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« VENFANT QUI NOUS DEMEURE » M. Ned Bastet Nice I est des dtres dont tout Veffort semble de rappeler a eux le souvenir ct, de la résurgence des moi, des lieux, des temps, constituer T'épaisseur hhors de quoi ils ont le sentiment détouffer et de perdre jusqu’a la perception de leur étre : cette épaisseur quils paraistent sulloquer : ceux-la teavaillent incessam- ment & oublier ce passé, a le garder & distance pour maintenir Tillusion ‘au moins de ee que Georges Poulet a appelé le « point de départ », Pintem: poralité vierge de Vinstant. Parmi eax, Valéry. « Je crois que pew ont plus que moi le sens de Vannulation radicale du € passé ». Le souvenir m’ nie...» « Je le regarde, ditil, comme tout nul ou imaginaire > De ce passé pourtant, il est un temps dont les esprits les plus prévenus larrivent pas si facilement & se défaire — ce temps de Tenfance vit se joue la partie dévisive, of se dessine, avec Ia ténuité et la fermeté a ln fois de cet age, la igure durable du moi. Valéry ne I'a pas ignoré : « Dans tout homme, ily a, ditil, un enfant de cing & huit ans qui ext lige dex impressions cessant d'étre toute naives. Cest cet enfant quiil faut découvrir. Un homme intimidant, fort, gros de poil,... un Bismarck, celui le jeunet, le nigaud. Cherchezle. » Cherchonsle, en effet, lai qun qua cité de la « pensée toute mile » quil se recon nnaissait, Valéry a évoqué In présence en lui de la femme et de Venfant secrets, « Nous réprimons Tenfant qui nous demeure... 'ingéma que nou portons en nous. > Sans doute, Nerval Pevait déja marque, estce surtout la scconde moitié de la vie que cette enfance tend & remonter a la Crest sur un mode quasi proustien que le Valéry de 1940, retrouvant Hachette de « Jeanne Eyre », une de sca premiéres lectures, verra se lever brusquement « la maison du quai de Esplanade avec le petit salon od était le petit canapé entre lea bois et clest le vertige proustien. D'autres, au contraire, c'est dans — 88 — ln garniture duquel maman avait perdu une bague que je vois avec un petit brillant. » et le dernier Cahier évoquera nostalgiquement la douceur des fétes de Nod, autrefois. Mais ce nest pas dans cette complaisance du déclin pour la tendresse des commencements que je soubaite chercher ii « Venfant qui nous demeure ». C'est une permanence plus constitutive dont je voudrais mettre en évidence, sous les apports variés qu'ajoutent les ges et, singuligxement, armature intelletuelle de la maturité, les linéaments reconnaissables. Au terme de sa vie, dans l'épisode central du solitaire, le Faust-Valéry qui sort de Vévanouissement, au degré nul de son étre et comme a bas de cette colonne de wie oft se juche chacun de nous, dialogue avec Tune des fées « Mon enfance est lointaine » — « Elle n’a point cessé », lui estil répondu — « Mais jfai plus que vécu, surmonté mainte erise, « Consumé tous les liens, tous les espoirs perdus, Malé le vice et la vertu, » La Prime Pée: « Co qui fut west plus rien, Tu n’as jamais véou. > Disons plutét que rien n'a 6ié véeu que selon ce qui était en germe, d'un caractére, d'une destinée, d'un rapport quasi métaphysique avec « cette affaie de Petre » of, confera Valéry, il aura ¢ été pris — et méme entortilé — sans Pavoir voulu >, « furieux au fond détre un horame*.» Je ne chercherai point & me situer & proprement parler sur le plan de Fexplication paychanalytique, non qu'elle soit réeusée ici mais je laisse 4 plus compétents le domaine des motivations ultimes : je me eontenterai de dégager des conduites et des structures dont je n'ignore pas qu’elles enracinent plus profond, dans cette nuit de Finconscient of Valéry n’aimait guére qu'on s'aventura Je ne suis pas dupe par aillenrs de Ia relative schématisation que risquent dentrainer le manque de temps ct mon souei de dégager des lignes claires. L'enfant triste qui va apparaitre, je sais bien qu'il a pu @tre a d'autres instants vif et enjoué mais enfin, pardela le mouvant, instable tissu peychologique du véeu, il faut bien reconstituer ces