif

Convivial

Intuitif

Charmeur

Relation au monde extérieur (énergie, enthousiasme, motivation…) Boute-en-train

Optimiste

Leader

Convaincant

Ouverture au monde (des idées, de l’innovation, de l’abstraction, Curieux


de la stratégie, des changements, prendre des initiatives…)

Combatif

Téméraire

Assuré

Prudent

Audacieux

Novateur
Synthétique

Sens du détail

Persévérant

Conscience professionnelle (se montrer rationnel, planificateur,


Méticuleux
méticuleux, persévérant…)

Logique

Méthodique

Structuré

Serein

Empathique

Calme

Stabilité émotionnelle (optimisme, gestion des échecs, gestion du


Optimiste
stress…)

Diplomate

Prévisible

Maîtrisé

Exemple 2

Ce référentiel reprend la classification de VIA Institute on Character. L’auto-évaluation est accessible gratuitement sur le site viacharacter.org.

Note
Vertus Forces de caractère
(0 à 5)

1 Créativité, ingéniosité et originalité

2 Curiosité et intérêt accordé au monde

Discernement, pensée critique et ouverture


Sagesse 3
d’esprit

4 Amour de l’étude, de l’apprentissage

5 Perspective

6 Courage et vaillance

7 Assiduité, application et persévérance


Courage
8 Honnêteté, intégrité et sincérité

9 Joie de vire, enthousiasme, vigueur et énergie

Humanité 10 Capacité d’aimé et d’être aimé(e)

11 Gentillesse et générosité
12 Intelligence sociale

13 Citoyenneté, travail d’équipe et fidélité

Justice 14 Impartialité, équité et justice

15 Leadership (capacité à diriger)

16 Pardon

17 Modestie et humilité
Tempérance
18 Précaution, prudence et discrétion

19 Maîtrise de soi et autorégulation

20 Reconnaissance de la beauté et de l’excellence

21 Gratitude

Transcendance 22 Espoir, optimisme et anticipation du futur

23 Humour et enjouement

24 Spiritualité, religiosité, but dans la vie et foi

Effeuillez l’artichaut
Répondez aux questions suivantes, en vous aidant si besoin de la bourse des qualités, et commencez à
cerner vos points forts essentiels :
1. Dans le contexte professionnel, quels sont les domaines/missions dans lesquels vous vous sentez
le plus à l’aise ?
..................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
...................................................................................................
• Que ressentez-vous quand vous œuvrez dans ces domaines-là ?

..................................................................................................................................................................
....................................................................................................................
• Quelles sont les qualités que l’on vous reconnait ?

..................................................................................................................................................................
....................................................................................................................
• Sur quelles forces vous appuyez-vous pour faire bien votre travail ?

..................................................................................................................................................................
....................................................................................................................
2. Hors contexte professionnel, quelles activités aimez-vous le plus pratiquer ?
..................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
...................................................................................................
• Que vous apportent-elles lorsque vous les pratiquez ?
..................................................................................................................................................................
.................................................
• Quelles sont les ressources personnelles auxquelles ces activités font appel ?

..................................................................................................................................................................
....................................................................................................................
3. En prenant du recul, et à partir des réponses apportées aux questions précédentes, essayez de
trouver des points communs dans les qualités que vous utilisez dans vos activités professionnelles et
personnelles :
..................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
...................................................................................................

Souvenirs d’éléphanteau
Installez-vous confortablement, fermez les yeux et faites appel à votre mémoire. Prenez conscience des
pieux qui ont empêché l’éléphanteau d’avancer.
1. Quels défauts vous reprochait-on d’avoir quand vous étiez enfant ?
..................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
.......................................
2. Pouvez-vous vous rappeler les mots qu’employaient vos parents, enseignants ou autres, à ce
propos ?
..................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
.......................................
3. Ces messages ont-ils influencé...
• Votre personnalité ?

..................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
............
• Votre confiance en vous ?

..................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
............
• Vos choix d’étude ou vos orientations professionnelles ou de vie ?

..................................................................................................................................................................
..................................................................................................................................
4. En quoi ces messages continuent-ils de vous influencer ?
..................................................................................................................................................................
......................................................................................................................................................................
...................................................................................................
Tiers privilégiés
Prenez quelques instants pour penser aux personnes qui, dans votre parcours personnel ou
professionnel, vous ont le plus marqué. Prenez conscience des qualités qu’ils vous ont aidé à révéler ou
à travailler.

