Sous la direction de
Anna Caiozzo et Nathalie Ernoult
FEMMES
MEDIATRICES
ET AMBIVALENTES
MYTHES ET IMAGINAIRES
ARMAND COLIN / RECHERCHESReprésentations d’Umm Sibyan
dans les contes yéménites :
de la dévoreuse d’enfant a la
djinniyya possédant les humains
Anne Regourd
mm al-Sibyan, plus couramment Umm Sibyan, est une djinniyya
fameuse dans l'ensemble du monde arabe. Elle apparait sur des enlumi-
sures? et dans les sources scripturaires?, Elle est connue plus populairement
par des impressions de colporteurs, portant sur les contrats que Salomon a
passés avec les djinns: laide et vieille, elle fait partie des armées de djinns
gui one fait allégeance au Prophete-Roi. Ce faisant, elle a utilisé son libre
uxbitre pour effectuer un choix, bon d’un point de vue religieux, et elle est
aussi susceptible de se soumettre et d’étre soumise. Ce n’est pas un démon.
1 Cette étude n’aurait pu éere menée & bien sans le soutien du Centre Francais d’Archéologie
et de Sciences Sociales de Sanaa et du Centre Milh al-Dhahab, sans la disponibilicé de
Farima al-Baydani, de Muna, d’Arwa ‘Uthman, d'un informateur, et ’un praticien érabli a
Sanaa. Quils trouvent ici expression de ma profonde gratitude pour leur patience et leur
aide.
2 Lors du colloque Femmes médiatrices et ambivalentes, Anna Caiozzo a dit quelques mots
des entités proches d’Umm Sibyan représentées dans les manuscrits & peintures orientaux,
3. Par exemple, Pseudo-Suyuti, Al-rabma fi al-ribb wa-al-hikma {La miséricorde dans la
médecine}, Beyrouth, al-Maktaba al-haditha, s. d., p. 250 sg
4 ‘Uhid Sulayman, concrats passés entre les djinns et Salomon, N. d. A. On trouve ces
impressions de Mumbay (Bombay) en vente dans les rues du souk de Sanaa, cf. P. Bonnen-
fant (éd.), 1995, Sanaa. Architecture domestique et société, Paris, CNRS éd., p. 540-542, oft
le document est reproduit. Voir aussi, Coran, Sourate de la Fourmi et Sid.64
f, la tradition orale ec ses représentations locales la dépeignent
sellement de manitre négative: Cest une femme qui enléve les enfants
: mére. Au Yémen, Cest un personnage tres présent: elle apparait dans
contes collectés dans des régions variées du pays, mais aussi dans les récits
sue l'on raconte a la maison.
Un corpus de milliers de contes a été collecté entre la fin des années 1990
ex vers le milieu des années 2000 par Fatima al-Baydani et son équipe, pat
tout au Yémen, 4 Pexception de quelques régions ou pasties de régions, Cer
tains seulement ont été publiés. L’établissement du texte des autres contes
est en cours. Le matériel est conservé au Centre Milh al-Dhahab, & Sanaa!
Afin d’établir les textes, [a méthode suivie a consisté &: relever et indiquer
le nom du conteur (homme ou femme), parfois son age, ainsi que le lieu du
relevé accompagné de Ia date; & rechercher la quintessence d'un conte, & en
donner une épure (cela touche & la narration?), rout en préservant la langue
dialectale dans laquelle le conte a été narré, ainsi que les noms propres avec
leurs variantes. Cela oblige done & des efforts de transcription, dés que le
conte est couché par écrit.
