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sc52 Lambrette
sc52 Lambrette
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« La personne normale ? désormais pilier de la santé globale de
Cet animal n’existe pas ». l’individu au même titre que son pen-
Fondement occidental d’une vision dant biologique, la « santé mentale »
Jackson D.D., Le mythe de la normalité,
contemporaine de la santé, la défi- in Sur l’interaction, Paris, Seuil, aurait partie liée avec le physique
nition avancée par l’Organisation 1981, 217-224. comme avec le social. Cette combi-
mondiale de la santé (OMS) en expli- natoire de la « santé globale » dont les
cite une lecture positive s’appuyant éléments moteurs seraient en constan-
sur un bien-être physique, psychique Des siècles durant, le primat du bio- te interaction procède toutefois d’une
et social. Toutefois ce bien-être est logique a forgé une représentation conception des choses soumise à
difficile à circonscrire sur le plan phy- mécaniste de l’être humain, tel une l’évolution de nos sociétés et à la vi-
sique et plus encore en matière de entité isolable de son environnement, sion du monde qu’elle semble, parfois
santé mentale. Si le modèle médical et assuré la domination d’un discours bien malgré elle, diffuser2.
fût une source d’inspiration première, « organique » et d’une pensée médi- L’objet du présent texte vise à expli-
son application au champ des troubles cale1 passant essentiellement par le citer notre propre lecture de cette
psychiques montre un certain nombre corps. A l’orée du XXième siècle, l’avè- version trop positive voire utopique,
d’inadéquations. C’est que la patho- nement des sciences humaines et nous semble-t-il, de la santé, en insis-
logie psychique comme la santé men- sociales a postulé que l’humain ne tant sur la notion de « santé mentale »
tale convoquent aussi bien des élé- saurait se réduire à la seule enveloppe (discipline qui occupe le quotidien de
ments socioculturels que la subjec- charnelle et aux organes qu’elle abrite. l’auteur).
tivité. Aussi le bien-être tel que formu- Aussi l’image matérialiste d’une sorte
lé par l’OMS est davantage une as- d’homme-machine a progressivement
sertion à caractère anthropologique et ○ ○ ○ ○
mué en un être multidimensionnel et
politique que scientifique. complexe. Ces dernières décennies les Le modèle médical, une
notions de « maladie mentale » et de source d’inspiration première
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« santé mentale », comme partie d’un
« capital santé » à conserver ou à En dehors des spéculations philoso-
Mots clefs : santé mentale, repré- entretenir, semblent s’être imposées, phiques érigeant d’un côté le Soma et
sentations de la santé, anthropologie. donnant ainsi à voir un construit qui de l’autre la Psyché, l’essentiel du
fait de la santé « un état de complet discours attaché au corps, à ses lois
bien-être physique, mental et social, comme à ses dysfonctionnements,
et qui ne consiste pas seulement en une nous vient d’une médecine laïcisant au
absence de maladie ou d’infirmité ». fil des siècles ses modèles explicatifs
Cette définition, reprise à l’OMS et tout autant que ses pratiques. Reposant
largement adoptée par les instances sur l’efficacité de ses techniques et
publiques, a validé le développement traitements, le discours médical fait
de nouvelles pratiques désormais autorité lorsqu’il est question de
vouées à la « santé mentale », à « la pathologies physiques. Et si cette auto-
promotion du bien-être, la prévention rité n’empêche nullement la cohabi-
des troubles mentaux, le traitement et tation de modèles étiologiques et
la réadaptation des personnes atteintes thérapeutiques parfois antagonistes
de ces troubles ». L’on ne saurait être (ces approches que l’on dénomme
plus englobant et donc moins opéra- parallèles), le corpus médical occiden-
tionnel qu’au travers de ces assertions tal reste le centre de gravité dominant
visant l’une la santé, l’autre la pragma- les savoirs et les politiques relatives
tique sociale devant nous engager sur au monde sanitaire contemporain. Ses
le chemin de la santé mentale. L’asso- principes et ses lois font l’objet d’une
ciation n’est pas innocente. C’est que, large unanimité, même s’ils peuvent
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être soumis au feu de la critique Si la maladie postule une souffrance, processus de guérison. L’effet place-
heuristique. Cette unanimité a légitimé présente ou à venir, qu’en est-il de « la bo, pour ne prendre que l’exemple le
l’édification d’interventions selon un santé » et à plus forte raison de « la plus illustratif, suppose ainsi que la
schéma empirique où l’on retrouve bonne santé » ? Car si les agents mor- guérison, au même titre que la souf-
une anamnèse, une plainte sous forme bides peuvent être objectivés et donner france, appartient au monde du proces-
de symptômes latents ou manifestes, lieu à un consensus social en matière sus mental4 et non plus exclusivement
une exploration clinique menant au de diagnostic et de traitement, la aux seuls faits biologiques. Ainsi, des
diagnostic, l’application du traitement conception de la santé pose davantage facteurs originellement étrangers au
ad hoc, et enfin son évaluation objec- de problèmes. corps médical se sont immiscés au
tive et subjective avec pour finalité soit Qu’est-ce que cette « bonne santé » ? siège même de son autorité.
