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Les Droits de Common Law
Les Droits de Common Law
Objectifs pédagogiques :
-Connaitre le rôle et la place du Juge dans les systèmes juridiques de Common Law
Le droit anglais est fondé sur un principe jurisprudentiel, celui de la stabilité des
décisions de justice, gage de la sécurité juridique. On ne peut donc comprendre le droit
anglais sans se référer à son histoire externe (celle de ses sources), ni interne (celle de son
contenu), strictement associées.
Après la naissance de la Common Law, aux XIIème et XIIIème siècles, après la
formation de l'Equity, aux XVIème et XVIIème siècles, la fusion des deux corps de droit et
leur modernisation, aux XIXème et XXème siècles, constituent le troisième évènement
majeur de l'histoire de ce droit (Paragraphe 1). Le droit anglais en est sorti profondément
modifié (Paragraphe 2).
Paragraphe I : Le processus de fusion et de modernisation du droit
Un premier ministre libéral, Charles Grey fit voter par le parlement, en 1832 et 1833,
plusieurs lois de réforme de la justice qui modifièrent la procédure. En 1831, il y avait 76
formules modèles de writs. En 1852, le parlement abolit toutes les anciennes formes
d'action. Désormais, l'action en justice était libérée du cadre des writs. Ces réformes ont
supprimé ou, en tous cas, atténué, le formalisme antérieur du droit anglais, et elles ont
détaché le droit lui-même de la procédure.
En 1873 et 1875, les Judicature Acts réformèrent et simplifièrent l'organisation
judiciaire. La théorie, devenue une fiction, que les cours royales ne sont que des juridictions
d'exception, est abandonnée. Les cours royales deviennent les juridictions de droit commun.
Par ailleurs, la division entre cour de chancellerie, appliquant l'equity, et cours de
Westminster, appliquant la Common Law, est abolie. La dualité des procédures est
supprimée. Les deux corps de droit furent appliqués par les juridictions des deux ordres. La
nouvelle organisation judiciaire encouragea le rapprochement de la Common Law et de
l'equity.
La matière elle-même d'un droit, non pas totalement unifié, mais appliqué par les
mêmes cours et coordonné, fit l'objet d'une modernisation, selon le voeu de Bentham. Les
règles archaïques ou obsolètes furent abrogées, et les autres ont étéhiérarchisées et
articulées, dans une démarche que les Britanniques appellent Consolidation.
La création, en 1865, par une société privée devenue un organisme d'utilité publique,
des Law Reports, a donné un excellent moyen de connaître le droit, en particulier les arrêts
des cours supérieures. Par ailleurs, les Laws of England, dont la publication a commencé en
1907, est une encyclopédie du droit anglais, mise à jour continuellement, dont le directeur
éditorial (Chief Editor) est toujours le dernier Lord Chancelor. Les articles, rédigés par des
experts de la branche du droit, exposent brillamment l'ensemble du droit positif, issu de ses
sources diverses, que sont la jurisprudence, la loi, le droit européen, la doctrine.
La communauté entre le droit américain et le droit anglais, qui fait que tous deux sont
membres de la famille de la Common Law, se traduit par la conception partagée que le droit
est, par essence, de nature et de source jurisprudentielle: c'est un judge made law (A).
Toutefois, la loi, souvent codifiée, est plus importante qu'en Angleterre (B). La doctrine a
une place et un rôle similaire (C).
A : La jurisprudence
La place de la jurisprudence est donc centrale. Le droit est constitué des règles
reconnues par les juridictions et des principes qui s'en dégagent. James Kent écrivait, dans
ses Commentaries on American Law: The reports of the judicial decisions contain the most
certain evidence and the most authoritative and precise application of the rules of the
Common Law.
La place première accordée à la jurisprudence est particulièrement remarquable en
droit constitutionnel. Le contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois, mêmes
fédérales, a été posé par la Cour suprême, dans l'arrêt célèbre, Marbury v. Madison (1803).
