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LA

CONSTITUTION DE '' VIDOVDAN ,,


hA CONSTITUTION
DE

'' VIDOVDAN ''


-*-
Etude sur la formation co11stitutio1111elle
de l'Etat Yougoslave.

THÈSE POUR LE DOCTORAT


Soutenue le Mercredi 14 février 1923, à 15 heures

à L'UNIVERSITÉ de GRENOBLE

PAR

MILAN HORVATSKI

•r ( '-y>--

GRENOBLE
lMPRtMERIÈ J. At.MRT
TYPOGHAPH!Ql!E
5, rue des Dauphins, 5
1923
En reconnaissance

A !~'UNIVERSITE DE GRENOBLB

MILAN HORVATSKI.
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BPlgnide H1::'1 Livre 1er, séances I (ter fév.) à XII (16
fév.). Livre ::' 6 , séances XIII (18 fév.) à XXV ('J. mars).
Livre 3'', f'énnce" XXVI (5 mars) ù XL (:li mars!. Li- .
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- XI

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INTRODUCTION

Dans son scn1s le plus lar!7e, le mot lutte désigne la.


fornw sociale tl politique du mouvement. La lutte et non
/a guerre, comme l'ont souvent prétendu les théoriciens
hégéliens dr l'Etat. L'idée de la guerre nécessaire à l'ori-
gi11.1 dans la formation et le développement des Etats nous
semble trop restreinte. Jt y a bien autre chose dans les
ronflits rnulliplcs f'l douloureu.r où naissent et où gran-
dissent les Etats. Il :i; a des luttes intérieures entre les
différentes couches sociales d'un même groupe et des
rivalité;; individ11Plles ou collectives entJre les groupes
pendant les périodes de paix. Car les guerres, qu'elles
soient fréquenteo, qu'elles soient exceptionnelles, sont en
tout cas inti rrnittentes.
Du .four où une société politique nalt jusqu'au .four où
('llr meurt, elle f st rem.plie de luttes incessantes. Les
hommes se sont ballus les uns contre les autres et ils se
battent encore. Ils se sont battus pour conquérir le terraiu
ou la richesse; ils se ballent aussi pour l'idée. Les plu.~'.
grandes batailles de l'histoire sont des luttes d'opinion.
Car les prnsées sont les vrais principes spirituels qui.
1missent les homrnes. Ces luttes d'opinions deviPnnent par
leur arnple/tr ce que nous appelons, peut-être inexacte-
ment, des. luttes de civilisation . .Jusqu'à ce .four du -moins,
l'histoire des sociétés ne nous a encore appris que. ceftl.;
leçon.
L humanité suit les opinions et souvent copie les insd-
tutions qui ont triomphé ou du moins qiâ ont vaillanunent
r,>sisté. Ce sont ces opinions et ces institutions qui devien-
n1mt le plus souvent les vérités internationales.
Une de ces vérités, résultat des opinions triomphantes,
est l'Etat Yougoslave. Les Etats en {/énéral doivent leurs
origines à des facteurs nombreux et divers. Il est très
dif/ù:ile de calculer l'importance et la force relative de
chacun de ces factours. S'i.l n'est pas possible de déter-
miner, une fois pour toutes, les facteurs qui concourent à
la création de l'Etat, on peut du moins indiquer ceu.x qui
jouent un rôle capital à une époque historique donnéP.
On sait, par exemple, que depuis la Révolution française
le sentiment national a été, d'une manière générale, un
des facteurs les plus importants dans la formation de~~
Etats d'Europe. Nous disons, d'une manière _générale,
parce qu'il n'v a aucun événement historique qui soit uni-
quement la détermination d'un seul principe, toute cause
e,st mêlée avec cent autres. Mais néanmoins, c'est le senti-
ment national qui a joué le rôle principal dans la form.a-
tion des Etats-Nations, comme l'Italie, la Grèce, la Bel-
gique, la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie, l'Etat Yougo-
slave et la Tchéco-Slovaquie, la Pologne, etc ..
Il serait trop théorique d'énumérer les diverses manières
dont les Etats peuvent f1tre fondés. On peut rernarquer
seulement qu'aujourd'hui, où toutes les parties du monde
sont partagées entre les ditférentes nations, les nouveau.X
Etats ne peuvent se créer qu'aux dépens des anciens. Cette
transformation se fait en général de d!!ux manières : ou
un Etat se sépare de l'ancien, ce qui arrfoe par suite d'une
révolution, ou plusieurs anciens Etats s'un:issent en un
nouveau, ce qui peut arriver plus rari!ment d'une manière
pacifique.
La création d'un Etat donc, ne dépend pas des règles
juridiques ni des lois sociales, mais plutôt des tendances
sociales.
-:t-
:Ne peut-on. pas, du moins, expliqut•r historiquement
l'origine d'un Etat nouveau· e·t pour ainsi dire actuel ?
JJepuis l'e//ondre1nent de la monarchie austro-hongroise,
il existe· un Etat nouveau, .un Etat composé d'une nation
Yougoslave, dénommée pendant des siècles sous les di//é-
rn1ts noms de Serbe, Croate et Slovène. Quelles sont les
orig'ines de cet Etat? Autrement dit, quels sont les /acteurs
principaux qui ont contribué à sà formation ? Etant donné
q1u l'Etat yougoslave est un Etat-Nation, tes idées natio-
nales ont joué un i·ôle prépondérant dans sà /ormatio1i.
Car, si les premières nations étaient arrivées â leur dge
de nation sans se rendre compte de l'importance de ce
qu'elles faisaient; elles étaient guidées par leur instinct
et leurs traditions ; les nations qui e//ectu.èrent leur unité
aux XIX et XX siècles le firent conformément à des idées
0 0

lab01·ieusement discutées : par suite, cette question sera


traitée dans notré première partie intitulée " Les /acteurs
principaux dans la formation de la nation yougoslave et
leurs conséquences "· ·
Diwns tout de suit<~ que la nation yougoslave n'est pas
le produit. de la guerre mondiale, ni du hasard, ni d;une
conquête militaire. Ce que l'on peut rtire, c'est que la
guerre mondidle a avancé sa formation politique. Elle
n'est pas non plus le résultat de la politique. Ce que l'on
peut dire c'est que la politique a été favorable ou: dé/avo-
rabliJ à la nation yougoslave pour devenir le vrai subtra-
tum vivant d'un Etat.
Les nationalités s;e:condaires, autrefois endormies ou
assujetties ont pris consciehce d'elles-mêmes, ont exigé
leur place au soleil et aspi,ré à devenir des Etats indépen-
dants. Mouvement d'ordre spi.rituel avant tout, ·fait par
la langue, par la littérature, par les traditîons héroïques
et légen(i,aires. Ce n'est ni le be:win de mieux manger,' ni
le besoin de s'enrichi_r qui ont poussé, les Polonais, les
Tchécoslovaques, les Yougoslaves et les Roumains à récla·
merr leur place sur la carte politique, ou à vouloir agr,an·
1 , ,' • • ~ •
dir celle qu'ils avaient déjà. Pour manger ou pour s'enri-
chir ils eussent été aussi bù:n et peut-être 'mieux sous les
dominations qu'ils voulaient abattrr. Leur lutte pour la
disperrsion nationale contre la concentration des Mnpires,
c'est la lutte de l'intelligence et de la sensibilité contre
l'intérét, de l'esprit contre la matière. A, l'origine des
concentrations allemande, russe et aûtrichienne, il y a eu
des économistes et des hommes d'Etat. A. l'origine des aspi-
rations nationales satisfaites en 1918, il y a des poètrs,
des artistes et des professeurs.

De même que l'idée de fraternité et de solidarité


humaines est le produit de la philosophie moderne, de
même la solidarité et la fraternité de la nation yougoslave,
désignée sous les noms de Serbes, Croates et Slovènes sont
le produit de la conscience· nationale des intellectuels
:11ougoslaves. De même que les idées de fraternité et de soli-
darité humaines se sont répandues dans le monde par la
voix de la prédication et de la propagande individuelle et
collective, de même la solidarité et la fraternité nationales
de la nation yougoslave se sont répandues par la prédi-
cation individuelle ou collective, par la vofa; de ses élites
sociales pendant les XIX• et XX siècles.
0

Mais si toutes ces idées se sont propagées par·mi les indi-


vidus par la philosophie et la conscience solidariste, cela
ne veut pas dire qu'elles doivent rester dans le domaine
philosophique. Si notamment, l'origine du droit peut être
cherchée dans les idées simples de liberté, de responsa-
bilité et de justice, cela ne veut pas dire que le droit doive
rester enfermé dans son cadre originaire. Au contraire,
nous sommes convaincus que les idées de solidarité et de
/raternité humaines peuvent arriver à transformer le
droit positif par la direction nouvelle qu'elles donnent au
sentiment du devoir et de la fraternité, comme l'idée de
la solidarité- et de la fra~ernité nationales de la nation
-5-

yougoslave a transformé la carte politique. Par cette trans-


fMmation même la nation yougoslave a assuré sa véri-
table existence et a formé un Etat indP-pendant et libre.
Dans notre deuxième partie, nous ferons connaître, enfin,
dans ses lignes générales, l'organisation du nouvel Etat,
« la Constitution du 28 juin 1921 », l'organisation étant un
facteur principal dans la définition rnatérielle de l'Etat
lui-même.
PREMIÈRE PARTIE

Les Facteurs principaux dans la formation


de la nation Yougoslave et leurs conséquences.

OBSEHVATIONS GENÉHALES

Les Nations sont des êtres vivants qui naissent et meu-


rent. Elles ne sont pas, durant une seule année, exacte-
ment pareilles à ce qu'elles étaient l'an d'aupa.ravant. Elles
sont conquérnntes et assimilent. Ou bien, elles sont défaiJ:
lantes et s'altèrent (1).
Certains (2), qui s'attribuent des opinions ultra-avancées
et un esprit. .ultra-éclairé, sont a Hachés .au conservatisme
J.e plus vieillot. Ils croient toujours être parvenus sinon à

(1) J1ean Brunhes et Camille Vallaux, J,a Géorrraphie de


l'Histoire, p. 610.
(2) Voir particulièrement August Schwan, La lwRe d'1me
pafa: durable, 1917.
Francesco Nitti. Eurupa senza pace. Firenze, 1921. D'après
-B-

la fln du monde, du moins à la fin des changements du


monde. Il" prétendent fixer il jamais les limites des Etats
et dresser une carte des nations ne varietur. Ces considé-
rations m· sont pas seulement contraires aux vérités histo-
risques, niais elles peuvent amener des résultats mal-
heureux. N'est-il pas utile, en politique, l'homme qui
possède une méthode, dangereux l'homme qui a une doc-
trine et emprisonne son esprit dans cette codification
intellectuelle ne varietur qu'on appelle un systènv.
IJ y a un siècle, la nation belge n'était pas. H y a un
siècle,· la conscience yougoslave n'existait pas, on n'a
jamais parlé du nationalisme yougoslave au XVIII siècle,
0

on le connaît à peine, même aujourd'hui. Il y a un quart


de siècle, le Transwaal était encore. Et tous les boul2vc'r-
sements polfüques et nationaux qui se sont produits depuis
un demi-siècle dans Tes régions de la Péninsule ita.lique,
balkanique, mer Baltique, etc., ne nous donnent-ils pas la
preurve d'une instabilité universelle des nations.
Si on comprend la nation comme une unit~, ne mzrietur,
c'est-à-dire absolue, à la manière des conservateurs moder-
nes, on doit alors conserve1r la forme, même si le contenu
a disparu.
C'est ainsi que le nationalisme peut devenir l'égoïsme
national, ou ce que l'on appelle le chauvinisme. C'est ainsi
que le nationalisme peut devenir le défenseur des ancien-

l'auteur italien, qu'il y ait dans l'Europe: après la guerre,


plus d'Etats et de peuples qu'auparavant, cela lui paraît un
signe du désordre matériel et moral qui résulte de la guerre,
un effet funeste et nocif de l'œuvre délétère des traités de
paix. On a arraché des territoires et des populations aux
races les plus cultivées, progresisives, avancées, (ce sont des
expressions qui reviennent sans cesse f.ous sa plmne quand
il parle des Allemands et des Magyars) pour les attribuer à
des races inférieures (.Tourna./ des Débats du 5 mars 1!l?z, de
Pierni de Quirielle).
-Q-

nes institutions qui ne s'accordent pas avec les nécessités
modernes de la vie en société, qu'il peut nier les autres
forces sociales et par là les questions soctales.
Or, il est incontestable que la civilisation croissante
entraîne des progrès continus dans l:e développement sooiaF
de l'homme : pour comprendre l'importance de plus en
p.Jus grande qu'ont les problèmes sociaux· dans l'orga:r;ü-
sation de la vie humaine, il suffit de penser à l'évolution
des petits groupes d'unités primitives, aboutissant aux
Etats, de penser au caractère international que prennent à
l'heure actuelle · 1es affaires humaines le.s plus impor-
tantes.
En évitant d'affirmer d'une façon généralle le caractère
statique d'une nation et de. sa <0onscience national'e, nous
éviterons certaines erreurs et certains dangers. Nous évi.te-
rons d'abord d'attribuer au peuple à qui manquent les
marques essentielles de la nationalité, des droits à la
nation. La Hongrie, par exemple, n"était pas une nation,
bien que les Magyars en soient une, car, autour des
Magyars, et pourtant dans les !'mites de la Hongrie, sont
inclus des fragments crautr.es nations situées en dehors
de celle-ci (1). Nous serons sauvés en second Feu des
doctrines nuisibles du •raicialisme et dé l'égoïsme ou chau-
vinisme nation.ai:.
Mais en affirmant lia relativité de la nation, en la carac-
térisant comme une unité dynamique, nous n'avons pas
encore donné une définition de la nat.ion. Au point de vue
formel et juridique, pas de difficulté, quoiqu'il existe,
précie.ément à ce point de vue, en théorie, une différence
apparente entre les juristes allemands et les juristes fran·
çais (2). Les Allemands ont coutume de construire la

(1) Voir sur cette question B. Auerbach : Les Races et le.ç


Nationalités en Autriche-Hongrie. Paris, 1917.
(2) J. Cruet : La Vie du Droit, p. 320.
-10 ~

théorie de l'Etat sans fairre apparaître la foule mouvante


des citoyens, ou bien, dans la pl'us favorable situation, ils
recommandent à la nation d'occuper le moins de place
possible et surtout de ne pas bouger afin de ne déranger
aucun des grands pouvoirs de l'Etat. Ainsi ne savent-ils
souvent où mettre la nation et ils sont parfois conduits à
nier son existence juridique comme s'il n'était pac; absurd2
de nier juridiquement une force si réelle.
Qu'entendons-nous pair une nation ? L'idée de la nation
Eist devenue un axiome, elle fait à tel point parti de notre
bagage intellectuel courant, que nous sommes portés
it considérer comme allant de :::oi que toute nation, préci-
sément comme telle, a un droit inhérent à être unie et
Jiibre. Pourtant c'est là une idée très moderne. On peut,
en toute sécurité, dire qu'avant la Révolution française
aucun homme d'Etat, aucun théoricien de la politique
n'avait jamais énoncé pareille doctrine. En fait, en tant
qu'.axiome politique, même parmi les peuples européens,
elle remonte à peine jusqu'à la Révolution française, mais
doit son ascendant plutôt à Mazzini €t aux grands mouve-
ments nationalistes qui ont absorbé l'attention de r'Europe
de i830 à 1870. Même aujourd'hui, elle n'est pas du tout
universellement admise. On la considère souvent comme
dangereuse, apte à induire en erreur. Encore plus, pour
les idéa.listes, c-ette idée a été le plus grand obstacle à la
comp1réhension mutuelle et à la sympathie entre peuples
et'Ia cause la pl'us féconde de guerre. Hs voient en elle la
principale barrière à fa réalisation de la fraternité de
l'homme et à la création de cet état unive rsel où le règne
1

de la Paix pourrait enfin être institué sur terre.


Quand on pense à donner une définition abstraite d'unr
nation, on arrive tout de suite à se demander quels sont
les caractères principaux d'une nation. Nous disons
et nous devons reconnaître qu'il n'y a pas de carac-
téristique unique, inf.aillib!H, de ce qui constitue une
nation, à moins que ce ne soit là la conviction de la popu-
-11 ~

liation elle-même de son caractère national, et encore cette


conviction peut-eHe être éronnée ou reposer sur des bases
insuffisantes (i).
Aucun facteur isolé, ni l'unité gèog1raphique, ni la race,
ni la langue, ni la religion, ni un ensemble commun de
coutumes, ni la communauté d'intérêts économiques, ni la
possession de traditions oommunes, - quoique cela soit
peut-êt,re le plus puissant des li~ns d'union, comme nous
le verrons dans les chapitres suivants - ne semble indis-
pensable à lia constitution d'une nation.
Une société déterminée qui aspire dans un moment
donné à être unie de manièr·e à .devenir ce que nous appe-
lons une nation, doit posséder quelques-'uns au moins de
ces liens d'affinité, mais aucun d'eux n'est essentiel, aucun
ne peut servir de critérium certain.
Comment alors allons-nous jamais pouvoir déterminer,
dans un cas quel conque,, si la prétention à former une
1

nation est valable ou non ? C'est ici que l'on sent le besoin
'moral, sinon pl'atique, de donner une définition quel-
conque de la nation. C'est pour répondre à cette question
que l'on voit d'innombrables ouvrages (2) et d'innom-
brables définfüons formulees autour de ce principe embar-
rassant que l!',on appelle le principe des nationalités. d'est
en répondant à cette question quei l'on peut hrès facilement
tomber dans un cercle vicieux et arriver à un désaccord
de théories et de faits à cause d'une raison très simple et
log.ique, car la vie sociale, politique, internationale est loin
d'être logique. On groupe, regroupe, disjoint et parfois

(1) Ramsay Muir, prof. d'hist à l'Université de Manches-


ter : Nationalisme et Internationalisme (trad. de H. de Vari-
gny), page 71. ·
(2j V. plus spécia!.ement R. Johannet : T4e principe des Na-
tionalités ; Renan : Qu'est-ce qu'une nation ? (Discours et
Conférences), page 307 ; Bourdeau : Le Problème des natio-
nalités (Journal des Débats du 23 déc. et du 13 janvier 1922).
- 12-

fabrique les nations sur la carte de l'Europe au. gré .des


nécessités ou des opportunités, soit politiques, soit cultu-
rellies, soit économiques.
Nous avouons tout franchement qu'à cette question
il nous est impossible de donner une réponse exacte,
]ibellée en une formule nette, telae que l'aiment les doctri-
naires.
L'histoire dei l'idée natibnale montre que chaque nation
a dû à son tour prouver qu'elle avait des droits à être telle,
et 1-e plus souvent combattre à cet effet oontrei des forces
hostiles. N'y a-t-il donc pas moyen de se soustraire à
l'interminable série des guerres pour le principe national ?
N'est-ce pas donner une justification à cette expression que
tout est légitime par le succès '?
Ill y a une seule exception et un seul moyen de se sous-
traire à oette réalité historique, ili est vrai malheureu-
sement qu'en pratique cela n'est jamais arrivé, c'est le
triomphe du principe des nationalités dans tous les
domaines où sa prétention est justifiée, et cette exception
même sera sans valeur si le nationalisme vient à s'iden-
tifier avec la œace, la religion, etc ..
L'histoire nous montre, d'autre part, qu'il y avait des
Etats oppreisseurs des nations, !l'ancien empire allemand,
l'ancienne Autriche-Hongrie, l'ancienne Turquie, l'an-
cienne Russie ; qu'it y a des nations s'efforçant au con-
traire à mériter l'indépendance d'Etat, en groupant res
différents caractèreis et les éléments à part, locaux, en une
surpationalité, l'Italie, la Suisse, la Belgique, la Yougo-
slavie, etc ..
De ces faits historiques, l.ogiquement on peut déduire
que s.i un Etat n'aboufü pas à faire une nation de ses
populations, c'est une puissance tyrannique qui est fata-
lement conduite à persécuter, emprisonner et massacre,r.
La guerre mondiale a '!Dis fin aux trois grandes monar-
chies militaires à base féodale et ~elles-ci ont été rernpTa-
cées. par des Etats dans la formation desquels le principe
-- 13 --·

des nationalités et le droit de disposer de son sort, malgre


les entorses qu'ils ont subies, se sont affirmés comme ils
ne l'avaient jamais fait auparavant.
On voit donc que nous ne sornmes pas arrivés à donner
une définition très claire de la nationalité, ni à trouver la
pierre de touche de la validité des raisons invoquées
pour réclamer la liberté nationale.
Nous considérons d'abord que le principe des nationa-
lités est hors rlu cadre de notre ouvrage et de notre
méthode. Nous n'avons pas ici la tâche de justifier l'exis-
tence de la nation yougoslave puisqu'elle existe, ma·s
tout simplement d'énumérer les facteurs qui l'ont créée
et de voir les conséquences de ces facteurs.
Nous considérons ensuite qu'aucune nation ne peut être
définie d'une manière sommaire et abstraite ; toutes J.es
nations sont des êtres qui ont une foule de qualités de faces
différentes. En dehors de sa valeur relative, la nationalité
est un caractère spirituel ; pour sa formation il faut un
milieu favorable avec des intérêts et des idées communes.
La force peut être favorabk~ mais en même temps défa-
vorable à sa formation (i).
Qu'est-ce que nous entendons aujourd'hui par la nation
yougoslavr1 ? La nation yougoslave est un groupement des
Slaves du Sud les méridionaux - - caractérisé par une
conscience nationale au cours des XIX" et XXe siècles,
désigné pendant des siècles sous différents noms de carac-
tère soit traditionnel et historique, soit géographique, soit
religieux, parlant aujourd'hui une même langue, profes-

(1) Un caractère national n'est qu'un caractère local qui a


fait fortune, exactement comme Ja langue n'est qu'un dialecte
local qui a fait fortune. Il y a une certaine imitation incons-
ciente qui est la force dominante dans la formation des carac-
'ères. nationaux. \\'. Bagehot, Lois sciP11tifiques du dével.op-
pement des nations, page 40.
- i4 -

sant trois religions, occupant une continuité territorial?


politiquement séparée jusqu'à ~a fin de lia guerre mondiale.
Dans les chapitres suivants, nous verrons, en étudiant
lrs facteurs qui ont donné naissance au nationalisme
yougoslave, des explications détaillées de ce caractère
général. Néanmoins, à première vue, ill s'en suit que la
nation yougoslave :

1 ° Est un libre g.roupement d'hommes caractérisé par


une conscience nationale au cours des XIX" et XX" siècles.
2° Qu'e,lle est un groupement des Slaves du Sud -- les
méridionaux - ù k1 différence des Slaves du Sud ---- les
orientaux - qui sont les Bulgares.
3° Qu'elle a été désignée au cours des siècles sous diffé-
rents noms.
4° Qu'elle parle aujourd'hui une même lan1rne.
f) Qu'elle professe trois religions.
0

6° Qu'elle occupe un terrüoire continu.


7 ° Qu'elle a étié politiquement divisée jusqu'à la fin de
la guerre mondiale.

IL y a lieu donc de prendre en considération tous les


accordis et désaccords qui se sont manifestés dans la forma-
tion de la nationalité yougoslave pour déterminer le carac-
.tère général de cette nationalité. De même, en observant
une société déterminée, on constate que les fonctions di i
tincte·s chez elle ont pour conséqllenee une différenciation
correspondante et que par suite, à l'intérieur d'un système
social, l'être différencié s'éloigne et se sépare des autres,
niais la nécessité des rapports et de l'assistance récipro-
que a, en retour, pour effet, de rapprocher k's individus
et les groupes. De même, on verra dans toute la société et
dans toutes ses manifestations, donc nationales aussi, se
former de ces forces centripèdies et centrifuges, agir en
même temps en concordance et <0n opposition. Ainsi faut-il
en général une juste mesure dans la différenciation pour
que les systèmes sociaux, et par èonséquent les nations
les plus durables, se constituent (1).
E;n tenant compte de ces observations générales, nous
diviserons notre première partie en trois titres : i L'Unité
0

de race et la continuité territoriale; 2° L'influence politi-


que :et religieuse ; 3° Le nationalisme yougoslave et ses
conséqu:enc.es.

-·*-·

(1) W. Ostwald, Une Philosophie de.~ sciences, page 178.


TITRE PREMIER

L' Unité de Race et la Continuité territoriale.

CHAPITRE PREMIER

L'L'NITÉ DE RACE.

L'unité de race est parfois considérée comme étant unr~


affinité nécessaire et un élément essentiel à la constitution
d'une nation. Pourtant ili n'y a pas une nation en Europe
qui ne soit de race mixte, et jamais il n'y a eu aucune
race qu.i ait réussi à ,réunir tous ses membres dans une
même entité nationale. Un certain degré d'unité de race
est un fait presque indispensable pour qu'une nation existe,
mais le mélange des races n'est pas hostile au développe-
ment dJe l'esprit national tant que les races se fondent et
qu'il y a libre fréquentation entre ·elles par inter-mariage,
ou autrement.
Ce qui est fatal au développement du sens national, c'est
qu'une des races constituantes chérisse la conviction de sa
supériorité et que eette eonviction soit incorporée dan~ lit
loi ou la ooutume. Les races mélangées de la Hongrie
auraient pu former une nation si les Magyars ne s'étaient,
dès 10 début, tenus à distance de leurs sujets slaves· et
roumains, en lies traitant comme des inférieurs. Il est en
réalité très important de tenir distinctes les deux idées dt:
race et de nation, car une importance exag&éi:: acco;rdoo
a l'élément racial a amené et peut enoore amener des résul·
tats malheuireux.
Le racialisme, c'est-à-dire la croyance en une supério-
rité inhérente d'une race sur une autre et en l'antipathie
fondamentale entre· races, peut, bien plus que ie natio-
nafü:sme, être l'ennemi de la paix. Ce qui a converti le
mouvement national en Allemagne en un danger pour
1'Europe a été que, priDtcipalement, par 1suite de l'idolatrie
de race des historiens et philologues allemands, ce mouve·
ment, de national qu'il était, a été détourné en mouvement
racial. On l'a fait reposer sur l'assertion de la &upériorité
inhérente de la race tèutonique sur toutes les aut,res.
Mais cette tendance à faire d'une manière superficiellle
la distinction entre les :races supérieures et inférieures,
n'est pas un caractère propre seulement aux Allemands.
Elle se trouve partout, il est vrai, sous diverses formes,
et surtout chez les psychologues. Ne ;respectant d'une
manière unil.atéra1e que la civilisation matérielle dont la
différence est facilement compréhensible en étudiant l'his·
toir.e de chaque peuple, ils sont parfois conduits à des
oonclusions purement personnellès et anti-scientifiques (1).
Cette sottise malfaisante et dangereuse qui ne trouve
'de justificati.qn ni dans l'anthropofogie, ni dans la physio-
fogie ou l'histoire, a: atteint son apog:ée de mégalomanie à
la fin du XIXe siècle et commencement du XXe dia.ns t-0ute
l'Europe.

(1) Gustav.e Le Bon : Premières Conséquences de la Guerre,


1916-17, page 247.
2.
18 --
Le racialisme repose sur une base anti-scientifique, il
suppose la pureté de la raœ (théories de Gobineau, de
Vacher, de Laponge, de Cnamberlain) (1) là où il r.st facile
de démontrer qu'elle n'existe pas ; il affirme l'existence
de différences permanentes et inaltérabl'es entre les types
die races des différents peuples européens, en dépit de l2ur
étroite parenté et malgré le fait évident que les différences
existantes sont dues aux conditions de climat et aux insti-
tutions sociales, bien plus qu'à la forme du crâne, ou à
d'autres caractères ethniques. Il n'y a p.as, entre Etats
civilisés, ni à l'inMrieur des Etats civilisés, de question
de race ; ce qui nous agite tant, sous ce nom, corres-
pond peut-être bien à une question, mais pas de
race (2). Il faudrait ,remonter dans le passé au moins
d'une v 1ngtaine ou d'une trentaine de milliers d'années,
pour découvrir des groupes humains approximativement
homogènes, répondant à la définition théorique de la race.
Et encore, si nos connaissances étaient plus étendues, les
découvrirait-on ? (3)
Le raicialisme, en affirmant l'existence d'une antipathie
fondamentale entre races et la :;supériorité inhérente de
teHe race sur telle autre, est l'exicte antithèse .du natio-
nalisme. Car lie principe national et les faits historiques
commencent en reconnaissant que les nations peuvent être
et sont communément faites d'un mélange de plusieurs
rac€s.
Le germanisme, par réaction, engendra l'e slavisrne qu(
était prêché par les doctrines panslavistes. Une doctrine du
latinisme se développa quoiqu'elle n'ait jamais beaucoup

(1) Cvijic : La péninsule balkanique, p. 269.


(2) Jules Sageret : La question des ra·ces et la sdence. Revur
1tn Mois du 10 juin 1919, p. 167.
(3) Marcel Boule : Elément d.e paléontologie humw·ine,
Çh. IX. Des hommes fossiles aux hommes actuels, ·p. :;!18-352.
réussi ù se faire accepter. Elle exerça une influence notani-
mcnt l~n H:omnanieo, où un dialecte latin corrompu est
parlé par un peuple qui comprc~nd unn élément de presque
toutes les races qui ont passé u'Asie en Europe (1).
" Il n'y a pas de peuple aussi grand que le nü~re " écrit
déjà au XVI' siècle le Croate Vrantchitch.

il 2st utile cependant de distinguer le rnouyement du


panslavisme de celui du pangermanisme ou du panaméri-
canisme moderne. Notamment, le panslavisme n'a aucun
caractère d'expansion économique. La panslavisme n'est
pas l'nmvre des hommes d'Etat ; il n'est pas même aidé
par eux. La raison en est très simple : au commencement
du XIXe siècle, sauf la Hussie autocratique, iL n'y avait,
pour ainsi dire, pas d'autre Etat Slave.
Au début, le panslavisme avait pour but de délivrer
tous les Slaves dn joug allemand et magyaro-ital1ien. Cela
se voit très bien, du reste, dans le discours (2) de Chafarik,
fait au congrès slave tenu à Prague et qui a été dispersé
par une révolution, le 12 juin 1848. Mais avec le temps,
lorsqu'on vit la difficulté pratique de la délivrance, beau-
coup de panslavistes se tournèrent contre d'autres races
en célébrant la supériorité de la race slave. Dostoïevski
lui-même a dit (3) : " Il faut montrer que nous avons
conservé en nous l'enseignement du Christ, tandis qu'eux
l'ont méconnu. "
Les plus originaux des panslàvistes se trouvaient en
Russie. La critique de la civilisation en Occident, entre-
prise par A. Homiàkow, J. Kiryeyewski, I. Samarin, K.
Aksakov et d'autres, porte un caradère philosophique et

(1) H. Muir : op. cit., p. 1H.


(2) Louis Lége.r : Le panslavisme, p. 177.
(3) Revue Misao de B_elgrade, n° 51. Article de M.. Djouritch,
Slovensko Indijski pauhumanisam.
rel:igieux (1). Kirjejevski a écrit, dans son article " Le
caractère de la civilisation europénme " (1852), que " le
développement de la civilisation en Occident a commencé
au IX siècle et fini au XIXe siècle. " " L'incertitude dans
0

laquelle se trouve l'Occident, éerit Homjakov, n'est pas


accidentelle et passagère, mais une nécessité inévitable
provenant de la rupture de l'équilibrP, moral dans la
société. Dans un coin de son âme vit le sentiment religieux
et dans l'autre, la force de la raison et ses efforts pour les
occupations jou!'nalières. L'absence de cette harmonie inté-
r•i1eure affaibfüt les forces de l'homme d'Occident_,, La reli-
gion orthodoxe était pour ces panslavistes la personnifi-
cation de l'unité d'esprit. C'est pourquoi toute la critique
sur l'Ocieident se réduit de bonne heure à sa religion. L~
catholicisme et le protestantisme sont la cause de la tra-
gédie de l'Occident. Le jeune Samarin fut tourmenté par
le problème de trouver un lien entre la philosophie de
Hegel et l'orthodoxie. Il a fini par être cl'accord ave'c la
majorité des panslavistes, c'est-à-dire que l'Occident était
tombé dans une maladie incurable, parce qu'ü était reli-
gieuse:--nent appauvri. Le rationalisme, ·Ce fruit venimeux
de la civilisation occidentale, est né lorsque l'amour, la
seule condition de la vie, eut disparu.
" En Occident, écrit Homyakov, la raison s'est trans-
formée en ruse intellectuellie, la beauté en rêverie, la vérité
en raisonnement, la vertu en satisfaction personnelle ou
égoïsme. Tandis que l'affectation suit pas à pas la vüi en
cachant les mensonges au dehors, de même la rêverie sert
de masque au dedans. "
Ce que Gogol; a senti en Occident, comme artiste, les
panslavistes le sentirent comme philosophes. Gogol et les

(1) R.evue Nova E·1Jropa de Zag.reib, 1°' fév. 1922. Article de


M. Zjenkiovski : La critique de la civilisation européenne par
les penseurs russes. Les panslavistes.
·-21-

panslavistes sont des devanciers de la formule philloso-·


phique de Vladimir Salawyow : le christianisme en Oœi-
_dent a de grands mérites au point d!e vue moral! et histo-
rique dans la formation de la civilisation européenne,
mais il port.e aussi la grande responsabilité de la grav.e
maladie morale qui règne en Oocident. Herzen, Tolstoï,
Danilewski critiquent aussi la civilisation européenne,
mais sans faire aucune alllusion à la religion orthodoxe.
Comme en Russie, où -l1'action des µanslavistes peut être
considérée une sorte de réaction oontre les œuvres de
Pierre-le-Grandi, de même chez les autres peuples slaves
il s'e.st trouvé des hommes qui ont glorifié la race slave.
Certains s'abandonnent, car à chaque époque et dians toutes
les races, il y a toujours eu des âmes r,iobles qui, ble-ssées
par les événements et la situation de Ieur pays, se réfu-
gient dans des rêveries Înétaphysiques et politiques. Leurs
idées justifiées seulement par les éléments émotionnels,
autrement dit, injustifiées, n'ont donné en pratique aucun
résultat positif. Les intérêts nationaux et politiques ont
toujours été plus .forts. Les preuves en sont, dans la vie
politique, les différent.es luttes entre les Russes et les Polo-
nais, la Serbie et la Bulgarie, et pour être pllus actuels,
le commencement même de la formation dies Etats nou-
veaux tchécosfovaques et polonais, n'a pu s'effectuer sans
effusion du sang fraternel (la question de Teschen) (i).
La solution du principe des nationalités, qui consiste à
réduire à des formes plus adoucies la ooncurrence univer-
selle des Etats, ne nous donne pas les garanties que cette
concurrence doive cesser. Sa solution dépend mo-ins d'un
ingénieux agencem'ent des nations ou de-s idolâtries de ra.ce
que d'un de c.es changements dans la nature humaine qui
ne s'accomphssent qu'avec une infinie lenteur.
Mais tandis que le' panslavisme était l'œuvre des hom-

. (1 ) Marcel Rivet : Les Tchécoslovaques, p. 76.


mes de lettres et des philosophes, et se trouve même
aujourd'hui dans le domaine l!ittéraire, l'idée de la confé-
dération balkanique provenait des hommes pohtiques les
plus réput.és de Serbie.
Karageorge, guide de la Révolution nationale, ne se
contenta pas seulement de la délivrance de la provinc2
de Choumadia ; il désirait qu'un soulèvement se répandit
dans toute la péninsule balkanique dont les conséquences
seraient une confédération balkanique. La même · idé2
fut suivie plus tard par un homme d'Etat remarquable
de Serbie, Illiya Garachanin, ministre des Affaires étran-
gères, et elle revêtit un caractère plutôt social au temps de
Svetozar Markovitch, socialiste et publiciste remarquable:
" Un::: révolution dans les Balkans, dit-il, serait le seul
.calut pour la Nation, une révolution qui ferait dispa-
raître tous les Etats des Hal'kans et unirait tous leur"
citoyens en libres travailleurs à droits égaux ,, 11).
Mais ce qui est en même temps intéressant, c'est que la
même idée avait ét€ adoptée au temps de la création (1882)
du parti radical en Serbie devenu aujouird'hui le parti des
Serbes, Croates, Slovènes, par son premier, M. Pachitch.
Ce parti, qui joua un rôle important dans la vie politique
de Serbie, 'avait entre autres le but de travailler vivement à
la formation d'une fédération balkanique. On aspirait ù
se rapprocher surtout de la Bulgarie, pays le plus 'nüsin
de l'a Serbie par· sa situation géographique et son peupk
slavisé. On sait très bien que ces belles intentions furent
ajournées pendant un temps indéfini, gràcri, au caprice du
roi Milan (2) et au touranisme bulgare d\m côté, d ù la

(1) RHVlle Misao de Belgrade, n°' :37 et :38. Ari.ièle de :\1. Lap-
khevitch : Balkanslrn federadja (La Confodèration Balka-
nique).
(2) Gec1,rgevitch, prof. à l'Cniversité de Belgrade : E.onven-
cija l\.ralja Milana sa Austrijorn (La convention du r.oi Mi-
-23-
politique de li'Autriche-Hongrie (1) et de la Russie de
l'autre. L'idéB de la confédération balkanique, quoique
vivante, est ·encore une impossibilité psychologique et
historique et chaque effort qu'on ferait aujourd'hui pour
la réaliser provoquerait des perturbations dians les Bal-
kans. Ce qui, d'ailleurs, n'exclue pas la possibilité d'un
bloè éoonomique et politique parmi les Etats balka-
niqües (2).
Mais il serait exagéré de taxe1r d'utopistes tous les
slavistes, de même qu'il serait anti-scientifique de nier .et
de ne pas reconnaître qu'une race e.st une grande réalité
matérielle qui subsiste et qui pe.rsiste, dont les caractèr.es
apparaissent, reparaissent dans les indlividus et dans les
collectivités.
Mais seulement, nous nous ·imaginons à tort tous ces
faits humains comme ayant une existence objective abso-
lue et une fixité trop rigide. Il y a eu et ili y a encore, à
côté des panslavistes poétiques, des slavistes scientifi-
ques (3), des phpologues .comme Dobrovski, Kolar Cha-
farik et surtout parmi les slaves du sud, Karadjitch, Gay,
Kopitar et toute ùne génération dont les travaux ont donné
des résultats pratiques de premier ordre.
Ge n'est pas par illustration que nous avons mentionné
ces deux idées de panslavisme et de confédération balka-
nique. Quoique le Panslavisme appartienne aujourd'hui
au domaine littéraire et que L'idée de la confédération

lan .evec l'Autriche), et v. Fjorovitch, prof. à l'Univ. de Bel-


g. ade, dans le journal Politika du 16 octobre et du 12 novem-
bre 1922.
(1) S. Yovanovitch, doyen de la Faculté de Droit de Bel-
grade : E. Corti Alexandre von Battenberg. Sein Kampf mit
dem Zaren und Bisma.rk. Politika du 3 juin 1922.
(2) V. l'article de M. Balougd!Htch dans la Revue Kujfaevni
Glasuik de Belgrade du 1•r juillet 1922.
(3) Louis Léger, op. cit., p. 115-158.
-24-
ballkanique soit ajournée, on ne doit pas négliger œs deux
idées lorsqu'on a à étudier les principaux facteurs dans
la formation de la nation yougoslave.
Le Panslavisme, quoique apparent, fit naître une
certaine solidarité parmi les peuples slaves, et ainsi, con-
tribua à leur c-0nnaissance reciproque1 non seul.ement dans
le milieu intellectuel, mais parmi l!es plus grosses masses
populaires (L'organisation des Sokolls). Tandis que l'idée
die la confédération balkanique, à son tour, a soulevé le
problème de l'indépendance économique et par là a con-
·. tribué d:ans une grande mesure, à l'indépendance politi-
que parmi les Etats balkaniques.
En dehors de· l'idloliâtrie raciale, ce serait méconnattre
les vérités historiques, si on ne considérait pas comme un
facteur puissant dans la formation de la nation yougoslave,
l'unité de race. Cette unité a joué un rôJ:e incontestable
dans la formation de la conscience de l'unité nationale
yougoslave, mais ce serait un non sens de. prétendTe que
la nation yougoslave, d'aujourd'hui vient directement de
la race slave d'autrefois. Ce qui est du reste le cas pour
les autres nations eu,ropéennes à cause du chaos, du
croisement des races et nations qui ébranla toute !:'Europe
depuis le moyen-âge jusqu'aux époques récentes. Chaque
nation choisit selon son inclination, une nation dont elle
reconnaît la paternité. Par ce croisement, cha·cun des
peuplles subit l'influence de raoe, de langue, de mœurs,
€te .. En raison de ce p;rocès, qui a duré dies siècles, toutes
les nations· d'aujourd'hui diffèrent énormément d!e leurs
ancêtres (1).

(1) Ainsi les Français d'aujourd'hui ne sont pas les anciem


Galles aussi bien que les Anglais les Angles d'autrefois, de
µiême les Yougoslaves d'aujourd'hui ne viennent pas direc-
tement des Serbes peuplant les stepp·es de Bessarabie ou del'
Croates habitant les Karpathes, ni de5 Slovènes du VJ 0 siè-
cle.
- 25-

La dénomination générique de Slaves (1) ne date que du


Vl 0 siècle. Elle se renconfoe pour la premièré fois sous la
plume de Procope « de Bello Gothico '" livre II, chapi-
tre XV, et sous cel!le de •son contemporain lornandis, " de
Getarum sive Gothoruin, origine et rebUs gestis '" cha-
pitre V.
Les Slaves eux-mêmes ne se sont jamais appelés par
un autre nom. La première source slave, la Chronique
dite de Nestor (2), du XII siècle, emploie l'expression de
0

Slovèni. -La Chronique les fait venir de la Hongrie et de


la Bulgarie actuelles, contrairement au sentiment des
auteurs de l'antiquité, qui les font descendre de la Russie
. centralle. Les historiens slaves modernes ad-Optent tantôt
l'avis d'Hérodote (3), tantôt celui du compilateur de
Nestor (4).
D'où qu'ils viennent, ce qui est certain, c'est qu'au
VII" siècle on voyait les Slaves divisés en pllusieurs familles
ou groupes dont trois principaux : le groupe occidental
qui comprend l·es Polonais et Tchécoslovaques, le groupe
méridional-oriental qui se c<0mpose des Serbes, Croates,
Slovènes, Bulgares et plius tard de groupes moins impor-
tants par leur nombre, et enfin le groupe russe, resté,

(1) Le mot slave dérive, soit du mot slava qui signifie gloire,
soit du mot slovo qui veut dire pamle, langue, langage.
(2) Voir sur :cette question Louis Léger : Chronique dite de
Nestor.
(3) Sel.on Hérodote, les origines des Slaves serait à cher-
cher dans la Russie centrale de l'Europe, le long des fleu-
ves le Bug, le Dnieper, le Nniester et le Don. En ce sens : St.
Sitanoyevitch : Istorija srba, hrvata i slovenaca, 1921, p. 8,
l'I-listoi.re des Serbes, Croates• et Slovènes); et Toma Maretic :
Sloveni n clmmini, p. 12 et 23.(L'antiquité slave).
(4) En ce sens, Tade Smiciklas : Poviest hrvatska (l'His.
taire de la Croatie), Tome I, p. 81.
-26-
selon les uns, dans la mère patrie, venu, d'après d'autres,
du bassin du Danube.
Celui qui nous intéresse, c'est lie deuxième groupe, que
l'on .appelle, au point de vue géographique, les Yougo-
slaves (Slaves du 'Sud), dont la dénomination n'a aucun
rapport avec la dénomination de Yougoslaves représen-
tant l'idée et la conscience nation.alles dont nous nous
occupons. L'idée nationale yougoslave ne s'est déve.loppée
que chez les Yougoslaves méridionaux, au cours des XIX 0
et XX siècles, à la différence des Yougoslaves (dans le
0

sens géographique) orientaux (i) ou Bulgares. Cette confµ-


sion entre la dénomination géographique (Yougoslovéni,
Slaves du Sud) et la dénomination de l'idée d'unité natio- .
nale yougoslave est due surtout à l'idée de lia confédération
balkanique répandue dans la même période de t.emps.
Nous employons donc dans notre étude et nous enten-
dons le mot Yougoslaves dans sa signification açtuelle de
Slav·es du Sud méridionaux, chez qui s'est dévelloppée
l'idée nationale yougoslave.
L'unité de race se manifest.ait déjà avant l'avènement du
christianisme dans ·une même religion paï-enne. Cett.e
religion commune avait dévelbppé parmi les Yougoslaves
une même conception de la vie et de la nature, ce qui rap-
prochait davantag-e leurs masses amorphes dans le sens
moral.
Chaque membre de cette collectivité tremblait devant la
colère du dieu PeroU:n (dieu de la foudre) rempllacé plus
tard par S. Elie. Chacun voyait avec respect les elifes et les
fées dansant à la lisière du bois (chansons populaires),
chacun croyait d'une façon égale aux vampires, aux sor-
cie.rs (le folklore yougoslave).
A l'appui de ces croyances est sortie une multitude de
p-réjugés qui créèrent toute une religion païenne. Elle

(1) Y. Cvijic : La Péninsulr Ballrnnique, p. 165. J. Brunhes


et Vallaux, op. cit., p. 643.
- 27 ..;.__

imposa à cette masse ethnique les mêmes croyances, la


peur des mêmes êtres, ce qui la marqua déjà d'un certain
caractère. A l'origine, les Yougoslaves étaient tous des
laboureurs, en grande partie des bergers et des chasseurs.
Les outils agricole& portaient les mêmes noms qu,: chez les
Ilusses et les autres Slaves. De plus, tous les noms qui se
rapportaient à l'Etat et à la justice ont la même racine chez
tous les Slaves (trünmal, droit, loi, punir, accuser, etc.),
de même les mots comme chef de province (:ir!llpan) com-
m,unauté, société, maître, monarque (i), etc ..
D'après les historiens, les Slaves, au début, n'avaient
point d'aristocratie. Sans avoir connaissance du régime
monarchique; ils ont eu une sorte d'aversion tradition-
nelle envers la concentration du pouvoir entre les mains
d'un seul homme. L'institution de l'esclavage leur était
inconnue, sauf l'esclavage qui leuJ' était imposé depuis l'e
XIV• siècle jusqu'en 1804, par lé•s Turcs et ensuite par la
Hussie autocratique, aboli enfin par l'oukase du Hl février
1861.
Un même type de la vie familiale était connu également
chez les Yougoslaves, la Zadruga (2). Ils avaient un même
droit coutumier. La conséquence naturelle en fut le déve-
loppement ho:nogène des institutions juridique&. L'insti-
tution proprement yougoslave de la Zadruga est conservée
encore aujourd'hui même parmi lt:s Yougoslaves de Dal-
matie, malgré l'emploi officiel depuis des siècles du droit
rnmain écrit. Cette affinité de race contribua aussi, en
ck:hors des mœurs, à l'unification de la langue qui est,
comme nous le verrons, un des faeteurs les plus puis-
sants dans la formation de la nation yougoslave.

(l) He,vue Misuo de Belgrade, n°' J7 et 18. l\L Grisogono :


Postajanje jugoslmrcns kog naroda (La naissance de la nati011
y ug·osl:lvcl.
Voir particulièrement Novakovitch : La Zarlru.ga., 1905.
- :2S-

CHAPITRE II

LA CONTINUITÉ TERRITORIALE

L'action du milieu sur L·s sociétés politiques est niée


radical·ernent et à p! usieurs reprises par les théoriciens
intellectuels et rationalistes de l'Etat comme H2gel (i),
Gobineau et Gurnplowicz (2). F:lle a un caractère exclusif
et simpliste chez Montesquit~u (8), mais possède pourtant
un fonds de vérité indestructible, tout en ne pouvant être
considérée comme immuable. Plus que toute autre, la
théorie du milieu est rebelle au dogmatisme. On ne peut
l'emprisonner dans une série de formules, car les sociétés
politiques enferment en elles des puissances <l'adaptation
et de transformations incessantes et différentes, dont les

(1) Mais le sens de la réalité a conduit plusieurs fois les


mêmes penseurs à se contredir.:. Hegel, dans sa phi! lS.Ophie
de l'histoire Die natnr darf nicht z1.l hoc/1 nud nicht zu nic-
clrig angeschlngen werdnt. (J. Brunhes et Vallaux, op. cit.,
p. 274).
(2) La. lutte des races, trad. frnnc., p. 11-1:3.
(3) .J. Brunhes et Vallaux, op. dt., p, 274.
- 2\) -

rnleurs à venir échappent à toute mesure et à toute pré-


vtsion.
Quant au fait d'occuper une étendue géographique défi-
nie avec un caractère qui lui est propre, il ne peut être
considéré comme une affinité nécessaire à la constitution
d'une nation. Incontestablement, les nations les plus nette-
m:~nt marquées ont communément joui d'une unité géogra-
phique, et ont souvent dù ct'être une nation à ce fait et à
l'amour du sol sur lequet elles ont grandi et de ses paysa-
ges caractéristiques. Mais l'unité géographique n'est nulle-
ment ,essentielle. On peut imaginer des nations très épar-
pillées comme les Urecs ou les Italiens -- sur des
étendues de earactère très différent et conservant tout le
temps un très fort sentiment de leur unité. Et en fait, les
limites de quelques-unes des nations les plus claiJ:·ement
marquées rn: sont pas clu tout nettement indiquées par les
caractères naturels du sol. Les Polonais, par exemple, une
des plus persistantes et des plus passionnées des nations
européennes, occupent une étendue qui n'a pas de limites
géographiques nettement définies d'aucun côté. D'autre
part, l'unité géographique véritable qui appartient à la
plaine hongroise, av:ec son cercle de montagnes qui l'envi-
ronne et son unique grand bassin hydrographique, n'a
pu suffire à créer une unité nationale.
L'unité géographique peut aider à faire une nation et
en quelque sorte déterminer les ,caractères physiques des
habitants, mais ellH n'est pas indispensable, ce n'est pas
non plus le facteur principal.
Si on se place au point de vue historique et humani-
taire, on ne peut que déplorer la situation géographique
des Yougoslaves, et plus spécialement la situation géogra-
phique de la Serbie d'avant-guerre. Serrée entre deux
grandes puissances, l'Autriche et la Turquie, se trouvant
sur le seuil de !l'Occident et de l'Orient, le Piémont de la
nation yougoslave devait plutôt --- comme phénomène
nistorique ·~- s'éteindre qu'existèr. Et, en effet, on peut se
demander aujourd'hui quelles étaient les forces vitalBS
de ce petit Etat opprimé qui, au cours de son développe-
ment progressif, a pu, aux rnoments les plus critiques de
son histoirt\ accomplir sa grande mission politique 2t
nationale.
De même les trois aspects géographiques où s'étend la
nation yougoslave n'ont pas été favorables jusqu'à nos
jours au développement économique des habitants, par
suite du manque dr•s relfations économiques, en quelque
sorte indispensables, qui devraient exister entre eux.
D'autre part, en se plru;ant au point de vue national, on
peut dire que la situation géographique des Yougoslaves
a puissamment et favorablement contrilmé à la formation
de la nation en rendant presque inévitable une résistance
contrn le courant vers l'Orient (Drang narh Osten), qui
s'est manifesté surtout au XIX" siècle.
Les pays habités par ks Yougoslaves correspondent h
trois unités et en rnêmP tc~mps trois aspects géographiques
de l'Europe (i). Le bassin pannonique, la côte Adriatiqw'
avec les Alpes Slovènes et les Aipes Dinariques, et troisiè-
mement la dépression mo.ravo-varrlarienne.

1 ° Le bassin pannonique, qui se trouve entre les Alpes


Slcwènes et la rivière Vrbas à l'ouest, les Karpathes méri
dionales à l'est, les monts Kopannic et Yastrebac près de
Nish au sud, comprend une région de plates-formes lacus-
tres et de plaines inondées qui représentent l,e bord ou le
fond du lac pannonique néogène : la Voïvodine et la Sla-
vonie (Syrrnie,), la Bosnie septentrionale et la province dr
Choumadia au sud.
2° Les Aples Slovènes, qui se trouvent au nord de
Ljo{1bljana et dünt les pliesements vont dans la direction

(') Annales ile Géogra71hie du 15 ntaI'S 1921, p. 81-110, de


M. Chataigneau.
est-ouest. Ils se prolongent jusqu'aux collines tertiaires de
Slovenske Gorice (Windische-Bühelen) et à la dépression
transversale qui va de la Save à la Drave, de Zagreb à
'l'chm;anj et qui est utilisée par la voie ferrée de Zagreb
à Budapest. Les chaînes parallèles des Alpes Juliennes et
des Karavanke, d'une altitude moyenne supérieure à
2.000 m., sont séparées par des dépressions d'affaissement,
--- bassin de Ljoubljana et de Celj draînés par la Save et
la Savinja. - Entre les Alpes .Juliennes et les Karavanke,
le bassin de Ljoubjana s'étend sur quarante kilomètres de
long et plus de 10 kilomètres de large. Du bassin de Ljoubl-
jana à l'Albanie, des vallées tectoniques de la Narenta et
de la Vrbas à l'Adriatique, se trouve le Kar:st dinarique
(les Al'pes dinariques) dont les couches géologiques sont
semblables à celiles des Alpes.
3° La dépression rnoravü-vardarienne s'étend de la
Choumadia à la frontièn~ grecque ; c'est une série d'.2ffon-
drements tectoniques morcelés en vastes massifs monta-
gneux, hauts de 2.000 mètres en moyenne, et atteignant
par endroits 2.500 mètres. Ils ont donné naissance à des
bassins longtemps occupés par des lacs dont quelques-
uns subsistent encore : lac Ochrida '3l de Presba. Ces bas-
sins sont reliés en partie par des dépressions longitudinales
qui constituent l'accident essentiel de la région, assurent
les principales communications entre les pays danubiens
(pannoniques) et la mer Egée et sont des lieux de com-
merce et de vie. Le bassin de Kossüvo unit la Morava et
lo Vardar qui le drainent aussi. Le relief est assez uni-
forme dans la région du partage des eaux entre le Danube
et la mer Egée, les bassins y sont élevés : c'est la Rachka
ou vieille Serbie. Au sud de Skoplje et de Tetovo, les bas-
sins s'abaissent, leur relief se différencie, c'est la Macé-
doine.

Ces !rois aspEJcts, différents au point (fo vue géogra-


phique, forment une unité économiqun indispensable il
cause ll!ême de la situation de l,a péninsule balkanîqué.
La meilleure preuve de cette unité économique réside dans
la constatation historique suivante : tous les Etats qui ont
régné sur une de ces unités géographiques ont été poussés
non seulement par un but politique, mais par une néces-
sité économique à s'emparer dJe l'une ou des deux autres (1).
La Croatie,. fondée au IX siècle sur le littoral dalmate
0

- donc dans l'unité deuxième qui comprend les Alpes


Slovènes, les Alpes dinariques et lia côte Adriatique - a
toujours aspiré à répandre son pouvoir non seulement sur
Ja Bosnie du Sud, mais sur la Bosnie septentrionale et
sur le bassin pannonique donc, sur les deux autres unités.
La Se.rbie, fondée dans le bassin de la Morava - d()nC
l'unité troisième - s'élargissait de plus en plus non seule-
ment dans le Possavina (bassin pannonique), mais encore
sur le littoral, dalmate. De même les Magyars, qui fon-
dèrent lieur Etat dans le bassin pannonique, envahirent
comme on le sait, la Croatie au début du XII• siècle (la
côte Adriatique). Vers le milieu du même siècle, ils com-
mencèrent à attaquer la Bosnie,, et au commencement du
XV• siècle la Serbie, c'est-à-dire le bassin moravo-varda-
rien. L'Autriche-Hongrie, de son côté, occupa le bassin
pannonique et la côte adriatique, prit la Bosnie, après
quoi elile ne cessa de chercher à s'emparer de la Serbie,
qui possédait le bassin de la Morava, pGur pénétœr plus
tard, par Sandjak, dans la vallée du Vardar. La Serbie,
se trouvant au cent.re du bassin de la Morava et après avoir
pris possession de la vallée du Vardar, voulait pénétrer à
tout p1ix dlans l'unité géographique deuxième, c'est-à-dire
sur 1a mer Adriatique.
D'où viennent ces manifestations pGlitiques, .ces tendan-
ces que les constatations histofliques nous enseignent ? . \

(1) S. Stanoyevitch, op. cit., p. 5-8.


1':il2s prcl\'iennent dans une grande mesure de l'unité éic-O-
nom i(1ue si étroib de ces truis asp\:cts géographiques que
leur existence séparée n'est pas capabl:e d'une vie écono-
mique autonome. Il existe encore aujourd'hui, dans Je
nouvd Etat yougoslave, une grave qtwsticm économique
a résoudre, notamment la question du passif économi-
que (i) de la Dalmatie, Herzégovine et Monténégr<0. De
mêffw que l'aspect moravo-vardarien -- comme le bassin
pannonique n'est pas viablf:' (~conomiquement sans la côte
Adriatique -- de même l'existence économique des côtes
adriatiques et des Alpes dinariques, comme celle des Alpes
Slovènes, serait difficile sans un " hinterlland '" c'est-à·
<tire sans l·e bassin pannonique et moravo-vardarien. Sans
la fermeture du chemin bosniaque et herzégovien, ~
route transversale par laquelle traditionnellement le bétail
de Serbie était conduit jusqu'à la mer, ~·· les événements,
les crises balkaniques auraient pu avoir un autre aspect (2).
Si l'on jette d'abord un coup d'œil sur la carte géogra-
phique de la nation yougoslave, on verra aussitôt que les
trois aspects géographiques n'ont pas de surface plane
dans leur intérieur, ni de frontières naturelles très mar-
quées, à l'extérieur, comme en a la Hongrie par exemple.
Ce territoire n'a des limites naturelles que vers la Rou-
manie (Danube) et à l'est (la mer Adriatique) où, jusqu'à
la limite extrême, a vécu ·et vit encore le pur élément
national, sauf quelques villes dalmates où le régime véné-
tien et les commerçants italiens formèrent un mélange
slavo-itaUen.
A l'intérieur de ce territoire, il n'existe pas de vallées
encaissées et unies (sauf le bassin pannonique), mais

(1) Article de M. Cvijic, les bases de la civilisaüon yougo-


slave, Ifovue J(n.jizevni Glasnik, 1er nov. 1922.
(2) .T. Brunhes et Vallaux, op. cit., p. 13. -- Gvijk, op. cit..
p. 2/j,
3
plutôt un groupement de pliusieurs massifs i·enfermant
quelques grandes et beaucoup de petites vallées.
CeHB configuration géographique a contribué à la for-
mation de diverses unités local,es, à la fondation de P,lu-
sieurs Etats plus ou moins indépendants qui gardèrent
leur dénomination spéciale jusqu'à nos jours, de mêm~
que le peuple qui y habite.
Ainsi se sont formées les dénominations géographiques
comme tsrnogoratz celui qui habite le Monténégro, bosa-
natz celui qui habite 1a Bosnie, herzé,qovatz cellui qui
habite l'Herzégovine, zagoratz celui qui habite .La région
die Zagreb, clwurnadinatz celui qui habite la région de la
Choumadia, voyvodjaninr (il celui qui habite la Voïvodine,
litskanine celui qui habite le département de Lika-
Krbava, srenwtz celui qui habite la Syrmie, makf>donatz
celui qui habite la Macédoine, ce dernier étant le plus
usuel.
Cependant cette situation géographique n'empêchait
pas les populations de-ces provinces de se fréquenter et
de s'unir au temps de l'invasion étrangère. D'autant plus,
qu'au cours des derniers siècles, se sont faits, dans les pays
balkaniques en général, des changements ethniques et des
migrations plus considérables qu'ailleurs (2).
I..ia première migration, qui eut lieu au moyen-âge, avant
l'invasion turque, se fit du non! au sud, c'est ce qu'on
appela ta migration du Nord ; à partfr de li'invasion turque
une autre eut lieu dans le sens contraire, c'est la migration
du Sud. Plus tard, avec la retraite turque, le premier mou-
vement se renouvelle aussi bien que le deuxième.
Les conséquences de ces migrations furent un mélange
des différents groupeis et unités locales de telle manièrti

(1) Plus spécialement, batch1Jll,riine celui qui habite· le dépar-


ten;1ent de Batchka, banatianine celni qui habite le Banat.
(2) Cvi.iic, op. cit., p. 112-15$.
'---' ss-
qu 1aujourd;hui, si on se place au point de v\,le des dénomi-
nations traditionnelles -- et non géographiques - de Ser-
bes, Croates et Slovènes, ili est absolument impossible de
les séparer par une limite quelconque.
Depuis des siècles déjà, la nation yougoslave occupe un
territoire continu et entretient des relations. ethniques per-
pétuelles. Le.s zones où les mélanges ont été les plus grands
et les plus considérables sont la Bosnie-He.rzégovine, la Dal-
matie mérididnale, la Macédoine, La Slavonie et le dépar-
tement de Lika et de Syrmie.
En résumé, la continuité géographique peut être consi-
dérée comme favorabl:e à l'Etat nouveau - à cause des
liens économiques qui existent entre les trois aspects
g•éographiques différents réunis sous une seule autorité -
et à la formation de la nation yougoslave - à cause du
mélange et de l'impossibifüé d'une séparation politique, en
se plaçant au point de vue des dénominations tradition- .
nelles et historiques, sans qu'il y ait une perte considérable
pour l'un ou pour l'autre. D'autre part, ellie peut être consi-
dérée comme moins favorable à cause des individualismes
régionaux qui subsistent ·comme conséquence du morcelle-
ment géographique, renforcé par la séparation politique
pendant de s sièc~es, e.t devenu, par là même, important
1

dans la création des individualit.és régionales .

.-..;.*-
TITRE IL

L' lnftuence politique et religieuse.

CHAPITRE PREMIER

LA SÉPARATION POLITIQVE

La nation yougoslave d'aujourd'hui a été cùivisée histo-


riquement d'abord en petits Etats indépendants qu'elle a
formés, puis partagée entre l'Etat turc et l'Autriche-Hongrie
jusqu'à la fin de l>a guerre mondiale.
Déjà, dans la seconde moitié du XIVe siècle, les petits
Etats indépendants qui se trouvaient dans le territoire
occupé aujourd'hui par la nation yougoslave, étaient mena-
cés par l'invasion turque. Les Turcs, par leur avancement
lent mais constant, conquirent ~'un après l'autre les petits
Etats slaves établis dans la péninsule balkanique (1). Ainsi :

(1) S. Stanoyevitch : lstorija srpskog naroda (L'histoire du


peuple 1serbe), 1910, Belgrade.
--37-

la Macédoine en i37i, la Haehka (lie despotisme) en 1459,


la Bosnie en i463, l'Herzégovine en 1482, la Zéta (Monté-
négro actuel) en 1499, etc .. Ce fut l'Etat eonnu sous le nom
de Despotisme (l'ancien Etat des Némanitch), qui résista le
plus aux Turcs, grâce à ses trois grands souverains : le
tsar Lazar (1373-89), le despofo Etienne Lazarevitch (1389-
1427), et son neveu le despote Georges Brankovitch
(1427-56): L'Etat de Macédoine du roi Voukachine perdit
son indépendance dans la bataille de Maritza (1371). Avec
la capitulation de Smédérévo (Semendria) en 1459, le des-
potisme disparaît complètement, et dans l'espace de qua-
rante ans après la chute de Smédérévo, d'autres Etats dispa-
raissent comme la Bosnie, !'Herzégovine, la Zéta.
Vers la fin du XIVe siècle, après la chute de la Bulgarie
(1393), et surtout depuis la fameuse bataille de Kossovo (i)
(Vidovdan) (1389), le danger des Turcs menaçait toute
l'Europe centrale. Les plus importantes expéditions (1396,
1443, 1444, 1448), ne furent pas assez fortes pour arrêter
l'invasion turque. La lutte se transporta en Croatie et dans
la Hongrie méridionale. Une grande partie du petit Etat
indépendant croate a été successivement perdue en 1493, à
lia bataille de Krabovsko-Polje, en 1521 (chute de Belgrade),
en 1526 (bataille de Mohacs), et en 1537 (chute de la ville de
Klisse).
Les Turcs, en conquérant les petits Etats slaves, ont
réduit à l'esclavage toute la population qui y habitait, s.auf
une partie de la Dalmatie (la Hépublique de Ragus), domi-
née d'abord par la République de Venise, plus tard avec la
Croatie par lia Hongrie et l'Autriche-Honirrie.
A la différence des autres petits Etats construits sur le
terrif,oire habité aujourd'hui par la nation yougoslave, les

(1) Louis Léger' : Kosovska bitka i propost srpskog carstva.