La présente étude s'appuie sur des contes publiés, un conte in extenso non
publié du Hadramaout, enfin, des échanges avec Fatima al-Baydani et Muna,
qui se sont déroulés en octobre 2009 et 2010: & cette époque, le texte d'une
cinquantaine de contes non publiés mettant en scéne Umm Sibyan avait déja
écé saisis sur la base de données du Centre Milh al-Dhahab, conformément &
leur méthode’. En 2010, de brefs échanges au sujet d’Umm Sibyan avec un
autre collecteur et auteur d’ouvrages de contes yéménite, Arwa ‘Uthman, se
sont ajourés & ces premiers relevés*
Le nom d’'Umm Sibyan est le plus récurrent dans Pensemble du monde
arabe. Cependant, au Yémen, il renvoie & des régions précises, le Nord du
pays, la région cétigre de la mer Rouge (Tihama) et Aden. Ailleurs, et sans
1, Lensemble des contes cecucilis par Fatima al-Baydani et son équipe forme la base docu-
mentaire du Centre Mill al-Dhahab pour la préservation du patrimoine oral et, & terme,
devraient constiruer une base de données électroniques (pour une présentation des objec-
tif du Centre, cf, herp://www.yourube.com/watch?v=pmW2RTX2EA, now. 2011). Les
contes publiés mertant en scéne Umm Sibyan, se trouvent dans: 2008, Contes du Yemen.
Lit de pierre, lit de verre, collects par F.al-Baydani, Paris, Neuf, L’Ecole des loises
2. Comparer avec la méthode suivie par Cl. Pinkola Estés, 1996, Femmes qui courent avec les
lovups. Histoireset mythes de Varchétype dela fomme sauvage, Pati, Grasset, p. 23.
3. En 2010, une premiére publication contenant la moitié de ce corpus, soit 25 contes, était
envisagée, Le conce inédit du Hadramaout m'a évé remis par Fatima al-Baydani
4, ArwaUthman, 2003, Qirdia fi al-sardiyya al-sha‘abiyya al-yamaniyya (70 bikdya sha'abiyya)
{Lecture de littérature orale populaire yéménite (70 histoires populaires)], Sanaa, Bayt
al-mauriith al-sha‘abi. C’est done son centre, la Maison du pattimoine populire, qui élite
ses ouvrages. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé de contes oii Umm Sibyan appx
rat dans les publications d’Arwa ‘Uthman.
‘498
Sater seeateiesea eee eeeReprésentations d'Umum Sibyan dans les contes yéménites
prétendre & lexhaustivité, la djinniyya est nommée, parfois concurremment,
al-Khatba, & Sanaa, la capirale du Yémen, Umm Barsha, a Shabwa, Marib,
ex 4 al-Bayda’, oit elle est aussi appelée Hasilat al-Bayt, et Tuhsha, dans le
Hadramawt et a Taez. Al-Tuhsha a aussi un équivalent masculin, al-Tahish.
Une telle diversité de noms suggére des variantes régionales dans les repré-
sentations de la djinniyya. Ila été souvent noté que les djinns, mentionnés et
décrits dans Je Coran, prennent cependant des déterminations particuligres
selon les localités'. De plus, au Yémen, les identités locales sont fortes. Peut-
on alors, de maniére réifiante, faire le pari de partir du nom pour réaliser une
géographie des représentations de la djinniyya?
Le nom d’'Umm al-Sibyan a été analysé comme un nom donné par
antiphrase: littéralement, il signifie «la mére des enfants», alors qu’elle ne
manifesterait aucune fibre maternelle en privant les méres de leurs enfants.
De la méme manitre que d'autres djinns, elle est aussi désignée par un
génétique, «djinniyya», ou bien, de manidre plus claire pour notre propos,
«ceux qu’on ne nomme pas»?, Car le nom convoque la chose. Le conte
de «La couleur verte» (AL-lawn al-akhdar, N. d. A.), relevé & Sanaa, nous
en apprend davantage sur les liens complexes entre le nom et la chose. Un
pére part en voyage et demande 4 sa file ce qu'elle souhaite qu’ll lui rap-
porte. Elle lui répond: «Un vétement». «De quelle couleur?» questionne
4 nouveau son pére. «Rapporte, lui dit-elle, la couleur verte, jib lf al-lawn
al-akbdar (N. d. A.)». Le pere part en voyage et sous ce nom d'al-Akhdar, le
Vert, c'est finalement un djinn qui se révéle. Au terme de péripéties, le djinn
tombe malade. Cependant, des le départ, le djinn ne s'apercoit pas que la
fillette ne lui est pas hostile, Elle s'emploie a lui en apporter la preuve, et,
de maniére ultime, elle lui montre le narghilé qu'elle a rapporté de chez son
ptre, Cest-i-dire le pere du djinn, chez qui elle sétait rendue pour prendre
des nouvelles de la santé du malade’.