lignes de force essenticlles qui charpentent une configuration caractérielles et, risquons le mot, métaphysique. Seulement Ia métaphysique ne se vit pas 4 tout instant : chacun heureusement a ses contradictions et l'on se détend dans Vancedote. Firai done qemblée & ce qui me parait essentiel, ontologiquement sinon tout & fait chronologiquement, & la fagon de se percevoir, de se situer comme « are dans le monde », done tout a la fois vis-vis de ce qui vous entoure et visd-vis de ce qui vous consttue, face & ce mystére : étre la, On peut le ressentir comme les poétes métaphysiques anglais du xvutt sous le signe de lémervcillement ct de action de grice : bonheur de se découvrir 89 — existant dans Vaccucil bienveillant, inespérément présent du monde, comme Je dit un Traherne par exemple: «< De la poussitre, je surgis — et du néant maintenant je m’éveille... >» Qu'un tel moment heureux existe chez Valéry, en théorie du moins, bien des textes nous le disent, qui évoquent cette autogendse sans cesse renouvelée, cette naissance, chaque jour lo premiére, quest le petit matin, Pélan gourmand qui jette Ia conscience vers le tout. Mais ce seul moment de grace ext celui de V'indétermination, de Vanonymat, de Vindistinetion de ce Tout, existence potenticlle qui se saisit bien comme surgissement mais de rien de définissable et qui n'implique done aucun rapport, aucune dualité, par suite aucun affrontement, Main sit6t que les termes se précisent, rentrent dans leur identité, dans Ie fave 4 face et Ia séparation, ce sentiment saltére pour faire place & un étrange malaise, & Vangoisse vite insoutenable de se trouver li, soisméme dans « monde défini sous cette figure définissable, condamné & devoir exister cntrer dans le mouvement du temps, la localisation de Tespace, Vir ilité de Pacte le poids et le comme des choses, les frontiéres toujours trop étroites du moi. « Tout & coup, tout se fait étran; tions, area soupic. Le soupir d’étre li. Je suis la, La? Suis? je..?*> Et S‘émiette tout entier. Ce n'est pas l'étonnement seulement : cest I sens plein, le dégotit, Veffroi : « Quand Uhomme a pris conscienee.n coup, quel accablement et quels efforts pour rompre un cercle si net ou Je voilier au moins de vapeurs ! Quelle haine pour sa condition... Etre tomb dans cette trappe, dans ce pidge d'étoiles, étre fait d’y dre... w'étre q proie > Réaction éaborée certes, dont je ne prétends pas que Venfant s0 capable, sinon par le sentiment qui peut apparaitre, assez vite, en lui du déréliction, d'un ¢ étre jeté » dans Vexistence, abandonné dans la séparation, centre fragile et essentiellement vulnérable, Or la conscience d'une vulva Dilité excessive me parait chez Valéry la racine secrdte de son sentinwnt de exister. Les psychanalystes, conscients de importance chez lui sles images orales et du théme polyvalent de la morsure séparatrice, décéleraient peutétre quelque complexe de sevrage. Sa réalité importe moins que le sentiment oppressant dexposition, de présence menacée qui se devia 6 1, sinon tout a fait a origine : Veléry @ noté lui-méme comment, i une fe a fait place de trés bo vers les cing ou six ans — ¢ ce négativisme, ct tre & réaction te tendant a se fermer sur soi et & demander le moins possible au monde et > accusant de ce reflux brusque < quelque circonstanee Nous laisserons & d'ingénieux exégétes leurs diverses « ml lations » sur le enfant aux eygnes > et la chute — au reste plus tardive aun bébé dans le bassin d'un jardin public Mais d'autres textes, discrétement, nous donneront plus de lumi celui-ci par exemple : « Homme je suis. Né par Ie hasard, dans le sec — 9 — de pére et mére qui ne savent ce qu’ils font. Tendrement, soigneusement love a tétons » Et cet autre surtout, de 1921, a propos de ce pseudonyme de Vabsence : < Desum » (je ne suis pas ici, je ne suis pas d'ici) : « Elevé dans la peur nerveuse de tout — le froid, le soleil. Desum timidement créé, nourri, Il a fini par eroire que cette réserve étrange devait avoir un sens, tun motif. Il fallait done qu'elle signifiat quelque chose infiniment plus récieuse que toute cette vie dont elle écartait Desum. Il y avait un txésor 4& préserver. OB pouvaitil gésir ? In me. Il s'est done mis a le secréter, ce trésor.