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FONCTION INTERMÉDIAIRE DU PSYCHOLOGUE : UN TÉMOIGNAGE EN

PSYCHIATRIE… DE L’ADULTE

Nathalie Schmitt

ERES | « Connexions »

2020/1 n° 113 | pages 61 à 74


ISSN 0337-3126
ISBN 9782749267234
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Nathalie Schmitt
Fonction intermédiaire du psychologue :
un témoignage en psychiatrie de l’adulte

À l’hôpital psychiatrique, les contextes d’intervention des psycho-


logues sont assez variés, selon les caractéristiques du public accueilli,
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ou le type de structure. Cette diversité tient également aux dynamiques
de travail, évolutives, et tributaires des influences de l’environnement,
que ce soit à l’échelle locale – service, pôle, établissement – ou à une
échelle plus globale, sociétale.
En retour, les psychologues peuvent contribuer à la dynamique
institutionnelle, de différentes façons et à différents niveaux. Dans le
contexte actuel de restrictions budgétaires, de diminution des lits, de
pression sur les durées de séjour, leur rôle est précieux, pour soutenir
la mission thérapeutique des soignants dans des conditions difficiles.
Aborder les patients « par un autre angle », tenter de les entendre et de
les mobiliser autrement ; apporter en équipe un nouvel éclairage sur
leurs vies psychiques, sur leurs ressources et sur leurs vulnérabilités ;
aider à reconnaître, et à penser l’écart entre idéaux thérapeutiques et
réalités cliniques, au bénéfice des patients : voilà ce qui est attendu du
psychologue. Par sa formation spécifique, lorsque celle-ci intègre des
connaissances et une expérience de la vie psychique individuelle et des
processus de groupe, le psychologue peut soutenir l’élaboration des
prises en charge, toujours en risque de perte de sens face aux distorsions
induites par les pathologies psychiatriques.
Cet article vient ponctuer une période de travail clinique de neuf
années dans un grand hôpital de psychiatrie publique. Il cherche à mettre
en évidence le rôle intermédiaire que le psychologue peut tenir dans une
unité d’hospitalisation complète, dite d’entrée, en parallèle à ses tâches
pratiques ; et à décrire comment ce rôle peut soutenir l’évolution favo-
rable de l’état d’esprit de l’unité, malgré un contexte contraignant.
Le champ d’action du psychologue reste tributaire de la place que
ses collègues acceptent ou non de lui faire, de leur tolérance à son
Nathalie Schmitt, psychologue ; Nathalie.schmitt.psychologue@gmail.com
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positionnement à l’intersection des dimensions individuelle et groupale.


Lorsqu’il rencontre des opportunités et s’en saisit, sa participation au
travail collectif soutient la qualité du travail clinique (et psychique) du
service, accompagne l’appropriation par les professionnels des nou-
velles conditions de pratique, et contribue ainsi à la qualité de l’approche
soignante proposée aux patients. Le travail clinique (et psychique) du
psychologue en est bénéficiaire en retour, dans un processus de cercle
vertueux. Un certain usage de la parole échangée avec les patients et à
propos des patients se trouve favorisé.
Le témoignage qui suit cherche à rendre compte de ce processus.
Après avoir situé le contexte, je présenterai deux dispositifs de l’unité,
la réunion soignants-soignés et la réunion clinique, afin d’illustrer la
fonction intermédiaire du psychologue. Puis je conclurai en dégageant
des points d’attention particulière.

Un contexte de transformations
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Mon arrivée à l’hôpital avait précédé de quelques mois une restruc-
turation importante : fusion de deux services de psychiatrie de l’adulte,
puis, peu après, reconfiguration des unités d’hospitalisation, dites « d’en-
trée », dont le nombre passe de quatre à deux.
Dans l’unité flambant neuve dans laquelle j’ai été nommée, un mi-
temps de psychologue est prévu, mais pas de bureau dédié, ni dans la
« zone de consultations », en situation limitrophe par rapport à l’espace
de l’unité, ni dans l’unité même. De ce message ambigu – un temps
dédié sans lieu dédié pour le psychologue –, je tire le parti de me posi-
tionner dans la zone de vie : j’investis un des bureaux « polyvalents »,
face aux « salons télé » et à la salle à manger, et non loin de la zone
des chambres. Ce positionnement géographique favorise de précieux
moments d’observation, et multiplie les occasions de rencontre avec les
patients. Il me place, d’emblée, dans une position d’immersion dans la
vie du service.
En parallèle, et cette fois sur un plan non matériel, il s’agit de
« trouver-créer » ma place de psychologue vis-à-vis de l’équipe : méde-
cins, cadre de santé, infirmiers, aides-soignants, agents d’entretien des
locaux, assistante sociale, ergothérapeute, psychomotricienne, et les
nombreux étudiants en stage. Une partie de la nouvelle équipe m’a
déjà côtoyée dans les anciennes unités, dans un rôle essentiellement
centré sur l’accompagnement des équipes ; l’autre partie des soignants
travaillait sans psychologue sur le site de l’hôpital. Ma place est donc
à construire.
À cette époque, pour les équipes soignantes, les changements liés
aux transformations du service s’inscrivent globalement dans un vécu
de perte et de disqualification des compétences. Les professionnels sont
dispersés sur de nouveaux postes, dans de nouvelles configurations
d’équipe, dans les nouvelles unités ou dans d’autres lieux de l’hôpital.

