You are on page 1of 37
manfredo tafuri théories et histoire de. larchitecture ie wi litions sadg tivement disparu. Et cela parce que l’historien, plutdt que de proposer des visions systématiques de Parchitecture, concentre ses efforts sur la découverte de rapports de causalité partiels, toujours susceptibles d’étre contestés & nouveau). Mais avant de préciser ultérieurement les tAches actuelles qui peuvent incomber & la critique des idéologies, il est néces- saire d’orienter l’analyse sur la structure de ses instruments de travail. 226 Vv. Les INSTRUMENTS DE LA CRITIQUE Pour fonder une méthode critique, on peut suivre plusieurs voies ; on peut s’en remettre & la philosophie de l’art pour en déduire des méthodes historiographiques, comme on peut aussi s’adresser & des méthodologies déja éprouvées, A un empirisme plus ou moins rigoureux ou a des méthodes d’analyse & la mode. De toute maniére, ces choix doivent étre évalués en fonction de leur plus ou moins grande capacité de pénétration des bases de Vhistoire. En ce qui nous concerne, nous tenons & déclarer tout de suite que les fondements de notre méthode critique sont tout entiers contenus dans les pages qui précédent. Nous avons déja rappelé, du reste, que nous ne croyons pas qu’il soit possible aujourd’hui de déduire la critique d’une esthétique au sens traditionnel. Les recherches des écoles séman- tiques américaines, de Plebe, Anceschi, Morpurgo-Tagliabue, Pagliaro et surtout de Garroni, ont en tout cas mis en lumiére une « crise profonde de I’esthétique ». Crise qui semble ne pou- voir se résoudre qu’A travers une attitude profondément histo- ticiste, capable de déterminer chaque fois, et dans une pers- pective tournée vers le futur, l’horizon constamment mouvant des problémes esthétiques, déterminé par l’expérience artistique concréte dans ses imprévisibles changements !, Lorsque, reprenant un concept de Anceschi, Garroni écrit qu’ son tour cet horizon « n’est pas une catégorie méthodolo- gique a-historique, mais plutét une catégorie historique (histo- 1 Cf. L’introduction & ce volume et en particulier la note 2. Cf. aussi : ANTONINO PAGLIARO, Nuov! saggi dl critica semantica, Messina, 1956. Id., La parola e immagine, Napoli, 1957. 227 riquement qualifiée) qui n’a d’efficacité qu’A Vintérieur du choix »2, nous sommes parfaitement d’accord avec lui. Ce qui ne signifie naturellement pas la disparition de la critique historiographique au profit d’une esthétique historiciste ou inversement. Cela veut dire plutét que les deux domaines dinvestigation — celui de la critique et celui des réflexions générales sur les arts — entrent dans un rapport de complé- mentatité, historique elle aussi. Mais ce n’est que parce qu’ils partent de la méme prémisse : l’expérience concréte de la dialec- tique inhérente aux recherches artistiques, dans leur caractére dynamique et changeant 3. C’est 1a la conséquence Ia plus apparente de la crise irrévo- cable de toute esthétique dogmatique fondé sur une conception statique et métaphysique de I’ « art » 4. C’est dans ce sens que les précisions que nous avons données sur les conditions actuelles de architecture et de la critique se situent déja a V’intérieur d’une recherche sur la méthode de la critique méme. Les taches et les moyens de la critique d’archi- tecture devront étre mises au point A partir de ces conditions. Il faut ajouter aussi qu’ils devront étre vérifiés constamment, renouvelés, éventuellement bouleversés, au contact des taches qui seront dictées par le changement des contingences historiques. Il est cependant évident que nous yenons d’énoncer ici un postulat fondamental : l’identification de la critique avec V’his- toire. Toute tentative qui vise & séparer la critique de l’histoire est spécieuse et cache une idéologie conservatrice inavouée. Isoler la critique dans des limbes abstraitement consacrés & l’analyse de I’actualité — comme si un temps « actuel » pouvait exister, qui ne soit pas déja un temps historique —, signifie accepter le chantage des mythologies les plus éphéméres et mystifiantes. La critique arrache toujours, et de toute fagon, 1’événement actuel au domaine du quotidien, par le seul fait qu’elle en cher- che les significations et les raisons: il est impossible de déter- 2 B, Garront, La crisi semantica delle arti..., p. 154, Cf. : L. ANCESCHT, Progetto di una sistematica dell’arte, Mursia, Milano, 1962, pp. 162 et suiv. 3 Cf. aussi : E. GARRONT, op. cit., pp. 147 et suiv. 4 Ibid., pp. 170-78. 228 miner ces derniéres sans réinsérer l’événement artistique dans les structures de V’histoire. Dans le cas contraire, nous n’aurions pas une critique, mais une agiographie creuse ou une exégése abstraite (qui n’est qu’un semblant de critique). Pour mesurer Vhypocrisie de ces tentatives d’approche des thémes fondamen- taux de notre temps — y compris les thémes architectoniques —, il suffit de regarder la masse d’exploits inutiles (mais intéressés) dans laquelle, jour aprés jour, le « lecteur » professionnel, risque de se perdre 5, C’est pour ces raisons que toutes les méthodes d’analyse de Varchitecture, se basant sur des critéres a-historiques, doivent &tre considérées comme des phénoménes qui, eux-mémes, deman- dent a étre étudiés dans leur processus historique : au point de vue critique, parler d’une théorie de V’architecture n’a pas beau- coup de sens, mais il peut y en avoir un au point de vue de la définition des nouveaux moyens utilisés pour Je projet. Il est en effet symptomatique que l’on sollicite de toute part l’institution d’une théorisation rigoureuse des problémes architecturaux, Ce besoin est ressenti par une grande partie de la critique anglo-saxone — particulitrement par Collins 6, — par un histo- rien comme Christian Norberg-Schulz, par des chercheurs s’inté- ressant aux méthodes de projetation, tels que Alexander et 5 Sur le probléme de Vévaluation et du jugement implicite fourni par Pexégise, RENE WELLEK et AUSTIN WARREN in Theory of Literature, Harcourt, Brace et World, New York, 1963, ont écrit des pages capitales. Cf. aussi pour les mémes problémes dans le domaine architectural : RENATO DE FUScO; Architettura come mass medium. Note per una semiologia architettonica, Dedalo, Bari, 1967, pp. 123-47. Gf. aussi les résultats du congrés de Prague et Brati- slava sur Essenza, funzioni e strumenti della critica Warte (interventions de G.C. ArGaN, P. Bucarettt, J.P. Hopwy, L. Novak, H. READ, M. Vaross), reproduits dans : « Macatré », 1967, n° 34-36, pp. 8 et suiv. 6 Cf. : P. Conuins, Changing Ideals in Modern Architecture cit., Id., The Interrelated Roles of History, Theory and Criticism in the Process of Architec- tural Design, in : «The History, Theory»... pp. 1-10; Id., codemics,, ... Sur les relations entre I’histoire de |’architecture et les buts possibles d’une théorie de l’architecture, on verra encore le symposium sur le théme : Archi- tectural History and the Student Architect (interventions de 8S. MoHoLy-NAGy, P.F. Anstis, W.L. Cruese, L.K. Eaton, A. JACKSON, S. Kostor, Fr. D. NICHOLS, |.F. SEKLER, M. WHIFFEN), in : «Journal of the Society of Architectural Historians », 1967, vol. XXVI, n° 3, pp. 178 et suiv. Cf. traduction frangaise in Architecture-Mouvement-Continuité, n° 7, Paris, juillet 1968. 229 Asimov, par des théoriciens comme Aldo Rossi et Giorgio Grassi, engagés dans la pratique architecturale 7. Les raisons pour lesquelles nous vivons aujourd’hui une nou- yelle tentative de « fondement » de la discipline atchitecturale, sont multiples et, d’un chercheur A l’autre, elles different beau- coup. Il est cependant possible de retrouver des caractéristiques communes — offertes par certains crittres —, selon lesquelles on peut, au point de vue critique, utiliser les vastes travaux qui se poursuivent sur ces thémes. Nous pouvons ainsi citer trois raisons fondamentales pour ce type de recherches : a — la constatation de la disparition dans l’architecture des significations publiques ; disparition enregistrée en particulier au niveau de la communication linguistique 8 ; b — la nécessité de contréler les significations sous-jacentes aux transformations — projetées ou non — de 1’environnement physique et anthropo-géographique : d’oit les études de Lynch, 7 Curistian NorpErG-SCHULZ, Intentions in Architecture, 1963, traduc- tion francaise : Systéme logique de l’architecture, Mardaga, Bruxelles, 1974, dans lequel l’auteur met en relation la crise de l’architecture moderne comme systéme de communication avec le manque d’une Théorie de la projetation solide. Malgré I’intérét de beaucoup des analyses contenues dans l'ouvrage, les « théories » exposées par Norberg-Schulz sont ambigués dans leurs objec- tifs; consacrées en partie & définir des méthodes d’enquéte historique, en partie des méthodes de projetation. Notons aussi que Norberg-Schulz est l'un des responsables de la scision entre histoire et critique de l’architecture, Les ouvrages de Rossi et Grassi sont, en Italie, les textes les plus récents par leurs méthodes d’analyse, sur la théorie de la projetation. Il est important, cependant, quand on les examine, de considérer toujours comme instrumentale la déformation qu’ils font subir aux phénoménes historiques : on contestera Ja prétendue objectivité de leurs lectures, qui traduisent, dans une forme litté- raire nouvelle, des « poétiques » extrémement suggestives (cf. A. Rossi, L’ar- chitettura della citta... et G. GRasst, La costruzione logica dell’architettura cit.), On retiendra aussi, bien que les thémes traités soient assez loin de ceux qui nous préoccupent ici, les textes bien connus d’ALexANDER et d'Asimow, et la récente anthologie réalisée par Gruserre Susant, La metodologia della progettazione, Marsilio, Padova, 1967. ® Ce théme est au centre de l’ouvrage de V. Greaornt, II territorio dell’ar- chitettura..., et des Intentions de NORBERG-SCHULZ,... 230 Kepes, Gregotti, Rossi, etc... sur la forme de la ville et du terri- toire et sur les secteurs ott l’on peut faire pression pour structurer Varchitecture et l’urbanisme ; c— la nécessité de substituer 4 l’unité linguistique, désormais disparue comme méthode de contréle du projet, une méthode objective, logique et analytique, qui présiderait 4 la projetation méme. Ici, il faut distinguer : 1) des études, commes celles d’Alexander et de nombreux théoriciens aux Etats-Unis, qui s’en remettent 4 des méthodes mathématiques de contrdle, de sélection et de combinaison des données, dans le but d’arriver & une architecture ex-machina ; 2) & Vopposé, des études qui, comme celles de Rossi et de Grassi, utilisent des crit8res rationnels de description, classi- fication et manipulation des lois constantes de l’architecture, afin de constituer des méthodes d’analyse et de projetation logiques et unitaires. Il est certain que les trois raisons émunérées ne sont que des expressions différentes d’une préoccupation unique. En admettant méme que l’architecture contemporaine se développe sur une tradition révolutionnaire, la crise sémantique qui a éclaté & la fin du xvii et au xix° siécle pése encore sur ses développements et il semble qu’il ne soit plus suffisant de fonder V’expérience de V’architecture sur des méthodologies owvertes ou sur une tradition trop morcelée. La demande d’un nouveau fon- dement du langage architectural se fait de plus en plus pres- sante, aussi pressante que le probléme de la communication directe avec le public et du contréle du comportement social vis-a-vis des images et des structures. Le fait que se sépare de la critique un secteur de recherches théoriques, au sens classique, a donc une raison précise. En recon- duisant l’architecture & ses éléments premiers et 4 son « degré zéro » ces recherches introduisent, dans I’explication des phéno- ménes, une objectivité qui satisfait le désir, de plus en plus répandu, de retrouver non seulement un processus de construc- tion de la forme logique et vérifiable, mais également des prin- 231 cipes constants et permanents — au-dela des changements his- toriques — propres & l’architecture 9 Si la critique doit situer ses propres analyses au-dela de ces recherches — qui, pour elle, deviennent elles-mémes des phéno- ménes & historiciser —, elle ne peut pas ne pas tenir compte des exigences dont elles sont issues. On assiste aujourd’hui A un déclin de la critique sociolo- gique, nous sommes obligés de constater l’affaiblissement pro- gressif de la critique opérative et, de toute part, on ressent, comme une nécessité primordiale, le besoin de donner & la cri- tique une base rigoureuse, vérifiable et « scientifique » : tous ces phénoménes sont les symptémes récents du débat international. L’incertitude de la culture architecturale aprés les « grandes crises » de 1930, 1950 et des années 60, la nouvelle phase qui s’est ouverte depuis une dizaine d’années, avec l’introduction de thématiques nouvelles et élargies, le besoin de plus en plus grand de contréler plus sévérement, non seulement les produits, mais aussi et surtout les procédés et les méthodes de projetation, ont mis en crise depuis longtemps, aussi bien l’empirisme critique traditionnel que les techniques d’analyse les plus raffinées, empruntées 4 la sociologie, comme celles de Hauser ou d’Antal. L’apparition, au sein de la critique architecturale, du pro- bléme du langage est donc une réponse précise & la crise du langage dans l’architecture moderne. La prolifération des études sur la sémantique et la sémio- logie de l’architecture ne vient pas seulement d’une adaptation « snob » & la vogue linguistique en cours : tout snobisme a d’ail leurs ses raisons d’étre dans la conjoncture historique et les sno- bismes de la culture architecturale n’échappent pas a la régle. 