Vos tiers
Qui sont-ils ? Quelles qualités ont-ils souvent valoris
privilégiés

TP « primaires »
Influence +++
........................................................................................ ........................................................................
(parents
« nourriciers » ........................................................................................ ........................................................................
présents durant
l’enfance)

TP
« secondaires »
Influence ++

(présents pendant ........................................................................................ ........................................................................


la période ........................................................................................ ........................................................................
éducative
ou le début de
votre carrière
professionnelle)

TP « tertiaires »
Influence + ....................................................................................... ........................................................................
........................................................................................ ........................................................................
(conjoint, enfants)

TP
« quaternaires »
Influence faible ........................................................................................ ........................................................................
(croisés pendant ........................................................................................ ........................................................................
une phase de vie :
amis, collègues,...)

À noter :
Certaines personnes peuvent être pour vous des tiers privilégiés : ils comptent pour vous au point
que vous cherchez à obtenir le plus de reconnaissance possible de leur part.
• Il se peut que ceux-ci vous la donnent, sous une forme positive : la valorisation des qualités
indiquée dans la dernière colonne. Ces messages positifs auront pour effet d’ancrer ces
qualités en vous et de renforcer votre niveau de confiance en vous.
• Il se peut aussi que ceux-ci vous accordent de l’attention, mais de façon négative, en passant
plus de temps à vous reprocher vos erreurs, vos échecs, vos limites ou vos points faibles,
générant alors plus de doute et de peur que de confiance (syndrome de l’éléphant).
• Il se peut enfin que ces tiers privilégiés ignorent votre besoin de reconnaissance et ne vous
accordent que peu d’attention, créant là aussi un sentiment d’abandon et d’angoisse
compensé le cas échéant par une motivation « revancharde » forte (obtenir leur attention à
tout prix).

Au-delà des différentes lignes, il est intéressant de repérer également la cohérence entre les qualités
valorisées par les TP (qualités fortement ancrées) ou au contraire, les éventuelles discordances
(qualités contradictoires, valorisées par l’un mais pas par l’autre, qui tendent à forger une personnalité
équilibrée, cherchant à investir le plus de qualités possibles pour « mériter » le regard de tous ses TP).
NB. : il va de soi que ces quelques lignes ne suffisent à rendre compte de la complexité des
mécanismes liés à nos liens avec ces tiers privilégiés, et encore moins de ceux qui régissent la
constitution d’une personnalité. Ils sont donnés ici à titre de repères indicatifs et doivent donner lieu à un
travail plus approfondi que ne l’est ce simple tableau.

« Toumeuche » (Too much)


Entourez d’abord, dans la liste ci-dessous, les traits de personnalité dans lesquels vous vous
reconnaissez (ou complétez la liste en y ajoutant les qualités manquantes).
Puis, demandez-vous s’il peut vous arriver d’être « toumeuche » (too much = trop) parfois, et si vous
pensez que c’est le cas, essayez de préciser la ou les situations dans lesquelles vous l’êtes.

Dérive
Trait de personnalité Situations
« toumeuche »

Affectueux Etouffant

Aidant Envahissant

Audacieux Irresponsable

Autonome Incontrôlable

Calme Apathique

Chaleureux Familier

Lucide Anxieux

Confiant Crédule

Courageux Inconscient

Créatif Désorganisé

Curieux Indiscret

Déterminé Borné

Discret Absent

Discipliné Ennuyeux

Drôle Désinvolte

Energique Epuisant

Engagé Dispersé

Enthousiaste Illuminé

Fier Prétentieux

Franc Agressif
Gentil Faible

Généreux Gênant

Humble Effacé

Impertinent Méchant

Indépendant Indifférent

Minutieux Perfectionniste

Optimiste Naïf

Patient Attentiste

Persévérant Têtu

Poli Obséquieux

Prudent Angoissé

Original Marginal

Sérieux Froid

Spontané Inconsistant

Sensible Impressionnable

Vigilant Anxieux

Auto-diagnostic de votre niveau d’énergie (spirale de confiance/spirale


de doute)
À l’instant T, notre niveau d’énergie dépend du différentiel existant entre la confiance en soi et le doute
sur soi (bilan doute/confiance). Il varie chaque jour dans notre confrontation à l’environnement : les
succès, les échecs, les activités dans lesquelles nous sommes à l’aise, celles dans lesquelles nous
sommes en difficulté, le regard des autres, etc. viennent accroître la confiance ou au contraire renforcer
le doute.
Mais parce que ce niveau d’énergie modifie notre façon d’agir et d’interagir, induisant alors ce que
nous renvoie l’environnement, peut s’établir un phénomène de spirale, soit positive (la confiance fait le
progrès, qui nourrit la motivation, qui favorise le succès, lequel nourrit la confiance, etc.), soit négative
(le doute crée l’erreur, qui génère du stress, lequel provoque l’échec qui confirme le doute, etc.).
Il est alors intéressant d’identifier les différents signaux pouvant renseigner sur le niveau d’énergie à
l’instant T, et pouvoir favoriser la bonne spirale et bloquer la mauvaise (partie 1).
Puis, dans un second temps, de faire le point sur ce qui vous apporte/coûte de l’énergie, de façon à
pouvoir prendre les bonnes décisions (partie 2).
NB. : Ce questionnaire ne donne aucun élément sur la personnalité. Il est construit sur les
comportements les plus souvent observés au regard du niveau d’énergie d’une personne à l’instant T. Il
ne présume pas, de ce fait, non plus, de l’évolution du niveau d’énergie de l’individu dans le futur.
Partie 1