Revue Misao de Londres, 1!:118, n" 2.
relations entre l'Etat croate et l'Etat magyar existaient déjà
avant l'invasion turque.
Donc, tandis que lesautrPs petits Etats étaient sous fo
joug turc jusqu'au XIX siècle, l'Etat c.roate, en rela-
0

tion avec l'Autriche-Hongrie, étaif, an~c la population slaH


existante (1) et émigrée en Autriche-Hongrir rnéridionalP,
dans une situation différente par rapport aux antres petit:;
Etats et à la population youg·oslave.
Déjà en H02, la Croatie acceptait l'allial1cr uffertc par
les Magyars, ?t à deux n1prises différentes ·èJlle posait sa
couronm1 royale sur· la tête des H ahsbourg.
Lorsque Charles \'I demanda au peuplt> de sün empire
d'accepter les termes de la PragnwtiquP:-.Sanctùm, qui pro-
clamait l'union indissoluble de tous les Etats rétmis sons
la couronne de Habshnurg, la Croatie entra la pr.3mièrr
dans ses vues et proclama dans son propre Parlement, (lès
1712, la ligne féminine héritière du frône pour le• cas
d'extinction de la ligne masculine (2).
Le pn!mier roi de l'Etat Croato fut Tomislave (900-930:1
:::nccesseur <Itl Mutirnir l8D2 iL 900), qui se nommait encore
ban de Croatie par la gràce cle Dieu. Di; DOO it 1091, ce petil
Etat est gouverné par des rois d'origine slave (;3).
Les rapports de la Croatie avec la Hongrie datent de 1Œl2.
L« dernier roi de la dynastie slave, Stjepan II (Etienne Tl
de 108D jusqu'à l.OH2), venait de s"éteindre sans postéritc'•

(1) Dr Szentklaray .Jeni:1 : Temes vilrmeg11e /iirténe/P. Buda-


pest., p. ;(,f3. D'après cet hü;torien magyar. les élément;; sfo-
ves existaient d{~jà avant l'établissement mag·yar dans la Vnï-
vodine. Voir M. l\:licin : lstori,i11 Sopsknu f~l::,11ss11 (L'Histnire
de l'Alsace Serbe), p. :3.
(2) Le parlement de Hongrie au contraire, n'inc[)rpora d:m;c;
ses Codes cette même Pragmatique-Sanction que onze 11ns pln"
!nrd. Hado Hotbfeld : Die V11g11riche Verfas.rnnu, IJ. Ml. (Ynir
Horn;· Le Corhprom.is ·di'. 18(î8).
(3) Tnfü· Sm.içiklas : op. cit. 'forne 1, p. :?i~.
legitime. Au milieu d'une guerre civile, Ladislas de Hon-
grie pénétra en Croatie pour faire vaUoir ses prétendus
droits à la couronne de Zvonimir (107ô'it !089), un des mis
les plus célèbres de l'Etat Croate. n était en effet le beau-
frère de celui-ci dont il avait pris la sœur pour femme. Ce
n'est qu'après la mort de Ladislas, sou.;; le règne de son
successem· Coioman (1095 à 11 i4) qu'une ambassade de
l'Etat croate, composée> de douze membres, se rendit auprès
de Colornan pour signer le traité dans la petite ville de
Krijevci, et le couronnement eut lieu, suivant la coutume,
dans l'antique vill'e de Belgrade (t), sur la mer Adriatique,
en l'an :l102.
L'union conclue avec Goloman était une sorte d'union
personnelle. " La Croatie, dit M. Léger (2), se trouve dès
lors, vis-à-vis de la Hongrie, clans lP même rapport où la
Hongrie e!Ic-rnènrn fut plus tard vis-à-vis die l'Autriche. ''
Après l'es désasfres de .Mohacs (1fi2ti), la mort de Louis Il
laissa sans chef légitime la Hcmgrie et la Croatie.
Avec l'élection de Ferdinand l"" (1fJ27), comme roi dP
Croatie, qui correspond h l'avènement des Habsbourg -
se produit un chan,i.rement notable dans les rapports juridi-
ques des deux pays. Il y a encore un roi commun aux deux
Etats, mais ce roi n'est plus seulement leur roi, il nst encore
Je chef d'autres Etats. Les affaires communes ne se discu-
hmt plus, ni en Hongrie, ni en Croatie, mais à Vienne ou
ù Prague. Puis, la Hongrie ne conférait sa couronne à Fer-
dinand qu'à titre purement personnel, elle n'est devenue
héréditaire qu'en 18ôî ; la cro'atie, au contraire, lui donnait
la sienne à titre héréditaire, trmquarn veris lPgitimis et
naturalibus hnedifms (3).

(1) Dét:·uite par les Vénitiex1s, ,:;tu son emplr1cement s'élève


auj-0111·cl'lrni la petite ville de Zana-Vechia. M. Horn : Le Cm11-
11romis rle t8U8, p. 33.
(2) Histoire i/.e l'Aullic/1c-Hongric, p. 7·'i.
(:l) Tude Srnicikla;o, op. cit., p. 21î.
- 4() -

Sous Ia dornination des Habsbourg, la situation jul'idique


de la Croatie a été souvent changée. Hégie par les nom-
breuses lettres patentes ou par des diplômes, et des perga-
ments divers, cet Etat changea souvent de patron, soit
magyar, soit autrichien.
Ce n'est que par le comprnrnis .avec la Hongrie (i868) que
la stabilisation fut introduite et dura jusqu'à la fin de la
guerre mondiale.
D'après ce compromis, à coté d'une union réelle caracté-
risée par l'existence d'un monarque commun, il était éta-
bfü une confédération d'Etats caractérisée tant par l'exis-
tence de deux souverainetés particufüères, il côté d'une sou-
veraineté commune, que par c2lle ck deux territoires dis-
hncts (art. f)9).
Au point de vue politique, l'Etat croate n'était qu'une
province de la couronne de st-~~tienne sous l'inftrnmce com-
plète dc~s hommes politiques de Budapest. Aux termes des
art. 32 el ~~a rnodifif>s une premièn~ fois en 187:1, rernpia-
cés par les dispcsitions de ln, loi eomrnune, XV dP IS81
üst fixé au cbiffn invarîahie de JO le nombre des représen-
tants de la Cn,atie, à la Chamtm· des députés du ParlL~rnent
hongrois.
Les délégués croates du Parlement commun ne sont pas
nns émanation directe de ra volonté populaire. Ils sont
choisis par J.a Diète de Croatie qu_i émane elle-même d'un
suffrage ridiculement restreint, dans lequel les fonchon-
naires publics jouissent d'un rôle d'absohrn prépondé-
rance, sans compter les virilistes, c'est-à-dire les personnes
qui siègent à la Diète en vertu d'un droit de naissance ou
en vertu de la situation qu'elles occupent dans l'Etat (l'ar-
chevêque de Zagreb, le patriarche orthodoxe de Karlovci,
les évêques diocésains, les préfets, les chefs de famille
noble, etc.) (1).

(1) Horn, Le Compromis de 186/i entre Io Hongrie vt la Cro1,1.-


tie1 th 1907, p. 218. · .
-41-

D'après les art. 50 et 51, le ban des royaume-s de Dalmatie,


de Cr6atie et de Slavonie est nommé par Sa Majesté impé-
riale et .royale apostolique, sur la proposition et avec le
contre-seing du pll'ésident du Conseil royal des ministres
hongrois. Le chef du gouvernement de Dalmatie, de Croatie
et de Slavonie est responsablle devant i;a Diète de Zagreb
qui peut le force·r à la démission en le mettant en minorité.
Rien ne caractérise mieux la main-mise de la Hongrie
sur la Croatie. Toutes les précautions prises en apparence
tJour la sauvegarde de l'indépendance de la Croatie, s'effa-
cent devant cette simple constatation que le chef du gou-
vernement, appelé cependant à entrer éventuellement en
·conflit avec le gouvernement hongrois, n'est qu'un simple
subordonné de ce dernier, qui peut le révoquer ad nuturn.
Aux termes de li'art. 52, modifié par l'a loi de 1873, le ban
ne peut avoir d'attribution militaire, ce qui est une consé-
quence des événements de 1848. L'art. 45 est ain::i conçu :
" Dans l'étendue des royaumes de Dalmatie, Croatie et·
Slavonie, le gouvernement central s'efforcera d'agir
d'accord avec le gouvernement autonome de ces pays. Mais
comme le gouvernement central est responsable de ses
actes devant l!e Parlement commun, où les royaumes de
Croatie et de Sliavonie sont également représentés, les gou-
vernements nationaux de ces royaumes et les organes qui
en dépendent seconderont le gouvernement central dans
l'Pxéculion de ses décisions et exécuteront ces dernières
même directement, dans les cas où le gouvernement cent.rai
n'aurait pas d'organe propre. ,,
Le gouvernement local donc, àux termes de cet article,
est aux ordres 'du gouvernement central hongrois, en
réalité. Que, les ordres donnés p.ar Budapest soient confor-
mes à l'esprit du oompromis ou qu'ils ne le soient pas, le
ban doit les exécuter. Gertes, s'il y av.ait une proportion
numérique à peu près raisonnable au parlement centrali,
au profit de ces pays, les doléances de leurs délégués pour-
raient avoir quelque valeur, mais en réalité, le nombre
des délégués est de 40, ce qui ne représente qu'une infime
minorité, incapable de rien faire par elle-même contre la
yoJonté du gouvernement. Les délégués de ces pays n'ont
guère d'autre mission que de grossir les rangs d'un parti
magyar contre un autre parti magyar.
· Les affaires dites communes sont énumérées limitati-
vement ; pour lout œ qui n'est pas expressément mi'l en
commun, chaque pays conserve sa pleine et entièr1~
liberté (art. 47). :El'les sont énumérées dans les articlies fi,
7, 8, 9, to, 11. Ce sont d'abord les frais de la Com royale (1),
rnsuite la législation concernant les systèmes de défense
et système nlilitaire, h~s Affaires l>trang·Èn·es, la Monnaie,
l'examen des traités commerciaux et politiques, et d'une
façon géuéralt\ le Commerce, !'Industrie, les Douanes, les
droits de péage, les Télégraphes, les Postes, les Chemins
de fer, la Navigation.
En théorif~, ces pays Ill' cont.rilrn1rnt aux frais qu'ils néct:'S-
sitent que dans la nwsure de leur puissancP financière,
mais en fait, les choses se passent souvent autrement. Le
gouvernement de Budapest a trouvé un moyen très simple
de rendre une affaire cornrnune, c'est tout simplement (fo
,la décréter telle. Ainsi que le C{)nstate fort à propos M. H.
Hinkovitch (2), un des délégués du Parlement central, la
Croatie se trouve dans la situation d'un contractant qui,
associé à un autre, n'aurait toujours qu'une voix contre
deux. A quoi bon voter puisque forcément, logiquement,
inévitablement, cette voix restera toujours une voix dans
le désert. Il rappelle un exemple : le cas du monument
élevé au eélèbre homme d'Etat magyar Deak, qui a été
érigé en 1880, aux frais communs, malgré l'opposition des

(1) Il s'agit de la cour de Budapest, celle de Vienne est


entretenue par le budget <l'a,utres pays dits cisleithans.
(2) Finansi}ski. µoluza;i ltrvats Ire (La situation financière
\le Ja Croàtie), p. 5~.
représentants de la Croatie, et il conclut que s'il plaisait
demain au gouvernement de Budapest d'ériger une tour
de Babel, Ta Croatie n'aurait qu'à délier les cordons de sa
bourse sans murmurer.
Il n'est pas nécessaire de signaler que c'est aux Finances
qu'on jauge les Etats libres. Un Etat dont les finances sont
f•sclaves n'est plus qu'une ombre de lui-mênrn.
Tandis qu'une partie du territoire et de la population
de la nation yougoslave rl'aujourcl'trni a été politiquement
soumise et liée par le droit traditionnel aver l'Autriche-
Hongrie, en conservant certaines autonomies et dénDmi-
nations d'Etat historique comme la Croatie, Slavonie et
Dal1rnatie, l'autre, la plus grande partie de la nation se
trouvait, au XVIIIe siècle, sans aucune autonorn ie politi-
que, soit sous l'e joug turc, soit dans les territüires histo·
ri.ques de la Hongrie et de l'Autriclw, où la nation yougo-
slave d'aujourd'hui était autochtone, et par là dans urn·
situation politique sensiblement différente, surtDut par
i·apport aux événements qui se déroulèrent au commen-
cement du XIX" sièclt!.
Ave,c la chute des anciens Etats du moyen-àge, la plus
g:rande partie de la nation yougoslave fut réduite à l'escla-
vage sous la clcmination turque, même dans la Hongrie
méridionale, jusqu'au traité de Pojarevatz, en 1718, qui
proclama Faffranchissement de la Hongrie. De cet escla-
vage si dur, la population chrétienne a pu cependant tirer
quelque profit. C'est sous ce régime turc, cruel et violent,
qu'elle ramassa le plus de cette force dont elle aura besoin
pour la lutte avec son ennemi séculaire.
Cette lutte prof:ongée pendant des siècles a abouti, dans
la province de Choumadia, sous Kârageorge, au com-
HH:ncernen t du XIX" siècle, h un r·ésul'tat considérable . .Jus-
quit cette époque, cette province, comme les autres, n'était
qu'une province turqlm " pachalouk '?, soumise aux auto-
rités aclministr.atives turques.
'J'out au dL~hut du XIX" siècle, au contrnire, on ccms-
tate une sorte d'organisation étatique nouvelle dans cette
province issue de deux révolutions nationales (1804-
1815) (1). Les guides des révolutions nationales devien-
nent les guides du peuple. Ainsi naquit l'autorité souve-
raine dans un nouvel Etat fondé dans un coin du terri-
toire habité aujourd'hui par la nation yougoslave, en
Serbie.
Après la mort de Karageorge (1804-1813), :Miloch Obre-
novitch (1813-1839) - guide national ;:;ous la deuxième
insurrection --- reprend li'action de son prédécesseur. V2rs
1830, il réussit à obtenir du haticherif du Sultan le titre
de prince avec les droits héréditaires. C'est ainsi qu'on
reconnut à la Serbie, pour la première fois, le droit d'une
administration intérieure, sous le contrôle de la Porte.
Dès ce moment, on peut dire que commence une vie
étatique . .Jusqu'à 1830, le Pachalouk de Belgrade ne repré-
sentait qu'une province pleine de révoltés, constamment
en guerre avec les autorités turques. A partir de· 1830, ce
fut, au contraire, une province avec llne administration
autonome, sous la suzeraineté du SuHan et l'autmité
directe de Miloch qui en était le maître absolu.
Ce pouvoir absolu du prince lui a créé, dès le premier
jour, des adversaires parmi ses collègues de l'insurrection,
parmi les chefs des provinces (nahijske staréchine). Dans
cette action des chefs de province contre le pouvoir de
Miloch, on trouve les germes de la lutte constitutionnelle
dans le nouvel Et.at (2).
l..e haticherif de 1830 n'était qu'une charte du Sulitan,
non point une constitution. Il n'exist.ait pas encore de lois
écrites, c'est re droit coutumier qui était en vigueur. Le
haticherif ne réglait que la situation du prince vis-à-vis

(1) Voir pa.rticulièrement Yaksohitch, l'Europe Pt la résnr-


rect'ion de la Serbie, th. 1907.
(2) D. Danit.ch : Revue Misao de Belgrade, n°' 6, 7, 8, !), 10.
de la Turquie, mais néanmoins, le peuple, qui avait été
privé jusque-là de tous les privilèges, jouissait de quel·-
ques-uns.
La première Constitution, au sens moderne du mot, fut
promulguée, sous la pression dHs chef.s de province, en
1835, et désignée sous le nom de" Stretenski Ustav "· Cetfo
Constitution s'inspirait des idéès libérales, mais elle ne
satisfit ni le prince qui y voyait une dérogation à son
pouvoir absol!u, ni la Turquie suzeraine qui y voyait une
dérogation au hatichérif de 1830. Le pouvoir législiatif
appartenait complètement au prince et au Conseil d'Etat.
La d~uxième Constitution fut promulguée en 1838, cette
fois par l'initiative de la 'rurquie, sous forme de hati-
chérif. Elle est connue sous le nom de " Constitution tur-
que " moins libérale que la première. La première Consti-
tution, qui donna le pouvoir à la Skupst.ina nationale et,
par là, introduisit la représentation nationale, c'est la
Constitution de la Régence de 1869, " Namesnitchki
Ust.av "· Cependant, !:'autorité du prince Michel était
encore prépondérante. Cette Constitution fut modifiée le
2~ février !882, par le vote de la Skupstina qui autorisa
le pr!nce Milan à se faire proclamer roi.
La Constitution de 1888 (i) ne fut qu'un résultat de"
luttes entre le monarque absolu et la représentation natio-
nale qui aspirait à des institutions démocratiques. C'est
avec cette Constitution que le régime parlementaire fut
introduit.
Le coup d'Etat de 1894 a renouvelé la Constitution de
1869. Le roi Alexandre fit rédiger une nouveme Consti-
tution à lia place de celle de 1869 sur la base d'un accord.
entre les partis. Elle f.ut octroyée le 6 avril 1901 : elle est
plus libérale que celle de 1869 et moins démocratique que

(1) Ann. de législ. éfrangère de /888, p. 838.


C(•l!e ~k 188.R. On a voulu, par la Constitution de mot, rat-
traper en quelque sorte ce qu'on avait perdu par la Cons-
titution de 1888 et dont la Constitution de l8fü) était abso-
lument privée.

En cmnpitrant la vie parlementaire de la Serbie avec les


autres Etats européens, on constate une évolution beau-
coup plus rapide dans les institutions démocratiques. En
un espace de 70 ans, la Serbie a réussi à former et à orga-
niser un régime parlementaire et démocratique sembla-
ble ù celui de la Belgique, de l'Angleterre et de la F'ranet~,
pays qui ont un passé politique beaucoup plus long.
Cela s'explique par un seul fait. Sous la domination
turque, les paysans n'avaient pas la propriété du sol et
étaient tous asservis aux seigneurs fonciers, comme c'était
le cas jusqu'à la fin de la guerre PD Bosnie-Herzégovine.
L'affranchissement du joug· ottoman ne fut pas seulement
une ceuvre politique et nationale, niais il arnena aussi
une réforme sociale radicale. Les conditions économiques
et sociales dans lesquelles se trouvaient la elas:'e rurale
en Serbie, permirent assez longtemps Je maintien d'une
égalité sociale approximative. Le peuple, délivré de la
domination turque, vit dans la liberté non seult>ment la
renaissance nationale, mais aussi la renaissance et l'éga-
lité écorwmiques.
Tl n'y avait pas de liberté pour lui :;ans liberté ècono-
rnique. Au moment de sa délivrance, il avait pour chefs
des gens du peuple qui mraient souffert avec lui sous le
joug turc, et non des posse.sseurs des grandPs propriétés
féodal.es.
La solütiun du problème en Stn•bie ne trouva, pour
ainsi dire, aucune difficulté. Cette question a été résolue
dès ]!'affranchissement du joug ottoman. Dans la St>rbie
libre, le paysan devient le propriétaire du sol. Tout lu
monde est devc,nu propriétaire.. La répartition de la pm-
priété rurale, faite suivant le besoin des famiUes et sui-
nmt IPuts capacités, était èquitable et proportionnelle (i).
Ainsi, dans le nouvel Etat, la Serbie d'avant-guerre se
chstingue par ses petites et ses moyennes propriétés. La
sirnpliste structure économique provoqua les institutions
démocratiques. ·
Donc, il existait l'n Serbie, de1rnis tmm (2) et jusqu'à la
formation du nouvel Etat yougoslave, un régime parle-
mentaire et constitutionnel rnod:l'Tnt\ avec le rétablisse-
ment et qtwlcrues retouches de la Constitution de 1888, qui
facilita le rôle prépondérant de la SerbiP dans les dernières
phases de l'unité nationale.
Parallèlement avt:c l'affranchissement de la Serbie, fut
affranchi le Monténégro qui est devenu libre envers l'Etat
turc. La principauté n'a été rétablie au Monténégro que
le 1;3 janvier i8!12. La vie politique de l'Etat monténégrin
a été dans son évolution plus lente et d'un caractèrn
patriarc.al. La vie constitutionnelle n'entra en vigm~ur
qu'en 100z>. Mais cette Constitution même s'inspirait de
la Constitution de Serbie de 18fü). Le pouvoir législatif
était exercé par le prince et la Skupstina nationalre. L'indé
pendance de l'B~tat rnontén('grin a été reconnue dans le
droit international par l'art. 26 du traité cle Berlin, en 1878
Mais ce même traité, dans son article 2f>, attribue le man-
dat d'occupation de la Rosnie-Herzégovirn? à l:Autricht>-
Hongric.
Depuis cette date, la nation yougoslave d'aujourd'hui
a changé de maître, en ce sens que la plus grande majo-
rité du territoire et de la population, avec 1'affranchis<>.e-
ment des deux Etats et avec l'occupation de la Bosnie-

(1) .)ovan Zu.Jovic : Snr l'au1·ic11.ltur!' !"f les J1U!.fS1111s 1•11 :;,,,._
IJie. (Extrait du procè>H'erhal de la séance du 9 1nai 1H17 d_ü
l'Acaèérnül d'Agrkulture de France).
(2) A.ml. de législal. étrrrnuères de rnœ.
.......:48-

Herzégovine, a passé du joug turc sous lia dominatio.i


austro-hongroise.
La Serbie libre et le Monténégro libre ne formaient que
de pètits fragments du territoire occupé par la nation
yougoslave. Une partie de celle-ci était encore sous la cLonii-
nation turque (clans la vieille Serbie et Novibazar) mai<
la grande majorité vivait sous lo gouvernement des
Magyars et des Autrichiens, en Voïvocline, en Croatie-
Slavonie, en Dal'matie, en Slovénie et depuis i878 en Bos-
nie-Herzégovine.
L'idée d'unité nationale, qui commençait il s0 développer
déjà à cette époque parmi la nation yougoslave, et dont
nous verrons les facteurs plus loin, idée prêchée avec
autant de ferveur qu'une religion et qui devint le facteur
dominant dans l'élaboration des événements à partir de
1878, fut menacée par l'Allernagrn:.
L'Allemagne à cette époque, cornine l'f~spagne au
XIVe siècle et la France sous Louis XIV, était Lmt: grandt'
nation enivrée du sentiment <fo sa puissance eL tirant :sa
force du sentiment national 11). L'histoire nuu,:; a mont.ré,
durant ces dernières années, les vastes amhitions de ia
nation allemande devenant graduellement plus définie,:;
et [}erciant graduellernent tout sens de la proportion.
Pendant toute cette période, Treischke (:1874-1896) fut le
prophète reconnu par toutes les classes dirigeantes d'Alle-
magne et il n'y a pas d'homme qui ait plus clairement
exposé ce culte de la puissance pure (la politique) cette
croyance en l'incommensurabl'e supériorité du peuple
allemand sur tom les autres, et l'absolue répudiation de
la doctrine des nationalités dans la mesure où celle-ci attri-
bue des droits à d'autres nations qu'à la nation allemande;
ensemble de conceptions qui de,vinrent les idées politiques

(1) Muir, op. cit., p. 140.


d0I1ünantes des éléments dirigeants chez Je peuplt' altè·
mand.
Dans cettP entreprise pour s'emparer de .la puissance
mondiale (1), qui devait nécessairement impliquer la des-
truction de la liberté nationale, les instruments de I' Alle-
magne se trouvaient évidemment dans les empires anti-
nationaux d'Autriche-Hongrie et de Turquie. Et la sphère
où (~l]e devait éviclemn::ient faire ses premiers efforts pour
nxprirner et étendre sa puissance, était représentée par
cette région que l'on considérait confuse, où l'esprit natio-
nal n'avait pas pncore remporté une complète vidoire,
région habitée~ aujourd'hui par la nation yougoslave, et
l'autre partie de la péninsul'e des Balkans.
Surtout dans la dernière décade de cette période, on ne
dit plus que " les Balkans ne valent pas les os d'un seul
grenadier pornéranien '" ils deviennent Je pivot de la poli-
tique étrangère allemande. L'Etat le plus puissant de
l'Europe, avec une alliance permanente, commença à se
sentir attiré par la possibilité d'étendre sa puissance et,
par suite, de remplir sa plus haute obligation morale, en
exploitant cette région.
L'alliance avec l'Autriche-Hongrie n'est plus employée
que comme un moyen de réfrérn~r l'ambition balkanique
de l'Autriche-Hongrie. Ces deux puissances de proie doi-
vent mancx uvrer la main dans la main à obtenir la maî~
0

tri.se non .,eulement sur les Balkans mais sur tout l'empire
turc.
Par sa structure même, l'Autriche-Hongrie était une
agglomération (2) de races inquiètes, malheureuses et dis-

(1) Henri Liehtenberger : Nemarki ekonornski irnperia!isam.


Revue Misau de Janvier 191!:l. Londres.
(2) D'après la statistique de 1910, A. Chervin, L"Autriche-
ll ongrii; de âemain, p. 8 . il y avait en Autriche-Hongrie
4.
êordantes, sans autre lien que !'.assujettissement d'un mai·
tre commun. Pendant la période des mouvements· natio-
nalistes,. qui a duré jusqu'à ces derniers jours, l'Autriche-
Hongrie n'a été qu'une dynastie, un gouvernement et une
armée.
Le nationalisme, sous sa pire et plus intoliérable forme,
:et le militarismes, tout nu et sans pudeur (1), ont été lies
facteurs dominants dans la politique austro-hongroise. Il
est impossible d'exagérer fü cynisme de la politique qui a
été suivie par la Monarchie· austro-hongroise pendant cette
période. Cette politique a fait d'elle une des principales
sources d'agitation jusqu'à sa fin. Mais elle n'a pu exercer
cette politique que parce qu'elile avait dérrière elle « l'épée
destructrice " de l'Allemagne. Pour l'Autriche, les Balkans
étaient l'intérêt principal, pour l'Allemagne c'était le
moyen d'l:n .coup plus considérable.
Pour maintenir les différentes races dont elle se com-
posait, li'Autriche Hongrie a recouru à des moyens divers
avec une habileté extraordinaire et, le plius souvent, avec
suœès pour elle. Pendant· trois quarts de siècle, la lutte
fatale et perpétuelle entre les races et le gouvernement se
poursuivit avec une tellie gravité qu'elle engloba des géné-
rations entières qui s'y consacraient en dépensant toute
leur énergie non seulement physique, mais intelliectueUe.
L'arrangement de 1867, entre la Hongrie .et l'Autriche, a

Slaves........................ . 22.339.285 s.oit 45,1 %


Allemands.................... . 11.987.701 24,2 %
Magyars...................... . 10.061.549 20,3 %
Roumains ................... . 3.224.147 6,5 %
Italiens ....................... . 768.422 1,5 %
Autres ....................... . 1.077.317 2,1 %
Total . . . . . . . . . . . . . . 49.458.421

(1) Cvijic : Govori i clanci, 1921. Belgrade, p. 219. (Discours


et .articles). - Mui:r, op. cit., p. 276.· ·
llssü't:'é là suprérnalie des éléments magyars et àliemanci,,
dans la monarchie. Pour adopter le compromis de 1868,
les Magyars firent nommer pour le ban de Croatie le ban
Rauch, qui devait proscrire les élections et obtenir ainsi
la majorité des voix. Le ban Rauch fit les élections avec
une brutalité inouïe qui n'a fait qu'intensifier la haine
contre la rnonarchie (1).
La reconnaissance par l'Autriche, en i848, de la pro-
vince de Voïvodine comme une autonomie administrative,
a été supprimée, quoique demandée à plusieurs reprises
et surtout en 1861, par le congrès de Karlovtzi.
En Autriche, le Deutscher Schulverein, fondé en 1880,
commença une lutte systématique dirigée surtout contre
les Tchèques et contre les provinces de Carinthie et d2
Styrie, habitées par la nation yougoslave. Les extrémistes
allemands, tels que Schônerer, avouaient ouvertement que
leur but était de se joindre à l'empire al'lemand pour en
assurer ainsi la supériorité sur les autres races. C'est pour-
quoi ils étaient en relation étroite avec le parti pangerma-
niste allemand qui désirait vivement transformer la mer
Adriatique en mer allemande.
Tous ces mouvements provocateurs ont souvent des
conséquences imprévues pour leurs initiateurs. Ainsi, au
lieu d'étouffer les diverses nationalités, la politique austro-
hongroise les fit armer et préparer pour une lutte nou-
veJile.
L'incompréhension entre les administrés et les organes,
Tegardant avec mépris la population yougoslave (von
oben herab), n'a fait que rendre plus intense la haine
contre l'Etat.
La méthode machiavélique divide et impera, a donné
cependant quelques résultats pour l'Etat, mais les résu 1-

(1) S. Stanoyevitc)1, op. cii., p. 96.


lats positifs n'ont été que la prolongation de cette J,utfr
fatale.
L'ignorance dP l'esprit national yougoslave de la part
de l'administration, et par suite une ealomnie habilmnent
préparée par ses journaux et la littérature, ont donné de.s
résultats satisfaisants pour l'Etat. Ils ont donné, pendant
une époque, des résultats considérables (i) dont, aujour-

(1) André Chéradame, I.' l~u.rope l'i la Question ll'Aull'iclw,


p. 10 : " Ces altérations de la vérité, cont.inuées méthodique-
ment pendant des années produisent de;.; résultats extraordi-
naires. "
Cvijic : Govori i cl.anci, p. 22,1. Aucun touriste plus ou moin;;
important, le correspondant en particulier, ne pouvait tra-
verser la Bosnie, par exemple, sans que le gou vernen1ent de
Bosnie ne le süt. On leur faisait bon accu,eil à la frontière, on
attachait à leur service des gens du gouvernement, bien hahi-
tués à ce genre d'affaires et toujours prêts à donner les meil-
leurs renseignements (favorables à Viennt•) sur le pays et les
lmbitants.
Herman \;\'endel, Südost1•11ropaeische Fragen. Berlin 19Hl,
L'auteur reproche aux Allemands de ne voir dans la formaüoll
du nouvel Etat qu'un mauvais coup de l'Entente. D'après l'au-
teur, dans le œrveau des Allemands, la genèse de l'Etat yougo-
slave se résume ainsi : Quand vint ]"effondrement, quelques
aventurien; serbophiles surent exploiter le èésarroi et " réuni-
rent " la Slovénie, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine aux
Serbes. La population était <tlors comme ,(>tourdie. Toute ürga-
nisation lui manquait. Elle .accepta tout passivement et une
poignée d'intellectuels et demi-intellectuelë. organisèrent des
manifestations de joie auxquelles le peuple ne prit aucune part.
(Deutsche Zeitu.ng). C8 même journal, continue l'auteur, a
donné il n'y a pas longtemps la mesure de ses connaissances
en écrivant que l'Etat yougoslave, qui compte en réalité près
de 11 millions cl'habitants, dont 400.000 de Magyars, comprend
une ·population de 20 millions d'habitants sur lesquels il y a
5 rni1lions de Magyars. Pour les gens qui n'ont rien oublié
depuis 1914 et rien appris depuis 1918, l'effondrement du nou-
veau royaume est chose plus ou moins: imminente. Quand on
voit la Müncher-Angsburger-.4bendzeitung lancer la nouveile
d'une lutte ouverte de tout Je Monténég'JO contre les Serbes, le
d'hui encore, on aperçoit le retentissement. Ainsi la période
de 1883 à Hlüa est considérée comme un point noir dans
l'histoire yougoslave. C'est l'époque de décadence, de ruine
et de dépression dans tous les sens. C'est l'époque de Kuen
en Croatie, de Kallay en Bosnie-Herzégovine, du roi Milan
en Serbie, des longues luttes politiques et personnelles en
Voïvodine. C'est l'é.poque du plus grand antagonisme,
traditionaliste et religieux parmi la nation. Le Gouverne-
ment a protégé tantôt les orthodoxes, dans les provinces
yougoslaves, contre les catholiiques, ou inversement. Ce
qu·a fait le ban Kuen en Croatie, le ban Kallay l'a Ld

Regensh11r{J1n Anzeiaer m;cmrer que la 1epré"entatim1 légale d<:.->


Croates et des Slovènes ne reconnaît pas l'Etat yougoslave, le
tllton(.ier S achrichten invenkr que l'effervescence depuis long-
temps latente en Bosnie, a fini par éclater et que le palais de
Sarajevo a été incendié, m1 n'est pas surpris, continue l'auteur,
qn·un Theodor von Sosnosky prophétise dan:< le journal de
Müniclle Allegem,,ine l/undtcha11, que l'Etat yougoslave ne sera
et ne peut être de longue durée. On comprend que Je Dentsche
,!l/.gemeine Zeitnny se fasse télégraphier de Vienne que l'effon-
llremen1. de cet Etat est proche, que la catastrophe est à prévoir
dans quelques jours et finisse sur cette phrase : Les Crnates et
Slovaques ('!) et les Dalmates veulent ~e rendn~ indépendants
des Serbes. Dam; le journal fi' Tau, Albert Hirsh parle d'un
irrédentisme italien en Yougoslavie, où il y a 0,08 % d'Italiens.
Le 1/orwaerts annonce que le traité de commerce entre l'Alle-
rrrngne et la République yougos1ave (!) a échoué; le Fraenkiscfu'
Kuril'r fait occupe1· Dulcigno qui appartient depuif< 1880 au
Monténégro par les Yougoslaves comme un poste albanais (!) d.s
l'Adriatique; la Ansgsburyer Postzeitung définit la fameuse
eoalii,ion ·eroato-serbP de 1905, importante étape verf' l'unité
yougoslave, comme une œuvYe de la politü1ue anti-croate de:<
Magyars. Si les Allewandf', qui f'ont réputés pour leur exacti-
tnde, c 1 mtînne l'auteur, sont capables de pareilleR erreurs, on
ne f'~' urait s'étonner qw~ le Bureau de prm;se anglais ait rap-
poiié en 1!3Hl une colli:-ion entl·e les« Yougoé',, et le:"" Slave>",,
1'lll' le littoral de l'Adriat.ique ! (Voil' I<: .To11nwl des Dél1ats
article de M. l\fouss':'t du 19 aoùt fü22). ,
c;n Bosnie, seulement dans le sens contrairr : le ban Kuen
protégeait les orthodoxes. en Croatie, tandis que le ban
Kallay était très indulgent envers catholiques et rnusnl~
mans ..
Les résultats en furnnt excellents; l'élément qui prédo·
1ninait dans une province fut comprimé et affaibli. Cette
action Sé1 sentit de même entre les Sl'ovaqtws et les Tchè·
ques, les Polonais et les Routènes li), etc., dùiide et
irnpera.

(1) D'après la loi électorale de 1007, t;n député est élu par
10.400 Italiens, 41.100 Allemands, 46.200 Hournains, 52.000 SJo.
vènes, 54.000 Polonais, 5.].. 700 Serbo-Croates, 57.300 Tchèque"'
et 103.000 Routèniens. Les Allemands sont favorisés contre le~
Tchèques, les Polonais à l'égard ()es Routèniens, les Italiens
à l'égard des YougoslavBs. Voir E. Benôs : Le Problhne autri-
chien et /.a question tchè1111e, ·1908. Th., p. 307.
CHAPITRE II

LES CONSÉQUENCES DE LA SÉPAHATION POLmQm;.

De ce court apeniu historique sur la situation politique


rie la nation yougoslave, il s'en suit des différences capi-
tales dans· les conceptions politiques engendrées par les
faits historiques mêmes. D'un côté, nous l'avons vu,
depuis Jüf2, une partie de la nation yougoslave d'au-
jourd'hui était en lien historique et traditionnel avec
l'Autriche-Hongrie, soit avec une autonomie restreinte,
teliles la Croatie, la Slavonie, la Dalmatie, soit sous la
domination pure et simple, telles la Voïvodine, la Slové-
nie élargie depuis 1878 par la Bosnie-Herzégovine.
Tandis que, d'un autre côté au contraire, nous avons
vu une partie de la nation sous l'auforité 8ttomane jus-
qu'au XIX" siècle, et depuis cette époque nous avon" Vi.'
se former deux Etats indépendants, dont l'un surtout
- la Serbie -··· s'est manifesté d'une vie propre et 'par
consé:J uent a pu avoùr une éducation politique irnlApen-
dante et différente de celle des autres parties de la nation.
On. ne peut pas notamment nier l'expérience et l'histoire
sur le point que des eonstitutions cliaires, une vie et des
luttes parlementaires libres et systématiques fournissent
un excellent moyen d'éducation politique dont les résultats
sont de répandre parmi les citoyens la connaissance et en
même temps l'amour de leurs droits.
Cette éducation politique était différente en Serbie par
rapport aux autres Etats, traditionnels; soumis à l'auto-
rité die la monarchie danubienne. De ces différences-là
découle une différence dan<> la cc nception de l'Etat Iui-
même.
La pa_rtie de la nation yougoslave vivant en Serbie con-
cevait l'Etat comme une organisation unitaire et égale
pour tout le monde, sans lequel il n'y a pa.s d'autre exis-
tence possible pour elle, tandis que l'autre partie de la
nation soumise à l'Autriche-Hongrie voyait, dans l'Etat,
une organisation supérieure et dirigeante sans lequel elle
se sentirait plus indépendante, et chaque voie législative
qui a conféré plus d'indépendance à ces provinces a été
considérée comme un succès pour elle. Elle voyait dans
l'Etat une inégalité et une oppression.
En d'autres termes, en Serbie l'Etat est considéré comme
la personnification de la nation eUe-même (Esrnein), mais
non seulement dans le sens juridique du mot : li'Etat et la
nation ne sont ici que deux aspects d'une même réalité,
la force de l'Etat étant considérée par la masse comme la
force de la nation : l'éducation politique a été centralisa-
trice. Au contraire, dans les provinces et Etats tradition-
nels1 sous la domination de l'Etat austro-hongrois, la na-
tion est considérée comme un tiers par rapport à l'Etat
non seulemeqt dans le sens juridique du mot (Yelinek) (i),
~·organisation et la force de l'Etat étant ici la faiblesse de
la nation, il est considéré comme destiné à supprimer
l'individualité nationale : L'éducation politique a été décen-
tralisatrice (2),

(1) M. Bouvier, Cours du D. P. de l'année 1920-21, Grènoble.


(2) Sur cette tendances, voir Edouard Be:nes, op. cit:
- 57-

Quoique cette différence ne puisse pas être considérée


comme absolue pour tout •le territoire et pour t-Ous les
hab;tants, néanmoins il s'en suit dieux conséquènces pra-
tiques, importantes : l'une est politique, l'<iufre écono-
mique.

i° Les conséquences politiques de la séparation histo-


rique de la nation yougoslave sont qu'il existe dans le
nouvel Etat yougoslave des hommes politiques et des
partis d'un caractère régional qui demandent la décentra-
lisation politique. Quoique le patriotisme, yougoslave de
ces hommes politiques soit inconte"Stable, ils s'e,fforcent
néanmoins de sauvegarder, en politique, la situation tra-
ditionnelle de la Croatie, Sl'avonie et Slovénie historiques
par rapport au nouvel Etat, et en droit, de défendre le
droit traditionnel de la Croatie contre l'unification du
droit, comme le défendait, en France, pour la Bretagne,
d'Argentré, au XVI• siède. La différence n'est que dans
le temps et les procédés, notamment que d'Argentré était
un seigneur du moyen-âge, tandis que l'homme politique
représentant ces tendances dans le nouv8l Etat yougoslave,
M. Raditch, est un seigneur .moderne, il est surtout le chef
du parti paysan.
D'autre part, dans l'autre partie de la nation, toujours
à cause de la séparation historique, on voit souvent des
tendances et un esprit d'une idéologie restreinte et locale,
dont l'action en terrain politique trouve des défenseurs (1).

(1) Notons qu'il y a encore des particularistes, surtout poli-


tidens, sans aucune compétence scientï'fique qui, dans un but
élect-Oral, invoquent la diversité de culture, comme une fo.rce
centrifuge, mais ces considérations sont tellement subje·ctives
et tenclancieuses qu'on ap.erçQit t.out de suite· leur but. En ce
sens voi.r Ch. Rivet, En Yougoslavie (qui se base purement
sur les considérations politiqU:t;!H) la déclaration de M. Raditch,
page 75. '' ·
-58--

2'' L'éducation politique; différente, qui peul être co:O.si-


dé,rée comme une force centrifuge dans la formation de la
nation yougoslave, est encore intensifiée par la structure
économique différente qui caractériSli les différentes pro-
vinces du nouvel Etat, et plus spécialement par la situa-
tion agraire.
Nous avons vu les causes qui ont provoqué dans l'Etat
de Serbie la solution de fa ré.forme agraire. La solution
de la réforme agraire en Serbie avait commencé déjà
depuis le premier soulèvement en 1804. Et elle a fini com-
plètement dans la deuxième moitié du XIX" siècle. Cette
solution a été radicalt> en ce st>ns que le paysan a été
proclamé propriétaire de la terre qu'il cultivait. D'autant
plus que le prince Miloch (1), par son décret du 23 aoüt
18:10, ignora complètement Je régime féodal ancien et
ronsid€ra le droit du paysan rétroactiwment depuis 18fM.
Les paysans, dans la Serbie d'avant-guerre (HH2),
6taient devenus de très petits propriéfaircs. 1,a plus
grande partie, U6 %, n'avaient que de 5 à 20 ha, 55 % ne
possédaient pas plus de 5 ha. Les autres 4 '\, possédaiefll
de 20 à 345 ha (2).
Tandis que, dans les autres provinces, la situation était
absolument contraire. A ce point de vue, c'était en Bosnie-
Herzégovine qu'on pouvait trouver la pire situation des
paysans. Jusqu'au traité de Berlin (1878), les rapports
agraires dans cette province étaient enoore féodaux et
tiraient leur origine des anciens Etats slaves du inoyen-
iige. Sauf quelquflS règlements, qu'ils ont subis pendant le
régime turc et autrichien, ils sont restés les mêmes jus-
qu'à nos jours.
Il n'y a que deux changements principaux faits sous le

(1) M. Laptehevitch. Revue Misao de Belgrade du 101· juin


1922.'
Y. Zi1jovitc.b, op. cit., p. 15.
-- 59 --

régime turc (i). Le premier se J'attache à lia proPriété de


la terre et à ses rapports vis-à-vis de l'Etat ; le deuxième
au rapport réciproque du propriétaire et du cultivateur.•
L'anchmne noblesse des petits Etats, par l'invasion tur-
que, était dépossédée de ses biens, ainsi que les églises
et les couvents, sauf ceux qui adoptaient l'islamisme;
Leurs terres étaient êédées à la noblec;se turque, aux agas
et aux spahis et à leurs institutions religieuses ..
Dans· les anciens petits Etats libres, la noblesse aussi
bien que les égfüses e,t les couvents, avaient des terres,
soit en propriété (bachtina) soit en possession (pronia).
En donnant ces terres à la noblesse turque et aux mos- ·
quées, l'Etat turc se dirigeait d'après le Cor.an, c'est-à-dire
la propriété immobilière n'appartient qu'à l'Etat-Sultan,
toutes les autres personnes sont considérées comme posses-
seurs de leurs biens, au point de vue juridique.
Mais dans le ~murant du temps, cette situation juridique,
en fait, a disparu complètement entre Mylk et Vakuf (droit.
de propriété) et Miriye (la possession). Lorsque, vers la..
fin du XVIII• sièclle et au commencement du XIX•, le
pouvoir de l'Etat turc <iommença à s'affaiblir, lia noblesse
bosnienne en profita et commença à se considérer comme
propriétaire de. ses biens, ce qui est plus tard, en fait,
reconnu par l'Etat lui-même.
Au commencement du pouvoir turc, les rapports entre
les agas, les spahis - grands propriétaires terriens - et'
les cultivateurs formiers - les kmets -- étaient les mêmes·.
que dans les anciens p~tits Etats libres, c'est-à-dire· réglés
par l.a coutume. Dans le courant du temps, les spahis et··
l'es ag.as abusèrent de leur . pouvoir en augmentant lies

(1) D' M. Todorovitch, prof. à l'Université de Belgrade : L~ .


><ituation agraire en Bmmie-Herzégovine, Revue Misao, n°• 5 et
6 de Be:lg:rade. ·
-60-

impôts aux kmets, ce qui provoqua plusieurs révoltes et


révolutions qui obligèrent l'Etat à régler légalement ces
rapports. Ainsi sont apparues les lois les plus importantes
du 14 sa/ère 1216 (12 sept. i859) et du 7 mouharem 1293
(9 février i876). Ces rapports sont restés les mêmes jusqu'à
nos jours, sauf quelques petits changements.
Pendant l'occupation .autrichienne, la question agraire
~tait réglée de la manière suivante : toute !fa terre, ou pres-
que toute, sauf les entours de bâtiments et jardins,
était considérée au point de vue juridique comme la
propriété de l'Etat dont il pouvait disposer des trois façons
suivantes :

a) Ou l'Etat la donnait en régie (les forêts et" les proprié-


tés de l'Etat dans un sens plus restreint);
b) Ou la terre était transformée en propriétés natio-
nales ou communales, données aux habitants d'une com-
mune (métiké). A la même catégorie appartenaient les
terres incultivables -- friches, terrains marécageux, pier-
reux, (mévate) ;
c) Ou les terres étaient mises à la disposition des parti-
cmliers, ou offertes aux personnes morales ôu autres insti-
tutions religieuses (miriye).

Ili y avait très peu de terres en propriétés privées.


C'étaient les entours de bâtiments, les jardins qui ne
pouvaient dépasser un demi dounoume (800-i.OOO m2);
cette propriété était appelée mylk, si elle appartenait à
une personne morale privée, et vakuf, si elle était entre
les mains des mosquées ou des autres institutions reli-
gieuse.s et de bienfaisance.
En fait, les miriye, c'est-à-dire la terre donnée soit aux
personnes, wit aux mosquées, ou à d'autres institutions
religieuses, étaient con<-idérées comme la propriété de
celles-ci. Cette propriété· se trouvait presque sans excep-
tion aux mains d'es musulmans sous d'eux formes : d'abord
sous lia forme de petites propriétés appartenant aux pay-
sans librPs, et puis sous forme dv grandes propriétùs
appartenant, aux agas, aux spahis, aux mosquées, et à
d'autres institutions religieuses.
Les grands propriétaires cultivaient une petite partie
de leur terre qu'on appelait heg!ik, mais la grande majo-
ritt'. de leurs terres était donnée ù ferme, tchiflik ou krrwl-
lou/,· (possession précaire), ordinairement aux chrétiens.
Les rapports rntre eux étaient réglés, même sous la domi-
nation autrichienne, par les lois que nous avons citées,
de la manière suivante :
a) La ferme est principalement de très longue durée. Le
grand propriétaire ne peut retirer la ferme que dans deux
cas : si le kmet cultive mat la terre et s'il ne paye pas
régulièrement le formage. Le fermiPr, sauf ces deux
exceptions, a Je droit de garder la terre tenue à ferme qui,
après sa mort, passe aux mains de ses héritiers. Mais il
n'est pas lié par la terrf', il twut la quitter avec le droit
rlP réclarnpr les dmnrnages pour les améliorations de toutes
sortes. Le propriétaire est obligé de faire les constructions
dt>stinées à l'habitation et à l'agriculture.
Le jus almtendi du propriétaire est restreint, en ce sens
que la transmission, faite de n'importe quelle façon,
réserve le droit au kmet de rester fermier sous les mêmes
conditions. Si la transmission se fait par voie d'héritage,
la terre ne peut pas êtrt' partagée entre les héritiers, c'est-
à-clin• un kmel!ouk doit appartenir ù un seul héritier,
niais il n'en est pas de même au cas où il y a plusieuro.
kmetlouks et en ce qui concerne les revenus. Si le proprié-
taire veut vendre s.a propriété à une troisième personne,
c'est au krnet qu'apparti1c•nt avant tout autre le droit de
rachat.
b) Le contrat se fait en présence cl1' la famille du kmet,
c'est-à-dire de la zadruga. En cas de mort du fermier, ses
héritiers ne peuvent se partager la culhll'e dP la terre sans
la permission du propriétaire : ils cloiyent la cultiver
ensemble.
r:) Le montant du fermage, cakulé d'après le revt~m1
lirut, s'appelle Jw!.:. Il. varie entre U3 et 1, f> du revenu
brut. Quelquefois le lwk est fixé d'avance, rnais il c~st
rompté toujours d'après la culture principale et non acces-
~oire. Le hak est de la moitié du revenu brut dans le cas
où le 1'>rnpriétaire cède au kmet les semences, les outils et
le cheptel.
A côté du hak, il existe l'obligation pour le kmet de
travailler pour son maître dans les beglik (gospodarska
ra/Jota). IJP kmet doit travailler un à deux jours par
semaine. Par h1 loi du 12 septembre 185\J, ses travaux sont
i·écluits, sauf dans le cas où le hak est moins d'un tiers du
re>venu brut.
rl) En cas de procès, il est porté soit au l.:adhù:, soit au
krûrnakanu>, c'est-à-dire .au tribunal ou aux autoritf>s admi-
nistratives. Le choix est librP.
Sous la domination de !.'Autriche-Hongrie, Ja plupart
des hommes politiques (comte Andrassy) étaient d'avis dt:
supprimer le régime demi-féodal et, pour cela, de procla-
mer les knwts propriétaires des terres qu'ils cultivaient et
de faire payer les spahis et agas. Au début, les conditions
l~taient favorables, car la terre était très bon marché. Une
commission avait pour hut de recueillir tous les docu-
ments sur la situatiort dt>s krnets. Le rnchat facultatif corn
mença Pt il dev.ait durer jusqu'it ce que le projet dn .rachat
obligatoire soit fait.
Mais bientôt, avec l'arrivée de Kallay comme gou-
verneur de la Bosnie-Herzt'.igovine, la politique agraire
changea d'aspect. Le problème des krnets par lequel étaient
engagés les intérêts matériels des spahis et des agas, se pré-
sent.ait à KaHay comme un problème dlont la solution était
impossible :sans une lésion aux. intérêts des grands propriè-
taires:
S'appuyaut sur les musulmans pour acquérir La sympa-
thie des spahis et des agas dans un but politique, Kallay
renonça au rachat obligatoire et remit en vigueur la loi
· · de J$5!) · ayec raèhat · facultatif sous . les conditions sui-
vantes : le hak peut être soldé en argent oomptant, le
tribunal compétent pour les procès est désormais l'auto-
rité administrativè. On engagea certaines banques qui
donneraient les ressources nécessaires aux kmets pour le
rachat. Sans entrer dans les conditions politiques que les
banques imposèrent aux kmets, voyons les conditions
économiques qui étaient les suivantes :

1° Les banques ne prêtaient àux kmets que la moitié


de la somme nécessaire pour le rachat ; pour l'autre moitié,
il était obligé de vendre son bétail ou d'emprunter aux
usuriers.
2° Le délai de crédit était de 10 à 20 ans avec intérêt de
6 à 8 %. C'était généralement la banque de Bosnie-Herzé-
govine (1) de Sarajevo qui donnait le credit. La banque
se réservait tous les droits, c'est-à-dire qu'à la moindre
négligence de son débiteur, el!le pouvait récl:amer le paie-
ment de la dette entière, par la voie de la saisie.
l./enquête du gouvernement de Vienne, publiée en 1906,
sur le travail. de Kallay fut l'objet d'une critiqué sévère
(le la part de l'opinion publique.
Les ré11ultats furent que la situation économique des
· kmets resta la même que sous le régime turc. Les rapports
des :agas et des krnets continuèrent d'êtrB réglés par la loi
de 1859. La situation économique resta la même, ainsi que
l'état psychologique, entre les deux groupes économiques .
. :J Le rachat des fe~mes, qui eut lien dans la période
0

. de 1870 à 1910, n'a pas donné de bons résultats. En l'espace


de 32 ans, il fut racheté 28.481 formes, donc 890 par an.
Si cela avait continué ainsi, la disparition définitive du
régiinè des kinets aur.ait eùt lieu au, oorriril.encèment du

(1) Composée de la Banque d'Union et de la. Banque Hypo-


thécàir~ de Saraje~o.
XXIl" siècle, comme l'a démontré M. Todorovitch darts ses
articles.
Le successeur de Kallay, Burian, a bien vu que le pro-
blème ne peut se résoudre sans l'intervention de l'Ii:tat. Il
a rédigé un projet qui est devenu la loi du 1°r décembre
1911, dont les résultats sont médiocres à cause du CDurt
espace de temps (1). Ce qui a le plus donné lieu à des luttes
intérieures en Bosnie-Herzégovine, c'est la répartition de
la terre entre les habitants. D'après la statistique offi-
cielle de l'Autriche-Hongrie, en 1910, il y avait, en Bosnie-
Herzégôvine, les groupes suivant« d'agriculteurs (1)

1 ° Les grands propriétaires, qui cultivent leurs terres


sous le régime des kmets, sont au nombre de 10.463, 3.69 %,
soit 40.460 personnes.
2° Les grands propriétaires qui cultivent eux-mêmes
leurs terres sont au nomh.re d~ 4.281, 1,51 %, soit 16.182
personnes.

(1) Les dispositions principales de cette loi sont les suivan-


tes : Le rachat facultatif reste enc.)re la règle. L'Etat coment
d.es prêts aux kmets au moyen d'obligations amortissables danr<
l'espace de 30 à 50 ans avec un intérêt de 4. ~,;; % payé p~r
semestres. D'après les documents donnés jusqu'au 10 mai 1912,
il y eut de nouveaux rachats, an nombre de 2.630. M. Spaho,
un des chefs du pm·ti musulman yougoslave dans le nouvel
Etat, a conclu qu'à l'aide de cette loi tout marcherait mieux,
tandis que le,s professeurs Grünherg ,et Schmidt considéraient
la loi avèc beaucoup moim; d'optimisme (Revue Misao, op. cit.
n° 6).
(2) La superficie des terres laboura.bles en Bosnie-Herzégo-
vine est de 1.237.000 ha. (Statistique des Provinces Yougosiaves
pa.r S. Secerov, D, Ph. M. Sc. (Econ.) Londres. - Belgrade
1919). La. population dè Bosnie-Herzégovine est de 1.931.802,
dont 825.418 orthodoxes, 442.197 catholiques et 612.137 musul-
. mans (Dr·J.ose Rus, Glavni statisticki podaci Kr. S. H. S. Ljou-
b!jana, 1920).
Les paysans libres, au nombre de 136.8l'i4, l18,i34 % ,
::i"
soit G3I!.789 personnes.
!1° Les krnets, au nombrn dP ï\l.Cî'î, 28,~15 %, soit 4A4.\:J20
personnes.
[i Les demi-fermiers, c'est-à-dirn des kmets, qui, ù.
0

côté de leurs propres terres, tiennent encore à ferme. Ce


groupe se compose :
o) Des demi-fermiers dont la culture de leurs propres
terres est l'occupation principale, au nombre de 11L453,
Fi,10 %, soit %.29G personnes.
h) Des demi-fermiers dont la culture des terres tenues
it ferme est l'occupation principale, au nombre de 16.963,
fi,99 soit H0.1148 personnes.
G Les autres agriculteurs, au nombre de 20.450, 7,02
0

soit f1~l.35i pe.rsonnes.


Si maintenant on envisage ces groupes d'après les trois
cultes fos plus importants, la répartition, toujours d'après
la statistique autrichienne de 1910, est faite de la manière
suivante :

Orthorlo:re .IYJtt.rn lm an Cath oliqu.e

1er groupe fî3:3 - 6,05 % H.587 - 91,fü % 267 - 2,55 %


2e '760 - 17,75 'X, :3.023 - 70,62 % 458 - 10,70 %
;Je :35.424 - 25,87 '/o 77.518 - 56,65 ',;{, 22.916-16,74 %
fi,e 58.895 - 73,92 % :l.653 - 4,58 % 17.116-21,49 %
5e a) 7.461 - 51,68 % lA58 - 10,09 % 5.533 - 38,28 %
5'· h) 9.:322 - 54,96 % 1.23:3 - 7,21 '/{:, 6.418 - 37,83 'X,
()e G.26ti - :J0,69 H.22() - •l5,12 ';{, 089 - 20,48 %

La statistique officielle d'Autriche-Hongrie ne nous


donne pas l'étendue des propriétés de tel ou tel groupe ;
d'après une statistique privée du professeur Grünberg,
la surface des propriétés des ae et f1e groupes est la sui-
vante
jusqu'à 2 lia. de 2 à fi hu. de fi à 10 lw. pl. d.e 10 ha.

:J•groupe 51,48 % :25,3!.J % 1:3,'71 % 9,4 %


4e groupe 19,95 ~~,S 28,21 % 28,38 % 23,46 %
5,
Comme on le voit, la possession des kmets est pllls
grande que la propriété des paysans libres : 52 % de la
possession des kmets sont supérieurs à 5 ha et 1/5 seule-
ment inférieur à 2 ha, tandis que plus de 50 % de l'a
propriété des paysans libres sont inférieur'! à 2 ha et seule-
ment 23 % supérieurs à 5 ha.
Cela s'explique par le fait que les propriétés des pay-
sans libres qui proviennent du régime des kmets dimi-
nuent par la succession, tandis que la possession des kmets,
comme nous l'avons vu, ne peut pas être partagée entre
les héritiers.
En ce qui concerne la répartition de la terre, entre les
trois cultes, d'après la statistique ci-dessus, on peut tirer
les résultats suivants :
1 ° Les grands propriétaires sont pour la plupart des '
musulimans, car aux deux autres culte<- il n'appartient que
8,60 % des grandes propriétés du premier groupe et 28,45
du deuxième.
2° L 1s musulmans ont aussi la majorité dans les grou-
pes des paysans libres (rachetés), 56,65 %.
3° Viennent ensuite les kmets (4• groupe) dont les 3/4
(73,92 %) sont orthodoxes; presque tout le reste est catholi-
que (21,49 %), les musulmans ne font que 4,5 % de la
somme totale. De même, il! y .a plus d'orthodoxes dans le
groupe des demi-fermiers.
Nous avons insisté surtout sur la situation agraire en
Bosnie-He·rzégovine, car c'est justement les rapports agrai-
res de cette province qui ont provoqué l'antagonisme par-
mi les intéressés, antagonisme qui a été un excelllent moyen
entre les mains du gouvernement austro-hongrois de les
exploiter pour des fins politiques (1).
Notons que des situations semblables à celles de Bosnie-
Herzégovine e·xistent en Macédoine et, dans une certaine

(1) Antagonisme que M. G. Le Bon a attribué superficielle-


ment, dans 1!\IOn ouvrage dté, à la qualité de la r~ce.
-- 67 ,.;_;...

rnesure, en Dalmatie. Toutefois, dans ces dernières, ià


situation est plus compliquée (1) et variée. La situation
n'est pas la même dans les villes de Split, Chibenik, etc.,
que dans les îles dalmates.
Pour les autres provinces, il se pose un problème diffé-
rent de celui de Bosnie-Herzégovine : c'estle problème de
la nationalisation des grandes propriétés foncières. On
sait que la Hongrie (2) est, par excellence, le pays des
grandes propriétés. Ainsi, en Voïvodine (3), comme en
Croatie-Slavonie, au moment de l'affranchissement, il y
avait de grandes propriétés entre les mains die la noblesse
magyare et aHemande surtout et de la noblesse magyarisée;
c'est pourquoi la soluVon de ce problème prend une allure
plutot nationale.
En ce qui concerne la Croatie-Slavonie, exception faite
des villes, la répartition de la terre, d'après une étude très
documentée (!±), est la suivante, en tenant compte que,
d'après la statistique de 1910, la population de la Croatie-
Slavonie est de 2.662.954 habitants et la surface des terres
labourables de. 1.389.650 youtro (5). Jusqu'à 5 youtro le
nombre des propriétaires est die 197.048, de 5 à 10 le nom-
bre est de 117.518, de 10 à 20 l'e nombre est de 75.226, de
20 à 50 le nombre est de 23.200, de 50 à 100 le nombre est
de 6.212, de 100 à 200 le nombre est de 1±50, de 200 à 1.000
le nombre est de 158, au delà de 1.000 le nombre est de 72.
En Slovénie, la même question se pose pour les forêts,

(1) L.es kmets en Dalmatie s'appellent colons.


(2) Voir la Statistique Annuaire de Hongrie, 1911.
(3) La plus grande propriété en Voïvodine est de :Œ.000
youtro. M. Secerov : La situation nationale en Voïvodine.
Hevue Misao de Belgrade, n° 6.
(4) M. Galic : Pnobl,emii agrarne politike (Les problèmes
de la politique agraire. Re<Vue 1vli.iesecnik de Zag.reb, n°• 2,
3, 4).
(5) 5 youtrn égalent 2,87 ha.
étant donné qu'il y a îO % de terrains sous bois, et !) '}ü
seulement de terrains labourables.
Nous verrons dans la deuxième partie l'esprit du légis-
lateur sur la quection agraire qui s'est posée au moment
même de l'affranclüssement. Pour le moment, ili est néces-
saire d'ajouter que le prince régent, dans sa proclamation
du 24 décembre 1918, a déclaré : " .Je désire que le régime
des kmets et des grands propri,étaires terriens soit aboli.
Tout citoyen doit être maître de la terre qu'il cultive. Dans
notre Etat libre, il ne peut y avoir que des propriétaires
de terres libres ..Je fais appel aux paysans kmet,s pour
qu'ils attendent paisiblement et avec confiance que notre
Etat l:eur donne, par les voies légales, une terre qui ne
sera c~ésormais qu'à Dieu et à eux, comme c'est depuis
longtemps la règle en Serbie "·
La première réalisation de cette promesse royale con-
sista dans deux décrets provisoires, celui du 25 février
HH9, qui pose les principes généraux de la réforme agraire,
et celui du 21 juillet 1919, qui ordonne l'enregistrement
<1u droit de propriété des kmets sur les terres qu'ils cul-
tivent.
J_,es dispositions principales des décrets sont les sui-
vantes :

i Les kmet.s seront propriétaires exclusifs des terres


0

qu'ils labourent. L'Etat 1solidera les dettes que les anciens


kmets ont contractées pour le rachat.
2° Les terres attribuées aux agas et spahis, à la suite
d'une éviction illégale des krnets, devront faire refour à
leur premier propriétaire.
3° Les grands propriétaires recevront de l'Etat une
indemnité convenable.
4° Tous les cultivateurs, sans distinction de rel:igion, qui
ne possèdent pas de terres en quantité suffisante, recevront
une portion des propriétés de l'Etat, au prorata du nom-
bre des membres de leur famille.
-69-

En ce qui conce rne les résultats de l'application des


1

décrets et des dispositions die la Constitufüm nouvelle,


que nous verrons plus loin, nous avons une déclaration
toute récente de M. Krsta Miletitch, ministre de la Réfor-
me agraire, donnée devant la Commission pour l'élabo-
r.ation des lois, le 17 novembre, 1922 (1).
D'abord, pour la Bosnie-Herzégovine, est prévue la
somme de 255 millions de dinars pour re rachat des terres
cultivées par les kmets qui sont devenus propriétaires.
105 milliions sont déjà versés, le reste sera versé dans
20 jour.s. D'après cette déclaration, la question agraire
en Bosnie sera résolue définitivement au milieu de l'année
prochaine.
Pour les régions du Sud, on attend la rédaction de la loi
qui devra définir ce qu'il faut entendre par les kmets et
tchiftchis dans cette région.
En ce qui concerne la Voïvodine, la Croatie-Sliavonie et
la Slovénie, où se pose lia question de l'expropriation des
grandes propriétés (2), soit en terres labourabl!es, soit en
forêts, la procédure au 17 novembre 1922 est dans l'état
suivant :
Dans la Voïvodine, qui dépend de la direction agraire
de Belgrade, il y a 483 grandes propriétés à exproprier,
oontenant 540.409 youtros de terres labourables et 84.585
youtros de forêts. Déjà un nombre de 83.502 familles pau-
vres ont obtenu 188.040 youtros ; les engagés volontaires

(1) Le Journal Politika du 18 nov. 1922.


(2) D'après le règlement provisoire, toutes les pr:op·riétés
de plus de 500 ha. en Voïvodine et de plus de 300 ha en C:roatie-
S1avoni·e sont considérées comme grandes propriétés. D'après
Je projet de loi du gouve1rnement de M. Pa.chitch, 198 maxima
des grandes pI'Opriétés sont ainsi fixés : en Slovénie, Dalma-
tie et Herzégovine 50 ha., en Croatie (région de Zagreb)
75 à 100 ha., en Bosnie 150 à 200 ha., en Voïvodine 300 ha.
(Politika du 19 nov. 1922).
-- 70 -

46.928 youtros et les colons des provinces passives 74.103


youtros.
Dans la Croatie-Slavonie, qui dépend de la direction
agraire de Zagreb, il y a 180 grandes propriétés à expro-
prier, qui comptent 273.327 youtros en terre labourable
et 433.461 youtros en forêts.
Les habitants pauvres ont obtenu 1~-l3.222 youtros, les
engagés volontaires 25.i314 youtros et les colons 4.77:-l yuu-
tros.
Dans la Slovénie, qui dépend de la direction de Ljouhl-
jana, il y a 104 grandes propriétés à exproprier, dont
45.083 youtros en terre labourable et 205.706 en forêts .
Les habitants pauvres ont obtenu 29.234. youtros, h~s colons
15.276.
En définitive, au 17 novembre 1922, 185.906 familles
pauvres ont obtenu de la term labourable. En Dalmatie,
d'après lia déclaration ministérielle, il y a très peu de
grandes propriétés et leur solution se règle dans la plupart
des cas à l'amiable.
CHAPITRE III

LA SITUATION RELIGIEUSE.