9 «A ce que peut signifier I’idée d’une structure logique de T’archi- tecture sur le plan de la conceptualisation individuelle — c’est-a-dire sur le plan de l’imagination de I’artiste qui construit — s’oppose le principe logique de I’architecture elle-méme, c’est-&-dire sa substance tautologique. Cette der- niére, A mon avis, représente une direction concréte ; tendre vers cette forme logique en tant qu’élément essentie! de l’architecture, constitue un but précis, une tendance bien déterminée, qui est justement Ja capacité analytique de Parchitecture elle-méme comprise comme but en soi. Accomplir ce choix signifie attribuer & l’aspect didactique de la construction théorique une fonction fondamentale. » G. Grassi, op. cit., p. 108. 232 Diailleurs, la tentative de rassembler les « sciences de Vhomme » sous le signe unificateur de la linguistique, trouve elle aussi son explication dans la situation historique actuelle. On recherche ce que I’on a perdu. Et la nécessité d’avoir recours & des actes réfléchis de plus en plus complexes, pour découvrir la signification des événements et des choses, nait de ce que Von a découvert que nous vivons a l’intérieur de signes, de con- ventions, de mythes, qui présentent comme naturels des proces- sus artificiels, qui se manifestent sous forme d’images ou de rites innocents, précisément 1a oi ils atteignent leur plus haut degré de perversion et de dissimulation, C’est de 1a que part la recherche active des « signifiés », entreprise par Ja sémiologie, et c’est A nous de faire en sorte que cette recherche devienne une science nouvelle, dotée de capacités de démystification énormes et d’empécher qu’elle se réduise 4 n’étre qu’une n-itme mode passagére aussi évasive que les autres. Mais, de toute fagon, il est évident qu’une architecture inquiéte au point d’accepter de devenir ume recherche auto- critique a besoin d’instruments de lecture capables de révéler ce qui se cache derriére les conventions linguistiques et les poéti- ques figuratives, ce qui conditionne inconsciemment |’activité des architectes, ce qui constitue aujourd’hui la tache objective de l’architecture et de l’urbanisme. Disons en effet que, sans contréles appropriées, architecture et urbanisme deviendront de coupables techniques de persuasion ou, dans le meilleur des cas, ne seront porteurs que de messages inutiles, rhétoriques, déco- ratifs. Certains pergoivent donc que les nouvelles études sur le langage architectural camouflent a leur tour la situation com- plexe qui caractérise la crise actuelle de l’architecture moderne, son rapport ambigu avec la commande, la lutte acharnée menée encore actuellement pour la réforme des lois, de l’enseignement, des coutumes sociales et professionnelles. Mais ils n’ont raison que vis-a-vis des recherches explicitement évasives et non par rapport & celles qui reconnaissent toutes ces « difficultés » comme les éléments mémes du langage. Il nous semble juste également de projeter sur le passé ces nouveaux centres d’intérét. Nous savons depuis longtemps qu’il 233 n’existe pas de lecture historique qui ne soit conditionnée pat notre engagement dans Je présent. Pour donner un sens au passé, Vhistoire aussi a besoin de se créer un code de valeurs. Les héritiers de la culture de Croce, tels que Sasso, des historiens empiriques comme Carr et un structuraliste en apparence anti- historique comme Lévi-Strauss, sont fondamentalement d’accord sur ce point 10, On écrit Vhistoire de V’architecture parce que l’on cher- che la signification de V’architecture actuelle. Mais pour résoudre les angoisses du présent, rien ne sert de projeter dans le passé les certitudes qu’il faut dépasser. Dans ce sens, c’est l’architec- ture elle-méme qui est posée 4 nouveau comme un probléme. Et le fait que plusieurs analyses récentes suspendent en appa- rence leur jugement ne permet pas de préjuger des directions yers lesquelles s’orienteront les recherches dans Je futur. Choisir d’analyser I’architecture comme phénomeéne linguis- tique correspond donc & une recherche désespérée de ce qui a échappé et échappe encore & I’activité projectuelle. Mais cela signifie aussi qu’il faut s’interdire de sombrer dans cette consom- mation des langages et des poétiques que Gombrich, Dorfles et Bense ont analysée 11, « L’obsession du critique — a écrit récemment De Fusco — est actuellement de ne jamais se laisser surprendre par le nouyeau phénoméne artistique et de disposer d’une casuistique des valeurs toujours préte, assez vaste pour comprendre et expli- quer toute nouvelle expérience, Il est impossible de voir dans cet activisme critique autre chose qu’une attitude effective de renon- cement, Lorsque tout a une valeur, il est évident qu’il n’y a plus de valeur et toute évaluation est impossible. Dans la plupart des 10 Cf, GENNARO SASSO, Passato e presente nella storia della filosofia, Bari, 1967, chap. 1; EowArp H. Carr, What is History? McMillan and Co, Ltd. London, 1961. II est naturellement superflu de signaler les textes bien connus de Levi-Strauss : notons surtout comment le théme de I’histoire a été traité dans l’introduction a la Pensée Sauvage. 21 Cf. E, Gomsricu, Art and Illusion...; GiLLo Dorrtes, Le oscillazioni del gusto, Lerici, Milano, 1958; I! divenire delle arti, Einaudi, Torino, 1967; Simbolo, comunicazione, consumo, id. 1962; Nuovi riti, nuovi miti, id., 1965; Max BeEnsE, Aestethica, IV, Agis Verl, Baden Baden, 1965; Anranam MOLts, Théorie de l"information et perception esthétique, Paris, 1958; R. pe Fusco, Larchitettura come mass medium... 234 cas, le jugement devient alors subjectif... de mille fagons peu ea et, circonstance aggravante, dans l’indifférence géné- Tale » *“, Pour une critique qui tente d’étre en symbiose complete avec les vicissitudes de la production architecturale, il est bien difficile d’éviter de tomber dans l’impasse dénoncée par De Fusco. C’est pourquoi « analyser le langage (architectural) plutét que de s’en servir », selon la formule connue de la nouvelle critique * frangaise, peut constituer un formidable instrument de révélation des mystifications contenues dans le langage méme. Et c’est pourquoi, également, la fusion entre critique et archi- tecture, dans une méthodologie opératoire unique pour déboucher sur plusieurs secteurs d’application profitable, mais elle ne peut pas éclairer les raisons ultimes de l’architecture. Méme si l’on n’attribue pas une valeur déterminante A l’action révélatrice de la critique, on ne peut pas nier que, pour ceux qui estiment qu’une ceuvre de clarification radicale est nécessaire, le seul moyen est d’adopter une attitude démystifiante en allant au-dela de ce que l’architecture montre, pour rechercher plutét ce qu’elle cache. Il est certain que cette opération ne peut se faire qu’au prix d’une coupure profonde entre critique et architecture. Mais il est également certain que cette coupure est absolument néces- saire. On ne pourra clarifier le caractére idéologique et mystifica- teur de la discipline architecturale que par la confrontation entre ceux qui utilisent le langage architectural en acceptant l’ambi- guité de ses significations (et il nous parait indéniable que ce soit la aujourd’hui le propos des architectes) et ceux qui décou- ea les significations authentiques des structures architectu- rales. Ces prémisses nous semblent déja permettre de situer histo- riquement le choix des paramétres et des instruments propres de la critique historique. L’attribution 4 l’architecture d’un domaine spécifique de signification, l’interprétation linguistique des techniques de 14 R. DE Fusco, op. cit., p. 146. * En francais dans le texte. 235 communication visuelle, la reconnaissance des lois structurelles qui président & la formation des produits architecturaux, la néces- sité de procéder & des analyses en profondeur, pour mettre & jour les mécanismes cachés de l'utilisation et de la formation du langage, découlent directement des problémes posés par les expé- riences architecturales des quinze dernitres années et dont la solution ne peut plus attendre. Cette approche des thématiques de l'histoire de Varchitec- ture demande A @étre précisée. L’affirmation d’une identité parfaite entre critique et histoire peut paraitre contradictoire avec l’adoption des thémes structuralistes. Il faut cependant rappeler: premirement, que la possi- bilité d’un historicisme structuraliste est encore ouverte et a été souvent évoquée 13; deuxigmement que la seule approche du structuralisme qui ne soit pas métaphysique est une approche empirique, structurée 4 son tour a partir des problémes concrets qui surgissent de l'objet que l’on examine. Réduire l’approche structuraliste 8 un simple instrument danalyse est sans doute une fagon de dénaturer l’idéologie qui sous-tend un structuralisme rigoureux (mais au fond, existe-t- 13 Cf, les notes 38 et 85. L*historicité des actions humaines — a écrit Argan, apparatt aujourd’hui « menacée par une crise, dont la crise des arts n’est qu’un aspect. Tout le passé apparait comme une époque qui touche Asa fin, un «champ» dont on a exploré les limites, un systéme dont on a épuisé les possibilités fonctionnelles; et comme on ne voit pas arriver cette fin vers laquelle le processus historique semble tendre, on parle d’un « échec » de Ventreprise humaine. Par une sorte de besoin de défense, on recherche dans tous les domaines de nouveaux schémas structurels non historicisés, comme pour démontrer que lhistoire n’a pas été et n’est pas la grande struc- ture de Paction humaine, et qu’en conséquence, /ucus a non lucendo, Vhistoire peut suivre son cours, en modifiant le pattern historique de son développement. Et l’on comprend ainsi pourquoi c’est de la crise générale des structures qu’émerge, dans tous les domaines du savoir, le probléme des structures + pas comme probléme de I’insertion annexe du structuralisme dans I’histori- cisme, mais comme probléme d'un structuralisme historicisé ou mieux d'un historicisme structuralisé ». (G.C. ARGAN, Strutturalismo e critica, intervention dans le débat organisé par Cesare Segre, dans le Catalogo generale, 1958-65 des Editions Il Saggiatore, Milano, 1965, p. LXI). Rapprocher ces obser- vations d’Argan avec les problémes analysés dans le chapitre I de ce volume. Dans le texte d’Argan, je trouve intéressantes les indications fournies concer- nant Putilisation du structuralisme pour la redéfinition des cycles historiques dans le domaine de Vhistoire de l’art. 236 il vraiment un seul structuralisme. N’est-il pas temps de faire une distinction entre des propositions franchement opposées ?) En d’autres termes, pour un historicisme dialectique, adop- ter toutes ou certaines thématiques structuralistes, cela signi- fie s’approprier les armes de l’ennemi. Cependant Falliance qui se dessine entre le structuralisme et certaines positions critiques fondées sur la négation la plus ppeclae de 1a valeur sémantique de Varchitecture n’est pas for- tuite 14, Dénier 4 architecture — et & I’art en général — toute fagon de signification, reconnaissable et explicable pour affirmer le caractére absolu, totalisant et tautologique de l'art, n’est pas 4 son tour sans signification. Lorsque Furet, que nous avons cité dans T'introduction de ce volume, comme plusieurs autres critiques de la gauche marxiste, soumet le struc- turalisme & une analyse qui en éclaire les mystifications idéolo- giques, il dénonce moins les contenus objectifs de I’antropologie de Lévi-Strauss ou des analyses de Barthes, que les dangers que comporte leur attitude anti-historique. La réduction de l’architecture au silence est la preuve de cette disponibilité du structuralisme ou plutét des traits ambigus qui se cachent derritre ses ouvertures sur les aspects les plus profonds de l’activité humaine. 