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Ali-Bencherif & Mahieddine PLF
Ali-Bencherif & Mahieddine PLF
Avec le concours de /
with the collaboration of
Françoise Le Lièvre
Forward by
Jan Blommaert
2019
LINCOM GmbH
Published by LINCOM GmbH 2019.
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Table des matières / Table of contents
1. INTRODUCTION. Les migrants installés dans le pays d’accueil sont généralement engagés
dans un processus d’acculturation linguistique, même si celui-ci n’est pas vécu de la même
façon ni dans les mêmes proportions. Installés dans le pays de résidence/naissance, les enfants
des familles migrantes vivent une situation d’immersion où la puissance des langues
officielles laisse peu de place aux langues d’origine. En effet, c’est généralement la langue
dominante qui s’impose dans les échanges avec les natifs, à l’école ou dans la rue. Cependant,
le contact avec la langue-culture d’origine (LCO) est souvent maintenu, à l’intérieur du cercle
familial notamment, mais aussi grâce aux séjours dans le pays d’origine. Ces pratiques de
"va-et-vient" entre le pays d'accueil et le pays d'origine nous intéressent particulièrement en
ce qu’elles conduisent à interroger les modalités informelles1 de la transmission de la langue-
culture d'origine chez les descendants de l'immigration en séjour en Algérie. Aborder cette
question conduit à s'interroger également sur les pratiques socio-langagières et
socioculturelles, sur les modes de gestion et de développement des répertoires plurilingues en
situation de mobilité, ainsi que sur les représentations linguistiques et culturelles. Malgré le
nombre de recherches qui ont déjà fait état de l’usage et de la transmission des langues chez
les descendants de migrants (Dabène et Billiez 1984, Deprez 2000, 1994, Asselah-Rahal
2004, Filhon 2009), la question demeure d’actualité et nécessite des regards nouveaux qui
1
Il s’agit d’une acquisition en milieu naturel où les parents jouent un rôle majeur dans la transmission
de la langue d’origine. Dans certains établissements scolaires, l’enseignement des LCO (l’arabe
notamment) est pris en charge (Billiez 1989). Ahmed Mohamed (1997:238) précise que « […] les
jeunes qui ont suivi les cours d’arabe à l’école ont une meilleure netteté des divers codes culturels en
présence, une acculturation progressive des formes du savoir et des savoir-faire, une fermeté de
défense face à toute acculturation, un ancrage des valeurs nécessaires et un respect des images de soi,
etc. ».
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Du rôle de la mobilité dans la transmission de la langue-culture d’origine chez les descendants de l’immigration
algérienne établis en France
tiennent compte des apports de la socialisation langagière et culturelle lors des séjours dans le
pays d’origine des parents (Ali-Bencherif 2009).
Le présent article présente quelques résultats d’une recherche2 sur cette transmission de la
langue-culture d’origine chez les descendants de l’immigration algérienne en France,
particulièrement en situation de mobilité dans le pays d’origine. Au plan de la recherche en
sociolinguistique, les enquêtes de terrain portant sur la transmission de la LCO se sont
déroulées pour la plupart en France. Elles sont, à notre connaissance, beaucoup moins
nombreuses3 à avoir porté sur les séjours des descendants de l’immigration dans le pays
d’origine des parents (notamment pour ce qui est de l’Algérie) où la transmission est sans
doute plus importante et se réalise selon des modes spécifiques. Ainsi, au regard des parents
migrants, quels rôles joue la mobilité (vers le pays d’origine) dans la transmission aux enfants
du patrimoine linguistique et culturel ? Quels sont les modes de transmission et de gestion
dudit patrimoine ?
Notre réflexion s’appuie sur une conception dynamique des pratiques langagières mis en
rapport avec les migrations (Grosjean 1982, Lüdi et al. 1995, Billiez et Lambert 2005) et les
mobilités (Urry 2005). En s’interrogeant sur les modalités de transmission lors des séjours
dans le pays d’origine des parents, notre étude a pour objectif d’apporter un éclairage sur la
dynamique socio-langagière induite par la mobilité, et de mieux comprendre, en s’appuyant
sur l’analyse des parcours des individus, ce qui favorise la transmission entendue comme la
base du maintien de l'ordre social. S’interroger sur la mobilité comme facteur dynamisant la
transmission de la langue-culture, c'est aussi participer au débat actuel sur les questions du
plurilinguisme et pluriculturalisme.