Plus qu'une réflexion pleinement ésotérique, ce conte délivre un aver-
sement’, i] invite 4 la prudence, i met en garde contre 'inattention.
Attention, nous dit-il, un train peut en cacher un autre... On croit dire
une chose et, finalement, on en dit une autre. Or, nous le savons déja, le
nom convoque la chose. Le caractére équivoque de Pexpression «la cou-
leur verte» laisse planer le spectre de l'apparition inopinée de djinns, avec
comme déclencheur, le nom et la parole. Le lien entre le signifiant et son
référent ne va pas de soi, n'est pas immédiatement visible. Un coup d’ceil @
posteriori en direction du signifiant, al-Akhdar, révéle cependant un peu du
1, H, ElBoudrari, 1998, «Ange, Islam» et « Démons. Islam, dans Jean Servier (6d), Diction-
naire de Uésotérisme, Patis, PUF, p. 84-85 et p. 391-393.
2. Aba tusamma, N. d. A.
3. Cité par Fatima al-Baydani, en octobre 2009.
4, Inzir, Nod A,mmes médiatrices et ambivalentes
66
signifié et ne fait plus paraitre la possibilité qu’il désigne un djinn tour a fait
impensable & un esprit averti et en alerte. Différents manuscrits en circu-
lation au Yémen (et ailleurs dans le monde arabe) donnent al-Zarga’, bleu
au féminin, comme le nom d’une tribu de djinns musulmans'. On pense
aussi immédiatement a al-Khidr ou al-Khadir, le «Verdoyant», une figure
spirituelle mystérieuse, prophétique ou hagiologique, elle, positive, qui «en
presque toutes les parts du monde musulman, depuis la stabilisation de
islam dans ses régions et jusqu’a nos jours, [...] a une existence réelle dans
Pimaginaire commun et dans les pratiques collectives», dans la mesure of
un nom, celui d’al-Akhdar, en évoque un autre. Dans un feuillet manuscrit
en arabe de la Geniza du Caire, une cachette dans la synagogue Ben Ezra
ott des milliers de documents ont été trouvés, il est question d'une «armée
de djinns» qui s’appelle al-Ahmat, les Rouges, et d'une autre, nommée al-
Abiad, les Blancs. Or, bien que ftagmentaire, ce texte laisse entrevoir un lien
entre la couleur des vétements portés par les djinns et leur nom, Peut-etre
Phistoire yéménite de la couleur verte nous livre--elle Pindication que ce
djinn est vétu de vert.
Mais dans l'ensemble, ce récit nous apprend que le nom désigne autre
chose que la chose que normalement il désigne. En d'autres termes, le signifié
du nom ne correspond pas au référent. «La couleur verte», selon Fatima
al-Baydani, est le conte qui fait comprendre que, méthodologiquement,
partir du signifié du nom vernaculaire, ou local, afin d’atceindre la chose, la
déduire ou la décrire, est un mauvais chemin. Autrement dit, ce n’est pas en
partant des dénominations d’Umm Sibyan, fussent-elles imagées, que Pon
parviendra & savoir quelque chose d’elle. Cela signifie aussi que la diversité
des dénominations ne doit pas nécessairement engager la réflexion dans une
problématique identitaire, partant de la constatation de fortes colorations
régionales.
Le poste et historien de la littérature d’origine yéménite, ‘Abd Allah al-
Baradduni, a tenté une approche historique de la tradition orale yeménite',
indiquanc que, dans certains cas, les noms servent & dater un conte ou sont
1. CEA. Regourd, 2011, «Images de djinns et exorcisme dans le Mandal al-Sulaymani>,
dans A. Caiozzo, JP. Bouder, N. Weill-Parot (€4.), images et magie. Picaerix enere Orient et
Occident, Patis, Champion, p. 253-294, avec édition partielle du texte et trad., voir p. 258
et feuilet 2v, 1.2 4g
2. H. Elboudrari, « Khadis. Islam», dans J. Servier (éd.), Dictionnaire de lésorérisme, op. cit
p-711-714, citation, p. 713.