Spontanément vous sentez-vous en accord avec ces Non Oui, très


C’est rare Oui, souvent
affirmations… jamais souvent

Je me sens capable de déplacer des montagnes ▲ ■ ● ◆

Je me dis souvent qu’il faudrait que je sorte, mais j’ai


▲ ◆ ■ ●
la flemme de ressortir

Je trouve que les journées sont trop courtes ▲ ■ ● ◆

Il m’arrive souvent de rentrer épuisé. e le soir et de


◆ ■ ● ▲
m’endormir sans même avoir diné

Je me trouve nul. le ◆ ■ ● ▲

J’attends les week-ends avec impatience ◆ ▲ ■ ●

Face aux épreuves, j’ai envie d’abandonner ◆ ■ ● ▲

Je sais analyser mes échecs ■ ▲ ● ◆

Je n’aime pas les gens insouciants ◆ ● ▲ ■

La météo influence mon humeur du jour ◆ ■ ▲ ●

J’aime l’imprévu et la surprise ▲ ■ ● ◆

Je crois que ce que je pense n’intéresse pas les


◆ ● ■ ▲
autres

Les gens qui veulent m’apprendre des choses


◆ ▲ ● ■
m’énervent

Je pense qu’il ne faut rien prendre à la légère : la vie


◆ ■ ▲ ●
demande du sérieux

J’ai plusieurs projets en cours ▲ ■ ● ◆

Je crois qu’il faut se battre pour réussir ▲ ◆ ● ■

Je trouve le changement plutôt stimulant ▲ ■ ● ◆

Je trouve que les autres ont la critique facile ▲ ◆ ■ ●

Je sors le soir après les journées de travail ▲ ■ ● ◆

Je trouve la vie plutôt pesante ◆ ● ■ ▲

Je trouve agréable de rester dans sa zone de confort ▲ ◆ ■ ●

Je m’enrichis à écouter les autres ■ ▲ ● ◆

Je me débats avec les problèmes causés par les


▲ ◆ ● ■
autres

Je crois que le destin réserve de mauvaises


◆ ■ ● ▲
surprises : il faut l’accepter !

Je maudis les météorologues incapables de prévoir


◆ ● ▲ ■
le temps qu’il fera demain

J’aime la stabilité : les changements incessants me


◆ ■ ▲ ●
fatiguent

Je râle le soir contre ces émissions de télé ineptes,


◆ ● ▲ ■
mais je les regarde quand même !

J’ai des projets souvent trop ambitieux auxquels je ▲ ◆ ■ ●


suis obligé de renoncer

Je ne pense pas être chanceux. se ◆ ● ■ ▲

Je crois que je ne cesserai jamais d’apprendre ▲ ■ ● ◆

J’ai beaucoup de mal à tolérer les erreurs des autres ▲ ◆ ● ■

Je touche du bois : ça porte chance ! ■ ◆ ▲ ●

Je cumule les échecs ◆ ● ■ ▲

Je n’aime pas trop que mon programme soit


▲ ◆ ■ ●
bousculé

Je suis agacé. e par les défauts des autres ▲ ◆ ● ■

Quand il fait froid, j’ai envie de rester au fond de mon


◆ ■ ● ▲
lit

Je trouve que c’était mieux avant ◆ ● ▲ ■

J’ai du mal à renoncer : j’aime finir ce que je


▲ ● ■ ◆
commence

Je me méfie de ce que disent les gens ▲ ◆ ■ ●

Je ne sais pas quel temps il a fait aujourd’hui… ▲ ■ ● ◆

Je me bats contre les gens qui ne savent pas


s’organiser et qui font toujours tout au dernier ▲ ◆ ● ■
moment

J’aime qu’on me rappelle mes qualités ▲ ■ ◆ ●

Je pense que meilleur moment de la journée, c’est


◆ ● ■ ▲
quand on se couche !