4 Récemment, Bonelli a repris le théme dans une polémique avec Bettini Paci et Della Volpe, affirmant que «le langage pictural ou architectural, constitué d’élements’figuratifs, du fait qu‘ils ne «représentent » qu’eux. mémes et qu’ils n’ont pas 1a possibilité de renvoyer directement & d'autres faits et actes, se révéle inapte A la communication et a la signification ». Cf, RENATO BoNELLI (Critica e linguaggio architettonico, in : « Arte Lombarda », 1965, X, volume en V’honneur de Giusta Nicco Fasola), pp. 291-93 (puis dans celui en Thonneur de G. Caronia-Roberti, Palermo, 1967). Cet article fait suite a l'article du méme auteur : L’estetica moderna e la critica dell archi- tettura, in : « Zodiac», 1959, n° 4, pp. 22 et suiv. dans lequel Bonelli polé- mique avec l'article de SERGIO BETTINI, Critica semantica e continuita storica dell'architettura europea, in : « Zodiac», 1958, n° 2, pp. 7 et suiv, Betti a ensuite répondu indirectement & Bonelli dans un ‘autre article : L'arc tettura di Carlo Scarpa, publié dans la méme revue, 1960, n° 6. Cf. aussi Bern, Possible di un guidizio di valore sulle opere d’arte contemporanea, ini« ivi i di 4 ig tease gol tea ate Civiltd Contemporanea », Quaderni di San Giorgio, 237 D’ailleurs — on V’a déja remarqué — la lecture structu- rale de l’architecture n’est pas une nouveauté. Et si les travaux de Schmarsow, de Frankl, de Sedlmayr peuvent étre invoqués comme des précédents, il est intéressant d’observer qu’en Italie les analyses de Bettini non seulement devancent d’une dizaine d’années les themes aujourd’hui en grande vogue, mais qu’elles abordent déja le probléme que nous venons d’énoncer 15, Dans la note — fondamentale — d’introduction a Ja traduc- tion en italien de la Spdtrémische Kunstindustrie de Riegl, écrite par Bettini en 1953, l’intonation structuraliste prend l’aspect d’une méthode critique parfaitement élaborée 16, Dans ce texte, Bettini montre non seulement qu’il a assimilé — fait plus que rare pour la culture italienne de I’6poque — les contributions des écoles sémantiques anglo-saxonnes, de Tarski 4 Carnap, et au Meaning of the Meaning de Ogden et Richards, mais il reconnait explicitement le caractére linguistique de la production artistique, en liant le probléme de la critique & ce qu’il appelle le « para- doxe du métalangage » 17. En examinant a nouveau les propo- sitions de Wickhoff et de Riegl sur l’art et l’architecture de Bas Empire, a la lumigre d’une interprétation personnelle des relations entre les ceuvres anciennes et la découverte moderne d’un espace noyé dans une dimension temporelle 18, Bettini 18 Cf. A. Scumarsow, Das Wesen der architektonischen Schdpfung, Leipzig, 1894; P. FRanxe, Das System der Kunstwissenschaft, Brann, 1938; H. Sepimayr, Die Architektur Borrominis cit, dans Kunst und Warkeit, Ham- burg, 1958. Cf. aussi, au sujet de semblables anticipations structuralistes : Ca, NoRBERG-SCHULZ, op. cit., pp. 118 et suiv., et : Werner Hoffmann, inter- vention au débat sur Stutturalismo e critica, op. cit., pp. XXXV-XXXIX. 16 §, Bernt, Note introductive & Avois RueGL, Industria artistica tardo- romana, Sansoni, Florence, 1953. 1? Cf. S, BeTTINt, op. cit., pp. XIII-XV. 18 «Pour le Christianisme primitif — écrit Bettini (op. cit., p. Lx) — comme pour nous, il n’y a plus place pour un art de la troisitme dimension, c’est-A-dire de espace en profondeur : cet espace est naturellement celui qu’on qualifiait au x1x* siécle de « nature » — et d’illusion humaine. Dans la basilique chrétienne comme dans l’architecture contemporaine, il y a une «dissolution de l’espace plastique»... Le fidéle chrétien des premiers siécles ordonne l'image spatiale de son église en fonction des menaces de son époque : a Pintérieur de son église il se sent protégé, et en sécurité... Aujourd’hui, cette tranquillité, cette confiance métaphysique est perdue. Nous n’avons plus de 238 éprouve le besoin de préciser « qu’ « espace » et « temps » ne s’opposent pas de maniére catégorique (ce qui les reconduirait a la métaphysique du x1x° siécle, pour laquelle ils représentaient les dimensions constantes a l’intérieur desquelles se situaient les phénoménes : formes et événements), ils sont des types variables de situations. Pour la critique d’art, poursuit-il, il en résulte que leur fonction ou leur importance (de I’un par rapport a autre) ne sont explicables par le « métalangage » de la critique que sur la base de la structure interne des ceuvres d'art » 19, Le probléme de Bettini est, en substance, celui du caractére fonctionnel du langage critique et de l’identification des aspects communicables de I’ceuvre. A la faveur de sa recherche sur les instruments de la ctiti- que, Bettini rencontre les grands thémes abordés par la linguis- tique moderne : des recherches sur la valeur fonctionnelle de la langue aux théses de Moritz Schlick sur le probléme de Ia con- naissance. En 1958, l’essai de Bettini sur la « critique sémanti paru dans « Zodiac », marque la rencontre dee réflexions Oe la linguistique fonctionnelle avec une culture profondément enga- gée dans la pensée phénoménologique 20, Les thémes déja annon- cés dans la préface au livre de Riegl, prennent une consistance plus grande. Refusant la méthode iconologique de Panofsky, Bettini part d’une affirmation incontestable: « ... Vart n’est pas une représentation ; il est — lui-méme — la structure formelle de Vhistoire. Ceci n’est vrai, poursuit-il 21, que si l’on consi- dere l’art comme un langage : nous pouvons dire par conséquent, que le langage de l’art est la morphologie de la culture », , De 1a vient l'insuffisance de tout discours critique par rapport aux « significations » de l’ccuvre d’art: « V’art comme Erlebnis, écrit Bettini 22... est en réalité incommunicable par points fermes, de structures immobiles et sQres sur lesquelles prendre appui », Dans cet essai, comme dans beaucoup d’autres de Berrinr, on voit apparaitre Vépigone le plus direct de la méthode de WickHorF et de RIEGL, ouvrant sa critique & Pactualité et l’opératoire, , 1 S, Berrint, op. cit., p. XV. 20 §, Berri, Critica semantica... 22 Ibid. p. 12. 28 Ibid., p. 11. 239 des moyens autres que l’ceuvre d’art elle-méme. Il parait donc évident que ce qui est communicable, c’est la langue : la structure linguistique de Vart » Bien que sous de nombreux aspects, les théses de Bettini soient tout a fait l’antithése de celles de Brandi, il est cependant vrai que par rapport au probléme du pouvoir « sémantique » de Varchitecture, les deux spécialistes semblent trouver des points de convergence. Le dernier livre de Brandi, dans lequel il reprend les théses qu'il a approfondies depuis plus de vingt ans, est un document symptomatique d’une alliance entre néo-idéalisme et structura- lisme. D’ailleurs, dans ses Due vie, Brandi avait déja exposé clai- rement les raisons qui le poussaient 4 refuser a l’art toute valeur communicative. « Le message de |’ceuvre d’art, écrit Brandi, ne devra pas tre décodifié en tant que message qui structure l’ceuvre d'art, mais comme la série des messages que l’ceuvre d’art charrie et traine derriére elle comme un placenta, depuis sa naissance. C’est pourquoi l’ceuvre d’art n’est pas un message, elle contient plutét une infinité de messages, percus par ceux qui veulent la situer dans V’histoire oi elle a pris naissance ou dans celle oi elle se réyéle jour aprés jour » 23, Brandi nous parait fournir ainsi des armes dangereuses aux théses qui s’opposent aux siennes. En effet, si le probléme con- siste & savoir ce qu’est « l’art », nous estimons que peu nom- breux seront ceux qui suivront son raisonnement jusqu’au bout. L’isolement idéal dans lequel Brandi plonge les phénoménes artistiques ne vient pas d’une analyse des phénoménes histo- riques, mais de certaines inductions sur leur essence, sur leur réalité nouménale . De cette maniére, Brandi affirme, semble-t-il, la primauté de l’ccuvre sur toute déformation provoquée par son existence dans Vhistoire : en réalité, cette affirmation n’exprime que l’idéo- logie personnelle du critique. En effet pour nous, le fait de se croire capable de définir la « réalité » de I’ceuvre d’art nous parait ne devoir étre que la proclamation d’une foi personnelle °8 C, BRANDI, Le due vie..., pp. 35-6. 240 (Naturellement muette vis-d-vis de son objet, mais éloquente par rapport aux valeurs subjectives du critique). Pour ceux qui rejettent une telle récupération de principes diinspiration métaphysique, l’objet artistique ne pourra jamais étre considéré comme une chose mais comme un message in fieri. Ou, si l’on préfére, précisément comme le syst8me (ouvert) des infinis messages dont parle Brandi. Du teste, l’architecture prouve continuellement que la base méme de son existence réside dans l’équilibre instable qui s’éta- blit entre un noyau de valeurs et de significations permanentes et les métamorphoses que ces derniéres subissent dans le temps historique. Nous avons parlé ailleurs de la mauvaise interprétation constante des significations qui, dans l’histoire, se concentrent sur l’architecture. Mais il faut préciser que cette facon de se « méprendre » ne se contente pas d’étre constante, elle est aussi Yunique moyen dont nous disposons pour approcher la réalité architecturale. L’utilisation arbitraire des fonctions n’est pas seule A déter- miner ce malentendu, A ce propos, on parle généralement de Lutilisation possible du Panthéon comme hangar commercial, ou également de Ia conversion du Castello Sforzesco et de plusieurs églises hollandaises en musées ou salles d’exposition. Mais grace & l’introduction récente et subtile d’une distinction entre fonc- tions principales et fonctions secondaires, on peut parfaitement réévaluer la portée historique d’un tel malentendu 24, Il existe en réalité un autre moyen d’interpréter les messages d'une ceuvre d’architecture. Il est si l’on veut partiel, lui aussi (dans la mesure oi il n’en saisit pas encore toute la stratification complexe), mais certainement plus direct et authentique que celui qui raméne tout contact avec l’ceuvre & son utilisation pure et simple. Quand Francesco de Giogio, Giuliano da Sangallo et Baldas- sarre Peruzzi reproduisent dans le dessin de leurs relevés l’Ora- toire de la Sainte Croix (461-468 aprés J.C.) autrefois attenant au Baptistére de St Jean de Latran — dont le plan ressemble 24 Cf, Umaerto Eco, Appunti per una semiologia delle comunicazioni visive, Bompiani, Milano, 1967, pp. 171 et suiv. et /a stuttura assente, Bompiani, Milan, 1968. Trad. fes : La structure absente, Mercure de France, 1972, 241 9 tant au Salon de la Place d’Or d’Hadrien 25, — quand Cronaca, Serlio et Palladio interprétant les