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Pour chacun, l’appartenance à une équipe sera à (re)construire ; le tra-


vail psychique que suppose le « faire équipe » sera à produire (Mellier,
2012 ; Fustier, 2012).
Le déménagement s’accompagne de modifications substantielles
dans l’organisation des équipes, qui interrogent et inquiètent. Elles sont
perçues dans un registre de dépossession et d’attaque des liens d’équipe,
pour entraver le positionnement conflictuel des soignants vis-à-vis des
décisions de la hiérarchie.
Le sentiment qui prédomine, c’est celui d’une limitation toujours
plus grande des capacités d’accueil et de soins pour des patients qui,
pourtant, ont besoin, à un moment ou à plusieurs moments de leur exis-
tence, d’une hospitalisation psychiatrique. Situation à risque, si l’on fait
l’hypothèse que, dans un tel cadre, les soignants mettent en place des
défenses psychiques contre le sentiment de mal faire leur travail, qui ne
sont pas sans effet sur les rapports avec les patients. Le travail d’élabo-
ration et de mise en sens des situations cliniques les plus enkystées, donc
les plus difficiles à penser, sera d’autant plus ardu, voire hors de portée,
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quelle que soit la bonne volonté individuelle de chaque professionnel.
Au niveau des locaux, la qualité « hôtelière » des chambres s’est
améliorée ; mais l’architecture, conçue sur le modèle d’un hôpital géné-
ral, désoriente les soignants, en les privant des outils sensoriels dont
ils avaient l’usage, du fait de l’isolation phonique, de la configuration
des couloirs. La terrasse, où les patients iront s’aérer ou fumer une
cigarette, est à l’opposé du bureau infirmier, loin des regards. En plus
de la chambre d’isolement (renommée « espace de soins psychiatriques
intensifs »), une chambre et un salon « d’apaisement » diversifient
les modalités de soin, mais augmentent, en conséquence, la charge de
travail pratique et mental des soignants. La distribution des médica-
ments est prévue dans chaque chambre, engendrant pour le soignant
un vécu de vulnérabilité. Il faut évaluer, au cas par cas, la nécessité de
demander, par prudence, à un patient de venir chercher son traitement
à l’infirmerie.
L’obligation de « traçabilité » des actes soignants sur dossier infor-
matique n’est pas nouvelle ; mais dans ce nouveau contexte, les infir-
miers vivent le temps qu’ils passent les yeux rivés sur l’écran, comme
autant de temps précieux enlevé à la relation aux patients. « Quand ils
passent devant le bureau infirmier, les patients ne voient plus aucun
regard ! », déplorent certains.
D’autres paramètres de modification de l’environnement pour-
raient être décrits au niveau de l’établissement, qui pèsent sur l’am-
biance générale : ainsi la disparition du service de lingerie, dorénavant
« externalisé », entraîne, à cette époque, des problèmes récurrents
dans la dotation de linge et dans le matériel des agents d’entretien des
locaux.
Dans l’unité, les situations d’hospitalisation sous contrainte sont
nombreuses, dans toutes les occurrences possibles, pour péril imminent,

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ou à la demande d’un tiers, ou d’un représentant de l’État. La mise en


place des audiences par le juge « des libertés et de la détention » suscite
l’incompréhension et l’anxiété des patients. Les soignants doivent les
accompagner à l’audience, psychiquement comme matériellement ; les
médecins doivent parfois composer avec des levées de contrainte qui ne
correspondent pas à leur évaluation clinique.
La nouvelle unité s’ouvre dans cette atmosphère de contraintes, de
lourdeur des procédures, voire de paradoxes. L’ambiance est morose ;
les soignants sont très pris par les taches matérielles.
Dans le service, l’entretien médico-infirmier est institué comme
« la colonne vertébrale des soins » de chaque patient. En parallèle, le
responsable médical de l’unité attend de moi que je reçoive les patients
« en individuel », me laissant construire les modalités de rencontre et
de travail psychologique avec chaque patient. Par ailleurs, je suis asso-
ciée à un temps groupal hebdomadaire : le « groupe Communication »,
réunion soignants-soignés dont l’histoire remonte à l’une des unités-
ancêtres. L’ancrage de ce temps groupal dans l’unité n’est pas d’emblée
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assuré, comme j’en ferai bientôt le récit.
À cette époque, je cherche comment accompagner la vie de l’unité.
Pour l’essentiel, j’oriente ma pratique clinique entre entretiens psycho-
logiques individuels et participation au groupe communication. Versus
patients, les entretiens auront une visée de soutien et/ou de « mise au
travail » vis-à-vis de leur hospitalisation, avec parfois valeur d’initiation
à un travail psychothérapique plus global ; versus équipe, ils auront une
visée d’avis clinique psychopathologique et d’aide au diagnostic et à la
prise en charge. Néanmoins, convaincue que ce qui possède une valeur
mutative dans la vie psychique des patients ne se joue pas uniquement
dans le cadre d’une séance psychothérapique, je me tiens attentive à
l’articulation entre l’ambiance de l’unité, les diverses interactions, et
l’état ou l’évolution personnels des patients.

