SCIENCES THEOLOGIQUES
& RELIGIEUSES - 2
SAGESSES DE L’ORIENT
ANCIEN ET CHRETIEN
LA VOIE DE VIE
ET LA CONDUITE SPIRITUELLE
CHEZ LES PEUPLES
ET DANS LES LITTERATURES DE L’ORIENT CHRETIEN
Conférences I.R.O.C. 1991-1992
Textes réunis par
RENE LEBRUN
UER DE THEOLOGIE ET DE SCIENCES RELIGIEUSES
INSTITUT CATHOLIQUE DE PARIS
e
a
BEAUCHESNE
AN 73Liste des intervenants
Krikor BeLepian
Anne Boupors
Jacques Brien
Didier DevaucneLte
René Leprun
Marie-Joseph Pierre
Emilio Piatt o.p.
Michel Trumanie mep
Michel van Essrock s.j.
Institut catholique de Lyon
Institut catholique de Paris,
E.L.C.0.A., CN.RS.
Institut catholique de Paris,
U.E.R. de Théologie
C.N.R.S., Université de Genéve
Faculté des Lettres
Institut catholique de Paris, E.L.C.O.A.
Institut catholique de Paris, E.L.C.O.A.
E.P.H.E, V Section
Institut catholique de Paris,
EL.CO.A., LS.T.R.
Institut catholique de Paris
U.E.R. de Théologie
MunichCHAPITRE QUATRIEME
LE CHEMIN DE VIE
_____DANS
L’EGYPTE ANCIENNE!
par Didier Devauchelle
L’idéal de sagesse et de morale en Egypte ancienne est
rendu parfois par la formule « chemin de vie ». Dans I’arse-
nal d’expressions littéraires des textes sapientiaux ou dans
les clichés autobiographiques, l’image du chemin que le dieu
indique au roi ou aux hommes ou celle du bon chemin que
Pour limiter les renvois aux différentes traductions des textes égyp-
je regroupe ici quelques références qui ne seront pas rappelées par la
suite : Cl. LALOUETTE, Textes sacrés et textes profanes de l’'ancienne Egypte,
t. 1: Des pharaons et des hommes, t. 11 : Mythes, contes et poésies, Paris, Galli-
mard, Connaissance de l’Orient, Collection Unesco d’cuvres représentatives,
1984-1987 ; G. LEFEBVRE, Romans et contes égyptiens de I’Egypte pharaonique,
Paris, Librairie d’Amérique et d’Orient, Adrien Maisonneuve, 1949; et
J. Leveque, Sagesses de I'Egypte ancienne, Paris, Ed. du Cerf, Supplément au
Evangile 46, Service biblique évangile et vie, 1983 pour la traduction
jise de ceux-ci, auxquelles il conviendra d’ajouter M. LICHTHEIM, Ancient
Egyptian Literature. A Book of Readings, t.1: The Old and Middle Kingdom,
t. IL: The New Kingdom, t. Ill : The Late Period, Betkeley-Los Angeles-Lon-
dres, University of California Press, 1973-1976-1980, pour une récente traduc-
tion plus littérale en anglais, accompagnée de notices introductives fort utiles,
et H. BRUNNER, Die Weisheitsbiicher der Agypter. Lehren fiir das Leben, Zirich
et Munich, Artemis Verlag, 1991, pour yne présentation et une traduction en
allemand. Consulter également les articles du Lexikon der Agyptologie, Wies-
baden, Otto Harrassowitz, 1975-1986, pour une présentation de ceux-ci et les
principaux renvois bibliographiques, ainsi que R. B. PARKINSON, « Teachings,
Discourses and Tales from the Middle Kingdom », dans St. Quirke (éd.),
Middle Kingdom Studies, New Malden, S.1.A. Publishing, 1991, p. 91-122,
pour une recension et une bibliographie recente des textes litteraires du
Moyen-Empire.92 - Didier Devauchelle
le pharaon ou les hommes doivent suivre est usuelle,
contrairement a cette expression « chemin de vie » qui est
objet plus particulier de cet article.
Pour en faire l'étude, je mentionnerai tout d’abord les
textes qui illustrent au mieux l’image du dieu comme guide,
en particulier du roi, et celle du chemin qu’il est bon de
suivre. Dans un deuxiéme temps, j’aborderai les différentes
mentions du « chemin de vie » classées chronologiquement,
les comparant parfois aux expressions de sens proche. Je
laisserai de cété, pour les étudier dans le paragraphe sui-
vant, les attestations du tombeau de Pétosiris : elles relé-
vent, en effet, d’un discours homogéne concernant I’attitude
particuliére de ce haut personnage lors de la période critique
de la deuxiéme domination perse et du début de leépoque
grecque. Je conclurai en essayant de montrer comment
Pimage du « chemin de vie » s’intégre dans histoire de l’ex-
pression de la pensée égyptienne.
I
LA CONDUITE DE DIEU
LA DEPENDANCE DU ROI
Dans l’importante étude de Georges Posener, De la divi-
nité du Pharaon', un chapitre est consacré au « roi dans la
dépendance des dieux ». L’explicitation du réle terrestre de
Pharaon passe par de nombreux textes soulignant « la
reconnaissance de l’infériorité du monarque et de sa sujé-
tion » aux dieux : les priéres que les Egyptiens adressent aux
dieux en faveur de leur souverain ou celles que le pharaon
1. Paris, Cahiers de la Société asiatique, XV, 1960. Lire, également, la
récente mise au point de J. GWYN GRIFFITHS, The Divine Verdict. A Stud) of
Divine Judgement in the Ancient Religions, Leyde, E. J. Brill, Studies in the
History of Religions (Supplements of Numen), vol. LIT, 1991, p. 161-183
(chap. 7 : « Egypt : Pharaon and People. A: The Gods and the God-King »).Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 93
lui-méme adresse aux dieux, par exemple. Cette dépendance
implique l’obéissance, comme celle d’un fils envers son pére.
Cette obéissance est intrinsé¢quement liée au réle méme du
pharaon. Accomplir la volonté divine, c’est, pour Pharaon,
faire la madt. Ce n’est pas réduire la « divinité » du pharaon
que de reconnaitre cette réalité. Le roi, intermédiaire entre
les hommes et les dieux, sera considéré, suivant les
contextes, comme un dieu avec les dieux ou un homme pour
les dieux, comme un homme avec les hommes ou un dieu
pour les hommes. Cette apparente contradiction des situa-
tions est révélatrice de notre documentation, d’une part, et
de la multiplicité des approches que les anciens Egyptiens
montraient pour la réalité qui les entourait.
Parmi la masse des images employées dans les textes qui
rapportent divers types de comportement de « dépen-
dance », il en est une qui nous intéresse ici, celle du roi qui
suit le chemin que lui indique le dieu. L’idée méme de par-
courir un lieu en tout sens pour le posséder et le dominer est
une chose bien connue. La figure litteraire du bon et du
mauvais chemin est également connue.
LE ROI POSSESSEUR ET BIENFAITEUR DE L’EGYPTE
Dans I’enseignement d’Amenemhat', le pharaon déclare
(pap. Sallier II, col. XI, 1.7) : « Jai pénétré jusqu’a Elé-
phantine, je me suis avancée dans les marais du Delta, pour
tre debout aux frontiéres du pays, aprés que j’en ai vu l’in-
térieur » et, de ce fait, montre a Egypte sa force bienfai-
sante, ce qui permet 4 chacun de se nourrir, ses ordres étant
exécutés comme il le faut, ainsi que sa force protectrice
contre les ennemis. La construction d’un palais splendide
témoignera de son efficience. L’image de la marche, du par-
cours du territoire, impliquant la possession, la protection et
1. Consulter la deuxiéme édition de l’ouvrage de W. HeLck, Der Text der
« Lehre Amenemhets 1. fiir seinem Sohn », Wiesbaden, Otto Harrassowitz,
1969, p. 68-69 et 71.94 - Didier Devauchelle
Yenrichissement du pays ainsi délimité, est une évocation
majeure du devoir de Pharaon.
Dans Vhymne a Sésostris III', le pharaon est tout
dabord invoqué comme celui qui « marque » le territoire.
Puis c’est la joie de tous, dieux et hommes, la reconnais-
sance de la grandeur de Pharaon et la constatation de la
« venue » de celui-ci, avec, A chaque fois, l’évocation de la
force combattante ou protectrice de Pharaon, ainsi que les
bienfaits qui en découlent. Cette évocation de Sésostris
prend l’allure d’une biographie idéale de Pharaon, comme,
plus tard, ’hymne prononcé pour I’accession au tréne de
Ramsés IV dans lequel est évoqué le retour a une situation
heureuse : la faim, la soif et la nudité sont balayées; ce sont
la aussi des thémes classiques de l’autobiographie privée.
On y rencontre des thémes plus spécifiquement royaux,
comme la fin des troubles, la libération des prisonniers et
Yallégresse générale. D’autres éléments sont encore évoqués,
mais il n’est pas nécessaire de les détailler pour comprendre
que ces textes font appel a un fonds phraséologique non
exclusivement royal, que le but de ceux-ci est de tracer une
image de Pharaon conforme 4 son réle et que la variété des
motifs mentionnés est fonction de l’usage du texte, du desti-
nataire potentiel et de la place qu’il doit tenir dans le dis-
cours. Pour illustrer ce dernier propos on pourra, par
exemple, rappeler I"hymne pour Thoutmés III gravé sur une
stéle de granit, provenant du grand temple de Karnak, qui
affirme qu’Amon-Ré lui a donné la force contre tous les
Strangers. La phraséologie de ce texte développe pour
Thoutmés les épithétes des dieux dans leur aspect combat-
tant. Son aspect guerrier est explicable par le contexte poli-
tique, un retour de campagne, et ses comparaisons divines
par emplacement religieux du texte, le temple de la divinité
tutélaire de Pharaon’.
1. Lire, également, les remarques de Ph. DERCHAIN, « Magie et politique.
A propos de I’hymne a Sésostris III », C.d.£., LXII/123-124 (1987), p. 21-29.
