MARDI 15 NOVEMBRE 2022
78E ANNÉE – NO 24217
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WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Ukraine : ce que change la reprise de Kherson
▶ Après la reconquête de
la ville et des 4 500 kilo­
mètres carrés occupés par
la Russie sur la rive droite
du Dniepr, Kiev veut
pousser son avantage
« AH BAH T’ENTENDS  ▶ « Le Monde » a
PAS, TU SERAS 
PAS SAUVÉ… »
MORT DE 27 MIGRANTS  sauvetage, malgré
DANS LA MANCHE :  dans les eaux
L’ENQUÊTE QUI ACCABLE  ont été repêchés,
LES SECOURS FRANÇAIS
Tourisme
Ski : les prix
flambent, les
réservations aussi
PAGE 20
VU PAR URBS (FRANCE)
▶ La ligne de front se
trouve subitement réduite
▶ A l’inverse, Moscou veut
bénéficier de ce resserre­
▶ Les premiers témoigna­
ges recueillis à Kherson 1 ÉDITORIAL
de 300 kilomètres, ment et de l’arrivée font état d’un centre UN TOURNANT 
et la péninsule de Crimée, de troupes fraîches pour de torture installé par les
annexée par les Russes muscler son assaut sur Russes dans une prison
DANS LA GUERRE
en 2014, risque l’isolement Bakhmout, à l’est du pays PAG ES 2- 4 PAGE 37
Midterms Les démocrates gardent 
le Sénat, incertitude à la Chambre
pris connaissance
des investigations
sur les conditions
les dépouillements se pour­
suivent encore aux Etats­Unis,
mais le Parti démocrate est dé­
marge en cas de victoire en Géor­
gie, lors d’un second tour qui
aura lieu début décembre.
du naufrage d’un sormais assuré de conserver le Les républicains ne sont même
contrôle du Sénat, après l’an­ pas totalement assurés à ce stade
« small boat », le nonce de la victoire de sa candi­ de prendre la Chambre des repré­
24 novembre 2021 date, Catherine Cortez Masto, sentants, une incertitude qui en
dans le Nevada, samedi. Une sur­ soi est un désaveu pour le Grand
▶ Les enregistre­ prise dans ces élections de mi­ Old Party et surtout pour Donald
mandat qui favorisent générale­ Trump, dont les fidèles ont subi
ments montrent ment l’opposition. Le parti de Joe des revers importants.
que les secours Biden pourrait même accroître sa PAGE 5
n’ont envoyé
aucun moyen de
les appels à l’aide,
attendant que les International Politique
naufragés dérivent L’impact de la  La loi Darmanin 
anglaises guerre en Ukraine  sur la sécurité 
▶ Vingt­sept corps sur l’économie  arrive à 
dont ceux de six
femmes et d’une
au menu du G20 l’Assemblée
fillette, seuls deux
survivants ont été
retrouvés
Le sommet qui s’ouvre,
mardi 15 novembre, en
Indonésie, est marqué
par l’absence de Vladimir
Le texte, qui prévoit l’allo­
cation de 15 milliards
d’euros supplémentaires
aux forces de l’ordre sur
PAGES 16 -17 E T 13 Poutine, qui a préféré cinq ans, devrait bénéfi­
envoyer son ministre cier du soutien d’une
des affaires étrangères majorité de députés
PAGE 6 PAG E 14
Société Espèces en danger Qatar 2022
Plongée Une convention
dans la France pour lutter contre L’indignation 
des points relais le commerce de l’Occident ne 
PAG E 2 5 PAGE 10
s’étend pas au 
   CARTOONING FOR PEACE
reste du monde
Les appels européens
au boycott de la Coupe
du monde de football ne
trouvent que peu d’écho
sur les autres continents
PAGE 18
Culture
Un grand musée 
Giacometti au 
cœur de Paris
Les œuvres de l’artiste
suisse vont être exposées
sur 6 000 mètres carrés
dans un ancien terminal
Air France aux Invalides
PAGE 26
Algérie 220 DA, Allemagne 4,20 €, Andorre 3,80 €, Autriche 4,00 €, Belgique 3,50 €, Espagne 3,80 €, Grèce 3,70 €, Guadeloupe-Martinique 3,50 €,
Hongrie 1 650 HUF, Italie 3,70 €, Luxembourg 3,50 €, Maroc 25 DH, Pays-Bas 4,20 €, Portugal cont. 3,70 €, La Réunion 3,50 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,70 CHF, Tunisie 5,20 DT, Afrique CFA autres 2 500 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
GUERRE  EN  UKRAINE
A Kherson, les rescapés de la torture
La ville tout juste libérée livre ses premiers secrets sur les traitements infligés par l’armée russe avant son départ
REPORTAGE
kherson (ukraine) ­ envoyé spécial
D
evant la prison du 3, rue
Teploenergetikiv, des gens
du quartier discutent en fu­
mant une cigarette. Derrière
ces murs surmontés de fils
de fer barbelé, l’armée russe
avait installé l’un des centres de détention de
Kherson. Nul ne sait combien la prison a en­
glouti de détenus assassinés, disparus ou dé­
portés en zone d’occupation russe peu avant
la reconquête de Kherson par les forces ukrai­
niennes. « Trois autobus et un camion » sont
venus une nuit vider la prison, « environ deux
semaines » avant le départ de l’armée russe
de la ville. Depuis, les portes sont closes.
Comme d’autres voisins, Serhiy (il n’a
donné que son prénom, comme d’autres té­
moins interrogés) aidait souvent des prison­
niers libérés. « On les voyait sortir par le por­
tail, épuisés, misérables, hagards. Ils mar­
chaient lentement dans la rue avec leurs
chaussures sans lacets. » Alors Serhiy et
d’autres voisins leur donnaient un peu de
nourriture et, la plupart venant d’autres
villes et villages de la région, ils leur deman­
daient s’ils avaient besoin d’une voiture
pour rentrer chez eux. « A Kherson, beau­
coup de gens savaient qu’il y avait ici un cen­
tre de torture russe », dit Andriy. « Un prison­
nier libéré m’a dit un jour : “S’il existe un enfer
sur terre, il est ici” », raconte Serhiy.
Vitaliy Serdyuk est, à la connaissance des
voisins, le seul habitant du quartier qui fut
détenu au 3, rue Teploenergetikiv. Il arrive
d’un pas lent, en compagnie de sa femme,
Yelena. Il fut prisonnier de l’armée russe du
27 au 30 août. Comme chaque jour pendant
l’occupation russe, qui a contrôlé la ville de
Kherson du 2 mars au 11 novembre, M. Ser­
dyuk, 65 ans, se rendait dans la maison de
son fils lorsque les soldats sont arrivés. Son
fils ayant rejoint les forces ukrainiennes au
début de la guerre et ayant envoyé sa
femme et leurs deux fils en Pologne,
l’homme y nourrissait les chiens et les
chats vivant désormais seuls dans le jardin,
et vérifiait que tout était un ordre.
« C’était le dernier samedi d’août, vers
13 heures. Une dizaine de soldats ont encerclé
la maison et ont cogné à la porte. Je leur ai
ouvert. Ils ont couru dans la maison et ont
pris mon téléphone sur une table. Ils m’ont
fait asseoir dehors et ont commencé à me
frapper la nuque. Ils ont fouillé la maison et
le garage. Ils cherchaient des armes. Ils m’ont
interrogé sur mon fils. Je leur ai dit que je ne
savais pas s’il était en Pologne avec sa femme
et ses fils, ou quelque part en Ukraine. » La
réponse de Vitaliy n’étant pas jugée satisfai­
sante, il est alors arrêté.
GÉGÈNE
« Ils m’ont mis un sac sur la tête et m’ont me­
notté dans le dos. Ils m’ont ordonné de mar­
cher courbé. Ils m’ont mis dans une voiture et
emmené en prison. » Vitaliy ignore alors où il
est détenu. Il sait juste qu’il est conduit au
deuxième étage d’un bâtiment et placé dans
une cellule avec sept autres hommes. Il dé­
couvre les us et coutumes de la vie carcérale
sous occupation russe. « A chaque fois qu’un
soldat russe entrait dans la cellule, il était in­
terdit de les regarder dans les yeux, et il fallait
crier “Gloire à la Russie ! Gloire à Poutine !
Gloire à Choïgou !” [ministre de la défense de
Russie]. Si un détenu ne le disait pas assez vite,
il était frappé », raconte Vitaliy.
« Le lendemain, ils m’ont emmené dans un
sous­sol pour un interrogatoire. Ils m’ont
d’abord frappé avec des matraques de poli­
cier, le dos, les jambes. Ils me demandaient :
“Tu es de la défense territoriale ukrainienne ?
Où as­tu caché les armes ?” Et puis, encore et
toujours : “Où est ton fils ?” » L’homme sait
que son fils, un vétéran du conflit dans le
Donbass en 2014, s’est réengagé dans l’ar­
mée ukrainienne à la suite de l’invasion
russe, mais il ne connaît aucun autre détail.
« Les Russes avaient des listes. Ils savaient que
mon fils était sergent dans l’armée. Je l’ai
d’ailleurs appris par eux, sourit Vitaliy. Ma
femme et moi le pensions simple soldat et ne
savions pas qu’il avait été promu. »
« A un moment, ils ont dit : “Maintenant, tu
vas voir, tu vas te souvenir de tout !” Et ils
m’ont fait ce qu’ils appellent “Un appel à Ze­
lensky”. » Vitaliy voit les soldats brancher un
vieil appareil électrique de l’ère soviétique,
comme ceux qui servaient à alimenter les ra­
« QUAND UN SOLDAT  diotéléphones militaires. Autrement dit,
RUSSE ENTRAIT  une gégène. D’où la référence au fait de pas­
ser un appel téléphonique.
DANS LA CELLULE,  « Ils ont baissé mon pantalon et ont placé
deux électrodes sur mes testicules. Ils tour­
IL ÉTAIT INTERDIT  naient la manivelle de plus en plus vite, pour
produire plus d’électricité. Puis ils ralentis­
DE LES REGARDER  saient. Puis ils accéléraient. Ensuite, ils ont
DANS LES YEUX  connecté l’un des fils à un téton, l’autre
étant toujours sur un testicule. Et ils ont re­
ET IL FALLAIT CRIER  commencé. » Vitaliy estime que l’interro­
gatoire a duré une heure et demie, et la
“GLOIRE  torture à l’électricité une demi­heure. Il est
À POUTINE ! » ramené en cellule.
VITALIY SERDYUK « DANS LA TERRE, DES TÊTES, DES MAINS »
habitant de Kherson « La douleur était insupportable. J’étais trempé
détenu en août de sueur. Mes compagnons de cellule m’ont
nettoyé le visage, puis je me suis effondré sur le
sol, évanoui. » Son interrogatoire et la fouille
de son téléphone n’ayant rien donné, Vitaliy
est libéré le mardi. « Ils m’ont fait franchir un
portail, et j’ai alors compris que j’étais dans la
prison de la rue d’à côté de chez moi. » Sa
femme, Yelena, dit qu’elle a retrouvé Vitaliy
« le corps bleu et rouge, à cause des coups ». Il a
aussi un os cassé dans la main droite. Il pré­
cise que tous ses compagnons de cellule
avaient « des côtes ou des doigts cassés ».
Pendant les trois jours de la disparition de
Vitaliy, Yelena s’est rendu au quartier géné­
ral de la police militaire russe pour deman­
der de ses nouvelles. Les militaires avaient
pris leur quartier dans le bâtiment de la
cour d’appel, derrière le centre administra­
tif régional. Les habitants de Kherson ont,
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
en huit mois et demi d’occupation, rebap­
tisé l’endroit « la Kommandantur » ou « la
Gestapo ». « Les soldats m’ont dit qu’ils igno­
raient où était Vitaliy, dit Yelena, et qu’il fal­
lait revenir tous les deux jours. » Son mari est
finalement libéré. Très meurtri par la
séance de torture, l’homme considère qu’il
a eu de la chance. « Heureusement que, dans
les conversations avec mon fils, nous ne par­
lions que de chiens et de chats… »
Ihor Bondarenko est un autre survivant de
l’occupation russe de Kherson. Le journaliste
de la défunte Kherson FM, 45 ans, a décidé, le
10 août, de fuir l’Ukraine en guerre et d’aller
en Europe, via la Crimée. Il prend la route.
Dans le village de Kalanchak, à un check­
point de l’armée russe, il est arrêté. « J’étais
apparemment sur une liste de gens à arrêter
parce que j’étais journaliste. »
Ihor est emmené pour un interrogatoire
par le FSB, les services de renseignement in­
térieur russes. « Ils ont pris mon téléphone et
sont revenus avec des retranscriptions de
conversations que j’avais eues sur Telegram,
y compris des échanges que j’avais effacés
depuis des mois. Ils ont vu que j’avais eu des
conversations avec des nationalistes ukrai­
niens, et ont trouvé dans mes contacts le nom
d’une responsable de Pravy sektor [Secteur
droit, un mouvement ultranationaliste
ukrainien] pour la ville de Kherson, qui est
une voisine et une amie. »
Conscient qu’il est en danger de mort, Ihor
fait beaucoup d’efforts. « Je leur ai vraiment
fait croire que j’étais loyal envers la Russie. » Il
est aidé par le fait qu’il a dans le passé régu­
lièrement écrit des enquêtes critiques sur le
pouvoir local de Kherson. « Pour eux, si tu cri­
tiques les Ukrainiens, c’est que tu es pour la
Russie », dit­il en levant les yeux au ciel.
Ihor est placé en détention. « J’ai été en­
fermé dans un container avec deux autres ty­
pes pendant une nuit. » Le lendemain, il est
emmené vers une destination inconnue.
« Ils m’ont mis un sac sur la tête, scotché
autour du cou. Nous sommes partis en
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022 international | 3

▶▶▶

Brutale exécution d’un déserteur de Wagner

Le groupe paramilitaire proche du Kremlin tente d’instiller la terreur avec des images terribles

moscou ­ correspondant Depuis l’exécution, en 2019, d’un peine dans une prison réputée pri­ « Il n’a pas trouvé le bonheur en
déserteur de l’armée syrienne, dé­ vilégiée. Il affichait sur les réseaux Ukraine et a fini par rencontrer des

J e suis Evgueni Anatolievitch

Noujine, né en 1967. J’ai rejoint
le front dans le but de passer
du côté ukrainien et de me
battre contre les Russes. Le 4 sep­
membré et brûlé, la masse res­
semble presque à une signature
pour cette société militaire privée
qui a exporté ses méthodes bruta­
les dans le monde entier.
sociaux un franc soutien à « l’opé­
ration spéciale » – et sur le torse un
tatouage de croix gammée.