Le groupe soignants-soignés

Dans l’unité, tous les mardis de 16 h 30 à 17 heures, il y a « groupe


Com », diminutif du « groupe communication ». Tous les patients de
l’unité sont attendus. La salle à manger a été transformée pour l’occa-
sion : tables repoussées dans les coins, chaises installées en un grand
cercle, une trentaine de places. À 16 h 20, soignants et médecins font le
tour des chambres, sollicitent les patients pour ce rendez-vous ; chacun
commence à s’installer. L’un des médecins du service, ou moi-même,
animera la séance. L’organisation des échanges est immuable : rappel
des consignes, invitation à proposer un thème ; au bout de trois propo-
sitions, on vote à main levée. C’est la personne qui a proposé le thème
retenu qui commence : elle en dit quelques mots ; puis la parole passe
au voisin, et circule ainsi, de proche en proche, à tour de rôle. Il reste
alors souvent quelques minutes avant 17 heures : chacun peut encore

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demander la parole, ajouter quelques mots. Les soignants participent


eux aussi au tour de parole et aux échanges 1.

Le dispositif est particulier : il propose un tour de « table » sans


permettre d’interactions libres. La méthode exige, de chacun, de la
patience, de la retenue. Mais elle régule aussi. Et autorise : tous les
thèmes sont acceptés – la seule limite étant qu’ils soient a minima com-
préhensibles –, toutes les prises de parole également, dans la limite du
respect de chacun. Contraignant, mais sécurisant, le dispositif permet
que se tisse une forme de « perlaboration groupale » : de proche en
proche, chacun ajoute sa pierre à un édifice a priori improbable ; mais
dont l’assise et la consistance se révèlent progressivement.
Cette réunion hebdomadaire existe depuis l’ouverture de l’unité.
J’avais eu l’occasion d’en connaître une version antérieure, dans l’une
des unités-ancêtres. À l’époque, j’avais saisi l’invitation, formulée par
le responsable médical, à participer au groupe : convaincue qu’offrir un
espace de parole aux patients avait toute chance d’être fructueux, pour
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peu que cet espace bénéficie d’un cadre fiable et suffisamment porteur.
Je m’y étais, d’emblée, impliquée, en composant avec les vécus d’étran-
geté, de malaise psychique ou corporel, qui m’avaient traversée dans les
toutes premières séances.
À cette époque, au fil des séances, j’observe que certains patients
trouvent, ou retrouvent, une capacité à dire, et en disant, à s’extraire
progressivement de leur confusion, ou de leur marasme. Aidés en
cela par l’écho que leurs paroles suscitent chez les autres, ou par la
résonance qu’ont pour eux certaines paroles venues des autres, en
particulier venues des autres patients. M.T., qui verbalise le nombre
de tentatives de suicide et le nombre d’années d’hospitalisations qu’il
a vécu depuis le départ de sa femme ; j’ai le sentiment que c’est en le
disant devant tous, à tous, qu’il le réalise vraiment, première étape de
son travail psychique pour stopper une hémorragie qui n’a que trop
duré. M.K., dont les premières paroles au groupe Com sont un méli-
mélo sans queue ni tête, une fragmentation de mots : sidération, malaise
dans le groupe ; heureusement, les professionnels sont là, qui peuvent
parfois reprendre une expression, bricoler un peu de sens à partir d’une
formule, ou simplement accepter de ne pas comprendre, de côtoyer
l’étrangeté, sans perdre tous leurs moyens. Au fil des mois, le discours
de M.K. devient moins impénétrable, moins incohérent ; il se rattache
un peu plus au thème, trouve un début de consistance. Plus tard, ce
patient commencera à s’adresser spontanément aux soignants ; plus
tard encore, il pourra faire la demande d’être reçu en entretien.

1. Pour une présentation plus précise du groupe Communication, voir mon article « Soigner en
psychiatrie : du travail collectif au travail du récit », dans J.-P. Pierron (sous la direction de),
Médecine, langage et narration. Le soin dans le langage de celles et ceux qui le vivent, Éditions
Universitaires de Dijon, 2020.

