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La Vie parisienne

Opéra-bouffe en 5 actes ou 4 actes


Paroles de Henri Meilhac et Ludovic Halévy

Livrets de censure
Paris 1866/1873

– Première édition provisoire –


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© 2003 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin.


Eigentum für alle Länder: Boosey & Hawkes · Bote & Bock
ISMN M-2025-3107-5 ISBN 3-7931-3107-6
La Vie parisienne – Livrets de Censure (1866/1873) 1

Livret de Censure 1866 Acte 1er Dans cinq minutes, monsieur. (à


Gardefeu) Monsieur désire quelque
La gare du chemin de fer de l’Ouest. chose ?
La Vie parisienne La rotonde sur laquelle donnent les
Pièce en 5 actes. trois escaliers conduisant aux salles Gardefeu.
d’attente. Non ! Rien ! J’allais justement vous
Nº de visa 8305 – 29 août 1866 demandez ce que vous a demandé
Scène 1ère Monsieur. (L’employé sort.)
Pour être jouée sur le Théâtre du Palais
Royal Employés, Facteurs, Buralistes. Scène 3.
Le 29 août 1866.
[signé] Plumkett Chœur. Bobinet, Gardefeu.
Nous sommes employés de la ligne de (Les deux jeunes gens s’observent de
Personnages : l’Ouest plus en plus et se promènent dans la
Qui dessert Saint-Malo, Batignolles et gare en évitant de se rencontrer. Ils
Raoul de Gardefeu. Brest racontent l’histoire suivante, chacun
Le baron de Gondremarck. Conflans, Triel, Poissy, disant sa phrase, pendant que l’autre
Bobinet (l’Amiral suisse.) Barentin, Pavilly remonte la scène et tourne le dos au
Un Brésilien. Vernon, Bolbec, Nointot public.)
Frick (le Major). Motteville, Yvetot
Urbain (Porto Rico). Saint Aubin, Viroflay Bobinet (à part.)
Prosper. Landerneau, Malaunay C’est M. Raoul de Gardefeu. Je ne le
Alfred, maître d’hôtel. Laval, Condé, Guingamp salue plus parce qu’il m’a joué un tour.
Joseph, guide. Saint Brieuc et Fécamp.
Alphonse, domestique de Gardefeu. Nous sommes employés de la ligne de Gardefeu (à part.)
Noël, domestique de Madame l’Ouest C’est le petit Bobinet ! Il ne me salue
Quimper-Karadec. Qui dessert Saint Malo, Batignolles et plus, parce qu’il nous est arrivé une
La baronne Christine de Gondremarck. Brest. aventure …
Métella.
La douairière de Quimper-Karadec. Les hommes. Bobinet.
Madame de Folle-Verdure. Nous fermons les portières J’étais l’amant de un peu plus que du
Gabrielle (Mme de Saint-Amaranthe). Nous vendons des journaux dernier bien avec Blanche Taupier.
Pauline (Mme l’Amirale). Nous ouvrons les barrières Tout Paris sait que j’ai été l’amant de
Clara (Mme de Valangoujar). Nous faisons des signaux. un peu plus du dernier bien avec
Clara (Mme. de Villebouzin). Blanche Taupier.
Tous.
La scène se passe à Paris, de nos jours. Nous sommes employés de la ligne de Gardefeu.
l’Ouest Blanche Taupier m’a aimé comme elle
1er acte : Gare du chemin de fer de Qui dessert Saint-Malo, Batignolles et sait aimer. Tout Paris sait que Blanche
l’Ouest. Brest. Taupier m’a aimé …
2ème acte : Chez Raoul de Gardefeu.
3ème acte : Dans l’hôtel de Quimper- Les femmes. Bobinet.
Karadec Nous sommes buralistes Un matin … Blanche Taupier et moi
4ème acte : Dans l’hôtel de Quimper- Derrière nos guichets demeurions alors tous les deux à Ville
Karadec A messieurs les touristes d’Avray … Blanche me dit : Petit Bob,
5ème acte : Au Café Anglais. Nous donnons des billets. si nous invitions à dîner ton ami,
Gardefeu.
Reprise générale.
Nous sommes employés de la ligne de Gardefeu.
l’Ouest Blanche était à Ville d’Avray; elle
Qui dessert Snt Malo, Batignolles et m’écrit: Venez demain à une heure, il
Brest n’y sera pas; en sortant de chez vous,
Conflans, Triel, Poissy recommandez à votre domestique de
Etc. etc. dire que vous devez bientôt rentrer.

(Cloche dans l’intérieur de la gare. Bobinet.


Gardefeu et Bobinet entrent au milieu Je réponds : soit ! invitons Gardefeu.
du brouhaha de la sortie.) Elle me dit : Va le chercher à Paris, il
est chez lui à une heure, ne reviens pas
Scène 2. sans lui … Je pars …

Gardefeu, Bobinet, L’Employé. Gardefeu.


J’arrive à Ville d’Avray. Je trouve
Bobinet. Blanche. Je ne trouve pas Bobinet. Je
A quelle heure arrive le train de lui dit : Comment avez-vous fait pour
Maisons ? l’éloigner ?

L’Employé. Bobinet.

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J’arrive chez Gardefeu … Son Métella. On dit d’une femme ! C’est une rouée.
domestique me dit : Monsieur va Fichtre ! Je suis pincée !
rentrer à l’instant. Il était une heure. Gardefeu.
J’attends. Gontran. Pourquoi ?
Vous paraissez embarrasée,
Gardefeu. Madame, et votre bras frissonne sur Bobinet.
Blanche me répond : J’ai pris un mon bras. Parce qu’elle a fait ceci et cela.
moyen très simple. J’ai dit au petit Bob
d’aller vous chercher à Paris et de ne Bobinet et Gardefeu (ensemble.) Gardefeu.
pas revenir sans vous. Madame, en nous voyant, est surprise La belle affaire !
peut-être.
Bobinet. Bobinet.
Deux heures arrivent, puis trois Gontran. Mais Métella ça n’est pas ça.
heures … J’attendais toujours … Ces deux messieurs paraissent vous
Monsieur veut-il des cigares, m’avait connaître. Gardefeu.
dit le domestique … Ils sont C’est autre chose.
excellents. Métella (froidement.)
Ces messieurs ? Connais pas ! Bobinet.
Gardefeu. A la bonne heure, quand vous voudrez
Et pendant que Bobinet fumait mes (Elle entraîne Gontran.) me parler d’une rouée parlez-moi de
cigares à Paris, moi, là bas … Métella … Elle nous trompait.
Chœur.
Bobinet. Le ciel est noir Gardefeu.
Enfin, à quatre heures, je me décide à Il va pleuvoir Elle nous trompait.
m’en aller tout seul ; je retourne à Dans un instant, la chose est sûre
Ville d’Avray et je le trouve installé. Vite courons Bobinet.
Et nous hâtons Je m’en doutais quelque temps du
Gardefeu. Ou nous n’aurons pas de voiture. reste. Il y a huit jours je l’ai
Vers cinq heures il est revenu. Je lui ai regardée … là … entre les deux yeux.
dit : Tiens, pendant que tu étais chez (Les Voyageurs sortent en se
moi, j’étais chez toi ; c’est très drôle. bousculant.) Gardefeu.
Où ça ?
Bobinet. Scène 5.
Je ne l’ai pas trouvée drôle. Bobinet.
Bobinet, Gardefeu. Là ! (sonnant 3 petits coups sur le front
Gardefeu et Bobinet. de Gardefeu.) Ni là, ni là, mais là,
Et voilà pourquoi nous ne nous saluons (ils se regardent quelque temps, puis quand on tient à savoir la vérité c’est là
plus. tombent dans les bras l’un de l’autre.) qu’il faut regarder les femmes, donc je
l’ai regardée là et j’ai tout de suite vu
(Cloche au dehors.) Bobinet. clair dans son jeu. Elle ne m’aimait
Gardefeu ! pas.
L’Employé.
Le train de Maisons, messieurs, le train Gardefeu. Gardefeu.
de Maisons. Bobinet ! Crois-tu ? …

(Entrent des voyageurs.) Bobinet. Bobinet.


Une trahison nous sépare. Elle se moquait de moi ! Oh ! mon
Scène 4. Dieu ! Je ne lui en veux pas. Quel
Gardefeu. plaisir une femme comme Métella
Les mêmes, Métella, Gontran, Qu’une trahison nous réunisse. peut-elle trouver dans la société d’un
Voyageurs. homme tel que moi. Nous ne parlons
Bobinet. pas la même langue. Il y a des
Chœur de Voyageurs. Elle nous trompait. moments dans la conversation, je ne
Le ciel est noir sais pas si tu l’as remarqué. Il y a des
Il va pleuvoir Gardefeu. moments où j’aime à aborder des
Dans un instant, la chose est sûre Elle nous trompait. Comment se questions élevées … Il n’y a pas ; on
Vite, courons portent ta respectable tante, madame aurait beau me tenir … il faut
Et nous hâtons de Quimper-Karadec et ta charmante absolument que j’aborde.
Ou nous n’aurons pas de voiture cousine, madame de Folle-Verdure.
Gardefeu.
(ils sortent en courant. Paraît Métella Bobinet. Je l’ai remarqué, Bobinet.
au bras de Gontran.) Très bien ! Je te remercie ! Elles sont à
la campagne pour le moment, mais Bobinet.
Gardefeu. revenons à Métella, c’est une rouée. Ça a fini par assommer Métella et
Métella ! alors … Tant mieux, du reste. Sa
Gardefeu. conduite me décide à mettre tout de
Bobinet. Une vraie rouée ! suite à exécution un projet que j’avais
Métella ! formé. Il y a longtemps que les
Bobinet. femmes du monde se plaignent d’être

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délaissées par les jeunes gens à la Epine. Elle montrait un mari et se


mode. Je trouve qu’elles ont raison et disait baronne. Mais était-elle du Joseph.
je suis décidé à revenir avec elles. monde ? Pas du tout; ils ont envoyé une
dépêche à l’hôtel et c’est moi que l’on
Gardefeu. Scène 7. a chargé …
Tu as peut-être raison. Gardefeu, Joseph.
Gardefeu.
Bobinet. Joseph. Rien ne s’opposerait alors à ce que je
Tel que tu me vois, je voudrais être le Non, monsieur, elle n’en était pas. prisse ta place.
chef d’un grand mouvement qui
ramènerait la jeunesse brillante dans Gardefeu. Joseph.
les hôtels du grand monde. Joseph, mon ancien domestique ! Rien du tout; si j’y consentais !

Couplets. Joseph. Gardefeu.


1. Moi-même. Trop heureux de m’être Et tu y consentiras, bon Joseph, tu y
Elles sont tristes, les marquises trouvé là pour donner à monsieur ce consentiras, moyennant une honnête
De nous voir, fuyant leur salon petit renseignement. rétribution.
Aller faire un tas de bêtises
Chez des femmes de mauvais ton Gardefeu. Joseph.
Les ingrats, disent les pauvrettes Et, qu’est-ce que tu viens faire ici ? Soit ! monsieur. Je vous cèderai mon
Chez nous, ne trouveraient-ils pas baron et ma baronne, contre
Chez nous autres, femmes honnêtes Joseph. indemnité …
Des plaisirs bien plus délicats ? Je ne suis plus domestique, monsieur,
Allons y donc, et dès demain je suis guide ! Gardefeu.
Repeuplons les salons du faubourg Le baron et la baronne … Je ne
Saint-Germain. Gardefeu. pourrais pas prendre la baronne
Guide ! … Mais tu n’as pas seulement.
Bobinet et Gardefeu (ensemble.) l’uniforme …
Allons y donc, et dès demain Joseph.
Repeuplons les salons du faubourg Joseph. Oh ! non, monsieur … c’est un lot …
Saint-Germain. Il ne s’agit pas du régiment, monsieur, il faut tout prendre ou rien !
je suis guide … Cicerone … attaché au
Bobinet. Grand-Hôtel … c’est moi qui suis Gardefeu.
2. chargé de promener les étrangers dans Je prends tout, mais comment les
Et puis, cher, ce qui me décide Paris, et de leur détailler les beautés de reconnaîtrai-je ?
A quitter le monde élégant la capitale.
C’est que ma bourse est vide, vide Joseph.
Vide, que c’en est désolant, Gardefeu. C’est mon affaire. Je vais aller dans la
Or, pour peu qu’on y réfléchisse Et tu attends des voyageurs ? gare les recevoir au sortir du train. Je
Quand on n’a pas le sou, vois-tu vous les amène et vous en ferez ce que
Il est temps de lâcher le vice Joseph. vous voudrez.
Pour revenir à la vertu Oui, monsieur. J’attends un baron
Allons-y donc et dès demain danois suédois qui doit arriver par le Gardefeu.
Repeuplons les salons du faubourg train de Havre ! Un baron danois Va, bon Joseph, va, je serai leur guide.
Saint-Germain. suédois accompagné de sa femme.
Joseph.
Bobinet et Gardefeu (ensemble.) Gardefeu. Décidément.
Allons-y donc et dès demain Une baronne danoise ! suédoise !
Repeuplons les salons du faubourg Gardefeu.
Saint-Germain. Joseph. Oui, décidément.
Naturellement.
Bobinet. Joseph.
Et maintenant, rue de Varenne, chez la Gardefeu. Eh bien alors voici une lettre qu’on a
petite comtesse Diane de la Roche- Une baronne danoise suédoise, mais envoyée pour la baronne au Grand-
Trompette. Adieu bon ! A bientôt. c’est une femme du monde ! Hôtel. Vous aurez à la remettre.

(Sort Bobinet.) Joseph. Gardefeu (prenant la lettre.)


J’aime à le croire, monsieur ! Je la remettrai. Je la remettrai, mais va
Scène 6. me chercher mes danois. suédois.
Gardefeu.
Gardefeu (seul.) C’est le ciel qui me l’envoie. – Joseph.
Etre l’amant d’une femme du Joseph ? J’y vais, monsieur. J’y vais ! (il sort.)
monde … Ce n’est pas une mauvaise
idée. Mais il faudrait trouver une Joseph. Scène 8.
femme du monde qui consentit à être Monsieur ?
ma maîtresse ! Le problème est là ! Où Gardefeu, seul.
pourrais-je trouver ? (Entre Joseph.) Gardefeu. Comme c’est drôle ! une femme que je
J’en connaissais une, autrefois, qui Ce baron et cette baronne, ils ne te ne connais pas et je suis ému en
s’appelait madame de la Blanche connaissent pas. l’attendant.

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(Le baron s’approche du guide et lui La baronne.


Triolet. adresse une longue phrase en danois On vous paiera
I. suédois.) Ce qu’il faudra.
Ce que c’est pourtant que la vie
J’étais l’amant de Je croyais chérir Gardefeu. Gardefeu.
Métella Sacrebleu ! Je n’avais pas pensé à Un pareil mot doit me suffire
La coquine me plante là ! celle-là. (Il est comme ahuri. La Dites-moi, maintenant, où je dois vous
Ce que c’est pourtant que la vie ! baronne répète la phrase.) Je ne conduire ?
Je croyais l’aimer, et voilà comprends pas davantage, mais c’est
Qu’en un quart d’heure je l’oublie plus doux ! Le baron.
Ce que c’est pourtant que la vie Moi, je voudrais voir les théâtres,
J’étais l’amant de Je croyais chérir Le baron (à la baronne, à part.) Pas ceux où l’on s’embête, mais
Métella. Comment allons-nous faire ? Ce guide Ceux où des actrices fôlatres
ne parle pas le danois suédois ? Offrent aux regards mille attraits.
II.
Je vais conduire une Danoise Suédoise La baronne. Gardefeu.
A travers le monde élégant Si nous lui parlions français ? Soit, monsieur, nous irons là
Je me fais guide maintenant Et vous verrez tout cela.
Je vais conduire une Danoise Suédoise Le baron.
Il faut tâcher d’être amusant C’est une idée ! Je n’y songeais pas. La baronne.
Et de divertir ma bourgeoise Je veux moi, dans la capitale
Je vais conduire une Danoise Suédoise La baronne. Voir les divas qui font fureur
A travers le monde élégant. Dites-moi, mon ami … Voir la Patti dans Don Pasquale
Et Thérésa dans le Sapeur
III. Gardefeu.
Si cette Danoise baronne est jolie Allons bon ! Voilà que je comprends Gardefeu.
Je sais où je la veux mener le danois suédois maintenant ! Madame, nous irons là
Et cela peut se deviner Et vous verrez tout cela.
Si cette Danoise baronne est jolie La baronne.
Je compte bien la promener Vous connaissez bien Paris, au Ensemble.
Dans le sentier de la folie moins ?
Si cette Danoise baronne est jolie Gardefeu.
Je sais où je la veux mener. Gardefeu (à part.) Oui, je serai votre guide
Eh ! non ! C’est du français ! (haut, Dans cette ville splendide
Ah ! par exemple ! Si la baronne n’est avec transport.) Si je connais Paris, Je vous conduirai partout
pas jolie ou si elle a 60 ans, je la madame la baronne. Grâce à moi, vous verrez tout.
recampe à Joseph et c’est lui qui la
promènera. Trio. Le baron et la baronne.
(Entre Joseph suivi du baron et de la Nous allons avoir un guide
baronne.) Gardefeu. Dans cette ville splendide
Jamais, foi de Cicérone Il nous conduira partout
Scène 9. La moderne Babylone Grâce à lui nous verrons tout.
N’aura vu, soyez en sûrs
Gardefeu, Joseph, le baron, la baronne Dans ses murs Le baron (prenant Gardefeu à part.)
(la baronne est voilée.) Etrangers mieux promenés Il est encor certaines choses
Mieux guidés Que je voudrais voir … parlons bas
Joseph. Pilotés Sur ce point, il faut, et pour causes
Les voici, monsieur, les voici ! Amusés Que ma femme n’entende pas !
Dirigés
Gardefeu. Hébergés Gardefeu.
Bien ! mais ne t’en va pas encore. Il Mieux lotis, Ah ! Vous êtes un gros farceur !
faut d’abord que je sache si ces Danois Divertis,
Suédois me conviennent. (Entrent le Réjouis, Le baron.
baron et la baronne.) Le mari est bien, Eblouis ! Oh ! C’est en tout bien, tout honneur !
mais c’est la femme qu’il faut voir. Et pour cela, vous paierez
Monsieur, ce que vous voudrez. La baronne (prenant Gardefeu à part.)
Joseph. J’ai deux ou trois courses à faire
Voici votre guide, M. le baron. (à Le baron. A faire seule … parlons bas
Gardefeu.) Raoul, voici vos voyageurs. On vous paiera Sur ce point, il est nécessaire
(La baronne lève son voile.) Ce qu’il faudra. Que mon mari n’entende pas.

Gardefeu. Gardefeu. Gardefeu.


Ah ! … C’est bien, va-t-en, Joseph, va- Ah ! ne parlons pas de cela Eh ! la baronne me fait peur !
t-en ! (avec éclat.) Je serai leur guide ! Et, laissons-là cette misère
(Joseph sort.) Nous nous entendrons. La baronne.
Oh ! C’est en tout bien, tout honneur !
Scène 10. Le baron.
Le baron, la baronne, Gardefeu. Je l’espère ! Gardefeu (au baron et à la baronne.)
Ne craignez rien

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Tout ira bien aujourd’hui, mais qu’elle y reviendra Tant bien que mal des sommes folles
Allez, allez après demain. Nous sommes invités à Et je viens pour que tu me voles
Vous en verrez venir dîner avec elle chez sa tante, Tout ce que là-bas, j’ai volé.
Plus encor que vous ne pensez. madame de Quimper-Karadec.
Je suis Brésilien, j’ai de l’or
Ensemble. Le baron. Et j’arrive de Rio-Janeire
Eh bien ! nous irons dîner chez Vingt fois plus riche que naguère
Gardefeu. madame de Quimper-Karadec. (Rentre Paris ! Je te reviens encor !
Oui, je serai votre guide Gardefeu suivi des voyageurs.)
Etc. etc. Ce que je veux de toi, Paris
Scène 12. Ce que je veux, ce sont tes femmes
Le baron et la baronne. Ni bourgeoises, ni grandes dames
Nous allons avoir un guide Les mêmes, Gardefeu, le Brésilien, Mais les autres … l’on m’a compris
Etc. etc. Voyageurs. Celles que l’on voit étalant
Sur le velours de l’avant-scène
Gardefeu. Gardefeu. Avec des allures de reine
Et, maintenant, partons. Voici vos bagages, on les apporte… Un gros bouquet de lilas blanc
Celles dont l’oeil froid et câlin
Le baron. Finale. En un instant, jauge une salle
Mais nos bagages ! Allez les prendre ! Et va, cherchant de stalle en stalle
Voici le bulletin. Choeur. Un successeur à ce gandin
Paris ! Paris Qui, plein de chic, mais indigent
Gardefeu. Dans une course furibonde Au fond de la loge se cache
Oh ! les bagages … On pourrait à la Nous accourons vers toi, Paris, Et dit, en mordant sa moustache
rigueur … Vers toi, Paris, reine du monde Où diable trouver de l’argent
Nous venons de tous les pays De l’argent ! moi ! J’en ai ! Venez !
Le baron. Paris ! Paris ! Nous le mangerons, mes poulettes
Comment, on pourrait … Puis après, je ferai des dettes
Le baron. Tendez vos deux mains, et prenez !
Gardefeu. Partons-nous, maintenant ?
Vous y tenez à vos bagages … Ah ! Je suis Brésilien, j’ai de l’or
alors … les bagages … le bulletin … La baronne. Et j’arrive de Rio-Janeiro
Je suis guide … Attendez-moi, ne Non ! Ce coup d’oeil me plaît, Vingt fois plus riche que naguère
partez pas sans moi. attendons un instant. Paris, je te reviens encor !

La baronne. (Entre le Brésilien) Hurrah ! Je viens de débarquer


Il n’y a pas de danger puisque vous Mettez vos faux cheveux, cocottes
êtes notre guide. Choeur. J’apporte à vos blanches quenottes
Voici venir le personnage Toute une fortune à croquer !
Gardefeu. D’une exquise distinction Le pigeon vient ! Plumez, plumez !
Au fait ! C’est vrai ! puisque je suis Qui, tout seul, pendant le voyage Prenez mes dollars, mes bank-notes
votre guide. Et à ce propos … Occupait un wagon-salon. Ma montre, mon chapeau, mes bottes
Madame, voici une lettre qu’on a Mais dites-moi que vous m’aimez !
remise pour vous, au Grand-Hôtel … Le Brésilien. Dites-moi ces mots délirants
Je cours chercher les bagages. (il sort.) Qui rendent le poête triste,
Rondeau. Dites-moi qu’à votre modiste
Scène 11ème. Vous devez douze mille francs.
Je suis Brésilien, j’ai de l’or Qu’il faut encor mille écus pour
Le baron, La baronne. Et j’arrive de Rio-Janeire Cette gueuse de couturière
Plus riche aujourd’hui que naguère Plus deux mille pour la lingère
La baronne. Paris, je te reviens encor ! En un mot, parlez-moi d’amour !
Une letre pour moi ! Je paierai tout comptant, content
Deux fois je suis venu déjà. Mais vous connaissez ma nature
Le baron. J’avais de l’or dans ma valise Et j’en prendrai, je vous le jure
Et de qui cette lettre ? Des diamants à ma chemise Ah ! J’en prendrai pour mon argent
Combien a duré tout cela.
La baronne (ouvrant la lettre et la Le temps d’avoir deux cents amis Je suis Brésilien, j’ai de l’or
parcourant.) Et d’aimer quatre ou cinq maîtresses Et j’arrive de Rio-Janeire
C’est de Julie ! Vous savez bien, Six mois de galantes ivresses Vingt fois plus riche que naguère
madame de Folle-Verdure que j’ai Et plus rien ! O Paris ! Paris ! Paris, je te reviens encor !
connue à Copenhague … Son mari En six mois, tu m’as tout rafflé
était attaché à l’Ambassade. Et puis, vers ma jeune Amérique Reprise du choeur.
Tu m’as, pauvre et mélancolique, Paris ! Paris ! etc.
Le baron. Délicatement remballé.
Et que vous dit-elle ? Mais je brûlais de revenir Le brésilien, Le baron, la baronne,
Et là-bas, sous mon ciel sauvage Gardefeu.
La baronne. Je me répétais avec rage Entrons, entrons dans la fournaise
Je lui avais annoncé notre arrivée. Elle Une autre fortune ou mourir ! Entrons, voici le grand moment.
m’écrit qu’elle ne peut pas être à Paris Je ne suis pas mort, j’ai gagné Pour les gens qui sont à leur aise

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Paris est un endroit charmant. Je suis le bottier.


Gabrielle.
Choeur général. Gabrielle. Que veut dire ce compliment ?
Nous venons Telle est ma carrière !
Arrivons Frick.
De tous les pays du monde Frick. L’allemand n’est point né volage !
Par la terre ou bien par l’onde. Tel est mon métier ! Il aspire à vivre en ménage !
Italiens,
Brésiliens, Gabrielle. Gabrielle.
Japonais, Je suis des premières. Expliquez-vous plus nettement !
Hollandais,
Espagnols, Frick. Frick.
Romagnols, Je suis des premiers. Eh ! bien, tous mes compatriotes
Egyptiens Depuis longtemps sont mariés !
Et Prussiens Gabrielle.
De tous les pays du monde Parmi les gantières ! Gabrielle.
Par la terre ou bien par l’onde Achevez donc !
Nous venons Frick.
Arrivons Parmi les bottiers ! Frick.
(bruit de la vapeur) C’est la botte Si vous vouliez …
Tsehut ! Tsehut ! Tsehut ! Qui dénote
(sifflet de la locomotive) L’homme vraiment élégant Gabrielle.
Pssitt ! Pssitt ! Pssitt ! C’est la botte ! Si je voulais …
Le chauffeur
Nous amène Gabrielle. Frick.
Nous entraîne C’est le gant ! Si vous vouliez …
La vapeur Nul jeune homme (avec feu)
En furie N’est en somme à vos pieds je mettrai mes bottes !
Siffle et crie S’il n’est finement ganté
L’eau qui bout Cité comme Gabrielle.
Exaspère Un jeune homme Je crois qu’elles ne m’iraient pas.
La chaudière ! Méritant d’être cité !
C’est partout Frick.
Une rage Frick. Hélas ! Hélas !
De tapage Nul jeune homme
Tsehut ! Tsehut ! Tsehut ! N’est en somme Gabrielle, (avançant son pied.)
Pssitt ! Pssitt ! Pssitt ! S’il n’est finement botté Voyez ! elles ne m’iraient pas !
Tous les étrangers ravis Cité comme
Vers toi s’élancent, Paris Un jeune homme Frick.
Tsehut ! Tsehut ! Tsehut ! Méritant d’être cité ! Soyez moins sévère, mignonne !
Pssitt ! Pssitt ! Pssitt ! C’est la botte Qu’à la botte le gant se donne !
Nous venons Qui dénote
Arrivons ! L’homme vraiment élégant ! Gabrielle, (avec un regard
C’est la botte ! encourageant.)
Acte 2e Eh bien ! nous verrons ça plus tard !
Gabrielle.
Un salon chez Gardefeu. Portes au C’est le gant ! Frick.
fond, à droite et à gauche. Oh ! ce regard ! Oh ! ce regard !
Frick, (s’animant.)
Scène 1ère C’est la botte ! Reprise de l’ensemble.
Je suis la gantière, etc.
Frick, Gabrielle. Gabrielle, (idem.) Je suis le bottier, etc.
(Frick et Gabrielle paraissent au fond. C’est le gant !
Frick portant à la main une paire de Frick.
botte vernies, et Gabrielle un carton.) Frick. Et notez qu’en m’épousant, vous
Allons, je suis bon enfant ! n’épouseriez pas un bottier ordinaire.
Duo. C’est la botte et c’est le gant !
Gabrielle.
Frick, (accent allemand) Ensemble. Comment cela ?
Entrez ! entrez, jeune fille à l’oeil bleu, Nul ne peut être élégant
Chez l’homme adoré des cocottes, Sans la botte et sans le gant ! Frick.
Monsieur Raoul de Gardefeu, Je ne fais pas seulement des bottes
Vous apportez des gants, moi, Reprise. pour les messieurs, je fais aussi des
j’apporte des bottes ! Je suis la gantière, etc. bottes pour les dames.
Je suis le bottier, etc.
Gabrielle, (accent bordelais.) Gabrielle.
Je suis la gantière ! Frick. Vraiment, M. Frick.
Savez-vous bien, mademoiselle
Frick. Que vous êtes crânement belle ! Frick.