2
Cette recherche a été menée dans le cadre d’un projet PNR (2011-1013), financé par la Direction
Générale de la Recherche Scientifique et du Développement Technologique (Algérie).
3
Nous pouvons citer les travaux de Sakina Benmoussa & Zohra Rehioui (1981), Khaoula Taleb-
Ibrahimi (1985), Mohammed Zakaria Ali-Bencherif (2009) et Sabrina Aissaoui (2013).
202
Mohammed Zakaria Ali-Bencherif et Azzeddine Mahieddine
2.2. CE QUE TRANSMETTRE VEUT DIRE. L’usage du terme TRANSMISSION implique une
focalisation sur la relation et la médiation sociales qui sont à l’origine d’une acquisition.
Ainsi, selon William Labov (1992:16), « la transmission ne peut se construire que comme
acte social ». Dans notre cas, le terme transmission désigne l’acte par lequel un individu
s’approprie ou « hérite » (Matthey 2010) une langue et/ou culture d’origine grâce à la
médiation de ses ascendants ou d’individus qui possèdent déjà ce patrimoine immatériel. En
sociologie, la notion de transmission est liée à celle de socialisation et d’éducation. La
socialisation consiste en l’acquisition par l’individu du langage, des normes, des valeurs et
des comportements propres à son groupe d’appartenance. Ainsi la transmission renvoie à cette
médiation sociale qui va permettre l’incorporation progressive et non forcément consciente
d’un ensemble de manières de penser, sentir et agir.
Le caractère non forcément intentionnel et conscient de la transmission doit être souligné. Cet
aspect, important dans notre problématique, permet de distinguer entre des parents migrants
(ou issus de la migration) qui exercent une politique linguistique et culturelle et ceux qui n’en
ont pas. Cette notion de politique linguistique et culturelle familiale est une extension de celle
de politique linguistique familiale (Deprez 1996, Spolsky 2004)4. Ainsi, la politique
linguistique et culturelle exercée par les parents correspond à une démarche intentionnelle5
des parents afin d’orienter les pratiques langagières et socioculturelles de leurs enfants et de
leur transmettre, au moyen de stratégies diverses, ce patrimoine immatériel. Cela dit, même
lorsque les parents souhaitent fortement transmettre leur langue et culture d’origine à leurs
enfants, cette transmission ne se réalise pas, en général, de façon linéaire et totale. En effet, ce
patrimoine culturel peut être totalement ou partiellement rejeté par les enfants qui refusent de
suivre la trajectoire des parents. Quoi qu’il en soit, ce patrimoine est toujours sujet, de la part
des enfants, à des réinterprétations, des adaptations, des élisions voire des distorsions. Comme
l’affirme Alexandra Filhon (2004:97), qui fait la comparaison avec le patrimoine
matériel, « si le patrimoine matériel parvient à se transmettre tout en se gardant inchangé, ce
n’est pas le cas du patrimoine immatériel qui se transforme en passant du transmetteur au
récepteur ». C’est ce qu’explique Bernard Lahire (1998:206) dans la citation suivante:
4
Christine Deprez (1996:35-36) a posé « […] l’idée d’une “politique linguistique familiale” pour
rendre compte de la façon dont les familles bilingues gèrent leurs langues. Cette politique linguistique
familiale se concrétise dans les choix de langues et dans les pratiques langagières au quotidien, ainsi
que dans les discours explicites qui sont tenus à leur propos, notamment par les parents ».
5
Qui peut être verticale ou horizontale.
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Du rôle de la mobilité dans la transmission de la langue-culture d’origine chez les descendants de l’immigration
algérienne établis en France
Notons que ces déperditions et reconstructions que subit le capital culturel d’une génération à
une autre n’est pas propre à la situation de migration. C’est un phénomène universel à
l’origine même de l’évolution des cultures et du changement social. Ainsi, la transmission
intergénérationnelle d’une langue-culture ne s’expliquant pas uniquement en termes de
reproduction, il convient, dans le cadre de notre étude, de relever les éléments les plus
significatifs du patrimoine culturel que les parents souhaitent transmettre et que les enfants
acquièrent effectivement.
