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Mediation
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ontdlectuelle).
Introduction
1. Jean-François Six, Véronique MusSAuo, Médiation, Paris: Seuil, 2002. Jean -François Six, « La mé-
diacion des m édiateurs >>, in Yves MICHAUD, Qu'est-ce que la société?, Universicé d e tous les savo irs,
Paris, Odile Jacob, 2000.
2 . Pau l RAssE, «La M édiation, entre idéa l chéorique et appli cation pratique>>, Recherche en commu-
nication, n° 13, 2000, p. 38.
6 La méd iation cu lturelle
on conclure, à la manière d'un Joseph Beuys pour l'art, que tout homme est
médiateur ? Cette vision extensive de la médiation cache mal le niveau de so-
phistication auquel sont parvenus les agents spécialisés dans un certain type
d'approche liée à ce secteur. Si les formations disponibles sur le marché du
travail sont encore m al définies, en regard de celles qui s'offrent au x artistes
ou aux scientifiques, il convient de reconnaître que, progressivement, un cer-
tain ch amp de pratiques et de connaissances s'est dégagé, san s pour autant
que l'o n puisse parler d'une discipline à part entière. C'est donc à partir de
nombreux savoirs différents que la médiation culturelle s'est construite, et
c'est surtout à partir de ses pratiques et de ses praticiens. C'est aussi la raison
pour laquelle, elle est complexe à appréhender.
Si le nombre de médiateurs culturels - qui se présentent comme tels ou
qui sont intégrés dans cette catégorie - ne cesse d'augmenter, il convient de
reconnaître combien le con cept demeure flou, tant les m étiers apparaissent
comme très diversifiés, liés à de nombreux champs parfois fort cloisonnés .
Les limites du champ formé par ces spécialistes sont loin d'ê tre bien cernées ;
il n'y a actuellement pas de réelles statistiques sur la m édiation culturelle, et
les associations profession nelles d u secteur sont encore à l'état embryonnaire.
Malgré les apparences, la médiation culturelle n'est, au sens sociologique du
terme, pas une profession 1• Cette tâche est pourtant loin de ne représenter
qu'une part co ngrue des organisations qui ont engagé des médiate urs . Sans
doute un certain nombre d'autres professionnels trouvent- ils quelques avan-
tages à ignorer l'amplitude d e cette pratique professionnelle, sinon ce métier,
afin de m ieux l'englober et s'en réclamer. Notre propos ne visera auc une-
ment à é tablir, d e manière arbitraire (et artific ielle), les frontières d u champ
que no us souhaitons décrire ici. Nous tenterons plutôt de comprend re les
concepts de base à partir duquel ce d ernier s'articule, afin de mieux déter-
miner les dimensions du phénom èn e et les domaines auxquels il se rattache.
M is à part quelques enquêtes à l'échelle régionale2, on ne dis pose pas
de statistiques gén érales concernant le nombre de média teurs culturels en
France ou à l'étranger. L'entreprise s'avère par ailleurs difficile: que convien-
tlraiL-il de comptabiliser ? Si certains professionnels ou béqévoles travail-
lant da n s d es organisations c u lturelles se reconnaissent comme médiateurs,
d'autres n'utilisent pas ce terme, p endant que de très nombreux res ponsables
de très petites organisations se prése ntent à la fois comme médiate urs, admi-
nistrateurs et concepteurs.
Chaque année, pourtant, plus d'un millier d'étudiants sortent d'écoles ou
de départements formant à d es activités de médiation culturelle. Tous n'opé-
1. Bruno PEQUIGNOT, « Socio logie et méd iatio n cultu relle », L'observatoire, la revue des politiqi1es cultu-
relles, 2008, 32, p. 3-7.
2. Jean Ü AVALLON, Karine T AUZIN ( d ir. ), État des lieux des professionnels de la médiation culturelle en Rhône-
Alpes, rapport d ' étud e, associa t ion Médiation Culturelle, février 2006.
1ntroduction 7
reront pas dans ce secteur, mais leur nombre suffit à montrer son impor-
tance. Pourtant, à l'inverse des sciences économiques, de l'histoire de l'art ou
de la sociologie, la médiation culturelle ne constitue pas un champ scienti-
fique, ni même professionnel, à part entière. Bien que plébiscitée par les pou-
voirs politiques, dans une logique de démocratisation culturelle, elle n'a que
peu de reconnaissance institutionnelle: s'il existe des services de médiation
culturelle, les codes ROME de Pôle emploi' ne la présentent que de manière
laconique en l'amalgamant aux interventions socioculturelles. Les champs
d'intervention cités sont uniquement dans cette catégorie2 • Le concept de
médiation, à première vue assez clair, demeure flou à tel point qu'il n'est pas
facilement traduisible dans d'autres langues. Il importe, dans un tel contexte,
de répertorier le type d'activité que l'on peut y ranger de manière plus ou
moins aisée, mais aussi de s'interroger sur le choix de ce terme ainsi que de
ceux qui lui sont plus ou moins accolés, tant en français que dans d'autres
langues.
1. La strncwre du ROME (répertoire opérationnel des métiers et des emplo is) est composée de
fiches métiers reAétant les évolutions du marché du travail. Voir http:// www.pole-emploi.fr/ca n-
d idat/le-code-mme -et-les-fiches-m etiers-@/suarticle .jspz? id-15734
2 . http://www2 .pole-emploi.fr/rome/pdf/FEM_ K1 206.pdf
3 . Jean CAUNE, La Démocratisation culturelle, une médiation à bout de souffle, Gr·enoble, PUG, 2006,
p. 132.
8 La médiation cu ltu rell e
1. Vo ir Phili ppe LANE, Présence française dans le monde. L'action culturelle et scientifique, Pa ris, La Docu-
menta ti o n fran çaise, 20 11.
2 . Col lectif, Polit iq ue cu lrurelle internationale , Internationale de l'imaginaire, n ° 16, Paris, Babel,
200 3.
3. Voir h ttp ://www.d ip lo ma tie .gouv.fr/ fr/ les-m inistres·et-le-m inistere/ m issions-et-orga n isatio n/
action s-exteri eu res/ article/ resea u-cu lru re 1
14 La médiation culturelle
1. Pierre BouRDIEU, Jean-Claude PASSERON, Les héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Éd. d e Minuit,
1964.
Introduction 15
1. Q u 'il ne fa ut en a ucu ne manière confo ndre avec la méd ia tion fami liale, qui a pour tâche inverse
de renouer les liens distendus au sein d ' une famille (en raison d ' un divorce, d'un e séparation o u
de conflits familiaux) .
16 La méd iatio n cu lturelle
1. Cécile CA~I ART, « L' œuvre , l'anisce ec le médiaceur », Raison présente, 177, 2011, p. 61-69 .
Introduction 17
rait être traduit par « intégration sociale », est évoqué le grand nombre
d'actions différentes destinées à inclure, par la culture notamment, des
populations minorisées ou fragilisées : communautés étrangères, sans do-
miciles fixes, prisonniers, m alades ou personnes âgées, etc. Forgé à partir
du concept d'exclusion sociale, celui d'inclusion vise à réintégrer, au sein
de la société, ces couches de po pulations minorisées. Cette demande est
ancienne . Le rôle social des musées, par exemple - mais on o bserve la
même chose po ur les bibliothèques - est revendiqué par ceux-ci depuis
le premier tiers du xx• siècle au moins1. Un rapport publié en 2000 par le
Group fo r Large Local Authority Museums (GLLAM2), sur l'intégration
sociale, résume les fonctions que ces derniers peuvent jouer en la matière :
avoir une influence sur le dé velo ppement personnel des individus ou sur
une communauté, dénoncer les attitudes envers certaines minorités ou
mettre en valeur leurs richesses, promouvoir des habitudes d'hygiène ou
sanitaires (une pratique qui remonte au x 1xc siècle, avec les expositions
sociales) , proposer de nouvelles voies de formation, organiser des stages
favorisant l'envie d'apprendre, combattre le crime en travaillant avec des
délinquants, etc.