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Des bottes … des petites bottes qui Tout-à-l’heure … Tout-à-l’heure ! …


montent très haut et je leur prends Alphonse. Dites-moi donc …
mesure. Les bagages ?
Gardefeu.
Gabrielle. Gardefeu. Quoi, M. le baron ?
Eh bien ? Eh ! oui, les bagages … Dépêche-toi !
Le baron.
Frick. (Alphonse sort.) Vous m’avez dit que j’étais au Grand-
Voulez-vous que je vous prenne Hôtel … il est tout petit, cet hôtel !
mesure … Venez je vais vous prendre Scène 4e
mesure. Gardefeu.
Gardefeu (seul.) Mais oui … vous êtes dans un des
Gabrielle. petits hôtels du Grand-Hôtel !
Mais je ne veux pas. Je leur ai dit qu’ils étaient au Grand-
Hôtel ! Elle est très jolie la Danoise Le baron.
Frick. Suédoise et je la tiens. – L’important Je ne comprends pas bien !
Moi … je veux absolument … je vais est de la garder. – Où en sont-ils, ce
vous prendre mesure. mari et cette femme ? Je vais risquer Gardefeu.
une épreuve. C’est fort simple; le Grand-Hôtel étant
Gabrielle. plein, l’administration a dû acheter une
Si vous approchez … Scène 5e foule de petits hôtels pour y loger les
voyageurs. C’est dans un de ces petits
Frick. Gardefeu, le baron, la baronne, le hôtels que se trouve logé M. le baron.
Puisque je dois vous épouser ! domestique, une femme de chambre.
Le baron.
(Entre le domestique.) Le baron. Ah ! l’administration a dû acheter ?
C’est très bien ici … c’est très bien !
Scène 2e Gardefeu.
Gardefeu. Mais oui, monsieur, mais oui, et il est
Les mêmes, le domestique. Alphonse ? bien probable que Paris devenant de
plus en plus une ville d’étrangers, dans
Frick. Alphonse. la suite des temps, le Grand-Hôtel
Eh bien ! M. de Gardefeu ! Monsieur … finira par envahir la ville tout entière.
Alors, on ne demeurera plus à Paris,
Le domestique. Gardefeu. mais selon la fortune qu’on aura, on
Il ne peut vous parler maintenant ! Il Prenez les bagages qui sont à monsieur viendra y passer quelque temps pour
vous parlera tout-à-l’heure … Entrez et portez-les là … ce sera votre faire de bons dîners, aller au théâtre …
là ! chambre, M. le baron.
Le baron.
Frick, (à Gabrielle) (il désigne une porte à gauche.) Et voir Présenter ses hommages à des
C’est très bien, je vais vous prendre petites femmes ?
mesure pour la botte … les petites Le baron.
bottes ! Très bien ! Gardefeu ( froidement.)
Oui, monsieur le baron.
Gabrielle. Gardefeu ( à la femme de chambre.)
Mais non … mais non ! Et vous, mademoiselle, faites porter là Le baron.
ce qui est à madame … ce sera votre Je ne voudrais pas quitter Paris sans
Frick. chambre, madame ! avoir vu une de ces femmes présenté
Si fait ! mes hommages à une de ces femmes !
La baronne (avec effusion.)
Le Domestique. Merci, monsieur ! (à part.) Ce garçon a Gardefeu (à part.)
Entrez ! Entrez donc ! de l’esprit. Ah ! ah ! je te vois venir.

(il les pousse et les fait entrer dans une (Elle entre à droite.) Le baron.
pièce à droite.) Il y a un de mes amis, le baron de
Gardefeu. Frascata.
Scène 3e Voilà où ils en sont … Je ne suis pas
fâché de le savoir. Gardefeu (à part.)
Gardefeu, le Domestique. Frascata !
Scène 6e
Gardefeu, (entrant.) Le baron.
Alphonse ! Gardefeu, le baron. Il a connu à Paris une certaine Métella
dame qui jouait la comédie dans un
Alphonse. Gardefeu. théâtre – une certaine Métella.
Monsieur … Et vous, M. le baron, vous n’entrez
pas ? Gardefeu.
Gardefeu. Je m’en doutait …
Descends et aide ces gens à monter les Le baron.
bagages. Le baron.

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La Vie parisienne – Livrets de Censure (1866/1873) 8

Vous dites ? Il n’y a donc pas de table d’hôte ?


Le baron.
Gardefeu. Gardefeu. C’est bien bon marché … comment
Je dis que je le savais … Vous tenez à dîner à table d’hôte ? pouvez-vous vous en tirer ?

Le baron. Le baron. Gardefeu.


Et il m’a donné une lettre de Mais certainement, je voyage pour Ah ! je vais vous dire … C’est une
recommandation pour elle. Savez-vous m’amuser … je n’ai pas envie de dîner compagnie … moi, je suis employé …
où elle demeure ? en tête-à-tête avec la baronne. j’ai un traitement fixe … alors, ça
m’est bien égal … si la compagnie fait
Gardefeu. Gardefeu (à part.) de mauvaises affaires … ça regarde
Si je le sais ! … Oh ! j’aime ce mot ! ceux qui ont des actions. Vous devez
comprendre que je n’en ai pas, moi,
Le baron. Le baron. j’ai un traitement fixe. Je ne tiens qu’à
Eh bien ! vous lui ferez parvenir cette Et puis je veux voir du monde, une chose, c’est à ce que mes
lettre … observer, rire … et s’il n’y a pas de voyageurs soient de bonne humeur.
table d’hôte ici, je m’en vais. Pour cela, je les fais payer très peu …
Gardefeu. Ainsi je vous ai dit cent sous …
Tout de suite ? Gardefeu (à part.) voulez-vous que ce soit quatre francs ?
Comment, il s’en va ! … (haut) ne
Le baron. vous en allez pas … il y en aura une. Il Le baron.
Le plus vite possible … car … faut qu’il y en ait une à tout prix ! Non, non !

Couplets. Le baron. Gardefeu.


1. A la bonne heure ! … mais qu’est-ce C’est entendu, alors ?
Dans cette ville toute pleine que vous entendez par : à tout prix ! …
De plaisirs, de joie et d’amour, Le baron.
Dans cette ville souveraine Gardefeu. Et à quelle heure, la table d’hôte ?
Je ne ferai qu’un court séjour ! J’entends qu’on peut payer plus ou
J’y resterai trois mois peut-être ! moins si l’on prend des suppléments ! Gardefeu.
Or, trois mois, c’est bien peu, je crois, La table d’hôte ?
Bien peu, quand on veut tout Le baron.
connaître ! C’est juste ! … à propos de prix … Le baron.
Aussi je veux dans ces trois mois qu’est-ce que je vais dépenser ici ? Eh ! oui …
(passant sa main au devant de la
bouche) Gardefeu. Gardefeu.
Je veux m’en fourrer jusque-là ! Combien de personnes êtes-vous ? Ah ! c’est vrai, je n’y pensais plus … à
Portez la lettre à Métella ! 7 heures, la table d’hôte … à 7 heures !
Le baron.
2. Quatre : la baronne et moi, la femme Le baron.
Mon père, un gentilhomme austère de chambre et le domestique … C’est très bien … j’entre dans la
Tint ma jeunesse avec rigueur chambre et je vais m’habiller !
Il ne comprenait rien, mon père, Gardefeu (à part.)
Aux exigences de mon coeur ! Comment ! Je vais lui prendre de (il sort.)
J’ai dû garder ma robe blanche l’argent pour … Oh ! c’est indigne ! …
Jusqu’à mon mariage, mais Scène 7e
Je prétends prendre ma revanche Le baron.
C’est le moment, ou bien jamais. Eh ! bien, ça me coûtera … ? Gardefeu (seul.)
Je veux m’en fourrer jusque-là ! Une table d’hôte ! … On peut tenir
Portez la lettre à Métella. Gardefeu (à part.) vingt dans ma salle à manger à la
Prenons-lui en très peu, au moins. rigueur … mais il faudrait trouver des
Gardefeu. gens pour cette table d’hôte … où en
C’est entendu, monsieur, je ferai porter Le baron. trouverai-je ? … (Entre la gantière
votre lettre. Eh ! bien ? effarée, suivie de Frick plein d’ardeur,
tenant d’une main le châle de Gabrielle
Le baron. Gardefeu. et de l’autre les bottes de Gardefeu.)
C’est très bien ! à quelle heure dîne-t- Eh bien ! mais ça sera dix francs ! …
on ? Scène 8e
Le baron.
Gardefeu. Dix francs ! Gardefeu, Frick, Gabrielle.
Mais à l’heure que vous voudrez.
Gardefeu. Gabrielle (poursuivie par Frick.)
Le baron. Aimez-vous mieux cent sous ? Ah !
Comment à l’heure que je voudrai …
Le baron. Gardefeu.
Gardefeu. Par tête ? Qu’est-ce que c’est ?
Sans doute !
Gardefeu. Gabrielle.
Le baron. Non, pour tout le monde ! Monsieur, c’est votre bottier …

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Gardefeu. absolument besoin de cinquante mille


Gardefeu. Voilà qui est entendu, alors ! … Vous francs. (fin du mélodrame.)
Qu’est-ce que cela signifie, M. Frick ? serez le major … Vous serez, vous, la
veuve du colonel … à 7 heures, Gardefeu.
Frick. revenez ! … Oh !
J’apporte vos bottes …
Frick et Gabrielle. Bobinet.
Gardefeu (à part.) A 7 heures ! Prêtez-les moi, je vous les rendrai
Ah ! quelle idée ! jeudi soir. Je lui ai répondu :
(au moment où Frick et Gabrielle vont Comtesse, vous les aurez dans deux
Frick. sortir, Bobinet paraît au fond, il a l’air heures et je suis parti.
Quoi donc ? navré. Mélodrame à l’orchestre sur le
motif du 1er acte : Repeuplons les Gardefeu.
Gardefeu. salons du faubourg Saint-Germain.) Ah ! tu n’aurais pas dû promettre.
Mes amis, écoutez-moi … Vous ne
remarquez pas une chose … c’est que Gardefeu. Bobinet.
nous n’avons jamais dîné ensemble … Qu’est-ce que tu as, toi ? Ça l’a rendue si heureuse … C’est un
bonheur qui ne durera que deux
Frick. (Bobinet fait signe qu’il ne peut pas heures … mais enfin, c’est toujours
Tiens, c’est vrai ! répondre.) ça … ah ! les femmes du monde ! …

Gabrielle. Gardefeu (en renvoyant Frick et Gardefeu.


Jamais ! jamais ! … Gabrielle.) N’en dis pas de mal … il y en a une
A 7 heures ! là … une baronne danoise suédoise…
Frick. que j’ai trouvée à la gare …
Mais quand vous voudrez … Frick et Gabrielle.
A 7 heures, comptez sur nous ! Bobinet.
Gardefeu. Oui, je sais, ton domestique vient de
Aujourd’hui, ça vous va-t-il ? Scène 9e me prévenir … j’aurais bien ri si
j’avais été moins triste.
Gabrielle. Gardefeu, Bobinet.
Parfaitement ! Gardefeu.
Bobinet. Tu es triste ?
Gardefeu. Et moi qui m’étais décidé à aller chez
Très bien … vous devez avoir des les femmes du monde parce que je Bobinet.
amis et des amies ? … n’avais plus le sou. Je suis navré.

Frick. Gardefeu. Gardefeu.


Sans doute ! Eh ! bien, parle maintenant. Tant pis ! Si tu avais été gai, tu aurais
pu me rendre service.
Gardefeu. Bobinet.
Eh bien ! Si vous profitiez de Ah ! mon ami ! Bobinet.
l’occasion pour amener une dizaine Je suis gai alors … un ami …
des uns et des autres ? … Gardefeu.
Voyons ! Gardefeu.
Frick. Ce soir, pour garder ici le baron et la
Je veux bien, moi. Bobinet. baronne, j’ai improvisé une table
J’arrive de la rue de Varenne. d’hôte. Demain, pour que la femme
Gabrielle. restât seule ici et que le baron restât
Je ne demande pas mieux. Gardefeu. dehors tard, très tard … il faudrait …
La comtesse de la Roche Trompette
Gardefeu. n’était pas chez elle… Bobinet.
Et puis, si vous voulez, pour que ce Il faudrait ?
soit tout-à-fait drôle … au lieu de Bobinet.
garder vos noms, vous prendrez ceux Elle y était. Gardefeu.
de vos clients et de vos clientes … Une Eh ! je ne sais pas ce qu’il faudrait. Si
table d’hôte ! … il me faudrait Gardefeu. je le savais ! …
absolument un major ! Elle ne t’a pas bien reçu ?
Bobinet.
Frick. Bobinet. Ce soir une table d’hôte, m’as-tu dit ?
J’en connais un … un type … un Elle m’a presque sauté au cou.
véritable type … Gardefeu.
Gardefeu. Oui.
Gardefeu. Eh bien ! … alors …
Et la veuve d’un colonel … Bobinet.
Bobinet. Mieux que cela, moi, demain, la même
Gabrielle. Et elle m’a dit … elle m’a dit … mon idée plus en grand, une fête de nuit
J’en connais une. ami, vous pouvez me sauver, j’ai dans l’hôtel de Quimper-Karadec en
l’honneur de ton Danois Suédois.

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La baronne. madame, que je suis un guide comme


Gardefeu. Monsieur ! … les autres ? Peut-être … (avec orgueil)
Ah ! ce serait superbe ! mais comment Tel que vous me voyez, madame, je
feras-tu ? Gardefeu. devrait être sous-préfet !… (revenant à
Madame. un ton naturel) Si vous le voulez,
Bobinet. madame, je ferai remettre à cette
Ma tante Karadec et ma cousine de La baronne. personne les bagues et la lettre.
Folle-Verdure sont absentes … L’hôtel Voilà ce que j’ai trouvé dans une
est à ma disposition … Il y a dans coupe sur la cheminée ! La baronne (se méfiant.)
l’hôtel avec moi, deux domestiques, Je le veux bien, monsieur.
Prosper et Urbain, deux drôles qui ont Gardefeu.
un esprit du diable. Il y a la femme de Quoi donc, madame ? (Entre Métella.)
chambre de ma cousine et les deux
nièces du concierge. Voilà les invités. La baronne. Scène 12e
Quant à moi … Cinq bagues, très jolies, ma foi !
Les mêmes, Métella.
Gardefeu. Gardefeu.
Quant à toi … Ah ! c’est vrai … c’est à … Métella (à part.)
Qu’est-ce que je vois ? …
Bobinet. La baronne.
Tu te rappelles le succès que j’ai eu C’est à … Gardefeu.
avec mon costume d’amiral suisse … Tenez, madame, voici justement la
Voilà une occasion de le remettre. Gardefeu. personne qui logeait là avant vous.
Demain, ton baron recevra une C’est à la personne qui logeait là avant
invitation ainsi conçue : l’amiral vous, madame. La baronne (saluant.)
Walter prie M. de Gondremarck … et Madame …
caetera. Il viendra. La baronne.
Ah ! il y avait une dame ? Métella (saluant.)
Gardefeu. Madame …
Et tu le retiendra très tard à ta fête. Gardefeu.
Oui ! La baronne.
Bobinet. J’ai trouvé divers objets qui vous
Dame ! ça sera l’affaire de ces La baronne. appartenaient … Je viens de charger
dames … Jolie ? monsieur de vous les remettre.

Gardefeu. Gardefeu. Métella (à part.)


Ah ! mon ami, tu me sauves ! … Très jolie. Par exemple !

Bobinet. La baronne. La baronne.


Tu ne m’as demandé que de la gaîté, Il y avait un monsieur aussi ? Je rentre chez moi.
toi … Si madame de la Roche
Trompette ne m’avait demandé que Gardefeu. Métella (à part.)
ça … ah ! les femmes du monde ! Comment ? Chez elle !
(entre la baronne.)
La baronne. La baronne.
Gardefeu (à Bobinet.) Tenez, j’ai aussi trouvé un billet … A quelle heure le dîner ?
Chut ! Oh ! je n’ai lu que le premier mot …
mon cher Raoul ! Gardefeu.
Scène 10e A 7 heures.
Gardefeu.
Gardefeu, Bobinet, La baronne. Raoul, c’est mon nom. La baronne (saluant.)
Madame …
La baronne (à Gardefeu.) La baronne.
Quel est-ce ? … Comment, c’est à vous ? Métella (idem)
Madame … (la baronne rentre chez
Gardefeu. Gardefeu. lle.)
C’est Joseph ! le maître d’hôtel. A moi, non pas, madame, non pas ! …
Cette lettre est adressée à un autre Scène 13e
La baronne. Raoul … Est-ce qu’on m’écrirait une
Ah ! … lettre comme cela à moi ? est-ce qu’on Métella, Gardefeu.
peut m’aimer, moi ?
Gardefeu. Métella.
Il venait prendre les ordres pour le La baronne. Eh bien ! mais dites donc, je venais
dîner … allez … Joseph ! … allez ! … Monsieur … pour vous donner une explication … il
(Bobinet s’incline et sort.) me semble que je ferai bien de
Gardefeu. commencer par en demander une.
Scène 11e Et pourquoi ne m’aimerait-on pas,
Gardefeu, la baronne. parce que je suis un guide ? la belle Gardefeu.
raison ! D’ailleurs qui vous dit, A quoi bon ?

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Est assomant quand on a vu Paris …


Métella. Métella. que le plaisir dans notre froid pays
Si j’y tenais pourtant … Comment ? Si vous saviez surtout … mais je
divague m’égare …
Gardefeu. Gardefeu. N’oublions pas pourquoi je vous
Je vous dirais que je suis tombé dans la J’ai une lettre pour vous. écris !
misère et qu’alors l’idée m’est venu de Un digne gentilhomme
louer mon hôtel en garni, et de me Métella. Mon ami, que l’on nomme
faire guide. Une lettre de qui ? Nicolas, Paul, baron de Gondremarck
De Gondremarck s’en va demain matin
Métella. Gardefeu. Et qu’un caprice entraîne Son caprice
Guide ! Du baron de Frascata … celui qui l’entraîne
l’hiver dernier … je m’en étais Vers les bords de la Seine
Gardefeu. toujours douté ! Veut à son tour quitter le Danemarck
Oui, il y a ici un baron et une baronne, Je crois qu’il veut s’y divertir un brin
je suis leur guide. Métella. Or en partant Car tout à l’heure il m’a
Mais puisque je vous jure … pris pour me dire:
Métella. Où dois-je aller pour m’amuser, mais
Ah ! enfin ! Gardefeu. là !
Eh ! à quoi bon maintenant ? Moi souriant … pardonnez ce sourire
Gardefeu. J’ai répondu : Va-t’en chez Métella !
Voilà mon explication … à votre Métella. Ecoutez ma prière
tour … quel était ce monsieur … tout- Tu es bête ! … Et à quel propos Recevez-le, ma chère,
à-l’heure à la gare ? m’écrit-il ce baron de Frascata ? Comme autrefois, soyez bonne
aujourd’hui !
Métella. Gardefeu. Prenez pour le séduire
A quoi bon ? C’est fini nous deux. Mais lisez, vous allez voir. Votre plus doux sourire
Je vous réponds absolument de lui ! …
Gardefeu. Rondeau. Je vous l’envoie, et quand plus tard,
Oui, c’est fini. ma belle,
Métella, (lisant). Il reviendra, car il doit revenir
Métella. Vous souvient-il, ma belle, Ô Métella ! faites qu’il se rappelle
Alors, je trouve bien inutile … D’un homme qui s’appelle Tout ce dont moi j’ai le ressouvenir !
Jean Stanislas, baron de Frascata ? En la saison dernière
Gardefeu. En la saison dernière Quelqu’un, sur ma prière
C’est vrai … voilà vos bagues … Quelqu’un sur ma prière Dans un grand bal, chez vous me
Dans un grand bal chez vous me présenta.
Métella. présenta ! Vous souvient-il, ma belle,
Il n’y en a que cinq ? … Je vous aimai, moi, cela va sans dire ! De celui qui s’appelle
M’aimâtes-vous ? Je n’en crus jamais Jean, Stanislas, baron de Frascata ?
Gardefeu. rien.
Est-ce que vous en aviez laissé plus ? Vous le disiez, mais avec quel sourire ! Métella.
De l’amour, non ! mais ça le valait Et qu’est-ce que c’est que ce baron de
Métella. bien ! Gondremarck ?
Je ne sais pas … je croyais … Ça dura six semaines,
Qui furent toutes pleines Gardefeu.
Gardefeu. Des passe-temps les plus Mais c’est mon locataire.
Vous avez raison … il y en avait extravagants !
six … nous retrouverons la sixième. Les verres qui se brisent, Métella.
Et les lèvres qui disent Allons donc !
Métella. Un tas de mots débraillés cavaliers et
Etait-ce une bague ? … C’était un fringants ! Gardefeu.
bracelet peut-être ! Ah ! le bon temps ! Six semaines C’est celui que je dois guider. Si vous
d’ivresse ! vouliez nous pourrions nous partager
Gardefeu. Les longs soupers, les joyeuses la tâche … Vous vous chargeriez de
Comme vous voudrez … chansons ! guider le mari.
Et vous surtout, la perle des
Métella. maîtresses, Métella.
Un bracelet alors, avec des Vous avant tout … mais sur ce point Pendant que vous guideriez la femme.
émeraudes … glissons ! Ah ! c’est le mari de la dame qui …

Gardefeu. Vous dirai-je, ma mie, Gardefeu.


Avec des émeraudes … Qu’à présent je m’ennuie Qu’en dites-vous ? Justement.
Comme un perdu dans le fief paternel
Métella. Et que ma seule joie Métella.
Adieu alors ! Dans le noir que je broie, Tu es bête ! Elle est bien jolie – mes
Et de rêver d’un boudoir bleu de ciel ! compliments –
Gardefeu. Si vous saviez à quel point
Non pas encore adieu ! Copenhague combien c’est chose rare Gardefeu.

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Alors, tu acceptes ? Oh ! je ne les moins dix … dans dix minutes le Découpe


mérite pas encore. dîner ! Fait sauter la coupe
Et possède encor
(entre le baron) Gardefeu (à part.) Mille autres talents … Je suis le
Le dîner … mais je l’ai oublié, moi … major !
Métella. il n’y aura rien du tout pour dîner …
Tu es bête. Oh ! je me vengerai ! 2.
Le domestique (annonçant.) J’ai toujours, après le dîner,
Scène 14e Le major Edouard ! (entre Frick en Pour avis qu’il faut cartonner
major.) Baccarat ou bien lansquenet !
Les mêmes, le baron. J’ai dans ma poche un jeu tout prêt.
Scène 16e Mais c’est surtout à l’écarté
Le baron. Que brille ma dextérité,
Me voilà, moi ! … (voyant Métella.) Les mêmes, Le major. Et quand il faut tourner le roi
Oh ! Nul ne peut piger avec moi
Gardefeu. Je suis le major !
Gardefeu. Ah ! voilà les convives qui Partout où l’on joue
C’est elle ! commencent à arriver ! Partout où l’on floue
Paraît le major !
Le baron. Le domestique. Je coupe
Qui, elle ? Oui. Découpe
Fais sauter la coupe
Gardefeu. Le major (bas à Gardefeu.) Et possède encor
Métella ! … Elle a lu la lettre … Suis-je bien ? Mille autres talents ! Je suis le major !

Le baron. Gardefeu (bas.) Le baron (boutonnant sa redingote.)


Oh ! madame … Vous êtes superbe ! (haut.) Baron, je C’est un cynique ! méfions-nous !
vous laisse avec le major … major, je
Métella. vous laisse avec le baron. Je vais (imméditament après les couplets, le
Le baron de Frascata était de mes m’occuper du dîner. major qui a examiné les pieds du
amis, monsieur, et je ne fermerai certes baron, lui dit:)
pas la porte à une personne qui m’est Le major. Qu’est-ce qui vous a fait ça ?
recommandée par lui. Baron …
Le baron.
Le baron. Le baron. Ça quoi ?
Vous avez lu la lettre ? Major …
Le major.
Métella. Gardefeu (à part.) Ça là !
Oui. Qu’est-ce que je vais leur donner à
dîner … Il y en a un qui me donne cent Le baron.
Le baron. sous pour quatre, et les autres qui ne Mes bottes ?
Il y a une réponse. paient rien … Enfin, il faut leur donner
quelque chose tout de même. (il sort.) Le major.
Métella (très digne.) Vous appelez ça des bottes ! … enfin,
Mais je pense que vous me ferez Scène 17e qu’est-ce qui vous a fait ce que vous
l’amitié de venir la chercher chez moi appelez vos bottes ?
dans 8 quelques jours ! … Le baron, le Major.
Le baron.
Gondremarck (affligé.) Le baron. C’est un bottier à Copenhague
Dans 8 quelques jours ! … Ainsi, vous êtes major ? Stockholm.

Gardefeu. Le major. Le major.


Pourquoi dans 8 jours ? Je le suis. Un bottier ! … Tout le monde peut
s’intituler bottier … mais le vrai
Métella. Couplets. bottier est celui qui fait des bottes …
J’ai mes raisons. Cela me plait ainsi. (à 1. donc, celui qui a fait cela n’est pas un
part.) On y reviendra dans ton hôtel Pour découper adroitement, bottier, car ça n’est pas des bottes.
garni. ( saluant le baron.) Monsieur … Pour assaisonner savamment,
Pour faire sauter les bouchons, Le baron.
Gondremarck. Et pour offrir les cornichons, Qu’est-ce que c’est que ce major-là ?
Madame … (sort Métella.) Pour décocher à tout propos
Des traits malins, de jolis mots, Le major.
Scène 15e C’est moi le coq. – Dans cet emploi Ôtez ça … ôtez ! …
Nul ne peut piger avec moi !
Le baron, Gardefeu. Je suis le major ! Le baron.
Partout où l’on dîne Mais non.
Le baron. D’une façon fine
Huit Quelques jours ! … j’aurais Paraît le major ! Le major.
préféré … enfin ! … Sept heures Je coupe Elles sont affreuses !

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J’ai chez moi … regret éternel


Le baron. Son casque sous un verre ! Le baron.
Avec ça que les vôtres … Maintenant je vis à l’hôtel Et les étranges camarades
Mais de telle manière Que ces gens-là !
Le major. Que de là-haut, du haut du ciel
Je puis être mal chaussé, moi. Sa dernière demeure Gardefeu.
Il est content, mon colonel Paris est peuplé de nomades
Le baron. Ou du moins je l’espère Chacun sait ça
Pourquoi ça ? Es-tu content, mon colonel ? Allons, à table ! à table ! à table !

Le major. Chœur, (faisant le salut militaire). Chœur final.


Je vous en ferai, moi, des bottes … Es-tu content, son colonel ? A table ! à table ! à table !
Dépêchons-nous, que diable !
Le baron. Gabrielle. A table !
Vous ? 2.
Pour remplacer le colonel Allemands.
Le major. Maints et maints téméraires Tarteifle, mein gott !
Et vous verrez ce que c’est. M’ont parlé d’amour, d’un ton tel Etc.
Qu’ils m’ont mise en colère !
Le baron. J’ai par un refus si formel Marseillais.
Il est fou ! Repoussé leur prière Troun de l’air, té !
Que de là-haut, du haut ciel Etc.
Le major. Sa demeure dernière,
Ôtez ! … Ôtez ! … Je vais vous Il est content, mon colonel, Acte 3e
prendre mesure … J’ai tout ce qu’il Ou du moins je l’espère
faut. (il saute sur le baron pour lui Es-tu content, mon colonel ? Le grand salon de l’hôtel de Quimper-
prendre mesure, le baron se débat. Karadec. Mobilier sévère. Portraits de
Entre Gardefeu.) Chœur. famille.
Es-tu content, son colonel ?
Scène 18e Scène 1ère
Gardefeu.
Tout le monde. Mesdames et messieurs, le dîner est Urbain, Prosper, Pauline, Clara,
servi ! Léonie, puis Bobinet.
Gardefeu. (Au lever du rideau, ils sont tous en
Mes invités sont ici tous … ils sont Chœur. train d’allumer les bougies, de mettre
très bien … seulement tous les Le dîner est servi. des fleurs dans les jardinières etc.
hommes sont allemands, toutes ls Entre Bobinet.)
femmes sont marseillaises … Je Gardefeu.
n’avais pas prévu ça … Passez tous par ici ! Bobinet.
(Les portes s’ouvrent. Entrent les amis Les allemands et les marseillaises. Eh bien ! mes enfants, cela commence-
de Frick, Gabrielle et ses amies. Le Le dîner est servi ! t-il à prendre une tournure.
baron s’éloigne de Frick et va se placer
près de sa femme qui est entrée au Ensemble. Pauline.
commencement du chœur.) Voyez, monsieur.
Chœur allemand.
Chœur. Bobinet.
Nous entrons dans cette demeure Tarteifle mein gott C’est très bien.
Avec un appétit d’enfer ! Schlackwarste, Butterbrodt, Schincken
On y dîne à la septième heure ! Zucker, Eyer, astrichoken Urbain.
Rien par tête … ce n’est pas chère ! Tarteifle, mein gott. Une dépêche qui vient d’arriver, une
De la choucroûte et de la bière dépêche pour monsieur.
Gardefeu, (au baron) Voilà le bonheur sur la terre
Permettez que je vous présente, Tarteifle, mein gott. Bobinet.
Madame de Sainte Amaranthe. Ah ! mon Dieu ! Tout est perdu. La
Chœur marseillais. Douairière de Quimper-Karadec et
Le baron. Mme de Folle-Verdure seront à Paris
Je rends hommage Troun de l’air, té ! demain … ma tante et ma cousine ici.
A sa beauté ! Tous quittâs ni diligeuno Demain à deux heures – deux heures,
Mais pourquoi ce nuage Pour venir mangeaza questo j’ai le temps. – A la bonne heure. Tra
Sur son front attristé ? Troun de l’air, té ! deri dera …
Qu’on nous serve la bouillabaisse
Chœur. Et que la sauce en soit épaisse Urbain.
Oui, pourquoi ce nuage Troun de l’air, té. Rien n’est perdu alors !
Sur son front attristé ?
Gardefeu, (à part). Bobinet.
Gabrielle. Bon ! voilà ! ce que je craignais ! Non – rien – rien.
1.
Je suis veuve d’un colonel La baronne. Urbain.
Qui mourut à la guerre ! Mais quel drôle de français ! Allons, tant mieux !

©2003 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. ISMN M-2025-3107-5 ISBN 3-7931-3107-6
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Quoi donc ? Reprise de l’ensemble.


