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Introduction à la philosophie arabe médiévale

Jean-Baptiste Brenet
Introduction :
A l’époque où Brenet était étudiant à La Sorbonne, il n’y avait pas de cours de ce genre,
même dans les autres universités. Peu de philosophie arabe et/ou médiévale en France. C’est
symptomatique d’une situation tragique, contre laquelle il faut réagir. Il y a un trou, un oubli,
d’une immense période, et ère géographique, dans la représentation qu’on se fait de la
philosophie, et de l’histoire de la culture. Quand on présente l’histoire de la philosophie, elle est
trouée : on passe en général des Grecs (jusqu’à Plotin) à la modernité (Montaigne). Maintenant,
on glisse un peu d’Augustin et de Thomas d’Aquin entre les deux. Certes, au baccalauréat, il y
a des auteurs médiévaux et arabes qui sont rentrés dans la liste officielle d’auteurs.
Est-ce de la philosophie arabe, musulmane, arabo-musulmane, islamique ? Celle qu’on
lit aujourd'hui au Maroc, qu’on apprend en Iran (où l’on ne parle pas arabe), la philosophie
arabe classique ? La philosophie arabe médiévale ? Cette délicatesse est symptomatique, car on
en parle d’une point de vue très européo-centré : Paris/Allemagne/Athènes serait le centre du
monde, de la pensée occidentale, et donc on nomme les autres ères relativement à notre histoire
à nous. Ce que nous nommons « médiéval » n’a rien de médiéval pour un arabe. Si on était
inscrit dans l’histoire du monde arabe, la période dont on va parler serait l’âge d’or de la
philosophie arabe (alors que pour nous l’âge d’or de la philosophie c’est XVIe – XVIIIe). Les
mots qu’on va utiliser sont révélateurs d’un européocentrisme dont il faut se défaire.
Les bornes du MA sont difficiles à définir, mais il pourrait commencer avec la chute de
l’Empire romain d’Occident (476 après JC) et se termine avec la chute de l’Empire romain
d’Orient (1453) (ou découverte de l’Amérique, ou invention de l’imprimerie…). Cette période
couvre 1 000 ans ‼ N’en retenir que quatre noms, c’est insultant. On a tendance à parler du
miracle grec, puis plus rien, puis la « Renaissance » après les « Dark Ages », après 1 000 ans de
soi-disant rien. Le MA serait une parenthèse s’ouvrant et se fermant sur du vide de la pensée.
Russell disait que c’était une époque de domination de la religion, et que là où il y a de
la religion, il n’y a pas de pensée, car la religion écraserait tout, et que la pensée naîtrait dans la
rébellion contre la religion. C’est une construction idéologique, bourrée de fautes historiques.
Construction idéologique, que la Renaissance et le romantisme ont consolidée, façon de mettre
en valeur son époque. La philosophie médiévale serait poussiéreuse, ne fait pas rêver. Difficile
de s’en faire une idée.
Il y a eu beaucoup d’auteurs, de périodes, de textes, de production de pensée. Il y a eu
d’immenses génies de la pensée. Soyons conscients de notre grande inculture. Inculture d’autant
plus dommageable qu’elle empêche une véritable compréhension de ce qui suit : Descartes
représente peut-être une rupture, mais par rapport à quoi ? On ne peut ressentir l’effet qu’a
produit un texte à sa sortie.
Il y a un trou dans le trou : la philosophie arabe. Non seulement l’Europe n’a pas la
culture de sa pensée médiévale (on ne l’enseigne pas, on ne l’étudie pas), mais dans cette histoire
médiévale, l’Europe a encore moins la connaissance de la pensée arabe. Encore plus niée,
rejetée, oubliée.
Une pensée arabe de cette époque a existé. L’islam naît au VIIe siècle, et jusqu’au XVe
siècle, il y a eu une pensée arabe. On prendra « arabe » au sens linguistique (et non ethnique
de la péninsule arabique). Averroès n’est pas arabe, Avicenne est perse, des auteurs juifs ou
chrétiens seront inclus dans ce cours. Or, il s’est joué à cette période une masse de pensée
considérable.
On peut le regretter, au même titre qu’on peut regretter ne pas connaître la pensée
indienne, la pensée chinoise, la pensée japonaise. Mais il y a quelque chose d’autre qui se joue
avec les arabes. L’absence de la philosophie arabe dans notre bagage culturel revêt une autre
dimension. Ce n’est pas simplement une absence, mais un oubli, un refoulement, un
recouvrement. La philosophie arabe fait partie de l’histoire de la philosophie européenne. Elle
n’a jamais été au-dehors (bien que les échanges entre toutes les pensées nous enjoignent à nous
méfier des distinctions trop nettes). Trou inadmissible, car cette pensée arabe, quoique pensée
en arabe, fait intégralement partie de l’histoire européenne. Cette histoire, certes connue, n’est
pas affrontée.
La philosophie grecque a un jour disparu de la scène, quand l’empereur romain
Justinien, en 529 (à vérifier), VIe siècle, ferme la dernière école philosophique d’Athènes, école
païenne dans un monde qui ne l’est plus. La philosophie grecque s’exporte alors, avec ses
savants, son intelligence sa culture, son héritage, ses livres, là où on la veut, là où on l’accueille. :
en Orient, qui commence d’exploser, économiquement, culturellement, et qui a besoin du
savoir. En même temps, recherche active de savoir, et besoin de survie de ces savants et de ce
savoir. Ce déplacement du savoir en Orient, va se traduire, dans les langues disponibles, et va
donc s’altérer (ce qui peut être une dégradation comme un enrichissement). Ce texte traduit
donne naissance à un texte bis, et on le travaille avec les nouvelles questions qu’apporte ce
nouveau texte. Ce savoir grec disparaît presque intégralement de « l’Occident ». il passe en
Orient, et suit, au gré de l’expansion des royaumes, et en particulier de l’extraordinaire
expansion de l’islam, tout un parcours, qui, dans une sorte de boucle, va le ramener en occident.
On appelle ce trajet « translatio studiorum » veut à la fois dire traduction et transfert : transfert des
études (à la fois les centres d’étude, et le savoir lui-même). A partir du Vie siècle, s’entame un
long parcours qui voit s’opérer le transfert des corpus. Jusqu’à l’Andalousie arabe, au Maroc, à
l’époque où l’Andalousie est sous domination arabe, où on l’appelle l’Alandalouse, XIIe siècle
après JC. Revient ce savoir grec, du néo-platonisme à Aristote. Au XIIe siècle, à Paris, le grand
nom de la philosophie était Abélard, contemporain d’Averroès. Ils vivent dans deux mondes
complètement différents, pas simplement par la religion, mais aussi par la culture. Boèce a été
grand traducteur d’Aristote, et l’Occident ne connaissait quasiment d’Aristote que ses
traductions. La consolation de la philosophie. A l’époque d’Abélard, on a des outils intellectuels
d’Aristote, mais si peu. La religion chrétienne a produit une masse de réflexion considérable.
Dans la philosophe, il y a aussi parfois de la théologie. Averroès, lui, a accès à tout Aristote (sauf
Les Politiques), plus tous les commentaires agrégés au fil des siècles. Coexistence de deux ères
om les corpus sont entièrement distincts. Les textes d’Andalousie vont passer en hébreu et en
latin au XIIe siècle, et cet immense corpus oublié de l’Occident, va être traduit à partir de la fin
du XIIe siècle. Le début du XIIIe siècle correspond à la naissance de l’université (ex : La
Sorbonne). Naissance de la scolastique, philosophie de l’école. Ces universités vont s’ouvrir dans
un contexte culturel révolutionnaire, en voyant ré-arriver la quasi-intégralité du corpus
philosophique d’Aristote, de la pensée grecque. On découvre un savoir entier qui explique
l’univers de A à Z. entre Abélard qui meurt fin XIIe, et Thomas d’Aquin, qui meurt fin XIIIe,
c’est deux mondes complètement différents. Le savoir arabe a fait la passerelle.
On dit parfois que la Renaissance commence quand les profs italiens de Padoue, de
Venise, disent qu’ils vont apprendre le grec, qu’ils en ont marre d’enseigner, de lire Aristote à
travers le latin traduit de l’arabe, donc on apprend le grec et on revient au texte.
La question n’est pas « qu’est-ce qui est pur ? », mais « qu’est-ce qui a existé ? ». Sans ce
savoir arabe, il n’y aurait pas eu la scolastique, et donc pas le XVIIe siècle.

La philosophie arabe médiévale est le chaînon manquant dont nous avons besoin pour rendre
sa cohérence à l’histoire de la philosophie.

Philosophie arabe est le terme le plus naître. Philosophie musulmane ou islamique est beaucoup
plus compliqué. L’expression-même de philosophie musulmane est-elle sensée, comme celle de
philosophie chrétienne ? La philosophie en tant que philosophie n’est pas chrétienne ou quoi
que ce soit ? Est-ce musulman car cela désigne le contexte, la civilisation dans laquelle elle se
déploie, ou parce qu’elle serait chapeautée par l’islam comme religion (et non comme ère
civilisation). Certains considèrent que la vraie philosophie arabe est islamique, car se déploierait
à l’aune de la révélation coranique, comme le déploiement rationnel du révélé. Certes, les textes
religieux peuvent être extrêmement féconds, d’un point de vue théorique. Cela produit de la
pensée, que l’on pourrait dire chrétienne en tant qu’elle est motivée par des thématiques
chrétiennes.

Ibn Rušd, Averroès est le nom latin. Parfois on l’appelle « le commentateur », pas même besoin
de la nommer. Avec Ibn Sīnā (Avicenne), sont les deux grands génies sans lesquels la scolastique
n’aurait pas existé comme elle a existé. Avicenne est iranien, et mort en 1037, il écrit en arabe
et en farsi. Il a écrit une œuvre colossale. Il est plutôt (et d’ailleurs Averroès ne l’aime pas du
tout, bien qu’il le défende parfois pour défendre la philosophie) néoplatonicien. Averroès essaie
d’être le plus aristotélicien possible. Averroès est né en 1126 à Cordoue et est mort en 1198 à
Marrakech, capitale de l’empire des Almoravides (ceux défendant l’unité de Dieu).

/ !/ : ne jamais mettre le titre de la couverture (titre d’éditeur), mais celui de l’intérieur.

Par tradition, l’idée est que le Coran est descendu tel quel. Or le texte coranique a été constitué
sur quelques années, à l’époque du prophète.

Al-Kindī, irakien, celui qu’on appelle le philosophe des arabes, le premier philosophe arabe,
ethniquement arabe. Penseur assez génial, œuvres très bien traduites.
Al-Fārābī est un immense auteur, auteur arabe le plus lisible, le plus accessible en
français. Référence incontournable des études arabes, d’autant qu’il a été lu par les autres. On
doit la survie de ses textes à la lecture qu’en faisait Avicenne, qui recopiait des ouvrages dans
ses manuscrits. Commencer par lui.
En ce qui concerne Avicenne, bien que son œuvre soit colossale, il n’est pas facile de
trouver des textes traduits. Michot est ultra fort pour la traduction. Avicenne a été lu avant
qu’Aristote ait été traduit en latin.
Al-Ġazālī (prononcer Razali) est un personnage essentiel de la pensée musulmane. En
général, il est placé comme adversaire de la philosophie. Il la connaît. A lire. Très important à
l’époque d’Averroès. Complexe dans son rapport à la philosophie et à la théologie. Dans son
livre, La Destruction des philosophes : textes curieux, qui reproche à la philosophie son manque
de rigueur, mais qui considère que sur 3 points, les philosophes sont des infidèles, c'est-à-dire la
pire chose qui soit :
- La question de la vie future
- La question de la science que Dieu a du monde : il le connaîtrait généralement, mais
pas en particulier
- La question de la création divine : pas de création du monde, il serait éternel
La philosophie s’égare, et ici jusqu’à l’infidélité, ce qui fait qu’elle n’aurait pas sa place en islam.
Ce texte a eu une grande importance dans le monde arabe. Averroès répond dans Destruction
de la destruction, point par point. Le texte que nous lirons s’inscrit dans cette querelle-là.
Ibn Bāğğa (Avempace), Ibn Ṭufayl et Ibn Rušd (Averroès) doivent être pris ensemble,
plus orientaux mais occidentaux, dans l’Andalousie du XIIe siècle. Ibn Ṭufayl était le médecin
personnel du pape, philosophe. La légende dit que c’est lui qui aurait présenté le jeune Averroès
au prince, éclairé, qui voulait mieux comprendre Aristote. Averroès rentre alors dans un rapport
privilégié au pouvoir, et rentre dans une deuxième phase de commentaire d’Aristote. Ibn Ṭufayl
cède sa place de médecin à Averroès. Ibn Bāğğa a beaucoup influencé Averroès.

Évaluations :
- 1 DM, commentaire de texte : Un texte 4 questions, ce doit être bref : chaque
réponse doit être un bon gros paragraphe max. Mettre le doigt sur ce que le texte
dit, ce qu’il y a de nouveau
- 1 DST, questions de cours (~ 10)
Du Discours décisif aux grandes questions de la falsafa

Falsafa est le mot arabe pour désigner la philosophie d’origine hellénistique.

Averroès est un homme du XIIe siècle, né en 1126, né dans une famille andalouse aisée : son
père et son grand-mère sont grands juges, hommes connus à cette époque. Il a reçu la meilleure
culture, l’adeb (culture de l’honnête homme dans l’Andalousie de l’époque. On ne connaît ses
origines (on ne sait s’il est berbère). Le pouvoir almohade est bien berbère, mais lui se dit
andalou. Il était grand juge, cadi. Il sera juge des juges dans plusieurs villes, à Séville et à
Cordoue, comme la plus haute fonction de la magistrature de l’époque. Il est aussi juriste, car
il va produire du droit. Il est médecin : il soigne, mais écrit aussi un grand traité sur la médecine,
comme Avicenne. Il était philosophe, mais à l’époque, ce n’est pas un métier, ni une fonction.
On l’exerce à titre privé. Il avait des étudiants, des élèves, mais il les enseigne de façon privée.
Il n’y a pas l’équivalent de ce qui sera l’université dans le monde occidental, avec des professeurs
élus… Quand il naît, l’Andalousie est dirigée par la dynastie des Almoravides, que servent son
père et son grand père, qui seront renversés par la dynastie des Almohades, qui réussit à vaincre
définitivement en 1147. Commence alors une grande période de stabilité politique. En 1147,
Averroès a 21 ans. Il mène sa vie dans un cadre idéologiquement et politiquement puissant. Les
almohades reprochaient aux almoravides une déliquescence morale. Averroès écrit son texte
sous les yeux du pouvoir, qu’il appuie et qui l’appuie. Le fondateur de l’idéologie almohade était
un berbère, Ibn Tumârt, qui se faisait appeler le guide. Partant du Maroc, a lancé une
révolution idéologique et militaire, a fondu sur les almoravide, et abattu le pouvoir. Il meurt
assez tôt, et se sont ses successeurs qu’Averroès connaîtra et servira, grandes figures de princes
éclairés. Almohade signifie ceux qui professent l’Un. Ce sont des unitariens, reprochant aux
almoravides de trop jouir du pouvoir, et de ne pas suffisamment défendre l’unicité de Dieu,
d’où le fait qu’ils sont si adversaires des chrétiens à l’époque, car pour eux ils sont polythéistes.
A la fin de sa vie, il connaît une période de disgrâce, d’une petite année, dont on ne sait trop
rien. Sans doute un conflit de cour. Il a écrit beaucoup de commentaires d’Aristote, de la
médecine, du droit, et des traités personnels (astronomie, philosophie…). Tous ces textes n’ont
pas survécu en arabe. Tous n’ont pas été édités de façon scientifique, tous n’ont pas été traduits.
A 14 ans, le mystique Ibn Arabî, a rencontré Averroès, et était à son enterrement. Son corps
a été enterré à Marrakech, puis déplacé en Andalousie. Il était porté par une bulle d’un côté, et
de l’autre par ses œuvres (donc il y avait pas mal d’œuvres ^^).

Le Discours décisif n’est pas un texte immédiatement de philosophie, mais un texte juridique.
(cadre du texte, puis problème auquel il va tâcher de répondre. C’est une fatwa, un avis légal,
fourni par un expert en droit musulman. Tout ce que va aborder Averroès, il le fera sous l’angle
juridique, en tant que juge. Le texte se place donc sur le terrain légal. L’islam est une loi, ce
n’est pas un traité ou un commentaire de philosophie (bien que bourré de philosophie, ce n’est
pas formellement un traité de philosophie). Ce qu’on lit n’est pas une démonstration entre
philosophes, mais relève plutôt de l’art de persuader, et qui ne s’adresse ni au grand public, ni
aux philosophes, mais au pouvoir politique. Le pouvoir politique de l’époque, c’est le prince
almohades, et les théologiens et les juristes de l’époque. Averroès déteste écrire ce texte, bien
qu’il soit juge. Idée qu’il faut rester entre soi : il ne faut pas écrire des textes pour des gens qui
ne sont pas destinés à les lire. Si l’on écrit un livre qui a du succès, on risque d’aller en prison.
Ce texte a un statut ambigu : il s’adresse au pouvoir, mais avec une certaine gêne.
Texte 1, série 1, fin du Discours décisif : « Dieu a mis fin à beaucoup de ces maux, de
ces ignorances et de ces tendances pernicieuses grâce à ce pouvoir vainqueur ». Le pouvoir
vainqueur est le pouvoir almohade. Il y a une panique généralisée provoquée par la théologie,
Dieu y a mis fin grâce au pouvoir almohade, lequel est bienfaisant, notamment pour nous les
philosophes, qui aspirons à l’examen rationnel.
Cette fatwa répond à un problème précis (une fatwa n’est jamais un traité général).
Derrière ce texte-là, il y a Ghazali. Dans son texte La Destruction des philosophes, il accuse Avicenne
et Al Fârâbî, il taxe les philosophes d’infidélité, sur 3 sujets. La question est donc : est-il vrai que
les philosophes sont des infidèles (donc qui doivent mourir) sur ces trois sujets. Ghazali n’est pas
que ça, pas un anti-philosophe. Ibn Tumârt , fondateur de l’amohadisme, a pour modèle
Ghazali. On dit qu’il était en formation en orient auprès de Ghazali (c’était faux), et ayant
entendu que les Almoravides brûlaient Ghazali, serait rentré le défendre. Averroès marche sur
des œufs, car il répond à un grand théologien, et à quelqu'un à qui est favorable le pouvoir.
Toutefois, pour se faire une première idée de la question du problème que doit trancher
cette fatwa, il suffit de lire son titre (texte 2 série 1) : Livre du discours décisif où l’on établit la connexion
existant entre la Révélation et la philosophie. Averroès va répondre à la question de l’existence d’une
connexion entre les deux. 3 mots arabes cruciaux dans ce titre :
- Charia : traduit ici par Révélation. Ou alors Loi religieuse. Comment trancher eu
égard à la charia ?
- Hikma (avec un point sous le h) : pas falsafa ! : la sagesse
- Hibkissal (racine wassala) : traduit par connexion
Le titre est très complexe, car il tâche d’articuler trois termes.

Cours 2 et 3 par écrit

Cours 4

Cette définition a quelqu'un d’étonnant pour nous : Averroès, qui est censé être un
aristotélicien, et comme tous les arabes, a beaucoup plus d’Aristote que de Platon, dont les
arabes connaissent assez peu( ils n’en ont pas tous les dialogues). La philosophie arabe connaîtra
plus du néoplatonisme que du platonisme. Ils ont pas mal d’Aristote, mais pas La Politique
d’Aristote. Cette définition de la philosophie donnée par Averroès fait penser au Timée de
Platon : l’artisan fait penser au démurge du Timée. Idée qu’il y aurait un démurge qui fait
advenir le monde. Or, la figure démiurgique n’est pas aristotélicienne. Pour lui, « Dieu », c'est-
à-dire le premier moteur du monde, qui meut le monde à titre de cause finale, n’est pas un
démurge, un être qui fait advenir le monde. C’est l’acte pur que toutes les choses de ce monde
désirent, auquel elles souhaitent s’assimiler.
En vérité non, pour qui lit bien, il se conforme bien à une vision aristotélicienne de
l’univers. Dans le grand commentaire à la métaphysique que fait Averroès, quand il comment
le livre lambda et le moteur immobile, il le décrit comme un artisan. Dans son esprit, le premier
moteur d’Aristote est bien un artisan. C'est-à-dire que l’artisan qui a dans la tête l’intelligible de
l’artefact qu’il va produire, l’univers n’est en quelque sorte que la réalisation, la concrétisation
du pur intelligible qu’est le premier moteur, et à ce titre on peut le comparer à un artisan. Dans
le Livre III de l’Âme, qui parle de l’intellect agent, ou poïétique, qui intervient sans qu’on sache
bien comment dans la production de notre pensée, une grande partie du péripatétisme est là
assimilé à Dieu. Cet intellect, assimilable à Dieu, soit que ce le soit ou que c’en soit une
instanciation, il est défini par la poïesis, la production, la fabrication. Dans ce paragraphe-là, il
est d’ailleurs assimilé à une technique. Lorsqu’Averroès parle de Dieu comme d’un artisan, tout
à fait possible pour un aristotélicien de penser à ces textes. Parler d’artisanat ou d’artisan à
propos du premier moteur n’a rien de choquant pour un aristotélicien.
Comme ce texte ne s’adresse pas uniquement à des philosophes, mais aussi à des
politiques, il y a une multiplicité de couches de lectures, qu’on n’a pas dans ses commentaires
purs de philosophie. Même quand ça paraît être en conformité avec un discours religieux, il y
a derrière un esprit philosophique, ici celui d’Aristote.