Tandis que la séparation politique, qui a duré pendant


deR siècles est considérée comme une force plutôt négative
dans la formation de la nation yougoslave, la diversité
confessionnelle qui existe dans la nation ne peut pas être
considérée aujourd'hui, comme il semble à première vue,
une force contrifuge.
L'unité de religion a souvent été considérée comme un
facteur dans la création des nations, et il y a certainement
des cas où la religion s'est révélée un facteur puissant en
la matière. Mais la religion en elle-même n'a jamais, ou
pour mieux dire, presque jamais suffi à créer une nation,
et on a toujours échoué quand on a tenté d'élever l'unité
politique sur la seule base de l'unité religieuse. D'un autre
côté, la désunion religieuse peut être hostile à l"ét.at des
nations. Ainsi ce fut une différence de religion, plus que
tout autre chose, qui rendit impossible aux Hollandais et
aux Beliges de vivre ensemble dans un oommun Etat, car
par la langue et la race, les Belges diffèrent entre eux
plus profondément que ne diffèrent certains de ceux-ci des
---- 72 _,,

Hollandais. La désunion religieuse constitue le principal


obstacle au mouvement nat'onaliste en Irlande, et le con-
flit entre catholiques et dissidents a été une des prinri-
pales causes cJy, la désorganisation interne qui a amem; la
chute de la Pol!ogne.
Poiù'f.ant il y a au moins autant de cas où de::; diff(~­
rences religieuses profondément enrarinées n'ont pas fait
obstacle à l'unification nationale. L'Allemagne ust mi-
partit' protestante et mi-partie catholiqm. L'Angletf~rn~
n'a jamais connu l'unité religieuse depuis la Héformation
et, dans la nation yougoslave, Jes rnembres du clergé catl1o-
lique, comnw Divkovitch, Katitch, Miotchitch, Vrhovae,
Strosmaier, ont été, il la fin du XIXe siècle, les pionniers
de l'idée yougoslave et de l'unité natinnate (1.).
Au cours du IX" siècle, la nation yougoslave adopta défi-
nitivement le christianisme, gràce à deux apôtres, C_yrillr
et Méthode (2), dont raction en langue nationale se place
en l'an 862. Mais leur action ne fut pas de longue durée.
Et avec la séparation de ],'Eglise orthodoxe de l'Eghse
eatholique, en 1054, la nation se sépara en deux groupes
religieux. Cependant, sur les bords de, l'Adriatique, dans
les diocèses actuels de Veglia, Zadar, Chihenic, environ
80.000 catholiques gardent encore aujourd'hui la liturgie
slave (3).
D'abord, pour comprendre la situation religieust' des
Yougoslaves, il faut savoir que les orthodoxes sont en
majorité en Serbie, en Voïvodine, dans la vieille Serbie,
au Monténégro et en majorité relatiw en Bosnie-Herzé-
govine; les catholiqm~s, au contraire, sont en majorité dans
Je,s autres provinces.

(1) Voir, sur 12 catllo.Jicisme, René Pinon : Cl~11rop1~ 11011-


velle et le Catholicisme, 1921.
(2) Léger : 1:yrille el Jl!Iétho!/e, diap. XII.
(:J) Lég<er : Jli$to'in: de l' A, 11 /riche-flunorii:, p. 18,
-73-

!/antagonisme entre ces deux religions n'a pas toujours


existé, leur tolérance s'est manifestée surtout à l'époque
de l'invasion turque, comme nous ll: verrons plus loin.
Mais cependant, il y avait une sortt> de méfiance, d<e soup-
<:on, qui s'est montré maintes fois. En outre, on vit appa-
raître, à deux ou trois reprises, le prosélytisrne !.action
uniate de Hoditeh t>f institution du lycée jésuite à Brl-
grade par Eugène de Savoie (t66:H736), etc.).
11 est bien évident que toutm; ces actions de prosélytisnw
(•manaient dP rr~glise catholique. L'Eglise orthodoxe, qui
perdit presque son caractèn•. dogmatique et ecclésiastique
et revêtit un caractèn• plutôt ethnique ut national (1l, n'a
jamais eu de tendance prosélyte.
Ainsi, depuis la sépaTation des Eglises. il existait, dans
la nation yougoslave, deux sortes de clergé ayant des
tendances et un caractère différents. D'un eôté le clergé
catholique, dirigé par Home, aspirant à attirer](• plus de
fidèfos dans le giron de la toute-puissante Eglise romaine,
et de l'autre côté le clergé orthodoxe, moins instruit, mais
plus national et plus popv.laire, travaillant à garder à tout
prix la traditinn de l'~~glise et son nom, de mêrne que le
passt) national.
Le résultat (]L. ces deux organisations spirilue1'les fut
que le clergé catholique, sciemment ou non, fit disparaître
chez les catholiques, dans une certaine mesure, les coutu-
mes et préjugés caractérisant la masse yougoslave et pro-
venant de l'unité de race, tandis que le clergé orthodoxe,
avec son traditionalisme national Pt son origine populaire,
forma une Eglise purement nationale, spécifique, en .adop-
tant comme saints les tzars Lazare et Ouroche - souve-
rains de l'Etat serbe du moyen-âge ainsi qu'un prince,
- St S.ava - fondateur de l'Egl!isP. De même la tragédif•
cle Kossovo devint le dies m~fastus rlr l'Eglise orthodoxe.

((\ C\'ijic 1 La Pé11i11.1·11ll' llallrnnitjlll'', fl. 165,


-7•-
L'Eglise catholique, au contraire, avec une tendance ptu-
tôt cosmopolite que nationale, ne pouvait pas devenir le
foyer et la gardienne de la tradition de l'Etat croate, par
exemple. Le· christianisme en Slovénie fut professé exclu-
sivement par le clergé allemand (1). Le haut cllergé catho-
lique, en général jusqu'au XIX• siècle, en Croatie, en
Dalmatie et en Slovénie, n'était pas du tout national, mais
rattaché à l'autorité de l'Etat et à la dynastie. Les dynas-
ties nationales qui régnèrent sur cette partie de la nation
(Arpadiens, Anjou, Habsbourg) n'avaient aucun intérêt
de veiller sur la tradition des Etats slaves et de garde·r le
souvenir des rois nationaux de l!a Croatie. C'est pour cette
raison, comme nous le verrons dans les chapitres suivants,
que cette partie de la nation se trouvait, au commencement
du-XIX• siècle, sans aucun sentiment national. Ainsi peut
s'expliquer ensuite ce: fait intéressant que, dans la masse
populaire yougoslave, il existe des souvenirs de la Serbie
. du moyen-âge et de ses rois, mais point de souvenirs histo-
riques - victoires ou défaites - de la Croatie. Même .s'il
exi·ste parmi les catholiques certains souvenirs qui leur
soient propres - souvenirs .de la lutte contre les Turcs -
ce ne sont pas des souvenirs d'un caractère national, mais
pllutôt chrétien (2) (Kapistran, Kastriote, Skenderberg).
Ainsi on peut comprendre ce fait historique que la popu-
lation catholique de Yougoslavie considère comme siens les
héros nationaux de la Serbie du moyen-âge, surtout ceux
qui n'ont aucun rapport avec l'Eglise orthodoxe.
Si le caractère anational: de l'Eglise n'a pas conservé la
tradition nationale de la Croatie historique, d'un autre côté

(1) H. L. Lerimer, Sl:ovenci, Re:vue Misao de Londres de


mai et juin 1919.
(2) D' P. Griso.gono. La naissance de la nation yougoslav:e,
Revue Misao de Belgrad~, n° 18 (Postajanje jugoslovenskog
nar-0da).
-75-

avec l'invasion turque, qui a provoqué en même temps le


rapprochement des chrétiens en général,· il s'est produit
un certain rapprochement des cathofüques yougos1aves
avec les autres nations catholiques.
L'invasion turque a eu trois conséquences différentes
dans la vie religieuse de la nation yougoslave, vie qui était
alors en lien étroit avec le c}éveloppement national.

La première conséquence fut le rapprochement des. deux


Egfües contre l'islamisme. Le danger de l'invasion tur-
que rapprocha les chrétiens de la péninsule, ils se sen-
tirent tous de l!a même famille en face <i'un danger com-
mun, la défense devint leur devoir religieux. Cette lutte
religieuse, menée pendant des siècles entre les chrétiens
et les mahométans, développa d'abord le sentiment de
soliidarité entre les Yougoslaves, ensuite un certain
rapprochement entre les catholiques yougosl!aves et lès
autres nations catholiques situées au no:rd de la frontière
ethnique de la nation, et c'est ici la deuxième conséquence
de l'invasion turque.
En rai,son de cette deuxième conséquence, la population
catholique yougoslave ne pouvait pas opposer une résis-
tance et une méfiance anallogues à la résistance et à la
méfiance de la population orthodoxe yougoslave envers
les dynasties catholiques et apostol~ques d'Autriche-Hon-
grie, résistance et méfiance qui ont lie plus souvent servi
à créer un fort sentiment national (Pologne, Irlande). Cette
thèse peut expliquer ce recul systématique que l'on aper-
çoit dans l'histoire de la Croatie devant Vienne et Buda-
pest et la popularité, dans une certaine mesure, d'e l'em-
pereur d'Autriehe ou du doge de Venise parmi la masse
popul!aire eatholique (1). Cette thèse peut même expliquer
de nos jours que, pour des gens à l'esprit étroit, pour un

(1) Dt P. Grisogono, op. cit.


~·76-

ultra orthodoxe par exemple, un catholique représente un


citoyen trop anat;onal, et pour un clérical catholique, un
orthodoxe n1présente au contraire un citoyen trop natio-
nal.

La troisièrne coméquenee de l'invasion turque fut de


former parmi les Yuugoslaves une troisième religion, la
Yeligion mahométane, uniquement pour des raisons éeono-
miques, comme nous l'avons vu.
Ainsi, rI'apYès le recensement de rn20, dans le nouvel
Etat, il y a 5.454.2:17 orthodoxes, 4.474.ü6l) eathofiques,
.1.353.370 musulmans ; ces trois religions sont considérées
comme les plus importantes, quoiqu'il existe encore la
rel!igion évangélique, israélite, de ..

La tolérance rf'ligiense, qui St.' mailifeste aujourd'hui


parmi les Yougoslaves, est due surtout à l'avènement de
l'idée de l'unité rn1tionale et elle est fortifiée par celle-ci.
La snlidarité nationa!P et laïque, surtout depuis la fin du
XIX" siècle, s'est manifestét~ de plus en plus forte que
la solidarité confessionnelle(!)." Ton frère f'Sf ton /rèrt,
quelle que soit sa rl'ligion ,,, dit un précepte yougoslave
bien connu.
Pour que la question religieuse <.h~vienne un brandon

(1) :\insi le clergé catholique se montre in traitable aujour-


d'hui aussitôt que la question nationale est en jeu. On J'R
vu à la façon irrévérentieuse dont les organes catholiques se
;;ont ,exp,riimés à l'égard du Saint-Si8ge lorsque celui-ci a dét.R-
ohé Fiume de l'évêché de Croatie de Senj pour rattacher cette
ville à l'évêché de Trieste et plus tard, lorsqu'il s'est refusé
à séparer Sou1'otica du diocèse magyar auquel elle appar-
üent encore. Il existe, en outre, dans une fradion du clergé
caf<holique, un mouvement de dissidence, rnaif' i•n tous ca:-
rnoin~ développé qu'en Tchéco-Slovaquie
- 77 ...,.,..
de discorde (i) parmi les sujets de la nation yougoslave,
il faut qu'elle soit exploitée dans un intérêt politique,
comme c'était le cas au temps de la domination autri-
chienne en Bosnie et en Croatie (2). La pratique dite de la
" clef confessionnellf' " qui consistait, en Bosnie, à pro-
portionner le recrutement des fonctionnaires dans les dif-
férents cultes d'après l'importance numérique der ceux-ci,
a puissamment contribué à aviver les rivalités confession-
nemes.
Il faut bien reconnaître que les différents cultes prati-
qués par la nation yougoslave sont toujours susceptibles
de jouer un rôle centrifuge. Ils peuvent être un moyen
de politique et de démagogie dont les représentants ne
manquent pas parmi chacun des cutte,s.

On constate malheureusement encore aujourd'hui, quoi-


que dans une mesure moindre que sous le, régime autri-
chien, ces tendances injustes et dangereuses qui consis-
tent, soit à prendre comme critérium la religion pour dis-
tinguer la dénomination historique et traditionnelle ~
ainsi, comme orthodoxes les Serbes, comme catholiques
les Croates ou Slovènes - ; soit à prendre la religion
comme synonyme de dénomination ; ainsi les mouslimanin
de Bosnie, parce qu'ils sont de religion mahométane, les
bounievci et les choksi des régions de Subotica et de Som·

(1) Brat je mio koje vere bio.


(2) L'historien magyar J.ose.f Thirn a publié récemment
une étude appuyée sur les Archives officielles austr.o-hon-
groiises, sur la tendance de la formation d'un grand royaume
yougoslav.e vers 1870 cons.tituant le trialisme dans la Monar-
chie Habsbourgoise. Cette tendance avait un caractère cléric-0-
catholique conf.orme d'ailleurs à la politique austro-hongroise.
(R~vue Novi-Zivot de Zagreb, n° 4, et article de M. Gavrilo-
vitch, prof. à l'Univ;erssité de Belgrade, Revue J{n,iizevni Gla.~­
nik de Belgrade du 1•• mars 1922).
bor, parce qu'ils sont de religion catholique, à la différence
des autres qui sont, dans la mêma région, orthodoxes.
Toutes ces dénominations locales, qui n'ont pas fait
fortune, sont appelées à disparaître dans l'avenir devant
l'idée de l'unité nationale yougoslave et devant une langue
commune parlée par la nation (i).

(1) Parmi les musulmans de Bosl'lie il n'y en a que 2 %


qui parlent le turc.
TITRE III.

le Nationalisme Yougoslave et ses conséquences.

CHAPITRE PREMIER

L'ORIGINE DU NATIONALISME YOUGOSLAVE ET L'UNITÉ DE LANGUE.

La force de la conscience nationale en général s'exprima


au commencement du XIXe siècle, dans les grands mouve-
ments nationalistes dont les résultats ont été la formation
des différents Etats-Nations. Cette conception naquit en
Europe dans les circonstances spéciales de la période du
moyen-âge, et comme> l'expérience de ces premiers Etats
fut établie avec succès, cette conception, qui jusqu'à une
époque récente a été spéc'ale à l'Europe, s'est répandue
durant tout l'âge moderne sur presque la totalité du globe.
Ainsi 1€ nationalisme yougoslave, dans sa forme primi-
tive, se trouvait, déjà au commencement du XIX" siècle,
dans le premier Etat libre formé par la partie de la nation
habitant la région de Choumadia. Nous avons vu qu'au
rnmmc·nc81nenl du XIX" sièck (1804), suus Karageorge,
un nouvel Etat s'est formé, la Serbie. Etat de paysans agri-
culteurs et de bergers. C'était un E:tat petit en territoire,
dont la vie, la culture, étaient primitives et patriarcales.
Nous avons vu aussi qu'une grande parti(1 de la nation
d'aujourd'hui fut soumise ù l'esclavage turc. Une fois
devenue esclave, cette masse populaire perd son aristo-
cratie du moyen-àge et devient le type d'une structure
socialie homogène.
Une partie de la nation, groupée autour du nom histo-
rique, le nom de " serbe '" sortit de cette lutte, prolongée
pendant des siècles, moralement plus forte et économique-
ment plus égale. Cette égalité .attira les institutions démo-
cratiques. C'est pourquoi, dans la formation de la Serbie,
la population a toujours aspiré ù introduire le régime
démocratique populaire.
L'esprit populaire en Serbil"· s'est formé en même temps
qur la conscience nationale, pendant l'esclavage turc, dans
l'àme de ce peuple, comme un des traits caractéristiques.
n y est développé plus que dans les autres parties de la
nation, .souvent même d'une manière exagérée (i).
~fais c'<'st dans l'Etat libre que cet esprit démocratique
populaire put atteindr•~ son point culminant et avoir sa
vraie signification. C'est pourquoi on peut dire, sans exagé-
ration, qu'ici, l'Etat et le peuple signifiaient absolument la
même chose. L'Etat ici est pris dans le sens le plius large
du mot, c'r~st-à-dire la personnification de la nation. Les
conséquences de ces faits furent considérables.
Tout appartenait au peuple dans cette partie de la

(1) Kosta Stoyanovitch, nnden ministre, tlans son Oc'\IVl'e


Slom i rm;past Srliije (Chute et résurrectimi de la. Serhie) cha-
pitre snr " 1' opinion publique "· - J J y avait. des gens désé-
quilibrés qui ont voulu fair2 ,représenter comme un idéal
national l'imitation par tous les moyens de la vie des pay-
sans (Revue Misao, op. cit., n° 41).
Mtlon, dans ce territoire ethnique d'où se sont répandues;
dans tous les sens, de grandes vagues ethniques vers le
nord et l'occident, c'est-à-dire vers lés autres parties de la
nation yougoslave. Toutes les institutions, l'école, l'église,
l'armée étaient des institutions nationales.
L'organisation de L'Eglise orthodoxe a, comme nous
l'avons vu, fortifié le sentiment national. Sous les Nema-
nitch, l'Eglise orthodoxe n'embrassait que le territoire de
l'ancien Etat. Avec la renaissance de la Patriarchie de
Petch (1557), elle' fut répandue sur toutes les provinces de
Budapest à Skoplje. Ainsi l'Eglise orthodoxe, comme orga-
nisation ethnique, réunit la majorité de la nation en veil-
lant sur lies traditions du passé. Ce sentiment de solidarité
plus fort qu'ailleurs, dans cette région de Choumadia,
apparut au moment de la création de l'Etat libre et obtint
une force telle qu'il ne s'effraya pas des efforts et des
sacrifices à faire.
Tandis que le ,sentiment national n'a pu obtenir sa vraie
signification et ses résuMats qu'en Serbie délivrée, la situa-
tion dans laquelle se trouvait l'autre partie de la nation,
surtout en Croatie et Slovénie, au commencement du
xxe siècle, était toute différente.
L'Etat croate, au point de vue juridique, existait, mais
le peuple, aù point de vue national, y était mort. Avant
le XIXe siècle, la lutte en Croatie contre l'autorité étran-
gère av.ait un caractère plutôt territorial que national.
Dans ces luttes se distinguait surtout l'ancienne noblesse
qui était patriotique, mais ce patriotisme était d'un carac-
tère différent de celui de Serbie. Le patriotisme de la
· noblesse en Croatie ne reposait pas sur le peuple et sa
·" conscience nationale puisqu'eUe n'existait pais, mais sur
. le territoire historique. La noblesse s'appuya toujours,
dans sa lutte, sur le droit territorial et historique de l'Etat,
elle défendait l'autonomie de ses provinces historique<; et
tradition nell!es.
Après la conjuration· de Zrinjski et de Frakopan - déca-
6.
- 82 ._..

pités en 1671 par les Autrichiens -- que l'on peut consi-


dérer comme la dernière action politique de l'aristocratie
en Croatie, dans la deuxième moitié du XVIII" siècle, la
vie nationale avait presque disparu de cette_ partie de
la nation yougoslave. La masse populaire ne jouait aucun
rôle dans la vie publique. Elle obé1ssait à ses autorités
- l'Egliise, la noblesse, Vienne, Budapest - qui, à leur
tour, dans leur propre intérêt, ne faisaient rien pour la
réveiller de sa léthargie.
Cette partie de la nation yougoslave a subi avant tout
l1'influence de son Eglise cosmopolite. Cette Eglise (catho-
lique) étant universelle, se présente à cette époque comme
une force plus forte que le nationalisme ; autrement dit,
elle était anationale.
La cause de cette situation, dans laquelle se trouvait,
au commencement du XIX" siècle, cette partie de la nation
yougoslave par rapport à celle de Serbie, résidait dans sa
structure économique.
L'Etat croate, à cette époque, était, au point de vue
économique, une institution féodale par excellence. Ili était
donc impossible de développer en ce moment le sentiment
démocratique et populaire. C'est ainsi que cette partie de
la nation entra dans cette vaste et historique arène où le
droit des nationafütés était le plus grand dispensateur de
la civilisation et de la culture, comme une masse incohé-
rente, ethniquement amorphe, dénuée du sentiment natio-
nal et démocratique, sans aucune solidarité antérieure.
ltt comme le disait si bien M. Marianovitch (1) -- un des
contemporains littéraires et politiqués de Zagreb - le
XIXe siècle trouva cette partie de la nation dispersée et
privée complètement de l'éthique nationale.
Dans la même situation, peut-être pire encore, se trou-
vait, au point de vue national, la nation yougoslave,

(1) La Croatie Contemporaine (i913), p. 51.


- 83 ..,.,.-

cimnue sous le nom traditionnel et historique de Slovène.


Les ancêtres des Slovènes étaient les anciens Wendes (i).
JJans la seconde moitié· du \'l" iiècle, ils apparurent sur
Je Leuitoire qu'ils 000upent aujourd'hui. Leurs noms, par
exemple \Vind, \Viwlich, se sont consenés ju"'qu'à nos
jours dans les nou1s locaux (\Vindischgratz). Leurs habi-
tations s'étendaient au nord jusqu'à la basse Autriche et
a l'ouest jusqu'au Tyrol. Les plus nombreuses masses se
concentrèrent dans les pays connus sou& le nom de Caran-
thania, c'est-à-dire la Styrie, la Carinthie méridionale et
la Carniole, d'où elles se répandirent jusqu'à la mer Adria-
tique. Leux pays fut envahi d'abord par les Avares, mais
Llll siècle plus tard, il fit partie du royaume tchèque sous
le rni Samm (627 à 158). Après l,a mort de ce dernier, il
se soumit aux Francs (784). C'est ainsi qu'il échappa aux
Friouliens, aux Bavarois et aux Avares. Charlemagne par-
tagea leur pays entre le duc de Bavière et le duc de Frioul.
Ll~ christianisme, professé exclusivement par le clergé
allemand, suivit l'époque de la colonisation germanique.
On connaissait très peu les füovènes au cours du moyen-
àge. Durant tout un siècle (1282 à 1382) les pays slovènes
étaient aux mains des Habsbourg. L'aristocratie slovène
fut, ou privée de ses possessions, ou se mêla avec l'aris-
tocratie allemande. De même, on ne signale, rien d'impor-
tant dans leur histoire à travers tout le XVIIe siècle. On
croyait qu'au XVIII" siècle les tendances germaniques et
centraliisatrices de Marie-Thérèse et de Joseph Il compri-
meraient davantage la langue dont ne se servaient que les
paysans et qui était, en Croatie par exemple, le seul carac-
tère national'.
Ainsi, ayant vu brièvement la situation, au commen-
cement du XJXe siècle, de la nation yougoslave d'aujour-

(1) Hilda L. Lerimer : SloYenci, Hevue Misao de mai et juin


1919. Londres.
-84~

d'hui, nous sommes arrivés à parler d'un facteur puissant


dans la formation de la nation yougoslave --- qui, au cours
du XIX" siècle, contribua le plus à développer le sentiment
national yougoslave et le sentiment de l'unité natio-
nale - la langue. Incontestablement, l'unité de langue e•st
un bien de la plus grandB importance, plus particulière-
ment parce que la couleur et la qualité d'une langue con-
tribuent largement à déterminer la cou1eur et la qualité
de la pensée, ce qui constitue entre les hommes civilisés
fos vrais principes de cohésion.
Mais on prétend souvent que la langue constitue en elle-
même une preuve ou indication de race. C'est là une suppo-
sition fallacieuse. Il est bien connu que la langue qui s'est
implantée dans une région donnée, était le plus souvent la
l!angue d'une petite minorité des habitants. Ainsi, en
Irlande et dans le pays de Galles (1), l'élément prépondé-
rant dans la population est probablement précelte, pour-
tant nulle trace ne reste de la langue des peuples précel-
tiques. Ceux-ci ont adopté la langue celtique de leurs
conquérants. L'Allemagne à l'est de !'Elbe, est, de façon
prépondérante, de race slave ; pourtant elle se croit teu-
tonne, parce que les conquérants teutons d:u xne siècle et
des siècles suivants, imposèrent leur propre langue à
leurs sujets. Il en est de même des Magyars : on ne sait
pas exactement de quelle race ils proviennent, de la race
turco-tartare (2) ou ougro-finnoise (3), mais ce que l'on
sait, c'est qu'il n'y a pas une race au monde qui peut les
comprendre. Il ne reste plus rien de leur langue parlée
.au XIIe siècle ; du mél;ange soit slave, soit germa-
nique, il est sorti une langue spéciale aux Magyars. Il est

(1) R. Muir, op. cit., p. 54.


(2) En ce sens : Vambéry Armin Magyarorszag tôrténete.
(Badanyi Sandor : Magyarorszàg okuyomozo tOrténete, p. 6).
(3) En ce sens : Budem et Hunfalvy (Badanyi, op. cit. p. 6).
-85 -

vrai qu'il n'y a rien, au fond, qui donne aussi rapidement


l'unité à des races, mêmes différentes, que l'usage d'une
même langue : ainsi en Allemagne, en Italie.
Mais on ne peut prendre comme principe que l'unité
de langue amène l'unité national!e, et inversement lia diver-
sité de langue.s n'empêche pas l'unité nationale. Il existe
l'unité de langue entre l'Espagne et l'Amérique du Sud,
mais pas l'unité nationale, comme cela est entre les Amé-
ricains et les Anglais. D'autre part, la situation idéale de
la Suisse et de lia Be~gique, faites de groupes humains
de langue, de race et de religion distinctes, nous donne
l'exemple oontraire,
En résumé, 'l'unité de langue, bien qu'étant de grande
puissance comme force créatrice. de. la nation, n'est pas
indispensable au dév·eloppement de la nation, elle ne suf-
fit pas en elle-même à créer cette de.rnière.
Quelle fut l'action de la !langue et comment s'effectua
son unité dans lia nation yougoslav·e ?
Il est incontestable que, déjà avant le XIX• siècle, la
nation yougoslave, quoique politiquement séparée, par-
lait une langue assez homogène (i), surtout la masse
populaire. L'action de la langue ·sur la formation du natio-
naliisme yougoslave doit être cherchée d'abord dans la poé-
sie nationale. C'est la poésie nationale qui a répandu Ife
nationalisme primitif des Yougoslaves. Le nom légendaire
de Miloch Obilitch, du tzar Douchan, de Kraljevitch, etc.,
qui ont lutté contre les Turcs pendant l'invasion, sont éga-
l·ement connus, même par la masse populaire habitant la
Croatie et la Slavonie (2).
Les nombreux éléments psychollogiques et mor.aux des
chansons popullaires - surtout de celles qui ne se rap-

(1) Voir particulièrement Jagic, dans l'Archiv für slaviche


Philologie, tome XV, p. 144 et 8.
(2) D" P. Grisogono, op. cit.
- 86-

portent pas à l'Eglise et à la religion ont provoqué la


solidarité et la cohésion de la masse yougoslave, grâce à
l'homogénité de la langue populaire. Cette solidarité pri-
mitive des masses est renforcée --- et c'est là qu'il faut
chercher le premier mouvement vers l'unité de langue - --
par l'unité de la littérature au cours du XIX" siècle, grâce
aux philologues, aux hommes de lettres et aux poètes,
appuyés sur la masse et la langue populaire.
Nous avons vu qu'au commencement du XIX" siècle, la
partie de la nation occupant la Croatie et la Slovénie était,
au point de vue du sentiment national, plus faible qu'en
Serbie, ,et cela tenait soit à la structnre sociale, soit à la
structure économique.
Mais au début du XIXe siècle, il va ::;e manifester une
première action vers l'unité de langue, action littéraire,
et en même t-emps nationale, connue sous le nom de
" mouvement illyrien n (1) (1830).
Déjà, à la fin du XVIII" siècle, en Voïvodine, et en Ser-
hie, l'influence de l'Europe occidentale commence à se
faire sentir. Le représentant le plus typique de cet esprit
nouveau est le grand écrivain Dositej Ohradovitch qui con-
tribua plus que tout autre à orienter la nation vers les
·civilisations occidentales. Mais la réforme de la langue
populaire ne fut réalisée que par Vuk Karadjitch (1787 à
1864) qui trouva son expression parfaite dans la richesse
du vocabulaire et dans l'orthographe purement phonétique.
JI exerça surtout son action sur la nation habitant la
Croatie et lia Slovénie.
L'année 1805, c'est-à-dire l'année de la formation de
l'Illyrie napoléonienne, marque une date importante dans
la formation du nationalisme yougosiave. Pour la pre-
mière fois, la partie occidentale de la nation fut réunie
politiquement. La langue en fut reconnue et employée

(1) L. Léger, Le Pan.~lavisme, p. 129.


-87-

par les autorités publiques. L'administration française


était favorable à 11'esprit national (1).
En Oroatie, l'action de Vuk K1arad,jitch trouva des parti-
sans acharnés, surtout en la personne de Ljoudevit Gay
(1809-1872) et son école. Le problème qui se posait devant
les Illyriens était difficilie à résoudre : il fallait ressuscite·r
l'.idée nationale et poser les fondements de l'avenir. " Une
nation sans le sentiment national est un corps sans os "·
Telle était la devise des Illyriens et d~ Gay. Pour l'amour
de cette idée, il sacrifia son· dialecte et adopta la langue
réformée de Karadjitch. Ce qui est le plius caractéristique
dans son travail, c'est qu'il a toujours désiré appuyer son
nationalisme sur la partie de la nation vivant en Serl:lie.
Pour llui, cette partie de la nation avait conservé plus que
les autres les vieux traits, les mœurs nationales (2).
Le travail des Illyriens trouva un écho en Slovénie. C'est
à Ljoubljana -- centre intellectuel -- que se forma un
cercle de gens lettrés dont le devoir était d'écrire en lan~
gue populaire. Le protecteur de ce mouvement était le
baron Goye, riche propriétaire de mines ; le représentant
en était Vodnik; plus tard Kopitar. La formation du cercfü
du baron Goyc marque le commencement de l'action litté-
r.aire et nationale dans cette partie de la nation. Comme
Gay en Croatie, Kopitar en Slovénie adopta l'idée de Ka-
radjitch, quoique avec moins de succès.
Parallièlement à cette action littéraire se développa une
action politique de solidarité nationale. La chute de !'Illy-
rie (1814) et la réaction qui se fit sentir, n'a fait qu'infon-
sifier 11a solidarité nationale.

(1) Le Maréchal Marmont, Mémoires. TomB III, Livre X,


p. 63.
(2) Bogdan Gavrilovitch, prof. à l'Univers. de Belgrade :
0 jiviim sHama Na.roduog zedimtva (Les forces vivantes de
l'unité nationale.). Revue Knjizeoni Glasnik, liv.re V, n ° 4.
- 88-

Et ainsi, en 1848 pour la première fois, sous le ban Yelat-


chitch, les Yougoslaves de toutes les .provinces se trouvè-
rent réunis et se soulevèrent. contre le régime magyar.
L'.absofotisme de Métternich et de Bach, comme d'habi-
tude, n'eut d'autre résultat que de fortifier la solidarité
nationale et de rendre la lutte plus intense et plus longue
pour .atteindre son point culminant dans l'idée yougosliave.
A cette époque déjà, on sentait que le défenseur de la
solidarité nationale devait être l'Etat libre de Serbie (1).
Le règne du prince Michel (1860 à 1868) correspond préci-
sément au temps du plus grand et plus intense él.an na-
tional1. La période historique oonnue sous le nom de
1lfouvement des Jeunes (société.de la jeunesse unifiée) con-
duit (2) par le prince Michel, se manifestait déjà claire-
ment p.ar ses tendances et ses aspirations. Ce mouvement
avait pour centre inteUeduel et national Novi-Sad (3), qui
1

avait dans toutes les régions yougoslaves des comités ani-


més du sentiment de l'unité nationale.
Les actions politiques et littéraires en s'aidant mutuel-
lement, ont trO'Uvé leur express;on la plus haute, durant
cette époque. Zagreb, à lia même époque, jouait le même
rôle en Croatie. La littérature alors était déjà de moins en
moins locale et procl!ama en 1867 l'unité intellectuelle des·
Yougoslaves. La position de Zagreb était particulièrement .
favorable à ce mouvement. Cette ville jouait le rôle d'inter-
média:ire entre la Serbie et la Voïvodine d'un côté, et l'a
Slovénie et l.a Dalmatie de l'autre côté. C'est p·ar Zagreb
que se répandirent les principes de Vuk Karadjitch parmi
tous les Yougoslaves oocidentaux. · Ce 1sont les. cercl!es

(1) M. Pirotianac : Knez Mihailo i zajéduicka radnja bal-


kanskih naroda, 1895. Belgrade (Le prince Michel et la soli-
darité des peuples balkaniques).
(2) S. Stanoyevitch, op. cit., p. 87.
(3) Cvijic, La Péninsule Balkanique, p. 503.
- ~9-

scientifiques de cette ville qui, les premiers, s'appliquèrent


à l'étude de la littérature ragusienne (1).
L'unité de la littérature a eu une influence heureuse au
point de vue de l'unité nationale yougoslave, et nous
dirons que c·est par la langue qu'est né le nationali.:;me
primitif des Yougoslaves et à travers la littérature qu'il
s'est élargi. Ici une Jangµe commune signifie une littéra-
ture commune, une commune aspiration de grandes idées,
un commun héritage de chanson'- et de contes incorporant
et propageant aux générations sucessives le point de vue
national (2).
C'est grâce à l'action pénible et aux conséquences posi-
tives du travail de Yuk Karadjitch et des Illyriens, grâce
aux travaux des générations inteHectuel!les successives,
grâce à Strosmaier et Racki, Préradovitch, Njegoch, Ma-
jouranitch, Raditchvitch, Danitchitch -- pour ne citer
que les plus distingués --- c'est enfin grâce aux diverses
situations politiques qui ont caractérisé cette époque qu'est
née l'idée nationale yougosl'ave. " V rrs la liberté par l'ins-
tructùm ", telle était la devise de Strosrnaier (8) et de son
collaborateur Racki, qui disait : " Si les Yougoslaves dési-
rent s'unir en uni· nation, dans le sens moral, ils doivent
avoir une langue littéraire unique n.
Ce qui devait représenter l'unité morale yougoslave
c'était l'Acadènie yougoslave des Sciences et des Arts,
fondée à Zagreb, en 1867, sous la présidence de Racki. A
l'occasion de l'ouverture de l'Université de Zagreb (1868),
Strosmaier a dit, entr'autres, les paroles suivantes : " C'est
ù l'Université de faire disparaître les préjugés et les désac-
cords et d'unir notre nation "· L'Académie yougoslave

(1) Cvijic : La Péninsule Balkaniq u.e, p. 504.


(:?).Les Lettres, les Sciences et les Arts y·ougoslaves. Paris,
1\!16. Edition de la Uevue du Foyer (brochure).
(3) B. Gavrilovitch, op. cit., n° 5.
-90-

prépara l'édition du grand dictionnaire de lia langue parlée


en Serbie et autres provinces, sous l.a dll'ection des meil-
leurs linguistes, ainsi qu'une édition très remarquable des
documents cm1cernant l'histoire des Yougoslaves. Enfin,
les bases de l'I<~ncycJopédie yougos1ave furent posées grâce
aux efforts communs des Académies de Zagreb et de Bel-
grade.
Toutes les sociétés scientifiques et littéraires de Zagreb,
de. Novi-Sad et de Belgrade sont en rapport continu déjà
à cette époque.
Il est vrai qu'à ce moment, étant donné que cette action
yougoslave était tout d'abord Ùne action intellectueMe, leur
conception politique n'était pas encore bien nettement
déterminée {1). ce n'est qlw dans les époques suivantes,
sous la forte pression dt0 s événements politiques et sous
]'action intell'ectuelle et littéraire intensifiée des Yougo-
slaves que la conception politique de l'unité fut plus nette-
ment marquée, surtout depuis le XX" sièc.le.

Aujourd'hui, la nation yougosl,ave parle une langue qui


frappe par son uniformité telle qu'un sujet de Serbie
n'éprouve aucune difficulté à se fairt~ comprendre d'un
sujet d'Istrie. D'après les formes que revêt dans cette lan-
gue l'adverbe quoi, on l'a divisée en dialiectes : le di.alede
de chto et celui de tcha et on considère le dialecte de chto
comme caractérisant les habitants de Serbie et le dialec-
te de tcha comme propre à la Croatie. Toutefois, il est
avéré aujourd'hui qu'on ne peut pas les diviser de cette
manière. Le dialecte de tcha, qui d'ailleurs disparaît rapi-
dement, est limité à que1ques petits îlots de la Dalmatie
septentrionale, à la Croatie méridionale et à certaines
régions de l'Istrie. En dehors de ces contrées, où il a été

(1) Za.gorski, François Racki et la Renai~sance Acientifique


et politique de la Croatie, p. 158,
-91-

préservé par l'isolement géographique (i) toute la popu-


lation, sauf en Slovénie et dans trois points liimitrophes,
·ceux de Zagreb, de Varajdine et de Krij0vac, parle le
dialecte de chto. En Slovénie ,et dans ces trois points on
parle le dialecte de kaï au l'ieu du dialecte de chto ou de
tcha, qui disparaît d'ailleurs lui-même devant le chto enva-
hissant, devenu la langue littéraire. Il est vrai ·qu'il reste
encore des réformes .à faire dans le sens de l'unité de
langue (question de l'alphabet), mais eNes sont aujourd'hui
d'un caractère secondaire par rapport aux réformes fonda-
mentales effectuées au cours du XIX• siècle.
Le nationalisme yougoslave d'aujourd'hui réside, en
définitive, dans la possession d'une tradition, de souvenirs
exprimés dans les chants et les légendes transmis à cause
de l'identité de langue et de la continuité territoriale, dans
les noms chers des grandes personnalités, qui semblent
incorporer en elUes les traits de caractères et l'idéal de la
nation, dans ]es nçims aussi des sites sacrés -- temples de
la mémoire nationale. - Dans les quatre siècles amers
d'esclavage, endurés par la plus grande partie de la nation,
il est devenu plus profond par le souvenir de la longue
lutte contre l'Autriche avant le XIX• siècle, et contre Iles
Turcs à partir de 1804 ; il s'est enrichi et élargi par lrunité
de la littérature, par la lutte commune pour l'indépen-
dance contre l'Autriche-Hong.rie, par les triomphes de
1912 et 1913, par les souffrance.s héroïques des soldats de
toutes les provinces yougoslaves de 1914 à 1918, par l'ago-
nie de leurs défaites tout autant que par l1eurs victoires
et par l'unité politique définitive.
On peut distinguer, au cours du XIX• siècle, plusieurs
types psychollogiques dans le nationalisme yougoslave,
tels que le type romantique, le type social, le type rationnel,

(1) Cvijic, op. cit., p. 272.


-92-

etc., qui forment, surtout depuis la deuxième moitié du


XIX• siècle, comme une synthèse : le nationalisme yougo-
slave d'aujourd'hui, nationalisme rationnel et réel, con-
servé d'abord par les intellectuels yougoslaves voyant en
lui Je vrai progrès de l'humanité, cette ascension des grou-
pes humains vers des formes collectives de plus en plus
oompl·exes, défendu ensuite par les politiciens, les hom-
mes d'Etat et la large masse populiaire en raison de cette
vérité historique que les faibles ne peuvent encore trouver
qu'un moyen d'accroître leur place dans l'histoire et dans
le droit, c'est de devenir forts.
-!~3-

CHAPITRE II

LES CONSÉQUENCES DU XATIONALISME YOUGOSLAVE

A la fin du XIX•· siècle et pendant le XX• siècle, l'idée de


l'unité nationale a atteint son point culminant. Les vio-
lences policières ne firent qu'exaspérer la masse popu-
laire qui eut bientôt recours à la conspirat;on et à la
révolte (1).
L'action et la lutte pour l'indépendance pendant cette
période ont employé une méthode révolutionnaire : cons-
pirations et attentats. Un régime de terreurs et de violen-
ces fut alors inauguré dans toutes les provinces yougoslia-
ves. Ce fut surtout la jeunesse yougoslave qui inaugura
la méthode terroriste par des attentats en Bosnie (1908).
Des étudiants se livrèrent à Zagreb à cinq attentats consé-
cutifs contre les représentants du gouvernement. Le der-
nier et le fat.al fut celui du 28 juin HH4 (2).

(1) Déjà en 1898 on avait bt•ûlé le drapeau hongrois publi-


quement, en plein jour, sur une des principales. places de
Zagreb, en présence du roi lui-même.
(2) Maximilien Harden : Krieg und Friede. Berlin, 1918
(Revue Misao de Londres, n°• 5 et 6, 1919). -- Phar-08 : Der
trous ces attentats, dûs à des étudiants yougoslaves,
sujets austro-hongrois, ne visaient d'autre but que d'atti-
rer 1'attention du monde civilisé sur le régime d'oppres-
sion où languissaient les populations yougoslaves d'Autri-
che-Hongrie.
Mais c'est surtout la Serbie l!ibre qui était un obstacle
à l'Autriche-Hongrie dans la direction de Salonique, elle
en sentit la première le danger et en fut le plus profondé-
ment affectée. En 1903, eut lieu l'assassinat du roi. de Ser-
bie, épisode qui fit un tort irréparable à la Serbie, aux
yeux de l'Europe. Pourtant l'avenir a démontré que cet
événement fatal avait été, au point de vue national, une
de ces nécessités historiques qui souillent d'ailleurs les
annales des autres pays. · '
Dès l'avènement au trône du roi Pierre en Serbie (1903)
et l'introduction du régime démocratique et constitution-
nel, méconnu par son prédécesseur, on sentit ltf dévelop-
pement considérable du nationalisme parmi les Yougo-
sllaves. Des réunions littéraires et artistiques eurent lieu
souvent. tantôt à Ljoubljana, tantôt à Zagreb ou à Bel-
grade. Dans le terrain politique, l'écrasante majorité,
depuis 1905, de la coaliition croato-serbe à la Diète de Za-
greb, avait un but précis : l'unité de la nation yougoslave.
Le procès de haute trahison de Zagreb (d'Agram) (1909)
et la découverte des document~ de Friedjung finirent par
irriter le public dans tous les ·pays yougoslaves (1). Et en
1908, à la nouvelle même de }:'annexion de la Bosnie-Her-
zégovine (2), Ljoubljana se révolta ; cette partie de la
nation se sentait déjà un membre inséparable du peuple.

P11ozess ~egen att.entater in Saraje:vo, 1918. Ce livre accuse


ouvertement l'Autriche-Hongrie de ses prétentions envers la
Serbie. (La Serbie du 3 juillet 1918).
(1) L. Léger, Histoire de l'Autriche-Hongrie, p. 600.
(2) Koyitch. L'annexion de la Bosnie et de !'Herzégovine et
le droit internat.tonal public, Th. 1910-11, Paris.
-95-

Déjà depuis les victoire;;; remportées dans les guerres


balkaniques (191~-HH3), le jour n'était pas loin où l'on
verrait combien la politique austro-hongroise avait perdu
de considération parmi ses sujets yougoslaves et combien
cette politique avait contribué à son insu à la formation
du nouvel' Etat. Le mouvement yougoslave constitue le fait
capital de l.a vie politique de la monarchie austro-hon-
groise à 1a fin du XIXe et pendant le XX" siècle (1).

Le sentiment de l,'unité eut aussi une grande importance


sur le développement des événements qui se précipitèrent
au. cours de la guerre mondiale. Déjà, au commencement
de la guerre mondiale, le parlement en Serbie considérait
non seulement comme un droit, mais comme un devoir
de proclamer la délivrance et l'unification de la nation
yougoslave.
Dans la séance tenue à Nich, le 1 décembre 1914, M. Pa-
chitch a lu, au nom du gouvernement, une déclaration
dans liaquelle se trouvent notamment ces mots : " Dans
ces moments fatidiquc"s, le gouvernement royal considère
surtout comme son premier et absolu devoir d'assurer une
heureuse issue à cette gmnde lutte qui, dès son commen-

(1) Nous n'avons pas l'intention ici d'aborder les causes de


la gue.rre spécial9ment entre la Serbie et l'Autriche-Hongtie.
Voir particulièrement l'article de M. Decize-Aiglat, dans Ici
Correspondant des .~5 nov. l'i 10 déc. 1922. Qui a voulu la
guerre ') D'après des1 documents autrichiens de M. Kanner :
Kaiserliche Ka.tastrophen Politique, Vienne, 1922. Cômte
Czernin, lm Weltkrieg, Berlin 19Hl. Feld Maréchal Conrad,
Aus meiner Dienstzeite (1\)06-1918). Vienne 1921. E. Denis, La
Guerre, causes immédiates et lointaines, Hlfü. Durkheim rt
Denis. Qui a voulu la guerre ? M. Vesnikh : La Serbie ù tra-
vers la guerre, 1921; et l'ouvrage sur l'histoire politique de
la guerre de M. Auguste Gauvain. De même, nous n'ahorde-
rons pas les pe·rsécutions dont fut victime la nation yougo-
slave. Voir Les persécutions des Yougoslaves, Paris, 1916.
--96-
ci-JrnPrit, s'est développée dans le :3ens d'une guene pour
l'unification des Serbes, Croates et Slovènes " ru.
La guerre a surpris les représentants des Yougoslaves
dans le pays d'Autriche-Hongrie. Pourtant quelques hom-
mes politiques se trouvaient, au moment où éclata le con-
flit européen, en dehors des frontières de la monarchie. Ce
sont elLx qui ont fondé à Londres, le 15 mai HH5, un comité
d'action-appuyé sur les 60.000 (2) engagés volontaires des
pays yougoslaves qui composaient l'armée de Serbie en
Russie --- sous le nom de Comité YougDSiave. Ce Comité,
à la tête duquel se trouvait le président du club de la
majorité de la Diète dalmate, le député J)r Ante Trumbitch,
et dont faisaient partie MM. Hinkovitch, député au Parle-
ment de Croatie et délégué au Parlement de Budapest,
Grégorin, député de Slovénie au Parlement de Vienne,
Trinaestitch, député de Croatie à la Diète cnstrie, Stoya-
novitch, député à la Diète de Bosnie-Herzégovine, etc., ce
Comité a été en wllaboration et en relation permanente
avec le gouvernement de Serbie.
Le programme politique de ce Comité était formulé de
la façon suivante (3) :

Les peuples yougoslaves, que l'histoire connaît sous les


noms de Serbes, Croates et Slovènes, forment une seule
et même nation réunissant toutes les conditions pour deve-
nir un Etat national indépendant; cr~tte nation a tous les
droits historiques Pt ethnographiques sur tout le territoire

(1) Ferdo Sisic, prof. ù l'Unîversité de Zagreb : Dukumenti


o postanku Kr. S. H. S., 1917-1919, Zagreb. 1920, p. 10 (Les
documents sur la formation de l'Etat des Serbes Croates et
Slovènes).
(2) A cau;-e des troubles en Russie (l!:J1î), 20.000 "eulement
purent arrivei., nvec ceux de l'.\mérique, au front de Salo·
nique.
(3) F. Cvjetisa : Les Yo11ooslav1;s rl'.41tJ1•iche-Hongrie, p. 9.
__, 97 -

où elle vit en masse compacte. Le territoire des Yougo-


slaves comprend :
a) la Serbie et le Monténégro,
b) la Bosnie-Herzégovine,
c) la lJalmatie avec son archipel,
d:) la Croatie-Slavonnie avec Rieka (Fiurne) et le lrledju-
murie.
e) la contrée de la lJrave, la Hongrie méridionale et l'an-
cienne Voivodine,
f) l'lstrie avec ses Ues et Trieste,
g) la Carniole et Goritz,
h) la Carinthie méridionale, la Styrie méridionale, avec
la contrée limitrophe du sud-est de la Hongrie.

A ce programme se sont ralliés les émigrés yougoslaves


qui, au nombre de plus d'un milliion, vivent dans les deux
Amériques (i), et le 11 août 191'1, le Comité de Monténégro
pour l'unité nationale.
Mais, d'un côté, à cause de l'ignorance du mouvement
yougoslave en Occident, duquel ce rnouvernent dépendait
grandement -- ignorance qui fut notablement atténuée
pendant la guerre et après, surtout en France, grâce à des
hornmes célèbres tels que MM. Léger, Denis (2), Chéra-
dame, Brunhes, Meillet, Lichtenberger, Oman, Au. Gau-
vain et d'autres, -- d'autre part, à cause des traités secrets

(1) Le Congrès national tenu à Chicago le 10 mai 1915 et


le 20 .i an vier 1915 à AntofagoS!ta (Chili).
(2) L'Institut d'Etudes SlavHs, fondé à Paris en 1919 (9, rue
Michelet) par :\1. E. Denis, est un exemp 1 e remarquable qui
démontre qu'il n'y a pas une noble aspiration que la France
intellectuelle ne s,oit prête à favoriser, qu'il n'est pas une
injustice dont elle ne souhaite la réparation. Voir, su,r les
refaüons intelleduelles de la France et de la Yougoslavie,
l'ar'icle de M. Belitcb, prof. à l'Université de Belgrade. Revue
Misao de Belgrade du 1•r janvier 1920.
7.
-98-

(traité de Lundres), élaborés pour le compte de îa nàtiôn,


on sentit le besoin Je rédiger un programme polüique
yougoslave d'un caractère ufficiel qui posàt en même
temps le puint de vue du gouvernl.'rrnmt d2 Serbie. Ce
programme fut proclamé le 20 juillet 1\Hi, à Corfou, nom-
mé Déclaration de Corfou, signé par Je gouvernement
de Serbie et les représentants du Comité yougoslave,
annoncé à tous les gouvernements des pays alliés et publié
dians le .Journal Officiel du rnyaume de Serbie.
Cette déclaration contient dix-sept clauses environ se
rapportant à l'organisation intérieure de l'Etat, au terri-
toire, à la question de la Conslituante et ù la situation
internationale de l'Etat à former. Les cliauses les plus
import.antes se rapportant à l'organisation de l'Etat sont
les suivantes :
1 ° L'Etat des Serbes, Croates et Slovènes, qui portera le
nom de Royaume des Serbe<S, Croates et Slovènes, adoptera
le rég;me constitutionnel, démocratique et parlementaire
avec la dynastie de Karageorgevitch, qui a toujours par-
tagé les idées et les sentiments de la nation en plaçant au-
dessus de tout la liberté et la volonté nationale.
2° Le suffrage pour les députés au Parlement aussi bien
que le suffrage pour les comn1unes et autres unités d'Etat
sera universel. Les élections seront indirectes et secrètes.
3° La Constituante sera le fondement de toute la vie
étatique, la source et l'aboutissement de tous les pouvoirs
et de tous les droits. La Constitution donnera la possibilité
à la nation de développer ses qualités dans les unités auto-
n()mes d'après les conditions naturelles, sociale.s et écono-
miques. La Constitution doit être adoptée dans sa totalité
par une majorité qualifiée.

En ce qui concerne les autres clauses de la proclamation


de Corfou, eliles sont de nature historique et se rapportent
à la situation ethnique et nationale des Yougoslaves. Quoi-
que cette proclamation ne soit pas d'une nature juridique
ni qu'ene n'ait pas le caractère d'un compromis (i), elle
a été souvent invoquée pendant les travaux constitution-
nels du nouvel Etat, mais comme les clauses sont pour la
plupart générales et vagues, cela a donné lieu à des inter-
p:rétations diverses.
Quant aux repré"entants politiques de lia nation yougo-
slave restés en Autriche-Hongrie, ils n'ont pas cramt,
malgré le régime de terreur organisé contre eux, d'expri-
mer dès que l'occasion s'en est offerte, le vœu unanime de
la nation pour 1'indépendance et pour l'unité.
Ainsi, dans l'actresse au nouveau souverain (Charles 1er
et 1V), votée le 9 mars 1917, par la majorité de la Diète de
Croatie, on trouve le passage suivant (2) : Notre peuple
tout entier, sans distinction de religion et de nom, comme
unité ethnique de sang. et de langue, par les tendances
démocratiques de tout son être, a nourri en son âme des
vœux chaleureux pour son unification. Geci exprime les
v:œux des Yougoslaves de Hongrie.
Quant à ceux des Yougoslaves soumis à la domination
autrichienne, ils ont été exprimés dans la séance d'ouver-
ture du Parlement autrichien, le 30 mai 1917, par le député
Korosec, qui a fait, au nom des députés yougoslaves, sié-
geant au Reichsrat, la déclaration suiv,ante (3) : " Les
députés soussignés (au nombre de 31), réunis en club
yougoslave, déclarent se baser sur le principe des natio-
nalités et sur les droits de la Croatie; il'> demandent que
toutes les contré.es de la monarchie sur laquelle vivent les
Slovènes, lies Croates et les Serbes, soient réunis en un
organisme indépendant et démocratique, libre de la domi-

(1) Déclaration de M. Troumbitch à la séance de l'Assem-


blée Constituante', le 23 avril 1921.
(2) F. Cvjetisa : Revue de l'A1Jenir, aoùt"sept. 1917, et F.
Sisk, op. cit., p. 86.
(3) F. Sisic, op. cit., p. 94.
- 100-

nation de t.oute nation étrangère, et placé sous le sceptre


die la dynastie des Habsbourg : ils déclarent, qu'ils met-
twnt toute leur force à la réalisation de cette demande de
leur nation unique. Les soussignés prendront part aux.
travaux parlementaires après avoir fait ces réserves. "
11 résulte des déclarations que nous venons de citer, que
tous Ues représentants yougoslaves sont d'accord pour
réclamer L'unification et l'indépendance des pays yougo-
slaves. Ceux qui se trouvent à l'étranger, libres de toute
pression austro-hongroise, veulent cette unification sous
le sceptre de la dynastie de Karageorgevitch ; ceux qui
parlent sous la menace de la potence, en Autriche-Hon-
grie, ajoutent à leurs vœux d'unification et d'indépen-
dance, la formule " sous le sœptre de la dynastie des Habs-
bourg"· Cependant, cette phrase de circonstance, formulée
dans le seul but d'échapper à la potence, ne peut tromper
personne sur le vrai sens de la portée de, leur déclaration,
d'autant plus que M. Korosec lui-même fut nommé tout
de suite après la proclamation de l'unité nationale, vice-
président du premier gouvernement du nouvel Etat, en
1919.
Mais ce n'est qu'à J'aide des nations alliées et des vic-
toires communes que la nation yougoslave a pu voir
vraiment se réaliser ses tendances et ses aspirations vers
l'unité politique et la constitution d'un Etat libre et indé-
pendant.
C'est pourquoi le commencement de l'offensive de
septembre 1918, au front de Salonique, eut une grande
influence sur les événements qui se sont déroulés avant
la proclamation du nouvel Etat.
Depuis l'armistice avec la Bulgarie (15 sept. 1918), on
constatait,. dans chaque province yougoslave, surtout là
où il existait une certaine aut.onomie, romme à Zagreb,
à Sarajevo, à Split et à Ljoubljana, une organisation en
vue des événements, organisation que l'on appelait " Na-
rodna Vetia " et qui correspondait à une sorte' de gouver-
-101-

nement provincial. Ces Diètes provinciales étaient en lien


étroit avec celle de Zagreb (résidence du Sabor de Croa-
tie), considérée comme la plus importante.
Ainsi, le 28 octobre iüi8, s'est constitué à Zagreb le
Comité national des Slovènes Croates et Serbes, composé
de représentants des provinces de Croatie, Slavonie, Bos-
nie-Herzégovine, Slovénie et Dalmatie, et dans la séance
qui suivit, le Dr Korosec fut nommé président et chef du
pouvoir exécutif de ce Comité. Le lendemain, le 29 octo-
bre HH8, 1€s représentants, sur la proposition du député
de la coalition croato-serbe, M. Pribitchevitch, procla-
mèrent l'indépendance des provinces cit.ées plus haut par
rapport à l'Autriche-Hongrie. Cette proclamation est ainsi
conçue (J)
i 0 Tous les liens juridiques existant entre le royaume
de Croatie, Slavonie et Dalmatie d'une part, et le royaume
de Hongrie et l'empire autrichien d'autre part, cessent
d'exister. Le compromis de 1868 est considéré comme
inexistant, de telle sorte que la Croatie, Slavonie et Dal-
matie sont considérées comme indépendantes et libres en
droit et en fait, par rapport à FAutriche-Hongrie.
2° La Dalmatie, Croatie, Slavonie, ainsi que, Fiume,
sont proclamés Etats indépendants d'après le principe des
nationalités et l'unité de tous les Slovènes, Croates et
Serbes est reconnue dans tout le, territoire ethnique sans
condition de limites étatiques. La Constituante nationale
de tous les Slovènes, Croates et Serbes décide.ra d\:lfiniti-
vement, par une majorité qualifiée, de la forme de l'Etat,
de son organisation intérieure, sur la base d'égalité entre
tous les Sllovènes, Croates et Serbes.
En conséquence, à partir du 29 oct-obre i9i8, l'e Comité
national de Zagreb a été considéré comme' le pouvoir
suprême dans toutes lrs provinces qu'il représentait. Sa

(1) F. Si~ic, (),P. dt., p. 195.


-102-

résolution, que nous avons nwntiorrnée, a été confirmée


par le gouvernement de SerbiP le 8 novembre 1918.
Dans sa séance solenrn~lle du 2a novembre HH8, le Co-
mité national ffo Zagreb, après avoir entendu les propo-
sitions des divers groupes politiqm•s (1), a posé les bases
de l'unité en un Etat indépendant, y compris Je royaume
de Serbie et de Monténégro, dans une résolution compre-
nant un préambule d les onze points suivants :
L'Assemblée nationale, suivant les r.onclusions faite,s
jusqu'à présent, et selon l.e désir et la df.claration du gou-
vernement du royaume de Serbie, proclame l'unité de
l'Etat slovène, croate et serbe - unglobant lrs territoires
yougoslaves de l'ancienne Autriche-Hongriu avec ]E)
royaume de Serbie et .le royaume de Monténégro en un
seul Etat de tous les Serbes, Croates et Slovènes et élit
également un comité se composant de Yingt-huit pt>rson-
nes qui, avec le gouvernement de Serbie et les repré-
sentants de tous les partis de Serbie et de Monténégro,
auront le plein pouvoir d"établir l'organisation d'un seul
Etat d'après les comptes rendus ci-dessous. L'Assemblée
nationale provisoire sera composée des repré:::entants du
royaume de Serbie, du royaume de Monténégro et de tous
les membres de l'Assemblée nationale des Slovènes, Croa-
tes et Serbes de Zagreb, renforcés par des représentants
du comité yougoslave de Londres.

i 0 L'organisation définitive du nouvel Etat ne peut être

(1) Celui du gouv.erncnwnt provincial de DaJrnatie, de M.


Loukinitch, de M. Andelinovitch, de ;\[. Haditeh, de M. Tresie-
Pavitchikh et de lenrs collrgues. ainsi que du groupe Sf}Cia-
liste. Tous ces groupes demanclaien1 l'unité avec la Serbi 0

clans un Etat indépendant. Il n'y a eui de différend que s·ur


l'organisation future de l'Etat. Ainsi Je groupe de M. Raditcli
préconisait mi Etat fédéral, 1~ groupe socialist.e une Hépu-
blique yougoslaw. (F. Si~ic, op. cit., p. :?68-27~).
--103 -

établie que par une Constituante nationale du peuple


entier des Serbes, Croates et Slovènes et à la majorité des
deux tiers des voix. La Constituante doit être réunie au
plus tard six mois après la signature de la Paix. Elle
aura le droit de décider :
a) la forme de l'Etat (monarchie ou république), l'orga-
nisation intérieure de l'Etat et les droits fondamentaux
des citoyens ;
b) le drapeau de l'Etat ;
c) la résidence du gouvernement et des autres institu-
tions de l'Etat.
2° L'Assemblée nationale exercera provisoirement le
pouvoir jusqu'à ce que la Constituante ne se réunis.se.
L'Assemblée nationale sera composée :
a) de tous les membres du Comité national de Zagreb,
auquel on doit ajouter cinq membrns du Comité yougo-
slave de Londres ;
b) d'un nombre proportionnel des représentants du
royaume de Serbie nommés par la Skupstina nationale,
d'accord avec les partis politiques ;
c) d'un nombre proportionnel des représentants du
Monténégro élus par la Skupstina nationale du Monté-
négro.
3° L'Assemblée national'e provisoire des Serbes, Croates
et Sllovènes déterminera les drape.aux provisoires - celui
de FEtat et celui de la Marine.
4 ° Le pouvoir monarchique sera exercé jusqu'à la Cons-
tituante par le roi de Serbie, c'est-à-dire par le prince héri-
tier Alexandre, comme régent du nouvel Etat des Serbe1s,
Croates et Slovènes. Le régent n'est pas responsable envers
l'Assemblée nationale, il prête serment devant l'AssembliéB.
Il nommera le gouvernement suivant les principes dru
régime parlementaires. Il a le droit de sanction. L'.assern-
hlée nationale provisoire ne peut être ajournée que par
sa propre décision et ne peut être dissoute avant la con-
vocation de la Constituante.
-104-

r) La résidence provisoire de l'Assemblée nationale sera


0

déterminée par l'ensemble.


5° L'Assemblée nationale provisoire ·ést tenue de rédi-
frnr la loi électorale pour la Constituante sur les prin-
cipes du suffrage universel proportionnrl et secret, avec
la représentation des minorités.
7° Le gouvernement sera composé d'un ministre pr(i-
sident et des ministres, en ajoutant sept chefs de provinces
pour les provinces de Serbie, Croatie-Slavonie, Bosnie-
Herzégovine, Slovénir, Dalmatie, Monténégro et Voïvo-
dine.
8° Les Affaires étrangères, la Guerre, la Marine, les
Finances, les Postes et Télégraphes, appartiennent au gou-
vernement central. Les autres affaires appartiennent au
gouvernement provincial sous le contrôle du gouverne-
ment central.
9" En ce qui concerne les affaires autonornes, elles .appar-
tiennent aux Assemblées provinciales. A la tête de chaque
prnvince, il y a un gouverneur ; pour la Croatie-Slavonie,
un han nommé par le roi sur la pronosition des Assem-
blées provinciales.
16° Les nécessités financières des Assemblées provin-
ciales seront comblées par l'Assemblée nation.ait'.
i1° Toutes les lois et décrets restent en vigueur, de
même que l'organisation de la justice, l'organisation admi-
nistrative et les organes actuels des gouvernements pro-
vinciaux.

Le 26 novembre 1918, la Skupstina nationale de Podg·o-


ritza (Monténégro) a voté une résolution dans le sens de
l'unité nationale · ... résolution qui contient, en dehors des
dispositions historiques et patriotique:<, les points sui-
vants (J) :

(1) F. Sisic, op. ch., p. 258,


-105-

1 • Le roi Nicolas 1°" Petrovitch et sa dynastie est détrôné


du trône de Monténégro.
2° Le Monténégro est considéré oomme partie intégrante
de la Serbie, en vue de l'organisation d'un Etat commun
comprenant le peuple entier, connu sous les trois noms de
Serbes, Croates et Slovènes.
3° L'Assembliée nationale élit un Comité exécutif com-
posé de cinq personnes, qui exerceront le pouvoir jusqu'à
ce que l'unité cornpiète se soit réalisée.
4° On doit faire part de cette résolution à l'ex-roi de
Monténégro, au Gouvernement du royaume de Serbie, aux
pays alliés et à tous les Etats neutres.

Notons encore i:a résolution du Comité national de Voïvo-


dine, le 25 novembre HH8, qui proclama l'union pure et
simple avec la Serbie.
De toutes ces résolutions officielles que nous avons men-
tionnées, ilt résulte les conséquences suivantes : 1 ° depuis
le 29 octobre 1918, les provinces de Croatie, Slavonie, Bos-
nie-Herzégovine, Slovénie et Dalmatie, ont p.roclamé lerur
indépendance par rapport à l'Autriche-Hongrie, et le 23 no-
vembre 1918, par I:eur1s représentants politiques, elles ont
exprimé le désir de s'unir avec le royaume de Serbie et de
Monténégro en un Etat unique. 2° Le 25 novembre 1918,
la province de Voïvodine a proclamé son union pure et
simple, de même que le lendemain, fü 26 novembre 1918,
par ses représentants politiques, le royaume de Monté-
négro, avec le royaume de Serbie.
Donc, avant le 1•r décembre 1918, il y avait, d'une part,
le royaume de Serbie, uni à la Voïvodine et au Monté-
négro, et d'autre part, une or,qanisation indépendante par
rapport à l'Autriche-Hongrie, se composant des provinces
de Croatie-Slavonie, Bosnie-Herzégovine, Slovénie et Dal-
matie, avec le vœu émis, le 23 novembre 1918, de former
un Etat unique avec le royaume de Se.rbie.
Ce vœu a obtenu une forme solennelle et offidefüe à Bel-
-106-

grade, le 1er décernbre 1918 (1), par la proclamation du


royaume des Serbes, Croates et Slovènes, faite d\m côté
par le régent Alexandre, représentant la Serbie unifiée
avec le Monténégro et la Voïvodine, de l'autre côté, par les
représentants de l'organisation indépendante des provin-
ces de Croatie, Slavonie, Bosnie-Herzégovine, Dalmatie et
Slovénie (2).
Le 29 décembre 19J8, le premier gouvernement yougo-
slave était constitué, sous la présidence de M. Stoyan Pro-
titch, avec pour vice-président M. Korosec, et les person-
nalités les plus représentatives de l'union.
L'Etat yougoslave occupe, au nord-ouest de la Pénin-
sule balkanique, J'aire. comprise approximativement entre
l'Adriatique, les bassins du Drim, de la Tserna et de la
Strouma, les vallées du Timok, du moyen Danube, de la
Drave et de la Mur, les Alpes Juliennes et le Karst. Il.
s'étend entre les méridiens est de Paris 11° 31' et 20° 47'
et entre les parallèles nord 110° f>2' et 46° 5f)'. Il couvre une
superficie (l'environ 2118.2fi0 kilomètres carrés ; sa popu-
lation, d'après les nationalités et le recensement de 1920,
est de 9.546.7GO Yougoslaves (3), 508.1174 Allemands,
494.164 Magyars (4), 479.084 Turcs et Albanais, 175.315
Roumains, 9.585 Italiens, 165.930 divers.
Au point de vue international, les frontières de l'Etat
furent établies par cinq traités : celui de St-Germain, signé
le rn septembre mm par les. principales puissances et
l'Autriche, ne reçut que le 5 décembre 1919 l'adhésion de

(11 Devenu jour de fète nationale.