Bobinet. Comptez sur nous, notre bon maître,
Vite – vite … mais avant tout passons Prosper. etc.
la revue de mon personnel. Voyons un Du moment que vos domestiques
peu – les femmes d’abord – comment seront vos invités, vous n’aurez pas de Pauline.
sont-elles. Mais très bien ! Très bien la domestiques, à moins qu’il ne vienne Ils singerons eux
femme de chambre. des invités pour faire les domestiques. De leur mieux
Ces messieurs
Pauline. Bobinet. Nous autres, pendant ce temps
C’est aujourd’hui que vous vous en Ah ! diable. C’est vrai. Nous, les femmes,
apercevez ? De ces dames
Urbain. Nous prendrons les airs galants
Bobinet. Alors tout est perdu. Les manières
Fous que nous sommes – nous allons Cavalières.
chercher le bonheur bien loin – nous Prosper. C’est nous qui parons
l’avons sous la main. Non, tout n’est pas perdu – vous aurez Préparons,
vos invités – vous aurez vos
Pauline. domestiques – vous verrez – vous Réparons,
Ah ! monsieur … verrez. Serrons, frisons, épinglons
Leur toilette
Bobinet. Bobinet. De conquête
Très bien aussi les deux nièces du Bons serviteurs ! C’est nous qui les habillons
concierge. (il les embrasse) Fous que Ces coquettes
nous sommes … nous allons chercher Quintette. Cocodettes
le … mais ce n’est pas de cela qu’il Sans nous où serait
s’agit. Ecoutez-moi, mes amis, vous Urbain, Prosper, Pauline, Clara. Leur attrait
m’avez bien compris, vous savez ce Comptez sur nous notre bon maître, Dieu le sait !
que j’attends de vous. Reproduction Ne craignez rien Eh ! bien, faisant un métier
exacte d’une soirée dans le grand On dira nous voyant paraître : Tout contraire
monde … c’est entendu. Ah ! qu’ils sont bien ! Pour vous plaire
Nous allons deshabiller
Prosper. Prosper. Les comtesses
Parfaitement ; des personnages de Nous imiterons Nos maîtresses.
haute distinction … Copierons En un mot ne craignez rien
Singerons Si vous voulez des gens bien
Pauline. Les divers originaux On vous en montrera
Et des dames de haute excentricité. Dont abonde Fournira
Le grand monde Servira
Bobinet. Ridicules, vieux, nouveaux, Autant qu’il en faudra.
C’est cela même … Les bêtises
Les sottises Bobinet.
Urbain. Messieurs les valets C’est cela ! c’est bien cela !
Mais des costumes. Voient de près
Les secrets Reprise de l’ensemble.
Bobinet. En disant : voilà ! voilà ! Comptez sur nous notre bon maître,
Vous en trouverez qui ont servi pour Ils observent etc.
jouer des charades. (aux femmes) Ceux qu’ils servent
Vous, vous avez des toilettes à vos Et le maître que les a (Tout le monde sort excepté Bobinet)
maîtresses. Les égaie
Et les paie. Scène 2e
Pauline. Nous reproduirons
Certainement. Mme de Folle-Verdure Les façons Bobinet puis Gardefeu.
ne met jamais ses robes qu’une fois. Des salons
Nous ferons, mais en riant, Bobinet.
Clara. Les grimaces Allez, mes amis, allez.
Au plus … Si cocasses
Que maint et maint important (entre Gardefeu)
Léonie. Qu’on admire
Elle nous les donne après cela. Fais sans rire. Gardefeu.
En un mot, ne craignez rien, Eh ! bien, mon cher ?
Bobinet. Si vous voulez des gens bien
C’est à merveille alors – ne perdons On vous en montrera Bobinet.
pas de temps. Fournira, Eh ! bien – tu auras ta soirée – mais ça
Servira sera maigre – cinq personnes
Prosper. Autant qu’il en faudra. seulement.
Ah ! diable cependant il va nous
manquer quelque chose. Bobinet. Gardefeu.
C’est cela ! c’est bien cela ! Qu’à cela ne tienne, je t’enverrai mes
Bobinet. gantières et mes bottiers.

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Gardefeu. démasquer ce soir … Tâche que


Bobinet. Et moi … Gondremarck reste longtemps ici.
Tes gantières et tes …
Bobinet. Bobinet.
Gardefeu. Et toi ? … Je chargerai Pauline de le retenir.
Oui – j’ai un lot de gantières et de
bottiers que je peux envoyer dans les Gardefeu. Gardefeu.
soirées qui ont besoin de renfort, mais Je retourne chez moi … la baronne y Pauline.
ces gens ne ferment boutique qu’à dix sera – elle y sera seule …
heures. Tu les auras seulement à dix Bobinet.
heures et demie. Tâche de traîner Bobinet. Oui … la femme de chambre. Elle est
jusque-là. Tes affaires vont bien. très jolie.

Bobinet. Gardefeu. Gardefeu.


Je traînerai – mais savent-ils se Tu vas en juger. Ce matin elle me dit : Oh ! alors …
conduire ? venez me prendre à trois heures, avec
une voiture … Je fais atteler ma Bobinet.
Gardefeu. calèche et à trois heures j’arrive. La Mais, j’entends quelqu’un, il me
Parfaitement – à l’exception de Frick, baronne paraît … avec son mari. semble !
mon bottier. Je ne te l’enverrai pas – J’aurais préféré que son mari n’y fut
imagine-toi qu’au milieu de la soirée il pas. Enfin ils s’installent et me disent Prosper (entrant).
voulait absolument forcer le baron de de monter. Je monte. Eh ! bien – M. le baron de Gondremarck.
Gondremarck à oter ses bottes. qu’est-ce que c’est, me dit fièrement le
baron, montez à côté du cocher … et Gardefeu.
Bobinet. menez-nous au bois de Boulogne. Je cours chez la femme.
Oh ! ne m’envoie pas cet homme-là. Autour du lac … au bois de
Boulogne … autour du lac … à côté de Bobinet.
Gardefeu. mon cocher ! J’essaie de faire entendre Je vais mettre mon uniforme.
Sois tranquille. à ce baron que maintenant l’usage du
grand monde est d’aller se promener Scène 3e
Bobinet. au bois de Vincennes. On y voit
Un homme qui veut forcer les gens à beaucoup d’artilleurs … Je tiens à aller Gondremarck, Prosper.
ôter … Ce serait une invraisemblance. au bois de Boulogne, marchez. Et nous
Et vois-tu, pour que ces sortes de marchons. J’étais dans un état. Si tu Gondremarck.
choses réussissent il ne faut pas veux voir un homme qui n’a pas Personne. J’arrive trop tôt. Il me
d’invraisemblances. manqué son effet … Tout Paris élégant semble (à Prosper) Madame
était au Bois. Il y avait là Carcasson, l’amirale ?
Gardefeu. Bonnivet, Piton, Laguingeole,
Il n’en faut pas. S’il y a des Tristapatte et Doublemar … enfin tout Prosper.
invraisemblances, nous sommes ce qu’il y a de plus brillant … ils Chut !
perdus. étaient à cheval. En me voyant ils ont
été stupéfaits, ils m’ont salué de la Gondremarck.
Bobinet. main, comme ça … et ils se sont mis à Comment ?
Et les autres sont bien. suivre la voiture au petit trot …
Qu’est-ce que c’est que ces gens-là, Prosper.
Gardefeu. m’a crié le baron dans le dos … Ce Chut !
Très bien – il y a surtout Mme de sont des amis à moi, des maîtres
Sainte-Amaranthe … Je lui dirai de d’hôtel … pendant ce temps là notre Gondremarck.
venir de bonne heure … ils sont tous escorte grossissait – ils étaient Et l’amiral ?
très bien. Hier chez moi ils ont chanté. quarante qui suivaient la voiture … ça
a impatienté le baron d’être suivi par Prosper.
Bobinet. tant de maîtres d’hôtel que ça. Il m’a Il met ses ordres et je vais prendre les
Ils ont chanté hier. Ils danseront dit : J’en ai assez du bois de Boulogne. siens.
aujourd’hui – envoie-les moi. Mais votre mot d’artilleur m’a fait
Seulement n’oublie pas que ce soir on venir une idée, conduisez-nous au (Il sort)
ne doit pas entrer par la rue de Lille : musée d’artillerie ! Je ne savais pas où
je ne veux pas galvauder la grande c’était – mon cocher non plus. Avouer Scène 4e
porte de l’hôtel de Quimper-Karadec. mon ignorance c’était me perdre. J’ai
répondu : Je vais vous y conduire, et je Gondremarck puis Porto-Rico et
Gardefeu. les ai bravement menés au Bazar Patapoff.
Par la rue Bellechasse alors. Bonne-Nouvelle. Voilà ma journée.
Gondremarck.
Bobinet. Bobinet. Décidément j’arrive trop tôt …
Oui, par la rue de Lille … C’est par la Mon pauvre ami. beaucoup trop tôt. Mais que ne
rue Bellechasse que ton Gondremarck pardonnerait-on pas à un étranger qui
lui-même arrivera … Et maintenant Gardefeu. ne connaît pas la haute société
sauve-toi … Je vais mettre mon Si je ne me démasque pas ce soir, la parisienne et qui sur les choses
costume d’amiral. journée de demain sera pareille. Voilà étranges qui lui en ont été dites brûle
pourquoi je tiens absolument à me de la connaître.

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Prosper. Hum !
Urbain. Chut !
Le Général Malaga de Porto-Rico. Urbain.
(il sort) Urbain. Midi !
Chut.
Gondremarck. Prosper.
Oh ! oh ! voilà un personnage. Gondremarck. Mais non, général. C’est mon chapeau.
Ah ! il ne faut pas…
Urbain (rentrant). Urbain.
Monsieur … Prosper. Ah ! bien. J’ai cru que c’était le canon
Asseyons-nous. du Palais-Royal.
Gondremarck.
Général … Gondremarck. Prosper.
Je ne saurais vous dire combien je suis Vous n’êtes pas le premier qui s’y
Urbain. heureux de me trouver là assis entre le trompe.
M. de Gondremarck, je suis sûr. premier diplomate de son époque et le
premier tacticien de son temps. Urbain.
Gondremarck. Ça ne m’étonne pas …
Comment me reconnaissez-vous, Urbain.
Général ? Ah ! Je crois bien que vous devez être Gondremarck.
heureux. Qu’est-ce qui vous a fabriqué ça ?
Urbain.
Je connais tous les habitués de ce salon Gondremarck. Prosper.
– vous je ne vous connais pas – c’est à Aussi je me permettrai de vous Mon chapelier.
ça que je vous ai reconnu. demander qu’est-ce que vous pensez
de la question scandinave. Gondremarck.
Gondremarck. Donnez-moi son adresse, voulez-
Quelle perspicacité. Oh les hommes Urbain. vous ?
supérieurs ! Oh ! oh !
Prosper.
(entre Prosper) (Gondremarck joue avec son chapeau 27 rue d’Antin.
qui fait explosion.)
Prosper. Gondremarck.
Le prince Patapoff, ministre ultra- Prosper. Merci.
plenipotentiaire des cercles caucasiens. Qu’est-ce que c’est que ça ?
Prosper.
Urbain. Gondremarck. N’y allez pas, ça ne vous servirait à
Comprenez-moi, baron, comprenez- Je ne sais pas. rien.
moi bien.
Urbain. Gondremarck.
Prosper. Est-ce que c’est à vous, Prince ? Pourquoi ça ?
Hum ! Hum !
Prosper. Prosper.
Urbain (à Gondremarck). A moi – pas le moins du monde – ni à Mon chapelier n’en a fait que deux
Je vais vous présenter – Prince … vous, Général ? comme ça. Le premier vous venez de
l’entendre. Le second a éclaté dans la
Prosper. Urbain. main de cet audacieux artisan et l’a tué
Général … Par exemple … raid.

Urbain. Gondremarck. Gondremarck.


Le baron de Gondremarck. Mais, Dieu me pardonne – ce sont des Le pauvre homme.
livrées.
Prosper. Prosper.
Enchanté ! Prosper. Ne le plaignez pas. Tué d’un coup de
Jetez cela. chapeau c’est une belle mort pour un
Urbain (à Gondremarck). chapelier.
Le prince Patapoff … le premier Urbain.
diplomate de l’époque. Maintenant, Jetez où vous voudrez. Urbain.
Prince, présentez-moi. C’est ainsi que je voudrais mourir ! La
Prosper. mort sur un champ de bataille !
Prosper. Là – asseyons-nous, maintenant.
Le Général Malaga de Porto-Rico. (à Gondremarck.
l’oreille) Le premier tacticien de son Urbain. Je ne vous dis pas le contraire mais
temps. Hum ! vous ne m’avez pas dit ce que vous
pensez de la question scandinave.
Gondremarck. Prosper.
Me voilà dans le grand monde. Mais Hum ! Urbain.
l’amiral et sa délicieuse compagne. Chut !
Gondremarck.

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Gondremarck. La bouche qui flatte flatte


Oh ! ils sont bien forts, ils ont trouvé La plume qui gratte gratte Urbain.
moyen de ne rien dire, ils sont bien Pchi, pchi pchi pchi pchi Carabines
forts. Oui voilà Coulevrines
Tout est là Sabres, canons
Prosper. La raison suprême est là. Fusils tromblons
Oh ! les champs de bataille, il n’en Mousquetons
faut plus. Urbain. Embuscades
Carabines Escalades
Trio. Couleuvrines Demi-lunes
Sabres, canons Pleines lunes
Prosper. Fusils, tromblons Force marches
Rien ne vaut un bon diplomate. Mousquetons Contre marche
Embuscades Par la gauche
Urbain. Escalades Par la droite
Rien ne vaut un bon général. Demi-lunes Combattons
Pleines lunes Avançons
Prosper. Force marches Le clairon qui sonne sonne
Qui le menton dans sa cravate Contre marches Le canon qui tonne tonne
Par la gauche Boum ! boum ! boum ! boum !
Urbain. Par la droite Oui voilà
Qui bien campé sur son cheval Combattons Tout est là
Avançons La raison suprême est là.
Prosper. Le clairon qui sonne sonne
Rumine Le canon qui tonne tonne Gondremarck.
Rumine. Boum ! Boum ! Boum ! Boum ! Protocoles
Oui voilà Carabines
Urbain. Tout est là Sabres, canons
Domine La Raison suprême est là. Ultimatums
Domine. Et factums
Gondremarck. Embuscades
Prosper. Ils sont fous ! archifous. Ecritures
En rêvant un fin traquenard. Paperasses
Urbain. Pleines lunes
Urbain. Vous êtes de mon avis. Force notes
Et porte haut son étendard. Contre marches
Prosper. Par la gauche
Prosper. Répétez ce que je dis. Des grimoires
Le nez plongé dans sa cravate. Combattons
Urbain. Reculons
Urbain. Répétez ce que je dis. La plume qui gratte gratte
Bien campé sur un grand cheval. Le canon qui tonne tonne
Gondremarck. Pchi boum ! boum !
Prosper. Je ne sais plus ou j’en suis. Pchi boum ! boum !
Rien ne vaut un bon diplomate. Oui voilà
Ensemble. Tout est là
Urbain. La raison suprême est là.
Rien ne vaut un bon général. Prosper.
Protocoles (Entre Pauline en grande toilette.)
Gondremarck (à part) Fariboles
Je ne sais pas, mais entre nous, Memorandums Scène 5e
Ces messieurs ont l’air de deux fous. Ultimatums
Et factums Les mêmes, Pauline.
Prosper. Signatures
Protocoles Ecritures Pauline.
Fariboles Paperasses Monsieur de Gondremarck, je suis
Memorandums Par liasses sûre …
Ultimatums Force notes
Et factums Contre notes Gondremarck.
Signatures Des mémoires Madame.
Ecritures Des grimoires
Paperasses Discutons Urbain.
Par liasses Reculons Notre chère amirale.
Force notes La bouche qui flatte flatte
Contre notes La plume qui gratte gratte Gondremarck.
Des mémoires Pchi, pchi pchi pchi pchi Ah ! c’est madame. J’ai reçu votre
Des grimoires Oui voilà charmante invitation, madame et je me
Discutons Tout est là suis hâté …
Reculons La raison suprême est là.

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Pauline. Venez vous asseoir près de moi – plus


Ah ! tais-toi ! près – plus près encore. Où êtes-vous, Pauline.
mon ami ? Vous savez … Jeune fille, on rêve – un
Gondremarck. idéal – mais quand on est jeune fille –
Ah ! qu’est-ce qu’elle a dit ? Gondremarck. on ne peut pas chercher … voilà le
Là, madame. diable. Alors on se marie pour avoir le
Prosper. droit de chercher … et on cherche.
Et cet excellent amiral.Est-ce que nous Pauline.
ne le verrons pas ? Ah ! bien. Vous aussi, je suis sûre, Gondremarck.
vous pensez du mal de nous. C’est pour cela que vous vous êtes
Pauline. mariée …
Mais il ne peut pas venir. Gondremarck.
Par exemple ! Pauline.
Prosper. Pas pour autre chose …
Pourquoi ça ? Pauline.
Oui. Vous vous dites : Ah ! ces Gondremarck.
Pauline. femmes du monde … ces femmes du Et vous avez cherché.
Pas possible d’entrer dans son monde … coquettes … toquées.
uniforme. Vous devriez aller l’aider. Pauline.
Gondremarck. Je vous en réponds – mais je n’avais
Urbain. Ah ! pas rencontré jusqu’à présent.
Nous y allons.
Pauline. Gondremarck.
(on sonne.) Tout cela est vrai – mais à qui la Jusqu’à présent !
faute … à la société moderne qui ne
Pauline. laisse aux femmes qu’une place Pauline.
Tenez – il s’impatiente. insuffisante. Je ne l’ai pas dit …

Urbain et Prosper. Gondremarck. Gondremarck.


On y va ! On y va ! Ah ! quant à cela … Vous l’avez dit.

(Ils sortent.) Pauline. Pauline.


Vous dites ? Ah ! non !
Scène 6e
Gondremarck. Gondremarck.
Gondremarck, Pauline. Je dis que quant à la place Ah ! si !
insuffisante …
Gondremarck. Pauline.
Qu’est-ce que c’est encore que ça ? Pauline. Je vous dis que je ne l’ai pas dit.
Farceur …
Pauline. Gondremarck.
Qu’avez-vous, mon ami ? Gondremarck. Je vous dis que vous l’avez dit.
Madame …
Gondremarck. Pauline.
Ces deux messieurs … Pauline. Ah ! voilà que vous me méprisez …
Oui, tout ce que l’on dit de nous est déjà.
Pauline. vrai – mais si l’on savait … On ne sait
Eh bien ! pas. Pourquoi toutes ces folies. C’est Gondremarck.
que nous avons besoin de nous Madame.
Gondremarck. étourdir – c’est que nous souffrons –
Mais … il me semble qu’ils nous c’est qu’il nous manque quelque Pauline.
quittent d’une façon un peu singulière. chose. On m’appelle Pauline.

Pauline. Gondremarck. Gondremarck.


Vous vous en plaignez … Quoi donc ? Pauline …

Gondremarck. Pauline. Pauline (à part.)


Moi – pas du tout. (à part) Les voilà Ah ! pourquoi me le demandez- Voilà un homme qui n’a pas envie de
donc, ces femmes du grand monde. vous … s’en aller.
Ah !
Gondremarck. Gondremarck (à part.)
Pauline (à part.) Pour le savoir. Ah ! ces parisiennes ! ces parisiennes !
Le retenir le plus tard possible. Voilà (haut) Ah ! pourquoi suis-je marié !
ce qu’on m’a recommandé. Pauline.
Eh bien ! voilà – il nous manque … Pauline.
Gondremarck. celui que nous avons rêvé. Puisque je le suis aussi, moi.
Les Parisiennes ! Les Parisiennes !
Gondremarck. Gondremarck.
Pauline. Ce regard … C’est juste.

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Ne lui dites pas non plus – chère


Pauline. Pauline. madame …
Non – ce n’est pas là l’obstacle … Ça ne m’étonne pas. Ce bonheur-là ne
pouvait pas durer. Cette chère Gabrielle.
Gondremarck. Vicomtesse, cette chère Marquise. Quoi donc ?
L’obstacle …
Clara. Clara.
Pauline. Cette chère amirale. Ne lui dites pas.
C’est que je me méfie.
Pauline. Gondremarck.
Gondremarck. Ah ! mais vous avez des toilettes … Ah ! vous devez me le dire, car enfin
Ah ! nous sommes de vieilles
Clara. connaissances.
Pauline. Et vous donc – avec cela un air de
Vous êtes là – près de moi – vous me contentement. Pauline.
regardez. Je vous regarde. Eh ! bien-là, Ah ! vous connaissez madame ?
voulez-vous que je vous dise. Vous ne Pauline.
me faites pas l’effet d’un homme qui Ça se voit. Gondremarck.
ne sait pas ce que c’est que l’amour. A peine.
Léonie.
Gondremarck. Parfaitement. Pauline.
Moi – je ne saurai pas … Je vous défends de la regarder. (à
Pauline. Gabrielle) Chère madame …
Duetto. Ah ! mais alors me voilà perdue, moi.
M. le baron de Gondremarck. Gabrielle.
Gondremarck. Chère madame.
1. Clara.
L’amour c’est le cœur qui s’entr’ouvre M. de Gondremarck, on m’avait dit Pauline.
une échelle immense qu’il était bien … Asseyons-nous, mesdames … et vous,
Et découvre Qui commence baron, au milieu de nous.
Ce que n’ont jamais vu les yeux Sur la Pauline.
terre et finit aux cieux Eh bien ? Gondremarck (à part.)
L’amour, pour moi, c’est le nuage Le grand monde ! Voilà le grand
Qui voyage Clara. monde ! Que je sois pendu si ce n’est
Et s’en va vers les pays bleus ! Il est mieux encore … pas là ce qu’on appelle un raoût !
(Entre Prosper) (à part) Mais cette
Ensemble. Gondremarck. figure …
O beau nuage Ah ! madame …
Emporte-nous ! Gabrielle.
Léonie. Prenez donc, cher baron …
Pauline. Quelqu’un m’a parlé de vous.
2. Gondremarck.
Elle est là-bas cette contrée Gondremarck. Volontiers, madame … (Prosper sort.)
Adorée Qui ça ?
Où l’on voudrait vivre toujours Gabrielle.
Filons vers la terre promise Léonie. Eh ! bien, baron, que dites-vous de
Bonne brise Veux pas vous le dire. Devinez. Paris ?
Allons au pays des amours.
Gondremarck. Gondremarck.
Ensemble. Peux pas deviner. Paris … Eh mais – je vous avouerai
O beau nuage tout d’abord qu’il m’a semblé qu’on en
Qui voyage Léonie. exagérait un peu les merveilles …
Ne t’en va pas sans nous, sans nous, Faut pas lui dire – ne lui dites pas – il Ainsi, tenez, hier, je me suis fait
Vers ce pays si doux, si doux, faut l’intriguer – ne lui dites pas, ma conduire au musée d’artellerie … Je
O beau nuage chère. m’en faisais une toute autre idée. J’y ai
Emporte-nous ! trouvé beaucoup de batterie de cuisine,
Prosper. mais pas une d’artellerie …
Prosper. Mme de Sainte-Amaranthe. (il se
Madame la vicomtesse de Valangoujar sauve.) Clara.
Haute venue, madame la marquise de Eh quoi, baron.
Villebouzin la Farandole ! (il se Scène 8e
sauve.) Le baron.
Les mêmes, Gabrielle. Oui, marquise. Cependant je dois
Scène 7e convenir qu’on m’y a vendu une
Gabrielle. excellente couverture de voyage mais
Les mêmes, Clara, Léonie. Mesdames … qu’importe ? il y a les Parisiennes à
Paris, et là où il y a les Parisiennes à
Gondremarck. Léonie. quoi bon regarder autre chose ? Ce
Ah ! quelqu’un ! matin je suis sorti à midi … mon

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intention était d’aller visiter les Alors je vais lui parler d’autre chose.
Invalides … sur ma route j’ai trouvé Gondremarck (à part.)
un tas de petites femmes qui Décidément voilà un domestique qui Pauline.
trottinaient, trottinaient, trottinaient … ressemble … Je vous le conseille.
J’ai complètement lâché les Invalides.
Pauline. Gondremark.
Gabrielle. Mon mari … c’est mon mari. Vous avez de beaux éperons.
Vous êtes observateur … Toutes les
femmes à la rigueur peuvent sortir en (Entre Bobinet.) Bobinet.
voiture … Les Anglaises savent sortir Cela fait bien.
à cheval … mais il n’y a que les Bobinet.
Parisiennes qui savent sortir à pied. J’ai fini par entrer dans mon uniforme, Gondremarck.
mais j’ai peur qu’il n’ait craqué dans le Je ne dis pas le contraire, mais je
Couplets. dos. Ça me désolerait parce que ce croyais que les amiraux n’en portaient
serait une invraisemblance et qu’il pas.
1. n’en faut pas. Décidément il a craqué.
On va courir, Bobinet.
On va sortir, Pauline. Dans les pays qui ont une marine, mais
Sortir à pied … pas en berline. M. de Gondremarck, mon mari. la suisse n’en ayant pas …
On va pouvoir,
En laisser voir, Bobinet. Gondremarck.
Un peu plus haut que la bottine. Ah ! ce cher baron … C’est juste, mais alors …
Ah ! que d’apprêts,
De soins coquets Quintette. Bobinet.
Quel tracas pour la chambrière Mais alors …
Enfin c’est fait Le baron.
Elle paraît Son habit a craqué dans le dos. Gondremarck.
La Parisienne … armée en guerre Si la Suisse n’a pas de marine,
En la voyant on devient fou Bobinet. comment êtes-vous amiral ?
Et l’on ressent là comme un choc Mon habit a craqué dans le dos.
Sa robe fait frou frou frou frou, Bobinet.
Ses petits pieds font toc toc toc. Tous. Il me semble que voilà deux fois que
Son/Mon habit a craqué dans le dos. vous m’interrogez. (rentrent Prosper et
Ensemble. Urbain.)
Sa robe fait frou frou frou frou Le baron (à Pauline.)
Ses petits pieds font toc toc toc. Ah ! voyez donc son uniforme. Gondremarck.
J’aime cette fierté chez un marin.
Gabrielle. Pauline.
Eh bien, c’est l’habit d’un héros. Pauline.
2. Allons à table ! à table !
Le nez au vent Le baron.
Trottant, trottant Mais ce trou, madame, est énorme. (On apporte la table du souper)
Elle s’en va droit devant elle
En la croisant Pauline. Note de Halévy : A partir de ce
Chaque passant Baron, tenez-vous en repos. moment, la pièce est entièrement
S’arrête et dit : Dieu ! qu’elle est refaite.
belle ! Reprise de l’ensemble.
Ce compliment Urbain (à Bobinet.)
Elle l’entend Le baron. Il y a là un tas de gens qui demandent
Et suis son chemin toute fière Cela gâte ce beau costume. à entrer.
Se balançant
Se trémoussant Pauline. Bobinet.
D’une façon particulière. Ce sont là de nobles accrocs. Ce sont les bottiers. Fais les entrer.
En la voyant on devient fou
Et l’on ressent là comme un choc Le baron. Prosper.
Sa robe fait frou frou frou frou Il pourrait attraper un rhume. Un domestique tout à l’heure vous a
Ses petits pieds font toc toc toc. offert des glaces.
Pauline.
Ensemble. Baron, tenez-vous en repos. Gondremarck.
Sa robe fait frou frou frou frou Oui.
Ses petits pieds font toc toc toc. Reprise de l’ensemble.
Prosper.
Scène 9e Gondremarck. Peut-être avez-vous remarqué une
Peut-être faudrait-il le prévenir. ressemblance singulière entre cet
Les mêmes, Bobinet (en amiral homme et moi.
suisse.) Pauline.
Il ne vous le pardonnerait pas. Pauline.
Prosper. Nous allons tâcher de le faire boire
Son excellence l’amiral. Gondremarck. beaucoup.

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Finale du 3e acte. Ensemble. Prosper.


Sono. Ah !
Gabrielle.
Soupons, soupons, c’est le moment L’amiral. Ensemble.
Et tachons de souper gaiment. Traçons notre plan de campagne Ça commence.
Ne nous lançons pas de suite Là-bas en quoi se grise-t-on ?
Allons doucement, piano, piano, piano, Prosper.
C’est sottise d’aller trop vite Urbain. Ça commence
Qui va piano, piano, va sono. En Bourgogne. Tout tourne, tourne, tourne
Tout danse, danse, danse,
Le baron. Ensemble. Et voilà déjà que ma tête s’en va.
Prenez mon bras, madame. En Bourgogne.
Les femmes.
Pauline. L’amiral. Elle s’en va.
Je le veux bien, baron. Et vous, et vous ?
Les hommes.
Prosper. Prosper. Elle s’en va.
Souffrez que je réclame En Champagne.
Prosper.
Clara. Ensemble. Et voilà déjà que ma tête s’en va
Je ne vous dis pas non. En Champagne. Mais oui elle s’en va.

L’amiral. L’amiral. Ensemble.


La comtesse est exquise. Et vous, et vous ? Tout tourne, tourne tourne,
Etc.
Léonie. Pauline et Clara.
Taisez-vous, amiral. En Bordeaux. Gabrielle.

Urbain. Ensemble. Et voilà déjà que ma tête s’en va.