3. Feuille sSparé d'un XC sfaeal-muluk (Livre des caractétistiques des rois (des djinns)}, DKG
252a-b, Budapest, Bibliotheque de Académie hongroise des Sciences, non publié. I! figu-
rera dans A. Regourd, Catalogue des doctements en arabe de la callection David Kaufnann
Académie hongroise des sciences, Budapest, Budapest, Académie hongroise des sciences, en
reparation.
4, Abityan ash abinya, NA.
<
1
1Représentations d’Umm Sibyan dans les contes yéménites
des marqueurs géographiques'. Il pointe 18 un probléme majeur, celui de
la datation des contes, de leur origine ou du moment de leur apparition.
Malheureusement, aucun des noms invoqués ci-dessus afin de désigner
Umm Sibyan ne nous semble offtir de piste en termes de datation, le nom
¢'Umm Sibyan n’étane lui-méme en aucun cas spécifiquement yéménite
Quant au nom d'al-Sayyad, le pécheur ou Je chasseur, dont il sera question
ensuite, il serait, suivant le raisonnement d’al-Baradduni, Pindicateur d'une
origine provinciale de ces contes yéménites, cest-A-dire non citadine. Pour
se faire une idée de la représentation d'Umm Sibyan ct éventuellement de ses
contours régionaux, de méme que pour dater et localiser les contes, il faut
donc se reporter au corpus lui-eméme des contes. Au cours de P'analyse, Umm
Sibyan sera comparée & d'autres personnages négatifs des contes, au Yémen,
ainsi qu’a des récits d’un type différent.
Umm Sibyan: une ogresse?
A premiéte vue, il est difficile de ne pas voir en Umm Sibyan une variante
ogresse. Elle apparait aux enfants sous la forme d'une mére qui se veut
rassurante, offrant le gite et le couvert. Dans un conte da Yémen, trés proche
du Petit Poucer, elle attire chez elle les enfants perdus dans la forét et sap-
préte & les manger dusant la nuit. Pour ce faire, elle leur colore les doigts au
henné. Son dispositif est cependant dgjoué par l'un des enfants égarés, qui
te les marques de henné des doiges de ses fidres et sceurs et, au contraire,
colore ceux des propres enfants de la djinniyya. La pénombre aidant, celle-ci
dévore la chair de sa chair. Dans la région de la Hugariyya, est racontée une
histoire trés similaire, dont le personnage principal est une ogresse du nom
de Dugayra: dans cette version, ogresse, ayant elle-méme deux enfants, une
fille et un garcon, offre Phospitalité & un petit garcon et & une petite fille,
dans le bue de les dévorer?. A Ia faveur de cette histoire, on apprend qu’ Umm
Sibyan, de méme que les ogresses, peut avoir elle-méme une progéniture,
quielle épargne, car bien qu'ogresse, elle n'est pas endophage. Umm Sibyan
dévore les enfants ~ non les adultes ~ et sans distinction de sexe, contraire-
mene a d’autres personnages de contes du Yémen tel al-Tahish, & Taez et dans
Je Hadramaout, qui peut manger les enfants males, mais pas de sexe féminin.