2. Lire, dans le méme sens, les remarques de G. Posener, Littérature et
politique dans ’Egypte de la XIF dynastie, Paris, Librairie Honoré Champion
(éd.), 1956, p. 16.Le chemin de vie dans I’Egypte ancienne - 95
LE DIEU GUIDE DU ROI
Pour illustrer Pidée du dieu guidant Pharaon sur le che-
min, on pourrait faire appel 4 de nombreux textes. En voici
quelques exemples particuli¢rement évocateurs.
Le choix du chemin de Thoutmés III avant la bataille,
pour atteindre Megiddo, est un élément crucial dans la tac-
tique de Pharaon. Deux chemins s’offrent 4 lui, I’un aisé et
évident, l'autre difficile et dangereux, dans un defilé. C’est le
deuxiéme que choisira Thoutmés, ouvrant la marche de ses
troupes, Amon-Ré « ouvrant le chemin » devant lui. Il est ten-
tant de faire une lecture figurée de l"evenement décrit : le bon
chemin n’est évident qu’a Pharaon alors qu’il est guidé par le
dieu. Et c’est lui qui, 4 son tour, le montrera aux hommes.
Un récit gravé sur les parois du temple d’El-Kanais, du
temps de Séthi I*, raconte la découverte par le Pharaon
d'un puits : « C’est dieu qui le guida, afin de lui permettre
datteindre ce qu’il désirait. » Sur le chemin difficile des
mines, en plein désert oriental, Séthi « a amené l'eau » et
déclare que le « chemin qui était pénible, il s’est adouci
durant mon régne ». Ce puits est la concrétisation d’un rap-
port « parfait » entre le dieu, le pharaon et les hommes, cha-
cun agissant 4 sa place. Le temple qui sera construit prés de
Yemplacement de celui-ci est I’ « épiphanie » de cet acte. Les
hommes reconnaissants déclarent alors : « O Amon, donne-
lui P’éternité, redouble pour lui l’infinie durée; vous les dieux
qui résidez dans ce puits, donnez-lui votre durée de vie, car
il a ouvert pour nous ce chemin afin que nous y mar-
chions...; le chemin difficile est devenu un bon chemin. »
L’image du chemin est présente aussi bien dans le contexte
géographique de ce texte, que dans l’attitude de Pharaon,
mais sous-entendue, et dans la réalité des hommes.
Dans le poéme de Pentaour rapportant le récit de la
bataille que Ramsés II livra 4 Kadesh, la priére adressée par
le pharaon au moment ou il se sent abandonné insiste sur le
fait que Ramsés a bien suivi les ordres d’Amon, qu'il I’a
traité comme il se doit et que les hommes ont fait de méme,
bref qu’il a justement fait son devoir de Pharaon, comme un96 - Didier Devauchelle
fils pour son pére : Pharaon suit dieu comme un fils doit le
faire avec son pére. Ce type de rapport évoqué, également,
par la phrase : « Est-ce qu’un pére peut oublier son fils? »
est celui-la méme qui tisse les autobiographies et les
sagesses, dans le sens qu’un pére doit bien élever son fils
pour qu’un jour ce dernier lui serve de « baton de vieil-
lesse » et de prétre funéraire. Ce théme est également trés
courant dans la relation que le roi a avec le dieu. La phra-
séologie royale la plus stricte multiplie les expressions de la
filiation du roi par rapport aux dieux'. Vis-d-vis de son
armée qui l’a abandonné, Ramsés évoque aussi son action
juste et sa bénévolence qui ne furent pas payées de retour.
Cette notion de rétribution des actions est, elle aussi, bien
connue des autobiographies et des sagesses. Elle est un des
piliers de la madt. Ici, cette chaine a été interrompue par les
dieux et les hommes et restaurée par la volonté de Pharaon.
Lors de la conquéte de I’Egypte par Piankhy depuis le sud,
ville aprés ville, la présence de Pharaon a été nécessaire pour
assurer la victoire, c’est-a-dire le rétablissement de la paix.
Amon est le guide des actions, mais c’est Piankhy, méme
avant qu’il rejoigne son armée, qui apparait comme le focali-
sateur de cette puissance, l’intermédiaire nécessaire. Lors des
prises des villes rebelles, plusieurs fois le choix des assiégés est
clairement évoqué, comme par exemple (1. 78) : « Ne fermez
1. N.-Chr. Grimat, Les termes de la propagande royale égyptienne de la
XIX® dynastie 4 la conquéte d’Alexandre, Paris, Diffusion De Boccard,
Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, nouv. série t. VI,
1986, p. 152 et s., et, surtout, G. POSENER, De /a divinité..., 1960, p. 34-35, qui
insiste « sur les devoirs d’obéissance qu’impose au roi son réle filial », a cote
de la notation de Yorigine divine du roi. Dans un ordre d’idées semblable, un
roi appellera son prédécesseur « son pére », méme si celui-ci ne ’est pas, ou un
prédécesseur plus lointain mais remarquable, comme pour insister sur la
notion de continuité, cf. G. PoseNeR, Littérature et politique..., 1956, p. 3.
Pour une vue d’ensemble des rapports entre le pére et Ie fils, cf. J. ASSMANN,
« Das Bild des Vaters im Alten Agypten », dans H. TELLENBACH (éd.), Das
Vaterbild in Mythos und Geschichte, Stuitgart-Berlin-KéIn-Mainz, Verlag
W. Kohlhammer, 1976, p. 12-49 et 155-162, et, en dernier lieu, Chr. CaN-
NUYER, « Paternité ct filiation spirituclle en Egypte pharaonique ct copte »,
dans Chr. CANNUYER et J.-M. KRUCHTEN (6d.), Individu, société et spiritualité
dans V'Egypte pharaonique. Mélanges égyptologiques offerts au Professeur Aris-
tide Théodoridés, Ath-Bruxelles-Mons, Association montoise d’égyptologie,
1993, p. 59-86.Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 97
pas les portes de votre vie » et (1. 82) : « Voyez, deux chemins
sont devant vous, vous choisirez comme vous I’entendrez :
ouvrez et vous vivrez, fermez et vous mourrez! »! Ce texte met
clairement en évidence le lien entre chemin matériel et voie 4
choisir au sens moral. L’expression « chemin de vie » méme y
apparait (cf. infra), mais dans un contexte peu clair.
Sur la stéle dite du songe?, le pharaon Tanoutamon fait
un réve qui est interprété comme lui indiquant la nécessité
de reconquérir "Egypte. La navigation au cours de laquelle
il remonte le Nil est rapportée comme un récit 4 mi-chemin
des annales et du pélerinage. La mention des fétes ou d’in-
vocations aux grandes divinités 4 son passage dans chaque
grande cité ainsi que la restauration des cultes 4 l’abandon
rythment le récit. A la lecture du texte, on retire ’impression
que Pharaon suit son chemin conformément a la madt, ce
que confirme un passage a la fin du texte dans lequel Tanou-
tamon rappelle sur le ton du serment que (1. 33-34) : « Je vis
ce dieu auguste, Amon de Napata, Celui qui est au coeur de
la Montagne pure, tandis qu’il était debout vis-a-vis de moi,
et il me dit : je te guiderai sur chaque chemin; tu ne diras
pas : puissé-je avoir une aide (?)... » La notion de féte atta-
chée a l'histoire, déja relevée, semble ici se superposer 4 un
récit de biographie idéale de Pharaon. Tanoutamon a fait ce
qu'il devait faire, c’est-a-dire agir selon la volonté de son
dieu et le remercier par une nouvelle construction. Amon de
Napata l’a conforté comme roi, reconnu de tous; I’apaise-
ment est ainsi revenu sur l’Egypte.
LES IMAGES LITTERAIRES DU GUIDE ET DU CHEMIN
L’image plusieurs fois évoquée des deux chemins devant
lesquels on se trouve illustre le choix nécessaire de Pharaon
1. N.-Chr. GrimaL, La stéle triomphale de Pi('ankh)y au musée du Caire
JE 48862 et 47086-47809, Le Cairc, M.I.F.A.O. CV, LF.A.O., 1981, p. 80
et 88.
2. Texte hiroglyphique republié dans N.-Chr. Grimat, Quatre stéles
napatéennes au musée du Caire JE 48863-48866, Le Caire, M..F.A.O. CVI,
LF.A.O., 1981, p. 3-20 et pl. LIV.98 - Didier Devauchelle
qui suit le chemin de dieu, le bon chemin qui méne a la vic-
toire. Le bon chemin a suivre est le « chemin de vie ». Ce
« chemin de vie » est indiqué par Pharaon ou par le dieu
comme nous allons le voir plus loin. L’idée du dieu comme
guide des hommes, comme le Pharaon peut aussi I’étre a l’oc-
casion, est courante a partir du Nouvel Empire; c’est une
notion qui se rencontre également dans les textes religieux.
La figure de style du chemin indiqué est présente dans le
Texte des Sarcophages, dans la Chanson des quatre vents
(chap. 162). Ne dit-on pas du vent de l’est qu’ « il ouvre la
porte du ciel, qu’il libére les souffles de l’Orient et qu’il fait
un bon chemin pour Ré lorsque celui-ci sort en sa compa-
gnie ». L’emploi des termes désignant le chemin ou la route,
que ceux-ci aient un sens concret ou plus abstrait, est attesté
dés les Textes des Pyramides. Les chemins peuvent étre
mauvais ou bons, ils peuvent étre désignés comme des
« chemins du dieu », « de la déesse » ou de tel dieu ou telle
déesse'. Les pratiques magiques, la connaissance des for-
mules adéquates, permettront de choisir le bon chemin ou
d’éviter les embtiches dans l’au-dela.
De nombreux autres textes pourraient illustrer ce pro-
pos. En voici un. Dans le grand hymne 4 Amon datant de
l’époque de Ramsés II, les paragraphes se multiplient décri-
vant les différents noms et aspects de la divinité universelle,
certaines phrases tentant d’évoquer une primauté de la divi-
nité. On peut ainsi y lire (V, |. 19-21) : « Il est Horakhty,
celui qui est dans le ciel : son cil droit est le jour, son ceil
gauche est la nuit. Il est le guide des visages sur chaque che-
min. » Le visage, siége de la vue et de la communication,
désigne ainsi les hommes guidés sur le chemin.