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À l’ouverture de la nouvelle unité, le responsable médical souhaite


reprendre ce dispositif. Pour ma part, je suis convaincue de son intérêt
clinique. Mais, dans le nouveau contexte, l’équipe soignante investit
avec ambivalence ce temps groupal, vécu comme une émanation de
l’ancienne unité. La référence aux pratiques des anciens pavillons est un
sujet délicat : pourquoi privilégier un héritage au détriment des autres ?
En parallèle, entre professionnels, l’accordage n’a pas encore été trouvé :
cette première période est sensible, « l’appareillage psychique d’équipe »
n’est pas encore constitué (Mellier, 2012).
À quelques semaines de l’ouverture, il y a une séance du groupe
Com qui concerne les repas. Les patients se plaignent : ici, les repas
se font dans une mauvaise ambiance ; des soignants servent trop vite,
des patients se tiennent mal à table ; il y a du déplaisir, de la mauvaise
humeur. Émerge, chez certains patients, l’idée que si les soignants servent
trop vite, rien n’empêche chacun de prendre le temps de finir son assiette,
de ne pas se laisser entraîner par le rythme général… Les semaines
qui suivent, passant devant la salle à manger, je suis frappée par une
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ambiance différente à l’heure du repas, plus posée, de la part de tous.
Chaque semaine, le groupe Com rappelle aux participants qu’ils
font partie d’une collectivité ; que chacun y a sa place, potentiellement,
pour un temps ; que cette place n’est pas sans effet sur les autres, selon
ce que chacun en fait. Les soignants présents ont pu composer avec
l’expression d’une critique sur leur manière de faire, et en tenir compte
dans leur accompagnement des repas qui suivent : trouvant eux-mêmes
une marge de manœuvre, là où elle n’apparaissait peut-être pas spon-
tanément. Un mouvement de dégagement du sentiment de « subir » a
eu lieu, qui concerne tant les patients que les soignants. C’est un pas de
plus vers l’appropriation d’une vie d’unité, avec ses caractéristiques et
son équilibre propres.
Malgré la charge de travail, les soignants assument cet exercice,
qui sollicite leur propre psychisme, consistant à se rendre disponible à
une autre façon d’entrer en contact avec les patients, durant la séance ;
à s’exprimer en tant que personne, sans perdre de vue sa place de soi-
gnant. Prises de parole qui rassurent les patients, leur permettent de
s’identifier à certains aspects ou propos, et de prendre la parole à leur
tour. Si, d’aventure, le groupe est annulé, je perçois du désarroi, une
déconvenue, du côté des patients.
Un mardi, à l’heure habituelle, aucun soignant ne se présente.
Les patients m’interrogent : n’y a-t-il pas de groupe aujourd’hui ?
Je cherche l’information : le médecin présent ce jour-là est seul dans
l’unité, trop chargé de travail ; le groupe n’aura pas lieu. Personne n’a
songé à prévenir les patients ; les soignants me renvoient au médecin.
Ma réaction sera courte, mais vive : que je ne sois pas informée, soit,
mais les patients ? Instantanément, le médecin comprend et accepte ma
réaction, et se charge d’aller au-devant des patients leur faire savoir la
situation exceptionnelle, ce jour-là.

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Ainsi, en l’absence du responsable médical de l’unité, j’assume un


rôle d’encadrement non pas hiérarchique, mais fonctionnel : pointant
la discordance entre le projet de l’unité et la situation effective, sans
méconnaître la complexité du travail dans l’unité (un seul médecin, trop
de travail). La séance de groupe pouvait être annulée ; encore fallait-il
le faire savoir aux patients, principaux concernés. La fonction inter-
médiaire du psychologue apparaît dans l’unité… dans la vivacité d’une
réaction intuitive et directe (Kaës, 2007).
Quelques mois plus tard, voilà qu’un mardi, nous trouvons en début
de séance les chaises déjà installées. Comme c’est appréciable ! Nous
n’avons que la manutention de l’après-groupe à assurer. J’ai l’occasion
de le dire en réunion d’équipe : c’était super ! Les agents d’entretien
de l’unité se saisissent de cette initiative, et voilà que l’aide se péren-
nise, s’institue. Dès le milieu de l’après-midi, dorénavant, le mardi, les
chaises font cercle dans la pièce, en attente du groupe Com. Ce grand
cercle, symbole d’un accueil – une place faite à chacun –, mais aussi
d’un appel : à prendre place, à prendre part, dans un collectif et dans
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des soins – c’est une vision que je trouve assez impressionnante, une
image forte. Souvent, les patients qui passent devant la pièce jettent un
œil à travers la vitre. Les visiteurs aussi.
En repérant l’investissement de ce groupe par les patients, les soi-
gnants ont accepté de se rendre partenaires du processus de transmission
d’une modalité de travail thérapeutique, héritée de l’histoire du ser-
vice, et, au-delà, de l’histoire de la psychiatrie, à travers une référence,
inscrite à cette époque dans le projet de service, à la psychothérapie
institutionnelle. Mais, quelles que soient les références théoriques d’un
service, tout l’enjeu n’est-il pas de leur donner vie, dans le concret de la
vie quotidienne et des soins ?
Il y a une séance du groupe Com à propos de la famille, suite à
laquelle deux patientes me demandent une entrevue, et parlent, chacune
à sa manière, de l’inceste dans leur famille.
Poussée par cette expérience, quelque temps plus tard, je saisis en
réunion l’occasion de demander aux soignants s’ils leur arrivent de discu-
ter du groupe Com avec les patients, en dehors du moment de la séance.
S’en servent-ils comme d’un support ? Le thème du jour constitue-
t-il parfois une porte d’entrée dans la rencontre, dans le dialogue avec
tel ou tel patient ? Je crois percevoir une surprise. Ce potentiel dans
les échanges, il apparaît sans que nous l’ayons vraiment anticipé. Une
synergie est à l’œuvre : le travail du groupe Com se relie, se connecte,
aux autres moments de soin dans l’unité ; les patients en parlent, et par
là, nous font faire un pas de plus dans les échanges entre nous, à propos
d’eux, et du travail auprès d’eux.
Me viennent alors, de plus en plus souvent, des occasions de res-
tituer, en réunion d’équipe, des paroles exprimées au dernier groupe
Com : paroles, ou attitudes, qui illustrent l’état d’un patient, ou qui
laissent entrevoir une évolution ; ou bien encore, qui apportent une