Dissuader les désertions

tembre, j’ai mis en œuvre mon
plan. Le 11 novembre, dans une rue
de Kiev, j’ai reçu un coup sur la tête
et j’ai perdu connaissance. Je me
suis réveillé dans cette cave où on
m’a indiqué qu’on allait me juger. »
L’homme qui parle a le visage at­
taché à une brique par du film
plastique. Il a à peine le temps de
finir sa phrase qu’un violent coup
de masse s’abat sur sa tempe. Il est
ensuite achevé au sol d’un second
coup. La vidéo est apparue diman­
che 13 novembre sur une chaîne
Telegram proche du groupe de
mercenaires Wagner. « Le traître a
reçu la punition traditionnelle wa­
gnérienne », dit le commentaire.
Le visage ceint de plastique n’est
pas inconnu. Après sa reddition,
Evgueni Noujine avait donné plu­
sieurs entretiens à des médias
ukrainiens, affirmant parler libre­
ment. Il y racontait son parcours :
emprisonné depuis 1999 pour
meurtre et tentative d’évasion,
l’homme avait saisi la possibilité
d’une sortie de prison en rejoi­
gnant les rangs de Wagner ; sur­
tout, il affirmait avoir eu l’inten­
tion dès le début de déserter pour
combattre du côté de l’Ukraine,
« victime » d’une agression russe.
A l’époque, ce récit avait été
contesté. L’homme, ancien du mi­
nistère de l’intérieur, purgeait sa
Pour Wagner, ces interrogations
sont secondaires. La priorité sem­
ble de dissuader les désertions et
les refus de combattre, qui tou­
chent toute l’armée. Le groupe
avait déjà laissé entendre il y a
quelques jours avoir exécuté l’un
de ses combattants, ne filmant
cette fois que l’interrogatoire du
soldat au visage tuméfié.
Par cette exécution publique,
Wagner et son patron, Evgueni Pri­
gojine, montrent aussi que tout
leur est permis, y compris sur le sol
russe, y compris contre des Rus­
ses. M. Prigojine a ainsi revendi­
qué les faits, dimanche, avec l’iro­
nie glaçante dont il est coutumier :
gens durs mais justes. Ce film de­
vrait s’appeler “une mort de chien
pour un chien”. Excellente réalisa­
tion, qui se regarde d’un souffle.
Aucun animal n’a souffert durant le
tournage. » Le comité d’enquête,
institution d’ordinaire prompte à
déclencher des investigations à
tout sujet, n’avait pas réagi, lundi.
L’épisode pose aussi question
quant à l’attitude de Kiev. L’idée
que Noujine aurait été enlevé en
pleine rue suscite des doutes. Les
observateurs russes penchent
plutôt pour un échange de prison­
niers. L’un d’eux a bien eu lieu le
11 novembre, avec 45 Ukrainiens
rendus et aucune précision don­
née côté russe. Certaines sources
vont jusqu’à affirmer que Noujine
a été échangé contre vingt Ukrai­
niens détenus par Wagner. p
benoît vitkine

Vitaliy Serdyuk (en haut

à gauche) devant la prison
où il a été détenu et torturé,
à Kherson (Ukraine),
le 13 novembre.
Le journaliste Ihor
Bondarenko (en bas à gauche).
Devant une des prisons
de la ville (ci­dessus)
tenue par le FSB.
RAFAEL YAGHOBZADEH POUR « LE MONDE »

voiture. Lorsqu’ils ont enlevé le sac, nous

étions dans la campagne, devant une tran­
chée où, dans la terre retournée, je pouvais
apercevoir des têtes, des mains. Je pense avoir
vu cinq ou six corps. Il y en avait peut­être da­
vantage sous la terre. »
« Les Russes m’ont demandé : “Tu veux les re­
joindre ?” J’ai dit : “Non”. » Un Russe a tiré en
l’air tandis qu’un autre m’a frappé dans le
dos avec le canon de son arme exactement
au même moment, pour me faire croire qu’il
avait tiré sur moi. Puis ils m’ont fait mettre à
genoux. Un soldat a dit : « Tiens, celui­ci ne
s’est pas pissé dessus. »

« J’AI EU DE LA CHANCE D’ÊTRE LIBÉRÉ »

Ihor est ensuite transporté à la prison de
Skadovsk, où il reste détenu deux semaines
dans une cellule souterraine, les yeux ban­
dés et menotté à un tuyau. Il est libéré le
25 août. Il pense que ses études d’artiste de
cirque et de stand­up lui ont servi. « Heureu­
sement que j’ai appris à jouer la comédie. Je
crois que la fausse exécution était destinée à
me faire peur, pour que je sois loyal à la Russie.
J’ai vraiment eu de la chance d’être libéré… »
Ihor attend que des enquêteurs ukrainiens
recueillent son témoignage. Il serait incapa­
ble de retrouver le lieu précis où il a vu des
cadavres dans une tranchée, puisqu’il avait
la tête recouverte d’un sac pendant les
trajets. Il ne dispose que d’une information :
l’endroit se trouvait sur l’autre rive du
Dniepr, encore sous occupation russe, et
demeure inaccessible.
Attablé au café Topy, place de la Liberté,
Ihor regarde ses concitoyens célébrer la libé­
ration de Kherson. Il passe sa journée là, sans
se prêter aux effusions de joie. Il voudrait
que la police ukrainienne vienne le rencon­
trer, qu’on recherche les disparus, qu’on tra­
que les collaborateurs de l’armée russe. Pour
Ihor, la guerre n’est pas finie. Et Kherson est
loin, après deux jours de liberté, d’avoir livré
tous les secrets de l’occupation. p
rémy ourdan
 0123
4 | international MARDI 15 NOVEMBRE 2022

GUERRE  EN  UKRAINE

Après l’entrée dans Kherson, les Le pouvoir pro­européen

de Moldavie sous forte
nouveaux objectifs de l’Ukraine pression de la Russie
Kiev poursuit les offensives, sans rejeter l’idée de futures négociations Moscou attise la crise énergétique, tandis
que l’opposition prorusse est accusée
de tenter de renverser le gouvernement

D
ans la région de Kher­ Situation au 13 novembre

s
son, la situation mili­

oulet
Le repli des forces russes
taire s’éclaircit peu à
peu. Le Dniepr sépare sur la rive sud du Dniepr
M auvaise passe pour la
Moldavie. Alors que
ce­premier ministre et chef de la
diplomatie moldave, en marge

nettement les deux camps enne­
mis, qui s’observent à la jumelle
par­dessus son flot majestueux.
Les craintes initiales d’un piège
Fleuve Dniepr
Territoire repris par les forces
ukrainiennes depuis le 29 août
Territoire occupé
Inh
OBLAST DE MYKOLAÏV l’ex­république sovié­
tique de deux millions et demi
Doudtchany
d’habitants est en pourparlers
avec ses créditeurs occidentaux
du Forum de Paris sur la paix.
Trente pour cent des besoins
d’électricité du pays sont habi­
tuellement fournis par l’Ukraine,

r
ep
russe destiné à attirer les troupes par les forces russes
pour parvenir à faire face à la pire qui n’est plus aujourd’hui en me­
Mykolaïv

