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Paedagogica Historica:
International Journal of the
History of Education
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LE KUTTAB EN ‘IFRIQIYA
e e
DU VII AU XII SIÈCLE.
CONTRIBUTION A L'HISTOIRE
DE L'ENSEIGNEMENT
ÉLÉMENTAIRE EN TUNISIE
a
par Marc Plancke
a
Gand
Published online: 28 Jul 2006.

e e
To cite this article: par Marc Plancke (1970) LE KUTTAB EN ‘IFRIQIYA DU VII AU XII
SIÈCLE. CONTRIBUTION A L'HISTOIRE DE L'ENSEIGNEMENT ÉLÉMENTAIRE EN TUNISIE,
Paedagogica Historica: International Journal of the History of Education, 10:2,
225-242, DOI: 10.1080/0030923700100202

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LE KUTTĀB EN 'IFRĪQĪYA DU VIIe AU XIIe SIÈCLE.
CONTRIBUTION A L'HISTOIRE DE L'ENSEIGNEMENT
ÉLÉMENTAIRE EN TUNISIE

par MARC PLANCKE, Gand

Le rôle et la tâche du kuttāb dans le monde pédagogique


musulman ne semblent guère bien définis. A. Shalaby dans son
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étude sur l'histoire de l'éducation musulmane, distingue deux


sortes de kuttāb : l'une où le programme comportait seulement
la lecture et l'écriture et l'autre dont le programme prévoyait,
outre ces deux branches, l'enseignement du Coran, du calcul, de
la poésie et des principes de la grammaire (1). Pour A. L. Tibawi
dans son étude sur les origines et le caractère de la madrasa, le
kuttāb était un genre d'école primaire où l'on apprenait le Coran
par cœur et où le calcul, la grammaire, la poésie et l'histoire
étaient également enseignés (2). Le kuttāb y est mis sur le même
pied que le maktab, terme qu'on rencontre souvent pour désigner
également l'école élémentaire. Par contre M. Ahmed dans son
étude sur le rôle social des éducateurs est d'avis que le terme
maktab aurait été employé avant le mot kuttāb (3) et que celui-ci
aurait été employé ensuite pour désigner improprement l'endroit
où l'on apprenait seulement l'écriture. A. Louis et L. Verplancke
dans leur article sur la Tunisie au XVII e siècle prétendent qu'en
'Ifrïqïya les termes kuttāb et maktab étaient depuis longtemps
employés communément sans distinction aucune et que dans une
école pareille on apprenait le Coran par cœur, la lecture et l'écri-
ture (4). Nous avons trouvé deux textes du X e -XI e siècles, no-
tamment les Manāqib de 'Abū 'Ishāq al-Gabanyanî par 'Abū

(1) A. Shalaby, History of Muslim Education, Beirut, 1954, pp. 16-23.


(2) A. L. Tibawi, Origin and Character of al-madrasah, in Bulletin of tbe School
of Oriental and African Studies, XXV, 1962, p. 226.
(3) M. Ahmed, Muslim Education and the Scholars' Social Status upto the 5th
Century Muslim Era in the Light of Ta'rikh Baghdad, Zürich, 1968, pp. 41-42.
(4) A. Louis et L. Verplancke, ha Tunisie au XVIIe siècle d'après la descrip-
tion de l'Afrique du Dr O. Dapper, in Ibla, XXIX, 1966, p. 195 n. 107.
226 MARC PLANCKE

1-Qāsim al-Labīdī (1) et les Manāqib de Muhriz b. Halaf par 'Abū


t-Tāhir al-Fārisī (2) qui appuient la thèse de l'emploi indifférent
de ces deux termes. L'un y parle de « sibyān al-maktab» et l'autre
de « sibyān al-kuttāb» pour désigner l'endroit où l'enseignement
élémentaire était donné aux enfants. Comme ces deux auteurs
rédigeaient leur ouvrage dans la même période nous pensons que
la différence dans l'emploi des termes provient uniquement du
goût linguistique de ces deux auteurs. Nous proposons de définir
le terme kuttāb comme l'école où l'on apprenait à côté de l'écri-
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ture, d'autres branches élémentaires accompagnées ou non de


l'apprentissage par cœur du Coran (3). Kuttāb et maktab ont en
effet la même racine : kataba veut dire «il écrivait», maktab est
donc l'endroit où l'on apprenait à écrire, tandis que kuttāb est
apparenté au pluriel de kātib, qui signifie «écrivains, secrétaires».
C'est pourquoi nous parlerons dorénavant dans cet article unique-
ment de kuttāb et cela afin d'éviter toute confusion.
Notre aperçu suit les grandes lignes de l'histoire politique de
la Tunisie. Nous l'avons subdivisé en ce qui concerne l'enseigne-
ment en 10 périodes pré-'aglabide (647-800) et 'a labide (800-
909), 2 0 périodes fātimide (907-973) et zīride (973-1148).

1. Les périodes pré-'a labide et 'a labide

L'histoire islamique de ce pays commence, comme on le sait,


en l'an 647 lorsque les armées arabes envahirent le territoire de
la Tunisie actueÛe qui constituait alors une province byzantine.
Déjà en 670 Kairouan fut fondée par 'Uqba b. Nāfi' († 683) et la