2.3. TRANSMETTRE DES LANGUES ET DES CULTURES, OUI… MAIS POURQUOI? Quelle que soit
l’importance que les parents accordent au projet de transmission, celui-ci est toujours motivé
et réfléchi. Les raisons qui poussent les parents à transmettre la (les) langue(s)-culture(s)
d’origine à leurs enfants sont multiples. Dans la littérature sur ce thème, on évoque
notamment:
- Assurer la continuité, éviter la rupture entre le pays d’accueil et le pays d’origine. Volonté
des parents de transmettre une appartenance, une identité qui sera nécessaire à la
construction de l’identité de leurs enfants.
- Maintenir la filiation et la mémoire familiale.
- Certains éléments culturels sont transmis parce que jugés fondamentaux, comme la
religion chez la plupart des maghrébins.
- L’idée d’un éventuel retour au pays d’origine pousse également les parents à maintenir,
pour leurs enfants, des contacts avec le pays d’origine.
- Chez certains couples de migrants, la transmission de la LCO est motivée par le désir de
voir l’enfant reproduire le modèle des parents: le mariage, les valeurs familiales...
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Mohammed Zakaria Ali-Bencherif et Azzeddine Mahieddine
L’enquête par questionnaire a concerné treize (13) couples6, soit 26 enquêtés établis dans
différentes villes de France (Paris, Lille, Marseille, etc.). Leur âge varie entre 30 et 60 ans (73
% d’entre eux ayant plus de 40 ans). Nous avons neuf couples « mixtes » du point de vue du
lieu de naissance (l’un des époux est né en Algérie, l’autre en France); et quatre couples nés
en Algérie. La majorité des parents enquêtés (soit 17 sur 26) correspondent à des migrants
primo arrivants. Il s’agit de personnes ayant émigré vers la fin des années quatre-vingt-dix
(90) et qui constituent une population de migrants différente de celle ayant émigré avant ou
après l’indépendance (années 60-70 et 80)7. Il s’agit de personnes ayant émigré vers la fin des
années quatre-vingt-dix (90) et ils constituent une population de migrants tout à fait différente
de celle ayant immigré avant ou après l’indépendance (années 60-70 et 80). Il est à noter que
certains d’entre eux sont hautement qualifiés. Le niveau d’instruction des enquêtés varie:
primaire (1), collège (4), lycée (8), formation professionnelle (5), université (8). Nous avons
huit couples dont les deux parents travaillent. Pour les cinq autres couples, seul le père
travaille. Nous constatons qu’il y a peu de professions libérales. La plupart sont salariés dans
différents secteurs d’activité. Enfin, nos enquêtés ont tous l’arabe dialectal comme langue
maternelle (nous n’avons pas d’enquêtés berbérophones).
Le questionnaire utilisé comportait plusieurs rubriques qui ont permis de tirer des
informations sur:
Outre le questionnaire écrit, l’étude est aussi basée sur des entretiens semi-directifs à visée
compréhensive réalisés avec dix sujets rencontrés en Algérie lors des vacances d’été en 2013.
À côté des entretiens semi-directifs, nous avons effectué plusieurs entretiens informels
(discussions)8 avec plusieurs migrants rencontrés dans différentes circonstances.
6
Dans cet article, nous nous limitons à la présentation de l’enquête réalisée avec des couples de
migrants. Pour des raisons d’espace, l’enquête avec leurs enfants n’est pas présentée.
7
Au-delà de la théorie de Sayad (1977) sur « les trois âges de l’émigration algérienne en France », des
recherches plus récentes ont montré qu’à partir des années 90, les motifs de départ ont évolué et les
trajectoires migratoires se sont complexifiées (cf. notamment Lacroix et Lemoux 2017, Labdelaoui
2012).
8
Les discussions se sont déroulées lors des différentes rencontres avec les migrants dans un cadre
familial et/ou amical. Nous avons à ce propos noté le maximum d’éléments jugés pertinents et qui
répondaient à nos préoccupations.