M’acceptez-vous, marquise ? En Bordeaux.
Elle s’en va, elle s’en va.
Gabrielle. L’amiral. Oui, déjà ma tête s’en va.
Comment donc, général. Et le baron ? Mais oui, elle s’en va.
Ah !
Le baron. Les autres.
Ensemble. En tout. Et déjà ma tête s’en va.
Ne nous lançons pas trop vite Elle s’en va, elle s’en va
Etc. Ensemble. Oui, déjà que ma tête s’en va.
En tout.
Urbain. Mais oui, elle s’en va.
Qui va piano, piano Le baron.
Moi, je me grise en tout. Urbain.
L’amiral. Volontiers je me fais longue pause
Qui va piano, piano, piano, Prosper. Quand on me verse du bon vin,
Cette réponse est de bon goût. (bis) Je prends racine où l’on m’arrose
Prosper. Comme une fleur dans un jardin.
Qui va piano, piano, piano, Le baron.
Si nous voulons nous amuser Gabrielle.
Ensemble. En nous grisant, il faut, marquise Ce que je ne m’explique guère
Qui va piano, va sono. Il faut dire un tas de bêtises. C’est pourquoi l’on boit à Paris
Le mauvais vin dans des grands verres
Urbain. Ensemble. Et le bon vin dans les petits.
Qui va piano Nous allons dire des bêtises.
Ensemble.
Le baron. L’amiral. Ah !
Piano En endossant mon uniforme
Je vis qu’il n’était pas complet Gabrielle.
Urbain et l’amiral. Je m’aperçus … lacune énorme Ah !
Qui va piano Que je n’avais pas mon plumet.
Ensemble.
Le baron. Prosper. Ça commence.
Piano De nos hôtes chantons la gloire
Tous deux, ils savent nous charmer Gabrielle.
Ensemble. Oui, tous deux, car l’un nous fait boire Ça commence.
Va sono. Et l’autre, elle nous fait aimer. Tout tourne, tourne, etc.

Gabrielle. Ensemble. Pauline.


Va ! Ah ! A vous, baron.

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Urbain.
Clara. Il est gris. Ensemble.
A vous, baron. Il est gris, nous sommes tous gris.
Le baron.
Léonie. Moi pas gris. Gabrielle.
A vous, baron. Quand on boit il est une chose
L’amiral. Qui me surprend fort, mes amis
Le baron. Il est gris. Et c’est que pour tout voir en rose
Ah ! mesdames, je vous fais raison Il faille soi-même être gris.
A la marquise. Le baron.
Vous tous gris. Reprise ensemble.
Ensemble.
A la marquise. Ensemble. Prosper.
Il est gris.
Le baron. Le baron.
A la duchesse. Moi pas gris Le baron.
Mais vous tous gris. Moi pas gris.
Ensemble.
A la duchesse. Tous les autres. Urbain.
Il est gris Il est gris.
Le baron. Tout à fait gris.
A la baronne. L’amiral.
Prosper. Il est gris.
Ensemble. On dit parfois, ces gens sont gris.
A la baronne. Hou ! Le baron.
Tout tourne.
Le baron. Ensemble.
A la comtesse. Ces gens sont gris. Prosper.
Tout tourne.
Les hommes. Prosper.
A la comtesse Et ces gens-là ne sont pas gris. Le baron.
A la marquise Hou ! Tout tourne.
A la duchesse
A la baronne Ensemble. Urbain et Gabrielle.
A la comtesse Ne sont pas gris. Tout danse.

L’amiral. Prosper. Gabrielle.


Baron, je porte une santé Si l’on dit de nous : ils sont gris. Tout tourne, tourne, etc.
Et cette santé, c’est la tienne. Hou !
Ensemble.
Le baron. Ensemble. Feu partout
Amiral, ta main dans la mienne Ah ! ils sont gris. Feu partout
Ta femme est belle en vérité. Lâchez tout
Prosper. Feu partout
Urbain. On fait bien Qu’on s’élance
A vous, baron. Que l’on danse
Ensemble. Feu partout
Prosper. On fait bien, car nous sommes gris. Feu partout
A vous, baron. Lâchez tout
Prosper. Qu’on s’élance
Les femmes. Il est gris. Que l’on danse.
A vous, baron.
L’amiral. Acte 4e
Les hommes. Il est gris. Note de Halévy : ancien et ne devant
A vous, baron. pas être joué.
Ensemble.
Le baron. Il est gris, tout-à-fait gris. Même décor. Sous les 2 tables qui sont
Pardieu, je vous ferai raison. sur le devant de la scène, on aperçoit
Pardieu, je vous ferai raison. Urbain. Urbain et Prosper endormis. Sur un
Il est gris. fauteuil à droite, Bobinet également
Prosper. endormi. Demi-jour – quelques volets
Il est gris. Le baron. étant fermés.
Moi pas gris.
L’amiral. Scène 1ère
Il est gris. L’amiral.
Il est gris. Bobinet, Urbain, Prosper.
Ensemble.
Il est gris, tout à fait gris. Le baron. Terzetto.
Vous tous gris.

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Ensemble. Nous ne dormons pas, madame. Mme de Q. K.


(Ronflements). Qu’est-ce que vous dites ?
Crr … crr … crr … crr … Clara (apercevant Bobinet).
Ah ! quelle fête ! Ah ! (Elle le cache en jetant sur lui une Clara.
Nous avons ri, nous avons bu couverture de voyage.) Je ne dis rien, madame.
Je suis brisé, je suis fourbu …
Crr … crr … crr … crr … Mme de Q. K. Mme de Q. K.
Mon Dieu que j’ai mal à la tête. Qu’est-ce qui vous arrive ! Mais voyez les … allez-vous-en …
Allez-vous-en toutes les trois.
Prosper (dormant). Clara. (Elles sortent avec Noël.)
Lev’ra t’y l’pied, ri le l’ira t’y pas Rien, madame. (bas à Léonie) M.
Le l’vra t’y haut le l’vra t’y bas ! Bobinet sur le fauteuil ! Scène 3e

Bobinet (endormi, son porte-voix à la Mme de Q. K. Mme de Quimper-Karadec, Mme de


main). Et vous avez des fleurs dans les Folle-Verdure.
Allez monsieur de Gondremarck. cheveux ?
Allez et soutenez l’honneur du Mme de Q. K.
Danemarck. Clara. Ah ! Qu’est-ce qui s’est donc passé
Non, madame. dans ce salon ?
Urbain (endormi).
Feu partout Mme de F. V. Mme de F. V.
Lâchez tout Comment non ? Je ne m’en doute pas.
Qu’on s’élance
Que l’on danse Pauline. Mme de Q. K.
Sautez tous Je vais vous dire, c’est quelqu’un qui Ce désordre …
En vrais fous … nous aura fourré ça dans les cheveux.
C’est une farce qu’on nous aura faite. Mme de F. V.
Bobinet. Dame, quand on laisse une maison à
Allez, monsieur de Gondremarck Mme de Q. K. mon cousin Bobinet.
Allez et soutenez l’honneur du Elle se moque de nous, je crois.
Danemarck. Mme de Q. K.
Mme de F. V. Adorable jeune homme.
Reprise de l’Ensemble et des Ma tante …
ronflements. Mme de F. V.
Crr … crr … crr … Mme de Q. K. Il aurait dû venir au-devant de nous.
Ah ! quelle fête Allons, posez tout cela.
Nous avons ri, nous avons bu Mme de Q. K.
Je suis brisé, je suis fourbu Pauline. C’est qu’il était chez quelque cocotte.
Crr … crr … crr … crr … Que je suis fatiguée … mon Dieu ! que Tu devrais épouser ce garçon-là.
Mon Dieu ! que j’ai mal à la tête ! je suis fatiguée.
Mme de F. V.
(Entrent Mme de Quimper-Karadec, Mme de Q. K. Grand merci, ma tante.
Mme de Folle-Verdure, etc. etc.) Ah ! ça. Et Prosper … et Urbain … où
sont-ils ? Mme de Q. K.
Scène 2e Il a du feu. Qu’est-ce que tu veux
Pauline. demander de plus à un homme.
Les mêmes. Mme de Quimper- Je ne sais pas, madame. Où peuvent-ils
Karadec, Mme de Folle-Verdure, être, après tout ? Mme de F. V.
précédées de Pauline. Derrière elles Rien assurément. Vous savez que ce
Léonie, Clara et Noël, domestique, Léonie (bas à Pauline). soir, ma tante, nous ne dînerons pas
portant les sacs de voyage. Etc. etc. Et ton baron … qu’en as-tu fait ? seules.
Pauline et Léonie, tombant de
sommeil. Elles ont encore leurs Pauline. Mme de Q. K.
coiffures de bal. Vers six heures du matin, il devenait Je sais. Ta jeune amie Christine de
pressant, alors je l’ai enfermé dans une Gondremarck doit venir et nous
Mme de Q. K. chambre en lui disant : attendez-moi présenter son mari.
Mais qu’est-ce qu’elles ont, ces filles ? là.
Avancez donc. Mme de F. V.
Léonie. J’espère aussi que mon cousin Bobinet
Pauline. Dans quelle chambre ? nous fera le plaisir. Et pour tâcher de le
Voilà, madame, voilà ! décider … je vais changer de robe.
Pauline (baillant).
Mme de Q. K. Est-ce que je sais, moi ? Mme de Q. K.
Vous dormez … Dieu me pardonne. Folle enfant … fais-moi le plaisir, en
Clara (sur le devant de la scène, t’en allant de fermer ce rideau … le
Mme de F. V. dormant tout debout.) chemin de fer m’a fatiguée bien que
A trois heures de l’après-midi. Sa robe fait frou frou frou frou … nous n’y soyons pas restées longtemps
Ses petits pieds font toc, toc, toc … – et je vais reposer un peu …
Pauline.

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Mme de F. V. (fermant le rideau.) couverture de voyage et se relève.) Qu’est-ce que vous voulez ?
Comme cela, ma tante ? Encore un !
Le baron.
Mme de Q. K. Bobinet. Je voudrais sortir d’ici … D’abord
Oui. C’est très bien. Merci. Tiens ! C’est ma tante ! (Il l’embrasse parceque je vous aime et puis il est
et se sauve. Mme de Quimper-Karadec tard, et ce soir, il faut que j’aille
Scène 4e s’empare du porte-voix.) dîner … Je suis invité.

Mme de Quimper-Karadec, Bobinet, Mme de Q. K. Mme de Q. K.


Prosper, Urbain. Des hommes, des hommes ! Et il y en Qu’est-ce qu’il dit ?
a un qui m’a embrassée ! (Elle ouvre la
Mme de Q. K. (Elle s’étend sur le fenêtre. Cris dans la coulisse : Ma Mme de F. V.
canapé et chante pour s’endormir.) tante ! ma tante !) Qu’est-ce que c’est Il dit qu’il est invité à dîner.
Ah ! si je pouvais croire encore ?
Au doux espoir (Entre Mme de Folle-Verdure effrayée. Mme de Q. K.
De vous revoir. Robe pas attachée.) Ouvre cette porte.
Ah ! si je pouvais croire
A tant de félicité. Scène 5e Mme de F. V.
Oh ! non, par exemple.
Si vous voulez me voir Mme de Quimper-Karadec, Mme de
Venez ce soir Folle-Verdure, puis Le baron (derrière Mme de Q. K.
Dans mon boudoir la porte). Folle enfant, tu as peur … Je vais
Si vous voulez me voir ouvrir, moi, nous verrons bien. (D’une
Venez et vous me verrez. Mme de F. V. main elle prend la clef pour ouvrir, de
Ah ! ma tante ! (Elle ferme la porte.) l’autre elle prépare son porte-voix pour
(La voix s’affaiblit peu à peu, et Mme frapper le baron quand il entrera. Elle
de Quimper-Karadec est sur le point de Mme de Q. K. ouvre, le baron entre rapidement et le
s’endormir. Reprise de terzetto, Eh bien ? porte-voix frappe dans le vide.)
doucement d’abord, puis rinforzando.)
Mme de F. V. (achevant de boutonner Scène 6e
Urbain, Prosper et Bobinet. son corsage.)
Crr … crr … crr … crr … Je venais de changer de robe … tout à Les mêmes, Le baron.
Ah ! quelle fête. coup je me sens prendre la taille et une
Nous avons ri, nous avons bu voix d’homme me dit : Enfin, vous Le baron.
Je suis brisé, je suis fourbu. voilà, ma chère amirale ; vous m’avez Enfin … chère Amirale … Ah !
Crr … crr … crr … crr … fait attendre, mais ça ne fait rien. pardon … (à part) Ce n’est pas elle …
Mon Dieu ! que j’ai mal à la tête. (saluant) Mesdames …
Mme de Q. K. (légèrement).
(Mme de Quimper-Karadec se redresse Et on t’a embrassée ? Mme de Q. K.
effarée et regarde autour d’elle.) Monsieur … (Le baron salue de
Mme de F. V. nouveau).
Mme de Q. K. Mais, pas du tout …
Mais qu’est-ce qui se passe, à la fin ? Le baron.
(Elle se lève, fait quelques pas et se Mme de Q. K. Mon Dieu, mesdames, je vous prie de
heurte contre une des jambes Eh ! bien, moi, j’ai eu plus de bonh … me pardonner … quelle heure est-il ?
d’Urbain.) Qu’est-ce que c’est que ça. plus de malheur que toi. Car il m’a
embrassée … Mme de Q. K.
Urbain (se levant). Trois heures, monsieur.
Ohé ! Ohé ! Mme de F. V.
Oh ! Le baron.
Mme de Q. K. Trois heures, déjà – ça ne m’étonne
Un homme ! Mme de Q. K. (avec orgueil et pas si je meurs de faim ! (à part) Oh !
montrant le porte-voix). perfide, perfide amirale !
Prosper (se levant). Et il m’a donné ça.
Ohé ! Ohé ! Mme de Q. K.
(On frappe dans la porte par laquelle Plait-il ?
Mme de Q. K. est entrée Mme de Folle-Verdure.)
Deux hommes ! Le baron.
Mme de F. V. Rien. (à part) Des personnes qui sont
Urbain. Il frappe. en visite chez elle sans doute, ne la
C’est madame … (Il se sauve.) compromettons pas. (saluant)
Mme de Q. K. Mesdames …
Prosper. Oui … attends … (parlant dans le
Ah ! c’est la patronne ! (Il se sauve.) porte-voix) Qui est là ? Mes de Q.K. et de F. V.
Monsieur … (On s’assied – mines –
Mme de Q.K. Le baron. silence).
Deux hommes chez moi. (Dans sa C’est moi, chère amirale, c’est moi …
frayeur elle s’appuie sur Bobinet. Mme de Q. K.
Celui-ci glisse, se débarrasse de sa Mme de Q. K. Vous ne nous dites rien, monsieur ?

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Le baron.
Le baron (à part). Elle aussi ! Décidément, cela est Pauline.
C’est vrai, il faut dire quelque chose. étrange … Alors, M. Bobinet nous a autorisés à
(haut) Déjà hier, mesdames, il faisait donner un petit bal pour célébrer mes
un froid très piquant. Cela n’a rien Mme de Q. K. fiançailles … il a même poussé la
d’étonnant au mois d’octobre … il y a Vous trouvez, monsieur ? C’est aussi complaisance jusqu’à daigner y
cependant des gens qui murmurent, qui notre avis. Mais quand le diable y assister … et voilà comment il se
se plaignent de l’hiver, et qui disent serait … fait …
tout haut qu’ils préféreraient un
printemps éternel. Ces gens manquent Le baron. Mme de Q. K.
de logique, mesdames, et font preuve Vous allez encore sonner … C’est très bien … c’est très bien …
d’ineptie. Le froid est chose nécessaire mais vous ne m’avez pas dit…
comme la chaleur, et les biens de la Mme de Q. K. (montrant Gondremarck) Ca ? Qu’est-
terre ont besoin de froid. Quant à ce Oui, monsieur. (Elle sonne.) ce que c’est que ça ?
qui regarde les personnes, l’hiver a sur
l’été au moins cet avantage, que l’on Le baron. Le baron.
peut en se couvrant bien éviter les Eh bien, sonnez madame. (à part) Comment ça ?
atteintes du froid, tandis qu’il est fort Qu’est-ce que ça me fait, après tout ?
difficile de combattre une chaleur Dieu, que j’ai faim ! (Entre Pauline, Pauline.
excessive … tout au plus, aurait-on la l’air délibéré, les mains dans les Madame ne devine pas …
ressource de ne pas s’habiller du tout – poches.) Enfin, voici cette chère
moyen insuffisant, et que les devoirs amirale. (Il salue.) Mme de Q. K.
que nous avons à remplir envers la Non …
société nous interdisent d’ailleurs Pauline.
complètement. Madame a sonné ? (à part) C’est Pauline.
pourtant vrai, qu’il est resté ce Danois, Ça, madame – c’est Jean le cocher !
Mme de F. V. faudrait voir à s’en débarrasser.
Hum ! (Elle fait un signe. Mme de Quatuor.
Quimper-Karadec incline la tête et Le baron (à part.)
sonne.) Madame a sonné … Je ne m’explique Mes de Q. K., de F. V. et le baron.
pas bien pourquoi Mme l’Amirale a Jean le cocher !
Le baron (à part.) dit …
Pourquoi cette dame a-t-elle sonné ? Pauline.
Mon Dieu que j’ai faim. Et puis ce Mme de Q. K. Oui, madame, Jean le cocher !
dîner que j’ai ce soir, rue de Lille, chez En voilà une qui ne se sauve pas, au
les Quimper-Karadec. moins. Mme de Q. K.
Venez ça, qu’on vous examine.
(Entre Clara). Le baron (à part).
Chère Amirale présentez-moi à ces Le baron (à Pauline.)
Scène 7e dames … Je suis dans une position très Un cocher, moi …
fausse.
Les mêmes, Clara, puis Léonie, puis Pauline (bas au baron.)
Pauline. Pauline. Voulez-vous m’empêcher de nous tirer
Oui … Oui … Je vais vous d’affaire …
Le baron. présenter …
Cette chère Mme de Valangoujar … Mme de F. V.
Mme de Q. K. Il a fort bonne mine.
Clara (le reconnaissant et jetant un cri.) Nous ne demandons pas autre chose.
Ah ! (Elle se sauve.) Pauline.
Pauline. Il n’est pas bien en habit noir
Mme de Q. K. Madame a peut-être remarqué un Mais sur son siège, il faut le voir.
Oh ! mais nous saurons à la fin. (Elle grand désordre dans cette maison …
resonne.) Couplets.
Mme de Q. K. I.
Le baron. En effet … Belle livrée
Pourquoi Mme de Valangoujar s’est- Tête poudrée
elle sauvée ! Dieu ! que j’ai faim ! Pauline. Sur son siège tout droit planté
Voilà ce que c’est : madame sait, ou ne En bas de soie
(Entre Léonie.) sait pas, que je dois épouser Jean – un Il vous déploie
cocher ! Une étonnante dignité.
Mme de Q. K. Ah ! sur mon âme
J’espère que vous me direz … Le baron. Faudrait, madame
Un cocher ! S’en aller bien loin pour chercher
Le baron. Pareil cocher.
Cette adorable Mme de Villebousin. Mme de Q. K.
Non … je ne savais pas. II.
Léonie (même jeu que Clara.) Celle qu’il mène
Ah ! (Elle se sauve.) Le baron. Est bien certaine
Moi non plus ! D’être conduite rondement

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Il file, il perce Mme de Q. K. Oh ! Je ne désespère pas d’y arriver …


Et s’il vous verse Quoi donc ? grâce à tes conseils, à tes leçons … et à
Il s’y prend très adroitement celles de madame.
Ah ! sur mon âme Mme de F. V.
Faudrait, madame Que notre cousin Bobinet ait autorisé Mme de Q. K.
S’en aller bien loin pour chercher cette fête et s’y soit fourvoyé … Je vous mènerai chez mon tailleur …
Pareil cocher !
Mme de Q. K. Mme de F. V.
Mme de Q. K. Ce sont les grandes traditions de Mais, encore une fois, je t’assure …
La perle des cochers, d’après ce que tu l’ancienne noblesse.
dis, La baronne.
Sera la perle des maris. Mme de F. V. N’essaie pas de me faire croire … Je
Ah ! ne suis que depuis quarante huit heures
Ensemble. à Paris – mais j’ai bien regardé – ainsi,
Mme de Q. K. par exemple.
Mmes de Q. K. et F. V. Il est bon que de temps à temps le
Allez, Jean, maître préside aux divertissements de Rondeau.
Allez vous-en leurs serviteurs et se mêle à leurs jeux.
Je suis trop bonne personne Hier, au bois, j’ai vu ma charmante
Je pardonne Urbain (annonçant.) Une dame du plus grand ton
Allez, Jean Mme la baronne de Gondremarck. Devant moi passer triomphante
Allez vous-en Dans son petit coupé marron.
Allez Jean ! Scène 10e Seigneur ! Comme elle était gentille
Ah ! Parisienne de mon coeur !
Pauline. Les mêmes, La baronne. Est-ce le diable qui t’habille
Venez, Jean Et te donne cet air vainqueur ?
Allons-nous en Mme de F. V. Moi, je la regardais,
Madame est bonne personne Christine … Et tout bas je pensais
Vous pardonne A prendre cet air là, Dieu, que j’aurai
Venez Jean La baronne. de peine
Allons-nous en Ma chère Julie … Mais je veux être Parisienne !
Venez Jean. Je le serai
Mme de F. V. J’arriverai.
Le baron. Ma tante, je vous présente Mme de
Qui, moi, Jean Gondremarck – Christine, ma tante, Monté sur une belle bête
Allons-nous en madame de Quimper-Karadec … Un petit cavalier passa
Madame est bonne personne D’un joli mouvement de tête
Me pardonne La baronne. La dame lui dit : Je suis là.
Je suis Jean Madame … Que d’art, que de coquetterie
Allons-nous en Que d’esprit dans ce mouvement.
Je suis Jean. Mme de Q. K. Ce n’était rien, ma chère amie
Si vous voulez, chère petite, nous Rien du tout, et c’était charmant.
Le baron (à part.) supprimerons toute cérémonie … Moi, je la regardais
Je me croyais chez des duchesses, Et tout bas je pensais
Je me croyais ches des princesses. La baronne. A saluer ainsi, Dieu que j’aurai de
Et voilà. Je ne demande pas mieux, madame. peine
Que j’ai fait, le ciel me pardonne, Mais je veux être Parisienne.
Que j’ai fait la cour à la bonne Mme de Q. K. Je le serai
Oh ! la ! la ! A l’anglaise, alors … (poignée de J’arriverai.
mains) Savez-vous bien que vous êtes
Reprise de l’Ensemble. charmante. J’ai, dans une petite allée
Allez Jean Revu dans son petit coupé
Etc. La baronne. Ma petite dame voilée.
Venez Jean Oh ! madame ! Elle avait l’air fort occupé.
Etc. Le petit monsieur, d’un air tendre
Je suis Jean Mme de Q. K. De près, de tout près lui parlait
Etc. Certainement, certainement. La dame paraissait comprendre
Ce que le monsieur lui disait.
(Pauline emmène le baron). La baronne. Moi, je la regardais
Là-bas, à Copenhague, je ne me trouve Et tout bas je pensais
Scène 9e pas trop mal … mais depuis que je suis A jouer un tel jeu, Dieu que j’aurai de
ici – depuis que j’ai regardé les peine
Mme de Quimper-Karadec, Mme de Parisiennes … Je vois bien que je ne Mais je veux être Parisienne
Folle-Verdure. suis pas à la hauteur … Je le serai
J’arriverai.
Mme de F. V. Mme de F. V.
Est-ce que vous ne trouvez pas cela Par exemple … Ce spectacle m’allait à l’âme
étonnant ma tante ? Et je lorgnais d’un air rêveur
La baronne. La petite main de la dame

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Dans les petits doigts du monsieur. Urbain. Tu vas savoir … mais tout à l’heure
C’étaient des amoureux sans doute Monsieur … quand monsieur de Gardefeu sera
Car en passant j’entendis, moi ici …
Que le monsieur disait : écoute Bobinet.
Que la dame disais : tais-toi Qu’est-ce que c’est … Mme de Q. K.
Moi je les regardais Allons, allons, je le vois bien … il faut
Et tout bas je pensais Urbain. encore s’attendre à de l’extraordinaire.
A me conduire ainsi, Dieu ! que j’aurai Une carte … (il remet la carte à (Elle reprend son porte-voix et se pose.
de peine Bobinet.) Entre Urbain.)
Mais je veux être Parisienne
Je le serai Mme de F. V. (à la baronne.) Urbain.
J’arriverai. De ton mari, peut-être … M. le chevalier Raoul de Gardefeu.

(Entre Bobinet.) Bobinet. (Entre Gardefeu)


Ah ! le mari de madame doit ? …
Scène 11e Scène 12e
Mme de Q. K.
Les mêmes, Bobinet. Nous attendons M. le baron de Les mêmes, Gardefeu.
Gondremarck.
Bobinet. Gardefeu.
Maintenant, chère cousine … Bobinet (à part.) Mesdames, pardonnez-moi …
(apercevant la baronne) Ah ! Ah bien … ça va être drôle. (haut)
Madame… Mais ce n’est pas M. le baron … Vous Mme de Q. K.
permettez. (lisant) Heures délicieuses Nous vous pardonnons tout, monsieur,
Folle Verdure. passées avec la baronne. Baron pas excepté de venir si rarement.
Ma chère Christine. rentré – besoin de te parler. (haut)
Qu’est-ce qui t’a remis cette carte ? Gardefeu (apercevant la baronne.)
Bobinet (à part.) Ah ! (Tout le monde saute, excepté
Tiens, la Danoise … Urbain. Mme de Q. K.)
M. de Gardefeu lui-même.
Folle Verdure. Mme de F. V.
J’ai l’honneur de te présenter … Bobinet. Qu’est-ce que c’est, monsieur ?
Il est ?
La baronne. Gardefeu.
Oh ! Je connais bien monsieur … Urbain. Rien … rien …
monsieur est maître d’hôtel … Dans l’appartement de monsieur, il
attend … Mme de Q. K.
Mme de Q. K. C’est l’extraodrdinaire qui
Comment maître d’hôtel … c’est mon Bobinet. recommence. Je m’y attendais. Va-t-il
neveu. Pardonnez-moi, mes dames, il faut que encore y en avoir.
je …
Mme de F. V. La baronne.
C’est mon cousin Bobinet. La baronne. Mais je pense que oui, chère madame.
Oh ! je vous en prie, monsieur, et vous Et si vous voulez bien m’écouter.
La baronne (à Mme de Q. K.) aussi, mesdames, ayez la bonté de faire
Vous vous trompez, je crois … venir ici M. de Gardefeu. Mme de Q. K.
madame … ce n’est pas votre neveu. Si je le veux … asseyons-nous,
(à F.V.) Ce n’est pas ton cousin. Bobinet. asseyons-nous.
Comment, vous voulez …
Mme de F. V. Gardefeu (bas à la baronne.)
Mais si. La baronne. Ange, ne craignez rien. Je ne dirai pas
Je vous en prie. un mot qui vous puisse compromettre.
La baronne.
Mais non, c’est un maître d’hôtel, Mme de Q. K. La baronne (bas à Gardefeu, avec un
n’est-ce pas, monsieur que vous Faites ce qu’on vous dit, Urbain, priez sourire.)
êtes … monsieur de Gardefeu … Il ne manquerait plus que ça. (haut) Je
vous ai raconté ce que j’avais fait dans
Bobinet. (Urbain sort) mon après-midi, mais je ne vous ai pas
Certainement, madame … c’est à dire dit ce que j’avais fait dans la soirée.
que … Oh ! mais … je ne sais plus ce Bobinet (relisant la carte.)
que je dis, moi. Heures délicieuses passées avec la Gardefeu (à part.)
baronne. Et elle tient à le voir … (il la Comment elle va dire
Mme de Q. K. regarde) Ma foi … je suis curieux …
Qu’est-ce que ça signifie encore, ça ? Bobinet (id).
Est-ce une nouvelle aventure ? Va-t-on Mme de F. V. Bravo, bravo ! ça va changer.
encore m’embrasser ? Mais qu’est-ce que tout cela ?
Gardefeu (bas.)
(Entre Urbain) La baronne. Tais-toi donc.