(1) Manāqib d'Abû 'Ishāq al-Jabanyânî par 'Abū l-Qāsim al-Labîdi, éd.
H. R. Idris, Paris, 1959, p. 63.
(2) Manāqib de Muhriz b. Halaf par 'Abū t-Tāhir al-Fārisī, éd. H. R. Idris,
Paris, 1959, p. 123.
(3) D'après quelques données fragmentaires sur les écoles que H. H. 'Abdul
Wahhâb fournit dans son article Sūsa l-'a labīya, in H. H. 'Abdul Wahhāb,
Waraqāt 'an al-hadāra l-'arabīya bi-'Ifrīqīya t-tūnusīya, Π, Tunis, 1966, pp. 94,
110, 14;, il paraît qu'il 7 aurait eu plusieurs katātīb dans un même village.
e e
LE KUTTĀB EN 'IFRĪQĪYA DU VII AU XII SIÈCLE 227

même année encore la première mosquée y fut érigée (1). Quelques


années plus tard, notamment en 695, une nouvelle mosquée fut
construite à Kairouan, cette fois pour le compte de Hasan b.
Nu'mān (2). D'après Ibn Nāğī, il y avait un kuttāb à Kairouan
en 697 (3). Etant donné que nous n'avons pour cette période
d'autres données que la simple mention de ce kuttāb, il est difficile
de tirer des conclusions même provisoires pour la période pré-'agla-
bide; nous possédons cependant plus de détails pour la période
' alabide.Nous disposons en effet d'une excellente source, no-
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tamment la Risāla 'Ādāb al-mu'allimīn de Muhammad b. Sahnūn


(817-870) (4). Sur les branches à figurer au programme de tout
kuttāb, Ibn Sahnūn dit (5) qu'en premier lieu devait s'inscrire la
science coranique, et ceci comportait : apprendre par cœur le
Coran, son 'i'rāb, son orthographe, sa bonne lecture d'après la
méthode de Nāfi (6), en même temps que la connaissance de la
ponctuation et la diction correcte et lente du texte. Cependant
qu'à côté de la science coranique élémentaire, d'autres branches
étaient obligatoires : savoir-vivre (7), apprendre à prier et à faire
les ablutions rituelles. Cette dernière branche était facultative pour
les élèves de sept ans mais obligatoire pour ceux qui avaient

(1) Cfr E . Lambert, Les grandes mosquées de Kairouan et de Cordoue au temps


des Omeyades d'Occident, in Etudes d'Orientalisme dédiées à la mémoire de Lévi-
Provençal, II, Paris, 1962, p . 624, et E . Lambert, L'art musulman d'Occident
des origines à ¡a fin du XVe siècle, Paris, 1966, pp. 47-48.
(2) E . Lambert, Lesgrandes mosquées..., p . 625, et E. Lambert, L'art..., p . 50.
(3) Ibn Nāğī, Ma'ālim al-īmān fī ma'rifat 'ahl al-Qayrawān, I, Tunis, 1902,
p. 120.
(4) H. H. 'Abdul Wahhāb (éd.), 'Ādāb al-mu'allimīn, Tunis, 1929, 64 pp.;
A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat 'ādāb al-mu'allimīn li-bn Sahnūn, in A. F.
al-'Ahwānī, At-tarbiya fī l-'Islām, Le Caire, 1968, pp. 351-368 ; G. Lecomte (tr.),
Le livre des règles de conduite des maîtres d'école, in Revue des Etudes Islamiques,
X X I , 1953, pp. 77-105. Cfr F. Sezgin, Geschichte des Arabischen Schrifttums,
I, Leiden, 1967, p. 473.
(5) A. F. al-'Ahwâni (éd.), Risālat..., p. 360.
(6) Cfr F. Sezgin, Geschichte..., I, pp. 9-10, et H. R. Idris, Manâqib d'Abû
'Ishâq al-Jabanyânî par ' Abû l-Qâsim al-Labîdî et Manâqib de Muhriz B. Halaf par
' A b û l-Tâhir al-Fârisî, introduction, édition critique, traduction annotée, glossaire,
index, Paris, 1959, p. 236 n. 108.
(7) A. F. al-'Ahwāni (éd.), Risālat..., p. 360.
228 MARC PLANCKE

atteint leur dixième année (1). Ici les garçons étaient séparés des
filles (2). Etaient également obligatoires la sunna en rapport avec
les prières et la sunna du prophète Muhammad (3), ainsi que les
prières pour les morts et leurs invocations, car cela faisait partie
de la religion (4). Facultatifs étaient par contre la rédaction,
l'arithmétique, la science des particularités grammaticales, l'arabe,
la calligraphie (nous devons toutefois faire remarquer que Ibn
Sahnūn considère tantôt la calligraphie comme obligatoire tantôt
comme facultative), la poésie pour autant qu'elle ne soit pas in-
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décente, les dires et les chroniques des anciens arabes. De même


les lectures coraniques autres que celles de Nāfi' étaient faculta-
tives; à ce sujet nous savons qu'à partir du X e siècle sept soit-
disant lectures «canoniques» étaient arrêtées (5).
Ibn Sahnūn nous procure également des données intéressantes
concernant les méthodes et les punitions possibles. L'émulation
entre élèves y est recommandée par Sahnùn, père de notre auteur,
parce que selon lui c'est une bonne méthode à employer par
l'instituteur pour la formation et pour le perfectionnement de ses
élèves (6). Dans le même esprit les élèves pouvaient se faire des
dictées mutuellement que le maître corrigeait, ceci pour éviter que
celui-ci ne cède à la facilité (7). Lorsqu'un élève connaissait bien
le Coran par cœur, il pouvait faire fonction de moniteur si cela
pouvait lui être de quelque utilité (8).
L'instituteur pouvait châtier les élèves à l'aide de la «dirra»,
c.-à-d. un fouet fait de tendons de bœuf. Il pouvait également
employer la « falaqa » qui lui permettait de tenir immobile l'élève
coupable. Ces deux instruments toutefois, l'instituteur devait se
les procurer à ses propres frais (9). Le nombre de coups de fouet

(1) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... p. 361.