différentes parties des Thermes romains, dans leurs tentatives de réhabilitation, ou quand ce méme Palladio et Pietro da Cortona s’attachent 4 définir les structures du sanctuaire de Préneste (sanctuaire de la Fortune Primigene), ils nous offrent la meilleure démonstration de la dialectique — concréte parce qu’historique — qui préside & la déformation d’un message architectural, confronté 4 des codes de lecteur qui différent entre eux. Devant le plan complexe enveloppant et continu du bAti- ment central de I’Oratoire du v° siécle, Francesco di Giorgio ne posséde pas la clé pour une interprétation juste. Tl ne peut pas admettre une infraction aussi hardie au lan- gage classique, il ne peut méme pas essayer de ne la considérer que comme une exception intéressante. Bien qu’il soit attaché & composer, selon une logique combinatoire sans préjugés, des espaces & matrice centrale s’opposant |’un 8 I’autre, Francesco di Giorgio se refuse encore a accepter le principe de 1’élasticité de la capacité de l’espace. C’est pour cette raison que son « relevé » tend a réduire la portée de l’opposition entre surfaces concaves et surfaces convexes. Ces derniéres sont représentées comme des saillies du mur, presque comme de simples renflements du volume intérieur. Francesco di Giorgio saisit donc parfaitement la charge périlleuse transmise & la culture de la fin du xv° siécle par le monument romain. Il nous la retransmet méme & sa fagon et de 25 Les dessins de Francesco di Giorgio qui reproduisent l’oratoire de la Sainte Croix sont dans le Codice torinese Saluzziano 148, ff. 80 et 81. L’ora- toire de la Sainte Croix fut construit par le Pape Ilario (461-468) et fut abattu par le Pape Urbain VIII en 1629. Cf. I trattati di architettura, ingegneria e arte militare, de FRANCESCO DI GIORGIO MARTINI, publié par CoRRADO MALTESE, II Polifilo, Milano, 1967, pp. 282-82, pl. 148 et 149. Le relevé de Giuliano da Sangallo est dans le Codice Barb. Lat. 4424, f. 30v et f. 31 et peut étre considéré comme une copie assez fidéle du batiment du Ve siécle. Cf. aussi Ie dessin de I’Anonyme Palladien (vol. XIII, f. 3), conservé au Royal Institute of British Architects, & Londres. Cf. & ce sujet G. Zonzt, I disegni delle Anti- chitd di Andrea Palladio, Neri Pozza, Venezia, 1959, fig. 269. Le dessin de Peruzzi qui représente l’oratoire de la Sainte Croix et la Salle de la Piazza d'Oro de Ia Villa Adriana, est dans le Cabinet des dessins et estampes des Offices & Florence, n° 529 A. 242 maniére absolument limpide. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de lire & travers son dessin : a — la valeur hérétique attribuée par la culture classique aux structures complexes; b — les réactions, devant cette provocation, de la culture de la fin du xv? siécle et ses nouvelles incertitudes vis-a-vis de l’antique (Francesco di Giorgio déforme 1’édifice dont il fait le relevé, mais il accepte tout de méme, du moins au début, de se situer par rapport a lui); c — identification, accomplie par les architectes de 1’Huma- nisme, entre le dialogue supra-historique et l’idéation architec- turale : entre la reconnaissance des lois structurales de ses pro- pres codes formels et l’exploration des codes de l’antiquité. Cet ensemble d’informations se rapportent d’une part a ancien répertoire archéologique, d’autre part au dessin de Francesco di Giorgio. Le premier recéle la présence d’une signi- fication spécifique déformée et déformable au cours de l’histoire. Quant au second (en dehors de ses significations, au sens propre), il est évident que sa valeur est déterminante pour la reconnais- sance philologique des codes architecturaux de l’Humanisme, Francesco di Giorgio effectue ainsi un véritable acte critique, qu’il faut historiciser 4 son tour et rattacher 4 ceux qu’ont accomplis ses successeurs: Giuliano da Sangallo et Peruzzi. Ce dernier comprendra l’ambiguité spatiale de l’Oratoire de la Sainte-Croix et de plus il en démultipliera les valeurs de tension et de complexité dans son dessin des Offices 26. Il nous per- mettra ainsi de lire, comme dans un diagramme, les changements subis par les lois perceptives et par les recherches spatiales du Classicisme Italien. Ajoutons que sa disponibilité toute récente vis-a-vis du passé nous éclaire aussi sur la signification nouvelle de Vhistoire depuis les premiéres expériences du Maniérisme. 26 Le dessin de Peruzzi mélange le modéle de Voratoire de la Sainte Croix du Latran avec celui de la Salle de la Piazza d’Oro a Ja Villa d’Hadrien. La synthase typologique tentée par le maitre siennois dans ses études, reprise et vulgarisée par Serlio, est, 4 son tour, un sondage effectué au sein des maté riaux offerts par antiquité, un exploit (*) de type historiciste, plus que oeuvre dun érudit. * En francais dans le texte. 243 Dans ce type de lecture, la salle paléochrétienne devient un message dont la forme admet un remarquable degré d’ouver- ture sur les décodifications différentes qui interviendront dans le temps, La transformation des codes d’interprétation change éga- lement la signification de l’ceuvre ; méme si les différents messa- ges qu’on trouve en elle, au fur et & mesure, s’articulent autour d’un noyau de valeurs permanentes. La perception d’une structure architecturale est donc mani- festement la « modification d’un syst8me d’attentes », ainsi que nous l’enseigne la psychologie moderne et comme I’a largement démontré Gombrich pour d’autres systtmes de communications visuelles 27, Considérons & nouveau maintenant les propositions de Brandi sur la prétendue a-sémanticité de J’architecture, telles qu’elles sont exprimées dans son texte le plus récent : « ... Pécueil fondamental (que I’on rencontre lorsqu’on veut considérer L’architecture comme un langage), écrit Brandi 28, 27 Cf, Ernst H. Gompricn, Art and Illusion, op. cit. Gombrich s’appuie, pour définir l’activité de perception artistique comme rencontre et confron- tation entre un «systéme d’attentes » et I’aspect inédit que contient toute oeuvre, sur les enquétes de Kris, qui, avec une cohérence méthodologique certaine, a utilisé Ie soutien fourni par les techniques psychanalytiques dans T’étude des phénomines artistiques. «Depuis longtemps — écrit Kris — nous nous sommes rendus compte que V’art ne se réalise pas dans le vide, que I’artiste dépend de prédécesseurs et de modéles, que l’artiste, a I"égal de homme de science et du philosophe est lié A une tradition précise et travaille dans une aire bien circonscrite de problémes. Le degré d’influence de cette structure et pour certaines périodes, la liberté de modifier ces liens qui nous rattachent, font partie, inexorablement, de I’échelle complexe qui permet d’évaluer les problémes mémes. » ERNST Kunis, Psychoanalitic Explorations in Art, New York and London, 1952, p. 21. Gombrich a exploré aussi les possibilités d’une alliance entre psychanalyse et histoire de l'art. (Cf E. Gommricn, Psychoanalysis and the History of Art. Malgré le champ limité que Gombrich fixe juste titre comme valable pour une telle aliance, il est intéressant d’observer que certaines des conclusions fournies, qui suiyent les méthodes d’approche psychanalytiques, coincident avec celles obtenues en analysant les ceuvres avec les théories de l’information. Cf. aussi : Cx, NorBERG-SCHULZ, op. cit., qui utilise plutat les recherches de la Psychologie de la Forme, celles de Piaget, d’Ehrenzweig et la théorie de l'information. 28 C. BRANDI, Struttura e architettura, Einaudi, Torino, 1967, p. 38. 244 reste toujours que tout systéme sémiotique élabore un code pour transmettre un message et que, ce message, l’architecture ne le transmet pas. Les informations que l’on peut en déduire ou de toute maniére en tirer, ne constituent pas le message qui devrait lui garantir sa structure sémiotique. Il faudrait alors renoncer définitivement a l’analyse sémiologique de l’architecture, En effet, dans les couvres od elle se réalise, il s’agit d’ceuvres d’art, elle réalise comme toutes les ceuvres d'art, une présence. Et la cons- cience en tant qu’elle la recoit et la reconnait dans cette présence, ne l’accueille pas comme un message & décoder. Méme si I’ceuvre contient un message cryptographique (allégorique ou en tout cas symbolique), pour le découvrir, la conscience devra pour ainsi dire neutraliser et affaiblir cette présence, la réduire a état d’objet. Nous nous étions posés une autre question : V’architec- ture est-elle sémiotique par essence ? _ Les messages qu'elle peut véhiculer et transmetire de ma- niére accessoire ne suffisent pas A prouver son essence sémio- tique. Ainsi, Papparence de votite céleste suggérée par la coupole ou le symbole de la vallée du Nil représenté par les pylones du temple égyptien ne déterminent pas Vessence de la coupole ni celle du temple » 29, On pourrait aussi couper court & Vanalyse de Brandi en déclarant franchement que son discours sur les « essences » ne nous intéresse pas, d’autant plus que nous ne croyons pas utile de reproposer ces paramétres de recherche pour l’architecture. Mais une partie de son interprétation de Varchitecture doit étre considérée avec attention, Brandi a conscience que sa méthode réduit Varchitecture & une pure expression tautologique. Ne présentant rien d’autre qu’elle-méme, dans une structure qui ne renvoie a rien d’autre qu’a ses lois intérieures de construction, elle est dépourvue de significations, Mais on pourra se demander alors tres justement quelle est Putilité de Vactivité critique. Ne pouvant ni interpréter — puisque 18 ott il n’y a pas de signification, une lecture n’est pas possible —, ni historiciser — étant donné que le caractére « historique » de V’architecture est lui-méme compromis du fait qu'il se réduit 4 une présence, la cri ique devra se limiter A décrire, 2° C. BRANDI, op. cit., p. 39. 245 Cette critique semble ainsi affirmer la primauté de l’ceuvre sur toute analyse de contenu, mais tombe 4 son tour dans une sorte de traduction littéraire des structures figuratives. Brandi se rapproche ainsi des réserves, faites par la nouvelle critique * francaise sur l’ceuvre de critiques tels que Picard 30. Pour Brandi, il n’est certes pas possible de parler d’un « vraisemblable critique », étant donné le caractére de construc- tion intellectuelle élaborée qui est le propre de ses analyses. Toutefois, il semble que l’observation suivante de Doubrovsky soit une réponse trés pertinente 4 ses théses : ‘« La profondeur d’une ceuvre doit s’entendre au sens per- ceptif, comme on parle de la profondeur d’un champ visuel ott 1a multiplication des points de vue n’épuise jamais le pergu et n’aboutit jamais a cette vision plane et totale qui étalerait devant elle son objet. Il y a donc bien des « niveaux » de signification, définis par le niveau de l’acuité perceptive ; il y a des « couches » significatives, mais pas des strates » 31. Pour l’architecture, il nous parait particulitrement impor- tant de signaler l’inexistence de « strates » de signification. Une lecture particuligrement attentive et une « lecture distraite » de Veeuvre architecturale ou d’un ensemble urbain, ne touchent pas des secteurs différents de messages exprimés par ces ceuvres, mais des « zones » de signification différentes, toujours déter- minées par leur caractére unitaire et polyvalent. L’examen des différentes lectures d’un méme monument, faites a des époques différentes de Francesco di Giogio a Peruzzi (nous aurions pu étendre cet examen jusqu’a Borromini, qui se souvenait peut-tre des relevés de l’Oratoire de la Sainte-Croix, comme des structures hérétiques 4 plan central de la villa Adriana), a mis exactement en lumiére plusieurs zones de signi- fication de ce monument, Quand nous avons parlé d’ambiguité, hérésie et conformisme ne faisaient que définir les significations * En frangais dans le texte. 30 Cf. SexGE Dousrovsky, Pourquoi la nouvelle critique : critique et objectivité, Denoél-Gonthier, coll. médiations, Paris, 1972. 31 §, Dounrovsky, op. cit., p. 64. 