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BAMILÉKÉ VS CAMEROUN ?

Jean-Baptiste Onana

Outre-terre | « Outre-Terre »

2005/2 no 11 | pages 337 à 344


ISSN 1636-3671
ISBN 2749204577
DOI 10.3917/oute.011.0337
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Bamiléké vs Cameroun ?

Jean-Baptiste Onana

Depuis les indépendances, ce qu’il est convenu d’appeler « la question


bamiléké » nourrit périodiquement le débat politique, ou ce qui en tient lieu,
dans un pays – le Cameroun –, où le foisonnement ethnique 1 s’avère davantage
un handicap qu’un atout, dans le sempiternel et dantesque chantier de construc-
tion nationale. A ce propos, deux points de vue s’affrontent, quand ils ne s’igno-
rent pas délibérément : l’un, frileux et alarmiste, soutenu par une coalition
circonstancielle Béti-Sawa 2, pour qui toute action ou attitude bamiléké dissi-
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mule des intentions hégémoniques non avouées ; l’autre, plutôt réactionnel
qu’offensif, est le fait des Bamiléké eux-mêmes qui, tout en dénonçant la cabale
dont ils sont les victimes et la dérive ethnicisante de la problématique sociale au
Cameroun, n’hésitent pas à stigmatiser à leur tour la mainmise des Béti sur l’ad-
ministration et le pouvoir, comme pour justifier leur prééminence économique
supposée. Cette querelle, inspirée d’un chauvinisme ethnique de mauvais aloi
sur fond de règlement de vieux contentieux coloniaux, a paradoxalement été
ravivée par l’État, dès lors que celui-ci a cru devoir promulguer une nouvelle
Loi fondamentale consacrant la reconnaissance et la protection des minorités
ethniques. Fallait-il pour autant céder au catastrophisme et redouter un scénario
à la rwandaise ou à la burundaise, comme n’a pas hésité à le faire une certaine
intelligentsia camerounaise ?

Jean-Baptiste ONANA, maître de conférences à l’université de Paris XII.


1. Selon les sources, on dénombre entre 200 et 250 ethnies au Cameroun, parlant autant de
langues nationales à côté du français et de l’anglais.
2. Les Béti sont l’une des principales composantes ethniques du Cameroun. Ils sont majori-
tairement implantés dans le sud et le centre du pays. Quant au groupe sawa, il englobe l’en-
semble des populations du littoral camerounais, dont les Douala qui ont donné leur nom à la
capitale économique du pays.
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Les dits et non-dits sur un groupe ethnique controversé

Qui sont au juste les Bamilékés ? « Ce qui caractérise ce peuple », écrit le


révérend père Engelbert Mveng, prêtre jésuite et intellectuel camerounais,
« c’est à la fois une ardeur au travail qui ne compte guère beaucoup de concur-
rents sous les tropiques, un esprit d’économie et de prévoyance qui ne va pas
sans une certaine âpreté au gain, une intelligence pratique rare, un individua-
lisme qui s’allie paradoxalement à une vie communautaire sans fissure ». En
fait, l’ethnonyme désigne les populations semi-bantou qui peuplent majoritaire-
ment les hauts plateaux de l’Ouest camerounais. Au-delà de leur unité culturelle,
il s’agit en réalité d’un agglomérat de peuples apparentés qui s’expriment dans
de multiples dialectes, tout en affirmant chaque fois une identité spécifique,
distincte de celle qui leur est commune 3. Une propension à migrer – qui leur
vaut le qualificatif d’envahisseurs où qu’ils s’établissent – s’expliquerait à l’ori-
gine par les fortes densités de population qui caractérisent leur berceau ances-
tral de la région occidentale : 70 habitants au kilomètre carré contre 13 pour
l’ensemble du Cameroun. Par la suite, elle sera surtout motivée par une quête
d’ouvertures économiques, l’ethnie majoritaire du pays – quatre des quinze
millions d’habitants que compte le Cameroun – se singularisant aussi par son
esprit d’entreprise. À Douala, par exemple, ville côtière cosmopolite et princi-
pal port du Cameroun au fort brassage ethnique, les Bamiléké compteraient
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pour environ 70 % de la population ! À Yaoundé, capitale politique et deuxième
métropole située au sud du pays, ils arrivent – toujours en termes démogra-
phiques – juste derrière l’ethnie majoritaire béti. Généralement représentés,
dans l’imaginaire collectif, comme le groupe ethnique le plus entreprenant et le
plus prospère en l’absence de toute statistique officielle, ils entretiennent eux-
mêmes ce mythe qui les flatte et s’en enorgueillissent en lui opposant, à l’occa-
sion, celui du nkwa (terme péjoratif pouvant s’appliquer à tout non-Bamiléké)
paresseux, fanfaron et parasite. Cependant, le dernier recensement de 1976
atteste aux Bamiléké un poids économique loin d’être négligeable : 58 % des
importateurs nationaux, 94 % des propriétaires de boutiques dans les grands
centres urbains, 75 % des négociateurs de cacao et de café, 47 % des grossistes
industriels, 80 % des patrons de la flotte de taxis, 50 % des commerçants infor-
mels, 75 % des hôteliers et 50 % des transporteurs routiers interurbains.
Une supériorité économique qui a dû se renforcer significativement au cours
des trois dernières décennies, même si des groupes ethniques concurrents accè-
dent eux aussi, et de plus en plus, à l’accumulation de capital et à l’enrichisse-
ment. De fait, après avoir longtemps privilégié l’investissement à court terme et