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Du rôle de la mobilité dans la transmission de la langue-culture d’origine chez les descendants de l’immigration
algérienne établis en France
4. RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE
4.1. LES PRATIQUES LANGAGIÈRES FAMILIALES: PRÉGNANCE DU FRANÇAIS ET MODE MIXTE.
Pour la totalité des enquêtés, la communication à l’intérieur du couple utilise deux langues, à
savoir l’arabe dialectal et le français, de façon alternée ou mélangée. L’usage de l’arabe
dialectal9, dit aussi arabe algérien, est estimé entre 20 % et 90 %; celui du français, entre 10 %
et 80 %. La moyenne pour les 13 couples est de 49,62 % pour l’arabe dialectal et 50,38 %
pour le français.
Quant aux langues utilisées par les parents avec leurs enfants, nous constatons que c’est
l’alternance arabe-français qui domine. Seuls deux parents utilisent exclusivement le français
avec leurs enfants. Il ressort des données quantitatives que la part du français domine
nettement lorsque les parents s’adressent à leurs enfants. La moyenne des treize couples pour
chaque langue est de 37,70 % pour l’arabe dialectal et 62,30 % pour le français.
Enfin, à la question « Quelle(s) langue(s) vos enfants utilisent avec vous ? », il ressort une
forte prédominance du français. La moyenne est de 78,80 % pour le français et de 21,20 %
pour l’arabe dialectal. 08 parents déclarent que leurs enfants n’utilisent que le français.
D’après les déclarations des enquêtés, l’arabe dialectal occupe donc une place plus ou moins
importante dans la communication familiale. Lieu de la première socialisation, la famille
constitue, a priori, un vecteur de transmission de la langue d’origine; elle peut jouer
également un rôle déterminant sur les représentations de l’enfant vis-à-vis de cette langue.
Notons enfin que les données quantitatives montrent un usage de l’arabe dialectal qui diminue
chez les enfants par rapport aux parents. On peut penser, comme l’affirme certains
sociolinguistes (Lüdi et Py 2003:17), que le bilinguisme des migrants est une affaire
transitoire: « l’assimilation peut prendre deux ou trois générations, mais il serait plutôt rare
que des descendants de migrants immergés dans la société d'accueil maintiennent leur langue
à long terme, sauf dans des circonstances particulières... ». Ce qui rejoint le modèle du
changement linguistique proposé par Joshua Aaron Fishman (1964) selon lequel les enfants
de la troisième génération n’utilisent plus la langue des grands-parents.
9
À côté de l’arabe dialectal, qui est la langue de la communication orale quotidienne de la majorité
des Algériens, il y a l’arabe standard qui représente l’officialité et qui est réservé aux usages formels.
L’arabe standard (langue officielle des pays arabes) est la forme moderne de l’arabe, normalisé au
XIXème siècle à partir de l’arabe classique par les intellectuels de la Renaissance arabe (Nahda) du
Proche-Orient. On parle généralement d’arabe classique par référence à la littérature classique et au
Coran. En effet, cet arabe du Coran – langue sacrée – (Haque 2014) renvoie, à l’aune des deux
dimensions culturelle et cultuelle, à une distribution fonctionnelle qui débouche sur une
hiérarchisation: arabe classique (du Coran), arabe standard et arabe dialectal (vernaculaire oral).
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Mohammed Zakaria Ali-Bencherif et Azzeddine Mahieddine
passer les vacances au pays c’est plus qu’une nécessité // je fais tout pour
accompagner mes enfants au bled // je fais beaucoup de sacrifices // mes enfants me
le demandent aussi // on vient pour nous ressourcer.
La majorité des parents (soit 92,3 %) accorde une importance capitale à la transmission de la
LCO aux enfants. Certains, nous ont affirmé cela lors des discussions informelles et déclarent
en effet que la LCO est une composante essentielle de l’identité, ce qui constitue une tendance
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Du rôle de la mobilité dans la transmission de la langue-culture d’origine chez les descendants de l’immigration
algérienne établis en France
forte qui ressort du discours des répondants. Un des enquêtés déclare à ce propos que: si mes
enfants savent d’où ils viennent, ils n’auront pas de problèmes dans leur présent et de là ils
sauront où ils vont aller.