E un certain nombre de glissements dans les formulations. De phrase en phrase, Averroès dérive
peu à peu, dans le sens qui l’arrange. C’est très bien fait, habile, car on part d’un terrain
commun, et on arrive à une formulation précise, qui est exactement la thèse qu’il veut défendre.
La philosophie c’est (série de glissements) :
- Réfléchir sur les étants
- Par l’intellect (un autre aurait pu dire autre chose, par le cœur par exemple)
- C'est-à-dire inférer
- C'est-à-dire user du syllogisme (rationnel, intellectuel)
- C'est-à-dire démontrer : mot-clé de l’Organon d’Aristote.
On part d’une conception large du savoir à une conception très serrée.
En arrière-fond de cette discussion, il est question de la logique, qu’Averroès considère
comme une propédeutique, un outil. La philosophie est très ordonnée : on ne choisit pas son
domaine, on ne commence pas par la fin. Après la logique, suit l’intégralité du savoir, mais par
ordre. Un des problèmes de la logique est sa dimension païenne : elle est un outil de la pensée,
mais on s’est demandé dans la pensée musulmane quelle était sa valeur compte tenu du fait que
cet outil n’était pas musulman. La logique dont héritent les penseurs en islam est grecque, donc
païenne. Plus largement, que vaut un savoir païen ?
Pour Averroès, un outil est axiologiquement neutre. C’est la façon dont on l’utilise qui
importe. De plus, le fait que des païens nous aient précédé ne devraient nous empêcher de
piocher dans leur savoir.

Série 2, texte 4

Averroès, Discours décisif, § 8-10 : « il est évident que si aucun de ceux qui nous ont précédés
ne s’était livré à une recherche sur le syllogisme rationnel et ses espèces, ce serait une
obligation pour nous que d’inaugurer cette recherche, et pour le chercheur à venir de
s’appuyer sur le chercheur passé, de sorte que cette connaissance parvienne à sa perfection.
Car il serait difficile, pour ne pas dire impossible, qu’un homme pût connaître par soi-même
et de prime abord tout ce qu’il y a besoin de savoir en la matière ; tout comme il serait difficile
qu’un seul homme découvrît tout ce qu’il y a besoin de savoir des espèces du syllogisme
juridique. Et cela est vrai a fortiori de la connaissance du syllogisme rationnel.

§ 9. Mais si d’autres que nous ont déjà procédé à quelque recherche en cette matière, il est
évident que nous avons l’obligation, pour ce vers quoi nous nous acheminons, de recourir à
ce qu’en ont dit ceux qui nous ont précédés. Il importe peu que ceux-ci soient ou non de
notre religion : de même, on ne demande pas à l’instrument avec lequel on exécute
l’immolation rituelle s’il a appartenu ou non à l’un de nos coreligionnaires pour juger de la
conformité de l’immolation <aux prescriptions légales>. <…>. Par ceux qui ne sont pas de
nos coreligionnaires, j’entends les Anciens qui ont étudié ces questions avant l’apparition de
l’Islam. Puisqu’il en est ainsi, et que toute l’étude nécessaire des syllogismes rationnels a déjà
été effectuée le plus parfaitement qui soit par les Anciens, alors certes il nous faut puiser à
pleines mains dans leurs livres, afin de voir ce qu’ils en ont dit. Si tout s’y avère juste, nous le
recevrons de leur part ; et s’il s’y trouve quelque chose qui ne le soit, nous le signalerons.

§ 10. Puis, lorsque nous aurons achevé ce genre d’étude et acquis les outils par lesquels on
peut réfléchir sur les étants, et sur ce en quoi la fabrique de ceux-ci est probante – puisque
celui qui ignore la fabrique ignore l’artefact, et que celui qui ignore l’artefact ignore l’artisan
–, il nous faudra certes entreprendre l’étude des étants dans l’ordre et suivant la méthode
acquis à partir de la science des syllogismes démonstratifs »

Il y a ici l’idée qu’avec Aristote on est arrivé au sommet du savoir, dans l’âge d’or de la
démonstration. Platon est encore un âge dialectique de la science, où par le dialogue, on fait le
tri entre ce qui se dit ou pas. Avec Aristote, le tri serait déjà fait, et Aristote nous a livré le savoir
pur, purifié, sous forme ordonnée, et il n’est plus que de recevoir ce savoir. Sans lui, il aurait
fallu le faire. Mais comme il est là, pas besoin de recommencer depuis le début. Il ne faut pas
seulement faire de la philosophie, il faut lire les livres d’Aristote. La question de l’omniscient, de
l’homme au savoir total, parfait : est-ce concevable ? E une tension : dans le système d’Averroès,
E cette idée qu’E la possibilité de l’homme parfait, omniscient, ayant totalement développé son
intellect. Sinon, son système s’effondre. Dans cette idée-là, joue le principe de plénitude : il est
inconcevable qu’une puissance ne passe jamais à l’acte. Pour les Grecs et pour les médiévaux.
Pour notre modernité, c’est tout à fait différent. Pour les médiévaux, il n’est de puissance qui ne
passe à l’acte, sans quoi a nature serait vaine. S’il y a potentialité à quelque chose,
nécessairement elle doit s’actualiser. Si le monde est fait pour se détruire, il se détruira, si
l’homme est fait pour penser, il pensera, si l’homme est fait pour tout penser, le monde est fait
pour être intégralement pensé. Sinon il y a un vice de forme. Nous sn vivons dans le monde du
gâchis : il était possible que, mais ça n’a jamais eu lieu : principe d’implénitude. Eux, principe
de plénitude. Ici, il est dans une logique d’humilité plus facile, moins technique, qui consiste
à dire que de fait, il est difficile de rencontrer quelqu'un qui sait tout, mais si l’homme seul ne
peut pas tout, mais qu’il faut viser tout, l’homme doit s’appuyer sur les autres. Idée de la
dimension participative du savoir, de l’union des travailleurs de la preuve (Bachelard). C’est par
l’agrégation des savoirs disséminés que le savoir total peut se faire. D’ailleurs, c’est à cette
époque qu’apparaît l’université, qui n’est pas totale, mais parcellaire : on se spécialise dans une
matière.
Ce n’est pas seulement mieux de se servir de la pensée de ceux qui précèdent, religieux
ou non, c’est obligatoire. Forme de salafisme philosophique (salaf : les anciens) : il faut se tourner
vers les anciens, prendre ce qu’ils nous ont légué. Ordre et méthode. Faire de la philosophie,
c’est suivre l’ordre d’un corpus qu’Aristote a parfaitement légué. On commence par la physique,
puis la métaphysique.
Les philosophes andalous critiquent les soufis, en disant qu’ils sont caractérisés par leur
prétention à accéder à la félicité au termes d’une voie scandées par des étapes ascétiques, n’ayant
rien à voir avec la culture scientifique. Pour eux, les soufis ne maîtrisent ni le contenu, ni l’ordre
des sciences. pour le philosophe, l’idée qu’il s’agisse d’accéder à ce niveau terminal de savoir est
bonne, mais ça n’est possible qu’en suivant l’ordre de la science. Toute personne qui prétendrait
faire l’économie de ce parcours par infusion, pour illumination… est une personne qui s’égare,
qui prétend quelque chose qui n’a pas lieu. C’est pourquoi il faut une société, et donc une
religion, et donc l’islam. C’est la société qui vous donne les moyens d’apprendre la science
complètement et dans le bon ordre. Sans une sorte de structure scolaire, des livres, un pouvoir
qui autorise cela, le savoir ne s’achève pas, ne se parachève pas. Il faut une société ordonnée.
Ce qui l’ordonne, étant donné la disparité des individus qui la compose, c’est la religion. La
religion qui l’ordonne le mieux ? L’islam. Du point de vue pratique, l’islam est ce qui
contrôlerait le mieux les corps (rituel). De plus, du point de vue théorique, c’est la plus vraie (pas
la seule vraie). Tout ce qui est dit dans le Coran serait vrai, pour qui sait le lire.

Série 2, texte 5

Averroès, Discours décisif, § 11-12 : « Il est évident que nous n’atteindrons notre but, connaître
les étants, que si dans cette étude les uns relaient les autres, et que le chercheur antérieur
s’appuie sur son prédécesseur, à l’instar de ce qui s’est produit dans les mathématiques.
Supposons par exemple qu’il n’ait pas existé jusqu’à notre époque de science de la géométrie
ou de l’astronomie, et qu’un seul homme, par soi-même, prétende à connaître les dimensions
des corps célestes et leurs figures, ainsi que les distances qui les séparent les uns des autres, il
en serait bien incapable.

<…> C’est là une évidence par soi, non seulement pour les sciences théorétiques, mais aussi
pour les sciences pratiques : il n’en est aucune qu’un homme pourrait concevoir à lui seul.
Alors, n’est-ce pas le cas a fortiori pour la science des sciences, la philosophie ? Puisqu’il en est
ainsi, il nous faut donc certes, si nous trouvons que nos prédécesseurs des peuples anciens ont
procédé à l’examen rationnel des étants et ont réfléchi sur eux d’une manière conforme aux
conditions requises par la démonstration, étudier ce qu’ils en ont dit et couché dans leurs
écrits. Ce qui, de cela, sera en accord avec la vérité, nous l’accepterons de leur part, nous
nous en réjouirons et leur en serons reconnaissants. Quant aux choses qui ne le seront pas,
nous éveillerons sur elles l’attention, nous avertirons <les gens> d’y prendre garde et nous
excuserons leurs auteurs. »
Connaître les étants : entendre « connaître totalement tous les étants », et comment, par la
métaphysique. Ce n’est pas un homme qui sait tout, mais l’humanité dans son entier, la
communauté humaine. Cf La Monarchie, Dante : l’homme a une intelligence en puissance,
qu’il doit actualiser en permanence. Il faut un empire mondial, où on s’y met tous.
Pour Averroès, l’homme parfait ne peut pas ne pas exister. L’homme parfait est celui
dont la puissance intellectuelle s’est totalement actualisée. Lorsqu’il parvient à la perfection, il
n’est plus un individu. Car je ne suis un individu dans mon savoir qu’en tant qu’entre dans ma
science un certain rapport à ma singularité. Dès lors que mon intellect sait tout, forme de
décrochage avec la matière, l’expérience, le corps. L’homme parfait est l’individu philosophe
dont le corps a servi de passage à l’accomplissement d’une perfection intellectuelle totale. A la
fin, il n’y a plus d’individu. Personne ne peut dire, « Moi, Aristote, suis l’homme parfait. » Il n’y
a plus de corps lorsqu’il est question de savoir parfait. Il faudra se déprendre de l’idée que la
société d’Averroès est une société pyramidale, avec la foule laborieuse en bas, et au sommet une
petite classe de philosophe, entretenus par le reste de la société, et qu’il y aurait donc une société
inégalitaire dans son fond, son fonctionnement et sa visée, car tout serait au service d’un groupe
d’individu. Avec en haut plus d’individu du tout, l’homme parfait. Or, en réalité, la foule et les
philosophes sont au service de la vérité, qui n’a pas de nom. Éternisation de l’humanité dans la
vérité.

Série 2, texte 6

Aristote, Métaphysique, II, 993a30 sq. ; trad. Duminil et Jaulin, GF-Flammarion :

« L’étude de la vérité est d’un côté difficile, de l’autre facile. Preuve en est que nul ne peut
l’atteindre comme il convient ni tous la manquer, mais que chacun dit quelque chose sur la
nature et, seul, n’ajoute rien ou peu à la vérité, tandis que de tous ensemble naît une œuvre
d’importance. Par conséquent, s’il en va, semble-t-il, comme quand précisément nous citons
le proverbe : ‘qui manquerait la porte ?’, de cette manière l’étude serait facile ; mais posséder
le tout sans pouvoir en posséder une partie montre la difficulté de cette étude. Peut-être aussi,
la difficulté étant de deux sortes, la cause en est-elle non dans les choses, mais en nous. En
effet, le rapport des yeux des chauves-souris à la lumière du jour est le même que celui de
l’intelligence de notre âme aux choses les plus manifestes de toutes par nature. Non seulement
il est juste d’être reconnaissant envers ceux dont on peut partager les opinions, mais même
envers ceux qui expriment des avis plus superficiels, car eux aussi ont apporté une
contribution, puisqu’ils ont exercé avant nous leur compétence. En effet, si Timothée n’avait
pas existé, il nous manquerait beaucoup de mélodies, mais sans Phrynis, il n’y aurait pas eu
Timothée. Il en va de même aussi pour ceux qui ont exprimé leur avis sur la vérité : en effet,
de quelques-uns nous avons reçu certaines opinons, mais les autres ont été la cause de
l’existence de ceux-là. »

Métaphysique alpha, Aristote : la vérité est facile, car ici, tout le monde sait quelque chose
de vrai, certes minime, parcellaire. En combinant tous nos micro-savoirs, nous serons capables
de faire une œuvre d’importance. Le savoir total qu’on peut avoir de la vérité est une
totalisation. Le savoir ne s’incarne pas dans un individu, mais il résulte de l’agrégation de savoirs
disséminés. Les philosophes arabes sont très influencés par ce texte-là.
Mais posséder le tout, que chacun possède le tout, ça c’est difficile. La difficulté de savoir
peut tenir à deux choses complètement différentes :
- La chose elle-même : il y a des choses qui sont difficiles à connaître en elles-mêmes
car elles sont confuses (cf Descartes).
Ex : si nous avons mal, la cause et l’objet sont confus, mais quant à nous, c’est très
net
- Nous, ce que nous sommes
Ex : une démonstration mathématique. L’objet est très net, mais peut paraître très
confus à quelqu'un.
Aristote : la chose la plus claire en elle-même de l’univers, c’est l’acte pur « Dieu » : c’est de
l’intelligibilité pure. Une chose matérielle n’est pas claire, car savoir ce qu’est un gobelet, ce
qu’il contient, n’est pas clair. Le rapport à l’essence-même de la chose est confus. Et pourtant,
nous, êtres de sensation, ne sommes pas dès la naissance métaphysiciens. On l’est, mais vieux,
car nous avons un mode d’accès à la connaissance : nous savons par expérience, parce que nous
sentons, parce que notre corps intervient. E un renversement : ce qui nous est le plus évident (le
physique. Ex : la douleur, quelque chose qui nous touche tout de suite) n’est pas ce qui est en
soi le plus évident (le métaphysique). Inversion : le plus confus en soi est le plus clair pour nous
et le plus clair en soi est le moins clair pour nous. Le but de la vie étant de cheminer
intellectuellement pour que ce qui est clair en soi le soit pour nous.
Aristote fait intervenir une célèbre métaphore, celle de la chauve-souris : le soleil est ce
qu’il y a de plus lumineux. Nous voyons des couleurs, qui sont « lumineuses ». Mais qu’y a-t-il
de plus lumineux que le soleil lui-même ? Or, le soleil lui-même, on ne le voit pas, sinon avec
difficulté. Le plus lumineux en soi n’est pas le plus lisible pour nous. Nous sommes
intellectuellement face au plus intelligible en soi comme les yeux d’une chauve-souris devant le
soleil.
Il y a un grand débat dans la philosophie médiévale quant à l’interprétation de cette
métaphore. Deux lectures :
- La chauve-souris ne peut pas voir la lumière du soleil. Cette métaphore dirait
l’impossibilité. Tant et si bien que si nous sommes comparés à une chauve-souris,
cela signifierait que nous sommes devant le suprême intelligible, dans l’impossibilité
d’y accéder.
Thomas d’Aquin dit que l’accès à Dieu ne se fait pas ici et maintenant par la
raison, mais dans l’au-delà avec la grâce. L’impossibilité nous renverrait à un au-
delà gracieux.
- Averroès dit que cette métaphore ne dit pas l’impossibilité mais la difficulté.
Notre situation initiale est celle de la chauve-souris, mais un horizon s’ouvre. Ce qui
s’ouvre, c’est un devenir aigle (Deleuze). Le but, c’est qu’un jour je voie le soleil
face à face, voire je le deviendrai.
On pourra consulter Physique 1 – 1.

Série 2, texte 6bis


Aristote, Les politiques, III, 11, 1, 1281a40 sq. ; trad. P. Pellegrin, GF-Flammarion :« Qu’il
faille que la masse soit souveraine plutôt que ceux qui sont les meilleurs mais qui son peu
nombreux, cela <…> <comporte> aussi sans doute du vrai. Car il est possible que de
nombreux <individus>, dont aucun n’est un homme vertueux, quand ils s’assemblent soient
meilleurs que les gens dont il a été question, non pas individuelle, mais collectivement, comme
les repras collectifs sont meilleurs que veux qui sont organisés aux frais d’une seule personne.
Au sein d’un grand nombre, en effet, chacun possède une part d’excellence et de prudence,
et quand <les gens> se sont mis ensemble de même que cela donne une sorte d’homme
unique aux multiples pieds, aux multiples mains et avec beaucoup d’organes des sens, de
même en est-il aussi pour les qualités éthiques et intellectuelles. C’est aussi pourquoi la
multitude est meilleur juge en ce qui concerne les arts et les artistes : en effet, les uns <jugent>
une partie, les autres une autre, et tous <jugent> le tout. »

Il est difficile de trouver un homme parfait, mais on pourrait le composer en alliant des parcelles
parfaites de plein d’hommes différents. Aristote s’en sert pour défendre la souveraineté de la
masse, quand il n’y a pas d’individu exceptionnel : on prendra les meilleurs dans chacun des
domaines. Sauf qu’une somme de relativement meilleurs et mieux qu’un unique relativement
médiocre.

En Andalousie, à l’époque, il y a trois philosophes à retenir : Ibn Bāğğa (Avempace), Ibn Ṭufayl
et Ibn Rušd (Averroès). Ils ont 3 conceptions différentes du philosophe :
- Pour Ibn Bāğğa, qui a écrit le Régime du solitaire, philosophe seul au milieu
des autres : quoi qu’au milieu des autres, il est isolé, car le monde qui l’entoure est
corrompu et qu’il n’y a rien à en attendre.
- Ibn Ṭufayl: il écrit un texte sur un philosophe se développant seul sur une île, et
parvient par les forces de sa raison au sommet de la science. Il va rencontrer un
homme religieux qui va devenir son disciple, et on aura un couple (=/= société)
- Avec Averroès, sans la société, l’homme ne vit pas. Il faut combiner ces deux
caractérisations classiques de l’homme chez Aristote :
o L’homme est un animal rationnel. On ne peut dissocier l’intellectualité de la
politique
o L’homme est un animal politique. La politique est le seul horizon de
l’intellectualité
Spinoza : L’homme est un Dieu pour l’homme

Série 2, texte 7

Al-Kindî, Sur la philosophie première, trad. Rashed-Jolivet, p. 10 sq. : « Il est de notre devoir le
plus nécessaire de ne pas blâmer quiconque nous a aidés à acquérir des profits légers et menus
; que dire alors de ceux qui nous ont aidés à acquérir des profits importants, réels,
considérables. Car, même s’ils ont manqué partiellement le vrai, ils furent nos alliés et nos
associés puisqu’ils nout ont procuré les acquis de leur pensée qui ont été pour nous des voies
et des instruments qui nous ont conduits à la science de ce dont ils n’ont pu atteindre la vérité.
Et cela, d’autant plus que, pour nous et pour les plus éminents de ceux qui se sont consacrés
avant nous à la philosophie – des gens qui ne parlaient pas notre langue –, il est clair que pas
un homme, dans l’effort de sa recherche, n’a pu atteindre le vrai autant que le vrai l’exige, et
que tous ensemble ne l’ont pas possédé ; mais chacun d’eux ou bien n’en a rien atteint ou
bien n’en a atteint que peu de chose par rapport à ce qu’exige le vrai. Si donc on rassemble
le peu qu’a atteint chacun de ceux qui ont atteint le vrai, la somme en est quelque chose
d’imposant. Il nous faut donc grandement remercier ceux qui nous ont procuré quelque
chose du vrai et davantage encore ceux qui nous en ont procuré beaucoup, car ils nous ont
fait participer à l’acquis de leur pensée », etc.

Al-Kindî, irakien, IXe siècle, surnommé « le philosophe des arabes ». Averroès ne le connaît
pas. C’est un néoplatonicien. Il a dirigé un groupe de traduction des textes néoplatoniciens du
grec à l’arabe.
Les grecs pourraient être appelés des anciens (à valoriser), des prédécesseurs. Dans
l’islam, il y a une coupure majeure : avant l’advenue de l’islam, on parle d’une période
d’ignorance). Or, ici, il dit que les Grecs, ce n’est certainement pas la période de l’ignorance
intellectuelle.

Série 2, texte 8

Al-Fârâbî, De l’obtention du bonheur, trad. Seyden-Lévy (la trad. est mauvaise), p. 80 sq. : « Telle
est la science suprême et la plus antérieure et celle qui exerce l’autorité la plus parfaite. <…>
On dit que cette science a existé dans l’Antiquité chez les Chaldéens, qui sont le peuple de
l’Irak, puis qu’elle est parvenue au peuple de l’Egypte, d’où elle fut transmise aux Grecs, où
elle demeura jusqu’à ce qu’elle fût transmise aux Syriens et ensuite aux Arabes. Tout ce que
contient cette science a été exposé dans la langue grecque, puis en syriaque et enfin en arabe.
Les Grecs qui ont possédé cette science avaient coutume de l’appeler ‘la sagesse absolue’ et
‘la plus haute sagesse’. Ils nommaient ‘science’ sa possession et ‘philosophie’ (par quoi ils
entendaient la recherche et l’amour de la plus haute sagesse) l’attitude de l’esprit scientifique
».