(2) Textes officiels. F. Si sic, op. cit., p. 280-28:1.
(3) Notons que plus d"un demi-million de Yougoslave>< >;e
tJI'üuvent encore scus la dominatfon italienne.
(4) La région de Baya et de Pet.ehouï ayant ét.é ultérieure-
ment ajoutée à la Hongrie, le nombre des Magya.rs par suite
est diminué, ainsi que les Albanais, à cause des limite!' corri-
gées par l"'s représentant~ de .la Société des Nations.
-107-

l'Etat yougoslave et fut rntifié le Hl mai 1920 ; celui de


Neuilly signé avec la Bulgarie, le 27 novembre mm et le
f> décembre, par l'Etat yougoslave, fut ratifié le 9 aoùt
1920 ; celui de Trianon avec la Hongrie fut signé le 4 juin
HJ20 et ratifié lé i7 juin 1921 ; le traité de Rapallo, signé le
12 novembre 1920, avec l'Italie et enfin l'accord. avec la
Grèce signé le 16 aoùt HH3.
Différents principes présidèrent à l'établissernment des
frontières définitives de VEtat. Au nord, par rapport à la
Hongrie, la frontière qui suit un tracé ethno-linguistique,
forme une ligne brisée qui longe la rivE! gauche de fa
basse Mur, le cours supérieur de la Prékomourska Krka,
la Basse Lendava, puis la Drave, dont elle s'écarte au
nord de Donji Miholjatz pour rejoindr-e le Danube au
nord de Bereg. Elle court ensuite de l'ouest ù l'est, passe
au nord de Subotitza et au sud de Szeged, encerclant la
plus grande partie de la Batchka, entrP le Danube et la
Tisa.
La frontière austro~yougoslave, où le principe d'auto-
décision fut appliqué, s'identifie sur la crête des Kara-
vanke, avec la limite de la Carniole et de Ja Carinthie,
sauf deux rectifications qui la font pénétrer en Carinthie,
au nord de y,izersko cit it l'est de Bleiburg. Elle franchit
la Drave au sud. de Labond et rejoint les confins de la Ca-
rinthie et de l'a Styrie. En Styrie, elle suit lia ligne de par-
tage des eaux entre la Mur et la Sulpa, puis la Mur de
Spiefeld à l'est de Radgona, où elle atteint l'ancienne
limite de la Cisleithanie et de la Transleithanie.
La frontière italo-yougoslave, tracée entièrement en
pays slovène, suit une ligne ondulée à travers les Alipes
Juliennes. Elle part du Mont Petch, à la limite de l'Italie,
dl' l'Autriche et de la Yougoslavie, adopte, du Yalovitch h
la haute cime du Trigla w, la ligne cle partage des eaux
entre le bassin de l'lS{mza et crlni de la Save, clüssine de
nombreux contours du Trigliaw au Pertzen, du Pertzen
nu Blegoch, du Hlegocli au Mont Berk, et atteint l'Etal
-108-

libre de Fiume au lieu dit Rubesi. Au sud de Fiume, elle


ne se détache de la mer Adriatique qu'à l'endroit de la
ville de Zara qui fait partie de l'Italie avgc les îles de
Cherzo, de Lussin, de Lagosta et de Pelagosa (1), (art. 2
et 3 du traité de Hapall:o).
Du côté de l'Albanie, la frontière a été récemment fixée
par une commission mixte composée de représentants
yougoslaves, albanais et de représentants de la Société
des Nations : au nord elle part du sud de Dulcigno, tra-
versant le lac de Scutari au nord de la Drine, et tombB
presq4e pürpendiculairement à l'ouest du lac d'Ochrida.
Avec la Grèce, les frontières sont restées identiques depuis
l'accord de 1913.
Du côté de la Bulgarie ce furent plutôt des considéra-
tions d'ordre stratégique qui prévalurent. Les frontières
d'avant-guerre ont été remaniées en incorporant à lia You-
goslavie la région de Strournitza, la région de Bossiljegrad,
de Tsaribrod, et la région de Vidin.
Du côté roumain, Ja frontière traverse le Banat à l'est
de la Tisa, dans une direction générale nord-ouest-sud-
est. Elle atteint le Danube à l'est de Baziach et suit le
fleuve jusqu'au confluent du Timok.

(1) Voü- particulièrement Si. Stoyanovitch, La Question de


l'Adriatique et Je pr'incipe des Nationalités, Th. 1922, Gre-
noble.
DEUXIEME PARTIE

La Constitution du 28 Juin .1921.

OBSERVATIONS G~Nf:RALES

L'Etat, c'est la Société. humaine envisagée comme orga-


nisme politique, c'est-à-dire comme groupement organisé.
La Société elle-même est à la foi:s un groupement et l!Jne
coopération. Les hommes se groupent pour vivre en com-
mun d'après leur nature. Il y a une tendance naturell!e à
la vie en société. De là, le besoin et la nécessité pour
L'homme de faire partie d'une collectivité. De llà, l'exis-
tence de l'Etat. Les hommes, une fois groupés, continuent
leurs efforts pour le maintien, pour l'amélioration de leur
existence.
La coopération implique une organisation. Et comme
il ne s'agit pas seul.ement de vivre, mais de vivre le mieux
possible, avec le plus de confort et de bien~être, l'exis-
tence dépourvue de ces qualités n'est pas l'idéal, c'est au
contraire tm,J c·xislencl' ù supprimer. Yoilit pourquoi les
groupements à forte organümtion politique ont remplac('
les groupements inorganisés d'autrefois.
Comment eette orgarusatwn va-t-elle se réaliser en pra-
tique '! C'est là que l'on constaté le progr~s dans les insti-
tutions humaines. Le pouvoir social est d'autant plus com-
pliqué que la civilisatwn est plus avancée. Rien n'est plus
simple que le despotisme. Le despote n'est responsable
que devant la force. C'est précisé1nent pour éviter 1es abus
que les hommes compliquent l'organisation du pouvoir
social en ln multipliant. Et ainsi, on arrive à un maximum
de complication. L'füat se charge de domaines de plus en
plus variés et chaque progrès constitue une complication
du nîgime étatique.
On peut donc conclure que dans les rapports entre l'Etat
et les particuliers, l'élément. es15entiel est la coopération,
non la subordination. On a constaté dans l'histoire, malgré
des sanctions draconiennes, l'échec absolu des emprunts
forcés. La coercition n'est pas du tout, pour l'Etat, le
moyen le plus facile et le plus économique de se procurer
de l'argent. Au contraire, lorsque la conscience reconnait
la légitimité d'une mesure fiscale, elle en accepte la charge
sans protester.
D'un autre côté, on constate l'appui nécessaire de l'Etat.
Le contrat, forme juridique de La liberté dans les rap-
ports entre particuliers, a besoin de l'appui de l'Etat. Sans
l'adhési.cm de l'Etat, il n'est pas de contrat juridiquement
valable. Cette adhésion est tacite, elle résulte de la confor-
mité du contrat aux dispositions législatives d'ordre
public. On compren\i que FEtat refuse de sanctionner
par ex:emple l'engagement arrqché à un mineur ou à un
dément.
Pour étudier l'organisation du nouvel Etat, ·étant donné
que son organisation fondamentale se trouve dans une
Constitution écrite, nous nous ba.S€rons sur elle, en faisant
toutefois une remarque importante : c'est que nous n'avons
--- 111 -

pas la prétention de donner un droit constitutionnel du


nouvel Etat. D'ailleurs, nous ne so;mmes pas à même
d'accomplir une tâche aussi gigantesque, car, en effet,
pour connaître le régime constitutionnel d'un pays, il
ne 1suffit pas de lir.e sa constitution ; d'autre part, aucune
étude n'a .été faite jusque-là sur la nouvefü.e Constitution,
mais en nous basant sur les Notes Sténographiques de
l'Assemblée Constituante et sur cellies de la Commission
de la Constitution, nous nous proposons d'être seulement
un interprète fidèle des généralités de lia nouvelle Con-
·stitution et, par là, de l'organisation de l'Etat nouveau.
Nous diviserons donc notre deuxième partie. en trois
titres :

TITRE I. -- La période provisoire, l'origine de la Con-


stitution et la forme de l'Etat.
TITRE II. -- Les pouvoirs de l'Etat.
TITRE III. -- Les prescriptions sociales, économiques,
les droits individuels et la révision constitutionnelle.
TITRE PREMIER

La Période provisoire, l'origine de la Constitution


et la forme de lEtat.

CHAPITRE PREMŒR

1'.A PÉRIODE KI.' LA SITUATION PROVISOIRES.

L'Assemblée provisoire qui commença de siéger à B2l-


grade le 10 mars 19Hl se composait en partie de députés
de l'ancien royaume de Serbie dont le mandat était échu
déjà en 1918.
La guerre avait interrompu la campagne électorale qui
devait amener le renouvellement de la Skupstina. A
ces députés, furent joints les représentants des nouveaux
territoires choisis au cours de eonfabulations entre les
partis (i).

(1) Elle se composait des paTtis : radical 71, démocrate 115,


clérical s1rivène 19, union croate 27. monténégri.n 10, socia-
liBte 12, républicain 1, divers 3-0.
Après deux ans d'attente dans une désorganisation
politiqml et morale (1), il était impossible de maintenir
plus longtemps l'état provisoire dans lequel .se trouvait
Je nouvel Etat et dont les conséquences se ressentent encore
aujourd'hui. Force était pour l'avenir du pays, qui avait
montré une admirable patience, de rompre .avec les erre-
ments désuets dans lesquels l'activité des partis s'épuisait.
ll fallait sortir ù tout prix de ce provisoire qui l'énervait
et paralysait les bonnes volontés. Jamais on n'avait autant
senti lP besoin et l.a nécessité d'avoir rune organisation
lt'Jgale quelconque d d'en finir avec les innombrables
(Mcrets et règlements ministériels.
Après plusieurs crises rninistérieHes (2), le cabinet Pro-
titch donne sa démission le 17 mai 1920. Le même jom,
le régent signe le décret de nomination du ministère V:'~·
nitch et reçoit le serment des nouveaux ministres.
Conformément au programme qu'il avait fixé, le minis-
tère Vesnitch mit immédiatement en discussion la ques-
tion de la loi électorale. L'aocord réalisé entre les partis
fait l'objet d'un protocole en neuf points dont le premier
est ainsi conçu : " Nous estimons que la ti1che principale
du gouvernement de concentration est de réahser les
élections pour la Constituante " (3).
L'Assemblée provisoire détermina le droit de suffrage
politique en se référant aux principes généraux, mais ellle
fut grandement influencée par les précédents que four-
nissait en cette matière le droit public de Serbie. Le sys-
tème qu'elle adopta se rapproche de celui de la Constitu-

(1) Revue littérafre de Belgrade, Misao. Articles de MM.


Grol et Pandourovitch dans les nos 22 et 28.
(2) Bulletin de la Pressp yougoslave, n°" 13 et H.
(:1) Bulletin de la Presse yo11goslave, n° 15. Notons qu·en
Tchécoslovaquie et en Pologne -- Etats nouvellement cons-
truits --- il n'y avait pas une élection directe pour la Consti-
tution.
8
-- 1.14 -

tion de Serbie de 1888 (1). Cette Constitution, comime eelle


de 1903, stipule le suffrage direct et secret et se fait au
moyen de ba1les (2). Le système de 1888 peut être appelé la
représentation proportionnelle des minorités. Notamment,
le chiffre total des électeurs qui ont voté, divisé par le
nombre des députés que doit choisir le corps électornl
intéressé, donne le quotient électoral, .d'après lequel on
déterminera le nombre des candidats élus à prendre dans
chaque liste. Si une liste n'est pas remplie par le nombre
des sièges nécessaires, on comble par les listes qui sont le
plius près du quotient.
La Constitution de rnmi est la même, sauf une légère
différence, notamment (art. 92), si une liste n'obtient même
pas le quotient, les voix réunies sur elle seront ajoutées à
la liste .ayant obtenu le plus de voix. Ce système est un
mélange du système proportionnel avec la représentation
des majorités.
La nouvelle loi électorale pour la Constituante, promul-
guée le 3 septembre 1920, a admis le systèmo proportion-
nel des minorités, d'ailleurs semblable à la Constitution
belige révisée le 15 novembre 1920, art. 48, et conforme
au vœu rlu Gomité national de Zagreb. Elle a conservé le
système des liistes dt> candidats, avec Je système unino-
minal pour les villes, comme les Constitutions de 1888 et
1903.

(1) H.evue Misao, op. cit., n'" 5:3-56, de M. Velislav Vm1Io-


vitch. La loi électorale.
(2) Loi squ 'un électeur entre, dan Si la salle de vote, on 1'1 i
remet u:µe halho en caoutchouc d'un centimètre de diamètre
environ. L'électeur se rend devant une série d'urnes, surmon-
tées chaçune d'un écriteau portant le nom d'un des partis.
L'électeur p1onge sa main dans chacune, de,s urnes et lache
la balle (\ans celle qu'il veut sans que persll)nne ne s'aper-
çoive de Tifi),:P• ni n'entende aucun bruit, car les urnes 8ont capi-
t,Qpnées à }'tntérieur.
;.....1Î5 _;;,...

La vUle de Belgrade élit six députés, Zagreb cinq, et


Ljoubljana avec Spodnja-S1pka quatre (art. 6). Pour les
autres circonscriptions électorales, tous les 30.000 habi-
tants élisent un député. Si un département, qui est pris
comme circonscription électorale a un surplus d'habitants
qui dépasse 17.000, il aura un député de plus (art. 5). L'ar-
ticle 9 de celte loi étabfü le suffrage universel : sont élec-
teurs tous les hommes âgés de 21 am révolus au moment
de l'établissement des listes électoràles, sujets du royaume
d'après les traités de paix avec l'Afüemagne, l'Autriche,
la Hongrie (1). Sont éligibles tous les électeurs qui ont
25 ans et satisfont à certaines conditions supplémentaires,
c'est-à-dire ont tous les droits politiques et civilis, habitent
en permanence le royaume ou bien sont naturalisés au
moins depuis 10 ans (art. 12 et 13). Chaque liste électorale
doit comprendre au moins une personne munie d'un
diplôme universitaire yougoslave ou ét.ranger (art. 14).
'l'ous les fonctionnaires de l'Etat perdent lieurs fonctions
s'ils sont élus, sauf les professeurs des Facultés de droit,
les ministres et anciens ministres (art. 15).
En dehors de ces dispositions correspondant presque en
tous points aux lois électorales en vigueur dans les autrns
pays eUJ'opéens, il existe dans la loi électorale composée
de 121 artides, des dispositions en quelque sorte impé-
ratives, traduisant l'intention et le point de vue du gouver-
nement provisoire sur la situation . constitutionnelle du
nouvel ,Etat.
D'après li'article 1 qui coïncide d'ailleurs avec l'art. 140
de la nouvelle Constitution, placé sous le titre de Dispo-
sitions transitoires, lies élections pour l'Assemblée Consti-
tuante sont fixées au 28 novembre 1920 et la Constituante
doit se réunir quinze jours après, le 12 décembre, à Bel"

(1) Sauf la minorité ethnique qui n eu le dr.oit d'option


(art. 9).
grade, sauf le cas de force majeure. Mais lorsque la Con;;·
titution aura été votée et promulguée, cette Assemblée
aura achevé son travail constitutionnel et commencera
son travail législatif qui ne pourra durer plus de d:mx
ans. Cette règle a eu pour résultat d'éviter le double vote
qu'on m·ait voult'. introduire. L'intention première du
gouvernement provisoire était de régler d'abord l'es élec-
tions pour l'Assemblée législative ordinaire qui devait
remplacer le Parlement provisoire et ensuite de voter
une loi électorale pour une Constituante (1).
D'après !'al. 2 de l'art. 121 de la loi électorale, le Con-
seil des Ministres est autorisé, avec la collaboration de la
Commission législative à élaborer le règlement intérieur
provisoire pour l'Assemblée Constituante. Ce règlement
a soulevé de vives critiques, d'abord de l'opposition, plus
tard de certains membres de partis gouvernementaux,
parce qu'on a mis dans le règlement provisoire, qu'après
les travaux de vérification des mandats, on devait passer
à l'élection du Bureau de la Constituante, mais que cette
élection ne pouvait cependant avoir lieu avant que les
députés eussent prêté serment au roi des Serbes, Croates
et Slovènes.
L'art. t2t engendra donc des discussions pr.olongées,
soit dans l'opinion publique, soit .au commencement des
travaux de l'Assemblée Constituante.
La Constituante est-elle souveraine ? Voilà la question
qui a été posée avant et au commencement des Travaux
constitutionnels, soit par l'.opinion pub\lque, soit par l'e
législateur. 11 y a lieu de distinguer à ce point de vue deux
opinions principales : l'opinion républicaine et l'opinion
monarchique.
1 ° Opinion républicaine.
Le fondement de cette opinion se trouve dans le principe

(1) Bulletin de la Presse IJO!lgosl.ave, n° 9.


-117 -

de la souveraineté nationale. La Constituante est souve-


raine parce que la nation est souveraine (1). La souverai-
neté de 'l'Assemblée Constituante consiste d'abord, dans
le droit de voter une Constitution sans la sanction du roi ·
et puis dans lie droit de pouvoir changer la forme monar-
chique en forme républicaine (2). On sait que d'après
l'art 200 in fine de la Constitution de Serbie de 1903, la
grande Skupstina pour la révision de la Constitution
n'était pas souveraine. « Les décisions de la grande Skups-
tina nationale adoptées pair la majorité absolue des dépu-
tés déterminée par la Constitution, seront exécutoirns
lorsqu'elles auront été sanctionnées par le roi. "
La question qui se, pose est de savoir si ces prescrip-
tions sont applicables dans la situation nouvelle ? D'après
l'opinion énoncée plus haut, non; non seulement pa11ce
que la Constitution de 1903 n'est plus en vigueur depuis
le 1•r décembre 1918, mais parce, qu'il n'Hxiste légalement
ni roi de Serbie, ni roi des Serbes, Croates et Slovènes.
Voici les arguments :
A. - D'après leurs or1gmes, on peut distinguer deux
types de monarchie constitutionnelle. Dans la première
catégorie peuvent être rangées les monarchies dont le
monarque tire son origine avant Ue vote de la ConstitutiOn.
Autrement dit, le monairque a précédé la Constitution en
vigueur. Le pouvoir constituant a trouvé déjà une forme
monarchique établie.
A la deuxième catégorie appartiennent lies monarchie<;
dont le monarque est venu après la Constitution. Ce,tte

(1) Notes sténographiques, 4• séance. Déclaratfon de M. La-


zarevitch, député .républicain.
(2) Revue Misao, op. dt. n°• 13 et14. Article de M. Je nr
Hitdh. - Brochure de M. Stoyanovitch : NekoUko mfali o na-
sem novom drzavnom nred.1enjn (Quelques ré.füi,xions. sur
notre organisation étatique).
distinction, d'après l'opinion citée plus haut, a une très
grande importance, étant donné que le royaume de Se>I'bie
se trouvait dans la situation des mona11chies de la
deuxième catégorie.
Après le Coup d'Etat du 29 mai 190:1, il fut voté une
Constitution adoptant le rég·ime monarchique, après quoi
le roi Pierre Karageorgevitch fut appelé à prêter serment
it la Constitution. Le pouvoir du roi tire son origine de l'a
Constitution de mm. Or, si la cause n'existe plus, les
conséquences disparaissent. Depuis le 1er décern bre 1918,
le royaume de Serbie a cessé d'exister.
B. Si le roi de Serbie a cessé d'existeT, une autre
question se pose donc pour déterminer la souveraineté de
la Constitution nouvelle : existe-t-il légalement un roi des
Serbes, Croiates et Slovènes ?
Deux facteurs ont contribué à la proclamation de l'unité
de la Serbie avec les provinces libres détachées de l'an-
cienne monarchie danubienne : Les représentants du
Conseil National de Zagreb (i) et le régent Alexandre. Or,
l'Etat créé le 1er décembre 1918 n'est qu'un Etat de fait et
non de droit. Le roi de Serbie n'est pas devenu le roi des
Serbes, Croates et Slovènes, c'est l'Assemblée Constituante
qui a seule quaMé et droit de décider du sort du nouvel
Etat. Le roi donc n'a pas le droit de iSanction pour la nou-
velle Constitution, parce que la Constituante est souve-
raine.

(1) Dans son article M. le D" llitch, op. cit., a invo(111é connue
argument que les représentants de Zagreb, dans leurf' dis-
cours prononçant l'unité étatique, n'ont pas prononcé le nom
du royaume et que, par conséquent, il y avait un désaccord
entre la proclamation du Régent " dans un royaume> de~
Serbes, Croates et Slovènes "· Cet argument. n'a. aucun°
valeur pa.rce que le discours du Régent a été lu à la Rédncr,
du Comité National de Zagreb, d'après les déclarations dans
la séance VIIl de lvL Pri.bitcllevitçh, mini~tre de l'Intériel,,lr,
- 119 -

Devant nous se trouve, au point de vue constitutionnel,


une tabula-rasa. L'opinion que l'Assemblée constituante
est souveraine dans le sens républicain a été soutenue par
les socialistes et communistes protestant c-ontre le serment
imposé par Je règlement intérieur et provisoire de l'Assem-
blée constituante.
2° Opinion monarchique.
Les opinions qui sont favor,ables à .La fonne monar-
chique peuvent être divisées en deux. La p,remière, qui
était l'opinion du Gouvernement, considère que la Cons-
tituante est souveraine dans les cadres existants. La
distinction classique entre le pouvoir législlatif et le pou-
voir constitutionnel ne résulte pas de la nature des choses
1

et ne s'impose pas comme un principe supérieur. Elle est


plutôt artificielle. La Constituante est souveraine en tant
que l'expression dt> la volonté nationale, mais les assem-
blées o!'dinaires le sont aussi et au même titre (1).
" Ce n'est pas par hasard quP le GouvernPment demande
que 11'on prê.te serment au rni. C'est la manifestation una-
nime d'unp conception qui était celle du Gouvernement
provisoire et aujourd'hui de la majorité de la Constituante,
conception que l'Assemblét> Constituante n'est pas souve-
1·aine " (2).
La Constituante est issue d'un état juridique légal
qu',rlle n'a pas à bouleverser, mais à continuer, dont les
fondements limitent par leur existence même l'étendue
de son action. Les fondements sont, tout d'abord, la forme
de l'Etat et la dynastie régnante. Depuis la décliaration de
Corfou, déclarP le Samouprava, mgane radical, il n'a

(1) Slu11oup1·111Ja, organe du parti radical, le 29 déc. 1921.


(2) Dédaration de M. Ninchitch dans la séance n ° VII, au
nom du Club radical pendant les discussiüns sur Je, règle-
ment intérieur, qui a été comp-lètement remanié, maie; la
règle d(: prêter S'erment efit rest.é(è jntacte.
- 120-

jarnais été qLH='Stion de changer la forme de l'Etat. Le


peuple Je savait quand il votait pour ses représentants. e::t
puisque les partisans de la monarchie sont en majorité,
cela prouve que Je peuple ne veut pas changer de régirnr~.
Les adversaires de la monarchie sont libres de protester
et de voter contre la Constitution, mais c'est tout ce qu'ils
peuvent faire. La Constituante a usé de rn liberté puis-
qu'elle a tracé les limites suivant les désirs de la majorité.
La deuxième opinion plutôt indépendantt;, mais cepen-
dant de tendance rnonarchique, déclare ouvertement que
l'Assemblée Constituante est souveraine. ::li l'cm voulait
que notre Constituante ne touchàt point à certaines insti-
tutions existantes, on devait le dire clans l'ordonnance
pour les élections et on devait appeler le peuple à se
prononcer sur une partie seulement des réformes consti-
tutionnelles. Ceci n'a pas été fait. Le peuple a été appelé
à voter pour une Constituante dont le pouvoir n'est aucu-
nement limité et il a été juridiquement libre de s'expri-
mer en faveur de n'importe quelle Constitution. Elle est
donc souveraine (1).
Quelle était alors la. situation constitutionnelle provi-
soire du nouvel Etat yougoslave ? En effet, quelque
théorie que l'on considère, on peut toujours se demander
it qui donc appartient la souveraineté ? A11:1: plus forts,
qu'ils soient Ü's plus riches ou les plus nmnbrn1x. C'est
une constatation dont M. Duguit a fait une théorie vigou-
reuse, théorie condamnable d'après le professeur Esrnein,
parce qu'elle substitue la lutte des individus ou des classes
à l'empire du droit inspiré par la raison humainP (2).

(1; Le journal Politika du '27 décemlJre HJ21J.


(2) En ce qui concerne k dogme d·? la souveraineté natiomi le,
c'est-à-dire la croyance que la collectivité possède une per,.;ün-
nalité, un.e conscience p11opre et une volonté générale, 9t que
cette volonté a le droit de promulguer des ordres incondi-
tionnés par la voie de ses mandataires, est une des coucep-
- 121-

Nous nous demandons, avant tout, quel est le modf~


normal d'abrogation des constitutions écrites. Si le droit
devait écouter les enseignements de l'histoire, il faudrait
répondre : fa révolution sous la forme d'une insurrection
populaire ou d'un coup d'Etat gouvm·nemental. Une révo-
lution qui triomphe fait de plano tomber la Constitution
existante. C'est un principe d~ droit et le plus incontes-
teble des principes puisqu'il repose sur une nécessité dt~
fait. Comment une Constitution pourrait-elle survivre à
la suppression matérielle et radicale de tous les organes
qu'elle a institués.
C'est néanmoins une tradition française, aussi bien
qu'une tradition do Se.rbie. Mais le cas de la formation
du nouvel Etat est un cas parti.enlier qui, dans une cer-
taine mesure, échappe à ces principes et par là compliq1w
la question.
Quoique la grande guerre mondiale puisse être consi-
dérée d'un côté, comme une révolution dans le sens le plus
large du mot, unique au monde, néanmoins, de l'autre
côté, elle se présente comme une organisation unique au
monde. Des 1.660 mill!ions d'êtres humains environ, qui,
au début de l'armée 1915 peuplaient la terre, il y en avait
déjà un sur cent qui SE~ battait ou qui était sous les armes
prêt à se battre. Dès lors, un centième de l'humanité
vivante, dès le comrrnmcernent de la grande guerre, tra-
vaillait, s'acharnait à s'entre-détruire (1). De là est sorti

tions métapbysiques, les plus erronées que nous ait léguée-s


l'idéologie révolutionnaire. Les incommensurables hienfaitf;
dont nous sommes redevables à ces généreus,es ficüons, ne
doivent pm: nous ernpêchN' de l'econnaître qu'elles1 repoRent
sur de colossales erreurs de psychologie et d'histoin• : la meil-
Jeui-e façon de ;;,e montrer 1·0co1maiss.a'nt envers les cr,oyan-
ces qui furent honnés en leur temps, c"e.st souvent de les
délaisser en les dép,assant. M. Boll, La Scfcnce et l'Esvrit Pu-
sitif chez les P1m.senrs i.'untrrnporains, p. 165. (Loui;;: Hougier).
(1) :J. Brunhes et C. Va1Jaux, op. cit., p. 445.
-122-

matériellement le nouvel Etat, ce qui lui donne deux


faces par la situation géographique même de ses habi-
tants. Le~ conséquences politiques de la guerre furent
l'effondrement de la monarchie austro-hongroise. Ce fait
historique a provoqué, par la composition même de ce
monstre politique, l'indépendance des provinces qui le
eomposaient. Une révolution pour les différentes provinces
n"était donc pas nécessaire (i). La proclamation de l'indé·
pendance à Zagreb, le 29 octobre i9i8, au nom des pro·
vin ces des Yougoslaves, était tell ermmt naturelle qu'elle
paraissait, aux yeux de certains (•cTiYains, cormne théi't·
trale (2).

Quoiqu'il en soit, les conséquences juridiques et logi·


ques de la débâcle .austro-hongroise furent lrs suivantes ù
l'f>gard des pnwinces devenues libre::: :

i" Awc la prnclamation (lt· l'indépendance, le 2n octo-


bre 1918, à Zagreh, au nom des provinces de Croatie et
SlavoniP, Bosnie et Herzégovine, Dalmatie d Slovénie,
tous les liens juridiques tels que : le comprorn1s de 1868,
les J:ois constitutionnelles de 1867 pour la Slovénie et la
Dalmatie, la loi constitutionnelle de 1910 pour la Bosnie

(1) En fait, il existait ,f]anf:' J.es différente.s prnvinces del'


symptôrne.i-; déjà hien marqués d'une révolution niais de tout
autre genre. Dans le pays natal de l'auteur de cet ouvrage,
Stari-Betdiey (Voïvmlitrn) par exernple, avant que l'armée
victorieuse soit arrivt\e, une trentaine de maisons de juifs
avaient été complètement démolie;.: par la populace. C'est
grâce à l'armée qu'on empêcha le pillage dont les suites en
HongTie sont hien connues.
(2) Albert Moussel : LP ro11au111e rlcs SnbPs, CroutPs et Slo-
'l'ènes. Belgrade, 1921. p. 81. Cette proclamation théàtmle du
29 octobre 1918 a tourné la tète de certains Croates qui vivent
dans l'illusion qn' ils se sont délivrés eux-mi'me>l et qui croient
i,;érieusernent r1u.e lem· apport à la caus!' de l'indépendance
fut sensiblement égal à celui des Serbes.
et l'Herzégovine, qui unissaient ees provinces avec l'Au-
triche-Hongrie, ont cessé d'avoir une force juridique ;
2° Avec la proclamation, le 25 novembre 1918, de l'unité
étatique avec le royaume de Serbie de plusieurs dépar-
tements de l'ancienne Hongrie méridionale, sous le nom
de Voïvodine, les lois constitutionnelles de 1R6î pour ces
départements ont cessé d'avoir, à l'égard do la Hongrie
nne valeur juridique ;
:~ 0 Avec la proclamation, le 2G nov. 1918, dt" la grande
Skupstina nationale de Podgoritza, dans le sem de l'unité
pure Eit simple avec le I~oyaume de Serbie, dans Je but de
la création d'un rnyanrne de tous les Serbes, Crnates et
Slovènes, la loi constitutionnelle de Hl05 a cessé d'exister.
Jusqu'ici la situation est bien nette ; la non existence de
l'Autriche-Hongrie comme Etat a eu pour résultat inévi-
table l"indépendance des provinces qui la composaient et
par suite la rupture de tout Tien juridiquo qui existait par
rapport à cet ex-1<;tat, de même par rapport it l'ex-Etat dt'
Monténégro.
Mais nous avorn; vu que ces provinces, devenues indé-
pendantes, habitées par la nation youfrnslave, avaient,
d'après leur volonté et lem désir, un but précis et déter-
miné. Par ce bu l même leur indépendance juridique était
d'une nature provisoirn jus<1u'ù la formation d'un Etat
uniforme pour tous les rnmn ln·r's ffo la nation yougo-
slavP.
C'est ici qm• les difficultés, d'une nature plutôt théori-
que, commenoent. Cette volonté se trouvait exprimée dans
la pirocliamation d'un Etat uniforme au t'" décembre 1918.
Cette proclamation a été effectuée, d'une part, par les
représentants des provinces devenues libres, rt d'autre
part., par le représentant du royaume de Serbie. Quelle
est la nature de cette proclarnation ? Autour de cet
acte, de vives discussions ont été soulevées à l'Assem-
blée Constituante. La question de savoir si c'est un actf'
j uTidique eonstit11tionnel uu une simple proclarnution n'a,
-124-

h notre avis, aucune importance pratique, surtout quand


on ne veut que déduire les conséquences de ces deux
opinions. Car, d'ire que c'est un acte constitutionnel de
premier ordn: pour déduire que le roi a le droit de sanc-
tionner la future loi constitutionnelle qu'on désirait una-
nimement et que la Constituante n'a pas le droit d'orga-
niser un Etat fédéral, ce n'est qu'un merveilleux résultat
d'une méthode qui veut uniquement déterminer le contenu
abstrait des règles du droit sans se préoccuper des effets
extérieurs (1).
Car, si avec cette interprétation on peut déterminer que
la monarchie est définitivement instituée par l'acte d'U
1"" décembre 1918, il ne s'en suit pas que le roi doit
sanctionner la Constitution, exemple la Norvège, où le
roi n'a pas le droit de ~anction.
D'un autn: côté, dire que Fade du t··r décembre HH8
n'est qu'un fait historique sans aucune conséquence Pt
contenu juridique pour déduire que le roi n'a pas le droit
de sanction, c'est à peu près le même raisonnemünt que
le premie.r.
L'Etat existü de plein droit du rnornent que les trois

(1) Dans ce sens : IF Stefan Sagadin, ;\'os s1ula.m.ii ustavni


poloza.i (Notre sitmttion constitutionnelle actuelle). Ljoubljana,
1920. L'auteur considérant la. prnclamaüon du 1er déc. 1918
c:onnne un ade juridique (p. 17) constitutionnel, et après avoir
miigneusement interprèté le contenu des déclarations succes-
sives, a déduit les conséquences juridiques suivantes : 1° avec
la pfloclamation du royaume des Serbes Croates et Slovènes,
les Etats antérieurs ont cessé d'exister, ils ont perdu leurs
individualités respediws en s~' ralliant à un Etat uniforme ;
2° c'est un Etat uuitai.re, donc la future Assemblée Consti-
tuante doit se conformer ù d;;s règles cle droit antérieures et.
supérieures; 3° c'e:-;t une m·imncliie avec la dynastie des Kara-
Georgevitcli, c'est une monarchie constitutionnelle: lf 0 les
décisions d:) la Constituante ne sont exécutoires, qu'avec
l'assentiment du roi, etc ..
-- 12S -

éléments ;;onl réunis, c·esl-ù-dire lorsqu'un groupe d'hon1-


mes se fixe sm un territoire donné et adopte une orp;ani-
sation. La naissance d'un l~tat est un fait matériel comme
celle d'un individu. De là, il s'en suit que l'Etat existait
avant le pr décembre 1918. Il existait depuis que la nation
était devenue indépendante et qu'elle désirait unanime-
ment de former un Etat unique et surtout depuis que
11'armée représentant l:a nation yougoslave occupait le ter-
ritoire national (i). Est-ce un Etat de fait ou de droit, c'est
une question de théorie pure. Gomment peut-on déter-
miner quand finit l'Etat de fait et quand commence l'Etat
de droit.
L'acte du t'·r décembre i9i8, ù notre avis, n'est pas un
acte créateur d'un Etat. L'Etat existait matériellement
avant cette date, il est vrai que c'était un Etat provisoire
au point de vue de la lilwrté moderne, mais en tout cas il
existait.
Peu importe lt· nom, il existait parce qu'il y avait un
groupement d'hommes fixés sur un territoire .avec un:;
organisation. Peu importe quelle organisation. Il y avait
une organisation car, à moins d'une pure anarchie, ce
serait une chose absolument impossible qu'il n'y en eùt pas.
L'acte du 1"'" décembre HH8 est un acte politique, la
confirmation d'un désir unanime et un fait existant, maïs
non un acte créateur de l'Etat ni un acte constitutionnel.
Nous avons dit que la question de savoir si c'est un
acte .i uridique ou une simple proclamation n'a aucune
utilité pratique, surtout quand on ne veut que déduire les
conséquences de ces deux opinions.
Cela n'a pas d'utilité pratique, parce qu'il n'y a pas
et ne peut pas y avoir un droit théorique, dont on ait l'habi-
tude de se servir, et un seul, offert à l'imitation de~ tous

(1) Le Comité National de Zagreb demanda l'aide militaire


de la Serbie déjà le 4 nov. 1918. V. Sisir, op. cit., p.. 228.
- 126 -

les h'111ps d de tous les pays. 11 n'y a dans l'histoire de la


pensée juridique que deux rnrles de principes : les uns sont
des généralisations hâtives, sur des données incomplètes ;
discutables comme théorèmes, ils peuvent toutefois 0onsti-
tm'r, dans un pays déterminé, à une époque précise, d~s
directions utiles. Les autres volontairement dépouülés de
tout élément 0oncret, local, historique, ont, en effet, h
figure d'idée universelle et immuable, mais ils sont comme
l'idée df\ justice, si généraux et si vagues, que tous 1 e~.
systèmes peuvent s'organiser autour d'eux (i).
En définitive, lorsqu'on veut uniquement déduire les
conséquences, il ne faut pas chercher à deviner la valeur
des actes politiques par les points de vue et par leur déno-
mination juridique.
Les auteurs de la proclamation du ic' décembre 1918
n'ont pas voulu créer un Etat, ni légiférer, ni donner une
organisation quelconque à cet Etat, en cléfinitiv<' ils n'ont
rien voulu ehanger parce qu'ils ne~ pouvaient pas changer.
})'ailleurs une proclamation qui arrive après la victoire,
quoiqu\~Jle soit d'une portée nationale considérable et
qu'elle &oit solenneHe et respectable, 1w change pas, en
pratique, beaucoup les chosPs.
Ils ont voulu proclamer l'unité étatique de la nation
yougoslavt\ ce qni est autre chose que de eréf~r· Pt d'orga-

(1) LeK thécwies .irnil1luables peuvent ainsi devenir peu à peu


extérieures à la société, et même prétendre· lui être supé-
rieures. Ces comrnandements juridiques, ne seront-ils pas
alors des commandements théologiques ? Le droit ainsi ne
sera plus le squelette apparent de 1a société, il se présentera
comme le produit d'une volonté toute puissante.
Mais cela ne veut pas dire que les abstraction;:; soient inu-
tiles, lorsqu'elles sont vagues, et qu'elles deviennent gênantes
dès qu'elles veulent exercer une· action précise. Nullement :
ce qui est dangereux ce n'est pas l'abstraction même, c'est
la manière de s'·en servir.
- i2~-
niser ; ils ont donné leur approbation et leur confirmation
à un sentiment unanime de la nation yougoslave, ni plu;;
ni moins.
Cette proclamation, parce qu'elle est une prqcliamation,
à une portée nationale et non constitutionnelle, puisque
tout le· monde a exprimé le désir d'avoir une Constituante.
L'organisation existante était" donc une organisation pro-
visoiil'e.
Toutes les autres déductions et considérations, qui ont
pour but d'attribuer à cette manifestation, unanime et
d'une portée historique considérable, quelque chose de
plus ou de moins, ·sont des abstractions inutiles.
Nous disons inutiles parce que le caractère, la nature et
l'organisation de l'Etat nouveau dépendaient non seule-
ment des facteurs présents, mais aussi des facteur·s futurs,
soit des faits historiques, s·oit de la situation juridique.
Logiquement, on peut déduire que les constitutions des
ancie.ns Etats et provinces austro-hongroises, par la pro-
cllamation du ier décembre, sont devenues caduques ; mais
pratiquement c'est indémontrable, sauf. la relation des
provinces avec l'Autriche-Hongrie, parce que cet Etat
n'existait plus.
Indémontrable, d'abord au point de vue formel, parce
que la proclamation ne parle pas de leur suppression,
puis, paree que l'Assemblée provisoire a essayé deux fois
de donner une c.onstitution provisoire sans aucun résul-
tat (1).
Au oontraire, pour soutenir qu'en réalité, c'est la Cons-
titution de Serbie qui s'appliiquait provisoirement, on
peut invoquer la proclamation du régent du 6 janvier 1919,

(1) D'·abord dans le Journal Officiel du 8 février 1919, n° 5,


dont le tirage a été suspendu, puis par un projet du Ministre
die la Constitution qui n'a pas même été discuté devant l'Ass.
provi~ire.
-- 128 -

t>roclumation contresignéP par le gouvernement provi


~mire et dans laquelle le régent donne l'assurance de gou-
verner d'après les principes constitutionnels et parlemen-
taires, et d'après laquelle le gouvernement provisoire
s'occupera d'élargir, sur tout le territoire de l'Etat, les
droits et les garanties des citoyens contenus dans la Cons-
titution Serbe de 1903 (i).
Les facteurs prépondérants desquels dépendait l'orga-
nisation du nouvel Etat sont bien connus. On avait, d'un
côté le monarque avec son année nationale, - - et d'ailleurs
accepté avec enthousiasrne par le pays entier --- de l'autre
Cljtr, la ('onslituante issue des principes dém.ocratiques
modrrnes, Nue fr 20 rwvemlne 1.920 et sortie d'une situa-
tion fébrile. Ce sont les faits. Mais on ne peut pas déter-
miner de ces faits, par les théories abstraites et juridiques,
queHe est la part de la souveraineté de l'un ou de l'autre
facteur, encon' moins ce qu'elle sera. Le jour où le légis-
lateur aura plus nettement et plus expressément conscience
de remplir une fonction d'ailleurs très utile, Œt non d'exer
cer un pouvoir indéfini, il deviendra sans intérêt de cher-
cher à l'omnipotence des Parlements une limite artificielle
ou d'attribuer h l'Etat un pouvoir sans l>orne.
Une Constituante a autant de pouvoir qu'elle peut en
avoir dans un moment donné. Ce que l'on peut affirmer
c'est que l'Assemblée Constituante ne peut pas avoir un
pouvoir qu'elle ne veut pas avoir. Or, les intentions de
la Constituante, élue le 8 novembre 1920 (2), d'après la
loi électorale que nous avons vue, sont bien connues. EHe

(1) Fe,rdo Sisic, op. cît., p. 299.


(2) Les résultats de l'élection de l'Assemblée Constituante
le 28 novembre 1920, d'après la loi électorale du 3 septembre
1920 sont les suivants : nombre de votants 2.480.000, ont voté
1.607.267 (64,95 %). Il y avait 55 circonscriptions électorales
(3 villes, 52 départ.). Il faut tenir compte des démembrements
a tenu sa séance préliminaire le i2 décembre 1920, et sa
séance solennelle d'ouverture, sous la présidence du régent
Alexandre, le Jl1 janvier rn21 et a adopté les points sui-
vants :
1 ° Elle a accepté le sermt•nt contenu dans Je règlement
intérieur rédigé par le gouvernement provisoire. Encore
plus, elle a maintenu, Pn révisant ce règlement, la règle de
prètel' serment.

des listes et que certains partis se sont présentés ensemble


pour une liste.

Nombre Nom bu
L,. Partis de vota111s de d;putis

1 Démocrate ........................... . 319.448 92


2 Radical ...................... : ....... . 284.575 91
;J Paysan républicain croate de Radie ... . 230.590 50
4 Communiste. . ........................ . 198.736 58
r, P:i,ysan agrico1' de S9rhie et de Slovénie 151.603 :m
6 Clérical Slovène de Korosée ou Club
yougoslave ......................... . 111.274 27
7 Yougm·lave musulman ............... . 110.895
8 Social démocrate ..................... . 16.792 10
!l Narodni clnh croate ................. . 38.400 7
10 National turc ........................ . 30.029 8
1l Union croate ......................... . 25.867
12 Hépublicain ........................... . 18.136 :3
13 Croate de Prava ..................... . 10.880 2
14 Socialiste national ................... . 6.186 '1
15 Trurnbic .............................. . 6.186 1
16 Libéral ............................... . 5.061 1
17 National serbe ....................... . 5.215
18 Combattant ........................... . 1.484
Hl Région de Prékomurska, agricole ..... . 1.960
20 Tchèque .............................. . 904
21 l\/Iusulman indépendant .............. . G40
22 Musulman national }06

Totaux .................. 1.607.267 419


!I.
2° La Constituante a acceptè l'arl. l de la loi électorale
d'après lequel, cmmne nous l'avons vu, lorsque la Consti-
tution aura été rntée et promulguée, cPtte assemblée aura
achevé son travail {'onstitutionnc•I d nm1mencera son
travail législatif, qui ne pourra d1m'r plus de deux ans.
Cette acceptation se manifrsl1~ miE·ux encore dans l'art.
140 de la nouvelle Constitution, qui est ainsi conçu : Lors-
que cette Constitution entrera en vigueur, l'Assemblée
constituante, élue le 28 novembre 1920, Sl! transformera en
Assemblée législative ordinaire polir la durée prévue par
la loi électorale pour l'Assemblée constituant.:'.
;3° L'art. 130 de la Constitution est ainsi conçu : Les lois
provisoires, règlements, ordonnances et décisions du
Conseil des ministres et autres actes et décisions ayant
une durée déterminée d'application et la valeur d'une loi
édictée entre le 1cr décembno 19i8 et la promulgation de
cette Constitution, restent en vigueur comme l'ois, jusqu'à
ce qu'ils aient été abrogés ou modifiés.
Par cet .article, la Constituante a reconnu au pouvoir
exécutif de l!égiférer non seulement avant sa réunion, mais
pendant ses travaux. Il n'est donc pas difficile, d'après ces
trois points même, de voir quel est ll• pouvoir de la Cons-
tituante et, par là, la situation constitutionnelle (1).
Ainsi, à la séance du 29 janvier, après des discussions
très vives, les derniers membres de l'opposition ont prêté
serment. Ce fut d'.abord le parti yougoslave musulman,
qui est plus tard entré dans le gouvernement, quelques
jours avant cette date ; ensuite les communistes, enfin le

(1) L'Assemblée Constituante, comme partout, est le résul-


tat des luttes politiques clans lesquelles, jusque là, malheu-
rnusernent, il n'y a rien de scientifique, au contraire, il n'y
a que des vainqueurs et des vaincus et il est souvent rare
que l'Etat soit un agent de haute équité puisqu'il est lui.
p1ême une arme de combat dans la mêlée des iptérêts.
_.... 131 --

c:lub yougoslave et les membres de l'entente crôate, puiS


lVT. Protiteh, député radical, qui se trouvait parmi les
adversaires du règlement et du serment. 11 n'y a donc
aujourd'hui que les partisans de M. Raditch qui n'aient
pas prêté le serment qu'exige le règ:lement de la Consti-
tuante. Ces derniers, conformément à leur esprit et à
l:'ur éducation politique, boycottent toujours l'Assemblée
et cela a des conséquences fâcheuses qui se ressentent
encore aujourd'hui, peut-être moins pour le gouverne-
ment que pour le pays t<mt entier.
Le règ'lement provisoire, révisé (i) dans son art. 65,
prévoit la majorih'~ nécessaire pour le vote de la Consti-
tution. Nous avons vu que la déclaration de Corfou et
celle du Comité National de Zagreb demandaient la majo-
rité qualifiée et la majorité de 2/:3 des voix. Le gouverne-
ment, toujours dans le but de régler la question consti-
tutionnelle le pl us tôt possible, et, inspiré d'un esprit pra-
tique, a pris dans cet article la majorité absolue des dépu-
tés. Il fut invoqué un peu partout le souvenir c:Jlu fameux
liberurn veto qui amena la destruction de lŒtat polonais
au XVIII~ siècle.

SECTION 1' 0 • -~ Les origines el !r? vote de la Con.~ti­


l1{tio11 de Vùlovdan

Le l"" février HJ21, l'Assemblée Constituante a suspendu


ses travaux et les a ajournés au H avril pour permettre
à la Commission ConstitutionnsHe, élue d'après l'art. i6
du règlement intérieur, le 31 janvier HJ2J, proportionnel-
lement aux partis en présence et, composée de 42 mem-
bres, d'aborder les travaux préparatoires.

(1) Dans la séance n° VII.


èette commission s'est réunie le 1°' février et, après des
débats généraux, a décidé d'examiner le projet de Cons-
titution gouvernementale de M. Patchitch.
Le premier projet officiel a été élaboré par M. Stoyan
Protitch, avec le concours technique d'une commission
oomposée de quatre professeurs des Facultés de Droit,
MM. S. Yovanovitch, K. Koumanoudi, B. Vosnjak et L.
Politch. Mais avec la chute du cabinet Protitch, les gou-
vernements Vesnitch et Pachitch ont eu des idées commu-
nes sur la Constitution et leurs points de vue ont trouvé
leur expression dans le projet qui a été soumis par le
cabinet de M. Pachitch à la Commission (1).
Outre les règles inspirées des Constitutions antérieures
de la Serbie, le projet gouvernemental' suppose que l'Etat
yougoslave se trouve en danger. L'idée de l'unité n'est pas
aussi forte qu'en 1918 et, pour la sauvegarder, il est néces-
saire de la consacrer par une Constitution même quel-
conque (2). C'est pourquoi le projet Protitch a été réduit
de 200 à 86 artic1'6s (3). Le nouveau gouvernement a sup-
primé tout ce qui ne lui paraissait pas indispensable. Il ne
s'intéresse qu'à deux choses : la couronne et i:es rapports
entre le gouvernement central et les régions (4).
Sans créer un pouvoir central trop fort, Ie gouverne-
ment a voulu lui assurer un prestige incontestable .. Et
c'est la monarchie qui incarne ce pouvoir central.

(1) En général, le1s projets qui ont été soumis au Bureau


de l'Assemblée peuvent être divisés en deux types, les uns
sont d'un carac.tère plutôt politique, les autres plutôt d'un
caractère social et économique. Quels sont les plus impor-
tants de ces p·rojets, nous le verrons plus tard.
(2) Sa.mouprava du 14 avril 1921.
(3) St. Protitcth : Vladin predlog 1istava. Bedgrade, 1921,
p. 21 (Le projet du gouve·rnement).
(4) Le journal Politika du 17 avril 1921. Article de M. S.
îovanovitcth, pvof à l'Université de Belgrade.
-13$ -

Quant aux .reg10ns, le gouvernement, dans son projet,


a rejeté l'idée des autonomies anglaises préconisée par
M. Protitch.
D'après le gouvernement, il fallait créer non pas un
petit nombrn de• grandes régions, mais plusieurs qui
seraient plutôt des départements et ne pourraient jamais
devenir des foyers de sépa.ratisme régional!.
La Commission pour la Constitution n'a pas voulu se
contenter d'un projet aussi fragmentaire. Ellie a voulu
élargir et compléter le projet du gouvernement et il a été,
en effet, augmenté die 86 à 142 articles. La Commission a
choisi, entre les deux tendances qui se présentent pour
les constitutions écrites en général, celle qui est la plus
rigide. Notamment la première tendance consiste à mettre
dans la Constitution seul!ement les règles essentieUes sur
lia forme de l'Etat, le gouvernement et les droits indivi-
duels qui s) rapportent dans le domaine de la législation
ordinaire. Telles sont les lois constitutionnelles française·s
de 1875 qui ne contiennent pas le chapitre des dlroits
individuels et qui, même par les révisions de 1879
et de 188~om-encore réduites en ce qui concerne le
siège du gouvernement et des Chambres, ainsi que lia
· composition et l'élection du Sénat, ramenant toutes ces
questions sous le régime de la foi ordinaire.
La tendance opposée, acceptée par la Commission et
qui, d'ailleurs, se manifeste dans la nouvelle Constitution,
consiste à mettre dans la Constitution, outre les règles qui
appartiennent rationnellement au droit constitutionnel,
c'est-à-dire celles qui déterminent la forme· de 1'Etat, la
1

forme du Gouvernement, et la garantie des droits indivi-


duels, d'autres règles encore, formant les principes essen-
tiels du droit administratif, de l'organisation judfoiaire, du
droit pénal ou même du droit civil. Telles sont, en géné-
ral, dans le passé, les Constitutions des Etats particuliers
de l'Union américaine, les lois oonstitutionnellies fran-
çaises de 1791, de l'an III et de 1848 ; dans le présent,
- 134 -

toutes les lois oonstitutionnelles qui se sont effectuées


après lia guerre.
Pour le nouvel Etat, il n'est pas difficile de trouver la
raison de cette tendance, à cause des différentes législa-
tions auxquelles .appartenaient les différentes provinces.
La question de savoir comment on peut changer et msttre
en vigueur une législation uniforme sur des législations
si disparates est une autre question.
Ce qui nous intéresse ici, c'est la tendance du législa-
teur qui .a voulu dans la loi constitutionneHe entrevoir
une sorte de déclaration des droits. Ainsi deux sortes de
critique ont été formulées par la Commission, si on lit
attentivement les notes sténographiques.
D'abord, que le projet gouvernemental: avait un carac-
tère plutôt politique ne oontenant pas de prescriptions so-
ciales et économiques. Ensuite, qu'il était trop court,
laissant beaucoup de questions délicates au législateur
ordinaire.
Le gouvernement, dans le but de donner à la Consti-
tution un plus large fondement, a cédé à l'opposition
jusqu'à la dernière limite possible (i). Ainsi, on peut
distinguer dans les travaux préparatoires de la Commis-
sion quatre sortes de dispositions.
Les dispositions qui sont adoptées à l'unanimité, par
exempTe l'impôt progressif, l'organisation de la justice, la
séparation des pouvoirs; les dispositions qui proviennent
des .amendements acceptés de l'opposition --- ainsi toute
\
la partie connue sous le nom de· Prescriptions sociales et
économiques - les dispositions d'un caractère conven-
tionnel, .ainsi les tribunaux musulmans de Chériats et la
situation spéciale donnée au point de vue administratif à
la Bosnie et Herzégovine par rapport aux autres provin-

(1) Déclaraüon de M. Trifkovitch, minü<tre de la Consti·


tution, dans la séance n° XIV, .
135 -

ces, et quatrièmement les dispositions où l'entente ne


pouvait pas, se réahser, ainsi la forme et le nom de l'Etat
au point de vue non seulement politique, mais admin:~'­
katif aussi (1).
Après l!es travaux préparatoires, la Constitution a été
discutée à l'Assemblée Constituante, d'abord dans ses
généralités, et adoptée le 12 mars ; puis, discutée d'après
chacun des articles, la Constitution a. été votée, définiti-
vement après la troisième lectuFe et promulguée le 28 juin
1921, au jour anniversaire de la fameuse bataiile -de Kos-
sovo (1389), au Vidovdan, fête nationale du Royaume.

(1) Voici les dispositions principales dans lesquelles le pro-


jet gouvernemental a été complètement. remanié ou changé
par la Commission :
La pa,rüe comprenant les disp°'<>itions sociales et économi-
ques. Pour les dispositions des droits individuels : la Commis-
sion a déterminé la responsabilité pénale des organes. adminis-
tratifs et la responsabilité de l 'Eta.t envers les administra-
tiions. En cas de pe·rquisition de domicile, celle-ci doit être
effectuée en présence d'un 11ep.résentant de la munidpalité et
de deux !Citoyens r.equis à cet ,effet. En cas d'interdiction de
journaux et imprimés l'autorisation est tenue, dans les
vingt-quatre heures qui suivent }a saisie, de transrnettr.e les
objets saisis au T.ribunal qui doit, éga1eiment dans les vingt.-
quatre heures, ·Confirmer ou annuler la saisie. Au principe
d'invi<olabilité du secret des lettres est a}outé le secvet des
communicati.ons télégraphiques et téléphoniques.
Les dispositions p·our les minorités d'autres races et lan-
gues qui auront leur ·enseignement primaire dans leur langue
maternelle.
En ce qui concerne les dispositions sUJr la représentation na-
tiona,le, la Commission a changé d'abord le système bicaméral
en système unicaméral, ensuite les dispositions pour l'éligibi-
füé des députés. Les dispositions qu'en cas de guerre l'Assem-
blée nationale· doit siéger en permanence. Ce.rtaines disposi-
Hons modifiant le projet dans les attributions budgétaires de
l'Assemblée, notamunent que ·le budg.et est approuvé par 1e~
- 1s6-
Cette Constitution porte le nom de Constitution de Vidov-
dan, pour rapprocher les deux dates, celle de la plus
grande défaite et celle du triomphe de l'unité nationale.
Finalernent, c'est par 22:1 voix contre ;35 que la Consti-
tution a été votée (i). Ont voté pour la Constitution : le
parti démocrate, le parti radical, le parti yougoslave mu-
sulman, le parti paysan de Slovénie, et un certain nom-
bre de députés non inscrits dans les groupes ; ont voté
contre la Constitution : les social-démocrates, les paysans
de Serbie, lies républicains et certains députés non inschts.
Il convient d'ajouter aux voix contre la Constitution
celles des députés communistes, Club yougoslave et
Narodni Club, qui ont aliandonné l'Assernhlée il la fin
des débats pour ne pas assumer la responsabilité d'une
telle Constitution, ainsi que celles du parti Haditch qui
n'a jamais pris part aux travaux de la Constituante. Donc,
sur 419 députés que compte en tout l'Assemblée, 22:) ont
voté pour la Constitution, ~15 contre et 161 n'ont pas pris
part au vote. Leurs voix doivent être ajoutées ù celles des
votants contre, ce qui fait en tout 22::! 1\)fi (2).

chapitres, puif' les clispof'itions sur l'aclmini!"fr<dion ries


régions.
Les dispositions sur les qualifications néceRsair2s des C11n-
1rnillers d'Etat. Les dispositfons interdisant l'inslituti,on des
tribunaux extraordinaires. Les dispositions snr le contrr!lt!
principal dont l'élection est faite par le Conc:eil d'Etat et non
par le Conseil des Ministres, envisagé par Jp projet gouverne-
mental.
Dans l'institution clec: procédur.es sommaiI'e" pour l'unifi-
cation de la législation est institué un Comité législatif coni-
posé proportionnellement aux partis, r,tc ..
(1) Dans la séance XII du 28 juin 1!l21.
(2! Ajoutons l'art. 142 de la nouvelle Constitntion aux terme~
duquel la prés,ente Constitution, avec ses dispositions tran:si-
toires, ·entre.ra en vigueur quand le roi l'aura signée, ell~l
aura force obligatoire quand elle aura été publiée dans le
La Constitution actuelle est sortie donc d'une longue et
libre discussion qui a modifié près des quatre cinquièmes
du projet initial. La plupart des modifications adoptées
l'ont été sur la demande des groupes de l'opposition. On
retrouve en même temps une grande partie des disposi-
tions de la Constitution de 19œi qui, par certains côtés,
rappeHe la Constitutionbelge, modernisée par les clauses
économiques et sociales.
Elle est divisée en quatorze parties qui sent les sui-
vantes : dispositions ,qénhales, droits et devoirs fonda-
nwntau:r des citoyens, prr~scriptions sociales et économi-
ques, pouvoirs de l'Etat, la régeuce, le roi, l'assemblée
nationale, le pouvoir exécutif, le 71ouvQir judiciaire, finan-
ces r:t domaine de l'Etat, l'armée, modifications ri la Cons-
titution, dispositions trrmsitoir('s et prestriptions finales.

,Journal Officiel. A partir de ce jour, Loutes le;o; dispositions


juridiqu2s qui lui seraient contraires ces::<ent d'ètre valables.
Le président. du Conseil de:s Ministres et tons les Ministres
veilleront à l'exécuüon de cette constitution. Nous recomman-
dons à notre J\1inistre, pour la prépa.ration de l'Assemblée
Constituante et l'unification des lois, de publier cette consti-
tuüon et ù tous les l\!lini.strns de Yeiller à son exécution, nous
mdonnons aux autorités de s'y conform'.'I' et ù tous et chacun
de s'y soumettre.
Aprl~s la prornulgaüon de la Constitution, le roi et les mem-
bre:-; de !'As.semblée doiven.t prêter S('rrnent (a.rt. 128 et 129).
CHAPITRE II

LA FORME POLITIQl'E ET LE NOM DE L'f:TAT

En tenant compte <h~s din'I'St'S fonetions essentielles à


l'Etat, on est amené it examiner la forme de l'Etat, c'est-à-
dire à savoir comment l'Etat peut êtrP constitué. Quelle
sera sa physionomie ? 1\ujom·rl'hui, il existe ù ee point de
vue deux types distincts d'Etat. D'un côté, les Etats unitai-
res comme la l''rance, l'Italie, la Belgique, etc., die l'autre
les Etats composés comme la Suisse, l'Allernagne, les
Etats-Unis. Mais la difficnlté apparaît quand il s'agit de
Ies définir. Ainsi pour les Etats cornposés les théoricien::;
sont loin d'être <l'accord (1).

(1) Ainsi on voit d'un côté les théorü;.s de. Laband, Yellinck.
Brie, ·etc., et de l'autre les théories de Borel, Le Fur, etc .. En
réa.lité, on ne voit pas pourquoi toutes ces divergences doi-
vent exister. Combien de théories ont été émises sur ln nature
jnridiqne de l"EtHt fédéral ! Toutes ocs conceptions jnricli-
quei::, intéressantes .mais vaine1', seraient évitées si l'on se
refusait ô tracer ime définition (I.e l'Etat fédéral en soi, indê-
p\mdant des cil:'c.oristanc<;B de ten1p" et de liet\, alorB qu'il
- 139-

Une des causes de la confusion qui régnait dans l'opi-


nion publique yougoslave, et de l'incompréhension parmi
les hommes pofüiques, peut être attribuée dans une
grande mesure précisément à des théories et à des dispo-
sitions immuables des Etats fédéraux. On ne voulait pas
être un Etat fédéral! parce qu'on ne voulait pas être une
Allemagne, une Suisse, ou des Etats-Unis, comme s'il
était diffi.cile d'organiser un Etat fédéral yougoslave qui
fût différent de celui des autres. Ce qu'on peut dire c'est
qu'aujourd'hui dans la France, par exemple, qui est con-
sidérée comme le type des Etats unitaires, il y a centrali-
sation gouvernementale. Le pouvoir central satisfait à
tous l'es besoins sociaux, c'est la centralisation des pou-
voirs en une seule autorité qui est le gouvemement. De
ce gouvernement dépend toutes lies législations et dans
une certaine mesuI'e ·l'administration. Ou, enoore aux
Etats-Unis, que l'on peut considérer comme le foyer des
Etats fédéraux d'aujourd'hui, il y a morcenement de fonc-
tions sociales, le pouvoir central n'est pas tout, il y a
décentralisation politique. n y a donc partage des fonc-
tions législlatives, administratives et judiciaires. Les deux
Assemblées législatives ont chacune un caractère différent.
Maintenant, on peut se demander, pour se rapprocher de·s
discussions de l'AssemMée Constituante, si l'une de ces
formes apparaît comme supérieure à l'autre.
Le fédéralisme présente de grands avantages, d'abord
au point de vue de l'autonomie locale. C'est le régime poli-
tique qui laisse le plus d'indépendance aux unités régio-
nales, qui assure chez ·elles le développement même de
la vie sociale inte.ll'ectuelle .. Ce premier avantage est porté

serait si simple de montrer dans chaque Etat fédéral le pro-


duit inévitable 'de l'évolutbn, d'explique·r par exemple l'Etat
fédéral aUemand par l'Allemagne histm'ique et de disce.i·ner
se~ véritables titres juridiques,
-140-

ü son maximum s'il y a union du fédéralisme et du régime


républicain.
Un deuxième avantage du fédéralisme actuel est qu'il
limite le gaspillage financier. C'est un moyen de dimi-
nuer les dépenses de l'Etat puisqu'une partie des dépen-
ses est laissée ù chaque unité particulière. En même temps
c'est un moyfm de les rédtüre d'une faç.on absolue. n est
reconnu que les assemblées locales sont très soucieuses
d'un bon emploi du denier public, qu'elles sont portées
il faire des économies.
Mais l'unité de l'Etat présente d'autres avantages. Cette
lmité est la centralisation politique qui est différente de
la centralisation administrative. L'unification d:ans le
domaine de la loi est un grand avantage. Un Etat fédé-
ral, comme !'Allemagne ou même les Etats-Unis, est tou-
jours exposé ù des tentatives de séparation. D'autre part.
le .système fédéral peut créer des inconvénients dans le
domaine du drnit privé.
Chaque forme présente donc ses .avantages et ses incon-
vénients. Si l'on observe les faits historiques, on trouve
rleux directions : c'est-à.dire que l'histoire nous montre
tant une évolution dE•s l<~tats vers l'unité que vers le fédé-
ralisme. Les Etats qui sont allés à l'unité sont nombreux,
exempl'e la France où les idées des Girondins, c'est-à-dire
les idées qui expriment le despotisme de Paris sur les pro-
vinces, n'ont pas réussi. Puis, l'unité italienne, ensuite la
Colombie, autrefois république fédérative d aujourd'hui
un Etat unitaire depuis 1890. En Suisse ou en Allemagne,
on constate, de même, une tendance unitaire. Il y a une
lutte pour ainsi dire perpétuelle entre les unités locales et
Je gouvernement fédéral. Au contraire, l'e Brésil ou le
Mexique sont des Etats qui ont passé à forme fédérative.
Le Mexique est unitaire d'après la Constitution de 1822.
Il a adopté .J.a form0 fédérative en 1857. De même les Etats-
Unis du Brésil depuis 188~), le Canada, Etat fédératif d'une
nature spéciale, de ..
11 est donc difficile de conclure sur la forme définitive
d'un Etat. Il est difficile de conclure, parce que l'évolution
n'est pas toujours une courbe régulière dont il serait pos-
sible, sinon facile, d'imaginer, par un seul tronçon, la
figure complète, mais une ligne parfois brisée dont la
direction variable obéit à des lois encore mystérieuses.
A cause de ce problème, d'ailleurs intéressant mais com-
pliqué, il n'est pas étonnant, quand on en arrive à la soliu-
tion pratique, qu'il existe des divergences notables entre
les hommea d'Etat.
Ili n'est pas exagéré de dire que la question de l'orga-
n·sation de l'Etat a soulevé les plus vives discussions à
l'Assemblée Constituante yougoslave par l'impo~tance
même de cette question, question qui est considérée comme
primordiale parmi les devoirs de la Constituante.
Les discussions se sont poursuivies avec une telle ardeur
qu'elles retentissent encore aujourd'hui dans la vie poli-
tique et sociale du pays.
Une difficulté capitare vient de ce que la question du
centralisme ou du fédéralisme est placée dans l'opinion
publique sur le terrain psychologique et politique plutôt
qu'économique. Certains partis voient dans le fédéralisme
la fin de l'Etat, d'autres au contraire voient dans le centra-
lisme la sup,rérnatie des politiciens de Serbie. A notre
avis, seule une étude dél1icate et approfondie peut révéler,
dans .cette question capitale, les véritables affinités pro-
vinciales, les groupements d'intérêts économiques (1),
les genres de travaux qu'il y aurait lieu de sanctionner et
die favorise,r. Or, c'est cette connaissance qui manque l'e
plus.