Il peut se mettre en ménage avec des filles et aménager un endroit afin d’y
“Abd Allah al-Baradduni, Funtin al-adab al-sha‘abi ft al-Yaman [CArt de la littérature
populaire au Yémen), Sanaa, s. d., p. 36 59. Il est également V'auteur d'AL-thagafi al-
sha'abiyya. Tajarib wa-agawil yamaniyya [Culture populaire. Sagesses et récits yéménites],
Sanaa, 6. d
2 Contes due Yemen, op. cit, «Dougayra Pogresse», p. 91-103, colleeté en juiller 2006, &
Ouadi al-Barakini (Hugariyya); p. 67, «Le Jarjouf, Cest un djinn qui mange les gens»,
orFemmes médiatrices et ambivalentes
installer son couple. Al-Tahish, qui a un homologue féminin, al-Tuhsha,
est une créature fabuleuse qui dévore les humains a Jibla', Par métonymie,
il désigne tout ogre et est associé & la goule’. Al-Jarjuf, lui, consomme les
enfants, quel que soit leur sexe. Plus que cela, c'est un djinn qui « mange les
gens», Cest-i-dire les adultes compris, des males, non pas les jeunes filles.
Dans un des contes relevés & Sanaa qui le met en scéne, il se marie et installe
sa compagne dans la grotte oi il vit. Au cours de la narration, ott quelques
épisodes rappellent Barbe bleue, il chasse sa femme et «croque» sa dor’. Pais
lorsque celle-ci se remarie, al-Jarjuf sattache & ruiner son mariage en dévo-
rant sa descendance’.
Ces caractéristiques recoupent du reste celles des ogresses de contes col-
lectés ailleurs dans le monde arabe comme le fait de ne pas habiter prés
des hommes ou au sein des villes, mais dans des grottes ou & la lisigre des
villes, par exemple. Il agit en outre le plus souvent d'une femme, rarement
d’hommes. Elle mange les enfants et peut les engraisser dans ce dessein. Elle
est parfois qualifige de goule’
Mais Umm Sibyin cst-elle bien une ogresse ou méme pourrait-elle
en étre une? II n'est pas incompatible d’étre un djinn et de manger des
humains: Umm Sibyan n'est pas un cas isolé, on I'a vu ici avec le Jarjuf*
Mais cela suffit-il pour dire qu’ils sont des ogres autrement que de maniére
analogique? Dans les contes déja cités ici, le Jarjuf est présenté comme «un
djinn qui mange les gens», tandis que Dugayra est nommée « Dugayra
Pogresse™». D’un point de vue ontologique, Umm Sibyan est une djin-
1. Mentionné par M. Piamenta, 1990-1991, Dictionnary of Post-Classical Yemeni Arabic
(Dictionnaire d'arabe yéménite post-classiquel, E. J. Brill, Leyde-New York-Copenhague-
Cologne; p. 3095 il s'agit d'un dictionnaire historique du dialectal yéménite. Il reléve aussi
le sens de «violent» pour rehish
Ghul, N. dA.
. Mahe, N. d, A.
. Contes di Yemen, op. cit, «Le Jarjouf», conte collecté en juillet 2005, dans les faubourgs de
Sanaa, p. 63-79.
5. Voir Y. Marom, 2008, The World of the Monsters: Fieldwork Among the Women of the
Tarabin Nuweiba Tribe, Sinai Peninsula» [Le Monde des monstees: Un terrain parmi les
femmes de la tribu des Tarabin al-Nuweéb a, dans le Sinai), dans S. Prochézka er V. Ritt-
Benmimou'n (éd.), Between the Atlantic and Indian Oceans: Proceedings of the 7* AIDA
Conference, Vienne, LIT, p. 287-293. Iest difficile de ne pas mentionner ici Nacer Khemis,
Fun des premiers & sétre attaché au personnage de Pogresse avec beaucoup de continuité,
cf. entre auses, 197, L'Ogrese, Patis, La Découverte; 2000, J'avale le bébé dt voisin, Pais,
Syros jeunesse. Il a collecté ses contes en Tunisie. Est également aisémene accessible une
histoire que Mourad Djebel a puisé dans la tradition orale maghrébine, dans: 2011, Contes
des trois rives, Actes Sud, coll. « Babel , p. 89-130, «Loundia Bent al-Ghoula (Loundja fille
de ogress)».
66 «Ce nest pas moi qui ai mangé tes enfants mais ta femme: c'est peur-étre une djinniyya»,
Contes du Yemen, op. cit, p. 76.