> Beau texte et fondamental oi s'esquissent, dés 'aube, le recul craintif devant la menace du dehors et le repliement vers un univers intérieur, a la fois précicux et vulnérable. Deux thémes méritent qu'on s'y attarde, par avenie auquel ils sont destinés : trésor a dérober sux regards — et la réserve, plus, le secret vont devenir chez lui des préoceupations essen tiells. Tel autre mince souvenir denfance, lié & une découverte un pew troublante et naive de la femme, évoquera lui aussi ce besoin de taire, de garder en soi « comme un petit abcés fermé, insoupgonné de Iui-méme », toute Ia part précoce « du réseryé, de Vinavoué >. Si le temps mien était laissé, on pourrait montrer comment bien des thémes valéryens dérivent de ce besoin de tenir clos ee qui est pergu essentiel : « Cache ton dieu », maxime premiére. Au dehors, c'est la comédie, celle de Vintellect et celle de la sociabilité, cette « comédie des rapports » dont il écrit": « Quill Sagisse d'amour, de foi, de vertu et méme de vice, rien ne peut vivre sans tun certain degré de comédie. » Mais, pour le reste, on sait hien que ce 4 quoi l'on tient le plus — dans le domaine des idées autant que dans eelui des sentiments — est ce que Yon garde pour soi-méme, jusqu’a l'étonnante extension presque cosmique de cette loi: tout ce qui se produit ou que Ton crée est ce dont on se débarrasee, décharge excrémentiele, ce que lessence invisible arrache d’elle-méme non pour se révéler mais au contraire comme corps étranger a sa pureté native et qui, de ce fait, la préserve, lui fait écran ct donne le change — comme a seiche s‘enveloppe d'un nuage a Mais Vencre de Vécrivain, elle aussi, le defend et son « métier » n'est pas loin d’tre métier de trompeur. Ltautre apport du texte que je citais est d’évoquer ce trésor intérieur moins comme donné que comme réalité & construire. Et comment le cons: truire, tout mental qu’il est, sinon a Taide d'images d'abord, puis (avec In mise en place des mécanismes intellectuels) a l'aide didées, dire avec des mats ? Ce sont les mots qui constituent ce royaume, qui I” « ou: rent > au sens propre et Yon sait que le mot « olé » fut justement le premier quiil ait prononcé. « Ma plus grande distraction fut de parler, faire des mots — a six ans”, » Merveilleux univers, docile, of Pon régne en maitre sans la résistance, Ia reluctance des choses, que Ton manie, combine, erée & sa fantaisic dans le sentiment de touteppuissance que la brutalité ct Vopacité du réel vous refusent. Racine déji de ce réve du a langage self, destiné & quelques initiés ou, plus fondamentalement encore, 4 soi seul. Langage postique d’abord puis, lorsque ce langage aura révélé s perméabilité, son impureté recue d'autrui, pour tout dire sa béonce par oi pénétrent les affects du dehors ct les éléments comme étrangers qui Sagitent dans le nuit du moi, projet de constituer & son seul usage ce langage de toutes parts serré et sans fisure, le systéme — cloture absolue oi la conscience, dressée par l'ascése et Vexercice a Ia pleine possession de sea mécanismes, se rendrait transparente & elleméme dans un langage de toutes parts réfringent — sphére cristalline qui se mirerait et se ditait selon toutes ses facettes. « Téte parfaite et parfait diadéme. » Li s'achéverait enfin le réve enfantin dun trésor intérieur biti de mots. Ainsi sesquissent trés tot deux des qualités les plus singuliéres de cette organisation mentale : son extréme insularité Pabord sous la. sociabilité de surface qui la défend et qui nourzira plus tard tout un réseau d'images espace séparé, de grotte, de conque od un Robinson pensif se recroque ville ou micux quil secréte de sa propre substance comme carapace de sa pensée, Citeronsnous une fois de plus le teste bien connu : « Enfant, ji véeu par Fimagination... Pai di commencer vers Paige de neuf ow dix ans A me faire une sorte ile et, quoique dun