4.4. CE QUE LES PARENTS SOUHAITENT TRANSMETTRE À LEURS ENFANTS. Concernant les
langues du pays d’origine que les parents souhaitent transmettre à leurs enfants, les réponses
des enquêtés montrent qu’ils accordent autant d’importance à l’arabe dialectal qu’à l’arabe
standard. Le premier est indispensable à la communication courante; le second est la langue
de la religion10, de la culture écrite et des usages institutionnalisés. Le berbère n’est pas cité,
sans doute parce que nos enquêtés ne sont pas originaires de régions berbérophones et
ignorent eux-mêmes cette langue.
4.5. TRANSMISSION DE LA LCO: QUELLES STRATÉGIES? Quels moyens utilisent les parents
migrants pour transmettre une histoire, une religion, des coutumes ou des valeurs ? Nous leur
avons posé la question par référence aux deux espaces: lorsqu’ils sont en France et lorsqu’ils
sont « au bled ».
4.5.1. EN FRANCE. Concernant la transmission de la langue d’origine, nous avons obtenu les
réponses suivantes:
10
Référence faite ici au Coran. Rappelons toutefois que l’arabe standard est une forme moderne de
l’arabe qui diffère quelque peu de l’arabe coranique. Cf. note 8.
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Mohammed Zakaria Ali-Bencherif et Azzeddine Mahieddine
La communication familiale dans la langue d’origine est la stratégie qui prédomine chez les
répondants. Ce qui correspond à ce que Christine Deprez (1996) avait appelé une « politique
linguistique familiale », dans le sens où, consciemment, les parents font un choix de langue et
orientent les pratiques langagières de leurs enfants. Il s’agit dans bien des cas de parents
transmetteurs, « dépositaires de cultures » (Matthey et Fibbi 2010) qui non seulement
affichent la volonté de transmettre ce bien immatériel (Filhon 2009) mais qu’ils traduisent par
un passage à l’acte en créant les conditions qui permettent une exposition importante des
enfants à la langue d’origine et les incitent à la pratiquer couramment. Il a été constaté que la
langue d’origine est très souvent maintenue à l’intérieur des familles (Billiez 1998).
Notons également l’importance des cours d’arabe classique auxquels les parents inscrivent
leurs enfants. L’objectif de ces cours d’alphabétisation est d’abord d’ordre culturel et cultuel.
L’achat de supports didactiques (livres et CD) et l’inscription dans une association ou un
centre culturel sont aussi des moyens non négligeables.
Nb.
Stratégies utilisées Fréq.
cit.
- Je leur raconte ou explique des évènements ou éléments qui se 25 96,2 %
rapportent à leur culture d'origine (histoire, tradition, religion…)
- Je leur achète des livres ou CD qui se rapportent à leur culture 6 23,1 %
d'origine
- Je les incite à regarder des chaines de télévision se rapportant à leur 19 73,1 %
culture d'origine
- Je les ai inscrits dans une association ou centre culturel algérien 4 15,4 %
- Autre(s) moyen(s) 5 19,2 %
Les parents narrateurs sont des fervents de l’histoire qu’ils content et racontent à
leurs enfants lors de brefs retours au pays et au travers de légendes familiales qui
mettent de l’avant les qualités des ancêtres et un mythe des origines. Leur
transmission est diachronique et l’utilisation du calendrier des fêtes et événements
familiaux en est un indicateur. Ils favorisent le pays d’origine et les grands-parents
comme partenaires de la transmission, celle-ci visant surtout les origines, les racines
et le tissage d’un cordon ombilical qui donne le point de départ sans fixer les points
d’arrivée.
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Du rôle de la mobilité dans la transmission de la langue-culture d’origine chez les descendants de l’immigration
algérienne établis en France
très prisées par les populations immigrées, permettent en effet d’assurer le lien avec langue-
culture d’origine. Beaucoup de parents ont évoqué le bien-fondé de la télévision qui selon
eux, permet non seulement la découverte de nouvelles choses sur le pays mais aussi la
consolidation des connaissances en lien avec la réalité socioculturelle et historique. Certaines
familles sont plus enclines à regarder les chaines de télévision algériennes que les chaines
françaises ou autres.