- Cultural p romotion. Parallèlem ent au terme de développement culturel,
l'é quivalent de celui, en français, de promotion culturelle a été proposé
récemment pour traduire celui de médiation 3. Son équivalent, en fran-
çais, vise plutôt à ancrer la culture dans une o ptique de mise en marché,
l'un des piliers du marketing étant justement son aspect de promotion,
dans lequel on regroupe to utes les activités de publicité et de communica-
tion. Mais, d'une certaine manière, la médiation n'est pas éloignée de tels
principes, qui visent à mettre en contact des produits avec leur marché,
par le biais de m écanismes plus ou moins sophistiqués et, notamment, de
médiation humaine. ·
La liste pourrait être plus longue. Dans une synthèse d'études conduites
dans le champ de la culture scientifique en Europe, Olivier Richard et Sarah
Barrett remarquent que « L'absence de consensus dans les activités prati-
quées s'illustre dans la très grande diversité de dénominations d u métier à
travers l'Europe, obligeant m ême l'usage de néologismes pour les traduire fi-
dèlement: moniteur, animateur, guide, opérateur, "explicateur'; présentateur,
1. T heodore L. Low, The Museum as a Social Instrument, New York, American Association of Muse-
ums, 1942. ·
2. Eilean HooPER-GREENHIL et al., Museums and Social Inclusion - The GLLAM Report, Leicester, Univer-
sity of Leicester, Octob er 2000, p. 23-2 4. Dis pon ib le sur Internet : http://www2 .le.ac. u k/ d epa rt -
me nts/ muse u mstud ies/ rc mg/projec ts/ sm al l-muse u ms-and-soc ial- inclusio n/ GLLAM%201nterior.
pdf (consultation février 2012)
3. Nicolas Auaou1N, Frédéric KLETZ, Olivier LENAY, « Médiation cu lturelle: l'enjeu de la gestion de s
ressources humaines», Cultures études, 2010/1. Disp onible sur internet: http://www2 .culture.
gouv.fr/culrure/deps/ 2008/pdf/cetudes-2010-1.pdf (consultation novem b re 2011 )
1ntroduction 19
1. Un résumé de l'étude a été réalisé par Olivier R1CHARD et Sarah BARRETT, « Les Médiateurs scien-
tifiques en Europe: une diversité de pratiques, une communauté de besoins », La Lettre de l'OCIM,
n° 135, mai-juin 2011, p. 5-12.
2. Nicola s AuBOUIN, Frédéric KLETZ, Olivier LENAY, «Encre co ntinenc et archipel. Les configurations
professionnelles de la médiation cu lturelle», document de travail du OEPS 2009- 1, octobre 2009.
Une synchèse de l'étude est disponible en ligne: http://www2.culture.gouv.fr/ culture/deps/2008/
pdf/cetudes-2010-1.pdf
3. Jean ÜAVALLON, Karine TAUZIN (dir. ), État des lieux des professionnels de la médiation c11/t11relle en Rhône-
Alpes, rapport d'étude, février 2006. Enquête portant sur 154 structures muséales, patrimoniales,
de culture sciencifique et d'art concemporain, avec un taux de retou1· de 66 %.
20 La médiation culturelle
1. Marie-Christine BORDEAUX, La médiation culturelh! dans les arts de la scène, thèse de doctorat, sous la
d irection de Jean Davallon, Université d'Avignon, 2003.
2. http ://www.culturepourtous.ca/forum/ 2008/PD F/11 _Bordeaux.pdf
3. Nathalie MoNTOYA, Médiateurs et dispositi{S de médiation culturelle: contribution à l'établissement d'une
grammaire d'action de la démocratisation de la culture, sous la direction de Bruno Péqu ignot, Sorbonne
Nouvelle, 2009 .
4. Nathalie MoNTOYA, «Constructio n et circulation d ' ethos politiques dans les dispositifs de mé-
diation culture lle» ( enq uête), Terrains & travaux, 2007 / 2, n° 13, p. 119-135. Téléchargeable su r :
http://www.cairn.info/ revue-terrain s-et-t rava ux-2007 -2-page-11 9 .htm. Voi r également Nathalie
MONTOYA, « Une théorie à l'œ uvre: la m édiation c u lturelle ou la« légitimité» en question », in Les
Arts moyens aujourd'hui, so us la direction de Florent Gaudez, Paris, L' Harmatta n , 2008.
S. Aurélie PEYRIN, ttre médiateur at1 musée. Sociologie d'un métier en trompe-l'œil, Paris, La Documenta-
tion frança ise, 201 O.
6. Olivier RICHARD et Sarah BARRETT, « Les Médiateurs scienti fiques en Europe: une diversité de
pratiques, une communauté de besoi ns », La Lettre de l'OC/M, n° 135, mai-juin 2011, p. 5-12.
Introduction 21
pouvons insister sur quelques points . L'étude montre d'abord une scission
entre deux univers, l'un constitué de médiateurs assumant cette fonction sur
une durée déterminée, un autre constitué d'emploi stable avec des média-
teurs installés dans cette fonction et donc logiquement plus âgés. La moitié
a moins de 30 ans contre 11 % des managers. La population des médiateurs
est également très féminine. Le constat ne surprendrait pas dans les musées
d'art, mais il faut remarquer que le champ de la cult u re scientifique est éga-
lement très féminisé puisque près d e 61 % sont des femmes. Plus de 50 % des
médiateurs interrogés détiennent au moins un master, ce qui relat e un niveau
de diplôme élevé au regard du niveau moyen de diplôme de la po pulation
européenne. Si les deux tiers disposent d'un c ursus en sciences au sens large,
un tiers ont effectué un parcours en sciences sociales ou humaines. Près de
80 % n'ont pas eu de formation spécifique à la communication scientifique.
On constate par conséquent que les formations à la m édiation ne sont pas
encore le lot commun d es professionnels qui l'exercent. Partout, il est re m ar-
qué que la polyvalence et l'adaptation constituent les deux critères fo nda-
mentaux qui qualifient le médiateur. Cette constatation est également faite
par Nathalie Montoya qui a étudié les médiateurs dans le champ du spectacle
vivant 1. Les auteurs des deux études remarquen t que tous se plaignent du
manque de reconnaissance de leur métier et des besoins de formations qui
y sont liées. Si un consensus existe dans la diversité des tâches et des fonc-
tions, c'est que tous au-delà d'un temps de conception éventuel, assument
une partie au moins de le ur temps de travail face au public dans la relation2•
Nous reviendrons plus en détail dans la seconde partie de l'ouvrage sur les
compétences n écessaires que ces différentes études identifient.
L'étude conduite par PILOTS (cf. Fig. 1) explore les représentations que
les acteurs concernés ont de le ur métier. En invitant les personnes interro-
gées, médiateurs ou managers à choisir parmi huit professions qui seraient
les plus proches du médiateur et en attribuant à chacune une note allant
de 0 à 5 selon de degré de proximité (0 étant le plus éloigné), l'étude cerne
aussi les influences sur lesquelles nous revie ndrons dans la première partie
de l'ouvrage. Notons que c'est d'abord un animateur qui apporte du plaisir,
mais c'es~ aussi un scientifique, un guide ou un enseignant, « voire un ar tiste,
si ce n'est un amuseur (entertainer) ». Inversemen t, il est plus éloigné de la
fonction de journaliste ou de manager. Si cette étude conduite, rappelons-le,
dans le champ de la culture scientifique devrait être élargie à l'ensemble des
champs d'intervention des médiateurs pour avoir valeur générale, il demeure
que l'on note que le médiateur doit concilier bien des exigences.