©2003 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. ISMN M-2025-3107-5 ISBN 3-7931-3107-6
La Vie parisienne – Livrets de Censure (1866/1873) 28

La baronne. Je finis la lettre « Au lieu de vous


En arrivant, avant-hier à la gare, nous retirer dans votre chambre, enfermez- La baronne.
y avons trouvé un guide que nous vous dans celle de votre mari. Je Je n’en sais rien, moi, madame, mais si
avions retenu. Il nous conduisit dans viendrai, moi, et je prendrai votre vous tenez absolument à le savoir,
un hôtel, nous nous y installons, et le place. demandez à monsieur (Elle désigne
lendemain je reçois une lettre … une Gardefeu.)
lettre que voici. Elle est signée Gardefeu et Bobinet (à part.)
Métella. Oh ! Mes de F. V. et Q. K.
A monsieur !
Gardefeu (à part.) La baronne.
Métella. En effet à onze heures … mon mari La baronne.
était sorti … Oui – car celui que nous avons nommé
La baronne. Rocambole s’appelait de son vrai nom
Cette lettre, je vais vous la lire Mme de Q. K. M. de Gardefeu.
« Madame vous croyez être dans un Pauvre baron !
hôtel garni, pas du tout. Vous êtes chez Mme de Q. K.
monsieur de … La baronne. Ah ! ainsi ce guide qui sous prétexte
J’étais dans la chambre de mon mari, de vous menez dans un hôtel garni …
Mme de Q. K. (déjà très émue.) cette femme était venue et était dans
Monsieur de ? … ma chambre, à moi. Un homme entra. La baronne.
C’était monsieur …
La baronne. Mme de Q. K.
Si vous voulez, madame, nous C’était le mangeur de fer. Mme de Q. K.
appellerons ce monsieur… Aïe. C’est ennuyeux ça, c’est
La baronne. ennuyeux.
Mme de Q. K. Cet homme tenait à la main une bougie
Appelons-le Rocambole. allumée. Bobinet.
Pourquoi ça …
La baronne. Bobinet.
Soit ! Vous êtes chez monsieur de Sa figure l’était aussi. Mme de Q. K.
Rocambole. C’est un homme terrible. Moi qui comptait le prier de dîner avec
Rien ne lui coute pour assouvir ses Mme de Q. K. nous … mais ça vous embarasserait
passions. Il alla jusqu’à la porte de la chambre, peut-être de vous trouvez en face …
souffla la bougie, poussa la porte et
Mme de Q. K. entra … La baronne.
Ah ! ah ! Très bien … Je vois où nous Moi – mais pas du tout. Je n’ai aucun
allons … Mme de Q. K. motif d’en vouloir …
Alors on entendit un grand cri.
La baronne. Mme de Q. K.
Un piège épouvantable est ouvert sous La baronne. C’est juste … après ça, il ne vous a
vos pieds. Votre mari, attiré ce soir Mais non, madame. J’eus beau prêter rien fait.
dans un bal du grand monde, sera l’oreille, je n’entendis rien du tout.
retenu loin de vous … La baronne.
Mme de Q. K. Mais rien du tout !
Mme de Q. K. Mais enfin, qu’est-ce qui se passait
Pauvre baron … je le vois … Ils l’ont dans cette chambre … à la fin – je Scène 13e et dernière
enfermé dans la cave de la veuve veux le savoir.
Fipart. Dans la chambre à côté, la Les mêmes, puis Prosper, Urbain,
chouette joue de l’orgue pour étouffer Mme de F. V. Léonie, Clara, Pauline, Noël,
les cris de la victime, et l’infâme Ma tante … Gondremarck et les bottiers – entrent
Rodin … en même temps par des portes
La baronne. différentes les deux domestiques et les
Bobinet. Madame … trois femmes de chambre. Celles-ci
Qu’est-ce que vous avez, ma tante ? s’occupent de prendre le chapeau, le
Mme de Q. K. (exaspérée.) manteau de M. de Gondremarck.
Mme de Q. K. (tranquillement.) Je vous dis que je veux le savoir …
Ce n’est pas ça ? Finale.
Tous (la calmant.)
La baronne. Madame … Urbain et Prosper.
Mais non, madame. Madame est servie !
Mme de F. V.
Mme de Q. K. Ma tante … Mme de Q. K.
Ah ! bien. Voilà mon défaut … quand Un instant ! Nous ne pouvons nous
on me raconte quelque chose, je bâtis Mme de Q. K. mettre à table
tout de suite mon petit roman à côté, et Il n’est pas permis de surexciter ainsi Sans que votre mari …
puis je vais, je vais … revenons à l’intérêt d’une pauvre femme … et de
vous, chère baronne … je vous écoute. la laisser ensuite le bec dans l’eau … La baronne.
une dernière fois, qu’est-ce qui se C’est impatientant.
La baronne. passait dans cette chambre. (à Gardefeu)

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Qu’avez-vous fait de lui ? Alfred, Garçons de café, Sommeliers,


Mme de Q. K. Chasseurs.
Gardefeu (à Bobinet.) C’est mon neveu !
Comment on attend le mari. Choeur des garçons.
Le baron. Bien bichonnés, et bien rasés,
Bobinet. Mon guide, le voilà ! Bien pommadés et bien frisés,
Nous l’attendons ! Pimpants
La baronne, Mes de F. V. de Q. K. et Fringants,
Gardefeu. Bobinet (présentant Gardefeu au Proprets,
Cela manquait baron.) Coquets
Le baron, voilà le bouquet. Monsieur de Gardefeu ! Et discrets.
Quand vient minuit, l’heure joyeuse,
Noël (annonçant.) Le baron (trépignant sur le devant de la L’heure amoureuse
Monsieur de Gondremarck. scène.) Nous servons dans les cabinets !
Mon Dieu !
(entre le baron) Mon Dieu ! Alfred.
Mon Dieu ! En attendant la foule
Mme de Q. K. Que l’Opéra ce soir ici doit amener
Ciel ! que vois-je ! Reprise de l’Ensemble. Fourez-vous dans la boule
Ma tête ! Oh ! ma tête Les excellents conseils qu’Alfred va
Le baron. Etc. vous donner !
Ô prodige !
Encore cette dame ! où suis-je ? (On entend au dehors le choeur des Le choeur.
Où fuir ? où me cacher ? bottiers.) Fourrons-nous dans la boule
Les excellents conseils qu’Alfred va
Mme de Q. K. Nous avons fermé nos boutiques. nous donner !
Mais c’est Jean-le-cocher. Et nous venons
Goûter les plaisirs des salons Alfred.
Ensemble (agité.) Aristocratiques. 1.
Ma tête ! Oh ! ma tête ! … Avant toute chose il faut être
Nous devenons fous ! Mme de Q. K. Mystérieux et réservés
Tout ça, c’est trop bête ! Ce bruit ? Qu’arrive-t-il ? N’ayez jamais l’air de connaître
En sortirons-nous ? Ces messieurs quand vous les servez !
Ah ! peut-on comprendre Mme de F. V. (à la fenêtre.) Si parfois au bras d’une actrice
Rien à tout ceci Une horde indomptable. Un homme grave ici se glisse,
Pouvait-on s’attendre Du jardin de l’Hôtel envahi les Fermez les yeux
A le voir ici. sentiers. Ne gênons pas les amoureux,
Ma tête ! Oh ! ma tête ! … Fermez les yeux !
Nous devenons fous ! Bobinet et Gardefeu.
Tout ça, c’est trop bête ! Les bottiers ! Les bottiers ! Tous.
En sortirons-nous ? Fermons les yeux,
Mme de Q. K. Ne gênons pas les amoureux
Mme de Q. K. (à la baronne.) Les bottiers ! Quels bottiers ? Fermons les yeux !
Est-ce votre mari ?
Bobinet (tombant à genoux aux pieds Alfred.
La baronne. de sa tante.) 2.
Certainement, madame. Les bottiers d’hier soir ! C’est moi qui Quelquefois la porte résiste,
suis coupable ! Soyez prudents en pareil cas,
Mme de Q. K. Le garçon maladroit insiste,
Pas le cocher, alors ? (Toutes les portes s’ouvrent, paraissent Mais le malin n’insiste pas.
les bottiers. Ils envahissent la salle – Sans frapper partez au plus vite
La baronne. prennent les femmes par la taille et Et quand vous reviendrez ensuite,
Le cocher ? Quel cocher ? veulent commencer à danser en Fermez les yeux
chantant le choeur du 3e acte.) Ne gênons pas les amoureux,
Mme de Q. K. Fermez les yeux !
Le cocher dont Pauline un jour sera la Feu partout !
femme. Lâchez tout ! Tous.
Qu’on s’élance Fermons les yeux
Le baron. Que l’on danse Ne gênons pas les amoureux,
Ah ! monsieur l’amiral ! Feu partout ! Fermons les yeux.
Lâchez tout !
La baronne. Alfred.
Mais que va-t-il chercher ? Acte 5e Pourquoi faut-il que je sois obligé
d’ajouter des paroles sévères.
Mme de Q. K. Un salon dans un restaurant. Approchez, Paul.
Où ça, cet amiral.
Scène 1ère Paul.
La baronne. Voilà, M. Alfred.
Mais là.

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Alfred. faut choisir, petit jeune homme, c’est Etc. etc. etc.
Hier vous avez porté l’addition au nº3 de ce moment-là qu’il faut savoir
– un monsieur et une dame. Cette profiter. Paul (des larmes dans les yeux.)
addition était de 92 f 25. Sur les justes Ça ne m’arrivera plus, M. Alfred, ça
réclamations du client elle a été Tous. ne m’arrivera plus.
ramenée à 22 f 25. C’est-à-dire réduite Bravo. Bravo.
de 70 f. Pourquoi le client avait-il Alfred, (avec bonté.)
réclamé ? Alfred. Allez, mon ami, allez !
Merci, messieurs, je compte sur vous.
Paul. Nous avons ici ce soir une grande fête (Sortent les garçons de café.)
Parce qu’il avait vérifié. offerte par un Brésilien à toutes ces
dames et à tous ces messieurs. Ces Scène 2e
Alfred. dames seront en grisettes, ces
Et pourquoi avait-il vérifié ? messieurs seront en tourlourous. Ce Alfred.
sera charmant, et le souper sera Encore une grande fête … Je vais donc
Paul. formidable. Venez ici, M. le premier ? les revoir … les dix adorables femmes
Dame … Je ne sais pas … (le sommelier fait un pas en avant). qui … depuis 15 ans, dans la galanterie
Quel vin donnerons-nous au française, tiennent le haut du pavé ; –
Alfred. commencement de ce souper ? toujours les mêmes … la vieille
Quand avez-vous remis cette garde … qui se tend toujours et ne
addition ? Le 1er Sommelier. meurt jamais … C’est comme au
Du bon vin. théâtre … On a beau crier : Place aux
Paul. jeunes … et le public n’aime que les
J’ai profité du moment où la dame Alfred. noms connus …
était sortie pour aller se mettre un peu Et au milieu ?
de poudre de riz … (Entre Bobinet. Costume de tourlourou
Le 1er Sommelier. sous son paleton.)
Alfred. Du vin moins bon …
Il l’avoue ! malheureux jeune homme. Scène 3e
Il a choisi le moment où ce monsieur Alfred.
était seul ! Et à la fin ? Alfred, Bobinet.

Paul. Le 1er Sommelier. Alfred.


Oh ! Du vin ordinaire … Bonsoir, M. Bobinet.

Alfred. Alfred. Bobinet.


Mais d’où venez-vous donc pour vous Quel prix paiera-t-on le vin au Bonsoir, Alfred.
conduire ainsi – vous sortez donc de commencement du souper ?
chez Dinochau ! Alfred.
Le 1er Sommelier. Il y a trois jours qu’on ne vous avait
Paul. Dix francs la bouteille. vu.
M. Alfred !
Alfred. Bobinet.
Alfred. Et au milieu ? Et ça vous faisait de la peine …
Comment, ne savez-vous pas qu’un
homme quand une femme le regarde, Le 1er Sommelier. Alfred.
n’est presque jamais tenté de vérifier Quinze francs. Sans doute … et puis je pensais qu’on
l’addition. S’il est seul il n’hésitera ne vous verrait plus du tout …
pas. Alfred.
Et à la fin ? Bobinet.
Tous. Comment …
Très bien ! Le 1er Sommelier.
Un Louis. Alfred.
Alfred. Encore une chose à remarquer dans
Voilà ce qu’il y a de vraiment beau, de Alfred. notre monde … c’est que si les
vraiment élevé dans notre profession, Très bien. Voilà un observateur. Un femmes durent longtemps, les hommes
messieurs. L’addition, soignez mot encore, messieurs … Je vous ai dit ne durent guère … Ils sont nettoyés
l’addition ! non par ces moyens de ne pas employer de moyens avec une rapidité …
vulgaires … Les centimes additionnés vulgaires pour forcer l’addition ;
avec les francs, le numéro du cabinet cependant si en la parcourant du regard Bobinet.
ajouté au chiffre de la dépense, une vous vous aperceviez d’une erreur Personne n’est encore arrivé …
pièce de cinq ou de dix francs cachée énorme commise au bénéfice de la
sous le papier … non, messieurs, maison : Alfred.
élevons-nous plus haut, et pour forcer Fermez les yeux Personne. Mais voici M. de
l’addition, soyons observateurs, Laissons payer les amoureux, Gardefeu … (entre Gardefeu) Bonsoir,
étudions le cœur humain. – Il y a Fermez les yeux ! M. de Gardefeu.
toujours dans un souper un moment où
le client est hors d’état de vérifier Choeur. Gardefeu.
l’addition. C’est ce moment-là qu’il Fermez les yeux Bonsoir, Alfred.

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Bobinet. Bobinet.
(Alfred sort. Gardefeu et Bobinet ont Il n’y avait rien pour le garçon, alors ? N’est-ce pas ?
ôté leurs paletons et sont en
tourlourous.) Gardefeu. Gardefeu.
Rien du tout. Le résultat, après avoir Est-ce dit ?
Scène 4e fait la cour à une femme du monde,
m’a fait venir des réflexions. Bobinet.
Bobinet, Gardefeu. C’est dit.
Bobinet.
Gardefeu. Tout comme moi. Je n’ai pas eu plutôt Gardefeu.
Bonsoir. vingt mille francs dans ma poche que La reprenons-nous ?
j’ai commencé à réfléchir.
Bobinet. Bobinet.
Bonsoir, ami. Gardefeu. Nous la reprenons ! … (ils se serrent la
Je me suis dit : Les cocottes ont du main) Qu’est-ce que je dis, moi, nous
Gardefeu. bon, après tout, elles ont du bon, ces la reprenons … C’est-à-dire que je la
Tu as l’air gai … pauvres petites femmes qu’il y a trois reprends … Eh ! là-bas … (Entrent les
jours nous avons fait serment tourlourous et les grisettes.) Il est trop
Bobinet. d’abandonner. tard maintenant !
J’ai joué au baccarat hier. J’ai gagné
une vingtaine de mille francs et on me Bobinet. Scène 5e
les a payés … Certainement elles ont du bon.
D’autant que les femmes du monde … Bobinet, Gardefeu, les Bonnes, les
Gardefeu. peuh ! Il y en a une pourtant – ma Tourlourous, puis le Brésilien et
C’est une raison … cousine de Folle Verdure … On m’a Gabrielle.
parlé de l’épouser … Je me serais
Bobinet. laissé faire. Chœur.
Tu as l’air triste, toi ! En avant les bonnes
Gardefeu. Et les tourlourous,
Gardefeu. Elle t’aime peut-être ! Joyeuses personnes,
J’ai l’air triste parce que je suis allé Nous accourons tous,
aujourd’hui chez Mme de Bobinet. En avant les bonnes
Gondremarck. Eh ! eh ! Je crois bien que si je la Et les tourlourous !
tenais seule dans l’obscurité – pendant
Bobinet. un an … mais laissons cela. J’ai vingt (Entrent le Brésilien et Gabrielle.)
Elle n’est donc plus chez toi … mille francs dans ma poche, et je suis
absolument décidé à entrer dans le Le Brésilien.
Gardefeu. monde galant. Mes bons amis, je vous présente
Hier soir elle a quitté mon petit hôtel Une gantière autrefois innocente :
pour aller s’installer dans le Grand- Gardefeu. Et qui pour moi renonce à vingt ans de
Hôtel. Donc aujourd’hui je suis allé Moi aussi. C ’est pour cela que je me vertu.
chez la baronne. Je tenais à lui donner, suis habillé comme toi, – en
sur ce qui s’est passé hier, quelques tourlourou, et que je viens me mêler à Le Chœur.
explications … la fête donnée par ce Brésilien qui est Turlututu !
arrivé à Paris en même temps que ma
Bobinet. Danoise … Couplets.
Je comprends ça …
Bobinet. 1.
Gardefeu. Cela est-il sûr, après tout, que Métella Gabrielle.
Je lui ai fait passer ma carte, et nous trompait … Hier à midi la gantière
alors … Vit arriver un Brésilien.
Gardefeu.
Bobinet. Cela n’est pas sûr du tout. Le Brésilien.
Alors ? … Il lui dit : voulez-vous, gantière,
Bobinet. Vendre des gants au Brésilien ?
Gardefeu. Veux-tu que je te dise …
Elle m’a fait remettre 20 francs par le Gabrielle.
domestique. Gardefeu. C’est mon état, dit la gantière,
Dis-moi … Quel numéro, beau Brésilien ?
Bobinet.
Oh ! Bobinet. Le Brésilien.
Mon opinion à moi c’est qu’elle ne Huit trois quart, charmante gantière
Gardefeu. nous trompait pas. Lui riposta le Brésilien.
Du reste je n’avais pas le droit de
réclamer davantage … dix francs par Gardefeu. Gabrielle.
jour c’était le prix convenu … Deux Mais alors si elle ne nous trompait pas, Votre main, lui dit la gantière,
jours à dix francs ça fait bien vingt ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce La voici, dit le Brésilien.
francs. serait …
Le Brésilien.

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Et sous les doigts de la gantière, Des tendresses,


Tremblait la main du Brésilien. Du bruit, du plaisir, de l’amour Mme de Quimper-Karadec.
Chantons et buvons jusqu’au jour. Un peu de Mozart … ça ne peut pas
Chœur. faire de mal. – Ôtons nos masques
Et sous les doigts de la gantière (Ils sortent tous, sauf Alfred.) maintenant. (elles ôtent leurs
Tremblait la main du Brésilien. masques).
Scène 6e Mais qu’avez-vous donc, chère
2. baronne ?
Gabrielle. Alfred, Mme de Quimper-Karadec, la
C’est pas tout ça, belle gantière baronne, Mme de Folle-Verdure. La baronne.
Dit tout-à-coup le Brésilien. Je vous avoue que je ne suis pas très
Alfred. rassurée.
Le Brésilien. Oh ! folle, folle jeunesse … et
Les gants bien moins que la gantière combien y en a-t-il parmi ces Mme De Folle-Verdure.
Ont attiré le Brésilien. gentilshommes, qui demain seront Mais c’est à cause de vous que nous
sérieusement indisposés. (Entrent les sommes venues.
Gabrielle. trois femmes masquées.) Entrez,
Partez, s’écria la gantière, mesdames, entrez. La baronne.
Partez, séduisant Brésilien. Cela est vrai. (Entre Métella.) Cette
Mme de Quimper-Karadec. demoiselle Métella m’a écrit de me
Le Brésilien. Ecoutez-moi, mesdames. Il ne faut pas trouver ici ce soir – qu’elle y viendrait
Tu veux donc, cruelle gantière, se mêler d’être folles, ou bien il faut et qu’elle avait à me dire quelque
Tu veux la mort du Brésilien. l’être complètement. chose de très important, après le
service qu’elle m’avait rendu je ne
Gabrielle. Mme de Folle-Verdure. pouvais guère refuser … je suis venue.
Un sourire de la gantière Que voulez-vous dire, ma tante ?
Ressuscita le Brésilien. Mme de Quimper-Karadec.
Mme de Quimper-Karadec. Et nous vous avons accompagnée.
Le Brésilien. Je veux dire que je n’aurais jamais dû
Et voilà comment la gantière mettre le pied ici … mais qu’enfin La baronne.
Sauva les jours du Brésilien. puisque j’y suis, j’ai envie de m’y C’est très drôle … je suis contente
amuser … et ferme … garçon, venez, d’être venue ici … et cependant j’ai un
Choeur. petit garçon. peu peur. Où sommes-nous ? Qu’est-
Et voilà comment la gantière, ce que c’est que cet endroit dont nous
Sauva les jours du Brésilien. La baronne. avons si souvent entendu parler et que
Mon Dieu, madame, qu’allez-vous nous ne connaissons pas ?
(Entre Alfred suivi de 4 garçons de faire ?
café.) Métella, (s’avançant).
Mme de Quimper-Karadec. Ce que c’est ? … Si vous le désirez,
Alfred. Est-ce que vous n’avez pas chez vous mesdames, je vous le dirai, moi …
Mesdames et messieurs, le dîner est un charmant petit jeune homme … M.
servi, de Bobinet. La baronne.
Interrompez vos chants et venez par Melle Métella !
ici. Alfred.
Si fait, madame. Métella.
Choeur. Vous êtes ici … parlons bas … vous
Du bruit, du plaisir, de l’amour, Mme de Quimper-Karadec. êtes
Buvons et chantons jusqu’au jour, Priez-le de venir … Dites lui qu’il y a Ô femmes honnêtes,
ici une dame … des dames qui le Dans le restaurant
Les hommes demandent. Où quand la nuit vient d’étendre ses
Tends ton bras, voiles
Ô ma belle ! Alfred. Brillent les étoiles
Bien, madame. Du monde galant ! …
Les femmes C’est ici l’endroit redouté des mères
Prends le bras Mme de Quimper-Karadec. L’endroit effroyable où les fils
De ta belle, Allez, petit garçon. mineurs
Le repas Font sauter l’argent gagné par leurs
Nous appelle Alfred, (en sortant.) pères
Chants joyeux Ça, c’est des femmes du monde. Et rognent la dot promise à leurs
Et lumière soeurs !
Des vins vieux (Alfred sort. Les trois femmes A minuit sonnante commence la fête
Dans nos verres masquées s’avancent sur le devant de Maint coupé s’arrête
Des flacons la scène.) On en voit sortir
Qui pétillent De jolies messieurs et de jeunes
Des chansons Scène 7e femmes
Qui babillent Mmes de Quimper-Karadec, de Folle- Qui viennent, mesdames,
Des amants Verdure, La baronne, puis Métella. Pour se divertir !
Des maîtresses, La fleur du panier, des brunes, des
Des serments Trio de masques. blondes,

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Et bien entendu, des rousses aussi. Il m’a reconnue – vous y avez mis le
Les jolis messieurs de tous les mondes temps, à venir. Mme de Quimper-Karadec.
C’est un peu mêlé ce qu’on trouve ici. Ecoute, je veux bien …
Bobinet.
Tout cela s’anime et se met en joie J’étais en train de jouer au baccarat … Le Brésilien.
Frou frou de la soie J’ai tout perdu, allons-nous-en, ma Alors …
Le long des couloirs tante.
C’est l’adagio de la bacchanale Mme de Quimper-Karadec.
Dont la voix brutale Mme de Quimper-Karadec. Mais avec toi seulement … pas avec
Gronde tous les soirs ! Pas du tout. tout le monde …
Rires éclatants, fracas du champagne
On cartonne ici, l’on danse là-bas Bobinet. Le Brésilien.
Et le piano qui grince, accompagne Je n’ai plus mes vingt mille francs. Gourmande …
Sur l’air du Sapeur d’étranges ébats ! Décidément Métella me trompait ; je
reviens aux femmes du monde. Mme de Quimper-Karadec.
Le bruit monte, monte et devient C’est comme ça.
tempête, Mme de Quimper-Karadec.
La jeunesse en fête Alors prends le bras de ta cousine … Le Brésilien.
Chante à plein gosier ! J’ai notre affaire … un petit cabinet …
Est-ce du plaisir ou de la furie Bobinet. nous serons seuls …
On parle, l’on crie Ma cousine …
Tant qu’on peut crier ! Mme de Quimper-Karadec, (à la
Quand on ne peut plus, il faut bien se Mme de Folle-Verdure, (s’avançant.) baronne.)
taire Vous ne me reconnaissez pas, moi … Vous nous rejoignez, chère petite …
La gaîté s’en va petit-à-petit si vous saviez … j’ai eu une émotion
L’un dort tout debout, l’autre dort par quand je vous ai vu en militaire … La baronne.
terre Oui, dès que madame m’aura dit …
Et voilà comment la fête finit. Bobinet.
Ça me va bien, n’est-ce pas ? Mme de Quimper-Karadec.
Quand vient le matin, quand paraît Vous venez, Bobinet ?
l’aurore Mme de Folle-Verdure.
On en trouve encore Oui. Et puis ce vœu que j’ai été Bobinet.
Mais plus de gaîté obligée de faire … cette exigence de Je crois bien que je viens … Oh ! les
Les brillants viveurs sont mal à leur mon mari … Epouser un soldat … qui femmes du monde ! …
aise me dit maintenant que ce n’est pas (il sort avec Folle-Verdure.)
Et dans le grand Seize vous qu’il voulait me désigner ?
On voudrait du thé ! Le Brésilien, (à Mme de Quimper-
Ils s’en vont enfin la mine blafarde Bobinet. Karadec.)
Ecoeurés de vin, écoeurés d’amour Peut-être bien – au fait – peut-être Un mot avant d’entrer … ton âge ?
Et le balayeur s’arrête, regarde bien … allons-nous-en !
Et leur crie : Ohé ! les heureux du Mme de Quimper-Karadec,
jour ! (entre le Brésilien) (résolument.)
Vingt deux ans.
Vous êtes ici … parlons bas … vous Le Brésilien.
êtes Vous en aller … Je ne laisserai Le Brésilien.
Ô femmes honnêtes certainement pas s’en aller des Entrons alors.
Dans le restaurant femmes … des femmes qui sont
Où quand la nuit vient d’étendre ses venues pour assister à la fête que je Mme de Quimper-Karadec, (au
voiles donne … Brésilien qui lui prend la taille.)
Brillent les étoiles Eh ! bien, déjà ? (à part) Ça me
Du monde galant ! Mme de Quimper-Karadec. rappelle les fêtes galantes du
Ah ! monsieur donne une fête … Directoire ! (ils sortent.)
Scène 8e
Le Brésilien. Scène 9e
Les mêmes, Bobinet, puis le Brésilien, Tu le sais bien … dis … tu le sais
puis les femmes masquées, excepté bien … Métella, la baronne.
Métella.
Mme de Quimper-Karadec. La baronne.
Bobinet. Tu me croiras si tu veux … je ne m’en Vous m’avez priée de venir, madame.
Où est la femme qui me demande ? doutais pas. Je suis venue.

Mme de Quimper-Karadec. Le Brésilien. Métella.


C’est moi. Tu le sais maintenant … viens souper. Et je vous en remercie, madame. Car
j’ai à vous demander un service.
Bobinet. Mme de Quimper-Karadec.
Vous ici, ma tante. Avec toi … La baronne.
Après ce que vous avez fait pour
Mme de Quimper-Karadec. Le Brésilien. moi …
Parbleu !

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Une amie à moi, soyez convenable …


Métella. (bas à la baronne) Eh ! bien, refusez- Le baron.
Un service pareil à celui que j’ai eu le vous toujours ! Et avant ?
plaisir de vous rendre …
La baronne, (bas.) La baronne.
La baronne. Ma foi. J’ai bien envie. J’étais mariée …
Pareil ?
Métella. Le baron.
Métella. Ah ! diable non – pas de bêtise … J’ai Monsieur votre mari …
Absolument pareil … compté sur vous, c’est entendu, n’est-
ce pas. Vous prenez ma place. La baronne.
La baronne. M’a trompée et alors. (Elle commence
Mais … je ne comprends pas bien, La baronne. à jouer le rondeau de Pâris dans la
madame. Le service que vous m’avez C’est entendu ! Belle Hélène.)
rendu consistait …
Métella, (revenant, au baron.) Le baron, (à part.)
Métella. Ça va bien, du reste ? Oh ! qu’elle est vieille cette histoire-
A prendre votre place dans une là ! … qu’elle est vieille ! … Pianiste
circonstance … vous vous rappelez. Le baron. avec ça … c’est une fille de portière …
Ça va très bien – nous soupons … (haut) Vous gardez votre masque …
La baronne.
Et vous venez me demander ? … Métella. La baronne.
Nous sommes ici pour ça. – Bonsoir. Oui.
Métella.
Justement ; je dois ce soir souper ici … Le baron. Le baron.
avec une certaine personne. Je viens Comment, bonsoir ? Ah ! fâcheux ! … le masque tombe, –
vous prier de prendre ma place tout l’homme reste – le masque reste,
comme avant-hier j’ai pris la vôtre. Métella. l’homme tombe.
Deux mots à dire dans le cabinet à
La baronne. côté … Je viens de rencontrer un jeune La baronne.
Oh ! homme … Qu’est-ce que vous dites ?

Métella. Le baron. Le baron.


Vous refusez. – Parions que vous ne Un jeune homme … Je dis que … (riant) Qu’est-ce que
refuserez plus quand vous saurez le vous voulez que je dise si vous jouez
nom de cette personne avec qui je dois Métella. toujours … Finissez donc … je dis
souper ce soir. Oui, c’est très singulier, je me que … (2e piano accompagnant
souviens que je l’ai aimé à la folie et je plusieurs voix qui dans un cabinet
La baronne. ne peux pas me rappeler son nom. Je voisin chantent l’air du Sapeur.)
Dites-le-moi, ce nom. vais le lui demander. Allons bon ! un autre piano
maintenant … Il me semble que vous
(Entre Alfred) Le baron. avez de très beaux yeux. (Dans un
Métella … autre cabinet, 3e piano accompagnant
Scène 10e le choeu de Bû qui s’avance [de la
Métella. Belle Hélène] ; la baronne continue à
Les mêmes, Alfred, puis le baron. Bonsoir – et quand vous le reverrez, jouer et l’air du Sapeur continue
dites bien des choses de ma part au également.) Bon ! un troisème piano
Alfred. baron de Frascata ! (elle sort.) maintenant ! (quatrième piano et
Melle Métella, il y a là un baron. quatrième chœur sur le galop final
Scène 11e d’Orphée aux enfers.) Un quatrième !
La baronne.
Un baron. Le baron, la baronne. (affreux charivari de tous les chœurs se
confondant et s’embrouillant.)
Métella, (à la baronne.) Le baron.
Vous allez voir cette personne, Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? La baronne, (criant.)
remettez votre masque. (à Alfred) Mais parlez donc ! … (le baron fait
Faites entrer ce baron. La baronne, (à part.) entendre par gestes qu’il la supplie
Mon mari ici ! … Et moi qui n’ai tenu d’ôter son masque.) Je ne comprends
Alfred. à quitter Copenhague que parce que pas.
Si monsieur veut se donner la peine … j’avais peur de ne pouvoir résister à ce
jeune attaché d’ambassade … Le baron, (criant.)
(il sort – entre le baron) Je vous supplie d’ôter votre masque …
Le baron, (regardant la baronne.)
La baron. Heureusement il me reste l’amie. (à la (Tous les deux pendant les répliques
Ah ! mon amour … (apercevant la baronne) Depuis combien de temps qui suivent, crient de plus fort en plus
baronne) Une dame … dans le monde galant ? fort – le vacarme des pianos et des
chœurs allant toujours croissant au
Métella. La baronne. dehors.)
Depuis cinq minutes.

