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Genre et Droit social


Mickaël Collomb

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Genre et réforme des ret rait es, mémoire de Romain Sabat hier
Sabat hier Romain

Acquisit ion des droit s sociaux et égalit é ent re les femmes et les hommes
Hélène Périvier

« Egalit é des sexes et conciliat ion vie familiale – vie professionnelle en Europe. Une comparaison des …
Nat halie Morel
GENRE ET DROIT SOCIAL
MEMOIRE DIRIGE PAR NICOLE MAGGI-GERMAIN
MAITRE DE CONFERENCES EN DROIT SOCIAL
UNIVERSITE DE PARIS 1, PANTHEON-SORBONNE (ISST)
MEMBRE DU LABORATOIRE DE RECHERCHE DROIT ET CHANGEMENT SOCIAL (UMR CNRS 6297)
MSH ANGE GUEPIN, NANTES

UNIVERSITE PARIS SUD XI – FACULTE JEAN MONNET


MASTER 2 DROIT ET PRATIQUE DES RELATIONS DU TRAVAIL

2013

MICKAËL COLLOMB
SOMMA)RE

I. LE GENRE, PRODUIT DU DROIT

A. L ES POLITIQUES SOCIALES CREATRICES DE MODELES DE GENRE

B. L ES INSUFFISANCES DE L ’ APPROCHE JURIDIQUE

II. LE DROIT PRODUIT PAR LE GENRE

A. L E « LABORATOIRE » DU DROIT DE LA NON - DISCRIMINATION

B. L ES PERSPECTIVES D ’ UNE EVOLUTION JURIDIQUE

1|Page
)NDEX DES ABREV)AT)ONS

A
AGG : ALLGEMEINES GLEICHBEHANDLUNGSGESETZ (TRADUCTION DE L ALLEMAND : LOI GENERALE SUR
L EGALITE DE TRAITEMENT)

ART : ARTICLE

B
BIT : BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL

C
CA : COUR D’APPEL

CASS.SOC. : CHAMBRE SOCIALE DE LA COUR DE CASSATION

CDD: CONTRAT DE TRAVAIL A DUREE DETERMINEE

CDI : CONTRAT DE TRAVAIL A DUREE INDETERMINEE

CE : SELON LE CONTEXTE : CONSEIL DE L’EUROPE, CONSEIL D’ETAT, OU COMITE D’ENTREPRISE

CEDAW: CONVENTION ON THE ELIMINATION OF ALL FORMS OF DISCRIMINATION AGAINST WOMEN

CEDEF : CONVENTION SUR L’ELIMINATION DE TOUTE FORME DE DISCRIMINATION A L’EGARD DES FEMMES

CEDH : COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’(OMME

CEE : COMMUNAUTE ECONOMIQUE EUROPEENNE

CEEP : CENTRE EUROPEEN DES ENTREPRISES A PARTICIPATION PUBLIQUE

CES : CONFEDERATION EUROPEENNE DES SYNDICATS

CET : SELON LE CONTEXTE : COMITE EUROPEEN DU TRAVAIL OU COMPTE EPARGNE TEMPS

CESDH : CONVENTION EUROPEENNE DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L’(OMME ET DES LIBERTES


FONDAMENTALES

CF : CONSEIL FEDERAL SUISSE

2|Page
CFDT : CONFEDERATION FRANÇAISE DEMOCRATIQUE DU TRAVAIL

CGT : CONFEDERATION GENERALE DU TRAVAIL

CJCE : COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

CJUE : COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNES

CNAF : CAISSE NATIONALE DES ALLOCATIONS FAMILIALES

CNAV : CAISSE NATIONALE D’ASSURANCE VIEILLESSE

COR : CONSEIL D’ORIENTATION DES RETRAITES

CSA : CONSEIL SUPERIEUR DE L’AUDIOVISUEL

D
DARES : DIRECTION DE L’ANIMATION DE LA RECHERCHE, DES ETUDES ET DES STATISTIQUES

DC : DECISION RENDUE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LE CONTROLE DE CONSTITUTIONNALITE DES


LOIS ORDINAIRES, DES LOIS ORGANIQUES, DES TRAITES ET DES REGLEMENTS DES ASSEMBLEES

DDHC : DECLARATION DES DROITS DE L’(OMME ET DU CITOYEN

DEPP : DIRECTION DE L’EVALUATION, DE LA PROSPECTIVE ET DE LA PERFORMANCE

DP : DELEGUES DU PERSONNEL

E
EIRO: EUROPEAN INDUSTRIAL RELATIONS OBSERVATORY

ETUI: EUROPEAN TRADE UNION INSTITUTE (EN FRANÇAIS : INSTITUT SYNDICAL EUROPEEN)

F
FOMH : FEDERATION SUISSE DES OUVRIERS SUR METAUX ET HORLOGERS

H
HALDE : HAUTE AUTORITE DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET POUR L’EGALITE

3|Page
I
IFR : INSTITUT FEDERAL DE RECHERCHE ALLEMAND

INSEE : INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE ET DES ETUDES ECONOMIQUES

IRD : INSTITUT DE RECHERCHE POUR LE DEVELOPPEMENT

IRP : INSTITUTIONS REPRESENTATIVES DU PERSONNEL

ISE : INSTITUT SYNDICAL EUROPEEN (EN ANGLAIS : EUROPEAN TRADE UNION INSTITUTE)

IVG : INTERRUPTION VOLONTAIRE DE GROSSESSE

J
JO : JOURNAL OFFICIEL

JORF : JOURNAL OFFICIEL DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE

L
LACI : LOI FEDERALE ALLEMANDE SUR L’ASSURANCE CHOMAGE OBLIGATOIRE ET L’)NDEMNITE EN CAS
D’INSOLVABILITE

M
MUSCHG : MUTTERSCHUTZGESETZ (TRADUCTION DE L ALLEMAND : LOI DE PROTECTION DES FEMMES
ENCEINTES ET DES MERES)

N
NAO : NEGOCIATION ANNUELLE OBLIGATOIRE

O
OIT : ORGANISATION INTERNATIONALE DU TRAVAIL

OMS : ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE

ONU : ORGANISATION DES NATIONS UNIES

4|Page
P
PAJE : PRESTATION D’ACCUEIL DU JEUNE ENFANT

PPA : PARITE POUVOIR D’ACHAT

PUF : PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

R
RTT : REDUCTION DU TEMPS DE TRAVAIL

T
TA : TRIBUNAL ADMINISTRATIF

TFUE : TRAITE SUR LE FONCTIONNEMENT DE L’UNION EUROPEENNE

U
UE : UNION EUROPEENNE

UNICE : UNION DES CONFEDERATIONS DE L'INDUSTRIE ET DES EMPLOYEURS D'EUROPE

UNICEF: UNITED NATIONS INTERNATIONAL CHILDREN'S EMERGENCY FUND

5|Page
GENRE ET DRO)T SOC)AL
Mémoire dirigé par Nicole Maggi-Germain

INTRODUCTION

« Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu'ils sont des êtres sensibles, capables
d'acquérir des idées morales et de raisonner sur des idées. Ainsi les femmes ayant ces mêmes
qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de
véritables droits ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d'un autre, quels que soient
sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens. »1

Déjà à l’époque de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme de ,


Nicolas de Condorcet s’indignait de l’absence totale de considération des femmes sur la scène
publique. On peut donc s’étonner que, trois siècles plus tard, un tel constat demeure d’actualité.

En effet, bien que les textes et les pensées aient évolué depuis la Révolution, la situation des
femmes reste, de manière globale, très défavorable par rapport à celle des hommes. Ainsi, si
nous avons fait le choix de citer un auteur d’un autre âge, ce n’est que pour souligner à quel point
nos mentalités peuvent être surannées.

Et il existe pléthore d’éléments nous permettant d’illustrer nos propos : le droit de vote ne leur a
été accordé qu’en 1944, le droit d’exercer une profession sans le consentement de leur époux en
1966, etc. Bien que d’un réel intérêt, l’approche historique ne constitue pas l’objet de ce
mémoire, centré sur la situation des femmes en droit social, entendu comme le droit du Travail
et de la Sécurité sociale.

Le bilan des inégalités en droit social est important.

Les femmes sont majoritaires dans la population française (51,5% de femmes contre
, % d’hommes 2 et pourtant la proportion de femmes actives reste faible (66,2% de femmes
actives en 2011 contre 74,8% d’hommes . Ce constat choque lorsqu’on se rend compte que les
femmes réussissent mieux dans les études : parmi les étudiants, la moitié des femmes sortantes
de formation initiale de 2007 à 2009 sont diplômées, contre seulement 35% des hommes3.

A niveau de formation identique, les jeunes hommes s’insèrent mieux dans le monde
professionnel. Et ce n’est pas parce qu’ils sont meilleurs ! Mais parce qu’ils choisissent les
spécialités porteuses (production, sciences exactes, etc.), qui conduisent en général à une
meilleure insertion professionnelle. Les jeunes femmes, elles, privilégient les services et les

1 MARIE JEAN ANTOINE NICOLAS DE CARITAT, MARQUIS DE CONDORCET, Article « Sur l’admission des femmes au
droit de cité », in Journal de la Société de 1789, N°5, 3 juillet 1790
2 NAJAT VALLAUD-BELKACEM (Ministère des Droits des femmes), Chiffres clés de l égalité entre les femmes et

les hommes, édition 2011


3 BEATRICE LE RHUM (DEPP), DANIEL MARTINELLI (INSEE), CLAUDE MINNI (DARES), « Face à la crise, le diplôme

reste un rempart efficace contre le chômage »

6|Page
sciences humaines et sociales. On appelle ça la « ségrégation professionnelle » : les femmes sont
cantonnées à des professions « de femmes ». Par exemple, les métiers du « care »1 leur sont
quasi-exclusivement réservés et la proportion d’hommes y reste très faible.

Et même si le nombre de femmes actives augmente d’années en années, l’évolution des indices
de ségrégation professionnelle et sectorielle par sexe ne diminue pas pour autant : il y a de plus
en plus de femmes actives, mais elles exercent des professions qui sont déjà majoritairement
féminines (administration publique, éducation, santé, action sociale)2.

Le premier constat est donc déjà important : leur taux de chômage est plus élevé à diplôme
identique de à points d’écart selon l’âge et la catégorie professionnelle , en sortie d’école
leurs salaires sont nettement inférieurs à diplômes identiques jusqu’à points en bac + , les
possibilités d’évolutions de carrière sont faibles, et le fameux « plafond de verre »3 les maintient
à leur échelon4.

Ensuite, on remarque qu’en plus des métiers « féminins », il existe des formes de travail
« féminins » : les emplois précaires. Le nombre de femmes dans les formes d’emploi les plus
précaires est bien supérieur au nombre d’hommes. On pense au travail à temps partiel,
synonyme de protection sociale moindre, aux contrats à durée déterminée, ou encore l’intérim,
pour lesquels la proportion de femmes reste assez significative (30,1% de femmes sont en temps
partiel contre , % d’hommes, et parmi les salariés à temps partiel , % sont des femmes !)5.

Et lorsqu’une femme accède enfin à un poste stable, sa situation n’en devient pas pour autant
plus favorable. Pour reprendre la question des écarts de salaire (cette fois à profession
identique, et non plus à diplôme identique), en moyenne dans l’Union Européenne les femmes
gagnent 17,1% de moins que les hommes pour chaque heure travaillée6. En France, cet écart est
de 16%, ce qui devient choquant une fois comparé aux 4,4% de la Slovénie. Et encore, cet écart
ne concerne que le travail rémunéré (par opposition au travail domestique) ! En effet, tout le
monde s’accorde à dire que ce sont les femmes qui assument la majorité des tâches ménagères :
elles effectuent une « double journée » de travail. Et donc l’écart, qui existe déjà pour chaque
heure travaillée, se creuse davantage à la fin du mois, puisqu’elles n’ont pas la possibilité
d’effectuer autant d’heures que les hommes, compte tenu de cette double journée.

1 Le mot anglais « care » signifie « sollicitude pour autrui », et l’expression « métiers du care » est issue des
sciences sociales et désigne l’ensemble des professions du secteur social ou médico-social, d’aide sociale,
d’accompagnement éducatif ou thérapeutique, d’aide à l’insertion, d’accueil des demandeurs d’asile, d’aide
à l’enfance, d’accompagnement des personnes handicapées ou dépendantes, etc.
2 Pour exemple : COMMISSION EUROPEENNE, L égalité entre les femmes et les hommes, Rapport, 2007, 2008,

2009
3 De l’anglais « glass ceiling », expression apparue aux Etats-Unis à la fin des années 1970 reprenant la

notion présente dans le film « Le Mur invisible » d’Elia Kazan de , et désignant le fait que, dans une
structure hiérarchique, les niveaux supérieurs ne sont pas accessibles à certaines catégories de personnes,
et illustrant plus particulièrement la difficulté d’accès des femmes aux postes supérieurs
4 CENTRE D’ANALYSES STRATEGIQUES, Plafond de verre : les déterminants de l avancement de carrière des cadres

féminins, Etude, Avril 2013


5 Pour exemple : COMMISSION EUROPEENNE, L égalité entre les femmes et les hommes, Rapport, 2007, 2008,

2009
6 Ecart relatif de la rémunération horaire brute moyenne entre hommes et femmes

7|Page
On peut enfin mentionner qu’il existe un « sur-risque »1 d’atteinte à la dignité de la
personne au travail pour les femmes. Ce traitement témoigne d’une inégalité évidente :
harcèlements, humiliations, préjugés, stéréotypes, etc. Mais sur ce point, les mécanismes
juridiques sont clairement insuffisants. Comme le remarque Philippe Auvergnon, les juristes ne
s’y intéressent qu’à travers les dispositifs d’interdiction du harcèlement moral et sexuel ou des
violences au travail.

Pour autant, ces seuls outils juridiques ne nous suffiront pas à appréhender la réalité de la
situation des femmes dans le monde professionnel, et c’est pour cette raison que le regard
juridique sera insuffisant pour nos développements à venir. Notre raisonnement devra alors être
étayé et enrichi par les apports d’autres disciplines, qui permettront ainsi une lutte plus efficace
contre les inégalités qui affectent les femmes au travail.

L’origine de ces inégalités est « sociétale »2.

Il est désormais admis que ces inégalités ne sont pas uniquement le fruit de stéréotypes
misogynes, ou du choix libre et éclairé de la population. Les écarts que l'on peut constater entre
hommes et femmes trouvent leur source dans l'organisation de la société.

A l’appui de cette idée, on peut expliquer que si la majorité des emplois à temps partiel est
occupée par des femmes, c'est parce que le travail rémunéré (par opposition au travail
domestique) n'occupe qu'une place mineure dans leur emploi du temps. Ce sont elles qui ont la
charge principale du travail domestique : ménage, cuisine, éducation des enfants. Ainsi, si des
femmes « choisissent » des formes de travail atypique, ce n'est que pour répondre à leurs
obligations familiales. Ce que les hommes, bien entendu, ne font que très faiblement en
proportion. La première des causes de ces inégalité est donc le poids de la famille, les enfants, la
faible implication des pères, etc.

Une autre cause que l’on retrouve souvent relève de la biologie : les femmes sont
physiquement différentes des hommes, ce qui justifierait une inégalité « naturelle » de
traitement. L'objet de notre travail ne sera pas de démonter cet argument simpliste, préférant
renvoyer aux travaux des neurobiologistes, et notamment Catherine Vidal3. Ils ont prouvé très
tôt que le cerveau de l'homme est identique à celui de la femme, et que les différences que l'on
peut constater chez deux sujets adultes « traditionnels » ne sont que le fruit des interactions
avec leur environnement social.

Si un garçon est plus fort, c'est parce qu'il fait du foot alors que sa sœur fait de la danse. Mais ne
connaît-on pas, dans notre entourage, une fille plus robuste et moins svelte qu'un garçon, ou un

1 PHILIPPE AUVERGNON, article « Les logiques du droit social confrontées aux évolutions des rapports de
genre », in Genre et droit social, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007, p.15
2 Idem, p.16
3 CATHERINE VIDAL, Hommes-Femmes, avons-nous le même cerveau ?, Broché, septembre 2012

8|Page
garçon plus « précieux » qu’une fille ? On dit même de cette fille qu'il s'agit d'un « garçon
manqué », comme si la nature même d'une fille était d'être douce et jolie alors que le garçon doit
être fort et viril. Par-là, il est évident que les différences biologiques ne sont pas exclusives de ces
inégalités et qu’elles n'y contribuent que très marginalement ; c'est tout d'abord la société et son
organisation qui font qu'un garçon s'identifie comme tel et que, ce faisant, il s'estime différent
d'une fille1.

Nous pourrions continuer bien plus en détail dans l'étude des origines des différences de
traitement, notamment sur le poids des représentations religieuses, idéologiques et
économiques. Mais cette étude nous mènerait toujours au même résultat : leur origine est
sociale et même davantage, elle est « sociétale ».

Mais ça ne signifie pas, pour autant, que le droit n’a joué aucun rôle.

Dire que les inégalités entre les hommes et les femmes tirent leur origine de
l’organisation de la société, induit forcément un rôle prédominant du droit. En effet, pour
reprendre les développements d’Alain Supiot et Pierre Legendre2, le droit a pour particularité de
provoquer l'évolution des mœurs tout en s'adaptant lui-même à leur évolution. Le droit crée la
société et la société crée le droit.

Sans pour autant tomber dans le consumérisme juridique, ou le « self-service normatif »3, le droit
doit prendre acte des avancées d'autres disciplines (sociologie, démographie, etc.), tout comme il
doit contribuer au « progrès » des mentalités. Et on peut maintenant considérer que le simple
constat de l’absence d’égalité concrète suffit à révéler les insuffisances du droit social, tiraillé
entre des logiques contradictoires4.

Contradictoires car, en effet, le droit a poursuivi des objectifs sociaux opposés au fil de
l’histoire. Chacun de ses revirements de positions, perceptible dans les objectifs poursuivis et
leurs évolutions, a donc pris part à la construction des représentations des rapports sociaux de

1 Notamment : NICOLAS MURCIER psychopédagogue, doctorant en sciences de l’éducation , La construction


sociale de l identité sexuée chez l enfant, avril 2005 ; JOHN COLAPINTO, As Nature made Him : The Boy who was
raised as a Girl, Harper Collins, 2000 ; ROBERT STOLLER, Sex and Gender : on the development of masculinity
and feminity, Science House, 1968
2 Notamment : ALAIN SUPIOT, Homo juridicus : essai sur la fonction anthropologique du droit, Paris, Editions

du Seuil, 2005 ; Servir l intérêt général, Paris, Presses universitaires de France, 2000 ; PIERRE LEGENDRE, Ce
que nous appelons le droit, Le Débat, 1993, p.107 à 122 ; De la société comme texte, linéaments d une
anthropologie dogmatique, Fayard, 2001 ; Leçons VI : Les Enfants du texte, étude sur la fonction parentale
des États, Fayard, 1988 ; Leçons VII : Le Désir politique de Dieu, étude sur les montages de l État et du droit,
Fayard, 1988 ; Leçons VIII : Le Crime du caporal Lortie, traité sur le Père, Fayard 1994
3 PIERRE LEGENDRE, « Leçons VIII : Le crime du caporal Lortie, traité sur le Père », Fayard 1994 ; repris par

ALAIN SUPIOT, participation à l’article « Du nouveau au self-service normatif : la responsabilité sociale des
entreprises », in Études offertes à Jean Pélissier. Analyses juridiques et valeurs en droit social, Paris, Dalloz,
2004, p.541 à 558
4 Nous étudierons dans nos développement quelles ont été les évolutions du droit face à ces inégalités. Il

conviendra de distinguer deux logiques : la « protection » et l’« égalité », dont les notions plus
contemporaines de « discrimination » et d’« action positive » ne sont que les corolaires.

9|Page
sexe. L’étude de ces évolutions fera donc l’objet d’un développement, mais il convient de dresser
au préalable le cadre dans lequel nous nous situons.

Tout d’abord, les premières lois sociales étaient axées sur la protection de la catégorie juridique
des femmes, considérées comme « faibles » (limitation du temps de travail, interdiction du
travail de nuit, etc.). Le droit social a alors grandement contribué à la différenciation des places
des hommes et des femmes au travail puisque, même s’ils sont inégaux pour des raisons
biologiques, c’est le message véhiculé par la politique sociale de l’époque qui a rendu effective
cette différence sur le plan professionnel : les femmes doivent être protégées, car plus « faibles ».

Prenons, par exemple, le cas de la maternité. La grossesse est un élément biologique indéniable :
seules les femmes peuvent être enceintes. Ainsi, il a tout de suite été primordial de protéger la
femme « enceinte, accouchante, allaitante » par l'intervention du droit. Mais, protégeant cette
particularité biologique, le droit social a créé un concept que bien des femmes inscrites à Pôle-
Emploi connaissent : le « risque-maternité ». Face à deux individus aux parcours identiques mais
aux sexes différents, un employeur sera plus enclin à choisir un homme, pour qui le risque de
congé paternité est bien moins important.

Ce faisant, le droit, qui prend en compte un argument biologique, a été un facteur des différences
d'accès à l'emploi entre hommes et femmes. Ou comment une logique de protection engendre un
sur-risque d’inégalités…

Face à ce problème, les règles inégalitaires de protection des femmes à l’exception de la


protection de la maternité) ont progressivement disparu de nos codes à la fin du XXème siècle.
Cette disparition des mesures fondées sur le sexe s’est également accompagnée des premières
interdictions des discriminations, sous peine de sanctions pénales. )l s’agissait d’une interdiction
générale et absolue de traiter différemment deux personnes en se fondant sur les différences de
sexes. Mais, pourtant, cette obligation de non-discrimination a été affaiblie puisqu’il fallait
également protéger la catégorie des femmes sur certains points : on parle de « discrimination
positive » (ou « action positive »).

Pour résumer : traiter de manière inégale des personnes qui sont dans la même situation est
constitutif d’une discrimination logique d’égalité, d’interdiction des discriminations . Mais
traiter de manière égale deux situations différentes est également constitutif d’une
discrimination, d’où la nécessité parfois de désavantager les hommes sur certains points pour
« compenser » le handicap subi par les femmes (logique de protection, de discrimination
positive). Ce faisant, les actions positives posent problèmes puisque défavoriser les hommes
pour favoriser les femmes peut également être considéré comme une discrimination en raison
du sexe, cette fois envers les hommes logique d’égalité, d’interdiction des discriminations …

On peut donc opposer ces deux mouvements : logique de protection (d'une catégorie ou de
situations particulières) et logique d'égalité. Et pourtant, elles cohabitent toutes deux dans nos
codes.