3,5
2,5
1,5
0,5
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La médiation au sein
de la culture
Chapitre 1
La logique de la médiation
1
LA MÉDIATION SEMBLE AUJOURD HUI partout, dans tous les champs du
secteur culturel, voire dans tous les domaines de l'existence. Cela n'est pas
anodin. Le fait que l'on parle de médiation depuis maintenant vingt-cinq
ans, alors que l'on n'utilisait guère ce terme précédemment, est le signe de
quelque chose. Bien sûr, les effets de mode valorisent ou rejettent certains
mots comme des hochets, mais les raisons qui ont vu le développement
du terme « médiation » sont plus profondes. Le rapport que l'on entretient
avec la culture a en effet changé, que ce soit avec des œ uvres artistiques, des
connaissances historiques, un patrimoine, o u des savoirs scientifiques. Car la
médiation culturelle s'intéresse à tous ces domaines et à bien d'autres. Aussi
nous efforcerons-nous de ne pas la réduire aux seuls rapports à l'art, comme
il est trop courant de le faire.
Avant que de nous intéresser à ses origines et aux filiations qui la mo-
dèlent et la déterminent encore en partie, dans le chapitre 2 et à ses évo-
lutions actuelles dans le chapitre 3, nous nous proposons dans un premier
temps de déterminer ses contours et de les questionner avec ceux qui e n
interrogent les fondements . Il n'est rien de p lus stimulant pour l'esprit que les
empêcheurs de penser en rond. Écouter les arguments de ceux qui doutent
de l'intérêt de la médiation, c'est d'une certaine manière nous contraindre à
affûter nos raisonnements et à affiner nos analyses. Il n'est rien de plus stérile
que de s'enfermer clans les idées toutes faites, or c'est justement là ce que vise
la médiation: conduire tout un chacun à s'interroger et à clouter, à remettre
en question ses certitudes. Commençons donc par appliquer la méthode: et
si la médiation n'était qu'une chimère sans intérêt ?
La médiation fait partie de ces termes que l'on se plaît à dire polysémiques,
mots-valises qui attrapent un peu tout et dont il convient de décrypter et de
comprendre la genèse et les filiations. Au risque de ne rien comprendre, o n
ne peut foncer tête baissée et expliquer les métiers, les compétences, l'usage
de la médiation et ses supports, les formations qui y conduisent, aussi bien
que ses effets , sans passer par un travail de compréhension de ce qu'elle fi-
gure. li y a en effet beaucoup d'ambivalences et de raccourcis dans ce que
l'on désigne comme étant de la médiation ; il convient donc de déconstruire
les évidences avant que de prétendre donner des éclairages sur ce qu'elle est.
26 • La médiation culturelle
suffisait, et qui l'affirment parfois encore, notamment dans les centres d'art
contemporain. Il a fallu démontrer l'intérêt des services culturels, de leurs
actions, et même inscrire leur caractère obligatoire dans la « loi musée » de
2002, pour que progressivement les mentalités évoluent, que l'on consente à
y consacrer une partie d u budget. Il n'est pas rare encore que l'on préfère réa-
liser une énième acquisition, chef-d'œuvre dont on ne saurait se passer pour
compléter les collections, plutôt que de m iser sur le développement des ser-
vices au public. Après tout un musée, n'est-ce pas fait d'abord pour conserver
et acquérir, enrichir les collections? Ces explications ont constitué durant
longtemps le discours dominant, avant que puisse être admise la nécessité de
placer les publics au cœur des raisons d'être d'une institution. Entretenir un
patrimoine, soit, c'est utile, mais à quoi cela sert-il si personne ou bien peu
n'en profite ?
Le débat s'avère peut-être plus complexe encore dans le milieu du spec-
tacle vivant. On y o ppose moins le patrimoine, que seraient par exemple les
œ uvres du répertoire, que l'on ne convoque les art istes et la création contem-
poraine. Certes, on comprend qu'il faille développer toutes les facettes, s'em-
parer de toutes les possibilités, et si le service des publics sert le développe-
ment de l'institution en y faisant venir du monde, on souscrit volontiers à sa
présence. Mais dans ce cas on demande fréquemment alors à la médiation
de rester un service de relations avec le public, c'est-à-dire grosso modo de
faire de la com m unication culturelle. Ceci explique bien des ambiguïtés dans
les discussions et les échanges des acteurs au sein d'un lieu. Dès que l'étau se
resserre, que les crédits deviennent plus rares, ce que l'on a consenti à déve-
lopper devient moins évid ent, superfétatoire. Ainsi, entend-on des directeurs
de théâtre déclarer que « le culturel ça commence à bien fai re » et qu'il ne
faut pas grignoter la part consacrée à l'artistique. Si le théâtre existe, c'est
pour y recevoir et y produire des artistes. Et puis comme c'est la part noble
et avantageuse pour le directeur du lieu, comme l'acquisition d'œuvres l'est
pour le conservateur du musée, il est normal que beaucoup y souscrivent.
C'est d'autant plus vrai que sont placés à la tête des institutions des artistes,
comme c'est souvent le cas dans les scènes et théâtres nationaux, plutô t que
des animateurs.
ses semblables ce qu'ils ne parvenaient pas toujo urs à exprimer eux-mêm es,
qu'elle concrétise et incarne un même désir. Elle peut au contraire les éton-
ner, les surpren dre, les dérouter. Peu importe, l'art est multiforme et bien
des causes lui donnent sens et raisons d'être. Ce que nous voulons souligner
ici, sans nous y attarder davantage, car les exemples sont infinis, c'est que ce
faisant, l'art communique quelque chose. Il est donc lui-mêm e médiateur.
« La fonction de l'œuvre est aussi d'être médiatrice d'une idée, d'une vision
du monde, d'un point de vue», commente Serge Saada 1•
Faut-il dès lors ajouter de la médiation à la médiation ? Si l'art est média-
teur, s'il vise à nous transmettre des visions, des idéaux, des manières de se
représenter la vie, la nature ou notre quotidien, que n'est-il besoin d'y ajo uter
un complément ? C'est l'art lui-même, du moins son résultat, issu du travail
de l'artiste, qui suffit à faire médiation entre des visions du monde, la sienne
et les nôtres. Il faut rappeler cette évidence d'entrée de jeu. Le premier sys-
tème de médiati on est l'art lui-même. Et pour les sciences ? Si le débat est plus
complexe peut-être - en tous les cas il semble se poser différemment - nous
pouvons y retrouver les mêmes termes : ce que le scientifique décrypte est
une interprétati on du monde. Faut-il, est-il nécessaire d'y ajouter un inter-
médiaire, entre sa production et notre entendement? Si on comprend que
d'éventuelles tra ductions d'un langage savant ou de spécialistes, soient éven-
tuellement nécessaires, cela nous donne à penser que la métaphore puisse
être la même pour décoder les langages de l'artiste. Mais sans entrer de ce
pas clans ce débat, restons sur cette idée que l'art puisse parler directement et
sans intermédiaire, que n'est-il donc alors besoin de médiateurs? li suffit de
montrer, de donner les conditions de la monstration , de permettre au public
de s'y confronter et de ce fai t l'art porte ses messages.