ni
ukrainiennes dans un combat ur­ D crise énergétique en trente ans, le sure de couvrir ses propres be­
bain très meurtrier dans la ville Lignes de défense (fortifications) Beryslav gouvernement proeuropéen tré­ soins en raison de la campagne
de Kherson ne se sont pas concré­ en construction par les Russes buche sur un scandale politique. de bombardement russe menée
tisées. Kiev a repris le contrôle de sur la rive sud Selon la télévision privée contre ses infrastructures. Le
la totalité des 4 500 kilomètres première deuxième troisième Kherson Nova moldave TV8, des pourparlers reste de la consommation mol­
carrés occupés par la Russie sur la Kakhovka Troisième ligne
étaient en cours au palais prési­ dave provient de la centrale au
rive droite du Dniepr. Stanislav dentiel, dimanche 13 novembre gaz de Kuchurgan, qui se trouve
L’Ukraine remporte une vic­ Kiev Hola Prystan OBLAST au soir, pour trouver un éventuel dans la région séparatiste pro­
toire avec de beaux paramètres, DE KHERSON remplacement à la première mi­ russe de Transnistrie. Cette cen­
UKRAINE
en premier lieu l’absence d’effu­ Bakhmout Tchaplynka nistre, Natalia Gavrilita. En trale, alimentée à 100 % par Gaz­
sion de sang civil. Usant depuis le Kherson cause, la nomination contestée prom, a inopinément réduit
Première ligne Deuxième ligne
Can
mois d’août de lance­roquettes al d 25 km d’un procureur anticorruption drastiquement sa production
Himars et de pièces d’artillerie oc­ du e Cri par le ministre de la justice, Ser­ depuis le 1er novembre. « La Rou­
No mé
cidentales, Caesar français, M777 rd e giu Litvinenco. Plusieurs magis­ manie voisine nous aide, mais ses
Sources : ISW ; Le Monde Infographie Le Monde
américain, PzH 2000 allemand, trats et des membres de l’opposi­ capacités d’exportations sont in­
entre autres, elle a brisé les lignes tion réclament sa démission, sur suffisantes pour nos besoins »,
logistiques de l’envahisseur et l’a le site d’investigation ukrainien semaine, des tranchées sont creu­ fond de baisse de popularité de la note Nicu Popescu.
forcé à reculer. Cette contre­offen­ Skhemi. Nul doute que l’état­ma­ DE TÊTE DE PONT  sées dans le nord de la Crimée. présidente proeuropéenne, Maia M e r d ’ A z o v
M e r N o i r e
sive n’avait rien d’évident dans jor ukrainien en était averti. Dans MENAÇANT LE SUD,  De tête de pont menaçant tout Sandu, élue en 2020, alors que Survol de missiles russes
une zone de steppe comptant un l’incapacité d’évacuer les équipe­ le sud de l’Ukraine jusqu’à Odessa, des manifestations sont organi­ « La Russie menace la Moldavie
obstacle naturel, la rivière Inhou­ ments lourds, l’armée russe a été LA CRIMÉE SE CHANGE  la Crimée se change peu à peu en sées chaque dimanche par l’op­ de plusieurs manières, accuse le
lets, mais très peu d’arbres facili­ contrainte d’en détruire une par­ forteresse assiégée. La situation position prorusse. ministre. Elle viole notre espace
tant les opérations d’infiltration. tie, le reste s’ajoutant aux deux PEU À PEU EN  en mer, en effet, n’est pas plus ras­ Exaspérée par les interférences aérien avec ses missiles et affecte
Il semble que les forces ukrai­ mille cinq cents « trophées » que surante pour Moscou, alors que de Moscou dans les affaires de ainsi directement la sécurité de
niennes ne disposaient ni de la l’armée ukrainienne a déjà re­
FORTERESSE ASSIÉGÉE l’Ukraine annonçait dimanche la son pays, la présidente avait, le nos concitoyens, sans compter le
supériorité numérique requise tournés contre son agresseur. constitution prochaine d’une 2 novembre, déclaré à une chaîne soutien apporté au séparatisme,
pour les offensives ni d’un nom­ Le retrait russe pose toutefois flotte de drones marins kamika­ roumaine que Moscou utilisait et la présence militaire russe illé­
bre confortable de blindés pour plusieurs défis à l’Ukraine. Ayant la rive gauche du Dniepr, comme zes, du type de ceux qui ont ses services secrets et les mem­ gale en Transnistrie ». Un contin­
protéger leurs troupes. La victoire reculé derrière la large barrière l’atteste une série d’explosions frappé plusieurs bâtiments de la bres de partis prorusses en Mol­ gent de deux mille soldats russes
de Kherson est la somme du ren­ naturelle constituée par le violentes entendues à Tcha­ marine russe, le 29 octobre. davie « pour orchestrer des mani­ est actuellement stationné en
seignement et des livraisons d’ar­ Dniepr, la Russie voit la ligne de plynka, à 45 kilomètres au sud du festations où les gens expriment Transnistrie, que la Russie refuse
mes occidentales, qui ont permis front rétrécir d’un coup de fleuve, dans la nuit de samedi à Plus au nord, la menace s’éloigne leur insatisfaction face à la mon­ de retirer, malgré les demandes
aux forces de Kiev, dont l’arsenal 300 kilomètres. Une opération dimanche. La disparition de la Plus au nord de cette zone, côté tée des prix ». Selon Maia Sandu, répétées de Chisinau.
national est à l’étiage, de frapper amphibie pour attaquer frontale­ « zone tampon » sur la rive droite ukrainien, on respire mieux. « ces actions visent à déstabiliser Des missiles russes visant
l’envahisseur rapidement et avec ment la rive gauche paraît extra­ du Dniepr expose désormais aux Deux grandes villes ukrainien­ la situation politique en Moldavie l’Ukraine ont survolé le terri­
précision jusqu’à 70 kilomètres ordinairement risquée pour Kiev. frappes ukrainiennes une série nes encore à proximité du front (…). Nous avons une forte infla­ toire moldave, au cours de trois
au­delà de la ligne de front. Mais L’arrivée de « sang frais », sous d’infrastructures cruciales pour la semaine dernière, Mykolaïv et tion, que les forces prorusses ten­ incidents distincts récents, dé­
aussi, et surtout, de la détermina­ la forme de troupes russes récem­ la Crimée, annexée en 2014 par Kryvy Rih, voient la menace de tent d’utiliser afin de renverser le clenchant de vives protestations
tion des soldats ukrainiens à ment mobilisées, permettra à Vladimir Poutine. l’artillerie russe s’éloigner. A l’ins­ gouvernement moldave ». officielles. « Les Russes persis­
libérer leur territoire. Moscou de muscler son assaut Le départ du canal alimentant la tar des autres agglomérations L’invasion de l’Ukraine par la tent à nier que ce sont leurs missi­
sur Bakhmout, dans l’est de Crimée en eau douce, qui part de ukrainiennes de l’arrière, elles Russie polarise à l’extrême le dé­ les, malgré les preuves que nous
Ligne de front rétrécie L’Ukraine, et de fortement densi­ Nova Kakhovka, se trouve désor­ restent toutefois menacées par le bat politique. Le 10 novembre, leur avons apportés », souligne
En face, la Russie semble au fier les 500 kilomètres restants mais à portée des obus de mortier feu, nettement moins nourri, des un débat parlementaire a opposé M. Popescu. Le ministre précise
moins avoir réussi son évacua­ de la ligne de front. Ce qui compli­ ukrainiens. La voie ferroviaire drones iraniens et des missiles de l’ancien président communiste qu’il n’y a plus de contact au ni­
tion, à en juger par l’absence de quera la contre­offensive ukrai­ Donetsk­Melitopol­Djankoï, prin­ croisière russes. Dimanche, le Vladimir Voronine au président veau ministériel avec Moscou,
groupes massifs de soldats cap­ nienne dans les régions de Lou­ cipale ligne de ravitaillement du gouverneur de Mykolaïv, Vitali du parlement, Igor Grosu, mem­ depuis le 24 février, « à cause de
turés dans l’opération. Selon hansk et de Zaporijia. Or, Kiev ne groupe d’armées de Crimée, est Kim, a enjoint les entreprises et bre du Parti pour l’action et la so­ l’agression brutale contre l’Ukrai­
toute vraisemblance, l’évacua­ veut pas d’un front qui se fige cet désormais à portée des missiles les ouvriers du BTP à venir rebâtir lidarité (PAS) proeuropéen. Le ne », mais que les relations bila­
tion de la rive droite par les Rus­ hiver et permette à la Russie de Himars, qui risquent à nouveau la région. Selon M. Kim, la pers­ débat s’est ouvert sur le thème térales existent au niveau
ses a été planifiée longtemps à reconstituer ses forces pour une de perturber la logistique de pective de la réouverture des des combattants moldaves enga­ des ambassades.
l’avance, et avait débuté avant la seconde manche l’an prochain. l’occupant. Signe supplémentaire ports se rapproche, surtout si la gés aux côtés des forces ukrai­ Moscou, qui espère le retour au
mi­octobre, comme le montrent L’artillerie ukrainienne a d’ores que le vent tourne : des images sa­ dynamique de libération des ter­ niennes. Ils seraient au nombre pouvoir des prorusses battus lors
les images satellites publiées par et déjà commencé à « travailler » tellites montrent que, depuis une res méridionales se poursuit. de trois cents, selon la télévision de l’élection présidentielle de
Fort de la victoire de son armée, publique moldave. Vladimir Vo­ 2020 et aux législatives de l’année
le président ukrainien, Volody­ ronine, qui est décrit comme suivante, réclame le rembourse­
La Russie va rendre publiques les adresses myr Zelensky, évoque un terme
encore tabou il y a peu, celui de
prorusse, a demandé que l’iden­
tité de ces combattants soit di­
ment de 7,7 milliards de dollars de
dette (7,4 milliards d’euros),
personnelles des « agents de l’étranger » négociation. Mais avec des
conditions : « Nous sommes prêts
vulguée. Igor Grosu a rétorqué
que les autorités devraient plu­
l’équivalent de 60 % du PIB an­
nuel moldave. Chisinau conteste
à parler avec la Russie. Mais seule­ tôt enquêter sur ceux qui se bat­ une dette contractée à hauteur de
à partir du 1er décembre, le ministère de la « Arrêtons de finasser, surtout en période d’opé­ ment avec cette Russie qui est réel­ tent aux côtés des Russes et a dé­ 7 milliards de dollars par la Trans­
justice russe publiera sur son site Internet la liste ration militaire spéciale, a commenté l’ancien lement prête à la paix. » En octo­ claré qu’il espérait voir l’Ukraine nistrie séparatiste, sur laquelle
complète des « agents de l’étranger » recensés par président Dmitri Medvedev. Les activités des bre, le chef d’Etat avait exclu for­ triompher dans cette guerre. elle n’a aucun contrôle. Gaz­
les autorités. Cette publication pourrait être une agents étrangers doivent être strictement con­ mellement toute forme de négo­ La guerre voisine a profondé­ prom évalue à 719 millions la
clarification, tant cette liste n’a cessé d’enfler, ces trôlées, y compris par la société. » ciation avec Vladimir Poutine. ment perturbé la fragile écono­ dette directe de Chisinau, qui ré­
derniers mois, pour finir par compter quelque La première loi sur les agents de l’étranger date Lundi matin, il s’est rendu dans la mie moldave, l’un des pays les clame un audit parce que son
250 noms, personnalités physiques ou juridi­ de 2012, adoptée pour protéger le pays des in­ ville, selon la présidence. plus pauvres d’Europe et l’un des estimation est bien plus basse, à
ques toutes critiques du pouvoir russe. fluences étrangères néfastes – comprendre « oc­ Kiev signale n’être pas pressé. plus dépendants des importa­ 450 millions. La presque totalité
A un détail près : la liste contiendra toutes les cidentales ». Au fil des amendements, elle s’est Les négociations avec Moscou tions d’énergie. Près de la moitié du gaz consommé par la Mol­
données personnelles des « agents de l’étran­ transformée en outil de lutte politique et d’étouf­ « pourraient reprendre au second des dépenses des ménages sont davie est fournie par Gazprom,
ger », depuis les numéros fiscaux et de sécurité fement de la société civile et des médias, ciblés semestre 2023 », a précisé, diman­ déjà consacrées aux factures qui dispose ainsi d’un levier puis­
sociale jusqu’aux adresses des personnes con­ en priorité. L’organisation Memorial, Prix Nobel che, David Arakhamia, le prési­ d’électricité et de gaz. « Chaque sant sur Chisinau. Cette année, le
cernées. L’administration considère d’ordinaire de la paix 2022, a été dissoute au prétexte de vio­ dent du groupe parlementaire frappe d’un missile russe contre géant russe du gaz a déjà divisé
de telles informations comme confidentielles. lations de cette loi. Les premières personnes phy­ proprésidentiel à la Rada d’Ukrai­ l’Ukraine est un missile contre no­ par deux le volume de ses livrai­
siques ont été désignées fin 2020, en l’occurrence ne. Dans le passé, David Arakha­ tre sécurité énergétique », expli­ sons à la Moldavie.
La première loi date de 2012 l’ancien dissident soviétique Lev Ponomarev. mia avait conduit la délégation que au Monde Nicu Popescu, vi­ « Il nous faudrait 1,1 milliard
Ce statut qui n’était à l’origine qu’infamant de­ Les « agents de l’étranger » doivent rendre ukrainienne dans les négocia­ d’euros d’aides pour passer l’hi­
vient donc de plus en plus menaçant. Les médias compte de leur participation à tout événement tions avec la Russie. La reprise de ver », résume Nicu Popescu. La
officiels présentent régulièrement les agents de public et présenter le détail, tous les trois mois, ce processus est soumise à des Moldavie, qui s’est vu accorder
l’étranger, qu’ils soient journalistes, avocats ou de l’intégralité de leurs dépenses et de leurs re­ préalables : « Restauration de l’in­ PRÈS DE LA MOITIÉ  par l’UE le statut de candidat à
militants écologistes, comme des « traîtres ». De­ venus. Un décret adopté le 10 novembre leur in­ tégrité territoriale, compensation l’adhésion en juin, a reçu une
puis le début du conflit en Ukraine, des person­ terdit également de mener des activités éduca­ de toutes les pertes subies, traduc­
DES DÉPENSES  aide de 250 millions d’euros sous
nes considérées comme opposées à l’interven­ tives ou de travailler avec l’Etat. A l’origine, il tion en justice de tous les criminels DES MÉNAGES SONT  forme de subventions et de prêts.
tion russe ont vu leurs portes d’appartement ta­ s’agissait de traquer de supposés financements de guerre et garanties effectives « C’est suffisant pour deux mois,
guées ou ont fait l’objet d’agressions, comme le étrangers. Depuis le 14 juin peut être considérée que cela ne se reproduira plus », a­ DÉJÀ CONSACRÉES  mais pas pour tenir jusqu’à avril »,
rédacteur en chef du journal Novaïa Gazeta, comme agent de l’étranger toute personne qui t­il fait savoir dans une publica­ conclut le ministre. D’ici là, les re­
Dmitri Mouratov. Les cas de brutalités policières mène une activité de près ou de loin politique et tion sur sa chaîne Telegram. Cet AUX FACTURES  mous politiques sont assurés de
se sont aussi multipliés contre les personnes « qui bénéficie d’un soutien étranger ou se trouve hiver continuera de voir parler les D’ÉLECTRICITÉ  croître avec le froid et la guerre
osant protester – jusqu’au viol qu’un poète mos­ sous influence étrangère ». p armes et couler le sang. p qui gronde aux portes du pays. p
covite aurait subi dans un commissariat. benoît vitkine (moscou, correspondant) emmanuel grynszpan ET DE GAZ e. gr.
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
Le Sénat américain reste aux mains des démocrates
Le parti de Joe Biden détient déjà la moitié des sièges de sénateurs, mais l’incertitude demeure à la Chambre
washington ­ correspondant
U
ne onde d’euphorie a
gagné les rangs démo­
crates dans la soirée du
samedi 12 novembre.
L’attente fut longue – près de qua­
tre­vingt­seize heures après la fer­
meture des bureaux de vote –,
mais elle ne réduit en rien la por­
tée de la nouvelle. Le parti du prési­
dent Joe Biden conserve la majo­
rité au Sénat, défiant la logique po­
litique qui prévaut d’habitude lors
des élections de mi­mandat.
Peu après 21 heures, après de lon­
gues journées d’annonces parcel­
laires de dépouillement, les urnes
au Nevada ont finalement livré le
nom du vainqueur, dans une
course très serrée et décisive. La
sortante, Catherine Cortez Masto,
venait d’acquérir un avantage suf­
fisant, avant même la fin du pro­
cessus, pour ne plus être rejointe
par le républicain Adam Laxalt.
Encore une fois, le thème de
l’avortement a joué un rôle central
dans cette campagne, au profit
de la vainqueure. Les quelque
6 500 voix qui les séparent ont
une signification immense, non
seulement pour le Nevada, mais
pour le cours de la présidence Bi­
den et le devenir politique du
pays. Et ce alors que les résultats
définitifs à la Chambre des repré­
sentants n’étaient toujours pas
connus lundi matin. Les républi­
cains ont acquis 212 sièges, les dé­
mocrates 204. La majorité est à
218. Le fait même qu’un chemin
très étroit demeure possible pour
le parti du président, afin de gar­
der le contrôle de la Chambre, est
une humiliation totalement im­
prévue pour les républicains.
Après la confirmation vendredi
de la victoire du démocrate Mark
Kelly en Arizona face à Blake Mas­
ters, les deux formations déte­
naient chacune 49 sièges au Sénat.
Les courses ultimes en suspens
étaient le Nevada et la Géorgie ;
dans cet Etat du Sud, un deuxième
tour opposera, le 6 décembre pro­
chain, le sortant démocrate Ra­
phael Warnock et l’ancien joueur
de football américain Herschel
Walker. Mais la victoire démocrate
au Nevada, qui porte ce parti à
50 sièges, est en soi suffisante pour
conserver la majorité. En effet, à
50­50, la voix de la vice­présidente
Kamala Harris est décisive,
comme elle l’était depuis le début
de la présidence Biden dans le Sé­
nat sortant.
Cette nouvelle majorité démo­
crate va permettre à Joe Biden de
poursuivre une entreprise ma­
jeure : la promotion massive de
magistrats. Pour l’heure, 84 juges
fédéraux et 25 juges de cour d’ap­
Selon le
républicain
modéré Larry
Hogan, la « vague
rouge » a été
empêchée par
l’omniprésence
de Donald Trump
pel, choisis par le président, ont été
confirmés. La diversité dans leurs
rangs est sans précédent : 75 %
sont des femmes, 25 % sont des
Afro­Américains (dont Ketanji
Brown Jackson nommée à la Cour
suprême en juin) et 17 % des Hispa­
niques. Si une place se libérait
dans les deux ans à venir parmi les
neuf juges de la Cour suprême – en
poste à vie –, pour raison de re­
traite ou de santé, Joe Biden serait
donc en mesure d’avancer un nou­
veau candidat. Tout aussi impor­
tant : une majorité au Sénat offre
aux démocrates un pare­feu con­
tre toute tentative d’introduction,
par les républicains, d’une loi fédé­
rale sur l’avortement, qui impose­
rait un nombre maximal de se­
maines de grossesse.
Le chef de file des démocrates au
Sénat, Chuck Schumer, a convo­
qué une conférence de presse, sa­
medi soir, pour se féliciter de cette
« grande victoire pour le peuple
américain ». Selon lui, la capacité
de son parti à conserver le Sénat
serait liée à trois facteurs : « d’excel­
lents candidats », les accomplisse­
ments de l’administration Biden
et, enfin, « le rejet des extrémistes
antidémocratiques » que sont les
républicains du mouvement
MAGA (« Make America Great
Again », le slogan de Donald
Trump). Blake Masters en Arizona
et Adam Laxalt au Nevada sont
deux incarnations de cette généra­
tion MAGA, niant le résultat de la
présidentielle de 2020, transfor­
mant la politique en guerre cultu­
relle. Leur défaite est aussi celle
de l’ancien président, très critiqué
Dans le camp
présidentiel,
les divisions
internes entre
progressistes
et modérés
ont été mises
de côté
dans son camp depuis la soirée
électorale, et qui devrait annoncer
sa candidature pour l’élection pré­
sidentielle de 2024, le 15 novem­
bre, à Mar­a­Lago (Floride).
« Nous ne sommes pas un culte »,
a lancé dimanche le sénateur ré­
publicain de Louisiane, Bill Cas­
sidy, à l’antenne de la chaîne NBC.
Sur CNN, le modéré Larry Hogan,
gouverneur sortant du Maryland
qui envisage de figurer dans les
primaires de son parti, a résumé
l’état d’esprit d’une grande partie
de l’appareil républicain. Il a es­
timé qu’une « vague rouge »
aurait dû se produire, mais avait
été empêchée par l’omniprésence
de Donald Trump, qui reste, selon
lui, « un gorille de 360 kilos » diffi­
cile à écarter. « Je pense que les
conservateurs de bon sens, qui
sont focalisés sur les problèmes
qui comptent pour les gens,
comme l’économie, la criminalité
et l’éducation, ont gagné, a dit
Larry Hogan. Mais ceux qui ont es­
sayé de remettre en cause à nou­
veau l’élection de 2020 et se sont
concentrés sur les théories conspi­
international | 5
rationnistes, eux ont été presque
tous totalement rejetés. »
De son côté, Donald Trump a
choisi de se focaliser sur l’une de
ses cibles préférées, dans son pro­
pre camp : Mitch McConnell, le
chef de file républicain au Sénat.
Tout serait de sa « faute », selon
l’ancien président. Le vétéran du
Kentucky a eu la main sur un co­
mité d’action publique (Super PAC)
appelé Senate Leadership Fund,
qui, à lui seul, selon l’organisa­
tion Open Secrets, a dépensé
230 millions de dollars (222 mil­
lions d’euros) au cours de la cam­
pagne. Mais à la mi­août, dans une
critique claire adressée à Donald
Trump et aux candidats MAGA, il
avait émis des doutes sur la possi­
bilité de reprendre le contrôle du
Sénat. « Le résultat dépend beau­
coup de la qualité des candidats »,
avait­il lâché. Or Donald Trump,
dimanche, lui a reproché au con­
traire de ne pas avoir assez investi
en faveur de candidats pourtant
extrémistes, comme Blake Mas­
ters, en Arizona.
Union sacrée
Le Parti républicain n’a pas seule­
ment été défait dans les urnes,
mais il l’a aussi été au niveau
financier. Les têtes d’affiche
MAGA, souvent dépourvues d’ex­
périence, ont eu beaucoup de mal
à lever des fonds, alors qu’en face
les démocrates ralliaient toutes les
forces disponibles. Les divisions
internes entre progressistes et
modérés ont été mises de côté
dans le camp présidentiel. Deux
facteurs ont permis cette union
sacrée avant les midterms : la
décision de la Cour suprême sur
l’avortement, le supprimant
comme droit fédéral, et l’adop­
tion, en août, au Congrès, du pro­
jet Inflation Reduction Act, avec
un volet environnemental très
important. Les nuances sur la
meilleure stratégie de campagne
demeuraient, mais l’idée d’une
menace existentielle, posée par le
mouvement MAGA, permettait
de les surmonter aisément.
La « grande annonce » promise
par Donald Trump mardi déplaît
d’autant plus au Parti républicain
que ce cycle des midterms n’est
pas achevé. Les résultats définitifs
à la Chambre ne sont pas connus.
Au Sénat, reste encore la Géorgie.
Aucun des deux candidats n’ayant
atteint la barre des 50 %, le second
tour aura valeur de nouveau test,
dans un Etat très disputé. Si les dé­
mocrates parvenaient à élargir
leur majorité à 51 sièges au Sénat,
ce serait une nouvelle humilia­
tion pour le Parti républicain.
Cette majorité leur offrirait davan­
tage de latitude procédurale, no­
tamment en matière de présence
obligatoire au moment du vote et
de contrôle complet des commis­
sions. Enfin, elle permettrait de
réduire l’influence de Joe Man­
chin (Virginie­Occidentale) et
Kyrsten Sinema (Arizona). Ces
deux centristes du parti n’ont eu
de cesse, depuis deux ans, de con­
trarier ou retarder les projets lé­
gislatifs démocrates, exaspérant
le groupe progressiste à la Cham­
bre des représentants. p
piotr smolar