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De nos jours, le droit a opté pour une égalité formelle des droits (abrogation de
l'interdiction du travail de nuit pour les femmes, suppression des normes directement
discriminantes sans raison objective). Mais il s'y est très largement fourvoyé à cause des
évolutions contradictoires, que nous avons brièvement présentées et que nous développerons
encore plus loin.

En effet, pour créer une égalité dans les faits, le législateur a considéré qu'il fallait commencer
par une égalité dans les textes (« égalité formelle ») afin de provoquer l'égalité réelle (ou
« substantielle »). Malheureusement, il s’est arrêté à cette égalité dans la loi. On comprend
immédiatement les problèmes d'une telle logique, puisque l'inégalité dans les faits est renforcée
par une in-équité dans les textes : il existe en pratique des différences entre hommes et femmes,
et donc en faire abstraction dans les textes revient, en réalité, à les renforcer !

Les limites du droit du travail et de la sécurité sociale sont alors apparues clairement au début
de notre siècle : le principe d'égalité formelle n'est et n’a jamais été qu'une simple étape vers un
objectif d'égalité réelle des droits, et il ne faut donc pas s’y limiter. Si, de nos jours, les inégalités
persistent, peut-être faut-il repenser l'approche juridique des rapports sociaux de sexe. C'est ce
que nous nous efforcerons de faire au fil de nos développements.

Dans certains pays, notamment au Canada, une deuxième génération de lois est apparue.
On les appelle les lois « proactives » parce qu'elles imposent à l'employeur de prendre des
mesures positives afin d'atteindre un objectif d'équité en matière d'emploi ou de salaires. Elles
sont à rapprocher de la discrimination positive (pour les développements à venir, nous
préférerons le terme d’« action positive » qui nous semble moins connoté).

On parle bien là d'« équité » et non plus d'« égalité », à savoir que l'équité en matière de droit du
travail vise à corriger les désavantages historiques que subissent un groupe juridique, ici les
femmes. On change alors totalement de cap : on ne force plus la société à évoluer en considérant
que nous sommes égaux car nos droits sont égaux, on la force à évoluer en provoquant
directement l'égalité dans les faits par des mesures inégalitaires. Même si la discrimination
positive s’inscrit également dans une logique d’égalité, il ne s’agit plus d’une égalité dans le droit
mais d’une égalité par le droit1.

Mais, pour autant, le passage d'une logique de moyens à une logique de résultat ne se fera pas
facilement en France, dont la législation sociale semble parfois contradictoire. On pourrait donc
regretter qu'elle se voie contrainte, encore une fois, de changer de paradigme juridique. En effet,
lorsque la France est tenue de modifier sa législation sous la pression internationale, elle ne le
fait qu'à contrecœur. Et ça se ressent dans l'absence de cohésion et de logique de ses différentes
évolutions, comme nous l’avons brièvement expliqué2. Ainsi pourrait-il être judicieux de
s'inspirer des expériences étrangères et des avancées sociologiques dans ce domaine.

1Nous y reviendrons plus loin


2 Logique de protection, logique d’égalité formelle, logique d’égalité substantielle, logique de non-
discrimination, logique de discrimination positive

11 | P a g e
Une piste de réflexion issue des sciences sociales peut enrichir notre approche.

Dans les années 2000, un nouveau concept s'est imposé en sociologie francophone : il
s'agit du concept de « gender ». Gender a été traduit en français par « genre » ; mais il convient
cependant de prendre quelques distances par rapport à cette traduction, en se plongeant
notamment dans la philosophie d'Aristote. Selon lui, la notion de genre renvoie à une classe
d'êtres ou d'objets qui présentent des caractères communs1 : les hommes, les femmes2. )l s’agit
donc de catégoriser hommes et femmes en fonction de leurs caractères communs. Le fondement
des idées du genre réside donc dans cette catégorisation : on retient le sexe pour distinguer
hommes et femmes, alors que bien d’autres caractères rapprochent ces individus. Ainsi, on
attribue à tous les hommes certains caractères qu’on attribue à la catégorie des hommes force,
virilité, etc.), et à toutes les femmes d’autres caractères attribués à la catégorie des femmes
(féminité, instinct maternel, etc.). La notion de genre conteste donc à la fois cette catégorisation
en deux classes hermétiques, mais également l’attribution de caractères « naturels » aux uns et
aux autres.

L’explication d’une telle notion pourrait donc faire l’objet d’une thèse entière… Mais pour
essayer de l’exposer brièvement et simplement, commençons par citer Pascale Molinier et
Daniel Welzer-Lang : « ce sont les rapports sociaux de sexe, marqués par la domination masculine,
qui déterminent ce qui est considéré comme normal – et souvent interprété comme naturel –
pour les femmes et les hommes. »3. Ainsi, les causes sociétales que nous avons exposées (biologie,
etc.) ne seraient que le reflet du profond ancrage des stéréotypes sexués dans notre société.

Cendrine Marro4 tente également de vulgariser le genre : « le genre, dans son acception
sociopolitique, s emploie toujours au singulier car c est un système hiérarchisant de normes de sexe
qui légitime les inégalités en termes de complémentarités naturelles. » Par-là, elle veut dire que,
pour la majorité des individus, il n’y a que deux sexes qui diffèrent naturellement et qui se
complètent. Mais « cette croyance est source de multiples inégalités invisibilisées par une
survalorisation trompeuse des différences censées relever d un ordre naturel sexué ».

Pour faire simple, les gens attribuent des caractéristiques aux hommes OU aux femmes (instinct
maternel, capacité de diriger, capacité de communiquer à l’oral, conduite d’un véhicule, etc.
uniquement en ce qu’ils sont des hommes ou des femmes. Et ces deux rôles seraient
complémentaires : l’homme au travail, la femme au foyer. Mais penser de façon binaire,
dichotomique, naturalise ces inégalités et nous empêche de lutter efficacement pour l’égalité.
Ainsi, « c est pour mettre en avant ce processus de hiérarchisation que l on a proposé ce concept de
genre … . C est la conscientisation de cette hiérarchie qui permet de percevoir combien les
rapports dits genrés entre femmes et hommes renvoient alors avant tout à des rapports sociaux
de sexe, traduisant une valence différentielle des sexes instaurant la domination masculine »5. Une

1 ARISTOTE, Catégories. De l interprétation Organon ) et II), Ed. VRIN, collection Bibliothèque de textes
philosophiques, 2008 (trad. par J. TRICOT)
2 Aristote est cependant ambigu sur la position des femmes, on limitera donc la référence à cet auteur à

l’explication de l’étymologie du terme « genre ».


3 PASCALE MOLINIER, DANIEL WELZER-LANG, Article « Féminité, Masculinité, Virilité », in Dictionnaire critique

du féminisme, PUF 2ème éd., 2004


4 CENDRINE MARRO Maître de conférences à l’Université Paris-X Nanterre), Article « Sexe, genre et rapports

sociaux de sexe », in Sexe, genre et travail social, ed. l’(armattan, mars , p. à


5 Idem

12 | P a g e
thèse entière pourrait détailler la participation du droit à la construction des représentations
sexuées des rôles, nous tenterons donc de n’en donner qu’un simple aperçu.

Malgré nos tentatives de vulgarisation, l’idée est complexe et pourrait être bien plus
détaillée. Nous nous limiterons donc à résumer cette notion à l’idée suivante : le genre est un
outil d’analyse qui permet de constater l’ancrage des inégalités dans notre société. Et comme
l’approche binaire du droit est insuffisante en ce qu’elle segmente la population en catégories
d’« hommes » et de « femmes », l'intérêt de la notion de « gender » résidera dans l’abolition
totale de ces catégories. Elle rend alors possible l'étude des relations entre hommes et femmes,
entre femmes et hommes, entre hommes, entre femmes, etc. Ce concept permet donc de
repenser les rapports sociaux de sexe de manière multiple et relationnelle : l'identité sexuelle est
le résultat d'une construction sociale1. Et il faut détruire les catégories d' « homme » et de
« femme » pour rendre compte, au mieux, de la réalité.

Mais en l’état actuel du droit, le genre est un concept qui ne correspond à aucune définition
juridique. Il renvoie à la construction sociale des sexes et s'intéresse à la manière dont les
sociétés fabriquent des représentations de la place des hommes et des femmes.

L'intérêt de l'appréhension de cette notion par le droit réside donc dans la réalité de sa méthode
d’analyse. Le genre est un outil d’étude qui nous permet notamment de rendre compte de la
participation du droit à la construction de la différenciation (et de la hiérarchisation) des rôles
sexués. Il est alors intéressant de mettre en évidence combien l'analyse des processus de
production du droit s’avère utile pour saisir la construction des rapports sociaux de sexe. Et
inversement, comment le droit a pu engendrer cette construction. Les interactions entre
construction du droit et construction des rapports sociaux de sexe seront donc l’objet même de
nos développements à venir.

Comment les recherches sur le genre s’articulent-elles avec le droit social afin de
permettre la recherche d’une égalité réelle entre les femmes et les hommes ?

Cette problématique nous amènera à nous poser de nombreuses questions. Le genre


doit-il s'insérer dans le modèle français ou remettre en cause ce modèle, au moyen de nouveaux
mécanismes juridiques et en y intégrant les spécificités françaises ? Le genre doit-il être pris en
compte par le droit ou, au contraire, le droit doit-il être aveugle au genre ? Pour répondre à notre
problématique, bien plus large, nous envisagerons deux interactions fondamentales.

Tout d’abord, le modèle juridique que l’on adopte induit nécessairement une représentation
précise de la place de la femme dans la société : un modèle social des rapports de sexe (il y a-t-il
un seul pourvoyeur de soins, un seul pourvoyeur de revenus, l’activité des femmes est-elle
promue ou freinée, etc.). Ce modèle, qui véhicule une image précise des attributions des rôles

1Notamment : JUDITH BUTLER, Bodies that matter : on the discursive limits of sex , Routledge, 1993 ;
Undoing Gender, Routledge, 2004

13 | P a g e
sociaux en fonction (ou non) des sexes, pourra être intitulé « modèle de genre ». )l s’agit en effet
d’un modèle des rapports de sexe, des représentations, et donc d’un modèle de genre1.

Ensuite, si l’on veut opérer un changement de modèle par exemple passer d’un modèle de genre
véhiculant l’idée que la femme doit s’occuper exclusivement des tâches domestiques, à un
modèle de genre véhiculant l’idée que l’activité de la femme est profitable à la société , il est
nécessaire d’adapter notre droit aux évolutions sociétales.

Nous étudierons donc tout d'abord l’importance du rôle du droit dans la construction des
inégalités de sexe (I) et ensuite comment la notion de genre peut être un « précurseur normatif »
en ce qu’il participe directement à la création du droit (II).

I. LE GENRE, PRODU)T DU DRO)T

La notion de « genre » permet donc de saisir l’implication du droit dans la construction


des rapports sociaux de sexe, et d’abolir les catégories juridiques d’« hommes » et de « femmes ».
Pourtant, on conçoit mal comment il est possible, dans la vie quotidienne, de considérer un
individu indépendamment de ses attributs physiques : lorsqu’on voit une personne dans la rue,
on remarque immédiatement s’il s’agit d’un homme ou d’une femme ! Le droit aurait donc
participé à cette différenciation sexuée, mais en quoi cela peut-il poser problème ? Le problème,
c’est à la fois que l’on relève ce critère du sexe parmi tant d’autres taille, couleur des yeux, etc.),
mais également, et surtout, qu’on lui attribue de facto certaines qualités de par sa seule
appartenance à un groupe (instinct maternel, logique scientifique, etc.).

C’est là que réside tout l’intérêt de la notion de genre : en partant du postulat que les femmes
présentaient des caractéristiques particulières (on pense notamment à leur aptitude à être
mères), les Etats ont décliné des politiques sociales particulières. Ces politiques ont abouti à la
construction d’un paradigme juridique bien particulier : soit favorable au travail des femmes,
soit au contraire défavorable à leur activité. On parlera alors de « modèles de genre » (A). Par
l’étude de différents modèles, la notion de genre nous révèlera son premier intérêt : c’est un
outil d’étude du droit, un cadre conceptuel, ou encore un « prisme », révélant le fondement de la
prise en compte des sexes.

Seulement ensuite, après avoir compris comment les inégalités pouvaient être produites par le
choix d’un modèle social, nous pourrons étudier le choix français. Nous percevrons alors le

1 Cette terminologie sera réutilisée plus loin : le modèle de genre est le choix opéré par un Etat, qui
véhicule une image précise de la place de la femme dans la société. On peut donc imaginer le modèle de la
femme au foyer, ou le modèle de la femme active. Ces deux modèles sont des modèles de genre puisqu’ils
prônent des images différentes de la femme. Pour rappel, la notion de genre renvoie à la construction des
rapports sociaux de sexe. Donc la notion de « modèle de genre » renvoie logiquement à la représentation
des rapports sociaux de sexe véhiculée par un Etat.

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modèle français à travers les évolutions successives de sa législation, et les différentes logiques
qu’il a poursuivies lors de ces évolutions (B). Après avoir effectué ce travail de « décorticage », le
genre nous révèlera son second intérêt : il est une norme sociale, un cadre de pensée dont le
droit devra s’inspirer.

A. L ES POLITIQUES SOCIALES CREATRICES DE MODELES DE


GENRE

Les mesures sociales affectent la situation des femmes, qu’elles les visent directement ou
non. L’approche de ces mesures, au prisme du genre, permet alors de révéler la participation du
droit à la construction des inégalités. Pour ce faire, nous étudierons deux modèles qui,
traditionnellement, s’opposent : deux « extrêmes ». Le premier, le modèle germanique, milite en
faveur de la protection des femmes mariées et des mères. Ce faisant, l’Etat agit en faveur d’un
non-emploi ou d’une activité d’appoint des femmes (1). Le second, le modèle nordique, participe
activement à l’émancipation des femmes et des mères. L’Etat s’immisce donc directement dans
les liens familiaux, permettant ainsi une meilleure conciliation de la vie professionnelle et de la
vie familiale (2). Nous pourrons alors saisir l’intérêt de la notion de genre et du raisonnement
qu’elle implique, en montrant l’importance de l’image véhiculée par les instances étatiques.

1. La légitimation de la différenciation sexuée des


rôles

La première « extrême » dont nous parlions est le modèle germanique. On le retrouve en


Suisse et en Allemagne, deux Etats fédéraux dont les prérogatives se limitent essentiellement
aux fonctions régaliennes on parle d’Etat-gendarme, par opposition à l’Etat-providence qui
intervient dans davantage de domaines)1. Leur particularité tient également à leur régime de
protection sociale d’inspiration bismarckienne2. Ce faisant, ce modèle est défavorable au travail
des femmes ou, tout du moins, au travail des mères. Nous le constaterons d’abord à travers
l’étude du droit à l’assurance chômage en Suisse (a) puis dans celle de la politique familiale

1 L’Etat-gendarme limite ses prérogatives aux fonctions régaliennes de l’Etat : l’ordre la police , la justice
et la défense l’armée . L’Etat-providence dispose au contraire de très larges compétences : économiques,
sociales, etc.
2 Les systèmes d’inspiration bismarckienne fondent leur système de Sécurité sociale sur le principe de

l’assurance liée au travail. Les systèmes d’inspiration beveridgienne, à l’inverse, proposent une protection
généralisée et fondée sur la solidarité (donc indépendamment de toute activité professionnelle).

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allemande (b). Nous tenterons d’étudier quelques mesures sociales, et de dépasser leur
neutralité apparente pour mettre en relief le rôle des Etats, et donc du droit, dans la production
du genre.

a. Les stéréotypes sexués véhiculés par l assurance chômage suisse

Lorsque l’on s'intéresse au droit de l'assurance chômage en Suisse, on constate plusieurs


mouvements historiques, réduisant progressivement le nombre de bénéficiaires. D'un point de
vue néophyte, ces mouvements semblent légitimés par les difficultés rencontrées dans le
financement de leur système d'assurance. Mais ces mesures, au-delà de leur apparence neutre,
renforcent la division sexuée du travail.

Le premier de ces mouvements est issu de la première loi fédérale sur l'assurance chômage du
17 octobre 1924. Elle a remplacé le système d'assistance par celui de l'assurance, qui repose
essentiellement sur des caisses privées et gérées uniquement par les syndicats professionnels.
En apparence, aucun problème de genre ! Carola Togni, une doctorante suisse et spécialiste du
genre, s'est intéressée à ces syndicats professionnels, et s’est aperçue qu'ils n’étaient pas
présents dans les secteurs les plus féminisés. Les premières associations ouvrières suisses
étaient également hostiles au travail des femmes, considérées comme des concurrentes
déloyales à cause de leurs bas salaires1. Elle prend pour exemple la Fédération suisse des
ouvriers sur métaux et horlogers principale caisse de l’époque, regroupant un quart des assurés
contre le chômage en 1924) qui ne comptait que 2,5 % de femmes assurées. Et pourtant, ce
secteur employait alors 44 % de femmes2…

Donc tout d’abord, la majorité des femmes était mise à l’écart de l’assurance chômage à cause de
son mode de gestion. Et pour celles qui sont tout de même parvenues à s’assurer, les conditions
à remplir pour pouvoir prétendre à l’indemnité qui reste évidemment l’intérêt majeur d’être
assuré contre le chômage…) étant incompatibles avec leur activité. En effet, l’une des conditions
à remplir était de rapporter la preuve d’un travail régulier et non-discontinu3. Encore une fois,
cette mesure était justifiée par des véritables objectifs sociaux neutres ! Et c’est là que le genre
peut être utile : lorsqu’on étudie cette condition au prisme du genre, on s’aperçoit que la vie
professionnelle des femmes est en très grande majorité caractérisée par la discontinuité (due
aux différents arrêts de naissance, d’éducation, etc. et la flexibilité due à la double journée de
travail, le besoin d’être présent pour les enfants, etc. . Ainsi, une condition apparemment neutre
de travail régulier et continu, prive en réalité les quelques assurées de tout droit à indemnité…

1 CAROLA TOGNI, Article The Right to Unemployment Benefits: All Things Being Unequal , in Nouvelles
Questions Féministes – Volume , N° , , p. Carola Togni reprend ces statistiques de l’Annuaire
Statistique de la Suisse)
2 Carola Togni reprend ici les statistiques de la Caisse d'assurance chômage FOMH (Rapport de la caisse,

Archives fédérales, E7174 : B, -/4, vol. 33)


3 Carola Togni reprend ici les dispositions de l’Article de l’Ordonnance )) relative à la loi fédérale
concernant l'allocation de subventions pour l'assurance chômage du 20 décembre 1929, Recueil officiel
des lois et ordonnances de la Confédération suisse

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Ce premier « mouvement » est issu de la mise en place du régime d’assurance chômage.
Le second a suivi avec la crise des années 1930, qui a fait exploser le nombre de chômeurs. Les
secteurs qui employaient la plus grande proportion de main d’œuvre féminine étaient les
secteurs de l’horlogerie, du textile et de la broderie. Evidemment, compte tenu des biens qu’ils
produisaient (montres, vêtements), ils ont été les plus atteints par la crise. On s’attendait donc à
voir, parmi les chômeurs indemnisés au niveau national, une augmentation du nombre de
femmes. Mais ce ne fut pas le cas. Même si on pouvait percevoir une augmentation de femmes
privées d’emplois, ou même chômeuses1, il convient de les distinguer des chômeuses
indemnisées (qui perçoivent une indemnité de chômage) qui sont, elles, passées de 30% en 1924,
à 20% en 1933.

Ce phénomène s’explique, encore une fois, au regard des conditions à remplir pour avoir droit
aux indemnités, qui ont été renforcées pendant la crise économique. En plus de devoir cotiser
suffisamment grâce à un travail régulier et continu, il faut faire preuve d’une grande
disponibilité. Par exemple, on peut être contraint d’effectuer jusqu’à quatre heures de transport
par jour pour un nouvel emploi, voire même de devoir s’y installer pendant la semaine2.

Et, à partir de 1934, ces conditions sont encore plus sévères : une ordonnance sur l'assurance
chômage impose que « lorsqu'un assuré exploite un bien rural ou une entreprise autonome … à
côté de son activité professionnelle, ou lorsque son conjoint a une telle source de gain, il n'a droit à
une indemnité que s'il prouve que cette exploitation ne lui procure pas de quoi entretenir sa
famille »3. Cette disposition, en apparence neutre, pose un principe assez douteux : celui du
« male breadwinner »4. Une personne, dont le conjoint exploite une entreprise (ou un bien rural),
ne pourra prétendre à aucune indemnité de chômage dès lors que le revenu de cette exploitation
suffit à entretenir sa famille. Et ce, même si cette personne exerce une activité salariée, cotise
suffisamment, et démontre d’une activité régulière et continue. On parle de « male breadwinner »
puisque la situation visée est celle du chef de famille qui entretient sa famille alors que sa
compagne n'a qu'un salaire d'appoint.

Ce principe sera réaffirmé et intensifié. En 1942, cette exclusion des femmes d’entrepreneurs et
d’exploitant de bien rural est étendue à toutes les femmes mariées, quelle que soit la profession
de l’époux5. En 1944, le revenu plancher considéré comme « suffisant » à l’entretien de la famille
est abaissé à un niveau tellement ridicule que même les salaires des travailleurs non qualifiés le
dépassent. Ainsi, la majorité des femmes mariées sont exclues du droit à indemnisation.