(2) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... p. 362.
(3) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... p. 362.
(4) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... p. 362.
(5) Cfr M. Ahmed, Muslim Education .., p. 35.
(6) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... p. 359·
(7) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... p. 361.
(8) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... p. 358.
(9) A. F. al-'Ahwâni (éd.), Risālat... p. 360.
LE KUTTĀB EN IFRĪQĪYA DU VII e AU XII e SIÈCLE 229

était au maximum de trois, lorsque l'élève avait commis quelque


erreur ou avait fait des fautes en récitant le Coran, à moins que
le père de l'élève n'ait donné la permission au maître d'en donner
davantage (1). Si l'élève cependant avait joué pendant la leçon
ou avait été paresseux, le nombre de coups de fouet pouvait aller
jusqu'à dix. Si l'instituteur avait affaire à des élèves de dix ans
ou plus, qui ne voulaient pas prier, il pouvait également les
punir (2). Lors des punitions corporelles il devait éviter le sommet
de la tête et la face. Originale est la stipulation disant que les
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élèves pouvaient se punir mutuellement sans toutefois dépasser


les trois coups de fouet (3). Si une faute avait été commise par
un élève et si un autre élève l'avait rapporté au maître, ce dernier
ne pouvait administrer de châtiment corporel que lorsque les
autres élèves avaient confirmé la faute ou que le coupable lui-
même l'avait reconnue. Le maître pouvait aussi se fier aux dires
d'élèves connus pour leur sincérité (4). Il était défendu au maître
de confisquer en guise de punition des aliments ou des boissons que
des élèves avaient rapportés de la maison (5). Enfin le maître
était responsable vis-à-vis des parents, lorsque ses punitions
avaient occasionné la mort de l'élève ou avaient provoqué une
maladie durable ou une infirmité (6).
Pour cette période, comme d'ailleurs pour la période suivante,
quelques échos nous sont parvenus en rapport avec la considé-
ration sociale des instituteurs. Et ces échos nous ne les trouvons
pas dans des ouvrages typiquement pédagogiques comme le traité
de Muhammad b. Sahnūn, mais dans des ouvrages que d'habitude
l'on ne considère pas comme étant des sources pour l'histoire de
l'enseignement (7) : les dictionnaires biographiques, les descrip-

(1) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... 356.


(2) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... 361.
(3) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... 359·
(4) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... 363.
(5) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... 359·
(6) A. F. al-'Ahwānī (éd.), Risālat... 367.
(7) M. Ahmed dans son ouvrage déjà cité plus haut fait une exception à
cette constatation. Il a en effet utilisé un seul ouvrage de tabaqāt et démon-
tre ainsi la valeur de sources pareilles (M. Ahmed, Muslim Education...,
pp. 8-10).
230 MARC PLANCKE

tions de voyage, les ouvrages édifiants. Ainsi pour la période


' alabidenous disposons e.a. du Riyād an-nufūs fī tabaqāt 'ulamā'
al-Qayrawān wa 'Ifrīqīya de 'Abū Bakr al-Mālikī (1) et du Tartīb
al-madārik wa taqrīb al-masālik li-ma'rifat 'a'lām madhab Mālik du
Qādī 'Iyād, qui vient de paraître (2). Dans le Riyād an-nufüs nous
trouvons que des personnages pieux étaient souvent institu-
teurs (3). Cette mention nous la rencontrerons fréquemment pour
la période zīride dans les Manāqib de al-Ğabanyānī et de Muhriz
b. Halaf (4). Au sujet de la vie journalière à l'école nous apprenons
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comment un enfant, rentrant à la maison, est interrogé par son


père sur la süra du Coran apprise ce jour, et combien le père était
heureux du résultat. Comme récompense il fit remettre une somme
d'argent à l'instituteur. Lorsque celui-ci refusa et demanda des
explications, le père fit remarquer qu'il avait remis trop peu, parce
qu'à son avis une lettre apprise par son fils valait plus que tous
les biens de la terre.

2. Les périodes fātimide et zīride

Concernant les institutions scolaires de la période fātimide


en 'Ifrīqīya il n'existe pas encore, tout comme pour l'histoire
politique, de monographies péremptoires (5). Aucune étude n'a
jusqu'ici été vouée à cette période pourtant si intéressante, alors

(1) Seule la première partie fut éditée jusqu'ici au Caire par H. Mu'nis
en 1951, lxxx + 5 1 8 pp. + 7 pl. Une analyse générale de l'ouvrage est fournie
par H. R. Idris dans son article Contribution à l'histoire de l'Ifrīkīya. Tableau
de la vie intellectuelle et administrative à Kairouan sous les 'Aglabites et les Fātimite
(4 premiers siècles de l'Hégire) d'après le Riyād En Nufūs de 'Abū Bakr El Mālikī,
in Revue des Etudes Islamiques, IX, 1935, pp. 105-177, 273-305; X, 1936,
pp. 45-104.
(2) Edité par A. B. Mahmūd (Beyrouth, 1968), 4 parties en 2 volumes + 1
vol. reg., 644, 883 et 360 pp.
(3) H. R. Idris, Contribution à l'histoire..., in Revue des Etudes Islamiques, IX,
1935, p. 124.
(4) Cfr infra, p. 237.
(5) H. R. Idris le regrette également dans son étude magistrale sur les
Zīrides en 'Ifrīqīya (La Berbérie orientale sous les Zīrides Xe-XIe siècles, Paris,
1962, p. ix).
e e
LE KUTTĀB EN 'IFRĪQĪYA DU VII AU XII SIÈCLE 231

que l'enseignement aura certainement joué un des rôles principaux


dans la propagation de la nouvelle doctrine, la šī'a. Le manque
d'études peut s'expliquer par le fait que peu de données nous
soient parvenues concernant les Fātimides en Afrique du Nord,
avant leur départ pour l'Egypte. Ces données se trouvent alors
pour la plupart soit dans les rares écrits de propagande fātimide (i)
qui ont échappé à la destruction par les Sunnites, soit dans des
ouvrages d'auteurs sunnites ayant une vision partiale sur les
Fātimides Si'ites et leur culture.
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Les établissements et organisations scolaires de la période