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vision autre, inédite, du patient, qui a pu se montrer « autrement », dans


le cadre du groupe, que ce qu’on connaissait de lui jusque-là. Obser-
vations qui pourront susciter des effets d’ouverture dans la dynamique
intersubjective entre soignants et patients.
Devenu l’un des temps forts de l’activité du service, le groupe
Com lutte contre les vécus d’anonymat, d’étrangeté, qui traversent les
patients à leur arrivée dans l’unité, isolés par leurs troubles, par la peur
de la folie – la leur, potentiellement, et celle des autres patients –, et
en miroir, par la peur de la psychiatrie. Il constitue un catalyseur psy-
chique, mobilisant des processus de pensée avant, pendant et après la
rencontre, permettant à chaque patient de s’appuyer sur le travail collec-
tif pour se situer personnellement. En ce sens, cette expérience groupale
contribue à soutenir la continuité existentielle des patients, mise à mal
par l’épisode morbide qui les a conduits, ou contraints, à l’hospitalisa-
tion (Conus et coll., 2012). Réciproquement, la méthode du dispositif
« tamise » les effets induits par les pathologies, limitant les risques de
glissement vers le non-sens, le paradoxe, « l’effort pour rendre l’autre
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fou » (Searles, 1959). Dans la mesure où elle est utilisée de façon authen-
tique, la méthode constitue, en elle-même, un pare-excitant dans la vie
psychique de l’unité.
Madame S a été hospitalisée après avoir mis violemment à mal les
services sociaux de la ville. Dans l’unité, elle se tient discrète, silen-
cieuse, pendant plusieurs semaines, distante. Au groupe Com, quand
son tour arrive, elle « passe ». Puis un mardi, sur le thème « Être
soulagé(e) », elle prend la parole : « Je ne saisis pas les perches qui
pourraient me soulager. » Elle a trouvé, dans l’hospitalisation, la pos-
sibilité d’un écart vis-à-vis de ses vécus de persécution ; à l’écoute du
groupe, elle s’est longuement tue, avant de saisir ce thème… comme
une perche ! Après cette séance, elle prendra contact avec l’assistante
sociale de l’unité, et pourra revenir avec elle sur ce qui s’est joué avant
son hospitalisation. Elle exprimera alors beaucoup de regrets, de tris-
tesse et de gratitude.
Pour soutenir ce dispositif, les aspects psychanalytiques de ma
formation me sont d’un grand intérêt. Ils me permettent de proposer
des pistes d’écoute et de compréhension des échanges, de mettre en
évidence l’effort de perlaboration collective de chaque séance. Dans
le temps après-séance, nous dialoguons à partir de nos écoutes, de nos
expériences et de nos sensibilités respectives, médecins, soignants, sta-
giaires, psychologue.
Par période, à la sortie du groupe Com, il arrive que les patients
se tiennent sur la terrasse et continuent à discuter du thème entre eux,
prolongeant la séance de l’autre côté de la porte vitrée, alors que nous
sommes restés entre soignants dans la salle. La terrasse se transforme
un moment en agora. Il y a de la civilité dans l’air.
Pour certains patients, me côtoyer dans le groupe, s’habituer au
ton de ma voix, à ma gestuelle, à ma présence, leur ouvre la possibilité

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de prendre l’initiative d’une rencontre individuelle. Dans les entretiens


psychologiques, certains me parlent parfois de ce qu’ils n’ont pas réussi
à dire pendant le groupe, ou de ce qu’ils ont pensé plus tard, dans la
soirée, après-coup.
Monsieur C m’entretient de l’observation fine et surprenante qu’il a
faite dans l’unité : il y a des patients qui ne parlent jamais dans les cou-
loirs, et qui prennent pourtant la parole au groupe ! Lui-même, jusqu’à
présent, n’a pas trouvé comment parler dans le groupe « sans que ce
soit scolaire », selon la formule qui est venue dans notre dialogue pour
dire sa difficulté à trouver ses propres mots, sa propre manière de s’ex-
primer dans le groupe. Prendre sa place dans un collectif représente un
enjeu tout particulier pour lui : c’est suite à un trop d’isolement qu’il
a été hospitalisé. « Si je sors pas, je pars dans mes délires. » Pour ce
patient continuellement aux prises avec un automatisme mental, des
ressentis corporels dépersonnalisants, qui se sent si facilement « pris
de haut » et ridiculisé, réussir à se mettre en lien est une gageure, mais
aussi un enjeu de sauvegarde. Alors, dans nos premiers entretiens, le
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groupe Com nous sert de médiation pour parler ensemble.
Ainsi se tissent, dans mon activité de psychologue dans l’unité, des
allers et retours entre ma participation au groupe Com, les rencontres
individuelles avec les patients, et les temps de réunion d’équipe.