1 Une personne est « privée d emploi » dès lors qu’elle n’exerce plus d’activité professionnelle. Elle devient
« assurée » ou « chômeuse » dès lors qu’elle a rempli les conditions pour s’inscrire à l’assurance chômage.
Elle devient « chômeuse indemnisée » dès lors qu’elle a rempli les conditions pour bénéficier de l’allocation
chômage. Une personne peut donc être privée d’emploi mais non chômeuse et donc non-indemnisée.
2 Carola Togni reprend ici les dispositions de l’Article de la loi LAC) (voir index) du 22 mars 2002, dont
les dispositions existaient depuis 1930.
3 Carola Togni reprend ici les dispositions de l’Article de l’Ordonnance )V relative à la loi fédérale
concernant l'allocation de subventions pour l'assurance chômage du 27 février 1934, Recueil officiel des
lois et ordonnances de la Confédération suisse
4 CAROLA TOGNI, Article The Right to Unemployment Benefits : All Things Being Unequal , in Nouvelles

Questions Féministes – Volume 28, N°2, 2009, p.55


5 Carola Togni reprend ici l’Article des Dispositions d'exécution concernant l'arrêté du CF voir index
qui règle l'aide aux chômeurs pendant la crise résultant de la guerre du 18 septembre 1942, Recueil
officiel des lois et ordonnances de la Confédération suisse

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Ce n'est donc qu'au prisme du genre, et par la prise en compte des rapports de
domination de sexe, que l'on peut apercevoir la représentation de la femme que véhicule le
régime. On peut ainsi déterminer quel était le public réellement visé par une mesure, en prenant
assez de recul sur la situation. On remarque qu’en , alors même que les femmes ont reçu
injonction à quitter leur emploi au profit des hommes qui revenaient de la guerre, la proportion
des femmes indemnisées est tombée à %. Cette fois il ne s’agit pas du renforcement des
conditions à remplir pour avoir droit à l’indemnité, mais de l’abaissement du gain maximal
assurable. Pour les hommes qui ont plusieurs personnes à charge l’épouse pouvant parfois être
entendue comme personne à charge), ce plafond est fixé à 16 francs suisses par jour. Pour les
célibataires de moins de ans, ce plafond est à francs suisses. Et pour les femmes, qu’elles
soient mariées ou non, et qu’elles aient des enfants à charge ou non, il est également fixé à 8
francs suisses1… Ainsi, dès lors qu’une femme gagne au moins francs suisse par jour, comme
les jeunes de ans, elle n’aura pas droit à une indemnité, peu importe si elle a des enfants à
charge. On se repose encore sur le revenu suffisant de l’époux…

Ces mesures apparemment neutres ne le sont plus lorsque l’on utilise l’approche par le genre.
Elles ne visent pas simplement à réduire le déficit, ou à limiter le nombre de personnes
indemnisées : elles visent à réduire le nombre de femmes indemnisées et à promouvoir l'idée
selon laquelle la place de la femme n'est pas au travail, mais au foyer, à se contenter du revenu
de son époux. C'est donc bien le droit qui participe activement à la différenciation sexuée des
rôles. L’activité féminine est jugée accessoire de celle de l’époux, trop « insuffisamment
contrôlable », en raison notamment de ses horaires irréguliers2.

En effet, le Conseil Fédéral a clairement expliqué, à l’occasion d’un durcissement des conditions
d’indemnisation des personnes à temps partiel (dont évidemment la majorité est féminine),
qu’« il s'agissait d'exclure les personnes travaillant occasionnellement et pour une durée très
courte. Il s'agit par exemple des femmes de ménage, d'infirmières ou de nurses. »3.

Le modèle social véhiculé par la Suisse est donc celui de l’« homme gagne-pain ». Et, bien
que désuet, il est réaffirmé encore de nos jours. En 20014, la période éducative n’est plus prise
en compte comme une période de cotisation, on augmente le revenu minimum assurable
(excluant alors 78 femmes de l’assurance , et on réaffirme les principes de disponibilité
spatiale et temporelle .
5

1 Carola Togni reprend ici les dispositions de l’Article de l’Arrêté du CF voir index réglant l'aide aux
chômeurs pendant la crise résultant de la guerre du 14 juillet 1942, Recueil officiel des lois et ordonnances
de la Confédération suisse
2 Carola Togni reprend ici les termes de MARTA BÄNNINGER, Droits et devoirs de la main-d œuvre féminine

dans l'assurance chômage, Conférence des directrices et fonctionnaires des divisions féminines des offices de
travail, 24 et 25, Novembre 1944 à Baden, Archives Gosteli, BSF/EKFF/8193
3 Carola Togni cite ici le Message du CF (voir index) sur l'introduction de l'assurance chômage obligatoire

du 11 août 1976, FF 1976, p.1563


4 Carola Togni cite ici le Message du CF (voir index) concernant la révision de la loi sur l'assurance

chômage du 28 février 2001, FF 2001, p.2156


5 DEPARTEMENT FEDERAL DE L'ECONOMIE, Etre au chômage. Une brochure pour les chômeurs, 2007, p.9 (cette

mention n’est plus visible dans la version de

18 | P a g e
Il est maintenant évident que les femmes mariées et les mères étaient l’objet de ces mesures. Et
si elles ne l’étaient pas directement, elles en ont subi les effets. La notion de genre permet donc
une meilleure compréhension des rapports sociaux de domination, imbriqués dans chaque
strate de la vie publique.

b. Les dérives de la protection des mères en droit du travail allemand

En Allemagne, le choix politique a été fait de se cantonner au strict minimum imposé par
le droit communautaire. Cependant, il ne s’agira pas, ici, d’étudier les différentes directives et
leurs implications, mais plutôt de s’intéresser au choix allemand d’intervenir le moins possible
dans la sphère du privé.

Leur régime relatif à l’égalité de traitement tient presqu’en une seule loi : la loi générale relative
à l’égalité de traitement AGG1), qui date de 2006. Cette loi se limite à transposer le minimum
requis par le droit communautaire : les directives 2000/43/CE2, 2000/78/CE3, 2002/73/CE4 et
2004/113/CE5. On saisit là le reflet du minarchisme6 dont nous parlions plus tôt : le rôle de l’Etat
se limite à l’exercice de ses pouvoirs régaliens on peut presque parler d’Etat-gendarme).
L’intervention de l’Etat dans la sphère du privé ne se fait donc que très rarement, quand le droit
communautaire l’impose. Par exemple, les lois antidiscriminatoires issues du droit
communautaire ont été très largement contestées au sein de la société allemande et même dans
le milieu universitaire7, car elles ont été vues comme une immixtion de l’Etat contraire au
principe de liberté contractuelle.

Cependant, à côté de ce droit minimaliste de l’égalité, l’Allemagne a fait le choix de


s’impliquer très tôt dans l’activité des « mères-travailleuses » en posant un régime de protection

1 Voir index des abréviations


2 Directive du Conseil du 29 juin 2000 instaurant le principe de traitement égal entre les personnes sans
distinction de l'origine raciale ou ethnique, JO 2000, L180/22
3 Directive du Conseil du 27 novembre 2000 établissant un cadre général pour l'égalité de traitement dans

l'emploi et les fonctions, JO 2000, L303/16


4 Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive du Conseil

76/207/CE sur le principe d'égalité de traitement des hommes et des femmes relativement à l'accès à
l'emploi, la formation professionnelle, la promotion et les conditions de travail, JO 2002, L269/15
5 Directive du Conseil du 13 décembre 2004 relative au principe d'égalité de traitement entre hommes et

femmes en matière de fourniture et d'accès aux biens et services, JO 2004, L373/37


6 Le minarchisme est une idéologie politique, selon laquelle l’Etat doit intervenir au minimum dans la

sphère publique et privée, mis à part dans l’exercice des pouvoirs régaliens on parle d’« Etat minimal »)
7 MARLENE SCHMIDT, Article « Genre, droit de l’emploi et de la sécurité sociale : problèmes actuels en

Allemagne », in Genre et droit social, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007, p.83 (elle cite dans cet
article FRANZ-JÜRGEN SÄCKER, « Vernunft statt Freiheit ! » – Die Tugendrepublik der neuen Jakobiner,
Referentenentwurf eines privatrechtlichen Diskriminierungsgesetzes, ZRP 2002, 286 ; et KLAUS ADOMEIT,
Diskriminierung – Inflation eines Begriffs, NJW 2002, 1622)

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assez fort. La loi en question date de 1952 et est encore appliquée (la loi MuSchG1). Elle interdit
aux femmes de travailler dès lors que la santé de la mère ou de l’enfant peut être mise en danger.
Cette interdiction semble logique, mais qu’en est-il du « danger » ? )l s’agit en réalité de tout
travail physique, de tout contact avec la poussière, de tout travail soumis à la chaleur, le froid,
l’humidité, le bruit, les vibrations, la nuit, le dimanche, les jours de fêtes, etc.… La liste est non-
limitative2, et prive finalement les futures-mères de toute forme de travail.

On peut penser que ces mesures sont tout à fait justifiées : les mères doivent être protégées.
Mais si l’Etat a choisi de ne réglementer que très peu les relations de travail3, pourquoi existe-t-il
une protection si forte des mères l’une des plus forte d’Europe) ? Pourquoi le droit de l’égalité
est si mal admis dans la population allemande, alors que la réglementation du travail des mères
est si forte ?

L’approche par le genre nous permet encore une fois de comprendre que cette protection n’est
pas anodine, il s’agit là de véhiculer un message particulier aux femmes : si vous avez des
enfants, vous ne devez pas travailler. Le choix est posé : être mères ou travailleuses. Et les
allemandes l’ont bien compris : l’effet « boomerang » de ces mesures protectrices se ressent
aujourd’hui puisque leur taux de fécondité est tombé sous les 1,4 enfants par femme en 2011. Et
il s’agit là du taux le plus bas d’Europe4…

Le message est donc tres bien passe. L')nstitut Federal de Recherche )FR a meme
annonce que « la mère appartient à son enfant et il ne faut pas le laisser dans un structure
d'accueil jusqu'à ses trois ans sous prétexte que la mère veut travailler ». On ne se limite donc plus
a la protection des meres, mais a la protection de l’enfant qui ne peut pas grandir sans la
presence de sa mere peu importe si son pere travaille ou non . Le fait que la mere veuille se
concentrer sur sa carriere l’)FR utilise le terme de « prétexte » n’est possible que si son enfant
est assez age. Pire, l’)FR releve que « choisir une autre voie, c'est très vite devenir une mère
indigne », et que « le travail de la mère est assimilé à une diminution du bien-être de l'enfant et,
dans le même temps, les pères ne sont pas considérés comme ayant la même capacité éducative que
les mères ». Revoila les vieux demons cliches : l’enfant ne peut survivre que s’il a sa mere a ses
cotes, ce que le pere ne peut pas faire.

Dans cette logique, aucune structure d’accueil de la petite enfance n’a ete mise en place, aucun
mode de garde n’est prevu et les peres ne sont pas incites a partager les taches de leur epouse. Et
pourquoi faire autrement, puisque la population semble adherer a cette opinion ? En tout cas, les
femmes, elles, s’executent : % des allemandes n'ont pas d'enfant, % n'en ont qu'un5.

Et lorsqu’on demande aux femmes de choisir entre leur carriere professionnelle et leur vie de
famille, on se retrouve avec deux « categories » de femmes : les travailleuses, aisees et sans
enfants, et les meres, pauvres et dependantes des prestations sociales. La politique familiale

1 Voir index des abréviations


2 Marlene Schmidt, dans l’article précité, cite le § )) n° -8 du MuSchG qui prévoit une longue liste non-
exhaustive
3 Comme nous l’avons vu, l’Allemagne n’intervient dans la règlementation du travail que lorsqu’elle y est

contrainte par la force obligatoire du droit communautaire


4 INSTITUT FEDERAL DE RECHERCHE DEMOGRAPHIQUE, (Pas) envie d'enfants ?, décembre 2012
5 Idem

20 | P a g e
allemande est ainsi devenue l'une des plus couteuses au monde1, avec plus de milliards
d'euros d’aides par an.

Autant dire que l'Allemagne a tout interet a reagir pour pousser les femmes a travailler
malgre leur qualite de mere. Cette situation, meme si elle correspond au modele adopte tres tot
par les gouvernements allemands, pose en effet de nombreuses difficultes budgetaires. )l s’agit
desormais de relever l’economie de tout le pays, de faire remonter le taux de natalite,
d’ameliorer les conditions de vie des enfants et de l’ensemble de la population.

Mais leur choix est maintenu : une prime de 250 euros par mois (en plus des allocations
familiales) est versée aux femmes au foyer. Elle n’est pas versée aux mères dans le but de
remonter le niveau de vie des foyers les plus pauvres ! Elle est versée aux femmes (mères ou
non) pour les conforter dans leur décision de rester « à leur fourneaux ». L’expression utilisée
n’est pas malvenue : cette prime s’appelle effectivement « la prime aux fourneaux ». Et son
financement est encore plus extraordinaire que son appellation : elle est puisée dans le budget
qui servait initialement à la construction des crèches… Donc plutôt que d’inciter les femmes à
reprendre une activité professionnelle, en prévoyant des modes de garde, les allemands ont fait
le choix de détourner le budget alloué à cet effet. D'après le Dr Steffen Kröhnert, chercheur a
l’)nstitut berlinois pour la population et le developpement, « on cherche à inciter les femmes à
travailler, mais on ne supprime pas le régime fiscal très désavantageux pour les mères actives, on
veut créer plus de crèches, mais on met en place une prime aux fourneaux. Tout cela est incohérent
et freine l'évolution des mentalités »2.

Et la population semble adherer a cette politique3. Existe-t-il une meilleure preuve pour
demontrer que c’est bien le droit qui produit et vehicule son propre « modele de genre » ? Les
reformes egalitaires provoquees par le droit communautaire tenant essentiellement aux
principes de non-discrimination, rien de tres reformateur , ont pourtant suscite de larges
remous dans la population ! Elle a perçu ces reformes comme anti-productives et anti-
competitives. Personne n’arrive d’ailleurs a comprendre pourquoi l’employeur devrait participer
au financement des allocations maternite4 !

Cette politique sociale a donc ete un element determinant dans la construction de leur modele, et
dans l'assignation des roles. Nulle part dans les textes allemands n'est mentionnee la possibilite
pour un pere de participer a la vie de la famille ! Ce role est exclusivement confie aux femmes.
C’est donc bien directement le droit allemand, et la politique sociale menee par le
Gouvernement, qui ont construit l’attribution sexuee des roles : le travail domestique d’un cote,

1 L’Allemagne dépense en moyenne PPA parité pouvoir d'achat par an et par habitant en prestations
familiales, contre 600 pour la France et la Finlande, dont les taux de natalité sont pourtant très largement
supérieurs (Article de Presse de Nathalie Versieux, « L’Allemagne a le mal de mères », in Le Monde, 12
novembre 2012)
2 Entretien avec le Dr Kröhnert dans l’Article de Presse de Nathalie Versieux, « L’Allemagne a le mal de

mères », in Le Monde, 12 novembre 2012


3 Idem
4 MARLENE SCHMIDT, Article « Genre, droit de l’emploi et de la sécurité sociale : problèmes actuels en

Allemagne », in Genre et droit social, Presses Universitaires de Bordeaux, 2007, p.85

21 | P a g e
le travail remunere de l’autre. Et la frontiere est bien etanche… Le role du droit dans la
construction des in egalites est donc tel, que le modele de l’Etat-gendarme ne pourra plus
suffire pour parvenir a une egalite reelle.

2. L’ingérence du droit social dans la vie familiale

Alors que l’approche de genre nous a permis de mieux comprendre les effets nefastes
d’une politique sociale sur l’activite des femmes et la recherche de l’egalite, nous allons voir que
de tres nettes ameliorations peuvent etre apportees des lors que l’Etat intervient au cœur de la
politique familiale. En effet, nous savons que rester en marge de la famille vehicule l’image du
« male breadwinner », alors qu’au contraire mettre en place des structures d’accueil de la petite
enfance, et des actions concretes en faveur du plein emploi feminin, favorisent l’emancipation
des femmes. Dans ce type de regime, elles ne sont plus victimes de l’ancestrale differenciation
sexuee des roles, et peuvent concilier vie professionnelle et vie familiale. Nous etudierons donc
tout d’abord quelques exemples de mesures sociales dans les pays nordiques Suede, Norvege,
Finlande, Danemark a . Mais les reponses du droit du travail restent tout de meme
insuffisantes pour parvenir a l’egalite reelle. En effet, dans l’un des pays les plus avances
Canada/Quebec 1, la segregation professionnelle et sectorielle par sexe ne diminue que tres
peu, et les emplois les plus feminises demeurent precaires CDD, temps partiel, etc. . Nous
envisagerons donc une esquisse de reponse a ce probleme, en etudiant la syndicalisation des
femmes au Canada et au Quebec b .

a. La participation de la politique familiale nordique à l égalité réelle

Les pays nordiques sont un exemple en matiere d’egalite. En effet, on constate que le taux
d’emploi feminin est eleve, sans pour autant etre cantonne aux professions traditionnellement
feminines. On remarque, cependant, une certaine sectorisation pour quelques professions
assistance maternelle, soins a domicile, etc. , mais cela reste tres faible en proportion,
comparativement a leurs voisins europeens. Le plafond de verre ne freine plus la progression des
femmes et nombre d’entre elles appartiennent aux plus hauts degres hierarchiques. Enfin, les
taux d’emplois masculin et feminin sont tres proches, et la qualite de ces emplois precaires ou
stables est similaire.

Cette similarite entre les emplois traditionnellement masculins et féminins, que l’on peut presque

1Des mesures proactives y ont déjà été adoptées. Elles ont pour but de contraindre les employeurs à
prendre des mesures directement favorables aux femmes, et donc discriminatoires vis-à-vis des hommes.

22 | P a g e
qualifier de quasi-egalite, tient essentiellement a l’organisation et a la structuration des services,
notamment sociaux, par le Gouvernement. En effet, il developpe en permanence ses efforts pour
s’attaquer aux fondements des inegalites. )l ne se contente pas de proclamer un principe general
de non-discrimination, mais va provoquer directement dans les faits cette egalite : partage des
taches domestiques entre les epoux, implication des peres dans la vie familiale, combat
permanent contre les stereotypes sexues precoces, etc.

Pour provoquer l’egalite reelle dans la vie professionnelle, le choix a ete fait de promouvoir en
amont une egalite reelle dans la vie familiale. Ainsi, femmes et hommes ont pu facilement
concilier vie professionnelle et vie de famille, sans pour autant sacrifier ou mettre en suspend
la carriere de l’un ou l’autre. Les resultats s’en sont suivis : les taux de fecondite en Suede, en
Norvege, en Finlande, et au Danemark, sont les plus hauts taux enregistres en Europe. Si on
compare ces donnees au taux d’emploi feminin, on s’aperçoit que les femmes n'ont donc pas a
choisir entre maternite et carriere.

Cette particularite des pays nordiques vient de leur regime etatique : un Etat-providence
social-democrate. Ce regime, traditionnellement oppose a celui qu’on a pu relever dans les pays a
culture germanique regime conservateur selon la typologie de Gosta Esping Andersen , repose
sur deux principes phares : le principe de l’individualisme et celui de l’universalisme. Tout le
monde est couvert de la meme façon, peu important son niveau de revenus et de cotisations. Et
on protege l’individu directement et non pas la famille dans son ensemble. Ainsi, par exemple, le
regime suedois octroie des subsides directement aux enfants des leur naissance, et non a leurs
parents. )l prend ainsi directement en charge les soins dont les enfants ont besoin, peu important
la situation de leurs parents1.

Ce modele s’eloigne donc considerablement du modele conservateur, construit sur le


corporatisme et pronant la « famille » encourageant donc le modele de l’homme pourvoyeur de
revenu, le « male breadwinner »2 . Le modele scandinave propose en effet une
« défamilialisation » 3 indispensable a l’emancipation des femmes. Cette deconstruction des liens
familiaux par l’intervention de l’Etat au cœur de la famille permet alors aux femmes de choisir le
travail en parallele de leur participation egale aux taches domestiques et familiales.

L’Etat les y incite meme tres fortement ! En effet, compte tenu des nombreuses aides octroyees,
les besoins de financement sont consequents, et donc un haut taux d’emploi est indispensable
pour financer le regime et pour developper un bon niveau de protection sociale. L'Etat-
providence contribue egalement a amenager la situation des femmes, en apportant un soin tout
particulier a l'organisation des services etatiques creches, aides a domicile, cantines publiques,
etc. .

1 GÖSTA ESPING ANDERSEN, Les Trois Mondes de l'Etat-providence, Paris, PUF, 1999 ; et ANN SCHOLA ORLOFF,
article Gender and the social rights of Citizenship : the comparative analysis of state Policies and Gender
relations , in American Sociological Review, 1993, 58 (3), 303-28
2 SANDRINE DAUPHIN, Article « Action publique et rapports de genre », in Les discriminations entre les

femmes et les hommes, Sciences Po les Presses, juillet 2011, p.265 à 289
3 DOMINIQUE MEDA et HELENE PERIVIER, Le deuxième âge de l'émancipation : La société, les femmes et l'emploi,

La République des idées, éd. Seuil, 2007, p.46

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Le cas suedois illustre bien l’avance qu’ont les pays nordiques sur le reste de l’Europe.
Tres tot, les femmes mariees disposaient de droits propres fondes sur la maternite et non pas de
droits derives1 comme en France . Ainsi, leurs droits n’ont jamais ete calcules en fonction de
l’activite de l’epoux. On ne pronait pas uniquement le travail de l’homme, mais egalement celui
des femmes. Celles-ci beneficiaient egalement de droits sociaux universels des , en ayant
acces a l’assurance-vieillesse et invalidite, de droits civils et politiques des , et du droit de
vote en . )l n’est pas besoin de comparer ces dates avec la France… Le code du mariage de
prevoyait egalement des droits et devoirs egaux entre epoux, et la prise en charge collective
des enfants s’est faite au niveau etatique des 2!

C’est donc bien l’Etat qui, par ses differentes interventions, a vehicule l’image d’un homme et
d’une femme ou d’une femme et d’une femme ou d’un homme et d’un homme tous deux
pourvoyeurs de revenus et de soins. Aucune distinction n’etait operee en raison du sexe, a
l’exception du cas sensible de la maternite.

La coherence du modele nordique a donc servi de referent aux militant-e-s de l’egalite. Son
organisation structurelle est guidee par la recherche du bien-etre des parents et non pas des
meres seulement , et de celui des enfants. On leur permet de rester ensemble les premiers
temps, puis on amenage l'organisation de la vie professionnelle pour les deux parents et non
pas seulement pour la mere , afin que subsiste la vie familiale.

)l serait donc souhaitable de s'inspirer du modele nordique qui, cependant, represente un


cout important sur les finances publiques. Neanmoins, ce cout est en grande partie
contrebalance par l'avantage que procure le quasi-plein emploi. Sur ce point, il est interessant de
dresser une comparaison avec le regime allemand : en Allemagne il existe tres peu de chomage
car tres peu de femmes travaillent, et celles qui travaillent ne sont pas « chômeuses » donc ne
sont pas aidees par les caisses de chomage mais « mères au foyer » se contentant donc du
revenu de leur epoux . Suede et Allemagne ont tous deux un niveau de chomage tres faible, mais
tandis que l’un a fait le choix du plein emploi masculin, l’autre a fait le choix du plein emploi tout
court.