Al-Fârâbî, texte qu’Averroès le connaît. Il trace le circuit du savoir. Pour lui, les Grecs ne sont
pas les fondateurs, mais des héritiers.
Translatio studiorum : le transfert, mais aussi la traduction. Passage de langue en langue.
Il y a un passage des études, une circulation du savoir. Chaque peuple est l’héritier d’un
savoir en quelque sorte immémorial. Il y a une dimension patrimoniale du savoir. E l’idée de
construction, de collaboration, de rassemblement, mais aussi d’héritage. Tout savoir est un
lègue, tout peuple est une voie de passage, opérateur de transfert d’un savoir qui précède, et
qu’il faut continuer de livrer.
L’œuvre de la raison se transmet. Tout peuple qui dirait « le savoir est né là, et ne se
pense que là », est un peuple sans sagesse.

Série 2, texte 9
« La Révélation recommande bien aux hommes de réfléchir sur les étants et les y encourage
»

Le Coran est l’autorité première ; la conclusion juridique qu’il veut établir n’a de sens que par
rapport à la parole coranique. Après avoir produit sa définition de la philosophie, il va montrer
que dans le coran, tel qu’on peut le lire directement, il est écrit quelque chose qui valide
immédiatement la philosophie. Or il affirme que le coran recommande de réfléchir sur les
étants.

Série 2, texte 10

« Que la Révélation nous appelle à réfléchir (i‘tibār) sur les étants (mawǧūdāt) en faisant
usage de la raison (bi-al-‘aql), et exige de nous que nous les connaissions par ce moyen, voilà
qui appert à l’évidence de maints versets du Livre de Dieu <…>. En témoigne par exemple
l’énoncé divin :

‘Réfléchissez (fa-‘tabirū ; notez l’impératif) donc, ô vous qui êtes doués de clairvoyance (yā ūlī
’labṣār)’ (Cor. 59, 2, trad. Masson : « Tirez donc une leçon de cela, ô vous qui êtes doués d’intelligence !
»), qui est une énonciation univoque du caractère obligatoire de l’usage du syllogisme
rationnel, ou du syllogisme rationnel et juridique tout à la fois ; ou par exemple l’énoncé divin
:
‘Que n’examinent-ils (’a wa-lam yanẓurū) le royaume des cieux et de la terre et toutes les choses que
Dieu a créées’, Cor. 7, 185), encouragement énoncé de manière univoque à l’examen rationnel
de tous les étants. »

Ce texte renvoie à des versets coraniques, cela selon lui s’entendraient de façon univoque
(/ !/ : pour lui, beaucoup de versets doivent s’interpréter). Il note un impératif : le prophète, qui
donne sa voix à Dieu, utilise un impératif : « Réfléchissez ! ». Ce n’est donc pas seulement une
recommandation, mais une injonction. Forme impérative du verbe qu’il a habilement utilisé
dans sa définition de la philosophie.
Averroès a utilisé deux mots dans sa définition (réflexion et examen) qui se retrouvent
dans deux versets coraniques, dont il prétend qu’ils sont univoques, et ne font que confirmer la
définition de la philosophie qu’il a mise en avant. Injonction à pratiquer cela-même qui fait le
cœur de la philosophie.

Compte tenu de ces références coraniques, ce qu’il faudrait entendre dans la révélation, c’est
l’obligation de philosopher, de démontrer, si bien que condamner la pratique de la philosophie,
lui dénier un droit d’existence, ce serait n’être pas musulman.

Dans le paragraphe 13 du Discours décisif : on voit encore un glissement : il ne parle pas


simplement de la philosophie et de la logique, il parle des livres de philosophie, évidemment
ceux des anciens et d’Aristote. Donc il dit qu’au regard de l’islam, on ne peut interdire la lecture
des livres des anciens, et si on le faisait, on interdirait à l’examen qui conduit non pas seulement
à connaître Dieu, mais à connaître vraiment Dieu.
Devant un artefact, n’importe qui voit que c’en est un. La différence est la quantité de
détails. Ce n’est pas simplement quantitatif, mais qualitatif concernant Dieu. Que le philosophe
connaisse vraiment Dieu ne signifie pas que la foule ne le connaît pas. Elle le connaît sous une
forme dégradée, inférieure : par exemple de façon métaphorique (« Dieu est lumière » : certes,
c’est une vérité . Un philosophe dira quelque chose de plus conceptuel, profond, proche de ce
qu’est l’essence du premier moteur).

Mais attention, il ne faut pas oublier de nuancer : ce n’est pas un philosophisme intégral : le fait
de philosopher s’impose uniquement à ceux qui y sont aptes.

Série 3, texte 1

Averroès, Discours décisif, § 13-15 : « Il est apparu de tout cela que l’étude des écrits des Anciens
est obligatoire de par la Loi, puisque l’intention, le dessein <qu’ils poursuivent> dans leurs
écrits est ce dessein même que la Révélation appelle <à se fixer>. Dès lors, quiconque interdit
cette étude à quelqu’un qui y est apte (man kâna ahlan li…) – c’est-à-dire quelqu’un qui réunit deux
qualités : intelligence innée <d’une part> (ḏakâ’ al-fiṭra) ; honorabilité légale et vertu morale
<d’autre part> - barre aux hommes l’accès à la porte à partir de laquelle la Révélation adresse
aux hommes son appel à connaître Dieu, celle de l’examen rationnel qui conduit à connaître
vraiment Dieu. C’est là le comble de l’ignorance et de l’éloignement de Dieu. <…>

Interdire l’étude des ouvrages de philosophie à ceux qui y sont aptes (man huwa ahlun la-hâ) parce
que l’on supposerait que c’est à cause de l’étude de ces ouvrages que certains hommes parmi
les plus abjects se sont égarés, ne revient à rien de moins qu’à interdire à une personne
assoiffée de boire de l’eau fraîche et agréable au goût, et que cette personne meure de soif, au
motif que d’autres, en en buvant, ont suffoqué et en sont morts »

Quelqu'un apte : réunit 2 qualités :


- Intelligence innée, la perspicacité de la nature
- Honorabilité légale et vertu morale. E une longue traduction contre la philosophie
qui veut que les philosophes soient des dépravés. Alors btw que rien n’est plus triste
que la vie d’un philosophe ^^. Vie d’ascèse.

Que signifie être apte à la philosophie ? Sur quoi repose cette aptitude. Est-ce à dire qu’il y a
des types d’hommes, des compartiments étanches au sein de l’humanité, que tous les hommes
ne sont pas égaux/identiques par nature ?
Chez Averroès, on trouve cette idée qu’il existe différentes natures d’hommes. Tous les
individus ne sont pas également doués : E différents types d’esprits humains.

Série 3, texte 2
Ibid., § 23, p. 121-123, que les hommes « se distinguent par leurs dispositions innées (fiṭra), et
diffèrent quant à leur fonds mental (qarîḥa : disposition naturelle, prédisposition, talent, génie)
».

Les hommes se distinguent par leurs dispositions innées, et diffèrent par leur fond mental (talent,
génie propre, dispositions naturelles). Le plus souvent, ce partage au sein de l’humanité prend
la forme d’une simple opposition, très fréquente dans la pensée musulmane, et fort peu
thématisée, entre :
- L’élite : les savants, au sens des gens de démonstration (pour Averroès). Dans
son commentaire à la République de Platon, passage sur l’intelligence des femmes et
leur place dans la cité (il fait figure, à raison, au sein de l’islam, d’un penseur qui
dépend absolument l’intelligence des femmes). Il précise dans ce commentaire que
l’homme de la démonstration est celui qui reconnaît ce qu’est une chose dans son
essence. Il saisit l’essence de la chose en la distinguant de ses accidents.
- La foule, le vulgaire, la masse, le profane : Ce qui caractérise la foule, c’est le point
de vue immédiat. Elle s’en tient dans ses jugements au point de vue immédiat. Elle
est incapable d’accéder à ce noyau essentiel du réel. Elle se caractérise par son
incapacité à accéder à la réalité du réel. Mais Averroès y distingue deux catégories :
o Les hommes de la dialectique : les théologiens du khalâm
o Au plus bas de l’échelle : les hommes de rhétorique. En réalité, ce sont
eux qui s’en tiennent au point de vue immédiat
La distinction des natures correspond à une distinction des jugements dont les hommes sont
capables, aux types de discours que les hommes produisent, à une différence dans les pratiques
cognitives. Il y a autant de types psychologiques d’hommes qu’il y a de manière d’appréhender
et de poser le réel. Tu es comme tu juges.
Il croise un héritage platonicien (parabole des trois métaux) avec la théorie du syllogisme
d’Aristote (plusieurs formes de syllogismes). Les hommes se rangent selon les types de syllogismes
qui leur conviennent.

03/11/20

Les pratiques cognitives indiquent de quelle catégorie on relève.


Le mot de fiṭra (point sous le t), qu’on peut traduire par nature, au pluriel fiṭar (avec le
point sous le t) : c’est la nature première, la prime nature, la norme originelle : c’est en rapport
avec la théologie, car c’est compris comme la nature primordiale comme quelque chose que
Dieu a produit en tout homme. L’idée est qu’il existe une fiṭra de l’humanité, une norme
commune qui fait que nous sommes tous des hommes, et que nous entretenons une intimité
entre nous, nous nous reconnaissons. E un genre humain, une espèce humaine, on n’est pas
dans une dissémination totale d’individus. Idée d’un non-éclatement de l’espèce, d’une union
où je me reconnais dans l’autre.
E cependant des fidar qui distinguent les uns des autres (arbres avec des branches) :
différences naturelles au sein d’une même nature humaine.
Cette notion de fiṭra est une notion coranique fondamentale, même si c’est un hapax,
c'est-à-dire quelque chose qui n’apparaît qu’une fois dans cette forme-là. La racine est très
présente cependant. Dans la série de textes 3, Coran 30, 30, 4 traductions de la même phrase
coranique. La traduction de Berck est sans doute la plus littérale. Hanîf : le croyant. Dieu a créé
dans l’homme une fiṭra, et il faut suivre cette nature.
Cette notion est coranique, mais on en voit la transplantation dans un contexte
philosophique. On pourrait assigner ça à l’essence.

Série 3, textes 4 et 5 :

4) Al-Fârâbî, Régime politique, trad. Vallat, p. 139 : « Tout homme n’est pas engendré
naturellement disposé à la réception des intelligibles premiers, parce que chacun des hommes
est par nature amené à l’existence avec certaines facultés de plus ou moins grande excellence
et suivant diverses propensions à recevoir.

Ainsi, parmi eux, il en est qui, par nature, ne reçoivent aucun des intelligibles premiers ; il en
est qui les reçoivent autrement qu’il ne faut, comme les fous ; et il en est qui les reçoivent
comme il faut. Ces derniers sont ceux dont la norme originelle (fiṭra) de l’humanité est saine
et c’est à eux en propre et non aux autres qu’il est possible de parvenir à la félicité. »

5) Al-Fârâbî, Régime politique, trad. Vallat, p. 142 : « Les hommes dont la norme originelle
(fiṭra) est saine ont <tous> une norme originelle commune qui fait qu’ils sont <chacun>
disposés à la réception d’intelligibles qui, étant communs à l’ensemble d’entre eux, font qu’ils
tendent à des occupations et des activités qui leur sont communes.

Puis, ensuite de cela, ils se diversifient et se différencient les uns des autres <sous
l’effet de certaines causes>, de sorte que des naturels leur adviennent qui caractérisent en
propre chacun d’entre eux et chaque classe d’hommes.

Partant, tel d’entre eux étant disposé à la réception de certains autres intelligibles qui ne sont
pas communs, mais propres, il tend vers un certain genre <d’activités>, tandis que tel autre
sera disposé à la réception de tels autres intelligibles aptes à être mis en œuvre dans tel autre
genre <d’activités>, <et cela> sans partager avec son congénère rien qui lui a été affecté en
propre. Et, <de même>, untel sera disposé à la réception de nombreux intelligibles
appropriés à <la connaissance d’>une certaine chose relevant de tel genre <d’activités>,
quand tel autre sera disposé à la réception de nombreux intelligibles appropriés à <la
connaissance de> l’ensemble des choses relevant de ce genre <d’activités>. De même, il
arrive qu’ils se différencient aussi les uns des autres et se hiérarchisent sous le rapport de
l’excellence eu égard aux puissances moyennant lesquelles ils découvrent ce qui, dans tel
genre <d’activités>, est susceptible d’être saisies ; rien n’interdit, en effet, qu’existent deux
<individus> à qui auront été donnés des intelligibles identiques appropriés à tel genre
<d’activités> et que l’un ait été fait par nature pour découvrir grâce à ces intelligibles un peu
des choses relevant de ce genre <d’activités> tandis que l’autre aura eu par nature la capacité
de découvrir l’ensemble <des choses> comprises dans ce <même> genre <d’activités>. De
même, il arrive que deux <individus> soient égaux pour ce qui est de la capacité de découvrir
des choses identiques, à ceci près que l’un sera plus prompt à <les> découvrir, l’autre plus
lent, ou encore l’un sera plus prompt à découvrir ce qui, dans ce genre <d’activités>, est
meilleur, tandis que l’autre le sera à découvrir ce qui, dans ce même genre, est plus vil. Il se
peut encore que deux <types d’individus> soient égaux pour ce qui est de la capacité de
découvrir et la promptitude, les uns ayant en outre la capacité de guider autrui et d’enseigner
ce qu’ils auront découvert, tandis que les autres n’auront ni la capacité de guidance ni
d’enseignement. <Enfin> il se peut qu’ils se hiérarchisent sous le rapport de la capacité pour
les activités corporelles.

Par ailleurs, les normes originelles, qui existent par nature, ne contraignent ni
ne forcent quiconque à faire telle chose. Elles sont telles, en revanche, qu’il est
seulement plus facile <aux hommes qui en sont dotés> de faire ce à quoi ils sont disposés par
nature ; et telles que celui qui donne congé à une passion qui l’afflige et que rien, du dehors,
ne meut en sens contraire, s’élance vers ce à quoi on le dit disposé. Dès lors, quand un moteur
le meut de l’extérieur vers le contraire de ce <à quoi il est disposé>, il s’élance certes vers ce
contraire, mais c’est avec peine, violence et difficulté – à moins que cela ne lui soit facilité par
l’habitude qu’il en aura prise.

<Enfin>, en ceux qui sont faits par nature pour une certaine chose, il peut arriver, par
accident, que le changement par rapport à ce à quoi ils ont été originellement conformés par
nature se fasse à grand-peine et, chez nombre d’entre eux, il se peut même que <ce
mouvement> soit impossible, et cela, dans la mesure où ils sont depuis leur naissance atteints
d’une maladie, c’est-à-dire d’une affection chronique, d’origine naturelle, qui affecte leur
esprit.

En outre, les normes originelles en question, outre ce qu’il leur revient d’être
par nature, ont toutes besoin d’être exercées moyennant la volonté et d’être
ainsi ajustés aux choses en vue desquelles elles sont disposées, si bien que, vis-à-
vis des choses en question, ces normes en viennent à se conformer à ce qui constitue pour
elles l’entéléchie ultime, ou à ce qui s’en approche <le plus>. Il arrive de fait que certains
naturels prééminents dans tel genre <d’activités> soient négligés, ne soient pas soumis à
l’exercice ni ajustés aux choses en vues desquelles ils sont disposés ; alors, le temps passant là-
dessus, leur puissance <initiale> se trouve réduite à rien. Et il arrive en outre que tels autres
naturels soient si bien ajustés aux choses viles qui relèvent de ce genre <d’activités> qu’ils en
arrivent à dépasser le comble de la mesure des actions viles relevant de ce genre <d’activités>
et de ce qu’il est possible d’y découvrir en fait de vilenies. »

Fârâbî est un modèle pour Averroès : nous naissons tous avec certaines propensions à recevoir
ce qui va nous équiper intellectuellement, bagage mental à partir duquel nous allons nous
orienter dans la vie et la pensée. Nous ne sommes pas tous les mêmes eu égard à cette capacité
de réception. Au sein de l’humanité, dans l’extrémité basse, E ceux qui ne reçoivent aucun des
intelligibles premiers (premiers concepts et premières propositions), ce ne sont quasiment pas
des hommes puisque c’est la capacité de penser qui caractérise l’humanité. Au départ i n’a
quasiment rien : il a tout de même le premier bagage des intelligibles premiers, sinon il ne
commencerait jamais à penser. Exemple : tout > partie. Les fous reçoivent des concepts, mais
c’est comme s’ils pensaient de travers. Cette question des premiers intelligibles, question délicate
(d’où viennent les premiers concepts ?), plusieurs options :
- Empirisme radical : en sentant, en imaginant, quelque chose va s’élaborer à partir
de la perception : position d’Averroès : les premiers concepts sont empiriques,
produis par notre expérience des choses. Il est anti-platonicien. Il n’y a rien d’inné
dans l’esprit.
- Position de Fârâbî : Même si les concepts vont être abstraits, dégagés du monde
sensible, ce processus de pensée ne pourra se faire que sur une base innée. L’intellect
agent, au-dessus des humains, infuse dans l’âme des individus une sorte de premier
outillage conceptuel. Même dans ce premier don, nous ne sommes pas tous les
mêmes
Coupure de son
E ceux qui sont sains, mais pour qui rien n’est encore assuré.
On est en mesure de gagner le bonheur, mais seulement cela. Être heureux pour Fârâbî, c’est
déployer totalement son intellect. L’homme se définit par son intellect, c'est-à-dire par
l’universalité à laquelle il a accès. La félicité est mentale, qui passe cependant par un certain
rapport au corps. RAV avec l’ataraxie, avec une tranquillité ou une prudence. Le philosophe
est l’homme qui pense parfaitement. Ce sont des philosophies de l’intelligence (pas du cœur, de
la foi, de l’ardeur…). Ceux qui n’ont pas la bonne complexion n’accèderont jamais au plein
développement de leur intellectualité. Ne peut-on cependant trouver l’équivalent, l’analogue de
ce qui permet à la partie philosophe de l’humanité de s’accomplir ?

On n’arrivera pas à rendre la foule philosophe. Il reproche aux théologiens de trop parler, et de
mal parler, et donc de semer le désordre. Il vaut parfois mieux se taire.

Cela représente une injustice : que vaut le Dieu qui a produit ce monde, si ce monde a produit
des hommes qui d’emblée sont si différents. Coupure de son.
Philosophiquement, la fiṭra est un ensemble de capacités, de possibilités, qui est fondé
sur un premier bagage d’intelligibles qui serait reçu par l’intellect agent. Cela voudrait dire qu’à
l’origine de notre vie, il y a une forme de passivité fondamentale (le bébé ne peut rien).
Nous sommes tous des hommes, car nous sommes tous des corps structurés de la même
façon, et dotés de la même potentialité, avec comme puissance caractéristique celle de penser.
Des âmes formes de corps, et dont la meilleure puissance est la puissance intellectuelle. Mais au
sein de cette humanité, différence. nous ne sommes pas équipés de la même façon, et en plus
nous ne sommes pas portés vers les mêmes intelligibles, et nous n’y sommes pas portés avec la
même puissance.
A quoi ces différences tiennent ? Quelle est leur cause ?
Scène du choipeau jpp xD
Si comme Averroès le pense, il n’y a qu’une seule intelligence pour toute l’humanité,
comment expliquer cette différence entre individus ? Une des réponses des penseurs arabes est
liée au mélange, ce qu’on appelle dans la philosophie moderne la complexion : le mélange
des humeurs qui fait qu’on relève de tel ou tel tempérament. La différence d’intelligence entre
les individus n’est pas quelque chose d’intellectuel en soi, mais quelque chose plutôt organique,
physico-chimique, qui relève du mélange qui caractérise leur complexion. L’intelligence en soi,
ce n’est rien. Je n’ai pas un intellect à moi, ma puissance mentale à moi : j’ai une complexion,
c'est-à-dire un corps, c'est-à-dire une certaine manière d’activer l’intelligence, de la mettre en
œuvre. C’est la mise en œuvre de l’intelligence qui va distinguer les hommes, pas l’intellect en
soi. On naît d’emblée avec une puissance d’activation de l’intelligence. D’où l’importance du
corps, et de l’entretien du corps, et du rapport au corps. Pour Averroès, penser ne se fait pas
par décrochage avec le corps, en étouffant notre capacité de sentir. C’est exactement l’inverse,
puisque c’est par ma sensation et mon imagination que j’accède à la pensée.
Ces groupes n’excluent pas des individus de l’homme, mais les hiérarchisent. Le principe
de base est que tous les hommes ne se valent pas. La vie en société n’est-elle pas un moyen de
compenser l’écart de base ? Avicenne, Averroès, Fârâbî : non.
Chez Fârâbî, la distinction des naturels qui nous poussent à nous porter vers tel type
d’activité, repose sur plusieurs critères :
- Type d’intelligible auquel on est disposé (mathématiques, dessin, sport…)
- Quantité d’intelligible dans chaque genre auquel on est disposé : on peut vouloir
tout lire dans une catégorie
Puissance, vitesse pour aborder tel ou tel intelligible
- Capacité à l’enseignement, à la guidance : irshâd (fait de guider quelqu'un), ta’dîb
(fait de transmettre la rationalité, la culture), ta`lim (enseignement qu’on donne) :
capacité à transmettre, à enseigner, à guider. La question de savoir ce qu’on fait de
son savoir. On peut avoir plusieurs lectures de l’usage du savoir : l’homme est un
être intellectuel, et lorsqu’il a atteint son intellectualité, le terme est là. Il aurait alors
décroché de la corporalité, et basta. Philosophie de l’accomplissement mental,
intellectuel, et rien à parachever au-delà. Ce n’est précisément pas la pensée de
Fârâbî, qui comprend deux pans : un pan métaphysique, pensant la marche de
l’individu vers la félicité mentale, et un pan politique, indispensable à la philosophie :
si je n’enseigne pas ce que je sais, alors je suis une philosophe amoindri. Allégorie de
la caverne : en sortie, et redescendre.
Dans le philosophe accompli, l’homme est devenu substance, son intellect est devenu substance,
ce qui se tient sous, ce qui veut dire qu’il ne s’appuie plus sur le corps pour être, mais surtout
pour fonctionner. Quand je suis philosophe, je n’ai plus besoin de l’imagination, de la sensation
pour penser. Son être s’est ramassé dans l’intellectualité.
Cet homme-là, pleinement intellectualisé, doit redescendre, s’il n’était pas un guide, un
chef politique, un imam (c’est la même personne qui doit se faire chef politique, législateur, chef
religieux). Cette redescente, cette action politique, cette prise de parole, cet engagement, est
nécessaire, certes, mais ajoute-t-elle quelque chose ? Si je suis déjà parfait, ajoute-t-elle quelque
chose ? Si c’était le cas, cela dirait que la philosophie est tendue vers l’action politique. L’action
politique ne comble pas nécessairement un manque dans l’activité philosophique.
/ !/ : E bien un donné biologique, fiṭra, avec tout ce que ça comporte d’injustice, mais
tout ne se réduit pas à ce donné biologique, à cette couche innée, première de l’intellectualité.
Fârâbî insiste sur la dimension volontaire de la vie humaine : que vas-tu faire de ce qui t’es
donné d’emblée ? La vie est une articulation entre le donné et le volontaire. On a souvent l’idée
que dieu a déjà tout écrit, et l’homme ne ferait qu’exécuter le mieux possible son rôle assigné.
Ici, ce n’est pas le cas : E une marge d’indécision, qui rend l’homme responsable de la vie qu’il
va mener. On peut naître philosophe, et pourtant gâcher notre vie : par paresse, par malchance
(pas né au bon endroit, guerres, épidémies, famines, destruction)…