3. À notre sens, il vaudrait donc mieux parler de peuples bamiléké (au pluriel) que de peuple
bamiléké (au singulier).
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à rentabilité immédiate – débits de boissons et de tabac, hôtellerie, négoce des


cultures d’exportation, commerces alimentaires et plus généralement la distri-
bution –, les entrepreneurs bamiléké se sont transformés en profondeur et ils ont
amorcé un virage, dans les années 1980 et 1990, s’orientant de plus en plus vers
des investissements lourds à long terme – autrement plus lucratifs – dans l’in-
dustrie, les services et la banque. Certains observateurs tant nationaux qu’étran-
gers doutant au demeurant que cet enrichissement rapide ait toujours été au-
dessus de tout soupçon : « Les pratiques indélicates ne sont pas absentes,
notamment chez certains importateurs qui firent de grandes fortunes par la
pratique des “admissions temporaires” jamais apurées grâce au laissez-faire des
années 1960 et 1970, quand le régime Ahidjo souhaitait voir se créer rapidement
une classe de possédants camerounais et réintégrer l’ethnie bamiléké dans la
communauté nationale dont elle avait le sentiment d’avoir été bannie, après les
événements de 1959-1962 [la “pacification”, ndlr 4). »
Un poids économique – couplé à la qualité de leurs élites et à un sens poussé
de la solidarité communautaire – qui vaut aux Bamiléké d’être au cœur des
enjeux de pouvoir au Cameroun. Leurs adversaires les plus virulents – particu-
lièrement nombreux au sein de l’ethnie béti – les accusant notamment de tirer
profit de leur poids démographique et économique, et du contrôle de nombreux
médias, pour tenter de s’emparer du pouvoir politique et d’asseoir de la sorte
une mainmise totale sur le pays. Comme le pouvoir politique est actuellement
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détenu par l’ethnie béti dont sont issus le président de la République et la majo-
rité des membres de son équipe gouvernementale, la question bamiléké origi-
nelle est devenue, dans les faits et avant tout, celle d’une rivalité Béti-Bamiléké 5.
À la faveur du processus de démocratisation du pays initié en décembre 1990 –
avec pour principale conséquence l’avènement de la liberté de la presse et d’ex-
pression au Cameroun indépendant –, elle a même pris une tournure de psycho-
drame, à partir du moment où les leaders et intellectuels respectifs des deux camps
entreprenaient de s’invectiver par chroniques pamphlétaires interposées 6. Aupa-