Plusieurs pistes devront donc etre envisagees pour s’inspirer du modele nordique : les conges
parentaux doivent etre bien remuneres et pas trop longs, mais egalement individualises et
partages entre les parents. Ainsi, les peres seront veritablement incites a les prendre ! On ne se
contentera pas de leur proposer un droit a conge parental ou paternel, on les poussera
directement a les prendre et donc a participer aux taches familiales. )l faudra egalement prevoir
des incitations particulieres pour que les hommes entrent dans les professions feminines, et les
femmes dans des professions masculines.

Le droit et l'Etat ont donc clairement un role majeur dans la construction des identites de sexe et
dans la differenciation des roles qu'on leur assigne. En France, c'est le droit qui produit et
reproduit, generations apres generations, lois apres lois, le meme schema de la femme fragile a

1 On appelle droits dérivés en droit de la Sécurité sociale un droit dont une personne jouit en raison de son
lien avec un assuré social, en l'espèce le mari
2 SARA BRACHET, Dossier « Politique familiale et assurance parentale en Suède, une synthèse », in

Documents d'études, CNAF, n°21, 2001

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proteger contre les dangers du monde du travail, et qui prone le modele de l’homme
pourvoyeurs de revenus tandis que la femme ne pourvoit qu’aux soins .

Le modele nordique est donc un exemple particulierement parlant de la necessite pour l’Etat
d'intervenir au plus pres de l'organisation structurelle de la famille. Les idees de genre, selon
lesquelles la societe cree les stereotypes sexues, est au cœur meme de la politique nordique,
comparativement a l’Allemagne qui a fait le choix de s’eloigner au plus de la sphere du prive afin
de laisser aux familles la charge de s’organiser.

Une approche par le genre passe donc par l’apprehension totale des modes de pensees
politiques et des choix faits par les gouvernements successifs. On peut alors comprendre la
logique poursuivie et ce qui est favorable aux femmes et ce qui ne l’est pas. Mais on relevera
toujours, quelle que soit la politique sociale adoptee, une inadequation du droit du travail et des
mesures sociales, dans leur ensemble, a la diversite des types d’emplois occupes par les femmes.
Les initiatives en faveur des femmes ne pouvant, a elles seules, rendre compte du rapport entre
le genre et le droit, qui tient egalement a la nature des emplois dits « féminins ».

b. La syndicalisation des canadiennes en réponse à la précarité des emplois

Sans trop entrer dans le detail, il est utile de rappeler que le Canada est un des pionniers
de l’egalite de genre1. Les premieres lois antidiscriminatoires datent des annees 2, et des

lois proactives3 ont deja ete adoptees4.

Au Canada, les entreprises ont occupe une place centrale dans l’elaboration des normes
protectrices des salaries. Le modele canadien reposait sur l’idee que les normes sociales
devaient etre elaborees au niveau de l’entreprise, par la negociation collective. Ce modele, qui a
perdure jusqu’a la fin des annees , limitait alors le role de l’Etat a l’encadrement des
rapports collectifs dans l’entreprise5, vehiculant le principe selon lequel l’entreprise etait un
cadre autonome, autosuffisant et democratique. Les conditions de travail y etaient donc
supposees justes et equitables.

Le probleme au Canada etait qu’a peine un tiers des femmes etaient syndiquees. Aussi, le faible
taux de presence syndicale dans le secteur prive et dans les petites entreprises, ainsi que le faible
taux de syndicalisation des travailleurs atypiques et donc des femmes , limite la participation

1 STEPHANIE BERNSTEIN, MARIE-JOSEE DUPUIS, GUYLAINE VALLEE, Article « Au-delà de l’égalité formelle :
confronter l’écart entre les sexes sur un marché du travail en mutation, l’exemple canadien », in Genre et
Droit social, Presses Universitaires de Bordeaux, avril 2008
2 Titre VII du Civil Rights Act de 1964
3 Les lois proactives ont pour but de contraindre les employeurs à prendre des mesures directement

favorables aux femmes, et donc discriminatoires vis-à-vis des hommes. Elles sont comparables à la notion
européenne de « discrimination positive ».
4 Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. , c.
5 K.V.W. STONE, Article The legacy of Industrial Pluralism : The Tension Between Individual Employment

Rights and the New Deal Collective Bargaining System , in University of Chicago Law Review, 1992

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des femmes a l’elaboration de la regle de droit dans l’entreprise. Judy Fudge et Eric Tucker
notent que « cette ségmentation systémique du marché du travail est le fruit du compromis
d après-guerre établi au Canada en vertu duquel les grandes entreprises acceptaient de concéder
des salaires élevés et des conditions de travail intéressantes à des travailleurs syndiqués faisant
partie des secteurs clefs, tout en étant assurées de bénéficier d un bassin de travailleurs non-
syndiqués disponibles à des coûts moindres »1.

)l est donc clair que les conditions de travail des femmes sont meilleures lorsqu’elles sont
syndiquees, notamment en matiere de remuneration. De plus, la mise en œuvre des mesures
destinees a promouvoir l’egalite est facilitee dans les entreprises a forte presence syndicale. La
negociation collective doit donc se feminiser au maximum, puisque c’est par l’adhesion massive
des femmes au syndicat qu’un modele de genre plus equitable pourra etre produit. En effet, les
regles de droit seraient negociees par des hommes mais egalement par des femmes ; leur
situation sera donc davantage prise en compte.

Cependant, les canadiennes ne semblent pas interessees par le syndicalisme. Mais il s’agit
davantage d’un probleme structurel qu’individuel2 : il est lie a l’incapacite des syndicats de
refleter les mutations du marche du travail et de favoriser la participation des femmes. Mais la
piste de la syndicalisation reste neanmoins a etudier ! Puisque les femmes peuvent avoir de
meilleures conditions de travail en participant a la creation du droit, il est indispensable de ne
pas perdre de vue cet axe de recherche afin de produire un « modele de genre » plus equitable.

B. L ES INSUFFISANCES DE L ’ APPROCHE JURIDIQUE

En France, differents modeles se sont succede. En effet, le legislateur, conscient des


consequences sociales vis-a-vis des femmes que ses lois produisaient, a ete contraint de modifier
son approche de l’egalite. Nous pouvons distinguer deux paradigmes, deux logiques differentes :
l’egalite et la protection. Le premier, soucieux de mettre sur un meme plan les hommes et les
femmes vis-a-vis des droits qu’on leur octroie, entre donc en conflit avec le second, qui prefere
s’attacher a la situation reelle des uns et des autres pour en apprehender les difficultes. Le
modele de protection est donc directement fonde sur les caracteristiques sexuees et cree des
disparites directement sources de discriminations 1 . Le modele de l’egalite, au contraire,
interdit toute mesure de rattrapage et tout reequilibrage des situations 2 .

1 J. FUDGE et E. TUCKER, Labour Before the Law : The Regulation of Workers s Collective Action in Canada,
1900-1948, Toronto, Oxford University Press, 2001, p.309
2 ANNE FORREST, Article Connecting Women with Unions : What are the Issues ? , in Industrial Relations,

vol. 56, n°4, 2001, p. 649

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1. La justification des inégalités de traitement par
la protection juridique des femmes

En prenant en consideration les caracteristiques sexuees des uns et des autres, le modele
de protection freine considerablement la recherche de l’egalite reelle a et produit un modele de
genre dans lequel les femmes sont des personnes fragiles a proteger contre les dangers de
l’activite professionnelle b . Le modele ainsi vehicule repose sur une inegalite que le principe
d’egalite devra s’efforcer de combattre.

a. Le principe général d égalité restreint par la protection des « faibles »

La logique française face au genre est toute particuliere. En effet, le genre n’a jamais ete
pense comme objet de reflexion, la pensee juridique française ayant toujours ete guidee par un
principe general d'egalite. La problematique de la prise en consideration du sexe dans la
determination des droits ne s’est donc jamais reellement posee en France, puisque la Declaration
Universelle des Droits de l’(omme de posait le principe selon lequel « les hommes naissent
et demeurent libres et égaux en droit »1. On parlait alors d’un principe d’egalite formelle, devant la
loi.

Pour autant, d'une egalite de principe devant la loi ne decoulait pas forcement une egalite dans la
loi. En effet, dire qu’hommes et femmes sont egaux en droits pose de nombreuses difficultes en
pratique. Si aucune mesure destinee en particulier aux uns ou aux autres ne peut etre adoptee
nous verrons qu’au nom de ce principe d'egalite « devant la loi », le Conseil constitutionnel est
alle jusqu’a refuser le principe des « quotas »2 , on pourrait legitimement penser qu’aucune
mesure destinee a la protection d’une categorie ou d’une autre ne pourrait non plus etre
adoptee. Et pourtant, le nombre de mesures protectrices des femmes s’est multiplie jusqu’au
debut du XXeme siecle, alors qu’aucune protection equivalente n’a ete mise en place pour les
hommes.

Deux poids, deux mesures… (elene Masse Dessen, avocate au Conseil d’Etat et a la Cour de
cassation, a note cette particularite « à la française » de conjugaison de ces deux principes : le
principe d'une loi generale visant l’egalite, associe aux multiples restrictions des droits des
femmes3. )l est alors evident que cette logique juridique d’egalite formelle devant la loi n'a ete

1 DDHC, Article 1er


2 Décision n°2006-533 DC du 16 mars 2006 relative à certaines dispositions de la loi sur l'égalité salariale
entre les femmes et les hommes
3 HELENE MASSE DESSEN, Article « La question du genre en droit social français », in Genre et droit social,

Presses Universitaires de Bordeaux, avril 2008, p.74

27 | P a g e
qu'un artifice, une façade acceptable, la theorie des droits particuliers pour les femmes ayant
affaibli la politique sociale d'egalite.

Pourtant, cette protection ne devait initialement concerner que la maternite, compte tenu
des risques pour l’enfant. Ce type de protection aurait ete tout a fait acceptable ! Mais en realite,
elle a ete un simple pretexte pour « proteger », au-dela de la seule maternite, l'ensemble des
femmes mariees ou non, meres ou non, faibles ou fortes . Et par « protéger », on entend bien sur
« adopter des mesures sexuees ». Le droit social a donc historiquement enferme les femmes dans
un carcan ideologique conservateur, qui a maintenu le statut d'inferiorite de l'activite feminine,
sous pretexte de protection.

En effet, la protection liee a la maternite, aussi justifiee soit-elle, n’a finalement servi qu'a
interdire aux femmes d'exercer une activite professionnelle, ou du moins reduit leur champ
d’activite. Meme quand on prend l’exemple de la protection de la femme enceinte face au
licenciement, on s’aperçoit que la seule sanction prevue etait l’allocation d’une faible somme
d’argent a titre de dommages et interets. La reintegration, qui etait deja prevue pour tous les
autres salaries proteges syndiques, )RP, etc. , n'a ete appliquee aux femmes enceintes qu'en
1. On peut donc clairement parler de protection a deux vitesses.

Mais le droit français est alle plus loin, bien au-dela de la maternite ! On pouvait s'etonner, des
les premieres lois sociales, de voir dans la legislation toute une serie de mesures destinees non
pas a proteger la grossesse, mais a proteger la « faiblesse » des femmes : interdiction du travail de
nuit, limitation de la duree du travail, etc.2. Pire, certaines professions etaient strictement
interdites aux femmes, enceintes ou non interdiction du travail en dessous d'une certaine
temperature, obligation pour les employeurs de leur mettre des sieges a disposition afin qu'elles
puissent s'asseoir dans les magasins, etc. . )l ne s'agissait pas de proteger la femme enceinte, ou
la femme qui revient de conge maternite, mais toutes les femmes. Et comprenons pourquoi : le
travail de nuit est mieux remunere, les travaux « assis » en magasin se cantonnent au travail en
caisse moins bien remunere, etc.

Bien que cette vision semble tres engagee, il nous suffit de constater l'origine de ces
mesures pour s'en convaincre. (elene Masse Dessen note que considerer ces restrictions comme
protectrices des femmes est un raisonnement tout bonnement errone. )l s'agit d'une erreur dans
la culture juridico-historique française que de croire que ces mesures etaient destinees a
reellement proteger les femmes fragiles. La realite reside dans « les revendications masculines
tendant à la protection de l'emploi des hommes ». Rappelons-nous les etudes de Michelle Perrot3,
qui s'interessait aux syndicats professionnels et a leur composition exclusivement masculine.
Comparables au FOM( suisse, ces organisations syndicales ont toujours ete reticentes a l'emploi
des femmes, en vue de la protection de leurs emplois et de leurs secteurs d'activite.

1 Cass. Soc., 30 avril 2003, Bull. 2003 V n°152 p. 149


2 Loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, de filles mineures et des femmes dans les
établissements industriels
3 MICHELLE. PERROT, Les Femmes ou les silences de l'Histoire, Paris, Flammarion, 1998

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On pourrait egalement detailler en quoi l'attribution de conges maternite, d'education aux
seules femmes a renforce la division sexuee du travail et consolide leur role d'educatrices, de
genitrices. Mais le simple fait de mentionner que ces droits n'etaient attribues qu'aux femmes
suffira a nous en convaincre. La logique empruntee etait donc celle du plein emploi masculin.
Empecher les femmes de travailler, ou limiter leur activite, revenait a reduire le chomage en
augmentant le taux d'emplois masculins.

Les logiques sociales françaises de protection ont donc melange deux modeles de genre
egalitaire et protectionniste , et renforce la division sexuee des taches et des roles societaux. Les
droits attribues aux femmes ne sont interessants, dans notre expose, que lorsqu'on adopte une
approche de genre.

En effet, on s’aperçoit alors que la logique française a tres largement confondu les fondements
egalitaire et protecteur de ces droits. On se perd entre protection de la maternite, compensation
des consequences de la maternite, droits derives en consequence du statut de femme mariee, etc.
En droit de la Securite sociale par exemple, les droits des femmes mariees sont tres clairement
des droits accessoires a ceux de leur epoux, comme peuvent l’attester le caractere derive de leurs
droits, les pensions de reversion, la couverture sociale autorisee seulement par l'assurance du
conjoint, etc.

Le droit social français a donc developpe un principe que l'on a vu en Suisse et en Allemagne :
l'idee du non-travail des femmes, ou d'un travail d'appoint. On y constate une faible activite des
femmes, des faibles revenus, et une faible autonomie des femmes au travail, renforcee par le
droit matrimonial.

Qu'on se demande si c'est la situation reelle qui a provoque l'evolution du droit, ou si le


droit a provoque cette situation reelle, revient a se demander qui de l’œuf ou de la poule... Mais
on a pu constater que la politique sociale et la logique juridique ont, en pratique, cree d'autres
inegalites que celles initialement combattues.

En effet, on a pu relever que la discrimination a l'embauche est en partie due au « risque


maternite » et donc provoquee par la protection de la grossesse, cette protection etant assez
importante pour dissuader les employeurs d’embaucher prioritairement des femmes. Mais il y a
egalement le moindre interet a travailler pour les femmes compte tenu des moindres revenus,
l’inutilite d’acquerir des droits propres compte tenu des droits a la securite sociale derives de
ceux du conjoint, l'incitation des femmes et pas des hommes a s'occuper des enfants, etc.

Et, de nos jours, meme si la plupart des mesures directement discriminantes ont, comme nous le
verrons, disparu des textes, il reste un element de « protection » des femmes qui les dessert plus
qu’il ne les protege.

29 | P a g e
b. La protection des mères comme dernier rempart avant l égalité

Nous verrons que le legislateur a ete contraint de modifier sa legislation qui etait
directement source de discriminations. Toutes les mesures fondees sur le sexe ont disparu des
textes1. Pourtant, avant de s’interesser a la nouvelle logique française de « non-discrimination », il
est interessant d’etudier le cas de la protection de la maternite et de ses consequences. Cette
protection, dont personne n’osera contester la legitimite, semble poser plus de problemes
d’inegalites qu’elle n’en resout. )l convient, au prealable, de preciser que par « consequences de
la maternite », nous entendons toutes les responsabilites familiales assignees aux femmes a
cause du modele de « pourvoyeuse de soins » : education des enfants, etc.

)l semble pourtant evident que la maternite doit etre protegee. De meme, les enfants doivent etre
encadres et eduques. Mais si, actuellement, on a conscience de la difference de logique entre
protection de la femme enceinte, et protection de la femme contre le travail de nuit ou le travail
debout, les syndicats n'ont jamais ete d'accord sur ce point. La CGT considerait que supprimer
les mesures protectrices des femmes serait un bon en arriere, puisque proteger les femmes
temoignait de l'avancee de notre civilisation qui se souciait tellement de ses genitrices qu'elle les
protegeait contre toute forme de travail penible. D'autres organisations syndicales pensaient au
contraire que devait primer le principe d'harmonisation dans le progres, compte tenu des
inegalites generees par ces protections et interdictions.

Le debat est donc dense, et un sondage CSA de decembre a d'ailleurs montre qu'a la
question « selon vous, quelles sont aujourd'hui les principales barrières à l'évolution des carrières
des femmes dans les entreprises ? », une majorite de salaries repondaient « les préjugés et
stéréotypes sur le rôle et les capacités des femmes » et/ou « le fait que les femmes aient à gérer des
responsabilités familiales »2.

En effet, statistiquement les femmes restent massivement en charge des taches


domestiques et des soins aux enfants. Et cette division sexuee du travail domestique, provoquee
par le droit, a eu des consequences sociales importantes : temps partiel, interruptions de
carriere, moindres perspectives de profession, moindres salaires, etc. Ainsi, la maternite et ses
consequences education des enfants, etc. etant exclusivement reservees aux femmes, on a pu se
demander si « les enfants [ne sont pas] le dernier rempart avant l'égalité » Dominique Meurs,
Ariane Pailhe et Sophie Ponthieux .

Et pour parler des difficultes vecues par les femmes ayant eu des enfants dans le monde
professionnel, les economistes parlent de « family pay gap »3 ou « écart de salaires dû aux
caractéristiques familiales » . Cette notion permet la comparaison des situations entre plusieurs

1 Loi n°89-488 du 10 juil. 1989 portant sur l'égalité professionnelle des femmes et des hommes, JORF du
14 juillet, p.8871
2 DOMINIQUE MEURS, ARIANE PAILHE et SOPHIE PONTHIEUX, Article « Enfants, interruptions d'activité des

femmes et écart de salaire entre les sexes », in Les discriminations entre les femmes et les hommes, Sciences
Po les Presses, juillet 2011, p.139
3 Idem

30 | P a g e
femmes et non pas par rapport aux hommes ayant ou non des enfants. Ce gap indique que le
fait d'avoir des enfants reduit sensiblement la capacite de gain et explique en partie l'ecart de
salaires entre hommes et femmes.

Toutefois, on constate que le role du droit dans cette « discrimination des mères » est
flagrant. Par exemple, la reforme de l'allocation parentale d'education en 1, permettant aux

parents d’en beneficier des le deuxieme enfant, a occasionne le retrait du marche du travail de
nombreuses jeunes meres et introduit un facteur d'inegalite entre les femmes ayant ou non des
enfants .

Reduire cette discrimination salariale pourrait etre envisageable, mais cela impliquerait une
modification de la norme sociale. Et c'est la tout le role du droit : modifier la norme sociale. Le
role de pourvoyeur de soin ne doit, en effet, plus etre attribue exclusivement aux meres mais
egalement aux peres. Cela demanderait une prise de position et une volonte politique forte
visant a developper un conge parental mieux remunere et dont une partie significative serait
reservee aux peres, pour les inciter a participer aux taches domestiques cf. infra .

Mais cette evolution impliquerait que le droit, apres avoir cree le genre, puisse etre a meme
d’integrer l’approche par le genre. Ainsi, il pourra imposer un nouveau paradigme ou les meres
ne seraient pas assimilees a des pourvoyeuses de soins. C’est d’ailleurs le processus entame par
le droit des le debut du XXeme siecle : supprimer toute mesure sexuee afin non seulement
d’abolir le schema « un pourvoyeur de revenus – un pourvoyeur de soins », mais egalement de
reequilibrer travail domestique et professionnel.

Le paradigme est desormais que travail remunere et travail domestique seront places sur
un meme pied d'egalite. Depuis le er janvier 2, les indemnites journalieres de maternite

sont prises en compte dans le salaire servant de base de calcul du montant de la retraite, a
hauteur de % de leur montant. Les femmes contraintes de s’arreter pendant la grossesse ne
seront plus demunies face au systeme de calcul des retraites. Mais la Caisse nationale
d'assurance vieillesse precise cependant, dans une circulaire du aout 3, que les

indemnites journalieres maternite majorees ne permettront pas la validation de trimestres


d'assurance vieillesse supplementaires.

Le droit, conscient des difficultes rencontrees par les meres-travailleuses, bute encore sur ses
propres contradictions : d'un cote il propose aux meres de compenser leur retraite au vu de leurs
arrets maternite mais sans prendre en compte les conges parentaux... , d'un autre il refuse que
ces arrets permettent une retraite « anticipée »... Cette mesure n'est donc qu'un petit pas pour les
meres, mais un grand pas dans la prise en compte, par le droit, des inegalites systemiques.

1 Decret no - du er septembre relatif a l'allocation parentale d'education et modifiant le code


de la securite sociale, JORF n° du septembre , p.
2 Decret n° - du avril relatif a la prise en compte des indemnites journalieres d'assurance
maternite pour la determination du salaire annuel de base, JORF n° du avril p.
3 CA)SSE NAT)ONALE D'ASSURANCE V)E)LLESSE, Circulaire n° - du aout

31 | P a g e
2. Les différentes acceptions du principe d’égalité

Le principe general d’egalite est donc contraire a la protection de caracteristiques


physiques ou sexuelles. Les fonctions du principe d’egalite ne sont pas la protection : il interdit
tout traitement differencie des situations comparables a . On verra donc que, a cause de ce
principe d’egalite, les mesures de protection qui sont donc un traitement differencie justifie par
la difference des situations et les mesures d’action positive qui visent a retablir l’equilibre
entre deux situations non-comparables sont tres difficilement admises b .

a. L interdiction du traitement inégal de situations comparables

Des le milieu du XXeme siecle, le principe d'egalite s'est revele insuffisant. A tel point que
les grandes mesures protectrices, contradictoires avec l'egalite, ont du disparaître au nom du
meme principe a part la protection de la maternite . On a enfin denonce les effets pervers des
protections qui freinent l’avancee sur le chemin de l'egalite. Ce principe d'egalite a d'ailleurs ete
reaffirme des la redaction du traite de Rome. La France y a fait pression pour proclamer l'egalite
salariale entre hommes et femmes dans l'article . Non pas pour promouvoir l’activite des
femmes, mais pour lutter contre la concurrence des pays voisins a bas salaires feminins.