Il faut mentionner une particularité importante du droit américain qui concerne la règle
du respect des précédents ou stare decisis. Aux Etats-Unis, cette règle est appliquée avec
souplesse. La structure fédérale introduit un risque de contradiction entre des décisions
judiciaires émanant de juridictions d'Etats fédérés différents. Les juridictions de chaque Etat
ne sont soumises qu'aux précédents rendus par les juridictions de cet Etat. Les juridictions
fédérales inférieures sont soumises à leurs propres précédents. La cour suprême des Etats-
Unis et les cours suprêmes de chaque Etat fédéré ne sont pas liées par leurs précédents. Des
revirements de jurisprudence sont donc possibles aux Etats-Unis. Ils s'expliquent, dans le
cas de la cour suprême fédérale, par un changement d'interprétation de la constitution
fédérale et, dans le cas des cours suprêmes étatiques, par le désir d'unifier le droit en
l'alignant sur celui de la majorité des Etats.
La tentative de Story de construire un droit fédéral directement sur la base d'une
general Common Law fédérale, issue des cours fédérales, a été contrecarrée par les
objections des Etats fédérés. Le droit fédéral s'est néanmoins développé, en s'appuyant sur
la constitution fédérale et sur la législation fédérale.
B : La place de la loi et la codification du droit
La place de la loi n'est pas très différente de celle qu'elle a dans le système anglais.
Mais le droit américain est un droit qui, pour une grande partie, a été codifié.
Comme en Angleterre, la loi, qui est trop générale, n'est pas le type normal de règle. La loi
doit s'intégrer au système juridique, par la pratique et par la jurisprudence. C'est à l'occasion
de procès que cette intégration devient manifeste. Appliquée et interprétée par les
tribunaux, la loi générale se mue en décisions judiciaires précises, sur lesquelles le juriste
peut s'appuyer. D'une certaine manière, la loi ne devient légitime et obligatoire que quand
elle a été appliquée par les tribunaux, et dans les sens que lui ont donnés les tribunaux. La
loi est donc conçue, le plus généralement, comme en Angleterre, comme un complément et
un correctif de la Common Law. Mais on constate une double différence: elle est plus
fréquente et elle est codifiée.
On a vu que, dès le début, certains Etats ont envisagé la rédaction d'un code de droit,
écrit et systématique: le Massachussetts, en 1836, la plupart des Etats de la côte Est, New
York en particulier. Le promoteur de l'idée d'un code new yorkais, David Dudley Field, a
été à l'origine de la préparation de cinq projets de codes (politique, civil, pénal, de
procédure civile, de procédure pénale, et même de droit international). Ses n'ont pas été
vains. En 1881, son projet de code pénal a été adopté par l'Etat de New York. Certes, son
projet de code civil y a été repoussé. Mais son code de procédure civile a été adopté par de
nombreux Etats. Et de même son code de procédure pénale. La Californie a adopté ses cinq
projets de codes!
Des codes pénaux sont en vigueur dans tous les Etats. Et des codes civils dans six
Etats. Ces codes n'ont pas la même autorité que les codes en vigueur en Europe
continentale. Mais ils sont l'expression du souci d'uniformité du droit américain et de celui
d'un exposé synthétique de ce droit. Le droit des Etats-Unis, en matière commerciale, est
aujourd'hui un droit largement codifié. Le code uniforme de commerce ou Uniform
Commercial Code (UCC) est le produit de plus d'un demi-siècle d'efforts. A la fin du
XIXème siècle, le commerce était devenu majoritairement interétatique, et les droits
commerciaux des divers Etats, qui adoptaient des statutes propres, divergeaient. La
nécessité d'un ius commune, d'une «comune ley» des business men américains, se faisait de
plus en plus évidente. Un projet de code de commerce de 400 articles fut achevé en 1952.
De 1958 à 1968, ce code a été adopté par tous les Etats, sauf la Louisiane. Les Etats lui ont
apporté peu d'amendements, sauf en matière de suretés. L'unification économique a poussé
à une unification juridique. L'Uniform Commercial Code a été établi par la coopération de
la conférence nationale des commissaires pour des lois d'Etat uniformes, composée de
représentants des Etats, et l'American Law Institute, représenté par des jurisconsultes privés.