Je reconnais facilement mes erreurs et j’apprécie


■ ▲ ● ◆
d’ailleurs qu’on me les fasse remarquer

Je suis à l’origine de mes nombreux problèmes : je


◆ ■ ● ▲
pense que je fais tout à l’envers !

Je trouve que les gens sont rarement lucides sur


▲ ◆ ● ■
leurs échecs

Je suis fatigué. e de devoir lutter contre ceux qui


▲ ◆ ● ■
m’empêchent d’avancer

Je me sens de plus en plus décalé. e dans ce monde


◆ ● ■ ▲
qui change

Je renonce quand je vois que c’est difficile ◆ ■ ▲ ●

Je me retrouve débordé. e par le temps à cause des


▲ ◆ ● ■
autres

Je trouve que les gens peuvent être stupides ▲ ◆ ● ■

Je me sens moins compétent. e que la plupart des


◆ ■ ● ▲
gens

Je pense que ça va bien se passer ▲ ■ ● ◆

J’ai tendance à commettre beaucoup d’erreurs ■ ◆ ● ▲

Je considère que les échecs sont le fait d’une co-


▲ ◆ ■ ●
responsabilité

J’ai l’impression de m’amuser : la vie est un jeu ▲ ■ ● ◆



Indiquez ici le nombre de…

■ Grille d’analyse
Vous avez une majorité de ◆
Vous êtes manifestement dans une période de forme. Votre excellent niveau d’énergie vous permet de
voir la vie du bon côté. En dynamique de progrès et de projet, vous tracez votre route, sans prêter trop
d’attention à ce (ou à ceux) qui pourraient vous freiner.
Pour autant, confiants en vous, mais sans rien à prouver, vous entretenez des rapports sains avec
les autres, en étant très attentifs à eux d’une part et très ouverts à l’aide qu’ils peuvent vous apporter
et à la coopération en général.
Lucide, détendu, curieux, vous abordez le quotidien avec calme et recul, en profitant de chaque
occasion de plaisir qui se présente. Toujours proactif, vous allez au-devant des choses et des gens,
évitant ainsi de subir les événements.
L’environnement vous le rend : on loue vos qualités, on apprécie votre compagnie et votre
enthousiasme, on remarque vos succès, etc. et chaque jour vient alimenter la spirale de succès.
Vous avez une majorité de ●
Disposant d’un niveau d’énergie juste suffisant pour vos besoins d’interaction du quotidien, il vous arrive
de ressentir certains jours un peu de stress et de fatigue. Sensible à l’environnement, vous préférez
l’habitude, l’équilibre, la maîtrise et tentez d’éviter les situations impliquant changement, remise en
cause, prise de risque.
Encouragé par les autres, quand vous avez la possibilité de mettre en œuvre vos qualités, vous
êtes capable de fournir un travail conséquent mais vous supportez mal la critique et craignez d’être
pris en défaut, ce qui peut parfois vous amener à vous justifier plutôt qu’à chercher le progrès.
Souvent méfiant à l’égard du monde extérieur, il peut vous arriver de vous fermer, au risque de ne
pas recevoir en retour les signes de reconnaissance que vous espérez.
Efforcez-vous de rester acteurs pour éviter de subir. Soyez notamment attentif à cultiver vos forces,
en trouvant les moyens de vous engager sans retenue sur les terrains qui vous sont favorables.
Vous avez une majorité de ■
Plus en doute qu’en confiance, vous semblez être en déficit d’énergie : vous vous sentez souvent
stressé, menacé, parfois comme agressé par le monde qui vous entoure.
Il peut vous arriver de rêver de fuir, de changer de vie par exemple. Mais, rattrapé par la réalité,
vous luttez avec courage contre votre environnement et contre tous ces problèmes qui semblent se
multiplier.
Cela vous prend d’ailleurs beaucoup d’énergie, au risque de vous amener dans une spirale
négative. Irritable, râleur, souvent en opposition, vous pouvez contribuer à générer des relations
difficiles autour de vous, vous attirant reproches, alimentant des polémiques voire des conflits eux
aussi coûteux en énergie. Dans cet état, vous avez tendance à rejeter la responsabilité de ce qui
survient sur les autres, vous posant parfois en position de victime.
Pour éviter de vous épuiser, et inverser la spirale, essayez de vous recentrer sur vos points forts :
ceux-ci vous permettront de montrer au monde vos capacités et de retrouver un peu de confiance.
Appliquez-vous à recréer des situations qui vous sont favorables et à en tirer plaisir et fierté. Certains
des problèmes contre lesquels vous vous battez peuvent attendre : demandez-vous si leur
suppression vous apporterait vraiment le bonheur, ou celui-ci n’est pas plutôt à chercher dans des
projets qui vous tiennent à cœur.
Vous avez une majorité de ▲
Vos batteries sont manifestement déchargées. À court d’énergie et empli de doutes, vous appréhendez
chaque jour avec un sentiment d’angoisse persistant et envahissant.
Il vous est difficile d’ailleurs de tenir le coup, ce qui vous oblige parfois à renoncer ou abandonner
certaines actions, volontairement ou involontairement – quand le corps notamment vous lâche –
ce qui n’est pas de nature à vous redonner confiance, bien au contraire.
Ne vous sentant pas à la hauteur, obnubilé par vos soi-disant défauts, vous avez tendance à vous
replier sur vous-même, fuyant les échanges et le regard des autres : vous craignez d’entendre leurs
critiques sans toutefois les croire s’ils vous valorisaient !
C’est pourtant eux qui pourraient vous aider. Renouez le contact, acceptez de leur parler et de les
écouter, prenez la main qu’ils vous tendront. Retrouvez le fil de vos envies, de vos passions, de vos
qualités et demandez-leur de vous aider à le tirer. Vos richesses n’ont pas disparu : elles sont
seulement enfouies et ne demandent qu’à s’exprimer.