naturcl assez sociable et facile rent communicatif, je me réservais de plus cn plus un jardin trés sceret oii je cultivais les images qui semblaient tout & fait miennes, ne pouvoir et ne devoir tre que miennes...» De cette ile, sortra-il jamais vraiment ? L’autre aspect non moins remarquable est Ia nature toute mentale, avons-nous dit, de cette défense. Das Venfance apparait le refus d'avoir & s mesurer avec Wautres, « Phorreur, ditil, de la compétition >. L'une des clés de ma vie, « Au lyoée® », refus de Vaffrontement sous toutes ses formes mais absolu devant Ia force physique, « Pautorité musculaire » qu'il découvre chez ses jeunes condisciples remuants et brutaux, « Phorreur, ditil encore, des jeux violents >, des gestes et des cris. A maintes reprises, dans les Cahiers, il reviendra sur Vinfluence décisive pour son destin de son « insuffisance de forces musculaires ». « Chez moi, V'infériorité: muscu: lire a joué un réle capital : j'ai plus de nerfs que de muscles. » D'oi sa propension « (se) tirer de tout par production d'idées’ », a « tout résoudre par des substitutions — de penser ». A le limite, cette imagi nation;pensée réverait d'étre force suffisante pour maitriser le monde, pouvoir magique. « Le but unique, profond, eaché, inavoué de la pense spéculative est d’arriver au point of la pensée agirait directement sur les choses, Crest Pantique magic. » Et Yenfant, qui répugne a effort, ne sup- porte pas ennui du travail continu et se défie de son pouvoir physique, projette inconsciemment en Iui le réve d'une surpuissance mentale et des dons invisibles mais imparables du « sorcier ». Lorsque Teste posera la fameuse question « Que peut un homme ? », il l'étendra certes en théorie ‘au champ entier de T'activité fabricatrice, mais il ne peut faire que, pour — 92 — sa part, — datil parfois en sentir les limites — sa seule activité ne se réduise @ Vanalyse, & I cet acte impondéré de la parole ou de la plume — qu'elle écrive ou qu'elle dessine ~ qui obéit spontancment, sans aire résistance que celles que Vesprit librement sTinvente, a impatience, au bond méme de la pensée et de lexcitaton nerveuse. lei, Fhomme valéryen semble devoir éprower ces deux grands honheurs : se sentir chez lui et maitre absolu de ses moyens et de ses buts, & Pabri des tiers, en deg des résiatances, hors d'agresion, Liest.l si véritablement ? Assez vite ce monde soigneusement construit et colmaté révéle ses faiblesses, ca perméabilité, menacé qu'il est du dedans et du dehors. Du dedans dabord, et je ne fais que Vindiquer, par la conscience précoce, humilige, de ses proptes limites, des lacunes et insuffisances (vraics ou supposées) de ses pouvoirs mentaux : s'il déteste la compétition scolaire, est aussi quiil enregistre amérement, tout assuré qu'il soit de sa singu larité intéricure, des échecs et des diffcultés : Jes mathématiques par exemple... Le « médiocrissime ééve > qu'il saccuse d’étre soulfre de voir autres dont il pergoit essence moins fine s'avancer i P'aise oi il wébuche. Plus tard, envie cachée, jalousio doulourcuse et stimulante & V'éeard des grands dont le génie le déconcerte et dont il cherchera a percer le secret, a ravir [a force : Mallarmé et, plus que tout, Wagner. Il faudrait done acquérir les moyens qui manquent, affiner ses instruments, se refond et par moments dans la rage: « Parfois tout & coup violemment appel interpell, altaqué, injurié par Pidée de tout ce que tant autres savent faire et qu'l ne sait pas faire, Vesprit hurle de douleur et se détruirait®. > « Que de fois Yon veut follement se reprendre et se rejeter dans je ne sais quel creuset, comme un vase manqué! » La menace intérieure la plus grave pourtant n'est pas humiliation — qui fut précoce ~ de lorgueil = elle nait bien plus profond, dans la nuit de la sensiilit, 1a of surgit Trexistence, sous les expices de 1a « navrance 2, de cette lame de fond lige aux larmes, a Vabsolu de la déréliction sans cause, sentiment. pathétique de In précarité de Ia vie — radeau perdu sur la mer — qui subjugue tout et révéle & quel