La réunion clinique de l’unité

Autre temps de la vie du service, autre type de réunion : la réunion


clinique, bimensuelle, qui concerne, cette fois, uniquement l’équipe.
Les soignants du matin y croisent ceux de l’après-midi ; sont aussi
présents les autres professionnels de l’unité. La situation d’un patient
a été choisie la veille : situation qui fait problème, parce que le patient
ne s’améliore pas, voire se dégrade ; que le sens de son hospitalisation
n’apparaît pas, ou se perd ; que son comportement est difficile à gérer
dans l’unité, etc.
Le responsable médical avait souhaité ce dispositif de travail,
le proposant comme un temps de « rêverie groupale » à propos des
patients, temps dégagé de tout enjeu décisionnel direct sur les prises en
charge. Comme pour le groupe Com, mais cette fois dans le registre
du travail d’équipe, je percevais le bien-fondé du dispositif, persuadée
qu’échanger entre professionnels à propos des patients difficiles (ou des
autres !) ne pouvait que favoriser le travail de chacun et la cohérence
d’ensemble ; aider à la métabolisation des vécus interactionnels com-
pliqués que font vivre les patients aux pathologies graves ; mobiliser la
pluralité des sensibilités et des expériences, pour trouver du recul, ou
insuffler une dynamique, favoriser l’invention du « pas de côté » néces-
saire au déblocage des impasses cliniques.
Dans les premiers temps de l’unité, en réunion clinique, j’avais le
sentiment que le dialogue ne se nouait qu’entre le(s) médecin(s),

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et moi-même, sous le regard silencieux du reste de l’équipe. Bien sûr,


solliciter la participation des uns ou des autres portait quelques fruits ;
mais je restais avec un grand sentiment d’inconfort. Me voilà qui propo-
sais des analyses, des interprétations… peut-être pertinentes, mais bien
entendu sujettes à caution. J’avais le sentiment désagréable d’être une
caricature de psychologue… et que la réunion clinique n’en était pas
réellement une.
Le déménagement était récent, la fermeture des anciennes unités
avait entraîné beaucoup de changements. Dans une période où l’équipe
n’avait pas encore vraiment trouvé ses marques, il était peut-être plus
prudent de ne pas soulever le voile recouvrant les différences de regard
et d’appréciation au sein de l’équipe soignante, à propos de tel ou tel
patient. Par ailleurs, les bouleversements du contexte et des pratiques
avaient entraîné des vécus de disqualification professionnelle, se cumu-
lant aux difficultés des prises en charge. L’attitude de retrait des pro-
fessionnels était peut-être à mettre en lien avec les vécus de perte et
d’attaque des liens d’équipe retracés plus haut. Enfin, la proposition
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« d’entrer en rêverie », c’est-à-dire de se donner les conditions d’un
travail de pensée de groupe, pouvait désorienter les soignants, dans une
époque où le factuel, l’objectivable, sont mis en avant. Ainsi la manière
d’écrire dans les dossiers s’est-elle modifiée, depuis la mise en place des
dossiers sur support informatique.
Comme dans d’autres contextes hospitaliers, l’écrit tient, en psy-
chiatrie, une place importante. Les soignants consignent, dans le
dossier informatique du patient, différentes données : état du patient,
symptômes, hypothèses diagnostiques ; informations biographiques,
somatiques, sociales ; événements qui jalonnent l’hospitalisation.
Les actes médicaux ou paramédicaux seront consignés, « tracés ».
On essaie d’être objectif ; de consigner des faits. On ne « trace » pas
des hypothèses, des interrogations, des doutes, des sensibilités. Dans
le dossier patient, l’écriture se fait au présent de l’indicatif. On ne
consigne pas – ou peu – un cheminement ; on ne trace pas – ou peu – les
perspectives qui se dégagent dans l’après-coup, celles que le recul du
temps autorise. On trace plus volontiers ce qui est actuel 2.
Mais alors, comment encourager la verbalisation des observations
cliniques, étape essentielle pour ensuite réfléchir ensemble, se laisser
porter par les images et les mots employés, et permettre à la pensée grou-
pale, à propos du patient, d’advenir ? Comment soutenir la construction
d’une approche clinique collective, partageable et partagée, à travers
une parole qui circule ? Enfin, sur quoi appuyer la restitution de ce tra-
vail aux collègues absents ?
De façon expérimentale, à l’issue d’une réunion clinique, j’ai
rédigé un compte rendu ; puis proposé un second… et ainsi de suite.
2. Cf. mon article « Soigner en psychiatrie : du travail collectif au travail du récit » (op. cit.),
qui interroge la question des modes d’écriture à l’hôpital. En attente de parution, je le tiens à la
disposition des lecteurs intéressés.