Après tout, si l'art ne sombre pas dans l'ésotérisme, comme le langage du
savant peut le faire pour le profane, s'il évite l'hermétisme, il devrait se don-
ner de lui-même. N ul besoin de décodeur si l'artiste respecte ce que Jacques
Copeau déjà prescrivait à ses acteurs pour éviter une scission des publics2 . En
mariant deux esthétiques, la savante et la po pulaire, qui s'annulent ou s'enri-
chissent l'une l'autre, on se garde de devenir inaccessible et l'on maintient
des passerelles entre des publics que l'on pourrait perdre sans cela. Il serait
finalement de la responsabilité de l'artiste de demeurer accessible pour nous
épargner des nécessités d'une médiation pour le comprendre. D'autres dis-
cours partent du princi pe que c'est au public de faire des efforts pour se his-
ser à la compréhe nsion des démarches, qu'il est dans la nature de l'art d'offrir
des résistances et qu'il nécessite une volonté, un travail pour se l'ap proprier.
li ne saurait se donner aisément, au risque de sombrer dans le divertissement
1. Serge SAAoA, Et si on partageait la culture? Essai sur la médiation cult11re/le et le pote11tiel d11 spectate11r,
Toulouse , Ed. de l'Actribur, 2011, p. 87.
2. Voir Jean CAUNE, La Culture en actio11. De Vilar à La11g: le sens perdu, Gr·enoble, PUG, 1992, p. 80.
30 La m édiation culturelle
Il existe aussi, bien sûr, des raisons historiques. La médiation culturelle n'a
pris son autonomie, ne s'est émancipée que récemment au cours de l'histoire,
pour d iverses raisons que nous explorerons dans les second et troisième cha-
pitres. Durant longtemps, elle n'a guère existé, l'œuvre suffisant à faire sens.
Ce n'est pas tant que celle-ci soit devenue ésotérique, et qu'on ait désormais
besoin de l'expliquer, ce n'est pas non plus que le public ne dispose plus des
codes pour la comprendre, qu'il s'en trouve éloigné, qu'il ne la connaît pas
ou qu'il s'en désintéresse, mais ce sont toutes ces raisons ensemble et bien
d'autres qui plaident pour proposer une médiation particulière, dite média-
tion culturelle qui n'a même parfois aucun rapport avec l'œuvre elle- même.
Celle-ci n'est là que pour servir de support à d'autres développements et à
des occasions de partage que l'artiste ne soupçonnait pas. La médiation artis-
tique ne constitue qu'une bribe de ce que la médiation culturelle peut exploi-
ter et faire surgir, il y a bien d'autres raisons qui plaident pour son existence.
Prenons un exemple radical (mais tiré de faits réels) pour pointer les écarts.
Faire travailler un groupe de détenus avec un chorégraphe au sein d'un atelier et
les amener à voir quelques reproductions d'œuvres de Matisse et de Picasso évo-
quant le mouvement, ce n'est ni pour en faire des danseurs, ni pour leur asséner
quelques notions d'histoire de l'art. Cela engage d'autres dynamiques, qui sont
d'abord des effets générés dans leur intériorité même. Ce n'est pas pour qu'ils
cherchent à comprendre l'artiste, qu'ils s'approprient sa vision, pas même en vue
d'un quelconque travail de réinsertion sociale ou de volonté thérapeutique, c'est
seulement pour qu'ils puissent exprimer leur part d'humanité. Tout simplement.
Bien sûr la médiation pourra aussi s'attacher à expliquer, à démontrer,
à sensibiliser, à fa ire naître de nouveaux regards sur les propositions que
l'on présente, mais là n'est pas l'essentiel. Lorsque l'on fait lire un passage
de Francis Ponge ou de quelque auteur contemporain au sein d'un atelier
d'écriture, ce n'est ni pour expliquer un auteur, ni pour pousser les partici-
pants à mieux composer, pas même à les inspirer: il s'agit, par des moments
de respiration, de leur donner l'occasion de se confronter à d'autres regards
pour s'attacher à exprimer les leurs avec confiance. Prendre conscience que
d'autres s'autorisent une certaine parole, c'est reconnaître que chacun dans
sa singularité peut s'adonner à faire part de lui-même. Ainsi, le travail de
médiation se présente d'abord comme un travail de prise de confiance en ses
propres capacités, en s'accordant le temps d'aller à la rencontre des autres,
par le biais du travail d'un artiste comme par les relations que l'on peut alors
nouer avec les autres présents dans ce partage. Comme l'assure Victor Hugo
dans lëmulation des esprits, «écartons tout ce qui peut déconcerter les au-
daces et casser les ailes». Car « nous reviendrons encore sur cet encourage-
ment nécessaire, stimulation c'est presque création; oui, ces génies qu'on ne
dépasse point, on peut les égaler. Comment? En étant autre » 1•
1. Victor Huco , « L'Art et la science» in Livre troisième de William Shakespeare, Cercl e du biblio-
phi le, Paris , Jean-Ja cques Pauvert, 1963, p. 88.
32 La médiation culturelle
1. Berna dette D uFRESNE, Michèle G ELLEREAU, « La Média tion culturelle, enje ux professionnels er po li-
tiques», in Hermès, n° 38, 2004, p. 203 .
La logiq ue de la médiation 33
rouler de nos jours, où des enfants expriment leur ressenti devant les œ uvres
dans des salles des musées d'art contemporain. Il y a là deux approches que
l'on ne peut confondre. L'une vise à l'explication, l'autre à l'explicitation.
L'œuvre constitue une occasion d'échanges et de paroles réinvesties par la
force de la rencontre avec l'art.
Il existe bien sûr un rapport de transcendance ch ez Malraux, partagé
par nombre de ses contemporains depuis que l'artiste s'est transformé au
x1xcsiècle en créateur-démiurge. Et puis se côtoient les ambivalences de
l'éducation populaire, les clivages politiques, les manières d'accompagner
les œuvres . Malraux ne croit pas au passage par l'action: là où les tenants
de l'éducation populaire parient sur les pratiques amateurs, le ministre en-
tend au contraire privilégier l'excellence et le professionnalisme. Apporter de
grandes œuvres doit suffire à emporter l'enthousiasm e, à déclencher l'admi-
ration et l'adhésion. Vision kantienne de la transcendance de l'art que l'on
peut contester en prenant conscience des démarches préalables, nécessaires
au surgissement même de la révélation. Certes, une œ uvre peut s'imposer
avec force et frapper l'individu comme l'éclair. Il est pourtant probable que
ce surgissement soudain soit le résultat d'un long travail de sensibilisation
inconsciente qui a permis de voir un jour ce que l'on n'aurait pas vu sans
cela. La sociologie de la culture montre combien les environnements, les ren-
contres, les socialisations invisibles, sont déterminantes dans le parcours des
individus. Que ce soit pour l'artiste ou pour l'esthète, pour l'amateur comme
pour celui qui devient un pratiquant culturel, des conditions sous-jacentes
expliquent le choc esthétique, les révélations, les conversions subites' . Le
fameux « je me suis fait tout seul », « j'ai toujours été habité de telle ou telle
passion » , que l'artiste se plaît régulièrement à asséner relève le plus souvent
de la mythologie.
Si l'on peut percevoir des prédispositions à la pratique, données sur les-
quelles nous reviendrons plus loin, retenons ici que la médiation culturelle
vise moins à expliquer le contenu des œ uvres, même si cela peut être aussi
et parfois le cas, qu'à instaurer un mode relationnel spécifique. Dès lors, et
dans l'absolu, le travail du médiateur ne vient pas en prolongement, comme
approfondissement ou comme explication de texte du travail de l'artiste, il se
situe ailleurs, pour produire fondamentalement autre chose. Il n e faut d onc
voir ni concurrence entre les moyens dévolus à l'artiste et les moyens dévolus
à la médiation culturelle, ni prolongement de l'un par l'autre, pas même com-
plémentarité. O n peut parler d'autonomie, dans la mesure où la médiation
culturelle vise à inscrire dans la vie, pour déployer d'autres possibles entre les
hommes et leur univers, des formes de constructions partagées où l'art lui-
même devient le moyen de médiation des modes de partage. Renversement
1. Pierre BouR01eu, « Qui a créé les créate urs? », in Questions de sociologie, Paris, Ed. de Minuit, 2002 .
34 La médiation culturel le
gation~). Les acteurs de cinéma, pourtant plus habitués aux caméras, peuvent
se sentir dans de mêmes dispositions. Les comédiens de théâtre se plaignent
également, parfois, de ces exercices imposés qui les conduisent devant des
classes de scolaires ou à des rencontres avec « leur » public. En les forçant
à devenir des médiateurs culturels, pour des raisons internes aux établisse-
ments qui les reçoivent, sont générés des résultats plus ou moins heureux.