246 historiques de certaines ceuvres confrontées aux codes auxquels elles se référent. Ces significations contribuent & nous rap- procher du coeur des valeurs des ceuvres, mais elles n’en épui- sent naturellement pas le sens. On peut alors bien dire que Ja lecture d’une oeuvre se heurte non seulement a ’historicité de son langage, mais égale- ment aux significations successives que Vhistoire de la critique lui a attribuées. Il est inutile de déméler ces significations ajoutées de celles que l’ceuvre porte en elle. L’historien devra accepter, en lui don- nant sa place, cette interférence de valeurs et de sens qui émanent, en partie de I’ceuvre, en partie de Vhistoire de sa « fortune » critique. Lhistoire de la critique joue donc un réle important dans Vopération de reconstruction philologique des codes historiques. Elle peut méme servir de paramétre fondamental pour vérifier la validité de la lecture de I’ceuvre. En effet, la comparaison entre cette lecture et les interprétations qui se sont amoncelées au sujet du texte architectural, peut apporter des éléments pour le contréle du caractére scientifique de la construction cri- tique. Il faut cependant faire des distinctions a V’intérieur de cette récupération philologique des codes du passé. Une perception distraite de la Place Farnése 4 Rome, utilisée comme véritable parking, ne détruit pas automatiquement les valeurs spécifiques de cet espace. Cette utilisation de la place met en évidence une strate fonctionnelle qui est aujourd’hui le propre d’un tel environnement. Mais dans ce cas, la complexité de ses significations reste néanmoins totale dans ses caractéris- tiques. Le renforcement de l’aspect fonctionnel rel&gue au deuxid- me plan de la conscience les fonctions premiéres de la place (tout au moins du point de vue de la lecture historique), mais les valeurs symboliques complexes qu’elle contient ne sont pas pour autant anéanties. Elles ne sont que percues de maniére incons- ciente : elles se proposent dans une « zone de significations » particuligrement limitée. Quand, & l’époque baroque, Tesauro écrit que « Vart. des évangélistes consiste tout entier & mélanger le facile et le diffi- cile de telle fagon qu’au sein d’un peuple composé 4 la fois de 247 savants et d’imbéciles, les premiers ne soient pas génés de trop comprendre et les seconds ne ressentent pas l’ennui de ne rien comprendre », il annonce une complexité sémantique qui est a Yordre du jour des recherches architecturales les plus récentes. Voici que la signification idéologique des propositions de Brandi prend forme. La primauté de V'ceuvre qu’il a réaffirmée peut parfaitement s’accepter. Mais lorsqu’elle prend une forme si absolue qu’elle réduit la critique au silence, elle finit par entrer dans un raisonnement sciemment hostile 4 toute la problématique de V’art contemporain. Au sujet de Sedlmayr et de Brandi 32, on a récemment parlé de « critique discordante ». Il faut cependant ajouter que leur « discorde » n’apporte aucun doute salutaire 4 l’action, mais plutét des doutes obscurs et paralysants. «En soulignant le primat de I’ceuvre, nous n’avons pas voulu un seul instant promouvoir le formalisme dont s’inspire souvent la critique anglo-saxonne. Pour nous, le sens est bien dans la matiére sensible de l’objet ; mais l’objet ne se referme point sur lui-méme, de sorte que l’examen de ses structures ne renverrait & rien d’autre qu’au miracle de son équilibre interne. Tout objet esthétique, en fait, est l’ccuvre d’un projet humain » 33, Le retour & la primauté de l’ceuvre, peut donc s’assimiler — pour nous qui acceptons inconditionnellement cette derniére pro- position de Doubrovsky — & l’analyse des structures de l’archi- tecture en tant que « projet humain ». Tenant compte de notre opposition aux interprétations a-sémantiques de l’architecture, i] nous faudra examiner les dif- ficultés — formulées par Lévi-Strauss luiméme — surgissant de TVextension des méthodes structualistes 4 la lecture des phéno- ménes artistiques, « Que ce soit en linguistique ou en anthropologie, la métho- de structurale consiste 4 repérer des formes invariantes au sein de contenus différents. L’analyse structurale dont se réclament inddment certains critiques et historiens de la littérature consiste, 32 Cf, AA. WV., La critica discorde, in : « Op. cit.», 1965, n° 4, pp. 20 et suiv., od fut tenté le premier bilan d’un filon qu’Eco définissait comme «apocalyptique » : celui des opposants au monde moderne, & ses mythes, & ses valeurs (de HurzincA, ORTEGA et & SEDLMAYR). 83 §, Dousrovsky, op. cit., p. 71. 248 au contraire, A rechercher derrigre des formes variables des contenus récurrents. On voit ainsi, déja, apparaitre un double malentendu : sur le rapport du fond et de la forme, et sur la relation entre des notions aussi distinctes que celles de récur- rence et d’invariance, la premiére encore ouverte a Ja contingence alors que la seconde se réclame de la nécessité » 34, L’avertissement de Lévi-Strauss est important et naturelle- ment, il concerne également V’histoire de l’architecture. Le probléme typologique au sujet duquel la culture acadé- mique s’est tellement méprise, est l’exemple caractéristique d’un théme qui a créé une grande confusion entre répétitions for- melles et invariance des significations. Du reste, il est bien évident que l’anthropologie et la lin- guistique d’une part, la critique historique des arts de l’autre, ont des objectifs différents. Il est cependant toujours possible de déterminer un niveau de recherche historique dans lequel Videntification de formes invariantes & l’intérieur de différents contenus prendrait un sens. Ce sens pourrait peut-étre se dégager de la confrontation entre des formes qui se rattachent méme indi- rectement 4 des schémas communs. (Les solutions diverses des organismes construits autour d’un centre, depuis la fin de |’Anti- quité jusqu’au xvim° siécle, les agrégations d’espaces 4 matrices géométrique différenciées, répertoires décoratifs se répétant dans Je temps et dans des domaines géographiques et sémantiques trés différents : en Europe, au Moyen-Orient, en Asie, etc...) Mais, en méme temps, il nous parait trés important de réfléchir 4 une autre remarque de 1’éthnologue frangais : « Si done la critique littéraire et V’histoire des idées peuvent devenir véritablement structurales, ce sera seulement & la condi- tion de retrouver au dehors d’elles les moyens d’une double vérification objective. Or, il n’est pas difficile d’apercevoir out ces moyens devraient étre empruntés. D’une part, au niveau de Vanalyse linguistique et méme phonologique, ot les contréles peuvent se faire indépendamment des élaborations conscientes *4 Craupe Levi-Strauss, Strutturalismo e critica, réponse & l’enquéte de Cesare Seore, in : Catalogo generale « Il Saggiatore », 1958-1965, cit., p. LI. et Anthropologie structurale II, Plon 1973, pp. 322-323. 249 de l’auteur et de son analyste ; et d’autre part, au niveau de Venquéte ethnographique, c’est-i-dire, pour des sociétés telles que les nétres, au niveau de Vhistoire externe » 35. Ceci s’applique également a l’architecture. Pour elle, la véri- fication objective des paramétres de |’analyse réside dans la com- paraison avec l’évolution interne de ses conditionnements histo- riques. Ce qui n’est certes pas une nouveauté : mais dans le cadre de la pensée structuraliste, le retour 4 Vhistoire effectué par Lévi-Strauss contre l’anti-historicisme de ses nombreux épigones est significatif. Aussi significatif pour nous l’observation ci-des- sous qui fait suite a l’extrait que nous venons de citer : «Loin, donc, que l’introduction des méthodes structura- listes dans une tradition critique procédant essentiellement de Vhistoricisme pose uu probléme, c’est |’existence de cette tradi- tion historique qui peut seule fournir une base aux entreprises structurales. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer, dans le domaine de la critique d’art, 8 une ceuvre aussi pleinement et totalement structuraliste que celle d’Erwin Panofsky. Car, si cet auteur est un grand structuraliste, c’est d’abord parce qu’il est un grand historien, et que histoire lui offre, tout a la fois, une source d’informations irremplacables, et un champ combinatoire oit la justesse des interprétations peut étre mise a I’épreuve de mille fagons. C’est donc Vhistoire, conjugée avec la sociologie et la séméiologie, qui doit permettre 4 l’analyste de briser le cercle d’une confrontation intemporelle ot l’on ne sait jamais, tandis que se déroule un pseudo-dialogue entre le critique et Veeuvre, si le premier est un observateur fidéle ou l’animateur inconscient d’une piéce dont il se donne & lui-méme le spectacle, et dont les auditeurs pourront toujours se demander si le texte est émis par des personnages de chair et de sang, ou s’il est prété aux pantins qu’il a lui-méme inventés par un habile ventri- loque » 36, L’attaque de Lévi-Strauss est dirigée non seulement contre la verbosité de la critique exégétique du genre académique, mais également contre un critique « structuraliste » comme Roland Barthes. 35 CL. Levi-Srrauss, op. cit., p. 324. 36 Ibid., pp. 324-325. 250 C’est pourtant Barthes qui a orienté l’analyse structurale dans un sens, si l’on peut dire, « productif ». « Le but de toute activité structuraliste, a-t-il écrit en 1963 — qu’elle soit réfléchie ou poétique — est de reconstituer un « objet », de fagon & manifester au sein de cette reconstruction, les régles de fonctionnement (les « fonctions ») de cet objet. La réalité est donc un simulacre de l’objet, mais un simulacre orienté, intéressé, puisque l’objet imité fait apparaitre quelque chose qui demeurait invisible ou — si l’on préfére — inintelligible dans Vobjet naturel. Le structuraliste s’empare du réel, il le décompose puis le recompose ; c’est en apparence bien peu de chose (certains sou- tiennent que le travail structuraliste est « insignifiant », sans intérét, inutile, etc.), Pourtant, d’un autre point de vue, ceci ne se défend pas, car entre les deux objets, ou les deux temps de Pactivité structuraliste, il se produit du nouveau. Et ce nouveau n’est pas autre chose que l’intelligible général. Le simulacre, c’est Vintellect s’ajoutant a l’objet et cette addition A une valeur anthro- pologique car elle est I’homme tout entier, son histoire, sa situa- tion, sa liberté et la résistance que la nature oppose a son esprit. Voici pourquoi il est juste de parler d’activité structuraliste : dans ce cas, création et réflexion ne sont pas une « impression » originale du monde, mais véritable fabrication d’un monde sem- blable au premier, non our Je reproduire fidélement mais pour le rendre intelligible » 37, Il est compréhensible que celui qui réve de voir la culture absorbée par la nature et qui réduit l’histoire & un systéme de données que l’on manipule afin de confirmer le caracttre de synthése a priori de l’esprit, ne peut regarder d’un bon ceil la « production du nouveau » dont parle Barthes. De son cété, l’architecture est une création permanente qui s’oppose 4 la nature: son histoire est celle de I’asservissement de la nature par l’activité constructive des classes dominantes. La critique historique de l’architecture a donc comme prin- cipal objet la découverte des significations de cette activité, L’alliance entre histoire et sémiologie n’est possible qu’en par- 87 Rotanp Barruts, L’activité structuraliste, in : « Lettres Nouvelles », 1963, et dans Essais Critiques, Le Seuil, Paris, 1963, 251 tant de cette idée. En tant que « science générale des signes » Ja sémiologie est un instrument pour l’historien, En tant qu’idéo- logie elle est instrument de mystification 38, Au-dela de la simple identification des formes invariantes, des systémes linguistiques et syntaxiques, des typologies, la recher- che structurale en architecture ne peut pas éviter le grand pro- bléme caractéristique de toutes les recherches structuralistes : c’est-a-dire celui de la découverte du réseau des relations incons- cientes, non sues, qui est sous-jacent aux choix figuratifs, qui est derriére les codes architecturaux et les informe, qui relie ces codes au comportement social, aux mythes, a la dialectique his- torique. Cassirer et Lévi-Strauss semblent d’accord sur ce point. Pour le premier comme pour le second, les institutions sociales et mentales, les mythes, l’activité formatrice de l'homme sont des « formes symboliques », elles suivent des « modéles » cons- cients et inconscients et se réalisent sur la base d’une structure profonde et cachée que l’analyste a pour tache d’élucider. L’inconscient joue un réle primordial dans la recherche structuraliste. L’analyse des mythes semble démontrer qu’au-dela des images au travers desquelles ils se manifestent, il existe une architecture de l’esprit humain, une structure sous-jacente, une logique placée au-dessus des changements historiques. Jusqu’a quel point une telle prééminence de l’inconscient et du systéme est-elle une pure hypothése de travail, et jusqu’a quel point n’est-elle pas elle-méme une idéologie ? En analysant Les chats de Baudelaire, Lévi-Strauss croit pouvoir reconnaitre dans la structure de la poésie des analogies impressionnantes avec celles que l’ethnologue identifie dans l’analyse des mythes. Armanda Guiducci a remarqué justement que l’interpré- tation selon laquelle poésie et mythe sont des termes complé- mentaires remonte 4 Cassirer et 4 son inspiration profondément freudienne. 