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La Vie parisienne – Livrets de Censure (1866/1873) 35

La baronne.
Je ne demande pas mieux.

Le baron.
Ma femme !

La baronne.
Qu’en dites-vous, monsieur ?

Le baron.
Pardonnez-moi …

La baronne.
A une condition.

Le baron.
Laquelle ?

La baronne.
Demain nous repartons pour
Copenhague.

Le baron.
Vous l’exigez ?

La baronne.
Je l’exige.

Le baron.
Nous partirons alors.

(Tapage énorme – toutes les portes


s’ouvrent. Entrent tous les
personnages.)

Scène 12e et dernière

Tous les personnages.

Finale.

Ronde sur La Vie parisienne.

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La Vie parisienne – Livrets de Censure (1866/1873) 36

Livret de Censure 1866 Gardefeu, la Baronne. voyez-vous, madame, Paris est une
Actes 4 et 5 (2e version) ville où une femme, une jolie femme,
La Baronne. doit s’habituer à se passer de son mari
Tiens, vous êtes resté ici ? voir son mari rentrer tard.
e
Acte 4
Gardefeu. La Baronne.
Décor du 2e acte. Bougies allumées. Oui, j’attendais la femme de chambre Mais alors … je suis seule ici, moi …
Minuit. de Madame la Baronne.
Gardefeu.
Scène 1ère La Baronne. Seule … non, puisque je suis là. Ah !
Comment, ma femme de chambre c’est que, voyez-vous, madame, Paris
Gardefeu, Alphonse. n’est pas là ? est une ville où, lorsqu’une jolie
(on entend crier : Porte, s’il vous femme s’est habituée à se passer de
plaît !) Gardefeu. son mari, elle lorsque le mari n’est pas
Non, madame, elle est sortie. rentré, une jolie femme est toujours
Gardefeu. sûre de trouver là, près d’elle …
C’est la Baronne, elle revient des La Baronne.
Italiens … Alphonse, Alphonse ! Et pourquoi est-elle sortie ? La Baronne.
Descends, tu ouvriras la porte et après Plaît-il ?
cela … Gardefeu.
Ah ! voilà ! pourquoi est-elle sortie ! Il Gardefeu.
Alphonse. est venu un voltigeur. Et je suis là !
Après cela ?
La Baronne. La Baronne.
Gardefeu. Un voltiguer … Mais vous allez vous en aller.
Tu iras à la Porte Saint Martin ; tu y
trouveras la femme de chambre ; tu lui Gardefeu. Gardefeu.
diras : « Votre maîtresse vous attend à Oui, madame. Ah ! non !
Versailles »… et tu l’y conduiras ;
vous prendrez le train de minuit et La Baronne. La Baronne.
demi. Qu’est-ce que c’est que ça, un Qu’est-ce que vous dites ?
voltigeur ?
Alphonse. Gardefeu.
Et une fois à Versailles … Gardefeu. Je dis que dans le cas où il vous serait
C’est un militaire … Ah ! madame ne le moins du monde désagréable de
Gardefeu. sait pas … il y a des militaires de rester seule, je consentirais volontiers,
Tu installeras la femme de chambre à plusieurs sortes … Le voltigeur est le bien qu’à la rigueur je n’y sois pas
l’hôtel des Réservoirs et tu plus petit, mais il n’est pas le moins tenu comme guide …
t’installeras, toi, dans l’hôtel qui te dangereux. Donc, il est venu un (on frappe à la porte)
plairas le mieux. voltigeur et il a dit à votre femme de
(il lui donne de l’argent) Va vite … chambre : « De quel endroit êtes- La Baronne.
vous » ? – « Je suis de Stockholm », a- On a frappé ! …
Alphonse. t-elle répondu – « Comme ça se
Alors, monsieur me permet … trouve, a riposté le voltigeur, nous Gardefeu (à part)
sommes pays ». Et ils sont partis. Qu’est-ce que c’est que ça ? (haut)
Le cocher, au dehors. Vous croyez, madame ?
Porte, s’il vous plaît ! La Baronne.
Ils sont partis ? La Baronne.
Gardefeu. Comment je crois … (on frappe) Vous
Mais va donc vite ! tu vois bien que Gardefeu. n’entendez pas ?
l’on s’impatiente ! Oui, mais je pense qu’elle ne tardera
( sort Alphonse ) pas à revenir … il me paraît Gardefeu.
impossible qu’elle ne revienne pas Ce n’est pas ici.
Scène 2e bientôt.
La Baronne.
Gardefeu. La Baronne. Mais si fait, c’est ici. Allez voir.
Nous touchons au drame ; je me suis Et mon mari n’est pas encore rentré ?
débarrassé du mari, je viens de Gardefeu.
renvoyer les serviteurs, j’ai coupé tous Gardefeu. Des gens qui frappent à cette heure-ci !
les cordons de sonnette et j’ai préparé Pas encore, madame. Est-ce que vous n’avez pas peur …
un petit ambigu … pour deux
personnes. Si je ne réussis pas, je La Baronne. La Baronne.
n’aurai rien du moins à me Comme vous dites cela … De quoi voulez-vous que j’aie peur ?
reprocher … ce sera une consolation. Ce ne peut être que ma femme de
Gardefeu. chambre ou mon mari.
(Entre la Baronne.) Je ne peux pas vous le dire autrement ;
vous me dites : « mon mari n’est pas Gardefeu, à part.
Scène 3e encore rentré » – je vous réponds : – Les maladroits ! Ils l’auront laissé
Pas encore, madame … Ah ! c’est que s’échapper ! (on frappe)

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Battait des mains à la Patti.


La Baronne. J’eus aussi mon succès, je pense, Mme de Quimper-Karadec.
Allez ouvrir … Eh bien ? Car, en partant, dans le couloir, Me voilà, moi. (à Gardefeu) Qu’est-ce
Je vis une énorme affluence que ce garçon nous disait donc
Gardefeu. Des gens se pressant pour me voir. alors …
J’y vais, madame … Maladroits ! (Il Oui, pour me voir.
sort.) Ah ! Gardefeu, à part.
Ah ! je suis encore toute éblouie, C’est celle-là qui a de l’énergie.
Scène 4e Toute ravie,
Ah ! quel tableau pour mes yeux Mme de Quimper-Karadec (à Madame
La Baronne. surpris ! de Folle-Verdure.)
Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Ce Je reviens charmée, enivrée, Présente-moi, chère enfant.
guide a véritablement des allures Enthousiasmée,
étranges. Tout-à-l’heure, au moment Enfin, ce soir, j’ai vu Paris Mme de Folle-Verdure.
où je rentrais, un jeune homme s’est Ma chère Christine, je te présente ma
approché de la voiture … il m’a mis Scène 5e tante, Madame de Quimper-Karadec,
une lettre dans la main, et m’a dit : ma tante, Madame la baronne de
lisez, et il s’est éloigné aussitôt. Quelle La Baronne, Gardefeu, très troublé. Gondremarck.
ville singulière, Paris ! Mais il faut le
dire aussi, quelle ville charmante. Gardefeu. Mme de Quimper-Karadec.
J’arrive des Italiens, quelle soirée j’ai Madame, madame … Madame …
passé ! … que d’éclat, que de lumière !
La Baronne. La Baronne.
Je suis encor toute éblouie Eh bien ? … Madame …
Toute ravie
Ah ! quel tableau pour mes yeux Gardefeu. Mme de Quimper-Karadec.
surpris ! Ce n’était pas votre femme de Avouez d’abord que vous êtes
Je reviens charmée, enivrée, chambre, madame … diablement surprise de nous voir chez
Enthousiasmée ! vous à une pareille heure.
Enfin, ce soir, j’ai vu Paris, La Baronne.
Des toilettes étourdissantes, C’était mon mari, alors … Gardefeu.
Des fronts chargés de diamants Oh ! oui !
Et lorgnant ces femmes charmantes Gardefeu.
Force petits messieurs charmants. Ce n’était pas non plus votre mari, Mme de Quimper-Karadec.
J’arrive, j’entre dans la salle, madame … Qu’est-ce que c’est ? Ce garçon est à
Et je m’installe votre service ?
Sous des regards curieux La Baronne.
Tout d’abord, deux femmes divines Mais enfin, qu’est-ce que c’était ? La Baronne.
Mes voisines, Oui, c’est mon guide. C’est lui qui
Par leur éclat, frappent les yeux Gardefeu. nous a amenés dans cet hôtel.
Toutes deux, elles étaient belles, Deux dames qui désiraient vous
Mais à faire perdre l’esprit. parler ; je leur ai dit que cela était Mme de Quimper-Karadec.
Je demande qui donc sont-elles ? impossible à une pareille heure … Eh bien, mon ami, faites-nous préparer
Et voilà ce que l’on me dit : mais elles ont insisté … il y en a une deux chambres ; ma nièce et moi
L’une est une femme à la mode, des deux qui m’a paru douée d’une passerons la nuit ici.
Assez commode, énergie peu commune … (Il donne des
Et l’orchestre est plein de ses amants, cartes.) Je vais les renvoyer, n’est-ce Gardefeu.
L’autre, ah ! l’autre est une comtesse pas ? Ici ?
Et sa noblesse
A plus de cinq ou six cents ans. La Baronne. Mme de Folle-Verdure, à la Baronne.
Examinez bien leur toilette Mais pas du tout. Avant de les Tu continues à être surprise ; nous
Et quand vous aurez vu, parlez, renvoyer, il faut savoir … (entre t’expliquerons cela plus tard …
Dites quelle est la cocodette Madame de Folle Verdure)
Et quelle est la cocotte, allez. Gardefeu (à Mme de Quimper-
Je regardai, même frisure, Mme de Folle-Verdure. Karadec)
Et même allure, Là … quand je le disais … Mais, madame …
Même regard impertinent,
Même hardiesse à tout dire, Scène 6e Mme de Quimper-Karadec.
Même sourire, Mais quoi – nous sommes dans un
Allant aux mêmes jeunes gens. Les mêmes, Mmes de Quimper- hôtel, n’est-ce pas ?
Pour choisir ne sachant que faire Karadec et Folle-Verdure.
Je dis : la grande Dame est là, Gardefeu.
C’était justement le contraire. La Baronne. Ah ! mais ! … ah ! mais ! …
Mais comment deviner cela ! Ma chère Julie …
Et pendant ce temps, de Rosine Mme de Folle-Verdure.
La voix mutine Mme de Folle-Verdure. Si nous sommes dans un hôtel, il me
Chantait les airs de Rossini. Ma chère Christine … venez, ma tante, semble …
Et toute la salle grisée, venez.
Electrisée, (Entre Madame de Quimper-Karadec.) Gardefeu.

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Vous êtes dans un hôtel, cela est vrai ; Dans un inqualifiable état d’ébriété … somme, que j’ai le plaisir de
mais il est plein, cet hôtel – il est plein « Madame … dit cet homme à ma t’embrasser vingt-quatre heures plus
depuis en haut jusqu’en bas … ainsi … nièce, voici une lettre pour vous ». tôt, ma chère Christine. Voyons, parle,
toi, maintenant. Dis-moi un peu ce que
Mme de Folle-Verdure. Folle-Verdure. tu penses de messieurs les Parisiens.
Ah ! c’est fâcheux ! C’était la tienne.
La Baronne.
La Baronne. Quimper-Karadec. Mais je pense qu’ils sont très
Mais je vous donnerais bien volontiers Il la lui donne ; en la lui donnant, il impertinents.
l’hospitalité. ouvre un oeil mourant qu’il referme
soudain, et il retombe … Folle-Verdure.
Gardefeu. Ah ! tu as remarqué cela, déjà ! …
Par exemple … Folle-Verdure.
Impossible de tirer de lui une seule Quimper-Karadec.
Mme de Quimper-Karadec. parole … Nous passons outre, et nous Vous ne perdez pas de temps, vous.
Comment, par exemple ! il a dit : « par pénétrons dans l’hôtel …
exemple », Dieu me pardonne ! Folle-Verdure.
Quimper-Karadec. Et de quelle impertinence s’est-on
Gardefeu. Il était splendidement illuminé, rendu coupable, dis …
J’ai voulu dire que ces dames ne l’hôtel ! …
peuvent pas rester ici, mais si elles Quimper-Karadec.
veulent, je leur trouverai des chambres Folle-Verdure. Ah ! oui, dites-nous … voilà des
dans un autre hôtel. Et on y faisait un vacarme … nous histoires que j’aime … mon Dieu !
regardons par une porte entr’ouverte, comme j’aime ces histoires-là ! Est-
Mme de Folle-Verdure. et qu’est-ce que nous voyons ? elle bien impertinente, l’impertinence ?
Cela vaut mieux, ma tante. mesdames nos femmes de chambre et
messieurs nos domestiques revêtus de La Baronne.
Mme de Quimper-Karadec. costumes extravagants et avec Il ne faut pas vous attendre à des
Eh bien, c’est dit ; occupez-vous de quelques uns de leurs amis, en train de choses …
nous trouver cela, petit homme, et se livrer à une danse échevelée …
dépêchez-vous. Quimper-Karadec.
Quimper-Karadec. Mais si …
Gardefeu. Et voluptueuse … J’emmène ma nièce,
Soyez tranquille … je ne perdrai pas nous ressortons, et je me fais conduire La Baronne.
de temps. (à part) Allons, c’est moins chez le commissaire de police. Mais non …
effrayant que je ne pensais … je leur
trouve un appartement dans un Folle-Verdure. Quimper-Karadec.
véritable hôtel, et elles s’en vont ! Nous trouvons là une façon de Mais si, mais si …
(il sort) secrétaire qui nous dit : M. le
Commissaire est couché ! La Baronne.
Scène 7e Je vous assure que non. Tout-à-
Quimper-Karadec. l’heure, un jeune homme m’a glissé
Mme de Quimper-Karadec, Mme de Je réponds : « faites-le lever, c’est une une lettre dans la main.
Folle-Verdure, la baronne. dame » … Il se lève, arrive et
demande : « où est la dame » ? … Quimper-Karadec.
La baronne. « C’est moi, la dame », et je le prie Pas mal cela, pas mal, et que disait-
En attendant qu’il revienne, asseyons- d’envoyer une escouade chez moi pour elle, cette lettre ?
nous, mesdames, et dites-moi fourrer tous ces gaillards-là à la porte.
maintenant … La Baronne.
Folle-Verdure. Je ne l’ai pas lue.
Folle-Verdure. Le commissaire hésitait.
Nous allons te dire … ma tante a eu Folle-Verdure.
l’idée de revenir de la campagne Quimper-Karadec. Tu as refusé de la prendre …
quelques jours plus tôt qu’elle n’avait Un sourire le décide.
annoncé. C’était afin de voir comment La Baronne.
nos gens se comportaient en notre Folle-Verdure. Oh ! non, je l’ai prise pour me
absence … Il envoie ses hommes. Mais nous, que débarrasser du jeune homme.
devenir pendant cette expédition ? Je
Quimper-Karadec. venais justement de lire ta lettre et j’y Quimper-Karadec.
Cette expérience a réussi – j’ose le dire avais vu ton adresse … Je dis à ma Vous l’avez enfin !
– elle a complètement réussi. tante : allons dans l’hôtel où est logée
ma chère Christine. La Baronne.
Folle-Verdure. La voici.
Nous arrivons et nous trouvons le Quimper-Karadec.
concierge de l’hôtel dans un état, Et nous voilà ! Quimper-Karadec.
comment dirai-je ? Lisez alors, je vous en supplie, lisez
Folle-Verdure. tout de suite.
Quimper-Karadec. Et j’ai presque envie de remercier nos
gens, car c’est à cause d’eux, en La Baronne.

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Eh ! mon Dieu, madame, puisque cela déplaît pas ; je suis de l’ancien régime,
vous fait tant de plaisir … (elle ouvre moi, j’aime mieux Lauzun que Quimper-Karadec.
la lettre) Rocambole, à cela près que ce C’est très bien. (lui montrant des sacs
monsieur de Gardefeu est un polisson ! de voyage qu’elles avaient en entrant)
Quimper-Karadec. Descendez et mettez cela dans la
A la bonne heure ! La Baronne. voiture. (à la Baronne) Chère madame,
Partons … partons tout de suite. nous allons maintenant vous dire
La Baronne. adieu.
Oh ! Folle-Verdure.
Que veux-tu faire ? Gardefeu.
Quimper-Karadec. Enfin ! Elles vont partir.
Qu’est-ce que c’est ? La Baronne. (Il sort avec les sacs de voyage.)
Partir d’ici … courir après mon mari.
La Baronne. Scène 9e
Oh ! … Folle-Verdure.
Sans te venger … sans punir l’insolent Les mêmes, moins Gardefeu.
Folle-Verdure. qui a osé …
Mais parle donc ! La Baronne.
La Baronne. Comment ! Vous me laissez …
Quimper-Karadec. Le punir …
Non, elle veut que je meure … je vois Quimper-Karadec.
clairement son idée … ton amie veut Folle-Verdure. N’ayez pas peur … et vite, affublez-
que je meure … Il le faut. vous de tout cela … (elle lui met son
chapeau sur la tête, et sur les épaules,
La Baronne. 1er couplet. son manteau de voyage) Et tachez que
Cette lettre n’est pas écrite par un Quoi, ces messieurs pourraient, ma l’on ne vous reconnaisse pas … Où est
homme – elle est signée Métella. chère, votre chambre ?
A leur aise nous insulter,
Quimper-Karadec. Et nous, malgré notre colère, La Baronne, la lui montrant.
Un nom de cocotte ! Nous devrions tout supporter ? Là … vous voulez …
Non, pardieu ! vengeons-nous, ma
La Baronne. chère, Quimper-Karadec.
Cette demoiselle Métella m’avertit que Ne nous laissons pas outrager, Oui, je veux … marchez un peu sur la
cet homme que nous avons trouvé à la Vengeons-nous (bis) il faut nous pointe des pieds, comme cela … Du
gare et qui s’est fait passer pour un venger (bis) reste, comme il ne se méfie pas … il
guide, n’est autre que le brillant n’est pas probable …
Vicomte de Gardefeu. 2e couplet.
Pense donc à cela, ma chère Folle-Verdure.
Quimper-Karadec. Sans le hasard qui te sauva, Mais vous, ma tante …
Continuez, je vous en prie, continuez. Cet insolent qu’allait-il faire ?
On tremble en songeant à cela … Quimper-Karadec.
La Baronne. Il faut punir le téméraire Je vais rester, moi !!!
Je me figure d’être dans un hôtel Ne nous laissons pas outrager
garni … je suis dans l’hôtel de Vengeons-nous (bis) il faut nous Folle-Verdure.
Monsieur de Gardefeu … c’est lui qui venger ! (bis) Et vous n’avez pas peur …
a éloigné mon mari, c’est lui qui a
éloigné mes domestiques … et, me Gardefeu, entrant par le fond. Quimper-Karadec.
tenant ainsi, seule chez lui, il Mesdames … Folle enfant … allez, allez vite.
espérait …
Quimper-Karadec. Reprise de l’ensemble.
Quimper-Karadec. C’est lui. Vengeons-nous (bis) il faut nous
Achevez … venger
Gardefeu. (les deux femmes sortent)
Folle-Verdure. J’ai retenu deux chambres au grand
Ma tante ! hôtel. Scène 10e

Quimper-Karadec. La Baronne. Mme de Quimper-Karadec, puis


Eh bien ! je trouve que cela sent son Je croyais qu’il n’y en avait plus. Gardefeu.
oeil de bœuf.
Gardefeu. Quimper-Karadec.
La Baronne. On en a retrouvé deux, heureusement ; La voiture s’en va – ah ! ah ! M. de
Qu’est-ce que vous dites ? j’ai pris les numéros, et quand ces Gardefeu, vous aimez les aventures
dames voudront … régence … eh bien ! nous allons
Quimper-Karadec. voir … C’est une femme du monde
Je dis que par le temps qui court, on Quimper-Karadec. qu’il vous fallait, en voici une, ventre-
n’est pas fâché de se trouver en face Vous avez une voiture ? saint-gris ! Je l’entoure, le voici !
d’une nature quelque peu audacieuse,
exceptionnelle … et dix-huitième Gardefeu. Gardefeu (rentrant)
siècle ! ça sent la poudre ça ne me Il y en a une en bas.

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Enfin, elles sont parties … (haut) Cela vous étonne ? n’ayez pas peur, Voyez comme alors la situation serait
Madame, c’est encore moi. Madame, dans un instant, vous en entendrez bien changée … j’en serais bien sûre de
je vous en prie, n’ayez pas peur … et d’autres. votre discrétion – je vous tiendrais
ne vous étonnez pas de ce que je vais dans ma main, mon bon Monsieur de
vous dire … Je conviens qu’au premier Gardefeu. Gardefeu …
abord cela peut paraître étonnant, Si c’est pour ça que j’ai coupé mes
mais … (à part) elle me laisse cordons de sonnettes … Gardefeu.
parler … Madame … (il prend la main Mon nom ! …
que Mme de Quimper-Karadec laisse Quimper-Karadec.
prendre négligemment) ah ! Madame, Seulement, il y a une chose qui me Quimper-Karadec.
madame ! chiffonne … Je vous tiendrais, et je vous tiens,
monsieur.
Quimper-Karadec ( se retournant ) Gardefeu.
Qu’avez-vous, petit homme ? Vraiment ? Et quoi donc ? Gardefeu, à part, en la regardant
Ah ! ah ! nous voulons nous moquer
Gardefeu. Quimper-Karadec. de papa …
Oh ! Ce qui me chiffonne, c’est que je ne
suis pas sûre de votre discrétion ; ainsi, Quimper-Karadec.
Quimper-Karadec. tenez, en ce moment, j’ai une envie Et s’il me prenait fantaisie de croquer
Eh bien ? folle de vous sauter au cou. avec vous les pommes … que vous
comptiez bien croquer avec la baronne,
Gardefeu. Gardefeu. gamin, il vous serait impossible de
C’est vous … vous qui êtes ici … Par exemple ! refuser.

Quimper-Karadec. Quimper-Karadec. Gardefeu.


C’est moi … Eh bien ! je me contiens, je me Voyez-vous ça, gourmande, vraiment.
contiens avec peine, mais je me
Quimper-karadec. contiens … et pourquoi ça … parce Quimper-Karadec.
Et la baronne … que je ne suis pas sûre de votre Qu’est-ce que vous en dites ?
discrétion. Je me dis : attention, ne
Quimper-Karadec. nous abandonnons pas … si nous nous Gardefeu.
Envolée la baronne, mais je suis restée. abandonnons, le petit homme qui est là Vous êtes une gaillarde, il paraît …
est capable d’aller raconter demain à
Gardefeu. tout Paris. (tendrement) mais Quimper-Karadec.
Fichtre ! supposons que j’en sois sûre de votre Ah ! je crois bien !
discrétion …
Quimper-Karadec. Gardefeu, terrible.
Et nous allons rire ! Gardefeu. Eh bien ! ça se trouve à merveille, car
Vous pouvez y compter. Ecoutez, ne moi aussi, je suis un gaillard.
Gardefeu. supposons rien ; je vais aller vous
Croyez-vous … chercher une voiture. Quimper-Karadec.
Qu’est-ce qui lui prend ?
Quimper-Karadec. Quimper-Karadec.
Je l’espère, et voulez-vous que je vous Non … j’aime mieux supposer … Gardefeu.
dise pourquoi je suis restée, petit supposons que vous ne soyez pas ce Il y a du bon dans ton raisonnement.
homme, dites, le voulez-vous ? que vous prétendez être … supposons
que vous soyez un homme du monde. Quimper-Karadec.
Gardefeu. Comment … dans ton … il me
Oui. Gardefeu. tutoie …
Comment …
Quimper-Karadec. Gardefeu.
Je suis restée parce que je vous avais Quimper-Karadec. Tu t’étonnes de ça … as pas peur …
remarqué. Un homme du monde qui, pour attirer tout-à-l’heure tu en verras bien
chez lui une femme jeune et belle … d’autres.
Gardefeu.
Hein ? Gardefeu. Quimper-Karadec.
Oh ! oh ! Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu !
Quimper-Karadec.
Parce que je vous avais remarqué, et Quimper-Karadec. Gardefeu.
que moi, lorsque j’ai remarqué un Qui, pour attirer chez lui une femme Il y a du bon dans ton raisonnement,
jeune homme… (à part) tu veux de la jeune et belle, aurait imaginé un joli mais il pêche par la base … tu dis que
régence, en voilà. traquenard. (changeant de ton) Dans tu me tiens, et ça c’est possible, mais
lequel il aurait fini par se laisser moi … je ne te tiens pas, tu n’as pas
Gardefeu. prendre lui-même comme un niais. remarqué cela …
Qu’est-ce que vous avez dit ?
Gardefeu. Quimper-Karadec.
Quimper-Karadec. Madame … Je vous défends …

Quimper-Karadec. Gardefeu.

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La Vie parisienne – Livrets de Censure (1866/1873) 41

Je ne te tiens pas … pour que je te J’ai mon idée. Adieu ! J’entre dans
tienne, il faut qu’il se passe ici des cette chambre. J’ai confiance comme Gardefeu.
choses un drame que tu ne pourras pas vous voyez. (à part) S’il a le toupet de Je vous laisse, Monsieur le Baron ! (à
raconter, et … franchir cette porte, je tombe dessus à part) C’est toi qui vas la recevoir, la
coups de pincettes – la voilà, mon tripotée. ( Il sort )
Quimper-Karadec. idée ! (elle entre)
Et ? Gondremarck.
Scène 11e Pauvre petite femme. Elle ne se doute
Gardefeu. pas que pendant qu’elle m’attendait
Et il va s’en passer se passer, ce Gardefeu, puis le Baron. ici … j’étais sur le point, moi …
drame ! … pauvre petite femme !
Gardefeu.
Quimper-Karadec. Oh ! eh bien, il est évident que je ne (Il ouvre la porte de la Baronne – un
D’abord je crierai … on m’entendra … me serais pas fait guide si j’avais su où grand cri – il rentre presqu’aussitôt
cela me conduirait … ah ! ça mais … poursuivi à coups de pincette par
Gardefeu. on ouvre la porte … quelqu’un Madame de Quimper-Karadec. )
Tu te figures donc que je ne sais pas monte … qu’est-ce que c’est encore …
mon métier … Elles sont coupées ; je (entre le baron) Le Baron ! (la toile tombe)
ne les avais pas coupées à votre
intention, mais qu’importe. Gondremarck. Acte 5e
Tiens ! c’est mon guide ! qu’est-ce que
Quimper-Karadec. vous faites ici ? Un salon dans un restaurant.
Monsieur, monsieur !
Gardefeu. Scène 1ère
Gardefeu. J’attends Monsieur le Baron.
Allons, va, n’aie pas peur. J’ai pitié de Urbain, Garçons de café, sommeliers
ta jeunesse et de ton innocence. Gondremarck. et chasseurs.
Charmante soirée, seulement, à la fin,
Quimper-Karadec. on nous a tous mis à la porte. Je ne sais Chœur des garçons.
Ah ! ah ! monsieur ! pas pourquoi, mais ça ne fait rien … Bien bichonnés et bien rasés,
charmante soirée ! Bien pommadés et bien frisés,
Gardefeu. Pimpants,
Mais, vous voyez bien, madame, que Gardefeu. Fringants,
vous n’êtes pas une gaillarde. Vous Qu’est-ce que vous avez sur la tête ? Proprets,
voyez bien que vous êtes une femme Coquets
du meilleur monde ! Gondremarck. Et discrets.
Tiens ! C’est le chapeau de l’amiral ! Quand vient minuit, l’heure joyeuse,
Quimper-Karadec. Je me serai trompé … charmant L’heure amoureuse,
Vous vous en étiez aperçu ? homme, l’amiral, et sa femme donc, sa Nous serons dans les cabinets.
femme … la baronne est rentrée ?
Gardefeu. Urbain.
Est-ce que ça ne se voit pas tout de Gardefeu. En attendant la foule
suite ? … vous pouvez entrer dans La Baronne … Que l’opéra ce soir ici doit amener,
cette chambre et y reposer sans crainte. Fourrez-vous dans la boule
Gondremarck. Les excellents conseils qu’Urbain va
Quimper-Karadec. Oui … vous donner !
Dans cette chambre !
Gardefeu. Le chœur.
Gardefeu. Oh ! quelle idée … Madame la Fourrons-nous dans la boule
C’est celle de la baronne. Baronne est rentrée, et même elle m’a Les excellents conseils qu’Urbain va
chargé de dire quelque chose à nous donner !
Quimper-Karadec. Monsieur le Baron.
Ecoutez, Vicomte, je vais vous donner Urbain.
une preuve de confiance. Je vais y Gondremarck. 1.
entrer. Mais dites-moi, y a-t-il une Quoi donc ? Avant toute chose, il faut être
cheminée dans cette chambre ? Mystérieux et réservés,
Gardefeu. N’ayez jamais l’air de connaître
Gardefeu. Elle m’a dit de prier Monsieur le baron Ces messieurs quand vous les servez !
Oui … il y en a une … d’aller lui parler quand il rentrerait. Si parfois au bras d’une actrice
Un homme grave ici se glisse,
Quimper-Karadec. Gondremarck. Fermez les yeux !
Y a-t-il des pincettes près de cette Ah ! elle a dit cela ! … Ne gênons pas les amoureux,
cheminée ? Fermez les yeux !
Gardefeu.
Gardefeu. Oui, Monsieur le Baron. Tous.
Sans doute … pourquoi me demandez- Fermons les yeux !
vous ça ? Gondremarck. Ne gênons pas les amoureux,
Ah ! eh bien ! laissez-nous. C’est très Fermons les yeux !
Quimper-Karadec. bien … vous pouvez nous laisser.

