Professional Documents
Culture Documents
Jean-Baptiste Onana
Outre-terre | « Outre-Terre »
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
© Outre-terre | Téléchargé le 11/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.11)
Bamiléké vs Cameroun ?
Jean-Baptiste Onana
3. À notre sens, il vaudrait donc mieux parler de peuples bamiléké (au pluriel) que de peuple
bamiléké (au singulier).
04 Quatrième partie 6/06/05 16:14 Page 339
ravant, c’est le corps ecclésiastique qui pour la première fois s’était mis ouver-
tement en branle sur la question. Dans un mémorandum à l’intention des hautes
instances catholiques daté du 16 mars 1987, un groupe de religieux se définis-
sant comme des « prêtres autochtones de l’archidiocèse de Douala » s’élevait
contre « la bamilékisation de la hiérarchie catholique du Cameroun tendant à la
prise du pouvoir politique ». Cet épisode n’était pas sans rappeler l’affaire
Ndongmo, du nom de l’évêque bamiléké qui avait défrayé la chronique politico-
judiciaire au début des années 1970. Accusé d’être à l’instigation d’un coup
d’État avec la branche bamiléké de la rébellion nationaliste qui contestait les
pleins pouvoirs conférés au président Ahmadou Ahidjo, pour pacifier le pays, il
fut mis aux arrêts le 22 août 1970, jugé par un tribunal militaire et condamné à
mort. À la suite de l’intervention du Vatican, sa peine fut commuée en détention
à perpétuité. Après cinq ans de prison, il s’exila au Canada où il mourut en 1992.
Pour beaucoup d’observateurs – dont une majorité de Bamiléké –, il s’agissait
d’un procès alibi pour neutraliser l’influence grandissante du prélat dont la théo-
logie de la libération rencontrait un franc écho auprès des masses déshéritées
des grandes villes. Selon d’autres, en revanche, monseigneur Ndongmo nour-
rissait bel et bien des ambitions politiques, tant personnelles que pour son ethnie
d’origine.
À cet entrelacs de facteurs politiques, économiques et religieux, il convient
d’ajouter les oppositions culturelles qui séparent traditionnellement les deux
© Outre-terre | Téléchargé le 11/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.11)
passions politiques ? Si aujourd’hui le peuple [bamiléké] veut le pouvoir, c’est qu’il en a histo-
riquement été frustré. Le philosophe est ici sommé de réfléchir sur les conditions, les procé-
dés, les procédures qui historiquement nous ont constitués comme des sujets politiques. »
7. Debi Nisel cité par Le Temps, n° 125 du 31 août 1992.
04 Quatrième partie 6/06/05 16:14 Page 341
L’ethnisme d’Etat
À ses origines, l’émergence de la question bamiléké dans le champ politique
camerounais a d’emblée été placée sous le signe de la répression. Dans la pers-
pective de l’indépendance nationale, c’est en effet à un administrateur français,
le colonel Jean Lamberton, qu’incombera la tâche d’éradiquer les dernières
poches de résistance nationaliste dans le maquis camerounais. Dans son carnet
de route, il écrira notamment : « Le Cameroun s’engage sur les chemins de l’in-
dépendance avec dans sa chaussure un caillou bien gênant. Ce caillou, c’est la
présence d’une minorité ethnique, les Bamiléké, en proie à des convulsions dont
ni l’origine ni les causes ne sont claires pour personne. Sans doute le Cameroun
est-il désormais libre de suivre une politique à sa guise, et les problèmes bami-
léké sont du ressort de son gouvernement. Mais la France ne saurait s’en désin-
téresser. Ne s’est-elle pas engagée à guider les premiers pas du jeune État auquel
© Outre-terre | Téléchargé le 11/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.11)
11. Par exemple, le philosophe Eboussi Boulaga : « Autochtones, allogènes, ces mots sonnent
pédants et barbares. Ils sont l’une des manifestations d’une inculture et d’une cupidité gran-
dissantes […]. La protection des minorités relève d’une mauvaise écologie : on n’a pas à
protéger une catégorie de citoyens comme on le fait des espèces animales ou végétales en
danger de disparition […]. Pour nous, l’autochtonie est un mythe […]. » ; ou encore feu
04 Quatrième partie 6/06/05 16:14 Page 343
En guise de conclusion
Considérés par les uns – dont eux-mêmes – comme un atout national unique
de par leur dynamisme entrepreneurial, en particulier, et économique en géné-
ral, taxés d’affairistes âpres au gain, sectaires et fossoyeurs zélés de la
conscience nationale par les autres, les Bamiléké sont en permanence au cœur
de polémiques qui remontent à l’époque coloniale et qui sont périodiquement
ravivées à la faveur d’événements nationaux plus ou moins majeurs. Dans les
faits, les prétentions hégémonistes qu’on leur prête relèvent pour partie du
fantasme, et pour partie d’une paranoïa collective qui voudrait systématique-
ment trouver une intention cachée et malveillante dans leurs moindres faits et
gestes. Au demeurant, on ne saurait interdire à des individus de quelque appar-
tenance ethnique ou obédience politique que ce soit d’avoir des ambitions pour
eux-mêmes ou pour leur communauté, dès lors que celles-ci s’expriment dans
un cadre juridique défini et équitable, garantissant les mêmes droits à tous. Par
ailleurs, il serait contre-productif de réprimer des compétences et des talents
avérés au seul prétexte qu’ils n’appartiendraient pas à la bonne ethnie. Enfin, de
leur côté, les Bamiléké – du moins les plus intolérants d’entre eux – doivent
cesser de penser que, sans eux, il n’y aurait point de salut pour le Cameroun. Ils
se dévoieraient autrement. Il convient de trouver un juste compromis entre les
revendications des uns et les prétentions des autres dans la paix sociale retrou-
© Outre-terre | Téléchargé le 11/12/2021 sur www.cairn.info (IP: 41.202.207.11)
l’écrivain Mongo Béti : « Les Sawas n’ont pas plus créé Douala que les Bétis n’ont créé
Yaoundé. Sans doute ces sites étaient-ils habités respectivement par les Sawas et les Bétis.
Mais les uns et les autres étaient, à l’époque, bien incapables de créer une ville, n’en ayant
ni les moyens techniques ni les ressources financières. L’homme blanc vint, choisit l’empla-
cement, traça les voies, dressa les plans des édifices, bâtit, administra. »
04 Quatrième partie 6/06/05 16:14 Page 344