6 | international
La guerre divise le
G20, en l’absence
de Poutine
Les impacts du conflit sur les marchés
alimentaire et énergétique sont au
menu du sommet qui se tient à Bali
bali (indonésie) ­ envoyé spécial
V
ladimir Poutine a beau
être absent, le sommet
du G20, qui s’ouvre
mardi 15 novembre à
Bali, en Indonésie, s’annonce des
plus houleux en pleine guerre en
Ukraine. Après un long suspense,
le chef du Kremlin a confirmé,
quelques jours avant le début de la
rencontre, qu’il ne retrouverait pas
ses homologues des principales
économies de la planète ; il y sera
représenté par son ministre des af­
faires étrangères, Sergueï Lavrov.
Son renoncement a soulagé les
alliés occidentaux de l’Ukraine,
qui redoutaient de côtoyer le pré­
sident russe à Bali. Près de neuf
mois après le début de l’invasion
russe, ce forfait témoigne aussi de
l’isolement de Moscou, tandis que
les Ukrainiens sont en pleine con­
tre­offensive et viennent de re­
prendre le contrôle de la ville de
Kherson. Mais l’ombre de M. Pou­
tine, et celle du conflit qu’il a dé­
clenché, va peser sur les discus­
sions, tant l’invasion russe suscite
de profondes divisions entre les
pays membres du groupe.
Par contraste, le sommet du G20
marque le retour sur la scène in­
ternationale du président chinois,
Xi Jinping. Depuis la pandémie
due au coronavirus, il n’était sorti
qu’une seule fois de son pays, mi­
septembre, pour le sommet de
l’Organisation de coopération de
Shanghaï, à Samarcande (Ouzbé­
kistan), auquel M. Poutine avait
d’ailleurs participé. Cette fois,
M. Xi devait rencontrer dès lundi
son homologue américain, Joe Bi­
den, requinqué par la bonne te­
nue des démocrates lors des élec­
tions de mi­mandat. Ce premier
entretien en présentiel entre les
deux hommes promettait de du­
rer au moins trois heures, tant les
sujets de contentieux se sont ac­
cumulés, que ce soit au sujet de
l’Ukraine, de Taïwan, mais aussi
de la rivalité économique entre
Washington et Pékin.
Les pays du Sud­Est asiatique embarrassés face à la junte birmane
Les dirigeants de l’Asean ne sont pas parvenus à s’entendre pour l’ouverture de discussions avec les différentes parties présentes en Birmanie
bali (indonésie) ­ envoyé spécial
U n an après avoir exclu le
chef de la junte birmane
de leur sommet annuel,
les dirigeants de l’Association des
nations de l’Asie du Sud­Est
(Asean) ont acté à Phnom Penh,
vendredi 11 novembre, l’impasse
des négociations avec les géné­
raux qui se sont emparés du pou­
voir à Naypyidaw lors du coup
d’Etat de 2021.
Si la situation en Birmanie, qui
glisse chaque jour davantage vers
la guerre civile, devrait être large­
ment éclipsée par le dossier rus­
so­ukrainien lors du sommet du
G20, qui s’ouvre mardi 15 novem­
bre à Bali, en Indonésie, elle n’en
reste pas moins une préoccupa­
tion de premier ordre dans la ré­
gion. Pour la deuxième année
consécutive, le premier ministre
autoproclamé du régime birman,
le général Min Aung Hlaing, n’a
pas été invité au sommet régional
de l’organisation, qui s’est achevé
dimanche 13 novembre.
Le président chinois verra aussi
Emmanuel Macron, mardi matin,
juste avant l’ouverture du som­
met. Le président français com­
mence à Bali un voyage qui le con­
duira ensuite en Thaïlande, pour le
Forum de coopération économi­
que Asie­Pacifique, dans le but de
renforcer l’influence française
dans la région. « Il y a un espace très
clair au G20, y compris avec les
grands émergents, pour porter un
message de paix et demander à la
Russie d’entrer dans une logique de
désescalade », dit­on à l’Elysée.
Cependant, les négociations
préliminaires menées depuis
quelques jours à Bali entre les re­
présentants de chacun des diri­
geants ont été très tendues. Signe
révélateur, aucune « photo de fa­
mille » n’est prévue, en raison du
refus de nombreux pays d’appa­
raître aux côtés de l’émissaire du
chef du Kremlin. Rien ne dit non
plus que ce groupe de vingt pays,
mis sur pied en 2008 pour faire
front face à la crise financière, sera
en mesure de publier un commu­
niqué commun à l’issue de ses tra­
vaux, mercredi. Pour surmonter
les blocages, certains imaginaient
même, en prélude au sommet, de
préparer un texte cosigné par dix­
neuf dirigeants, excluant de fait la
Russie des conclusions.
En position d’arbitre, la prési­
dence indonésienne du G20 a
d’abord refusé de centrer les dé­
bats sur la guerre en Ukraine, avec
le soutien d’une partie des puis­
sances participantes, dont la
Chine, l’Inde et, bien sûr, la Russie.
Il est « fondamentalement impor­
tant que le G20 concentre ses ef­
Le sommet
marque le retour
sur la scène
internationale du
président chinois,
Xi Jinping
Le premier ministre cambod­
gien, Hun Sen, hôte du sommet
de l’Asean – son pays en a assuré la
présidence tournante en 2022 –,
s’était rendu dans la capitale bir­
mane en janvier pour rencontrer
le général putschiste, rompant le
front fragile d’un ostracisme ré­
gional contre la junte. Mais il
n’avait rien obtenu en retour.
Enjeux pressants
Si, à Phnom Penh, les pays de
l’Asean ont convenu d’« explorer
d’autres approches pour la mise en
œuvre du consensus en cinq
points » – sur lequel ils s’étaient
mis d’accord lors d’un sommet à
Djakarta, en avril 2021 et qui con­
cerne notamment la possibilité
de rencontres avec le gouverne­
ment parallèle de la résistance et
les guérillas ethniques –, aucune
mise au ban plus poussée du ré­
gime birman n’a été annoncée.
« Il y a trois gagnants à ce som­
met, estime un diplomate euro­
péen en Asie du Sud­Est. Le Cam­
bodge, qui a maintenu le vernis
Le président américain, Joe Biden, et son homologue indonésien, Joko Widodo, à Bali, lundi 14 novembre. ACHMAD IBRAHIM/AP
forts sur les menaces réelles, plutôt
qu’imaginaires », a insisté la diplo­
matie russe, à l’avant­veille du
sommet : « Il n’est pas viable
d’étendre son ordre du jour aux do­
maines de la paix et de la sécurité,
dont parlent de nombreux pays. Il
s’agirait d’une incursion directe
dans le mandat du Conseil de sécu­
rité des Nations unies, et cela nui­
rait au climat de confiance et de
coopération au sein du G20. »
Zelensky en visioconférence
Une posture d’autant plus para­
doxale que les différentes réper­
cussions du conflit sur la sécurité
alimentaire et les marchés énergé­
tiques seront, elles, à l’ordre du
jour des discussions. Parmi les
priorités du moment figure ainsi
le renouvellement de l’accord
scellé en juillet entre Kiev et Mos­
cou, sous l’égide de la Turquie et de
l’ONU, pour permettre à l’Ukraine
d’exporter ses céréales via la mer
Noire. L’arrangement arrive à
échéance le samedi 19 novembre,
quelques jours après le sommet.
Les Occidentaux espèrent au
contraire profiter de l’occasion
pour aborder de front le conflit,
condamner l’invasion russe et
mettre Moscou en garde contre
toute escalade, en particulier chi­
mique ou nucléaire. Leur inquié­
tude est montée d’un cran depuis
que Poutine a agité la menace
d’une confrontation nucléaire, au
d’une unité de l’Asean, l’Indonésie,
qui prend la présidence de l’Asean
l’an prochain et a obtenu un cadre
pour agir davantage si elle le sou­
haite, et la junte birmane, qui s’en
tire bien car elle n’a pas été ré­
trogradée dans les réunions. La
question, c’est ce que l’Indonésie
va faire de ce cadre ouvert. » Le
président indonésien, Joko Wi­
dodo, a confié à la presse, ven­
dredi, sa « profonde déception »
que « la situation au Myanmar
s’aggrave ». « Nous ne devons pas
permettre à la situation [en Bir­
manie] de prendre l’Asean en
otage », a­t­il ajouté.
En coulisses, les Occidentaux
encouragent l’Asean à se doter
d’un émissaire permanent sur la
Birmanie et non attaché au pays
qui a la présidence – ce qui n’est
pas encore le cas. Les enjeux sont
pressants : la junte prévoit d’orga­
niser des élections en août 2023.
Les Occidentaux estiment que
l’exercice ne doit pas être cau­
tionné, dans la mesure où il ex­
clut la principale force politique
moment de l’annexion unilaté­
rale de quatre régions ukrainien­
nes occupées, dont celle de Kher­
son, fin septembre.
Depuis, la Russie a continué de
reculer sur le terrain, et les autori­
tés ukrainiennes entendent pous­
ser leur avantage. Pour elle, la libé­
ration de Kherson, intervenue
vendredi 11 novembre, n’est
qu’une étape dans la reconquête
de l’ensemble des territoires tom­
bés aux mains des forces russes.
« Nous sommes en train de gagner
des batailles sur le terrain. Mais la
guerre continue », a indiqué le chef
de la diplomatie ukrainienne,
Dmytro Kuleba, en marge d’un
sommet de l’Association des na­
tions de l’Asie du Sud­Est, à Phnom
Penh, au Cambodge, samedi. Invité
à participer par visioconférence, le
président ukrainien, Volodymyr
Zelensky, devait, mardi, marteler le
message, non sans tenter d’élargir
ses soutiens au sein du G20.
Jusqu’ici, l’offensive russe a gé­
néré trois types de réaction au sein
du groupe. Les capitales occiden­
tales, Etats­Unis en tête, avec les
Etats européens et le Japon, la Co­
rée du Sud, l’Australie et le Canada,
ont condamné l’agression de
l’Ukraine par la Russie dans l’en­
ceinte de l’ONU, et imposé de lour­
des sanctions à l’encontre de Mos­
cou. En face, la Chine, l’Inde et
l’Afrique du Sud n’ont pas con­
damné la Russie, s’abstenant sur
du pays, la Ligue nationale pour la
démocratie (LND) de l’ancienne
dirigeante emprisonnée Aung
San Suu Kyi. Nombre de pays de
l’Asean pourraient cependant être
bien moins regardants à l’égard
du processus électoral à venir.
Retour de Washington
Dans un rapport publié le 2 no­
vembre, l’APHR, le collectif des
parlementaires des pays d’Asie du
Sud­Est pour les droits de
l’homme, s’est dit consterné par
le choix initial des « gouver­
nements étrangers et des institu­
tions internationales » de « laisser
l’Asean montrer la voie pour résou­
Aucune mise
au ban plus
poussée
du régime
birman n’a été
annoncée
De nombreux
pays émergents,
comme l’Inde,
prônent une
cessation des
hostilités la plus
rapide possible
en Ukraine
les différentes résolutions onu­
siennes adoptées depuis le 24 fé­
vrier, et refusent de la sanction­
ner. Enfin, un troisième cercle ras­
semble la Turquie, le Brésil, le
Mexique, l’Argentine, et l’Arabie
saoudite, qui ont certes dénoncé
l’invasion à l’ONU, mais ne sanc­
tionnent pas pour autant Moscou.
Plus les combats se prolongent,
plus un autre clivage se creuse en­
tre les membres du G20 concer­
nant une éventuelle sortie de
crise. Les alliés occidentaux de
Kiev se disent prêts à poursuivre
leur soutien, en particulier mili­
taire, tant que les autorités ukrai­
niennes le souhaitent. Pour eux,
des négociations en vue d’un ces­
sez­le­feu, voire d’un accord de
paix, ne pourront avoir lieu qu’au
moment où l’Ukraine se sentira
en position de force face à la Rus­
sie, après avoir repris l’essentiel
des territoires perdus.
dre la crise birmane ». « Alors que
certains Etats membres, comme la
Malaisie, ont appelé à une nou­
velle approche, y compris un enga­
gement direct avec le gouverne­
ment d’unité nationale [le NUG, le
gouvernement parallèle de la ré­
sistance] et d’autres forces démo­
cratiques, des pays comme la
Thaïlande ou le Cambodge ont
continué à soutenir la junte », no­
tent­ils. En outre, celle­ci « reçoit
un important soutien matériel,
rhétorique et moral de ses alliés
étrangers » – la Russie, la Chine et
l’Inde. Pékin veille au grain, mal­
gré son dépit de voir s’enliser les
projets ferroviaires des « nouvel­
les routes de la soie » en raison du
chaos. L’Inde, elle, ne veut pas
laisser le terrain à Pékin, tandis
que Moscou fournit de l’arme­
ment aux Birmans.
L’engagement russe en Birma­
nie préoccupe les Etats­Unis :
Washington compte sur le Burma
Act, un texte adopté par la Cham­
bre des représentants en avril
mais en attente d’un vote au Sé­
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
Au contraire, de nombreuses ca­
pitales émergentes, à commencer
par l’Inde, prônent une cessation
des hostilités la plus rapide possi­
ble, afin de limiter l’impact du
conflit sur l’économie mondiale.
Une perspective que refuse Kiev,
au prétexte qu’elle consoliderait
de fait les conquêtes de la Russie.
Plusieurs Etats participants, dont
la Turquie ou le Mexique, ont
tenté d’enclencher des négocia­
tions, en vain à ce stade, bien que
Washington suggérerait aux auto­
rités ukrainiennes de se montrer
ouverte à une telle perspective, se­
lon la presse américaine.
« Plutôt que de se concentrer sur
la façon de mettre un terme à la
guerre, les dirigeants du G20 se­
raient mieux inspirés d’identifier
des domaines d’accord général
afin de contenir les hostilités et
leurs répercussions », observe Ri­
chard Gowan, pour le compte de
l’International Crisis Group, à
New York. Pour lui, le « plus évi­
dent » serait de reprendre à leur
compte la mise au point faite à Pé­
kin par le chancelier allemand,
Olaf Scholz, et Xi Jinping, début
novembre. Les deux dirigeants
avaient convenu de « s’opposer
conjointement à l’utilisation ou à
la menace d’utilisation d’armes
nucléaires ». Une façon de prôner
la désescalade, sans pointer direc­
tement du doigt la Russie. p
philippe ricard
nat, pour pénaliser davantage la
junte. Lors du sommet entre
l’Asean et les Etats­Unis, à Phnom
Penh, samedi, le président Joe Bi­
den a voulu marquer par sa pré­
sence le retour de Washington
comme un partenaire qui compte
dans la région, face à la Chine,
après quatre années de chaise
vide de la part de son prédéces­
seur, Donald Trump.
M. Biden y a promu l’outil ima­
giné comme pendant aux « nou­
velles routes de la soie » chinoi­
ses : l’Indo­Pacific Economic Fra­
mework for Prosperity (Cadre éco­
nomique pour la prospérité en
Indo­Pacifique), annoncé en mai à
Tokyo lors de son premier dépla­
cement en Asie. Sept pays d’Asie
du Sud­Est (Brunei, Indonésie,
Malaisie, Philippines, Singapour,
Thaïlande et Vietnam), sur les dix
membres de l’Asean, l’ont pour
l’instant rejoint. Les négociations
formelles de cette initiative, qui
regroupe 14 pays, doivent débuter
en décembre, en Australie. p
brice pedroletti