(1) Les divisions territoJ"i.afos d'un Etat ne SJ~ront plus avant


·tout des dlvisions de .commandement, de l'.ordre administratif
et politique, car .la rapidité des üommunicat.ions rend ce mode
de fradionnement de moins ,en ffi·oins · nécessaire dans Iê
,_ 142 -

\~oilà pomquoi la questinn de l'organisation est encoro


aujourd'hui la pierre d'achoppement de toute vie étatique
dont les difft)rentes N1quêtes de revues politiques et litté-
raires, les congrès des intellectuels du pays entier sont
les résultats.
On demande la révision de la Constitution avant même
qu'elle soit entrée en vigueur. L'Assemblée Constituante,
l'Assemblée de la victoire et de L'unité nationale n'a pu
réaliser, malgré l'esprit admirable qui l'animait, tout ce
que le pays attendait d'elle\ parce qu'il attendait trop.
Faire disparaitre avec une Constitution toutes les comé-
quences de la guerre mondiale qui se sont manifestées
dans la nation, était chose impossible'. La dispersion et
l'incoordination des efforts qui s'y dépensent entre tant
de groupes constituent une des causes principale;; du
malaise parlernentaire yonfnislavt<. Il est dc's groupes
Pntre lesquels il serait très rnalaisé de préciser les di ffr.
rences de programme ; en revanclw, dans IL' S".in <fun
même groupe se trouv(mt presque toujours réunis des
hommes, des tendances très diverses.
Peut-être est-ce sur la question de la forme de l'l~tat qui'
les points de vue des partis ont été les plus clairs.
L'un <Ù's points de vue qui a hé re7n·l1'enté à l'Assem-
blfc Constituante, est l'idée du maintien dl' la tradition
historique au 7JOint de rul' social politique et 1>conorniq11P,
c'est-à-dirr la continuité des différenas qui sf' 11wnijf'sff'11t
dans les diff Prr'n/es pr01.·incP.\' habitées par la nation.
Il est vrai qu'il existait, aux confins de cette idée, des
variétés diverses, surtout quand il s'agissait de l'appli-

rorps homogèrw d'une naüon organisée : les divisions futu-


re:- s.eront faites ,~urtout pour la production et pour l'échange,
ea.r id les communications rapides, loin d'abolir la nécessité
des divisions, les rendent de jour en jour plus utiles et plus
nécessaire>'. J. Brunh~ et VaJ.laux, op. cit., p ..'i,07.
üation pratique des variétès qui sonl plutôt d'une nature
scientifique et individuelle. Ainsi, le projet de M. Protitch,
lin des leader du parti radical et qui se sépare par là de
son parti qui compose le gouvernement, estime que la dif-
férence dans l'organisation politique des différentes pro-
vinces ne peut pas être brusquement rompue et, pour ne
pas tomber dans le système fédératif dont il1 est adver-
saire (1), il préoonise le système anglais dit de self gou-
vernement, comme pour lia liberté individuelle ; il cite
souvent la fameuse loi anglaise Habeas Corpus Act. (2).
M. Protitch s'inspire en général de la législation anglaise.
Dans son projet, il a envisagé neuf provinces différentes.
Lorsqu'il existe à l'étranger une bonne loi, pourquoi
s'évertuer à fabriquer de t( utes pièces une loi nouvelle et
originale. Ne suffit-il pas de promulguer une traduction
fidèle et intelligente ? lVlais au fond, la question n'est pas
aussi sirnple et il s'agit de savoir si l'imitation des lois
étrangères peut devenic une méthode consciente de pro-
,!!rès juridiqm!s ? Imiter n'est-ce pas être à peu de frais
novateur '? Seulement les difficultés commencent à l'appli-
cation et le droit comparé scientifiquement conçu apparaît
connne la plus laborieuse et la pl us aléatoire des métho-
des. C'est un fait incontestable et il faut bien le~ concéder
à M. Tarde, 4ue les peuples imitent, même un peu pour
Je plaisir d'imiter 1:1). Mais seulement, il s'agit de savoir
quoi et comment. Imiter le droit, par exemple, ce n'est
pas seulement copier les textes; il est clair que pour opérer
la transfusion d'un droit étranger dans le courant du
droit national, il faudrait, avec les lois, importer les juris-
prudences bienfaisantes qui les atténuent, les expédients

(1) St. ProUtch : :\'aal ustava po }Jl'cdloau St Prntilcha.


Belgrade 1H20 (Le projet de la Constitution d'nIH'(;s St Protitch)
(2) St. Protitch : Okü ns,tava. l{rifika i /)f)ll'l11ilrn. Belgrade,
1921, p. 12. (Autour de la Constitution).
('.~) G. Tarde : Les lois de l'imitaJion, p. 16.
héureux qui lies corrigent, ou les pratiques acceptées qui
les annulent. Imiter le droit qui touche à la structure la
plus profonde de la société n'est pas si facile que d'imiter
des idées. Surtout aujourd'hui où l'on constate que le1s
peuples commencent à prendre conscience de leur propre
originalité, l'imitation ainsi entendue ne présenterait plm;
qu'un intérêt I'étrospectif. La structure même des peuples
est a;ujourd'hui encore si différente que l'uniformité n'est
pas, en elle-même, désirable et, pour 'un peuple comme
pour un individu, la supériorité consiste à être diffé-
rent (1).
Quelles ont été, à l'époque moderne, de toutes les na-
tions, les plus imitées ? La France et l'Angleterre', et sur-
tout l'Angl,eiterre à travers la France. Mais précisément,
l'Angleterre est une nation inimitable ; pays de mœurs
lentement transformées, ellie n'a pu donner, par son
histoire, qu'un grand exemple, celui de n'imiter personne.
Il est de la méthode d'imitation une forme naïve et une
savante.
La première consiste à prendre pour modèle une nation
élue dans l'ordre du droit et à la suivre sur la route du
progrès comme le régiment marche derrière J;e tambour-
major qui donne le rythme et marque le pas. Mais où est
le tambour-major ? Et quelle nation serait aujourd'hui
assez modeste et assez dépourvue d'esprit critique pour
imiter une J.égislation étrangère. n nous semble que l'imi-
tation de M. Protitch est plutôt une politiqua d'adapta-
tion et c'est pourquoi il pouvait réussir s'il ne lui avait
manqué une chose prépondérante en politique, c'est-à-dire
le nombre.

(1) J. Brunhes et VaUaux, op. cit., p. 692. L'universalité de


la dernière guerre fait sentir que l'humanité moderne forme
1

un tout, mais un tout ne .veut dire ni une unité, ni une har-


monie, ni une fr.atern1té, ni une paix.
:.. . . . 145;..;,;;..

On peut citer encore des projets individuels et rationc


nel1s remarquables, comme celui de M. Smodlacka qui a
envisagé 10 provinces, et celui de M. Trombitch. quatre
provinces (1).
Seulement leurs projets ont eu le même sort que celui
de M. Protitch. La question de l'organisation de l'Etat est
plutôt une question de la vie pratique. Gomme telle, elle
demande des clartés, clartés qui ont été la manifestation
de la vie étatique de la Serbie.
En théorie, il est possible de combiner les dive,rsités
qui existent ,entre les Etats unitaires et les fédéraux, mais
il semble que la vie pratique demande le pl!us souvent des
décisions précises et claires. Voilà pourquoi on peut cons-
tater que,, dans la formation du nouvel Etat, 1es combi-
1

naisons logiques et scientifiques, quoique assimilées au


but politique, ont été repoussées par les partis et les hom-
mes aux décisions claires et simpl·es.
Le plus proche du point de vue 9ue nous avons men-
tionné se trouve le parti clérical! sliovène, ou encore mieux
le'Club yougoslave de M. Korosec : " Nous demandons les
frontières (limit.es) historiques de chaque province, dans le
but de défendre notre culture, notre vie politique et éco-
nomique. Nous estimons qu'il est nécessaire d'assurer
la continuité de notre culture, de, notre vie politique, et
pour cela de garder les anciennes provinces que l'histoire
nous a léguées ,, (2).
Comme conséquence, il envisage la délégation du pou-
voir législatif aux différentes provinces mentionnées dans
le projet du parti, notamment pour la Serbie, la Croatie,

(1) Tous les pl'Ojets soumis au Bureau de l'Assemblé,e cons-


tituante ont été étudiés d'une manière scientifique par M.
Politch, p.of. à l'Université de Zagreb, dans la Revue Mje-
secnik de Zagr,eb, n°• 1, 2, 3, 4, 5.
(2) Déclaration de M. Komsec dans la séance XV du 15 avril
1921.
10.
la Slavonie, la Bosnie-Herzégovine, avec la Dalmatie et là
Slovénie. Quel sera le nom dre cette organisation au point
de vue juridique '? A ce point de vue, M. Korosec n'est
pas explicite ; il déclare déjà au commencement de son
discours que son but n'est pas de· donner à son Etat une
organisation mécanico-juridique envisagée par les théories
scientifiques, mais fo principale chose qui l'intéresse est
de sauvegarder les droits de tous les citoyens. Le plus
explicite, à ce point de vue, était le parti - d'ailleurs
insignifiant par sa force numérique - le Narodni Club,
lorsqu'il énumérait les affaires communes de l'Etat sem-
blables à celles du oompromis de 1868, notamment les
affaires étrangères, l'armée, le commerce, etc ..
Ce projet .rappelile le plus une sorte de fédération des
Etats qui s'appelle l'Union réelle, c'est-à-dire une oom-
munauté contractuelle entre divers Etats autonomes qui
ont un même souverain (1).
Mais cette opinion, dont nous avons donné le point de
vue général, notamment la continuité des traditions his-
toriques, a été représentée par une minorité presque insi-
gnifiante. Une minorité qu'on peut dire sans valeur à
cause d'une étrange situation politique et parlementaire
créée par le parti paysan croate, dont le chef -- M. Raditch
- pratique, depuis son érection, la politique d'abstention
et d'obstruction (2). Et comme de pareilles questions ne
devraient pas se discuter dans la librairie de M. Raditch,
mais bien à l'Assemblée Constituante, nous regrettons de
ne pas pouvoir donner une opinion exacte de ce parti sur
l'organisation et la forme de l'Etat.

(1) En ce sens M. SI. Yovanovitch. Revue Knjizevni GlasniÉ.


Belg.~ade, du 13 mars 1921.
(2) Cependant dans les derniers temps, M.· Raditch et s.es
partisans s.e préparent à v.enir à Belgrade. V. Bulletin de la
Presse yougo.~lave, n° 38 du 10 déc. 1922.
Gn se basant sur l'opinion publique et les journaux quo
tidiens, il s'en suit qu'il demande une République croate
dans Lille Yougoslavie formée non seulement par les Ser-
Les, mais par lês Bulgares aussi. Notons encore le point
de VU8 du parti communiste qui a voulu introduire, coüte
que coüte, le système du Soviet Russe. Le résultat de leurs
ug1essions sans mesure, qui sont l'attentat contre le régent
etl'assassinat de l'ancien ministre de l'Intérieur, M. Drach-
kovitch, a été cle provoquer une réaction, une sorte d'acro-
batie politique, par la loi pour la défense de l'Etat du
i"raoùt 1921, la suµprnssion pure et simple du parti et la
condamnation d'un certain nornbr·e de députés mêlés dans
le complot anarchiste (i).
Tandis qu'autour de ce premier point de vue il exis-
tait des variantes plus uu moins différentes, l'entente a
été, on peut dire, complète entre la majorité parlemen-
taire et les partis socialistes et répu!Jlicains en ce qui
cuncernl' l'organisation prJlitique de l'Etat.
Le point de vue des partis gouvernl:'mentaux, ainsi que
celui des socialistes et républicains, a été juste l'opposé
du premier et se résume ainsi : Toute notre organisation,
soit politique, soit juridiqae, était, jusqu'à l'unité natio-
wzle, accidentelle. Cette organisation s'est rnaintenue par
une /or ce autre que la volonté nationale. Donc tout ce
qui e.ristait, surtout dans les provinces devenues lîbreis,
doü cesser d'exister. On a fait, au point de vue de l'orga-
nisation, une tabula rasa, contrairement donc à ce qu'on a
fait pour la question soulevée sur la souveraineté de la
Constituante, comme nous l'avons vu.
Les conséquences de ces considérations traduites en
pratique sont l'organisation unitaire, c'est-à-dire le cen-
tralisme politique.
" Nous voulons un Etat avec un souverain, avec un

(1) C'.!!te expre:o;sion signifie en 1nèrne temps, ri' après M.


~H8-

parlement et un gouvernement responsablies. Aucune idée


autre que l'idée unitaire de l'Etat n'est aussi répandue
dans notre nation. Cette idée a conduit les héros aux
champs de bataiLle. Cette idée t~xiste avec toute sa force
dans l'âme de ceux qui ont survécu à la dernière catas-
trophe mondiale. C'est elle qui a donné la résistance et
la force. à ceux qui ont souflert dans les pr.isons aust.ro-
hongroises et le dernier réconfort à ceux qui sont morts
dans les rochers d'Albanie. Elle vit encore aujourd'hui
dans les âmes affligées des parents, eHe est encore un
baume à leurs blessures, une conso,J.ation à leur profonde
affliction. Nous défendons cette idée par respect pour le
passé, pour la tombe des millions de nos enfants.
" Les autonomies portent le germe de dissolution de
notre Et.at. Nous ne sommes pas seuls dans l'Europe. Nos
ennemis s'efforcent, par tous les moyens, d'empêcher la
réalisation de notre unité nationale. On fait appel aux
Croates ou encore aux Serbes, mais contre qui, mes frères
irrMléchis ? L'un contre l'autre. C'est l'appel: des sectair2s,
appel indigne de notre temps. Nous, nous faisons appel
aux Yougoslaves.
" Les autonomies, continue l'un des chefs du pa.rti
démocrate, M. Davidovitch (i), ancien ministre, c'est
l'inégalité, si une région a moins de droit que l'Etat lui-
même. Nous demandons l'égalité de tous, non seulement
dans les droits, mais dans les devoirs. Nous ne voulons
l'hégémonie de personne. Les autonomies sont impossi-
bles dans notre situation ethnographique actuelle. n est
difficile de trouver un Croate qui pourrait imaginer la
Croatie sans la Syrmie, mais il y a peu de Serbes qui
voudraient que la Syrmie soit séparée de la Serbie. ,,
Dans son discours (2), M. Yovanovitch, député radical
et ancien ministre, déclare :

(1) Dans la séance XV du 15 avril 1921.


(2) Dans la séance XIX du 20 avril 1921.
-149-

cc On nous accuse, nous, Serbes, d'avoir peur des


anciennes provinces. C'est bien vrai et c'est avec raison
que les Serbes pourraient se demander pourquoi l'on
veut réunir en une province la Bosnie-Herzégovine avec
la Dalmatie (i). Nous savons que dans la Bosnie-Herzé-
govine la majorité relative est formée d'orthodoxes, puis
viennent les musulimans et ensuite les catholiques, mais
avec la réunion de Ia Dalmatie ce seraient les catholiques
qui l'emporteraient. Quelle est donc l'intention du parti
de M. Korosec ? Il demande la tradition historique et poli-
tique de la Slovénie. Mais quelle est sa tradition histo-
rique ? elle n'a commencé à être libre qu'à parti.r de 1918.
On demande lia tradition historique de la Voïvodine, con-
trairement aux vœux des habitants. Or, la Voïvodine
n'avait sa raison d'être qu'envers Budapec:;t et Vienne.
" Quelle est la tradition politique de la Bosnie-Herzé-
govine ? La tyrannie pendant des siècles, et de même
celle de la Serbie, et ainsi de suite. Ill faut laisser de côté
la tradition historique et prendre comme point de départ
la volonté nationale. Depuis notre unité nationale si chè-
rement payée, il ne faut pas regarder notre organisation
avec l'esprit et le point de vue de Budapest, ni avec !l'es-
prit qui se manifestait contre la Hongrie. Il ne faut pas
permettre à ceux qui étaient contre Budapest qu'ils soient
de même contre la Patrie. Il n'est pas raisonnable d'envi-
sag.er seulement les Croates quand on rédame des pro-
vinces, mais il faut envisageir aussi les Serbec: qu1 ne
v·eulent rien garder de ce que leur a légué l'Autriche-Hon-
grie.
cc Qu'est-ce qu'on peut trouver dans cette idée sacrée
du parti croate de vouloir faire une province de la Voïvo-
dine contre la vofonté même des Serbes qui l'habit.ent,
ou du Monténégro qui n'a jamais pensé à une autonomie ,,

(1) P.rojet du. Club yougoslave.


-150 -

Dans le même sens, l'ancien ministre>, député radical,


i\l. Yankovitch, a déclaré (1) :
" Nous ne voulons pas, après cette effroyable guerre
mondiale, continuer à vivre séparément. Nous ne voulons
pas les provinces à part qui nous ont séparés pendant
des siècles, nous voulons quelqtw chose qui nous unis-
sent. Autrement, on peut se demander quelle est alors la
raison de notre unité nat;onale, si chère à nous tous ?
Nous ne voulons pas les gouvernements provinciaux, nous
n'admettom. pas les traditions et les asnirations particu·
lières. Nous ne voulons pas, comme MM. Raditch, Koro-
sec, Drinkovitch, Schourmin (2), avoir une Serbie à part
clans une provinC;(>, et une Croatie dans une autre, et ainsi
de suite -- formule semblable aux formules autrichien-
nes qui ont gouverné notre pc:uple. Nous sommes co.nfrr)
les thèsr:s et conceptions autrichiennes, c1mceptions d'après
lesquelles il existe une langue bosniaqur.
" A près les sac.rifices immenses de notre nation, de
pareilir's conceptions n'ont plus droit it l'2xistence.
" L'Autriche-Hongrie nous a proposé, avant la guerre,
de nous réunir avec rlle, nous lui avons refusé quand elle
était il l'apogée de sa puissance. Nom; voulons ce qui est
implanté dans l'àrne et la conscience de notre nation. Nous
voulons un Etat unitaire', parce que nous sornrn2s urn?
seule nation, nuus dernanclon5 la centralisation politique
d la décentralisation administrntivr. "
lL: mênw Nl. Loukinitcli, députf> dérnocratr, dans son
discoure; (:3) plaide pour l'Etat unitain: PL déclal'e :
" Ceux qui réclament la reconnaiEsa1,ce des provinces
historiques prétendent expliquer la nécessité de continuer
la v.it~ politiq1w et économique, c'est-il-dire ils reconnais-

(l) Dam la s.éanee XXI du 21 avril 1921.


(2) Les deux derniers sont des députés d l'entente croate.
0

(;J) Dans l8 séance XVII du 18 avril 1921,


-151 -

sent qu'il existe des différences entr>e nous. Nous ne


sommes pas de cet avis. Et même, si on admet une diffé-
rence, ce n'est pas une raison pour la rendre encore plus
grande; mais bien pour permettre à tous de partager ce
qu'il y a de bon dans notre nation. Nous les Croates et
Slovènes du parti démocrate, nous sommes. heureux
d'avoir aidé à la réalisation de notre unit.é nationale par
le fait de cette Constitution. L'unité; qui a été pendant
des siècles le rêve de notre race. ,,
M. Pribitchevitch (1), député démocrate et ministre de
l'instruction publique, déclare que les Se.rbes, Croates et
Slovènes ne représentent pas des individualités . diffé-
rentes. " Entre nous, dit-il, il ne peut pas y avoir de
contrats, ni de compromis politiques, parce que nous
sommes une seule nation. ,, n justifie l'organisation uni-
taire de l'Etat pour arrêter la mentalité politique différente
qui se manifeste dans les différentes parties de la nation.
Il déclare notamment : " Une partie de notre nation de
l'ancienne monarchie a conservé encore un certain carac-
tère, une mentalité politique qui n'existe pas dans celle de
la Serbie. Chez nous, qui sommes de l'ancienne Autriche-
Hongrie, on aperçoit encore un sentiment de négation,
d'indignation et de destruction. Nous avons vécu pendant
des siècles dans un Etat qui nous était étranger. Tout ce
que nous donnions à cet Etat c'était par contrainte. Ce
sentiment doit être écarté aujourd'hui. ,,
M. Spalaikovitch (2), député radical et ministre actuel
1

en France, déclare : " Il y a des e·xemples, dans la vie


étatique des nations, de peuples de races différentes pour-
suivant une vie d'ensemble - comme par exemple la
Suisse. ~ Pour semblable réunion politique, le système
fédératif a sa raison d'être, il se conçoit bien. Mais pour

(1) J)ans la séance XXIX du 12 mai 1921.


(2) Dans la séance XXVIII .du 21 mai 1921.
-152-

la nation serbe, croate et slovène la situation est toute


différente. Nous ne sommes pas seulement de même ori-
gine, de même race, mais nous sommes une nation par-
lant une même langue. Dan<; notre passé le régime étran-
ger a voulu faire de nous non seulement deux peuples,
mais deux races distinctes, parce que c'était leur intérêt.
Le mom1mt est arrivé où il faut corriger l'intention de nos
ennemis. Quiconque s'oppose à notre tendance a l'intention
d'introduire le système autrichien, encore plus, il est
ennemi de la -paix en Europe. M. Raditch ,essaye d'induire
en erreur une partie des Croate,; comme le roi Ferdinand
a fait d'une pàrtie des Bulgares. ,,
Si on veut la continuité du droit public croate ou serbe,
déclare M. M.arkovitch (i), député radical et garde des
sceaux, elfo est garantie dans notre nouvel Etat. " Nous
ne chercherons pas la continuité dans les détails, nous
demandons la continuité d'ensemble. Nous sommes contre
la continuité de détail parce que c'est la négation de notre
unité nationale. " M. Vosnjak, député paysan slovène, a
déclaré (2) que notre Constitution a sa naissance dans les
émigrations. " La déclaration de Gorfou a supprimé l'idée
de la grande Serbie comme ceHe de la grande Croatie.
Nous ne cherchons pas une grande Slovénie, mais une
grande Yougoslavie qui est assurée par cette Constitu-
tion. ,,
M. Djonovitch, député républicain du Monténégro, a
déclaré (3), au nom du parti : " Nous partons du point
de vue que les Serbes, Croates et Slovènes sont une
seule nation. Invoquer les traditions historiques c'est
méconnaître et nier la démocratie. Ceux qui placent
la tradition au premier pfan sont des conservateurs.

(1) Dans la séance XVIII du 19 avril 1921.


(2) Dans la séance XX du 21 avril 1921.
(3) D1;1.n1S la séance LIV du 17 juin 1921,
-- l:J3 -

Nous avons eu dans notre histoire des moments indi·


gnes de notre temps, considérons qu'il n'y a personne
qui veuille les renouveler. Les différences entre nous ne
sont pas si grandes qu'on ne puisse vivre dans un Etat
également organisé pour tous. Nous ne voulons pas qu'un
de nous trois puisse gouverner les autres, nous ne voulons
pas le système prussien. "

Notons encore, pour être complet, la déclaration (1) du


d~puté paysan serbe, M. Lasitch, en faveur d'un Etat uni-
taire et celle de M. Divas, député sncialiste; ce dernier a
déclaré (2) : " Nous, socialistes, nous ne sommes pas des
particularistes. Le particularisme ne s'accorde pas avec
nos idées et nos principes. Nous ne pouvons pas compren-
dre aujourd'hui les séparatistes, chez eux il ne peut exis-
ter d'autre ligne de conduite que des considérations infi-
mes et personnelles. "
On voit donc bien clairement l'intention d'une grande
majorité parlement.aire quant aux principes généraux de
l'organisation politique de l'Etat et en même temps la
différence énorme qu'il y a entre les deux thèses, diffé-
rence dont le compromis, par la situation même de l'As-
semhJ!ée Constituante, était Join de pouvoir se réaliser.
L'opinion de la majorité peut donè être résumée ainsi :
Une nation doit avoir un Etat unitaire, l'Etat unitaire aura
pour résultat de faciliter l'unification des éléments à
part et en outre un Etat unitaire est pour les ennemis du
dehors plus fort qu'un Etat fédéral ou régional dans le
sens de M. Korosec.
Les idées opposées sont des idées autonomistes ou fédé-
rales avec une délégation législative. Idées qui ne croient

(1) Dans la séance IIV du 17 juin 1921.


(2) Dans la séance XVIII du 19 avril 1921. Les opinions deo
~lépl\tés m1Jsul.mans, novs Ies vernins plus loin.
-154-

pas au rôle de l'Etat dans le processus de l'unité nationale,


quoique l'idéologie de l'unité nationale soit incontestable
parmi les partisans de M. Korosec. La plus importante
question pour ces idées Pst dune la sauveganie, et par
conséquent la continuité, des traditions provinciales. On
voit en même temps que l'idée de la majorité parlemen-
t.aire, surtout dans ses réalisations pratiques, est beaucoup
plus simplP, et c'est peut-êtrP pour cette simplicité qu'elle
fut tout de suite favorablement acceptée par l'opinion
publique.
Les conséquencps dt' cPs opinions de la part des partis
gouvernementaux ont été la rédaction de l'art. 1. de la
nouvelle Constitution, qui est ainsi conçu : " L'Etat des
Serbes, CroatPs et Slovènes est une monarchit"l constitue
tionnelle parlementaire {"t héréditairt' "· La question de
fa forme monarchique a été résolue déjà au comme,nce-
ment des travaux préparatoires, comme nous l'avons vu.
En ce qui concerne le régime parlementaire, on sait
que le gouvf:~rnement parlementaire, par son jeu complexH
et délicat, échappe dans une largP mesure à une règlemen-
tation légale et vit surtout d'usages, de traditions, de con-
ventions communément aœeptées; néanmoins, sauf en
Angleterre, le gouvernement parlementaire voit ses prin-
cipes essentiels inscrits dans les Constitutions des divers
pays. C'est ainsi qu'il résulte de l'article i, que l'Etat
est une rnonaœchie parlementaire et constitutionnellP,
c'est-à-dire une forme de gouvernement dans lequel il y
,a un souverain qui règne sur un peuple qui se gouverne
lui-même et des rninistrps chargés d'exécuter, au nom
de la couronne, la volonté du pays exprimée par !"As-
semblée nationale. Enfin, la Constitution nouvelle pré-
sente le roi comme l'élément modérateur des partis et
l'investit du pouvoir dP dissolution, irnrantie presqu:>
nécessaire dans un F·ou vPrnement parlementaire, et en-
suite, elle assure une suffisante' séparation des pouvoirs.
Nous montrerons comment ces traits essentiels du ~rouver-
-155-

nement parlementaire se trouvent dans le texte de lia


Constitution de Vidovdan, en étudiant tour à tour l'orga-
nisation deis fondions, e:x;écutive, législlative et judiciaire.

Avant de passer à l'étude des différents pouvoirs de


l'Etat, il nous reste encore à traüer une question qui se
trouve dans l'article ier, à savoir le nom de l'Etat. L'ali-
néa 2 du même article, sur la proposition de. M. Marco-
vitch (1), député radical, ajoute : " Le nom officiel
de l'Etat est Royaume des Serbes, Croates et Slovène·s :
" Je ne vois pas pourquoi vous avez peur du nom de You-
goslavie quand, d'un autre côté, vous prêchez l'idée de
l'Etat unitaire " (2).
Mais iU n'est pas interdit d'employer le nom de Yougo-
sl!avie, l'expression " Serbes, Croates et Slovènes n est
une expression officielle justifiée, d'après M. Trifko-
vitch (3), ministre de la Constituante, pour .affirmer l'éga-
lité des trois noms traditionnels, pour respecter la procla-
mation du 1°r décembre et .surtout pour ne pa5 légiférer
dans ~'avenir.
Avant la réunion de la Constituante, tous les partis,
sauf le parti radical, étaient partisans du nom de Yougo-
slavie, mais avec l:a formation du gouver.nement de M. Pa-
chitch, un changement se produisit dans le parti démo-
crate à cause de la pression du chef du gouvernement qui
faisait de cette question une question de cabinet. Et alors
tous les arguments, d'ailleurs insuffisants, donnés par
M. Trifkovitch s'effacèrent devant le vœu du chef du gou-
vernement. Le parti pris (4) d'un homme d'Etat a fait intro-

(1) Dans la séance XIV du 19 février 1921 de la Commission.


(2) Déclaration de M. Kristan, député socialiste à la séan-
ce IV du 15 janvier 1921.
(3) Dans la séance XIV du 19 février 1921 de la Commission.
(4) St Protitoh : Critiqur: et polémiqne autour d~ la Consti-
tution. Belgrade, 1920, p. 8.. - Gràce à l'intervention décisive
duire dans la Constitution une bizarrerie qu'il est rare de
retrouver dans les annales constitutionnellies d'Etats sem-
blables. Ce paradoxe dans Je nom de l'Etat est contraire
non seulement au bon sens, rnais contraire à toutes les
dénominations des Etats d'Europe d'origine semblable.
Il est contraire au bon sens, parce que la nation yougo-
slave comprend non seulement les dénominations histo-
riques et traditionnelles (Serbes, Croates et Slovènes),
mais encore des dénominations locales ou reliigieuses (mus-
limani, hunjevci, etc), qui disparaîtraient plus facilement
devant un nom unique que devant le nom officiel de l'Etat
donné par la Constitution.
Le nom officiel est contraire ù celui de tous les Etats
d'origine semblable en Europe. En effet, l'Italie ne
s'appelle pas l'Etat des Piémontais, Toscans, Siciliens, etc.,
ni la Belgique l'Etat des Flamands, Wallons, etc., ni
l'Angleterre l'Etat des Ecossais, Anglais, etc ..
De même que s'il n'est pas obligatoire d'employer le
nom officiel de Serbe, Croate et Slovène, de même le nom
de Yougoslavie n'enlèvera pas la chère dénomination de
serbe, croate et slovène. C'est à la génération future de
résoudre cette question. Mais on ne voit pas vraiment
pourquoi donner à un Etat composé d'une nation yougo-
slave un nom incomplet et d'ailleurs dangereux pour
l'unité même, tandis que celui de yougoslave est plus réel,

de M. le Président du Conseil, ln question du nom officiel


est réso:Jue favorablement.
Notons que M. Protitch a adopté le nom de Yougoslavie en
changeant ses idées. (Article <l? M. Smodlaka : Le nom de
l'Etat, Revue J(n,iizevni Glasnik du 16 octobre 1H22 .... Notons
encor.e que pour le nom de Yougoslavie, sont les partis : répu-
blicain, le groupe Korosec, narodni club. paysan, yougoslave,
musulllYlan, s·oc:iaiistc, communiste, et certains démocrates
comme M. Tornljenovitch d'après les déclaration" faites
aux séances XIII et XlV des Hl et 19 U!vri.er 1921 - de la
Commission.
IJlus chèrern2nt prononcé par la plus grande partie rle5
intellectuels et d\m emploi plus facile à l'étranger (I), à
cause de sa simplicité même.
Notons que de la même tendance se distingue l'art. 2
aux termes duquel on lit : les armoiries du royaume sont.
l'aigle blanc bicéphal éployé sur écu de gueules. Les deux
têtes de l'aigle blanc sont sommées de la couronne du
royaume. L'aigle porte sur la poitrine un écu où figurent
les armes de Serbie, un écu de gueules à la croix d'argent
avec une pierre à fusil dans chaque canton; les armes de
Croatie, un écu échiqueté de vingt-cinq quartiers altern€s
de gueules et d'argent; les armes de Slovénie (2), un écu
d'azur à trois étoiles d'or avec six raies, au-dessous un
croissant blanc. Le drapeau de l'Etat est bleu, blanc,
rouge dans le sens horizontal sur une hampe verticale.
D'après l'art. :3, la langue officieHP du royaume est le
serbe-croate-slovène.

.. . . . . *. ~·

(1) On voit souvent emp1oyer ou bien le nom de Serbie (non


officiel) ou le nom de Yougoslavie, mais très rarement celui
de Hoyaume des Serbes, Croates et Slovènes.
(2) On peut .se demander pourquoi le lègislatenr n'a pa><
suivi jusqu'au hout son traditionalisme et accordé de la même
façon à la ville de Haguse son armoirie d'ancienne républi-
que et à d'autres villes dalmates comme à d'autres pr:ovinces
historiques leurs armoiries traditionnelle><.
TITRE ll.

Les Pouvoirs de 1.'Etat.

Cn fait anglais a inspiré à Montesquieu la doctrine de


la séparation des pouvoirs, et d'une donnée expérimen-
tale, la science politique n'a pas tardé à faire une vérité
incontestable et immuable, n'admettant ni exceptions, ni
tempéraments.
Ainsi la Constitution des Etats-Unis a voulu donner un
caractère absolu à la séparation du pouvoir exécutif 2t du
pouvoir législatif, pouvoirs cl'après elle parallèles et impé-
nétrables, car le Président, d'accord avec ses ministres,
pourrait gouverner pendant toute la durée de son mandat,
contrn le vœu du Congrès, tandis que le Congrès ayant
seul l'initiative des lois, serait libre de légiférer contre le
vœu du Président. N'était-ce pas organiser d'une manière
presque infaillible le conflit permanent dt"s deux pouvoirs ?
Assurément. Mais il est, aux Etats-Unis, entre le Congrès
et les ministres, un rouage intermédiaire (1) aujourd'hui
prépondérant dans le fonctionnement de la machine publi-
que : Les comités permanents du Sf>nat et de la Chambre

(1) .1. Bryce, /,a Rép11bli1111.1· A 1111'•ricainr, 'I\mrn 1. Le gouver.


11mnent national, p. :!:31.
-- 159 -

des teprésentants. C'est par ces cornités, élus par l'Assem


bl,ée ou nornrnés par le speaker, que s'exerce le con'trôl2
incessant, minutieux du Congrès sur l'actioIJ gouverne-
mentale et administrative; c'est avec ces Comités, dont les
Chambres ne font guère qu'enregistrer les décisions, que
les ministres négocient le vote deb. mesures nouvelles
d'ordre législ,atif ou financier. Ce n'est donc plus la sépa-
ration absolue, c'est le contact intime des pouvoirs et prns-
que leur fusion, quoique dans la Constitution améri-
caine on ne voit pas l'existence de ces Comités.
En théorie, la question de la séparation des pouvoin;
de l'Etat est restée imprécise. Du moment qu'iI fallait
déterminer les rapports entre les pouvoil's de l'Etat la
question devenait controversée (t). Cette controverse se
manifeste surtout parce que chaque auteur a l'intention de
concilier le principe de séparation avec d'autres principes,
sinon m·ec certains pro!Jlèmes politiques du pays. Par
suite que les principes et surtout les problèmes politiques,
s'il y en a, ne sont pas les mêmes «t souvent opposés chez
les écrivains, il est liien natmA que les controverses appa-
raissent quand il s'agit de déterminer la nature et les limi-
tes du principe de la séparation des poLivoirs. Ce principe
nous justifie la nécessité de la séparation des pmwoirs et
rien de plus.
Lorsqu'il s'agit de déterrn iner les liens e.t les rapports
qu'il doit exister entrP les différent~ pouvoirs de l'Etat,
ces principes nr• nons donnent pas une réponse satis-
faisante.
Il est préférable donc d'envisager, au point de vue pra-
tique, le rapport des pouvoirs de l'Etat. Déjà la Constitu-
tion de Serbie de 1835 déclare, dans son article 5, ainsi
conçu : " Les pouvoirs serbes sont au nombre de troi-:

(1) Sl. .Jovanovitcll. (h;nol'i Jil"ll.VW' tc111i.ic o Vr:ari. Bel-


grarte 19H, p. 193. (Le" bn:o:er; de la théorie j11l'idique de l'Etat).
législatif, exécutif et judiciaire ". Seulement, la séparat1ü11
n'existait pas encore. Le pot1voir exécutif appartenait
respectivement au prince et au Con~eil d'Etat, tandis que
le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire l'll troisième
et dernier ressort appartenaient au Conseil d'Etat seul.
Avec l'introduction du régime représentatif en 1869 et du
régime parlementaire en 1888, le Conseil d'Etat a perdu
les trois pouvoirs qu'il exerçait en fait et ils ont été répartis
à des organes indépendants.
La Constitution de HJ03, inspirée de celle de 1888, con-
sacre dans son article 146, le principe de la séparation que
le législateur du nouvel Etat n'avait pas l'intention de
changer. Il est ainsi conç.u : " Aucun pouvoir dans l'Etat,
ni législ!atif, ni exécutif, ne peut s'immiscer dans les affai-
res judiciaires et, réciproquement, les tribunaux ne pc~u­
vent participer à l'exercice du pouvoir législatif ou
exécutif. "
Le législateur, dans la nouvelle Constitution, >Sous le
titre Ù's pom•oirs dr l'Etat, envisage, conformément à la
pratique du droit public de Serbie, trois pouvoirs diffé-
rents. Après avoir posé en principe général, dans l'art. 45,
que tous les pouvoirs de l'Etat s'exercent d'.après les pres-
criptions de cette Constitution, ce qui signifie .aussi, d'.après
la déclaration (1) de M. Trifkovitch, ministre de la Com-
titution, qu'aucun organe qui n'est pas prévu par la Cons-
titution légalement, ne peut entrer Pn fonction, les .arti-
eTes suivants 116, 4î et 48 énumèrent les pouvoirs de l'Etat
et les organes auxquels ils sont attdmés.
Aux termes de l'article 4î, le pouvoir exécutif appartient
au roi qui l'exerce par ses ministres responsables, selon
les prescriptions de cette Constitution. L'article 46 à son
tour déclare que le pouvoir l!égislatif est exercé conjoin-
tement par le roi et l'Assemblée nationale, et d'après

(1) Dans la séant:e n ° LIV du 23 mars 1921.


- 161 ....,.-

llarticle 48 le pouvoir iudiciaire est exercé par les tribu-


naux, leurs arrêts et sentences sont rendus et exécu_tés au
nom du roi et en vertu de la loi. On voit donc que le légis-
lateur a expressément mentionné un troisième pouvoir,
le pouvoir judiciaire, conformément d'ailleurs à l'èsprit
des .constitutions antérieures, bien plus, l'art. 109 de la
nouvelle Constitution déclare que les tribunaux sont indé-
pendants. En rendant la justice, ils ne sont assujettis à
aucune autorité, mais jugent selon les lois.
Il existe donc dans le droit public yougoslave trois pou-
voirs de l'Etat, le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et
le pouvoir judiciaire.
Quant aux relations des deux premiers, nous les veil'rons
dans les chapitres suivants. lei, il nous reste à signaier
brièvement la relation du pouvoir judiciaire avec les pou-
voirs exécutif et législatif.
L'intervention du pouvoir exécutif dans le pouvoir judi-
ciaire est plutôt formelle. Notamment les se.ntences sont
rendues et exécutées au nom du roi (art. 48), il a le droit
de grâce et d'amnistie et, d'après l'art. Hi la nomination
des juges à la Cour de cassation et à la Cour d'appel! ainsi
que celle des présidents des tribunaux de première ins;
tance est faite par décret royal sur la proposition du Minis-
tre de Ia Justice, parmi les candidats choisis par un corps
électoral dont la composition sera déterminée par la loi.
D'autre part, en ce qui concerne les relations entre les
pouvoirs législatif et judiciaire, l'art. i09, que nous 11vons
mentionné, est clair. Etant donné que les tribunaux
sont indépendants en rendant la justice, ils ne sont assu-
jettis à aucune autorité, mais jugent selon les lois. Ici,
on peut se demander si l·es tribunaux, jugeant selon les
lois, peuvent refus,er d'appliquer une loi lorsqu'elle paraît.
être en opposition avec la Constitution ? Nous ne le
1~royons pas.

D'abord, ce serait contraire à l'art. 45, d'après lequel,


comme nous l'avons vu, tous les pouvoirs de l'Etat s'exer-
11.
èent d;apres les prescriptions de cette Constitution ; or,
un pareil droit n'est pas reconnu aux tribunaux, ensuiL·
un tel contrôle exercé par les tribunaux serait l'anéantis-
sement de la séparation des pouvoi·rs, base de l'organisa
tinn constitutionnelle et intention nette du législateur.
Le pouvoir législatif fait les lois. Le pouvoir judiciair.;
juge d'après les lois. Le pouvoir exécutif pourvoit à leur
exécution. Chacun de ces pouvoirs, que nous allons étu-
dier successivement, doit rester dans le cercle qui lui a é:é
tracé par la Constitution d'après l'art. 4:·) même.

Par conséquent nous diviserons ce titre en deux cha


pitres :
1° Le pouvoir exécutif,
2° Le pouvoir législatif et I.e pouvoir judiciaire.
.;;.... 163-

CHAPI'rRE PREMIER

LE POUVOIB EXÉCUTIF (UPRAVNA VLAST) ,1)

" Upravna ylast " ou, dans la terminologie française,


le pouvoir exécutif, administratif et gouvernemental,
appartient au roi (i) qui l'exerce par ses ministres respon-
sables, selon les prescriptions de cette Constitution. Nous
divisernns ce chapitre en trois sections :
a) Le roi et la régence,
b) Les ministres et les organes de l'administration cen-
trale,
c) La division administrative.

(1) Dans la terminologie yougoslave, « upravna vlast n com-


prend : les pouv,oirs exécutif, gouvernemental rt administratif,
que l'on peut, dans la terminologie française, soigneusement
distinguer. Donc, sous le titre " le pouvoir exécutif n, H faut
toujours 1oomprendre le pouvoir ,<i,dministr:atif et gouverne-
mental aussi. Dans la Constitution de 1903, le législateur a
nommé le pouvoir exécutif " izvrsna vlast >>, ce qui signifie en
français le pouvoir exécutif, tandi1s que l'expression " upravna
vlast » est plus étendue comme, nous l'avons menüonné,
Section 1. - Le roi et la 1·égence
Nous allons étudier successivement ces dispositions qui
sont d'ailleurs semblables à celles de la Constitution d2
1903:
§ 1. - La maison royale,
§ 2. - Les attributions du roi,
A) au point de vue législatif,
B) au point de vue exécutif.
§ 3. - Sa responsabilité,
§ 4. - La régencè.

§ i. - LA MAISON ROYALE.

Le roi des Serbes, Croates et Sliovènes est Pierre 1 Kara-


georgievitch (56). Son héritier est le prince régent Alexan-
dre., dont l'avènement au trône fut constaté le jour même
de la mort du roi Pierre, le 16 aoûi 1921.
D'après le même .article, la couronne restera dans la
descendance masculine de celui-ci,· issue de mariage légi-
time par ordre de primogéniture.
L'héritier du trône et le 11oi sont majeurs à dix-huit ans .
Ilévolus (art. 55). Et si le roi n'a pas de successeur mâle ?
D'après l'art. 56, alin. 2, ili désignera son héritier dans la
ligne collatéral!e avec l'assentiment de l'Assemblée natio-
nale. Pour cette décision, la moitié plus un du nombre
.. total des membres de l'Assemblée nationale est nécessair2,
c'est-à-dire la majorité absolue.
Si, d'après les prescriptions de -cette Constitution, le
trône restait sans héritier, le Conseil des Ministres pren-
drait en mains le pouvoir royal et convoquerait sur-lie-
ehamp V'Assemblée nationale dans une session spéciale où
l'on décider.ait du trône (67). De même en cas de décès ou
d'abdication du .roi, l'héritier du trône, s'il est majeur,
reçoit de suite le pouvoir et l'annonce par une proclama-
tion au peuple.
-- 165 -

Dans un délai de 10 jours, il prête le serment prescrit


devant l'Assemblée nationale. Si l'Assemblée nationale a
été dissoute précédemment et que la nouvelle n'ait pas
encore été élue, l'ancienne Assemblée nationale est convo-
quée (art. 65).
La maison royale se compose de la reine, épouse du roi,
des ascendants vivants et des descendants en ligne di recte,
1

avec leurs épouses, des frères du roi et de leurs


descendants avec leurs épouses, des sœurs du roi régnant.
Les rapports et le rang: des rnembres de la maioon
royale seront réglés par un statut qui sera légalisé. Mais
en attendant qu'un nouveau statut soit fait, le statut pres-
crit par le roi le 30 août Hl09 et publié dans le Journal
Officiel ire 26 févrie·r i9H reste en vigueur (art. i32).
Aucun membre de la maison royale ne peut être minis-
tre ni membre de l'Assemblée nationale (57). En ce qui
concerne le traitement du roi et de la maison royale, la
Constitution ne fixe pas le chiffre alloué, ce n'est pas non
plus la loi annuelle des finances qui le détermine.
D'après Fart. 68, la liste civile du roi e~t fixée par la l'oi;
une fois fixée elle ne peut être augmentée sans le consen-
tement de l'Assemblée nation.ale ni diminuée sans l'assen-
timent du 1·oi.

~ 2. --- LES ATTRIBUTIONS DU ROI.


Avant d'aborder les attributions proprement dites, men-
tionnons que d'après l'art. 58 le roi prête serment devant
l'Asstimblée nationale, de maintenir l'unité nationai:e et
l'intégrité de l'Etat, de respecter la Constitution et les
l'ois du pays, d'avoir toujours présent à l'esprit le bien du
peuple. 1~ roi ne peut être en même temps cheJ d'un autre
Etat sans l'assentiment de l'Assemblée nationale, mais si
Je r·oi, contrairement à cette prescription, accepte la cou-
ronne d'un autre Etat, il doit être considéré comme ayant
renoncé au trône du royaume des Serbes, Croates et Slo-
vènes (53).
Les attributions du roi sont de deux sortes : les unes
sont relativ·es au pouvoir législatif, les autres au pouvoir
exécutif et constituent ce qu'on appelle l'action gouver-
nemental.e.
A) Au point de vue législatif. - Le pouvoir législatif est
exer·cé conjointement par le roi et l'Assemblée nationale
(art. 46). Le rôle du roi, au point de vue législlatif, tend :
'soit à la mise en mou,vement de l'Assemblée nationale,
soit à la confection des lois.
i Mise en mouvement de l'Assemblée nationale. Le roi
0

a le droit :
a) de convoquer l'Assembllée nationale à tout moment,
selon les be·soins (art. 52, 5°),
b) de dissoudre l'Assemblée nationalie.
La question de convocation sera traitée plus loin à
l'occasion du fonctionnement du Parlement. Quant aux
droits de dissolution, d'après l'art. 52, al. 6, le roi a le droit
de dissoudre l'Assemblée nationale, mais le décret de
dissolution doit contenir l'ordre relatif aux nouvelles
élections dans un délai de trois mois au plus tard, avec
l'ord11e de convocation de l'Assemblée nationale dans un
délai maximum de 4 mois, à dater du jour de la d~sso­
lution de l'Assemblée.
Le décret de dissolution de l'Assemblée nationalfe est
· contresigné par tous les ministres d'après les règles que
nous verrons pllus loin.
2° Confection des lois :
Les pouvoirs du roi en ce qui concerne la confection des
lois sont de deux sortes :
a) Le droit d'initiative qui lui appartient tant ein ce qui
concerne les lois ordinaires que pour la révision des lois
constitutionnelles et qu'il exerce par Iles projets de lois
dépo«és en son nom par les ministres sur le bureau de
l'Assemblée nationale (78) ;
b) Le droit de .sanctionner et promulguer fus lois par un
décret reproduisant la loi même votée par l'Assemblée
nationale (art. 49, art. 80).
Nous nous bornerons pour l'instant à cette simple indi-
cation. Nous retrouverons cette matière en étudiant plus
loin la procédure de la confection des lois.

B) A.u point de vue exécutif. --- J_,es attributions du roi


au point de vue exécutif proprement dit sont l'es suivantes :
1° Le droit d'amnistie et de gràce.
Il y a une différence essentielle entre la grâce et l'amnis-
tie. L'amnistie fait disparaître non seulement la peine,
mais la condamnation et jusqu'à la criminalité du fait
commis ; c'est en quelque sorte l'oubli de tout ce qui s'est
passé.
La grâce, au contraire, opère simpJement la remiJse de
la peine : la condamnation subsiste et ellle compte notam-
rnent c~n cas de récidive, etc ..
L'amnistie doit sa première origine et son nom même
au besoin d'apaisement qui se produit naturellement au
milieu d'une nation après des luttes et des commotions
intérieures. C'est parfois une nécessité publique. Le moyen
juridique pour •Cela est l'amnistie qui peut effacer jusqu'à
!"existence des crimes et délits politiques. Mais comme elle
a pour effet de porter atteinte à la loi elle-même en ren-
dant cerne-ci rétroactivement inapplicable à des faits qu'elle
visait cependant, c'est au législateur seul qu'il appartient
naturellement et rationnellement le droit d'accorder l'am-
nistie.
Dans lia Constitution de Vidovdan, au con.traire, le droit
d'amnistie appartient au pouvoir e:xcécut:i:f.
L'article 50 déclare que le roi a le droit d'amnistie pour
les délits politiques et müit.aires. On a justifié oette attri-
bution contre l!es .amendements qui voulaient attribuer
l'amnistie au pouvoir législatif en disant que c'était une
nécessité pratique et immédiate de la situation politique
art:uelle et c'est >lenlement à cause de la procédure assez
- 168-

longue \1) <1ue la Commission Constitutionnelle a .attribué


le droit d'amnistie au pouvoir exécutif et qu'il a été adopté
par l'Assemblée Constituante.
lI existe doue une diffén:nce par rapport aux pratiques
françaises (2).
Quand l'amnistie peut-elle être accordée ?
Elle peut être accordée avant l'ouverture de la procé-
dure pénale, au cours de cette procédure, et après le juge-
1mnt définitif. Elle peut être générale ou individuelle
(art. GO). Une limitation au droit d'amnistie en quelque
sorte classique est reproduite dans l'alinéa 2 de l'art. 50 :
où il est dit que les ministres ne peuvent être amnistiés
qu'avec l'assentiment préalable de l'Assemblée nationale
et que cette amnistie ne peut porter atteinte aux droits des
particuliers à une indemnité (art. 50, al. 1).
Quant au droit de grâce, qui a pour but de réparer l'. 0

plus souvent les erreurs judiciaires, aucune critique n'est


possible constitutionneHernent contre l'usage qui, l'attribue
au pouvoir exécutif. Bien plus, comme nous le verrons
plus loin, les actes du roi engagent la responsabilité des
ministres, particulièrement celle du ministre qui contre-
signe le décret accordant la grâce. L'al. 3 de l'art 50, après
avoir déclaré que le roi a le droit de gràce, ajoute qu'il
peut remettre complètement, réduire ou atténuer la peine
prononcée. Une loi sm la procédure criminelle réglemen-
tera le droit de grâce pour I:es infractions qui ne sont punis-
sables que sur la plainte des particuliers.
2" Le droit de disposer de la foret' armée.
Le roi est le chef suprême de toutes les forces mili-
taires (49). Il' confère les grades militaires, conformément
aux dispositions de la loi, ainsi que les ordres et autres

(1) Déclar:aüon de :VL Secerov, député èlémoer.~Lte, à la


séance XL V, du 3 juin 1921.
(2) Art. 3, loî du 25 fév. 1875.
-169 -

distinctions. Il déclare la guerre et con cl ut la paix. La


déclaration de guerre n'est pas absolue. Si le pays n'est pas
attaqué ou n'est pas l'objet d'um" déclaration de guerre
de la part d'un autre Etat, le consentement préalable de
JlAssemblée nationale est nécessaire pour déclarer la
guerre (51). L'article 119, après avoir déclaré que le service
militaire est général aux termes de la loi et que l'organi-
sation et les effectifs de l'armée et de la marine sont fixés
par .la loi, ajoute que Je roi détermine par un règlement
sm la proposition du ministre de la guerre et de la marine
la formation des unités dans le cadre prescrit par la loi.
3° Il préside aux relations extérieures .
Le roi représente J'Etat dans toutes ses relations avec
les Etats étrangers (51). A cet égard, ses attributions sont
relatives aux agents diplomatiques et aux. traités. Quant
aux agents diplomatiques, la Constitution est muette.
Mais l'usage en est que c'est le roi qui accrédite les agents
diplomatiques de l'Etat et c'est auprès de lui que sont
accrédités les .agents diplomatiques des puissances étran-
gères.
Pour les négociations et ratifications de traités, à la diffé-
rence des sysUmies américain et anglais, la Constitution
de Vidovdan se rallie à un système mixte, notarnment pour
accorder au pouvoir exécutif le droit de négocier t.ous
les traités ; mais pour leur ratification, elle subordonne à
],'approbation du pouvoir législatif les traités les plüs
importants, semblable en cela à l'art. 8 de la loi franç.aise
de 1875. Il n'y a qu·une exception : pour la ratification de
conventions purement politiques, si elles ne vont à l'en-
contre ni de la Constitution, ni des lois de l'Etat, J1'appro-
bation préalable de l'Assemblée nationale n'est pas néces-
saire (79).
Donc les traités de paix, les traités de commerce et ceux
qui engagent les finances de l'Etat, c'est-à-dire ceux dont
l'exécution impose nécessairement et directement une
dépense pour l'Etat, les traités relatifs ù l'état des per-
-i'iO-·

sonnes et au droit de propriété des citoyens à l'étranger,


enfin ceux qui figurent exprPssément dans J'.art. 79, al. 2
et 3, les traités ayant pom· objet une cession, un échange
ou une .adjonction de territoire, même une convention
autorisant une armée étrangère à occuper le territoire ou à
le traverser, ne sont pas valables sans l'approbation préa-
lable de l'Assemblée nationale.
Il s'en suit qu'un trait;'.• d'alliancP peut ètre négocié et
ratifié définitivenrnnt par le rui (1).
4° Il nomme les fonctionnaires de l'l<:Lat.
Le rui 11omn1e les fonctionnaires de l'l~lat (ft\:l), mais CP
pouvoir n'est ni absolu, ni exclusif ; l'art. 105 déclare
formellement que la loi règlera les rnnditiuns dans les-
quelles seront nornrnés hJs functionnaiTes. Les services de
l'Etat sont institués d'après lr"s prescriptions de la loi. Le
pouvoir exécntif peut-il révo<ruer les fonctionnairPs? L'art.
108 est expli{'.Îte : Ü' f0ncti01ma.ire auquel la loi assure la
stabilité de son emploi ne peut être destitué contre sa
volonté sans un jugement d'un tribunal pénal de droit
eommun mi d'un tribunal disciplinaire.

~ :i. ·· · SA H.ESPONSABILITÉ.

La pl,rsonne du roi est inviolable (art. 55). On ne peut


le rendre responsablr ni exercer unA poursuite contre lui.
Le souverain est donc irresponsable devant l'Assemblée
nationale; d'une irresponsabilité absoliue mèrne pour les
délits de droit commun (2). C'est là une différence entre le

(1) Un arnende:ment en !-len:-; contraire n vait été donné par


::\1. Div ac, député socialiste, c 'e:<t-à-dire l'appmhation pour
tous les traités fut rejd{\e dan;.; ln H"<utce XX\' d.u '! mars 1921
de la Commission.
(:!) L'amendement dan!' le sens confraire formulé par M. Mn-
g.ovtchevitdi, député P<'Y">lll. fllt re.i<'t·é d~m~ la sé;ince XL\'
(hl :l juin 1921,
· chef du pouvoir exécutif yougoslave et le Président de la
République française ·ou même le Président de la Répu-
blique américaine qui, pàr les pouvoirs qui leur sont attri-
bués, ressemblent assez à mi monarque constitutionnel et
sont responsables des délits de haute trahison (i).
Cependant il y a une restriction naturelle dans la Cons-
titution de Vidovdan : savoir, Ji'irresponsabilité ne s'étend
pas aux biens privés du roi (55, al: 2). Par conséquent, le
roi et l'héritier du trône payent l'impôt de l'Etat sur leurs
biens privés (116).
Gomme conséquence de l'irresponsabilité du chef de
li'Etat, l'art. 54 déclare qu'aucun acte du pouvoir 11oyal
n'est valable et exécutoire s'il ne porte le contreseing du
ministre compétent. Le ministre compétent répond pour
tous les actes du roi, oraux ou écrits, contresignés ou non,
ainsi que pour tous ses actes de caractère politique. Le
ministre de la guerre et de la marine est responsabl!e de
kms les actes du roi en sa qualité de commandant suprême
de l'armée. On voit en somme que les pouvoirs conférés
par la Constitution de Vidovdan au monarque considéré
comme dépositaire d!u pouvoir exécutif ne diffèrent guère
par ces prescript~ons, des prérogatives que les Constitu-
tions de l'Angleterre, de la lt,rance et des Etats-Unis con-
fient respectivement dans ces nations au chef de l'Etat (2).

§ 4. - LA RÉGENCE (NAMESNISTVO)

Deux questions préliminaires se posent. D'abord, i:e roi


peut-il sortir du territoir·e de l'Etat ? Ensuite, comment

(1) Art. 6, loi du 25 fév. 1875.


(2) Notamment, le ehef du pouvoir exécutif est investi de
la d:iredion des relati<ons diplomatiques, ou commandement
des fo:roes de terre et de mer, du soin d'assurer sa sécurité
personne:lle, comme •on le verra. plus loin, de veiller à l'exécu-
-172-

se fera l'exercic@ du pouvoir éxécutif pendant l'absence du


roi s'il peut sortir ? Le droit de sortir du territoire natio-
nal n'est pas expressément reconnu par la Constitution.
L'art. 59, après avoir déclaré que le roi réside en perma-
nence dans lo pays, ajoute : S'il est 11éces:saire qu'il
s'absente pour peu de temps du pays, l'héritier du trône
le remplace de droit et, comme les cas de nécessité ne sont
pas déterminés, ils dépendent de la volonté du pouvoir
exécutif. Mais, si l'héritier du trône n'est pas majeur, ou
s'il est empêché, alors le roi sera remplacé par le Conseil
des ministres. Les mêmes dispositions sont applicables au
cas d'une maladie du roi, si cette maladie n'entraîne pas
une incapacité permanente. Le législateur a limité le
pouvoir exécutif des Conseils des ministres quant au
délai - - qui ne peut durer plus de six mois -- et quant aux
pr,érogatives de dissolution de l'Assemblée nationale.
L'al. 2 de l'art. GH déclare que pendant l'absence du roi
ou de l'héritier dn trône, Je Conseil des ministres n'a pas
le drnit de dissoudre l'Assemblée nationale. Quant à la
durée de six mois, on a prétendu avec raison qu'elle est
un peu longue et que des difficultés peuvent surgir en cas
de crise ministériell'e.
L'al. a du même article, en posant la règle du délai de
six mois ajoute : passé ce délai les prescriptions constitu-

tion des lois, de non1mer aux e1nplois public!", et posl-'ède un


pouvoir d'int'.'rvention plus ou nwins grand en niatière légis-
lative, surtout en ce qlli concerne Je droit d'amnistie. La com-
nrnnication avec la Chambre législative, en cas de convocation
ou de clôture des sessions, s'opère par un dis,cours du trône,
lu personnellement ou IJieu par l'organe du Conseil des Minis-
tres, au moyen cl 'un message ou (lécret (52) oontresigné par
tous les Ministrei-. Elle s'opè.re aus;:i par les projets de loi qui
sont présentés après autorisation royale par le Conseil des
Ministres ou par les différents Ministres (78) et d'aprè:;; l'art.
80, par un décret pour promulguer les loiO' reprod.ub,~rnt la loi
mèrne V{Jtée par l'As:::emblée natkmale,
- 173 --

tionnelles sur la régence entrent en vigueur. Quand


pouvoir ruyal <~st-il exercé par une régence ?
l~n dehors des cas prévus par raL 3 do l'art. 5H, il existe.
des cas envisagés par les art. 60 et 66.
t Lorsque le roi est mineur.
0

2° Lorsqu'en raison d'une maI:adi.e mentale ou physique


il se trouve incapable d'une façon permanente d'exercer
le pouvoir royal.
8° Si le roi défunt ne laisse pas de descendant mâle et
que la reine se trouve e r ceinte au moment de la mort du
roi, l'Assemblée nationale élit provisoirement des régents
qui exerceront le pouvoir royal jusqu'à Faccouchern2nt,
de même dans le cas où l'héritier du trône mourrait lais-
sant sa frrnmf~ enceinte (06).
Dans le premier cas, les régents veilleront à l'éducation
du roi mineur. Les tuteurs désignés par le testament du
roi gèreront les biens du roi mineur. Si le roi défunt n'a
pas désigné de tuteurs, les régents les nommeront d'accord
avec le Conseil d'Etat (63).
Dans le deuxième cas (incapacilt~ permanente du roi),
l'ai. 3 de l'art. 60 déclare que Je Conseil des ministres en
fera part à l'Assemblée nationale en lui communiquant
l'avis de trois médecins pris dans les Facultés de médecine
du pays.
On procèdera de la rnème façon lorsqu'il s'agira del'héri-
tier du trône et dans le troisième c.as, notamment, lorsqu'il
s'agira de la grossesse de la reine.
A qui appartient l'exercice de la régence ?
D'après Fart. 6t, il appartient de droit à l'héritier du
trône s'il est majeur. Si l'héritier du trône, pour un8 des
causes énumérées il l'art. 60 (minorité ou incapacité per-
manente), ne peut pas exercer le pouvoir de la régence,
l'Assemblée nationale décide par un vote secret de l'orga-
nisation et de la fin de la régence.
Pour l'organisation, l'Assemblée nationale élit par un
,_ 174-

voto secret trois régents du royaume (i). En attendant


l'élection des régents, le consern des ministres exe·rcera
temporairement et sous sa responsabilité le pouvoir royal.
Les régents du royaume. sont élus pour quatre années.
(J) Passé ce délai, dans le cas où la régence devrait être
prorogée au moins d'une année, une nouv€llie élection aura
lieu. Si la régence doit durnr plus longtemps, l'élection
se fera encore pour quatre années. L€s régents ne peuvent
être que Serbes, Croates ou Slovènes de naissance, ci-
toyens du royaume des Serbes, Croates et Slovènes, âgés
d'au moins 45 ans, et avoir une instruction supérieure.
Ils prêtent serment ù l'Assernb1ée nationale qui les a
élus d'être fidèles au roi et de régner selon la Constitu-
tion et les lois du pays. (2)

Section II. · Les ministres et les m.qanes


rie tadrninistratiou centrale.

Nous allons voir successivement :


§ L Le conseil des ministres,
Le conseil d'Etat,
Le contrôle prineipal.