38 La proposition d’un structuralisme diachronique et historique a été avancée par Barthes et Argan (ef. note 13) dans leurs réponses a l’enquéte Strutturalismo ¢ critica... et par Umperto Eco in : La struttura assente. et L. GOLDMANN, in : Sens et usage du terme structure, Mouton et Co., 1962. 252 «Ce qui compte, écrit Armanda Guiducci, c’est que l’in- fluence que Cassirer avait exercée sur la réflexion esthétique, criti- que et littéraire, entre Amérique et Europe, tend aujourd’hui de rebondir sur celle-ci par le biais de l'anthropologie structu- rale de Lévi-Strauss, Cette dernitre représente une nouvelle synthése méthodologiquement inspirée, entre l’intérét sémantique pour le symbole linguistique (si marqué chez Cassirer), le sym- bolisme inconscient (dont Cassirer s’inspira également), réexa- minés & travers la conquéte de la Jinguistique structurale. Tous ces nouveaux points ne pouvaient pas ne pas peser sur la réflexion littéraire, déja sensibilisée par Cassirer » 39, Pour la critique architecturale, le probléme n’est pas fon- damentalement différent. La réflexion sur l’architecture comme lecture en profondeur, comme découverte, non pas des significations claires et immé- diates, mais des « connotations » architecturales, des significa- tions ambigiies, réticentes, « cachées », a justement sa tradition propre qui fait appel a la Philosophie des formes symboliques de Cassirer, et se traduit chez Saxl et Panofsky en systéme de recherche historique cohérent, et en méthode de lecture — moins cohérente, mais son influence a été grande sur Ia culture archi- tecturale américaine — chez Suzanne Langer 40, C’est en effet Cassirer qui introduit la possibilité de se tourner vers l’art comme vers un « univers de discours » indé- pendant, comme structure spécifique dotée de ses significa- tions propres. En tant que forme symbolique, c’est-a-dire produit d’une activité formatrice de la conscience, l’art est, pour Cassirer, comme le mythe ou 1’éthique, un tout possédant ses propres significations qui ne sont compréhensibles qu’en partant des lois structurelles qui lui sont immanentes. Et, puisque ces lois ne sont que le produit d’une activité humaine qui construit ainsi sa propre réalité en méme temps que les instruments capables de la dépasser, la recherche sur la structure des formes symboliques devient une recherche sur le sens du comportement historique. 89 ARMANDA Gutpicct, Dallo zdanovismo allo strutturalismo, Feltrinelli, Milano, 1967, pp. 353-54. 49 Cf. en particulier : SuzANNE K. LANGER, Feeling and Form. A Theory of Art, Charles Schriber’s Sons, N.Y., 1953 et Problems of Art. 253 L’importance de Cassirer, dans l’histoire de la critique contemporaine a été énorme. De Warburg Saxl, & Panofsky, a Suzanne Langer, a Battisti, l’étude des structures artistiques a été profondément influencée par le fait qu’il a récupéré la dimension symbolique, non seulement (ou pas tellement) comme instrument de connaissance pour l’homme, mais comme activité constructive de |’ « esprit ». Les critiques que Cassirer a suscitées ne nous semblent d’ailleurs pas concerner la substance de son apport novateur. En débarrassant ses analyses de toutes les propositions liées A un néo-kantisme de valeur contingente, on peut affirmer sans crainte que Cassirer a démontré parfaitement l’existence de significations propres aux structures du comportement, des lois de la vision, des syst8mes de communication. Aprés Cassirer, il est trés diffici- le de ne pas admettre que les «instruments» de la communication délimitent un « champ » de significations historiquement déter- minées. Comme la Géestaltpyschologie, la philosophie des formes symboliques conteste les théses de la psychologie asso- ciationniste mais, & la différence de la Psychologie de la Forme, elle ne se sépare pas de l’histoire dans sa recherche des lois de Vactivité formatrice de la conscience. Cassirer nous a appris que chaque fagon de « repré- senter » le monde est surtout une fagon de le « construire » lui- méme, sur la base d’un réseau commun de contenus sous-jacents, d’un univers inter-subjectif de significations, d’une activité for- matrice agissante, méme sur le plan inconscient. C’est 18 que les propositions fondamentales de Fiedler, celles de la Gestaltpsychologie et celles de Cassirer insistent toutes sur un probléme qui leur est commun. (Le méme d’ailleurs sou- levé par Gropius, Kandinsky et Klee au sein du Bauhaus), Aprés eux, il reste acquis qu’il n’existe pas de perception qui n’implique une activité organisatrice de la conscience dans le cadre d’un « champ », et qu’il n’existe pas des fagons de repré- senter mais uniquement des fagons de voir ; (qui sont en méme temps des fagons d’adapter des attentes psychologiques aux réactions du milieu extérieur). De plus, Cassirer introduit une considération symbolique du langage, du mythe, des rites et de l’art qui permet d’interpréter les phénoménes artistiques non seulement comme des structures 254 isolées dominées par un systéme d’interdépendances internes mais également comme les éléments de structures plus impor- tantes, dont ils ne constituent que des manifestations expressives, des formes symboliques, précisément. L’affinité entre les thtmes abordés par Cassirer et les résul- tats des analyses structurales les plus modernes est évidente. Si l’on considére que le mythe, le rite et l’art sont reliés entre eux comme les formes distinctes de systémes unitaires, on voit apparaitre au premier plan le probléme des conditionnements inconscients et inter-subjectifs qui agissent dans la formation des Jangages et en particulier du langage architectural. Lorsque Panofsky décide de fonder une méthode rigoureuse de lecture historique des phénoménes artistiques, basée sur les élaborations de Cassirer, i] est amené 4 étre confronté avec un autre courant de recherche spécifique, cette fois, de la critique dart. Brandi a trés justement reconnu dans les Concepts fon- damentaux de Vhistoire de V'art de Wolfflin4+1, un systtme de cing oppositions binaires qui représente l’une des premiéres ten- tatives cohérentes pour atteindre la structure de l’ceuvre a travers Yoeuvre elle-méme 42, Cassirer effectue sa recherche sur le plan des significations, Wiolfflin et Riegl sur celui des structures formelles, des « signi- fiants ». Panofsky se propose, lui, de relier entre eux ces courants de recherches. Il perfectionne donc le probléme des structures formelles en introduisant une série de correctifs et d’enrichissements dans Je concept rieglien de Kunstwollen de Riegl, et les Kunstgeschicht- liche Grundbegriffe de Wolfflin 43, En ce qui concerne |’ « intention artistique », Panofsky dé- montre qu’on ne peut, en aucune maniére, la considérer comme une intention propre a la psychologie de l’époque. Il déclare en outre que « les énoncés de la critique d’art, de la théorie de 4. H. WOLFFLIN, Kunstgeschichtliche Grundbegriffe, Miinchen, 1915. 42 C. BRANDI, Struttura e architettura, ..., p. 32. 48 ERWIN PANoFsKY, La perspective comme forme symbolique, Ed. de Minuit, Paris 1975. 255 Tart de toute une époque, ne seront pas en mesure d’interpréter immédiatement les ceuvres d’art produites par cette époque : ils devront (en effet) étre interprétés par nous en méme temps que ces derniéres » 44, La grande importance que Panofsky réserve aux traités et aux documents littéraires contemporains des ceuvres d’art, ne prend pas pour lui — A la différence de la majorité de ses disciples — une valeur déterminante dans Videntification des caractéristiques structurelles d’une époque ou d’une ceuvre. Les « Théories » n’ « expliquent » pas et ne « désignent » pas les valeurs et les significations des ceuvres, Elles constituent des phénoménes paralléles, avec leur propre histoire, objet et non moyen d’interprétation 45, De plus, Panofsky précise trés bien que « les intentions artis- tiques doivent étre rigoureusement distinguées des intentions de Vartiste, celles qu’il nourrit dans la dimension de ses états d’ame comme du rejaillissement des phénoménes artistiques dans la conscience de I’poque ou méme des contenus des Erlebnisse, de l’impression qu’une ceuvre d’art suscite chez le spectateur actuel. I] dit en somme que la valeur artistique, en tant qu’objet d'une connaissance scientifique possible de V’art, n’est pas une réalité (psychologique) » 46. De cette maniére, le Kuntswollen panofskien €vite aussi bien de s’enfermer dans les limites d’une définition psycholo- gique que de prendre le caractére d’une abstraction instrumentale. Puisqu’il doit constituer la base de lecture du sens immanent a Veuvre d’art, il ne peut étre saisi qu’au moyen de « catégories valables a priori » : les « concepts fondamentaux de la science de Vart » 47, Ces concepts se réduisent 4 des « couples de concepts dont la structure antithétique exprime les « problémes fondamentaux » a priori du faire artistique » 48, mais: 44 B. PANOFSKY, op. cit., pp. 205-206. 45 Ibid., p. 206. 48 Tbid., p. 208. 47 B, PANOFSKY, op. cit., p. 213. 48 E. PANOFSKY, op. cit. 256 « bien loin de vouloir subdiviser le monde des phéno- ménes artistiques en deux camps adverses, entre lesquels il n’y aurait plus aucune place pour les innombrables phénoménes artis- tiques, les concepts fondamentaux désignent exclusivement la polarité de deux régions de valeurs. Deux régions qui se font face au-dela du monde des phénoménes artistiques, qui peuvent se rencontrer dans les ceuvres d’art de différentes facons. Parce que les contenus du monde de la réalité historique en se saisis- sent pas a travers les concepts fondamentaux, mais uniquement & partir des phénoménes fondamentaux ; les concepts fondamen- taux ne prétendent absolument pas — presque comme une espéce de « grammaire générale et raisonnée » * — donner une classification aux phénoménes artistiques. Leur tache consiste a faire parler les phénoménes & I’aide d’un « catalyseur » créé a priori. En effet, ces concepts réduisent en une formule la posi- tion, mais non la solution des problémes artistiques. C’est pour cela qu’ils ne déterminent que les questions que nous devons poser aux objets et non les réponses particuliéres, toujours impré- visibles, que ces objets peuvent nous fournir » 49. De cette fagon, les valeurs de surface et les valeurs de la profondeur ou celles de la contiguité et de la compénétration, perdent la signification absolue qu’elles avaient cue chez Wélf- flin. Modéles conceptuels a priori, valables pour une réorgani- sation arbitraire et systématique (mais fondée, historiquement) du matériau offert par ’expérience de l’art, elles constituent les éléments premiers d’une grille de référence ; d’un « super-code » pour la lecture des événements artistiques. Cette construction systématique est reconnue par Panofsky comme une structure conceptuelle achevée en soi et articulée. De plus, la subordination des problémes historiques particuliers aux « concepts fondamentaux » devient possible... « parce que les problémes artistiques particuliers ne doivent étre pris — par rapport aux problémes fondamentaux — que comme des problémes dérivés. Parce qu’aussi les « concepts spé- ciaux » qui leur correspondent prennent un sens de concepts dérivés par rapport aux « concepts fondamentaux ». En effet, les * En francais dans le texte. 