En dehors des extraits de la documentation religieuse de
toutes les époques’, on peut renvoyer aux nombreux textes
1. Chr. Jacg, « Les routes de l'autre monde dans les Textes des Pyra-
mides et les Textes des Sarcophages », L'égyptologie en 1979. Axes prioritaires
de recherches, t. 2, Paris, Ed. du C.N.R.S., 1982, p. 27-30.
2. Voir, par exemple, E. OTTO, Got! und Mensch nach den dgyptischen
Tempelinschriften der griechisch-rémischen Zeit, Heidelberg, Carl Winter-Uni-
versitatsverlag, 1964, p. 43-45 et 152-153. On peut aussi mentionner le nom du
dieu chacal Oupouaout, « Ouvreur-des-chemins » devant le roi ou les dieux.Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 99
biographiques et littéraires usant de l’image du chemin ou de
celle du dieu guide des hommes'. Ce sont les points de départ
dune attitude qui ne devra pas étre confondue avec l’idée de
prédestination, inconnue en Egypte’. L’Egyptien admet le fait
d’étre dépendant et reconnait, en méme temps, son libre
arbitre®.
IL
LE CHEMIN DE VIE
Cest dans une étude devenue classique que B. Couroyer
a abordé la question précise du « chemin de vie » en
Egypte‘. Pour ce faire, il a recensé les attestations par lui
connues, au moyen du dictionnaire de Berlin, auxquelles il a
1. Aux références déja citées ici ou la, on ajoutera, par exemple, H. Gra
row, Die bildlichen Ausdriicke des Agyptischen, vom Denken und Dichten einer
altorientalischen Sprache, Leipzig, J. C. Hintichs’sche Buchhandlung, 1924,
. 64-65 ; K. JANSEN-WINKELN, epic Biographien der 22. und 23. Dynas-
tie, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, Agypten und Altestestament 8, 1985,
p. 321-322 et index p. 588 (w3yt) ; J. D. Ray, The Archive of Hor, Texts from
Excavations 2, Londres, Egypt Exploration Society, 1976, p. 62-63 ;
J. H. JoHNsoN, « The Demotic Chronicle as a Statement ofa Theory of King-
ship », J.S.S.E.A., XIII-2 (1983), p. 69 et n. 58-59 et p. 71 et n. 75. Une
expression bien connue des autobiographies est celle qui dit d’un personage
qu'il est « sur l'eau » (hr mw) de quelqu’un pour montrer qu'il lui est fidéle,
cf O. Perpu, « Le monument de Samtoutefnakht a Naples », R.d.E., 36
(1985), p. 101 n.b., voire méme dépendant, cf. W. WESTENDORF, « “Auf
Jemandes Wasser sein” = “von ihm abhiingig sein” », G.M., 11 (1974), p. 47-
48. Lire encore J. Gwyn GrirFiTHs, The Divine Verdici..., 1991, p. 184-198
(chap. 8 : « Egypt : Pharaon and People. B : Divine Impact on Human Affairs
in Non-Royal Biography »). Pour une introduction aux (auto)biographies
égyptiennes, cf. O. Perpu, « Egyptian Biographies/Autobiographies », dans
Civilizations of the Ancient Near East, New York, Charles Scribner's Sons, a
paraitre.
2. Fr. T. Miost, « God, Fate and Free Will in Egyptian Wisdom Litera-
ture », dans G. E. KapisH et G. E. FREEMAN (éd.), Studies in Philology in
Honour of Ronald James Williams. A Festschrifi, Toronto, $.S.B.A.- Publica-
tions, 1982, p. 69-111.
3. M. LicHTHEIM, Late Egyptian Wisdom Literature in the International
Context. A Study of Demotic Instructions, Gottingen, Universitatsverlag Frei-
burg Schweiz - Vandenhoeck & Ruprecht, 0.B.O. 52, 1983, p. 133-134.
4. « Le chemin de vie en Egypte et en Israél », R.B., LVI (1949),
p. 412-432100 - Didier Devauchelle
ajouté quelques mentions supplémentaires : un ensemble
important qu’il cite de maniére précise — sur lequel je m’ar-
réterai plus loin —, celui du tombeau de Pétosiris, et deux
mentions isolées qu’il ne signale qu’en passant, celle frag-
mentaire d’une inscription datée du régne de Ramsés II pro-
venant de Tanis et celle extraite du papyrus Insinger
d’époque romaine’. I] conclut que le « chemin de vie », en
Egypte, est le droit chemin, aussi bien professionnel que
moral, dont le contenu peut varier selon la condition de
celui qui emploie cette expression. Elle remonterait au
temps d’Amenhotep IV/Akhenaton.
La documentation aujourd’hui disponible et les progrés
de l’analyse des textes égyptiens anciens conduisent a réviser
cette opinion. J’ai choisi de classer les mentions de cette
expression suivant l’ordre chronologique.
ORIGINE DE L'EXPRESSION
G. Posener? a proposé de voir un ancétre de cette
expression plusieurs fois attestée au Nouvel Empire et a la
Basse Epoque dans un passage, a la fin de La Satire des
métiers — texte composé au début de la XII* dynastie —
(pap. Sallier II, col. XI, 1. 4) ot on la rencontre sous une
forme vraisemblablement corrompue de « chemin des
vivants » :
« Adore dieu pour ton pére et ta mére
Qui t’ont placé sur le chemin de vie » (litt. : « des
vivants »).
Le passage est peut-étre fautif dans les versions parve-
nues jusqu’a nous; différentes possibilités de traduction se
présentent au traducteur, mais le rapprochement est tentant
avec l’expression étudiée ici.
1. Ibid., p. 413, n. 4.
2. « Les richesses inconnues de la littérature égyptienne (“Recherches lit-
téraires”, I) », R.d.E., 6 (1951), p. 43, n. 1Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 101
TEXTES DU NOUVEL EMPIRE
Dans les inscriptions de la tombe que le pére divin Ai
se fit creuser 4 Amarna, mais qu’il n’utilisa pas, sur les lin-
teaux intérieurs de porte, au fond de la salle a piliers, ont
été copiés deux textes autobiographiques avec chacun un
appel aux vivants mis en paralléle'; dans l'un d’entre eux,
on peut y lire :
« O chacun vivant sur terre et toutes générations a
venir, je vous dirai le chemin de vie (dd.i n.tn w3t n‘nh) et
je vous informerai des louanges. Alors vous réciterez
mon nom a cause de ce que j’ai fait, car je fus un juste sur
terre. Faites les acclamations au disque vivant et vous
serez affermis en vie; dites pour lui : “Sois en santé”, et il
multipliera pour vous les louanges. »
Plus tard, a la fin de la XVIII dynastie, dans un texte
royal, le décret d’Horemheb?, Pharaon déclare :
« Je leur (= les hommes justes) ai donné des consi-
gnes verbales (et j’ai fait) des lois leur instrument per-
manent de travail...; je leur ai inculqué (en outre) une
ligne de conduite (litt. : un chemin de vie, min n‘nf), les
guidant vers la Justice (bw m3‘). Voici "enseignement
que je leur ai donné... »
Les préceptes qui suivent alors ne sont pas rédigés tota-
lement dans la forme des textes de sagesse, mais une certaine
tessemblance phraséologique existe. Les thémes évoqués
sont ceux de la corruption et de la justice impartiale. Le che-
min de vie clairement exprimé ici désigne donc la conduite
1. Maj. SANDMAN, Texts from the Time of Akhenaten, Bruxelles, F.E.R.E.,
« Bibliotheca Acgyptiaca », VII, 1938, p. 98-100 ; le texte traduil ici est copie
Pp. 99 ; son paralléle porte sur le désir d'un temps de vie heureux.
2. J.-M. KRucHTEN, Le décret d’Horemheb. Traduction, commentaire épi-
graphique, philologique et institutionnel, Bruxelles, Ed. de !'Université de
Bruxelles, 1981, p. 150.102 - Didier Devauchelle
juste, nécessaire 4 un bon fonctionnement administratif et a.
la paix sociale’.
Au début de instruction d’Amennakht? datée du Nou-
vel Empire on peut y lire :
« Commencement de l’instruction, du temoignage,
des sentences pour le chemin de vie. »
Les premiers préceptes dictés par le scribe Amennakht 4
son apprenti Hormin sont classiques : il faut écouter et
suivre les principes du maitre, étre compétent, observer les
autres métiers pour, ainsi, reconnaitre la véracité de l’ensei-
gnement, devenir un bon scribe qui fréquente la Maison de
Vie, en résumé « devenir comme un coffre a écrits ».
Le début de cette instruction reconstituée 4 partir d’os-
traca pourrait faire partie du méme texte que celui dont la
fin est conservée sur le verso du papyrus Chester Beatty IV’.
On peut lire, en téte du paragraphe de conclusion de l’ensei-
gnement, cette phrase (col. 6, 1. 4) :
« Jai étalé devant toi l’enseignement,
je tai instruit au sujet du chemin de vie. »
L’aspect littéraire, mais aussi moral, de l’expression
« chemin de vie » est clair. Son emploi est ici étroitement lié
avec l’enseignement des scribes.
Un lettré de l’époque de Ramsés II, Samout surnommé
Kyky, a utilisé cette expression au début d’une curieuse ins-
cription qu’il fit graver dans sa tombe‘, dans laquelle les
artifices littéraires sont nombreux :
« Or, son dieu linstruisit et ’avisa de son enseigne-
ment,
Car il avait placé sur le chemin de vie afin de protéger
sa personne. »
1. Pour les allusions phraséologiques, cf. A. Gnirs, « Haremhab — Ein
Staatsreformator. Neue Betrachtungen zum Haremhab-Dekret », S.A.K., 16
(1989), en particulier p. 96-97 pour ce passage.
2.'G. Posener, « L'exorde de l'instruction éducative d’Amennakhte
(“Recherches littéraires”, V) », R.d.E., 10 (1955), p. 61-72 et pl. 4.