7. Cest le titre d'une des nouvelles des Contes di Yemen, op. city p. 91.
68.
eeer son couple. Al-Tahish, qui a un homologue féminin, al-Tuhsha,
te créature fabuleuse qui dévore les humains a Jibla'. Par métonymie,
igne tout ogre et est associé a la goule*. Al-Jarjuf, lui, consomme les
ts, quel que soit leur sexe. Plus que cela, est un djinn qui «mange les
, Cest-A-dire les adultes compris, des males, non pas les jeunes filles.
tun des contes relevés & Sanaa qui le met en scéne, il se marie et installe
npagne dans la grotte oit il vit. Au cours de la narration, oft quelques
des rappellent Barbe bleue, il chasse sa femme et «croque» sa dot’, Puis
se celle-ci se rematie, al-Jarjuf s'attache & ruiner son mariage en dévo-
a descendance',
ss caractéristiques recoupent du reste celles des ogresses de contes col-
ailleurs dans le monde arabe comme le fait de ne pas habiter prés
‘ommes ou au sein des villes, mais dans des grottes ou & la lisidre des
. par exemple. Il sagit en outre le plus souvent d’une femme, rarement
nes. Elle mange les enfants et peut les engraisser dans ce dessein. Elle
arfois qualifiée de goule’.
ais Umm Sibyn est-elle bien une ogresse ou méme pourrait-elle
re une? Il n'est pas incompatible d’étre un djinn et de manger des
ains: Umm Sibyan n'est pas un cas isolé, on I’a vu ici avec le Jarjuf®.
cela suffit-il pour dire qurils sont des ogres autrement que de maniére
ogique? Dans les contes déja cités ici, le Jarjuf est présenté comme «un
1 qui mange les gens», tandis que Dugayra est nommée « Dugayra
esse”». D’un point de vue ontologique, Umm Sibyan est une djin-
mntionné par M, Piamenta, 1990-1991, Dictionnary of Past-Classical Yemeni Arabic
ictionnaite d'arabe yéménite post-classiquel, E. J. Brill, Leyde-New York-Copenhague-
vlogne, p. 309 il sagie d’un dictionnaire historique du dialectal yéménite, Il reléve aussi
sens de «violent pour sabish
vu, Nd. 8
ahr, Nd 8
intes du Yemen, op. cit, «Le Jarjoufs, conte collecté en juillet 2005, dans les faubourgs de
naa, p. 63-79.
sir Y. Marom, 2008, «The World of the Monsters: Fieldwork Among the Women of the
rabin Nuweiba Tribe, Sinai Peninsula» [Le Monde des monstres: Un terrain pacmi les
‘mes de la tribu des Tarabin al-Nuwéb a, dans le Sinai], dans S. Prochazka et V. Ritt-
rmimou'n (6d.), Berween the Atlantic and Indian Oceans: Proceedings of the 7* AIDA
‘ference, Vienme, LIT, p. 287-293. Il est difficile de ne pas mentionner ici Nacer Khemie,
in des premiers & se attaché au personnage de logresse avec beaucoup de continuité,
‘entre autres, 1977, L'Ogrese, Paris, La Découverce; 2000, J'avale le bébé du voisin, Pats,
ros jeunesse. Ila collecté ses contes en Tunisie. Est également aisément accessible une
stoire que Mourad Djebel a puisé dans la tradition orale maghrébine, dans: 2011, Contes
s ois rives, Actes Sud, coll. «Babel», p. 89-130, « Loundja Bent al-Ghoula (Loundja fille
Pogresse)»
Ce nest pas moi qui ai mangé tes enfants mais a femme: Cest peut-éure une djinniyya>,
antes du Yemen, op. cit. p. 76.
‘est le titre d'une des nouvelles des Contes du Yemen, op. cit. p. 91
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Or, les victimes
pubires. Elle se
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Sibyan est bier
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L Les in, Nid. A.