zīride par contre sont beaucoup mieux connus grâce à quantité
de sources d'origines différentes. Ce sont des ouvrages péda-
gogiques, tels la Risāla de Ibn 'Abī Zayd al-Qayrawānī (922-996) (2),
la Risāla l-mujassila li-'ahwāl al-muta'allimīn wa 'ahkām al-mu'allimīn
wa l-muta'allimīn de 'Abū l-Hasan al-Qābisī (935-1012) (3) et un
fragment d'ouvrage de 'Abū Bakr Muhammad b. al-'Arabī al-
Mālikī († 1148) conservé chez Ibn Haldūn (4), ou géographiques
tels le Ahsan at-taqāsīm fī ma'rijat al-'aqālīm de al-Muqaddasī
(† fin X e siècle) (5) et la Sūrat al-'ard de Ibn Hawqal († fin X e
siècle) (6), ou à tendance religieuse tels les Manāqib de 'Abū
'Ishâq al-Gabanyanï par 'Abū 1-Qâsim al-Labidï et les Manāqib

(1) Cfr Ch.-A. Julien, Histoire de l'Afrique du Nord, II, Paris, 1962, p. 334.
(2) Ibn 'Abi Zayd al-Qayrawânî, La Risâla ou Epître sur les éléments du dogme
et de la loi de l'Islâm selon le rite mâlikite. Texte arabe et traduction française par
Léon Bercher, Alger, 19605, 371 pp.
(3) Edité par A. F. al-'Ahwānī dans son étude At-tarbiya fī l-Islām (Le
Caire, 19683, pp. 267-349). Un compte rendu intéressant de cet ouvrage est
fourni par G. C. Anawati dans sa chronique Textes arabes anciens édités en
Egypte au cours des années 1955 et 1956 (in Mélanges de l'Institut Dominicain d'Etudes
Orientales, III, 1956, pp. 314-316). La Risāla de al-Qābisī, accompagnée d'une
introduction sommaire, a été traduite en Turc par S. Ates, et H. R. Öymen
sous le titre Islâmda öğretmen ve b'¿renci meselelerine dair geniş risâle (ar-risâlatu
'l-mufassala li ahvâli 'l-muta'allimîn wa 'ahkâmi ' l-mu'allimîn wa 'l-muta'allimîn),
Ankara, 1966, xii + 88 pp.
(4) Ibn Haldūn, Muqaddima, éd. Ά . 'A. Wāfī, Le Caire, 1968, pp. 1362-1363.
(5) Al-Muqaddasī, Description de l'Occident musulman au IVe-Xe siècle. Texte
arabe et traduction française par C. Pellat, Alger, 1950, xx + 124 pp.
(6) Ibn Hawqal, Configuration de la terre (Kitāb sûrat al-'ard). Introduction et
traduction J. H. Kramers et G. Wiet, 2 vols., Paris, 1964, xxi + 5 5 1 pp.
232 MARC PLANCKE

de Muhriz b. Halaf par 'Abū t-Tāhir al-Fārisi (1), ou enfin d'ori-


gine historio-biographique tel le Tartīb al-madârik wa taqrïb al-
masālik li-ma'rijat 'a'lām madbab Mālik du Qādī 'Iyād (1083-
1149) (2).
Comme nous n'avons pas jusqu'ici d'indications qui pourraient
justifier le fait de traiter séparément la période fātimide du point
de vue pédagogique, nous la traitons avec la période zīride.
Si le plan d'études qu'al-Qābisī recommande, correspond en
grandes lignes à celui de son prédécesseur Muhammad b. Sahnūn,
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nous disposons cependant pour cette période de certaines infor-


mations qui nous indiquent que des changements y ont été ap-
portés. Nous savons, grâce à al-Muqaddasi, qu'au X e siècle seule
la lecture de Nāfi' fut encore suivie dans le Magrib et d'après
la Risāla de Ibn 'Abī Zayd (3), qui peut être considérée en quelque
sorte comme un manuel de la connaissance de l'Islam au service
de la jeunesse (4), nous savons qu'à côté de la connaissance des
principes dogmatiques de la religion et des principes de la loi,
les enfants étaient également tenus, à partir de l'âge de sept ans,
de prier et que l'on devait les châtier, s'ils étaient rébarbatifs,
à partir de l'âge de dix ans afin qu'ils accomplissent leurs devoirs
religieux (5). Une autre stipulation : avant d'atteindre l'âge de la
majorité les enfants étaient tenus de bien connaître toutes les
prescriptions d'Allāh (tant les actes que les paroles) pour en arriver

(1) H. R. Idris, Manâqib..., Paris, 1959, xliv + 3 5 8 pp.


(2) Edité par A. B. Mahmūd, 4 parties en 2 vols. + 1 vol. reg., 644, 883,
360 pp.
(3) Un autre ouvrage de Ibn 'Abī Zayd, qui traitait tout spécialement de
l'enseignement et qui était peut-être de la même nature que celui de al-Qâbisï,
s'appelait d'après L. Bercher (Ibn 'Abi Zayd al-Qayrawânî, La Risâla..., p. 7)
' Ahkām al-mu'allimīn wa l-muta'allimīn. C'est peut-être le même ouvrage que
signale le Qādī 'Iyād (Tartīb..., II, p. 494) sous le titre Kitāb at-tanbīh'alā
l-qawl fī 'awlād al-murtadīn wa mas'alat al-hubus 'alā walad al-'a'yān.
(4) D'ailleurs la Risāla fut écrite sur demande du cousin d'Ibn 'Abī Zayd,
Muhriz b. Halaf († 1022), qui donnait un enseignement pareil aux jeunes
enfants et aux adultes, comme l'indique Ibn 'Abī Zayd lui-même (Ibn 'Abī
Zayd al-Qayrawânî, La Risâla..., pp. 16, 328).
(5) Cfr Muhammad b. Sahnūn, supra, pp. 227-228.
LE KUTTĀB EN 'IFRĪQĪYA DU VII e AU XII e SIÈCLE 233