Chez Averroès, quand bien même seuls quelques philosophes s’accompliront, attention à ne pas
croire que cette élite-là, la réussite qu’ils atteindront ne les concerna qu’eux, individuellement.
Pour Averroès, nous sommes tous des individus au départ : nous sommes des êtres particuliers,
singularisés, plein d’accidents liés à notre matière, qui fait que la forme de l’humanité qui est en
nous est singularisée. Mais nous sommes dotés dans nos singularités de la puissance de penser,
d’intelliger, c'est-à-dire produire et saisir des concepts (notion universelle – universel :
quelque chose de vrai de la même façon et tout le temps). Ambivalence sublime : dans nos corps
singuliers, du sein-même de nos particularités, nous sommes capables d’accéder à de l’universel,
à savoir la vérité.
Le philosophe est un homme en qui cette capacité d’accéder à l’universel s’est déployée
au maximum. Il est devenu tout entier concept. A la fin de sa vie, il est devenu tout entier
universalité. Il n’est plus une âme dans un corps, il est en tant que philosophe, ayant actualisé
parfaitement sa puissance à l’égard de l’universalité, tout entier universel. Ce qui veut dire qu’il
n’est plus un individu. Il n’a pas de nom.
Même si l’on devait s’en tenir à l’idée qu’E naturels philosophes ou non, compte tenu
du fait que le philosophe à la fin n’est pas un individu, mais l’universel, la puissance-même à
laquelle l’humanité est destinée, cela suffirait à notre satisfaction. Ce qui s’accomplit, c’est
l’humanité-même.

Pour Fârâbî, la philosophie est salvatrice, béatifiante, immortalisante.

Série 3, texte 6

Averroès, Kitâb al-Kashf, in L’islam et la raison, p. 145 : « Et si l’on demande : mais quel besoin
y avait-il de créer une sorte d’êtres qui seraient par leurs natures disposés à être égarés, alors
que c’est là le comble de l’injustice ? Il sera répondu que c’est la sagesse divine qui le suppose,
et que l’injustice eût été qu’il en fût autrement. En effet, la nature dont l’homme est créé, et
la composition intervenant dans sa constitution, supposent qu’il existe certains hommes
mauvais par leurs natures, même si c’est une minorité. De même, à l’agencement de causes
extrinsèques conçu pour diriger les hommes s’attache le fait de provoquer l’égarement de
certains, même si la plupart sont grâce à cela bien dirigés. Selon ce que suppose la sagesse
<divine>, il fallait alors, de deux choses l’une, soit que <Dieu> ne créât pas les espèces où
l’on trouve une moindre part de mal et une majeure part de bien, et qu’ainsi, à cause de la
moindre part de mal, n’existât point la majeure part de bien ; soit qu’Il créât ces espèces, et
qu’y existât la majeure part de bien avec la moindre part de mal (p. 196, § 326-327). »

Ce texte est à prendre avec des pincettes. S’il y a des non-philosophes et des philosophes, que
penser de la valeur de ce monde ? Dieu n’a-t-il pas été injuste dans ce monde ? Indéniablement,
pour ceux qui ne sont pas philosophes, c’est un mal. Mais est-ce que ce mal, inévitable compte
tenu de la matérialité qui affecte la nature humaine, n’est pas compensé au niveau global par le
bien de l’espèce ? Le monde peut sembler mal fait lorsqu’on est attentif au détail, mais en
prenant du champ, on en réalise la facture correcte, car globalement le fonctionnement est bon.

Série 3, texte 7

Ibn Ṭufayl, Ḥayy ibn yaqẓan, trad. Gauthier, p. 109 sq. Le personnage, Ḥayy ibn yaqẓan,
arrive sur l’île voisine dans le but de « sauver » ses habitants, des religieux (des musulmans,
plus exactement), en leur révélant la vérité sous sa forme pure (c’est-à-dire en exposant ce
qu’est la philosophie) ; il échoue :
« Hayy ben Yaqdhân entreprit donc de les instruire et de leur révéler les secrets de la sagesse.
Mais à peine s’était-il élevé quelque peu au-dessus du sens exotérique pour aborder certaines
<vérités> contraires à leurs préjugés, ils commencèrent à se retirer de lui : leurs âme
répugnaient aux <doctrines> qu’il apportait, et ils s’irritaient en leurs cœurs contre lui, bien
qu’ils lui fissent bon visage par courtoisie vis-à-vis d’un étranger et par égard pour leur ami
Açal. Hayy ben Yaqdhân ne cesse d’en bien user avec eux nuit et jour et de leur découvrir la
vérité dans l’intimité et en public. Il n’aboutissait qu’à les rebuter et à les effaroucher
davantage. Pourtant, ils étaient amis du bien et désireux du vrai ; mais par suite de leur
infirmité naturelle (li-naqṣ fiṭari-him : le caractère défectueux de leur fiṭra), ils ne poursuivaient
pas le vrai par la voie requise, ne le prenaient pas du côté qu’il fallait, et au lieu de s’adresser
à la bonne porte, ils cherchaient à le connaître par la voie des autorités. Il désespéra de les
corriger et perdit tout espoir de les convaincre. Alors, examinant successivement les
différentes sortes d’hommes, il vit que ‘ceux de chaque catégorie, contents de ce qu’ils ont
(Cor. 23, 53 ; 30, 31), prennent pour dieu leur passion’ (Cor. 25, 43), pour objet de leur culte
leurs désirs, se tuent à recueillir les brindilles de ce monde, ‘absorbés par le soin d’amasser,
jusqu’à ce qu’ils visitent la tombe’ (Cor. 102, 1 et 2). <…>

Lorsqu’il eut compris les <diverses> conditions des gens, et que la plupart d’entre eux sont
au rang des animaux dépourvus de raison, il reconnut que toutes sagesse, toute direction,
toute assistance, résident dans les paroles de Envoyés, dans les <enseignements> apportés
par la Loi religieuse, que rien d’autre n’est possible, qu’on n’y peut rien ajouter ; qu’il y a des
hommes pour chaque fonction, que chacun est plus acte à ce en vue de quoi il a été créé ».

Description d’un homme seul sur une île qui arrive au salut. Jusqu’à ce qu’un homme d’une île
voisine, gagnée par l’islam, arrive. Il veut comprendre le sens ésotérique (exotérique ?) de
l’écriture. Rapidement, le musulman devient le disciple du philosophe, et il comprend que sans
l’aide de la religion, le philosophe a réussi à comprendre la vérité à nu. Ce que lui le musulman
comprendrait de la vérité du monde était voilé par les métaphores de al révélation. Le
philosophe décide alors de se rendre sur l’île voisine pour révéler ce que tous deux ont compris :
la religion n’est qu’une version métaphorique de ce que la philosophie dévoile à nu. L’entreprise
va totalement échouer : au début reçu courtoisement, il ne va pas arriver à transmettre la vérité
philosophique sur un mode philosophique, c'est-à-dire sans métaphore. Les raisons de son
échec : il y a plusieurs natures humaines, qui ne se valent pas. Si l’on parle de philosophie sur
un mode philosophique à des non-philosophes, vous ne serez jamais entendu.
Il réalise également qu’E peut-être pour eux une issue : la religion.
En fait le texte est sans doute plus pessimiste, car il y aurait en plus des hommes
insensibles à la réalité de la religion, et devant eux le philosophe désespère complètement. Il
rentre, se dégage. Certains y lisent une lâcheté de la philosophie, car il ne s’accroche pas, mais
rentre seul sur son île.
Ces religieux non-philosophes qui veulent le bien et le vrai, il ne les condamne pas.
Il comprend qu’il y a plusieurs catégories de gens, et on ne peut rien ajouter à la parole
des envoyés, à l’islam. Ce n’est pas qu’il est désespéré, c’est qu’il comprend qu’il était vain de
leur parler sur le mode philosophique.
E un échec de la philosophie, incontestablement. La question est : pourquoi ?
Ici, elle échoue dans la divulgation, à convaincre philosophiquement le non-philosophe.
Elle échoue par naïveté, par optimisme anthropologique, car elle considère que tous les hommes
se valent. Alors qu’il y a des naturels.
Mais ce philosophe ne laisse pas l’humanité seule, car il laisse à qui a soif de vérité mais
n’a pas la philosophie, il laisse la religion. Quelle religion ? Ici, l’islam.

Le projet de Fârâbî, est que le philosophe devienne le chef de la cité.

Les différentes natures reposent sur les différentes manières qu’ont les hommes de juger.
Averroès distingue les hommes selon leur façon d’appréhender et de poser le réel. Il fait appel
à des concepts hérités du péripatétisme arabe : les hommes d’une part se distinguent :
- Par leur manière de se représenter (tasawwur avec un point sous le s : représentation)
les choses.
La représentation est le premier acte mental, acte par lequel un individu, l’esprit
saisit ou appréhende une essence, ou une quiddité. Cela correspond à l’opération de
définition (quelle est cette chose ?). E deux manières de se représenter les choses :
o On se représente la chose-même, son essence telle qu’en elle-même (bien sûr,
enfant, le philosophe avait besoin du symbole, mais tandis que lui évolue, la
foule elle reste cantonnée au symbole)
o On se représente le symbole de la chose, son image
- Par leur façon d’assentir (tasdîq avec point sous le s : assentiment) à ces
représentations, c'est-à-dire valider ces représentations ou non. C’est l’affirmation
ou la négation de l’existence de la chose. Qu’est-ce qui fait qu’on va valider une
représentation ou non ? A quels types d’arguments est-on sensible ? Selon ‘auditoire,
on n’emporte pas la conviction de la même façon.
o Pour Averroès, ce qui caractérise un philosophe, c’est de n’être sensible
qu’aux arguments démonstratifs. Devant la représentation d’une essence,
son assentiment n’est obtenu que comme conclusion d’une démonstration.
o Ce qui caractérise la foule, c’est de donner son assentiment (la démonstration
est parfois-même contre-productive)
C’est un intéressant croisement de Platon et d’Aristote. Dans la parabole des trois métaux, les
hommes ne sont pas tous faits du même métal. Les arabes croisent cette idée avec l’idée d’origine
aristotélicienne qu’il y a différentes manière d’assentir, différents types de syllogisme. Ce sont
les différentes formes de syllogismes qui font les différentes natures.
L’une des caractéristiques de la pensée arabe, est d’avoir un organon élargi, où elle a
ajouté la rhétorique et la poétique : il y a plus de syllogismes.

10/11/20

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Caser ces textes :

Série 3, texte 8

Averroès, Discours décisif, § 51, p. 151 : « les opérations sur lesquelles repose l’enseignement
sont de deux sortes : [la production] de la représentation et [la production de] l’assentiment,
comme l’ont expliqué les logiciens ; et [...] les méthodes de production de l’assentiment qui
se présentent aux hommes sont au nombre de trois – démonstrative, dialectique et rhétorique
–, et les méthodes de production de la représentation, au nombre de deux – représentation
de la chose elle-même, ou de son symbole »

Série 3, texte 9

9) Averroès, Discours décisif, § 16, p. 117 : « il existe une hiérarchie des natures humaines pour
ce qui est de l’assentiment : certains hommes assentent par l’effet de la démonstration ;
d’autres assentent par l’effet des arguments dialectiques [...] ; d’autres enfin assentent par
l’effet des arguments rhétoriques... »

les syllogismes se distinguent matériellement, c'est-à-dire par les prémisses dont ils se composent.
Les prémisses démonstratives sont celles qui sont nécessairement acceptées. Les prémisses
dialectiques sont largement acceptées. Les prémisses rhétoriques sont acceptées d’un point de
vue immédiat, ou supposé. L’assentiment rhétorique est celui d’un public qui n’a pas d’élément
informé, critique sur la base de son adhésion. Le syllogisme … part de quelque chose d’évident,
et en arrive à une conclusion, qui participe de l’évidence des premiers arguments. Tout
argument doit avoir une prémisse probable. Compte tenu de la faiblesse de leurs prémisses, les
arguments rhétoriques sont persuasifs, pas convaincants. Les arguments dialectiques partent de
prémisses largement acceptés, et … approximatives. Les arguments rhétoriques sont adaptés
aux passions des auditeurs. L’art oratoire est fondé sur la sensibilité plutôt que sur la raison pure,
sur la rationalité basique, que tous les hommes partagent. Les prémisses rhétoriques sont
convaincantes, persuasives au premier coup d’œil. Elles emportent l’adhésion sans examen. Cet
art vise à décider plus qu’à éclairer, non pas du vrai, mais du semblable au vrai. Dans le
raisonnement rhétorique, l’antimehme, on a affaire à un syllogisme, mais où manque une
prémisse. Il emporte l’adhésion au premier coup d’œil.

Série 3, texte 10
Averroès, Commentaire moyen à la Rhétorique, p. 39 : « La masse n’est pas capable de
comprendre l’inférence de la conclusion qui suit de plusieurs prémisses ; de même elle ne
différencie pas la conclusion et ce de quoi la conclusion est tirée. Elle ne distingue pas dans
un syllogisme les prémisses de la conclusion mais elle avance une prémisse à laquelle elle joint
la conclusion, comme lorsqu’elle dit qu’ ‘untel rôde la nuit, c’est donc un voleur’ ; mais elle ne dit
pas : « toute personne qui rôde la nuit est un voleur », qui est la prémisse majeure. »

Ce qui caractérise la rhétorique, c’est qu’il n’y a qu’une seule prémisse, avec laquelle on prétend
conclure. Comme lorsqu’elle dit untel brode la nuit, c’est donc un voleur ». C’est un syllogisme
rhétorique, car elle ne dit pas « toute personne qui rode la nuit est un voleur ». Il manque une
prémisse majeure.
Les présupposés de la thèse complète dans le Discours décisif : philosophie obligatoire
au regard de la charia pour ceux qui y sont aptes. De cette grande thèse, on doit tirer une
conséquence radicale : cette charia, cette loi étant la vérité, qui tous peuvent y assentir, elle ne
contredira pas la philosophie. Non seulement parce que le Coran appelle à philosopher, mais
parce que la charia c’est le vrai, que la philosophie c’est le vrai, et que le vrai ne contredit pas
le vrai. Il n’y a pas à redouter de la philosophie une obstruction, une violence, une traîtrise, une
infidélité.

Série 4, texte 1

Averroès, Discours décisif, § 18 : « Puisque donc cette Révélation est la vérité, et qu’elle appelle
à pratiquer l’examen rationnel qui assure la connaissance de la vérité, alors nous, Musulmans,
savons de science certaine que l’examen <des étants> par la démonstration n’entraînera nulle
contradiction avec les enseignements apportés par le Texte révélé : car la vérité ne peut être
contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur. »

Le Coran appelle à philosopher, alors nous musulmans savons de science certaine que la
philosophie n’entraînera nulle contradiction avec les enseignements du texte révélé, car « la
vérité ne peut être contraire à la vérité, mais s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur ». Se
joue le principe de l’unité du vrai, mais différents modes d’expression du vrai. Il ne saurait y
avoir d’opposition entre les modes d’expression de la vérité.
Cette affirmation ne va pas de soi. Il postule que le Coran c’est la vérité, que la
philosophie est la vérité. La philosophie est démontrée, mais concernant la vérité coranique,
elle n’est pas démontrée. Au nom de quoi, sinon de la foi, c'est-à-dire d’une adhésion a priori,
peut-il affirmer la vérité du Coran ? – On peut prouver sa vérité. – Il emporte l’adhésion de
tous les humains.
Pour répondre au problème de l’antagonisme éventuel de la philosophie avec la loi
religieuse, du statut de la parole philosophique en terre d’islam, l’une des solutions aurait été de
dire qu’elle n’est pas menaçante, qu’elle est axiologiquement neutre, qu’elle peut être permise,
car ce qu’on démontre en philosophie ne relève pas du champ religieux, et qu’il n’y a pas de
point de rencontre. Or ce n’est pas ce qu’Averroès dit, puisque leur champ est exactement
le même. le philosophe et le religieux parlent de la même chose, pas sous les mêmes mots.
Cela ne va pas de soi : on pourrait dire que le religieux parle d’eschatologie, de vie future, de
vie après la mort, de l’hyperphysique, pas le philosophe. Originairement, le chrétien est un
pèlerin sur cette terre, sans dimension politique.
Pour Averroès, l’une et l’autre s’accordent, et témoignent l’une en faveur de l’autre. La
philosophie témoigne pour le Coran, et le Coran témoigne pour la philosophie. Qu’il y ait un
appel du Coran pour la philosophie signifie que quand on lit le Coran honnêtement,
sincèrement, on voit qu’il enjoint de philosopher. Dire que la philosophie témoigne pour le
Coran, cela signifie qu’elle va valider le Coran. Ça peut être choquant, car cela pourrait sous-
entendre que la Révélation aurait besoin d’être prouvée, ne se suffirait pas. Du point de vue
d’Averroès, le Coran n’est pas simplement vrai parce qu’il nous a été donné, mc c’est une vérité
qu’on peut vérifier. Pas très audible du point de vue religieux. La pratique philosophie n’est pas
un ajout extrinsèque à la Révélation. Miraculeux dans sa vérité, parole se présentant de façon
si parfaite que tous les hommes y assentissent.
Une seule vérité, diverses voies d’accès. La différence n’est pas un antagonisme, mais
une diversité dans le mode d’expression.
Averroès a souvent été mal interprété, et tel que l’Europe chrétienne l’a abordé, a
souvent fait figure d’hypocrite, à tel point que l’étiquette d’averroïste a servi à désigner
l’hypocrisie, et figure de celui qui fait mine de croire. Il ne serait pas musulman, il y aurait un
double discours. Ces textes contredisent cette affirmation. Pour Averroès, la religion n’est pas
l’autre de la vérité, c’est une forme de la vérité, et il insiste sans cesse sur cela. Il ne le glisse pas
au passage pour satisfaire un tribunal, il fonde ses démonstrations dessus.
Sans la forme religieuse de la vérité, la société n’existerait pas, et donc le philosophe non
plus.

D’une certaine manière, Thomas d’Aquin dit presque la même chose qu’Averroès. Non
seulement il est italien/latin/chrétien et non andalou/musulman, mais Averroès est une de ses
grandes lectures. Il est aussi célèbre pour s’être opposé à Averroès. Il parle d’unité de la vérité,
et en même temps, autre terre, autre religion.