Partie 2
Dans cette seconde partie, une fois évalué votre niveau d’énergie du moment, je vous propose de faire
le point sur ce qui peut expliquer votre forme ou méforme.
En regardant les 2 ou 3 semaines écoulées, évaluez le temps passé chaque jour sur chaque
activité à l’aide de ce cercle.

Exemple

Une fois réalisée une semaine-type, à l’aide de ce schéma, faites la somme du temps passé :
• sur des activités qui vous apportent plus d’énergie qu’elles ne vous en demandent (Apport > Effort) : activités que
vous maîtrisez, dans lesquelles vous êtes en succès, reconnu, valorisé, qui mettent en valeurs vos qualités… ;
• sur des activités qui vous coûtent plus qu’elles ne vous rapportent (Apport < Effort) : activités souvent liées à vos
points faibles, dans lesquelles vous êtes souvent en difficulté, qui ne vous apportent pas de plaisir…

Si les premières vous occupent la plus grande partie de votre temps, vous êtes probablement en
spirale positive. Voyez comment préserver cet équilibre, par exemple en veillant à passer le plus de
temps possible sur les activités motivantes.
Dans le cas inverse :
1. Travaillez à augmenter le temps consacré aux activités motivantes, chaque jour ou peut-être
chaque semaine et « sanctuarisez » ces moments dans votre agenda.
2. Impliquez-vous davantage dans ces activités pour les rendre plus motivantes encore.
3. Pensez à d’autres activités motivantes que vous auriez peut-être sacrifiées et qui pourraient
réintégrer votre planning (le sport, une passion artistique, etc.).
4. Étudiez les possibilités de diminuer le temps passé sur les activités coûteuses : déléguer,
arrêter, reporter, les aborder autrement (en utilisant mieux vos qualités), etc.
5. Partagez vos nouveaux engagements de planning pour faire en sorte de mieux les respecter.
Notes
1. Linley P. A., Joseph S., Harrington S. et Wood A. M., « Positive psychology: Past, present and
future », Journal of Positive Psychology, 2006.
2. Dweck C. S., Changer d’état d’esprit : Une nouvelle psychologie de la réussite, traduit de l’anglais par
J.-B. Dayez, Mardaga, 2010.
3. Plusieurs programmes conçus pour amener les étudiants d’un état d’esprit fixe à un état d’esprit de
croissance ont été déployés, notamment en Afrique du Sud ou en Californie, impliquant des milliers
d’étudiants mais également leurs enseignants, démontrant l’impact de la mentalité positive sur les
progrès et la réussite scolaire.
4. Aspinwall L.G. et Staudinger U.M., Une psychologie des forces humaines : quelques enjeux centraux
d’un domaine émergent, 2003.
5. Christian Lemoine était consultant en management, conférencier spécialiste de la motivation et
fondateur du CRECI (Centre de Recherches et d’Etudes sur le Comportement Individuel), cabinet au
sein duquel j’ai travaillé quelques années.
6. Ça s’est fait comme ça, Gérard Depardieu, avec la collaboration de Lionel Duroy, XO éditions, 2014.
7. Ce terme a, semble-t-il, été inventé par Christian Lemoine, fondateur du CRECI et créateur du
Management Motivationnel®.
8. Jean-Laurent Cochet fait partie des victimes de la Covid-19. Il s’est éteint le 7 avril 2020, dans sa
86ème année.
9. Extrait d’une interview donnée au journal La Croix, paru le 21 mars 2020
10. Extrait d’un entretien donné par Boris Cyrulnik au e-mag NousVousIls, l’e-mag de l’éducation,
juin 2015.
11. Voir par exemple le livre de Vincent Rémy, Un prof a changé ma vie, Vuibert, 2014, dans lequel
l’auteur demande à diverses personnalités d’évoquer l’influence de certains enseignants sur leur
parcours.
12. Pietschnig J., Penke L., Wicherts J. M., Zeiler M., & Voracek M., « Meta-analysis of associations
between human brain volume and intelligence differences: How strong are they and what do they
mean? », Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 2015.
13. Voir à ce propos l’article de Franck Ranus, « Les surdoués ont-ils un cerveau qualitativement
différent ? », A.N.A.E., 2018.
14. Malcolm Gladwell, Outliers, The Story of Success, Editions Little, Brown and Company 2008.