à un certain automatisme (1). Autre source pour la connaissance


du plan d'études du kuttāb : les citations détaillées du traité perdu
de 'Abū Bakr Muhammad b. al-'Arabī al-Mālikī († 1148) que l'on
retrouve chez Ibn Haldūn. D'après ce dernier Ibn al-'ArAbī
al-Māliki aurait également rédigé un remarquable plan d'études
comportant un certain nombre de branches, classées selon leur
importance relative. D'après le classement de Ibn al-'Arabī al-
Mālikī, l'arabe et la poésie, jugés les plus importants, auraient
dû être étudiés en premier lieu. Une fois ces branches bien con-
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nues, les élèves devraient se mettre à l'étude approfondie de


l'arithmétique. Après seulement viendrait l'étude du Coran, car
sans cela les élèves liraient et étudieraient par cœur des choses
qu'ils ne sont pas à même de comprendre. Après le Coran vien-
draient alors les 'usūl ad-dīn, les 'usūl al-fiqh, la technique de la
discussion et enfin les traditions du prophète et les sciences qui
s'en occupent.
En ce qui concerne les méthodes de l'enseignement, nous
pouvons renvoyer ici au traité de Ibn 'Abī Zayd qui mentionne
formellement qu'il a divisé sa Risāla en chapitres afin de faciliter
les études des élèves (2). La méthode de subdiviser la matière
en des touts plus petits était une innovation pour l'époque. Chez
Ibn Haldūn on peut trouver son application plus systématique.
Il y a un autre principe chez al-Qābisī qui prétend que l'élève ne
peut entamer une sūra suivante avant de connaître la précédente
par cœur, aussi bien en ce qui concerne le 'i'rāb qu'en ce qui
concerne son image écrite (3). Cette remarque de al-Qābisī n'est
cependant pas originale, car il cite en fait Ibn Sahnūn qui y ajoutait
encore que le maître pouvait bien continuer, si les parents l'y
autorisaient (4). Quelque peu dans le même esprit Ibn al-'ArAbī
al-Mālikī attire l'attention sur le fait que deux branches ne peuvent
être entamées en même temps, à moins que l'élève n'ait une bonne
mémoire et suffisamment d'énergie.

(1) Ibn 'Abī Zayd al-Qayrawânî, La Risâla..., p. 18.


(2) Ibn 'Abī Zayd al-Qayrawânî, La Risâla..., p. 18.
(3) Al-Qābisī apud al-'Ahwānī, At-tarbiya..., p. 317.
(4) Ibn Sahnūn apud al-'Ahwānī, At-tarbiya..., p. 361.
234 MARC PLANCKE

Dans la publication de H. R. Idris des Manāqib rédigées au


XI e siècle, relatives à deux pieux personnages, al-Ğabanyānī et
Muhriz b. Halaf (1), se trouve maint renseignement nous permet-
tant de nous faire une idée sur les instituteurs. Ces données com-
parées avec celles d'autres sources de la même époque, telles
al-Qābisī, Ibn Hawqal et Ibn 'Abī Zayd, nous aident à resoudre
plusieurs questions.
Quel nom donnait-on au personnel enseignant du kuttāb ? Dans
les Manāqib de Muhriz b. Halaf, déjà citées plus haut, le personnel
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enseignant s'appelle tantôt «mu'allim», tantôt «mu'addib» (2).


On pourrait admettre, comme Idris le fait en quelque sorte lors-
qu'il traduit les deux termes par «instituteur», que «mu'allim»
et « mu'addib » sont vraiment synonymes pour la même fonction.
Mais on peut se demander pourquoi les auteurs arabes des Manāqib
ont employé deux mots différents. Si nous acceptons toutefois
que «mu'allim» équivaut à peu près à «instituteur» et «mu'addib»
à une fonction qui équivaut à « précepteur», nous croyons que
cette explication se rapproche mieux de la signification initiale
des deux radicaux dont sont dérivés respectivement mu'allim et
mu'addib : mu'allim est un participe actif de la II e forme de 'alima
et veut dire en réalité celui qui apprend, qui enseigne; mu'addib
est un participe actif de la II e forme de 'aduba et signifie en réalité
celui qui donne l'éducation (3). Qu'il doit y avoir existé une

(1) Pour la biographie de ces figures, cfr, outre les biographies qui se
trouvent dans les Manāqib, les notices sur ces deux personnages, qui pré-
cèdent l'édition critique et la traduction des textes ainsi que le Qādī 'Iyād
(Tartîb..., II, pp. 497-517 en ce qui concerne al-Gabanyānl, et pp. 712-715
pour Muhriz b. Halaf).
(2) Mu'allim : H. R. Idris, Manâqib... (pour les textes arabes pp. 4, 19,
27, 37, 53, 60, pour la traduction pp. 198, 212, 219, 228, 242, 249); Mu'addib :
H. R. Idris, Manāqib... (pour les textes arabes pp. 49, 54, 55, 58, 90, 107, 132,
pour la traduction pp. 239, 243, 244, 247, 272, 286, 307).
(3) De même la signification des noms verbaux de chaque deuxième forme
va dans le même sens : ta'līm veut dire enseignement, tandis que mu'allim
désigne celui qui fournit le ta'līm; ta'dīb signifie punition à côté de transfert
culturel, mu'addib est donc celui qui apporte le ta'dīb. Pour la signification
qu'il faut attribuer au terme 'adab, cfr C. Pellat, Variations sur le thème de l'adab,
in Correspondance d'Orient — Etudes, Bruxelles, n08 5-6, 1964, pp. 19-37, et R.
e e
LE KUTTĀB EN 'IFRĪQĪYA DU VII AU XII SIÈCLE 235