Série 4, texte 2

Thomas d’Aquin,

(a) Somme contre les Gentils, I, 7 (« La vérité de la raison n’est pas contraire à la vérité de la foi
chrétienne ») : « Si la vérité de la foi chrétienne dépasse la capacité de la raison humaine, ce
que la raison possède naturellement de manière innée ne peut cependant pas être contraire
à la vérité. Car c’est un fait que ce qui est naturellement inscrit dans la raison est absolument
vrai, au point qu’il n’est même pas possible de penser que c’est faux. De même, ce qui est
tenu par la foi, puisque Dieu l’a confirmé de manière si évidente, il n’est pas permis de croire
que c’est faux. Et comme seul le faux est contraire au vrai – c’est évident pour qui examine
les définitions du vrai et du faux –, il est impossible que la vérité de la foi soit contraire aux
principes que la raison connaît naturellement. » (trad. C. Michon, Paris, GF, p. 154)
(b) Somme contre les Gentils, I, 8 (« Comment la vérité humaine se comporte devant la vérité de
la foi ») : « Autre remarque, qui mérite qu’on s’y arrête : les réalité sensibles, d’où la raison
humaine tire la source de sa connaissance, conservent en elles quelque vestige de la
ressemblance divine, cependant trop imparfait pour pouvoir mettre en lumière la substance
de Dieu. Car les effets ont une ressemblance avec leurs causes, puisque l’agent produit son
semblable. Mais l’effet ne parvient pas toujours à une ressemblance parfaite avec l’agent. Donc,
la raison humaine, lorsqu’il s’agit de connaître la vérité de la foi, qui ne peut être parfaitement
connue que de ceux qui voient la substance divine, est ainsi faite qu’elle peut recueillir
quelques vraies ressemblances de celle-ci, qui ne suffisent pourtant pas à ce que cette vérité
soit comprise par l’intellect comme elle le serait si elle était démontrée ou pensée par soi. Mais
il est utile à l’esprit humain de s’exercer à ces raisonnements, aussi faibles soient-ils, tant qu’il
n’a pas la prétention de comprendre ou de démontrer, car c’est une très grande joie de
pouvoir apercevoir quelque chose des réalités les plus hautes, ne serait-ce que d’un regard
faible et limité » (ibid., p. 155-156)

(c) Somme de Théologie, Partie I, question 1, article 1, « si, outre les disciplines philosophiques,
une autre doctrine est nécessaire » : « Il a été nécessaire en effet, pour le salut de l’homme,
qu’il y eût, en dehors des sciences philosophiques que scrute la raison humaine, une doctrine
différente, procédant de la révélation divine. Le motif en est d’abord que l’homme est
ordonné par Dieu à une certaine fin qui dépasse la compréhension de la raison ; car, dit le
prophète, « l’œil n’a point vu, ô Dieu, en dehors de toi, ce que tu as préparé à ceux qui
t’aiment ». Or, ne faut-il pas qu’avant de diriger leurs intentions et leurs actions vers une fin,
les hommes connaissent cette fin ?
Une révélation était donc nécessaire, touchant des choses qui confèrent au salut de l’homme
et qui dépassent notre humaine raison. »

(d) Somme de Théologie, Ia, q. 1, art. 9 (« l’écriture sainte doit-elle user de métaphores ? ») : « Il
convient certainement à l’Écriture sacrée de nous livrer les choses divines et spirituelles sous
le voile de similitudes empruntées aux choses corporelles. Dieu, en effet, pourvoit à tous les
êtres en conformité avec leur nature. Or, il est naturel à l’homme de s’élever à l’intelligible
par le sensible, parce que toute notre connaissance prend son origine des sens. Il est donc
parfaitement convenable que dans l’Écriture sainte, les choses spirituelles nous soient livrées
au moyen de métaphores corporelles.

C’est là ce que dit Denys dans la Hiérarchie Céleste : ‘le divin rayon ne peut luire pour nous
que tamisé et diversifié par tous nos saints voiles.’ De plus, l’Écriture s’offrant à tous, selon ce
mot de l’Épître aux Romains : ‘je me dois aux savants et aux ignorants’, il lui convient de
proposer le spirituel sous la figure des choses corporelles, afin que par ce moyen tout au moins,
les simples la comprennent, eux qui ne sont pas aptes à saisir en elles-mêmes des doctrines
abstraites. »

ACHETER LA SOMME CONTRE LES GENTILS


Chez les chrétiens, E théologiens très peu rationalistes, qui se méfient de la raison,
trouvent qu’elle conduit peu loin, et mal, et qu’il faut céder très vite le pas à la foi. Thomas
d’Aquin est un théologien philosophe, intègre le cursus philosophique à sa théologie. On voit
chez lui une articulation de la raison et de la théologie. La raison est bonne, la raison est vraie,
MAIS, cela ne conduira jamais l’homme à destination. Jamais la raison seule ne pourra d’elle-
même assurer la félicité de l’individu. Viendra un moment, où la raison, consciente de ses
limites, tendra la main à la foi et à la théologie. Cela étant, la raison ne contredit pas la
révélation. La philosophie ne contredit donc pas la Bible. Mais la raison n’accède pas à tout ce
qu’il y a de vrai dans le monde, elle n’en est qu’une expression partielle. La raison sans la foi
rate une partie, et même l’essentiel, de la vérité du monde.
Pour Averroès, la raison est capable, d’elle seule, d’accéder à la vérité, une fois passé le
ciment social dont le philosophe a besoin, mais ce à quoi accède la philosophie, c’est la vérité
totale. Il n’y a rien dans le monde qui échappe à la philosophie, rien d’obscur, pas de mystère
dans le monde. On aurait pu dire que le métaphysique ne fait pas l’objet d’une démonstration.
Le philosophe sait tout, il a tout compris, par la cause première. Si la philosophie doit
quelque chose à la religion, ce n’est pas une partie de la vérité qui serait inaccessible pour elle.
Thomas d’Aquin et Averroès partagent leur empirisme, que le savoir dépend du
sensible, nécessaire pour penser les choses. Il n’y a pas de science infuse, innée. Dans le sensible,
l’intelligible se manifeste. Tous les intelligibles, y compris Dieu. Dans le monde, E traces de
Dieu. Quand je me rapporte au sensible, j’ai affaire à du vrai. Or le bonheur, c’est voir Dieu en
son essence. Alors, certes la raison aura eu de cette essence quelques traces, mais d’elle-même,
elle n’aura jamais réussi à s’élever jusqu’à cette essence. Il faudra le saut de la foi. Par la raison
seule, je ne peux pas transcender l’ordre sensible. Le point de départ est le même : c’est dans la
sensation des choses que j’abstrais le concept.
La philosophie sous forme parfaite est vraie. Concrètement, elle peut se tromper, du fait
de la difficulté des sujets, d’où les désaccords entre philosophes. E plusieurs tentatives
philosophiques d’arriver à la philosophie. De droit, la philosophie est une.
Il faut une religion, car l’homme ne naissant pas adulte, mais enfant, au milieu d’autres
enfants et adultes, il faut qu’il apparaisse dans un monde ordonné, et qui lui donne les moyens
de développer sa rationalité. Les conditions de sa vie concrète et du déploiement de sa
rationalité est l’existence d’une religion, qui cimente cette société, lui apporte la paix. Or, l’islam
est la meilleure des religions, à tout point de vue (Averroès). Elle la structure idéalement, en lui
donnant le vrai (VS structurer par la force, ou par l’illusion).
Pour Thomas d’Aquin, l’homme a une fin, qui dépasse l’horizon de la raison. Il ne
connaît pas sa fin exacte. La révélation dit la fin, et en donne les moyens.
Pour Averroès, l’homme est destiné à actualiser pleinement son intellect. L’homme est
doté d’une intelligence, mais qui est en puissance. On est menacé de ne rien en faire. La félicité
est l’actualité pleine de l’intellectualité. Ce qui sauve l’humain, c’est la rationalité,
l’intellectualité.
Oui E métaphores dans la Bible, oui il fallait qu’il y en ait. La justification de la présence
des métaphores dans l’écriture sacrée adressée à l’humanité est la nature du destinataire : la
métaphore est ce que peut comprendre le destinataire auquel Dieu s’adresse. L’homme ne
connait qu’en sentant, que par l’expérience, d’abord en se rapportant à des choses qui ont une
matière. Il a besoin, pour accéder à la connaissance, d’une parole qui reproduise son objet
propre, qui sont conforme à ce dans quoi il va percevoir son intelligible. On ne peut pas être
dans l’abstraction métaphysique immédiatement, car ce serait contraire au mode d’accès de
l’homme à l’intelligible. Par ailleurs, au sein de l’humanité, E un grand nombre d’individus qui
ne peuvent se passer d’images. E images parce que l’homme a besoin d’images, car c’est en elles
qu’il pense. E images aussi parce que la Bible s’adresse à tous, aux savants ; comme aux
ignorants, qui ne dépassent jamais l’image.
On a accusé Averroès de défendre une position de la double-vérité : dans l’histoire
européenne, latine, occidentale chrétienne, à partir du XIIIe siècle, alors même qu’on se met à
lire Averroès, et à s’y référer massivement, on lui a prêté la thèse de la double-vérité : thèse selon
laquelle il y aurait deux vérités, l’une en philosophie, et l’autre en théologie, et deux vérités
contradictoires. Son partisan dirait je démontre A, mais je crois que non A. « L’homme est
mortel », mais je crois qu’il est immortel. On a considéré qu’il était le fondateur et le promoteur
de cette thèse très perverse, où l’on dénonce un marché de dupes, un pseudo-compromis : celui
qui la formule, ce qu’il dit, c’est qu’il ne croit pas. Dès lors qu’il a démontré une thèse, puisque
sa raison le contraint, il ne peut pas tenir autre chose par la foi. Il fait mine d’y souscrire, mais
parce qu’il est hypocrite. Thomas d’Aquin dit que c’est très grave, que c’est typique des
philosophes qui se disent d’Averroès, qui détruisent la religion, et font semblant de tenir à la
religion, comme s’ils ne pouvaient trancher entre les deux positions. Siger de Brabant, Boèce
de Dacie, Jean de Jandun. Incrédulité qui s’avancerait masquée.
Jamais les philosophes latins partisans d’Averroès n’ont défendu cette thèse de la double
vérité : c’est un mythe, forgé par Thomas d’Aquin, pour les plomber. Ils avaient une position
plus compliquée. Ils défendent l’unicité du vrai, et ils ne comparent pas le vrai de la religion
avec une forme de relativisme épistémologique, vérité que les sciences peuvent avoir
relativement à leurs prémisses. Ils disent que l’absolu est du côté de la vérité de la religion, et
que du côté de la science, on a affaire à un relativisme épistémologique. De plus, l’histoire est
cruellement paradoxale, car le vrai Averroès, sa grande thèse, c’est l’idée qu’il n’y a qu’une seule
vérité, et que le vrai ne contredit pas le vrai. Et cet homme, 50 ans après sa mort, ce qu’on fait
entendre de lui, c’est qu’il aurait été le promoteur de la thèse selon laquelle il y avait deux vérités,
une pour la religion, une pour la philosophie. Il a dit EXACTEMENT l’inverse. Pourquoi ? Le
Discours décisif n’a pas été traduit en latin tôt.
Si le Coran s’adresse à tous, les philosophes font partie des destinataires, le Coran se
soucie en priorité de la majorité. Cette majorité n’étant pas philosophe, étant vulgaire, de type
rhétorique, c’est sur un mode rhétorique, adapté à la foule, que le Coran se transmet. Ça n’est
pas évident, car si on se base sur le Coran, quand bien même il s’adresse à tous. La difficulté
tient au mode d’expression de la révélation (qui pourrait faire croire que la philosophie n’est
pas le bienvenue). L’idée est que le Coran exerce un soin providentiel pour la majorité des
humains. Cela étant, le philosophe ne relève pas du groupe dont se soucie prioritairement la
révélation coranique (bien qu’il soit concerné par elle). C’est là que vient se loger la difficulté.
Si le Coran s’adresse à tous, si aucun humain, quelle que soit la catégorie dont il relève, alors le
Coran contient tous les types de discours.

Série 5, texte 1

Averroès, Discours décisif, § 51, p. 153 : « étant donné que la finalité de la Révélation
n’est autre que d’enseigner tous les hommes, il fallait nécessairement que le Texte révélé
comprît tous les types de méthodes de production de l’assentiment et de la représentation » ;
§17, p. 117-118 : « Ainsi, comme notre divin Texte révélé appelle les hommes [en leur
présentant] ces trois méthodes, il doit [nécessairement] produire l’assentiment de la totalité
des hommes, etc. »

Le texte est écrit de façon majoritairement rhétorique, car la majorité des hommes est gens de
rhétorique, mais il contient tous les types de discours, si bien qu’aucun homme ne peut se sentir
exclu. Quiconque ouvre le Coran s’y retrouve, lire un texte dont je peux constater qu’il est
conforme à ma manière d’appréhender et de poser le monde.

17/11/20

Pour Fârâbî, la religion est la traduction métaphorique d’un ensemble de concepts. Chez lui, la
philosophie a toujours été première, E toujours une sagesse qui précède la religion. Mais cette
sagesse peut être tordue, et donc la religion qui suit peut être mauvaise à il faut mettre en place
une bonne philosophie, et seulement sur cette base pourra advenir une bonne religion.

Si le destinataire du Coran est la totalité de l’humanité, cela inclut les philosophes. Interdire la
philosophie serait priver le Coran d’un de ses destinataires.

Averroès cite le verset suivant :

Série 5 texte 2

Coran XVI, 125 ; cf. Masson, p. 339 : « Appelle les hommes dans le chemin de ton
Seigneur, par la sagesse (ḥikma) et par la belle exhortation (maw‛iẓa ; ḫaṭāba, pour la
rhétorique) ; et dispute (ǧādil-hum ; ǧadal) avec eux de la meilleure manière. »

3 modalités :
- La sagesse
- La rhétorique (la belle exhortation)
- La dialectique (la dispute)
Le Coran s’adresse à tout le monde, et selon les 3 modalités correspondant aux 3 catégories
d’humains. Ce ne sont pas trois modalités au choix, mais des modalités d’enseignement qui
doivent rester strictement étanches.
On dit souvent que le Coran est insurpassable (beauté de la langue…). Pour Averroès,
c’est plus précis : le Coran a un caractère miraculeux, car il est complet, comprend les trois
modalités de langue possible. En tant que texte complet, il satisfait toute forme d’esprit. Mais,
quoique le destinataire soit l’humanité tout entière, le Coran est écrit de façon rhétorique, car
le Coran se soucie du plus grand nombre, lequel n’accède à la vérité que par la rhétorique. Cela
explique le conflit avec la démonstration philosophique (par les erreurs d’interprétation des
parties rhétoriques du Coran).
Or la situation de fait, c’est le désaccord. Comment le philosophe doit-il réagir, sachant
qu’il ne peut pas s’en tenir au principe d’harmonie. 3 cas de figure : Imaginons une conclusion
philosophique sur un certain sujet. 3 cas de figure :
- Soit la Révélation n’en dit rien, et alors il n’y a pas de problème
- La Révélation parle de ce dont parle la philosophie :
o Soit sa conclusion est la même : tout va bien
o Soit ce qu’elle évoque contredit la démonstration philosophique. Le statu quo
n’a pas de sens. Si de droit il ne peut y avoir de contradiction entre la
philosophie et la religion, cela signifie que la contradiction qu’on repère,
qu’on fait valoir n’en est pas une. Pour le montrer, il va falloir interpréter.
(à Averroès n’est définitivement pas un littéraliste).

S’il y a contradiction entre religion et philosophie, la contradiction n’est qu’apparente. La


contradiction entre philosophie et religion, le cas échéant, n’est que superficielle, littérale, c'est-
à-dire dans les mots. Ce n’est jamais qu’un malentendu. Une démonstration philosophique ne
s’oppose à la Révélation que dans les mots, au niveau exotérique ẓâhir (et non ésotérique
bâṭin).
La clé, c’est l’interprétation (ta’wîl) : opération de revenir au sens originel, au sens
premier. Ce qui va dissiper le désaccord, ça va être l’interprétation. Dans le titre du Discours
décisif, il y a le terme de jonction : il faut un accord entre la religion et la philosophie. Ce qui
opère la jonction, c’est l’interprétation.
Ce qu’on interprète, c’est la Révélation, c’est le texte, qu’on ajuste à la conclusion
philosophique et non l’inverse. Il faut faire en sorte, par l’interprétation, que le Coran vérifie la
démonstration. Si un verset coranique, pris au sens littéral, contredit une conclusion
philosophique, il faut lui attribuer un sens allégorique, pour le rendre conforme à la thèse
philosophique. C’est bien le texte qu’on adapte. La démonstration, elle, ne bouge pas. Elle est
un point fixe dont le philosophe ne peut se départir.

Série 5, texte 3

Averroès, Discours décisif, § 34 : « car le fait d’assentir à quelque chose par l’effet d’une preuve
établie dans son esprit est un acte contraint et non libre, c’est-à-dire qu’il n’est pas en notre
pouvoir d’assentir ou non de la même façon qu’il est en notre pouvoir de nous mettre ou non
debout. »

Quand je donne mon assentiment à une démonstration, c’est un assentiment contraint et non
pas libre. Donc tu ne peux pas décider d’adhérer à autre chose, tu ne peux pas changer la
conclusion. La raison naturelle est souveraine et absolument indépendante pour juger dans
l’ordre de ce qui est nécessaire, du réel, de l’ontologiquement nécessaire. Dans le réel, il y a les
choses qui sont et ne peuvent être autrement. Être philosophe, c’est repérer la structure du réel,
son essence. Dans ce cadre-là, la raison est suprême (rien au-dessus d’elle), et elle est absolument
indépendante.
La philosophie islamique ne se développe qu’à l’aune de l’islam : la Révélation est
souveraine. à pas comme Averroès
Idéalement, un philosophe n’a pas besoin de religion.
Le Coran appelle à philosopher, et la philosophie vérifie le Coran. C'est-à-dire que par
l’interprétation, il en montre explicitement la vérité. La Révélation, au mieux, ne peut jamais
que confirmer (et non pas fonder) la philosophie.

Celui qui interprète, c’est le philosophe. Seuls les philosophes le peuvent, et seuls ils le doivent.
Car interpréter veut dire détruire un sens ancien, pour en faire surgir un nouveau. Donc tout
acte d’interprétation enveloppe en son premier temps une menace, un risque, le risque étant la
destruction sons contrepartie (sans sens nouveau), avec pour conséquence l’incrédulité. C’est
très facile de détruire un sens, de montrer des incohérences, des difficultés, des choses peu
claires. En revanche, une fois détruit ce sens ancien, et fragilisé l’assentiment de la personne, il
est très difficile de faire advenir un sens nouveau absolument stable, ferme, compréhensible.
C’est précisément ce qu’Averroès dénonce dans la théologie. Le théologien est pour lui celui
qui interprète à tout va. Pour lui, les théologiens n’ont pas les moyens de leur prétention. Ils
arrivent à faire advenir la confusion, pas la clarté. Ils laissent un champ de ruines. C’est un
personnage dangereux, car il produit du doute, de l’incertitude, il déstabilise la foi du simple.
Le texte coranique est pour lui magnifique, car il emporte l’adhésion de tous, et en particulier
du grand nombre. Le théologien ruine l’assentiment ferme et sincère de la grande masse, et
perd la foule. En vérité, il n’y a que le philosophe qui puisse et doive interpréter, car il est le seul
qui sache quand il faut interpréter, et où il faut arriver (la conclusion d’Aristote). Et le philosophe
ne devra pas divulguer (vulgus : la foule, le commun, la masse : faire passer dans la foule la
démonstration philosophique) la démonstration, car la foule n’est pas en mesure de comprendre
la démonstration. Du moins, ne pas la divulguer sous le forme philosophique (mais sous la forme
métaphorique).

Série 5, texte 4

Ibid., § 45 : « Les interprétations ne doivent pas être couchées par écrit, hormis dans les
ouvrages de démonstration, car si elles se trouvent dans ces livres-là, seuls les gens de
démonstration y auront accès. Mais les consigner dans d’autres livres, et employer pour les
exposer des méthodes poétiques et rhétoriques, ou dialectiques, comme le fait al-Ghazâlî,
c’est pécher et contre la Révélation et contre la philosophie, même si cet homme a cru bien
faire. Car son intention, ce faisant, était que s’accroisse le nombre des hommes de science,
mais en réalité, le nombre des dépravés en a été accru non moins que celui des hommes de
science. Dès lors, certaines personnes en seront venues à dénigrer la philosophie ; d’autres à
dénigrer la Loi révélée ; d’autres aussi à opérer la conciliation de l’une et l’autre. <…>

§ 46 : « ce que doivent faire les chefs politiques des Musulmans, c’est interdire ceux de ses
livres qui contiennent la science à qui n’est pas homme à pratiquer cette science, tout comme
il leur incombe d’interdire les livres de démonstration à tous ceux qui ne sont pas hommes à
la pratiquer, quoique les dommages survenant aux gens du fait de ces derniers soient bien
moins graves, puisque la plupart du temps, seuls les hommes aux dispositions naturelles
supérieures en ont connaissance, et que cette sorte d’hommes ne tombent <éventuellement>
dans l’erreur que par défaut de vertu pratique, ou faute d’avoir procédé à leur lecture dans le
bon ordre, ou parce qu’ils les appréhendent sans l’aide d’un maître.

§ 47 : « Mais interdire totalement <les livres de démonstration> revient à barrer l’accès à


quelque chose que la Révélation appelle à pratiquer ; parce que c’est faire du tort à la classe
la plus parfaite des humains, et à la classe la plus parfaite d’être. Car c’est un bien que celle-
ci soit connue telle qu’elle est par ceux qui sont disposés à la connaître telle qu’elle est : les
hommes de la classe la plus parfaite. »

§ 56 : « Exposer quelqu’une de ces interprétations à quelqu’un qui n’est pas homme à les
appréhender – en particulier les interprétations démonstratives, en raison de la distance qui
sépare celles-ci des connaissances communes – conduit tant celui à qui elle est exposée que
celui qui les expose à l’infidélité. La raison en est que l’interprétation suppose deux choses :
l’invalidation du sens obvie et l’avèrement du sens dégagé par l’interprétation. Si le sens obvie
est invalidé aux yeux de qui est homme à assentir à l’obvie sans que ne s’avère pour autant,
pour lui, le sens dégagé par l’interprétation, cela le conduira à l’infidélité s’il s’agit d’un des
principes <dogmatiques> fondamentaux de la Loi révélée. Les interprétations ne doivent
donc pas être révélées à la foule, ni couchées par écrit dans des livres rhétoriques ou
dialectiques ».