4. E. Leguil, cité dans Galaxie, n° 70 du 2 décembre 1993, à propos de l’ouvrage de


J.-P. Warnier, L’esprit d’entreprise au Cameroun.
5. Cf. Michel Banock, Le processus de démocratisation en Afrique, le cas du Cameroun,
Paris, L’Harmattan, 1992. Le clivage Béti-Bamiléké est un facteur permanent et relativement
important de la vie politique camerounais.
6. Parmi les plus connus, Mono Ndjana, le Béti, et Sindjoun Pokam, le Bamiléké, tous deux
philosophes. Le premier met à l’index la volonté d’hégémonie des Bamiléké qualifiée
d’« ethnofascisme », soit « l’automarginalisation d’un groupe ethnique, qui dès lors se mobi-
lise activement pour la conquête du pouvoir, non sans quelque affectation sadomasochiste
[…]. Il s’agit d’un fascisme qui menace l’État, technique de mobilisation, tactique pour la
conquête du pouvoir ». Ce à quoi le second réplique : « Est-on philosophiquement et juridi-
quement fondé à refuser à un peuple le droit de désirer le pouvoir, c’est-à-dire d’avoir des
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ravant, c’est le corps ecclésiastique qui pour la première fois s’était mis ouver-
tement en branle sur la question. Dans un mémorandum à l’intention des hautes
instances catholiques daté du 16 mars 1987, un groupe de religieux se définis-
sant comme des « prêtres autochtones de l’archidiocèse de Douala » s’élevait
contre « la bamilékisation de la hiérarchie catholique du Cameroun tendant à la
prise du pouvoir politique ». Cet épisode n’était pas sans rappeler l’affaire
Ndongmo, du nom de l’évêque bamiléké qui avait défrayé la chronique politico-
judiciaire au début des années 1970. Accusé d’être à l’instigation d’un coup
d’État avec la branche bamiléké de la rébellion nationaliste qui contestait les
pleins pouvoirs conférés au président Ahmadou Ahidjo, pour pacifier le pays, il
fut mis aux arrêts le 22 août 1970, jugé par un tribunal militaire et condamné à
mort. À la suite de l’intervention du Vatican, sa peine fut commuée en détention
à perpétuité. Après cinq ans de prison, il s’exila au Canada où il mourut en 1992.
Pour beaucoup d’observateurs – dont une majorité de Bamiléké –, il s’agissait
d’un procès alibi pour neutraliser l’influence grandissante du prélat dont la théo-
logie de la libération rencontrait un franc écho auprès des masses déshéritées
des grandes villes. Selon d’autres, en revanche, monseigneur Ndongmo nour-
rissait bel et bien des ambitions politiques, tant personnelles que pour son ethnie
d’origine.
À cet entrelacs de facteurs politiques, économiques et religieux, il convient
d’ajouter les oppositions culturelles qui séparent traditionnellement les deux
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mammouths ethniques depuis l’ère coloniale. D’un côté, les Béti, servis par la
souplesse de leur organisation sociale, ont toujours affiché une vision occiden-
talo-chrétienne promouvant les valeurs du monde d’où provenait celle-ci, ce qui
s’illustre par ailleurs à travers leur christianisation massive. De l’autre, « les
Bamiléké pérennisent une organisation sociale rigide bâtie autour de la cheffe-
rie omnipotente, clé de voûte d’une société féodale fermée. […] La permanence
des pratiques et rites païens les maintient dans la société traditionnelle avec un
ordre symbolique puissant englobant dans un même univers mystico-religieux
l’individu, la société, la nature et la surnature 7 ». En termes moins académiques,
les Bamiléké seraient plus arriérés et moins ouverts à la modernité que leurs
concitoyens du Sud ou du Centre du pays, leur contact avec les Blancs s’étant
effectué sur le tard. Cela expliquerait rétrospectivement qu’ils aient été peu
représentés dans l’appareil politico-administratif au lendemain de l’indépen-
dance – lorsqu’il avait fallu remplacer le personnel colonial –, et au contraire

passions politiques ? Si aujourd’hui le peuple [bamiléké] veut le pouvoir, c’est qu’il en a histo-
riquement été frustré. Le philosophe est ici sommé de réfléchir sur les conditions, les procé-
dés, les procédures qui historiquement nous ont constitués comme des sujets politiques. »
7. Debi Nisel cité par Le Temps, n° 125 du 31 août 1992.
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surreprésentés dans le monde des affaires. À ce sujet, Joseph Patrice Onana


Onomo écrit : « Comme toutes les autres ethnies de l’arrière-pays, les Bamiléké
accusent un retard par rapport aux Béti, aux Bassa et aux Douala. Ils ne peuvent
accéder à l’administration, car l’éducation scolaire est lente à passer par eux.
Mais il reste un métier dédaigné par les Béti, celui de commerçant […] qu’ils
vont s’empresser d’embrasser 8. »