la rémission, soit la stabilisation soit, Un envers de la souffrance ? Un bien- Notons au passage que le glissement
comme l’on dit pudiquement dans les être extatique dans un corps sans de la notion de « maladie » à celui de
situations à caractère létal, l’améliora- douleur ? Un physique sans revers ? « (bonne) santé » a accompagné
tion de la qualité de vie du patient. La Le débat est vaste et la question loin l’émergence d’un individualisme
pragmatique (re)commande dès lors d’être résolue. Si le savoir médical matériel où il revient à chacun de
aux acteurs sociaux l’occupation de occidental a procédé longtemps d’un prendre soin d’un corps et donc d’un
certaines positions3 et/ou actions afin paradigme reposant sur la dissociation « capital santé de base » sur lequel
de résoudre les problèmes soulevés entre le corps et l’esprit, l’immixtion l’Etat influerait à la manière d’un
par l’émergence du mal identifié et d’une composante étrangère à la seule gestionnaire des risques5. Les plans de
balisé par le modèle étiologique scien- explication biologico-physique a prévention sont ainsi supposés con-
tifique de la médecine contemporaine. troublé le jeu et la compréhension du férer aux individus l’outillage néces-
saire pour tendre vers cette santé
globale aux allures idylliques. La
« bonne » gestion comme la répar-
tition des risques en matière de santé
obéissent toutefois (sur un plan macro-
sociologique) davantage à des logi-
ques de classes (et donc à des détermi-
nants sociaux) qu’à des seuls actes
individuels. Si nous sommes tous
égaux sur le plan de santé, certains le
sont plus que d’autres...
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Santé et santé mentale :
inspiration, évolution,
confusion
Force est de reconnaître que le facteur
humain est à la fois essentiel et indési-
rable pour qui veut faire Science.
Essentiel, car sans lui rien ne se fait,
et indésirable puisqu’il s’agit d’une
variable dont l’irréductibilité grève un
processus heuristique en quête
d’absolu. En effet, en matière de santé
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Reste qu’il est peu aisé de circonscrire diagnostic (ou l’hypothèse étiolo- Si la maladie charrie valeurs et croyan-
le concept même de « maladie men- gique) en érigeant la notion de souf- ces, la maladie/santé mentale en brasse
tale », et à plus forte raison celui de france psychique 12 comme porte plus encore. Lorsque l’on invoque la
« santé mentale », puisqu’il s’agit là d’entrée au traitement. Matérialisant « santé mentale » en référence à
d’une sorte d’abstraction ne répondant ainsi l’immatériel, la souffrance est certains agissements répréhensibles, la
pas à des critères objectifs universel- supposée incarner la pathologie men- morale n’est guère loin. La maladie
les, mais plutôt à des critères subjectifs tale. Sauf que l’on peut souffrir men- serait dès lors un écart par rapport à
localisés, c’est-à-dire relevant d’une talement sans pathologie avérée. C’est une norme de fonctionnement. Le
appréhension occidentale de certaines qu’ici l’on est sujet à des atteintes à concept de « normal » est souvent une
manifestations comportementales10. caractère « subjectif » dont l’objecti- variante du concept de « bon », une
Ainsi si les concepts de maladie et de vation elle-même pose problème. action normale est une action « bon-
santé mentale entraînent à leur suite Maladie, pathologie et souffrance ne », approuvée par la collectivité, en
un cortège de termes appelant des mentale sont comme dans le champ accord avec l’idéal du groupe13.