2 Laencore, les dé
animal nécropt
signe zodiacal dtFemmes médiatrices et ambivalences
70
Ouadi Dahr, Umm Sibyan apparait comme une vieille femme qui enlve les
enfants & leur mére. Ces enfants sont souvent des nouyeau-nés: une femme
enceinte arrive 4 terme; une femme expérimentée du Ouadi aide alors &
accoucher. Elle dépose enfant dans la piace ott se trouve la mére et il dispa-
rait. Il a été enlevé par Umm Sibyan'. Le forfait d’Umm Sibyan ne peut étre
confondu avec une fausse couche. Généralement brutal, ’événement exclut
toute participation d’un humain, en particulier celle de la sage-femme.
Enfin, ce récit ne met pas en cause la paternité de enfant.
Umm Sibyan ou I’anti-femme
La catactétistique d’un individu pubére est d’étre mariable et méme &
matier. Plus que dans le corpus des contes en l'état actuel, est dans les récits
de possession que on a pu trouver une clé permettant de donner sens &
ensemble des éléments ici dégagés.
Le texte des contrats que Salomon a passés avec les djinns? laisse entendre
qu'une subordination d’Umm Sibyan au sceau du Prophéte-Roi est possible.
Les feuillets produits 8 Bombay et vendus par les colporteurs dans le souk de
Sanaa ont un usage prophylactique: tels quels, ils sont pliés ou roulés pour
€tre portés sur soi ou bien fixés au mur, donc sans intervention @homme
de magie, sans quill soit possible d'exclure pour autant l'existence de pra-
tiques talismaniques variées qui se seraient développées dans ce sens. Mais
ces contrats passés avec les djinns permettent aussi d’entrevoir qu'un exor-
cisme peut étre opéré sur un individu possédé par Umm Sibyan.
Le récit suivant ma &é rapporté: II s'agit d'un homme qui, chaque fois
quiil veut se marier, échoue. Les opérations sont généralement interrompues
avant les fiangailles. Au terme de cette série noire, le patient n'est plus un
jeune homme. Il décide de voir enfin un exorciste aprés un nouvel échec,
cuisant, car il se produit cette fois, aprés des fiangailles, Cette opération
avortée, pourrait-on dire, a aussi un coit, plus élevé qu’a l'accoutum
Cependant, il se rend chez exorciste au terme d'un itinéraire. Sa premigre
réaction en effet, vraisemblablement concertée avec l'entourage, est d'aller
en pélerinage 4 La Mecque?. Or sur le chemin du retour et avant méme
avoir regagné sa maison au Yémen, il fait un réve qui lui révéle qu’Umm
Sibyan est 4 Porigine de la série de ses déboires, de sa vie de malheur en tant
que prétendant. Un ami lui dit qu'il peut le conduire auprés d’un exorciste
sir. Ils s'y rendent ensemble. Lexorciste confirme que la djinniyya est la
1, Relevéseffeccués entre 1994 et 1999.
2. ‘Uhiid Sulayman, N, dA
3. Le petit pélerinage [iamra], N. d. A.Représentations d’'Umm Sibyin dans les contes yéménites
cause de ses souffrances, quiil est possédé par elle, et qu'un exorcisme est
possible et nécessaire. Le patient accepte la thérapie'. Le voyage et la thé-
rapie ont probablement eu lieu en 2009, Le récit m’a été rapporté par la
personne, un homme, qui a suggéré au malheureux de se rendre chez cet
exorciste. Il a donc posé un prédiagnostic. A aucun moment il n'est question
de jalousie de la part de le djinniyya a Pégard de route autre femme que le
patient aurait eu envie d’épouser. Il n’est pas davantage question d’autres
mobiles. La djinniyya est donnée par le réve et par le diagnostic de l'exor-
cisme comme la cause masquée jusque-Ia et enfin dévoilée de P’échec de ces
unions. Lexorciste consulté, d'origine éthiopienne et basé & Sanaa, traite de
nombreux patients possédés par Umm Sibyan, hommes et femmes?. Il recoit
plus d’hommes que de femmes, mais ce déséquilibre traduit peut-éere sim-
plement le fait que les patients ont tendance 4 se rendre chez un praticien
du méme sexe qu’ eux, sils ont le choix. Est en tous les cas confirmé le fait
qu’'Umm Sibyan sen prenne aux individus des deux sexes. histoire d'une
des victimes de la djinniyya relatée ici est représentative, comparée aux autres
histoires que Pexorciste évoque.