3. Ibid., p. 71-72.
4, P. VERNUS, « Littérature et autobiographie. Les inscriptions de S3-
Mwt surnommé Kyky », R.d.E., 30 (1978), p. 144.Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 103
Samout raconte ensuite comment il décida de se mettre
sous la tutelle de la déesse Mout. Le lien ici entre « chemin
de vie », « enseignement (de la déesse) », et donc, égale-
ment, « sagesse », est encore rappelé. Un autre lien, nou-
veau apparemment, est celui qui unit un particulier directe-
ment avec une divinité. C’est une chose assez courante a
partir du Nouvel Empire, mais dont l’ancienneté est discu-
tée, comme on le verra plus loin. On s’est éloigné de I’ensei-
gnement scolaire. On peut, a titre d’exemple, comparer ce
texte avec un autre document vraisemblablement contempo-
rain, provenant de la tombe thébaine de Djehoutyemheb'.
Pour marquer sa fidélité envers la déesse Hathor a laquelle
il adresse un hymne, il précise :
« Je suis sur le chemin que tu as toi-méme donné,
Sur la route que tu as faite. »
La mention du chemin de vie sur un bloc daté du régne
de Ramsés II et provenant de Tanis n’apporte rien de précis
ni d’assuré — « ... que (?) je vous place sur le chemin de
vie... » —, compte tenu de son état de conservation’.
On peut aussi citer, parmi les maximes étudiées par
Et. Drioton’ sur des scarabées, des mentions du chemin de
vie, du chemin d’Amon ou de l’image du dieu comme « bon
guide ». Une de celles-ci est attestée sur deux scarabées iné-
dits de ’'ancienne collection Fouad I* :
« C’est dieu (var. Amon) qui conduit au chemin de
vie. »
Il est difficile de dater ce type de documents, mais le rap-
port révélé par la maxime entre le dieu et le particulier est
1. J, AssMANN, « Eine Traumoffenbarung der Géttin Hathor. Zeugnisse
“Persdnlicher Frommigkeit” in thebanischen Privatgribern der Ramessiden-
zeit », R.d.E., 30 (1978), p. 22-50.
2. Cité par B. CouROYER, op. cit., p. 413, n. 4, d’aprés W. M. FLINDERS
Petrie, Tanis, I, E.E.F., 4, Londres, Taubnér & Co., 1888, p. 25 et pl. Il,
n° 73.
3. « Scarabées 4 maximes », Annals of the Faculty of Arts Ibrahim Pasha
University, 1 (1951), p. 66-67, repris et complété dans « Une nouvelle source
d'information sur la religion égyptienne », Pages d’égyptologie, Le Caire,
Ed. de la Revue du Caire, 1957, p. 126.104 - Didier Devauchelle
conforme au reste de la documentation depuis le Nouvel
Empire.
Lexpression ici é¢tudiée apparait deux fois dans la
sagesse d’Aménémopé. La composition de ce texte remonte
vraisemblablement a la XX* dynastie. Dans l’introduction
(col. I, 1. 7), tout d’abord, elle est employée en paralléle
avec d’autres expressions pour indiquer le but de cet ensei-
gnement' (col. I, 1. 1-12) :
« Commencement de l’enseignement de vie,
Le témoignage de bien-étre,
Toutes les régles pour approcher les grands,
La conduite des courtisans,
Pour répliquer a celui qui s’adresse a lui,
Pour répondre a celui qui lui écrit,
Pour le maintenir dans la droiture en rapport au che-
min de vie,
Pour le rendre sain sur terre,
Pour faire descendre son cceur dans sa chapelle,
Le gouvernant a l’écart du mal,
Pour le sauver de la bouche des autres,
Etant honoré dans la bouche des gens. »
La seconde mention du « chemin de vie » se trouve dans
le chapitre 13 du texte? ot le sage conseille de ne pas abuser
du pouvoir donné au scribe par son calame. L’aspect moral
1. Une analyse des titres des sagesses a été effectuée par K. A. KITCHEN,
« The Basic Literary Forms and Formulations of Ancient Instructional Wri-
tings in Egypt and Western Asia », dans E, HORNUNG et O. KEEL (éd.), Stu-
dien zu altdgyptischen Lebenslehren, Géttingen, Universitatsverlag Freiburg
Schweiz - Vandenhoeck & Ruprecht, 0.B.O. 28, 1979, p. 235-282 ; pour cette
sagesse, cf. p. 266-267, n° 13. Voir, également, les notes de R. J. WILLIAMS,
« The Alleged Semitic Original of the Wisdom of Amenemope », J.E.A., 47
(1961), p. 100-106.
2. Voir, en dernier lieu, l'analyse de ce paragraphe par H. ALTENMULLER,
« Bemerkungen zu Kapitel 13 der Lehre des Amenemope (Am. 15, 19 -
16, 14) », dans M. Gore (éd.), Fontes atque Pontes. Eine Festgabe fir Hellmut
Brunner, Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1983, p. 1-17, qui rattache la sen-
tence sur le chemin de vie aux deux versets suivants (p. 7). Les traducteurs
— par exemple, M. Lichtheim et H. Brunner — sont partagés. Le sens de ces
phrases est difficile a préciser, mais il semble li.Le chemin de vie dans |’Egypte ancienne - 105
y est plus fort. Il aborde un cas particulier (col. XVI, 1. 5-
10):
« Si tu te rends compte qu’un pauvre a une dette
importante,
Divise-la en trois parts;
Fais-en-lui grace de deux et laisses-en-lui une;
Tu considéreras que cela est le chemin de vie.
Quand tu as passé la nuit 4 dormir et que tu es au
matin,
Tu considéreras cela comme une bonne décision. »
TEXTES DE BassE EPOQUE
Comme il a déja été signalé plus haut, le « chemin de
vie » est mentionné sur la stéle de Piankhy, mais dans un
contexte lacuneux'. La tenue littéraire de ce document
explique l'emploi d’une expression recherchée?. I] ne faut
pas y voir la copie d’un passage ancien ni I’influence directe
de l'un ou l'autre texte sapiential, mais bien plutét la
connaissance du vocabulaire littéraire, 4 son époque, du ou
des rédacteurs de cette stéle.
Le texte d’une stéle héliopolitaine datée de la fin de
l’époque saite’ utilise, parmi les formules autobiographiques
laudatives, l'image du chemin de vie :
« Jétais un bon gouvernail qui ne dévie pas,
Guidant les gens sur le chemin de vie. »
La double image du « chemin de vie » et du « gouver-
nail » se retrouve sous une forme a peine différente dans l’in-
troduction de la sagesse d’Aménémopé précédemment évo-
1. N.-Chr. Grima, La stéle triomphale de Pi(‘ankh)y..., 1981, p. 56 et 64-
65, n. 154.
2. N-Chr. GriniaL, « Bibliothéques et propagande royale & Tépoque
éthiopienne », Livre du Centenaire, 1880-198), Le Caire, M .A.O. CIV,
LF.A.O., 1980, p. 37-48.
3. JP. CoRTEGGIANI, « Une stéle héliopolitaine d°époque saite », dans
Hommages a la mémoire de Serge Sauneron, 1, Le Caire, B.d.E. LXXXI,
LF.A.O., 1979, p. 127-128 et 131, n. 1.106 - Didier Devauchelle
quée. Le destinataire du monument, Djedatoumiouefankh
dont le surnom (« beau nom ») était Khenemibrénefer, avait
exerce d’importantes fonctions religieuses dans le centre
culturel le plus vénérable d’Egypte, Héliopolis, et avait été
en charge d’importants travaux dans cette région. Sa culture
ne fait aucun doute, son appartenance 4 l’élite intellectuelle
de son époque non plus. L’emploi d’une telle expression a
son endroit n’est pas étonnant : il est un guide pour ses
contemporains, a l’égal des sages.
Lutilisation a plusieurs reprises de l'image du chemin de
vie dans les textes fameux de la tombe de Pétosiris ainsi que
Je contenu de certains d’entre eux et ’interprétation qui en a
été faite invitent a les traiter 4 part. Chronologiquement, ils
se placent aux alentours de I’arrivée d’Alexandre le Grand
en Egypte. L’usage de cette expression dans ces textes est
conforme a celui qui est connu par ailleurs; c’est l’originalité
de la personnalité, de la carriére et du tombeau de Pétosiris
qui retient l’attention.
TEXTES DES EPOQUES PTOLEMAIQUE ET ROMAINE
Cette expression subsiste dans la documentation de
l’époque ptolémaique et romaine et, cela, aussi bien dans les
inscriptions hiéroglyphiques que dans les textes démotiques.
Sans étre fréquente, elle se rencontre dans différentes sphéres
documentaires.
Sur une stéle ptolémaique au nom de la dame Tahebet,
provenant de la région d’Akhmim', court un long texte en
partie conventionnel (textes rituels) et en partie original
(textes biographiques). Dans le célébre « appel aux
vivants », l’expression du « chemin de vie » apparait. Il faut
tout d’abord noter que cet appel (1. 12-14) n’est pas destiné
a un quelconque passant, mais aux prétres et aux scribes en
1. Ancienne collection Lady Meux, n° 52. Elle a été signalée et étudiée
par B. CouROYER, op. cit., p. 413, n. 2, et 422-423 ; voir P. MUNRO, Die spaitd-
gyptischen Totenstelen, Gliickstadt, J. J. Augustin, « Agyptologische For-
schungen », 25, 1973, p. 143, 151 et 324, qui la date plus précisément de 230-
220 a.C.Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 107
fonction dans le temple « qui iront dans la montagne, qui
passeront prés de cette tombe ». La défunte leur promet :
« Je vous guiderai sur le chemin de vie, le chemin parfait du
service de dieu. C’est un glorifié celui qui guide son coeur en
rapport 4 lui. »
Tahebet ne porte aucun titre qui permette de penser
qu’elle a joué un réle important de son vivant. Elle use de
cette formule pour montrer qu’elle, morte, peut aider les
vivants a faire ce qui est de leur devoir pour qu’a leur tour
ils bénéficient d’une immortalite comblée comme elle. Cette
extension du sens de l’expression « chemin de vie » comme
route pour aller vers l’immortalite semble naturelle, mais
elle n’est documentée qu’a partir de cette époque tardive.