Surtout, l'artiste a vocation à accomplir ce pour quoi il se met au service, le
plus souvent de son art. Si la médiation esthétique est son domaine, celui de
Ja médiation culturelle ne l'est pas nécessairement. C'est tout à fait son droit
que l'on devrait avant tout respecter.
Pour d'autres sensibilités artistiques en revanche, l'intérêt pour la média-
tion culturelle est tel que l'artiste l'intègre peu ou prou au sein de sa démarche
artistique. Si bien que viennent à fusionner les deux m édiations, puisque
c'est le sens même de la création proposée que de travailler à l'interface avec
des publics. La chose n'est pas anecdotique, elle est même de plus en plus
courante, et ce de manière transversale dans les différentes disciplines artis -
tiques. Se pose alors avec intérêt la question de la place du médiateur. Si l'art
peut être perçu comme force agissante, ce n'est pas dans ses effets générés,
après coup au travers de l'appropriation par la personne qui se confronte au
résultat de la production artistique, mais parce qu'il se prête au jeu de par-
ticiper et de porter son concours à la performance artistique elle-même. S'il
faut toujours un public pour que l'art vive, il est ici nécessaire à sa production
même. En enrôlant l'individu auquel il s'adresse dans le processus de créa-
tion, l'artiste oblige l'implication et crée les conditions d'u ne réception qui est
inséparable de la production des fo rmes.
Dans les arts plastiques, Nicolas Bourriaud a nommé art relationnel, cette
approche qu'il a eu le m érite de repérer comme phénomène artistique autant
que comme phénomène social. Nombreux sont les artistes qui, par leur pro-
duction interactive, impliq uent ainsi le visiteur. Sans implication, pas d'œuvre ..
L'art contemporain en fournit des exemples probants. Esthétique de l'interhu-
main, de la rencontre et de la proximité, il ne s'agit pas seulem ent de travailler
les formes et d'interroger les tenants de la société de communication, il s'agit
d'inscrire l'art dans la vie pour refuser les clivages et les coupures. Refusant
la production artistique pour des consommateurs, il s'agit de développer des
espaces convivia u x de branchements et de mises en relations. Façon de re-
mettre en question les espaces marchands, y compris dans le domaine de l'art,
il convient d'explorer la pratique artistique comme un terrain d'expérimenta-
tions sociales, les œuvres comme« autant d'utopies de proximité » 1•
1· Nicolas B o uRRIAUD, Esthétique relationnelle, Dijon, Les Presses du réel, 2001, p. 1O. Voir· a ussi Paul
A RDENNE,Un art contextuel: création artistique en milieu urbain, en situation, d'intervention, de participation,
Pans, Flammarion, 2009.
36 Â La médiation culturelle
Ce qui se joue dans ces nouvelles formes d'art, consiste moins à placer
un spectateur face à une proposition qu'à installer le spectateur au centre de
celle-ci. Le voici ainsi mené à occuper le cœur du processus créatif par ses
actions et ses interactions, à comprendre l'art par la manière de se l'appro-
prier et de le partager. Œuvre qui disparaît quand les visiteurs en emportent
chacun un morceau, comme ces affiches de Felix Gonzalez-Torres, œ uvre qui
se concrétise au contraire parce que les visiteurs y apportent leur contribu-
tion. Transformation, mutation, métamorphose de ces œuvres qui se modi-
fient au grès des interactions avec elles. Installations d'art vidéo où le visiteur
devient joueur-acteur, performance où il devient voyeur et parfois impliqué
physiquement. C'est la coprésence et la collaboration pour une coconstruc-
tion avec l'artiste, mais aussi avec les autres participants, dans l'instant même
ou dans la durée, qui fournit à l'œuvre sa raison d'être. Inutile de multiplier
les exemples, l'aura des œuvres d'art s'est déplacée vers son public, remarque
Nicolas Bourriaud.
En passant de la production à la mise en avant des processus de création,
puis de l'étude à l'expérimentation, les pratiques artistiques se sont dépla-
cées également de l'expérimentation par l'artiste, via des performances par
exemple, à la sollicitation et à l'implication du spectateur, pour participer à
l'actualisation de l'œuvre, voire à sa construction. Que le regardeur bouge,
danse, interagisse, pénètre dans l'œuvre pour lui donner forme, pour la faire
vivre, pour la créer même, et c'est la relation même scindée entre production
et réception qui se voit réinventée. Un bel exemple est offert par les vête-
ments collectifs de Lucy Orta 1. L'artiste compose des tenues qui ne prennent
sens que parce qu'elles sont habitées et que des participants se prêtent au jeu
d'une déambulation commune. Avec des vêtements qui relient les individus
en un seul corps s'imposent évidemment toutes les métaphores sur les effets
de reliance (pour reprendre l'expression du sociologue Marcel Balle de BaF)
et de corps social noué par un cordon ombilical. Les unités peuvent du reste
se lier et se délier au moyen de fermeture éclairs qui laissent au vêtement
collectif la capacité d'être potentiellement infini.
Citons dans un autre style, cette création placée en espace public, au cœur
de Montréal, de Melissa Mongiat et Mouna Andraos, œuvre interactive so-
nore composée de 21 balançoires qui ne délivrent leur musique qu'à la condi-
tion que des passants s'adonnent à faire de la balançoire! À la manière des
cadavres exquis on peut également évoquer ces créations qui se construisent
par l'apport successif des participants, par des petits mots ajoutés, comme
Ben l'a proposé en gare de La Part Dieu avec le musée d'art contemporain de
Lyon. À la Nef du Grand Palais pour la 28e édition des journées européennes
1. Edmond CoucHoT, L'Art numérique. Comment la technologie vient au monde de l'art, Paris, Flamma-
rion, 2003, en colla boration avec Norbert H 1LLA1RE. Réédition en 2005, collection «Champs».
2. Bertrand D1CALE et Anne G oNON, Oposito. L'art de la tribulation urbaine, Paris, L'Emretem ps, 2 009.
38 La médiation culturelle
1. Voir 10 ans d'action artistiqlle avec la revlle Cassandre, 1995-2005, Cassandre, 2006.
2. Voir la tabl e ronde à ce sujet dans Entre2. La médiation à l'œuvre. Rencontres internationales. PratiqL1es
de médiation en art contemporain . Musée MAC's Grand Hornu Images, 25-28 mars 2004, p . 45-79 .
3 . http ://www.mac-lyon.com/ mac/ sections/ fr/ publics/ rendez-vous/archives/ 201 O/ flash mob
4. T homas H1RSCHHORN, Le Mllsée précaire d'Albinet, Paris, Ed . Xavier Barral, 2005.
La logigue de la médiation 39
Le travail du programmateur
ou du commissaire, travail de médiateur?
L'expérience de Thomas Hirschhorn pour le musée précaire d'Albinet nous
permet d'aborder la question complexe du travail du concepteur de contenu.