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La Vie parisienne – Livrets de Censure (1866/1873) 42

Urbain. Cette figure …


2. Scène 4e
Quelquefois la porte résiste, Urbain.
Soyez prudents en pareil cas. Vous ne vous trompez pas ; c’est Les mêmes, Métella.
Le garçon maladroit insiste, moi … Porto-Rico … Ça va bien,
Mais le malin n’insiste pas. depuis que nous avons trinqué Gondremarck.
Sans frapper, partez au plus vite, ensemble ? Ah ! madame …
Et quand vous reviendrez ensuite,
Fermez les yeux ! Gondremarck. Métella, lui tendant sa sortie de bal.
Ne gênons pas les amoureux, C’est vrai, nous avons trinqué Je vous en prie, débarrassez-moi …
Fermez les yeux ! ensemble … s’est-on assez moqué de
moi ! ah ! Monsieur de Gardefeu, Gondremarck.
Tous. quand je vous retrouverai ! ( à Urbain ) Comment donc.
Fermons les yeux ! Et vous voilà ici maintenant ?
Ne gênons pas les amoureux, Métella, bas, pendant que
Fermons les yeux ! Urbain. Gondremarck s’éloigne.
Dame ! après que l’on nous a eu mis à Garçon !
~~~~ la porte, il a bien fallu chercher un
abri … Prosper s’est fait cocher, et je Urbain.
Urbain. suis entré ici, grâce à la protection de Madame …
La maison compte sur vous, Monsieur de Bobinet.
messieurs ; nous avons ce soir ici une Métella.
grande fête, un bal masqué offert à Gondremarck. Tout-à-l’heure une dame masquée
toutes ces dames et à tous ces L’amiral suisse, Monsieur de viendra me demander ; dès qu’elle sera
messieurs par un Brésilien fraîchement Bobinet ? venue, vous m’avertirez.
débarqué ; ce sera charmant, et le
souper sera formidable. Un mot Urbain. Urbain.
encore ; si, en parcourant l’adition du Eh ! oui … Ça suffit ! (il sort)
regard, vous vous aperceviez d’une
erreur énorme commise au bénéfice de Gondremarck. Scène 5e
la maison : S’est-on assez moqué ! … Eh bien,
puisque vous êtes garçon dans ce Métella, Gondremarck.
Fermez les yeux, restaurant, il me faudrait un cabinet
Laissez payer les amoureux, pour moi tout seul … parce que Gondremarck.
Fermez les yeux. j’attends une personne … Ah ! Métella …

Chœur Urbain. Métella, préoccupée.


Fermons les yeux ! Qui ça, dites ? Laissez-moi un instant …
Laissons payer les amoureux,
Fermons les yeux ! Gondremarck. Gondremarck.
Je ne sais pas si je dois … Qu’est-ce que vous avez ?
(sortent les garçons de café)
Urbain. Métella.
Scène 2e Allez donc … Quelque chose que je cherche et que je
ne peux pas … Je viens de rencontrer
Urbain, seul. Gondremarck. un jeune homme.
Une grande fête ! pas fâché de ça, Mademoiselle Métella …
moi ! … Je vais donc les voir … ces Gondremarck.
dix adorables femmes qui, depuis Urbain. Un jeune homme ?
quinze ans, dans la galanterie Comment peut-elle souper avec vous
française, tiennent le haut du pavé ; ce soir ? … Elle doit être invitée au bal Métella.
toujours les mêmes … la vieille du Brésilien … Oui … C’est très singulier, je me
garde … qui se rend toujours et ne souviens que je l’ai aimé à la folie, et
meurt jamais !… C’est comme au Gondremack. je ne peux pas me rappeler son nom …
théâtre, on a beau crier : Place aux Oui, elle me l’a dit ; mais elle a ajouté
jeunes ! le public n’aime que les noms qu’elle trouverait moyen de Gondremarck.
connus. s’échapper … Oh ! oh !

(Entre le baron de Gondremarck.) Urbain. Métella.


Farceur ! Je vous ai fâché ?
Scène 3e
Gondremarck. Gondremarck.
Urbain, Gondremarck. Qu’est-ce que c’est ? Non … mais …

Urbain. Urbain. Métella.


Tiens ! voilà Monsieur de Eh bien ! quoi ? … quand on a trinqué Vous êtes surpris …
Gondremarck ! ensemble … (Entre Métella.)
Tenez, la voilà, Mademoiselle Gondremarck.
Gondremarck. Métella !

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Dame ! je venais à vous … je peux le Ivres de champagne et de faux amours Métella.


dire, je venais à vous … avec des Et le balayeur s’arrête, regarde, Je vous laisse avec ces dames …
trésors de tendresse plein le cœur … Et Et leur crie : « Ohé ! les heureux du
puis, dès le premier mot, vous venez jour » ! Gondremarck.
me casser bras et jambes … Comment, vous me laissez, et vous …
Gondremarck.
Métella. Moi aussi, je suis venu pour me Métella.
Ah ! bien … vous en entendrez bien divertir … et … Moi … je vais retrouver ce jeune
d’autres ! homme dont je vous parlais tout-à-
(Entre Urbain) l’heure … j’ai fini par me rappeler son
Gondremarck. nom.
Vraiment ! Métella.
Devant ce garçon … perdez-vous la Gondremarck.
Métella. tête ? Et ce nom ?
Nous sommes dans le restaurant à la
mode, mon cher, et minuit vient de Gondremarck. Métella.
sonner … Mais qu’est-ce qu’il vient faire ce Raoul de Gardefeu …
garçon ? … qui est-ce qui lui a dit de
Rondeau. venir ? Gondremarck.
A minuit sonnant commence la fête. Gardefeu, toujours ! (elle sort ; il veut
Maint coupé s’arrête ; Métella. poursuivre Métella, les trois femmes
On en voit sortir C’est moi … Cette dame est là, masquées l’entourent) Je vous
De jolis messieurs, des femmes garçon ? demande pardon, mesdames … encore
charmantes, une fois, mesdames … Mais, qu’est-ce
Qui viennent pimpantes Urbain. que vous me voulez, à la fin ?
Pour se divertir ! Oui, seulement au lieu d’une, il y en a
La fleur du panier, des brunes, des trois. La Baronne.
blondes, Je te connais !
Et bien entendu, des rousses aussi … Métella.
Les jolis messieurs sont de tous les Trois ? … cela n’en vaudra que Folle-Verdure.
mondes mieux … faites-les entrer. Je te connais !
C’est un peu mêlé ce qu’on trouve ici !
Gondremarck. Quimper-Karadec.
Tout cela s’anime et se met en joie, Comment, les faire entrer ! … Je te connais !
Frou frou de la soie, pourquoi ça ?
Le long des couloirs Ensemble.
C’est l’adagio de la bacchanale, Métella. Je te connais.
Dont la voix brutale Vous ne tarderez pas à le savoir, mon
Gronde tous les soirs ! ami. La Baronne.
Tu venais avec l’espérance
Rires éclatants, fracas de champagne, Urbain. De t’amuser à Paris, mais
On cartonne ici, l’on danse là-bas, Entrez, les masques … (Entrent On dit que tu n’as pas de chance
Et le piano qui grince accompagne, Madame de Quimper-Karadec, Et que tu n’as pas fait tes frais !
Sur l’air du Sapeur, d’étranges ébats ! Madame de Folle-Verdure et la Je te connais !
baronne, masquées) Ça c’est des Etc. etc.
Le bruit monte, monte et devient femmes du monde ! … (il sort).
tempête, Folle Verdure.
La jeunesse en fête Scène 6e Te croyant, le ciel me pardonne !
Chante à plein gosier ! Dans le grand monde, tu faisais,
Est-ce du plaisir ou de la furie ? Trois femmes masquées (Mme de Tu faisais la cour à la bonne
On parle, l’on crie Quimper-Karadec, Mme de Folle- Mais tu ne faisais pas tes frais !
Tant qu’on peut crier ! Verdure, la Baronne) Gondremarck, Je te connais !
Quand on ne peut plus, il faut bien se Métella. Etc. etc.
taire, (Les trois femmes s’avancent sur le
La gaîté s’en va petit à petit, devant de la scène.) La Baronne.
L’un dort tout debout, l’autre dort par Et ce soir, dans ta folle ivresse,
terre, Gondremarck. Mari coupable, tu voudrais
Et voilà comment la fête finit ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ? … Prendre Métella pour maîtresse,
qu’est-ce que c’est que ça ? J’étais Mais tu ne feras pas tes frais !
Quand vient le matin, quand paraît venu pour souper, moi ! Je te connais !
l’aurore, Etc. etc.
On en trouve encore Métella.
Mais plus de gaîté ! Chut ! … ne dites pas trop haut Les 3 femmes.
Les brillants viveurs sont mal à leur pourquoi vous étiez venu … vous Je te connais !
aise pourriez vous en repentir.
Et dans le grand seize Urbain, entrant.
On voudrait du thé ! Gondremarck. Le numero 3 est prêt … quand ces
Ils s’en vont enfin, la mine blafarde, Mais enfin … dames voudront … le cabinet des
Ecœurés de vin, écœurés d’amour, femmes du monde …

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Gondremarck. Il lui dit : voulez-vous, gantière,


Gondremarck. Je n’en ai pas. Vendre des gants au Brésilien ?
Des femmes du monde ?
Urbain. Gabrielle.
La Baronne. En voulez-vous une ? j’en ai des tas. C’est mon état, dit la gantière,
Pourquoi pas ?
Gondremarck. Quel numéro Quelle couleur, beau
Gondremarck. Combien ? Brésilien ?
Et vous allez me quitter ?
Urbain. Le Brésilien.
Folle Verdure. Vingt francs.
Dame ! Huit trois quarts Gris perle, charmante
Gondremarck. gantière
Gondremarck. Voici. Lui riposta le Brésilien.
Vous avez fait partir Métella, et vous
croyez que je vais vous laisser vous en Urbain. Gabrielle.
aller ? Merci … Mais il vous faut autre chose Votre main, lui dit la gantière,
encore.
Quimper-Karadec. Le Brésilien.
Mon Dieu ! oui, nous le croyons … Gondremarck. La voici, dit le Brésilien.
Quoi donc ?
Gondremarck. Et sous les doigts dans la main de la
Eh bien, vous vous trompez ; je vais Urbain. gantière,
souper avec vous. Un costume ; ici on n’est reçu que Tremblait la main du Brésilien.
masqué.
Quimper-Karadec. Choeur.
Comme ça … sans savoir si nous Gondremarck. Et sous les doigts dans la main de la
sommes jeunes, si nous sommes N’est-ce que cela ? … j’aurai un gantière,
jolies … costume. Tremblait la main du Brésilien.

Gondremarck. Urbain. 2.
Bah ! je me risque ! Ayez-le vite, car je les entends ; voici Gabrielle.
la bande joyeuse qui arrive. (Sort C’est pas tout ça, belle gantière
Quimper-Karadec, se démasquant. Gondremarck. Resté seul, Urbain Dit tout-à-coup le Brésilien.
Et tu n’as pas tort. danse un petit pas.)
Et allez donc ! voilà les vrais viveurs ! Le Brésilien.
Gondremarck. ohé ! ohé ! Les gants bien moins que la gantière
La dame aux pincettes ! (il recule) Ont attiré le Brésilien.
(Les 3 femmes entrent en riant dans le Scène 8e
cabinet dont Urbain leur a ouvert la Gabrielle.
porte.) Bobinet, Gardefeu, les bonnes, les Partez, s’écria la gantière,
tourlourous, puis le Brésilien, Partez, séduisant Brésilien.
Scène 7e Gabrielle.
Le Brésilien.
Gondremarck, Urbain. Chœur. Tu veux donc, cruelle gantière,
En avant, les bonnes Tu veux la mort du Brésilien !
Gondremarck. Et les tourlourous,
Encore un tour de cet infernal Joyeuses personnes, Gabrielle.
Gardefeu … ah ! il faut en finir ! Nous accourons tous, Un sourire de la gantière
En avant, les bonnes
Urbain. Et les tourlourous ! Le Brésilien.
Eh bien, vous n’entrez pas ? Ressuscita le Brésilien.
Le Brésilien, entrant avec Gabrielle. Et voilà comment la gantière
Gondremarck. Mes bons amis, je vous présente Sauva les jours du Brésilien.
Non. Mais si vous voulez m’être Une gantière, autrefois innocente,
agréable, dites-moi où je pourrai le Et qui pour moi renonce à vingt ans de (Entre Urbain suivi de quatre garçons
trouver, ce monsieur de Gardefeu ! vertu ! de café.)

Urbain. Le Chœur. Urbain.


Il sera ici tout-à-l’heure, au bal du Turlututu ! Mesdames et messieurs, le dîner est
Brésilien … servi.
Couplets. Interrompez vos chants et venez par
Gondremarck. ici.
Moi aussi j’y serai à ce bal … mais 1.
comment ? Gabrielle. (Ronde de la vie parisienne.)
Hier à midi la gantière
Urbain. Vit arriver un Brésilien. Le Brésilien.
Avec une invitation. 1.
Le Brésilien.

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En cherchant dans la ville, on On m’avait dit que vous renonciez à Gabrielle.


trouverait, je crois, faire l’ornement du monde galant. On va se battre ! … on va se
Quelque maison tranquille, pleine de battre ! …
bons bourgeois ! Bobinet.
Ces dignes personnages ne font pas Mon Dieu ! oui, nous y avions pensé. Le Brésilien.
comme nous, N’ayez pas peur … et laissez-nous
Ils disent qu’ils sont sages, nous disons Gardefeu. tous les quatre arranger cette petite
qu’ils sont fous ! Il en avait été question. affaire. Laissez-nous, mes amis … A
Et pif, et pif, et pif, et paf ! tout-à-l’heure, charmante gantière !
Oui voilà la vie parisienne, Gabrielle.
Du plaisir à perte d’haleine, Ah ! messieurs ! … nous vous en Gabrielle.
Oui, voilà ! voilà la vie parisienne ! prions, messieurs ! A tout-à-l’heure, beau Brésilien !
Voilà, voilà ! le bonheur est là.
Gardefeu. (Le choeur sort sur la reprise de l’air :
2. Remettez-vous ; nous vous revenons. Et voilà la vie parisienne)
Des amants, des maîtresses qui
s’aiment en riant, Bobinet. Scène 10e
Des serments, des promesses Les duchesses en diront ce qu’elles
qu’emportera le vent, voudront ; nous faisons notre rentrée. Gondremarck, le Brésilien, Gardefeu,
Des chansons qui babillent, des baisers Bobinet.
pris et rendus, Le Brésilien.
Des flacons qui pétillent, en avant, les Allons souper … allons, allons Bobinet.
grands crus ! souper ! Un mot d’abord … j’ai consenti à me
et pif, et pif, etc. etc. charger de cette affaire, mais c’est à
Gabrielle. une condition …
~~~~ Mais, qu’est-ce que c’est que cela ?
Gardefeu.
Le Brésilien. (Marche de Don Juan. Entrée du Laquelle ?
Oh ! Commandeur. – Gondremarck en
Commandeur paraît au fond précédé Bobinet.
Gabrielle. d’Urbain. Ils descendent tous les deux, C’est que l’on me permettra d’être
Qu’avez-vous, mon ami ? Urbain tournant le dos au public, sérieux … Si l’on ne me permet pas
presque sur le devant de la scène. ) d’être sérieux, j’aime autant ne pas
Le Brésilien. m’en mêler.
Je suis désolé ! Scène 9e
Le Brésilien.
Gabrielle. Les mêmes, Gondremarck. Si ce n’est pas sérieux, il vaut mieux
Et pourquoi ? s’en aller. Je m’en vais.
Gondremarck, d’une voix très simple.
Le Brésilien. Voici mon invitation. Gardefeu.
Je ne vois pas parmi nous les deux Mais non, mais non …
brillants gentilshommes qui, lors de Urbain.
mes premiers voyages à Paris, Merci, m’sieur ! (il s’en va) Le Brésilien.
soupaient tous les soirs avec moi … Je m’en vais … je m’en vais …
Gondremarck.
Gabrielle. M. de Gardefeu, nous avons un terrible Gardefeu.
De qui parlez-vous ? compte à régler ensemble. Ce sera sérieux … mais puisqu’on
vous dit que ce sera sérieux …
Le Brésilien. Gardefeu.
De qui voulez-vous que je parle, si ce Je suis à vos ordres, Commandeur. – Le Brésilien.
n’est de messieurs de Gardefeu et de Petit Bob, veux-tu te charger ? … C’est entendu ?
Bobinet.
Bobinet, avec fierté. Gondremarck.
Tous. Mais sans doute … C’est entendu.
Les voici ! les voici !
Gondremarck. Bobinet.
(Gardefeu et Bobinet déguisés Je suis étranger, monsieur, et vous Commençons, alors.
paraissent au fond.) l’êtes aussi …
Le Brésilien.
Le Brésilien. Le Brésilien. Commençons … J’ai une idée : Nous
Ah ! messieurs … arrivez donc ! Je le suis … éteignons tout dans ce cabinet.

Gardefeu et Bobinet. Gondremarck. Bobinet.


Nous arrivons. Oserai-je alors, en qualité de Eh bien ?
compatriote, vous prier de m’assister ?
Le Brésilien. Le Brésilien.
Figurez-vous qu’une nouvelle Le Brésilien. Nous y laissons ces deux messieurs
épouvantable est venue jusqu’à moi. Avec plaisir … tout seuls, chacun avec un petit
couteau …

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Bobinet. Le Brésilien. Continuez à nous dire de quoi vous


Bien … Si vous ne précisez pas, je m’en vais. vous plaignez.

Le Brésilien. Gondremarck, lentement. Gondremarck.


Nous nous en allons, nous fermons les Mais non ! mais non ! je vais Monsieur m’a fait croire que j’étais
portes, et demain matin, avant de préciser … Quand je suis arrivé à invité dans le grand monde, et m’a
partir, nous venons constater le Paris, j’ai trouvé monsieur à la gare. envoyé chez vous … vous savez bien ?
résultat. Monsieur s’est fait passer pour un
guide et m’a mené chez lui. Bobinet.
Bobinet. Dites tout de suite que vous vous y
Bien ! … Ça vous va-t-il, ça ? Bobinet. êtes ennuyé, chez moi !
Y étiez-vous mal, chez lui ?
Gondremarck. Gondremarck.
Peuh ! Gondremarck. Je ne peux pas dire ça … d’abord
Qu’est-ce que vous dites ? parce que ça ne serait pas poli … et
Gardefeu. puis parce que ce ne serait pas vrai.
Peuh ! Bobinet.
Je vous demande si vous étiez mal Gardefeu.
Bobinet. chez lui … Vous ne vous êtes pas ennuyé ?
Ça n’a pas l’air de vous aller … autre
chose alors … Gondremarck. Gondremarck.
Non, j’y étais très bien ! Oh ! non.
Gardefeu.
Oui, autre chose … Gardefeu. Bobinet.
Et combien vous ai-je demandé par Vous vous êtes amusé, peut-être ?
Bobinet. jour ? Dites un peu …
Je vois votre affaire, je la vois ; elle est Gondremarck.
simple comme bonjour ! Nous allons, Gondremarck. Et ferme !
monsieur et moi, rédiger un petit Cent sous par jour … cent sous !
procès-verbal … Bobinet.
Bobinet. De quoi vous plaignez-vous alors ?
Gondremarck. Et vous vous plaignez ?
J’aime mieux ça … Le Brésilien.
Gondremarck. Ecoutez-moi bien. De quoi vous
Gardefeu. Ce n’est pas de cela que je me plains ! plaignez-vous, puisque vous vous êtes
Il n’y a pas autre chose à faire. amusé ?
Bobinet.
Bobinet. Pouquoi en parlez-vous alors ? Gondremarck.
Qui est-ce qui se plaint, d’abord ? … C’est vrai, au fait ! … puisque je me
qui est-ce qui se plaint ? … Le Brésilien. suis amusé, de quoi est-ce que ? Je
Si le cabinet ne leur va pas … n’avais pas considéré la question à ce
Gondremarck. Décidément, il ne vous va pas, le point de vue …
Mais c’est moi, pardieu ! c’est moi ! cabinet, avec le petit couteau ?
Bobinet.
Bobinet. Gondremarck. Mon ami vous trouve à la gare … il se
Et de quoi vous plaignez-vous ? Non … non … dit : Voilà un malheureux étranger qui
va être berné, volé, pillé … Il vous
Gardefeu. Le Brésilien. emmène chez lui, il vous loge, il vous
Oui, de quoi ? Aimez-vous mieux un fiacre ? … Nous héberge, il vous fait faire ma
vous mettons tous les deux dans un connaissance, et vous vous
Le Brésilien. fiacre, vous baissez les stores, et plaignez ! … Est-ce que mon vin de
Répondez … de quoi ? puis…avec un petit couteau, et puis … champagne n’est pas bon ?

Gondremarck. Bobinet. Gondremarck.


Je vais vous le dire … Je me plains de Vous n’y pensez pas, mon ami … Si fait …
la farce un peu violente qui m’a été
jouée par monsieur ! Le Brésilien. Bobinet.
Pourquoi ? Et madame l’amirale … hé ?
(il montre Gardefeu)
Bobinet. Gondremarck.
Bobinet. Pas un cocher ne permettrait ça, à Oh ! madame l’amirale …
Précisez la farce. cause des coussins … et puis, vous
savez bien que ces messieurs préfèrent Gardefeu.
Gardefeu. un petit procès-verbal. Eh bien, alors ?
On vous dit de préciser …
Gardefeu. Le Brésilien.
Bobinet. Oui, oui ! Eh bien, alors ?
Voulez-vous préciser, oui ou non ?
Bobinet. Gondremarck.

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C’est vrai … en examinant bien la Le Brésilien. Quimper-Karadec.


chose … je ne vois pas du tout de quoi Ecoute un peu … nous allons être bien C’est évident … prends le bras de ta
je pourrais me plaindre … gentils … cousine … vous serez mariés dans
quinze jours …
Bobinet. Gardefeu.
Tout est arrangé, alors ? Nous allons être bien aimables … mais Bobinet.
si dans cinq minutes tu n’es pas A quoi tient le bonheur ! quand on
Gardefeu. venue … songe que si je ne m’étais pas déguisé
Tout est arrangé. en militaire … (il prend le bras de
Le Brésilien. Folle Verdure)
Le Brésilien. C’est nous qui viendrons te chercher.
Tout est arrangé ; il ne reste plus qu’à Gondremarck.
se procurer deux petits couteaux … Quimper-Karadec. Christine …
Eh bien, c’est ça … venez me
Gondremarck et Gardefeu. chercher ! La Baronne.
Mais non ! mais non ! Jamais, vous dis-je !
Gardefeu, la pinçant.
Bobinet. Dans cinq minutes. Gondremarck.
Puisqu’on vous dit que tout est Je sais que je suis bien coupable …
arrangé, que tout est fini. Le Brésilien.
Dans cinq minutes … (ils sortent). Quimper-Karadec.
(Entrent Madame de Quimper- Comment, coupable ? en quoi
Karadec, de Folle Verdure et la Quimper-Karadec. coupable ? Il me semble au contraire
Baronne) Eh ! laissez donc … ça me rappelle les que jusqu’à présent … le pauvre
fêtes galantes du Directoire. – Bas les baron …
Scène 11e masques maintenant !
La Baronne, riant, en regardant son
Les mêmes, Mme de Quimper- (Les femmes se démasquent) mari.
Karadec, de Folle Verdure, la Baronne. C’est vrai, au fait …
Bobinet.
Quimper-Karadec. Ma tante ! Gondremarck.
Non, tout n’est pas fini … Il y en a Mais oui, en y réfléchissant bien, je ne
deux parmi vous pour qui tout n’est Gondremarck. sais pas pourquoi je demande pardon ;
pas fini. Ma femme ! je n’ai rien fait !

(La baronne masquée vient se placer La Baronne. La Baronne, riant.


près de Gondremarck, Folle Verdure Oui, votre femme, monsieur ! Rien du tout, cela est vrai ; je n’avais
masquée près de Bobinet, Quimper- pas examiné la question à ce point de
Karadec vient se placer entre le Bobinet. vue …
Brésilien et Gardefeu) Pardonnez-moi, ma tante ?
Quimper-Karadec.
Le Brésilien. Quimper-Karadec. Vous lui pardonnez, alors ; c’est
Des femmes pour ma fête… des Eh ! oui, je te pardonne … Est-ce que entendu … prenez son bras. (regardant
femmes, des femmes ! je pourrais vivre sans toi ? … Tu es un les deux couples avec orgueil) Et voilà
fier galopin, mais tu es la joie de mon mon ouvrage ! Deux hommes, deux
Quimper-Karadec. foyer. gentilshommes, arrachés au gouffre et
Ah ! monsieur donne une fête ? ramenés dans le droit chemin ! … La
Gondremarck. femme honnête triomphante, les
Le Brésilien. Pardonnez-moi, Christine … cocottes battues, et, qu’on le remarque,
Tu le sais bien … dis … tu le sais battues ici, sur leur propre terrain ! …
bien ? La Baronne. (explosion et musique dans les
Jamais, par exemple ! cabinets) Qu’est-ce que c’est que ça ?
Quimper-Karadec. (Les portes s’ouvrent. Le Brésilien,
Tu le croiras si tu veux, je ne m’en Folle Verdure. Gardefeu, Métella, Gabrielle, etc. etc.)
doutais pas. Ma tante … ma tante …
Scène 12e
Le Brésilien. Quimper-Karadec.
Tu vas venir souper ? Eh bien, quoi ? Tout le monde.

Quimper-Karadec. Folle Verdure, montrant Bobinet. Le Brésilien.


Parbleu ! … mais tout-à-l’heure … Regardez … il est en militaire … Je t ’avais dit que nous viendrions te
faites-nous d’abord l’amitié de nous chercher !
laisser avec ces deux messieurs. Bobinet.
Ça me va bien, n’est-ce pas ? (Finale – Marche brésilienne, etc.)
Gardefeu. Reprise du refrain de la ronde de la vie
Ah ! il faut ? Folle Verdure. parisienne.
Ce vœu que j’ai été obligée de faire …
Quimper-Karadec. cette exigence de mon mari … épouser
Il le faut ! un soldat !

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La Vie parisienne – Livrets de Censure (1866/1873) 48

Livret de Censure 1873 Ne gênons pas les amoureux, Alfred.


Fermez les yeux ! Ça vous est égal. Et a moi donc qu’est-
ce que ça me fait, à moi, que ce soit
Aut[orisé] le 25 7bre 73 Tous. sur la note de celui-ci ou sur la note de
La Vie parisienne Fermons les yeux ! celui là.
4ème acte Ne gênons pas les amoureux,
Fermons les yeux ! Charlotte.
Pour être représenté aux Variété Bonsoir Alfred.
18 7bre 1873 Alfred (parlé)
E. Bertrand Allez, messieurs, et chacun à son Alfred.
poste ! Bonsoir mes anges !

Acte 4e (Sortent les garçons de café) (Il les embrasse et elles se laissent
embrasser. Entre le Baron
Un salon dans un restaurant. Scène 2e Gondremarck. Albertine et Charlotte
entrent dans un cabinet.)
Scène 1ère Alfred, seul.
Une grande fête ! pas fâché de ça, Scène 4e
Garçons de café puis Alfred. moi ! Je vais donc encore avoir une
occasion de les passer en revue, ces Le Baron Gondremarck, Alfred.
Chœur des garçons. dix ou douze adorables femmes qui,
Bien bichonnés et bien rasés, depuis quinze ans, dans la galanterie Le Baron.
Bien pommadés et bien frisés, française, tiennent le haut du pavé. Oh ! pardon !
Pimpants, Toujours les mêmes ! La vieille
Fringants, garde ! qui se rend toujours et ne meurt Alfred.
Proprets, jamais! Les autres ont beau crier : C’est moi, monsieur qui vous demande
Coquets Place aux jeunes ! Le public n’aime pardon … Qu’ya-t-il pour le service de
Et discrets. que les noms connus. Pourquoi ça ? Je Monsieur ?
Quand vient minuit, l’heure joyeuse, me le demande ! (Entrent deux
L’heure amoureuse, femmes masquées et un domino) Le Baron.
Nous servons dans les cabinets ! J’avais vu entrer ces deux jeunes
Scène 3e personnes …
Alfred.
La maison compte sur vous, Alfred, Albertine, Charlotte. Alfred.
messieurs ; nous avons ce soir ici une Albertine et Charlotte !
grande fête, un bal masqué offert à Albertine.
toutes ces dames et à tous ces Bonsoir, Alfred . Le Baron.
messieurs par un Brésilien fraîchement Vous les connaissez. Je me suis bien
débarqué ; ce sera charmant, et le Alfred. aperçu tout à l’heure que vous les
souper sera formidable. Appelé par la Bonsoir mes chattes ! connaissiez.
confiance du patron à l’honneur de
vous commander je ne crois pas inutile Charlotte. Alfred.
de vous donner quelques conseils. Le Duc est arrivé. Oh ! moi, je les connais toutes.