Le droit a donc evolue pour aboutir a un nouvel modele de genre. Les organisations syndicales
ont egalement lutte contre les inegalites dans les textes, mais parfois seulement pour accorder
aux hommes les memes privileges que ceux accordes aux femmes. On pense par exemple a
l'affaire des primes de creche des peres de la securite sociale1. Mais ces initiatives ont du moins
eu l'avantage de temoigner d'un reel mouvement d'egalisation dans le droit.

Certains parlaient de « réactivation » de l'egalite. Mais cette periode d'egalisation des


droits s'est surtout accompagnee de nouveaux instruments juridiques d'action : les regles
imperatives de non-discrimination accompagnees des premieres sanctions penales. En
complement de la disparition des normes discriminatoires, on offre de nouvelles bases
juridiques et on penalise la discrimination. Le principe de non-discrimination est donc bien le
corollaire du principe general d’egalite.

1 Cass.soc., 27 février 1991, Bull. V, n°101, p.63 : une prime visant à promouvoir l’égalité des chances,
accordée uniquement aux mères n’ayant pas arrêté leur activité qui confiaient donc leurs enfants à la
crèche , a été réclamée par des pères qui n’avaient pas arrêté leur activité mais dont les épouses avaient,
elles, pris un congé pour s’occuper des enfants

32 | P a g e
On cherche a proclamer l'egalite partout, et combattre les discriminations tant qu'on le peut. On
incite meme a la negociation collective en faveur des droits des femmes. )l ne s'agit desormais
plus de se contenter de la proclamation generale de l'egalite, mais bien d'instaurer un nouveau
modele : on abat le paradigme ancestral du non-travail des femmes.

En matiere de discriminations, la logique du droit est innovante. Puisque l'egalite reelle est un
leurre, et que la « protection » a abouti a des derives « masculinistes », on deconstruit peu a peu
ce que le droit avait deja construit et l’on traque les inegalites. C’est dans cette logique que la
(ALDE actuel Defenseur des droits a ete creee par une loi du decembre 1.

Mais la ou la logique française est particuliere, c'est qu'elle a cherche a combattre les
ideologies ancestrales non seulement dans le droit, et a l'aide des nouveaux outils juridiques
antidiscriminatoires, mais aussi et surtout en incitant les partenaires sociaux a faire de l'egalite
hommes/femmes le theme central de negociation.

Ce sujet de negociation a d'ailleurs abouti a une loi n° - du mars sur l'egalite


salariale, qui instaure la mise en place d'instruments de mesure qui doivent etre fournis par les
employeurs. Elle oblige la publication de tableaux selon des criteres preetablis « précis et
pertinents » fixes par decret , qui permettent l'analyse des sources des inegalites. On perçoit
l’intention du legislateur, qui tente de contraindre les entreprises a entamer les negociations : les
articles R. - et R. - du Code du travail ajoutent ce theme a la NAO, et la possibilite
d'extension ministerielle d'une convention collective est desormais soumise a une negociation
sur « la suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes ».

Cette technique laisse cependant dubitatif. Tout d'abord, la sanction en cas d’absence de
negociation n’est pas lourde2 : amende pecuniaire instauree seulement en 3 que les

entreprises preferent parfois payer et delit penal d’entrave meme remarque . De plus, ces
sanctions ne sont prevues qu’en cas d’absence de negociation, et non pas en cas d’absence
d’accord. En effet, le refus de negocier est sanctionnable, alors que la negociation qui a ete
simplement entamee mais qui n’a pas abouti est autorisee. L’employeur devra, dans ce dernier
cas, etablir lui-meme un plan d’action, sans aucune participation des organisations syndicales,
peu important qu’elles s’y soient opposees ou non.

Enfin, quelle utilite de simplement rendre transparentes les inegalites ? En effet, on ne cherche
pas a abolir la discrimination dans les faits, mais simplement a comprendre d’ou elle est issue.
Les obligations touchant a cette negociation collective portent sur des objectifs chiffres par
exemple : « embaucher 5 hommes et femmes » , les moyens d’y parvenir, et les indicateurs
permettant de cibler les inegalites. Mais aucune sanction n’est prevue si, a terme, les objectifs
fixes ne sont pas atteints ! Ce faisant, on ne cherche pas a abolir les inegalites, mais simplement a
les rendre transparentes en les « pointant du doigt » cf. infra .

1 Loi n° - du decembre portant creation de la haute autorite de lutte contre les


discriminations et pour l'egalite
2 Décret n°2012-1408 du 18 décembre 2012 relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises

pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes JO du , et Circulaire du octobre
2011 relative à la mise en œuvre du dispositif de pénalité financière en matière d’égalité professionnelle
entre les femmes et les hommes
3 Idem

33 | P a g e
Ont donc ete mis en place d’autres moyens d’actions, pour lutter contre les inegalites et leurs
sources, mais aussi pour compenser les effets de la discrimination. S’il est interdit de traiter
differemment deux personnes aux situations comparables, il est cependant autorise de traiter
differemment deux personnes aux situations non-comparables. Cette « comparabilite » des
situations est la l’axe central de notre prochain developpement.

b. Le possible traitement inégal des situations non-comparables

Les inegalites persistent malgre les outils juridiques mis en place. Mais il ne s'agit
desormais plus d'inegalites flagrantes, discriminatoires, mais d'inegalites institutionnalisees, ou
« systémiques ». Dorenavant, la situation s'enlise dans une sorte de « cercle vicieux »1. En effet, si
les femmes sont moins bien remunerees, elles accepteront plus facilement de cesser leur travail.
De meme, si les revenus de remplacement sont assis sur la remuneration d'activite, l'effet en sera
renforce. Les difficultes sont donc flagrantes au niveau du calcul des retraites, au niveau du
recrutement, etc.

L'egalisation reelle semble donc bien lointaine. D'autant que l'egalisation formelle, telle que
pratiquee actuellement interdiction des discriminations , pose plus de problemes qu'elle n'en
resout : harmonise-t-on par le haut ou par le bas ? En effet, l'egalite dans le droit n'a fait que
donner aux femmes des droits non-appliques egal acces a l'emploi, egale repartition des taches,
egale remuneration, etc. et a supprime les quelques mesures protectrices dont les meres
beneficiaient au lieu d'en faire profiter les peres meritants . Sous pretexte d’un principe
d’egalite, on prive les femmes et les meres de certains avantages visant a compenser les
desequilibres de carrieres qu’elles ont subies…

Par exemple, un arret de la CJCE a condamne un avantage octroye uniquement aux meres afin
de compenser le desequilibre de carriere qu’elles subissaient a cause de l’education de leurs
enfants parce qu’il n’y avait aucune raison objective de ne pas en faire beneficier les peres2. La
raison, pourtant, etait que les meres avaient longuement interrompues leurs carrieres… En
l'espece, un magistrat pere de trois enfants contestait le mode de calcul de sa pension au regard
des bonifications accordees aux meres seulement. L'issue aurait pu etre egalitaire : peres et
meres auraient pu en beneficier. Mais l'issue reelle n'est pas celle qui etait attendue, on a prefere
supprimer ce droit pour les meres, pour ne pas leser les peres... Le Conseil d'Orientation des
Retraites COR s'est d’ailleurs penche sur la question, mais rien n'en a encore abouti...

Le debat s'est alors relance sur deux points qui pourraient permettre au droit de provoquer
l'egalite reelle : l’interdiction des discriminations indirectes, et le recours aux mesures d'action
positive egalement nommees « discriminations positives » ou « discriminations à l'envers » .

1 ELEONORE LEPINARD, L égalité introuvable : la parité, les féministes et la République, Sciences Po les Presses,
2007
2 CJCE, 29 nov. 2001, Griesmar, aff. 366/99

34 | P a g e
La premiere avancee resulte de la loi - du mai 1 qui pose une nouvelle

definition de la discrimination, en plaçant en son centre le « traitement défavorable » fonde sur


un motif prohibe. Le texte oblige a une immersion concrete dans les faits pour caracteriser
l'existence ou non d'un traitement defavorable, sa nature et son origine. L'intention de l'auteur
importe peu ! Ce qui compte desormais, c'est d'etre, d'avoir ete, ou de courir le risque d'etre
traite defavorablement en comparaison d'un autre individu place dans une situation comparable.
Le « défavorable » et le « comparable » sont donc au cœur du raisonnement.

On admet qu'un desavantage puisse affecter des personnes par rapport a d'autres sur la base
d'un critere neutre en apparence non lie au sexe . A travers cette definition art. de la loi , on
reconnaît que la discrimination peut se nicher partout, et meme dans des instruments de
gestion. Elle peut donc affecter des personnes des lors qu'elles sont membres d'un groupe, et pas
simplement prises individuellement. Comme le releve Annie Junter, « si toutes les inégalités entre
les femmes et les hommes ne sont pas des discriminations, il n'en demeure pas moins que la
définition de la discrimination indirecte favorise la plongée dans les inégalités de fait pour y
débusquer les éventuels effets discriminatoires »2.

Ce changement de paradigme est total ! Annie Junter parle de « transformation de la grammaire


juridique française » : on passe de discrimination sexuelle a discrimination sexiste ce dernier
terme englobant la discrimination indirecte . Mais on ne peut que deplorer que cette evolution
se soit faite seulement sous la pression communautaire ce que nous verrons plus tard , et que la
jurisprudence française soit aussi reticente a l'admettre.

En effet, les magistrats de la Cour de cassation considerent generalement qu'il n'y a pas
de discrimination indirecte des lors que « n'effectuent pas un travail de valeur égale des salariés
qui exercent des fonctions différentes »3. Bien evidemment, une directrice des ressources
humaines n'effectue pas la meme profession qu'un directeur financier ! C'est la definition meme
de sa fiche de poste qui le veut. Mais ces fonctions ne sont-elles pas « comparables » au sens de
l'effet utile voulu par la definition de la discrimination indirecte ? Le souhait du legislateur
n'etait-il pas d'englober les professions qui sont au meme niveau hierarchique, qui exigent le
meme niveau de diplomes, qui relevent de la meme classification, etc. ?

C'est la tout le probleme de la « comparabilite » de la situation a prendre en compte. Et la CJCE a


eu l'occasion de le mettre en exergue en considerant que si on avait exige des situations
« identiques », on n'aurait pas utilise le terme de situations « comparables »... La CJCE invite
d’ailleurs regulierement les juges français a entrer dans le processus de comparaison de la valeur
egale des fonctions, en se fondant sur les activites telles qu'elles sont effectivement exercees4.

On constate depuis une tres nette progression de cette idee. Ainsi, le droit et ensuite les

1 JO du 28 mai 2008, p.8801


2 ANNIE JUNTER et CAROLINE RESSOT, Article « La discrimination sexiste : les regards du droit », in Les
discriminations entre les hommes et les femmes, Sciences Po. Les Presses, 2011, p.101
3 Cass.soc., 26 juin 2008, Société Sermo Montaigu contre Jany Fornassier, Droit social 2008, p.15-18
4 CJCE, Enderby 1993, aff. C-127/92 ; CJCE, Brunnhofer, 26 juin 2001, aff. C-381/99

35 | P a g e
juridictions ont pu concourir a la creation d’un nouveau paradigme. Deux affaires : CA Paris,
nov. 1 et CA Paris, mai . Ces deux arrets ont ete rendus sous la pression de la (ALDE
et ils attestent enfin d’une nouvelle approche par les juges de la situation. Les juges s'appuient
sur les deliberations de la (ALDE, sur l'avis de l’inspecteur du travail, et sur le caractere
systemique des inegalites. Leur approche est donc nouvelle en ce qu’ils ne se limitent plus aux
differences entre deux fonctions : ils vont rechercher directement dans les faits, si les situations
« inegales » ne sont quand meme pas « comparables ». )ls se placent donc completement dans
l'enjeu principal qu'est la mise en œuvre concrete de l'egalite entre femmes et hommes, a partir
d'une reconnaissance rigoureuse et precise des discriminations sexistes.

Le second debat est celui de l'action positive. )l s'agit de donner des droits differents au
groupe defavorise afin de promouvoir l'egalite reelle. On retrouve parfois le terme « egalite des
chances », pour illustrer le principe par lequel on redonne les memes chances a tous on peut
comparer ce principe au « handicap » que l’on octroie a certains sportifs defavorises, comme par
exemple un temps supplementaire . On s'eloigne tres sensiblement de la tradition française des
droits identiques pour tous et de la tradition suivante des droits non-discriminatoires . On y
distingue mal les mesures de protection, qu'on a essaye de combattre, et les mesures d'action
positives permettant non pas de proteger mais de provoquer l'egalite a plus long terme.

La necessite de telles actions semble pourtant evidente puisqu'on a constate l'insuffisance des
principes d'egalite et de non-discrimination. )l convient d'ailleurs de preciser que l'action
positive est definie comme des mesures temporaires et spéciales visant a compenser le
desavantage subi par un groupe. A l’inverse, les mesures definitives, contraires au principe
republicain d'egalite, sont bien eloignees de la discrimination positive, ce que ne sont pas les
mesures simplement temporaires2.

En droit, ces mesures positives sont essentiellement des quotas dans les jurys de la fonction
publique par exemple . D'ailleurs, la loi precitee de sur l'egalite salariale, prevoyait a titre
provisoire le temps d’aboutir a ce quota un nombre de femmes a atteindre au sein du
« government » des societes, au sein des comites d'entreprise, parmi les delegues du personnel,
dans les listes de candidats aux elections prud'homales, aux organismes paritaires de la fonction
publique, etc. Bien entendu, la Conseil constitutionnel n'a pas accepte de telles mesures3...
Pourtant ces mesures etaient temporaires, et donc non-contraires au principe constitutionnel
d’egalite… La difficulte tient donc a la nature temporaire ou non des mesures, et c’est la que la
plupart des juristes se perdent : les mesures provisoires ne sont pas contraires au principe
d’egalite, il faut donc bien clairement les distinguer des mesures non-provisoires qui, elles, sont
contraires au principe d’egalite.

Le debat est virulent. Mais le role du juriste est de differencier l'action positive des autres

1 Bastien contre ABI, Le Droit ouvrier, mars 2009, p.135-139


2 ELEONORE LEPINARD, L égalité introuvable : la parité, les féministes et la République, Sciences Po les Presses,
2007
3 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision n°2006-533 DC du 16 mars 2006 relative à certaines dispositions de la

loi sur l'égalité salariale entre les femmes et les hommes

36 | P a g e
mesures. L'action positive est temporaire et tend a l'egalite des chances. A l'inverse, la recherche
constante d'une egalite statistique avec pour seul critere le sexe est un tout autre debat. Les
quotas sont, selon nous, dans la seconde categorie, des lors qu’elles ne sont pas a duree
determinee le temps d’aboutir a une egalite . Des lors, elles doivent etre declarees
inconstitutionnelles.

Nous verrons d'ailleurs que le droit international et communautaire pousse les Etats a adopter
de telles mesures comme moyens a mettre en œuvre pour parvenir a une egalite reelle. Et meme
le Conseil constitutionnel1, pourtant refractaire a ces actions positives, a rappele que « le principe
d'égalité s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à
ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d intérêt général ». )l a egalement ete suivi par le
Conseil d'Etat2 qui accepte les distinctions legitimes, poursuivant un objectif d'interet public et
dont les moyens sont proportionnes au but poursuivi.

Aucun obstacle juridique n'existe donc plus contre les mesures d'action positive, pourtant
largement controversees. )l suffit que les mesures soient speciales3 et temporaires4. La reforme
constitutionnelle - du juillet et l'adoption de la loi relative a la representation
equilibree des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance et
a l'egalite professionnelle5, marquent la determination du droit français dans la lutte pour
l'egalite et l'abolition de toute discrimination « injustifiée ».

Clairement, les evolutions du droit social français ont marque les differentes logiques
poursuivies et ont montre chaque incoherence et chaque carence du systeme. Le droit a produit,
par l'application concrete de ses mesures, les inegalites sociales entre hommes et femmes.
Pourtant il a tente de reagir, en passant d'une logique d'egalite avec protection des femmes, a une
logique d'egalite avec interdiction de toute discrimination. Le mouvement entame actuellement
est legerement different : une logique d'egalite avec interdiction de toute discrimination meme
non-fondee sur un critere protege indirecte , et avec possibilite d'action positive.

Mais la France n’est pas encore au bout du chemin. Le droit devra concourir directement a
l’egalite reelle en participant a l’evolution des mœurs. On pense notamment a la participation du
droit a une meilleure repartition des taches professionnelles, menageres, familiales, etc. en
favorisant, par exemple, la conciliation entre vie privee et vie professionnelle. Pour ce faire, il est
imperatif de s’adapter a la societe, tout comme la societe est elle-meme façonnee par le droit.

1 CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision 2007-557 DC du 15 novembre 2007


2 CE, 30 nov. 2001, n°212179
3 Prises dans la perspective de la réalisation d'un objectif déterminé et précis, en l’occurrence

l'instauration d'une égalité de fait


4 COMITE CEDAW/CEDEF, Recommandation générale 25, 30ème session, 2004, Rapport du Comité,

A/59/38
5 Adoptée par le Parlement en première lecture le 20 janvier 2010 (proposition de loi n°2140)

37 | P a g e
II. LE DRO)T PRODU)T PAR LE GENRE

En constatant que le droit pouvait véhiculer un modèle précis de rapports sociaux de sexe,
en prônant par exemple un modèle de la femme au foyer, ou un modèle de la femme active, nous
avons pu voir qu’il façonnait ainsi la société à l’image de ce modèle. Ce faisant, compte tenu des
évolutions des mentalités et des mœurs, mais également des avancées sociologiques, il peut être
intéressant d’imaginer une évolution du droit grâce à une approche par le genre. Le droit,
s’adaptant aux évolutions de la société, produirait alors un nouveau modèle, un nouveau
paradigme en adéquation avec son temps.

Nous étudierons donc comment le droit social a pu évoluer et être façonné par le genre. Tout
d’abord, la prise en compte des nouveaux modes de pensées et des revendications féministes ont
permis de nombreuses réformes au niveau international. En effet, c’est au niveau des instances
supranationales que se créent les grands principes juridiques qui guideront notre étude (A).

Ces nouveaux principes, qui ont partiellement fondé notre législation actuelle, nous permettront
alors de proposer quelques pistes de réflexion afin de parvenir à une égalité réelle (B). Ces
pistes ont été recueillies auprès de différents auteurs, et discutées avec des professionnels du
genre lors d’entretiens « informels ». En sociologie, ce type d’entretien correspond à une
conversation sans grille ou questionnaire, et sans trace écrite. )l s’agit d’un échange verbal de
visuel, au téléphone ou par visioconférence qui permet aux intéressés de discuter d’un thème
sans être engagés par chaque mot, sans être enregistrés, et sans être retranscrits ou cités. De tels
entretiens nous ont donc permis d’échanger en toute liberté avec de grands professionnels des
questions de genre, dont notamment Annie Junter, Christine Delphy, Marie-Xavière Catto, et
Marie Buscatto. Ces professionnels, ne craignant pas d’être cités, ont pu vulgariser le sujet du
genre, nous apportant ainsi une aide précieuse que la simple lecture d’un ouvrage ne nous aurait
pas prodiguée.

A. L E « LABORATOIRE » DU DROIT DE LA NON -


DISCRIMINATION

Le droit international et européen de l’égalité et de la non-discrimination intègre


progressivement les questions de genre. Ces évolutions sont permises à travers, notamment,
l’implication grandissante des groupes de pensées féministes, dont l’écoute permet une
adaptation du droit aux questions posées par le genre (1). En parallèle, les partenaires sociaux
européens ont également un rôle accru dans l’élaboration des règles et dans la diffusion de la
doctrine sociale européenne (2).

38 | P a g e
1. La prise en compte du genre dans le droit
international et européen

Le droit international et européen est original en ce qu’il s’adapte constamment aux


évolutions constatées au sein des Etats membres et des groupes de pensées féministes (a). Ainsi,
en prêtant l’oreille aux auteurs spécialistes du genre, il adapte ses grands principes et permet
ensuite, par sa diffusion aux Etats membres, l’évolution des différents droits nationaux b).

a. La participation des lobbys de pression féministes à la création du droit

Les instances supra nationales, qu’il s’agisse de l’ONU, du Conseil de l’Europe, ou de l’O)T,
modelent nos grands principes juridiques et sont a l’origine de la majorite de nos reformes
nationales. Annie Junter les qualifie de « laboratoire du droit de la non-discrimination » 1. L’etude
du droit international est donc particulierement interessante puisqu’elle nous revele la « force
créatrice » de ces institutions. Selon le doyen G. Ripert, on ne peut pas empecher que le droit
positif soit momentanement injuste, mais on peut alerter les « forces créatrices du droit » en vue
de reparer ces atteintes a la justice. Selon lui, « le pouvoir politique qui assume cette tâche
[d’ordonner l’ensemble des rapports sociaux] aurait tout à gagner à s appuyer sur les préceptes
de la morale et par suite à développer l éducation morale du peuple »2. « Alerter les forces
creatrices du droit », c’est exactement le but des lobbys de pression feministes.

Les adaptations du droit international sont donc provoquées en grande partie par les évolutions
des modes de pensées, et l’écoute des revendications notamment féministes. Ainsi, la
reconnaissance internationale du principe de non-discrimination (égalité formelle) a été le fruit
de militantes féministes (notamment Minerva Bernardino, Virginia Gildersleeve, Bertha Lutz et
Wu Yi Fang)3 qui l’ont fait inscrire dans le Préambule de la Charte des Nations Unies. Cette
Charte étant l’un de nos engagements internationaux, dès lors que nous l’avions ratifiée nous en
acceptions les règles juridiques. Ce principe était donc à l’époque reconnu comme une norme
impérative de droit international général, une norme acceptée et reconnue par chaque Etat

1 ANNIE JUNTER et CAROLINE RESSOT, Article « La discrimination sexiste : les regards du droit », in Les
discriminations entre les hommes et les femmes, Sciences Po. Les Presses, 2011, p.91
2 G. RIPERT, « Les forces créatrices du droit », in La Revue internationale de droit comparé, Vol.7 n°4,

Octobre-décembre 1955, pp.877-878


3 H. PIETILÄ, Engendering the Global Agenda, Service de la liaison non-gouvernementale des Nations Unies,

Genève, 2002

39 | P a g e
membre : un jus congens1. Geneviève Pignarre relève, à propos de la participation de forces
« extérieures » à la création du droit, que des « règles nouvelles apparaissent, le droit n'étant plus
seulement édicté mais aussi régulé ; les frontières éclatent du fait de l'avènement de nouveaux
ordres juridiques ; la pensée même des auteurs est chamboulée. Au sein de cet ensemble composite
et face à ces forces qui surgissent de partout, le dernier mot revient, sans doute, à la doctrine pour
comprendre ces transformations que le temps et la société nous infligent. »2

La prise en compte des revendications feministes est donc justifiee dans l’adaptation de la norme
juridique puisque celle-ci n’est pas figee : elle est, selon Ripert, un « traité de paix entre des forces
contraires ». Elle doit donc constamment s’adapter et evoluer a la societe et a ces changements.
En faisant valoir leurs idees aupres des instances supranationales ONU, O)T, etc. , les
theoriciennes du genre ont donc pu participer a cette evolution du droit supranational et, ce
faisant, a l’evolution du jus cogens.