Que ce soit comme dans ce cas le rôle du commissaire d'exposition ou dans
les formes qui peuvent s'y appa renter dans d'autres champs culturels, celui du
programmateur - notamment pour le spectacle vivant - n'a-t-on pas affaire
là aussi à des formes de médiation ? Il n'est d'ailleurs pas rare que l'on utilise le
terme de médiateur pour désigner ceux et celles qui, à l'interface avec l'artis-
tique, conçoivent les contenus d'une programmation culturelle 1• Dans cette
perspective, Harald Szeemann ou Pontus Hulten pour l'art contemporain,
Jacques Copeau ou Jean Vilar pour le théâtre, font figure de médiateurs pion-
niers, pour leur rôle de sélectio n des œuvres et des artistes, de metteurs en
scène, d'organisateurs d'expositions ou de festivals. Et parfois - dans le cas de
Szeemann ou de Jean-Louis Barrault par exemple - avec un intérêt très relatif
pour le public. Directeur de structure, commissaire ou curator d'exposition,
ils font des choix de sélection parmi une offre artistique et les proposent au
sein d'un espace à des publics potentiels. Ils ne s'inscrivent pourtant pas en
face à face avec le public, où assez rarement, seulement pour des activités
de représentation et de communication lorsqu'un ministre ou un journaliste
rend par exemple visite à la structure. Ils occupent en revanche, de toute évi-
dence, une position particulière dans le champ culturel, et ne sont pas assimi-
lables à ceux que l'on désigne habituellement comme des médiateurs cultu-
rels. Ce qui ne signifie pas qu'un certain nombre de personnes ne puissent
passer d'un champ à l'autre, par exemple d'activités dédiées au service des
publics à la sphère de la programmation.
Le fait que les mêmes mots désignent des activités et des positions dif-
férentes dans le champ de la culture peut s'avérer fâcheux pour la bonne
compréhension et la clarté des fonctions, mais ce fait n'est ni anodin ni
une conjoncture hasardeuse. Un certain nombre d'éléments historiques
expliquent cette double appellation. D'une part, la médiation culturelle
constitue en quelque sorte l'autonomisation d'une fonction assumée durant
longtemps par une même et seule personne; d'autre part, le travail de pro-
gram.mation lui-même comporte fatalement des aspects de communication
partagés avec le médiateur culturel. « Le concept de médiation, qui se subs-
titue maintenant à celui de communicatio n, le prolonge naturellement. Il le
1· Art, médiation, société. Médiateurs culturels: témoignages et investigations en France, Dijon, Les Presses
du réel, 1996.
40 • La médiation cu lture lle
1. Bernard SCHIELE, Le Musée des sciences. Montée d11 modèle com111unication11el et recomposition du champ
muséal, Paris, L'Harmattan, 2001, p. 93.
2. Elisabeth CAILLET et Daniel JACOBI proposent p our leur part le term e de médiation indirecte pour
qual ifie r les inte1·ve ntio ns des institution s, d es procédu res et des acteurs qu i accompagnent le
projet artistiqu e et de médiati on active les types d 'intervention en di rection des différentes caté-
go ries de pub lics. « Les Médiations de l'art contemporain», Culture et Mi1sées, n° 3, Arles, Actes
Sud, 2004, p. 20.
3. Jean CALINE, La Démocratisation cult11relle, 1111e médiation à bout de souffle, Grenoble, PUG, 2006,
p. 134.
La logique de la méd iation 41
1. Voir les exemples d ans Sylvie l..ACERTE, La Médiation en art contemporain, Trois-Rivières, Ed. d' Art le
Sabord, 2007.
42 La médiation cu lturelle
l'on nomme la m édiation culturelle, et qui ne s'inscrit pas au centre des pré-
occupations de cet ouvrage.
Pour nous résumer, nous pouvons convenir que tous les ac teurs du mi-
lieu culturel fo nt œ uvre de médiation, dan s d es postures et des missions dif-
férentes. Ainsi, ce que l'on a nommé la sociologie de la m édiation montre
combien la vision de l'artiste et de l'œuvre allant à la rencontre du public est
mystificatrice. En réalité, que ce soit du côté de la produc tion ou du côté des
conditions de réception, les « mondes de l'art » 1 et de la culture sont com-
posés d'une multitude d'intermédiaires qui en permettent l'existence. La
promotion, la distribution e t la diffusion, la valorisation, l'interprétation, la
critique, mais aussi la réception au travers des modes de partage que cela
implique, sont autant de lieu x où la médiation se décline de manière diffé-
rente. Les médiations techniques y ont le ur place au travers des institutions
et champ d'expression (salons, biennales, festivals, etc .). C'est à la description
de la complexité de «ces chaînes d'intermédiaires » que se sont attachés par
exemple Antoine Hennion pour la musique, Gérard Mauger pour le livre,
Raymonde Moulin pour le marché de l'art, Nathalie Heinich po ur les arts
plastiques .. .2 A l'illusion de l'immédiateté s'impose la compréhensio n d es
réseaux de médiations multiples, successives et complém entaires nécessaires
à l'existence du champ de l'art et de la culture.
Le lieu médiateur
Nous avons évoqué ci-dessus la mise en forme des contenus comme une acti-
vité de m édiat ion, puisqu'il s'agit de faciliter les compréhensions d'un dis-
cours construit. Nous avons dit aussi que le parcours défini par la trame du
scénario d'exposition nécessitait des choix de mise en a rticulation des conte-
nus. Le parcours se situe d ans l'espace, e t là aussi nous pouvons qualifier la
traduc tion spatiale, sa valorisation formelle comme participant de la compré-
he nsion globale des messages. Ainsi, le scénographe qui valorise physique-
me nt, visuellem ent, sensoriellem ent, qui transforme le scénario prédéfini au
sein du programme muséographique en espace dans lequel le visite ur pourra
vivre une expérience de visite et comprendre le propos, ce scénographe peut
être considéré comme un m édiateur de formes . Car il est vi·ai que son activité
participe, lorsqu'elle est bien conduite, à mieu x faire percevoir les messages
qu'ils soient intellectuels, sensoriels, ém otio nnels que l'é quipe de conception
entend valoriser. Le scén ographe d'un spectacle vivant ou d'une exposition ne
se présente pas com me un sim ple décorateur, il est le porteur, à son échelle,
de la com préhension et de l'accessibilité aux contenus.
Ce qui est vrai de la conception scénographique peut être étendu et com-
pris de m anière plus générale, car c'est le lieu même qui devient le premier
dispositif permettant l'accueil du public. La réflexion qui préside à la créatio n
d'un lieu culturel doit d'abord s'intéresser aux conditions par lesquelles le
public va prend re connaissance de l'existence du lieu, l'identifier, y accéder,
s'y trouver à son aise et l'utiliser. Bref, la réflexion architecturale s'impose
d'emblée. L'architecte participe égalem ent à la médiation dans la mesure o ù
des choix sont opérés qui fac iliten t ou éloignent l'accessibilité et la com pré-
hension1. L'histoire de l'architecture est riche de telles problématiques . Parce
qu'elles sont des lie ux cons idérés comme des éléments important de l'espace
public, les instituti ons culturelles organisent la vie de la cité, d'abord en struc-
turant l'urbanisme de la ville. Élément visuel fort, elles portent une fonctio n
de com m unication et d'incitation à la fréquentation . Du musée des Beaux-
ar ts de Bordeaux et d u théâtre de l'Odéon au Centre Pompidou, à la Mc2 le
Cargo à Grenoble, aux Cham ps Libres à Rennes, en passant par !'Opéra de
Lyo n o u de Lille, le Th éâtre National de Strasbourg ou celui de Villeurbanne,
les lieux culturels portent par leur architecture depuis toujours des fonct ions
symboliques . Em blème de puissance et de pouvoir, magnificence des arts, vo-
lonté de transparence et d'accessibilité, lieu de forum et espace de vie, l'archi-
tec ture traduit le rôle que l'on entend donner à la culture. Selon les époques,
ils vo nt incarner une vision et se mettre au service d'une politique culturelle.