15. Extrait de la revue Spirale 2012/3 (no 63), « Le chemins de l’apprentissage », éditions ERES.
16. Voir ici.
17. Évangile selon Matthieu, chapitre 25, versets 14 à 30.
18. Sir Thomas Fowell Buxton (1786-1845) fut député du Parlement britannique, resté célèbre pour son
engagement en faveur de l’abolition de l’esclavage au Royaume-Uni.
19. Auteur de Successful Aging: A Neuroscientist Explores the Power and Potential of Our Lives,
Dutton/Penguin Random House, 2020.
Notes
1. Ken Robinson, anobli par la Reine d’Angleterre en 2003, est notamment connue pour sa conférence
TED « L’école tue la créativité » (Monterey, 2006), la plus vue et la plus partagée de l’histoire ! Il est
aussi l’auteur de plusieurs ouvrages dont Changez l’école ! (Play Bac, 2017) et Trouver son élément
(Play Bac, 2015).
2. Je conseille à ceux qui ne connaîtrait pas la définition d’origine du mot « bougre » de se précipiter
vers un dictionnaire…
3. Voir à ce propos les développements sur la pédagogie différenciée, page 183.
4. Jacques Lecomte est l’un des principaux experts francophones de la psychologie positive. Docteur en
psychologie, il a été chargé de cours à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense (sciences de
l’éducation) et à la faculté des sciences sociales de l’Institut catholique de Paris.
5. Martin E.P. Seligman est chercheur en psychologie et professeur à l’Université de Pennsylvanie. Lors
de son passage à la présidence de l’American Psychological Association, en 1998, il lance le
mouvement de la « psychologie positive », assisté de ses collaborateurs, tels Mihaly Csikszentmihalyi,
Ed Diener, Kathleen Hall Jamieson, Christopher Peterson et George Vaillant.
Pour en savoir plus sur l’œuvre de Seligman : Conférence
www.ted.com/talks/martin_seligman_the_new_era_of_positive_psychology
Seligman M., La force de l’optimisme, InterEditions, 2008. Seligman M., La fabrique du bonheur,
InterEditions, 2011.
Pour un exposé documenté et rigoureux sur la psychologie positive : Shankland R., La psychologie
positive, 2e éd, coll. « Psycho Sup », Dunod, 2014.
6. Si ce terme a été popularisé par Seligman et son équipe, son invention semble revenir à Maslow qui
l’a utilisé le premier, en 1954, dans le dernier chapitre de son livre Motivation and Personality.
7. Voir notamment Happycratie, d’Edgar Cabanas et Eva Illouz, Premier Parallèle, 2018 ; Le syndrome
du bien-être de Carl Cederström et André Spicer, L’Echappée, 2016 ; ou Développement (im)personnel
de Julia de Funès, l’Observatoire, 2019.
8. Sur ce thème de la motivation, je vous recommande la lecture du livre de Daniel H. Pink, La vérité sur
ce qui nous motive, Leduc, 2011.
9. J’ai développé cette notion dans mon précédent livre : Le manager presque parfait… et qui ne
cherche surtout pas à le devenir ! Dunod, 2016.
10. Tom Rath est un chercheur et auteur américain, né en 1975. Au sein de la société Gallup, il a
notamment développé des études et des outils sur l’efficacité personnelle, en particulier basés sur
l’utilisation des points forts. On lui doit plusieurs best-sellers dont Strength Finder 2.0, publié en français
chez Pearson France sous le titre Découvrez vos points forts, 2019.
11. Version reprise par Valérie Jacquemin-Ngom et Nicolas Dugay dans leur ouvrage Cultivez vos points
forts, Jouvence éditions, 2018.
12. Pour en savoir plus, je vous recommande de vous référer à l’ouvrage très complet de Bertrand
Théraulaz : Approche action-types – Le corps révèle nos forces ! Amphora, 2020.
13. Dans le cadre de nos missions de conseil et de formation en management, au sein d’Animae, nous
faisons régulièrement appel aux compétences de l’équipe d’Axel Conseil, composée d’experts Action
Types®. Leur aide est précieuse, par exemple pour identifier les forces individuelles au sein d’un CODIR
et favoriser une meilleure communication et une meilleure coopération.
14. « Carbohydrate sensing in the human mouth: effects on exercise performance and brain activity »
J. Physiol, 2009.
15. « Mental fatigue impairs physical performance in humans », Journal of Applied Physiology, 2009,
vol. 106.
16. « Sundial : Theoretical Relationships Between Psychological Type, Talent, And Disease »,
Ph.d. Bryden, Barbara E. – (Anglais), éditions CPAT – Center for Applications of Psychological Types –
2004.
17. Pellerin F., Accédez au sommet. Le chemin est en vous, Michel Lafon, 2013.
18. Vous trouverez un développement plus complet sur cette notion de doute/confiance dans les
annexes proposées à la fin du livre.
19. Voir la partie consacrée aux « Tiers Privilégiés » dans le chapitre 1.
20. Ancona D., Malone W. T., Orlikowski J. W., Senge M. P., Ode au Leader Imparfait, HBR France,
2020.
Notes
1. Cultivez vos forces : l’éducation positive au quotidien, J-C. Lattès, 2019.
2. « Franck Cammas, marin de haute précision », Le Monde, 9 mars 2012.
3. Étude Gallup « State of the Global Workplace » 2017, chiffres Europe de l’Ouest.