1. Alfred. Le Baron (avec admiration)


Avant toute chose, il faut être Le Duc … je crois bien qu’il est arrivé C’est un homme de plaisir. J’avais
Mystérieux et réservés; le Duc, il est la, il vous attend ? envie de voir un homme de plaisir. En
N’ayez jamais l’air de connaître voilà un. ( haut ) Vous venez souvent
Ces messieurs quand vous les servez ! Albertine. ici ? …
Si parfois au bras d’une actrice Je t’avais dit de m’envoyer des
Un homme grave ici se glisse, perdreaux chez moi, tu ne me les as Alfred.
Fermez les yeux ! pas envoyé, les perdreaux. Ici ?
Ne gênons pas les amoureux,
Fermez les yeux ! Charlotte. Le Baron.
Ni à moi mes douze bouteilles de vin Oui.
Tous. de champagne.
Fermons les yeux ! Alfred.
Ne gênons pas les amoureux, Alfred. J’y demeure.
Fermons les yeux ! J’enverrai le champagne, j’enverrai les
perdreaux. Le Baron.
Alfred Vous y demeurez.
2. Albertine.
Quelquefois la porte résiste, Et tu mettras ça sur la note … sur la Alfred.
Soyez prudents en pareil cas. note de qui nous mettrons ça ? Oui, j’ai une petite chambre en haut.
Le garçon maladroit insiste,
Mais le malin n’insiste pas. Charlotte. Le Baron (à part)
Sans frapper, partez au plus vite, Moi, ça m’est égal, pourvu que ce soit Je savais bien qu’il y avait des gens
Et quand vous reviendrez ensuite, sur la note de quelqu’un ! qui passaient leur existence ici. Mais je
Fermez les yeux ! ne croyais pas que l’on pût y

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demeurer … c’est très commode … Le Baron. cabinet pour moi tout seul … parce
On est tout porté … (à Alfred) Vous Vous avez bien fait. Décidément, il ne que j’attends une personne.
êtes garçon alors ? me reste plus maintenant qu’à me
féliciter d’avoir rencontré un homme Alfred.
Alfred. aussi … voulez-vous me faire un Qui ça … dites ? …
Sans doute. plaisir ?
Le Baron.
Le Baron. Alfred. Mademoisellle Métella.
A la bonne heure si vous aviez été C’est mon état.
marié ! … Il vous aurait été Alfred.
impossible … (En le regardant avec Le Baron. Comment peut-elle souper avec vous
curiosité) Ainsi là, vraiment vous les Dites moi votre nom. ce soir ? Elle doit être invitée au bal du
connaissez toutes ? Brésilien.
Alfred.
Alfred. Alfred. Le Baron.
Sans exception … qui est-ce qui les Oui, elle me l’a dit … mais elle a
connaîtrait si moi, je ne les connaissais Le Baron. ajouté qu’elle trouverait un moyen de
pas … Alfred ! … s’échapper.

Le Baron. Alfred. Alfred.


Quelle existence !! Alfred … maître d’hôtel. Elle en est bien capable, Mademoiselle
Métella.
Alfred. Le Baron (furieux)
Ah ! Maître d’hôtel ? Le Baron.
Vous la connaissez aussi ?
Le Baron. Alfred.
Celle-ci après celle-là, la blonde après Mais oui … Alfred.
la brune ; la brune après la blonde. Puisque je vous dis que je les connais
C’est alléchant, je ne dis pas le Le Baron. toutes !
contraire, c’est alléchant … mais au Monsieur de Gardefeu lui aussi, m’a
milieu de cette ribambelle de femmes dit qu’il était maître d’hôtel, il m’a dit Le Baron (courant après lui)
a-t-on le temps d’aimer ? Voilà ce que que les quarante messieurs qui nous Attends un peu, toi, attends un peu …
je me demande, a-t-on le temps suivaient au Bois de Boulogne étaient puisque tu es maître d’hôtel …
d’aimer et d’être aimé ? quarante maîtres d’hôtel et vous venez
à votre tour … (Alfred s’enfuit poursuivi par le
Alfred. Baron)
Mon Dieu, vous savez, ça … ça Alfred.
dépend du service … Mais monsieur. Scène 5e

Le Baron. Le Baron. Le Baron (seul)


Vous dites ? … Je châtierai Monsieur de Gardefeu S’est-on assez moqué de moi …
quand je le rencontrerai. Quant à vous, l’amiral suisse … avec son habit qui a
Alfred. puisque je vous tiens … craqué dans le dos. Le général Porto
Vous voulez prendre la question de ri … rico … et … le prince de
plus haut … ça m’est égal, prenons la Alfred. Manchabal. ( Il imite le tic du dit
de plus haut … Vous me demandez si Mais Monsieur je vous assure que je Prince de Manchabal ) S’est-on assez
au milieu de cette ribambelle de suis vraiment moqué … Depuis que je suis à Paris je
femmes on a le temps d’aimer … n’ai rencontré que deux bonnes
Le Baron. âmes … Madame l’amirale d’abord …
Le Baron. Maître d’hôtel ! … La petite femme de chambre. Je sais
Et d’être aimé. maintenant que ce n’est qu’une femme
Alfred. de chambre, mais ça ne fait rien. C’est
Alfred. Tenez, vous allez voir … (Il va une bonne âme, une âme excellente …
Non, on ne l’a pas … (avec force) reprendre sa serviette, fait deux ou ma seconde bonne âme … C’est la
Non, on ne l’a pas. Mais voyons, trois salutations et offre au Baron la personne … la personne inconnue qui
Monsieur, on ne peut pas tout avoir. carte du jour) hier a écrit à ma femme pour l’avertir
Avoir les femmes et avoir l’amour ce que monsieur de Gardefeu était un
serait trop. – Celui qui a l’amour ne Le Baron (lisant la carte) polisson. Je n’étais pas du tout dans un
peut avoir les femmes, celui qui a les Potage Saint Germain. Croûte au pot. des petits hôtels du grand hôtel. J’étais
femmes ne peut pas avoir l’amour. Il Potage à la Bisque dans l’hôtel de monsieur de Gardefeu.
faut choisir. Moi j’ai choisi les Son plan était ingénieux. Il se
femmes. Alfred. débarrassait de moi et en m’envoyant
Là ! êtes vous convaincu … chez l’amiral, il isolait la baronne et
Le Baron. une fois la baronne isolée …
Vous avez bien fait. Le Baron. heureusement elle a été avertie… et
Eh bien … approchez puisque vous qui plus est, elle a été avertie à temps,
Alfred. êtes maître d’hôtel … approchez je parce que vous comprenez, si elle avait
N’est-ce pas ? … vous dis … il me faudrait un cabinet, été avertie trop tard … Et maintenant
puisque vous êtes maître d’hôtel … un nous sommes au Grand hôtel … au

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vrai Grand hôtel … derrière les Et le piano qui grince accompagne


Invalides … Nous sommes très bien … Gondremarck. Sur des airs connus d’étranges ébats
Et cependant, faut-il le dire, il y avait Un jeune homme ? Le bruit monte, monte et devient
dans l’hôtel de monsieur de Gardefeu tempête
quelque chose que je regrette : c’était Métella. La jeunesse en fête
le bon marché … ça me coûte plus Oui. C’est très singulier. Je me Chante à plein gosier !
cher maintenant … mais ça ne fait souviens que je l’ai aimé à la folie, et Est-ce du plaisir ou de la furie ?
rien … J’aime mieux … j’aime je ne peux me rappeler son nom … On parle, l’on crie
beaucoup mieux … Quant à monsieur Tant qu’on peut crier !
de Gardefeu, la première fois que je le Gondremarck. Quand on ne peut plus, il faut bien se
verrai,je réglerai mon compte avec lui. Oh ! oh ! taire,
Je lui donnerai dix francs que je lui La gaîté s’en va petit à petit ;
dois … deux jours à cent sous ça fait Métella. L’un dort tout debout, l’autre dort par
dix francs et quand je lui aurai donné Je vous ai fâché terre,
ses dix francs Et voilà comment la fête finit.
Gondremarck. Quand vient le matin, quand paraît
Alfred (passant la tête sans entrer) Non … mais … l’aurore,
Monsieur … Eh ! la v’là mademoiselle On en trouve encore
Métella … la v’là. (Entre Métella.) Métella. Mais plus de gaîté
Vous êtes surpris ? Les brillants viveurs sont mal à leur
Scène 6e aise
Gondremarck. Et dans le grand seize
Le Baron, Alfred, Métella. Dame ! je venais à vous … je peux le On voudrait du thé
dire, je venais à vous … avec des Ils s’en vont enfin, la mine blafarde,
Le Baron (allant au devant de Métella.) trésors de tendresse plein le cœur … et Ivres de champagne et de faux amours
Ah ! madame puis dès le premier mot, vous venez Et le balayeur s’arrête, regarde,
me casser bras et jambes. Et leur crie : Ohé ; les heureux du jour.
Métella.
Je vous en prie, débarrassez-moi. Métella. Le Baron
Oh ! bien … vous en entendrez bien Moi aussi, je suis venu pour me
Le Baron (enlevant le capuchon et le d’autres ! divertir.
manteau de Métella)
Comment donc. Gondremarck. (Il veut prendre la taille de Métella ;
Vraiment ! celle-ci se dégage)
Métella. (bas pendant que le baron
s’éloigne) Métella. Métella
Alfred Nous sommes dans le restaurant à la Qu’est-ce que c’est ?
mode, mon cher, et minuit vient de
Alfred. sonner. Le Baron.
Madame. Cette réponse, Métella ? vous n’avez
Rondeau. pas oublié que vous avez une réponse
Métella. C’est ici l’endroit redouté des mères ; à me donner …
Tout à l’heure une dame masquée L’endroit effroyable où les fils
viendra me demander … Dès qu’elle mineurs Métella
sera venue, vous m’avertirez. Pour sauter l’argent gagné par leurs La réponse à la lettre de Monsieur de
pères, Frascata …
Alfred. Et rognent la dot promise à leurs
Ça suffit soeurs Le Baron.
A minuit sonnant commence la fête. Oui, vous savez : – « Recevez le ma
(Il sort en reprenant à demie voix le Maint coupé s’arrête ; chère …
refrain : Fermons les yeux) On en voit sortir Comme autrefois soyez bonne
De jolis messieurs, des femmes aujourd’hui »
Scène 7e charmantes,
Qui viennent pimpantes Métella
Métella, Le Baron. Pour se divertir ! Je sais … je sais … Eh bien … mon
La fleur du panier, des brunes, des ami … cette réponse…
Le Baron. blondes,
Ah ! Métella … Et bien entendu, des rousses aussi … Le Baron.
Les jolis messieurs sont de tous les C’est oui …
Métella, (préoccupée) mondes ;
Laissez-moi un instant C’est un peu mêlé ce qu’on trouve ici ! Métella
Tout cela s’anime et se met en joie, Non, c’est non …
Gondremarck. Frou frou de la soie,
Qu’est-ce que vous avez ? Le long des couloirs Le Baron.
C’est l’adagio de la bacchanale, Non …
Métella. Dont la voix brutale
Quelque chose que je cherche et que je Gronde tous les soirs ! Métella.
ne peux pas … Je viens de rencontrer Rires éclatants, fracas du champagne, Non …
un jeune homme. On cartonne ici, l’on danse là-bas,

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Le Baron. Métella Alfred.


Allons donc, pas possible … Je ne veux pas ! Celle là, je ne la connais pas …

Métella. Le Baron (Il indique Métella à la Baronne)


Raisonnons un peu, mon ami … Ce A la bonne heure, mais je n’aurais
que vous voulez de moi … c’est mon jamais cru qu’un étranger arrivant à Le Baron (se promenant pendant les
coeur Paris, avec de bonnes références … répliques suivantes)
(avec fureur ) C’est indigne ce que Elle est hideuse … j’en suis sûr … elle
Le Baron. vous faites là, c’est abominable … est hideuse.
… Oui …
Métella Métella.
Métella. Mon ami … Vous comprenez maintenant pourquoi
Eh bien … pour le moment c’est je vous ai fait venir, madame la
comme un fait exprès mon coeur est Le Baron Baronne !
pris pour le moment … Je suis Et je le dirai à tout le monde à
amoureuse. Eperdument amoureuse. Copenhague (sic), vous entendez je le La Baronne
dirai à tout le monde. Oui, je comprends … et je ne sais
Le Baron. comment vous en remercier … Hier
De moi … Alfred (passant la tête) vous m’avertissez du guet à pens dans
Eh ! … madame … C’est cette dame lequel Monsieur de Gardefeu voulait
Métella. masquée … Elle est en bas … dans sa me faire tomber … Et aujourd’hui …
Non … voiture.
Métella
Le Baron. Métella. Ne me remerciez pas. Tout ce que j’ai
D’un autre alors ? … Priez-la de monter … fait, c’est un peu pour moi que je l’ai
fait. (au Baron qui tourne autour de la
Métella. (Alfred disparaît) Baronne tout en l’examinant avec
Oui … méfiance ) Elle est très bien, je vous
Le Baron l’assure … je vous laisse avec elle.
Le Baron. Tout le monde le saura à Copenhague
Quequ’ça fait ? (sic), tout le monde le saura. Le Baron.
Comment vous me laissez !
Métella. Métella.
Ça fait beaucoup. Si je vous écoutais Vous m’en voulez ? Métella.
maintenant, ce serait par dépit. Si je Je vais retrouver ce jeune homme dont
vous écoutais ce serait parce que je Le Baron. je vous parlais tout à l’heure … j’ai
suis folle. Dans ces conditions là … Il n’y a pas de quoi, peut-être. fini par me rappeler son nom.
j’en suis sûre, vous ne voudriez pas de
moi. Métella. Le Baron.
Si fait il y a de quoi … Ce n’est Et ce nom ?
Le Baron. certainement pas moi qui dirais le
Mais si … contraire … Mais vous n’êtes pas aussi Métella.
malheureux que vous croyez … Je Raoul de Gardefeu ! (elle se sauve)
Métella. vous ai ménagé une petite surprise …
Vraiment ? J’ai amené une amie. Le Baron (avec colère)
Raoul de Gardefeu … oh ! … (Il veut
Le Baron Le Baron. s’élancer. La Baronne lui prend le bras
Parole ! Une amie … et le retient )

Métella Métella. Scène 8e


Oh ! ces hommes ! … Oui, une personne charmante qui ne
demande pas mieux que de souper Le baron, la baronne, puis Alfred
Le Baron. avec vous
Nous sommes comme ça dans le Nord. Le baron
Le Baron. Ah ! c’est l’amie … je l’oubliais. Vous
Métella Selon vous, alors, j’ai l’air du êtes l’amie, vous ? … (à part) Toujours
Vraiment là, vous voudriez bien tout monsieur auquel on repasse les amies Raoul de Gardefeu ! … (à la baronne)
de même ? Vous êtes l’amie et vous voulez
Métella manger.
Le Baron. Baron !
Oui … La Baronne, déguisant sa voix
Le Baron. Oui …
Métella. Frascata me l’a bien dit … c’est une
Quel dommage alors, que je ne veuille des choses qu’il m’a dites, Frascata. Le Baron
pas, moi. Ne te laisse jamais fourrer les amies ! N’ayez pas peur, vous mangerez …

Le Baron. Métella La Baronne, avec satisfaction


Oh ! Taisez vous, la voici … Ah !

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Le Baron La Baronne Gabrielle.


Elle est contente, pauvre femme … il y Courez donc. Votre main, lui dit la gantière,
a peut être longtemps ( à part ) Si je La voici, dit le Brésilien.
savais où le trouver ce Raoul de Alfred
Gardefeu … Ah ! (Il sonne. Entre Pas la peine, il va revenir. Madame Le Brésilien
Alfred) Vingt francs pour vous si vous ferait mieux de l’attendre. Et dans la main de la gantière,
me dites où je trouverai Monsieur de Tremblait la main du Brésilien.
Gardefeu. La Baronne
Où ça l’attendre ? Chœur
Alfred Et dans la main de la gantière
Il sera ici tout à l’heure, au bal du Alfred Tremblait la main du Brésilien
Brésilien. Ici, madame, nous avons un cabinet
spécial, le cabinet des femmes du 2.
Le Baron monde … Vite, madame, car j’entend Gabrielle.
Moi aussi, j’y serai. la bande joyeuse qui arrive … ( en la C’est pas tout ça, belle gantière
faisant entrer dans le cabinet il lui Dit tout à coup le Brésilien.
Alfred embrasse la main. )
Vous avez une invitation ? Le Brésilien.
La baronne Les gants bien moins que la gantière
Le Baron Eh ! bien ? Ont attiré le Brésilien.
Non.
Alfred Gabrielle.
Alfred Pardonnez, madame, l’habitude … (Il Partez, s’écria la gantière,
En voici une, j’en ai des tas. Vous avez la fait entrer) Et allez donc ! voilà les Partez, séduisant Brésilien.
un costume ? vrais viveurs. Ohé ! ohé !
Le Brésilien.
Le Baron Scène 9e Tu veux donc, cruelle gantière,
J’en aurai un. Tu veux la mort du Brésilien !
Masques hommes et femmes, puis Le
La Baronne, le retenant une seconde Brésilien, Gabrielle, tous les deux en Gabrielle.
fois costume de Brésilien et de Un sourire de la gantière
Eh bien, ce souper … Brésilienne ; puis Bobinet et Gardefeu. Ressuscita le Brésilien !

Le Baron, avec bonté Chœur Le Brésilien


Elle a peur parce que je m’en vais … En avant, les jeunes femmes ! Et voilà comment la gantière,
Elle a peur de ne pas avoir … pauvre En avant les gais viveurs ! Sauva les jours du Brésilien !
femme ! pauvre femme … Alfred, il En avant, petites dames !
faudrait donner quelque chose à cette On vous dira des douceurs Le chœur
pauvre femme … quelque chose de Nous arrivons tous amoureux Et voilà comment la gantière
nourrissant … Et joyeux, Sauva les jours du Brésilien !
Puis nous partirons un peu gris
Alfred Et ravis. (Entrent Bobinet et Gardefeu déguisés)
Un bon bouillon !
Le Brésilien, entrant avec Gabrielle Bobinet et Gardefeu
Le Baron Mes bons amis je vous présente Nous voilà ! … nous voilà ! …
Oui … Et après tout ce qu’elle voudra. Une gantière autrefois innocente,
Et qui, pour moi, renonce à vingt ans (Rires des autres masques)
La Baronne de vertu.
Vous partez ? Gabrielle
Le chœur Pourquoi avez-vous mis ça. C’est de
Le Baron, en se dégageant. Turlututu ! très mauvais goût.
A tout-à-l’heure, l’amie, à tout-à-
l’heure, et à nous deux, Monsieur 1. Bobinet, ôtant son faux nez
Gardefeu ! Gabrielle. Je sais bien, mais c’est pour échapper à
(Il sort.) Hier, à midi, la gantière la petite comtesse Diane de la Roche-
Vit arriver un Brésilien. Trompette. Elle ne fait que courir après
La Baronne moi pour avoir ses cinquante mille
Courez après mon mari, monsieur, Le Brésilien. francs. Je la trouve partout … Ah ! les
ramenez-le. Il lui dit : Voulez-vous, gantière, femmes du monde ! Ah ! les femmes
Vendre des gants au Brésilien ? du monde.
Alfred
C’est votre mari ? Gabrielle. Alfred
C’est mon état dit la gantière, Ces dames et ces messieurs sont
La Baronne Quelle couleur, beau Brésilien ? servis …
Oui.
Le Brésilien. Le Brésilien
Alfred Sang de bœuf, charmante gantière Allons souper alors.
Pauvre femme ! pauvre femme ! Lui riposta le Brésilien.
Tous

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Allons souper. Avec plaisir …


Le Baron
Le Baron, entrant. Bobinet J’aimerais mieux être enfermé tout
Un instant, un instant ! Un mot d’abord. Je consens à me seul dans un cabinet
charger de cette affaire, mais à une
Gabrielle condition. Gardefeu
Qu’est-ce que c’est que cela ? Oui, chacun son cabinet
Tous
Scène 10e Laquelle ? Le baron
Et chacun son couteau
Les mêmes. le Baron. Bobinet
C’est que l’on me promettra d’être Bobinet.
Le baron sérieux … si l’on ne me promet pas Ça n’a pas l’air de vous aller … autre
Où est Monsieur Gardefeu ? d’être sérieux, j’aime autant ne pas chose alors.
m’en mêler
Gardefeu Gardefeu.
Me voici, monsieur Le Brésilien Oui, autre chose.
Si ce n’est pas sérieux, il vaut mieux
Le Baron s’en aller. Je m’en vais. Bobinet.
Nous avons un terrible compte à régler Je vois votre affaire, je la vois ; elle est
ensemble, monsieur. Gardefeu , le retenant simple comme bonjour ! Nous allons,
Mais, non, mais non monsieur et moi, rédiger un petit
Gardefeu procès-verbal.
Je suis à vos ordres ! Le Brésilien
Je m’en vais, je m’en vais. Le Brésilien, mécontent
Gabrielle Un procès-verbal !
On va se battre ! Gardefeu
Ce sera sérieux … mais puisqu’on Le Baron
Tous vous dit que ce sera sérieux ! J’aime mieux ça
On va se battre !
Le Brésilien Le Brésilien
Le Brésilien C’est entendu Un procès verbal, ça n’est pas sérieux.
N’ayez pas peur, mes amis. Laissez - Je m’en vais
nous tous les quatre arranger cette Le Baron
petite affaire. Allez vous mettre à C’est entendu. Gardefeu.
table. A tout à l’heure, charmante Il n’y a pas autre chose à faire.
gantière ! Bobinet
Commençons, alors. Bobinet.
Gabrielle Voyons, d’abord,qui est-ce qui se
A tout à l’heure, beau Brésilien Le Brésilien plaint ?
Commençons ! J’ai une idée : nous
(Ils sortent. L’orchestre joue en éteignons tout dans ce cabinet Le Brésilien
sourdine le motif de la gantière et du Qui est-ce qui se plaint, oui !
Brésilien.) Bobinet
Bien ! Le Baron
Scène 11e Mais c’est moi, pardieu ! c’est moi !
Le Brésilien qui me plains !
La Baron, le Brésilien, Gardefeu, Nous y laissons ces deux messieurs
Bobinet tout seuls, chacun avec un petit Bobinet.
couteau comme celui ci … (Il tire deux Et de quoi vous plaignez-vous ?
Gardefeu énormes couteaux de sa ceinture.)
Petit Bob, veux-tu te charger ? Gardefeu.
Bobinet Oui, de quoi ?
Bobinet Bien ! … Très bien cela !
Mais sans doute. Le Brésilien.
Le Brésilien. Répondez … de quoi vous plaignez-
Le baron au Brésilien Nous nous en allons, nous fermons les vous ?
Je suis étranger, monsieur, vous l’êtes portes, nous allons souper gaiement et
aussi demain matin avant de partir, nous Le baron
venons constater le résultat. Je vais vous le dire … Je me plains de
Le Brésilien la farce un peu violente qui m’a été
Je le suis. Bobinet au baron et à Gardefeu jouée par monsieur !
Pas mal du tout ! Ça vous va-t-il, ça ? (il montre Gardefeu)
La baron
Oserai-je alors, en qualité de Le Baron Bobinet.
compatriote … oserai-je vous prier de Peuh ! Précisez la farce.
m’assister ? …
Gardefeu. Gardefeu.
Le Brésilien Peuh ! On vous dit de préciser.

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Voyez, leur figure s’illumine dès Le baron


Bobinet. qu’on parle de procès-verbal … Eh ! Oh ! madame l’amirale !… très bonne
Voulez-vous préciser, oui ou non ? bien, baron, continuez à nous dire de aussi, madame l’amirale.
Comment, à votre âge vous ne savez quoi vous vous plaignez
pas préciser ? Gardefeu.
Le Baron Eh bien, alors ?
Le Brésilien Monsieur m’a fait croire que j’étais
Si vous ne précisez pas, je m’en vais. invité dans le grand monde, et m’a Le baron
envoyé chez vous … vous savez bien ? C’est vrai … en examinant bien la
Le Baron le retenant chose … je ne vois pas du tout de quoi
Mais non ! mais non ! je vais préciser. Bobinet. je pourrais me plaindre.
Quand je suis arrivé à Paris, j’ai trouvé Eh ! eh ! … cela devient une affaire
monsieur à la gare … de feu … personnelle … Dites tout de suite que Bobinet.
Monsieur s’est fait passer pour un vous vous y êtes ennuyé chez moi. Tout est arrangé, alors ?
guide et m’a mené chez lui.
Le Baron Le Brésilien.
Bobinet. Je ne peux pas dire ça … d’abord Il n’y a plus qu’à leur donner les petits
Y étiez-vous mal, chez lui ? parceque ça ne serait pas poli … et couteaux .
puis parceque ça ne serait pas vrai.
Le Baron Gardefeu
Non … j’y étais très bien ! Gardefeu. Puisqu’on vous dit que l’on n’en veut
Vous ne vous êtes pas ennuyé ? plus.
Gardefeu.
Et combien vous ai-je demandé par Le Baron Bobinet
jour ? Dites un peu Oh ! non ! Il est insupportable à la fin !

Le Baron Bobinet. Le Brésilien


Cent sous par jour … cent sous ! Vous vous êtes amusé peut-être ? Qu’est-ce que vous avez dit ?

Gardefeu Le baron Bobinet


Et pour quatre personnes. Et ferme ! J’ai dit que vous étiez insupportable.

Bobinet. Tous Le Brésilien


Cent sous pour quatre personnes … et De quoi vous plaignez-vous alors ? Alors c’est toi qui va prendre le petit
vous vous plaignez ? couteau ?
Le Brésilien.
Le Baron Ecoutez-moi bien. De quoi vous Bobinet, furieux
Ce n’est pas de cela que je me plains ! plaignez-vous, puisque vous vous êtes Eh bien donnez-le moi !
amusé ?
Bobinet. La baron, voulant les séparer.
Pourquoi en parlez-vous alors ? Le Baron Messieurs nos témoins ! messieurs nos
C’est vrai, au fait ! puisque je me suis témoins !
Le Brésilien. amusé, de quoi est-ce que … Je
Si le cabinet ne vous va pas … n’avais pas considéré la question à ce Gabrielle, Métella, la Baronne, entrant
Décidément, il ne vous va pas, le point de vue … Messieurs ! messieurs !
cabinet ? Aimez-vous mieux un
fiacre ? Nous vous mettons tous les Bobinet, éclatant La baronne
deux dans un fiacre, avec deux petits Non, vraiment, messieurs, c’est trop Vous ne vous battrez pas.
couteaux ( Il tire de nouveau les fort … Comment ! mon ami vous
couteaux ) nous fermons les portières, trouve à la gare … il se dit ! voilà un Le baron
et puis v’lan, v’lan, v’lan ! malheureux étranger qui va être berné, Vous ici, baronne !
volé, pillé … il vous emmène chez lui,
Bobinet. il vous héberge, il vous fait faire ma La baronne
Vous n’y pensez pas, mon ami. connaissance … et vous vous Mais oui, vous savez bien, la pauvre
plaignez ! femme de tout à l’heure … C’était moi
Le Brésilien. la pauvre femme.
Pourquoi ? Tous les trois furieux
Et vous vous plaignez ? Le baron
Bobinet. Pardonnez-moi
Pas un cocher ne permettrait ça, à Bobinet
cause des coussins … Et puis, vous Est-ce que mon vin de champagne La baronne
savez bien que ces messieurs préfèrent n’était pas bon. Oui, mais partons.
un petit procès-verbal.
Le baron Le baron
Le Baron et Gardefeu. Si fait très bon ! C’est entendu.
Oui, oui !
Bobinet. Métella, à Gardefeu
Bobinet. Et madame l’amirale … hé ? Vous comprenez maintenant … tout ce
que j’ai fait …

©2003 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. ISMN M-2025-3107-5 ISBN 3-7931-3107-6
La Vie parisienne – Livrets de Censure (1866/1873) 55

Oui voilà la vie parisienne !


Gardefeu, l’interrompant
Vous l’avez fait parce que vous 2.
m’aimiez. Des amants, des maîtresses
Qui s’aiment en riant !
Métella Des serments, des promesses
Sans doute. Qu’emportera le vent !

Gardefeu Des chansons qui babillent,


Ah ! Métella … Métella … (il lui baise Baisers pris et rendus !
la main) Des flacons qui pétillent,
En avant les grands crûs !
Bobinet Et pif, et paf, etc.
Dites donc Métella, il vient de me
venir une idée. Tous
Et pif, et paf
Métella Etc.
Quelle idée ?
3.
Bobinet Des maris infidèles
C’est de me remettre à vous aimer. Au bercail ramenés
Des séducteurs modèles
Métella Bernés et consolés
Excellent, cette idée la.
Drames et comédies
Bobinet, baisant l’autre main Allant tant bien que mal
Ah ! Métella ! Métella ! Puis après ces folies
Un pardon général
Gardefeu, même jeu de l’autre côté
Ah ! Métella ! Métella ! Tous
Et pif, et pif, et pif, et paf
Le Brésilien Oui voilà la vie parisienne
Eh bien il n’y a plus qu’à leur donner Etc.
les petits couteaux.

Tous
Ah ! ah !

Gabrielle
Mais puisqu’on vous dit que tout est
arrangé.

Le Brésilien
Allons souper, alors, allons souper. Du
bruit et du champagne pendant toute la
nuit. Buvons et chantons.

Finale
Par nos chansons et par nos cris
Célébrons Paris

Tous
Célébrons Paris

1.
En cherchant dans la ville,
On trouverait, je crois,
Quelque maison tranquille,
Pleine de bons bourgeois !
Ces dignes personnages
Ne font pas comme nous,
Ils disent qu’ils sont sages
Nous disons qu’ils sont fous !
Et pif, et pif, et pif, et paf !

Tous
Et pif et pif, et pif, et paf !
Oui, voilà la vie parisienne,
Du plaisir à perdre l’haleine,

©2003 Boosey & Hawkes · Bote & Bock, Berlin. ISMN M-2025-3107-5 ISBN 3-7931-3107-6

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