L’ethnisme d’Etat
À ses origines, l’émergence de la question bamiléké dans le champ politique
camerounais a d’emblée été placée sous le signe de la répression. Dans la pers-
pective de l’indépendance nationale, c’est en effet à un administrateur français,
le colonel Jean Lamberton, qu’incombera la tâche d’éradiquer les dernières
poches de résistance nationaliste dans le maquis camerounais. Dans son carnet
de route, il écrira notamment : « Le Cameroun s’engage sur les chemins de l’in-
dépendance avec dans sa chaussure un caillou bien gênant. Ce caillou, c’est la
présence d’une minorité ethnique, les Bamiléké, en proie à des convulsions dont
ni l’origine ni les causes ne sont claires pour personne. Sans doute le Cameroun
est-il désormais libre de suivre une politique à sa guise, et les problèmes bami-
léké sont du ressort de son gouvernement. Mais la France ne saurait s’en désin-
téresser. Ne s’est-elle pas engagée à guider les premiers pas du jeune État auquel
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elle lègue des problèmes non résolus 9 ? » C’est cette appréciation qui guidera
l’action française de répression des Bamiléké, alors massivement engagés dans
le mouvement indépendantiste des années 1950. La vaste offensive contre leurs
derniers réduits dans le maquis fera entre huit cent mille et un million de
victimes entre 1955 et 1965. Aujourd’hui, d’aucuns n’hésitent pas à parler, par
référence à cette macabre statistique, de véritable génocide perpétré par l’État
colonial dans un premier temps, puis par le pouvoir installé au lendemain de
l’indépendance dans un second 10. Pour ne rien arranger au sentiment fondé ou
pas de constante persécution chez les Bamiléké, la Constitution du 18 janvier
1996 s’est enrichie de l’opposition entre « autochtones » et « allogènes »,
empruntée à la culture populaire dans laquelle elle se cantonnait jusque-là.
L’une de ses dispositions stipulant notamment que « l’État assure la protection

8. Cf. Joseph Patrice Onana Onomo, Symétries hégémoniques Bétis-Bamilékés et rivalités


politiques au Cameroun, Ethno-Net, UNESCO, Paris.
9. Cf. Jean Lamberton, « Les Bamilékés dans le Cameroun d’aujourd’hui », dans Collectif
Changer le Cameroun, Le Cameroun éclaté, anthologie commentée des revendications
ethniques, Editions C3, Yaoundé, 1992, p. 53.
10. Cf. Kago Lélé, Tribalisme et exclusions au Cameroun, le cas des Bamilékés, Éditions du
CRAC, Yaoundé 1992, p. 16.
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des minorités et préserve les droits des populations autochtones ». Assurément,


cette innovation constitutionnelle tranche nettement avec les dispositions du
préambule de l’ancienne Loi fondamentale : « Le peuple camerounais, fier de
sa diversité linguistique et culturelle, profondément conscient de la nécessité
impérieuse de parfaire son unité, proclame solennellement une seule et même
nation, engagée dans le même destin et affirme sa volonté inébranlable de
construire la patrie camerounaise sur la base de l’idéal de fraternité, de justice
et de progrès […]. Tout homme a le droit de se fixer en tout lieu et de se dépla-
cer librement […]. Nul ne peut être inquiété en raison de ses origines. » C’est
précisément la disparition de ces deux dernières phrases dans la Constitution
nouvelle qui fait débat, les Bamiléké voyant ici non seulement une restriction
déguisée à leur liberté d’établir leur résidence où bon leur semble – fût-ce dans
les fiefs ethniques des minorités « autochtones » protégées –, mais aussi confir-
mation qu’ils sont bel et bien considérés comme des envahisseurs, y compris au
plus haut sommet de l’État.
La vérité, c’est qu’au-delà de son intention de moderniser les institutions, le
président Paul Biya a probablement voulu répondre aux doléances des repré-
sentants de certaines ethnies – notamment béti, douala et bassa –, telles qu’elles
s’exprimaient avant et après le scrutin municipal du 21 janvier 1996. Ceux-ci
craignaient tout simplement de disparaître ou d’être sous-représentés dans les
exécutifs municipaux au sein desquels les Bamiléké, majoritaires dans la plupart
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des circonscriptions électorales, risquaient de rafler l’essentiel des postes. Ce
faisant, le président camerounais a achevé de convaincre la frange bamiléké de
la population que la nouvelle Loi fondamentale était subsidiairement inspirée
par un dessein inavoué : l’écarter peu ou prou du jeu politique local et national.
Cela dit, les craintes d’une surreprésentation des Bamiléké dans les conseils
municipaux n’étaient pas totalement infondées. À Douala, par exemple, n’ont-
ils pas remporté quatre mairies sur les cinq que compte la ville, n’en laissant
qu’une seule aux « autochtones » sawa ? À la suite de ce succès électoral et de
la polémique qui s’en est suivie, les leaders sawa ont organisé plusieurs marches
de protestation contre ce qu’ils qualifient de « nouvelle manifestation de l’hé-
gémonisme bamiléké ». Mais contre toute attente, ce sont des intellectuels non
bamiléké qui les premiers sont montés au créneau pour fustiger semblable
démarche et, à travers elle, les limites d’une constitution litigieuse 11.