8 | international
Vives tensions entre la Turquie et la Grèce
Le basculement des Etats­Unis en faveur de la Grèce aggrave le contentieux entre les deux pays
athènes, istanbul ­
correspondants
I
l y a les invectives, une
grande nervosité, des plaies
historiques et rien pour cal­
mer la tension croissante.
Pas un jour, ou presque, ne se
passe sans des échanges de coups
bas entre la Turquie et la Grèce, re­
pris par les chaînes d’information
des deux pays où experts mili­
taires et diplomatiques débattent
en boucle des risques de conflit. Le
président turc, Recep Tayyip
Erdogan, est connu pour ses sor­
ties abruptes et ses attaques
musclées. Ses cibles sont nom­
breuses et aléatoires, mais elles
semblent se concentrer ces der­
niers mois avec une rigueur toute
particulière sur le gouvernement
grec et son premier ministre,
Kyriakos Mitsotakis.
« Pour moi, une personne du nom
de Mitsotakis n’existe plus à partir
de maintenant », a ainsi asséné
l’homme fort d’Ankara, fin mai.
« Je n’accepterai jamais de le re­
voir », a­t­il promis, avant de quali­
fier son homologue de « malhon­
nête ». A Prague, le 6 octobre, à la
veille d’un sommet européen in­
formel, le premier ministre grec a
quitté le dîner officiel pendant le
discours du président turc. Ce der­
nier a alors menacé la Grèce en re­
prenant une vieille chanson de
Rüstü Sardag : « Je peux venir sou­
dainement une nuit. » Des paroles
largement diffusées sur les ondes
radiophoniques turques au mo­
ment de l’intervention militaire à
Chypre en 1974.
Ces échanges verbaux sont ac­
compagnés de bruits de bottes et
de manœuvres militaires. Jamais
le rythme des patrouilles turques
survolant le territoire grec n’avait
atteint ce niveau d’intensité. Selon
le ministère de la défense à Athè­
nes, entre janvier et octobre,
8 880 violations de l’espace aérien
grec par des avions et drones turcs
ont été enregistrées, contre 2 744
en 2021, et à peine quelques centai­
nes les années précédentes.
« Quand autant d’avions de chasse
survolent une zone si restreinte, la
possibilité d’un accident est bien
réelle », avertit Periklis Zorzovilis,
président de l’Institut grec des
analyses en défense et sécurité.
Sur le terrain, des chars alle­
mands – en remplacement de
ceux envoyés par la Grèce en
Ukraine –, ont été alignés à la fron­
tière gréco­turque. Des deux côtés
du fleuve frontière Evros, l’état
d’alerte est quasi permanent. Une
atmosphère bien éloignée de celle
L’attentat d’Istanbul attribué au PKK par les autorités turques
Une vingtaine de personnes liées au Parti des travailleurs du Kurdistan ont été arrêtées. Parmi elles, une femme accusée d’avoir posé la bombe
istanbul ­ correspondant
C e dimanche 13 novembre
avait l’allure d’une journée
presque ordinaire à Is­
tanbul. L’avenue Istiklal, l’artère
piétonne la plus fréquentée de la
ville, était noire de monde et le so­
leil se donnait des airs d’été indien.
Lorsque retentit le bruit d’une ex­
plosion, à 16 h 20, en plein milieu
du passage, à l’intersection de la
petite rue Imam­Adnan, entre le
magasin de vêtements Mango et
le glacier Mado.
La déflagration, entendue à des
centaines de mètres de distance, a
été suivie par une nuée de sirènes
de police et d’ambulances. En
quelques minutes, les rues adja­
centes étaient barrées par un dé­
ploiement de policiers sur les
dents. Chacun, dans les environs,
est en proie au choc. Ici, des touris­
tes russes stupéfaits ; là, un vieux
patron de café, les mains sur la
Déploiement grec de véhicules blindés sur une île de la mer Egée, le 18 septembre. MINISTÈRE TURC DE LA DÉFENSE/ANADOLU AGENCY VIA AFP
de la période de détente observée
entre la Turquie et la Grèce jus­
qu’en mars, quand MM. Mitsota­
kis et Erdogan avaient déjeuné
sous les ors du palais du sultan
ottoman Vahdettin, à Istanbul, se
promettant alors de coopérer
davantage dans le cadre de la
guerre en Ukraine.
« Point de non-retour »
Depuis, le climat s’est considéra­
blement détérioré. Il n’est pas aisé
de définir tous les ressorts de
l’hostilité gréco­turque tant l’his­
toire des deux pays est conflic­
tuelle, mais aussi source de crispa­
tions identitaires, surtout à la
veille d’une année électorale à ve­
nir dans les deux territoires. La
rupture actuelle, quant à elle, re­
monte au mois de mai, lorsque
Kyriakos Mitsotakis a mis en
garde, à Washington, les membres
du Sénat et de la Chambre des re­
présentants contre la fourniture
d’armes américaines à la Turquie,
sans la nommer expressément.
« La dernière chose dont l’OTAN a
besoin ces jours­ci, alors que notre
objectif doit être d’aider l’Ukraine à
vaincre l’agression de la Russie, est
une autre source d’instabilité sur le
flanc sud­est, a déclaré le premier
tête, se rappelant les vagues d’at­
tentats précédentes et leurs effets
désastreux sur sa clientèle. Au
coin de la rue Bekar, un ambulan­
cier qui ne dira pas son nom lâche
d’une voix blanche qu’il y a « des
morts, beaucoup, des blessés aussi,
nombreux… » Et d’ajouter, sur un
ton nettement plus rageur : « C’est
un kamikaze, un terroriste, la ter­
reur, vous comprenez ? »
Pendant une bonne heure, les
rumeurs n’ont cessé de circuler
sur les réseaux sociaux, avant que
l’accès à Internet ne soit réduit.
Des images sanglantes aussi, pri­
ses d’une fenêtre en hauteur, juste
au­dessus du lieu de l’explosion,
effacées peu de temps après leur
mise en ligne. Plusieurs messages
affirment que c’est une femme
qui aurait été à l’origine de l’atta­
que. Une femme voilée de noir et
portant un pantalon militaire, se­
lon un tweet de la chaîne Oda TV,
connue pour sa proximité avec les
ministre, avant d’ajouter : Et je
vous demande de garder cela à l’es­
prit lorsque vous prenez des déci­
sions concernant les livraisons
d’armes liées à la Méditerranée
orientale. » Des propos considérés
comme « un point de non­retour »,
selon Erdogan lui­même.
L’achat de chasseurs F­35 améri­
cains est un dossier sensible pour
Ankara, qui cherche à moderniser
sa flotte obsolète. Washington
avait exclu la Turquie de ce pro­
gramme militaire de pointe après
qu’elle a acquis, en 2019, des missi­
les de défense antiaérienne russes
S­400. C’est à partir de cette pé­
riode qu’a été observé un bascule­
ment stratégique des Etats­Unis
vers la Grèce, partenaire jugé plus
fiable et moins ambivalent que la
Turquie d’Erdogan. Depuis 2019,
Athènes a dépensé 10,3 milliards
d’euros en équipement militaire
pour faire face à ce que les observa­
teurs grecs appellent la « menace
turque ». En 2020, outre l’achat à la
France de 24 avions Rafale, la Grèce
a mis à niveau 84 de ses F­16, de­
mandé à rejoindre le programme
américain des avions F­35, et ins­
tallé le système israélien de dé­
fense aérienne Dôme de fer au­
dessus des îles de la mer Egée
Lundi, la police
stambouliote
affirmait que
la bombe avait
été placée par
une Syrienne
milieux policiers. Longtemps, il
n’a été question que d’une dizaine
de blessés. Peu avant 18 heures, la
préfecture annonce quatre morts
et 38 blessés. Un chiffre rapide­
ment corrigé à six morts et
81 blessés, en partie repris par le
président Recep Tayyip Erdogan
dans une allocution télévisée de
quelques minutes. Il y dénonce
une « attaque à la bombe », « un at­
tentat lâche », assurant que « les
attentats terroristes n’ont jamais
réussi, ni par le passé ni par le pré­
sent, à soumettre notre peuple ».
orientale, proches des côtes tur­
ques. Athènes a signé un contrat
de formation de pilotes avec Israël
et un accord de défense avec les
Etats­Unis qui augmente la pré­
sence américaine en Grèce. Le Pen­
tagone peut, en plus de la base de
l’OTAN à Souda, en Crète, utiliser la
base d’Alexandroupoli, située à la
frontière gréco­turque, à l’entrée
de l’Europe orientale.
Pour la Grèce, cette course à l’ar­
mement est nécessaire, avance
Periklis Zorzovilis, après une dé­
cennie de crise économique du­
rant laquelle les équipements
n’avaient pas été renouvelés, mais
elle constitue aussi « une assu­
rance de survie » face à son voisin.
« La remise à niveau des Grecs du
point de vue militaire et leur rap­
prochement avec Washington ont
rendu les Turcs fous », admet Doro­
thée Schmid, directrice du pro­
gramme sur la Turquie et le
Moyen­Orient à l’Institut français
des relations internationales.
Côté turc, le pouvoir a révisé ses
cartes et son argumentaire. Des
doctrines comme la « Mavi Va­
tan » (« Patrie bleue »), revendi­
quant la souveraineté d’Ankara
sur une zone de 462 000 km2
autour de ses côtes, ont progressi­
Quelques minutes auparavant, le
vice­président Fuat Oktay préci­
sait de son côté que les forces de
police travaillaient sur « un acte
terroriste perpétré vraisemblable­
ment par une femme ».
Plus tard, lundi en pleine nuit, le
ministre de l’intérieur turc, Suley­
man Soylu, a directement accusé
le Parti des travailleurs du Kurdis­
tan (PKK) d’être à l’origine de l’at­
tentat. Il a annoncé l’arrestation
de 21 suspects, parmi lesquels la
personne qui aurait placé la
bombe. « Nous estimons que l’or­
dre de l’attentat a été donné de Ko­
bané », a­t­il tenu à ajouter. La ville
est célèbre pour la bataille qui s’y
est déroulée et a permis aux for­
ces kurdes de repousser, en 2015,
le groupe Etat islamique (EI). Elle
est contrôlée par les Forces démo­
cratiques syriennes (FDS), dont les
Unités de protection du peuple
(YPG), alliées au PKK, sont une
composante majeure. Dans la ma­
vement surgi dans le discours pu­
blic après être restées longtemps
confidentielles. Cette vision est
portée par des amiraux désormais
à la retraite et proches du courant
appelé « euro­asiatique » qui mise
sur un rapport privilégié avec la
Russie et la Chine. Le 17 septembre,
Ankara condamne, cette fois­ci, la
décision de Washington de lever
l’embargo sur les armes qui frap­
pait la République de Chypre de­
puis 1987. Un coup de semonce
supplémentaire adressé à Erdo­
gan, pour qui la partie nord de l’île,
autoproclamée « république tur­
que de Chypre du Nord », est un
moyen d’affirmer la puissance
turque ainsi que sa diplomatie
contestataire.
Nouvelles frontières maritimes
A peine deux semaines plus tard
interviennent de nouvelles crispa­
tions : Ankara et le gouvernement
de Libye signent un « protocole
d’entente » pour la prospection
d’hydrocarbures. En 2019, un pre­
mier accord énergétique avait déjà
été conclu. Il dressait de nouvelles
frontières maritimes du sud­ouest
de la Turquie au nord­est de la
Libye, à travers une zone revendi­
quée par la Grèce et Chypre.
tinée, la police d’Istanbul affir­
mait que la bombe avait bien été
posée par une femme et qu’elle
était de nationalité syrienne. Se­
lon le communiqué, elle a re­
connu avoir agi sur ordre du PKK.
Depuis, les images de son arresta­
tion se sont multipliées sur le Net.
Vague meurtrière en 2015-2016
L’explosion d’Istiklal survient plus
de six ans après une vague d’atten­
tats qui avait secoué la mégapole
du Bosphore, précédée par une
autre vague meurtrière en no­
vembre 2003. Cette dernière avait
été perpétrée par des groupuscu­
les islamistes turcs liés à l’époque à
Al­Qaida. A chaque fois, l’avenue
emblématique d’Istanbul a été
prise pour cible au moins une fois.
En mars 2016, l’EI avait revendiqué
une attaque­suicide à une cen­
taine de mètres à peine de celle de
dimanche, un peu plus en contre­
bas de l’artère. Le bilan s’était
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
Depuis 2019,
Athènes a
dépensé
10,3 milliards
d’euros en
équipement
militaire face à la
« menace turque »
Ankara, qui n’est pas signataire de
la Convention des Nations unies
sur le droit de la mer, conteste que
certaines îles grecques disposent
de zones économiques exclusives.
Ce point est une source de dis­
corde d’autant plus vive que la Mé­
diterranée orientale est riche en
hydrocarbures.
Pour les analystes, les tensions
ne vont pas s’apaiser jusqu’aux
élections en Turquie et en Grèce,
prévues au printemps ou à l’été
prochain. D’autant que l’année
2023 est aussi une date anniver­
saire cruciale, celle du centenaire
du traité de Lausanne qui a défini
les frontières entre les deux pays.
Un traité remis en question par Er­
dogan qui, au risque de réveiller les
démons de l’histoire, se plaît à évo­
quer les « frontières du cœur » de la
Turquie, incluant notamment des
îles grecques, « si proches que l’on
peut entendre vos voix lorsque vous
criez dans notre direction ».
« Nous n’allons pas entrer dans
un échange de déclarations sans
fin », a lancé M. Mitsotakis début
novembre avant d’ajouter, en réfé­
rence à la crise financière turque :
« Si la Grèce avait plus de 85 % d’in­
flation, je voudrais sans doute moi
aussi sans cesse changer de discus­
sion. » Le leader conservateur est,
lui aussi, fragilisé depuis l’été par
un scandale de mise sur écoute de
plusieurs journalistes, d’oppo­
sants politiques et de membres de
son propre gouvernement. « Du
côté d’Erdogan, il y a la volonté de
donner des gages aux nationalistes
et, du côté de Mitsotakis, celle de
rassurer la population grecque,
surtout celle qui vit près de la fron­
tière ou sur les îles », note Dorothée
Schmid. « La solution, s’interroge
la spécialiste, serait peut­être, pour
les deux pays, d’aller au Tribunal
[d’arbitrage international] de
La Haye [aux Pays­Bas] pour régler
leurs différends, mais le coût politi­
que pourrait être trop grand pour
Athènes si des concessions devai­
ent être faites. » p
nicolas bourcier
et marina rafenberg
s’élevé, ce jour­là, à quatre morts et
une quarantaine de blessés, dont
12 étrangers. La série d’atten­
tats qui s’est déroulée en 2015 et
2016, attribuée à l’EI et à des mili­
tants kurdes, ainsi que la tentative
de coup d’Etat du 15 juillet 2016
avaient fait chuter la fréquenta­
tion touristique de plus de 30 %,
selon les chiffres officiels.
Quelques heures avant l’an­
nonce du ministre de l’intérieur, le
Conseil supérieur de la radio­télé­
vision de Turquie (RTUK) avait an­
noncé l’interdiction aux médias
audiovisuels de diffuser des ima­
ges de la scène. Venu sur les lieux
de l’explosion, le maire d’Istanbul,
Ekrem Imamoglu, une des figures
de l’opposition, a fait part lui aussi
de sa consternation. Avec le ton
conciliateur et apaisant qui le ca­
ractérise, il a affirmé : « Tous en­
semble, nous dépasserons ces mo­
ments difficiles. » p
n. bo.