Umm Sibyan cherche-telle & ruiner une union ou a ruiner sa descen-
dance? Il est difficile de trancher. Lorsque le couple est formé et la cible, les
enfants, leur disparition, répétée ou non, jette cout de méme une ombre sur
la durée de union. Dans d’autres histoires, Umm Sibyan agit en amont et
empéche les couples de convoler. Son action est ambigue’, Elle agit dans tous
les cas de extérieur par rapport & eux: elle ne joue jamais le rdle de maratre,
une autre femme négative, récurrente dans les contes, incarné généralement
par les belles-méres, ni n'y est comparée; elle ne semble donc pas mue par
une logique de prise de possession du conjoint’. Les récits oraux du Ouadi
Dah insistent, eux, sur la disparition des enfants, comme si la se trouvait la
menace. Mais ils jouenc peut-étre un réle d’interdit: accent est placé i de
maniére & ce qu’on ne sintéresse pas 4 ce qui se passe ailleurs, Dans ce cas,
Umm Sibyan serait instrumentalisée et ces histoires auraient un réle béné-
fique ou en tous les cas une utilité
1, Lhistoire est ici résumée et ce rest pas le liew pour décrice le décal de la chérapie.
2. Ce terrain a débuté en octobre 2010.
3. Mese intéressant de comparer avec la démone Qarina en Syrie, parfois comparée & la pre-
mitre femme d'Adam, qui alent jamais d’enfancs er qui, pour cette raison, prend pour cible
les femmes ayant des enfants, cf. G. Fertacek, 2010, Unbeil durch Damonen? Geschichten
und Diskurse iiber das Wirken der Ginn, Eine sozialanthropologische Spurensuche in Syrien,
Vienne, Cologne, Weimar, BOhiau, p. 68-70.
4, al-Baydani, 2006, «AL-khala wa-al-aefil ff al-adab al-sha'abi: al-ahzija wa-al-mathal
Fhikaya [La belle-mére et les enfants dans la litérature populaire: poésie de type
haifa, proverbes ec histoires]», Hawliyat yamaniyyalChronigues yéménites, 191-204 [en
arabe]. Exemple de mardeze dans Contes dt Yemen, op. cit, p. 91-93Conclusion.
Lenquéte n'a a ce jour pas montré de véritables divergences régionales,
mais a plutdt campé une forte personnalité, dont Punité n’affleure pas. Umm
Sibyn empéche de procréer, d’avoir une descendance. C'est une figure qui
renvoie symboliquement & la stérilité, & la non-fécondité, c'est une figure
anti-femme. Elle mange les enfants, mais, djinniyya, elle n’est pas ontolo-
giquement ogresse. Du reste, elle peut les faire disparaitre simplement en les
enlevant; il n'y a aucun caractére compulsif de Pacte de dévorer des petits
humains chez Umm Sibyan, il ne agit pas non plus de sa nourriture natu-
relle, Elle ruine les unions, en quelque sorte «dans l'ceuf». Et, par voie de
conséquence, leurs fruits potentiels. Mais, a contrario, les disparitions d’en-
fants pesent sur Pavenir d'une union. Qui est la proie, quel est le but?
Cette étude est une premigre tentative de faire sortir de lombre les repré-
sentations de la djinniyya dans la tradition orale yéménite. Mais ce faisant,
autzes zones d’ombre surgissent, des questions, nombreuses, restent pen-
dantes, que, peut-étre, une extension du corpus rendra moins pesantes. Au
cours de analyse, on a pu voir que les récits domestiques jouent un réle dans
la société. La these d’'Umm al-Sibyain, ou littéralement «la mére des enfants»,
nommeée ainsi par antiphrase, a, quant & elle, vécu, si elle signifie que son
objet est exclusivement les enfants. Mais, comme le dit Phistoire, le signifié
d'un nom en cache coujours un autre