(1) Dans l'Iüs:!oire d n droit public de· Serbie, il y a eu deux


cas de Régence. Le premier après l' assas<Sinat du prince Mi-
chel en 1868, Blaznavac, Ristich, Gavrilovitch, et le deuxième
après l'abdication du I'Oi Milan, en 1889, Ristitch, Protitch,
Belirnark ovi tch.
L'amendement de M. Ivanitch, diss,ident radicaI, proposant
que la .régence soit composée d'une personne, est rejeté dans
la séance XL VII du 6 juin 1921.
(2) Donc, eu définitive, la régence ne peut être instituée que
~i le roi ou l'héritier du trône est vivant, ou pendant la gros-
sesse de la reine. Si le trône reste sans héritier, c'est l'art. 67
qui s'applique comme nous l'avons indiqué plus haut. Aj·ou-
tons encove l'art. 6.2,. d'après lequel, si l'un des trois régents
est temp·oraireu:nent ·absent ou empêché, les deux autres ré-
s L -· L~; CONSEIL DES MINISTRES (MINISTARSKI-SAVET)i
D'après la Gonstitution de Serbie de 1835, les minis-
tres (1) étaient, de droit, membres du Conseil d'Etat et
dépendaient de lui et de son autorité. Il y avait six dépar-
tements ministériels : Instruction publique, Intérieur,
Finances, Anaires étrangères, Guerre, et Justice. Leur rôle
était d'exécuter les 1ois votées par le Conseil d'Etat. Avec
la Constitution de 1838, il y avait quatre départements
ministériels : Finances, Jus.tice, Intérieur et Affaires étran- ·
gères. Ce dernier seul était soumis à l'autorité du prince,
tandis que les trois premiers dépendaient conjointement
du Conseil d'Etat et du prince.
Depuis 1861 (organisation du Gonsei.~ d'Etat), la situ;;i-
tion juridique des ministres est différente. Ils ont le pou-
voir exécutif délégué par le prince et qu'ils exercent en son
nom, ils sont nommés et révoqués par lui. Avec la loi orga-
nique du pouvoir central de 1862, la compétence des Con-
seils des ministres est nettement déterminée et divisée en
sept départements ministériels : Justice, Instruction publi-
que, Cul'tes, Affaires étrangères, Intérieur, Finances,
Guerre, auxquels s'est ajouté, en 1882, le· ministère de
1'Agriculture.
Depuis les Constitutions cfü 1869, 1888, 1901, 1903, la
situation, par rapport à l'Assemblée nationale d'un côté
et au chef do l'Etat de l'autre, a été réglée d'après les
principes par1ementaires.
A côté du souverain, les ministres nommés pa'I' Je roi
d'après l'art. 90 de la Constitution de Vidovdan, exercent

g1mts pourvont expédier le.s affaires de l'Etat, et l'al. 2 de l'art.


68, d'après 1equeI le1s régents· pen,dant l'exercice de• Ieu;r
charge, recevront de 1a caisse de l'Etat fa somme qui leur
aura été assignée par l'Assemblée nationale au rnom?nt de
l'élection.
(1) On les appelait en serbe cc popetchiteli "·
eh .fait la plupart des fonctions attribuées au chef de l'Etat.
Ils ont dans la relation et l'a vie des pouvoirs de l'Etat,
une très grande influence, parce qu'ils occupent une posi
tion interméd~aire entre le chef de l'Etat et le Parlement
dépendant des deux et reproduisant dans leur composition
les courants dominant dans l'Assembl!ée nationale.
En somme, le ministère constitue ici, ainsi qu'en France
et en Angletene, un pouvoir à part et distinct de celui qui
appartient au chef de l'Etat. Nous ferons connaître suc-
cessivement l'organisation du ministère, les attributions
et la responsabifüté ministérielles.
A) Organisation. --- La réunion des ministres constitue
un organe ayant unité de vues, de direction et une respon-
sabilité collective, qui prencj le nom, en France, de Conseil
des ministres ·et correspond au Cabinet anglais. L'ensem-
ble de tous lies ministres forme le Conseil des ministres
qui est soumis directement (1) au roi (90).
Les ministres sont placés à la tête des différents ressorts
de l'administration de l'Etat. Les divers départements
ministériels ont subi des variations foéquentes et leur
nombre s'est accru surtout depuis l'unité nationale.
Au moment présent, il y a dix-huit départements minis-
tériels qui sont, outre la présidence du Conseil : Affaires
étrangères, Justice, Equivalence des lois, Intérieur, Ins-
truction publique, Finances, Politique sociale, Hygiène,
Agriculture, Eaux, Réforme agraire, Commerce et Indus-
trie, Forêts et Mines, Postes et Télégraphes, Guerre et
Marine, Voies de communication, Cultes, Construction.
Quant aux conditions d'âge, de capacité, la Constitution

(1) Cette expressio011 signifie en même temps, d'après M.


· Trifkovitch, que le roi n'est en rapport qu"avec les minisfres
·et non ave1c leurs chefs du bureau, comme c'était l'usage
sous les Constituttons de 1888 et 1903. Dans la séance XXIX
du 10 mars 1921 d'.e la Commiss1on.
;.._ 177 -

sü tait, sauf à l'art. 57, qui porte interdiction expressément


aux menwres de 1.a ma1::;on royale (1). L'art. \:JU, at. ;(,, aJuUte
qu'tl. peut y avou· aussi des m mstres sans pone1eu111e.
1

Une nouvelle institution, originaire d'Angieterre, vient ci.e


s'u11p11a11ter dans la Const1tut10n de Vlàovuan, c est nnsti-
tut10n des sous-secrétaires d'.l!.;tat qui n'existaient pas Cians
la Cousntuuon ctie HJV.:l. L aunea 6 uu rneme aI'LlG1e dJUUte :
On peut, sewn Jes oesmns, mstnuer aussi auprns ues
mimstères des sous-secreta1res (fl!.:tat, pour une partie
détermmée des anaires de leur ressort. Les sous-secrétaires
d'J:<_;tat, pris dans le sem de l'Assemniëe, ne perctent pas
leur manuat. L'art. 84 parle unpl1citement des comm1s--
saires du gouvernement qui sont généralement désignés
pour assister les mmistres dans la d1scuss10n des projets
de loi ooncernant les services qu'ils d1ngent. Ce meme
a'fticle donne le droit au commissaire de gouvernement,
comme à tous les membres de l'Assemblée exclusivement,
de prendre la parole à l'Assemnlée l\at10nale. Avant
d'entrer en fonctions, les ministres prêtent serment de fidé-
lité à la Constitution et au roi (90, al. 5).

B) Attributions. - Les ministres ne sont pas titulaires


du pouvoir exécutif. Ils ne sont que les fonctionnaires
supérieurs de l'Etat. Néanmoins le Conseil! des ministres
est investi du pouvoir exécutif dans les 4 cas déjà mention-
nés. Le rempliacement s'effectue aux termes des instruc·
lions que le roi donne dans les limites de la Constitution.
i0 D'après l'art. 59, quand le roi est absent du pays
jusqu'à 6 mois inclus et si l'héritier du trône n'est pas
majeur, le roi sera remplacé par le Conseil des ministres.

(1) L'amendement de M. D}onovitch, député républicain,


mentionnant expressément que les ministres doivent être pris
au sein de l'AS1Semblée est rejeté, dans la séance XXIX d:u
10 mars 1921 de la Commissi.on. Il s'agissait surtout du p1orte-
feume de la Guerre.
12.
--178 -·

2° En cas de maladie du roi, si cette maladie n'entraîn~


pas une incapacité permanente.
;3° Avant l'élection des régents, sïl y a lieu (64).
4 ° Si J.e trône restait sans héritier .i usqu'à la convocation
de l'Assemblée nationale (ffi).
Mais si les ministres ne sont pas en principe les déposi-
taires du pouvoir exécutif, ils en ont l'autorité réel le.
Ce sont eux, en effet, qui préparent toutes les mesures qui
forment l'objet des décrets royaux et les présentent à la
signature~ du chef & l'Etat. lls doivent les contresigner
pour qu'ils aient force exécutoire (51t). Ce sont eux seuls
qui en assument toute la responsabilité. Ils nomment les
fonctionnaires subalternes de l'Etat aux termes des pres-
criptions de la loi (90). Enfin, ils servent d'intermédiaires
forcés entre le roi et le pouvoir législatif. D'après l'art. 83,
l'AssembMe nationale ne communique directement qu'avec
les ministres. L'intervention des ministres devant l'Assem-
blée se produit notamment pour soutenir les projets cle
lois déposés après autorisation royale par le Conseil des
ministres (78) ou pour répondre aux questions et aux inter-
pellations qui leur sont adressées par les membres de
l'Assemblée nationale (82).
Les ministres sont tenus de répondre au cours de
la session et dans un délai fixé par lie règlement. La Cons-
titution ne distingue pas, quant à la dur-ee dl:l la réponse,
entre les interpellations ayant trait aux relations extérieu-
res et celles ayant trait aux affaires intérieures.
Les actes des ministres dans leurs relations avec le chef
du pûuvoir exécutif, consistent : dans des rapports et des
propositions au roi et dans le contreseing qu'ils apposent
sur les décrets. A l'égard de leurs subordonnés, les actes
des ministres consistent dans des instructions soit indivi-
duelles, soit circulaires destinées à imprimer à tout l'orga-
nisme administratif };a direction politique fixée par le gou-
vernement. A l'égard des simples particuliers, leurs admi-
nistrés comme chefs de l'administration dans leur départe~
thent, les ministres ag-issent par voie d'arrêtés ministériels.
Le ministre a-t-11 qualité pour faire les règlements néce.s-
saires à l'application des lois ? Dans la Constitut10n, ce
droit n'est pas formeUement rnconnu, donc c'est l'art. 94
qui s'appl.14ue : le pouvoir exécutif peut éd,1cte.r .les règle-
ments nécessaires à l'applic:ation des lois. Mai5 le pouvoir
exécutif ne peut régler !es rapports par des règiements
ayant force de loi que sur la base d'une autorisation légale
donnée distinctement pour chaque cas.
Quant à leur application, d'après l'al. 3, les règlement'>
ne doivent pas être en contradiction avec la Constitution
ni avec la liai pour laquelle ils ont été édictés. Ils ne peu-
vent pas être non plus en contradiction avec l'autorisation
légale sur la base de laqueUe ils ont été prescrits. Les règle-
ments doivent être publiés et reproduire chaque fois la loi
sur la base de laquelle ils ont été édictés, (art. 94, ali. 5).

C) La responsabilité ministérielle. - Les règles oonsti-


tutionnell'es sur la responsabilité ministérielle proviennent
de la Constitution de 1903, dont les fondements généraux
se trouvent déjà dans la Constitution de 1869 et dans la
1

loi sur la responsabilité ministérielle du 30 janvier 1891 (1).'


Ces règles sont en vigueur encore aujourd'hui d'après.
l'art. 131 de la nouvelle constitution qui est ainsi conçu :
En attendant les lois sur l'organ;sation des ministères, du
Conseil d'Etat, du Contrôle principal, du règlement inté-
rieur du Conseil d'Etat et de la responsabilité ministérielle,
la législation correspondante du royaume de Se rbie sera1

provisoirement étendue à tout li'Etat. Nous aBons donc


envisager la question de responsabilité ministérielle au
point de vue du droit constitutionnel de Serbie. D'après ce
droit, il y a lieu de distinguer la responsabilité politique, la
responsabilité .civile et la responsabilité pénale.

(1) Analyse dans !'Annulaire de 1891, p. 758.


b'abord· la responsabilité politique des ministres est
envisagée déjà par la Constitution de 1888 et ceHe de rno3
(art. ii:lo) et se trouve dans la Constitution de Vid10v-
dan a.ans l'art. 91, al. 1, amsi conçu : Les ministres sont
responsables vis-à-vis du roi et de l:Assèmblée. nationale.
La responsabilité politique des ministres devant l'Assem-
blée nationale, qm, en quelque sorte: complète la respon-
sabilioo pénale, mais qui diuère quant à la procédure
technique, consiste dans la néce·ssité où se trouvent les
ministres dei démissionner lorsqu'ils ne possèdent plus la
confiance de lia majorité du Parlement et dont l'efticacité
pratique se trouve dans l'art. 113, al. 3, dlaprès lequel
rAssemblée peut rejeter les crédits (chapitres) proposés
par le gouvernement. ·
La responsabilité civile des ministres peut être envi-
sagée dans le droit constitutionnel de Serbie à deux points
de vue, par rapport à l'Etat et par rapport aux particu-
liers. Par rapport à l'Etat, la responsabilité civile du
ministre pourrait résuliter du fait d'un ministre qui enga-
gerait des dépenses sans ouverture de crédits votés par
~'Assemblée nationale. Le texte est l'art. 9 de la loi 1891
sur la responsabilité ministérielle ainsi conçu (1) : En
dehors des responsabilités pénales que cette loi envisage,
le ministre est responsable civilement pour les dommages
causés soit à l'Etat, soit à des particuliers. La compétence
sur lia responsabilité civile· .appartient aux tribunaux ordi-
naires. Sur la compétence même, la loi de 1891 et lia Cons-
titution de 1903 sont mueUes. Dans le droit public de
Serbie, le Tribunal d'Etat, que nous verrons plus lom,
est une institution ad hoc, c'est-à-dire instituée seulement
pour la respon.sabilité pénale, sans s'occuper des domma-
1

ges matériels.

(1) M. Kasanovitch La ResponsabiUté ministérielle. Bel-


grade 1911, p. 199.
Le tribunal d'Etat peut constater les dormnages maté-
riel1s mais sur l'e jugement, il est inoompétent.

La Constitution de Vidovdan, en introduisant un sys-


tème nouveau, est plus explicite sur cette compétence
dans les art. 18 et 91. L'art. 18, sous le titre : " Droits et
devoirs fondamentaux des citoyens "• dans son alinéa 3,
introduit dans le droit public yougoslave un principe nou-
veau qui, jusqu'ici, n'existait pas : " L'Etat ou le corps
autonome est responsable devant les tribunaux réguliers
des dommages causés aux citoyens par l'exercicB irrégulier
des fonctions de leurs organes ,, . Ces organes sont respon-
sables envers l'Etat ou le corps autonome.
Etant donné que, c'est un principe général' (1), il: s'appli-
que à tous les fonctionnaires de l'Etat et par conséquent
aux ministres. Bien plus, l'art. 91, dans son al. 2, déclare
que " l'Etat est responsable des dommages causés par les
illégalités commises par les ministres dans l'exercice de
leurs f:onctions. n
Donc, l'art. 18, en reconnaissant la compéte.nce pour les
dommages matériels des tribunaux régufüers, introduit
le principe de la " responsabilité de l'Etat ,, pour les dom-
mages causé aux citoyens par lt>s organes dans l'exercice
de leurs fonctions.
Le recours en indemnité se prescrit par neuf mois et tout
citoyen qui a été victime d'un délit commis par un fonc-
tionnaire de l'Etat, ou des corps autonomes dans l'exercice
de ses fonctions, a le droit de porter plainte au tribunal
directement et sans autorisation de personne (al. 4 et 1).
Mais quoique la responsabilité de l'Etat et l!a compétenGe
des tribunaux ordinaires soient absolues pour tous les
fonctionnaires, la procédure, c'est-à-dire d'après l'al. i,

(1) Déclaration d.e M. Markoviteh, rapporteur, dans la


séance XXX du 25 mai 1921.
- 18~-

·1a p1ainte qui peut être portée directement et sans autori-


sation de personne, n'est pas absolue.
L'al. 2 du même article ajoute : des prescriptions spé-
ciales sont applicables aux ministres, aux juges et aux
soldiats sous les drapeaux. Quell'es sont ces precriptions
spéciales ? Le législateur n'a pas donné une explication
nette en considérant en générai: la question de la respon-
sabilité ministérielle comme une attribution de l'Assem-
blée ordinaire, c"est-à-dire d'une loi sur la responsabilité
ministérieHe (i).
Ici, on constate donc, en ce qui concerne la compétence
des tribunaux, une différence quant aux responsabilités
civiles des ministres par rapport à un particulier avec la
pratique française d'ailleurs elle-même controversée. En
droit français, théoriquement rien ne s'oppose à ce qu'un
ministre puisse être poursuivi et condamné à des dom-
mages-intérêts, soit au profit de l'Etat, soit au profit
d'un particulier, en vertu du principe· de l'art. 1382 du
code civil ; en pratique la responsabilité civile des minis-
tres en droit public français n'a pas de sanction, parce
qu'il n'existe pas de juridiction compétente pour statuer
sur une pareiHe question.
Les tribunaux judiciaires sont naturellement incompé-
tents, en raison du principe qui les empêche d'apprécier
la légalité des actes administratifs ; d'autre part, pour des
raisons qui leur sont propres, aucun tribunal adminis-
tratif, ni le Conseil: d'Etat, ni la Gour des comptes, ne pour-
raient connaître un semblable procès (2). Dans le droit
public yougoslave, au contraire, par l'existence du prin-
cipe de la responsabilité de ]'Etat, la question de dom-
mages-intérêts est renvoyée devant les tribunaux civils,
leurs juges naturels (art. i8, al. 3).

(1) Déclaration de M. Demetilovitch, rapporteur suppléant,


dans la séance LIV -du 17 juin 1921.
(2) Esmein, p. 852.
-- 1SS -

l<~n ce qui concerne, troisièmement, la responsabilité


pénale des ministres, elle est envisagée dans la nouvelle
Constitution par les .articles 91, 92, 93. Ces .articles pré-
voient un autre système que les art. 135-139 de la Cons-
titution de 1903 et la loi sur la responsabilité ministé-
rielle de 1891. Notamment, au lieu d'énumérer l.es délits
pour lesquels les ministres sont responsables, la
nouvelle Constitution pose un principe général dans
l'article 9i, alinéas 1 et 2, ainsi conçu : Les ministres
sont responsables, vis à vis du roi et de l'Assemblée
nationale. Le roi et l'Assemblée natron.ale peuvent mettre
en accusation les ministres pour infraction à la Consti-
tution et aux lois du pays commise dans l'exercice de
fours fonctions. Mais pour les infractions non prévues
par le Code pénal, les peines seront déterminées par une
loi sur la responsabilité des ministres, ainsi que les pres-
criptions plus détaillées (art. P3, al. 2 et 3). Etant donné
que cette loi n'est pas encore votée, et que la responsabilité
du droit constitutionnel de Serbie est en vigueur d'après
les règles do l'art. 131, nous citons les déliits spécialement
prévus par la Constitution de 1903 et la loi de 1891.
Ils sont au nombre c!e sept :
1° Pour trahison envers la Patrie et le souverain.
2° Pour violation de la Constitution et des droits garan-
tis aux eitoyens.
3° Pour prévarications.
4° Pour préjudice porté à l'Etat dans un hut d'intérêt
personnel.
5° Pour violation de la loi électorale.
6° Pour empêchement des décisions eX<écutoires.
7° Pour induit en erreur de mauvaise foi et au préju-
dice des intérêts publics, de la représentation nationale et
du souveraill.
En ce qui concerne donc le pouvoir diP mettre en accu-
sation un ministre, la nouvelle Constitution a maintenu
-184-

la tradition du droit public de Serbie. Comme lia Serbie


était une monarchie unicamérale, ce droit appartenait
au monarque et à l'Assemblée nationale. La procédure de
la mise en accusation est aussi la même d'après l'art. 92,
alin. 3 .: Lorsque l'accusation contre un ministre est portée
par l'Àssemblée nationale, la décision déférant celui-ci
au tribunal doit Hrn prise à la majorité des deux tiers
des membres présents.
Pour la proposition tendant à mettre un ministre en
accusation d'après l'art. 137 de la Constitution de 1903, il
fallait la signature d'au moins vingt députés. La nouvelle
Constitution est muette sur cette question, elle mentionne
seulement que la proposition doit être faite par écrit et
énoncer les faits d'accusation (aJi. 2 de l'art. 92).
Le législateur a laissé cette question à une loi sur la
responsabilité ministériefüe.
Par qui les ministres sont-ils jugés ?
Le système du droit public de Serbie à ce point de vue
diffère des systèmes anglais, français, italien et espagnol,
où le tribunal est composé par la Chambre Haute ou Sénat
et du système alilemand où le jugement des ministres est
déféré au tribunal ordinaire; il se rapproche des systèmes
autrichien, bulgare, etc., dans lesquels il est institué, pour
chaque cas spécial, une Gour d'Etat (Tribunal d'Etat) qui
n'a d'autre attribution que de juger des ministres péna-
lement responsables.
Dans la législation yougoslave, contenue dans l'art. 93
de la nouvelle Constitution, l;e 'I'ribunal d'Etat juge les
ministres, il est composé de six conseillers d'Etat comme
élément pol!itique et six juges à la Cour de Cassation
comme élément juridictionnel qui est en même temps
prépondérant, puisque le Président de la Cour de Cassa-
tion préside le Tribunal d'Etat (al. i de l'art. 93).
D'après lie même alinéa, les conseillers d'Etat et les juges
de la Cour de Cassation sont tirés au sort chacun parmi
leurs membres en séance pllénière.
-1~5--

La prescription pour la mise en accusation d'un minis-


tre est de cinq ans (al. 1, art. 92).

§ 2. - LE CONSEIL D'ÉTAT (DRZAVNI-SAVET).

Dans le droit public de Serbie, l'évolution historique du


Copseil d'Etat (1) peut être divisée en deux périodes. La
première période va de sa création par l'Assemblée natio-
nale jusqu'à 1869. Les caractères généraùx de cette période
sont les suivants : Le Conseil d'Etat disposait des trois
pouvoirs, législatif, eXJécutif et judiciaire, seull ou avec
oolllaboration du souverain.
Plus tard, quand l'organisation de la justice a oom-
mencé à s'effectuer {1810), il lui est resté les deux autres.
Et enfin, quand le prince Michel a réussi à se faire nommer
définitivement chef du pouvoir exécutif (1861), ce n'est
que le pouvoir législatif qui est resté sous la oompétence
du Conseil d'Etat.
Dans lia deuxième période qui s'étend de 1869 jusqu'à
1003, le Conseil d'Etat a pe,rdu son troisième pouvoir avec
]'introduction du gouvernement représentatif et il est
devenu un organe administratif ayant un caractère consul-
tatif et juridictionnel spécial. Ses attributions d'après la
Constitution de 1869 peuvent se diviser en trois chefs :
1 ° Pour le gouvernement, le Conseil d'Etat a remplacé
le rôle joué jusqu'alors par l'Assemblée nationalle, c'est-
à-dire il était un conseil consultatif. n donnait des avis,
mais le gouvernement n'était pas lié par eux.
2° Ses attributions administratives étaient très nom-
breuses : H était compétent pour les finances de l'Etat -
c'était un organe autonome avec le droit de décision - pour
les questions d'expropriation d'utilité publique, sauf éva-
liuation - pour la naturalisation, etc ..

(l) Nommé cl'abo-r(t Sinod, puis Soviet Serbsk.i.


-186-

:3° C'était un Tribunal des conflits entre les organes


administratifs et un tribunal des contentieux adminis-
tratifs. Les contentieux administratifs se manifestent pour
la première fois dans la législation positive avec la Cons-
titution de 1869.
La définition donnée par cette Constitution a été éten-
due par la loi du 5 octobre 1870, sur l'organisation du
Conseil d'Etat. Les traits caractéristiques des contentieux
administratifs sont les suivants : d'abord un particulier
ne pouvait intenter un recours contentieux que contre les
décisions ministériel les et puis lia sentence rendue par le
Conseil d'Etat n'était pas en dernier ressort.
Avec la Constitution de t888, le Conseil d'Etat a gardé
son caractère administratif ainsi 4ue celui de tribunal
administratif en introduisant le principe d'inamovibilité
des conseillers. La Constitution de 1901 a donné au Cons,eil
des attributions plus larges comme tribunal adminiskatif.
Ce n'étaient pas seulement les décisions ministérelles qui
étaient susceptibles <fnn recours contentieux, mais les
décrets (oukaze) royaux aussi. L'art. 27 est ainsi conç,u :
Tout Serbe a le droit de porter plainte contre les agisse-
ments illégaux de l'autorité. Le Conseil d'Etat pouvait
annuler les décrets d'après les prescriptions de cette Cons-
titution.
Dans la Constitution de 19ml, le Conseil d'Etat avait
trois caractères fondamentaux :
1° C'était un conseil consultatif soit du gouvernement,
soit de l'Assemblée nationale, mais dans la plupart des
cas avec un caractère facultatif.
2° C'était un organe administratif avec 12 pouvoir de
contrôle, soit sur l'administration centrale, soit sur l'admi-
nistration autonome et avec le droit de décision dans les
questions suivante~ : expropriation, naturalisation, autori-
sation pour les crédits irréguliers et pour les compromis
possibles dans les litiges entre l'Etat et un particulier. Il
y(>,rifiait les élections des conseils généraux et communaux,
-: 187 -

rédigeait les listes pour les élections des juges de cassa-


tion et de cour d'appel.
3° C'était un tribunal administratif.
L'origine du tribunal administratif doit être cherchée
dans la séparation des pouvoirs qui est la manifestation
du droit public de Serbie. La conséquence de cette sépa-
ration est l'iµdépendance du pouvoir judiciaire du pouvoir
exécutif, et inversement. Les compétences de l'un et de
l'autre sont déterminées. Pour le pouvoir judiciaire sont
institués les tribunaux du droit commun, pour le pouvoir
exécutif le tribunal administratif qui est le Conseil d'.Etat.
Les premiers sont compétents pour les litiges entre les
particuliers, le second entre l'Etat et les particuliers.
Le Consei] d'Etat comme tribunal administratif est donc
séparé de l'administration active.

Dans le droit public de Serbie, la juridiction adminis-


trative a le caractère suivant :
i Dans chaque litige administratif une des parties doit
0

être l'administration active, la seconae lies particuliers ou


l'administration active. L'administration active est repré-
sentée par les ministres ou la hiérarchie. Le litige prend
naissance prur un acte ou décision de l'administration.
Quant aux expropriations pour cause d'utilité publique,
d'après les art. 2 et 3 de la loi sur l'expropriation de 1896,
l'évaluation des immeubles expropriés appartient aux tri-
bunaux ordinaires. Si l'administration se présente comme
une personne civil1e, c'est le tribunal administ.ratif qui est
compétent, sauf texte contraire.
2° Le Conseil d'Etat est le seul tribunal administratif,
par conséquent en premier et en dernier Tessort. Comme
tribunaux administratifs spéciaux, avec attributions res-
treintes, sont les ,régies du monopole de l'Etat et de l'impôt-.
3° Les décisions du Conseil d'Etat ne sont jamais géné-
rales, il n'est pas créateur du droit, les décisions ont pour
résultat la relativité de la chose jugée, sauf pour le conten-
-188 --

tieux de la compétence ministérielle qui peut être intenté


pour une simplie lésion d'intérêt
4 ° L'action ne peut être intentée que par les personnes
morales ou par des particuliers.
5° Le Conseil d'Etat n'a pas le droit de modifier les déci-
sions administratives. Il ne peut que les confi.rmer ou les
annuler.
6° Toutes les décisions du Conseil d'Etat sont obliga-
toires pour les parties. En ce qui concerne ll'administration,
il n'y a pas de sanction.
7° Le Conseil d'Etat peut édicter des peines discipli-
naires.
8° Il ·est en même temps un tribunal de conflit de compé-
tence entre füs administrations actives.
9° Les litiges administ.ratfis pour lesquels le Conseil
d'Etat est compétent, sont au nombre de six et prennent
les noms suivants :
a) contentieux pour les décrets (oukaze),
b) contentieux administratif,
c) contentieux de la compétenoe ministérielle,
d) contentieux pénal et disciplinaire,
e) contentieux des conflits,
f) contentieux d'après la détermination de lia loi (i).

On voit en général qu'entre les différents systèmes de


oontentieux qui existent dans les différentes législations
modernes, notamment : le système français, celui d'Italie,
d'Espagne, d'Allemagne, d'Autriche-Hongrie - où on
rencontre le principe de la séparation des pouvoirs exécutif
et judiciaire, l'existence des tribunaux administratifs et ·
des conflits - puis, le système· belge caractérisé par la
séparation dès pouvoirs, mais où il n'existe pas de tribu-

(1) Voir les détails : M. Koumanoudi, Le droit a.dministratif,


p. 66-103.
naux administratifs, ot le système anglo-américain où tc,u:i
les principes .contentieux font défaut, les contentieux du
dro1L public de Serbie se rapprochent du système fran-
çais. Un n'aperçoit une différence que dans la séparation
des pouvoirs e:x;écutif et judiciaire; il nous semble qu'rn
est plus rigoureux en Serbie qu'en France, surtout si Fon
ajoute le principe d'élection des juges qui caractérise le
droit public de Serbie et différent de celui de Belgique à
cause de l'existence des tribunaux administratifs.
La nouvelle Constitution, en se basant sur lia Constitu-
ticm de 1903, a consacré les règles générales sur l'organi-
sation et les attributions du Conseil d'Etat dans son
art. to3.
Nous allons envisager successivement la composition,
l'inamovibilité et les attributions du Conseil d'Etat.
A) Composition. - Le nombre des conseillers, d'après la
Constitution de 19ml, était de 16. La nouvelle Constitution
n'en parle pas (i). Ils sont nommés par le roi sur la propo-
sition du Président du Conseil, de la façon suivante : Une
moitié du Conseil est nommée par le roi sur une liste
double de candidats proposés par l'Assemblée nationale,
l'autre moitié est élue sur une liste double de candidats
proposés par le i:oi. Mais lies vacances seront comblées
dans des conditions déterminées par une loi spéciale qui
peut s'écarter du principe posé ci-dessus (art. i03, al. i).
En ce qui concerne l'éligibiliM, la Constitution de i903 a
posé un principe général qui est modifié par la nouvelle
Constitution. Dans l'art. ll12 de la Constitution de i903,
il fallait être citoyen serbe âgé de trente-cinq ans révolus,
être licencié d:'une Faculté quelconque avec dix ans de ser-
vice comme fonctionnaire de l'Etat. Aujourd'hui,' seuls
peuvent être membres du Conseil d'Etat les hauts fonction-
naires de l'Etat et les intellectuels qui ont fait des étudPs

(1) D'après la loi du 17' mai 1922, le nombre des conseillerrs


est de 24.
--190 -

universitaires et passé dix ans au service de l'Etat ou mis


pendant la même période leur activité au service de la
collecti\'ité (art. i03, al. 2) (1).
A la diffé.rence de la Constitution de 1903, il faut que
deux tiers au moins des conseillers d'Etat soient en posses-
sion d'un (liplôme, qu'ils aient terminé leurs études dans
une Faculté de droit (art. 103, al. 3). En ce qui concerne
la nomination du président et du vice-président, lia Cons-
titution est muette.
D'après l'art. 143 de la Constitution de 1903, le roi
nomme parmi les membres du Conseil d'Etat, un prési-
dent et un vice-président qui restent on fonctions pendant
trois ans.
B) lnamovihilité. Nous avons vu que l'inamovibilité
des conseillers date de la Constitution de 1888.
D'après la nouvelle Constitution, les membres du Con-
seil d'Etat ne peuvent être relevés de leurs fonctions,
appelés it un autre poste dans les services de l'Etat (2), ou
mis à la retraite qu'en vertu d'un jugement du tribunal.
Toutefois, lorsqu'ils ont 1soixante-dix ans révolus, ou sont
mis par la maladie dans ]:'impossibilité absolue d'exercer
leurs fonctions, ils doivent être mis à la retraite (art. -03,
al. 4).
C) ;lttributùms. - - Le Conseil d'Etat, d'après la nou-
velle Constitution, a les attributions suivantes :
1 ° Le Conseil d'Etat 2st le tribunal administratif ~uprê­
me (3). Il statue sur les litiges de caractère administratif.

(1) Cette règle donne la possibilité d'ètre membre du Conseil


d''Etat à des inte!Jectuels des nouvelles provinces.
(2) D'aprè's l'art. 141 de Ja Constitution de HJ0:3, si un rnern-
b1 e du Con~eil d'E,tat est nommé ministre, on ne pourvoit pa:<
ù son remplacement et lor,squ'il cesse d'être ministre il re,tour-
ne ù son poste de Conseiller.
(3) Cette dénomination np figure pas dan,.: .les Constitutions
antérieures.
-191-

La définition du litige administratif est donnée par'


l'art. 13!1, sous le titre de " Dispositions transitoires '"
conforme d'ailleurs à toutes les constitutions antérieures
de Serbie. Le litige adminisratif est celui qui s'élève entre
un particulier ou une personne morale, d'un côté, et
l'autorité administrative de l'autre, et n'existe que dans le
cas ou un ordre ou une décision de l'autorité administra-
tive a porté atteinte aux droits (et non aux intérêts) d'un
particuliier ou d'une personne morale à l'encontre des
prescriptions de· la loi. Les •recours formés contre les
décrets et décisions ministériels sont jugés en première et
dernière instance par le Conseil d'Etat.
2° En qualité d'organe de l'administration suprême de
l'Etat, il .statue sur les actes de caractère administratif qui
réclament son approbation selon des lois spécial.es.
:i Il exerce un pouvoir de contrôle sur Ies unités auto-
0

nomes suivant les prescriptions de la loi.


4° 11 statue sur les conflits dt> compétence entre les
autorités de l'Etat et let; autorités autonomes.
U~n ce qui concerne les conflits d'attribution, ils appar-
.tiennent, d'après Je droit public yougoslave, à la Cour de
Cassation, comme nous lt> verrons plus loin.
fi D'après l'art. 118, le Conseil d'U~tat dresse une liste
0

de candidats qui comprend deux fois plus de candidats


qu'il n'y a de places vacantes pour la composition du
Contrôle principal (Cour d.es comptes). Les candidats pro-
pcsés sont élus par l'Assemblée nationale. Nous avons vu
que, <l'après l'art. H3, le Tribunal d'Etat se compose de
six eonseillers d'Etat et d'après l'art. 63, si le roi défunt
n'a pas désigné de tuteurs, les régents les nommeront
d'accord avec le Conseil d'Etat. D'après l'art. 19, il faut
une approbation spéciale du Conseil d'Etat pour qu'un
naturalisé soit admis avant 10 ans au service de l'Etat.
6° Il statue également sur les autres affaires dont la loi
lui attribue la cornpét.ence. Des prescriptions plus détail-
'"""' i92 --
rées sur la composition, la compétence et la procédure du
Conseil d'Etat se.ront apportées par une loi spéciale (1).
Par l'art. 102, la Constitution de Vidovdan a étendu le
cadre des tribunaux administratifs, ce qm est en même
temps une approbation des conciusions de la conférence
scientifique du droit admmistrat1f tenue à Bruxe~l1es en
1910, sur la vitalité du système français.
Cet article est ainsi conçu : Pour les litiges d'ordre
administratif (2) sont institués des tribunaux administra-
tifs. La loi déterminera leur siège, leur compétence et
leur organisation.
L'institut10n des tribunaux administratifs en dehors du
Conseil d'Etat est une nouveauté.
Nous avons vu que dans le droit public de Serbie il n'y
avait pas d'autre tribunal que celui du Conseil d'Etat. Les
régies du monopole et des impôts n'étaient considérées
comme tribunaux administratifs que dans des cas très res-
treints et spéciaux.
Avec cette institution, ta juridiction administrative est
en train d'entrer dans lia vo;e diu système français. Cette
extension de la juridiction administrative est une manifes-
tation on peut dire générale dans les constitutions euro-
péennes modernes. La Constitution allemande du 11 août
1919 a posé comme obligatoire le principe, qui jusque-là
était facultatif, de la création des tribunaux àdministratifs
et l'art 107 de cette constitution envisage un tribunal admi-
nistratif suprême pour tout l'empire.
Donc, on constate un mouvement centralisateur à ce
point de vue, même dans les pays qui sont par leur struc-
ture moins capables de lies réaliser. De même l'extension
de la juridiction administrative en Espagne, en Italie, où on

(1) Pr.omulguée le 17 mai 1922.


(2) D'a.pr-ès 1a loi du 17 mai 1922, il y a six tribunaux admi-
nistratifs : à Belgrade, Zagreb, Ce.lj, Sarajevo, Skoplje, Du-
br-0vnik.
11avait abandonnée, prouve, au point de vue subjectif, là
supériorité et la vitalité du système français.

~ 3. - LE CONTROLE PRINCIPAL (GLAVNA KONTROLA).

Pour la vérification des comptes de l'Etat est institué


le Contrôle prmc1pa1. Dans le droit public de 8erb1e, la
Cour des comptes jouait un rôle important, rôle qui est
maintenu par l'a nouveHe Constitution.
D'après la Constitution de 1888 et la loi du 29 mai 1839,
sur l'organisation de l'administration centrale, le mm1stère
des finances se divisait en trois pàrties, dont l'une était
le Contrôle principal:. Avec le décret du 6 octobre 1843, le
Contrôle principal fut détaché du m11u~tère des Finances
et soumis au Conseil d'Etat. La première loi organique
du Contrôlie principa1 date du 14 juillet 1844, mais a été
souv.ent modifiée.
Les caractères principaux de cette loi jusqu'à la Consti- .
tution de 1888 sont les suivants :
1° En dehors des finances de l'Etat, le Contrôle était
compétent pour tous les établissements publics.
2° Il était devenu un tribunal suprême des comptes avec
le pouvoir des pemes disciplinaires .c,ontre les comptes
irrégulier.s.
3° Chaque année il était obligé de soumettre à li'appro-
bation du Conseill d'Etat les comptes définitifs die l'Etat.
La Constitution de 1888 et la loi du 1°r mai 1892 ont réglé
la oompétence du Contrôle principal, d'ailleurs modifiées
par les lois de 1897, 98, 1901, dont les règles sont encore
aujourd'hui en vigueur, d'après l'art. 131 de la Consti-
tution de Vidovdan.
A la différence du Conseil d'Etat, les décisions du Con-
trôle principal!, quoique d'un caractère administratif auto-
nome, d'.après l'art. 179 de la Constitution de 1903, ne
sont jamais en dernier ressort. Comme tribunal, il est
soumis à l'autorité de la Gour de Cassation, et,. comme
13.
.;_.. 194 -

organe d'administration à l'administration active. Le


Conseil d'Etat, comme nous l'avons vu, domine l'adminis-
tration active et il est indépendant de la Cour de Cassa-
tion. Les attributions du Contrôle principal sont les sui-
vantes :
i 0 Des attributions de ·contrôle financier réglées par la
Constitution de i903, art. i8i; il vérifie, redresse et apure
les .comptes de l'administration générale et de, tout comp-
table d2s deniers publics. Il contrôle l'exécution du budget
de l'Etat et des corps autonomes en assistant à la forma-
tion, exécution et clôture des budgets (1).
2° Des attribùtions administratives qui sont de deux
sortes ; les unes sont relatives aux fonctionnaires de l'Etat,
füs autres aux différents départements ministériels.
3 ° Des attributions juridictionnelles qui ont été plu-
sieurs fois supprimées et maintenues définitivement avec
la loi du 27 février 1862. Le pouvoir juridictionnel consis,te
à édicter des peines disciplinaires (2).
La nouvelle Constitution a maintenu le Contrôle prin-
cipal dans son art. 118 avec une légère modification.

A) Election. - L'Assemblée nationale élit re président et


lies membres du Cont.rôle principal sur une liste de can-
didats dlressée par le Conseil d'Etat et qui comprend deux
fois plus de candidats qu'il n'y a de places vacantes (3).
Le nombre des membres n'est pas fixé. Le Constitution de
i903 (art. i79) a envisagé un président et quatre membres

(1) D'après la loi de finance du 6 mars 1910, alinéa 1, art. 58,


le contrô1e princip·al a le droit de porter plainte en constatant
une infraction sur la loi des finances. au tribunal civil sans
autorisation de personne, môme contre le ministre comme
ordonnateur. Ce droit est d'ailleurs discutable au point de vue
constitutionnel. M. Kass·anovitch, op. cit., p. 198.
(2) Pour les déta,ils, M. Koumanoudi, op. cit., p. 147.
(3) Dans le projet gouvernement.al (art. 18), la composfüon
des listés étalt donnée par le Conseil des Ministres.
;,;_ 195 .......

et la hiérarchie, qui est d'ailleurs élue par le Contrôl.e


principa1 (1). Les conditions pour être élus membres sorit
les suivantes : le pré3rnent et la moitié des membres doi-
vent être des j unstes, le3 autres memnres doivent avoir
été ministres des Finances ou avoir servi comme titulaires
pendant dix années dans le ressort des Finances.
Tous les membres jouissent de la même inamovibilité
que les membres du Conseil d'Etat (al. 4).

B) Attributions .- Le Contrôle principal fonctionne en


qualité de tribunal suprême des comptes pour la vérifica-
tion des comptes de l'Etat et le contrôle de l'exécution des
budgets de l'Etat et des régions (al. 1). Il vérifie, redresse
et apure 1es comptes de toutes les administrations de l'Etat
et doit réunir toutes les pièces de justification et tous Les
renseignements (al. 7).
Nous avons vu que le Contrôle principal est soumis,
comme tribunal à l'autorité de la Cour de Cassation; la
loi déterminera les cas dans lesquels un recours contre la
décision du Contrôle principal pourra être porté devant
la Cour de Cassation (al. 6). Des prescriptions plus détail-
lées sur la composition, la compétence et la procédure
seront contenues dans une loi spéciale.

Section III. - La division administrative.

Nous avons vu l'esprit du lég;slateur se manifester en


faveur de l'idée unitaire comme forme politique de l'Etat.
Il nous reste à voir ici les conséquences de cette idée dans
son applioation pratique, ·c'est-à-dire la division adminis-
tmtive du pays.
Quoique l'organisation politique et l'organisation admi-
nistrative de l'Etat soient deux questions nettement distinc-

(1) D'après la loi du 17 mai 1922, le nombre des membres


est de sept.
- 196 -·

tes, néanmoins dans les législations continentales, la pré·


mière a eu toujours une rnfiuence prépondérante sur la
seconde.
Une décentralisation administrative se conçoit très bien
dans une centrallsation politique et lé! développement de
la démocratie avec la liberte politique croissante rfun
côté et l'encombrement des attaires de lŒtat de Vautre la
rendent souvent nécessaire au point de vue pratique.
Mais dans un Etat unitaire, la décentralisation admi-
nistrative n'est qu'une question de mesure et de degré,
elle ne peut pas être absolue. Donc la question de centrali-
sation ou de décentral1isation administrative n'est autre que
la question de savoir si les affaires d'ordre régional et
local sont conférées au pouvoir central, ou bien au con-
traire, si elles sont données aux autorités régionales et
locales et enfin, ce qui complique la question, dans quelles
mesures elles sont attribuées aux unes et aux autres (t).
Nous dirons tout clt~ suite que l'intention du législateur
a été de donner au nouvel Etat, au point de vue adminis-
tratif, une organisation uniforme, avec une large décen-
tralisation avec des agents déconc;entrés dans chaque auto-
nomie administrative et une tutelle administrative pour
les gestions économiques et sociales.
Semblable par son caractère à l'art. 131 que nous avons
vu et qui maintient les organes administratifs de la Serbie
provisoirement dans le nouvel Etat, l'art. 134, en ce qui
1

concerne l'organisation administrative, est ainsi conçu :


Après l'entrée en vigueur de cette Constitution, les admi·
nistrations provinciales actuelles seront maintenues provi-
soirement, ayant à leur tête un gouverneur nommé par
le roi sur la proposition du ministre de l'Intérieur. Le
gouverneur provincial! administire la province par les chefs
de section, sous le contrôle direct du ministre de l'Inté-

(1) Cours de droit administrntif de l'Université de Grenoble,


par M. Bouvier, 1920.21.
rieur et en qualité d'organe des ministres compétents sul'
la base des lois et décrets en vigueur.
Comme cet article maintient provisoirement l'organisa·
tion actuelle sous certaines conditions que nous verrons
dans les al. 2, 4, 5, ü nous faut connaître d'abord l'orga-
nisation actuelle et provisoire des différentes provinces
clans ses lignes générales en nous basant sur une enquête
administrative faite stü les provinces, enquête entreprise
par la même commission et que nous avons citée pour le
projet de la Constitution de B. Protitch, nommé à cet
effet par le ministre de la Constitution (i).
1 ° En Serbie, l'organisation administrative ressemble
beaucoup à celle de la France; départements ayant à leu
tête un préfet, arrondissements avec un sous-préfet, nom-
més les uns et les autres par le gouvernement, cornmun~s
avec un maire élu.
Le Conseil général délègue le pouvoir exécutif à une
commission permanente prise dans &on sein ; il en va de
même du Conseil d'arrondissement. Pour les .affaires dan:::
lesquelles le Conseil général eXJerce une compétence auto-
nome, le préfet n'a que des attributions de survaillance.
Les communes jouissent d'une autonomie municipale trn~
étendue. Les préfets et sous-préfets exercent encore d2s
fonctions de police, ils disposent de la gendarmerie. En
outre, ils engagent les actions judiciaires et jouent le rôle
dévolu en France au Parquet.
Comme à ce point de vue, la Serbie seule diffère de
toutes les autres province.s, le légio:lateur a émis le vœu
de les décharger de leurs attributions comme cela se faisait
déjà par la loi de HHi dans les villes. Il y a en Serbie
36 départements; le nombre des .arrondissements varie de
:3 h 7 par département.

(1) M. Protitch : Le projet de la Constitution. Belgrade, 1921,


p. 121.
-tM-

2° En Bosnie~Herzégovine, les départements représen-


tent une superficie territoriale plus étendue, mais ne béné-
ficient pas de l'autonomie administrative. Ils sont au nom-
bre de cinq divisés en arrondissements. Le gouvernement
provincial de Bosnie-Herzégovine 2st resté dans la même
situation que sous lia domination de l'Autriche-Hongrie.
Ce gouvernement dépendait, sous l'autorité autrichienne,
du ministre des finances comme dans le nouvel Etat jus-
qu'au vote de la nouvelle Constitution. Avant le vote de
la Constitution, .au point de vue administratif, la Bosnie-
Herzégovine était dans une situation moins libre que la
Croatie-Slavonie ou, comme nous le verrons, que la Slo-
vénie.
Les rapports du président du Gouvernement provincial
avec les chefs de section n'étaient pas déterminés, le gou-
vernement n'était pas colTégial comme en Slovénie.
L'art. 134, al. 4, de la nouvelle Constitution donne une
règle générale pour tous lés chefs de section des différentes
provinces ainsi conçue : Pendant la du.rée de l'adminis-
tration provinciale, lies sections des différents ministères
dans les provinces sont tenues de prendre l'avis du gouver-
neur provincial avant la décision ministérielle pour tous
les projets de caractère général ou relatifs au personnel
officiel.
Avant ce principe, les !'.apports du gouvernement pro-
vincial de Bosnie-Herzégovine dépendaient de lia situation
polli.tique. Les départements en Bosnie-Herzégovine n'étai~mt
que des circonscriptions territoriales. L'autonomie, d'après
la commission d'enquête, n'existait que dans les villes.
Dans les arrondissements et les communes elle n'existait
que sur le papier (i).
En général, en Bosnie-Herzégovine, l'autonomie admi-
nistrative n'existait pas.

(1) M. Protitch, op. cit., p. 1Z4.


8° En Croatie-Slavoniti, le:,; départernents étaient appelés
joupanies et lt:s préfets joupans, leur adjoint était le vice-
joupan. Les arrondbscments étaient appelés " cercles '" le
sous-préfet (>tait le chef du cercle (katorski-predstojnik). La
joupanie étai! incompélt:nte au point de vue de l'adminis-
tration et de la police à l'égard des villes dites villes royales
libres : Zagreb, Ossiek, Zernun, Varajdin, Karl'ovac, qui
jouissaif'nt cr un statut spécial.
Avec la forrnation du nouvel Etat, la compétence du
gouvernement provincia 1 a été rnaintenue, c'est-à-dire au
point de vue de l'autonomie elle n'a été soumise à aucun
ministère mais directement au roi. Néanmoins, certaines
attributions de compétence autonome ont été attribuées
h des délégations spéciales nommées par le gouvernement
central, par Bxemplc les affaires d'hygiène publique, lies
trnv<wx publics d la politique sociÇtle.
Le pouvoir administratif t':tait entre lt-s mains du ban.
Aujourd'hui, d'après l'art. t:34, cornrnE:• nous \"avons vu,
il appartient au gouverneur sous le contrôle du ministre
dtl l'lntérieur. Lfls départements ont une sorte d'autonomie
administrative. Mais la compétence du Conseil général est
minime, car les aff.ain~s les plus importantes (finances)
sont confiées aux corn îtés départementaux où domine
l'administration active. Les communes sont autonomes
et il existe toute une bureaucratie communalie qui ne se
trouve pac: en Rosnie-Hmzégovine.
4° A la différence de la Bosnie-Herzégovine et de la
Croatie-Slavonie, après la débâcle autrichienne, il ,s'ét.ait
formé en Slovénie une nouvelle province qui jusqu'alors
n'existait pas, composée de plusieurs régions moins éten-
dues. L<~ gouv<irnement. provincial, qui était collégial', avait
recueilli non seulement la compétence sur les autres pro-
vinces dont il se composait, niais les attributions du gou-
vernement crmtrnl de Vienne. Par conséquent, il était
autonome et libre envers le nouveau gouve.rnement central
comnlE' la Croatie-Slavonie: tandis que, sous le régirnr
- ~OO_,..

autrichien, cette autonomie de la Slovénie, par rapport à


la Croatie-Slavonie, était moins large.
La Slovénie est divisée en arrondissements et commu-
nes. Les .arrondissements ne sont que des circonscriptions
territoriales, sauf la Styrie où, dans certains arrondisse-
ments, il existe une autonomie spéciale. Les communes
ont leur autonomie, mais leur organisation n'existe que
dans les villes. Le gouverneur, d'après les prescriptions
provisoires de la nouvelle Constitution est à Ljouhljana
et celiui de Dalmatie à Split, dont l'organisation adminis-
trative est sembl<able à celle de la Slovénie.
5° En Voïvodine, ,sous le régime magyar, les joup.ans
étaient élus par le conseil g€néral et confirmés par le
gouvernement. Les arrondissements étaient des circons-
criptions territoriales tandis que les départements et les
c.ommunes étaient dans une certaine mesure décentralisés.
Enfin, dans aucune de ces provinces il n'y avait de
tribunaux .administratifs.
L'ar·t. 134 de la nouveMe Constitution, en introduisant
pour chaque, province un gouverneur et en réglant les
rapports avec les chefs. de sections, pose provisoirement
encor.e dans ses al. 2 et 5 les règles générales sur l'admi-
nistration provinciale.
En qualité d'institution provisoire, les lois édictées
après l'entrée en vigueur de cette Constitution ne peuvent
conférer aux administrations provinciales de nouvelles
attributions. L'al. 5 donne le droit aux parties intéressées
de former un recours devant lie Conseil d'Etat, dans le<J
litiges administratifs sur l1esquels l'administration provin-
ciale provisoire se prononce en première et dernière ins-
tance. Conformément à cette tâche, le Conseil d'Etat pren-
dra les dispositions nécessairns.
Nous avons vu ce qu'il faut entendre par litige adminis-
tratif : il n'existe que dans le cas où un ·ordre ou une déci-
sion de l'autorité administrative a porté atteinte aux droits
d'un particulifw ou d'une personne rno11ale ù l'encontre
des p~escriptions de la loi. Il s'en suit que lie litige n'existe
pas là où l!a loi a laissé à l'administration provinciale pro-
visoire ou à l'autorité administrative le soin de procéder,
d'apprécier our de décider l'affaire (al. 5).
Après avoir vu l'org,anisation administrative provi-
soire et les dispositiont) qui s'y rapportent, il nous reste
maintenant à connaître les dispositions fondamentales sur
la division administrative du nouveli Etat.
En vue de l'organisation .administrative de l'Etat, le
législateur a pris comme point de départ la décentralisa-
tion administrative, ainsi que nous li'avons énoncé.
Cette décentralisation se manifeste dans l'institution
de l'autonomie locale dont les affaires réglées par les
organes locaux sont séparées des affaires de l'Etat. Cette
liigne de séparation des affaires de l'Etat et des affaires
looales consiste dans l'inst,itution des régions dont le
r,apport avec le pouvoir central est envisagé dans ses
grandes lignes par lia Constitution.
L'art. 96 sur le fondement de l'existence d'un corps
administratif autonome est ainsi conçu : pour les affaires
locales il est institué une autonomie locale organisée sur la
base du principe électif. Les ·organes spéciaux de l'auto-
nomie s'occupent, selion les prescriptions de La loi, des
affaires de caractère autonome (al. 3).
Avant d'examiner les affaires autonomes réglées par
l!a Constitution, il faut d'abord voir Je principe de la divi-
sion administrative. Ce principe est consacré par l'art. 95,
qui est ainsi conçu : l'administr,ation dans le royaume
s'exerce par les régions, les départements, les arrondisse-
ments et les communes. Le législateur n'a pas fixé le
nombre des régions laissant cette question importarite,
comme beaucoup d'aut:res, a une loi spécialle1. Mais il a
posé une règle générale qui caractérise très nettement son
intention de briser les anciennes provinces traditionnelles
dans l!'al. 2 du même ,art. : « La région ne peut compter
plus de 800.000 habitants '"
-202-

Avec ce principè arbitraire, qui est vivement oritiqué


non seulement par les féd€ralistes, à cause de la difficulté
de concilier ce principe avec un autre posé par le législia-
teur dans le même alinéa : " l'a division en régions est
fixée par la loi selon les condition.;; naturelles, socialies et
économiques ;,, il n'est plus possible, en le réalisant, de
maintenir l'unité des anciennes provinces traditionnelles.
Toutefois, ce principe de supprimer les anciennes pro-
vinces n'est pas absolu. Il a subi de graves exceptions.
Dans le but de résoudre la question constitutionnelile qui
est à l'ordre du jour depuis la proclamation de l'unité
nationale, le gouv,ernement a sacrifié dans une ,certaine
mesure ce principe à l'égard de la Bosnie-Herzégovine.
" C'est le démenti de la politique goùvernementale dans
son ensemble et dans ses origines, politique qui devrait
être l'appui unique et la raison d'être de son existence.
C'est la capitulation devant le principe qui maintient lies
provinces traditionnelles et qui est hostile à nous tous " (i).
Cette exception doit être cherchée dans le compromis
entre les partis gouvernementaux et le parti yougoslave
musulman. Ce dernier s'est montré partisan des autono-
mies provinciales (2), mais comme il est un parti plutôt
régional que politique, il a accepté cette exception pour
la Bosnie-Herzégovine comme condition pour soutenir le
gouvernement.
L'art. i35, dans son al. 3, est ainsi conçu : Par la loi sur
la délimitation des régions, la Bosnie-Herzégovine sera
divisée en régions dans ses limites actuelles. Les départe-
ments en Bosnie-Herzégovine seront considérés comme
des régions jusqu'à ce que la loi en dispose.

(1) Déclaraüon de :M. Divac, député socialiste, dans la


séanc2 LXI du 27 juin 1921.
(2) Déclaration de M. Halidbeg Hrasnica et M. Fehim Kour-
hegovitch, le premier dans la sé.ance LTV du 17 juin 1921, le
(leuxième XVII du 18 avxil 1921.
On voit donc par la seule oxistenc,i: dù cet alirn~a l'excep-
tion envisagée pom· la Bosnie-Herzégovine. D'allonl que
les régions rw peuYt'lÜ pas dépasser les limites de la Bos-
nic'-Herzéguvine traditionnelle, quoique cela puiss1: être en
contrarliction avec le principe posé par l'a!. 2 de 1·arL. U5,
que nous avons vu r;t qui dit : La diyision en régions est
fixée par la loi selon les conditions naturelles :::ociales et
économiques, et ensuite que les clépartemenb de la Bosnie-
Herzégovine sont comidérés cornrne des régiuns - règle
qui ne s'appliqm• pas pour les antres provinePS.
Mais le lé,~·islatr:ur, afin dt: tw pa,; être si 1·xcr·ptiomvl
pour la Bosnie-Herzégovine pnr rapport an:--.: alltres pro-
vinces, a perrnis, il C'st nai dans dt:!S cas asse,; rigoureux,
que les régions dü Bosnie-Tff-!riét:ovine 1mis:::ent dépasser
les limites tradil.innnelles de cette province dan,: les deux
eas envisagés dans ral. ;3 de l'art. 13f') :
1° Lorsque différentes cornintmes ou différents arron-
dissmnents s'incorporent il une aulre rég)un, si leur reprf.-
sentation autonome y consent par une décision iwise h
la majorité des trois cinqnièmes des voix.
2° Lorsque cette décision est rrpprcrnvée par l'1\ssernblé2
nationah>.
Donc, pour revenir au principe gérn"ral pos~' par
l'art. \35, une région ne peut compter plus de 80'.).000 hahi-
tants (i), mais il est permis, d'après l'al. :~ du même arti-
cle, que deux ou plusil~1n·s régions de rnoindre étendue
puissent se réunir en une plus grande et que h s assem- 0

hlées régionales dr:s régions inh\ress('es prennent à cet


égard des décisions définitives sous la condition, bien
entendu, que la nonvelle région nr dépasse pas

(1) Le nombre de:o. hahitanb <Jr1it ètn: considéré d'après les


stéiJistit1ne~ nctuell<ls, :lin.si le mimhre cluns l'nvenir n'entren1
pa;:, en con~idération. Dédaruti(m de :vL Tl'ifkuYiteh, rninistrP
<1e la Constitnüou, ù ln séanC't' XXX\'l c111 21 rnar.s 1!J21 de Jn
cr lllllll i;,;::;ion.
800.000 habitant.s. Il n·y a pas d'autres conditions pour
cette fusion possible, ét.ant donné que c'est une règle géné-
rale s'appliquant à l'Etat entier sauf à la Bosnie-Herzé-
govine, comme nous l'avons vu, d'après l'art. i35, al. 3,
pour dépasser les limites de cette province. Mais pour
effectuer la fusion des régions spécialement pour la Bos-
nie-Herzégovine, d'après le même alinéa, il faut une déci-
sion des assemblée·s régionales, des régions inté.ressées pri-
ses à la majorité des deux tiers des voix. Cette deuxième
exception envers la Bosnie-Herzégovine, tend à conserver
les départements comme régions ce qui était, comme nous
l'avons vu, l'intention du législateur dans le même al. de
l'art. 13f>. Et ainsi s'explique la règle nécessaire de la
majorité des deux tiers des voix pour l'unification des
régions on Bosnie-Herzégovine. règle qui n'existe pas pour
les fusions dHs autres régions dans les autres provinces.
D'après l'art. ü5, al. 1, comme nous ravons vu, l'Etat
sera divisé en régions, départernenb, arrondissements et
communes. Pour voir la règlementation constitutionnelle
de l'autonomie focale, nous allons voir en particulier
toutes les unités administratives énumérées et ensuite les
agents déconcentrés.

~ l. -·-· LE;S U:'IITÉS ADMINISTHATIVES

Gomme nous l'avons déjà mentionné, le caractère fonda-


mental de l'organisation administr~ative de l'Etat est la
séparation des affaires locales et de i.eurs organes d'avec
les affaires de l'Etat. Quoiqu'il ne soit pas mentionné
expressément par la Constitution, ce principe s'en suit
logiquement rle certains textes et des discussions parle-
mentaires. Ainsi l'art. 98, al. 3, conçu sur lia proposition
de M. Yovanovitch li), rléputr radical, dan;; le but rl'éco-

(1) Dan:;: la séanct' XLlll du 1•" nvrü 1921 de la Comrrüssion.


nuu11:;er, déclare que la loi peut pt't!\'Oir exceptionrwlle-
ment des oftices communs pour les mêmes services de
l'Etat et de: l'autonomie dans la région. Il s'en suit donc
que le législateur a considéré que les affaires des autono-
mies .régwnales sont c;éparées de ooUes de l'Etat.
.[1;n ce qm concerne la compétence et les limites des auto-
norrnes locales, le législateur a été le plus explicite pour
les régions, tandis que la règlementation des autres umtés
adrmmstratives il l'a laissée à une loi spéciale (art. 96,
al. 2, et art. 98, al. 4). Nous envisagerons d'abord les
régions, ensuite les départements, les arrondissements et
JPs comrn.unes.

A) Les ré,qùms (ublast). · ·· Après l'Etat, la plus grande


division administrative est la région.
Les organes de l'administration régionale. sont l'Assem-
blée régionale cl lü Comité régional (art. 98, al. 1).
Les assmnblées régionales élisent leur président qui
dirige lüurs séances et élisen l le comité régional. L'assem-
hléc régionalt• a le droit de décréter les règlements régio-
naux sur toutes les affaires de sa compétence (art. 99, al. 1).
Le comité régional édicte les dispositions et instructions
pour l'exécution des règlements régionaux (art. 100). En ce
qui concerne la compétence du président de l'Assemblée
régionale, la Constitution n'en parle que dans l'al. 2 de
l'art. 98; il dirige leurs séances.
Quelles sont les affaires qui rentrent dans le ressort de
l'administration autonome régionale ?
Ell'es sont énumérées par l'art. 96 et sont au nombre
de douze.
i 0 Les finances régionales : ètablissement du budget
i«égional, affectation des recettes régionales attribuées aux
termes de la loi aux régions pour la couverture des dépen-
ses régionale".
2° Les travaux publics régionaux et les prescriptions
:relatives aux constructions.
;') 0 L· cll:\·2loppernent des intérêts éeonorniques régio-
naux : agriculture, 1~1cvage, viticulture, culture fruitière
d ïorestière, pêche dans les lacs et les rivières, chasse el
améliorat.ion technique de ragr iculture.
li0 L'adrninistr.ation des domaines régionaux.
f>" L'hygiène puhlique dans la région et le soin de
toutes les institutions .affectées à l'amélioration de l'état
sanitaire dans la région.
6° L'accomplissement des obligations sociales dans la
région.
7 ° Les institutions régionales de bienfaisance.
8° Les rnuyens de communications régionales.
D La coCipération au proµTès de l'enseignement dans la
0

i·égion.
10° La ccopération à l'enseignement professionnel dans
la région.
11° La création et l'entretien des institutions d'épargne,
secours mutuels .et assurances.
12° L'émission d'avis sur la demande du gouvernement
t,ouchant les projets de loi qui ont trait ù la région, ainsi
que toutes les autDes questions au sujet desquelles le gou-
yernernent consulte, l'administration autonome régionale.
D'après ce même article, d'autres attributions peuvent
êtrB dévolues Mgalernenl aux administrations régionales,
mais si cPrtaines des fondions énümérées ne peuvent être
exercées par les moyens propres de la région, l'Etat, à la
rJemande de l'assembh\e régionale et après décision d(!
l'Assemblée nationale, fournira les moyens nécessaires ou
assumera lui-rnêrnE· l'exercice dH ces fonctions.

Hl Les départen1n1ts (1) (okruq). L'institution des

(ll Irapn'!s la tntducüon de b C0!1stüution de Vidovdau.


pur YI. Albert Nloussei, Belgracle Hl21, clans l'art. \l5 Je mot
département est omis. Voir le texte officiel et les Notes sténo.
graphiciues de la séance LXI du 27 juin Hl21.
-- 207 -

d4iarl.e1nenb d'après le législatem·, aux termes de


J'articl.e \YJ, provisoire. IYaprès lé: r.apporteur, M. Nlarko-
vitch, les départements dornrnt ôtre ccrnsidérés cormrw
provisoires dans le but crune transforrnation graduelle
des départements actuels -- dont l'Etat est divisé dans la
plus grande partie ----·· en régions, la région étant envisagée
comme la plus grande unité administrative. Sous le titre II,
" Dispositions transitoires '" Je législateur, dans l'art. 135,
.al. 4, est formel : les départements (joupanies ou okruzje)
restent unité administrative de l'Etat tant qu'ils n'auront
pas été supprimés par la loi. Les départements sont Pnvi-
:agés dans l'art. ü5 parce qu'avec les divisions régionales
du pays, les cü~partements, co111me circonscriptions terri-
tor:iales, ne penvent pas être brusquement transformés et
o:upprirnés , Mais con1rrH' actuel iement, là où il en
existe, les dèpaden1r•nts nnt leur autononlie, la liquidation
de leur autonon1ie, d'après l'aL ô de l'art 1:3fi, se fera au
profit dt• la ré.gion (·l dPs arrondissroments dès que les
régions seront organisées.
Donc, il s'en suit que les départements restent autono-
mes jusq1ùrn Yote de la loi sur la division du pays en
rép:ions, mais ils gardent leur unité administrative comme
simple:0 • circonsc:ri plions territoriales jusqu'à Cl~ qu'une
loi n ïntervif~nne pour les supprinwr. La compétence des
départements comme circonscriptions territoriales sera
réglée par la loi (arL J::fü, al. 4),

C) J,es arrn11dis.1·e1m'11ls et les commw1es (.ire;:, i opstilwJ,


Pour les arrnndissements, de même qm• pour Je:o
n;gions, le lé,i!islateur a t'IlVisagé, dans l'art \18, aL 2, que
les organes d<, l'arrondiss:'rnent comme corps autonome
sont lt•s Assemblées d'.arTondissement qui élisent leur pré-

(1) Déclarati.on de M. Markovitcb, rapporteur à ln séance


LXIV du 27 juin Hl21 de la Comrnission.
- 208 ~

s1dent, lequel dirige leurs séances et les Comités d'arron-


dissement élus par les Assemblées d'arrondissement.
En ce qui concerne lt?s communes, le législateur su:r
leur compétence et leur organisation est muet. Il les ren-
voie à !'al. 6 de l'art. 98 qui est ainsi conçu : Une loi
spéciale règlera les détails de l'organisation et de la com-
pétence des corps autonomes (communes, arrondissements
et régions).
Il s'en suit que les corps autonomes, dans le nouvel Etat,
seront : la région, rarrondissr?mt?nt et la commune, tandis
que le département ne reste qu'une circonscription terri-
toriale jusqu'à ce qu'tine loi n'intervienne pour les sup-
primer.
Notons encore que toutes les unités autonomes aux
termes de l'art. !17 ont leur budget annuel. Mais la gestion
économique des autonomies est placée sous le contrôle
du ministre des Finances et du Contrôle principal et sern
réglée par une loi spéciale.

S 2. LES AGENTS DÉCONCENTHÉS.