4.5.2. LORS DES SÉJOURS EN ALGÉRIE. Les séjours dans le pays d’origine sont considérés par
les couples interrogés comme un moyen indispensable pour maintenir le lien avec la culture
d’origine et transmettre cette dernière à leurs enfants. Selon leur propre expérience, ils
estiment que cette mobilité vers le pays d’origine les plonge dans un bain culturel et
linguistique qui permet à leurs enfants d’acquérir plus de connaissances et de façon plus
rapide.
Quant aux modes de transmission de la langue-culture d’origine durant les séjours en Algérie,
nous avons relevé les réponses suivantes:
Tableau 5: Les modes de transmission de la LCO lors des séjours dans le pays d’origine
pour acquérir la langue-culture d’origine, développer le sentiment des origines et renforcer les
liens identitaires. Un quadragénaire hautement qualifié nous a déclaré:
Pour cet enquêté, le contact avec le pays d’origine est un projet qui s’inscrit dans la politique
linguistique et culturelle aussi bien de la famille nucléaire que celui de la famille élargie. La
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Mohammed Zakaria Ali-Bencherif et Azzeddine Mahieddine
Tous les enquêtés affirment avoir des échanges réguliers avec des Algériens (proches ou
amis) résidant en Algérie, ce qui constitue une forme de mobilité virtuelle12 qui n’est pas sans
conséquences sur leurs pratiques langagières. Voici les fréquences:
L’usage d’Internet par les parents n’est pas aussi important que chez leurs enfants. Il fait
partie, de plus en plus aujourd’hui, des pratiques quotidiennes de la nouvelle génération
dite « digital native ». Peu couteuse, les nouvelles formes de communication via Internet,
permettent une « mobilité virtuelle régulière », et offre l’opportunité d’interagir régulièrement
dans la langue d’origine, éventuellement en alternance avec le français. Ce qui constitue une
valeur ajoutée pour la transmission de la langue-culture d’origine.
5. EN GUISE DE CONCLUSION. Les données tirées de l’enquête par questionnaire, complétée par
des entretiens semi-directifs et discussions informelles, ont montré un profil de parents
transmetteurs qui accordent une importance capitale à la mobilité régulière vers le pays
d’origine. Cette mobilité s’inscrit dans un projet familial qui va dans le sens de la politique
linguistique adoptée par les parents puisque l’objectif principal est de permettre aux enfants,
par le contact, la pratique et la découverte, l’acquisition de nouvelles connaissances
linguistiques et culturelles entendues comme capital de la mobilité. La mobilité vers le pays
d’origine favorise en effet la socialisation langagière et culturelle des enfants. Elle permet
aussi l’activation du répertoire verbal (Ali-Bencherif 2009) et la découverte de nouveaux
11
La mobilité virtuelle générée par l’utilisation des technologies de l’information et de la
communication offre les mêmes opportunités que la mobilité spatiale mais sans la nécessité de se
déplacer. La cybercommunication est aussi un espace de socialisation langagière et culturelle non
négligeable.
12
Cette mobilité virtuelle suppose l’emploi de plusieurs langues « […] car tout déplacement, même
virtuel, met en jeu de facto plusieurs langues, qui sont au cœur des processus de compréhension et
d’intercompréhension, de contact et de conflit, etc. » comme le soulignent Aline Gohard-Radenkovic
et Josiane Veillette (2015:34).
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Du rôle de la mobilité dans la transmission de la langue-culture d’origine chez les descendants de l’immigration
algérienne établis en France
codes culturels. Il s’agit de parents conscients qui affichent une volonté de transmission de la
LCO et qui ont les moyens de leur politique linguistique et culturelle. Par le passage l’acte, ils
créent ainsi des conditions favorables à la transmission et au maintien de la LCO. La mobilité
comme projet familial et comme gestion des risques est par ailleurs très souvent positivée par
les parents malgré le cout du déplacement.
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Mohammed Zakaria Ali-Bencherif et Azzeddine Mahieddine
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Du rôle de la mobilité dans la transmission de la langue-culture d’origine chez les descendants de l’immigration
algérienne établis en France
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