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Aujourd’hui, ce travail est régulier, et il a trouvé sa place institution-


nelle. Chaque compte rendu est consigné dans le dossier informatique
du patient concerné. Le fil associatif des pensées de l’équipe entremêle
les éléments objectifs et les vécus subjectifs à l’égard du patient, les uns
comme les autres ayant valeur signifiante. La valeur informative est
présente mais enrichie, complétée.
Soulignant la place de chacun dans la construction commune, les
comptes rendus m’ont paru contribuer à la qualité de la circulation de la
parole en réunion. En restituant l’effort collectif pour penser l’accom-
pagnement soignant, ils soutiennent la fonction sémaphorique portée
par les professionnels : fonction de mise à jour, de mise en mots des
signes cliniques perceptibles (Robin, 2016 3). Du confus, du peu appré-
hendable, peuvent se dégager une ou plusieurs lignes en relief : ainsi
« retracer », à l’oral comme à l’écrit, peut aider à trouver, ou à retrouver,
du sens.

La fonction intermédiaire du psychologue


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Attentive aux différentes caractéristiques de la vie psychique de
l’unité, dans ses dimensions individuelle, inter-individuelle, groupale
et collective, j’ai découvert l’intérêt d’une position intermédiaire entre
« pratique individuelle » et « pratique groupale ». Ce positionnement
soutient patients et soignants dans leurs élaborations respectives :
pour les premiers, dans ce qui les concerne individuellement ; pour les
seconds, dans ce qui les concerne collectivement, à travers leur mission.
Situés à la marge de l’activité médico-infirmière et des autres
dimensions de soin ou d’accompagnement développés dans l’unité, les
entretiens psychologiques ont à s’articuler avec les divers aspects de la
prise en charge. Il n’est pas rare que les patients viennent directement
parler de leur hospitalisation : des craintes qu’ils ont, des questions
qu’ils se posent, des idées qu’ils se font ou de ce à quoi ils se heurtent
à l’hôpital. Le psychologue dialoguera avec eux, dans une fonction sup-
port, tout en se tenant à l’écoute de ce à quoi peut conduire cette entrée
en matière, dans le rapport du patient à son environnement comme à lui-
même, à ses difficultés propres ainsi qu’à ses ressources personnelles.
Avec le recul du temps, je mesure combien la position du respon-
sable médical, favorable à « l’accès direct » au psychologue pour les
patients dans l’unité, a ouvert une voie fructueuse, me laissant inventer,
avec chaque patient, les coordonnées de notre rencontre. Ces préalables
ne sont pas indifférents : ils conditionnent parfois la possibilité même
d’un travail psychique, qui est toujours intersubjectif. Sur le plan des
relations d’équipe pluridisciplinaire, un « pari » est pris : celui de la
capacité collective à composer avec les effets éventuels « de clivage »
entre membres de l’équipe. Pari tenu comme une chance offerte, tant au
3. D. Robin, Dépasser les souffrances institutionnelles, Paris, Puf, 2016. Voir en particulier le
chapitre vii « Les processus collectifs de symbolisation ».

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patient qu’au collectif des professionnels, d’avancer vers de nouvelles


capacités de contenance.
Comme j’en ai donné des exemples plus haut, j’ai pu saisir l’expé-
rience du groupe Communication comme une médiation entre certains
patients et moi-même ; et proposer aux soignants d’utiliser, à leur tour,
cette voie, à leur gré, selon les circonstances. Suggérer des pistes au
« travail verbal » (Kapsambelis, 2018) à accomplir auprès des patients :
voilà une autre façon de tenir une fonction intermédiaire entre patients
et soignants.
En retour, le groupe Com m’a aidée à prendre place aux côtés de
l’équipe, en évitant l’écueil d’une position trop extérieure, uniquement
centrée sur les aspects individuels des patients, et, partant, trop décalée
de la vie du service, tant dans mon écoute que dans mes apports.
Soucieuse de soutenir les professionnels dans leur réflexion sur les
soins, j’ai trouvé, à travers la rédaction des comptes rendus de réunion
clinique, une façon d’œuvrer pour soutenir l’effort de mise en pers-
pective des prises en charge, et la circulation de la parole dans cette
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réunion. Cette pratique constitue, dans le registre du travail d’équipe,
une autre facette de la fonction articulaire du psychologue dans l’unité.