La méme idée du chemin de vie comme voie idéale pour
atteindre 4 une vie parfaite dans l’au-dela trouve un écho
par la mention de cette expression dans un passage
méconnu d’un livre funéraire trés banal aux époques tar-
dives, le livre II des Respirations'. En s’adressant a Osiris
qualifié, entre autres épithétes, par celle de « seigneur de
vie », il lui est demandé : « Accorde-lui d’aller sur le chemin
de vie, sur la belle route de la santé. » Le terme de « santé »
est remplacé, dans une variante, par celui d’ « éternité ». Le
sens doit étre voisin et désigner la capacité physique néces-
saire au corps pour accueillir l’4me du défunt.
Au détour des inscriptions du grand temple d’Edfou,
dans une scéne ot Ptolémée IV fait un acte d’adoration au
soleil au moment de son coucher, I’expression apparait dans
le discours de réponse d’Horus au pharaon? : « Je te donne
une grande royauté en qualité de souverain du bonheur, que
tu rajeunisses aprés la vieillesse, que le dieu te guide sur le
chemin de vie, en rapport a toutes les bonnes voies. » Le
théme ici développé par le dieu pour le pharaon est celui de
la promesse d’une vie éternelle, aprés une longue vie faite de
perfection, donc de bonheur pour les hommes.
1. Fr-R. Herein, « Une nouvelle page du Livre des Respirations »,
BILF.A.O., 84 (1984), p. 264, 277 et 289, n. 47.
2. M. de ROcHEMONTEIX et E. CHASSINAT, Le temple d’Edfou I, fasc. 4
(2 éd.), Le Caire, M.M.A.F. X, LF.A.O., 1987, p. 482, |. 4-5 ; texte signalé et
étudié par B. Couroyer, op. cit., p. 413, n. 1, et 423-424.108 - Didier Devauchelle
Sur le recto d’un papyrus démotique trouvé 4 Saqqara
lors des fouilles anglaises de la nécropole des animaux' est
rapportée l’histoire mythologique de la vengeance d’Isis. Le
document est daté par la paléographie du tv’ ou du
it siécle a.C. Son interprétation est difficile et il serait trop
long de détailler son contenu. On notera col. 6, 1. 24, dans
une priére adressée 4 Imhotep pour apaiser Isis, cette
phrase : « Donne-lui le chemin de vie. » L’image est claire
dans le contexte, le chemin de vie est le droit chemin, celui
de l’apaisement, de la satisfaction intérieure.
Cest sur un ostracon du début de l’époque romaine pro-
venant de Coptos, que le démotique a conservé peut-étre une
des derniéres attestations de l’expression du « chemin de vie »
dans la littérature égyptienne’. II contient une lettre adressée
par des carriers (?) au stratége, lettre qui faisait allusion a des
constructions. L’interprétation du texte est délicate et le
contexte dans lequel apparait la phrase : « Donne-nous le che-
min de vie », n’est pas clair. W. Spiegelberg a été tenté de l'in-
terpréter d’une maniére matérielle, « les moyens de vie », mais
un sens moins concret, signifiant quelque chose comme « dis-
nous ce qu’il faut faire », n’est pas exclu.
Le dernier emploi datable de cette expression se ren-
contre dans un hymne a Khnoum gravé en hiéroglyphes sur
une colonne du temple d’Esna durant le régne de l’empereur
Domitien (81-96 p.C.)? :
« Redoutez Khnoum, vous qui voyagez en tout lieu,
car il est un berger efficace pour qui marche sur son eau,
le maitre de... qui guide tous ses suivants sur le chemin
de vie. »
1. H. S. SmarH, W. J. Tarr, Saggara Demotic Papyri I, Texts from Exca-
vations 7, Egypt Explorarion Society, 1983, p. 70-109 ; le passage est transcrit
p. 73 et traduit p. 92.
2. W. SPIEGELBERG, Demotica, I, Munich, Verlag der Bayerischen Akade-
mie der Wissenschaften, 1925, p. 34-39 et pl. 2.
3. S. SAUNERON, Le temple d'Esna III, Le Caire, I.F.A.O., 1968, p. 308,
n° 355, 1 (§ 25), pour la copie du texte, et Les fetes religicuses d’Esna aux der-
niers siécles du paganisme (= Esna V), Le Caire, I.F.A.O., 1962, p. 165, pour
la traduction, et p. 173 (Il), 178 et 181 (ee) et 286 (z), pour les notes et des
paralléles dans les textes d’Esna aux expressions faisant allusion au chemin du
dieu et au fait de suivre dieu.Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 109
Avec cette derniére mention, on voit que le sens premier
de expression du « chemin de vie » s’est maintenu tout au
long de V’histoire égyptienne.
LES SAGESSES DEMOTIQUES ET L'IDEE DU BON CHEMIN
Les sagesses égyptiennes les plus tardives écrites en
démotique ont été récemment, de nouveau, étudiées'. Les
deux principaux témoins en sont L’instruction d’Ankh-
scheschongy, dont la composition remonte au début de
Tépoque ptolémaique, et l’instruction anonyme (?) conser-
vée principalement sur le papyrus Insinger, d’époque
romaine. Leur premiere originalité tient dans le fait que les
préceptes mentionnés sont rédigés en une seule phrase, le
monostiche. Ce genre est déja attesté sur deux ostraca hiéra-
tiques du Nouvel Empire, mais il n’a pas connu d’autres
emplois en Egypte ancienne avant ces textes*.
Ces sentences ne semblent pas classées dans la premiére
des deux instructions. Le texte débute par un récit-cadre qui
met en scéne l’auteur de ses préceptes et la raison (l’emprison-
nement) qui le conduisit a les rédiger pour son fils sur des frag-
ments de jarres. Elles le sont, en revanche, dans la deuxiéme,
au moyen de chapitres numéroteés. Les fragments et les paral-
Iéles retrouvés éclairent mal le récit-cadre de l’instruction rap-
portée par le papyrus Jnsinger : on retrouve, semble-t-il,
exhortation habituelle adressée a l’auditoire par le rédac-
teur, qui parle a la premiére personne, celle de I’écouter. Les
1. M. LicutHEmm, Late Egyptian Wisdom Literature in the International
Context. A Study of Demotic Instructions, Gdttingen, Universititsverlag Frei-
burg Schweiz - Vandenhoeck & Ruprecht, 0.B.O. 52, 1983, pour l'ensemble
de la documentation, et H.-J. Twissen, Die Lehre des Ankhscheschongi
(P. BM 10508), Bonn, Dr. Rudolf Habelt G.M.B.H., 1984, pour la premiére
entre elles. Voir également, pour une présentation d’ensemble, M. SMITH,
« Weisheit, demotische », Lexikon der Agyptologie, V1, Wiesbaden, Otto Har-
rassowitz, 1986, col. 1192-1204.
2. On ne peut nier le réle de précurscur de ces courts textes, cf., en der-
nier lieu, R. JASNow, compte rendu de M. LicHTHEIM, Late Egyptian Wisdom
Literature in the International Context. A Study of Demotic Instructions, Got-
tingen, Universititsverlag Freiburg Schweiz - Vandenhoeck & Ruprecht,
0.B.O. 52, 1983, dans Bi.Or., XLIV, n® 1-2 (janvier-mars 1987), col. 105.110 - Didier Devauchelle
chapitres sont habituellement appelés du terme « enseigne-
ment » (sb3.t), suivi du chiffre ordinal. A cing reprises dans le
papyrus Insinger (col. 11,1. 22; 14, 3; 15,7; 17, 4 et 23, 20), le
scribe lui a préféré le terme « voie » (mi.t)', sans que le
contenu semble en expliquer la cause. Le sens imagé du mot
« voie » doit donc étre trés proche de celui d’ « enseigne-
ment »». Cela est confirmé par une autre constatation : l’ins-
truction donne un titre a chacun de ces chapitres et, a la suite
de ceux introduits par le mot « enseignement » et le numéro
d’ordre, dans plusieurs cas, le texte continue en explicitant
Vintitulé du paragraphe par le mot « voie » (col. 7, 1. 20; 8, 21;
21, 8; 25, 14; 27, 23; 30, 18; 33, 7). L’image de l’enseigne-
ment servant a guider sur le bon chemin, ou la bonne voie, est
ancienne dans la phraséologie des sages et des instructeurs de
antique Egypte, comme on le verra plus loin.
Contrairement a ce que signalait B. Couroyer’, l’expres-
sion « chemin de vie » sous sa forme classique n’y apparait
pas; en revanche, une forme paralléle « le chemin de la
maniere de vivre » est attestée dans un unique précepte du
papyrus Insinger*. Est-ce 1a une expression voisine ou le
1. Le papyrus Jnsinger distingue deux mots différents mais de sens voi-
sin : 13 mi.t, « la voie », qui est employée de maniére plus imagée, et p3 myt,
«le chemin », sur lequel on marche (voir, par exemple, col. 33, |. 24: « Si tu
vas passant dans la rue, laisse le chemin 4 celui qui est 4gé »). Je les ai donc
distingués dans la traduction. L’instruction d’Ankhscheschongy connait éga-
lement les deux termes. Les trois sentences de ce dernier texte que j'ai traduites
ici emploient le mot féminin 13 mi.t; j'ai donc pris la méme traduction
« voie », Le dernier exemple de ce mot, ainsi que les deux attestations du
terme masculin, ont un sens matériel. On doit noter que le démotique myt a
pour ancétre le mot min et mi.t, mi.t. Ces deux termes sont quasi synonymes
— on a méme supposé que le second dérivait du premier —, au point d’avoir
été employés tous les deux en méme temps que l’égyptien w3/ pour créer l'ex-
pression tudiée « le chemin de vie », cf. infra. On peut encore noter le sens
concret de I'expression 13 mi.t ntr, « le chemin (i.e. la rue) du dieu », en démo-
tique ef. K.-Th. Zauzicu, « TEMENOYTE », Enchoria, X (1980), p. 190-191
2. Ona bien I'impression que neuf de ces douze introductions (a l'excep-
tion de 21,8 et de 30, 18, 33, 7) aux paragraphes d’instruction doivent étre
rapprochées d’aprés leur formulation quasi identique qui consiste en une
phrase négative. Il existe aussi quelques cas oui c’est le mot « enseignement »
qui est employé suivi d’une phrase négative (col. 5, 1. 12; 13, 8; 19, 6 et
29, 12).