Julien Villeret :
« Expérimenter
la sobriété,
c’est l’adopter. »
Entre progrès technologiques et
réinvention de nos usages ou de nos
modèles économiques, la sobriété
est indissociable de l’innovation.
Julien Villeret, Chief Innovation
Officer du groupe EDF, revient sur
les solutions les plus prometteuses
pour un monde plus sobre.
Quelle est votre définition de la sobriété ?
Il faut d’abord distinguer l’efficacité énergétique de la
sobriété. L’efficacité énergétique consiste à consommer
moins pour un usage qui ne change pas. Cela concerne
principalement l’amélioration des technologies, à
travers un électroménager moins gourmand en eau ou
électricité, ou bien de nouveaux trains moins consom-
mateurs d’énergie, par exemple. Dans le domaine de
l’éclairage, l’introduction de la LED (Light Emitting
Diode) a été une transformation rapide dans le sens de
l’efficacité énergétique qui fut sans impact pour l’utili-
sateur, alors qu’elle a pourtant bouleversé les chaînes
d’approvisionnement d’ampoules.
La sobriété va un
« Chez EDF, cran au-delà, car
elle oblige à repen-
nous pensons qu’il est ser les besoins, à la
fois par rapport
possible de concilier aux usages et par
sobriété et bien-être. » rapport aux limites
de la planète. Il
s’agit de repenser
sa consommation, de réduire sa consommation, et éven-
tuellement de refuser une partie de sa consommation.
La sobriété se situe au croisement de deux dimensions :
le vouloir et le faire. C’est à la fois réfléchir à notre
façon de vivre et agir concrètement pour réduire ou
changer nos manières de consommer. Chez EDF, nous
pensons qu’il est possible de concilier sobriété et bien-être.
Nous prônons une sobriété choisie.
Quelle est la place de la technologie et de
l’innovation dans cette sobriété, que l’on
décrit parfois comme un renoncement ?
On confond facilement innovation et technologie. C’est
une distinction pourtant importante parce que l’aspect
technologique est insuffisant pour changer nos manières
d’agir, qui sont au cœur de l’idée de sobriété. La technologie
ne résout pas la question du modèle économique, par
exemple. À ce titre, les principes de l’économie circulaire
permettent de vrais changements de modèles, vers plus
de sobriété. L’innovation dans les environnements
réglementaires est également très importante. Certaines
évolutions des textes peuvent contribuer à des économies
de matière et d’énergie à très grande échelle. Je pense à
l’exemple récent de l’Union européenne, qui a imposé à
tous les fabricants de smartphones la connectique
USB-C pour les chargeurs(1). C’est une façon de contri-
buer à une forme de sobriété. Enfin, l’innovation vers
https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20220930IPR41928/chargeur-universel-pour-les-appareils-portables-une-realite-en-2024 (2) https://www.enerbrain.com/fr/portfolio/carrefour/ - https://www.enerbrain.com/fr/portfolio/michelin/
(1)
(3)
https://particulier.edf.fr/fr/accueil/electricite-gaz/choisir-edf/appli-edf-et-moi.html (4) La démarche design permet de concevoir des expériences utilisateur adaptées à un double impératif : connaître l’utilisateur pour lui proposer les meilleures décisions basées sur des données réelles,
et, en même temps, ne pas entrer dans une logique intrusive.
plus de sobriété passe par la relation avec l’utilisateur,
ce que l’on appelle aussi expérience utilisateur. Il est
important de limiter la complexité qui freine les actions
vertueuses tout en luttant contre une forme de mécon-
naissance de ce qu’est la sobriété. C’est pourquoi la
pédagogie est au cœur du sujet, et avec elle la mise à
disposition des outils pour agir concrètement.
L’innovation est alors à la fois technologique et d’usage.
Avez-vous des exemples marquants d’inno-
vations orientées vers l’idéal de sobriété ?
Dans le domaine industriel, EDF a investi dans la
société italienne Enerbrain, qui opère dans toute l’Europe.
Grâce à des capteurs, elle donne aux industriels une
information en temps réel sur l’énergie consommée et le
CO2 émis par leurs opérations. Ils peuvent ensuite réali-
ser d’importantes économies en jouant automatiquement
sur le renouvellement d’air, sur le démarrage du chauf-
fage ou les climatisations(2). Ce sont des solutions qui
s’appuient sur l’intelligence artificielle et qui donnent
des résultats très concrets. Avec nos designers, nous
travaillons également à différentes manières de sensibi-
liser les clients à la sobriété sans saturer leur espace ou
leur cerveau. Il s’agit de développer des solutions qui
permettent très rapidement de comprendre, de visuali-
ser, et d’agir. Le fil conso, qui est déjà en place dans
l’application EDF&Moi(3) permet ainsi de voir très
simplement si la consommation d’électricité d’un foyer
est stable, en augmentation ou en baisse. Il est même
possible de se comparer avec son quartier ou avec des
foyers similaires. Cela s’inscrit dans une démarche de
nudge, qui va susciter chez l’individu une sobriété
volontaire.
Nous travaillons également sur des objets prospectifs.
Nous avons présenté au salon VivaTech un miroir qui
permet de visualiser de manière très simple la consom-
mation d’énergie et les émissions de CO2 d’un domicile.
Toujours dans une logique de sobriété, nous avons déve-
loppé une solution qui peut sembler anecdotique mais
dont l’efficacité est réelle. Il s’agit d’un petit thermo-
mètre en papier qui coûte une dizaine de centimes à
produire et qui a pour vocation d’aider les foyers en
situation de précarité énergétique à bien régler leur
chauffage. Il est très complexe de percevoir la température
qu’il fait dans une pièce sans thermomètre. C’est pourtant
un enjeu majeur, car un degré de chauffage en moins
représente environ 7 % d’économies.
PUBLICITÉ
©Julien Knaub
Quels sont les freins à l’adoption des solutions
de sobriété énergétique ?
Les freins sont les mêmes que pour l’innovation en
général. Le premier concerne la question de la complexité.
Les produits dont on ne comprend pas immédiatement
le fonctionnement ou l’utilité entraînent des taux
d’abandon très importants. Le rôle d’un énergéticien
comme EDF est de développer des outils qui masquent
la complexité. Le deuxième frein concerne l’acceptabi-
lité humaine. Ce que l’on propose doit être acceptable
en termes de confort, car nous avons tous le réflexe
naturel de ne pas nous mettre dans une situation difficile
ou inconfortable. Nos solutions doivent également être
acceptables sur le plan de la surveillance et du contrôle.
La sobriété ne peut pas être vécue comme une forme de
liberté restreinte, sous surveillance. Encore une fois, le
design joue un rôle central pour garantir au client un
vrai contrôle sur ses actions(4). Le troisième frein est
peut-être le plus important : c’est le coût. On parle beau-
coup de la smart home, qui est promise à un
développement rapide mais dont le coût reste élevé. Or,
pour beaucoup de gens, dépenser quelques centaines
d’euros pour s’équiper de thermostats connectés ou de
prises qui s’éteignent automatiquement est impossible.
La sobriété doit être intégrée directement dans le
modèle économique des solutions. C’est le cas avec
EDF&Moi, qui est directement intégré au contrat
d’électricité et qui ne demande pas d’investissement du
client.
Comment envisagez-vous l’avenir de la
sobriété énergétique ?
Les avancées sociétales reposent souvent sur des
périodes de crise. La crise énergétique que l’on vit
aujourd’hui - avec la guerre en Ukraine ou l’urgence
climatique - nous pousse à une forme de sobriété. C’est
l’occasion d’ancrer une prise de conscience sur la nécessité
de protéger nos ressources, tout simplement. Et je pense
qu’expérimenter la sobriété, c’est l’adopter. Découvrir
que l’on peut vivre aussi bien tout en consommant
moins est assez transformateur. Pendant la crise du
COVID-19, l’industrie de la confection et la fast-fashion
par exemple, ont souffert de la découverte que l’on
pouvait rester beaux et élégants en achetant moins de
vêtements ! Quand on aura découvert que c’est la même
chose avec l’énergie, l’effet sera durable.
L’énergie est notre avenir, économisons-la !
 PLANÈTE
0123
10 | MARDI 15 NOVEMBRE 2022

Le commerce, menace pour la biodiversité
Lundi, 184 Etats se réunissent pour réguler les transactions de nouvelles espèces sauvages surexploitées