point Pate est démuni, contraint de chercher appui, chaleur, tendresse (« ce pouvoir d'étre faibles ensemble »), de se raccrocher dans Je naufrage général. « Cette note si grave » quil évoquera, éveillant au fond du moi une tristesse sans ge, « jusqu’au point critique des larmes », jusqu’a la soif de la disparition : « Le froid, le tremblement de Mime, Phorreur de tous les objets.. fait désirer un sommeil sans réve ; on veut se mettre au lit, se couvrir la tee, ve serrer a soi-méme, fuir dans le den refuge, dans Tinfranchissable ignorance définitive de tout, dans le noir du noir, dans le non-étre > Or ce sentiment aigu de Ja « navrance » ou de cette forme plus bénigne qui est ennui (« Je fus enfant qu'il ennuyait de s'amuser ») reste pour Valéry mystéricusement lige & Yame de erfance, 93 — a ces « vertiges d'enfant ct doctobre > qu'il évoque dans une lettre & Gide. Dans un Conte symbolique, que rapportent les Mauvaises Pensées, on voit le réveur pénétrer de porte en porte, toujours plus avant vers un trésor caché, « le Troisigme Seuil est gardé par un petit enfant triste. Si tu parviens a le faire sourite.. >, inachévement mélancolique de la phrase et le vieil homme encore conficra, regardant « ce fragment de glace fon: dante, la lune » : ¢ Je sais trop (lout & coup) qu'un enfant aux cheveux aris contemple dTanciennes tristesses & demi mortes, a demi divinisées dans cat objet eéleste de substance étineelante et mourante, tendke ct froide qui va se dissoudre insensiblement. » Si Vactivité de Vintllect se heurte a Phumiliation de obstacle et si la sensibilite tout & coup se sent envahir par Is marée sombre de la « tristesse énorme d'exister >, alors oft chercher refuge sinon toujours plus avant en soi-méme, jusqu’a un point si intéricur et si caché que nul mi ne risqueront jamais de vous atteindre ? Liinsularité ne suffit point, trop large encore et trop exposée, il la faut restreindre toujours plus « Lile est moindre encore, dira-til, qu’on ne le croit. Il n'en est pas de plus petit ow plutot elle est infiniment petite», cest dire qu'elle sidentifc 4 Fabsolu du point. Voyons se dessiner dans les lettres & Gide ce mouvement du reflux intérieuk, Evoquent pour son ami qui va dire appelé & Parmée sa douloureuse expérience du service militaire, il lui éerit : « Co pleur vous ressuscite petit enfant. On ramine le drap sur la tée, la douce concentration sur le lit apre. L'Esprit tate danciens jeux tiédes " » mais, parla méme cett tiédeur-refuge, co qui est obscurément visé, cest de ramener ¢ onde sénérale de Vie... & ce point giométrique qu'enfant fai voulu De fait — et nous sommes ici au eceur de mon propos —, il n'est pos expérience denfance que Valéry ait évoquée avec plus d'acuité et de fréquence (lui, avare de tels détails) que Vépisode de la petite maison. En voici une version inédite, qui date de la vingtiéme année: « Le lit si blanc. L'enfant intime dans les langes se glisce et pas ascez & lui s‘environne les petits bras, stembrasse et slime et déplore de ne pouvoir se juaqu’a son désir, d'avoir un corps qui ne se réduise pas & un point ému, répétant : ma petite maison! ma petite maison. » (Bt, pour le bonheur des paychanalystes, je préciserai qu'une autre version, dans les Cahiers, évoque cette « trés longue chemise » comme « un sac dans lequel (il) se resserrait comme un fosus‘>). Rarement on aura exprimé avec plus del force ce besoin de réimplication de la wotalité dur moi dans un point oi i se vésume et se réfupie, donjon de T'tre menacé, séeurité supréme, liew soustrait au temps et & Lespace, libéré de tout ce champ oit senchevétrent et Saffrontent les modalités fragiles du moi et les puissances hostiles du monde : de ce foyer, le regard peut parcourir le reste comme s'l lui it 94 étrange et peu importe ce qui s'y passe, il refuse de s'y reeonnaitre, il ne consent pas d'y patir. Intellectuals plus tard, traduit en termes dabstrac- tion mathémetique ou physique mais soustendu toujours par cette valorization de refuge et de fuite, ce point géométrique d'enfance ne