Les musées par exemple, considérés longtemps comme des mo numents
dédiés à la célébration du génie humain, vont être construits comme autant
de tem ples laïcs, imposant le respect au moyen de force colonnades, escaliers
imposants et matériaux nobles. Ces palais, richement décorés, sont chargés
d'une sym bolique rendant un culte aux savoirs et aux arts. Parallèlement,
dès l'origine, on s'interroge aussi sur les moyens de favoriser les conditions
d'exposition et faciliter la compréhension des œ uvres exposées. Au mitant
du xx• siècle, dans un souci de fonct ionnalité mais aussi de désacralisatio n
des rapports aux savoirs, les bâti ments vont se faire plus modestes. Certains
chercheront même à les rendre banals pour s'intégrer sans ostentatio n aucune
dans le paysage quotid ien. Puis reviendra l'époque des architectures monu-
mentales que l'on visite d'abord pour elles-mêmes avant que de s'intéresser
à le ur contenu. À chaque fois, c'est un rapport différent à l'offre culturelle,
qui s'offre au visiteur. Sans entrer d ans le détail de cette riche histoire, men-
tionnons sim plement que par le lieu s'exprime une conception de la place
1. Voir Pascal SANSON, « Les nouveaux espaces comm unicationnels des musées: les architectu res
signifiances en synergie avec la médiation muséale >>, in Médiation des cultures, sous la direction de
Michèle Gellereau , Travaux & Recherches, Université Lille 3, 2000, p. 13-36.
La logigue d e la médiation 45
des publics, et de la relation que ceux-ci entretiennent entre eux et avec les
propositions qui leur sont faites.
La démarche architecturale s'intéresse à la manière de rendre les parcours
cohérents . O n sait l'apport en la matière d'un Frank.Lloyd Wright avec le mu-
sée Guggenheim de New York qui conçoit un parcours à partir d'une coursive
en colimaçon, de Wilhelm von Bode à Berlin pour enrichir les présentatio ns,
de Carlo Scarpa pour créer des ambiances propices à la récept ion. Les grands
maîtres de J'architecture du xxc siècle, comme Ludwig M ies Van d er Rohe, Le
Corbusier, Philip Goodwin et Edward Dureil Stone pour le MOMA de New
Yo rk, Lina Bo Bardi et le musée d'art de Sao Paulo, vont inspirer des gén é-
rations d'architectes. Jean Dubuisson avec son organisation rationnelle au
Musée Natio nal des Arts et Traditions Populaires, Piano et Rogers au Centre
Beaubourg et la transversalité des circulations, Roland Simounet va penser la
relation entre exposition à l'intérieur et prolongement du discours par la visi-
bilité d'espaces ext érieurs, que ce soit au musée de la Préhistoire de Nemo urs
ou encore au musée d'art moderne de Villen euve d'A scq. Désormais tous les
arc hitectes en définissant le programme architectural se posent des ques-
tions en matière de médiation et font des choix pour y répondre avec leur
sensibilité.
Les m usées n e sont pas les seuls concernés et la salle de spect acle est elle
aussi interrogée. O n se souvient des positions défendues fortement par Jean
Vilar sur J'architecture des salies, visant à affirmer une même communauté
de spectateurs, sans les habituelles divisions que trace le théâtre à l'italienne
par exemple' . En supprimant les balcons, les parterres et les poulaillers ou
paradis des salles du x rx• siècle, au profit d'une salle de spectacle unifiée,
il s'agit aussi de briser les hiérarchies sociales qui s'expriment dans J'espace
avec les bonnes et les mauvaises places. En favorisant une salle où les place-
ments sont libres, où les prix sont unifiés, il s'agit dans les nouveaux théâtres
construi ts depuis un de mi-siècle de favoriser la proximité avec l'artiste et sur-
tout d'aller à l'encontre des phénomènes d'intimidation culturelle. C'est une
véritable politique des publics qui se dessinent ainsi. À l'instar du Théâtre d u
Peuple de Maurice Pottecher qui propose une salle de spectacle o riginale où
le fond de scène s'ouvre sur l'environnement et l'extérieur du théâtre po ur
symboliser l'ancrage dans la vie quotid ienne, il s'agit de permettre l'aller-re-
tour entre intérieur et extérieur. Les maisons de la culture porteront témoi-
gnage de cette volonté de repenser J'architecture .
Ces réflexion s vo nt s'amplifier et se poursuivre avec la compréhension
des effets de l'architecture sur le rapport entre scène et salle. Pour cela, le
retour à une architecture circ ulaire, comme au cirque, n'est pas fortuit, le
1. _Emmanuelle LOYER, Le théâtre citoyen de jean Vilar. Une utopie d'après-guerre, Paris , Presses universi -
taires de France, 1997. Laurent FLEURY, Le TNP de Vilar. Une expérience de démocratisation de la culture,
Rennes, PUR, 2006.
46 • La m édiation culturel le
théâtre antique le connaissait bien . Les mises en scène s'y référeront et celles
du théâtre du soleil d'Ariane Mnouchkine qui marqueront et inspireront des
générations de metteurs en scène, rendront compte aussi d'une réflexion où
la scénographie des lieux détermine des rapports entre les protagonistes d'un
spectacle 1 . Les arts de la rue, en cherchant à dépasser, si ce n'est à abolir les
frontières, les séparations entre scène et salle, iront toujours plus loin dans
ces formes visant à explorer les domaines de la médiation formelle . Dans une
caravane, une voiture, dans une chambre d'hôtel, dans la salle de bain d'un
particulier, dans une friche industrielle, dans un supermarché, dans une cave
d'immeuble, autant de lieux incongrus pour présenter un spectacle, que des
compagnies ont pu malgré tout investir. Les rapports de proximité qui se
jouent alors 'e ntre acteurs et spectateurs favorisent la rencontre.
Il n'est dès lors guère surprenant qu'une même réflexion conduise par
exemple Patrick Bouchain dans différents univers, et que l'architecte de cha-
piteaux pour le nouveau cirque soit invité à penser le nouveau lieu rénové du
Channel à Calais2 • Cette ancienne friche reconvertie en lieu pour le spectacle
vivant entend favoriser une relation de qualité entre les artistes et les publics.
La volonté d'un ancrage d ans la ville et ses problématiques, d'une implica-
tion civique et citoyenne, et d'une programmation ouverte sur la diversité,
vise à construire un lieu de vie dans lequel la population soit à l'aise pour
participer pleinement. Ce sont les mêmes raisons qui conduisent à choisir
Patrick Bouchain pour proposer une structure muséographique d'un nou-
veau genre. Le centre Pompidou mobile, structure itinérante initiée par le
centre Beaubourg, visant à se déplacer et à aller la rencontre de populations
éloignées de l'offre en art contemporain dans les petites villes. L'expositio n
déployée sous un chapiteau original invite ainsi à la rencontre d'œuvres à
partir de médiations repensées. Nous y reviendrons, notons simplement qu'il
faut considérer la médiation comme un tout. Si les relations avec des anima-
teurs peuvent se déployer et prolonger des propositions artistiques et cultu-
relles, elles le font également dans un cadre, un environnement propice ou
non au déploiement et la réalisation de cette rencontre. Ainsi l'architecture
et la scénographie constituent des éléments à pren<lre en compte comme la
rendant possible et effective, participant de la situatio n de médiation.