multiples réalités (rémission, guérison, de la santé physique des choses Si à l’instar de ce qui se passe dans le
soins,...) difficiles à définir, leur évalu- distinctes sur le plan clinique. champ de la santé physique, valeurs,
ation relève dès lors d’une gageure. La souffrance n’est pas un indice croyances, perceptions et représen-
Les études de Roseham11 et de Gof- irréfutable d’une pathologie existante. tations interviennent en matière de
fman l’ont partiellement montré à Aussi si cette souffrance peut légitimer santé mentale à des degrés divers selon
leurs manières. La « thérapie-par-la- l’usage d’une thérapeutique, ce n’est l’appartenance de classe, la biographie
parole » comme le traitement psycho- plus en réponse à un critère diagnostic et la subjectivité de l’individu jouent
pharmacologique restent encore la ou nosographique universellement un rôle déterminant et par là-même
règle et laissent planer un flou artisti- identifié, mais bien plutôt sur base bien plus important dans le champ de
que sur les critères de guérison et de d’une subjectivité exprimant une la santé mentale, et où la relation
rémission qu’ils sont supposés accom- expérience négative de soi et/ou patient - intervenant n’est plus un
pagner voire provoquer. Le patient d’autrui. La subjectivité devient ainsi moyen thérapeutique facilitant le
devient ici juge de sa propre évolution le pilier essentiel d’une souffrance traitement mais parfois le traitement
et de la satisfaction qui lui serait devant dès lors être pris en compte. thérapeutique lui-même.
inhérente. Les professionnels propo-
sent, les usagers disposent. On n’est Si cette notion de souffrance est es-
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cependant pas pareillement perçu sentielle sur le plan clinique, puis-
selon que l’on souffre de trouble qu’elle engage tant le patient que le En guise de conclusion
physique ou de trouble psychique. professionnel de la santé mentale, elle
Marqué par un diagnostic, il arrive ne répond en rien au débat sur le plan La maladie reste dans notre monde
fréquemment qu’un patient traine sociétal. Car comment expliquer que occidental une identité sociale néga-
celui-ci des décennies durant même certaines manifestations aujourd’hui tive, car ce qui est désiré c’est la santé
s’il n’a plus eu d’épisodes « morbi- qualifiées de déviances ou pathologies (Canguilhem14). Etre malade c’est être
des ». Le diagnostic n’est pas « psy- mentales donnent lieux à des actions indésirable, nuisible ou socialement
cho-dégradable » et pèse souvent sur contraignantes (placement en obser- dévalué. Sur le plan physique et plus
l’histoire des patients. vation, isolement, placement en défen- encore en matière de santé mentale car
se sociale, injonction thérapeutique,...) « le fou » est un malheureux, un
suivant que la société se sent plus ou infortuné qui a perdu l’attribut le plus
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moins menacée et y accole un ce con- précieux de l’homme, la raison15. En
Et la souffrance ? cept nébuleux qu’est la dangerosité tous les cas, la maladie est perçue com-
(pour soi et/ou pour autrui) ? Com- me une régression voire une menace
Certaines disciplines ont tenté de se ment expliquer encore la recrudes- de mort16. Mais qu’en est-il dès lors
débarrasser de la tentative normative cence de diagnostics de dépressions, de ce versant positif qu’est la santé ?
(voire pathologisante) qu’est le d’hyperactivités ? La version idéaliste de l’OMS laisse
(suite)