4. Extraits d’une interview donnée au magazine Grand Chelem no 30 (sept-oct.2012).


5. La distinction entre motivation intrinsèque et motivation extrinsèque revient à Edward L. Deci,
professeur de psychologie et de sciences sociales à l’université de Rochester, qui publie Intrinsic
Motivation en 1975, avant d’enrichir son travail, en association avec Richard M.Ryan, au cours des
années 1980 puis 2000.
6. Pink D., La vérité sur ce qui nous motive, Flammarion, 2016.
7. Edward L. Deci, Richard M. Ryan, Richard Koestner, « A Meta-Analytic Review of Experiments
Examining the Effects of Extrinsic Rewards on Intrinsic Motivation », Psychological Bulletin, 125, Nº 6,
1999.
8. Blondin A., L’Ironie du sport. Chroniques de L’Équipe, 1954-1982, François Bourin, 1994.
9. Le terme Imoca désigne une classe de voiliers monocoques de 60 pieds de longueur (18,28 m)
spécialement destinés aux courses océaniques en solitaire ou en double, comme la Route du Rhum et
le Vendée Globe.
10. L’association Mécénat Chirurgie Cardiaque, fondée par le professeur Francine Leca (première
femme devenue chirurgien cardiaque en France) et Patrice Roynette, permet à des enfants atteints de
malformation cardiaque, de se faire opérer en France lorsque cela est impossible dans leur pays faute
de moyens techniques ou financiers. Accueillis et hébergés par des familles d’accueil bénévoles, plus de
3 000 enfants ont ainsi été pris en charge depuis la création de l’association en 1996.
Notes
1. Cette phrase est souvent attribuée à Pierre Desproges, à tort semble-t-il, puisqu’en dehors d’un post
abondamment relayé sur les réseaux sociaux, attribuant diverses citations au regretté humoriste, il n’est
trouvé aucune trace de ces mots dans son œuvre ni dans ses déclarations. Plusieurs sources semblent
indiquer qu’il s’agirait en fait de la traduction d’un vieux trait d’humour anglais : « One day, I’ll go live in
’Theory’! Because in Theory… everything is fine! »
2. Cultivez vos points forts, Valérie Jacquemin-Ngom, en collaboration avec Nicolas Dugay, Jouvence,
2018.
3. Codir, pour les lecteurs qui ne parleraient pas encore couramment la novlangue, veut dire « Comité
de Direction ». On dit aussi parfois Codi et Codirel, quand l’assemblée est élargie à d’autres cadres
subalternes. Dans certains patois professionnels, l’équipe de Direction constitue un Comex pour
« Comité Exécutif ».
4. L’ouvrage de C.G. Jung Types Psychologiques est paru en 1921.
5. William Moulton Marston développe sa théorie du DISC dans le livre Emotions of Normal People,
publié en 1928.
6. Extrait d’un article paru en 1943 dans The American Scholar Magazine.
7. Voir ici.
8. Peterson C. et Seligman M., Character Strengths and Virtues: A Handbook and Classification, OUP
USA, 2004.
9. Cet inventaire est présenté dans l’annexe « Bourse aux qualités », à la fin du livre.
10. Patrick Mouratoglou, né en 1970, a fondé une première académie de tennis à l’âge de 26 ans, après
avoir dû renoncer à la carrière de tennisman dont il avait rêvé. Dans les années 2000, il se fait connaître
grâce aux succès remportés par le champion chypriote, Marcos Baghdatis, qu’il entraîne. Mais c’est en
devenant le coach de Serena Williams, en 2012, qu’il rentre dans le cercle fermé de l’élite mondiale du
tennis : à ses côtés, l’américaine a depuis remporté 9 titres du Grand Chelem, s’ajoutant aux 14 de son
palmarès d’alors. Aujourd’hui, il est également le coach de Stefanos Tsisipas ou encore d’Alexeï Popyrin
entre autres.
11. Secrets de Coach (titre original en anglais : Playbook) est une série-documentaire disponible sur la