différence dans la signification des termes mu'allim et mu'addib


ressort à notre sens du fait que ni dans le texte de Ibn Sahnūn ni
dans celui de al-Qābisī il est question de mu'addibūn, mais bien
de mu'allimūn. Ces deux auteurs ont rédigé leur traité non pas
pour les précepteurs mais bien pour les simples mu'allim, les
instituteurs. Ibn 'Abī Zayd par contre dédicaça sa Risāla à son
neveu Muhriz b. Halaf en l'appelant « al-mu'addib Muhriz b.
Halaf». Il est intéressant de noter que dans les Manāqib de
Muhriz b. Halaf, celui-ci, à l'encontre de ce qui se faisait pour
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d'autres personnages, écrit toujours «al-mu'addib» lorsqu'il est


question de sa fonction d'enseignant (1). Devons-nous en con-
clure que cette fonction était plus estimée que celle de simple
instituteur ? Un autre indice prouvant que le « mu'addib » se
trouvait à un échelon supérieur de la société est que l'enseigne-
ment donné aux enfants par les mu'addibūn semble bien avoir
été destiné aux classes riches de la société et à la cour princière
et ce n'est peut-être pas par hasard que dans deux des trois cas
d'enseignement à domicile en faveur de princes que nous con-
naissons d'après d'autres sources, il est marqué que des poètes
étaient chargés de cette fonction : 'Abū 'Abdallah Muhammad
b. 'Abdūn al-Warrāq as-Sūsī († 1009-1010) était mu'addib de
Ğa'far, fils de l'émir de Sicile, Tiqat ad-dawla 1-Kalbī et ceci
depuis 1002-1003 (2), tandis que le poète et astronome 'Abū 1-Hasan
'Alī b. 'Abī r-Riğāl al-Kātib aš-Šaybânī fut désigné par le mo-
narque Bādīs (996-1016) comme mu'addib de son fils al-Mu'izz
b. Bādīs (qui régna de 1016 à 1062) (3). De même dans la période
fātimide l'on retrouve la mention d'un mu'addib qui soigna
l'éducation d'un fils de prince, mais ici ni le nom ni la fonction
supplémentaire éventuelle ne sont signalés (4).

Paret, Contribution à l'étude des milieux culturels dans le Proche-Orient médiéval :


al' encyclopédisme» arabo-musulmán de 850 à 950 de l'ère chrétienne, in Revue historique,
CCXXXV, 1966, pp. 47-100.
(1) H. R. Idris, Manâqib..., pp. 90, 107, 132.
(2) H . R. Idris, La Berbérie orientale..., p . 777.
(3) H . R. Idris, La Berbérie orientale..., p . 810.
(4) H . R. Idris, Contribution à l'histoire..., in Revue des Etudes Islamiques,
IX, 1935, p. 146. Dans le même passage de 'Abū Bakr al-Mālikī il est égale-
ment question d'un maître d'école qu'Idris appelle dans son analyse tantôt
236 MARC PLANCKE

D'après al-Qābisī, plusieurs mu'allimūn pouvaient se grouper,


partager le travail entre eux et le coordonner (1) de sorte qu'un
espèce de« team-teaching» avant la lettre s'organisa. Cette forme
d'enseignement fut mentionnée et décrite par al-Qābisi, de façon
à pouvoir admettre qu'elle n'avait rien d'exceptionnel. L'auteur
soumit toutefois l'emploi de ce type d'enseignement à deux con-
ditions : il devait se donner dans un même endroit et un des
membres du groupe devait nécessairement être mieux qualifié que
les autres pour donner les leçons. Une preuve que ce « team-
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teaching» se rencontrait réellement nous est procurée par un


passage des Manāqib de al-Ğabanyānī dans lequel cet homme
pieux semble avoir eu dans sa jeunesse deux mu'allim qui pro-
curèrent au jeune garçon un enseignement spécialisé : le premier
mu'allim lui enseigna le Coran et le second l'arabe et la poésie (2).
Dans les Manāqib de Muhriz b. Halaf il est aussi fait mention
de capacités autres que celles d'enseigner : ainsi Muhriz b. Halaf,
lui-même instituteur, était doué pour l'interprétation des songes
et cet art il l'avait appris de son propre maître (3); de même il
est fait allusion à un autre maître d'école qui était adroit dans la
menuiserie (4). La plupart des instituteurs cependant semblent
bien avoir enseigné le Coran et quelques uns d'entre eux, mais
ceci n'est pas la règle, sont nommés « mu'allim muqri' » dans les
Manāqib (5). Cette indication est-elle la preuve d'une certaine
spécialisation? Nous ne pouvons le certifier, mais nous faisons
remarquer qu'en indiquant les fonctions de certains 'ašyāh qui
soignaient l'enseignement dans la grande mosquée de Kairouan
et devaient être considérés comme appartenant à l'enseignement
post-élémentaire, il est marqué «aš-šayh... al-muqri'». Idris tra-

« mu'addib », tantôt « maitre d'école ». Comme nous l'avons vu Idris ne semble


faire aucune distinction entre « mu'allim » et « mu'addib » puisqu'il traduit les
deux termes communément par « instituteur» et « maître d'école», ce qui ne
nous permet pas de tirer des conclusions de ce passage.
(1) Al-Qābisī apud al-'Ahwānī, At-tarbiya..., p. 325.
(2) H. R. Idris, Manâqib..., p. 4.
(3) H. R. Idris, Manâqib..., pp. 132-133.
(4) H. R. Idris, Manâqib..., p. 53.
(5) H. R. Idris, Manâqib..., p. 23.
LE KUTTĀB EN 'IFRĪQĪYA DU VII e AU XII e SIÈCLE 237