C : La doctrine
L'American Law Institute est à l'origine d'une autre initiative, qui montre que la
doctrine, en tous cas l'opinion des jurisconsultes, est une source du droit active et
considérée dans la Common Law des Etats-Unis.
Le Restatement of the Law peut se définir comme un traité consacré à l'exposé du
droit, dans une matière donnée, et à son développement. Des auteurs l'ont qualifié de
compendium of legal doctrines. C'était déjà la définition du Digeste de Justinien, promulgué
en 533 de notre ère.
Le but des Restatements n'est pas seulement la certitude, mais aussi l'amélioration du
droit. Une vingtaine de volumes sont parus, sur des domaines variés du droit privé: droit
des contrats, de la représentation, des conflits de lois, de la responsabilité (torts), de la
propriété, des suretés, des trusts … Ce mode de formulation du droit des Etats-Unis
s'apparente souvent à un exposé doctrinal de la jurisprudence de Common Law. C'est aussi
un projet de codification établi par les milieux professionnels et proposé au législateur de
chaque Etat et éventuellement entériné par lui.
L'influence qu'exercent la Common Law d'Angleterre et celle des Etats-Unis est très
grande. Le Commonwealth des Nations britanniques a en partage l'usage de la langue
anglaise, le respect d'une tradition politique s'inspirant de la philosophie des libertés
publiques et privées, et une déférence quasi religieuse envers la commonlaw. La Grande-
Bretagne a inculqué à ses colonies, puis aux dominions d'Amérique, d'Océanie, d'Afrique et
d'Asie, devenus des Etats indépendants, un profond respect pour son droit. Ce droit reste
l'un des liens entre tous ces peuples. Leurs juridictions prennent en considération, et
adoptent souvent, les solutions du droit anglais.
L'influence qu'exerce la Common Law américaine est tout aussi importante. Si les
Etats-Unis ont moins colonisé que l'Angleterre, en dehors de l'Amérique, ils ont exporté
leur droit en Océanie (Philippines et autres archipels), en Asie (Japon), en Afrique
(Libéria), et l'Europe leur emprunte parfois. Le renouveau de l'économie mondiale, dont ils
sont le leader, et le phénomène de la globalisation jouent en faveur d'un accroissement de
l'influence dans le monde du droit américain.
Les droits de Common Law présentent des caractéristiques communes qui les
opposent aux droits romanistes. Ce sont des droits jurisprudentiels et casuistiques. Ce sont
des droits formés par des juges, même si ces juges sont souvent des juges savants,
empreints de culture juridique. Les règles de ce judge made law, dont la fonction est de
donner une solution à un litige, sont moins générales et abstraites que celles, issues de la loi
principalement, des droits romanistes: elles disent le droit dans une situation particulière.
Elles ont donc un caractère également casuistique, formées qu'elles sont au cas par cas.
En Angleterre, cette origine judiciaire se conjugue avec la naissance de la monarchie
anglo-normande. C'est le pouvoir royal qui a jeté les bases de l'organisation judiciaire, et
imposé la jurisprudence des tribunaux royaux comme la source quasi exclusive du droit. La
Common Law d'Angleterre est donc un droit issu des juridictions du pouvoir royal. Ces
origines doubles, judiciaires et publiques, du droit, ont donné au droit processuel et au droit
public une place de premier plan, parmi les diverses branches du droit anglais. Les règles
d'administration de la justice (compétence, procédure, preuve, exécution des jugements) ont
plus d'importance que les règles de fond du droit matériel.
Pourtant, entre les droits de Common Law et les droits romanistes, les éléments
communs ne manquent pas. La philosophie de ces deux familles de droit s'abreuve aux
même sources: la morale chrétienne, d'inspiration néo-stoïcienne, les doctrines
philosophiques de l'humanisme, de l'individualisme, du libéralisme. La conception des
libertés publiques et privées, qui irriguent le droit public, et celle de la justice, qui inspire le
droit privé, sont très proches. La hiérarchie des sources du droit se rapproche: parallèlement
à l'importance croissante de la loi dans les droits de Common Law, on observe un rôle plus
grand de la jurisprudence dans les pays romanistes. Ces deux familles de droit forment la
grande famille des droits occidentaux.