C’est ainsi que des avancees feministes ont pu etre diffusees au sein de chaque Etat
membre. Mais ces revendications elles-memes ont evolue au cours des epoques, puisque la
societe en elle-meme n’est pas figee. On distingue donc plusieurs mouvements, plusieurs
modelages chronologiques du droit de l'egalite. Comme en France, le principe regissant
initialement le droit international etait celui d’egalite formelle, remontant a la creation de l’ONU.
En , il s'agissait d’une egalite « devant » la loi formelle . Ce principe a evolue, compte tenu
des mentalites, vers une egalite des chances, une egalite « dans » la loi. Puis enfin vers une egalite
substantielle, ou reelle, une egalite « par » la loi !

)nitialement, le principe d’egalite devant la loi de l’ONU etait deja assorti de l’interdiction des
discriminations. Ce principe de non-discrimination n’etait alors pas susceptible de derogations.
Toute distinction operee en raison du sexe etant consideree immediatement comme
discriminatoire. Pourtant, la Convention europeenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertes fondamentales, adoptee par le Conseil de l'Europe en , soit quatre ans apres, a
autorise les Etats membres a operer des distinctions en raison du sexe, a conditions qu'elles
soient legitimes et proportionnees. En effet, il etait quasiment impossible d’abolir toute
differenciation de traitement entre deux individus des lors que l’un d’eux presentait un critere
protege. On pense notamment aux mannequins, qui sont recherches specialement pour des
attributs physiques evidents : leur sexe, leur couleur de yeux, de cheveux, etc. Des lors, le choix
opere par une agence de recrutement de mannequins, ou d’acteurs, s’operait sur la base d’un
critere protege ! La norme a donc du etre adaptee encore une fois compte tenu des besoins
societaux.

Mais, des lors, il est difficile de reconnaître la dimension universelle d'un principe de non-
discrimination si des derogations peuvent etre prevues par le droit d'une autre instance. Mais en

1 Le jus cogens regroupe les normes impératives de droit international général. Cette notion est définie par
la Convention de Vienne du 23 mai 1969, dans son article 53 : « Aux fins de la présente Convention, une
norme impérative de droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté
internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et
qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même
caractère. »
2 GENEVIEVE PIGNARRE (dir.), Forces subversives et forces créatrices en droit des obligations : Rétrospective et

perspectives à l heure du Bicentenaire du Code civil, Dalloz, Thèmes et commentaires, mai 2005

40 | P a g e
meme temps, autoriser des derogations au principe d'egalite permet egalement, comme nous
l'avons vu, de reequilibrer les situations des uns et des autres par l'adoption de mesures d'action
positive. Comme on ne peut pas interdire toute distinction fondee sur un critere protege, la
norme a du etre adaptee afin de pouvoir differencier les personnes aux situations non-
comparables, ou lorsque cette differenciation est justifiee et proportionnee. )l peut aussi etre
interessant de se demander si l’autorisation des mesures d’action positive n’entre pas egalement
dans cette categorie des differenciations justifiees et proportionnees : elles sont justifiees par la
necessite de redonner les memes chances a des individus en situation non-comparable, et elles
sont proportionnees car temporaires et limitees a ce reequilibrage.

La non-discrimination sexiste a donc du etre prise en compte par le developpement du


principe de l’egalite des chances des que l'approche de l'egalite face au droit ne rendait pas
possible l'egalite dans le droit. Ce mouvement est, encore une fois, issu de groupes de pression
lobbys feministes britanniques, pour lesquels la prise en compte des differences de situation
des femmes et des hommes devait se faire dans le droit, afin de reequilibrer leur statut de groupe
« opprimé », on parle de reequilibrage des chances.

Cependant, il est difficile de retrouver les traces des pressions feministes, comme pour chaque
lobby. Mais a travers l’etude de quelques mesures pronant l’egalite des chances, il est possible de
percevoir le fondement de l’approche par le genre. On peut citer la Convention C. de l'O)T de
, ratifiee par la France le mars , qui demande aux Etats de recourir a « tous moyens
appropriés pour assurer l'application d'une égalité de rémunération sans discrimination fondée sur
le sexe ». Ce faisant, on force les Etats a tout mettre en œuvre pour que les hommes et les femmes
aient des le depart les memes « chances ». On peut egalement citer la Convention C. de l'O)T
de , ratifiee par la France le mai , qui exige egalement tout moyen pour donner les
« mêmes chances » aux deux sexes pour acceder a l’egalite formelle.

Permettre aux Etats membres de prendre des actions positives atteste donc de la prise en
compte de ce statut d’« opprime » des femmes. Mais, pour autant, ça ne signifie pas reconnaître
explicitement que les inegalites sociales sont institutionnalisees. En effet, Annie Junter releve
que cette evolution ne temoigne pas encore d'une prise de conscience reelle de l'aspect
systemique des discriminations, des lors que les rapports sociaux de sexe etaient encore
meconnus. Selon elle, le « point d'orgue » de l'evolution de la legislation internationale vers
l'egalite substantielle ou reelle , tient a la Convention CEDAW/CEDEF sur l'elimination de toutes
les formes de discrimination a l'egard des femmes1. Cette convention atteste de la
reconnaissance du caractere systemique des discriminations et, des lors, elle demontre la prise
en compte par les instances supranationales de l’approche par le genre, encore une fois sous la
pression d'ONG feministes. Cette convention dispose, en effet, que :

« L'expression ''discrimination à l'égard des femmes'' vise toute distinction, exclusion ou restriction
fondée sur le sexe qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la
jouissance ou l'exercice par les femmes, quel que soit leur état matrimonial, sur la base de l'égalité

1 Adoptée par l’ONU le décembre et ratifiée par la France le décembre

41 | P a g e
de l'homme et de la femme, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les domaines
politique, économique, social, culturel et civil ou dans tout autre domaine. »

La prise en compte des discriminations doit donc se faire in concreto, au sein de chaque mesure
ou distinction fondée sur le sexe (on pense notamment aux règles de protection déjà étudiées).
La notion d'« action positive » (dont nous avons déjà parlé et qui illustre l'expression de « tous
moyens appropriés » exigés de la part des États membres) est également prévue aux articles 2 et
3, qui incitent les États à prendre encore « toute mesure » pour parvenir à l'égalité, et notamment
des mesures temporaires spéciales qui ne seront pas considérées comme des discriminations
puisque orientées en faveur du groupe défavorisé. Les experts du Comité CEDAW/CEDEF ont
même considéré que ces mesures d'action positive ne sont pas une simple exception aux règles
de la non-discrimination, mais qu'elles sont bien un moyen d'instaurer l'égalité réelle1 !

b. La diffusion par les instances supranationales d une approche par le


genre

De maniere encore plus significative, ces experts du Comite exigent qu'avant de mettre en
place ces mesures d'action positive, on « envisage la vie des femmes … dans leur contexte »2.
Envisager la situation des femmes en se mettant a leur place, et en prenant en compte la
discrimination qui a ete presque « naturalisée » et institutionnalisee, c'est adopter une approche
de genre ! Si meme les experts du Comite CEDAW/CEDEF adoptent une approche de genre dans
les annees , et exigent des Etats d'adopter la meme approche afin de prendre des mesures
de « discrimination positive » pour reequilibrer la balance, c'est que la notion a commence a
marquer les esprits...

Et le Comite CEDAW/CEDEF a pour role de sensibiliser les Etats parties a la Convention


CEDAW/CEDEF. Son role ne se place donc plus en amont de la construction de la regle de droit,
mais bien en aval, dans la diffusion et l’explication de ses principes. On peut citer la Conference
mondiale sur les femmes de Beijing, qui remonte a , et qui a egalement axe sa demarche sur
la sensibilisation des Etats a l'adoption d'une approche « sexospécifique », lors de l'elaboration
des lois nationales. On demande aux Etats d'adapter leur legislation au public vise ! On change
donc totalement de cap : on ne souhaite plus provoquer l'egalite en restant le plus neutre
possible, on provoque l'egalite en prenant en compte le sexe d'un individu afin de retablir les
chances qu'il aurait du avoir en appartenant a l'autre sexe.

Le dernier mouvement est le plus controversé. En effet, dès le Traité de Rome de 1957,
on s'aperçoit que l'interdiction des discriminations est préférée au principe d'égalité. Mais c'est
parce que selon Annie Junter, l'égalité de traitement n'est pas un principe absolu, ce n'est qu'un

1 §14 de la Recommandation générale 25 de la trentième session, Rapport du Comité, 2004, A/59/38


2 Idem

42 | P a g e
objectif à atteindre, une ligne directrice. Et cet objectif ne pourrait être atteint que par des
interdictions des discriminations et des obligations de tout mettre en œuvre pour atteindre
l'égalité, donc par discrimination positive). Elle dit d'ailleurs que « l'égalité est constituée par
l'absence de discrimination »1.

Nous ne pouvons cependant qu'émettre certaines réserves quant à ce raisonnement. Puisqu'il a


été constaté que les mesures d'action positive étaient obligatoires pour parvenir à une égalité
réelle, ce n'est pas « l'absence de discrimination » mais bien « l’inversement » des
discriminations, qui nous permettra de constituer l'égalité. En abolissant simplement toute
forme de discrimination, nous atteindrons l'égalité dans la loi, l'égalité formelle ! Et nous avons
déjà soulevé les difficultés d'un tel principe... Ce n'est pas l'égalité dans la loi que nous voulons
atteindre, bien l'égalité par la loi, une loi discriminante du groupe dit « dominant » en faveur du
groupe dit « opprimé ».

Ce dernier raisonnement est d'ailleurs suivi par les dernières directives du Conseil, et
notamment la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006.
Notons son appellation : « directive refonte », parce qu'elle reprend les avancées de la doctrine et
de la jurisprudence de la CJCE (notamment l'arrêt Jenkins contre Kingsgate du 30 mars 1981,
affaire 96/80). Elle prend donc acte des avancées féministes qui sont remontées jusqu'au
Conseil. Encore une fois, le genre a permis l'évolution du droit. Annie Junter reconnaît d'ailleurs
que cette directive marque la prise en compte du caractère systémique des discriminations,
appelé en droit « l'approche intégrée de l'égalité ».

Le droit antidiscriminatoire a donc été très fortement influencé par cette vision fondée sur les
rapports sociaux de sexe, et on l'a vu rejaillir dans les conférences de l'ONU (celle de Beijing
notamment), dans les rapports du Conseil de l'Europe2, et dans ceux de l'Union Européenne3.

On pourra enfin expliquer que l'approche par le genre a modifié en amont l'adoption des grands
principes, et leur évolution, mais qu'elle guide également en aval les instances juridictionnelles !
La CJUE elle-même est fortement influencée par les juristes féministes4, et notamment
francophones. Celles-ci, avocates et/ou membres de la doctrine francophone, ont permis de faire
entendre leurs idées au sein de la CJCE en critiquant l’application qu’elle faisait des principes
juridiques internationaux, et en proposant une nouvelle approche. Certains parlent même de
« jurisprudence féministe », puisque le raisonnement adopté consiste en une prise en compte des
expériences des femmes comme base de réflexion, pour vérifier s'il y a bien concordance entre
loi et situations vécues. En effet, on part du principe que les femmes ne sont pas discriminées en
raison de leur sexe, mais à cause des rapports sociaux de sexe que le droit lui-même est venu
poser. L'OMS et l'UNICEF parlent d'ailleurs de « discrimination sexiste »... Ce changement de
vocabulaire illustre bien l'influence des modes de pensées féministes (ou simplement
sociologiques), qui ont modelé le droit international et, ce faisant, notre droit.

1 ANNIE JUNTER et CAROLINE RESSOT, op.cit., p.95


2 CONSEIL DE L'EUROPE, DIRECTION GENERALE DES DROITS DE L'HOMME, L'approche intégrée de l'égalité entre les
femmes et les hommes – Cadre conceptuel, méthodologie et présentation des « bonnes pratiques » – Rapport
final d'activités du Groupe de spécialistes pour une approche intégrée de l'égalité, Strasbourg, 2004, EG-S-
MS (98) 2 rev.
3 UNION EUROPEENNE, Stratégie-cadre pour la non-discrimination et l'égalité des chances pour tous, Bruxelles,

le 1er juin 2005, COM (2005) 224 final


4 Notamment Michelle Boivin, Louise Langevin, Nathalie des Rosiers, Jennifer Stoddart et Ann Robinson

43 | P a g e
Mais le droit de la non-discrimination n'est pas le seul axe en cause. Un autre terrain,
moins juridico-social, est influencé par les études de genre. Il s'agit du droit de la conciliation
entre la vie professionnelle, la vie privée, et la vie familiale, dont l'approche de l'Union
Européenne est tout originale1. La ligne directrice n°18 de la résolution du Conseil sur la
stratégie de Lisbonne met en avant une approche de la vie professionnelle fondée sur le cycle de
vie2. )l s’agit de repenser l’organisation et la durée du travail en fonction des besoins et des
envies de chacun, qui évoluent nécessairement en fonction de l’âge. Un jeune qui entre dans la
vie active n’aura pas les mêmes besoins qu’un jeune père de famille, ou une mère de trois
enfants approchant de la retraite. Les besoins en termes de disponibilité spatiale et temporelle
sont donc à prendre en compte par les Etats membres, ce qu’impose le Conseil.

Le Conseil de l'UE réitère constamment l'importance de la prise en compte des sujets relatifs au
genre dans la stratégie post-Lisbonne. Selon lui, ces objectifs résident dans plusieurs champs
d’intervention : les gardes d'enfants, les services de soins pour les personnes dépendantes, et les
mesures pour encourager un partage plus équitable des responsabilités familiales3.

Une approche par le genre de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle est également
recommandée dans le Pacte pour l'égalité entre les femmes et les hommes de mars 20064, qui
propose entre autres des droits neutres pour les femmes et hommes, et non pas une approche
qui renforce la protection des femmes plus que nécessaire.

Mais la Commission note cependant dans ses rapports sur l'application de la stratégie de
Lisbonne que très peu d’États ont adopté une approche fondée sur les cycles de vie. Dès lors, une
analyse de la prise en compte par les Etats de cette approche de la conciliation entre vie privée
et vie professionnelle, en se fondant sur le cycle de vie, semble difficile.

Néanmoins, nous envisagerons plus loin, dans nos derniers développements, ce qu’impliquerait
une telle approche et comment elle est perceptible dans la législation actuelle. Cette approche
impliquerait en effet la création de mécanismes d'articulation du temps de travail durant les
différents cycles de vie, en fonction des besoins des salariés. Les transitions entre marché du
travail, chômage, formation et éducation des enfants seraient alors facilitées. On pense
notamment au compte-épargne temps à la française5 et à l’obligation de l’employeur d’accepter
une demande de congé parental en temps partiel6 (cf. infra).

1 SUSANNE BURRI, La conciliation de la vie professionnelle, privée et familiale, l'approche juridique de l'Union

Européenne, in Les discriminations entre les femmes et les hommes, Sciences Po les Presses, juillet 2011
2 Décision 2005/600/CE, JO 2005, L 205/21
3 2980TH COUNCIL MEETING, Employment, Social Policy, Health and Consumer Affairs, Press Release, Bruxelles,

30 novembre – 1er décembre 2009


4 Conclusions de la Présidence, Conseil européen de Bruxelles des 23 et 24 mars 2006, Annexe II
5 Articles L.3151-1 à L.3154-3 et D.3154-1 à D.3154-6 du Code du travail
6 Articles L.1225-47 à L.1225-60 et R.1225-12 à R.1225-13 du Code du travail

44 | P a g e
2. L'importance du dialogue social communautaire

Tout comme le « legislateur » europeen, les partenaires sociaux developpent leur action sur deux
points. Tout d’abord, ils participent a l’elaboration des regles de droit, et donc a leur adaptation
au genre a . Ensuite, ils permettent leur diffusion aux Etats membres, aux entreprises, et aux
partenaires sociaux aux differents niveaux de negociation international, national, etc. b .

a. La prise en compte par les partenaires sociaux européens de l approche


par le genre

Le genre est devenu une priorite pour le mouvement syndical europeen. )l contribue a la
sensibilisation du monde du travail aux questions de genre1, en participant directement a
l'elaboration et la mise en œuvre du droit communautaire.

Conscients de l'importance de la place qu'ils occupent, les partenaires sociaux europeens


s'attachent a reduire les discriminations en raison du genre dans les domaines les plus vastes du
droit du travail. Vaste programme : desegregation professionnelle, participation equilibree entre
hommes et femmes dans la prise de decisions, conciliation de la vie personnelle et
professionnelle, lutte contre les ecarts de remuneration, etc.

Les syndicats europeens sont, par ailleurs, les mieux places dans cette mission. Tout d'abord ce
sont des praticiens, des professionnels qui vivent au quotidien ces inegalites. Outre les inegalites
au sein meme des syndicats acces differencies aux fonctions syndicales, faible proportion de
femmes, etc. , ils sont egalement a-memes de constater les discriminations au sein des
entreprises de par leur role de defense des interets collectifs des professions. )ls sont donc
conscients des problemes de discrimination et d’egalite, ce qui constitue le premier interet de
leur participation a la creation du droit.

Ensuite, ils appartiennent a un niveau supranational ; leur role dans la construction du droit est
donc accru compte tenu de la hierarchie des normes juridiques. Les accords qu’ils negocient ne
sont pas des accords d’entreprise, de groupe ou de branche ! Leur negociation aboutit a des
accords-cadres europeens, qui sont parfois souvent repris par le Conseil europeen sous forme
de directive communautaire sans aucune possibilite de modification de l’accord initial .

1Notamment : EUROPEAN TRADE UNION CONFEDERATION, Women in Trade Union Organizations : Making the
Difference, 2003

45 | P a g e
Pour adapter et améliorer la législation européenne et donc les législations nationales,
les partenaires sociaux doivent se placer en amont de leur adoption, et ensuite, en aval,
participer à leur mise en œuvre.

Plusieurs possibilités leur sont offertes. Tout d’abord, la Commission européenne les consulte
régulièrement sur des initiatives sociales, afin d’obtenir leur avis sur l’opportunité et la
légitimité d’une mesure (on pense notamment à la révision de 2010 de la directive de la
directive sur le temps de travail, qui a entrainé deux phases de consultation des partenaires au
titre de l’article 154 du TFUE). Une deuxième voie d’action est la formulation, par les
partenaires, de propositions. A cet effet, ils siègent au Comité économique et social européen, et
rencontrent, chaque année, les chefs de gouvernements et le Président de la Commission lors du
sommet social tripartite pour la croissance et l'emploi.

Bien que le but de notre exposé ne soit pas de détailler les moyens à disposition des partenaires
sociaux européens, mais de montrer leur intégration de l’approche de genre, nous pouvons
quand même mentionner qu’ils disposent encore du lobbying comme moyen de pression, des
partenariats, etc.

Ensuite, en aval de l’adoption de directives européennes ou d’accords-cadres autonomes, les


partenaires sociaux européens jouent un rôle primordial lors de leur mise en œuvre dans les
Etats membres. En effet, le dialogue social par les affiliés, et donc à tous les niveaux de
négociation, permet d'aller bien au-delà du minimum requis (repensons au cas allemand).
Lorsqu’une directive est adoptée sur le fondement d’un accord ou lorsqu’un accord-cadre est
conclu, son application en interne dans chaque Etat s’avère souvent difficile. C’est pourquoi les
partenaires sociaux européens assistent les syndicats affiliés et les entreprises à mieux
comprendre et appliquer cette nouvelle législation.

L'action syndicale europeenne sur le genre est notamment menee par la Confederation
Europeenne des Syndicats CES . La CES œuvre pour atteindre l'egalite des chances entre
hommes et femmes a la fois en proposant un changement des principes relatifs au temps de
travail et a la conciliation vie professionnelle/vie privee1, et en garantissant aux femmes un role
au sein du mouvement egal a celui des hommes. Son action est menee sur deux terrains : tout
d’abord en interne dans sa propre organisation, mais egalement, nous le verrons plus tard, lors
du dialogue social communautaire interprofessionnel cf. infra .

A cet effet, la CES a cree un Comite des femmes en , compose d'experts en egalite de genre.
Ce comite est a l'origine des expertises et des recherches lors de l'elaboration des rapports,
notamment sur la mise en œuvre des directives sociales sur le conge parental, sur le temps
partiel, sur la non-discrimination... .

La question de la promotion de l'egalite au sein du mouvement syndical europeen a egalement


donne lieu a des plans d'egalite issus des Congres de la CES les V)))eme, )Xeme et Xeme
congres 2. Le dernier plan Xeme Congres, Prague, a defini trois objectifs : eliminer l'ecart

1 EUROPEAN INDUSTRIAL RELATIONS OBSERVATORY (EIRO), An analysis of EIRO articles. Reconciliation of work
and family life and collective bargaining in the European Union, 2006
2 Notamment : CES, Plan d'égalité, 2003-2007

46 | P a g e
de representation entre hommes et femmes dans les organes de decision, etendre l'integration
des questions de genre dans les negociations collectives ex : revenu adequat durant le conge
parental , et renforcer le role des responsables de l'egalite des chances par l'attribution de
ressources financieres et humaines suffisantes. Le bilan effectue a mi-parcours a revele une
hausse de la participation des femmes et la mise en place d'un organe charge des questions de
genre1.