49 E. PANOFSKY, op. cit. 257 problémes artistiques particuliers se constituent selon un schéma, presque hégélien, si bien que les solutions des problémes fonda- mentaux généralement valables, deviennent A leur tour — au cours du développement historique — les péles d’un probléme particulier spécial et que les solutions de ce probléme forment également a leur tour les péles d’un probléme particulier spéci- fique au « second degré » et ainsi de suite jusqu’a l’infini. Pour prendre un exemple dans le domaine de l’architecture, aussi bien la solution que nous appelons « colonne » que celle que nous apelons « paroi » représentent toutes deux une solution bien déterminée des problémes artistiques fondamentaux. Si, dans des conditions historiques particuliéres (a la fin de l’Antiquité par exemple, ou a la Renaissance) on voit se présenter le cas d’un édifice ott Ja paroi et la colonne s’unissent harmonieusement, un « nouveau » probléme artistique surgit qui, par rapport aux pro- blémes fondamentaux, est un probléme particulier, capable cepen- dant d’engendrer plusieurs autres problémes particuliers dans la mesure oit ses différentes solution (« baroque » ou « classique ») peuvent a leur tour étre confrontées » 50, C’est ainsi que se fait sentir la nécessité d’une étroite colla- boration entre recherche historique et recherche théorique. Au cours de l’analyse d’une ceuvre ou d’un cycle d’ceuvres, la réfé- rence constante a un sysféme stylistique unitaire, pose donc le probléme du dialogue entre le phénoméne artistique, achevé et déterminé, faisant partie du « rapport historique de cause a effet », et la nécessité de comprendre ce méme phénoméne en le soustrayant ‘A ce rapport pour le comprendre « au-deld de la relativité historique, comme une solution, étrangére au temps et au lieu, d’un probléme étranger au temps et au lieu » 51, L’essai de Panofsky sur le « rapport entre V’histoire de l’art et la théorie de I’art » date de 1925. Il devance de manidre impressionnante les polémiques entamées actuellement entre les différentes acceptions du structuralisme. Le caractére abstrait mais nécessaire de ce qu’il appelle — comme Wilfflin — les « concepts fondamentaux » de la « théorie de I’art » est souligné et précisé dans sa polémique avec 50 Ibid. 51 Ibid. 258 Dorner. Celui-ci l’avait violemment attaqué, niant toute validité a une conceptualisation de l’historiographie artistique. L’empirisme de Dorner est caractéristique de toute critique « impressionniste » qui s’oppose a une critique vérifiable. La réponse de Panofsky transparait encore aujourd’hui dans les ana- lyses détaillées auxquelles les concepts de « code » ou de « struc- ture » sont exposés de la part des critiques non dogmatiques 52. S’adressant 4 Dorner qui considérait l’application de con- cepts fondamentaux comme une « usurpation de la légitimité de Vhistoire », Panofsky répondait que : « Sil’on part de la... définition (donnée) de la valeur artisti- que cette usurpation n’aura pas lieu, du fait que ce qui doit étre saisi avec l’aide de ces concepts fondamentaux se trouve, en réalité, dans le méme rapport que celui qui existe entre le « cas » et le « phénoméne ». C’est Ja raison pour laquelle je suis parfaitement d’accord avec lui lorsqu’il refuse 4 Ia « construction conceptuelle » que je propose, un caractére de réalité — un caractére que je n’ai jamais prétendu, que je ne prétendrais jamais lui attribuer » 53, Ceci revient 4 dire que la construction des codes d’interpré- tation est un acte artificiel, qui n’est justifié que parce que leur confrontation avec les ceuvres fait réagir les phénoménes artis- tiques ; plus précisément elle les fait parler. La critique la plus récente a négligé les problémes posés par Panofsky, héritier du « visibilisme pur », pour se concentrer sur le Panofsky chercheur et théoricien de l’interprétation icono- logique. Ceci est symptomatique. Pourtant, on ne peut pas comprendre I’importance de Panofsky dans l’histoire de la critique d’art moderne, si l’on ne rappelle pas que toute son activité d’historien balance entre deux types d’analyse qu’il n’arrive pas a intégrer: l’analyse des sys- témes des signifiants (dont les bases théoriques sont parfaitement 52 Cf. aussi A, Dorner, Die Erkenntniss des Kunstwollens durch die Kunstgeschichte, in : « Zeitsch. f. Aesth. u. all. Kunstwiss.», XVI, 1920, Pp. 216 et suiv. La réponse de Panofsky fut publiée comme une note a l'article cité précédemment. Cf. aussi : ALDO MASULLO, Kunstwollen e intenzionalita in E, Panofsky, in : « Op. cit.», 1965, n° 3, pp. 46 et suiv. 59 B. PANOFSKY, op. cit, 259 exprimées dans l’essai de 1925 cité plus haut), et I’analyse des systémes des significations. Sous cet angle de vue, Panofsky peut, non seulement étre Iu & la lumiére des tout derniers problémes posés par les analyses rigoureusement fidéle aux prémisses d’oit elle tire ses origines, un véritable test méthodologique. Les recherches sur les structures formelles une fois séparées de celles qui concernent leurs significations, leur rapprochement a posteriori est impossible: c’est l’enseignement que semble donner l’ceuvre de Panofsky, La séparation entre iconologie, iconographie et critique est en effet postulée par Panofsky comme premier temps de la recherche. Mais son ceuvre historiographique démontre par elle- méme ceci: premigrement que cette séparation ne peut jamais tre menée jusqu’au bout ; deuxigmement, que les différents para- métres interférent de toute fagon entre eux, faisant continuelle- ment dévier la direction de la recherche 54. On peut alors soupgonner que la relation entre 1’élément symbolique et son « référent », son signifié spécifique n’est pas tout compte fait aussi déterminante pour la lecture des ceuvres ou des cycles artistiques, méme s’ils sont profondément impré- gnés de symbolisme. 4 Sur ce theme cf. : PANOFsKY, Meaning in visual Arts ; Papers in and on Art History, 1955; trad. frangaise : L’euvre d’art et ses significations, Galli- mard, Paris, 1969, et Studies in Iconology, Oxford University Press., 1939. A ce sujet, sont intéressants les résultats de I’Inchiesta sul simbolo nella cultura italiana, réalisés par RuBINA Giorat, publié dans « Marcatré », 1966, n° 19-22, et 1967, n° 30-33. (Interventions de : Maria Corti, Mario Costanzo, Emilio Garroni, Eugenio Battisti, Maurizio Calvesi, Diego Carpitella, Antonella Guaraldi, Filiberto Menna, Manfredo Tafuri), oii les limites & la vogue icono- Iogique furent soulignées. Cf. aussi : Ezio Bonrantt, Iconologia e architettura, in « Lineastruttura », 1967, n° 1-2, pp. 12-17. Dans le volume de RUDOLF AxNuEMm, Art and Visual Perception. A Psychology of the Creative Eye, University of California Press, Berkeley and Los Angeles, 1954, est tentée l’absorption des thémes iconolo- giques a l’intéricur d’une technique d’analyse fondée sur Ja psychologie de la Gestalt, avec des résultats & notre avis assez malheureux et faiblement uti- lisables. 260 Disons plus précisément que l’analyse iconologique parvient a saisir la dimension symbolique spécifique de certains systtmes de communications historiquement bien définis, beaucoup mieux que la signification propre des ceuvres isolées. Reconnaissant l’existence d’une « forme symbolique » spéci- fique, dans la représentation perspective, Panofsky a pu confir- mer historiquement et objectivement qu’aucun fossé ne sépare Jes facons de représenter la réalité et les fagons de « construire » la réalité elle-méme. La perspective curviligne, celle & « axe de fuite », et celle de la Renaissance dont le point de fuite est unique, corres- pondent & des systémes de vision et de construction du monde différents. Ils définissent différents cycles artistiques, ainsi que les lois qui leur sont inhérentes. L’attitude adoptée vis-a-vis de la perspective devient donc un élément du jugement historique : « La vision perspective, écrit Panofsky, interdit a Part religieux cette région du magique [...]; mais elle ouvre a cet art religieux une région tout 4 fait nouvelle, celle du « visionnai- re » oi le miracle devient alors l’expérience immédiatement vécue par le spectateur, les événements surnaturels faisant pour ainsi dire irruption dans l’espace visuel, apparemment naturel de ce spectateur et le « pénétrant » 4 proprement parler de leur surna- turalité grace a cette irruption méme. Elle lui ouvre aussi la région du psychologique, entendu en son sens le plus élevé, ot c’est plutét dans l’Ame de la personne représentée dans l’couvre dart que s’accomplit alors le miracle » 55, Il existe donc une signification propre 4 la perspective, en tant que technique de représentation contenant des valeurs sym- boliques et en méme temps code de lecture du monde. Panofsky remarque qu’a la Renaissance : « [La perspective] pousse si loin la rationalisation de l’im- pression visuelle du sujet que c’est précisément cette impression subjective qui peut désormais servir de fondement a la construc- tion d’un monde de l’expérience solidement fondé et néanmoins «infini », au sens tout 4 fait moderne du terme. Alors que la 55 E, PANOFSKY, op. cit., pp. 181-182, 261 fonction de la perspective de la Renaissance pourrait se comparer & celle du criticisme, on pourrait mettre en paralléle la fonction de la perspective romano-hellénistique et celle du scepticisme. En fait, on avait réussi 4 opérer la transposition de l’espace psychophysiologique en espace mathématique, en d’autres ter- mes, l’objectivation du subjectif » 56, L’espace psycho-physiologique est exclusivement le lieu des faits, sans valeur symbolique. L’espace mathématique est le résul- tat d’une opération intellectuelle de projetation du milicu humain, auquel on donne ainsi un sens. En greffant les analyses de Panofsky sur les études de Piaget et Wallon sur la genése de la notion d’ « espaces », Pierre Francastel tentera par la suite d’im- poser une histoire de l’art réflétant les trois niveaux de la représen- tation spatiale : topologique, projectif et perspectif 57. Bien que discutable, l’hypothése de Francastel confirme la thése selon laquelle l’espace n’est pas, a priori, une « donnée » de la cons- cience, mais le produit d’une construction mentale et variable (parce que subjective), liée aux conditions intellectuelles et sociales des différents moments de Vhistoire. La notion d’espace est, par conséquent, un élément consti- tutif des codes artistiques, mais aussi du comportement commun, Si, comme on l’affirme communément, un code est un « systd- me d’attente », les analyses de Panofsky permettent d’établir un pont — extrémement utile 4 la compréhension de l'art et de Varchitecture contemporains — entre l’espace de la vie et l’espa- ce de l’image. Dans les travaux de Panofsky, l’analyse du probléme de la perspective prend donc le caractére d’une recherche structurale. De plus, le fait d’avoir rapproché des modes de représentation éloignés dans V’histoire et de significations différentes, permet au chercheur de saisir, derritre des formes analogues, des con- tenus différents. Panofsky agit de la méme manitre lorsqu’il aborde des problémes plus strictement linguistiques. 56 Ibid., p. 159. 5? Cf. Prerre FRANCASTEL, Espace génétique et espace plastique, in : « Revue d’Esthétique », 1948, I, n° 4, pp, 349 et suiv.; Id. Peinture et Société. Naissance et destruction d’un espace plastique, Ydées — Arts Gallimard, 1965. 