3. Voir supra.
4. Pour le rapprochement entre l'expression du « chemin de dieu » et
celle du « chemin de vie », voir, encore, M. LICHTHEIM, op. cit., p. 165, n. 139.Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 111
rajeunissement d’une expression ancienne difficilement com-
préhensible, il est difficile de trancher.
Il m’a semblé opportun de réunir ici un petit choix de
maximes qui utilisent l'image du chemin, ou de la voie, dans
le sens qui nous occupe :
« La mére est celle qui enfante, la voie est celle qui
donne un compagnon » (Ankh., col. 13, 1. 8).
« La voie de dieu est devant chacun, l’insensé ne la
trouve pas » (Ankh., col. 23, 1. 12).
« C’est sur la voie qu’un homme trouve pour lui un
compagnon » (Ankh., col. 26, |. 13).
« 12° voie : »
« Ne fais pas confiance a celui que tu ne connais
pas bien par toi-méme de peur qu’il ne te trompe par
ruse. »
« Laveugle que le dieu bénit, son chemin
(p3y = f myt) est ouvert. »
« L’estropié dont le cceur est sur le chemin de dieu,
son chemin est aplani » (Insinger, col. 11, 1. 22 a
col. 12, 1. 1).
« Le sage qui va et vient, il gardera la grandeur du
dieu dans son ceeur. »
« Celui qui va et vient, alors qu’il est sur son
(“dieu”) chemin, reviendra auprés de lui (“dieu”) a
nouveau » (Insinger, col. 29, |. 3-4).
« Le dieu est celui qui montre le chemin (p3 myt)
dans la voie (t3 mi.t) de la fagon de vivre » (Insinger,
col. 29, 1. 9).
« Cest lui (“dieu”) qui rend sir le chemin alors
quil n’y a personne qui garde » (Jnsinger, col. 31,
1. 14).
« Il (“dieu”) fait advenir le réve pour indiquer le
chemin au dormeur qui est aveugle » (Jnsinger, col. 32,
1513):
« Ne técarte pas du chemin de dieu a cause de la
parole d’un homme » (Pap. Michaélidés, 1. 10)!.
1. Sentence citée par M. LICHTHEIM, op. cit., p. 103.112 - Didier Devauchelle
Les sages de l’époque tardive ont gardé l'image littéraire
du chemin qui « guide » les hommes. Ils jouent sur deux
termes qu’ils investissent chacun d’une nuance — un peu arti-
ficiellement puisqu’il leur arrive de ne pas la respecter —,
Pun étant employé de facon plus imagée que l’autre. Cela ne
les empéche pas d’user de l’image du chemin, dans son sens le
plus terre d terre, renouvelant ainsi son pouvoir évocateur. Le
bon chemin est inspiré par dieu, mais c’est 4 "homme de le
trouver. Il y rencontrera d’autres hommes de bien. Ses
difficultés seront aplanies. L’ambiguité de la signification
du « bon chemin », sur terre et pour l’au-dela, est, parfois
semble-t-il, volontairement utilisée.
TL
LE CHEMIN DE VIE DE PETOSIRIS
La Vig DE PETosIRIS.
B. Couroyer a longuement analysé les inscriptions du
tombeau de Pétosiris' et résumé ainsi son point de vue : le
chemin de vie est la ligne de conduite que I’on doit suivre.
Celle-ci « s'identifie ici avec la voie de Dieu, celle qui met a
la suite de la divinité, fait se dévouer a son service et accom-
plir tout ce qui lui plait tant au point de vue culturel qu’au
point de vue moral de la conduite de la vie qui se résume en
ce premier principe : faire le bien et éviter le mal. La fidélité
A cette ligne de conduite procurera honneurs, richesses, une
longue vie... »?.
Lintérét du monument de Pétosiris et les nombreux
commentaires qu’il a provoqués obligent a s’arréter plus
longuement sur ce document et a tenter de définir, par-dela
Yemploi de l’expression du « chemin de vie », l’attitude du
personnage et l’image qu’il veut en donner.
1. Op. cit., p. 416-422.
2. Ibid., p. 421-422.Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 113
Le « sage » Pétosiris vécut, pense-t-on généralement, la
plus importante partie de sa vie, voire la totalité, peu de temps
avant l’arrivée d’Alexandre le Grand en Egypte, dans la
région de Moyenne-Egypte prés de l’actuelle Mellaoui, plus
exactement 4 Hermopolis la Grande’. L’originalité de son
tombeau réside principalement dans son architecture — la
partie extérieure a l’allure d’un temple —, sa décoration
— scénes dont le style s’inspire d’un modéle grec ou themes
uniques ou rares — et ses inscriptions — originalité dans le
développement autobiographique, avec des allusions a des
événements contemporains de |’édification du monument.
LES MENTIONS DU CHEMIN DE VIE CHEZ PETosIRIS
Devant l’impossibilité de présenter ici la totalité des ins-
criptions, il m’a semblé utile d’accompagner les textes de
réflexions étayées par ma propre interprétation de I’en-
semble. Voici donc, tout d’abord, quelques extraits des ins-
criptions de son tombeav? :
« O tous serviteurs du dieu ou tous prétres qui irez
vers cette nécropole, venez, je ferai que vous soyez
informés de la volonté de dieu et (je) vous guiderai sur
le chemin de vie. Dieu a conduit mon ceeur 4 faire ce
que son ka aime » (Inscr. 59).
« O vivants qui étes sur terre et ceux qui sont a
naitre, (vous) qui irez vers cette nécropole et qui verrez
ce tombeau, venez, je ferai que vous soyez informés de
la volonté de dieu et (je) vous guiderai sur le chemin de
1. Les inscriptions de son tombeau ont été publiées et traduites par
G. LeFevre, Le tombeau de Pétosiris, I-III, Le Caire, Service des Antiquités
de Egypte, 1923-1924; pour une présentation récente du monument,
cf. S. NAKATEN, « Petosiris », Lexikon der Agyptologie, IV, Wiesbaden, Otto
Harrassowitz, 1982, col. 995-998. Pour le lecteur francais, lire, également,
S. SAUNERON, Les prétres de V'ancienne Egypte, Patis, Ed. du Seuil, « Le
Temps qui court », 1962, p. 9-13
2. Fai 6té volontairement certains signes diacritiques de la traduction,
quand cela ne prétait pas a ambiguité, pour en faciliter lecture et édition.
3. G. Leresvae, op. cit., I, 1924, p. 79, et II, 1923, p. 32.114 - Didier Devauchelle
vie, le bon chemin de celui qui suit dieu. C’est un loué
celui que son cceur conduit sur lui. Celui dont le coeur
demeure sur le chemin de dieu, son existence demeure
sur terre » (Inscr. 62)'.
« Pére, pére, comme cela est beau, marcher sur le
chemin de dieu!... Il (“dieu”) a conduit ton coeur a
construire ton tombeau dans cette nécropole, afin que
demeure ton nom sur terre dans la bouche des hommes
qui existeront pour l’éternité » (Inscr. 58c).
« Pére, pére, écoute ce qui est dit 4 ton sujet par
tout le monde depuis que tu as marché sur le chemin
de ton dieu Thot, en raison de la grandeur des bienfaits
dont il ta comblé! » (Inscr. 58d)*.
« Ton ceur se réjouit de tout un chacun bon depuis
que tu as marché sur I’eau de ton maitre Thot! Ta
représentation est magnifique 4 cause de cela; c’est
leau de la vie sur laquelle s’est guidé ton cceur. C’est
un loué de dieu celui qui place son chemin dans son
coeur » (Inser. 615)*.
« Il est utile de marcher sur le chemin de dieu. De
grandes (choses) sont advenues (du fait) de l’avoir
placé dans son ceeur. C’est son monument sur terre de
placer son chemin dans son ceeur. Celui qui advient sur
le chemin de dieu, il passe toute sa vie dans la joie,
noble plus que tous ses pairs... Tu as marché sur le che-
min de ton maitre Thot, car il a fait advenir ces
(choses) de toi sur terre... » (Inscr. 61c)°.
« O mon maitre Thot deux fois grand, ... Tu as con-
duit mon coeur 4 marcher sur ton eau... » (Inser. 115)°.
« O vivants qui étes sur terre et ceux qui sont a
naitre, (vous) qui irez vers cette nécropole, qui verrez
1. Ibid., 1, p. 82 et I, p. 38.
2. Ibid., I, p. 88 et I, p. 30.
I, p. 90 et Il, p. 31.
p. 101 et Il, p. 35.
I, p. 104-105 et Il, p. 36-37.
I, p. 156 et TI, p. 62.Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 115
ce tombeau et qui passerez auprés de lui, venez, je vous
guiderai sur le chemin de vie... Le bon chemin est de
suivre dieu. C’est un loué celui dont le coeur se guide
sur lui... J'ai fait le bien sur la terre et j'ai rempli mon
coeur sur le chemin de dieu, depuis mon enfance jus-
qu’a ce jour, car je passais la nuit, sa puissance étant
dans mon cceur, et je passais le lendemain a faire ce que
son ka aime, je faisais la justice et j'abhorrais le crime »
(Inscr. 116)!.
« O (tous) ceux qui viendront aprés, 6 tous
hommes (sachant) lire les inscriptions, venez, lisez ces
inscriptions qui sont dans ce tombeau et je vous guide-
rai sur le chemin de vie, je vous dicterai votre
conduite... » (Inscr. 127).
Les deux premiers extraits cités sont des paroles mises
dans la bouche de Pétosiris lui-méme. Les deux suivants
sont de deux de ses trois filles. L’inscription 61 est de son
fils ainé, la 61c, du « fils ainé de son fils ainé ». Ces textes
ont trait tout de méme 4 la vie de Pétosiris. Les trois der-
niers textes, en revanche, concernent le pére de Pétosiris,
Neschou.