Le pouvoir administr1atif de l'Etat, cmmm~ nous l'avons


vu, appartient au roi qui l'exc•rce par ses ministrns respon-
sables (art. 47). De même que pour l'autonomie locale,
le législateur n'a envis,agé la compétence et les affaires
autononrns que pour la ré~io11, de même les attributions
des 1agents déconc2r1trés ne sont envisagées que pour les
unités administratives les plus importantes, c'est-à-dire
pour la région.
A la tête de chaque région se trouve un grand joupan
nommé par le roi, il administre les affaires de l'Etat dans
la région par les organes de l'Etat qui sont donc différents
de ceux des corps autonomes (art. 95, al. 4). Ces affaires
de 1'Ktat seront déterminées par la loi après ·Consultation
du Comité régional (art. 98, al. 5).
Le grand joupan est le chef suprême de l'administration
générale de l'Etat dans la région pour autant qü'il n'existe
pas d'offices spéciaux pour les affaires propres de l'Etat et
concernant une ou plusieurs régions (art. 98, al. 4).
Donc le législateur est libre di'instituer, pour les affaires
de l'Etat qui seront envisagées par une loi spéciale, après
consultation du comité régional, des organes spéciaux.
Nous avons vu que dans le but d'économiser (art. 98,
al. 3), la loi peut prévoir exceptionnellement des offices
communs pour les services dP l'Etat et les services de
l'autonomie de la régimi.
Etant donné que le grand joupan est le chef de Fadlmi-
nistration de l'Etat dans la région, les attributions que la
Constitution lui confère sont les suivantes :
1° Le grand joupan exerce un pouvoir de C-Ontrôle sur
les affaires des autorités autonomes. Aux termes de l'art.
10i, al. 1, le pouvoir administ:ratif de l'Etat exerce un
contrôle sur les affaires des autorités autonomes par
l'organe du grand joupan et par des organes techniques
spéciaux (1). Nous avons vu que le contrôle es:t exercé aux
termes ùe l'art. 103, ak 5, par le Conseil d'Etat aussi.
2° Le grand joupan promulgue les règlements régionaux
(.art. g9, al. 1).
:3° Il .a le droit de suspendre !:'exécution de toutes les
décisions des organes autonomes qui ne seraient pas fon-
dées sur la Constitution, les lois ou les règlements régio-
naux (art. 101, al. 2). Dans ce cas, il transmettra ce règle-

(1) D'après la déclaration de M. Trifkovitch à la séance XL


du 31 mars 1921 de la Commission, par organes techniques
il faut entendre les organes .institués dans l'intérêt surtout
de la minorité dans les Assemblées régionales. Ils donneront
les instrudions au gouv.ernem.ent central en cas de protes-
taüon de ces minorités, instructions qui seront plus objec-
tives que celles du grand joupan, étant donné qu'en fait la
plupart du temps le joupan, dans la pratique administrative,
n'est qu'un membre d'un parti politique.
14.
-- 210 -

ment avec son avis au Conseil d'Etat pour décision Bt en


informera le ministre compétent. Si 1e Conseil< d'Etat
trouve que le règlement n'est pas Liasé sur la Constitution
ou sur une autre loi, le règlement ne sera ni promulgué,
ni publié . .Le Conseil d'Etat est tenu de rendre sa décision
dans un délai de deux mois. S'il ne se prnnonce pas dans
ce délai, le règlement deviendra exécut01re (art. !:l!~, al. 2).
Un recours est reconnu par la Constitution contre le droit .
de suspension du gr.and joupan devant le Conseü d'Etat
dans le délai légal. Si le Conseil< d'Etat ne se prononce
pa•s dans le délai maximum d'un mois, ù dater du jour de
la réception, la décision devient exécutoire (art. 101, al. 2).
En ce qui concerne les agents déconcentrés dans les
autres unifos administratives, la Constitution n'en parle
pas et laisse cette question à une loi spéciale.
En résumé, l'organisation administrative de l'Etat,
comme on le voit, quoique tracée dans ses générafotés par
la Constitution, dépend encore grandement d'une loi spé-
ciale. Notamment les questions de compétence des auto-
nomies, La division en régions, le rnode d'élection des
assemblées locales, etc .. Cornrne œtte loi doit régler une
question primordiale, le législateur .a donné, dans l'art.
135, sous le titre de " Dispositions transitoires '" des règles
en quelique sorte impératives sur le vote de cette loi.
Il est ainsi conçu : le gouvernement est tenu de sou-
mettre à la décision de l'Assemblée nationale, dans le
délai de quatre mois, les projets de loi sur la division du
territoire en régions et sur l'organisation des régions (art.
95 et 96), ainsi que sur le transfert des attributions pro·
vinci.ales actuelles au ministère de l'administration régio-
nal:e (art. 134) si l'Assemblée nationale ne se prononce pas
sur les lois dans le délai de troi·s mois, elles devront être
votées conformément à l'art. 13:3 (J) sur l'unification de la
légioslation et de l'administration dans le pays. Dans le
cas où, par cette procédure sommaire, ces lois ne seraient
pas votées dans le délai-suivant de deux mois, un décre_t
royal devra ordonner que la division du territoire avec la
délimitation de l'administration provinciale soit effectuée
dans le sens des art. 95 et 96 de la Constitut10n. Ce décret
ne pourra être inodifié que par la voie liégislative. Si la
division des territoires ne se faü ni d'après la première
disposition du présent article, ni d'après la seconde, mais
d'après la troisième, dans ce cas quatre régions devront
être établies en Croatie-Slavonie. De même si la division
se fait par le décret prévu dans cet article, Ue Monténégro
de 1913, avec le Kotar des Bouches de Cattaro, sans les
départements de Plevlje et Bielo Polje seront considérés
comme régions et auront Les attributions de la région selon
l:a pl\ésente Constitution.
Sig,nalons que' la division du territoire doit se faire
maintenant d'après le troisième procédé et par conséquent
les prescriptions prises envers le Monténégro et la Croatie-
Slavonie, prescriptions qui n'ont pas été justifiées, mais
qui sont conformes à la tendance unitaire du liégislateur,
doivent être appliquées. Mais, dans tous les cas, d'après
l'art. 134, al. 3, le transfert graduel des, affaires de l'admi-
nistration provinciale aux différents ministères et aux
·différentes régions serlon lJes dispositions prévues par l'art.
135, sera réglé par le Conseil des ministres après audition.
du gouvernement provincial intére·ssé. Ce transfert n'étant
pas encore fait, quoique les principales lois organique.s sur
lia décentralisation administrative soient déjà votées, c'es·t
donc l'administration provisoire qui fonctionne.
Pour apprécier plus cliairement la décentralisation admi-
nistrative envisagée par la Constitution de Vidovdan,
nous allons la comparer avec celile de la France. A notre
avis, la décentr.alisation administrative prévue par la
nouvelle- Constitution est plus grande qu'en France, à deux
points de vue. Au point de vue des attributions des Con·
seils déeentralâsés (1) (le ConsBil général en France Bt
l'Assemblée régionale d'après la Constitution de Vidov-
dan) et au point de vue des attributions des agents décon-
centrés (le préfet en France et lG joupan dans la Consti-
tution de Vidovdan).
0i En ce qui concerne les attributions du Conseil géné-
ral et de l'Assemblée régionale, nous allons envisager les
attributions au point de vue de leur force exécutoire. Sous
ce rapport, on peut constater deux différences essentieHes :
a) La première différence réside dans ce fait que cer-
taines délibérations du Conseil général sont exécutoires
sans autorisation, mais leur effet peut être suspendu par
un décret du Président de la République, alors même
qu'il n'y a ni excès de pouvoir, ni violation de la loi, mais
un simple motif de fait pour inopportunité (art. 49 de la
loi du 18 aoùt 1871).
Tandis que, d'après l'art. 101 de la Constitution d2
Vidovdan, le joupan ne peut suspendre l'exécution d'une
décision de,s organes autonomes que dans le cas où elle
ne sera pas fondée sur la Constitution, sur les lois ou les
règlements régionaux .. Et spécialement pour les régions
(art. 99), dans les mêmes condi.tions il peut smpendre les
règlements régionaux émanant de l'Assemblée régionale,
mais dans ce cas il transmettra ce règlement avec son avis,
au Conseil d'Etat qui doit rendre une décision dans un
délai de deux mois .
.';JI s'en suit donc que dan" lia Constitution de Vidovdan
le pouvoir exécutif (administration active) en cas de sus-
pension, n'a rien à voir : il n'a pas le droit de veto. C'est
toujours le Conseil d'Etat qui décide, comme en France,
spécialement pour les délibérations dites définitives du

(1) Nous n'envisagerons que la plus grande unité adminis-


trative, étant donné que pour les autres la Constitution de
Vidovclan est muette.
- 213 -

Conseil général (art. 46 de la loi de 1871). Etant donné que


l'interv·ention du Conseil d'E~at est une garantie, la Cons-
titution de Vidovdan, à ce point de vue, est plus libérale:
b) La deuxième différence qui existe entre le Conseil
généra~ et l'Ass-emblée régionale se rapporte aux 'attribu-
tions financières. Le rôle du préfet comme représentant
du département, consiste à instruire les affaires qui inté-
ressent le département et .à en préparer la solution qu'il
propose au Conseil général. C'est en cette qualité qu'il
dresse chaque année le budget du département voté par le
Conseil. général à la session d'août, et approuvé par lui,
qu'il accepte au nom du département les dons et les legs,
passe des baux, etc ..
Tandis que d'après la Constitution_ de Vidovdan, le
joupan n'•a aucun droit d'intervention dans le budget régio-
nal. D'après l'art. 96, al. 4, rentrent dans le ressort de
l'administration autonome régionale, comme nous l'avons
vu : 1 ° Les finances régionales : a) établissement du bud$'et
régionall; b) affectation des recettes régionales, etc.. Le
joupan n'a pas même le droit de contrôle, comme cela
appartient à la Commission dép.artementaJle en France
sur la gestion financière du préfet, puisque l'art. 97 déclare
expressément que la gestion économique des unités auto~
nomes est placée sous le contrôle du ministre des Finances
et du Contrôle principal.
2° En ce qui concerne les attributions respectives du
préfet et du joupan, il existe une différence importante en
ce que le préfet joue un rôle plus actif dans lia vie admi-
nistrative du département que celui du joupan d'après la
nouvelle Constitution dans la région. Le préfet exécute
les délibérations du Conseil général (avec certain pouvoir
d'appréciation) par les arrêtés préfectoraux, tandis que
d' après l'art. 100 de la nouvelle Constitution, c'est le
1

Comité régional él:u par l'Assemblée :régionale, qui édicte


les dispositions et instructions pour l'Bxécution des règle"
ments. régionaux. C'est 1'Assemblée régiooole seule qui
~ 214-

a le droit de décréter des règ-lements régionaux sur t-0utes


les .affaires de sa compétence. Le joupan n'a que le droit de
promulguer les règlements régionaux (art. 99), c'est-à-
dire le droit de contrôle donné par l'art. 101, al. i, comrm
nous Vàvons vu, dans les cas où les décisions des organes
autonomes ne sont pas fondées sur la Constitution, sur les
lois ou les règlements régionaux.
En résumé la différence dans ses lignes générales entre
la décentralisation administrative franç,aise et celle envi-
sagée par la Constitution de Vidovdan consiste en ce
que dans celle-ci la séparation entre les affaires autonomes
et celles de l'Etat est plus nette et que les affaires autonomes
sont plus vastes et plus indépendantes qu'en France. Le
joupan n'est que le .chef de l'administration de l'Etat dans
la région (art. 98, al. 4), il ne joue aucun rôle actif dans les
affaires .autonomes.
Maintenant, quant à savoir comment fonctionneront Jes
organes administratifs dans le nouvel Etat, c'est une autre
question.
A notre avis, c'est autour de l'organisation adminis-
trative de l'Etat que le législateur, m1imé de l'idée de
l'unité national!e, mais en même temps caractérisé par une
homogénéité imparfaite -- certains ne conduisaient à
aucune solution pratique et d'autres visaient directement
la ruine de l'Etat - s'est montré peut-être sans s'en aper-
cevoir, poussé par l'idée, d'ailleurs légitime, d'uniformité
dans tous les domaines, naturellement le plus dogrna·
tique. n conçoit volontiers la société comme un orga-
nisme dont il es,t l'inteliligence. En confondant l'organi-
sation administrative de l'Etat avec l'organisation poli-
tique dont la séparation est d'ailleurs délicate à préciser,
spécialement dans le nouvel Etat, le législateur a consi-
déré en quellque sorte que rien dans l'Etat n'existait avant
la Constitution et s'il! existait quelque chose, son intention
était de faire cesser par elle toute la structure adminis-
trative qui caractérise le nouvel Etat. L'idé~ de souverai-
neté suppose table rase devant l'autorité souveraine, c'est
vrai. Mais il est vrai aussi que des rouages, tirés du néant
par un texte, sont exposés à périr par un texte. C'est une
vérité historique que s'il est illégitime de résister à l'auto-
rité souveraine, tout devient licite à qui s'est emparé
d'abord de la souverainté. L'auteur véritable d'un acte
gouvernermmta1' n'est pas celui qui le rédige ou l'exécute,
mais celui qui l'inspire; là où est l'influence là est le pou-
voir. Quel doit être l'action du Parlement sur les affaires
administratives ? Un eontrôle. Que tend-elle à devenir ?
Une direction. Dans la situation du nouvel Etat qui n'a
jamais existé, la direction est peut-être raisonnablle et
rationnel11e. Mais seulement quand on passe du contrôle
à la direction, il f,aut bien se garder c!e ne pas créer des
organes animés d'une vie propre et uniforme tene, que
leurs prescriptions peuvent signer leur propre abdication.
JI faut bien se garder de ne pas risquer simplement,
comme on le voit, jusqu'à un certain point dans le nouvel
Etat. cle porter ù son point critique le conflit des forces
politiques et des formes constitutionnellles, c'est-à-dire en
quelque sorte le conflit de la vapeur et de la chaudière.
L'utilité d'une constitution écrite est plutôt d'exposer le
jeu des organes politiques tel qu'il résulte du compromis
des forces en présence et des nécessités de la division du
travail législatif et gouvernemental; en d'autres termes,
eHe a la valeur d'une exp11ication plutôt que celle d'une
règlementation impérative; son mérite essentiel est d'être
sincère. C'est d'ailleurs une vérité générale que, par la
loi, nne nation peut beaucoup moins se réformer que se
comprendre. Il est vrai aussi que parmi ceux qui deman-
dent la révision constitutionnelle, la majorité n'est pas
animée jusqu'ici de bon sens et de loyauté, eU:e agit dans
un but purement politique, non pas dans le sens de Mon-
tesquieu, mais dans Ie sens plus réel de gouverner et de
se mainfonir.
{,a première condition indispensable pour réussir dan::i
- 216-

cette matière c'est la bonne volonté des partis et, pour le


moment, c'est ce qui manque le plus. Les prescriptions
administratives, comme beaucoup d'autres animées du
même esprit, dépendront donc des futures forces politi-
ques du nouvel Etat.
- 217-

CHAPITRE Il

LE pouvorn LÉGISLATIF ET LE POUVOIR JUDJCIAIRE.

Section I. -- L'Assemblée nationale (Narodna skupstina).

L'Assemblée nationale existait dans le droit public serbe


depuis le premier soulèvement de 1804. " Une des plus
vieilles et pl:us brillantes institutions dans la principauté de
Serbie '" dit l'art. 1or de la foi de 1859. Pendant longtemps,
c'est le àroit coutumier qui s'appliquait, mais en général
elle était convoquée et composée d'après la volonté du
prince. .
Les premières dispositions po]ftiques se trouvent dans
les lois du 28 octobre 1858, du 5 j.anvier 1859 et du 30 juin
1860, dans lesquelles sont réglés les modes d'élection, de
convocation et les compétences de l'Assemblée.
Jusqu'à la Constitution de 1869, l'Assemblée nationale
n'a pas joué un rôle prépondérant dans les affaires de
]'Etat. Eli1e était un organe de caractère consultatif, surtout
pour les questions financières et les changements territo~
riaux rle l'Etat ; dans toutes les .autres questions la oonsul-
tation était f.acultative (( si le prince et son gouvernement
voulaient entendre la voix de la nation ,, (art. 3 rle la loi
de 1861).
GeUe situation a cessé d'exister aux termes de la Cons-
titution de !869, art. 54, qui a introduit la rep·résentation
-216-

nationale. Depuis <ie temps, il s'est manifesté une évo~ution


vers Ue gouvernement parlementaire que la Constitution
de 1888 a introduit définitivement.
Avec la Constitution de 1903, qui ·est dans une certain2
mesure la base de la nouvelle Constitution, l'Assemblée
nationale avait des prérogatives budgétaires complètes (~).
Le régime parlementaire d'après la nouvelle Constitu-
tion est unicamérali. D'après le projet du gouvernement,
aux termes de l'art. 42, le pouvoir législlatif s'exerce par
deux Assemblées -~ l'ASiSembl~ nationale et le Sénat -.
Ce projet a subi des modifications, comme nous l'avons
dit, dans la séance XXII du 1er mars 1921 de la commission
de la Constitution où le système bicaméral a été rejeté.
Le meilleur parlement est celui qui exprime lie plus
ét,roitement la nation dans sa complexité. Il n'est pas d'ar~
gument plus fort pour justifier la dualité des Assemblées
législatives -- Chambre haute et Chambre populaire -
élues suivant un mode différent de scrutin. Deux statisti-
ques électorales valent mieux qu'une, parce qu'elllles s'in-
terprètent .et se corrigent l'une par l'autre.
Mais en réalité, les Assemblées sont une sorte de mee-
ting appelé à se prononcer sur des textes laborieusement
préparés en dehors d'elles, au sein des Commissions oü
dans les Gonseüs du gouvernement : .elles votent les llois,
el/les ne les font pas à proprement parler et il est. même à
redouter qu'.elles ne viennent, par un amenaement impro-
visé, à détruire le savant équilibre d'un projet longue-
ment médité. Dans une discussion orale, les esprits s'af-
frontent, ils n'ont pas l'e temps de se pénétrer, c'est le
corps à corps des arguments, des partis et des hommes.
Avec un travail juridique bien organisé, inspiré par des
données scientifiques et techniques qui exigent le maxi-

(1) R!lvue Misao de Belgrade. M. D. DanÏtch : Le droit bud-


.~étaire de l'Assemblée .natkmale, 1;1. 0 • 6-10.
mum de patience et d'impartialité --~ travail consistant
à étudier d'une manière approfondie les mouvements des
usages et de la jurisprudence, à réunir et interprét*'r les
données de la statistique, il est, à notre avis, bien indiffé-
rent que la représentation nationale soit composée d'une
ou de deux Chambres. Si le travail juridique se poursuit
d'une manière fragmentaire et incohérente, le>S erreurs
sont inévitables av,ec n'importe quel système, d'autant
plus que la statistique électorale rer;,seigne plutôt qu'elle
ne comrnande et si la nation délègue un attribut de la
souveraineté, cc n'est pas par principe, c'est par néces-
sité.
L'adoption par lia Commission constitutionnelle du sys-
tème unicaméraI est dû d'abord à la pratique du droit
public de Serbie et ensuite au désaccord entre les repré-
sentants de la majorité gouvernementale. Dans les discus-
sions de la Commission, les uns voulaient maintenir Je
projet gouvernemental! dans le but de donner la possibi-
lité d'introduire pour l~avenir un système de la représen-
tation des intérêts vivement demandé par les députés pay-
sans (i). Les autres, au ,contraire, repoussaient le Sénat
comme une institution surannée (2). Le résultat en ,1 été,
quand les propositions de la représentation des intérêts
ont échouées, que la majorité se trouvait pour le système
unicaméral.
Il n'est pas sans intérêt de signaler dans la discussion
de la Commission constitutionnelle l·e projet constitu-
tionnel< soutenu par le parti paysan de Serbie qui com-
prtmd le systèrne de la représentation des intérêts au Par-
lement.

(1) En ce seni-', M. Marinkovitch, député démocrate, dans


la séance XXII du 1•r marR 1921.
(2) En ce sens dans la nième Réance, :VI. Miladinovitch,
député l'Hdical.
-220-

Le système de l:a représentation des intérêts est telle-


ment connu en théorie que nous ne pensons pas qu'il soit
nécessaire de l'expliquer. Le mot intérêt professionnel est
si clair qu'il comprend tout. Par cette expression même,
le système devient contraire au régime parlementaire et
il semble s'inspirer d'un pur esprit scientifique étranger
à toute idéologie.
Mais la lutte électorale n'est-elle pas plutôt une
fièvre idéologique : l'électeur échappant par le secret du
vote à l'étreinte des servitudes sociales, exalté par l'illu-
sion de la souverainté, crédule à la poésie d'un programme
ou à l'éloquence d'un orateur, c'est un peu le philosophe
bâtissant sur la table rase. Mais bientôt, loin de la foulle
politique, l'électeur se retrouve lui-même et il se retrouve
homme privé, beaucoup moins spéctüatif et altruiste dans
sa vie de tous les jours que dans l'exercice de son pouvoir
souverain.
On peut se demander si faire du suffrage politique un
suffrage strictement profesc:ionnel à la manière du parti
paysan de Serbie, c'est bien fondre la nation réellie et la
nation légale (:i) ? Vous donnez un ou pl1usieurs sièges de
députés à mon syndicat, à ma chambre de commerce, à
mon université, mais je ne suis pas tout entier l'homme
de mon syndicat, de ma chambre de commerce, de mon
université, je suis l'homme de mes idées, de ma famille,
dB ma patrie, je ne suis pas tout entier terrassier, agent de
change, ou sculpteur, je suis mari, père, consommatBur.
Le point dB vue professionnel, à notre avis, est un point
de, vue unilatéral et il serait, en vérité, absurde de former

(1) Le problème de l'organisat)on légisiative, selon nous,


c'est d'affaiblir ou de supprimer clans la nation le dualisme
(.}e la société politique et de la société réelle, comme le pro-
blème de l'éducation juridique de l'esprit public c'est d'affai-
blir ou de supprimt~r dans l'individu .le duahsLrne de l'être
social et de l'être politique.
i;'iar un recrutement profe<;sionnel, des Assemblées légis-
Jati ves, qui passent la majeure partie de leurs réunions
ù élailo.rer des lois qui ne sont pas professionnelles. Le
système de la représentation des intérêts est une manifes-
tation de cette espèce particulière d'idéologie que l'on
pourrait appeler l'idéologie matérialiste.
Un Parlement doit être un microcosme national pour
que 1a nation ait quelque chance de se reconnaître dans
la l<oi. Le système de la représentation proportionnelle
répond à cette exigence : il: ne déplace pas la majorité
dans la nation, mais il permet à la plus grande variété
possible d'intérêts et d'opinions de s'exprimer numérique-
ment à chaque consultation électorale. En un mot, il tend
à réaliser le but du suffrage universel qui est de rendre
visible sans convulsion révolutionnaire les forces latentes
de la nation, toutes tes forces, celles de,s minorités comme
ceJle,s des majorités, celle-: des idées, comme celles des
appétit~ matériels (1).
Mais la difficulté d'application du projet du parti pay-
san, animé d'ailleurs de bonne volonté, se trouve d'abord
en ce que, dans le nouvel Etat, à notre avis, la solidarité
nationale est plus grande que l.a solidarité professionnelle.
Si on peut dire dans les pays industriels occidentaux que
le moment est proche où on se sentir.a d'une profession
comme on se sent d'une Patrie et où il ne sera pas plus
possible de se soustraire aux devoirs de J:a solidarité pro-

(1) Cruet, op. dt., p. 325. C'est pourquoi, en définitive, il


nous semble nécessaire, pour dét,ermine'r en toute sincérité
Ies tendances de la voionté publique, d'examiner parallèle-
ment comment la nation vote et oomrnent elle, vit. Il est vrai
que les partis moderne.s ont à cet égard une heureuse pro-
pension à mettre en lumière la s,o.lidarité d'intérêts, qui unit
leurs adhérents et que c'est le commencement d'une év-:ilu-
Uon vers la politique, concrète, un p,rmnier paf' vers l'éduca·
tfon réaliste du suffrage universel.
fessionnèlle qu'à ceux de la solidarité nationale, pour io
nouvel Etat --- qui est un pays en majorité agricole - -
on est encore loin de pouYoir le dire.
One autre dificu1té plus générale se rencontre (1) encore
comme le disait très justement M. Marinkovitch : " Si
nous sommes pour l'évolution du régime parlementaire,
i1i faut alors être évolutionniste. Les problèmes sociaux
et économiques sont si complexes qu'il n'y a pas d'esprit
humain capable de construire un système et de savoir
à l'avance les conséquences qu'il donnera. Dans ce cas-là,
Messieurs, le meilleur moyen c'est d'essayer, mais essayer
ne veut pas dire aller loin. n
Notons encore des projets d'un caractère semblable à
ceux du parti paysan, mais différents et plus intéressants,
en ce qu'ils demandent une Chambre ·politique et une
Chambre économique, ceux des partis du Narodni Club (2)
et du Club yougoslave (3); mais à cause des points de vue
de ces partis dans l'organisation politique de l'Etat, leurs
projets ont été reje.tés comme ceux du parti communiste
préconisant le système des soviets (4).
Tandis que l'organisation de la Chambre des Députés
en France est faite par les lois ordinaires et peut être
abrogée par le jeu normal du pouvoir législatif, sauf le
principe du suffrage universel (5), la Constitution de
Vidovdan comprend dans ses lignes gém~rales tous les
principes de l'organisation législative.
L'art. 69, al. 1, déclare que l'Assemblée nationale est

(1) Dans la séance XXII du 1er mars 1921.


(2) En @ sens l'exposé dë M. Pavitchitch, député du Naro-
dn1 Club, à la sé1mci' XXII du 1°" mars 1921.
(3) Exposé de M. Simrak, député du Club youg;oslave, à la
rnême séance.
(4) En ce sens, M. Zivko Yovanov,itch, député communiste,
dans la séance XXI du 28 fév. 1921.
(5) Art. 1, alinéa 2 de la loi du 25 fév. 1875.
c·.ornposée de députés élus librement par le peuple au suf-
frage universel égal, direct et secret avec représentation
des minorités. Des prescriptions détaillées touchant les
élections seront dé&erminées par une loi (al. 3, in fine).
D'abord, le principe du suffrage universel, accepté favo-
rablement par tous les partis politiques, est un procédé
très souple de statistique sociale, il traduit de façon rudi-
mentaire, mais par des chiffres clairs et précis, la trans-
formation des besoins et le mouvement des idées. On lui
reproche à juste titre de ne pas être inteliligent. Mais l'intel-
ligenc.e est une qualité individuelle, d'ailleurs peu répan-
due, non un attribut de la collectivité. Le mérite du suf-
frage universel et il ne peut en avoir d'autre --- c'est
d'être relativement vrai. L'expression " universelle " n'est
pas tout-à-fait exacte, car même sous ce régime, le droit
de vote est refusé à toute une partie de la population : aux
femmes, aux mineurs, aux incapables et aux indignes.
Le législateur, pour satisfaire les deux tendances qui se
manifestaient dans l'opinion publique et parmi tes partis,
en .ce qui concerne le vote des femmes, a posé une règle
compromissoire dans l'art. 70, al. 3 : la loi statuera sur
le suffrage des femmes (1).
On sait que Ia représentation des minorités a pour but
d'accorder ù la minorité une· r"eprésentation au Parlement,
proportionnelle à son importance dans le pays; c'est pour
cette raison qu'il faut que cette représentation soit l'image
aussi fidèle que JJossibl-e du pays entier. Nous avons vu
que la Constitution de 1888 avait introduit le système pro-
portionnel avec la représentation des minorités, système
qui a été appliqué pour les élections de la nouveUe1 Cons-
tituante.

(1) Notons que la loi élect-0ralei rotée le 21 juin 1922 n'a


pas donné le droit de vote aux femm.es. Bulletin de la Presse
11ougoslauc, n° 34.
Ôt\ si on envisagé le nouvel article 69, on constaté qûê
le système proportionnel n'est pas mentionné. Dans la
nouvelle Constitution, décliare M. Péritch, député radi-
cal (1), nou~ n'avons pas mentionné le système proportion-
nel parce qu'U va de soi que la représentation des mino-
rités suppose i:e système proportionnel. Les variantes pos-
sibles de la représentation des minorités ,seront détermi-
nées par une loi.
Mais n'est-il pas équitable et bon de réserver aux mino-
rités une part fixée d'avance (2) ? C'est oe que les socia-
listes ont demandé : " Quand nous demandons le système
proportionnel, on nous répond : Voici la représentation
des minorités ; mais nous savons que cette représentation
des minorités elile-même, peut donner lieu à des abus,
notamment on peut à une minorité quelle qu'elle solt,
donner seulement un député " (3).
D'après les discussions à l'Assemblée Constituante,, on
voit que !e parti radical considère le système proportion-
nel comme un système qui tend à mo·roeleir les partis pofü-
tiques - ce qui e,st d'aiHeurs discutable - et res consé-
quences ont été le renvoi de cette question importante à
une loi spéciale.
Pour étudier les dispositions constitutionnelles sur le
pouvoir législatif, nous ferons connaître successivement
l'organisation et les attributions de ~'Assemblée nationale.

§ i. - ORGANISATION.

II y .aura un député é1u par quar.ante mille habitants.


Si l'exoodent des habitants dans une circonscription élec-

(1) Dans la séance XLIX du 11 jllin 1921.


(2) Esmein, p. 318.
(3) Déclaration de M. Kristan, député socialiste, dans la
séance XLIX du 11 juin 1921.
.- ~25 -
loi'!Üe dépasse vingt-cinq mille, un député supplénien-
taire sera élu pour cette circonscription (art. 69).
L'Assemblée nationale est élue pour quatre années (art.
69, al. 3). On sait que les pouvoirs de li'Assemblée natio-
nale peuvent cesser avant l'expiration du délai liégal par
suite de la dissolution prononcée par le roi (art. 52, al. 6).
L'élection des députés étant faite au suffrage universel
égal, secret et direct, le droit de vote appartient à tout
citoyen de naissance ou naturalisé qui a vingt-et-un ans
révolus (art. 70).
Les incapacités en matière électorale sont les unes per-
pétuefües, les autres temporaires.
Les incapacités perpétuelles ne sont pas absolues - il
s'ag~t de l'art. 70, al. 2 - les officiers de l'armée active ou
en d~sporribilité, ainsi que les sous-offi.ciers et lies soldats
sous lies drapeaux ne peuvent exe11cer leur droit d'él,ooteur
ni être éligibles. Perdent temporairement leUJr diroit élec-
toral, d'après l'art. 71 : 1° les peTsonnes qui ont été oon-
d\amnées à la prison tant qu'elles n'allil'ont pas éité réinté-
grées dans leurs droits, 2° oelles qui ont été condamnées à
la perte de leur dignité civique, pendant lie temps de leur
condamnation, 3° ceUes qui ont été déclarées en failllite,
4° ceUes qui sont en tutelle.

A) Eligibilité. -- Aux ,formes de l'art. 72 : D'abord ne


peuvent être élus députés à l'Assemblée nationale que les
personnes qui jouissent de leurs droits électoraux, qu'eUes
figu:r.ent ou non sur les füstes 'électorales. Ensuite pour
qu'un citoyen soit élu député, il faut : 1 ° Qu'il soi>t ress0ir-
t1ssant de naissanoo ou rnatu:ralisé au Royaume des Seil'-
bes, Croates, Slovènes. Le ressortissant naturalisé, s'il
n'est pas de nationalité serbe croate slovène, devra avoir
été domiciilié dans le Royaume au moins pendant dix ans
à dater du jour de la natum1isation ; 2° Qu'il ait trente ans
révolus ; 3° Qu'il parle et écrive la langue nationale.
Pe ·ces règles il s'en suit que l'inéligibilité, c'est-à-dire
15.
.:.u 226 -

hnaptitude de certaines personnes à èt.re élues dépu1&s


peut être absolue ou relative.
Sont inéligibles d'une façon absolue : 1° Les officiers
de l'armée active ou en disponibilité, ainsi que les sous-
officiers et les soldats sous les drapeaux (art. 70) ; 2° Les
pe11sonnes qui ne jouissent pas de lernrs droits él€ctoraux,
e1t plus particulièrement : a) les étrangers natmalisés pen-
dant les dix ans qui suivent le décret de naturalisation,
b) les personnes de moins de kent0 ans révolus et le's per-
sonnes quâ ne savent parler et écrire la langue nationale ;
3° Les fournissewrs ou entrepreneurs df' l'Etat (art. 72,
al. 2).
L'inéligibilité relative ou incompatibilit.é est déterminée
par l'art. 73 et s'applique à tous leS< fonctionnaüres inves-
tis. de l'autorité publique qui ne peuvent poser leur candi-
dature dans la circonsoription électomle de leur ress01rt.
Les fonctionnaires élus sont mis rm disponibilité pendant
la du:r,ée de leur mandat. :\fais spéciialement les fonction-
nairns die la pol:ice, des finances, les foresüers, ainsi que
les fonctionna.ires de la réfornrn agraire, doivent résigner
hmrs fonctions un an ,avant le décret fixant les éledions.
Font exception les ministres en .activité ou en chsponi-
bilüé et l'es p:mfesiseurs de l'Université qui peuvent poser
leur candidature et g.airder leurs fonctions s'üs sont élus.
Notons encore l'art. 74, d'après lequel les électeurs ne
peuvent donner, ni les députés ,accepter de mandat impé·
ratif : tout député représente 1.a nation toute, 'entière et
non pas seulement ses électeurs. Les députés do·ivent prê-
ter serment de garder fidèlement la Constitution.
Les questions relatives aux élections étant ainsi vues, il
nous reste encore à donner les règles sur l'organisation de
l'Assemblée nationale relatives à un certain nombre de
points.
B) En ce qui concerne le siè,qe de l'Assemblée nationale,
il est réglé par J'.art. 75. L'Assemblée se réunit dans la
capitale, Belgrade ; néanmoins, en cas de guerre, si la
- ~2~ --
MpÜàle est tiiansfévée, l'Assemblée se réunira dans ià
capitale provisoi!l'e.

C) Quant à la mise en activité de l'Assemblée, c'est au


chef du pouvoi,r exécutif qu'elle appartient en la convo-
quant. Aux teirmes de l'art. 52, al1. 5, le roi peut à n'im-
porte quel moment, selon lle,s besoins de l'Etat, convoqueœ
l'Assemblée nationale lorsqu'elle s'est ajoU1rnée. En ce qui
concerne l'ajournement de l'Assemblée de la part du pou-
voir exéciutif, 1a nouve1le Constitution n'en parle pas. Le
projet du gouvernement, dans l'articl,e 63, al. 4, contenait
que l'Assemblée peut être ajournée à deiux mois au plius,
par un décret, mais ce projet ayant été rejeté (1) par la
Gomm1ssion, il s'en suli,t que cette question doit être réglée
par le ,règlement intérieur de l'Assemblée. La convocation
de l'Asisemblée est limitée par certaines règles destinées à
assurer la régul1arit-é des sessiions parlementaires.
D) Quant à l'organisation des sessions, l'Assemblée
nationale en a deux sortes : des sess1ons ordlinaire,s et
des sessions extr:a-ordinaire1s .C'est lie roi qui oonvoque l'As-
sembliée en session •Ordinaire ou ext11aordinaire (art. 52,
al. 1). Il ouvre et clôt, comme nous l'avons vu, personnel-
lement les sess1ons par un discours du trône ou par l'organe
du Conseil des ministres. Le déc1ret qui clôt les séances
d'une session contiendra toujours l'ordre relatif à la date
de lia session suivante (art. 52, al. 4). Aux teirmes de l'art. 75
la session régulière commence lie· 20 ootobre de chaque
année. La durée de l·a session ordinaire n'est pas fixée par
la Constitution, néanmoins l'al. 3 de l'art. 75 déclare que
la session régulière ne peut pas être close avant que le
budget de l'Etat ait été voté. Les cas où l'Assemb1ée doit
êtr:e convoquée en session exrfirao·rdinaire sont au nombre
de t11ois : i 0 Aux termes de l'art. 51, al. 2, s; la guerre est

(1) Dan$ la séanc(l LX du 8 juin 1921 de la Commission.


-228-

déclrarée au pays cm ùl: est attaqué, L'Assemblé(' doit êlr't·


immédiatenwnt convoquée. L'art. 75, al. 4, déclare en
même temps que pendant La guerre l'Assemblée nationale
doit siéger en permanence, hors le cas où elle en aura
décidé autrement. 2° A.ux termes de l'art. 65, en cas de
décès ou d'abdication du mi, l'héritier du trône, dans un
délai de dix jours, prête serment devant l'Assemblé·e
nationale qui doit être convoquée, même si elle avait été
dissoute précédemment et que la nouvelle n'ait pas encore
été élue. 3° Si le trône restait sans héritier, le Conseil des
rn.inîstres prendrait fm mains le pouY.oir royal et convo-
querait sur-le-champ l'Assemblée nationale où on décide-
r.ait du trône (art. 67).
E) Pour faciliter ses travaux, l'Assemblée, d'après l'art.
76, fixe son ri'glement i11 térieur, vérifie les pouvoir:; de
ses membres et statue sur leur yalidité. Aux termes de
j'.artide 7î, elle élit pour chaque session son bureau parmi
ses membres. La Constitution ne laisse pas de côté la
qustion du quorum pour la validité des décisions ; l'art. 8fJ
déclare que l'Assemblée peut valablement délibérer si un
tiers des députés assiste à la séance. La majorité des voix
des déput.és présents est nécessaire pour la Yalidité dies
décisions. Au cas où les voix se répartissent également,
la pr.oposition qui fait l'objet du vote est considérée comme
,repoussée.

F) L'art. 89 règle la sûreté de !"Assemblée. Aucune forer:


armée ne peut être postée dans Ia cou;r ou dans les bâti-
ments de l'Assemblée sans autorisation du président de
celle-ci. De même, nul organe de l'Etat ne peut effectuer à
l'Assemblée un acte d'autorité publique. Nul ne peut être
en armes à l'Assemblée, en dehors des personnes qui règle-
mentairement portent les a:rrnes et se trouvent de service
à l'Assemblée. L'Assembliée nationale a le droit exclusif de
maintenir l'ordre <lll.ns son sein par l'organe de son prési-
slent.
-- 229 -

G) Les prè1·ogatives des membres de l'Assemblée oon


nues sous le nom d'in1,rnu11ités parlernentaires sont rela·
tives : aux discours, aux votes et aux poursuites devant
Je,s tribunaux. Un député ne peut être rendu responsable
par personne du vote qu'il a émis comme membre de
l'Assemblée (art. 87). L'al. 2 du même art. contient : Les
députés ne répondent que devant l'Assembl€e, et d'après
les prescriptions du règlement, de leurs déclarations et
ades dans l'exercice de leur mandat, soit aux séances de
l'Assemb1ée ou à ,celles des Comités, soit des missions ou
fonctions spéciales dont ils ont été chargés par l'Assemblée.
L'immunité en ce CJlLÎ concerne les poursuites devant
les tribunaux, c'est-à-dire l'inviol1abilité pal'lementaire,
es,t réglée par Fart. 88, qui part du jour de l'élection. Sans
autorisation d:e I'Assernblée, les membres de celle-ci ne
peuvent, par aucune autorité et en aumrn cas, être invités
it répondre pour un délit quelco1111ut'., ni priyés de la
liberté tant que dure leur mandat. Par exception, les nrnm-
bres de l'Assemblée ne sont pas couverts pm l'immunité
parlementaire en cas de flagrant délit criminel ou correc-
tionnel. Toutefois, dans ,ce de.rnier cas, I'autoritè qu.i
enquête et instruit avisera l1'Assembl€e qui donnera ou
refusera l'autouisatim1 de continuer la procédure pendant
la session. De même si un citoyen devient député avant
qu'une sentence exécutoire ait été prononcée contre lui
pour une infraction, l'autorité qui enquête et instruit
avisera l'Assembl.ée nationale, qui donnera ou refusera
l'autorisration de continuer la procédure. Un membre de
l'Assemblée nationale ne peut être tenu de répondre que
du fait pour lequel l'imrmunité a été levée.

§ 2. ATTHmt;noNs DE L'ASSf~MBLÉr; NATIONALE

A) Yote cl 71rocédure drs lois ordinaires rt des lois de


finanas. L'attribution principale de l'Assemblée est de
voter les lois. L'initiative des lois appartient an pouvoir
- 230-'-

exécutif concurremment avec les membres de, l'Assemblée.


Aux termes de l'art. 78, les projets de loi sont présentés,
ap'l'ès autorisation royale, p1ar le Conseil de,s ministres ou
par lès différents ministères. Le droit de présenter une
proposition de loi appartient à tout membre de l'Assem-
blée. Les propositions ou prnjets de loi (1) sont soumis à
une procédure préparatoire ; ainsi d'après l'art. 86, aucun
projet ou proposition de loi ne peut venir en discussion à
FAssembMe avant d'avoir passé par le comité compétent.
La Constitution est muette sur le droit qu'ont les membres
de l'Assemblée de présenter des amendements, mais com-
me il n'existe pas de texte conkaiire dans le régime parle-
mentaire, ce droit se conçoit et il est indispensable.
D'après l'al. 3 de l'art. 86, foute proposition ou projet
de loi doit donner lieu à f.:Ieux votes dans la même session
de l'Assemblée, avant d'être définitivement adoptée. Dans
le droit publi>c yougoslave, il: n'y a donc pas, au point de
vue de l·a procédure, cette différence entre les projets et
les propositions de loi que l'on aperçoit dans la pratique
franç,aise. Notamment dans La pratique française, les pro-
jets de lois ne sont pas renvoyés, comme les propositions
de lois, à la commission initiiative parlementaire, ni sou~
mis à la p:r.oc.édure préalablie, dite de la prise en considé-
ration, mais üs sont examinés directement par la com-
mission qui doit en faire le rapport à la Chambre.
Notons encore la différence qui existe entre la pratique
parlementaire foanç,aise en ce qui concerne le. vote par
procuration. Notamment aux termes de l'art. 86, al. 2, de
la nouvelle Constitution, le vote ne peut être exprimé que
personnellement et il est public, seulies les élections à

(1) Dans la terminologie de la Constitution de Vidovdan, il


n'y a pas de <listin.ction ent:re projet et proposition de loi,
les deux exp·ressions sont englobées dans le 'mot " zak.onski
pred!log '"
l'Assembl!ée se font au scrutin secret. Sur la question de
la publicité des séances, la Constitution est muette; en
pratique les séances sont publiques et réglées par l·e règle- ·
ment i,ntérieur.
Il existe une exception importante par rapport à l'art. 86,
ail. 3, d'.après lequel toute proposition ou projet de lloi
doit donner lieu à deux votes dans la même session de l'As-
semblée; cette exception contenue dans l'art. 133 a pour
but Funification des législations diverses qui caractérisent
le nouvel Etat.
Aux termes de l'art. 133, porur unifier la législation et
l'administration dans le pays, une procédure sommaire
est instituée. Tous les projets ou propositions de liai qui
ont pour objet l'unification de la législation et de l'admi-
nistration seront adressés par la présidence de l'Assem-
blée au Comité législatif (al. 2) et tant que l'Assemblée
. constituante fonctionnera comme aso;;emblée législative (i),
le Comité de constitution exercera les fonctions du Comité
législlatif (al.5). Le rapport du Comité législatif est envoyé
à fin de résolution à l'Assemblée nationale, avec la propo-
sition adoptée par le Comité. L'Assemblée statue sur ces
projets ou propositions de llo·i par un seul vote nominal
acceptant ou rejetamt la totalité. Avant le vote un repré-
sentant de chaque groupe parlementaire peut faire une
courte déclaration (.al. 3). Cette procédure sommaire pour
l'unification de la llégislation et de l'adlministration dans
le pays peut être appliquée pendant cinq ans à dater de
l'entrée en vigueur de la Constitution, mais ce délai peut
. être prorogé par la loi (.al. 4).
Le llégislateur dans l'art. 135, comme nom l'avons vu
sur la division du territoire en régions et sur l'organisa-
tion des régions, a pris la procédure sommaire (2).

(1) Jusqu'au 28 juin 1923, d'après l'art. 140 de la Constitu-


tion .et l'art. 1 de la loi .électorale dw 3 déc. 1920.
(2) Une procédure sommaire est instituée, ·prévue à l'art. 133
- '.!32-

De même dans le out d'unifier la législation, le légis-


lateur, dans l'art. 130 que nous avons cité pour déterminer
la souveraineté de la Constituante, a donné la valeur de
lois à toutes les lois provisoires, règlements, ordonnances
et décisions du Conseil des ministres et autres, édités entre
le i"r décembre 1918 et la promulgation de cette Consti-
tution. Mais pour donner la possibilité de révision à toutes
les !lois provisoires, règlements, etc., le législateur a posé,
flans le même article, une proch1ure spéciale pour leur
adoption et la révision.
Notamment, dans le délai d'un mois à dater de la pro-
mtügation de cette constitution, [(~ gouvernement est tenu
de tr.ansmettre à fin d'examen, au Comité législatif, toutes
les lois provisoires, tous les règlements, ordonnances et dé-
cisions du Conseil d'es ministres, ainsi que les autres actes
et décisions ayant une durée déterminée d'application et
la valeur d'une foi. l_,e Comité, partagé en sections corres-
pondant aux différentes branches de l'administration de
l'Etat, après les avoir examinés dans un délai maximum
de cinq mois, décidera, en séance plénière, ceux qui doi-
vent rester en vigueur sans modification, ceux qui doivent
êtère modifiés et ceux qui sont à abroger. Les lois provi-
soires, règlements, etc., qui n'auraient pas été soumis
deviennent caducs. I,es décisions du Comité seront pro-
mulguées comme lois. Les dispositions sur lesquelles le
Comité n'aura pris aucune décision dans le délai prescrit
continueront à être intégralement applicables, t.ant qu'elles
n'auront pas été remplacées par la voie législative régu-
lière.
On voit donc que, dans un but d'unification législative,

pour la 1oi électorale de l'asse.mblée future (art. HO). Airn;i


que pour la révision des c-0nce:s:sions accordées jusqu'au jour
de la promulgation de la Cons.titution (art. 1:3H) comme nous
le verrons plus loin.
- 233-

le Législa~ur a donné le droit au Comité législ:atif seul


d'apprécier les lois et règlements, etc., édictés entre le
i•r décembre i9i8 etTa promulgation de cette Constitution
par le fait que les décisions du Comité seront promulguées
comme lois.
Il existe des exceptions au droit du Comité législatif
dans le même article, al. 2, ainsi conçu : Ne peuvent être
modifiés que par la voie Mgislative toutes les lois provi-
soires, tous les règlements, ordonnances, et décisions du
Conseil des ministres ayant la valeur d'une foi et se rap-
portant aux rapports agraires dans le pays, à la Banque
Nationale des Serbes, Croates èt Slovènes, à la li.quidlation
du moratorium, à la liquidation de la situation juridique
créée par la guerre, et à l'indemnisation des dommages
de guerre, ainsi que le règlement S'Ur l'emprunt et sur la
prooédure accélé11ée devant Tes tribunaux.
Il nous reste encore la question de la confection des lois
de finances. Aux termes de l'art. ii4, l'Assemblée, avant
dt'approuver le budget qui lui est soumis, peut voter des
douzièmes pour un ou plusieurs mois. L'Assemblée
approuve chaque fois lie budget de l'Etat qui n'est valable
que ipowr une seule année. Elle ne peut pas éllever les
chapitres proposés, mais elle peut les réduire ou les reje-
ter (art. ii3). Donc cet article pose la règle d'annualité du
budget et l'al. 4 de ce même art. qui déclare que le budget
est approuvé par chapitre, pose en même temps la règle
de spécial!ité du budget, règle qui ne figure pas dans lies
constitutions antérieures de la Serbie (i). Le budget doit

(1) On sait que le vote par chapitre est lè système le meil-


leur .en comparaison du. vote par article •ou en bloc. D'une
part, en effet, il ·assure un dro.it de contrôle considérable à 1a
Chambre, et d'autre pa.rt il 1aisse une c.ertaine· liberté d'ac-
tion et une ·certainfl initiative aux ministres en Leur permet-
tant d'opérer, suivant les circonstances, des. virements d'nn
arUcle à l'autre dans le même chapitre.
....... 234-

être soumis à l'Assemb1ée un mois au plus tard après sa


réunion. En même temps que le budget, les comptes défi-
nitifs du budget du dernier exercice sont soumis à la véri-
f]cation et à la ratifi·oation de l'Assemblée.
Les comptes définitifs de l'Etat sont soumic:, à la déci-
sion de l'Assennblée, avec les observations du Contrôle
prindpal dans 1e délai d'une année au maximum à comp-
ter de lia clôture de chaque exereioe budgétaire (art. 118).
Les reliquats d'un chapitre budgétaire ou d'une année
budgétaire ne peuvent pas être employés à combler les
déficits d'un autre chapitre ou d'une autre année budgé-
taire sans l'approbation de l'Assemblée (art. 113, al. 6).
Le budget fixe chaque année les effectifs de l'armée à
maintenir sous les drapeaux (art. 119).
Le législateur a prévu, en cas de dissolution de l'Assem-
blée, conformément à li'article 52, al. 6, dans Fart. 114,
que si l'Assemblée a été dissoute avant d'avoir statué sur
le budget, le budget de l'exercice précédent est prorogé
par décret pour quatre mois au maximum. La loi règlera
le mode de fomnation et d'·exécution du budget (art. 113,
v.l. 5).
Notons encore qu'aucune assistance permanente ou pro-
visoire, aucun don ou récompense de la caisse de l'Etat
ne pelUvent être accordés s'ils ne smt basés sur la loi (art.
i16, al. 4) et que fü ministre d'es Finances administre le
patrimoine de l'Etat dans l'a mesure où les lois n'en dispo-
sent pas autrement (art. 117, al. i).
Dès qu'un proj.et ou une proposition de loi a été votée
par l'Assemblée, la loi n'est pas encore parfaite. Pour que
les lois soient parfaites et exécutûires, il faut, d'aprè!'i
l'art. 49, que le ~oi les sanctionne (1) et les p.romulgue. Les

(1) L'amendement de M. Divac, député soc.ialiste, contre Je


droit de sanction, ·a été rejeté dans la séance XX du 26 fév.
1921 de la O~i$s·ion.
lois sont promulguées par un décret royal reproduisant
la Ioi même votée par l'Assemblée. Ce décret est contre-
signé par tous les ministres (art. 80). :Le ministre de la
Justice appose le sceàu de l'Etat et assure la publication
de la loi dans le Journal Officiel, si ·elle n'en a pas elle.-
même disposé autrement. Le jour de ]a publication dans
le Journal Officiel est inclus.

B) Attributions diverses. - a) Aux termes de l'art. 79,


l'approbation préalable de l'Assemblée nationale est néces-
saire pour les ratifications des traités avec les Etats étran-
gers, sauf pour les conventions purement politiques si
e1les ne vont à l'enoontre ni de la Constitution, ni d'es llois
de l'Etat.
L'Assemblée peut, 16rsque le besoin de l'Etat l'exigent,
autoriser par avance le Conseil des Ministres à édicter des
mesures pollil' l'aprp1ication ·immédiate de la convention
proposée. Mais il faut l'approbation préalable de l!'Assem-
blée nationale, si une armée étrangère est prise au service
de l'Etat ou si l'armée de l'Etat est mise au service d'un
Etat étranger (art. 124) De même le territoire de l'Etat
ne peut être ni aliéné ni échangé sans !:'approbation de
l'Assemblée nationale (art. 79, al. 4).
b) Aux termes de l'art. 81, l'AssemblBe a le droit d'en-
quête· et d'investigation en matière électorale et dans les
questions purement administratives.
c) Elle peut, par une résolution, rendre inopérants, en
totalité ou en partie, les règlements édi~tés en vertu d'1me
autorisation légalle (art. 94, al. 4);·
d) Aux termes de l'art. 103, l'Assemblée a le droit d'élire
l'es membres du Conseil d'Etat de la façon suivante : Une
moitié du Conseil est nommée par le roi sur une liste
double de oandidats proposés par l'Assemblée, l'autre
moitié est élue if>ar l'Assemblée sur une lŒste double de
candidats proposés par le roi.
e) L'Assemblée statue sur les emprunts de l'Etat. Le .,
Gouvernement est . tenu de saumettn· le compte-rendu
exact et approuvé par le Contrôle principal! à !' Assemb1étJ
établissant que les contrats cfernprunt ont (~té conclus
et exécutés conformément à la loi (art. HCl, al. 2).
fi Aux termes de t'art. 118,' l'Assemblée élit le président
et les membres du Contrôle principal, sur une liste de
candijdats dressée par le Conseil d'Etat et qui comprt:nd
deux fois pl us de candidats qu'il n'y a de places vacantes.
1

g) L'article 12î déclare que l'Assemblée nationale peut,


par une loi spéciale, suspendre temporairement, en cas cle
g·uerre et de mobilisation, sur tout le territoire de l'Etat,
et en cas d'insurrection armée pour une partie de ce ter-
ritoire, les droits sui.vants des citoyens : Te droit d'assoda-
tion, le droit de réunion, le droit de se concerter, la liberté
de déplacement, l'inviolabilité de domicil'e, Ia correspon·
dance et Ia eornmunicatimi télégraphique. De la rnême
façon, des limites peuvent être apportées à la liberté de la
presse, au cas d'une insurrection arrnée, dans la partie de
l'Etat que cette insurrection affecte.

Section II. Le ;101woir j111üciaire.

Avant de passer à l'organisation générale de la justice


envisagée par la Constitution, il y a lieu de voir dans ses
grandes lignes forganisation actuelle appelée à disparaî-
tre par l'application de la Constitution, organisation qui
est encore bien composite et qui suppose un effort que
devra déployer le gouvernement pour faire passer l'unité
dans la vie judiciaire du pays. La Commission ou Comité
législatif, instituée d'après l'art. 1:33 de cette Constitution,
qui a envisagé une procédure sommaire, a entrepris son
travail avec une activité qui permet d'augurer que fa
période de transaction sera réduite au minirnmn.
Entre les provinces de Serbie, de Voïvodine et dt• J\ilonté-
négro, iun commencernent d:'tmifieation a déjà eu lieu, La
Serbie et la Voïvodin.c ont la même Covr suprêrne, - la
~-- 237 -

Covr de Cassation de Belgrade, 11rn1s celle-ci délègLH~


il une section siégeant ;\- Novi-Sad ses attributions en ce
qui concerne la Voïvodine où la justice est encore rendue
d'après la législation magyare. Le tribunal suprême mon-
ténégrin est la Grande-Cour de Podgoritza. Les Cours
<l'appel ou tables judkiaires pour ces régions sont à Bel-
grade, Skoplje 8t à Novi-Sad. Les deux premières diffè-
rent de la troisième parce qu'elles n'ont pas de procureur
du roi. L'organisation de la magistrature en Serbie ne
comporte pas de ministère public ; un magistrat du tribu-
nal est désignt'.• dans chaque affaire en dehors de la Cour,
pour faire fonction de procureur. Les tribunaux de pre-
mière instance dEls provinces de SPrbie et de Monténégro,
comme les tribunaux d'arrondissements de Voïvodine, qui
jug·ent lt>s affairPs de moirnlre importance et les contra-
ventions, dépendent au point de nw administratif du
ministèrP de la justice ù Belgrade.
Dans IL's iirovinct>s de Croatie et dl=i Slavonie, Ja terrni-
nologil:' <Jiiffôre. La Cour de Cassation Pst hi Table des Sept,
qui est le tribunal suprême pour c0s deux provinces de
législation autrichienne•. Elle déprndait, avant l'unité,
de la Cour impériale t:l royale de Cassation à Vienne.
La Cour d'appel pour la province de Croatie-SlavoniP
est la table du Ban. Dans chaque joupanie il y a un tribu-
nal dt> première instance 011 table judiciaire et 79 tribu-
naux d'arrornlissements complètent cette organisation.
Dans la province de Bosnie-Herzégovine, le Tribunal
suprême et la Cour d'ap1:î'ê1 siègent à Sarajevo.; il y a en
outre les tribunaux de départements et d'arrondissements
avec la même organisation pour les juges chériats (ecclé-
siastiques) dans les affaires matrimoniales et de succession
qui dérivent du Coran.
Dans les provinces de Slovénit> et de Dalmatie, il existe
ÜPUX cours d'appel, à Ljubljana et à Split, puis des tribu-
naux de première instance et d'arrondissements.
Aux termes de L'art. 137, al. 4 de la Constitution de
-- ~38.....,.

Vidovdan, la Gom de Cassation à Belgrade, la Table dès


Sept à Zagreb, le Tribunal suprême à Sarajevo, le grand
T.ribunal à Podgoritza et la section de la Cour de Cassa-
tion à Novi-Sad fonctionneront comme actuellement et
seront considérés comme des sections de la Cour de Cassa-
tion jusqu'à l'organisation d'une Cour de Cassation pour
tout le. pays.
Les attributions et l'institution de la Cour de Cassation
sont réglées par l'art. 110. Il existe pour tout le royaume
une seule Cour de Cassation dont le siège est à Zagreb. Le
deuxièm2 alinéa du même article continue à déclarer que
la Cour de Cassation est qualifiée pour connaître les con-
flits de compétence entre l'autorité administrative, civil<~
ou militaire et l'autorité judiciaire. Elle connaît également
les .conflits de compétence entre les tribunaux administra-
tifs et les tribunaux de droit commun. Donc, d'après
l'art. HO, la Cour de Cassation est en même temps un
tribunal des conflits d'attributions (1), c'est le système
belge qui est adopté et qui existait d'ailleurs dans J.es
constitutions antérieures de la Serbie. Notons encore la
comp,étence de la Cour de Cassation d'après l'art. 120, al. 4,
cHe connaît en dernière instance les jugements des tribu-
naux militaires et d'après l'art. \J3 le président de la Cour
de Cassation préside le tribunal d'Etat.
Aux termes de l'article 109, les tribunaux et les compé-
tences judiciaires ne peuvent être institués que par la loi
On ne peut, dans aucun cas, instituer de tribunaux extra-
ordinaires ni de commissions d'enquêtes. L'al. 3 du même
article 1confirme une institution vivement critiquée non
seulement par l'opposition parlementaire, mais aussi par
l'opinion publique.

(1) La proposition pour l'institution d'un tribunal des Con-


flits par M. Yovanovitch, député pays.an, dans la séance de la
Commission L du 31 mars 1921, a été rejetée par cette simple
·réflexion de M. Trifkovitch : trop de complication.
Notamment il s'agit des affaires musulmanes pour les-
quelles l'al. 3 est ainsi conçu : Les affaires musulmanes de
famille et de succession sont jugées par des juges chériats
de l'Etat. Les chériats sont des lois du Coran qui règlent
]es affaires de familile et de succession. La p:roposition du
parti yougoslave musulman se résume ainsi : " Nous
demandons que les tribunaux chériats qui existent pour
les afïaires de famine (mariage) ·et les successions soisnt
reconnus par la Constitution et ainsi mis sous la surveil·
lance die l'Etat, d'autant plus qu'entre leurs règ1es et le
droit civil, il n'existe p,as de grandes différences et qu'elŒes
fie sont pas un outrage à la moralité publique » (1).
Les partisans du parti paysan, du parti républicain et
du parti socialiste ont r.épondu (2)· : " S'il s'agit de proté-
ger et de sauvegarder la religion, on peut laisser les tri-
bunaux religieux existants, - d'autant plus que de pareils
tribunaux existent déjà dlans les autres religions - mais
uniquement pour des questions familia~es, questions qui
ne sont pas autre chose qu'une question d'administration
r~l>igieuse. Mais on ne voit pas d'abord pourquoi mention-
ner cette question dans la Constitution et ensuite pourquoi
étendre cette administration religieuse-~ des questions de
biens comme celle de la succession qui doit êtr.e réglée
pour tout le monde par la loi civile. Si nous sommes parti~
sans avec nos frères musulmans de l'idée de l'unité natio-
nale, il faut que les statuts des biens soient régis égale-
ment pour tout le monde et non pas affirmer deux légis-
"Ilations distinctes pour une même nat;on. Si chaque com-
munauté religieuse demande de pareilles prescriptions, où
irons-nous? "

(1) Déclaration de M. F. Kourbeg.ovitch, dans Ja séance


XLI, du 1•" avril 1921.
(2) En ce .sens MM. Kristan, Mos·kovljevitch et Djonovitch
dans la. séance XLI du 1°" avril 1921.
Le gouvernement a hésité d'abord en considérant que
c'est une question de droit commun reconnue par l'art. 12
de la Constitution (i), c'est-à-dire que la liberté de religion
et de conscience est garantie et que d'après l'art. 109, il
n'y a que l\:)s tribunaux extraordinaires dont l'institution
soit défendue. Mais, en définitive, le gouvernement a
adopté la proposition du parti musulman en déclarant que
c'était une question de tolérance religieuse quoique, au
fond, ce soit toujours dans le but d'assurer le vote de la
Constitution.
Nous avons vu, sous le titre " Pouvoirs de l'Etat '" que
la nomination flt~s juges est envisagée dans la nouvelle
Constitution par décret royal sur la proposition du minis-
tre de la .Justice, entre les candidats choisis par un corps
électoral dont la composition sera déterminée par la loi
(art. III).
Il nous reste à voir maintenant la question dïnamovi-
bilité des juges consacrée par J,'art. 112. Les juges cle tous
lies tribunaux sont inamovibles. Le juge ne peut être des-
titué ni déplacé, ni éloigné de sa fonction pour ancunt>
raison contre sa \'ülonté, sans une décision d'un tribunal
de droit cornmun ou un arrêt disciplinaire de la Cour de
Cass1afüm. Il ne peut être mis en accusation pour l'exercice
110 sa fonction judiciaire sans approbation de la Cour
d'appel compétente. Pour les membres des trihunaux
supérieurs, cette approbation est donnée par la Com de
Cassation. D'après l'a!. 2, un juge ne peut, mêmcô provi-
soirernent, être appelé à une haute fonction publique,
rémunérée ou non, sans son consentement et l'approbation
de la Cour de Cassation. Un Juge ne peut être déplacé
qu'avec son consentement.
Jl peut rester en fonctions jusqu'à soixante-cinq ans

(1) En ce sen~, M, Trifkovitch, dans la séance XLI du


1•r avril 1921.
-241
révolus, les présidents de la Cour de Cassation et des Cours
d'appel jusqu'à soixante-dix ans révolus. Avant ce terme,.
ils ne peuvent être mis à la retraite que sur leur demande
écrite ou s'ils sont affaiblis physiquement ou mentalement
au point de ne pouvoir exercer leurs fonctions. Dans ce
dernier cas, la décision touchant leur mise à la retraite est
prise par la Cour de Cassation.
Il existe un tempérament provisoire à l'inamovibilité
des juges prévu dans les " dispositions transitoires ,,
par l'art. 137. Dans les territoires autres que l'ancien
royaume de Serbie, l'inamovibilité pour les différents
juges peut être suspendue pendant le délai d'un an à
compter du jour de la Constitution.
Ces mesures envisagent les juges qui ne savent pas la
langue nationale et dont le remplacement doit être effectué
dans l'intérêt des habitants (i).
Pour cette raison, dans le délai prescrit, le ministre de
la Justice organisera des commissions composées des juges
des tribunaux supérieurs de C·es territoires, avec lesquelles
il désignera nominativement les juges pour lesquels cette
inamovibilité ne s'applique pas.
Mais les juges qui ont été nommés en vertu de la loi
sur la façon de combler provisoirement 1es vacances des
fonctionnaires pendant la guerre ou en vertu d'une autr·2
loi ou d'un règlement à titre provisoire, sont tenus de
passer l'examen des jug.es dans le délai d'un an et demi
après l'entrée en vigueur de cette Constitution. Ceux qui
ne l'auront pas fait dans le délai fixé seront relevés de
leurs fonctions de juges.
Notons encore pour finir, la règlementation des tribu-
naux militaires aux termes de l'art. 120. Les tribunaux
militaires sont indépendants. En rendant l:a justice, ils

(1) Déclaration de M. Trifkovîtch dans la séance XLIV du


4 avril 1921 de la Commission.
16,
~ 242-

rie sont assujettis il aucune autorité, mais jugent selon les


lois. Le juge dü tribunal militaire d'appel est inarnovible,
mais l'inamovibilité des juges des tribunaux militaires
de première instance sera réglée par La loi. Le juge du
tribunal militaire de première instance ne peut être mis en
accusation pour l'exercice de ses fonctions j uciiciaires,
sans l'approbation du tribunal müitaire d'appel. Le juge
d'appel ne peut être mis en accusation sans l'autorisation
de la Gour de Cassation. Le juge du tribunal militaire
d'appel ne peut être déplacé que de son gré et en cas
de nomination h un rang plus élevé; tandis que lü juge
d'un tribunal militaire de première instance peut l'être
d'après les prescriptions de la loi.
Gomme contrôle des tribunaux militaires, ainsi que
nous l'avons mentionné, la Cour de .Cassation connaît en
dernière instance les j ugernents des tribunaux militaires.
ce contrôle est encore élargi par l'art. 121, d'après lequel
les infractions commises par des civils en compagnie de
militaires seront jugées par lo Tribunal civil, mais en
temps de guerre par lPs tribunaux rnil!itaires.