En guise de conclusion

Dans le domaine des soins psychiatriques, quelles que soient les


références théoriques ou théorico-pratiques d’un projet de service, il
reste à les mettre en œuvre dans le concret du travail quotidien, à leur
donner vie, à travers des manières d’être et de faire. Sans cela, les
modèles théoriques restent de l’ordre du « discours officiel », fétiches
idéologiques en décalage avec les réalités du terrain. Se tenir attentif à
cette dimension, c’est accorder de l’importance à l’état d’esprit dans
lequel un collectif soignant travaille ; c’est penser que celui-ci n’est
pas sans répercussion sur la qualité de l’accueil et des soins prodigués.
Mieux l’écart entre idéal thérapeutique et réalités cliniques est reconnu,
tout à la fois supporté et interrogé, mieux les patients sont accompagnés,
dans la réalité de leurs cheminements existentiels, entrelacés à leurs
états psychopathologiques.
De ce travail d’articulation entre références théoriques et pratique
clinique, il me semble possible de dégager un certain nombre de para-
mètres, ou de conditions nécessaires.
La première concerne les rôles hiérarchiques, qui sous-tendent
l’organisation de l’unité ou du service. Lorsque les responsables jouent
leurs rôles, tiennent leurs fonctions de régulation et de soutien, d’ac-
compagnement des équipes, une première condition est remplie. Alors,
l’organisation du service sera effectivement porteuse.
La seconde condition concerne la possibilité de la circulation de
la parole : permettant l’expression de chacun, sans que la parole soit
toute-puissante. En effet, quels que soient les dispositifs, pour qu’ils

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prennent sens et efficacité, ils doivent pouvoir être interrogés et discutés


en équipe, dans des temps où la parole de chacun est prise en considéra-
tion ; puis viendra le temps de la décision, portée par les responsables,
qui sera alors, peut-on penser, une décision plus éclairée. Des bilans
réguliers doivent pouvoir être effectués, à propos du fonctionnement
d’ensemble. Ainsi les dispositifs, dont le sens a pu être réellement inter-
rogé, seront-ils mis en œuvre dans un vrai travail d’appropriation.
Troisième condition, ce travail d’appropriation signifiante concerne
aussi le psychologue, dans sa référence aux modèles qui sous-tendent
sa pratique, ainsi que dans son adaptation au contexte de travail. Il lui
faut exercer son art à partir de ses références théoriques, mais sans les
plaquer ; trouver comment les mettre en œuvre dans les conditions qui
se présentent, autant que faire se peut.
Dans le contexte actuel, il me semble que le psychologue aura une
responsabilité particulière vis-à-vis des références théoriques psychana-
lytiques, actuellement dévalorisées, mais dont on sait qu’elles peuvent
aussi être surestimées, voire dévoyées. Charge au psychologue d’incar-
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ner, dans sa pratique, ses références, sans en faire des arguments d’auto-
rité, tout en les tenant fermement comme une aide à penser.
Mais pour qu’il trouve place dans l’équipe pluridisciplinaire, le
psychologue aura besoin de trouver lui-même appui a minima, d’une
façon ou d’une autre. Sa formation le situe dans un écart vis-à-vis des
autres professionnels, qui, pour la plupart, s’inscrivent dans le registre
médical ou paramédical : c’est ce qui fait l’intérêt de sa contribution
au travail d’équipe ; c’est aussi ce qui rend inconfortable sa place, et
délicat son positionnement. En ce qui me concerne, c’est à partir de la
position d’ouverture et la confiance du responsable médical de l’unité
que j’ai pu œuvrer. L’exemple de collègues isolés dans leur pratique
montre l’empêchement dans lequel ils se trouvent, sans pouvoir effec-
tuer le travail d’articulation dont ils sont pourtant potentiellement
porteurs.
Ainsi en est-il de situations où les difficultés se cumulent. À l’inverse,
ce texte voudrait témoigner de dynamiques constructives et opérantes, à
l’hôpital psychiatrique aujourd’hui.

Bibliographie

Conus, P. ; Bonsack, C. ; Söderström, D. 2012. « L’hôpital psychiatrique :


un lieu pour la formation à la psychothérapie des troubles psychotiques »,
L’information psychiatrique, vol. 88, p. 527-534.
Fustier, P. 2012. « L’interstitiel et la fabrique de l’équipe », Nouvelle revue de
psychosociologie, n° 14, p. 85-96.
Kaës, R. 2007. « La catégorie de l’intermédiaire dans la pensée de Freud », dans
Un singulier pluriel. La psychanalyse à l’épreuve du groupe, Paris, Dunod.
Kapsambelis, V. 2018. « Psychothérapie d’une patiente hallucinée chronique »,
L’information psychiatrique, vol. 94, p. 735-741.

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Mellier, D. 2012. « Ce qui fait équipe, exigence d’un travail pulsionnel et appa-
reillage psychique groupal d’équipe », Nouvelle revue de psychosociologie,
n° 14, p. 131-144.
Neri, C. 1997. « La fonction thérapeutique de la pensée de groupe », dans Le
groupe. Manuel de psychanalyse de groupe, trad. fr. A. Angellini Rota, Paris,
Dunod.
Robin, D. 2016. Dépasser les souffrances institutionnelles, Paris, Puf.
Searles, H. 1959. L’effort pour rendre l’autre fou, trad. fr. B. Bost, Paris, Gal-
limard, coll. « Connaissance de l’inconscient ».
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