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Biographie Rimbaud 2021
Biographie Rimbaud 2021
"Ses presque dix-sept ans - cet « âge des espérances et des chimères » - ouvrirent en
lui la voie tracée du génie qu’il fut ; il écrivait au chef de file du Parnasse, Théodore de
Banville, lui envoyait ses premiers vers, s’éprenait de traditionnelle beauté antique, se
savait des maîtres parmi les descendants de Ronsard, se voulait adorer deux déesses,
Muse et Liberté, soulevé qu’il était, par une révolte de vie et un sens insatiable de la
fugue, du vagabondage : il s’était reconnu poète - « et voici que je me suis mis, enfant
touché par le doigt de la Muse, - pardon si c’est banal, - à dire mes bonnes croyances,
mes espérances, mes sensations, toutes ces choses des poètes... » et signait, d’un «
Ambition ! ô Folle !
À l’école, il collectionne les prix, découvre l’univers poétique, s’y jette, y puise de quoi
oublier « l’haleine morose » et glacée d’un logis familial, d’« un lit sans plumes » ; il se
prend de passion pour des modèles qu’il admire, Théodore de Banville, Théophile Gautier,
Leconte de Lisle, Baudelaire..., rédige ses premiers vers.
Il fait la rencontre décisive, cette même année 1870, d’un nouveau professeur de
littérature arrivé au collège, Georges Izambard, aîné d’à peine quelques années, à la
fois, confident et protecteur, lecteur avisé et encourageant, et qui aura une grande
influence sur lui.
Esprit hors du commun, impétueux épris d’absolu, animé de désirs sensuels et de chants
mystérieux, Rimbaud, rédigeant et envoyant ses trois premiers poèmes - Ophélie,
Sensation, Credo in unam -, prenait toute la mesure de son mal être de vivre à
Charleville, de son besoin de partir – il fugue, Paris l’attire, on le ramène, il fugue à
nouveau -, de son urgent besoin de marcher, d’aller « loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme », sûr de sa différence et déjà, et pour
toujours, si prompt à l’ennui et rebelle à la règle.
De Charleville, le 2 novembre 1870, il écrit à Georges Izambard, en qui il cherche appui
et réconfort, de qui il quête l’estime :
"Monsieur, - A vous seul ceci. - Je suis rentré à Charleville un jour après vous avoir
quitté. Ma Mère m’a reçu, et je suis là... tout à fait oisif. Ma mère ne me mettrait en
pension qu’en janvier 71. Eh bien, j’ai tenu ma promesse. Je meurs, je me décompose
dans la platitude, dans la mauvaiseté, dans la grisaille. Que voulez-vous, je m’entête
affreusement à adorer la liberté libre, et... un tas de choses que « ça fait pitié », n’est-
ce pas ? Je devais repartir aujourd’hui même ; je le pouvais : j’étais vêtu de neuf,
j’aurais vendu ma montre, et vive la liberté ! -Donc je suis resté ! je suis resté ! - et je
voudrai repartir encore bien des fois. - Allons, chapeau, capote, les deux poings dans les
poches, et sortons. - Mais je resterai, je resterai. Je n’ai pas promis cela ! Mais je le
ferai pour mériter votre affection : vous me l’avez dit. Je la mériterai ".
Ses alexandrins subjuguent aux dîners littéraires, ses provocations - alors qu’il séjourne
chez les Verlaine – perturbent le ménage, récemment marié : il est renvoyé dans sa
province. Mai 1872 : les poètes aimantés, amants scandaleux, se retrouvent, s’enfuient
hors de Paris, mènent une vie agitée à Londres, puis à Bruxelles.
En mars 1875, à Stuttgart où il étudie l’allemand, il revoit pour la dernière fois Verlaine.
En mai, il voyage en Italie. Par où étreindre « la réalité rugueuse » ? Les années qui
suivent sont marquées par de perpétuels déplacements, le constant désir d’aller plus
loin, le démon de l’aventure, coûte que coûte, parce qu’à elle seule, la poésie ne peut
changer la vie, le goût de l’or, l’éblouissement facile, la déception, fatale.
Vienne, Java, Stockholm, Chypre, Alexandrie, les ports de la Mer Rouge... Il travaille sur
des chantiers, se fait embaucher, là où il peut. Le 7 août 1880, il arrive à Aden (comme
Chypre alors, une colonie anglaise). Engagé par une maison de commerce, il est affecté à
la succursale de Harar, en Éthiopie, en décembre.
Les deux villes seront ses résidences principales, les dix années qui suivront. Les
Illuminations paraissent en octobre 1886 : cinquante-quatre poèmes en prose - «
poétique du fragment » ou météorites purs -, vertigineux par le jaillissement de leur
modernité, la puissance de l’univers intérieur qui les habite, les exprime.
Qu’il se lance dans des expéditions au long cours, comme celle qu’il tente en 1886, pour
livrer à Ménélik, roi du Choa, plusieurs milliers de vieux fusils ou qu’il confie - dans une
tentative de revenir à une certaine forme d’écriture, celle du journalisme - au Bosphore
égyptien, le récit de son dernier voyage (publié fin août 1887), il s’ennuie.
À Harar aussi, comme ailleurs, et même s’il y retourne pour diriger une factorerie. Dans
une de ses lettres à sa famille, il confie : « Je m’ennuie beaucoup, toujours ; je n’ai même
jamais connu personne qui s’ennuyât autant que moi ». Le 9 mai 1891, malade, il doit
rentrer en France.