Il se peut qu’accidentellement, la divulgation ait un effet positif. Mais, majoritairement, l’effet


sera négatif. Il faut obliger eux qui peuvent faire de la philosophie à en faire, et interdire aux
autres la philosophie, la divulgation des livres philosophiques au sein de la foule. Il est interdit
au non-philosophe de philosopher, mais ce c’est pas ultra grave non plus, car il n’y en a pas tant
que ça qui font de la philosophie. Attention, il ne faut pas interdire absolument parlant les livres
de philosophie, au contraire. Car tu empêcherais alors la partie la plus parfaite de l’humanité,
et dont dépend le reste de l’humanité, d’avoir accès à la philosophie.

24/11/20

Pour Averroès, ce privilège des philosophes est attesté par un verset du Coran, sourate 3, verset
7, mais un Coran ponctué (le Coran originairement n’est pas ponctué).

Série 5, texte 5

Coran (III, 7) ; il est dit de ces versets ambigus (mutašābihāt) dont le Coran reconnaît l’existence
: « C’est Lui qui a fait descendre sur toi le Livre. On y trouve des versets univoques, qui sont
la Mère du Livre, et d’autres équivoques. Ceux dont les cœurs inclinent vers l’erreur
s’attachent à ce qui est équivoque, car ils recherchent la discorde, et sont avides
d’interprétations ; mais nul n’en connaît l’interprétation, sinon Dieu < ?> et les hommes
d’une science profonde < ?> disent : ‘Nous croyons en Lui, tout vient de notre Seigneur
!’ ».
Les philosophes peuvent et doivent interpréter le texte quand il rentre en contradiction avec
une démonstration philosophique. Deux interprétations, selon la place des points :

Série 5, texte 6

Chez Averroès, deux lectures :


(a) Lecture 1 : « mais nul n’en connaît l’interprétation, sinon Dieu et les hommes d’une science
profonde. Ils disent : ‘Nous croyons en Lui, tout vient de notre Seigneur !’ ».
(b) Lecture 2 : « mais nul n’en connaît l’interprétation, sinon Dieu. Et les hommes d’une
science profonde disent... »

6. a) Les philosophes connaissent l’interprétation. Croire a changé de sens : ils savent de quoi il
retourne. Ils disent y croire, pour que la société puisse garder sa cohérence, mais ici croire veut
dire savoir : nous savons que le texte est intégralement vrai, et nous pourrions le démontrer. La
croyance qu’il a devant le texte masque un savoir.
6. b) Dieu seul détenteur du sens, et les philosophes n’auraient aucun privilège, et serait des
croyants devant l’équivocité du texte. C’est une bonne lecture, devant la foule. Le philosophe
ne va pas dire : je sais ce que ça veut dire, mais je ne vous le dirai pas, parce que vous êtes trop
bêtes et n’avez pas lu Aristote. Il fait s’en tenir à ce qu’elle peut entendre et ce qui lui permet de
vivre avec les autres. Mais si on est entre philosophes, on peut dire que le texte se ponctue
autrement.

Dans le paragraphe 57 du Discours décisif : c’est pourquoi il faut expliquer et dire à propos des
énoncés de sens obvie dont le fait qu’il faille les lire littéralement est susceptible de poser
problème à tout un chacun, mais dont tout un chacun ne peut et ne doit connaître
l’interprétation, il faut répondre qu’il s’agit de ces énoncés équivoques dont Dieu seul connaît
la cause.

Les philosophes seuls interprètent et doivent interpréter. Cette prérogative du philosophe n’est
pas un liberté absolue. Il ne peut interpréter qu’à certains moments : quand les versets le
demandant, y invitent. Quand ils se signalent comme devant être interprétés. Ces
interprétations devant à chaque fois être confirmées par des énoncés littéraux. Tanbîh (se
signalent) : le signal, c’est la contradiction. Quand des versets se contredisent, celle-ci est un
signal pour qui la repère, le signe qu’il faut interpréter. Même l’incohérence relative du texte
est un signe de perfection, car elle fonctionne comme un signal demandant au philosophe la
mise en conformité avec la démonstration philosophique. La contradiction n’est pas repérable
par tout le monde. Elle est difficile à repérer. Les dialecticiens sont dangereux car ils interprètent
à tout va, et en plus mal.
Deux des textes d’Al Fârâbî sont à 80% équivalents. Philippe Valat dit que le texte du
régime politique ressemble au texte sur la cité vertueuse, mais l’un est la clé de l’autre (il n’aurait
pu dire explicitement ce qu’il pensait en temps « d’oppression religieuse ») (lecture Strauss), et
on repère des contradictions entre les deux. Il a fait exprès de faire ça, car il voudrait vraiment
instituer une cité vertueuse, et doit pour cela recruter son personnel, des naturels philosophes,
capables de voir les contradictions entre les deux textes.
Chez Averroès, concernant le Coran, les contradictions sont le signe d’un besoin
d’interprétation. Mais ce n’est pas n’importe qui, n’importe quand, en disant n’importe quoi.
Ce n’est pas le désir du philosophe qui s’impose au texte. C’est la révélation elle-même, le texte
lui-même qui se montre comme devant être interprété.
Interpréter est une pratique réglée (soumise à de règles), soustraite à tout arbitraire,
fondée sur le génie de la langue arabe. Pour interpréter il ne faut pas seulement être philosophe,
aristotélicien, il faut connaître parfaitement l’arabe, savoir comment il fonctionne comme
langue (sa grammaire, son usage, ses tropes). Interpréter veut dire faire passer la signification
d’un mot, d’une expression, du sens propre au sens figuré, du sens obvie (manifeste, apparent,
exotérique) au sens latent (caché, ésotérique). Cela en faisant jouer les règles de la langue arabe,
et notamment les règles tropologiques (figures de style). Belle question : quelle est la première
langue de l’humanité ? Y a-t-il une langue originaire ? Peut-on être croyant dans une religion
dont on ne parle pas la langue ?

Série 5, texte 7

Averroès, Discours décisif § 20, p. 120-121: « ce que l’on veut dire par « interprétation » (ta’wîl),
c’est le transfert de la signification du mot de son sens propre vers son sens tropique, sans
infraction à l’usage tropologique de la langue arabe d’après lequel on peut désigner une chose
par son analogue, sa cause, son effet, sa conjointe, ou par d’autres choses mentionnées comme
faisant partie des classes de tropes. »

Cette équivocité dans le texte est la traduction dans le texte de différence des natures : puisque
les hommes ne sont pas tous les mêmes, le Coran s’adresse à tous en permettant à tous de s’y
retrouver.

Série 5, textes 8 et 9

8) Ibid., § 23, p. 121: « La raison pour laquelle la Révélation comporte des énoncés de sens
obvie et d’autres de sens lointain est que les hommes se distinguent par leurs dispositions
innées ».
9) Ibid., § 38, p. 141 : « Les choses qui, en raison de leur abscondité, ne peuvent être connues
que par la démonstration, Dieu a fait à Ses serviteurs qui n’ont pas accès à la démonstration,
à cause de leurs dispositions innées, ou de leurs habitudes, ou à défaut des conditions [qui
leur eussent permis] cet apprentissage, la grâce de leur en présenter des symboles et des
allégories, et de les convier à accorder leur assentiment à ces symboles, car à ceux-ci il est
possible d’assentir au moyen des arguments qui sont communs à tous, c’est-à-dire les
dialectiques et les rhétoriques. C’est pour cette raison que le [sens du] Texte révélé se
dédouble en sens obvie et sens lointain : l’obvie, ce sont ces symboles employés pour
représenter ces idées, et le lointain, ce sont ces idées [elles-mêmes], qui ne se découvrent
qu’aux gens de démonstration ».
Concrètement, ce système, ça donne quoi ? Paragraphes 20 et suivant. Averroès distingue trois
types d’énoncé dans la révélation :
- Énoncés évidents pour tous et nul ne doit les interpréter (paragraphe 40) (dogme :
ce que tout le monde peut comprendre, à quoi tout le monde doit adhérer, et qui
donc s’énonce tel quel) (paragraphe 37)
- Énoncés dont l’interprétation s’impose à tous : la foule n’est pas intégralement
littéraliste (paragraphe 68). Parfois le fait qu’il faut interpréter s’impose à tous de
façon obvie. Par exemple, Coran I – 6 : « conduis-nous dans le droit chemin » : le
chemin ne désigne bien sûr par une route rectiligne : il est clair que c’est le chemin
de la vertu
- Énoncés problématiques, que seuls les philosophes doivent interpréter (pargarpae
40) : exemple (paragaphe 41) : les énoncés concernant l’assise (istiwâ’)divine et la
tradition parle de la descente de Dieu (nuzûl) : la parole de Dieu descend, et Dieu est
assis. Coran 20 – 5 : « le miséricordieux se tient en majesté sur le trône ». « Dieu
descend chaque nuit au ciel inférieur ».
Dernières pages du Livre du dévoilement : canon (explication en deux pages) des différents cas
de figure du philosophe devant le texte sacré :
- Ce qui est écrit est ce qu’il faut comprendre
- Ce qui est écrit n’est pas ce qu’il faut comprendre :
o Choses dont la dimension métaphorique est évidente et le sens réel de cette
métaphore est évident
o Choses dont la dimension métaphorique est évidente mais le sens n’est pas
évident.
Exemple : « la pierre noire est la main droite de Dieu sur la Terre »
o Choses dont la dimension métaphorique n’est pas évidente, mais une fois que
vu que c’est une métaphore, le sens est facile à trouver
L’art du philosophe sera donc mobilisé de différentes façon.
Concernant l’assise de Dieu :
Si on se pose la question « où est Dieu ? ». on distingue trois sortes de réponses :
- La foule : « Dieu est au ciel »
- Les théologiens ou les dialecticiens : « Dieu n’est pas dans un lieu, il est atopique, il
est le gouverneur suprême, et en tant que gouverneur suprême sans corps, il n’a pas
de lieu » (pas forcément faux, mais plus dangereusement éloigné de la vérité que la
parole de la foule)
- Les philosophes : « Dieu n’est pas proprement dans un lieu, mais il est en haut ». (« il
est improprement dans le lieu de son effet »). (on va voir comment c’est en accord
avec l’affirmation de la foule) : différence lieu/direction
Un jour le prophète demanda à une esclave noire où était Dieu, elle dit « dans le ciel », et le
prophète se contenta de la réponse, dit qu’elle était croyante et la fit affranchir à c’est donc
une bonne réponse. Pour la foule, concevoir c’est imaginer. Elle est incapable de se défaire des
images. Il n’y a pas pour elle de pensable qui soit soustrait à la corporéité. Pour le vulgaire, tout
ce qui est relève du physique. De ce point de vue, la foule est prise dans un anthropomorphisme
grossier, qui tend à faire de Dieu un super-humain, qui ne fait qu’hyperboliser, qu’étendre au
maximum des catégories mondaines. La foule est incapable de penser une pure transcendance,
Dieu n’est jamais le tout autre, mais le même en mieux. Cette réponse « au ciel » est
anthropomorphiste, voit Dieu à partir de l’homme : je suis au sol, Dieu est mieux que moi, il
est donc au ciel. La foule ne peut qu’imaginer, bien que ce ne soit pas totalement coupé du
concept.

01/12/20

Qu’est-ce que Dieu alors pour la foule ?

Pour Aristote, Dieu est un moteur comme cause finale. Il meut l’univers comme l’aimé meut
l’amant. Les choses tendent vers le premier moteur, et sont mues par un désir d’assimilation
vers ce premier moteur. Il n’est donc pas le moteur au sens de causalité efficiente, comme
quelqu'un qui ferait surgir à partir d’une matérialité première, ou pire de rien, l’univers.

Série 6, texte 1

Averroès, Livre du dévoilement (Kashf)... (in Id., L’islam et la raison, p. 128)

« Et si quelqu’un demande : puisque la Révélation n’a expliqué aux gens de la foule ni que
Dieu est un corps, ni qu’Il n’est pas un corps, que peut-on bien leur répondre s’ils demandent
: ‘Qu’est-ce que Dieu ?’ Car, enfin, il est bien naturel qu’un humain se pose la question, il ne
peut guère s’en débarrasser. Et puis les gens de la foule ne sont pas convaincus non plus si on
leur dit à propos de cet Être, dont ils ont préalablement reconnu l’existence, qu’Il n’a pas de
quiddité, puisque ce qui n’a pas de quiddité (mâhiyya) n’a pas d’essence (dhât) !
Nous disons que ce qu’il leur faut répondre, c’est ce que répond la Révélation. Il faut donc
leur dire que Dieu est lumière (nûr), car c’est la qualification que Dieu Lui-même s’est
attribuée dans Son Livre Précieux, <usant d’une image> de celles qui désignent une chose
par une autre <analogue à> l’essence <de la première>. C’est l’énoncé divin : ‘Dieu est la
lumière des cieux et de la terre’ (Cor. XXIV, 35). <Et c’est aussi par cet attribut que le
Prophète l’a qualifié dans un ḥadîth authentique. En effet, on a demandé au Prophète s’il
avait vu Dieu, et il avait répondu qu’il Le voyait en tant que lumière. Et d’après le ḥadîth du
voyage nocturne, lorsque le Prophète fut à proximité du lotus qui se trouvait au terme de son
voyage, la lumière enveloppa cet arbrisseau, si bien que le regard du Prophète, parce qu’il
était ébloui, ne put voir ni le lotus, ni Dieu. Dans l’ouvrage de Muslim, on apprend également
que Dieu est couvert d’un voile de lumière et que s’Il se dévoilait, les éclats de Son visage
embraseraient tous ceux qui parviendraient à le voir. Dans d’autres versions de cet ḥadîth, il
est dit que Dieu est couvert de soixante-dix voiles de lumière.>
Il te faut <donc> savoir que cet exemple convient extrêmement bien à représenter le
Créateur – loué soit-Il – car <la lumière> réunit les caractéristiques suivantes : être sensible,
<mais tel que> la vue (ainsi que l’entendement) est trop faible pour pouvoir le saisir ; et
cependant n’être pas un corps. Or l’être qui existe, pour la foule, ce n’est que le sensible ; et
le non-existant, ce qui n’est pas sensible. Et puisque la lumière est le plus éminent des êtres
dans l’ordre sensible, il fallait qu’on s’en servît pour représenter le plus éminent de <tous>
les êtres.
Autre raison pour quoi il fallait qu’Il fût appelé Lumière : la manière dont Il se présente à
l’intellect des savants ‘à la science profonde’ lorsque ceux-ci Le contemplent au moyen de
leur intellect est semblable à ce qui survient à notre vue lorsque nous contemplons le soleil,
ou – faudrait-il dire – à la vue des chauve-souris ! Ce qualificatif paraît donc pertinent aux
deux classes d’hommes, et vrai.
Et en outre, Dieu – béni et exalté soit-Il – est la cause des êtres et la cause que nous les
percevons, et il en va semblablement de la lumière. Je veux dire : la lumière est la cause de
l’être des couleurs en acte, et la cause que nous les voyons. C’est donc avec raison que Dieu
– béni et exalté soit-Il – s’est nommé ‘Lumière’.
Et puis, si l’on dit qu’Il est Lumière, les doutes à propos de la vision <de Dieu> dans la vie
future ne se poseront pas. »

Le flou est parfois bien concernant les questions complexes, qu’il faut éviter de développer. Tout
le monde est capable de comprendre qu’E Dieu, un principe qui ordonne le monde.
Concernant son essence, le philosophe a une subtile réponse, qu’on ne peut livrer telle quelle à
la foule. Si on s’adresse mal à la foule, on la perd, le ciment social part, et alors la société se
désagrège, et l’humanité est menacée. En effet, une chose n’a de sens que par sa fonction. Un
couteau sert à couper. Un homme à penser. S’il y avait une humanité qui ne penserait pas, il y
aurait une chose qui n’accomplirait pas sa fonction. L’humanité serait vaine. Penser, au sens
fort, c’est faire de la philosophie. Ce n’est pas grave si certains hommes ne peuvent philosopher,
il suffit qu’il y en ait quelques-uns.
Le philosophe peut parler de Dieu de bien des façons : intellect qui se pense. Ici, il choisit
de dire que Dieu n’a pas de quiddité (étrange en arabe, car mot qui vient du latin)(fait d’avoir
un quoi, un que, on peut dire qu’il est un ceci) : pour un philosophe, Dieu n’a pas de quiddité,
mais le risque, c’est que quand on dit à quelqu'un qu’il n’est pas de la partie, cette personne va
comprendre que cette chose n’a pas d’essence (d tiret an) et donc n’existe pas. Non seulement il
ne se fait pas comprendre, mais en plus la foule comprend quelque chose de faux. Les choses
sont composées de forme et de matière. Dieu est une pure forme. En tant qu’être non composé,
en tant qu’être simple, il n’a pas de quiddité, ce qui ne signifie pas qu’il n’a pas d’essence, qu’il
n’est pas, mais son essence n’est pas du même type que toutes ces choses qui sont des composés.
La distinction entre essence (le fait d’être quelque chose) et existence (le fait d’être) de
Saint Thomas d’Aquin n’a rien de grecque, mais vient d’Avicenne. Ce sont deux niveaux
d’accès au réel totalement distincts. Cette distinction vaut pour tous, sinon Dieu, dont l’être-
même est d’exister. La plupart des choses du monde sont des possibles qui sont parce qu’un
existentiateur (dieu) les fait exister. Mais Dieu, personne n’a besoin de le faire exister. Dans le
Coran, Ṣamad, qui désigne Dieu, c’est étymologiquement ce qui est sans faille, qui n’a pas de
trou, sur lequel on s’appuie. Notre trou, c’est notre potentialité, le fait que notre essence n’existe
pas d’elle-même.
A la foule questionnante, il faut répondre « Dieu c’est ce que dit la révélation ». Ce n’est
pas seulement habile, mais c’est aussi vrai. Le philosophe dit quelque chose dans quoi il peut se
retrouver. Il ne faut pas répondre avec de la théologie. Désigne l’essence de cette chose par une
image, au caractère analogue. Dans le Coran, Dieu se présente lui-même comme lumière. Donc
on donne la réponse que Dieu lui-même a donnée. Dieu parle plusieurs fois dans le Coran, il a
plein de descriptions.
Production : faire advenir à partir d’une matière préexistante (cause efficiente) VS
création (cause créatrice).
Quod est (ce que c’est : l’essence) quo est (ce par quoi c’est : l’existantiateur).
Les noms divins en Islam, Gimaret (tb)

La lumière est sensible (donc bonne image pour la foule), mais quelque chose d’assez noble dans
l’ordre du sensible, et quelque chose qu’on ne peut regarder face à face : c’est là, mais trop fort
pour nos sens, hiérarchiquement en surplomb, au-dessus, écrasant. C’est toujours un excès.
Doux, utile, profitable, mais en elle-même excessive. C’est ce qui dans le sensible, n’est pas
corporel, conditionne la saisie du corporel sans l’être soi-même. si jamais le philosophe
interprétait, il retrouverait le dieu philosophique. Cette métaphore convient à la foule, mais
aussi aux philosophes, qui retrouvent dans l’idée que Dieu soit lumière le fait que notre intellect,
lorsqu’il appréhende Dieu, le suprême pensable, soit aveuglé. Tout philosophe sait bien que le
rapport de l’intellect humain à Dieu est comme le rapport de la vue (des chauve-souris) au soleil.
Cette métaphore suggère la même chose.

08/12/20

Aristote dans la Métaphysique, au début du livre 2, compare l’intellect des hommes à la vue de la
chauve-souris. De même qu’elle est aveuglée par la lumière, le regard de l’homme, son intellect,
est aveuglé par ce qu’il y a de plus intelligible, Dieu, le soleil. D’où la pertinence de la
comparaison de Dieu au soleil. De plus, il est la cause des êtres, qui fait que nous percevons les
êtres, de même la lumière est la cause des couleurs, et du fait que nous les voyons. Enfin, en
Islam, idée qu’on verra Dieu dans la vie future. L’utilisation du terme « voir », c’est parce qu’on
voit des corps : c’est quoi alors voir un être pur, immatériel, sans corps ? Averroès dit que le
Coran n’a pas dit si Dieu avait un corps ou pas, donc ne pas rentrer dans cette question. En
revanche, le Coran a dit que Dieu était lumière, que l’on voit. Ça règle donc la question
eschatologique de sa vision.
La réponse satisfait les deux classes d’hommes, mais pas les théologiens, qui la trouvent
trop métaphoriques, et n’ont pas accès à Aristote pour savoir de quoi il retourne. Ils vont
désosser le Coran, sans trouver la réponse. Ils vont détruire la certitude sans la reconstruire. Il
y a un médecin de l’humanité, Dieu, l’ordonnance du Coran, et les théologiens veulent modifier
l’ordonnance en ajoutant et enlevant des choses, ce qui rend tout le monde malade.