sera rien d'autre que le Moi pur et nous savons tous qu’a ce « Moi pur, absolut de Ia conscience, opération unique et uniforme de se dégager automatique. mont de tout », Valéry pourra éorire & la fin de sa vie qu'il n'a jamais cessé de se réferer. Point minimum mais qui concentre lénergic formidable du moi agressé, point armé de toutes parts, « foudre qui s'amasse au centre de César ». Ecoutons encore le journal de Rachel ®. « II me semble que je suis une ile ou bien dans un état désespéré, un étre qui vit de coups de couteaux, ume femme comme une tour, entigrement environnée d’ennemis cruels dont elle tie une force infinie et implacable. » Crest que agression ne vient pas seulement des faiblesses du dedans que nous avons analysées : le dehors les multiplie, qui vous cere et vous ‘presse, linconnu, ce qui est radicalement autre, étranger & votre substance. Les événements d'abord, le contingent imprévisible de la vie : et on sait comment Valéry tente dy répondre par le mépris de 'événement, par une conduite de sécurisation sur tous les plans que traduira le besoin d'une existence réduite au minimum, protégée contre V'inquiétude qui la taraude par ses régularités, ses habitudes, ses garanties, mais aussi, puisqu’on ne saurait se prémunir contre tout, par un fatalisme qui se nourrit de oubli du passé, du refus de prévisibilité de Vavenir, et tente de se réduire & Vinstant a instant non historique. Pourtant 1a pression la plus intolérable est celle qu’exerce sur vous fautrui, ce semblabledissemblable qu’on ne maftrise jamais tout & fait, conscience regardante ou méme présence physique restentie jusqu’au malaise. Et cet autrui, par V'sdée, par la force, pire encore par la manceuyre du sentiment — violence intolérable qui cherche en vous ses complices, atteint par traitrise [a sensibilité que Yon met tant de soin & protéger — ect autrui done, par tous moyens, peut vous atteindre, Dot les refus, toutes Jes violences du refus : ne pas croire (et pas plus la démonstration de la Trinité que celle de Végalité des triangles), ne_pas comprendre, ne pas Vouloir se laisser prendre au chantage honteux du sentiment, de la de Vémotion que l'on exprime ou que lon mime pour vous contraindre. Mais le simple refus ne suffit pas: et, la encore, cet Fenfance qui va inventer le mode spécifiquement valéryen de Ia contre-offensive : détruire dversaire, non pas, nous Pavons vu, par la force, Paffrontement direct, ii répugne mais, dans le secret du dedans, par analyse réductitre qui jomphe dans le sourire du mépris. Il suffit de décomposer cet autrui & état de mécanisme, dont on comprend le fonctionnement et les lois, & lui-méme inconscientes, que Ton prévoit et que Pon possi, vidé désormais de son autonomic et de sa dignité de conscience. A plusieurs reprises, la ere ee ee ee ee eee 9 — aussi, Valéry a raconté cette expérience premiére et décisive : « Comme on me faisait de vifs reproches (vers 188?), je déposai tout a coup ma confasion et je fus saisi por lx révélation nette de Tautomatisme de cee violents propos. Je me refroidis avestét et obeervai avec une jouiseance exquise et neuve le mécanisme des accés, de leurs reprises, des termes, dex gestes (..) qui me semblaient aussi bétes que la foudre. Jamais plus brile tt claie legon. Plas je voyais distinctement ce développement diane din pation d'énergie, plus je méloignais vers je ne sais quel extréme oppmé dela sensibilit plus je produlsaia em mot froideur, mépris, pie ct pls je me sentais prendre une verité & sa source, aequétir & Tegard des valeure Gébordantes une défense definitive. Ce fut la un événement —~ de ces vraix Svénements de quelqu'un®. » Ainsi apparait tr tt le mode valéryen de réduction & Feutomatique et & ln structure, recomposables et done annulablex par Tesprit pour ne dégager enfin, seule rélité quion puisse surplombcr Of réduive, ee regard qui voit sme dire va, gil analyse sans dre. analyst et garde pour lui le privilige de Tintérorité. « A cet ge dirail, les gem me semblaient: mécaniques... Moi seul ais hasard,,imprévu, puisque