262 L’analyse qu’il fait des structures de l’architecture gothique dans leur rapport aux formes de la pensée scolastique va au-dela d’un iconologisme orthodoxe. Une lecture attentive indi- que d’ailleurs qu’elle dépasse certainement les critiques qu’on a voulu lui faire en n’y voyant qu’une recherche naive de corres- pondances faciles entre architecture et spéculation philosophi- que 58, Voir dans l’essai de Panofsky une recherche de caractéres communs & la pensée philosophique et 4 la praxis architecturale, serait commettre une grave erreur. Ce qui transparait plutot dans tout le texte — ce qui est méme en partie explicité 59 — c’est que la recherche iconologique veut, dans ce cas, mettre en lumiére un code intersubjectif de valeurs qui est sous-jacent & toute la condition morale du Moyen Age gothique. En premiére analyse, peu importe que l’adhésion a ce code soit consciente chez les philosophes de la Sorbonne ou de ’Ecole de Chartres, semi- inconsciente chez des maitres tels que Robert de Luzarches ou Pierre-le-Loup, et tout 4 fait inconsciente chez les maitres magons ou dans I’utilisation de la cathédrale par toute la population. Dans ce cas, le véritable probléme qui se pose Panofsky est identification de la structure spécifique d’une période de histoire et pour la déterminer, l’historien devra supposer une unité, méme relative. «..,et si Phistorien désire vérifier l’existence de cette unité au lieu de se contenter de la postuler, il lui faut rechercher et découvrir les analogies intrinstques entre des phénoménes aussi disparates en apparence que les arts, la littérature, la philo- sophie, les événements sociaux ou politiques, les mouvements religieux... etc. Pareille intention louable et méme indispensable en soi a conduit a une recherche de paralléles dont les aléas ne 58 Cf. E. PANoFsKy, Gothic Architecture and Scholasticism, Wimmer Lec- ture, 1958; The Archalbey Press, Latrobe (Penn.), 1951; trad. francaise. Architecture gothique et Pensée Scolastique, Ed. de Minuit, Paris, 1967. Sur le méme théme, cf. : PANorsky, Abbot Suger on the Abbey Church of Saint- Denis and Its Art Treasures, Princeton, 1946; et Postlogium Sugerianum, in «Art Bulletin», XXIX, 1947, trad. francaise in : Architecture gothique... On trouvera une critique & Architecture Gothique dans : PAOLO MARCONI, Art Ogival in: « Marcatré », n° 8-9-10. 88Cf, E. PANOFSKY, Architecture Gothique..., introduction et § I et HI. 263 sont que trop évidents. Nul ne pouvant dominer qu’un domaine étroitement limité, on est contraint de recourir 4 une information incompléte et souvent de seconde main lorsqu’on s’aventure ultra crepidam. Rares sont ceux qui peuvent résister a la tentation d'ignorer ou d’infléchir légerement les lignes rebelles au paralli- lisme et le parallélisme le plus authentique ne saurait satisfaire complétement si I’on ne sait en rendre raison. Il n’y a done pas lieu de s’étonner qu’une nouvelle tentative sans prétention pour mettre en relation I’architecture gothique et la scolastique soit condamnée 4 recevoir un accueil soupconneux, tant chez les historiens de l’art que chez les historiens de la philosophie » 60, Entre les théses développées par Antal dans son ouvrage sur la Peinture florentine et son environnement social au XIV* siecle et au début du XV°, et celles de l’Architecture Gothique de Panofsky, l’opposition est donc insurmontable. Antal adopte les critéres de la critique sociologique. Panofsky, au contraire, ne postule pas un rapport de cause A effet rigide entre Ja dialec- tique sociale et I’histoire de l’art, mais il oriente plutét sa recher- che vers Ia découverte des structures communes & la pensée, aux meeurs, aux mythes qui se manifestent méme en profondeur et 4 Vidéologie architecturale “1, Ainsi Panofsky peut trés bien admettre que ni Pierre de Montereau, ni Robert de Luzarches, ni Hugues Libergier, ni aucun autre maitre des grandes cathédrales gothiques n’aient lu 9 bid. p. 69. 61 Cf, Freperick ANTAL, Florentine Painting and its Social Background, Routledge and Kegan Paul Ltd., London, 1947; On trouve une critique sur Anrat dans : C. BRANpI, Le due vie cit., pp. 96-98. « Entre la période 1130-40 et 1270 — écrit Panofsky (op. cit.,) p. 83 — on peut observer... une connexion entre l'art gothique et la scolastique qui est plus concréte qu’un simple « parallélisme » et plus générale cependant que ces « influences » individuelles (et aussi trés importantes), que les conseillers érudits exercent sur les peintres, les sculpteurs ou les architectes. Par opposition 4 un simple parallélisme, cette connexion est une authentique relation de cause a effet; par opposition 4 une influence individuelle, cette relation de cause a effet s’instaure par diffusion plutdt que par contact direct. Elle s’instaure en effet par la diffusion de ce que T’on peut nommer, faute d’un meilleur mot, une habitude mentale — en rame- nant ce cliché usé a son sens scolastique le plus précis de « principe qui régle Vacte », principium importans ordinem ad actum (St Thomas d’Aquin, Summa Theologiae)». La relation de cause A effet assume ici pour Panofsky une signification trés particulitre qui justifie notre interprétation de son texte. 264 les écrits de Gilbert de la Porrée, de Saint-Thomas ou des phi- losophes de I’école de Chartres ©. Pour lui, ce qui est important, c’est plutot d’établir que la philosophie scolastique aussi bien que les méthodes des mai- tres gothiques partent des mémes mécanismes de I’intellect, d’une méme fagon de voir la réalité, de la lire, d’agir sur elle. Aussi, lorsque dans la méthode de composition utilisée par les maitres gothiques, Panofsky retrouve les mémes principes darticulation que ceux des Summae théologiques — de la subdi- vision en partes, membra, quaestiones, distinctiones, et articuli, aux schémas des disputationes, comme le fameux « videtur quod — sed contra — respondeo dicendum» —, non seulement il pénétre la structure intime de l’architecture des xI° et xiI* sid- cles, mais il articule également sa lecture en reconnaissant la nature historique et dialectique de cette structure 6, En cernant les points de sa recherche, Panofsky sait bien en effet que l’unité historique de la période qui l’intéresse n’est pas quelque chose d’abstrait, d’immobile dans le temps, mais un processus, un enchainement de faits, un ensemble d’événements, déterminé par les idéologies des classes dominantes. Si le probléme de la rosace sur les fagades ouest peut tre considéré comme une des quaestiones principales de l’archi- tecture gothique, la succession des solutions dans les cathédrales gothiques de St Denis, de Laon, de St Nicaise 4 Reims, répond A une véritable Disputatio qui s’est déroulée 4 1’épo- que entre leurs constructeurs respectifs, selon le schéma dia- lectique classique du videtur quod (rosace isolée et non reliée & Vorganisme, de St-Denis), sed contra (solution organique de Laon), respondeo dicendum (solution « finale » donnée au pro- bl&me par Hugues Libergier & St Nicaise de Reims ott les deux expériences précédentes — et opposées — s’harmonisent en une brillante synthése). Panofsky démontre que les processus mentaux traduits par les structures de la pensée scolastique sont les mémes que ceux qui se cachent dans les structures des grandes cathédrales. © E, PANOFSKY, op. cit., p. 115 et suivantes. ® A ce sujet, considéré sous un angle plus strictement philosophique, of. R. Assunto, La critica d’arte nel pensiero medievale, Yl Saggiatore, Milano, 1961. 265 Les études fondamentales de Panofsky souffrent pourtant, elles aussi, de limites objectives. Une fois défini le rdle de la perspective antique, médiévale ou humaniste et une fois reconnue la dialectique figurative de l’espace gothique, reste le probléme de Vutilisation de cette analyse. Comment ces recherches globales peuvent-elles pénétrer dans une histoire de Varchitecture comme idéologie spécifique ? Et de quelle fagon la lecture des ceuvres par l’interprétation symbolique peut-elle se transformer en une lecture globale ? Le symbolisme étudié par Panofsky repose sur des données que l’on peut vérifier. Il s’agit des grands systémes symboliques de l’Antiquité et de ceux qui ont été codifiés par I’Iconologie de Ripa, par I’ Emblematum liber de Alciatus ou par le Cannoc- chiale aristotelico de Tesauro qui sont & la base des lectures de Ja critique iconologique. L’art post XVIII° est-il vraiment tout & fait a-symbolique ? Jusqu’a quel point l’angle droit * de Mondrian, de Mies ou de Le Corbusier n’est-il pas 4 son tour un symbole, comme l’espace fluide de Wright ou la « mise en objet » de Kahn ? Mais alors, les limites des recherches iconologiques ne deviendraient-elles pas des carences méthodologiques ? Et com- ment sauvegarder la validité des prémisses de Cassirer dans un cadre de réflexion qui ne sépare pas artificiellement mythes et symboles classiques des « nouveaux symboles » et des « nou- yeaux mythes » de l’univers technologique ? Gombrich a récemment dénoncé les déformations de l’icono- logisme. L’origine de cette dénonciation devrait donner beau- coup a réfléchir, en particulier aux chercheurs actuels de notre pays, derniers venus & cette méthode d’analyse. « Tout Je domaine de I’allégorie et de la représentation emblématique, écrit Gombrich, dont on s’écartait il y a encore quelques années comme d’une obscure pédanterie, est aujour- dhui trés & I’honneur. La chasse au sens symbolique menace méme de devenir 4 la dernitre mode dans l’activité scienti- tique » 64, * En frangais dans le texte, 4 E. Gompricn, Von Wert der Kunstwissenschaft fiir die Symbolforschung, in : Wandlungen des Paradiesischen und Utopischen, Berlin, 1966. 266 Gombrich se propose justement, par la suite de redéfinir et de préciser les significations du terme « symbole ». Il place d’une part les acceptions de Hobbes et de Peirce, pour lesquelles il existe une coincidence entre logique des signes et logique symbolique 6 ; de l’autre, les interprétations des écoles fran- gaises et allemandes qui ne reconnaissent une valeur symbolique qu’a des signes capables de servir de véhicules & certains sens non traduisibles par d’autres signes. Rejetant I’acception des deux premiers théoriciens cités, Gombrich — qui trouve que I’extension excessive du concept lui Ste toute fonctionalité — reconnait que « tout mode d’expression symbolique ne fonctionne qu’a l’intérieur d’un syst&me compliqué d’alternatives possibles qu’on ne peut interpréter peut-étre que dans une certaine limite. Mais une traduction juste ne peut étre donnée que dans des cas exceptionnels de coincidence fortuite des deux systémes » 6, Pour la critique historique de l’architecture, la chasse au sens symbolique est déja devenue une mode culturelle. On ne s’en plaindrait pas si ce phénoméne se limitait @ effectuer pru- demment et en profondeur l’opération préparatoire & l’interpré- tation historique. A Vorigine, c’était bien ce qu’entendait faire Panofsky lorsqu’il définissait les taches spécifiques des études iconolo- giques. 85 Cf. E, Gomrici, op. cit., pp. 76 et suiv. 88 Jbid., p. 79. GomBricu dans son Psychoanalysis and the History of Art, rapporte un passage significatif de Ernest Jones sur la théorie du symbolisme ot est identifié avec clarté le double processus d’approfondissement & I’intérieur d’un systéme de valeurs et de saut critique vers les nouvelles valeurs, qui caractérise, pour Jones, toute institution humaine. «D’un cété, nous avons un développement ou une transposition d’inté- réts et de compréhension d’idées plus anciennes, plus simples, et plus primi- tives, etc... & des idées plus difficiles et plus complexes qui sont dans un cer- tain sens la continuation des idées précédentes et qui en sont aussi le symbole; de l’autre, on démasque continuellement ces symboles; et l’on reconnait que ceux-ci, que I’on prenait autrefois a la lettre, ne sont plus a y regarder de plus prés, que des représentations ou les faces d’une vérité qui peuvent pour des raisons affectives ou intellectuelles se présenter isolément a ’esprit & un moment donné. » Cf. Ernest Jones, Papers on Psycho-Analysis, London, 1948, pp. 87 et suiv, 267

You might also like