Série 6, textes 4 – 6

4) Aristote, Métaphysique, alpha, 993b9-11 (trad. de la version arabe médiévale ; éd. Bouyges,
p. 4, 7-10) :
« Il se peut que <ces questions> nous paraissent difficiles non pas du fait des choses en soi,
mais que la cause de notre difficulté soit en nous-mêmes. En effet, il en va de l’intellect pour
l’âme qui est en nous – tandis qu’il est dans la nature, suprêmement évident <i. e. que la
structure intelligible du monde, manifestée dans la nature, est parfaitement claire en elle-
même> - comme des yeux d’une chauve-souris face à la lumière du soleil »
5) Aristote, Physique, I, 1, 184a16 sq. ; trad. Pellegrin (GF), p. 70 :
« Le chemin naturel <de notre connaissance> va de ce qui est plus connu et plus clair pour
nous à ce qui est plus clair et plus connu par nature. Mais ce qui est d’abord évident et clair
pour nous ce sont plutôt les <ensembles> confus ; mais ensuite, à partir de ceux-ci,
deviennent connus, pour qui les divise, leurs éléments et leurs principes. C’est pourquoi il faut
aller des universels aux particuliers, car la totalité est plus connue selon la sensation, et
l’universel est une certaine totalité ; en effet, l’universel comprend plusieurs choses comme
parties. Mais, d’une certaine manière, c’est la même chose que subissent aussi les noms par
rapport à la définition. En effet, c’est une certaine totalité qu’ils signifient, et de manière
indéterminée, par exemple le cercle, alors que sa définition divise en ses <composantes>
particulières. Et les enfants supposent d’abord que tous les hommes sont des pères et toutes
les femmes des mères, mais ensuite ils opèrent des distinctions dans chacun des deux groupes.
»

6) Aristote, Seconds Analytiques, I, 2, 71b33 sq. ; trad. Pellegrin (GF), p. 69 :


« ‘antérieur’ et mieux connu’ ont deux sens. En effet, ce n’est pas la même chose que
‘antérieur par nature’ et ‘antérieur pour nous’, ni que ‘mieux connu’ et ‘mieux connu pour
nous’. J’appelle antérieur et mieux connu pour nous ce qui est plus proche de la perception,
alors que ce qui est antérieur et mieux connu absolument en est plus éloigné. Or ce qui est le
plus universel en est le plus éloigné, alors que les particuliers en sont le plus proche ; et ce sont
des choses opposées entre elles. »

Dans ces textes, Aristote distingue ce qui est intelligible en soi, et ce qui est intelligible pour
nous. Entre le clair, l’évident en soi, et le clair, l’évident pour nous. Distinction clé
métaphysiquement parlant, et important en métaphysique. E choses en soi évidentes, car très
intelligibles, pas de scories, pas de matière (c’est la matérialité qui rend si difficile à comprendre.
Le corps fait écran, on n’est pas de pures âmes, de purs intellects). Dieu, un pur intellect, est
incorporel, sans matière. C’est de l’intelligibilité pure. En soi, rien de plus évident que ça. Nous,
nous avons à faire à des intelligibles dans la matière. Intelligible incarné, incorporé dans la
matière. Pour nous, l’intelligible pur n’est pas évident. Compte tenu de notre être, ce qu’il y a
de plus intelligible en soi ne l’est pas pour nous. Nous sommes des intelligences incarnées, dans
des corps. Puisque nous sommes des âmes formes d’un corps, notre manière de connaître ne
peut être qu’empirique. Notre mode d’être, être des intelligences incarnées, détermine notre
mode de connaissance. On connaît car on est une réalité d’un certain type. Notre manière de
connaître ne peut passer sans expérience (sentir, imaginer, se souvenir). De toute façon, c’est
dans le monde qu’est l’intelligible (certes Dieu est un intelligible pur, donc séparé. Mais pas
d’intelligible séparé pour les choses : l’intelligible des choses est dans les choses). Ce qu’il y a de
suprêmement intelligible, ce qui est suprêmement matériel, paradoxalement nous est
insaisissable au départ, car nous ne sommes pas des anges, des pures intelligences. De plus, ce
qui pour nous est clair est ce qui en soi n’est pas très clair. Du point de vue intellectuel, de
l’intelligibilité, par parfaitement clair : ce qui est évident pour nous, ce sont les sensations
(évident que j’ai mal, que j’ai chaud, que je suis fatigué…). Quand il s’agit de les expliquer, c’est
une autre paire de manches. Quelque chose qui très clairement se manifeste à nous, mais qui
au point de vue scientifique, pas net du tout. Pédagogiquement, c’est très important, car il faut
tenir compte de la condition des hommes, et de la modalité essentiellement empirique de leur
connaissance. Il faut les conduire progressivement de l’expérience à la vérité de l’expérience.
Nous sommes aveuglés par l’intelligible pur, car nous ne sommes pas ouverts d’emblée à
l’intelligible pur, mais au complexe, au mélangé.
E choses qui en elles-mêmes ne sont pas difficiles, elles le sont pour nous : « ça c’est
difficile » : en soi, ou pour nous ? Le problème, c’est que si on pousse jusqu’au bout la
comparaison, la chauve-souris ne verra jamais la lumière du soleil. Constitutivement, elle ne
peut pas le voir. Si nous y sommes comparables jusque-là, alors constitutivement, l’homme ne
peut s’ouvrir à l’intelligible pur : Dieu échappe à l’homme, comme le soleil à la chauve-souris.
Grand débat dans toutes les traditions sur cette chauve-souris : jusqu’o l’entendre :
- Impossibilité pour l’homme tel qu’il est de saisir Dieu face à face ?
- Difficulté qu’à l’homme de saisir l’intellect pur ? (position qu’Averroès défend)
L’intellection du premier principe de l’univers n’est pas interdite à l’homme, pas définitivement
hors de portée. La philosophie, c’est penser Dieu, le premier moteur, comprendre l’univers à
partir de son point d’origine, de la cause des causes. C’est possible mais difficile, car réclame un
naturel philosophe, une bonne éducation, une bonne vie, du temps, une bonne société. Il
faudrait une chauve-souris aveuglée, qui peu à peu arrive à ouvrir les yeux (métaphore de l’aigle,
du rapace – chauve-souris qui devient un aigle, aigle depuis le début ? ; du hibou…). Pour
Thomas d’Aquin, l’homme seul et dans cette vie ne peut voir la vérité intégrale, il ne le pourra
que grâce à Dieu et dans l’autre vie. Pas du tout la position d’Averroès, car pas de grâce de
Dieu, et l’autre vie n’est pas individuelle.
Dans le texte des Seconds Analytiques 2.19 (qu’il faut lire avec le tout début de la
Métaphyique, explique la formation du concept, pourquoi je pense et pas l’animal…), un concept,
une notion universelle s’élabore à partir de sensation particulière (en voyant plein de girafes
différentes, j’en déduis le concept de girafe qui les regroupe, en enlevant les traits individuants
de ce images). On ne commence pas par l’universel. Dans le texte 5, le mot universel est
équivoque, ne désigne pas le concept, mais un ensemble, un paquet, un tout : nous commençons
par le tout, des masses. On commence par un effet global. Quand nous parlons, nous utilisons
les noms de façon un peu indistincte, massive.
Petits traités d’histoire naturelle d’Aristote : Averroès les a commentés, mais le texte
arabe a été très altéré, réécrit par des néoplatoniciens au XIIe siècle. Dans le néoplatonisme, on
ne part pas du bas, de la sensation, pour aller vers le haut, la vérité. La vérité ne se pense que
du haut vers le bas, et tout rapport avec le bas n’est qu’un pis-aller. Idée que l’imagination puisse
percevoir la vérité sans passer par les sens, qui serait un gage de vérité. Pour Averroès, certains
hommes sont ouverts à une imagination qui serait une infusion de la vérité (cf le prophète).
Thèse pas du tout aristotélicienne. Averroès : certains hommes sont capables de faire taire les
sens, de ne pas être accaparés par les sens (comme dans le rêve, où l’on peut imaginer sans
entrave). D’où impression d’une absence : vie prophétique abstraite double-déconnexion : je
me déconnecte du sens, qui m’interdit de m’ouvrir à la vérité, et je me déconnecte de
l’intellection.

Série 6, textes 7 – 10
7) Commentaire d’Averroès dans son Grand Commentaire de la Métaphysique (éd. Bouyges,
p. 7, 14-8, 13) : « Si la difficulté d’appréhender les existants tient à deux aspects, il faut que la
difficulté <d’appréhender> les choses qui sont suprêmement vraies, et qui sont le Principe
premier et les principes séparés dépourvus de matière, provienne de nous-mêmes et non
d’eux. La raison en est que puisqu’ils sont séparés, ils sont intelligibles en soi par nature, et
non intelligibles en tant que nous les faisons devenir intelligibles parce qu’ils seraient en eux-
mêmes non intelligibles <correction du texte arabe, qui lit : li-anna-hâ fî anfusi-hâ ma‛qûla ; il
faut rétablir : <ġayr> ma‛qûla>, comme c’est le cas des formes matérielles, ce qui est expliqué
dans le livre De l’âme. Pour ces dernières, la difficulté qu’il y a <à les appréhender> tient en
revanche plus à elles-mêmes qu’à nous.
Et puisque l’intellect est à l’intelligible ce que le sens est au sensible, <Aristote> a comparé la
faculté intellectuelle qui est en nous, relativement à l’appréhension des intelligibles dépourvus
de matière, à ce qu’il y a de plus éminent dans l’ordre du sensible, le soleil, vis-à-vis de la vue
la plus faible qui soit, qui est celle de la chauve-souris.
Pourtant, cela ne signifie pas qu’il soit impossible de se représenter les choses séparées, comme
il est impossible à la chauve-souris de regarder le soleil, car s’il en était ainsi, la nature aurait
agi vainement (bāṭilan) en rendant une chose intelligible en soi par nature non intelligible pour
rien d’autre. C’eût été comme si elle avait fait en sorte que le soleil ne pût jamais être
appréhendé par aucun regard. <autre trad. : car s’il en était ainsi la nature aurait agi en vain
en rendant ce qui en soi-même est intelligible pour un autre, inintelligible pour qui que ce
soit – comme si elle avait fait que l’éclat du Soleil fût imperceptible à toute vue. »)

8) Averroès, Epître 1, § 23-24 (in Averroès, La béatitude de l’âme, p. 212)


« tous les gens s’accordent à considérer que la béatitude ultime de l’âme humaine consiste à
concevoir les intelligences séparées. Alexandre a présenté cela dans son livre De l’âme comme
quelque chose d’évident par soi.
Et de même Thémistius fait sur le sujet, en des termes très brefs mais qu’il devait estimer
suffire à son propos, la déclaration suivante : ‘si l’intellect qui est en nous intellige ce qui n’est
pas de soi-même intellect, a fortiori <il intelligera> ce qui est soi-même intellect.
Mais quelqu’un pourrait lui objecter qu’il convient que la lumière du soleil soit ce qu’il y a de
plus visible, alors que cependant, la vue de la chauve-souris ne l’appréhende point. »

9) Averroès, Epître 1, § 32-33 (in Averroès, La béatitude de l’âme, p. 216-218)


« L’argument de Thémistius, précité, est vrai, parce que si les sensibles sont rendus
intelligibles par le biais de l’intellect séparé, et qu’une chose produit ce qui est semblable à
elle par son essence, alors <l’intellect> doit être davantage intelligible que ce qui est
intelligible par lui ; de même que, si les couleurs sont visibles par le biais de la lumière du
soleil, cette lumière doit sans doute être davantage visible que ce qui est visible grâce à elle.
Et cela de même que pour tout ce qui est visible, ou ce qui est sensible dans la nature : quand
bien même une chose serait cachée aux yeux des animaux d’une espèce à cause de leur
faiblesse, ce ne sera pas le cas pour une autre espèce.
Car si toutes les espèces en étaient privée, la providence divine, qu’ils nomment ‘nature’,
aurait produit quelque chose en vain en instituant une chose en puissance sans que celle-ci
ne passe jamais à l’acte : quand même la chauve-souris ne peut contempler la lumière du
soleil, ce n’est pas le cas de tous les animaux.
De même, si une certaine classe d’hommes est inapte à contempler cet intellect, il ne s’ensuit
pas que nécessairement cela soit le cas pour tous les hommes dans leur ensemble, <que cet
état d’inaptitude> soit dû à la nature ou à la volonté commune. En effet, s’il existait en
l’intellect séparé la disposition à ce qu’il soit appréhendable sans que celle-ci ne passe à l’acte,
alors ce serait une chose vaine et inane. »

10) Averroès, Epître 2, § 17-18 (in Averroès, La béatitude de l’âme, p. 228)


« Et si quelqu’un disait : peut-être est-ce la nature de la matière qui empêche cette
représentation, comme c’est la nature des yeux de la chauve-souris qui fait obstacle à ce que
celle-ci aperçoive la lumière, bien que la lumière soit par nature visible, nous disons que cela
ne vaut pas pour l’intellect naturel, c’est-à-dire l’intellect humain, car s’il en était ainsi, cela
serait sans doute le cas pour tous les êtres vivants de nature semblable à celle de la chauve-
souris. Et s’il en était ainsi, la nature aurait fait quelque chose en vain, en faisant d’une chose
visible par nature quelque chose de non visible par aucun être doué d’appréhension.
Il en résulterait la même chose si l’on admettait que l’intelligible, par sa nature, ne pouvait
pas être appréhendé par l’homme en tant qu’homme. Car il n’existe pas d’autre espèce, outre
l’homme, qui pourrait l’atteindre, à la façon dont il existe parmi les vivants autres que la
chauve-souris des espèces capables d’atteindre la lumière.
Or il existe même des espèces d’animaux dont on considère qu’ils peuvent regarder le corps
de l’étoile du soleil lui-même, comme on le pense des rapaces. En conséquence, il est possible
d’admettre en vérité qu’il existe nécessairement quelques hommes qui sont capables de
contempler cet intellect : ce sont ceux qui ont été parfaits dans les sciences théorétiques ; et il
est impossible que cela ne se produise ni pour tous <les hommes>, ni pour une partie d’entre
eux. »

21/01/20 : Brenet parle à l’Institut du monde arabe

Chez Averroès, soit la chauve-souris est une métaphore qui vaut pour toute l’humanité :
l’espèce est devant la vérité absolue comme la chauve-souris devant le soleil. Alors la métaphore
signifie simplement la difficulté de voir la vérité face à face, car cela condamnerait l’espèce
humaine au désœuvrement, au fait d’être coupée de son œuvre propre (espèce faite pour
intelliger mais incapable de voir la vérité, et la nature serait mal faite).
La métaphore ne vaut que pour une certaine catégorie d’hommes dans l’espèce
humaine. La métaphore signifie bien l’impossibilité, mais ne signifie pas la mort pour
l’humanité, parce q’E rapaces

Dans La béatitude de l’âme, Averroès a été traduit en latin, avec des suppressions et des ajouts.
Donc ce n’est pas vraiment Averroès.
Comme s’il y avait un soleil, et aucune espèce vivante capable de la voir : mais à quoi
ça sert ? Un soleil est inutile dans un monde d’aveugle. Le vrai dans un monde d’idiots est
inutile. La perfection de l’homme, c’est de parachever son intellect, de l’actualiser pleinement,
c'est-à-dire faire de la métaphysique, comprendre la vérité du monde à partir des causes. Ou
alors, concevoir, intelliger, par l’intellect concevoir les intelligences séparées (Dieu, les moteurs
célestes). Alexandre d’Aphrodise : Le but n’est pas de penser le monde, mais la cause du monde.
Pour un arabe, le but de l’existence humaine est la conception du séparé, c'est-à-dire
Dieu et les moteurs célestes. De Anima, Aristote, chapitre 3.7 : il pose une question à laquelle il
ne répondra jamais. « Quant à savoir si l’intellect peut penser un objet séparé de la matière sans
être lui-même séparé de l’étendue », on verra après. La lumière est un certain état du diaphane,
un certain état de l’intermédiaire, c’est l’état dans lequel on peut mouvoir l’air et lui permettre
d’accéder à mon œil. C’est un certain état du diaphane en présence du feu ou de quelque chose
de similaire. Présence de quelque chose d’inné dans le milieu qui l’actualise.

Réécouter la dernière heure.

15/12/20

Concernant le DM, court ne veut pas dire laconique. A noté un épuisement dans les réponses
aux questions (4e question L). Il faut apprendre à, savoir écrire : clair, direct, précis : ne pas
glisser d’un terme à l’autre. On ne peut philosopher correctement si on ne peut parler
correctement. C’est en lisant qu’on apprend à écrire. Autre défaut : vous faites trop de
paraphrase : quand on commente, certes première phrase de reformulation, où on assure le
commentateur qu’on comprend la chose (mais ça ne suffit pas !), puis cœur du sujet. Essayer de
redéfinir les termes. A la limite, si on ne sait pas les définir, il vaut mieux une attitude
interrogative sur le sens du mot que rien du tout. Pour être technique, il faut lire l’auteur et se
référer à des sources classiques de l’auteurs (Aristote…). L’illustration, l’exemple permet de
sortir de la paraphrase.
Qu’a-t-elle de surprenant : faire de la religion une imitation. Toute religion serait alors précédée
d’une philosophie ?
Cela dit, nos devoirs restent pas mal.
Devant tout texte : objet, problème, thèse, ressort conceptuel

Aristote définit dieu comme un moteur, qui se distingue des moteurs inférieurs (meuvent en
étant mus), meut comme une personne aimée meut son amant, car l’attire vers soi. Il meut
l’univers entier car l’attire à lui, comme si l’univers entier était amoureux de lui, c'est-à-dire que
l’univers entier comporte de la puissance. toutes les choses dans l’univers pas totalement
accomplies, et toutes les choses ne fonctionnent que pour s’accomplir, pour être totalement en
acte, et le modèle de l’actualité pure, c’est Dieu, moteur car toutes les choses désirent lui
ressembler. Toujours tension nous portant à l’accomplissement de notre être, quelque chose qui
nous porte à imiter l’actualité pure. Et quand nous sommes dans état de totale intellectualité,
nous sommes divins autant que nous le pouvons.
Ne parle pas de la création des choses. E monde, et on doit décrire comment il fonctionne.

Fârâbî défend un système émaniste (il est néoplatonicien), qui considère que le réel procède de
Dieu, coule de Dieu comme d’une fontaine. Il essaie de penser la procession des choses à partir
d’un premier principe, le premier. L’être-même des choses sort du premier. Causalité efficiente,
en ce sens que le réel est causé dans son être-même par Dieu.
Pour les dialecticiens, Dieu est sans lieu car sans corps. Pour Averroès, bien sûr Dieu n’a pas de
corps. Mais en en parlant publiquement, on rentre dans des difficultés catastrophiques, car dans
le Coran, on ne trouve ni que Dieu a un corps, ni qu’il n’en a pas. Si le Coran n’a pas voulu
être explicite thématiquement dessus, ne rien dire dessus, car trop compliqué. En Islam,
eschatologiquement, il s’agira de voir Dieu. En disant qu’il n’a pas de corps, vous invisibilisez
Dieu, sauf à expliquer qu’on peut voir l’incorporel. En faisant cela, on détruit donc le dogme
de la visibilité. En disant Dieu est lumière, par-dessus tout on règle la question de sa visibilité.
Pour le théologien, le trône de Dieu signifie sa suprématie : au-dessus des infirmités, des
faiblesses. Si on logeait Dieu dans le ciel, alors on le limiterait, parce que la chose est déterminée
par le lieu où elle se trouve. A la limite, pour les théologiens, il vaudrait mieux dire Dieu est
partout. Quant à la descente de Dieu, il faudrait y voir la providence : cela veut dire que Dieu
se soucie du monde d’en-bas, s’oriente vers là pour le commander, le régler. E raisonnement de
théoligiens pour expliquer cela. Les syllogismes sont trompeurs. Le danger du théologien est
qu’il est intelligent, mais que se glisse des erreurs dans son syllogisme, et de glissement en
glissement amènent à confusion. Ascharites : Dieu n’est pas dans un lieu, car être dans un lieu
= être soit en mouvement, soit au repos. Or mouvement et repos sont des accidents, c'est-à-
dire des choses qui arrivent à une chose. Or les accidents sont adventis (ils surviennent, sont
contingents, se produisent). Or toute chose affectée par l’adventis, le contingent, est elle-même
contingente. Or l’air de rien, s’est glissé dans ce raisonnement quelque chose qui ne va pas,
quand on dit que toute chose affectée par le contingent est elle-même contingente : les cieux
tournent, mais tournent depuis toujours et pour toujours : sont éternelles, et pourtant se
meuvent. Le philosophe, persuadé de la vérité de ces principes, peut objecter quelque chose au
dialecticien.

Pour le philosophe, Dieu n’a pas de lieu, mais il a une direction et il est là-haut. C’est la même
chose que « Dieu est au ciel », mais dit de façon plus subtile.
1. La révélation attribue maintes fois la direction à Dieu
2. Contrairement à ce que font les théologiens, il ne faut pas allégoriser tous ces versets qui
parlent de la direction de Dieu, sans quoi c’est toute la Révélation qu’il faut interpréter
3. L’erreur des théologiens repose sur une confusion entre direction et lieu : ils ont raison
de nier le lieu, tort de nier la direction (là-haut). Le Traité du ciel d’Aristote, même si
physiquement faux, est important, pour voir les principes qui sont utilisés. Ce qui
intéresse, ce n’est pas la vérité scientifique elle-même, mais les concepts produits.
Pour Aristote, l’univers, c’est la terre au centre, immobile (ils savaient déjà que la Terre était
ronde, surtout avec la puissance de calcul des arabes de l’époque), et autour d’elle des sphères,
enchâssées les unes dans les autres, et qui tournent autour de ce centre immobile. Ces globes ne
sont pas infinis, il y en a un certain nombre (8, 9, 10…). Au-delà de la dernière sphère, il n’y a
plus rien. L’univers est fini : il est une sphère ultime enveloppant les autres sphères. Ces sphères
sont faites, bien que l’univers soit un, d’une sorte de matière, le 5e élément (air, eau, terre, feu),
l’éther, translucide, éternel, incorruptible. L’une des grandes différences entre notre monde et
celui d’en-haut et que tout se corrompt. Sur ces sphères sont fichées des planètes ou des étoiles.
La sphère immédiatement au-dessus de nous est celle de la lune. A chaque sphère, un astre
particulier. Toutes les sphères agissent sur le monde d’en-bas (d’où cette idée que les sphère
agissent sur nous). Ces réalités, ce n’est pas de la matière brute, ce sont des vivants. Ce sont
donc des êtres animés. Donc ces globes ont des âmes. Sur ces âmes, arabes et médiévaux vont
se disputer : quelle puissance ont-ils ? Le plus souvent, on considère que ces âmes sont des
intellects, moteurs de ces âmes. Elles tournent car elles sont mues par un moteur. Elle meut son
corps car elle pense Dieu, désire s’y assimiler, et meut alors son corps. Chaque sphère est
entourée par une autre sphère, jusqu’à la dernière qui n’est plus entourée du tout. Dieu est
l’intelligence au-delà de la dernière sphère, au-delà de laquelle il n’y a plus que dieu.
Une direction c’est pour la surface d’un corps, haut, bas, devant, derrière, droite,
gauche.
Ces 6 directions possibles ne sont pas pour le corps en question un lieu.
Toutefois, on peut imaginer que ce corps soit enveloppé d’un autre corps, et cette fois,
les directions s’appliquant à la surface de ce corps peuvent être considérées comme un lieu pour
le premier corps (Physique 4 – 5). Le lieu, c’est la surface du corps enveloppant un autre corps.
Les directions du corps B qui entoure le corps A sont des lieux pour le corps A. C’est l’enveloppe
qui fait la localisation. Il n’y a de lieu pour un corps que pour un corps enveloppé. Le lieu est la
limite du corps enveloppant.
Donc toutes les sphères enveloppées ont un lieu, puisqu’elles sont enveloppées. Elles sont
quelque part. Toutes sauf la dernière sphère, que rien n’enveloppe. Elle n’a donc plus de lieu,
car pas de corps enveloppant. Elle a bien des directions, mais pas de lieu. On peut dire que
Dieu se situe sur la dernière sphère, et sur celle-ci, il prend une direction, mais pas un lieu.