duit ces mots par « le šayh et professeur (en lecture coranique) » (1).
Muqri' est un participe actif de la IV e forme de qara'a et veut
dire en réalité : celui qui apprend à lire, celui qui apprend à réciter.
Et dans le cas du mu'allim appelé « muqri' » et dans le cas du
šayh qui porte ce titre, nous croyons que la personne en question
doit avoir été, d'une façon ou d'une autre, en rapport avec la
branche «lectures coraniques» puisque aussi bien nous avons vu
que certains instituteurs connaissaient les diverses lectures du
Coran et qu'une certaine spécialisation des membres enseignants
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était possible. Enfin, nous voudrions suggérer de rendre « mu'allim


muqri' » par « instituteur chargé de l'étude des lectures coraniques ».
Nous avons trouvé dans des textes très divers des indications
sur la considération sociale des instituteurs : les Manāqib de al-
Ğabanyānī et de Muhriz b. Halaf font écho de la renommée de
certains instituteurs dans quelques petites localités, non seulement
de par leurs capacités intellectuelles mais également à cause de
leur vie pieuse (2). Si l'on insiste sur la piété de certains institu-
teurs, cela n'empêche pourtant pas de voir dans les mêmes ou-
vrages critiquer l'ignorance d'un certain instituteur au point de
vue de sa connaissance grammaticale (3) et relever les erreurs
qu'un autre commettait au point de vue juridique et religieux (4).
A la citation de certains travers chez les instituteurs, se joint la
description plutôt sarcastique par Ibn Hawqal des instituteurs
de la Sicile au X e siècle (5), alors encore sous la domination de

(1) H. R. Idris, Manâqib..., pour le texte arabe p. 161 et pour la traduction


française p. 329. M. Ahmed (Muslim Education...) ne semble pas bien savoir
comment il doit interpréter le terme muqri', puisqu'il le traduit tantôt par
«reciter of the Qur'an» (p. 68), tantôt par « teacher of kirā'a... » (p. 140 n. 5).
M. Gaudefroy-Demombynes (La Syrie à l'époque des Mamelouks d'après les
auteurs arabes, Paris, 1923, pp. 116-117 n. 1) explique muqri' comme suit :
« le moqri est celui qui récite le Coran, spécialement le savant instruit des
sept lectures et adonné à l'enseignement de la science de la lecture du Coran».
(2) Comme p.ex. à Tars Asbāt (H. R. Idris, Manāqib..., p. 5), dans le Sāhil
(H. R. Idris, Manāqib..., p. 58) et dans le Satfūra, c.-à-d. la région de Bizerte
(H. R. Idris, Manâqib..., p. 107).
(3) H. R. Idris, Manâqib..., p. 23.
(4) H. R. Idris, Manâqib..., pp. 60-61.
(5) Ibn Hawqal, Configuration de la terre..., I, pp. 125-129.
238 MARC PLANCKE

l'Ifrīqīya. Les nouvelles fournies par Ibn Hawqal étaient fondées


sur sa propre expérience car, comme il le dit lui-même, il se
trouvait dans l'île pendant les années 972-973 (1). Sa principale
impression semble avoir été que le niveau intellectuel des insti-
tuteurs n'était pas très élevé. Et la raison qu'il trouve à ce fait
est pour le moins surprenante : pour échapper à leurs obligations
militaires, beaucoup de Siciliens préféraient, contre paiement d'une
contribution spéciale, devenir instituteur. C'est ainsi qu'il se fit,
toujours selon Ibn Hawqal (2), que les citoyens les moins doués
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se sentaient appelés à devenir instituteur alors que la carrière était


mal rémunérée. La masse des instituteurs qu'il dénombra à
Palerme s'élève à trois cent et ce chiffre nous semble fantastique,
mais peut se comprendre si l'on tient compte de la peur du service
militaire. Ibn Hawqal trouve si regrettable que les Siciliens ne se
rendaient pas compte du fait que les instituteurs étaient les plus
grands imbéciles à la ronde, mais qu'ils étaient persuadés au con-
traire que ceux-ci appartenaient aux plus éminents juristes, savants
et orateurs (3). Remarquables sont à ce propos diverses anecdotes
que l'auteur nous rapporte (4). Il y signale, accidentellement,
maint détail sur l'atmosphère de la communauté scolaire. C'est
de cette façon que nous connaissons les noms de certains maîtres
d'école : 'Ishāq b. Mağālī, instituteur et juge, 'Abū 'Abdallāh
Muhammad b. 'Isā b. Matar qui avait entrepris un voyage en
Orient et avait ramassé des 'ahādit par écrit. Etait également
instituteur, 'Abū 1-Hasan 'Alī b. Bāna, surnommé Ibn 'Alf Sawt,
qui ne semble guère avoir été plus intelligent que Ibn Matar. Il
est regrettable pour nous, qu'un autre ouvrage de Ibn Hawqal,
traitant en particulier de la Sicile, se soit perdu. Selon son auteur
même (5), il traitait surtout des instituteurs. En rapport avec les
données sur la considération sociale souvent très variable de
l'instituteur, nous pouvons nous rendre compte comment il était
rémunéré. Lorsque les élèves savaient le Coran par cœur, la

(1) Ibn Hawqal, Configuration...


(2) Ibn Hawqal,
» pp. X-Xl.
Configuration...pp. 125-126
(3) Ibn Hawqal, Configuration...p. 126.
(4) Ibn Hawqal, Configuration...pp. 126-128
(5) Ibn Hawqal, Configuration... pp. 128.
LE KUTTĀB EN 'IFRĪQĪYA DU VII e AU XII e SIÈCLE 239

«hatma» avait lieu et à cette occasion il était d'usage d'offrir la


soi-disant «récompense» à l'instituteur qui était parvenu à leur
faire connaître le livre saint. Cette récompense pouvait, selon les
indications des Manāqib, se donner en nature ou en argent (1).
Il se faisait aussi que les élèves apportaient de petits oiseaux ou
des sauterelles pendant l'année scolaire en signe d'affection pour
leur mu'allim (2). Al-Qābisī nous rapporte encore maints autres
renseignements quant à la hatma et il étoffe son exposé de citations
de juristes pour démontrer dans quels cas l'on était tenu de payer
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la hatma intégralement et quand partiellement. Il est peut-être,