11. Par exemple, le philosophe Eboussi Boulaga : « Autochtones, allogènes, ces mots sonnent
pédants et barbares. Ils sont l’une des manifestations d’une inculture et d’une cupidité gran-
dissantes […]. La protection des minorités relève d’une mauvaise écologie : on n’a pas à
protéger une catégorie de citoyens comme on le fait des espèces animales ou végétales en
danger de disparition […]. Pour nous, l’autochtonie est un mythe […]. » ; ou encore feu
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En guise de conclusion

Considérés par les uns – dont eux-mêmes – comme un atout national unique
de par leur dynamisme entrepreneurial, en particulier, et économique en géné-
ral, taxés d’affairistes âpres au gain, sectaires et fossoyeurs zélés de la
conscience nationale par les autres, les Bamiléké sont en permanence au cœur
de polémiques qui remontent à l’époque coloniale et qui sont périodiquement
ravivées à la faveur d’événements nationaux plus ou moins majeurs. Dans les
faits, les prétentions hégémonistes qu’on leur prête relèvent pour partie du
fantasme, et pour partie d’une paranoïa collective qui voudrait systématique-
ment trouver une intention cachée et malveillante dans leurs moindres faits et
gestes. Au demeurant, on ne saurait interdire à des individus de quelque appar-
tenance ethnique ou obédience politique que ce soit d’avoir des ambitions pour
eux-mêmes ou pour leur communauté, dès lors que celles-ci s’expriment dans
un cadre juridique défini et équitable, garantissant les mêmes droits à tous. Par
ailleurs, il serait contre-productif de réprimer des compétences et des talents
avérés au seul prétexte qu’ils n’appartiendraient pas à la bonne ethnie. Enfin, de
leur côté, les Bamiléké – du moins les plus intolérants d’entre eux – doivent
cesser de penser que, sans eux, il n’y aurait point de salut pour le Cameroun. Ils
se dévoieraient autrement. Il convient de trouver un juste compromis entre les
revendications des uns et les prétentions des autres dans la paix sociale retrou-
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vée. Il en va de l’unité et de l’avenir même du pays.

l’écrivain Mongo Béti : « Les Sawas n’ont pas plus créé Douala que les Bétis n’ont créé
Yaoundé. Sans doute ces sites étaient-ils habités respectivement par les Sawas et les Bétis.
Mais les uns et les autres étaient, à l’époque, bien incapables de créer une ville, n’en ayant
ni les moyens techniques ni les ressources financières. L’homme blanc vint, choisit l’empla-
cement, traça les voies, dressa les plans des édifices, bâtit, administra. »
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Distribution spatiale de la population bamiléké par province


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1. Adamaoua (Ngaoundéré) : moins de 50 000.
2. Centre (Yaoundé) : de 300 000 à 400 000.
3. Est (Bertoua) : moins de 50 000.
4. Extrême Nord (Maroua) : moins de 50 000.
5. Littoral (Douala) : de 400 000 à 500 000.
6. Nord (Garoua) : de 50 000 à 100 000.
7. Nord-Ouest (Bamenda) : de 200 000 à 300 000.
8. Ouest (Bafoussam) : de 500 000 à un million.
9. Sud (Ebolowa) : moins de 50 000.
10. Sud-Ouest (Buéa) : entre 150 000 et 200 000.

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