plateforme Netflix depuis 2020, mettant en lumière quelques-uns des plus célèbres coach sportifs du
moment de différentes disciplines. L’épisode 4 est intitulé « les leçons de Patrick Mouratoglou ».
12. Ce dessin réalisé par Léonard de Vinci vers 1490, est sans doute la représentation la plus connue
de la perfection des proportions anatomiques.
13. « Built to swim », The New York Times Magazine, 8 août 2004.
14. Robert J. Vallerand est professeur titulaire en psychologie à l’Université du Québec à Montréal. Il est
reconnu comme l’un des chercheurs les plus influents dans le secteur des processus motivationnels. Il a
développé des théories sur la motivation intrinsèque et extrinsèque ainsi que sur la passion envers des
activités. Il a publié ou édité douze livres et monographies et plus de 350 publications scientifiques.
15. Enquête menée auprès d’un échantillon de 970 salariés des secteurs public et privé extrait d’un
échantillon de 2023 Français représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
16. Enquête réalisée en juin 2017 auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 salariés français non
cadres et non managers, à travers toute la France.
17. Je reprends bien sûr ici l’image utilisée par W. Chan Kim et Renée Mauborgne, chercheurs au Blue
Ocean Strategy Institute à l’INSEAD dans leur ouvrage Stratégie Océan Bleu : Comment créer de
nouveaux espaces stratégiques (Ed. Pearson, 2015).
18. GOAT est l’un des surnoms amusants souvent donnés à Federer, pour Greatest Of All Times ou
chèvre, selon que l’on développe l’acronyme ou que l’on préfère la traduction littérale !
19. Extrait d’une interview accordée à la Tribune de Genève, parue le 14 avril 2017
20. Cette image est par exemple décrite dans l’ouvrage Psychiatrie de la personne âgée, sous la
direction de Jean-Baptiste Clément (Editions Médecine-Sciences / Flammarion), s’agissant des
tendances dépressives des personnes âgées.
21. C’est Louis Legrand, responsable des recherches pédagogiques à l’INRDP (Institut National de
Recherche et de Documentation Pédagogique), qui en 1970 crée l’expression « pédagogie
différenciée », partant du constat que, face à des élèves aux aptitudes hétérogènes, l’enseignant devait
proposer des modalités d’apprentissage variées.
22. Voir le bilan Doute/Confiance présenté dans le chapitre 3, notamment page 76.
23. Également connu sous le nom d’effet Rosenthal et Jacobson, l’effet Pygmalion tire son nom de la
légende de ce sculpteur de la Grèce Antique qui, tombant amoureux de la statue d’ivoire qu’il avait
créée, finit par lui donner vie. Rosenthal et Jacobson ont notamment étudié l’effet des a priori que les
enseignants avaient sur chacun de leurs élèves, montrant qu’un a priori positif induisait des
comportements propices à la réussite de l’élève et inversement.
24. Vademecum « Scolariser un élève à haut potentiel », éditions MEN (Ministère de l’Éducation
Nationale), 2019, notamment disponible sur le site Eduscol du Ministère.
25. Lire par exemple Libérez votre cerveau, éditions Robert Laffont, 2016.
26. Extrait du livre de Michel Lobrot : À quoi sert l’école ? Armand Colin, 1992.
27. Notamment développés dans son ouvrage : Évolution de la psychologie différentielle, PUF, 1999.
28. Le terme vicariance est habituellement employé pour désigner le mécanisme par lequel un organe
sain supplée, par son propre fonctionnement, à l’insuffisance fonctionnelle d’un autre organe.
29. Extrait de l’article « La revanche des timides » de Marie Huret, publié par le magazine l’Express, le
22 août 2002.

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