à ce point de vue, intéressant de rappeler qu'une place importante
est réservée dans son traité au problème de la rémunération du
mu'allim pour l'instruction des enfants d'une part (3) et à la
question de l'achat de cadeaux à l'occasion des fêtes d'autre part (4).
De même, il prête attention à la division de la semaine scolaire.
C'est ainsi qu'il fait remarquer que de tels jours étaient destinés
à telle branche et d'autres jours à telle autre branche (5). Certains
jours étaient considérés par lui comme jours fériés et concernant
les vacances il stipule quelles fêtes et quelles autres circonstances
entraînaient des vacances (6).
Enfin, nous pouvons nous demander où se donnait l'enseigne-
ment au niveau du kuttāb. Etait-il organisé dans la mosquée
comme d'aucuns le prétendent ou était-il donné dans une pièce
séparée ? D'après al-Qābisī l'enseignement du kuttāb ne pouvait
se donner à la mosquée parce qu'il avait un but laïc (7) et parce

(1) H. R. Idris, Manâqib..., pp. 29-30.


(2) H. R. Idris, Manâqib..., p. 63.
(3) Al-Qābisī apud al-'Ahwānī, At-tarbiya..., pp. 310-311, 322-324, 327-342,
et H. R. Idris, La Berbérie orientale..., p. 774. Les renvois à al-'Ahwānī ne
correspondent pas, car Idris a employé la première édition (1945) et nous
la troisième (1968).
(4) Al-Qābisī apud al-'Ahwānī, At-tarbiya..., p. 320, et H. R. Idris, La
Berbérie orientale..., p. 774.
(5) Al-Qābisī apud al-'Ahwânï, At-tarbiya..., p. 316, et H. R. Idris, La
Berbérie orientale..., p. 774.
(6) Al-Qābisī apud al-'Ahwânï, At-tarbiya..., pp. 318-319, et H. R. Idris,
La Berbérie orientale..., p. 774.
(7) Al-Qābisī apud al-'Ahwānī, At-tarbiya..., p. 324.
240 MARC PLANCKE

que les enfants auraient pu souiller le recouvrement du sol (1).


Selon lui il valait mieux utiliser à cette fin les magasins ou les
maisons des enseignants (2). Comme nous l'avons vu, il existait
à côté des mu'allimūn ordinaires également des mu'addibūn ou
précepteurs qui donnaient leur enseignement à la maison de
l'élève. Dans la Risāla de Ibn 'Abī Zayd (3) et dans les Manāqib (4)
nous avons trouvé mention d'un troisième lieu où cette sorte
d'enseignement serait procurée : Muhriz b. Halaf aurait donné de
l'enseignement élémentaire dans une zāwiya (5). Si d'autres don-
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nées venaient confirmer l'existence d'une zāwiya durant cette


période en 'Ifrīqīya — car Bercher, éditeur de la Risāla, ne prouve
pas ses dires et Idris semble douter de la lecture zāwiya — cette
mention comme lieu d'enseignement serait la première rencontrée
jusqu'ici. Pour conclure nous pouvons dire que le kuttāb était
établi en deux, ou le cas échéant en trois endroits : d'abord dans
les magasins ou maisons des instituteurs, en second lieu dans les
maisons des élèves qui avaient un précepteur et en troisième lieu,
peut-être aussi, dans une zāwiya.

(1) H. R. Idris, La Berbérie orientale..., p. 774, qui cite une fatwā d'al-Qābisī,
publiée dans le Mi'jar d'al-Wanšarīsī (VII, p. 24).
(2) Al-Qābisī apud al-'Ahwānl, At-tarbiya..., p. 324.
(3) Ibn 'Abī Zayd al-Qayrawânî, La Risâla..., p. 8.
(4) H. R. Idris, Manâqib..., pour le texte arabe p. 114 et pour la traduction
française p. 293 et p. 293 n. 39.
(5) Zāwiya (pl. zawāyā). Les conceptions sur la nature de la zāwiya sont
assez différentes : pour E. Lévi-Provençal (Zāwiya, in Encyclopédie de l'Islam,
i ère éd., IV, p. 1289) ce serait un bâtiment ou groupe de bâtiments à caractère
religieux et souvent même à caractère didactique, donc une institution qui
serait à la fois couvent et collège. A. Louis et L. Verplancke (La Tunisie
au XVIIe siècle d'après la Description de l'Afrique du Dr O. Dapper, in Ibla,
XXIX, 1966, p. 194) déclarent que la zāwiya est en partie un collège et en
partie une auberge gratuite. E. W. Lane (in An Arabic-English Lexicon, New
York, 19562, III, pp. 1273-1274) traduit le mot arabe par un coin de maison
ou d'une place et (pour la période postclassique) par mosquée ou chapelle.
Dans ce dernier sens la zāwiya pouvait faire fonction d'asile pour musulmans
pauvres, étudiants et autres personnes. Nous voudrions plutôt voir dans la
zâwiya cette partie de la mosquée qui était réservée à l'hébergement des
élèves qui y recevaient un enseignement.
LE KUTTĀB EN 'IFRĪQĪYA DU VII e AU XII e SIÈCLE 24I

Pour écrire une histoire approfondie de l'enseignement en


Tunisie islamique, il faudrait que d'autres sources soient publiées.
Nous avons néanmoins estimé le moment venu de réunir ici
quelques données sur le personnel enseignant, les matières sco-
laires et les méthodes employées dans les katātīb, et nous espérons
avoir contribué ainsi quelque peu à une meilleure connaissance
de l'enseignement élémentaire de ce pays pendant les premiers
siècles de son histoire.
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Al-Qâdi 'Iyād, Tartīb al-madārik wa taqrïb al-masālik li-ma'rifat 'a'lām madhab
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