LE CHEMIN DE VIE DE PéTosiRIs
Les thémes de justice, de bonne conduite et de rétribu-
tion des actions sont des classiques de l’autobiographie
égyptienne; ils sont largement développés dans les textes
de la tombe de Pétosiris. Les textes concernant le pére de
Pétosiris, Neschou, entrent dans cette tradition bien établie
et guére innovante. Ce représentant de la plus haute
dignité sacerdotale de sa région a da jouer le réle bien
classique des membres des grandes familles provinciales de
cette époque des derniéres dynasties indigénes. Les thémes
biographiques mentionnés sont ceux que I’on rencontre
1. Bbid., I, p. 158-159 et II, p. 83.
2. Ibid., 1, p. 161 et Il, p. 90.116 - Didier Devauchelle
dans les sagesses : hommage a son dieu, fidélité au Pha-
raon et respect de la justice, c’est-d-dire conduite conforme
a la madt envers la divinité et envers les hommes. Pour ce
qui est de son action effective sur terre, elle n’est que
vaguement évoquée, comme c’est le plus souvent le cas
dans les autobiographies égyptiennes traditionnelles. Ainsi
Neschou affirme avoir bien administré le temple dont il
avait la charge. On pourra tout de méme remarquer le
haut niveau littéraire dont témoignent les expressions
employées dans ces textes — l’image du chemin en est un
exemple —, ainsi que le choix inattendu d’un théme connu
par d’autres sources, celui du « désenchantement » et du
carpe diem’.
La majorité des textes biographiques et laudatifs de la
tombe se rapporte a la vie et a la carriére du grand prétre
Pétosiris. Les thémes classiques de l’autobiographie y sont
présents, mais c’est sous une forme trés développée et litté-
raire que l’on note l’insistance du « sage » a répéter, ou a faire
dire dans la bouche de ses descendants, combien il a été fidéle
ala volonté du dieu — les extraits ici mentionnés ne représen-
tent qu’une toute petite partie des textes sur ce théme. Cette
insistance a provoqué une richesse d’images qui trouvent des
échos dans notre conception des rapports que nous pouvons
avoir avec Dieu. C’est cela qui a égaré, me semble-t-il, cer-
tains admirateurs de la pensée de Pétosiris*.
Si on lit les textes dans leur ensemble en ne cherchant
pas 4 isoler ici ou la des notations métaphysiques, on se
rend compte combien les thémes abordés par Pétosiris sont
des classiques de la pensée égyptienne. Plus méme, cette bio-
graphie idéale est si précautionneusement tracée pour prou-
ver que tous les actes exécutés du vivant de Pétosiris — et
1. Ibid., 1, p. 161-162, et II, p. 90-91. Je ne suivrais pas, a ce propos, 'avis
de l’éditeur qui pense que ce théme est en contradiction avec « ’enseignement
moral donné dans ce tombeau ».
2. Hormis avis de B. Couroyer précédemment cilé, les sentiments qui
sont nés du contenu de ces textes peuvent se résumer dans cette présentation
du personnage faite par S. SAUNERON, op. cit., 1962, p. 9 : « Sa vie s’écoula
pieusement, tout occupée 4 servir le dieu, a restaurer les édifices sacrés de son
nome, a donner a tous l’exemple dune existence pure et digne. »Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 117
ceux-ci sont trés longuement évoqués, ce qui est rare,
comme il vient d’étre dit 4 propos du pére de Pétosiris, Nes-
chou — l’ont été en accord avec la justice des hommes et
celle de son dieu, que I’on ne peut s’empécher d’y voir une
justification’. Le récit de sa carriére est centré sur la période
de sept ans durant laquelle il fut le /esonis de Thot, c’est-a-
dire le chef effectif du point de vue matériel du grand temple
de Thot 4 Hermopolis et de ses possessions. Quant on sait la
puissance économique des temples et le réle qu’ils peuvent
jouer aux moments de faiblesse du pouvoir central, 4 ces
€poques tardives, on devine mieux l’importance de la situa-
tion de Pétosiris. Comme il le mentionne 4 plusieurs
reprises, et en particulier aprés les longs discours sur sa fidé-
lité, il a exercé cette fonction « alors que des hommes
(venus) des pays étrangers gouvernaient Egypte »?. Son
quvre a été de restaurer le temple de Thot, de fonder le
temple de Ré, de construire d’autres sanctuaires plus
modestes et de protéger le terrain sacré, 4 cété de l’exécution
des charges classiques de responsable économique et reli-
gieux d’un grand temple.
Cette euvre dépasse largement le simple reaménagement
ou l’enrichissement des temples de la région, qui avaient
sans doute subi des dégradations au moment des troubles.
Pétosiris n’hésite pas 4 mentionner que, pour le temple de
Ré, c’est lui-méme qui « tendit le cordeau »’. L’accomplisse-
ment de cet acte représente une des étapes de la cérémonie
présidant a la fondation des temples; elle est un privilége
1. Deux textes autobiographiques tardifs développant le théme de la jus-
tification d'une attitude « anormale » peuvent étre comparés a titre
exemple : l'un sur la statuette naophore du Vatican n° 158 au nom d’Oudja-
horresne, cf. G. POsENER, La premiére domination perse en Egypte. Recueil
inscriptions hiéroglyphiques, Le Caire, B.d.E. XI, 1.F.A.O., 1936, p. 1-26 et
166-167, et autre sur le pilier dorsal d’une statue du musée de Naples,
n° 1035, au nom de Semataouytefnakht, cf. O. Peru, « Le monument de
Samtoutefhakht a Naples », R.d.E., 36 (1985), p. 89-113. Ces deux person-
ages eurent une attitude de « collaboration », respectivement durant la pre-
muere et la deuxiéme domination perse.
2. G. LeFEBVRE, op. cit., I, 1924, p. 79-80, et II, 1923, p. 32 (inser. 59) ; I,
P. 82-83, et II, p. 38-39 (inscr. 62) ; I, p. 101-102, et Il, p. 35-36 (inser. 615) : I.
p. 136-145, et II, p. 53-59 (inscr. 81).
3. Ibid., 1, p. 139, et II, p. 55.118 - Didier Devauchelle
exclusif des rois. Comme il a déja été remarqué, le tombeau
de Pétosiris a la forme extérieure du temple et, sur les murs
extérieurs, celui-ci est représenté comme Pharaon, en train
d’effectuer les rites'. Son nom y est, de plus, suivi de l’épi-
théte royale « vie, prospérité, santé ». Cette usurpation
d’actes rituels exclusivement réservés 4 Pharaon ne peut étre
considérée comme découlant normalement du contexte poli-
tique de l’eépoque, méme s’il est exceptionnel. Pétosiris a pris
en main le sort de sa région, ce qui n’a rien d’extraordinaire
dans I’histoire de l’Egypte ancienne, mais il a également joué
le réle de Pharaon et s’est désigné ainsi, et cela ne put étre
regardé sans étonnement par ses contemporains.
Ces différentes remarques dissipent l’image traditionnelle
du « sage » Pétosiris, dévoué et désintéressé, dont l’enseigne-
ment évoquerait des themes humanistes. On voit maintenant
apparaitre la figure du premier personnage d’une grande
région qui se trouve confronté a une disparition du pouvoir
central traditionnel, provoquée par une invasion étrangére,
celle des Perses — on nomme habituellement cette période la
deuxiéme domination perse —, et aussi certainement a des
troubles locaux. Cette période de conflits importants plongea,
pendant un temps, certaines provinces dans l’isolement. Péto-
siris s’arrogea des prérogatives royales auxquelles il n’avait
pas le droit et justifia cette action par un discours autobiogra-
phique insistant sur sa loyauté envers son dieu. Il ne faut tout
de méme pas voir dans cet homme un affairiste uniquement
préoccupé par son intérét. Durant cette période difficile, son
action a permis a ses concitoyens de mieux vivre et a sa région
de garder son lustre passé. Son humanisme, ou celui du milieu
de lettrés dont il faisait partie, n’est pas nécessairement a é¢vo-
quer pour expliquer la teneur des inscriptions. Il faut, en
1. Ibid., 1, p. 45-48, Il, p. 4-8, et III, pl. VI. On pourra y noter une repré-
sentation exceptionnelle du dieu Thot 4 corps humain et téte de babouin sur
deux scénes du portail alors que sur les deux autres scénes le dieu a sa forme
plus courante qui associe corps humain et téte d’ibis, cf. D. MEEKs, « Zoo-
morphie et image des dieux dans I’Egypte ancienne », dans Ch. MALAMOUD et
J.-P. VERNANT (€d.), Le temps de la réflexion, VII : Corps des dieux, Paris, Gal-
limard, 1986, p. 188; corriger Chr. Zivie-CocHe dans Fr. DUNAND et
Chr. Zivie-Cocue, Dieux et hommes en Egypte 3000 av. J.-C. - 395 apr. J-C.,
Paris, Armand Colin, 1991, p. 30.Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne - 119
revanche, remarquer les connaissances littéraires des rédac-
teurs des inscriptions qui, sur un théme bien connu des auto-
biographies et des sagesses égyptiennes, ont développé un
important et habile discours justifiant une attitude anormale
du point de vue indigéne. Ils y réussirent, le souvenir de Péto-
siris et de sa famille ayant franchi favorablement les siécles, ce
que prouve le fait que son tombeau devint rapidement aprés
sa mort un lieu de pélerinage'. L’attitude efficiente de Pétosi-
ris n’a sans doute pas non plus été étrangére au bon souvenir
qu ila laisse.
Iv
LE CHEMIN DE VIE
CONCLUSION
Les textes précédemment cités utilisent l’expression « che-
min de vie » qu'il faut essayer maintenant d’analyser. Du
point de vue lexicographique, cette image littéraire emploie
indifféremment trois termes pour désigner le mot « chemin » :
w3t, mi.t et mtn, le premier et le troisigme plus anciens, le
deuxiéme ayant peut-étre une parenté de racine avec le troi-
siéme. Le mot désignant la vie est toujours le méme, ‘nf’. On
ne peut rien affirmer a partir d’une telle approche. L’expres-
sion peut aussi bien signifier « le chemin pour la vie », c’est-d-
dire « pour vivre (aprés la mort) », que « le chemin de la vie »
ou « de vivre » (bien, matériellement ou moralement et, donc,
conformément a une régle). On a vu que le premier sens est
secondaire, mais attesté, et que c’est le second, dans son
acception morale, qui est le mieux documenté.