Mais la CES impose ces nouvelles regles non seulement a elle-meme, dans son organisation
interne, mais egalement a ses affilies en dispensant des formations, un soutien logistique, en
elaborant des lignes directrices pour tous les niveaux de negociation, etc. On pense, par exemple,
au Congres de la CES a Seville a dont le but etait exclusivement de diffuser les nouvelles
directives de genre a l'ensemble des organisations syndicales nationales affiliees.

b. La diffusion par les partenaires sociaux européens d une approche par le


genre

En ce qui concerne le dialogue social communautaire interprofessionnel, la consultation


des partenaires sociaux européens est devenue obligatoire pour les propositions de la
Commission Européenne dans le domaine des affaires sociales. Cette obligation a été posée par
le premier accord collectif de l’histoire de la Communauté européenne : l’accord signé entre
l'UNICE, la CES et le CEEP le 31 octobre 1991, qui fonde le Protocole sur la politique sociale
annexé au traité de Maastricht2. Cette obligation a ensuite été reprise dans l'article 138 du Titre
XI du Traité de Nice de 2001.

Cette procédure de l’article permet une très forte participation des partenaires sociaux à
l’adoption de la « loi négociée ». En effet, avant la création de cette procédure par l’accord du
octobre , il n’existait qu’un projet proposé par la délégation belge le janvier 3
. Les
procédures de consultation/négociation prévoyaient que la Commission devait consulter le
Comité européen du travail sur tout projet entrant dans son domaine de compétence. Si le CET
n’avait pas de remarque, la procédure se poursuivait sans modification. Si, au contraire,
l’engagement d’une négociation collective était demandée par le CET, celle-ci ne pouvait aboutir
à la conclusion d’une Convention collective du travail. Cette dernière était ensuite proposée au
Conseil pour la formaliser et la rendre obligatoire ou, si la Convention ne couvrait qu’une partie
de la proposition initiale, la Commission pouvait continuer la procédure législative à titre
complémentaire. On remarque alors que le CET n’avait un rôle que très limité, puisqu’il ne
pouvait s’emparer d’un projet que pour aboutir à une Convention collective, dont la mise en
œuvre dans les Etats membres devait se faire selon les particularités de procédure de ces Etats.

1 DEPARTEMENT RECHERCHE DE L'ETUI, Etude de terrain, 2007


2 ARNAUD MIAS, Article « Du dialogue social européen au travail législatif communautaire : Maastricht, ou le
syndical saisi par le politique », Revue Droit et Société, 58/2004, p.657 à 682
3 Arnaud Mias cite le projet de la DELEGATION BELGE, « Propositions dans le domaine social », Archives IISH,

ETUC collection, carton n° 2165

47 | P a g e
A l’inverse, dans la procédure de l’article , les pouvoirs des partenaires sociaux sont étendus.
Toute proposition de la Commission dans le domaine de la politique sociale doit être soumise
aux partenaires sociaux au niveau communautaire. Cette première consultation porte
notamment sur l’orientation à adopter, et sur la question de savoir si une action communautaire
est souhaitable. Dans ce cas, les partenaires sociaux sont consultés une deuxième fois, mais cette
fois-ci sur le contenu de la proposition envisagée. Deux options leur est alors ouverte : soit ils
formulent des avis ou recommandations, que la Commission devra intégrer dans son processus
législatif, soit ils entament les négociations. En cas d’ouverture des négociations, le processus
législatif « traditionnel » de la Commission peut être rouvert en cas d’échec des négociations.
Dans le cas contraire, elles aboutissent à un accord-cadre, qui sera soit autonome (et dont la
mise en œuvre devra se faire selon les procédures et pratiques propres aux partenaires sociaux
et aux Etats membres), soit étendu par directive du Conseil sur demande des partenaires
sociaux. Si la Commission n’adopte pas de proposition d’extension, ou si le Conseil rejette la
proposition des partenaires, la Directive ne sera pas adoptée et l’accord demeurera un accord-
cadre1.

On peut citer les accords sur le conge parental de , sur le travail a temps partiel de , sur
le travail a duree determinee de . Le premier et le dernier ont ete repris sous forme de
directives, et le cadre d’actions sur l’egalite hommes femmes de est un accord-cadre
autonome. Mais pourtant, l’adoption de regles directives ou accords-cadres , et le suivi de
l'application de ces regles par les partenaires sociaux ne suffisent pas2...

En effet, plusieurs obstacles se dressent face à l'adoption de la « loi négociée ». Tout


d'abord, la procédure de l'article 100 exige l'unanimité devant le Conseil pour adopter les
propositions de la Commission, ce qui a fait échouer les propositions « Vradeling » (sur
l'information consultation des travailleurs dans les entreprises à structure complexe, le travail à
temps partiel et le travail temporaire) et la proposition de 1983 relative aux congés parentaux et
pour raisons familiales (s'inscrivant dans la politique de conciliation de la vie familiale et
professionnelle).

Mais lors de la presidence belge dix ans plus tard , le recours a la procedure de l'article de
l'accord sur la politique sociale annexe au protocole sur la politique sociale a permis la
consultation des partenaires sociaux et l'adoption de la proposition sur le conge parental a la
majorite qualifiee, et non plus l'unanimite. Et l'accord-cadre est devenu directive en juin
par decision du Conseil sur demande conjointe des partenaires sociaux signataires.

Outre ce blocage « procedural », un deuxieme obstacle se dresse devant l'adoption de lois


negociees. )sabelle Schomann3 releve que, d’apres l’)nstitut Syndical Europeen )SE en français,
ETU) en anglais , les Etats membres sont plus que reticents a la mise en application des

1 COMMISSION EUROPEENNE, DG EMPLOI ET AFFAIRES SOCIALES, Les relations du travail en Europe 2000,
Luxembourg, Office des publications officielles des Communautés européennes, 2000, p. 12.
2 ISABELLE SCHÖMANN, Article « Rôle et impact du dialogue social communautaire », in Genre et droit social,

Presses Universitaires de Bordeaux, 2008


3 Idem

48 | P a g e
directives, et notamment celle sur les conges parentaux pour raisons familiales. Soit les
transpositions s'averent inferieures au minimum requis par la directive, soit les Etats membres
vont meme a l'encontre de la directive en prevoyant des conditions supplementaires pour l'acces
au conge parental.

On peut citer, à titre d'exemple, les cas de l'Autriche, de l'Irlande, ou de la Grande-Bretagne, où


une condition d'ancienneté est exigée (excluant alors les salariés en CDD), où les prestations
versées peuvent être déduites dans le calcul des congés et de la retraite, où le congé peut être
non-rémunéré en cas de trop grands revenus ou au contraire en cas de trop faible revenu, etc.

Mais à l'inverse, certains Etats ont pris la peine d'aller plus loin que la directive, ce qui peut être
critiquable dans un sens (ex : obligation pour au moins un parent de consommer son droit à
congé parental au Luxembourg) mais qui peut également être très porteur en terme de
déconstruction de la répartition sexuée des rôles. En effet, en obligeant un père à prendre le
congé, on le pousse à participer à la vie familiale, pendant que la mère peut reprendre son
activité.

La CJCE a donc été contrainte de corriger ces irrégularités de transposition. Au Luxembourg, par
exemple, un congé de maternité intervenant pendant un congé parental se substituait à ce
dernier. Il prenait alors fin sans possibilité pour le parent de reporter son reliquat de droits. La
CJCE est alors intervenue dans le cadre d'un recours en manquement au titre de l'article 226 CE
introduit par la Commission elle-même1 ! La Cour a logiquement suivi la position de la
Commission et a imposé au Luxembourg, et donc aux États membres, de laisser au parent un
droit à report du reliquat de droits restants, compte tenu des différences d'objectifs entre ces
deux congés. Ainsi, la législation luxembourgeoise a dû évoluer sous la contrainte
communautaire, et adapter le régime de son congé aux obligations posées par la directive.

B. L ES PERSPECTIVES D ’ UNE EVOLUTION JURIDIQUE

Une evolution de la norme de droit et du modele social français en fonction des


particularites de la situation des femmes et aux evolutions des mentalites est indispensable.
Pour permettre aux meres de continuer de travailler et de ne pas assumer l'essentiel des taches
domestiques et familiales, il est imperatif d'agir sur plusieurs facteurs d'inegalites. Tout d'abord,
le modele vehicule par l’Etat doit etre profondement remanie . Une reorganisation de la
societe doit egalement s'operer en profondeur, mais ce remaniement ne sera possible que si tous
les acteurs, y compris les entreprises, participent activement a la creation de ce nouveau modele
social .

1 CJCE 3ème Chambre, 14 avril 2005, Commission contre Grand-Duché du Luxembourg, CJCE C-519/03

49 | P a g e
1. Les possibilités de réformes de notre modèle

Le modele de genre vehicule par notre systeme doit s’adapter aux evolutions de genre,
puisqu’on a vu qu’il produisait lui-meme un modele particulier. Ainsi, deux axes themes nous
paraissent primordiaux : la reforme de notre systeme social et fiscal, qui encourage les femmes a
delaisser leur activite professionnelle a , et celle de nos conges parentaux qui participent
egalement au retrait des femmes du marche du travail b . Ce ne sera que par l’adhesion de la
politique sociale a ce mouvement d’egalisation non pas des droits, mais des situations reelles
qu’une egalite reelle sera envisageable.

a. La réforme de notre régime social et fiscal

Parmi les régimes européens que nous avons étudiés, nous avons relevé deux idéaux-
types1. On distingue les régimes « strong breadwinner » 2, pour lesquels l'organisation sociale est
plus traditionnelle (on pense à l'Allemagne, mais également au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et à
l'Irlande), et les régimes « weak breadwinner », dans lesquels les tâches (domestiques et
professionnelles) sont bien mieux réparties entre les sexes (on pense aux pays nordiques)3.
Plusieurs éléments sont à considérer : qui prend en charge les dépendants (collectivité ou
famille), qui paye les soins (Etat, famille, employeur), sous quel régime (service public, marché
concurrentiel, secteur associatif).

D'après cette typologie, la France est à mi-chemin entre les régimes strong breadwinner et weak
breadwinner. En effet, elle ne correspond pas au premier modèle (celui du strong breadwinner)
compte tenu de son taux d'activité féminin qui reste globalement élevé comparativement à ceux
de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Mais elle ne correspond pas non plus au second modèle
(celui du weak breadwinner), compte tenu de la mauvaise qualité de ces emplois (CDD, interim,
temps partiel...) et de l’absence de prise en charge des enfants au niveau étatique ou par le
marché4. Il ne s'agit donc que d'une petite étape à franchir avant d'atteindre une organisation
sociétale qui a non seulement la capacité de promouvoir et garantir l'emploi féminin, mais

1 Un « idéal-type » est un concept sociologique défini par Max Weber. Il vise, pour Weber, à bâtir

un modèle d'un phénomène social qu'on cherche à étudier pour ses qualités intrinsèques. L'idéal-type
sera par la suite réutilisé par des théoriciens des organisations pour étalonner des études
empiriques consacrées à la bureaucratie.
2 D. MEDA, Pourquoi et comment mettre en œuvre un modèle à deux apporteurs de revenus/deux pourvoyeurs

de soins ?, éd. Seuil, 2006


3 J. LEWIS, Article Gender and the development of welfare regimes , in Journal of European Social Policy,

vol.2, n°3, 1992


4 D. MEDA et H. PERIVIER, Le deuxième âge de l'émancipation. La société, les femmes et l'emploi, 2007

50 | P a g e
également celle de garantir que cet emploi se développera dans les mêmes conditions que celui
des hommes.

Il faut, pour cela, que la présence d'enfants ne soit pas un obstacle à l'emploi des femmes. La
mise en place de structures de garde dès le plus jeune âge augmenterait considérablement le
taux d'emploi des parents. Ces structures ne sont pas forcément à mettre à la charge de l'Etat,
elles peuvent être établies directement dans les entreprise (par l'employeur ou par le budget
social du comité d'entreprise).

On a pu, par exemple, constater dans l’accord national de la métallurgie du juin , relatif à
l’égalité professionnelle et aux mesures permettant la suppression des écarts de rémunération
entre les femmes et les hommes, la mise en place d’un dispositif de type chèque emploi-service
universel financé pour partie par l’employeur et pour partie par le budget social des comités
d’entreprise) pour permettre aux salariés de régler tout ou partie des frais relatifs à la garde des
enfants, au soutien scolaire et à l’emploi à domicile art. . Dans l’accord sur l’égalité
professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de la SA SEJER, la société s’engage à
réserver des places de crèche dans des structures privées à proximité du lieu de travail.
Cependant, en , seulement trois places ont été réservées…

La politique gouvernementale doit egalement inciter les peres a beneficier de leur conge
de paternite et des passages a temps partiel des l'arrivee d'un enfant. )l faut en effet equilibrer
les roles entre les deux parents et entre les parents et les institutions. )l faudra donc consacrer
des sommes budgetaires supplementaires… Mais ces sommes sont un cout tres vite amorti
compte tenu de l'enjeu de l'emploi feminin et de la forte natalite1. Cet enjeu a d’ailleurs ete
constate dans l’accord national interprofessionnel du er mars relatif a la mixite et a
l’egalite professionnelle entre les hommes et les femmes. Cet accord precise meme qu’il faut
abolir « les représentations et les stéréotypes culturels relatifs à l image de la femme et à ses
contraintes familiales dans la vie professionnelle, [qui] sont un frein à l évolution professionnelle
des femmes et au développement de la mixité des emplois ».

Notre systeme social et fiscal, encore fonde sur le modele de la famille traditionnelle, protege les
couples dans lesquels la femme est inactive, en lui garantissant un acces a la protection sociale
par des droits derives, et en la traitant comme une personne dependante face a l'impot comme
les enfants . Une des mesures que l’Etat peut prendre pour garantir aux hommes et aux femmes
les memes droits et devoirs et les memes chances d'y acceder , peut etre de concevoir une
imposition des couples separee et l'ouverture de droits sociaux propres par le travail ou
l'appartenance a la societe. Un tel regime refuserait donc de subventionner les couples qui
optent pour l'inactivite de la femme. Mais il a alors ete propose de prelever une cotisation
supplementaire sur les couples mono-actifs pour garantir le financement d'une partie des droits
derives2.

Une autre reforme pourrait etre de revoir les parts fiscales attribuees aux couples selon qu'ils

1 GÖSTA ESPING ANDERSEN, DUNCAN GALLIE, JOHN MYLES et ANTON HEMERIJCK, Why we need a Welfare state,
Oxford University Press, 2002
2 R.CUV)LL)ER, Article « Sur la protection sociale de l'epouse non active », in Droit social , p. -

51 | P a g e
comportent deux actifs ou un seul et en reduisant celles accordees aux couples ayant
volontairement choisi le modele traditionnel. Car, en effet, l'impot sur le revenu ne doit plus
favoriser les couples maries mono-actifs, comparativement aux couples biactifs, puisqu'il ne tient
pas compte du fait que les couples mono-actifs font l'economie de nombreux frais creches,
garderies, etc. .

On peut aussi envisager une reforme evitant la surimposition du salaire de la femme mariee. En
effet, lorsque le salaire d'un des deux conjoints est inferieur a celui de l'autre, le « quotient
conjugal » entraîne une imposition superieure a celle a laquelle il pourrait pretendre en vivant
seul. )ndividualiser l'impot permettrait d'eviter cet effet pervers et d’accroître l’activite des
femmes mariees. On estime cette augmentation de leur taux d'activite a , points, soit .
emplois1.

b. La réforme des congés parentaux

Une reforme complete du regime des conges parentaux et d'education est egalement a
envisager. En effet, les conges parentaux longs sont defavorables a l'activite des femmes 2. Et le
conge parental en France peut atteindre plus de ans en fonction du nombre d'enfants, alors
qu'un conge d'une duree raisonnable aux alentours d'un an serait plus propice a inciter
l'activite feminine. Ainsi, au lieu de prevoir un conge tres long mais tres mal remunere, on
pourrait prevoir un conge d'une duree bien moindre mais egalement bien mieux paye.

)l faut egalement individualiser totalement le droit a conge parental, le partager parfaitement


entre pere et mere afin qu'il ne soit pas transferable entierement de l'un a l'autre. Notre conge
parental français est trop long, trop centre sur les femmes et notamment les peu diplomees. )l
provoque, comme nous l'avons deja explique, les inegalites au lieu de les combattre. Pour ne pas
penaliser l'activite des personnes qui prennent un tel conge d'education, il devra etre court. Pour
ne pas attirer de preference les personnes peu qualifiees, il devra etre bien indemnise. Et pour
inciter l'homme a y participer, il devra etre partage entre les deux parents.

On peut s'inspirer du conge )slandais : un conge « petite enfance », pris a la suite des semaines
de conge maternite post-natal, d'une duree de semaines reparties en semaines pour la
mere et semaines pour le pere, et dont le non-recours entraîne sa perte. Le systeme de
remuneration peut etre proportionnel au salaire mais plafonne, et il se substituerait a la PAJE
Prestation d'Accueil du Jeune Enfant .

La PAJE ne concernerait donc plus que les jeunes parents actifs, ce qui pourrait leser les anciens
allocataires qui etaient inactifs au moment du conge. Mais pour autant le role d'un conge

1 DAMIEN ECHEVIN, L'individualisation de l'impôt sur le revenu : équitable ou pas ?, in Economies et prévision,
n°160-161, 2003
2 ANTOINE MATH, CHRISTELLE MEILLAND ET LAURENT SIMULA, Transferts et incitations financières à l'activité du

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52 | P a g e
parental n'est pas de redistribuer les impots vers les familles les plus pauvres puisqu'il existe
plusieurs allocations dont c'est l'objet. En effet, la PAJE actuelle sert de « salaire maternel » mal-
conçu limite a ans, pas de cotisation pour la retraite, etc. , il convient donc de la reorienter
vers son but originel : l'indemnisation du conge parental.

Une autre piste nous semble intéressante mais bien plus polémique. En effet, nous avons
constaté que le congé maternité, dernier congé attribué exclusivement aux femmes (compte
tenu de la maternité exclusivement féminine), engendrait le principe du « risque-maternité ».
Ainsi, il produit une discrimination flagrante à l'embauche. Pour essayer de lutter contre cette
discrimination, il est impossible et inimaginable de réduire ce congé maternité ! Il a un but
médical incontestable. Le principe d'égalité et de non-discrimination, combiné au principe de
protection de la maternité, nous empêchent de modifier ce congé. Pour autant, il a été vu que des
mesures temporaires et spéciales pouvaient être mises en place. Une discrimination positive
pourrait être innovante : hommes et femmes devraient présenter le même « risque-parentalité ».
Ceci serait possible en rapprochant de manière temporaire le congé paternité du congé
maternité. En effet, l'écart entre les deux est énorme ; un « risque-paternité » de quelques jours
ne fait pas assez peur aux employeurs pour les inciter à prendre une femme en priorité. Créer un
congé paternité d'une durée équivalente à celle du congé maternité permettrait non seulement
de supprimer ce risque exclusif aux femmes, mais également de pousser les hommes à participer
aux tâches domestiques et à assister leur conjointe tout au long de la grossesse.

Bien entendu, les féministes les plus virulentes, les « chiennes de garde » (en référence aux
œuvres de Paul Nizan et Serge Halimi), verraient dans ce congé une mesure « masculiniste »
tendant à l'extension des privilèges féminins aux hommes, sans aucune raison objective. En effet,
la santé des hommes n'étant pas atteinte, aucune raison de leur octroyer ce congé ! Mais notre
démarche n'est pas celle-là : il ne s'agit ici que de proposer aux hommes de participer
activement au déroulement de la grossesse, tout en abolissant définitivement le risque-
maternité. Le but du congé maternité étant de protéger la grossesse, on peut considérer que le
but de ce rallongement du congé paternité serait également de protéger la grossesse de l'épouse
en lui portant assistance, en facilitant sa vie au quotidien, et en développant un partage plus
équitable des tâches.

Le débat est donc lancé entre nos deux grands principes : l'égalité et les actions positives tendant
à promouvoir l'égalité réelle par des mesures temporaires et inégalitaires dans l'intérêt général,
et la protection de la grossesse exclusive aux femmes. Faut-il privilégier la protection exclusive
de la santé des femmes, comme privilège exclusif, quitte à leur laisser les conséquences
discriminantes qui s'y attachent ? Ou faut-il au contraire privilégier une protection de la
« parentalité »1 en général, clairement injustifiée pour les hommes mais permettant tout du
moins l'abolition d'une grande partie des discriminations à l'embauche ?

Pour résumer : outre ce débat sur le congé maternité, le congé parental devra être plus
court mais mieux indemnisé afin d'être plus favorable à l'activité des mères. Pour les parents

1 La notion de « parentalité » est tirée de la Charte de la parentalité en entreprise du 11 avril 2008

53 | P a g e
souhaitant prolonger sa période, ils pourront toujours recourir à un congé parental non-
rémunéré. Mais attention, contraindre une personne à arrêter son activité pour avoir accès aux
allocations est également un facteur d'inégalités. En effet, un membre du couple sera tenté
d'arrêter son activité pour en bénéficier alors que celui qui travaille en parallèle de l'éducation
de ses enfants, sans s'arrêter, les mérite tout autant. Pourtant, il ne s'agit pas d'un salaire
maternel ! Les aides ne doivent donc plus être conditionnées au retrait d'activité de l'individu
afin de favoriser leur maintien d'activité.

On notera dans cette optique le projet de loi sur la réduction de la durée du congé parental pour
l’étude de ce projet est constamment repoussée depuis novembre 1, qui prévoit de

l’abaisser à un an et d’en réserver une partie au père. En contrepartie, le congé serait mieux
rémunéré % du salaire brut et plafonné à . € ou . € . Mais comme nous l’avons déjà
expliqué, une telle mesure qui ne s’accompagne pas d’une augmentation significative des modes
de garde de la petite enfance serait très néfaste pour les jeunes parents ! Ce projet, établi par
Najat Vallaud Belkacem, actuelle Ministre des Droits de la Femme, prévoit de créer 400.000
places de garde, ce qui représente, selon le même projet, un coût de milliards d’euros.
Pourtant, aucun budget n’a encore été prévu à cet effet…

Il faut donc nécessairement une nette amélioration des services de garde de la petite et moyenne
enfance. Si le nombre de crèches publiques est clairement insuffisant, et que le budget alloué à
cet effet l'est d'avantage, peut-être convient-il de faire reposer leur création sur les entreprises,
comme nous avons pu le voir dans l’accord national de la métallurgie. En effet, les entreprises
ont un rôle central pour favoriser l'emploi des femmes. La construction de crèches ou la mise en
place de services d'aide aux jeunes parents représentent un budget considérable, mais qui serait
facilement amorti : des congés moins longs, moins de recours aux contrats de remplacement,
réaction prévisible de l'entreprise face à la parentalité, adaptation rapide, plein emploi féminin,
pas d'aménagement des emplois du temps pour aller récupérer les enfants à l'école, etc.