R
equin nez blanc, requin
nez noir, bois de rose,
bois de Pernambouc, Aux Bahamas.
BERNARD RADVANER/
concombre de mer, bul­
FANCY/PHOTONONSTOP
bul à tête jaune, tortue­boîte à
front jaune, rhinocéros blanc…
Ces espèces sauvages, comme
tant d’autres, sont prélevées dans
la nature et vendues pour leur
viande, leur aileron, leur ivoire,
pour fabriquer des meubles ou
des instruments de musique, ser­
vir d’animaux de compagnie ou
enrichir une collection.
Pour faire en sorte que ces tran­
sactions ne menacent pas leur
survie, la Convention sur le com­
merce international des espè­
ces de faune et de flore sauvages
menacées d’extinction (Cites) se
réunit au Panama, à compter du
lundi 14 novembre, à l’occasion de
sa 19e conférence des parties
(COP19), à quelques semaines
seulement de l’ouverture de la
COP15 pour la biodiversité, pré­
vue en décembre au Canada.
« La deuxième cause de perte de
biodiversité est la surexploitation
des espèces : cela inclut le com­
merce légal, qui doit donc être ré­
gulé, et le commerce illégal, expli­
que Ivonne Higuero, la secrétaire
générale de la Cites. Nous avons
besoin de faire du commerce, car
cela fournit des emplois, de la
nourriture et des revenus à des po­
pulations. Mais nous sommes à la
croisée des chemins : soit nous
avons une vision de court terme et
nous regardons ce qui nous rap­
porte de l’argent aujourd’hui, soit
nous faisons en sorte que la biodi­
versité continue à exister dans plu­ ses trois « annexes » quelque qu’au début des années 2000, Pour le Fonds international A l’occasion de l’ouverture de la
sieurs générations. » 38 000 espèces – dont une très
Plus d’un tiers aucune espèce ne figurait sur les pour la protection des animaux, COP19, le comité français de
grande majorité de végétaux – en des espèces listes de la convention, celle­ci es­ ces propositions « historiques » l’UICN appelle, dans un rapport
52 propositions d’inscription mauvais état de conservation et timant qu’il revenait aux organi­ pourraient offrir un nouvel élan à dévoilé lundi, à « mettre en œuvre
Dans un rapport publié en juillet, pour lesquelles le commerce re­
de requins, sations régionales de pêche de ré­ la conservation. « L’Union euro­ des solutions concrètes et opéra­
la Plate­forme intergouverne­ présente un facteur de menace. essentiels pour guler les stocks. Mais plus d’un péenne [UE] porte une responsabi­ tionnelles » pour lutter contre le
mentale scientifique et politique Une inscription sur l’annexe 1, la tiers des espèces de ce grand pois­ lité importante sur ce sujet, car elle trafic d’espèces sauvages, et à le
sur la biodiversité et les services plus protectrice, interdit toute
les écosystèmes, son, essentiel pour les écosystè­ est un exportateur majeur de considérer comme une infraction
écosystémiques rappelle que le transaction à des fins commercia­ sont menacées mes, sont menacées d’extinction. viande de requin vers l’Asie », pré­ grave. « La France est proactive et
commerce mondial de la flore et les. Pour les espèces de l’annexe 2, Pour la première fois, une large cise Ilaria Di Silvestre, responsa­ allante pour défendre les enjeux de
de la faune s’est considérablement les importations et exportations
d’extinction coalition d’Etats sud­américains, ble politique et campagnes UE au protection au niveau internatio­
développé au cours des quarante continuent à être autorisées, mais asiatiques, africains ainsi que sein de l’organisation. nal, mais les efforts sur notre terri­
dernières années. Des centaines elles sont encadrées par des systè­ l’Union européenne (UE) appel­ toire ne sont pas du tout à la hau­
de millions de spécimens vivants mes de permis et de quotas. Enfin, celle du transfert d’éléphants lent à réguler le commerce de l’en­ Rehausser les sanctions teur, insiste Florian Kirchner. Il y a
ou de produits dérivés sont échan­ l’annexe 3 prohibe le commerce d’Afrique ou de rhinocéros blancs semble des espèces de requins­re­ A la fois marché et zone de transit, de tels volumes de produits illé­
gés chaque année, sur un marché en provenance d’une destination vivants devraient encore faire l’ob­ quiem, principale famille de re­ l’UE est, en effet, un acteur central gaux qui transitent chaque jour à
pesant plusieurs milliards d’euros. en particulier, par exemple pour jet de vifs débats, différents grou­ quins commercialisés. Classées en dans le commerce légal mais Roissy que les douaniers n’ont plus
« En l’absence de réglementations une espèce endémique. « Cette pes d’Etats ayant des positions op­ danger ou en danger critique d’ex­ aussi illégal d’espèces sauvages. les moyens de se concentrer sur les
efficaces sur l’ensemble de la chaîne convention a une certaine force, et posées sur ces sujets. De très nom­ tinction, elles sont, aujourd’hui La France, en particulier, est l’un espèces classées à la Cites ! »
d’approvisionnement, ce commer­ les Etats s’astreignent à respecter breuses propositions portent éga­ encore, chassées pour leur viande des principaux pays importateurs L’UICN met en avant une série de
ce augmente généralement la pres­ ses décisions », assure Florian Kir­ lement, cette année, sur les et surtout pour leurs ailerons. de produits destinés au marché recommandations, telles que re­
sion sur les espèces, conduisant à chner, chargé du programme es­ reptiles (tortues, serpents, lézards, Deux autres propositions visent à européen et l’un des principaux hausser les sanctions des délits liés
une utilisation non durable et par­ pèces au sein du comité français geckos, crocodiles…), sur les am­ inscrire aussi sur l’annexe 2 toutes points de sortie pour les exporta­ à ce trafic, aujourd’hui beaucoup
fois à l’effondrement de popula­ de l’Union internationale pour la phibiens ou encore sur les arbres, les espèces de requins­marteaux tions vers des pays tiers. Le com­ moins lourdes que celles visant le
tions », soulignent les experts. conservation de la nature (UICN). quatre groupes d’arbres d’Améri­ tiburo et de raies­guitares, cousi­ merce illégal, au menu des discus­ trafic de stupéfiants ; soutenir les
Pour mieux réguler ces échan­ Au cours de cette COP19, 52 pro­ que latine et trois d’Afrique étant nes des requins. « En trois généra­ sions qui auront lieu au Panama, structures d’accueil des animaux
ges, la Cites, entrée en vigueur positions d’inscription sur les an­ candidats à une inscription. tions, certaines populations de re­ est considéré comme le troisième saisis ou confisqués ; mieux coor­
en 1975 et ratifiée par 184 Etats et nexes seront discutées. La ques­ Surtout, la protection des re­ quins ont connu des déclins de plus plus lucratif au monde, derrière le donner l’action territoriale ; aug­
organisations, a déjà inscrit sur tion du commerce de l’ivoire et quins sera un enjeu majeur. Jus­ de 70 % », rappelle Ivonne Higuero. trafic de drogue et d’armes. menter les effectifs des services de
contrôle tels que ceux des doua­
nes chargées des contrôles dans
L’interdiction des échanges d’ivoire divise les Etats africains les aéroports ; ou responsabiliser
davantage les consommateurs.
Au niveau européen, la Commis­
qui remportera le combat que les Lieberman, vice­présidente de l’ONG tinction » pour l’éléphant des savanes Le commerce illégal de l’ivoire reste sion a également présenté, mer­
pays africains s’apprêtent une nouvelle Wildlife Conservation Society. (Loxodanta africana) de l’Afrique australe. prospère : « Le trafic d’ivoire continue à credi 9 novembre, la version révi­
fois à se livrer dans l’enceinte de la L’interdiction du commerce interna­ L’éléphant des forêts (Loxodata cyclotis), attirer les criminels car il rapporte beau­ sée de son plan d’action contre le
Convention sur le commerce inter­ tional des éléphants d’Afrique a été dont l’aire de répartition couvre le Sahel coup d’argent pour un risque minimum trafic d’espèces sauvages pour la
national des espèces menacées (Cites) adoptée par la Cites en 1989 avec l’ins­ et le bassin du Congo, est désormais comparé à celui des armes ou de la période 2022­2027. La publication
pour décider – ou non – de la reprise du cription de toutes les populations du classé « en danger critique d’extinction ». drogue. Rien dans les informations que de ce texte, qui prévoit des mesu­
commerce de l’ivoire ? continent à l’annexe I. En 1997, le Au total, il restait environ 420 000 élé­ nous obtenons lors des interrogatoires res visant à améliorer la lutte con­
Ceux d’Afrique australe (Zimbabwe, Botswana, la Namibie et le Zimbabwe phants en Afrique en 2016, selon l’UICN. que nous menons ou dans les téléphones tre la cybercriminalité, à réduire la
Namibie, Botswana et Afrique du Sud), ont obtenu que leurs populations soient Les pays d’Afrique australe – qui héber­ et les ordinateurs que nous saisissons demande ou encore à étudier la
qui réclament de pouvoir vendre leurs transférées à l’annexe II, qui autorise les gent à eux seuls 60 % des pachydermes permet de dire que le trafic serait possibilité d’instaurer une liste
stocks pour financer leurs politiques de ventes sous certaines conditions. L’Afri­ restants – contestent cette réalité : nos aujourd’hui plus difficile », constate Ofir des animaux de compagnie exoti­
conservation, ou la trentaine de pays de que du Sud les a rejoints en 2000. La populations sont « en sécurité et en ex­ Drori, le directeur du réseau EAGLE (Eco ques autorisés au sein de l’UE, a
la Coalition pour l’éléphant d’Afrique, Cites a accepté de procéder à la vente de pansion », écrivent­ils dans leur requête. Activists for Governance & Law Enforce­ été largement saluée par les ONG.
qui demandent au contraire de ren­ stocks d’ivoire à deux reprises : en 1999, Les actions engagées par les gouverne­ ment). Dans les territoires du Sahel « Ce nouveau plan d’action repré­
forcer la protection du plus grand pour 50 tonnes au Japon, et en 2008, ments pour lutter contre le commerce soustraits à l’autorité des Etats, les ban­ sente une excellente occasion pour
mammifère terrestre en imposant la pour 102 tonnes au Japon et à la Chine. illégal et la fermeture des marchés do­ des organisées opèrent en toute impu­ l’UE de réaffirmer son engagement
plus stricte interdiction de commerce à mestiques dans les grands pays consom­ nité. « Ils braconnent ici et vont blanchir à lutter contre le trafic lors de cette
tous les Etats du continent ? Un trafic qui « rapporte beaucoup » mateurs d’ivoire comme la Chine ont ailleurs », explique Dieudonné Ya­ conférence internationale cruciale,
« C’est une guerre de tranchées », ob­ L’impact de ces ventes sur la reprise du permis de réduire la pression du bracon­ meogo, directeur de la faune au minis­ et nous appelons maintenant le
serve un cadre du secrétariat de la Cites, braconnage constitue le plus fort point nage. Les données de la Cites montrent tère burkinabé de l’environnement. Conseil et le Parlement européens
en anticipant de durs affrontements de divergence entre les deux camps. un net retournement de tendance à par­ Le Burkina Faso demande la réinscrip­ à l’approuver fermement, a réagi
lors de la conférence qui s’ouvre, lundi Quand les premiers récusent toute corré­ tir de 2016. Elles méritent cependant tion des pachydermes d’Afrique australe Audrey Chambaudet, du bureau
14 novembre, à Panama. lation, les seconds mettent en avant les d’être interprétés avec précaution. à l’annexe I. La probabilité qu’il soit suivi européen du Fonds mondial pour
« Les pays d’Afrique australe doivent estimations record – de l’ordre de « Beaucoup de paramètres peuvent in­ est mince car les pays visés auraient le la nature. Les positions qu’ils adop­
comprendre que le commerce légal de 30 000 – d’éléphants tués jusqu’au mi­ fluencer les résultats comme la probabi­ droit d’émettre une « réserve » pour ne teront, en particulier sur les ni­
l’ivoire, c’est terminé. Les populations lieu de la décennie 2010. En 2021, la liste lité de détecter les carcasses selon les pas appliquer la décision. Ouvrant un veaux de sanctions, refléteront à
d’éléphants commencent à peine à se ré­ rouge de l’Union internationale pour la milieux ou la transmission des données vide juridique qui pourrait « être catas­ quel point ils prennent au sérieux
tablir dans certaines régions du conti­ conservation de la nature (UICN) a fait par les gouvernements », met en garde trophique pour les éléphants », affirme la lutte contre la criminalité
nent. Nous n’allons pas prendre le risque passer l’éléphant d’Afrique du statut de Stéphane Ringuet du Fonds mondial Sue Lieberman. p environnementale. » p
de les perdre de nouveau », tranche Sue « vulnérable » à celui de « en danger d’ex­ pour la nature (WWF). laurence caramel perrine mouterde