La figure de style qui consiste 4 évoquer une bonne ou
une mauvaise conduite en parlant de chemin, de suivre le
dieu ou quelqu’un, remonte aux premiers textes connus. II
faut aussi signaler qu’il est courant qu’un terme désigne une
1. G. LEFEBVRE, op. cit., I, p. 21-29.
2. Les équivalents hébreux de ces expressions se trouvent dans des textes
qui montrent des exemples d’influence égyptienne, cf. R. J. WILLIAMS, « Egypt
and Israél », dans J. R. Harris (éd.), The Legacy of Egypt, Oxford, Clarendon
Press, 1971, p. 266-267.120 - Didier Devauchelle
action sans préjuger de savoir si elle est bonne ou non. Le
scribe n’en précisera le sens que s'il y a une quelconque
ambiguité pour son lecteur ou son auditeur potentiel. On
rencontre des expressions négatives en relation avec le mot
chemin, mais elles sont essentiellement d’ordre matériel.
Une figure comme le « chemin de mort » ou le « mauvais
chemin » ne semble pas connue.
L’image du chemin est donc visiblement employée posi-
tivement dans son acception morale et sociale. On la ren-
contre assez souvent durant le Moyen-Empire, en raison de
Tabondance de la documentation littéraire. Cette figure est
essentiellement littéraire et les scribes lont utilisée, au
début, en particulier pour illustrer les bienfaits d’étre scribe
et d’appartenir a cette classe, pour peu qu’on en observe les
régles morales. L’auteur de La Satire des métiers rappelle
dans sa conclusion 4 son fils : « Vois, je t’ai placé sur le che-
min de dieu » (pap. Sallier IV, col. 11, 1. 1-2) et, un peu plus
loin, cet enseignement s’achéve (col. 11, 1. 4-5) ainsi
« Adore dieu pour ton pére et ta mére, qui t’ont placé sur le
chemin des vivants'. Vois, ces choses (c’est-a-dire I’enseigne-
ment) sont face a toi, a tes enfants et a leurs enfants. Ceci est
bien achevé. » Les régles mentionnées dans les apologies du
métier de scribe et dans les sagesses relévent des mémes cou-
rants de pensée et de volonté.
L’image du chemin de vie pour désigner le bon chemin
apparait, donc, trés vraisemblablement dans les milieux culti-
ves au Moyen-Empire, voire a la fin de la Premiére Période
intermédiaire. Elle trouvera son plein épanouissement au
Nouvel Empire’, au moment ou I’expression de la piété popu-
1. Voir supra pour l’interprétation de ce passage comme I'ancétre de l’ex-
pression « le chemin de vie ». Compte tenu de la mauvaise qualité des copies
qui sont parvenues, on pourrait traduire différemment cette dernigre phrase
par : « qui sont placés sur le chemin des vivants » et comprendre que les
parents sont eux-mémes des gens de bien.
2. On peut comparer ce fragment de histoire littéraire aux remarques
concernant les « Chants de harpistes », cf. M. LICHTHEIM, « The Songs of the
Harpers », J.N.E.S., 5 (1945), p. 191-192 et 207-210. Pour une opinion diffé-
rente, voir J. OSING, « Les chants du harpiste au Nouvel Empire », dans
Aspects de la culture pharaonique. Quatre lecons au Collége de France (février-
mars 1989), Paris, Diffusion De Boccard, Mémoires de I'Académie des Ins-
criptions et Belles-Lettres, nowv. série t. XII, 1992, p. 13-14.Le chemin de vie dans |’Egypte ancienne - 121
laire s’exprime dans les textes. Cette attitude nouvelle de
dévotion apparait avant l’époque amarnienne', au début du
Nouvel Empire. J. Assmann’, qui devine ses racines dans des
thémes remontant a la Premiére Période intermédiaire, pense
qu’elle est sous-jacente dans les textes du Moyen-Empire et
du début du Nouvel Empire et ajoute qu’elle s’affirme aprés la
période amarnienne. Il est difficile de définir les fluctuations
des courants de pensée, les thémes nouveaux naissant le plus
souvent de thémes anciens redéfinis. Les arguments avancés
emportent tout de méme la conviction.
Si la Premiére Période intermédiaire et la restauration
du Moyen-Empire ont fait se développer une littérature pes-
simiste, puis¢e dans le souvenir des affres d’une période de
troubles intérieurs, et une production de propagande
royale’, elles ont vu accéder auprés de Pharaon une nouvelle
classe sociale, les scribes, qui ont produit et répandu une lit-
térature d’autopropagande. Cette production littéraire a
certes utilisé des themes des époques précédentes, mais elle
a, de plus, innové en les systématisant et en les réécrivant.
On peut alors suggérer que ce sont les événements de la
Deuxiéme Période intermédiaire, avec abandon, pendant
un temps, du pouvoir central aux mains d’étrangers, qui a
accentué dans la littérature l’expression plus directe d’une
relation des hommes avec les dieux*. Les thémes n’en seront
1. Voir par exemple, les textes publiés par G. Posener, « La piété person-
nelle avant l’age amarnien », R.d.E., 27 (1975), p. 195-210 dont pl. 18-21.
2. « State and Religion in the New Kingdom », dans Religion and
Philosophy in Ancient Egypt, New Haven, Yale Egyptological Studies 3, 1989,
p. 69 ets.
3. G. POsENER, Littérature et politique..., 1956.
4. On pourrait suggérer que les thémes du « désenchantement » et de
I’ « individualisme », dont on peut retrouver des exemples durant le Moyen-
Empire — par exemple dans I'ancétre des « chants du harpiste ».
cf. R. B. PARKISON, Voices from Ancient Egypt. An Anthology of Middle King-
dom Writings, Londres, British Museum Press, 1991, p. 145, ou dans certains
passages du Dialogue du désespéré avec son ame, cf. B. LETELLIER, « De la
vanité des biens de ce monde », C.R.I-P.E.L., 13 (1991), p. 99-105 —, se
répandent surtout a partir du Nouvel Empire et se rencontrent abondamment
dans les derniéres sagesses, cf. Fr. de CENIVAL, « Individualisme et désenchan-
tement, une tradition de la pensée égyptienne », dans Religion und Philosophie
im Alten Agypten. Festgabe fir Philippe Derchain zu seinem 65. Geburtstag am
24, Juli 1991, Louvain, Peciers, O.L.A., 39, 1991, p. 79-91.122 - Didier Devauchelle
pas totalement nouveaux, c’est le besoin qui le sera, puisé
dans le sentiment de l’'abandon de homme a lui-méme.
Le développement de l’emploi de l’expression du chemin
de vie suit ce courant. Son usage s’étend aux textes biogra-
phiques sous les ramessides. Il demeure circonscrit aux
milieux cultivés et se rencontre, aux époques plus tardives,
aussi bien dans des textes royaux que privés, religieux que
profanes. Le chemin de vie représente tout d’abord le bon
chemin, celui qu’indique le dieu, celui qu’on doit parcourir
et qui plait aux hommes — en bref celui de la madt — et en
viendra 4 connoter l’idée du chemin qui méne 4 l’au-dela
souhaité.Chap.
Chap.
Chap.
Chap.
Chap.
Chap.
Chap.
Chap.
Chap.
VI
Vu
VIII
Sommaire
L’espace et le temps dans I’ceuvre de Grégoire de
Narek
par K. BELEDIAN
Les moines égyptiens dans leur siécle : la tentative
de Chenouté
par A. Boup'Hors
Dieu et le chemin de vie en Pr 10-12
par J. BRIEND
Le chemin de vie dans l’Egypte ancienne
par D. DEVAUCHELLE
Les formes de sagesse syro-anatolienne au second
millénaire avant Jésus-Christ
par R. Lesrun
La parole du sage, écho du Verbe de Dieu chez
Aphraate le Sage Persan
par M.-J. PrerRE
Sagesse et Révélation : théologiens arabes chré-
tiens 4 Bagdad (Ix*-x° s.)
par E. Piatti
Le Christ, sagesse de Dieu et maitre de sagesse
dans le Nouveau Testament
par M. TRIMAILLE
La sagesse de Balavar a travers la tradition géor-
gienne
par M. vAN EsBROECKCet ouvrage réunit les contributions des spécialistes ayant
participé au cycle 1991-1992 des legons publiques consacrées a
la « Sagesse » organisé par I’Institut de Recherches sur I’Orient
chrétien rattaché a l’Ecole des Langues et Civilisations de
YOrient ancien de l'Institut catholique de Paris.
Spontanément, et avec raison, le concept de sagesse
(sophia) renvoie a la Gréce : chacun a en mémoire les « sept
sages » et les célébres maximes. Plus tard, a la période hellénis-
tique, le probleme fondamental est celui de la sagesse.
Ainsi, 4 c6té de la conception classique, pragmatique de la
sophia, la littérature vétéro-testamentaire souligne aussi que la
Sagesse est ce par quoi Dieu a créé l’Univers et qu’Il I’'a donnée
ensuite en partage a I’homme. La sagesse constitue une des
valeurs majeures du christianisme souvent représentée avec
éclat dans l’art paléo-chrétien; elle occupe aussi une place
importante dans le gnosticisme. Le Christ, Jogos divin incarné,
est la Sagesse de Dieu, le sage par excellence en ce monde; par
extension, Marie est vénérée comme sedes sapientiae.
Il s’avérait donc intéressant d’analyser, éventuellement avec
un souci comparatif, des étapes du vécu sapiential dans certains
de ces pays de vieille civilisation du Proche- et du Moyen-
Orient au sein desquels, plus tard, vint s’épanouir le christia-
nisme naissant : la Palestine, la Turquie, la Syrie, l’Egypte...
1 volume, 256 pages 150 FF
Beauchesne — 72, rue des Saints-Péres — 75007 Paris
me / Impriné en France
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5
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