De manière plus générale, ce sont bien évidemment les questions de l'ac-
cueil qui importent pour rend re un lieu agréable, convivial, familier. Des com-
pagnies de théâtre inventent parfois des conditions particulières pour per-
mettre les échanges, en offrant un thé ou une dégustation aux participants,
en les installant confortablement dans des salons, en leur diffusant des infor-
1. Voir Luc BoucR1s, La Scénographie de Guy-Claude François à l'œuvre, Paris, L'Entretem ps, 2009.
« L' Envers du théâtre », Revue d'Esthétique, 1977/ 1-2, Paris, UGE, 1977. Marie-Madeleine MERVANT-
Roux, L'Assise du théâtre. Pour trne étude du spectacteur, Paris, CNRS Éd itions, 1998.
2. Christian DuPAVILl.ON, Architecture du cirque des origines à nos jours, Paris, Moniteur, 1992.
La logique de la m édiation 47
mations pour leur donner envie de venir, de revenir, de s'installer. Les lieux
alternatifs et fri ches culturelles sont à ce point de vue souvent originales, là où
l'institution classique s'avère parfois austère et un brin guindée. Chaque lieu
pourtant trouve sa place en proposant un certain co nfort. Des théâtres sont
fréquentés pour leur espace de restauration, tout comme des musées et lieux
d'exposition, d'autres pour leur espace multimédia et centre de ressources en
libre accès, alors que d'autres encore proposent des bourses d'échange, des
services qui ne sont pas obligatoirement culturels. Le 104, lieu culturel de l'Est
parisien, organise un marché de produits biologiques, et les cinémas Utopia
s'adonnent souvent à l'information militante et politique, tout en proposant
des cafés-restaurants forts agréables dans ses cinémas, tant à Avignon, à
Bordeaux qu'à Toulouse. Autant d'exemples pour dire combien le lieu culturel
est d'abord un lieu de vie, et que s'y sentir chez soi, participe de cette familia-
rité qui offre à la médiation ces conditions d'exercice et de réussite.
1. Jü rgen HABER~IAS, L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constittttive de la société
bourgeoise, Paris, Payot, 1993.
48 La m éd iation culturelle
1. Jean (AUNE, Pour une éthique de la médiation. Le sens des pratiques culturelles, Grenoble, PUG , 1999,
p. 20.
2. Berna rd LA1v11zrr, La Médiation culturelfe, Paris, L' Harmattan, 1999 , p. 16.
La logique de la médiation 49
La nature de la médiation
C'est un auteur pour le moins inattendu, dans le champ de la médiation, qui
à notre sens a particulièrement bien mis en évidence la nature de ce proces-
sus. Dans une brève communicatio n faite lors d'un colloque sur la médiation
de l'art contemporain, organisée au Galerie nationale du Jeu de Paume en
mars 2000, Alain Finkielkraut questionne le sens même de la m édiation, et
pose des questions inco ntournables et fondamentales pour toute personne
s'y intéressant• . À la questio n qui lui est posée par les organisateurs: « Q uelle
médiation pour quelle Europe culturelle?», il répond par l'étonnement. Loin
de délivrer des recettes, des tec hniques, ni même de déployer une philoso-
phie qui serait ou devrait être celle de la médiation, il commence par re-
mettre en cause l'évidence même de la question, pointant une contradiction
là où tout un chacun voit une simple question de bons sens. Ce faisant il force
l'interlocuteur à s'interroger sur la nature même et les fondements de ce que
l'on nomme la culture, de son évolution historique.
Alain Finkielkraut feint d'abord de ne pas comprendre la question posée,
répondant que ce qui caractérise l'idée même d'Europe, ce qui s'inscrit au fon-
dement même de l'identité européenne et de sa construction est justement la
médiation de la culture. L'accès à la compréhension du monde, à l'existence, à
l'humai n, note le philosophe, passe par la médiation de la culture elle-même
constitutive de la singularité européenne. Il y aurait donc un truisme, pour ne
pas d ire un pléo nasme entre le mot de médiation et d'Europe culturelle. En
venir à poser cette tautologie traduirait au final la perte de sens et de valeur
de ceux-là même qui posent la question. Prétendre dissocier la médiation
de l'Euro pe culturelle, relèverait d'une mauvaise compréhension de la nature
1. Ala in F 1NKIELKRAUT, « Q uelle médiation pour quelle Euro p e Cu lture lle ?», in Médiation de l'art
contemporain. Perspectives européennes pour l'enseignement et l'éducation artistiques, Paris, Ed. Galerie
narionale du Jeu de Pau me, 20 00 , p. 18-22 .
50 La médiation culturelle
1. On se reporcera bien évidemmem à son essai La Défaite de la pensée, Paris, Gallimard, 1986.
2. Exposicion Le Grand Atelier. Chemin de l'art en Europe. v-xvuf siècle, Palais des Beaux-arcs de
Bruxelles, 2007.
La logique de la médiation 51
1." L'idéologie de l'art de Malraux est bien un point de vue de la médiation, mais d 'une médiation
qui n'aurait besoin ni de médiateur ni de technique propédeutique, ni même d e sensibilisation.
la rencontre avec l'art est dans la politique de Malraux le moyen de l'accu lturation », écrit jean
CAU1'E, Por1r rme éthiqr1e de la médiation. Le sens des pratiques wlture/les, Grenoble, PUG , 1999, p. 33.
52 La médiation culturelle
1. On lira Michèle GELLEREAU, Les mises en scène de la visite guidée. Commtmication et médiation, Paris,
L'Harmattan, 2005 .
La logique de la m édiation SS
1. John REEVE, « L'éducatio n contin ue : un objectif pour l'avenir des mu sées"• in Jean Galard , sous
la direction de , Le Regard instniit. Action éducative et action culturelle dans les musées, Paris, La Documen·
cation française, 2000, p. 87-105 .
La logique de la médiation T 57
1. _O_n lira des réfl exions chéoriques mais a ussi de nombreuses écu des de cas disciplinaires dans
Med1at1011s & Médiateurs, so us la direccio n de Ma rie THONON, MEi, n° 19, Paris, L' Ha rmacca n, 2003 .
2. Bernard LAMIZET, Politique et identité, Lyon, PUL, 2002, p. 334.
3. Jean (AUNE, « La médiacio n culcurelle: une conscruccion du lien social », cexce consul cé le
26, 04/ 2012. Sur hccp://w3.u·grenoble3 .fr/ les_ enjeux/ 2000/Caune/index.php
4. Paul R1coEUR, Du Texte à l'action. Essais d'herméneutique, c. 11 , Seu il, Pa ris, 1986, p. 1 29-130. Cicé
par Raymond MoNTPETIT, arcicle « Médiacion », in Dictionnaire Encyclopédique de muséologie, Paris,
Armand Colin, 2011 , p. 230.
58 La médiation cu lturelle
1. Voir Les Cahiers de médiologie. Une anthologie, Revue dirigée par Régis Debray, Paris, CNRS Éd i-
tio ns, 2009 .
2. Voir Serge CHAUMIER, Ann e KREBS, Mélanie RouSTAN ( ss la dir.), Visiteurs photographies au musée,
Paris, La Docum entation fran çaise, 20 13.
3. Neil PosTMAN, Se distraire à en mourir, Paris, Nova édition, [1985), 2010 ;Jean-Jacques WuNENBUR·
GER, L'Homme à l'âge de la télévision, Paris, PUF, 2000.
La logique de la médiation 59
1. jean GALARD, sous la direction de, Le Regard instruit. Action éducative et action culturelle dans les
musées, Paris, La Documentation française, 2000.
2. C laude HuBERT-TATOT, «La Cellule pédagogique », in Médiation de l'art contemporain. Perspectives
européennes pour l'enseignement et l'éducation artistiques, Paris, Ed. Galerie nationale du jeu de Paume ,
2000, p. 93.