Série 7, texte 1

Averroès, Livre du Dévoilement des méthodes de démonstrations de la foi


musulmane
(a) La Révélation attribue maintes fois la direction à Dieu
« Le peuple de la Révélation n’a jamais manqué de compter cet attribut <à savoir la
direction> parmi les attributs de Dieu – exalté soit-Il – depuis le début, jusqu’à ce que les
mu‛tazilites le nient. Puis les derniers aš‛arites ont continué à le nier, comme Abū al-Mā‛alī
[al-Ğuwaynī] et ses adeptes. Or, prise à la lettre, toute la Révélation atteste l’attribut de la
direction ; ainsi Dieu dit : « et ils [les anges] porteront le Trône du Seigneur sur leurs
épaules »1 ou encore : « [Allah] élabore l’Ordre [envoyé] du ciel sur la terre, puis l’Ordre
remonte vers Lui en un jour dont la durée est de mille ans de votre comput »2 ; et encore :
« Les Anges et l’Esprit montent vers Lui »3 ; et encore « Êtes-vous à l’abri que Celui qui est 4
au ciel vous enfouisse en la terre car voici qu’elle tremble » .
(b) Il serait donc insensé d’allégoriser tous ces versets
Il en va de même dans tant de versets que s’il fallait interpréter ceux-ci allégoriquement, il
faudrait allégoriser toute la Révélation, et que si l’on disait qu’ils sont ambigus il s’ensuivrait
que toute la Révélation est ambiguë, car toutes les Révélations proclament unanimement que
Dieu est au Ciel, et que de là descendent les anges pour inspirer les prophètes ; et du ciel est
descendu le Livre <...>.
(c) Les philosophes sont d’accord, avec la Révélation, pour dire que Dieu est « au ciel »
Et l’ensemble des savants concordent unanimement sur le fait que Dieu et les anges sont au
ciel, de la même manière que les Révélations sont unanimes à cet égard.
(d) La confusion des théologiens entre direction et lieu
Le doute qui conduit à nier la direction vient à ceux qui la nient de ce qu’ils considèrent
qu’affirmer la direction rend nécessaire d’affirmer un lieu, et qu’affirmer un lieu rend
nécessaire d’affirmer la corporéité.
(e) La lecture aristotélicienne de la direction
Or, nous disons que tout cela n’est pas nécessaire, car la direction est autre chose que le lieu.
En effet, la direction consiste soit dans [celle des] surfaces qui entourent le corps lui- même,
et il y en a six – et c’est pour cela que nous disons que les animaux ont un haut et un bas, une
droite et une gauche, un devant et un derrière ; soit dans [celle des] surfaces d’un autre corps
qui entoure le [premier] corps pourvu des six directions. Donc, les directions qui sont les
surfaces du corps lui-même ne sont pas, proprement, le lieu de ce corps [et les surfaces, si on
les considère de ce point de vue, ne sont pas un lieu, mais, si on les considère comme
entourant un autre corps, ou un autre lieu, alors elles sont appelées lieux.]
[Ce sont] les surfaces des corps qui les entourent [qui] sont un lieu pour eux, comme les
surfaces qui entourent l’homme. Les surfaces de la sphère, qui entourent les surfaces de l’air
sont à leur tour un lieu pour l’air et de même les sphères qui s’entourent l’une et l’autre et qui
sont lieux les unes des autres.
Quant à la surface de la sphère extérieure, il est démontré de façon apodictique qu’il n’y a
pas de corps extérieur à cette dernière, car si c’était le cas, alors il faudrait qu’à l’extérieur de
ce corps s’en trouve un autre encore, et cela aboutirait à une régression à l’infini.
Donc, la surface du dernier corps du monde n’est absolument pas un lieu, car il n’est pas
possible qu’aucun corps y subsiste, car dans tout ce qui est un lieu il peut exister un corps.
Donc, si l’on démontre qu’il existe un être dans cette direction, alors nécessairement celui-ci
n’est pas un corps. On démontre de façon apodictique que s’il existait là-bas un être, il est
nécessaire qu’il ne s’agisse pas d’un corps.
<...>
Or, il est dit dans [les traditions qui rapportent] les opinions ancestrales, et dans les
Révélations des temps immémoriaux, que cet endroit est la demeure des êtres spirituels, ce
qui veut dire Dieu et les Anges. En effet, cet endroit n’est pas un lieu, et il n’est pas englobé
dans le temps, car tout ce que comprennent le temps et le lieu est corruptible. Donc il convient
nécessairement que ce qui se trouve là-haut ne soit ni corruptible ni générable [...] Donc s’il
y a là-bas un être, il est nécessaire qu’il soit le plus noble des êtres et qu’il existe une relation
entre cet être sensible et la partie plus noble [de l’univers] : les cieux. Quant à la noblesse de
cette partie [de l’univers] le Très Haut dit : « La Création des cieux et de la terre est quelque chose de
plus grand que la création des hommes : mais la plupart d’entre eux ne savent pas. » 5
Tout cela est clair pour les hommes de science profonde. »

1
Coran, LXIX, 17 ; tr. R. Blachère.
2
Coran, XXXII, 5 ; tr. R. Blachère.
3
Coran, LXX, 4 ; tr. R. Blachère.
4
Coran, LXVII, 16 ; tr. R. Blachère.

On le situe sans le localiser.

Série 7, texte 2
Aristote, Physique VIII, 10, 267b6 sq.; trad. Pellegrin, p. 447-448: «il est donc
nécessaire que <le moteur> soit au centre ou sur un cercle, car ce sont les principes. Mais les
choses plus proches du moteur seront plus rapides ; or tel est le mouvement sur le cercle ;
c’est donc là qu’est le moteur »

Difficile de comprendre ce qu’Aristote veut dire. Pour Aubin (dans son livre sur être chez
Aristote), cette formule correspond à une exténuation du langage physique : quand on parle du
métaphysique par un langage physique, atteint limite de ce langage : « là » est inadéquat.

Série 7, texte 3

Averroès, Grand Commentaire de la Physique : de ce moteur dont on a vu que son être n’était
pas dans la matière, on peut dire qu’il est « dans les lieux où son effet apparaît » (Aristotelis de
physico auditu libri octo cum Averrois [...] commentariis, Venise, apud Junctas, 1562, VIII, c. 84,
f°432E : « <iste motor est> in illis locis, in quibus effectus eius apparet » ).
Le moteur céleste, dit Averroès plus largement (puisque cela ne concerne plus seulement le
Premier moteur, mais tout moteur du ciel) « n’est dans un lieu que parce que le mouvement
qu’il produit est dans un lieu » (« non enim est in loco, nisi quia motum ex eo est in loco » (de
physico auditu, Venise, 1562, VII, t. 9, f°312EF).

Pour Averroès, on peut parler de localisation si on accepte la localisation par l’effet :


d’un moteur incorporel, on pourra dire qu’il se trouve sur le lieu de son effet, là où il agit.

Série 7, texte 4

Coran, LXIX, 13-17 :


« Lorsqu’on sonnera une seule fois de la trompette ; lorsque la terre et les montagnes
seront emportées et pulvérisées d’un seul coup, celle qui est inéluctable surviendra ce Jour-là
;
le ciel se fendra et sera béant ce Jour-là.
Les Anges se tiendront sur ses confins,
Tandis que ce Jour-là
Huit d’entre eux porteront le Trône de ton Seigneur. »

Pour Avicenne, huit anges parce que huit moteurs célestes.

5) Avicenne ( ?), Epître sur les prophéties (trad. J.-B. Brenet, introduction O. Lizzini, Paris, Vrin)
; pour le texte arabe : Ibn Sīnā, Fī ithbāt al-nubuwwāt (Proof of Prophecies), edited with
Introduction and Notes by M. Marmura, Beirut, Dar an-nahar, 1991)

« 31. Quant à ce que le Prophète – que la bénédiction et le salut de Dieu soient sur lui ! – a
transmis de son Seigneur Tout-puissant lorsqu’Il dit – qu’Il soit exalté ! : « ce jour-là huit
<d’entre les Anges> porteront au-dessus d’eux le Trône de ton Seigneur » (Cor. LXIX, 17),
nous disons qu’il est courant d’affirmer dans le cadre de la Loi que Dieu – qu’Il soit exalté !
– est sur le trône. Entre autres choses, cette expression signifie que le trône est le terme ultime
des existants instaurés et corporels, et parmi les adeptes de la Loi, les anthropomorphistes
prétendent que Dieu – qu’Il soit exalté ! – est sur le Trône en lui étant inhérent.
32. Dans le discours philosophique, <les philosophes> considèrent comme terme ultime des
existants corporels la neuvième sphère, qui est la sphère des sphères, et ils soutiennent que
Dieu – qu’Il soit exalté ! – est là, sur elle, mais pas en lui étant inhérent, ainsi que l’a montré
Aristote à la fin du livre <intitulé> la Physique.
33. Et les sages adeptes de la Loi se sont accordés à dire que ce qui est signifié par le trône,
c’est ce corps <céleste ultime>. Ils ont affirmé en outre que <chaque> sphère était mue par
l’âme d’un mouvement désirant. Ils n’ont affirmé qu’elle était mue par l’âme que parce que
les mouvements sont soit essentiels, soit non essentiels ; <or,> ils ont montré que <le
mouvement de la sphère> n’était pas non essentiel ; <or,> le <mouvement> essentiel est soit
naturel soit psychique, et <puisqu’>il n’est pas naturel, comme ils l’ont <également> montré,
c’est qu’il est psychique. Puis ils ont montré que l’âme <responsable de ce mouvement pour
chaque sphère> était le <principe> rationnel, parfait et actif, et aussi que les sphères, de toute
éternité, ne s’annihilaient ni ne changeaient. Or, c’est une idée répandue dans les textes
religieux que les anges sont absolument des <êtres> vivants rationnels et qu’ils ne meurent
pas, à la différence de l’homme, qui meurt. En conséquence, puisqu’on dit des sphères que
ce sont des <êtres> vivants rationnels qui ne meurent pas, et que l’<être> vivant rationnel et
immortel est appelé « ange », les sphères sont appelées des « anges ». Et une fois avancées ces
prémisses, le fait que le trône soit porté par huit <d’entre les anges> devient clair, tout comme
devient claire l’interprétation des exégètes qui y voient huit sphères. »

3 attaques : les péripatéticiens hérétiques car :


- Disent que Dieu n’a pas créé le monde et qu’il est éternel : Averroès dit que dans le
Coran, pas question de création ex nihilo, et il ne faut pas comprendre le rapport de
l’homme au monde de création, mais d’advention permanente
- Dieu ne connaît pas le monde dans son individualité, n’a qu’une connaissance
générale des choses (par exemple l’espèce humaine et pas moi). Pour Averroès, Dieu
connaît le singulier, mais il ne le connaît pas à la façon d’un homme (preuve :
divination, rêves prémonitoires, dus au fait que notre âme s’ouvre à une illumination
venue de Dieu, et s’ils concernent des événements en particulier, c’est que Dieu nous
a communiqué un savoir particulier, et qu’il le connaît). Quand nous connaissons le
monde, nous sommes toujours dans une position seconde : E choses, E nous au
milieu des choses, et nous les connaissons car nous sommes affectés par elles. Le
savoir procède de l’effet du réel sur nous. Schéma ne pouvons valoir pour Dieu, car
il n’est pas affecté par un réel qui e précéderait. Le réel n’est qu’en tant qu’il le
conçoit. Le rapport du réel à Dieu est le même que celui de l’artefact à l’artisan.
L’artisan n’est pas affecté par la chaise comme s’il la découvrait et en prenait
connaissance en la découvrant. L’erreur des théologiens vient de ce qu’ils
confondent la manière de connaître pour l’homme et celle de connaître pour Dieu
- Sur la question de la vie future, ne défendent pas la résurrection des corps, voire
nient l’existence de la vie future
Averroès répond à chacune de ces accusations.

Série 7, texte 6

« Nous avons préparé pour les incrédules/ des chaînes, des carcans et un brasier./Les
hommes purs boiront à une coupe dont le mélange sera de camphre » (Coran, 76, 4 sq. ;
trad. D. Masson)

Toutes les positions des philosophes ne se confondent pas, mais si on lit le Livre du dévoilement,
attention à ne pas se laisser tromper. Il répond à l’attaque sur la vie future, et l’a déjà fait dans
le Discours décisif : grand écart maximal entre la position philosophique et la lettre coranique.
IL continue de prétendre que philosophie s’harmonise avec l’islam, mais s’engage fort peu dans
sa propre position philosophique (suit plutôt Avicenne).
Globalement, le problème concerne celui de la résurrection des corps : l’âme perdure-t-
elle ? Le corps revient-il (en islam, oui). C’est sur ce point qu’on attaque la philosophie. Ghazali
attaque Avicenne, pour qui l’âme individuelle est produite au même moment que son corps :
elle n’est pas éternelle, émane lorsque son corps est engendré. Au cours de nos vies, cette âme
individuelle va contracter des traits, des propriétés, caractéristiques, qu’elle va devoir à la vie
particulière avec son corps, mais lorsqu’elle meurt, cette âme, plutôt une substance. Il distingue
âme/corps : l’âme est comme une cavalier qui se sert d’un cheval jusqu’à un certain point, mais
après la mort, délaisse le cheval et vit sa vie. Selon le chemin mené, destin différent :
- Sur le cheval, en naïf sincère, ne sait rien, subit la vie, bon croyant, âme sincère : le
cheval meurt, et ne reviendra jamais : un corps qui se corrompt ne se recompose
jamais (il rejoint la matière commune, dont naîtrons d’autres corps. Sinon pose trop
de problèmes). tout ce qui est décrit corporellement dans le Coran serait de la pure
métaphore, pour faire peur ou espérer. Problème : homme naïf mais sincère qui a
cru cela
- Un homme prenant le cheval pour traverser la vie sans s’y arrêter, en cours de route
s’est plu à la vie sensible, complètement oublié la destination : au lieu d’aller du point
A au point B, s’est attardé. Âmes perverses, qui connaissaient leur destination, mais
se sont laissé gagner par le sensible à enfer. Elles souffriront pour l’éternité de ne
pas être devenues ce qu’elles devaient devenir : elles en ont conscience, mais n’ont
plus le cheval pour arriver
- Le philosophe, qui se sert du cheval ne s’arrête en route que pour le strict nécessaire,
devient pure intelligence, tout va bien
Ghazali : et la résurrection des corps ? De ce point de vue, il a raison d’attaquer Avicenne.
En réalité, la position d’Avicenne est plus subtile. Deux types de textes d’Avicenne : il
ne faut pas chercher théorie dans le Coran, mais dimension pratique : sa valeur est de guider,
d’ordre pratique. Mais ce n’est pas là qu’on y trouve l’équivalent d’une vérité philosophique.
Lorsqu’il parle de feu ou de paradis. Mais dans d’autres textes, il a des scrupules, sur ceux qui
ont sincèrement cru, et en fait auraient été trompés. Il rechigne à dire ça. Il élabore donc une
doctrine qui essaie de donner sens à cette croyance naïve : comment faire pour que même si
jamais le corps ne reviendra, que celui qui pensait souffrir ou jouir physiquement de l’après-
mort, cela arrive. Ces âmes-là sont très attachées à la corporéité. Lorsque le corps meurt, ces
âmes vont trouver à s’attacher à tout autre corps, en l’occurrence un corps céleste. En
s’attachant à celui-là, elles vont pouvoir imaginer, et elles imagineront qu’elles vivent l’enfer ou
le paradis. L’âme naïve, son paradis, elle va le vivre, penser qu’elle va le vivre réellement, mais
elle va l’halluciner. Satisfaction hallucinatoire du désir. La destinée de l’homme selon Avicenne,
Michot.
Averroès dit que les théologies ont tort d’attaquer la philosophie en disant qu’elle nie la
vie future, parce qu’ils ne nient pas la vie future, mais en discutent sa modalité. Discuter du
comment n’est pas blasphématoire au vu de la difficulté de cette question.
Averroès doit monter que les philosophes ont une façon de voir la vie future qui
s’accorde avec le Coran. Avicenne est un dualiste, plutôt platonicien : âme et corps substances,
se conjoignant dans rapport d’instrumentation, et âme perdure après la vie, avec survie
personnelle. Chez Averroès, aristotélicien strict, l’âme n’est pas une substance, mais la forme
du corps, la structuration du corps vivant, si bien que les deux sont ontologiquement solidaires,
et quand corps se corrompt, l’âme aussi. Quand le corps meurt, tout de l’individu meurt.
Autrement dit, l’individu se corrompt à la corruption du corps. Cependant, quelque chose nous
survit : notre intellect, c'est-à-dire une certaine puissance de notre âme. Certes quelque chose
de nous, mais ce quelque chose de nous n’est pas nous : puissance qu’on actualise dans notre
vie, qu’on fait travailler de façon particulière compte tenu de notre expérience, mais en soi il
n’appartient à personne, est une puissance commune. L’intelligence n’appartient à personne.
C’est son actualisation qui est personnelle. Quand on meurt, la manière qu’on avait de faire
fonctionner l’intelligence disparaît. Une musicien qui meurt, sa façon d’harmoniser les huit
notes n’est plus là, mais les huit notes sont toujours là, pour être harmonisées par quelqu'un
d’autre.

Série 7, texte 7

7) Averroès, Livre du dévoilement (dans L’islam et la raison...) : « Si l’on nous


demande : mais dans la Révélation, se trouve-t-il une preuve de la rémanence de l’âme, ou y
en a-t-il un signal (tanbīh) ? Nous répondons : oui, cela se trouve dans le Livre précieux, en
l’espèce de l’énoncé divin : ‘Dieu accueille les âmes au moment de leur mort ; il reçoit aussi
celles qui dorment sans être mortes’ (Cor. 39, 42), etc., jusqu’à la fin du verset <...>. Et le
caractère probant de ce verset consiste en ce qu’il identifie la suspension de l’activité de l’âme
pendant le sommeil à celle au moment de la mort. Car, si la suspension de l’activité de l’âme
lors de la mort était due à la corruption de l’âme <elle-même> et non à un changement dans
l’organe de l’âme <i.e. en l’occurrence, le corps>, il faudrait que dans le sommeil aussi la
suspension de son activité fût due à sa propre corruption. Et s’il en était ainsi, elle ne
retrouverait point sa forme au moment du réveil. Or, puisqu’elle retrouve cette forme, nous
savons que la suspension <de son activité> ne lui est pas arrivée parce que sa substance avait
été affectée, mais résulte seulement du désœuvrement de son outil, et que le désœuvrement
de l’outil n’implique pas celui de l’âme elle-même. Or la mort <aussi> est un désœuvrement,
et il faut donc, là aussi, que ce soit celui de l’outil, comme c’est le cas dans le sommeil. Et ainsi
que le dit le Philosophe : ‘Si le vieillard retrouvait un œil comme celui du jeune homme, il
verrait comme un jeune homme.’ »
Dans l’islam, idée que quand on dort, âmes rappelées par Dieu, et quand on se réveille, Dieu
libère les âmes. Le sommeil est une sorte de mort, car la mort est le fait que l’âme retourne
auprès de Dieu. Le philosophe s’y retrouve, car comparaison dans ces verstes mort-sommeil :
mort : le corps se corrompant, l’instrument de l’^me n’étant plus utilisable, l’âme est rapportée
auprès de Dieu : c’est comme un sommeil, puisqu’on n’est pas totalement corrompu dans le
sommeil, en revanche quelque chose se désactive (la chaleur vitale se rétracte auprès du corps,
doigts froids, pieds froids, et si on vous touche, vous ne sentez rien. Substance encore là, mais
instrument désactivé). Philosophes d’accord avec fait que la mort est comme désactivation d’un
instrument, la mort n’est pas une destruction de la substance, mais une désactivation de
l’instrument. Deux lectures possibles de la désactivation
- Avicenne : corps se corrompt, âme non : l’instrument ne peut plus être utilisé, mais
âme perdure à individualité sauvée
- Averroès : quand nous mourrons, ce n’est pas le corps qui meurt, mais le corps et
l’âme, et l’intellect perdure à seule puissance commune sauvée

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