·-*·-
TITRE HI.

Les Prescriptions sociales et économiques,

les Droits individuels, la Révision constitutionnelle.

CI-IAPfCl'RE l)REl\!UER

LES PHESCRIPTIONS SOCL\LES ET ÉCONOMIQUES.

Tandis que le droit constitutionnel regarde la loi cornrnf'


une garantie de liberté, l'éeonO!mie politique la redoute
comme une manifestation d'autorité. C'est une question de
point de vue : pour le droit constitutionnel la loi est une
protection de l'individu contre l'arbitraire gouverne-
mental ; pour l'économie politique, elle est un mode d'in-
tervention de l'Etat dans 1e domaine des transactions pri-
vées. Il n'y a là rien de contradictoire. Ainsi, le ]égislateur,
au point de vue économique, s'est montré nettement inter-
ventionniste. Sous l'influence d:es situations économiques
différentes, qui se manifestent dans les différentes provin-
ces, le législateur a senti le besoin de poser des règles géné-
1
- 244-

rales iJour la vie sociale et économique du pays. Ainsi peut


s'expliquer la troisième partie de la Constitution de Vidov-
dan qui comprend vingt-trois articles de prescriptions dt'
nature sociale et économique.
Dans !<:~ projet du gouvernement notanrnient, on trou-
vait un seul article, l'article 12, ainsi conçu : ,, La propriété
est garantie. La contenance, l'étendue et la délimitation de
la propriété privée seront réglées par la loi. Les fidéïcomis
sont abolis "· La commission de la Constituante ne s'est
pas contentée de prescriptions si incomplètes et si vagues.
Il fallait donner une direction plus large qui sürvirait de
fondement ù la vie future du pays et donnerait aux div:er-
ses forces de la société la possibilité de se développer. Ces
prescriptions contiennent différentes dispositions que nous
allons énumérer successive1mmt en teuant compte cl'unP
remarque empruntée à M. Planiol, à savoir : quand on
a dit que le législateur doit assurer la vie et la liberté des
hommes, protéger !Pur travail el leurs biens, réprimer les
écarts dangereux pour l'ordre social et moral, reconnaître
aux époux et .aux parents des droits et des devoirs récipro-
ques, on est bien loin d'avoir fondé um~ législation (i).
Donc ce qui est le, plus appréciable ici, c'est la rJOnne
volonté du législateur.

A) Le premier principe qui se dégage, c'est l'intention de


donner aux individus la possibilité de travailler utilement
à la vie sociale. Aux termes de F.art. 42, l'Etat veille à ce
que soit assurée ù tous les citoyens la même possibilité de
se préparer aux travaux éconorniques pour lesquels ils se
sentent du goût. A cet effet, l'Etat organisera l'éducation
professionnelle et l'assistance permanente pour l'éduca·
tion des enfants pauvres et bie-n doués. D'après le rappor-
teur suppl'éant, M. Demetrovitch (2), cet article repré-

(1) J. Cruet, op. cît., p. 18U.


(2) Danc: la f'énnce XXXIX du 2'7 mai 1921.
·-- 245 --·

sente un principe qui terni à se rapprocher du but. de la


réalisation de l'égalité sociale, en ce sens qu'il donne à
tous ceux qui font preuve d'intelligence ou de travail la
possibilité de s'élever aux plus hautes situations de l'échelle
sociale". " Nous aurons une situation idéale, continue le
rapporteur, quand la concurrence s'exercera entre des hom-
mes pourvus de moyens égaux pour se développer au sein
de la lutte sociale et non entre des hommes privilégiés
seulenient '" En ce sens, on peut citer l'art. ;3!) ainsi conçu :
lJne loi sur l'impôt successoraI doit assurer à l'Etat une
participation à l'héritage, en tenant compte du degré de
parenté entre l'héritier et le de cujus, ainsi que de la
valeur de l'héritage.

B) Le deuxième principe qui se dégage est le principe de


l'intervention de l'Etat dans la vie économique avec la
garantie de la liberté des conventions, et dans la 1nesure
où cette lilwrl.l' n'est pas contrairr• aux intérêts généraux.
D'après l'art. 2f>, la lillerté de passer dt•s contrats dans
les rapports éconorniques est reconnue dans la mesure où
elle n'est pas en opposition avec l'intérêt de la collectivité;
et ù la base de la loi, l'Etat a le droit et le devoir d'inter-
Yenir dans les rapports économiques entre citoyens dans
un esprit de justice et en vue d'écarter les conflits sociaux
(art. 26). " Nous considérons que l'Etat n'a pas seulement
le droit mais le devoir d'intervenir en vue d'éc.arter les
inégalités sociales n, déclare le rapporteur. Cette inter-
vention doit protéger Jer:; institutions sociales les plus fon-
damentalr'.s que l'on peut grouper d'après la Constitution,
au nombre de quatre.
11) D'aborcl la question d'hygiène üont l'art. 2'7 est ainsi
corn;u : l'Etat s'occupe :
i IL• l'améliuration des conditiom; hygiéniques géné-
0

rales et sociales qui influent sur la santé nationale.


2° De la protection sociale des mères et des enfants en
has ùge.
-246 -

3" De la préservation de la santé de tous les citoyens.


'1" De la lutte contre les maladies contagieuses aiguës et
chroniques, ainsi que contre l'abus de l'alcool.
De l'assistance méclicalA gratuite aux citoyens pau-
;; 0

vres ainsi que de la fourniture gratuite des méclicamrnts


et autres moyens de présArvation de la santé nationale.
b) Puis la protection du mariage. Aux termes de l'art. 28
le mariage est sous la protection de l'Ji::tat. Contre cet arti-
cle on a obje{'.té qu'il n'est pas précis. N'est-ce pas dire
que le mariage doit être civil '! Non, dit le rapporteur ;
avec cet article nous considérons que le mariage est la base
de l'Etat et comme tel il doit être protégé. Cette protection
C(!TlSiste en diverses mesures sociales et surtout hygiéni-
ques en vue, de sauvegarder la famille comme base de
nDtre société.
c) J<~nsuite la protection de la classe ouvrière. L'art. 2:1,
qui a spécialon1ent pour but de protéger et de développer
une législation ouvrière, est ainsi conçu : Le travail est
sous la protection de l'Etat. Les femmes et les mineurs
doivent être l'objet d'une protection spéciale dans les tra-
vaux nuisibles it la santé. La loi édicte des mesures spé-
ciales pour la sécurité et la protection des ouvriers, elle
règle la journée lÎ'.' travail dans toutes les entreprises.
L'art. 31 se rapportant aux assurancec: ouvrières est ainsi
conçu : une loi spécial'e règlementera les assurances
ouvrières en cas d'accident, maladie, chômag-e, incapacité
de travail, vieillesse et mort. " L:ouvrier, déclare le rappor-
teur, qui est obligé rle vendre son travail pour assmer
l'existence de sa famille, doit être assuré, s'il se trouve
dans une situation contraire à sa volonté. Aux termes de
l'art. 33, le droit pour les ouvriers de s'or,!.rnniser afin d'amé-
liorer les conditions du travail est garanti. Par analogie,
on accorde, dans l'art. 34, une attention spéciale à la pêche
maritime et aux intérêts maritimes. LJne loi spéciale
règlera les assurances pour les personnes de profossion
maritime en cas de maladie, invalidité, vieillesse et mort.
--- 247 -·

Les art. :-io et 40 ont pour but de protéger la classe agrη·


cote : Une législation spéciale règlementera les assurances
agricoles. Cette protection se manifeste surtout dans
l'art. 40, d'après lequel la réquisition des moyens de trans-
port et autres ob,iets pour le besoin de l'armée ne peut se
faire que contre une indemnité équitable.

Notons encore une tendance semblable dans l'art. 29 :


L'Etat assiste rnatériellement l'organisation coopérative
nationale. 11 assiste de même matériellement J.es autres
associations nationales économiques qui ne travaillient pas
Em vue de gagner. A égalité de condition dans les affaires
qui sont du domaine de leur activité, la préférence sera
donnée aux coopératives et autres associations économi-
ques de même nature ou à leur fédération sur les autres
ent!·eprises privées. Une loi sur ·1es coopératives sera faite
et rendue applicable ù tout le pays. L'art. :32 envisage la
protection nécessitée par les conséquences de la guerre.
Notamment, les invalides, orphelins de guerre et veuves
de guene, ainsi que les parents de militaires qui sont
tombés ou morts ù la gumTe, si ces derniers sont pauvres
et incapables de travailler, bénéficient de la protection
spéciale et du secours de l'Etat en témoignage de grati-
tude. Une loi règlera la question de ia réadaptation des
invalides au travail' et de l'éducation des orphelins de
rnierre pour le travail et la vie.

d) Dans le sens de l'intervention de l'Etat, on peut cite·r


l'art. ii'î qui se trouve sous le titre de" Finances et domai-
nes de l'Etat ", d'après lequel le droit de monopole appar-
tienl h l'Etat. Les mines, les eaux, les sources minérales
ut les forces naturelles sont la propriété de l'Etat. Une loi
spéciall" règlera les modes de concessiono: minières, indus-
.trielles ou aùtres, et le mode d'aliénation des biens dA
l'Etat (i). Ensuite, vient l'art. 35, aux termes duquel l'Etat
s'oc.cupe de l'établissement et de l!'entretien de tous les
- 248-

n.oyens de communication partout où l'exigent ses inté-


rêts généraux.
L'art. 4i parle des expropriations des dmnaine.s fores-
tiers. Le principe est que !es grands domaines forestiers
ne peuvent être que la propriété de l'Etat. Aux termes de
cet article, les grands domaines forestiers privés sont
expropriés d'après la loi et deviennent propriété de l'Etat
ou des corps autonomes. La loi déterminera la mesure
dans laquelle de grands domaines peuvent dev:?nir pro-
priété d'autres corps publics existants ou à former. Les
terrains véritablement forestiers, dont le boisement ·est
exigé par des raisons de climat ou cb culture, deviennent
également, d'après la loi sur l'expropriation, propriété de
l'Etat ou des corps autonornes dans la rn es ure où ce boise-
ment ne peut être effectué autrc,rnent. Les grands domai-
nes forestiers que l'autorité étrangèrP avait donnés à cer-
taines personnes devienrnrnt, d'après la loi, propriété de
l'Etat ou de la commune, sans aucune indemnité pour ces
personnes. Donc, pour tous les autres cas, une indemnité
doit être donnée, quoiqu'elle ne soit pas expressément
mentionnée par la Constitution.
La loi forestière règlera les conditions dans lesquelles
les cultivateurs et les travailleurs, dont l'agriculture est
l'occupation accessoire~, pourront utiliser les coupes de
bois pour la construction et le chauffage et faire paître
leur bétail dans les forêts de l'Etat et des corps autonom:'s.

(1) Mais en ::ütendant la loi relative aux concessions, confor-


mément à cet article, toutes les concessions accordées ju:-;-
qu'au jour de la promulgation de la ronstitution doivent être
révisées cle la manière prhue à !"article 1:33 cle la Consti-
tution (procédure sommaire). En ce qui concerne les conce:.;-
sions relatives à la coupe des forèts de l'Etat, les prix (taxe~,)
fixés par la révision auront une valeur rétro0ctive à compter
du t•r décembre 1918 (art. 139),
-- 249 -

C) Comme troisième principe, peuvent se dégager la


question de la propriété individuelle et la question de
l'affranchissement économique clu paysan.
Dans un pays agricole connne le nouvel Etat, les ques-
tions les plus importantes touchent la réforme agraire qui
aujourd'hui encore est à l'ordre clu jour. Une bonne poli-
tique agraire est maintenant et sera dans l'avenir le fonde-
ment sur lequel doit se baser tout édifice étatique. Le désir
de celui qui cultive la terre est d'en avoir. Or, jusqu'en
1918, Cf' désir n'a obtenu aucun résultat pratiqu·.:. Avant
l'unité nationale, la situatiou agraire, cornrne nous l'avons
vu, avait un caractère demi-féodal et en même temps de
capitalisme modernisé. C'est pour cela que les prescrip-
tions dans cette matière sont de prmnière importance.
La propriété privée, d'après l'art. ~17, est g·arantie; de
même, le produit du travail intellectuel qui est la propriété
de son auteur, jouit d.c la protection de l'Etat (art. 24).
L'art. 37 continm~ il déclarer que de la propriété découlent
des obligations. L'usage rh'. la propriété rrn doit pas nuire
aux intérêts de la collectivité. La contenance, l'étendue et
la délimitation de la propriété privée sont réglées par la
loi. L'art. 37 est un progrès incontestable dans la concep-
tion sociale de la propriété par rapport à l'art. 16 de la
Constitution de rno~i, qui est ainsi conçu : La propriété,
quelle qu'en soit la nah1re, est " inviolable "· Nul ne peut
être contrai nt de céder ses biens à l'Etat ou ù d'autres
11ersonnes morales publiques, ni it subir aucune restric-
ticm en lem· faveur, sauf dans les cas établis par la loi et
moyennant une indemnité légale.
La Constitution rwuvelll~ est allélo plus loin, l'n décla-
rant que la propriété privée est garantie et non inviolabh'.
et qut• la contenance, l'éü•ndw• et la délimitation seront
réglées par la loi. L 'al. 2 de l'art. :r; ajoute que l'expropria-
tion pour cause d'utilité publique est admise sur la base
do la loi, moyennant une indemnité équitable, et non lé-
galr, comme c'était d'après la Cunstitution de UJ03. Entre
-2i0-

les deux articles, on remarquP encure ePLte différence que de


la propriété découlent des obligations et que l'usage de la
propriété rw doit pas nuire aux intérêts de la coUeetivité.
Par cette règle, la propr;dé devient 1mr /onrlion sociale (i)
et ainsi est écartée l'ancimrne conception rh1 droit romain.
Ces prescT'iptions sont en même temps des précédents pour
la règlementation de la question agraire. F;l'Jes justifient,
Pn rnênrn temps l'art. :'38 qui parle des fidei.comis. D'après
cet art. les fideïcomis sont aholis. C'-est dn moins la règle.
Par exception, les fondations ayant une destination d'inté-
rêt général sont reconnues. Une loi règlera les cas dans
lesquels le hut et l'objet de la fondation pourront être
modifiés rfèlprès les chang1·rnpnts de circonstances sur-
venus.
Pour les questions agraires, le législRhmr s'est montré
catégorique. Aux termes de l'art. 112, les rapports féodaux
sont considérés comme juridiquement aholis à compter
du jour d'e l'affranchissement de la domination étrangère.
Si avant cette date des injustices ont été commises, dans
lèl suppression des rapports féodaux nu dans leur trans-
formation en rapport de droits civils, la loi doit redresser
ces injustices. L'al. 2 du même Rrticle déclare que .les
kmets, tchivtchis et les cultivateurs qui travaillent la terre
dans les mêmes conditions que les kmets sont confirmés
libres propriétaires des terres qn'ils détiennmt ; ils ne
payent, de ce chef, aucune indemnitf' et seront inscrits au
registre de la propriété foncière.
Cet art. se manifeste clairement dans ses tendances. La
terre· cultivée par les kmets t~t dans les conditions sem-
blables devient la propriété de ceux-ci et l'es begs n'ont
pas le droit de leur demander d'indemnité à ce sujet. La
Constitution ne détermine pas quand, combien et comment

(1) Dé laration de M. Démetrovitch, clans la séance XXXIX


du 27 mai 1921.
-~ 251-

l'indemnité sera payée (1). L'art 43 parle de l'expropria-


tion des grandes propriétés foncières qui doit être envi-
sagée séparé.ment dP la questioo dPs krnets de Hosnie-H,·r-
zégovine. Il est ainsi conçu : L'expropriation des grandes
propriétés foncières Pt leur partagP entre ceux qui travail-
lent la terre seront réglés par la loi. La loi déterminera
de même quelle sera l'indemnité allouée pour les domaines
expropriés. Aucune indemnité ne sera allouée pour les
grands domaines qui ont appartenu aux membres des
anciennes dynasties étrangères, ni pour cenx dont la domi-
nation étrangère a fait don à certaines personnes. La loi
déterminera le maximum de la propriété foncière ainsi
que les cas dans lesquels un minimum de terre ne pourra
être aliéné (2). Le même art. parl'e du peuplement qui se
fera de préférence par les soins des coopératiYes de peuple-
ment librement organisées ; on veillera à ce que les colons
soient pourvus des moyens indispensables au succès de
la production (3). Lors du peuplement et du partage des
terres expropriées, la préférence devra être donnée aux
soldats nécessiteux qui combattirent pour la libération
rles Serbes, Croates et Slovènes et à leurs famililes.
Si on envisage maintenant l'art. 1!a, qui règlemente
l'expropriation des grandes propriétés foncières, on cons-

11) Nom: avons Vll les ré,;ultatf' de;; dé,crc1:-; provisoires


en cette matière jusqu'at1 17 no1ctubre HJ?2.
(2) Hèglc qui provient du droit civil de Serbie.
(3) D':iprès lH c!écl:iratioii rninistérielk du 17 nov. 1922, le
peuplement s'effectue au nord, en Voïvodine, et au sud, en
Vieille Serbie. Le nombre des colons en Voïvodinc est de
12.000 familles. Au commencement les colons n'obtenaient que
d~ la te1 ro,, maintenant ün lel1r procure les rnatériaux pour
construire les maison;o; <l'habit::ition. Dans les régions du sud,
le nombre des colons est de 25.000 personnes, jusqu'au 17 nov.
1922 bien entendu. Il a été distribué ù ces personnes 6.500.000
dinars pour les matériaux de construction (Politilw du 18 noY.
1922).
-252-

ta te que la réalisation de ces q ucstions si importantes n'est


pas encore .commencée, puisqlll~ CQ même article, comme
nous 1i'avons vu, déclare que l'expropriation des grandes
propriétés foncières (Jt leu1· partage seront réglés par la
· loi. Or, d'après l"art. 1:-lO, les lois provisoires, règlements,
ordonnances vt décisions du Cons(~il des ministres et autres
actes et décisions ayant um) durée déterminée d'applica-
tion et la rnleur d'une loi édictée entre le j er décembre
HJ18 et la promuliration de cette Constitution, restent t:n
vigueur comme lois jusqu'it ce qn'ils aillnt été abrogés ou
modifiés: donc, les règiemenls du :?fi féYrier d clu ::?l juil-
let 1919, que nous aHrns mentiunnès dans notre• première~
parfü', sont devPnus des lois. l~t en fait, i'e:xprupriation
comme la liquidation ch·s rnppurtt: des krrn•ts, sont curn
mencées depuis mm.
On peut donc se dt niandPr po1.11"quoi le législateul' a
0

envisagt' dan:; l'art. '1:1 1rne nrnivrlle 1·(;glementation '!


L'art. !:) du règlenw11t provisoire, qui est devenu une loi,
déclare clairernenl CJLW toutes les grandes propriétés fon-
cières du territoire de l'Etat doiH;nt ôtn; f)xpropriées. Ou
hien le JégislatetH' doit reconnaîh'·· qu'il a voulu mainte-
nir l'art. n du rÈHdement provisoire en lni donnant la
force d'une loi par !"art. 130 df~ la Constitution, et ainsi
le nouveau règlement d'expropriation envisag·é dans
l'art. I1~j nous semble inntile: uu hien il doit avouer qu'il
n'a pa~ voulu reconnaitre h•s expropriations antérieures et
ainsi la rédaction de-' l'art. 4:3 s'imposait.
ll existait deux tendances parmi les partis gonver-
ne1nentaux : l'une qui voulait garantir par la Constitution
la réforme agraire déjà commencée et qui a triomphé
par la rédaction de l'art. rno, et l'autre qui n'était pas
d'accord avec les applications antérinures de.o règlements
provisoires et c'est pourquoi on a demanch~ la rédaction
de l'art 4:3 (1 ). Semblable remarque t:'apen;oit dans l'ai. ,'f

(1) En ce sens l\I. Secero\· : La Comrnissiou Je Ja Con:-;ti-


tutinn et la réforiue agrairt<. Hevue JV!isao de Belgrade, n° /i.2.
- 253-

du rnêrne article, it savoir: La lui déterminera le maxirnum


df• la propriété foncière>, etc .. Or, d'après le règlement dn
;n juin 1\J20, qLù esl devenu LlTlt' lui par le jeu de l'art. 1:30,
le rnaxim um a été déjà déterminé, donc une loi ne peut
que changer la fixation antérieure et non pas la déter-
miner.
En ce qui concerne k peuplement envisagé dans l'art.
43, al. 3, et la préférence, lors du peuplement, donnée aux
soldats nécessitt>ux qui combattirent pour la libération des
Serbes, Croates et SlovènPs, par " soldats " il faut enten-
drP égaleirn:nt les engagés volontaires des nouvelles pro-
vinces qui cornilattirent au front de ~alonique et dont le
nornlmJ légal s'élève il plus de v-ingt mille.
Notons, t•n définitive, lPs displlsitiuns de l'art. :36, aux
termes duquel l'usure suus toutE?S les formes est interdite
et les dispcsitiorn: de !"art. 11 polli' l'élaboration d'mw
H·gislation sociale et t'conmnique, d"après lequel un Con-
seil économique est institué. La loi d1itenninera les pres
criplions dt',taill('es relatins ii la eornposit.ion et il la com-
pétence de ce Conseil. Disons en tf'rminant ce chapitn',
que les amendPments sur le eontrôlf' ouvrier dans la pro-
duction, les anwndements sur la nationalisation de la
terre, ainsi que certain;; amendements empruntés au
social isnw d'Etat allemand ont été rejetés.
-254-

CHAPITRE II

DHOITS ET DEVOIHS FONDAMENTATX DES CITOYEi'iS.

Dans la deuxième partie intitulée " Droits et devoirs


fondamentaux des citoyens '" la nouvelle Constitution envi-
sage la question d'égalité civile, la liberté individuelle et
les garanties des droits des citoyens.

Section I. -- Egalité civile.

L'égalité civile, qui d'aiUeurs ne doit pas être confon-


due avec l'égalité des conditions, est envisagée dans les
articles 4, 21, 115, 1Hi, 122. Ce principe de l'égalité pro-
duit des conséquences importantes au point de vue cl·e
la loi, des obligations publiques et de l'admission aux
emplois et dignités.
~ i"'·. - Au point de vue de la loi, l'égalité est consacrée
par l'art. 4 qui, après avoir déclaré qu'il n'existe dans
tout le royaume qu'une seule nationalité, ajoute que tous
les citoyens sont égaux devant la loi et bénéficient égale-
ment dt' la protedion des autorités. La noblesse, les titres
Pt autres privilèges de naissance ne sont pas reconnus.
§ .2. --- L'égalité des obligations est consacrée dans
-- 2ô5 -

l'art. 21. Tout citoyen doit se soumettre aux lois, servir


les intérêts die la curnnwn.auté nationale, défendre sa
p.atrü~ et supporter les impôts selon ses capacités économi-
ques et les prescriptions de la loi.
L'égalité des obligations publiques apparaît donc en ce
qui concerne le paiement de l'impôt et la charge du ser-
vice militaire.
A) L'obligation de payer l'impôt est générale, toutes 'les
contributions de l'Etat sont les mêmes pour le pays entier
(art. iHi). Les impôts et les contributions générales de
l'Etat ne sont institués que par la loi (art. ii5). Comment
l'impôt est-il payé ? Le législateur est plus explicite dans
la nouvelle Constitution, ù ce point de vue, que dans la
Constitution de tno:-J. La Constitution de !D03, dans son
art. no, déclare : l'impôt est réparti proportionnellement
il la fortune. Tandis que l'al. 2 de l'art. i16 de la nouveHe
Constitution qui détermine la naturt> mêmt> du taux de
l'impôt est ainsi conçu : l'inipôt est payé d"après la capa-
citô du contrihuahle et il est progressif. On sait que les
impôts progressifs ne sont pas, par eux-mêmes, contraires
aux principes cfo l'égalité devant l'impôt. Surtout dans
un système fiscal comme l'est celui du nouvel Etat, qui
cornprend ù la fois des impôts directs et des impôts indi-
rects.
Les impôts indirects 1nêrne ne sont pas, par leur naturt>,
proportionnels. Ceux qui portent sur la vente, la circula-
tion, la consommation clt>s choses de prt>mière nécessité
ou d'usag·e courant, ne peuvent pratiquement être établis
que d'après le poids ou la nature et non pas ad valorem,
et deviennent ainsi les mêmes pour tout consommateur. Ils
pèsent donc, relativement, d'une manière plus lourdt> sur
le pauvre qtrn sur le riche.
Etablir des impôts directs progressifs c'est établir une
balance égal:e, a pensé lt> lég;slateur. Il est intéressant de
constater --- quoique la quotité de l'impôt soit un problèm~~
de la plus haute importance intéressant à la fois le trésor
- 256 -

qui ('Il hl~néficie et les cuntrihuables qui en supportent le


poids et quoique ia controverse célèbre soit toujours
ouverte entre· le,; partisans de la proportionnalité et ceux
de la progressivité de l'impôt et quoique les législations
positivGs et européennes ne soiEmt pas actuellement fixél's
dans un sens très net il est intéressant de constater qu'au
cours des discussions soit ù la Commission, soit à l'Assem-
blée, il n'y eut pas un seul député qui ait protesté contre
les impôts progressifs mentionnés déjà dans le projet du
gouvernement. On a propust': l<L détermination de l'exis-
tence minirnum (1) (normale) qui doit être exempte de
l'impôt, et non selllE·nwnt aucun inemlwe n'a invoqué le
système proportionnel, mais rnênw personne n'a men-
tionné les inconvénients de \'impôt progressif qui sont
aussi graves que ceux du système proportionnel. En effet,
l'impôt progn•ssif 1~st toujo1irs arhitrnin~ (2), un certain
scepticisme existe sur son rPmlernent financier, ensuite,
dans ies législations positives des différents Etats, ce sy.-;-
tème n'apparaît qu'il titre l'XceptiCJnnel et plutôt pour
répondre ù une nécessité financière qm• pour faire régner
la justice, enfin il n'est pas sans effet sur l'émigration
des capitaux.

Ici, on apGrçoit très nettenH'nt qi.œ le législateur a con-


sidéré .la question de l'impôt - comme beaucoup d'autres
(organisation adtninistrative de l'Etat) plutôt comme
1m moyen de régénératicm sociale qu'une source de reve-
nus pour l'Etat, puisqu'il n'a pas laissé cette question
délicate à l'Assemblée législative, Sans doute, il y a des
motifs exœllents pour choisir entre les deux systèmes
d'impôts, mais ces motifs, nous semble-t-il, ne sont pas

(1) En CJO .~ens M, Divac, députl> ,:ocialiste, el M. L Marko-


vitch, député communiste, dans la séance XXVII dn î mars
1!)21.
(2) M. l.Vfoye, Législation financière, p. 60-73.
-257-
d'ordre logique ou philosophique, ils sont plutôt d'ordrti
expérimental ou historique.
B) Le principe de l'égalité au point de vue du service
mifüaire a été posé d'une. façon formelle par l'art. ii9.
Le service militaire est général, aux termes de la loi.
L'organisation ·et l'effectif de l'armée et de la marine sont
fixés par la loi. Aux termes die l'art. 122, nul ne peut,
passé l'âge de vingt ans, obtenir un emploi de l'Etat ou
le conserver s'il n'a pas fait son service militaire ou s'il
n'a pas été libéré conformément aux termes de la lbi mili-
taire. L'armée ne peut être employée au maintien de l'or-
dre à l'intérieur que sur la réquisition de l'autorité civile
compétente (art. 123),
§ 3. - L'égalité pour l'admission aux emplois est réglée
par l'art. 19. Toutes les fonctions dans toutes les bran-
ches de l'administration officielle sont également accessi-
bles sous lies conditions légal!es à tous les citoyens d'ori-
gine ainsi qu'aux citoyens naturalisés qui sont de natio-
nalité serbe, croate, slovène. Les citoyens autres que ceux·
là ne peuvent être admis au servioe de l'Etat que s'ils ont
dix ans de résidenœ dans le royaume. Cependant, ils
pourront l'être plus tôt sur l'approbation spéciale du Con-
seil d'Etat, après demande motivée du ministre· compétent.
Les emplois dans les services de l'Etat, les droits et
devoirs, lies appointements et pensions des fonctionnaires
de l'Etat dans toutes };es branches, sont fixés par la loi sur
les fonctionnaires (art. 106). Mais en attendant la nouvelle
loi sur les fonctionnaires prévue par l'art. 106, aux termes
de l'art. 136, les lois actueUes sur l·es droits .et devoirs des
fonctionnaires restent en vigueur. La nouvelle loi devra
continuer l!es dispositions transitoires en vue de la révi-
sion ·et de la répartition du personneli administratif et elle
devra être votée dans un délai de deux ans à dater de
l'entrée ·en vigueur de cette Constitution, délai dans lequel
la révision du corps des fonctionnaires sera terminée.
Notons enoore que, d'après l'art. 107, les agents de
17.
--- 258 -
l'Etat sont des organes de l'intégrité de l'Etat qui sont
tenus de travailler dans l'intérêt général. Seront punis par
la Voi les agents de l'Etat qui useront de lieur autorité e,t
de leur situation au profit des intérêts des partis, ainsi
que les chefs qui utilis,eront dans le même but lE\:ur
influence sur les agents de l'Etat (1).

Section II. - Liberté.

La liberté apparaît sous plusieurs formes. D'après la


Constitution, -0n peut distinguer la liberté individuelle, la
liberté de réunion et d'association, la liberté en matière
religieuse, ~a liberté intellectuelle ou de la presse.
§ t•r. -- Liberté individuelle. - Aux termes de l'art. 5,
la liberté individuelle est garantie. Nul ne peut être sou·
mis à un interrogatoire ou mis en état d'arrestation, ou
privé de sa liberté de toute autre façon hors les cas prévus
par la loi. Nul ne peut être mis en état d'arrestation pour
crime ou d~füt quelconque sans un ordre écrit ou motivé
de l'autorité compétente. Cet ordr,e doit être communiqué
à la personne arrêtée lors .même de l'arrestation ou au
plius tard dans un délai de vingt-quatre heures à compter
de ceUe-ci. Un recours contre la décision ordonnant l'arres- ,
tation peut être porté devant le tribunal compétent dans
un délai de trois jours. Si aucun recours n'a été élevé
dans ce délai, le pouvoir d'instruction doit transmettre
d'office et dans les vingt-quatre heures qui suivent cette
décision au tribunal: compétent. Le tribunal est tenu de
prononcer le maintien ou l'annulation de l'arrestation dans
le délai de deux jours à compter de la communication

(1) Nous avons vn ce qui concerne la révocation des fonc-


tionnaires (art. 108) dans le paragraphe Les. attributions
du roi au point de vue exécutif.
- 259 _,,.

de la décision. Sa sentence est exécutoire. Les agents do


l'auturité publil{Ul' qui auront enfreint ces dispositions
seront punis pour privation illégale de liLerté.
Comme conséquencu de la liberté individuelle, nul ne
peLit être jugé par un tribunal incompétunt (ad. 6). Nul ne
peut être jugé sans avoir été préalablement interrogé par
l'autorité. compétente ou invité par l.a voix légale à se
défendre (art. 1). La peine ne puut être établie que par
la loi ; elle ne peut être appliquée qu'aux faits antérieure-
ment prévus par la loi comme devant être frappés de cette
peine (art. 8).
Notons que la peine capitale ne peut être appliquée aux
crimes purernent politiques. 11 existe deux exceptions à
ce principe :
0J Pour les attentats -0u tentatives d'attentat contre la
personne du souverain ou contre les membres de la
famille royale, cas dans lesquels la peine capitale est pré-
vue par le Code.
2° Pour les c.as dans Lesquels ù côté du crime purement
politique exi.ste un autre critnw punissable de la peine
capitale aux termes du Code, ainsi que pour les cas que
le Code militaire punit de la peine capitale (art. 9).
Citons encore les dispositions de rart. H sur l'inviola-
bilité du domicile. Le domicile est inviolable. L'autorité
ne peut opérer aucune perquisition ou recherche au domi-
cile d'un citoyen en dehors des cas prévus par l'a loi et
des formes que celle-ci prescrit. Avant l'opération, l'auto-
rité doit communiquer à la personne dont le domicilie va
être perquisitionné, le mandat écrit émanant du pouvoir
chargé de l'instruction, en vertu duquel la perquisition
est eff.ectuée. Contre ce mandat, un recours peut être porté
devant le tribunal de première instance. Ge recours n'est
pas suspensif de la perquisition. La perquisition ser.a tou-
jour.s faite ·en présence de deux citoyens. Aussitôt après
la perquisition, l'autorité est tenue de délivrer à la per-
sonne dont le domicilie a été perquisitionné un certific.a..t
- 260-

constatant les résultats de l'opération et une liste signée


des objets saisis en vue de la poursuite de l'instruc~tion. Les
agents de la force publique nf' peuvent entrer la nuit
dans un domicile privé que dans les cas d'extrême urgenct~
ou lorsque cle ce domicile on les appelle au secours. A
cette opération assisteront un représentant de la munici-
palité et deux citoyens requis à cet effet, sauf dans le cas
d'apper au secours. Les agents de la force publique qui se
rendront coupables d'infraction à ces prescriptions seront
punis pour Yiolation de domicile.
§ 2. -- Liberté de rhmion et 1i'assodatim1. - Les
citoyens ont lu droit de s'associl~r puur dé~S fins ncm punis-
sables par la loi, de se réunir ou de se concerter. Des
prescriptions plus détaillées ù cet égard seront édictées
par la loi. Les réunions en plein air doivent être annoncées
à l'autorité compétente au moins vingt-quatre heures à
l'avance (1).
On ne peut venir en armes aux réunions.
§ 3. ---· Liberté en matière religievsc. -- La liberté en
matière religieuse comprend la liberté de conscience et la
liberté des cultes. Avant dt> voir les prescriptions de la
Constitution en cette matièœ, il est utile de jet.er un coup
d'œil dans ses grandes lignes sur l'organisation adminis-
trative des trois religions principales de la nation.
a) Le 13 mai 19:19, fut proclamée l'adhésion de toutes
les églises orthodoxes autocéphales sous une seule auto-
rité, le patriarcat de Belgradt'. C'était : l'église autocéphale

(1) A ce point devue, la 1oi française. du 18 llHtTS 1H07 est


plus libérale d'après laquelle il n'est plus nécessaire de faire
de déclaration vingt-quatre heures ù l'avance au préfet de
poUce à Paris et dans les autres cornmunes, ou au sous-préfet
ou au maire suivant les cas, comme le prescrivait la loi de
1881. Sauf, bien entendu, les réunions sur la voie publique,
qui sont cependant permises en Angleterre (meeting}.
-261-

de l'ancienne Serbie, l'église autocéphale de Bosnie-Her-


zégovine, les diocèses dalmates de l'église orthodoxe de
Bukovine, la province métropolitaine de Karlovtzi com-
prenant les orthodoxes de Voïvodine et de Croatie-Slavonie
et l'église autocéphale du Monténégro. Le, 12 novembre
1920, a été élü le premier patriarche du patriarcat renou-
velé.
Aux termes du décret du 13 novembre 1920, l'adminis
tration de !l'église du patriarcat orthodoxe comprend le$
organes suivants :

1 ° Le grand conseil des évêques (Archiyereiski Sabor)


qui décide en dernier ressort de toutes les affaires d'ordre
intérieur.
2° Le patriarche, assisté du synode épiE>copal où figurent
quatre évêques qui se renouvellent tous les deux ans. C'est
l'organe suprême de l'administration et du contrôle, c'e::it
le pouvoir exécutif de l'église.
3° Vingt-quatre évêques répartis dans le territoire riu
nouveau royaume.
4° La haute Cour ou tribunal suprême ecclésiastique,
qui connaît en appel les décisions des tribunaux ecclé-
siastiques.
5° .Le gr.and conseil administratif composé de laïques e~
d 'eccMsiastiques.
6° Des tribunaux ecclésiastiques dans chaque diocèse.
Ils fonctionnent d'une part, comme conseil disciplinaire
pour le clergé, en ce qui concerne les délits dont la répres-
sion échappe au .Gode, d'autre part, comme juridiction
compétente dans les instances en divorce -~ les affaires
matrimoniales étant encore du ressort de l'église, sauf
dans la province de Voïvodin~ où fonctionne le droit civil
magyar .
b) Dans le culte catholique il1 existe cinq archevêchés
- l'aœhevêque de Zagreb est présentement le plus élevé
des prélats catholiques --- et onze évêchés répartis dans les
- 262-

divers centres. Notons que la nouvelle loi concordataire


n'est pas encme votée (1).
c) L'islamisme n'a pas encore reçu une organisation uni-
taire. li a son autonomie religieuse de l'ancienne Serbie,
Monténégro et Bosnie-Herzégovine.
L'organe de l'autonomie musulmane en Bosnie-Herzé-
govine, en matière spirituelle et temporelle, est la diète
des Vakoufs et Mearif (Vakufskomearifski-sabor), élue
avec un mandat triennal. La plus haute juridiction ecclé-
siastique est le Medjlis-ulema. Le chef en Serbie est lP
grand Moufti de Belgrade et au Monténégro le grand
Moulti de Stari-Bar. Le Medjlis-ulema et les grands mouf-
tis exercent leur autorité sur les mouftis de département d
d'arrondissement qui sont en même temps caddis (juges)
des tribunaux chériatiques (ecclésiastiques).
Les dispositions générales sur la liberté de conscience
et des cultes se trouvent dans l'art. 12. La l iherté de reli-
gion et de conscience est garantie. La liberté de conscience
est envisagée dans l'ai. 4. : nul n'est lf~nu de, pratiquer
publiquement sa religion. Nul n'est tenu de participer
aux actes, cérémonies, pratiques et exercices religieux,
sauf en ce qui concerne les fêtt:•s et cérémonies de l'Etat,
et dans les cas réglés par la loi, pour les personnes assu-
jettis à l'autorité paternellt\ tutélaire et militaire.
La liberté des cultes est envisagée dans les al. 1 et 3. Ll's
confessions admises sont égales devant la loi et peuvent
exercer publiquement leur culte. Sont admises toutes les
religions qui, dans n'importe quelle partie du royaume
ont obtenu la reconnaissance légak (2). Les autres reli-

(1) Voir la lui concordataire actuelle dans la Cmatie-Sln-


vonie. Bulletin dn Droit int. privé de 1902, 1-60.
(2) Ce sont les religions: orthodoxe, catholique, musulmane,
protestante, uniate, juive, nazaréenne (nouveaux croyanb),
évangéliste, de .Jean Coménius.
~- 263 --

gions ne peuvent être admises que par la loi Les rel,igions


admises et reconnues règlent d'une façon autonome leurs
affaires intérieures et gèrent leurs legs et fonds dans les
limites de la loi. Les religions admi::;es et reconnues peu-
vent entretenir des relations avec leur chef religieux
suprême, même en dehors des frontières de l'Etat, dans la
mesm·e où l'exigent les prescriptions spirituelles de cer-
taines religions. Le régime de ces relations sera réglé par
la loi. Dans la mesure où les ressources sont prévues par
le budget de l'Etat pour les cultes, elles doivent être répar-
ties entre les différentes confessions admises et reconnues,
au prorata du nombre de leurs fidèles et selon leurs
besoins réels justifiés.
Quoique les amendements des partis socialistes et répu-
blicains sm la séparation de l'~~glise et de l'Etat aient été
rejetés (1), le législateur, dans le même article, al. 2 et î,
a proelamé l'indépendance des jouissances des droits
civils et politiques de l'exercice de la religion : Nul ne
peut SP libérnr de ses devoirs et obhgations civiles et mili-
taires en se llasant sur les prescriptions de sa religion.
Mais c'est surtout l'ai. î qui a provoqué de vives protes-
tations de la part du Club yougoslave de .M. rabbé Koro~
sec. Les dispositions de cet alinéa, qu·on a appelé le Kan-
zelparagraphe de Bismark, quoique bien différentes non
seulement d'origine mais d'esprit parce qu'elles s'appli-
quent au culte catholique comme à tous les autres, sont
ainsi conçues : Les ministres des cu1tes ne doivent pas
mettre lieur autorité spirituelle au service des intérêts de
partis, soit dans les temples, soit par des écrits de caractère
religieux ou soit autrement dans l'exercice de leurs fonc-
tions officielles.
~ 4. ~- /,iherté inlf'llertur:llr' m1 liberté rie la presse. --

(1) D~rn>' la :séance XL V du 5 avril 1921 de la Commission.


Aux termes de l'art. 16, l'art et la science sont libres, ils
jouissent de la protection et de l'appui de l'Etat (al. t). Tous
les établissements d'éducation sont placés sous le contrôle
de l'Etat (al. 2). L'enseignement universitaire est libr2 et
relève de l'Etat (al. 2 et :3). L'enseignement dans tout le
pays repose sur la même base s'adaptant au milieu auquel
il est destiné (al. 4). Toutes les écoles doivent donner l'édu-
cation morale et développer la conscience civique dans un
esprit d'unité nationale et de tolérance religieuse (al. 5).
L'enseignement officiel est donné sans frais d'inscrip-
tion, sans taxe scolaire ni autre (al. ü). L'enseignement
primaire relève de l'Etat, il est général et obligatoire (al. fl).
L'enseignement religieux est donné au gré des parents ou
des tuteurs, séparément, suivant les eonfessions et en
accord avec leurs principes (al. 7).
Des écoles professionnelles sont instituées sel:on les
besoins des professions (al. 8). La loi règlera les conditions
auxquelles peuvent être autorisées les différentes caté-
gories d'écoles privées (al. 10).
L'Etat favorisera J'œuvre de l'instruction nationale. Les
minorités ethniques auront leur enseignement primaire
dans leur langue maternelle aux conditions que la loi
prescrira (al. 12 et 13).
D'après l'art rn, la presse ("St libre. Aucune me )Ll]"P
préventivl~ ne peut être prise pour empêcher la publ:ic;i
lion, la vente et la diffusion d'écrits et de journaux. L't
censure ne peut être établie qu'en temps de guerre ou ·1e
mobilisation et uniquement dans les cas prévue• d'avare::
par la loi.
Sont interdites la diffusion et la vente des journaux et
imprimés contenant : des outrages à l'adresRe du souve-
rain, un des rnernbrcs de la famille royale, ou des chefs
d'Etats étrangers, ou de l'Assemblée nationale ; des appels
direds aux citoyens pour changer par la force la Const;-
tution ou les lois du pays; enfin, de graves atteintes à la
rnornlHé publique. Mais en ce cas, l'autorité est tenue,
- 26~i-

dans les vingt-quatre be mes qui suivent J a saisie, de


transmettre les objets saisis au tribunal qui doit égale-
ment dans les vingt-quatre heures, confirmer ou annuler
la saisie (al. .2). Dans le cas contraire, la saisie sera consi-
dérée comme levée. Les tribunaux réguliers statuent sur
les dommages-intérêts indépendamment du jugement du
tribunal sur l'annulation de la saisie (al. 3).
Sont responsables pour les délits de presse : l'auteur, le
rédacteur, J'irnprirneur, l'éditeur, le propriétaire rit le dis-
tributeur. Une loi spéciale sur la presise détermi'nera
l'étendue et les modalités des responsabilités de ces per-
sonnes dans les délits commis. Tout délit de presse sera
jugé par le tribunal ordinaire (al. 1).
Notons encore des restrictions à la liberté de la presse
contenues clans l'art. 127 que nous avons mentionné sous
le ~ des attributions ctiverses de l'Assemblée nationale (t).

Section III. - Ga rnntir: des droits des citoyens.

A cet ordre d'idées se rapportent les art. 20, Hl, i~i


et 17.
Aux termes de l'art. 20, tout citoyen jouît de la protection
de l'Etat dans les Etats étran1Œrs. Il et:t lihre de renoncer

(1) Et en deho1·s de toutes ces restrictions mentionnées con-


cernant la liberté de la presse, il se trouve encore une grave
restriction dans l'art 1:38, sous le titre " dispositions transi-
toires " ainsi conçu : Penvcrnt f\lre inte1·dites la publication
ou la diffusi·on des journaux Pt écrits imprimé" qui pniv•i-
qo.ent la haine contre l'Etat comme entité, les discordes de
ra,ce et de re1ligion ou qui appellent indir.ecternent les citoyens
à changer psr la force, la Constitution et les lois du pays, :i
condition qu'il ressorte d'une façon évidente de ces écr.its
qu'ils sont destinés à une provocation de ce genre. Les dü:.pn-
sitions de l'art. 13, alinéa 8, c:ur l'exécntion des s·aisiPs, :•r.mt
également applicables dans ce cas. Lorsque des nécessités
spéciales ne les exigeront plus. ces pres,criptions pomTon1
être suppr.imées par la loi.
-266-

à sa nationalité après avoir satisfait à toutes ses obliga-


tions envers l'Etat. L'extradition des citoyens est interdite.
Aucun citoyen ne peut être banni de !l'Etat. Aucun citoyen
ne peut être expulsé à l'intérieur du pays d'un endroit à
un autre, ni obligé à se fixer dans un endroit déterminé,
hors les cas prévus expressément par la loi. Nul ne peut,
dans aucun cas, être expulsé de son lieu d'origine sans une
sentence du tribunal (art. iO).
Le secret des lettres, communications télég,raphiques et
téléphoniques est inviolable, sauf dans les cas d'instruc-
tion criminel!le, de mobilisation ou de guerre. Ceux qui
violeront lie secret des lettres, communications télégraphi-
ques ou téléphoniques seront punis selon la loi (art. 17).
Aux terry,ies de l'art. 15, les citoyens ont le droit de péti-
tion. Les pétitions peuvent être signées d'une ou de plu-
sieur,s personnes, ainsi que de toute personne morale. Elles
peuvent être adressées à toutes les autorités sans distinc-
tion.
Notons encore une restriction à l'art. 127 que nous avons
mentionné, d'après laquel1e l'Assemblée nationale peut,
par une loi spéciale, suspendre temporairement, en cas de
guerre ou de mobilisation, pour tout le territoire de l'Etat,
et en cas d'insurrection armée pour une partie de ce terri-
toire les droits d'association, de réunion, le droit de se
concerter, la liberté de déplacement et l'inviolabilité du
domicile, de la correspondance et des communications
télégraphiques.

·-*·-
- 267 -

CHAPITRE Ill

VlODffICATIONS A LA CONSTITUTION r;T CONCLUSION.

Un des principes de la théorie des constitutions écrites,


c'est que lies lois constitutionnelles sont, par leLir force
obligatoire, au-dessus . des lois ordinai l'fjS ; mais elles ne
sont pas rn général sanctionnées et l'histoire nous apprend
qu'elles sont moins respectées.
l ..es textes, en effet, ne forrnent jarnais un 1·ést'au assez
serré ni assez ferme pour empêcher les rnceurs parlemen-
taires et gouvernementales cle fairt' prévaloir tacitement
contre la Constitution régulière une Constitution occulte
qui la dépasse l'i peut la dénaturer. En d'autres termes,
Rn dehors des révisions d'une natlu·p politique, il faut tenir
compte d'une révision invisil1lr· d 1rnissante : c'est celle
qui résulte de l'action continue des mœurs politiques.
Une Constitution se révise chaque jour par son appli-
cation même, car les institutions qu'elle a établies ont
pour élément, sans cesse renouvelé, des honunes qui pen-
sent et qui agissent en face d'une réalité mouvante. Bien
plus, une Assemblée Constituante est le plus souvent un
mécanisme qui prétend faire un organisme.
Si on prend l'un après l'autre tous les élénrnnts caracté-
-268-

ristiques de la société contemporaine au point de vue poli-


tique, administratif, familial ou économique, il est très
facile de constater par mille exemples concrets (i) que
l'évolution du droit se fait par un assaut des nécessités
sociales transforniées contre les formuJ:es savantes ins-
crites dans les livres de l'Etat législateur.
Mais quand on considère le point de vue politique,
notamment que la constitution forme la base de l'édifice
social, il semble, surtout pour des Etats nouvellement
formés, indispensable de lui assurer une grande stabilité
en la mettant à l'abri de remaniements trop faciles de la
part du Parlement.
En tout cas trop solennel le dan,.; sa procédure, trop rare
dans son emploi, la révision constitutionneU:e prend, mal-
gré son caractèn' régulier, l'aspr>d Pl la gravité d'une
<:Tise politique.
Il en est ainsi daΠle nouvel Etat yuuguslaH. Il
est vrai qu'il est encore trop tôt pour faire une critique
rle la Constitution nouvelle (2), car si nous nous posons
la question : Existe-L-il pour les constitutions un critérium
absolu, pour juger de leur valeur ? Aujourd'hui il n'est
pas difficile de répondre que non.
Une Constitution est un ensemhle de prescriptions rela-
tives, dépendant des nécessités et des tendances <fune
société à une époque donnée. La meilleure Constitution
est celle qui englobe tous les besoins et la situation, soit
économique et sociale, soit historique d g(iographique, soit

(1) J. Cruet, op. cit., p. ll'(l e1 suiv.


(:2) La Constitution, a écrit Tarde, n'est que de la politique
accumulée, généralisée, systénrntisée. Si elle veut ètre anL ,,
chose, elle n'est rien, car la politique ne tard.e pa.s à la
défaire. C'est dire que, comme les Codes, les bonnes Consl.i-
tutions se font avel' le te111pi:; : on ne· les fait pat' (.l. Crnet, op.
dt. p. 105).
-269-

culturet:le et internationaie, d'une nation à une époque


déterminée.
Maintenant, quant à savoir si à une époque donnée
répond i.e mieux à l.a situation et aux besoins de la société
un régime monarchique ou républicain, démocratique ou
soviétique, Ua liberté individuelle ou la forte organisation
étatique - ce sont là ~utant de questions principales sur
lesquelles .aujourd'hui il n'existe pas une unanimité d'opi-
nion, sur lesquelles .aussi reparaissent les divergences
doctrinal;es surtout -- pour une raison qui nous semble
bi.en simple - c'est qu'il subsiste toujours aux confins de
la science une zone inoonnue ouvrant la porte .au tempé-
rament et aux croyances individuelles et comme cette zone
est plus grande dans la science socialie que dans beaucoup
d'autres, à cause du caractère relatif des vérités acquises,
les divergences y seront naturenement plus sensibles,
- divergences qui dans notre structure sociale actuelle
se résolvent sur le terrain poliitique, terrain d'ailleurs peu
.scientifique mais ayant le plus d'influence. Gar les hom-
mes, asservis par leurs travaux de chaque jour et l'es
préoccupations de la vie, ·savent qu'il est .au-dessus d'eux
de grandes et belles idées, auxquelles ils se rattachent par
une affinité d'ordre général. C'est cette affinité qui fait les
opinions et les cadres politiques. Il y .a un nombre assez
restreint de directions générales pour la pensée humaine :
le libéralisme, l'autoritarisme, le mysticisme. D'instinct,
chaque homme va vers la norme idéale, en quelque sorte
pré-déterminée qui est la sienne, au risque parfois de
tomber dans l'utopie. Ces mêmes états mentaux ont tou-
jours existé à travers toutes les formes sociales et sont la
base de tous les conflits.
A notre avis, la Constitution de Vidovdan est, dans une
bonne mesure, le résultat de ces manifestations idéologi-
ques, de ces opinions triomphantes. C'est pour cette raison
qu'eU:e est plus idéaliste que pratique, qu'elle domine la
société plutôt qu'elle ne l'exprime. Voilà sa force et. ~
~ 270 -

faiiJlesse, sa vertu et son défaut. Comme telle, elle se


montrera viable, se légitù11.era cl se justifiera par son
e.cercicc rru:rnc.

Nous ne nous étendons pas davantage sur la critique de


la Constitution afin de rester fidèle à la méthode que nous
avons adoptée pour ce travail.
Notre rôle n'étant ni celui d'un homme d'action ni
celui d'un homme d'Etat, s'est limité à interpréter objec-
tivement ces deux faits 1'c,l'istence de la nation z1ou,qo-
slave et les dispositio11,s constitutionne/;lcs de la loi du
28 j11in 1ft2i dans un lmi, ass11rhnent rnodcslt' mJlis
qui nous semble légitime, à savoir que la .r1rande nécessité
de l'heure présente pour les dénwcraties c'est de Sr' bien
connaitre.
Ce que nous pouvons dirr: sur la question de la révision
constitutionnelh~ dans le nouvel Etat, c'est que le législa-
teur en se montrant radical et, dans une certaine rnesure,
arbitraire (800.000 habitants par région), cl.ans l.a question
de l'oi·ganisation administrative t~t de la liberté indivi-
duelle (de la presse) traditionnahste dans la dénomination
officielle de l'Etat, a soulevé, tout de suite après le vote
cle J,a Constitution, des mécontentements c't des critiques
dont les résultats sont que la question constitutionnelle
semble aujourd'hui Pncore être à l'ordre du jour. Il existe
notamment des partis dans le programme desquels la
révision constitutionnelle figure .au premier pl.an.
Quant à l.a procédure de la révision, le législateur a
adopté une procédure peu différente, de celle de la Consti-
tution de 1903.
Il existe, en cette matière, différ.ents systèmes. Tandis
·que les lois de l'Angleterre ne contiennent aucune dispo-
sition reiativP à la révision et que les lois de la France
attribuent aux Assemblées législatives déjà élues le carac-
tère et le pouvoir de l'Assemblée constituante, la Consti-
tution de Vidovdan avec celle des Etats-Unis et de la Bel-
- 271 ~

gique exigl' p<.jUf la révision de Ja Constitution la réunion


d'une assemblée spéciale élue à cet effet.
L'Etat yougoslave étant une monarchie constitution-
nelle, aux termes de l'art. i25 de la Constitution, l'Assem-
blée national'e décide avec le roi des modifications à
.apporter à la Constitution. Les propositions tendant à
introduire une modification ou addition à la Constitution,
ne peuvent émaner que du roi ou de l'Assemblée nationale
(art. 126). Mais une proposition de ce genre doit mention-
ner expressérnent tous les points de la Constitution qui
devraient être modifiés ou complétés (al. 2 de Fart. 126).
Il faut donc distinguer deux cas : si la proposition est
faite par le roi ou faite par l'Assemblée nationale.

PrrmiPr cas. Si la proposition est faite par le roi il la


communiq1rnra à l'Assemblée nationale, puis l'Assemblée
nationale devra être immédiatement dissoute et une nou-
velle Assemhlél' convoquée au plus tard clans le délai de
quatre mois. Ainsi l:'Assemblée nouvelle se prononce à
la majorité de la moitié plus un du total de ses mem-
bres (al. 7).
lJPuxième cas. --- Si la proposition émane de I:Assem-
blée nationale, alors la rnodification se fait différemment.
Aux termes de l'art. 126, al. 4, il sera statué suivant le
mode prévu pour les résolutions sur les projets ou propo-
sitions de loi et à la majorité des trois cinquièmes du total!
des membr,es de l'Assemblée. Lorsque la proposition aura
été adoptée de cette façon, l'Assemblée nationalie sera dis-
soute et une nouvelle Assemblée sera convoquée dans le
même délai que pour le premier cas, à compter du jour
de l'adoption de la proposition: ainsi l'Assemblée' nouvelle
se prononce à la majorité de la moitié plus un du total de
ses membres, comme nous 1·avons mentionné pour le pre-
mier cas.
Mais dans un -cas comme dans l'autre, l'Assemblée
nationale ne peut statuer que sur l~s modifications et
- 272 -

àclditions à la Constitution contenues dans la proposition


sur la base de laquelle elle a été convoquée (al. 6).
Le législateur, à la différence de l'art. 200 cle l.a Consti-
tution de HJ03, n'a pas adopté pour la révision la réunion
de .la grande Skupstina (double des députés), mais par
contre, il a élevé pour l'adoption de la proposition, si elle
émane de l'Assemblée nationale, de la majorité absolue
qui se trouve dans la Constitution de 190:3, à la majorité
des trois cinquièmes du total des membres de l'Assemblée
qui devrait être dissoute.
Le législateur a voulu tout simplement mentionner,
quoique d'une rnanièrn unilatérale, la di fférenee entre les
lois constitutionnelles et les lois ordinaires. Pour les lois
ordinaires, nous avons vu qu'il faut d'abord qu'un tiers
des députés assiste à fa séance et qu'on obtienne la majo-
rité des voix des députés présents.
Nous avons dit d'une manière " unilatérale '" parce que
la nécessité de la rnajorih' des trois cinquièmes du total
des membres de l'Assernhlél:, si la proposition (~rna1w
d'elle, a pour résultat <il~ crér?r une inégalité, quant ù la
proposition, entre les attributions du roi et celles de
l'Assemblée. Notarnment, le roi ne peut refuser si le gou-
vernement dP qui dépend, naturellement comme inter-
médiaire, le choix en vue de réviser la Constitution dis-
pose d'une majorité des trois cinquièmes des voix néces-
saires pour l'adoption de la proposition ; mais le roi peut
donner la révision h un gouvernement qui n'a que la
majorité absolue des voix (1) du total des membres de
l'Assemblée si le g-ouvernenient, bien entendu, veut entre-

(1) Il est vrai qu'en pratique, entre la majorité absolue et


le nombre des trois cinquièmes dps voix, il n'y a pas, grande
<Hffére·ncc, cmnm2 le disait M. Divar\ député socialiste, que le
nombre des député~ .soit de 250 ou 300, Ja différence ne dé-
passera pas une vingtaine de députés. A la séance XVIII de
8 mars 1921 de la CommJssfon.
-273 -

prendre une rev1s10n, c'est-à-dire une attribution dont


]'Assemblée nationale ne dispose pas, et où on voit nette-
ment la tendance du législateur à renforcer le pouvoir
exécutif.
En définitive donc, la procédure pour l1'adoption de la
proposition est la même que dans la Constitution de 1903
si le roi donne son approbation à la révision, approbation
qui dépend, bien entendu, de la situation purement poli-
tique; mais s'il ne la donne pas, il faut la majorité des
trois cinquièmes des voix du total des membres de l'Assem-
blée et non la majorité absolue pour adopter une propo-
sition, et un nombre double des députés pour la révision,
comme c'était le cas d'après la Constitution de 1903.

Grenoble, le 9 janvier 1923.


Le Président de la Thèse :
A. PEPY.
Vu et permis d'imprimer
Grenoble, le 10 janvier 1923.
Le Recteur,
Président du Conseil de /,'UniversUé,
F. DUMAS.
Vu : Grenoble, le 9 janvier 1923.
Le Doyen de la Fawlté de Droit
de l'Université de Grenoble,
L. BALLEYDIER.

Suffragants :
M. BOUVIER, professeur de D. P.
M. BrnrÉ, agrégé, chargé de cours de D. P.

La Faculté n'.entend donner aucune approbation ni


improbation aux opiniôns émises dans les Thèses ; ces opi·
nions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.

111.
~274-

TABLE HES MATIÈRES


Bibliographie IX
Introduction 1

PHEMlERE PAHTIE
Les facteurs principaux dans la formation de la nation
yougoslave et leurs conséquences. ObservationR
générales 7

TlTHE PREIVIIEH

V11nilé de race et la cuntimcité territoriale

CHAP!THE PHEMH:H. Unité cle race . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16


CJHPJTHE II. --- La coutinuité territoriale . . . . . . . . . . . . . . . . 28

TtTIΠII

lnflneuccs pulitiqvcs et reli!rie11scs.

CHAPITIŒ PHEM!EH. La séparation politiqtrn ........... . 3()


CHAPITRE II. ·- Les conséquences de la séparation poli-
tique ............................................... . 55
CHAPITRE III. --- La situation religieuse 71

TITHE III
J,c nationalisme 11ou11oslavr: et ses conséquences.

CHAPITRE PHEIVIIEH. L'origine du nationali;;me yougo-


slave et l'unité de langue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
CHAPITHE II. --- Les conséquences du nationalisme yougo-
slave . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . H~{

DEUXIfüVIE PAHTJE

T.,a Constitution dn 28 .iuin 1.921. -- Observations géné-


rales.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
-275-

TITRE PREMIER

La période provisoire, l'origine de la Constitution


et la forme de l'Etat.

CHAPITRE PREMIER. - La période et la situation prnvisoire 112


Section I. - Les origines et le vote de la Constitution
de Vidovdan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
CHAPITRE II. - La forme politique et le nom de l'Etat .... · 138

TITRE II
Les pouvoirs de l'Etat................ 158

CHAPITRE PREMIER. - Le pouvoir e:x;écutif . . . . . . . . . . . . . . . . 163


Section I. - Le roi et la régence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
§ 1. - La maison r0yale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 164
§ 2. - Les attributions du roi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
A) Au point de vue législatif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
B) Au point de vue exécutif ........................... 1 167
§ 3. - Sa responsabilité . . . . . . .. . . . . .. .. . . . . . . .. . . . . .. . . 110
§ 4. - La régence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171
Section II. -- Les ministres et les organes de l'adminis-
tration centrale ......... , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
§ 1. - Ls Conseil des ministres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
A) Organisation ..................................... , . . 176
B) Attributions . . .. . .. . . . . . .. . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
C) Responsabilité ministérielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
§ 2. - Le Conseil d'Etat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
A) Composition ........................ ·. . . . . . . . . . . . . . . . 189
B) Inamovibilité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .. . . . . . 190
C) Attributions ............................. , . . . . . . . . . .. . 190
§ 3. - Le Contrôle principal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
A) Elecüon ...................... .'. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194
B) Attributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Section III. - La division administrative . . . . . . . . . . . . . . 195
§ 1. - Les unités administratives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204
A) Régions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
B) Départements ............ , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 206
C) Arrondissements et communes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 207
§ 2. - Les agents déconcentrés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
CHAPITRE II. ~ Le pouvoir législatif et judiciaire........ 217 '
Section I. - L'Assemblé.e nationale ... ·................. 217
-- 276 -

§ 1. -- Ôrgani;;Rtion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 224
1\) 'Eligibilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . 225
B) Siège . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22(i
C) Mise en activité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
D) Sessions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
E) Hèglement intérieur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228
F) Sûreté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 228
G) Immunité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
§ 2. -- Attributions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22H
A) Vote et procédure des lois ordinaires et des lois de
finances. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229
B) Attributions diverses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2%
Section II. ··- Le pouvoir judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23G

TITRE HI
Les prescriptions socialrs et économiques, les droits indi-
?Yi.dnels, la rhiision constifntinnnelle

CHAPITRE PREMIEH. - Les prescripiiont< sociale;; et éco-


nomiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24il
CHAPITHE II. ··-··· Droits et devoirs fondarnenta ux des
citoyens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
Section I. Egalité civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
§1. - .. Au point de vue de la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
§ 2. -- Au point de vue des obligations . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254
A) L'impôt . . . . . .. .. .. . . . . . . . . . . .. . . .. . . . . . . . . .. .. . . . . . . . 255
B) Le service militaire.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
§ 8. ·-- I..'adruission aux Bn1plots . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Section II. -- Liberté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258
§ 1. - Liberté individuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258
§ 2. ·-· Liberté de réunion et d'association . . . . . . . . . . . . . . 260
§ 3. -- Liberté en matière religieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 260
§ 4. -- Liberté intellectuelle ou liberté de la presse 263

Section III. ·- Garantie des droits des citoyens . 265


CHAPITRE III. -- Modifkations à la Constitution et
Conclusion 26'7
Erratum.

..........____.--~~--""-"--------~-~

Grenoble. -~ lmp.
-*-
AUBER'f. - 5, rue des Dauphins.
EHRATUM

Page 19 (note 3) : pau.hurnanisam ; lire : panhm11anisa111.


Page 23 (1re ligne des notes) : F'jorovitch; lire : Tjorovitch.
Page 23 (note 2) : Kujizevui Glasuik; lire : Knjizevni Giasnik.
Page 38 (note 1) : Sapskog ; lire : Srpskog.
Page 38 (note 2) : Die Vuga.riche; lire : Die Ungariche.
Page 56 (note 1) : Cour du D. P.; lire : Cours de D. P.
Page 7.J. (1. 9) : Les d.ynasties nationales; lire : anationale.~.

Page 77 (note 1), se rapporte à la fin de l'al. 3 de la page 76.


Page 87 (note 2) : 0 jivirn silam.a Naroduog zedimtva; lire
0 zivirn silama Narodnog jedinstva.
Page 89 (al. 2, 1. 5) : Raditchvitch ; lire : Raditchevitch.
Page 102 (note 1) : AndeUnovitch; lire Andjelinovitch.
Page 117 (note 2) : Hi:tch ; lire : llitch.
Page 138 (note 1) : Y ellinck; lire Yellinek.
Page 145 (1. 2) : Smodlacka; lire : Smodlaka.
Page 145 (1. 3) : Trom bitch ; lirti : Trmnbitch.
Page 147 (note 1) : faute d'impression (voir p. 176, note 1) ;
lire : Voir Bunetin de la Presse youuoslavP du 15 aoùt
1921.
Page 153 (al. 2, 1. 3) : Dfvas ; lire : Divac.
Page 174 (note 1) : Ristich; lire : Ristitch.
Page 248 (note 1), se rapporte à la fin de l'al. 3 de la page 247.
Page 262 (al. 2, l. 7) : Mounti; lire : Moufti.
nonHTHtUl

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