2. L’importance de la participation des entreprises

Les entreprises doivent suivre le mouvement initie par l’Etat, en proposant aux femmes une
meilleure conciliation de leur vie professionnelle et familiale en commençant, par exemple, par
repenser le systeme de la norme du travail a temps plein. Cette reforme ne sera favorable aux
femmes qu’en la repensant au niveau global, et non plus seulement vis-a-vis des personnes avec
enfants a charge a . Aussi, face aux reticences des entreprises qui voient dans l’activite feminine
une main d’œuvre bon marche et particulierement flexible, des contraintes devront etre mises en
place. Mais ces contraintes vont encore une fois se heurter aux principes d’egalite et de non-
discrimination qui ont fonde notre systeme b .

1COMITE INTERMINISTERIEL AUX DROITS DES FEMMES ET A L’EGALITE ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES, Relevé de
décision « Une troisième génération des droits des femmes : Vers une société de l’égalité réelle », 30
novembre 2012

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a. La révision de la norme du travail à temps plein en fonction du cycle de
vie

La participation des entreprises est essentielle. Outre la mise en place de système de


garde collectifs internes (la branche métallurgie se limite à participer au financement de
systèmes de garde externes, tout comme la SA SEJER), leur attention doit se porter sur la
répartition du temps de travail. En effet, nous avons vu que dans la réalité ce sont chacune de
nos mesures sociales qui affectent la répartition sexuée des tâches. Deux hypothèses sont alors
possibles.

La première consiste à réduire le temps de travail sur une base individuelle : permettre à ceux
qui le souhaitent de moins travailler de manière ponctuelle ou définitive. L'augmentation de la
flexibilité du temps de travail pourrait alors faciliter l'articulation entre vie professionnelle et
familiale. Dans cette hypothèse, l'inconvénient, et juste revers de médaille, réside en ce que
l'individu devra accepter une réduction de son salaire à proportion de son temps de travail.
Nous connaissons bien cette hypothèse puisqu'il s'agit du mode choisi par la Suisse, l'Allemagne
et les Pays-Bas. Elle s'illustre par le recours au temps partiel. Mais la plupart du temps ce mode
d'aménagement est subi et non pas voulu et, comme nous l'avons vu, il est un facteur de
différenciation sexuelle dans l'emploi.

La seconde hypothèse consiste en une révision de la norme du travail à temps plein. Et cette
dernière nous semble la plus égalitaire. En effet, le seul moyen pour ne plus réserver la
réduction du temps de travail aux mères est de l'imposer à tout le monde. Car même si nous
atteignons le plein emploi, et même si le temps partiel était toujours choisi et jamais subi, il
resterait essentiellement féminin. Réduire la durée du travail habituel serait donc la seule norme
sociale envisageable en matière d'égalité hommes-femmes. La réforme des 35h en France n'a
pas été adoptée dans ce but, mais a quand même amélioré pour certains la conciliation vie
professionnelle et vie familiale, et l'engagement des hommes dans la sphère familiale1.

Bien sûr, la RTT n'a pas eu des effets bénéfiques pour tous, puisque tous les travailleurs
n'y ont pas eu accès. Mais surtout parce que dans les secteurs où les syndicats n'étaient pas en
position de force, les conditions d'application n'ont pas été négociées à l'avantage des salariés, et
encore moins des moins qualifiés. La cause essentielle tient à ce que les besoins de temps ont été
considérés globalement pour la somme des travailleurs, alors qu'ils ne sont pas les mêmes au
long de la vie. Il faut organiser la réduction, ou l'aménagement du temps de travail, sur
l'ensemble de la vie active et non pas d'un mois sur l'autre ! Il faut prendre en considération
l'arrivée d'un jeune enfant, la reconversion professionnelle (besoins de formation) et la fin de
carrière (prise en charge d'un parent âgé, besoin de repos...). Comme le suggère l'Union

1 DOMINIQUE MEDA et RENAUD ORAIN, « Transformation du travail et du « hors travail » : le jugement des
salariés sur la RTT », in Travail et Emploi, n°90, 2002

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européenne, une approche fondée sur le cycle de vie semble possible si tous les moyens sont mis
en œuvre.

Ce genre de politique débutera par un débat public sur les moyens à mettre en place et les points
financés en priorité. Des congés spécifiques, à usage unique, pourraient permettre une poursuite
de l'activité sur des rythmes plus modulables puisque le temps de travail serait calculé sur
l'année. Bernard Gazier l'avait suggéré à propos de la norme flottante de 32 ou 35 heures, et le
rapport Boissonnat proposait un calcul du travail sur toute la vie. Un « capital-temps »
individualisé et non-transférable pourrait être mis en place dans cette optique. Il pourrait être
par exemple d'un an, à prendre jusqu'aux dix ans de l'enfant et à répartir entre père et mère (6
mois chacun, donc 112 jours), et on peut s'inspirer du congé pour enfant malade suédois (60
jours par enfant et par an) sous forme de courtes réductions du temps de travail (une heure par
jour par ex).

La Charte de la parentalite, proposee par l’Observatoire de la parentalite en entreprise le avril


, engage dans ce but les entreprises a faire evoluer les representations liees a la parentalite
dans l’entreprise, a creer un environnement favorable aux parents, et a respecter le principe de
non-discrimination dans leur evolution professionnelle. Dans ce cadre, une reflexion a ete menee
en sur le theme de la « responsabilité sociale de l employeur ». Elle a abouti a la proposition
d’un referentiel horaire collectif correspondant a nos recommandations : pas de reunion le midi
ni apres h un depart obligatoire a h tous les mardis, etc. L’accord d’entreprise de Saint-
Maclou du juin , relatif a l’egalite entre les femmes et les hommes dans l’entreprise
stipule, lui, que les horaires de travail peuvent etre amenages compte tenu de la qualite de parent
de certains salaries. Une absence remuneree de deux heures est octroye e aux parents a
l’occasion de la rentree d’un enfant de la maternelle a la sixieme a Saint Maclou, et l’accord sur
l’egalite professionnelle entre les femmes et les hommes de la societe « Le Bon Marche » du
avril prevoit le reamenagement des emplois du temps des salaries-parents a chaque
rentree scolaire.

C’est egalement dans cette optique qu’a ete cree, en France, le principe du compte epargne temps
CET 1. )l permet aux salaries d’accumuler des droits a conge remunere ou de beneficier d’une
remuneration, immediate ou differee, en contrepartie des periodes de conge ou de repos non
prises ou des sommes qu’il y a affectees. Mis en place par convention ou accord collectif, le CET
est alimente par des jours de conges ou des sommes diverses. Le salarie peut l’utiliser soit pour
percevoir une remuneration pendant des periodes d’inactivite, soit pour beneficier d’une
remuneration immediate ou differee. )l peut donc etre reellement utile dans le cadre de la
parentalite. Mais on regrettera cependant qu’un tel type de compte ne puisse etre mis en place
que par accord collectif…

Mais les entreprises doivent, en plus de permettre une meilleure organisation du temps
de travail, participer activement à la facilitation de la vie des mères et des pères. Pour cela, il ne
faut pas qu'elles traitent plus favorablement uniquement les parents, mais que le nouveau
régime proposé soit appliqué à l'ensemble des salariés : limitation des réunions tardives,

1 Le regime du compte epargne-temps presente ici est celui issu de la loi n° - du aout
citee en reference.

56 | P a g e
limitation des horaires atypiques (notamment dans les services), etc. Et, ce, pour l’ensemble des
salariés.

C'est pour cela que la négociation collective est la clef de voûte d'une réforme de genre. Les
partenaires sociaux ont pour rôle de sensibiliser et responsabiliser les entreprises à la façon
dont ils traitent les femmes (recrutement, promotion, primes, rémunérations annexes, etc.). Les
entreprises peuvent tenter de démontrer leur implication dans la promotion du travail des
femmes en participant au financement des services (notamment des crèches collectives), comme
le prévoit l’accord de la branche métallurgie précité. Les entreprises doivent repenser la
compatibilité des horaires des salariés avec les besoins de l'entreprise : éviter les temps partiels
hachés, les horaires atypiques, mieux gérer les interruptions (congé maternité, congé parental...).

Ces préoccupations s'appellent, aux États-Unis, les politiques de « family friend ». De nombreuses
sociétés américaines se sont mises à s'immiscer dans la vie familiale. Mais la différence avec la
France, c'est que le taux de chômage français (et donc l'affluence de main-d’œuvre est tel que
les entreprises n'ont qu'à choisir un autre candidat, moins problématique au niveau familial :
« travaille ou fais des enfants. » Mais il serait bien plus intelligent, comme le proposaient les lois
Génisson de 2001 et sur l'égalité salariale de 2006, d’être à la base de notre nouveau modèle de
genre. Une piste envisageable serait de proposer un système de label comme celui de l'AFNOR,
qui démontrerait qu'une entreprise est impliquée ou non. Pourtant, la diversité des labels, les
facilités de son obtention, et son but désormais uniquement pécuniaire (pour obtenir des aides)
en réduisent l'efficacité.

b. Les incitations à mettre en place pour motiver les entreprises

Pour permettre un passage en douceur à ce nouveau modèle, la négociation collective est


indispensable. Elle éviterait qu'on force la main des entrepreneurs par des objectifs chiffrés, des
quotas, des actions positives à l'américaine. Nous avons déjà constaté le mécontentement et les
débats provoqués par de tels types de mesures. En effet, les actions positives, telles que perçues
par les français, sont mal vues parce que contraires aux traditions républicaines (comme nous
l'avons expliqué, car non-temporaires). Pourtant, des actions positives favorables aux femmes
pourraient être proposées par les partenaires sociaux afin de « donner un signal » aux
entreprises, pour montrer que le mouvement est lancé. Pendant temps, il ne s'agira plus
d'« égalité » mais d'« équité ». Mais immédiatement après avoir compensé le handicap subi par le
groupe opprimé, les mesures cesseront car elles ne sont que transitoires (vers une égalité
réelle).

Le Conseil constitutionnel français est très largement défavorable à l'instauration d'objectifs


chiffrés. Pourtant, le principe auquel il se rattache ne lui permet pas de s'y opposer. L'« égalité
devant la loi », si elle doit justifier l'interdiction des quotas, signifie bien qu'hommes et femmes
ne sont égaux que devant la loi. Si la loi interdit les mesures positives, en vue de rétablir une
égalité réelle oubliée des textes, c'est que la loi n'a pas son rôle à jouer dans la construction de

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l'égalité. Refuser les quotas au nom du principe d'égalité, c'est reconnaître officiellement que le
principe d'égalité à la française n'est qu'un postiche pour faire bonne figure.

De plus, on trouve à l'étranger de nombreux exemples de quotas qui participent à l'égalité


devant, dans et par la loi. En Norvège, la loi oblige les conseils d'administration des sociétés
cotées à comporter 40 % de femmes. La loi n'était pas contraignante : aucune sanction n'était
prévue, à la seule condition que les entreprises s'y conforment volontairement. Bien entendu,
elles ne l'ont pas fait (15 % de femmes à la fin 2005). En conséquence, le gouvernement a
contraint les entreprises en 2006, et 30 % de femmes étaient, dès lors, présentes dans les
conseils d'administration.

La sanction pécuniaire doit donc être forte, pour ne pas laisser la possibilité aux entreprises de
préférer payer, comme c'est actuellement le cas avec le quota de 6 % d'handicapés. La sanction
en argent doit être conséquente ou, au contraire, des allègements fiscaux et sociaux doivent être
importants afin de pousser les entreprises à adopter une vision égalitaire. Le système des labels
peut être une voie, les conséquences favorables (bourses, allègements, financements régionaux,
etc.) pour les entreprises labellisées pourraient y pousser, et des sanctions pécuniaires
pourraient enfin convaincre les derniers réfractaires.

Le système norvégien a d'ailleurs tellement impressionné l'ensemble des pays


nordiques, que la Suède discute aujourd'hui de la possibilité d'instaurer le même type de
mesures dans les conseils d'administration et de surveillance, mais aussi et surtout dans le
personnel de l'entreprise (afin de faire tomber le caractère exclusivement masculin ou féminin
d'une profession), dans les instances représentatives du personnel, dans les filières de
scolarisation exclusivement masculines ou féminines, dans les filières universitaires
exclusivement masculines ou féminines, etc.

Ceci signifie donc que cette piste est envisageable. Même si elle ne semble pas en l'état actuel la
solution la plus aisée ou la plus favorable aux femmes, elle est la seule qui permettrait de
compenser les effets des mesures historiques défavorables aux femmes. Les inégalités qui sont
ancrées dans notre société, parce qu'institutionnalisées par notre droit, sont extrêmement
difficile à combattre. Une solution extrême est donc obligatoire face à une difficulté extrême, et
ce n'est pas en prônant un simple principe général d'égalité devant la loi qu'hommes et femmes
disposerons de vrais droits égaux et effectifs.

58 | P a g e
CONCLUSI ON

Le probleme majeur en France est que, pour de nombreuses personnes, l'emancipation


des femmes est deja realisee. Meme pire, pour certains cette emancipation est allee bien trop
loin, au detriment des hommes et des peres. On pense tres logiquement a la montee du
« masculinisme » en France, mouvement antifeministe quebecois qui, derriere une façade de
protection des droits des peres leses par la montee des droits des femmes, prone le retour du
patriarcat et la « domination masculine ». Ce mouvement illustre d'ailleurs parfaitement
l'evolution dont nous avons essaye de rendre compte : sous couvert d'un principe d'egalite
devant la loi, les hommes reclament l'abolition des mesures favorables aux femmes, et le
benefice de mesures masculines exemple du pere magistrat dont le recours pour l'obtention
d'annuites gratuites en raison de ses trois enfants, pour lesquels il n'avait d'ailleurs pris aucun
conge pour les eduquer, n'a provoque en realite que l'abolition du principe des annuites gratuites
pour les femmes .

Un autre probleme en France est celui de l’absence de debat public sur la question du genre,
alors qu’au Canada par exemple cette question a ete tres largement anticipee pour permettre les
reformes reellement voulues par le peuple. Et c'est vrai que la question n'est pas tant « comment
pourrions-nous atteindre l'égalité réelle ? » mais plutot « la France veut-elle une égalité réelle ? ».
Pour la plupart, les femmes qui s'arretent de travailler pour leurs enfants en ont fait un choix
libre et eclaire. Pire, comme en Allemagne on commence a considerer que les femmes qui, au
contraire, font le choix de ne pas avoir d'enfants ou de ne pas s'arreter pour leurs enfants, sont
des mauvaises meres ou des femmes indignes de leur « nature ». Et, les hommes qui participent
aux taches domestiques, qui arretent leur carriere pour s'occuper de leurs enfants, sont
« dévirilisés ». C'est la peur du changement, la peur de remettre en cause une repartition des
roles qui sied a toute la classe dirigeante, qui nous oblige aujourd'hui a envisager des mesures si
radicales qui commencent par la remise en cause des fondements de la differenciation sexuee
des taches.

)l ne suffit pas d'accorder plus de droits aux femmes, ce n'est pas l'objet de la question ! En droit,
nous l'avons vu, les femmes sont egales aux hommes devant la loi . Mais ce n'est pas de cette
egalite dont nous avons besoin, c'est d'un changement total des modes de pensees
contemporains. Les objectifs de justice sociale et l'interet collectif representes par l'emploi des
femmes ne nous permettent donc pas de nous satisfaire du chemin parcouru. L'enjeu du travail
des femmes est considerable, nous ne nous rendons pas compte de ce que nous manquons en ne
nous attelant pas plus serieusement a la tache...

Le droit a provoque le genre, et maintenant le genre tente de recreer un nouveau droit,


un nouveau modele plus juste et plus equitable. Tout d'abord pour les femmes, pour leur
permettre de ne plus souffrir de leur appartenance a un groupe, pour leur permettre d’acquerir
une reelle autonomie financiere. Ensuite dans l'interet des enfants, pour qui les parents doivent
pouvoir mieux concilier vie professionnelle et familiale, avec la mise en place de structures
d'accueil etatiques ou dans les entreprises . Et enfin dans l'interet de la societe toute entiere,
qui ne peut plus ignorer l'interet de l'emploi des femmes et des principes de l’Etat-providence
« welfare state » : augmentation de la production, nouveau moyen de financement de la
Securite sociale, relevement du niveau de vie par l'instruction de tous et l'acces a tous emplois,
rempart contre la pauvrete en particulier celle des enfants , et moyen de lutte contre la

59 | P a g e
transmission des inegalites et des stereotypes sexues de generations en generations.

)l n'y a donc qu'en repensant l'ensemble de la vie professionnelle comme un cycle au cours
duquel les besoins en temps sont plus ou moins intenses qu'on pourra permettre aux hommes et
aux femmes d'avoir le nombre d'enfants qu'ils desirent sans pour autant penaliser leur vie
professionnelle. L'ensemble des acteurs gouvernement, entreprises, associations, etc. doivent
permettre la conciliation de ces activites personnelles et professionnelles.

On ne cherche definitivement pas a rendre la societe plus « féminine » mais, au contraire, a la


rendre plus neutre du point de vue du genre, par un changement radical des normes de
reference.

60 | P a g e
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CONSEIL DE L’UE, Directive du 13 décembre 2004 relative au principe d'égalité de traitement


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L373/37

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Decret n° - du avril relatif a la prise en compte des indemnites journalieres


d'assurance maternite pour la determination du salaire annuel de base, JORF n° du avril
p.

Décret n°2012- du décembre relatif à la mise en œuvre des obligations des


entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes JO du

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Loi du 2 novembre 1892 sur le travail des enfants, de filles mineures et des femmes dans les
établissements industriels

Loi n°89-488 du 10 juil. 1989 portant sur l'égalité professionnelle des femmes et des hommes,
JORF du 14 juillet, p.8871

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CE, 30 nov. 2001, n°212179

CJCE, Enderby 1993, aff. C-127/92

CJCE, Brunnhofer, 26 juin 2001, aff. C-381/99

CJCE, 29 nov. 2001, Griesmar, aff. 366/99

CJCE 3ème Chambre, 14 avril 2005, Commission contre Grand-Duché du Luxembourg, CJCE C-
519/03

CONSEIL CONSTITUTIONNEL, Décision n°2006-533 DC du 16 mars 2006 relative à certaines


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DOCUMENTS MINISTERIELS

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Circulaire du 28 octobre 2011 relative à la mise en œuvre du dispositif de pénalité financière en


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MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE, Rapport « Egalité entre les femmes et


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ACCORDS COLLECTIFS

Accord d’entreprise « Le Bon Marché » du avril relatif à l’égalité professionnelle entre


les Femmes et les Hommes

Accord d’entreprise « Saint Maclou » du 18 juin 2012 relatif à l’égalité entre les femmes et les
hommes dans l’entreprise

Accord d’entreprise « Sejer » du décembre relatif à l’égalité professionnelle entre les


femmes et les hommes

Accord de groupe « Invivo » du 1er décembre relatif à l’égalité professionnelle, la diversité


et l’insertion des handicapés

Accord national de la Métallurgie du juin relatif à l’égalité professionnelle et aux


mesures permettant la suppression des écarts de rémunération entre les femmes et les hommes

Accord national de la Mutualité du 24 septembre 2010

Accord national interprofessionnel du er mars relatif à la mixité et à l’égalité


professionnelle entre les hommes et les femmes

68 | P a g e
TABLE DES MAT)ERES
SOMMAIRE ............................................................................................................................... 1
INDEX DES ABREVIATIONS ................................................................................................. 2
INTRODUCTION ...................................................................................................................... 6
LE BILAN DES INEGALITES EN DROIT SOCIAL EST IMPORTANT. ..................................................................................6
L’ORIGINE DE CES INEGALITES EST « SOCIETALE ». ......................................................................................................8
MAIS ÇA NE SIGNIFIE PAS, POUR AUTANT, QUE LE DROIT N’A JOUE AUCUN ROLE....................................................9
UNE PISTE DE REFLEXION ISSUE DES SCIENCES SOCIALES PEUT ENRICHIR NOTRE APPROCHE. ......................... 12
I. LE GENRE, PRODUIT DU DROIT ............................................................................... 14
A. LES POLITIQUES SOCIALES CREATRICES DE MODELES DE GENRE .................................................................. 15
1. La légitimation de la différenciation sexuée des rôles........................................................................... 15
a. Les stéréotypes sexués véhiculés par l assurance chômage suisse............................................................ 16
b. Les dérives de la protection des mères en droit du travail allemand ...................................................... 19
2. L’ingérence du droit social dans la vie familiale ...................................................................................... 22
a. La participation de la politique familiale nordique à l égalité réelle ...................................................... 22
b. La syndicalisation des canadiennes en réponse à la précarité des emplois .......................................... 25
B. LES INSUFFISANCES DE L’APPROCHE JURIDIQUE .............................................................................................. 26
1. La justification des inégalités de traitement par la protection juridique des femmes ............ 27
a. Le principe général d égalité restreint par la protection des « faibles » ................................................ 27
b. La protection des mères comme dernier rempart avant l égalité ............................................................ 30
2. Les différentes acceptions du principe d’égalité ...................................................................................... 32
a. L interdiction du traitement inégal de situations comparables ................................................................ 32
b. Le possible traitement inégal des situations non-comparables ................................................................ 34

II. LE DROIT PRODUIT PAR LE GENRE ........................................................................ 38


A. LE « LABORATOIRE » DU DROIT DE LA NON-DISCRIMINATION ...................................................................... 38
1. La prise en compte du genre dans le droit international et européen ........................................... 39
a. La participation des lobbys de pression féministes à la création du droit ............................................ 39
b. La diffusion par les instances supranationales d une approche par le genre ...................................... 42
2. L'importance du dialogue social communautaire ................................................................................... 45
a. La prise en compte par les partenaires sociaux européens de l approche par le genre ................... 45
b. La diffusion par les partenaires sociaux européens d une approche par le genre ............................. 47
B. LES PERSPECTIVES D’UNE EVOLUTION JURIDIQUE ........................................................................................... 49
1. Les possibilités de réformes de notre modèle .......................................................................................... 50
a. La réforme de notre régime social et fiscal........................................................................................................ 50
b. La réforme des congés parentaux ......................................................................................................................... 52
2. L’importance de la participation des entreprises .................................................................................... 54
a. La révision de la norme du travail à temps plein en fonction du cycle de vie ...................................... 55
b. Les incitations à mettre en place pour motiver les entreprises ................................................................. 57

CONCLUSION ........................................................................................................................ 59
BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................. 61
TABLE DES MATIERES ....................................................................................................... 69

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