jis obmervatenr. Pécontas leur parole fnie avec mon infin! personnel.» {Que te généralise Vhabitude de se rejeter a Vextrtme oppose de tout Ir reste (et méme de ce qui, en luiméme, bient6t, a la lumiére des grandes crises adolescence, va hi apparaitre analogue aux mécanismes qu'il sin nie a lire cher autrui) pour ne se sitter que dans ce regard efparé, «t on aura, mieux armé, plus dur mais reconnaistable, le tueur de marion nettes, Monsieur Teste, l'homme témoin, L’enfant Valéry en a déja préformé Te regard — mania est quill mis toute won Sncrgie ot ore. tramners Peaprit he défendre. Je naurai fait ainsi que suivre — faute de temps — 'une seulenrat des deux grandes directions oft est engagée cette enfance et que le develop pement ultérieur portera V'achévement abstrait : celle qui va vers k dedans pour y trouver un noyau plus résistant et immatériel que la muse mouvante qui le cerne, I est aussi, dés le départ, pour sor précarité du moi isolé et de la déficience d'exister dont il soullre, autre voie, centrifuge celled et qui va vers Vextéricur — fuite hors de Vétroite personnalité définie, butant sur ses frontiéres, vers la. plénitude anonyme de la sensation, Crest alors se fondre & Vimmédiateté des chose lorsqu’elles ne disent rien, ne demandent rien, mais, dans leur amplitude tranquil, soutiennent de toutes parts, englobent dans leur présence, gorgent de leur énergie V'existence précaire qui s'immerge dans leur flux. Au de la contemplation lente et fixe qui sidentific & son objet, d'un + dé irité de sentir jusqu’a In moclle Ia magic des choses », « se repuinant, Gcritil a son ami Fourment, de sensations, odeurs, couleurs, sons inwl dans cette € porosité > que retrouvera plus tard Ia Jeune Parque parmi ces sensations, point de plus absorbantes, contraignantes que ee de cette = 96 = richesses olfactives de la mer et des ports. Mais, clest dans les grandes puissances dynamiques des forces naturelles, du Vent, du Soleil, de la Mer surtout, « ce quelque chose de libre... de pur... de brdlant... (qui) va oi cela veut », dans cette masse qui de toutes parts Tenvahit et le porte, non pas seulement physiquement mais ontologiquement, seraiton tenté de dire, et maternellement aussi, que le moi séparé peut enfin oublier sa condition fragile et accéder a In plénitude de etre, « & Vexaltation du primitf ». « Tl me semble que je me retrouve ct me reconnais quand je reviens a cette eau universelle.. Avoir le geste rapide et souple de ees bétes sous- marines — pour fuir. » « Fuir » la encore, non plus vers le point limite du fond de Vesprit mais vers la sphére immense dune liberté, eompacte ‘et matériel, Pourtant les deux mouvements ne finissent ils pas par s'iden- tifier dans cette commune échappée hors dune situation incertaine vers le bonheur d'un pur exister ? Fascination de la partance vers le large et lieu de Vaffiemation, tel apparait le port dans ls mythologie du jeune Valéry, singuliérement cette ville forte et ouverte, ville des vacances mais ville surtout de la grande Vacance de soi, de la liberté retrouvée et ce serait un jeu tentant et facile de mettre face a face Montpellier, la. pro vinciale cité de 1a réclusion sur soi, et ces plages et ces ports of Penfant eat enivré de I'e excds du réel » : Cette, Nervi et, « toute visible et présente elleméme », ditil comme sil parlait encore de esprit, Génes, ville aternelle o@ la sensation, le temps d'une nuit dorage, slest faite délibé rément Tdée. 9 NOTES 1. Cahier XIX, 627. 2 > XXL, 298 a> Vim 378, 4 > Vm, 5.» XL, 58, 6 > XXVI, 632, hoo The 8 > Vi, 728. % > XR wo > 427 TL > XXVIL, S07, > XXL, 14 13. > XVII, 105. > XVI Is. 15. > XOX, 247, 16 > XM, 18 V7, Plénde, & Uy p. 127 1B. Cahiers, XXV, 890 19. Cor, p. 176 20. Cor, p 199. 21, Cahiers, XVI, 218, 22, Pléinde, tI, p. 482 hiers, XXL, 16, > Vin, a7, ENTRETIENS SUR PAUL VALERY Actes du colloque de Montpellier des 16 et 17 octobre 1971 TEXTES RECUEILLIS PAR DANIEL MOUTOTE PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE wn

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