12 | planète
Comment la
Chine protège ses
zones humides
Pékin s’enorgueillit d’avoir créé
ou restauré 800 000 hectares
de ces espaces riches en espèces
REPORTAGE
wuhan (chine) ­ envoyé spécial
D
epuis juillet, les em­
ployés de la réserve
naturelle du lac Chen,
à 90 kilomètres au
sud­ouest de Wuhan, dans la pro­
vince du Hubei (Chine), n’ont plus
vraiment besoin de jumelles pour
observer les milliers d’oiseaux
migrateurs qui, chaque automne,
viennent de Russie et font une
pause sur le chemin de l’Australie.
Grâce à des dizaines de caméras et
de micros installés dans cette
zone humide protégée, les geeks
de leur équipe leur permettent de
tout contrôler à distance.
Dans leurs bureaux, les agents
du parc disposent d’une immense
baie vitrée avec une vue imprena­
ble sur les 11 579 hectares de zones
humides protégées qui s’étendent
à leurs pieds. Mais c’est désormais
sur des écrans de contrôle qu’ils
étudient ce qui se passe dans ce
delta formé par la confluence du
fleuve Yangtsé et de la rivière Han.
Un paysage de marais, d’étangs et
de prairies qui s’étend à perte de
vue et où ont été recensées 561 es­
pèces d’animaux, dont 227 espè­
ces d’oiseaux et 56 de poissons.
Championne des « smart cities »,
les villes intelligentes, la Chine se
lance dans la « smart nature ». Rien
n’échappe à ces ornithologues 2.0.
Le niveau et la qualité de l’eau, des
sols, de l’air, la température mais
aussi le nombre de volatiles par
espèce et leur position. Il suffit de
zoomer sur l’un d’eux pour qu’ap­
paraissent ses caractéristiques. Et
de brancher le micro pour avoir le
sentiment que la spatule blanche,
le cormoran ou le bécasseau de
l’Anadyr sont à vos côtés.
Mieux, comme les caméras ob­
servent aussi les touristes, les orni­
thologues peuvent leur dire en
temps réel où ils sont autorisés à
se déplacer, en fonction de la timi­
dité des espèces. « La priorité, c’est
l’oiseau. Pas le touriste », explique
Wen Zhuo, une des responsables
de la réserve. « A cette échelle, je
pense qu’il n’y a pas de système plus
Les discussions autour de l’exploitation des fonds marins se tendent
Plusieurs Etats s’interrogent sur le bien­fondé d’aller puiser des ressources minières situées dans les grandes profondeurs, en haute mer
L e conseil de l’Autorité inter­
nationale des fonds marins
(AIFM) a conclu, vendredi
11 novembre, en Jamaïque, sa
troisième réunion de l’année.
Selon cette instance, c’est le signe
que les travaux en vue d’établir un
règlement fixant les conditions
de l’exploitation commerciale des
ressources minérales dans les
grandes profondeurs, en haute
mer, s’intensifient. Une nouvelle
session est, en principe, prévue
en mars 2023. Mais au cours
des dix jours de discussion de
cette 27e session, le doute et la
division semblent s’être immis­
cés parmi les 168 Etats­membres,
selon les ONG qui suivent l’avan­
cée d’un code minier censé abou­
tir d’ici à la fin de 2023.
Nombre de participants s’inter­
rogent ainsi sur le fait de savoir s’il
est bien raisonnable d’aller ex­
traire des sulfures et nodules po­
lymétalliques, ainsi que les en­
croûtements cobaltifères du plan­
perfectionné dans le monde », es­
time Jim Harkness, un Américain
spécialisé dans les programmes
de préservation de la biodiversité
à la National Geographic Society.
Ce logiciel n’est que la dernière
étape de la transformation pro­
gressive de ce vaste marais, qui
n’a longtemps intéressé que les
pêcheurs, en une « zone humide
d’importance internationale »,
fleuron de la « civilisation écologi­
que » que prône le président chi­
nois, Xi Jinping. Depuis 2019, le
nombre d’oiseaux migrateurs y
serait passé chaque automne de
30 000 à 85 000, avec la présence
d’espèces rares comme le pélican
dalmatien ou l’oie bernache.
« Ville éponge » écologique
Pendant que les responsables de la
réserve la font visiter à des partici­
pants de la 14e conférence des par­
ties à la convention de Ramsar sur
la protection des zones humides,
qui se tient du 5 au 13 novembre à
Wuhan (et à Genève par vidéo),
d’autres conférenciers arpentent
les rives du Yangtsé dans Wuhan.
Dans le quartier de Qingshan,
plus de 7 kilomètres de quais na­
guère destinés au transbordement
du sable et de matériaux pour une
aciérie voisine ont été reconvertis
en « ville éponge » écologique. Sols
perméables, espaces de loisirs, pis­
tes cyclables, plantation d’arbres,
aménagement d’une digue pour
protéger cet espace de son envi­
ronnement urbain… Wuhan, mé­
gapole de 11 millions d’habitants, a
consacré 300 millions d’euros à
cet aménagement qui intègre le
Yangtsé à la ville tout en la proté­
geant des crues. Le week­end, des
milliers de familles s’y croisent.
Dans la réserve
du lac Chen,
561 espèces
ont été
recensées, dont
227 d’oiseaux
cher océanique, à plusieurs mil­
liers de mètres sous la surface, de
perturber des écosystèmes large­
ment inconnus et qui subiraient
des dommages irréversibles pour
répondre aux besoins technologi­
ques des humains ? « Il est évident
que l’exploitation minière aura,
dans une certaine mesure, des
conséquences sur l’environnement
marin, en particulier près des acti­
vités minières », reconnaît Michael
Lodge, secrétaire général de
l’AIFM, sur le site de l’organisation.
Il cite la « destruction d’organismes
vivants, la disparition de l’habitat
et la formation de panaches sédi­
mentaires », auxquels s’ajoutent
les conséquences de fuites hy­
drauliques, les atteintes au vivant
générées par le bruit et la lumière.
Cependant la raison même de la
création de cette instance onu­
sienne en 1994 est précisément
d’encadrer et d’organiser la répar­
tition de permis d’exploration et
d’exploitation des fonds marins,
Cygnes et autres oiseaux sur le lac Huangpi, dans la province d’Anhui (Chine), le 13 novembre. GUO CHEN/XINHUA/MAXPPP
La politique zéro Covid rendant
tout déplacement aléatoire dans
le pays, les Chinois qui en ont les
moyens se précipitent depuis
deux ans sur du matériel de cam­
ping dernier cri et pique­niquent
dans les parcs urbains. Wuhan, la
ville aux 160 lacs, offre des possi­
bilités de loisirs infinies. L’amé­
nagement des rives du Yangtsé,
comme l’amélioration de la qua­
lité de ses eaux, participent de
cette réhabilitation des zones hu­
mides. Le renouveau du quartier
de Qingshan n’est qu’un début.
Trente kilomètres doivent être
aménagés d’ici à 2035.
Dans la réserve ornithologique
comme à Wuhan, ces transforma­
tions ne se sont pas faites sans
heurts. Abandon de la pisciculture
polluante et démolition de mai­
sons ouvrières ont créé des ten­
sions. Comme toujours, les autori­
tés ont usé d’un mélange d’autori­
tarisme et de subventions. Mais Xi
Jinping ayant fait de la « civilisa­
tion écologique » une des compo­
santes du « rêve chinois », les res­
ponsables locaux savent que leur
carrière dépend en partie de leurs
réalisations dans ce domaine.
« La Chine a fait de la biodiversité
et des zones humides un véritable
enjeu politique », témoigne un di­
plomate occidental, qui requiert
l’anonymat. Symboles de cet en­
gagement, la Chine préside la
COP14 de Wuhan mais aussi la
COP15 sur la biodiversité qui se
tiendra à Montréal en décembre.
Alors que de nombreux pays ne
en prenant en compte les intérêts
des pays les moins développés.
Son statut implique d’ailleurs que
son secrétariat puisse prélever
des redevances sur les licences
qu’il délivre afin de financer son
fonctionnement. Mais, en près de
trente ans, le contexte n’est plus le
même : l’intérêt de la société ci­
vile, des politiques et des médias
s’accroît sur ce dossier, au fur et à
mesure que les effets du change­
ment climatique et du déclin de la
biodiversité se manifestent.
Freiner la course aux abysses
Jusqu’à présent, la question de
l’exploitation des grands fonds
au­delà des eaux sous juridictions
nationales occupait essentielle­
ment juristes et diplomates dans
des négociations techniques.
Cette fois, plusieurs représentants
de gouvernements, comme ceux
de la Suisse, du Danemark, de la
Finlande, étaient exceptionnelle­
ment présents. Plusieurs pays ont
parviennent pas à protéger leurs
zones humides comme ils s’y
sont engagés au cours des précé­
dentes COP de la convention de
Ramsar, la Chine a « créé et res­
tauré » 800 000 hectares de zones
humides en dix ans, portant leur
superficie totale à 56,35 millions
d’hectares, soit environ 10 % des
zones humides mondiales.
La Chine se targue d’être le pre­
mier pays au monde à avoir réa­
lisé trois recensements exhaustifs
de ces zones, classées en 13 catégo­
ries, de la prairie humide (19 %) à
la mangrove (0,05 %). Chaque an­
née, elle publie un livre blanc sur
le sujet. Elle a même mis en place
le 1er juin sa première loi destinée à
les protéger. « La Chine est l’un des
rares pays qui s’endette pour proté­
ger sa biodiversité », reconnaît
Amélie Aubert, responsable en
Chine de l’Agence française de dé­
veloppement, qui a notamment
financé la restauration du lac Hu­
long (Liaoning), redevenu un lieu
d’accueil des grues de Sibérie.
« Huit réserves naturelles »
Cette reconquête des zones humi­
des passe par une modification
des comportements. Dans ce pays
où la pêche à la dynamite a long­
temps été en vigueur, les autorités
locales tentent désormais de limi­
ter les pratiques abusives. « Dans
le Yangtsé, la pêche est interdite
jusqu’en 2032, sauf certaines villes
comme Wuhan qui tolèrent encore
la pêche individuelle », témoigne
Deng Xiaojun, une des trois sala­
exprimé leur volonté de freiner la
course aux abysses qui s’annonce
en demandant une « pause de pré­
caution », le temps d’acquérir des
connaissances sur ces milieux,
voire un « moratoire », un terme
qui évoque une durée plus lon­
gue, tandis que d’autres, comme
l’Inde, demandent le renouvelle­
ment de leurs permis d’explorer.
Le 7 novembre, Emmanuel Ma­
cron a pour sa part jeté un énorme
pavé dans la mare en demandant
pour la première fois une interdic­
tion totale des extractions miniè­
res dans les profondeurs marines.
« L’engagement de la France n’est
en réalité que la traduction du sen­
timent d’urgence et de préoccupa­
tion majeure qui nous habite tous
face à la nécessité de protéger
l’océan et avec lui l’humanité », a
exposé trois jours plus tard Oli­
vier Guyonvarch, le représentant
permanent de la France au sein de
l’AIFM. Alors que l’urgence à agir
s’impose pour préserver les con­
C’est « l’un des
rares pays qui
s’endette pour
protéger sa
biodiversité »
AMÉLIE AUBERT
responsable en Chine
de l’Agence française
de développement
riés de la fondation Baiji Conser­
vation, dont l’objet est de protéger
le marsouin du Yangtsé. Le nom
de cette fondation ne doit rien au
hasard : le baiji est un dauphin
que l’on trouvait dans le Yangtsé
mais qui a disparu depuis 2007.
« Selon nos recensements, il y
avait 3 600 marsouins en 1991 et
seulement 1 012 en 2017, en raison
de la pêche, de la navigation, du
bruit, des barrages et des prélève­
ments de sable, explique la cher­
cheuse. Nous attendons le résultat
de 2022 mais nous espérons inver­
ser la tendance. Nous avons créé
huit réserves naturelles sur le
fleuve et dans des estuaires où
nous avons déplacé une centaine
d’animaux pour les protéger. »
« Cela fait vingt­cinq ans que la
Chine travaille sur la protection de
ces espèces. Cette politique com­
mence à porter ses fruits mais cela
est compliqué car il y a toujours de
la pêche illégale et le Yangsé est
aussi très important pour l’écono­
mie des régions qu’il traverse », ex­
ditions de la vie sur terre, il faut
éviter de mettre « en péril ces éco­
systèmes qui pourraient, demain,
être sources de solutions et de rési­
lience », et se donner un temps de
réflexion « beaucoup plus long
qu’initialement envisagé, hors de
toute pression industrielle ou fi­
nancière », a­t­il fait valoir.
L’ambassadeur des pôles, Oli­
vier Poivre d’Arvor, vient d’être
chargé de piloter un groupe de tra­
vail sur ce dossier. « Nous allons
travailler à défendre cette position
dans toutes les discussions inter­
nationales avec le réseau diploma­
tique et je me rendrai prochaine­
ment à Kingston pour l’expliquer. »
Conséquence : certains pays s’in­
terrogent. La France, deuxième
domaine maritime du monde, va­
t­elle abandonner les deux permis
d’exploration qu’elle détient ? A­t­
elle l’intention de quitter l’AIFM ?
Le fonctionnement de l’instance
pose en tout cas question. Les
ONG se plaignent d’être à peine to­
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
plique Agathe Serre, une scientifi­
que française qui a consacré une
thèse à ce sujet. Le China Daily rap­
porte d’ailleurs le 10 novembre les
propos de Cao Wenxuan, biolo­
giste de l’Académie des Sciences,
pour qui « les effets de l’interdic­
tion de la pêche sont loin d’être suf­
fisants ». Il en veut pour preuve
que des dizaines d’espèces de
poissons ont été ajoutées en 2021
à la liste des espèces protégées.
De son côté, Agathe Serre, qui
travaille désormais sur le dau­
phin blanc, une espèce essentiel­
lement présente en mer de Chine
du Sud, constate que cette espèce
jugée non pas « en danger » mais
« vulnérable » y est, elle aussi, vic­
time du développement écono­
mique. « Il y a des bateaux partout,
de la pêche industrielle, des activi­
tés polluantes. Mais au moins la
Chine finance les recherches sur la
protection de ces espèces. »
Si le réchauffement climatique
est un enjeu global, la biodiversité
constitue aussi un élément impor­
tant de la préservation du patri­
moine national. Toute la commu­
nication faite autour de la protec­
tion du panda et d’autres animaux
emblématiques le prouve. Une di­
mension qui n’a pas échappé à Xi
Jinping, même si celui­ci est un ar­
dent défenseur de la médecine tra­
ditionnelle, grande prédatrice par
ailleurs de cette même biodiver­
sité, de nombreux animaux sau­
vages étant braconnés pour ali­
menter cette pharmacopée. p
frédéric lemaître
lérées lors de débats qui concer­
nent pourtant l’ensemble de l’hu­
manité. Elles déplorent également
des règles de fonctionnement
opaques. L’Union internationale
pour la conservation de la nature a
ainsi critiqué la délivrance en sep­
tembre d’un feu vert pour des « es­
sais pilotes de collecte de nodules
polymétalliques » dans la zone Cla­
rion Clipperton, dans le Pacifique,
à un groupe canadien, The Metals
Company. Elle souligne les insuffi­
sances du dossier environnemen­
tal, non rendu public dans sa der­
nière version et une décision
« prise par un petit sous­comité ».
The Metals Company a an­
noncé que, après seize campa­
gnes d’exploration, il comptait
remonter environ 3 600 tonnes
de nodules polymétalliques avant
la fin de cette année. L’industriel
a officiellement annoncé qu’il
demanderait un permis d’exploi­
tation en 2023. p
martine valo
 FRANCE
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022 | 13

Sur l’immigration, la gauche cherche sa voie
Alors que le gouvernement prépare un projet de loi, différentes sensibilités émergent déjà au sein de la Nupes

U
n navire voguant en
Méditerranée, avec à
son bord 234 mi­
grants, dont 37 en­
fants. L’Ocean­Viking a brutale­
ment rouvert le dossier de l’immi­
gration, qui va animer le débat pu­
blic ces prochaines semaines. Le
gouvernement préparant un nou­
veau projet de loi sur le sujet, avec
des consultations qui doivent
commencer avec les groupes poli­
tiques et les acteurs concernés à
partir du 21 novembre, avant un
examen du texte au Parlement.
Devant les mésaventures du
bateau, accueilli au port de
Toulon, vendredi 11 novembre,
après trois semaines d’attente, la
gauche a mobilisé ses réflexes
fondamentaux, l’antiracisme,
l’impératif humanitaire. Mais elle
va devoir se positionner plus clai­
rement sur ce sujet sensible.
Comment se défaire des procès
en angélisme sans avoir l’air de
faire le jeu de l’extrême droite ? A Accueil
cette aune, les grandes lignes du des migrants
texte présenté par le ministre de recueillis par
l’intérieur, Gérald Darmanin et l’« Ocean­
celui du travail, Olivier Dussopt, Viking », sur
le 2 novembre, dans Le Monde, la presqu’île
mélange de répression et d’ouver­ de Giens
ture, est considéré comme « ma­ (Var), le
lin », voire « pervers », par un ba­ 11 novembre.
ron socialiste. « L’immigration est EUGÉNIE BACCOT
un sujet compliqué à gauche, car il POUR « LE MONDE »
y a le risque d’être en décalage
complet avec l’opinion », rappelle
le politologue Rémi Lefebvre.
« C’est une question qui taraude
le citoyen, il faut avoir une vision »,
admet le secrétaire national du
Parti socialiste (PS), Olivier Faure. tion n’est pas seulement d’avoir rer », juge le secrétaire national du groupe écologiste à l’Assemblée, mais il faut voir quelles sont les
Soucieux de préparer un débat des gens corvéables à merci pour
L’essentiel PS, se disant « favorable à un Cyrielle Chatelain, qui rappelle que manœuvres », regrette­t­elle,
qui se tiendra au Parlement en dé­ les métiers en tension, réfute le de la Nupes débat annuel au Parlement » sur la « les pays qui portent l’arrivée des appelant les siens à ne pas rentrer
cembre, le groupe socialiste a créé député “insoumis” du Rhône Ga­ question des flux migratoires. réfugiés, ce sont les pays voisins ». dans le piège. Le député écolo­
un groupe de travail, afin de bâtir briel Amard, engagé sur la ques­
ne se hasarde pas Pas question, en revanche, d’as­ De son côté, Elsa Faucillon, giste de l’Isère Jérémy Iordanoff
le « récit de la gauche sur la politi­ tion des navires humanitaires en à se prononcer sujettir le regroupement familial députée communiste de Seine­ appelle, quant à lui, à « faire très
que migratoire », indique le prési­ Méditerranée. Au regard de leur à un test de langue, comme l’a Saint­Denis, dénonce « le trait attention aux pulsions populaires
dent du groupe PS à l’Assemblée situation, il y a et il va y avoir un
sur d’éventuelles suggéré Gérald Darmanin. « Il ne d’union de plus en plus serré entre populistes, et ne pas instrumenta­
nationale, Boris Vallaud. Princi­ devoir d’humanité et d’accueil. » restrictions qu’il s’agit pas d’imposer plus de règles, immigration et délinquance » liser l’immigration à des fins élec­
pale difficulté, celle de ne pas faire mais d’organiser l’accueil », com­ opéré par Emmanuel Macron. torales ». Le récit de la gauche sur
fuir un peu plus l’électorat popu­ Ligne de crête
faudrait mener plète le député de Seine­et­Marne. Résultat : « Il ne faut pas chercher la politique migratoire est parti
laire, qui considère en très grande L’hypothèse d’un titre de séjour Un tabou que franchit le député de respectabilité pour nous de ce pour être pluriel. p
majorité qu’il y a « trop d’étran­ ad hoc hérisse Fabien Roussel. européen Emmanuel Maurel : « Il côté­là. Il y a toujours à regarder julie carriat
gers en France », comme le « Maintenant qu’il y a une pénurie anticapitaliste. Jean­Luc Mélen­ y a des droits et des devoirs quand point par point dans ce texte de loi, et sandrine cassini
rappelle le directeur général délé­ de travailleurs (…) et qu’il y a ces chon continue de surfer sur une l’on s’insère dans une société d’ac­
gué d’Ipsos, Brice Teinturier. pauvres travailleurs sans papiers ligne de crête, entre discours hu­ cueil », dit cette ex­figure socialiste
Différentes sensibilités émer­ qui acceptent d’être exploités, on manitaire et reconnaissance des et ancien soutien de Mélenchon,
gent déjà au sein de la Nouvelle va les régulariser parce qu’on a frontières : « A LFI, nous n’avons qui invite aussi les formations po­
Union populaire écologique et besoin d’eux ? », s’est indigné le jamais dit que nous étions “no bor­ litiques à se saisir des obligations
sociale (Nupes). Ainsi, le PS ne voit secrétaire national du Parti der” », rappelle­t­il dans le nu­ de quitter le territoire français
pas d’un mauvais œil la mise en communiste, le 10 novembre, sur méro de novembre de la Revue (OQTF), très peu mises à exécu­
place d’un titre de séjour pour les CNews, estimant que le gouverne­ des deux mondes. tion, un problème qui « préoccupe
métiers en tension. « On y est ment doit plutôt augmenter les Olivier Faure, non plus, n’est pas les gens, qu’on le veuille ou non ».
favorable », indique Olivier Faure, salaires. Le travailleur migrant « no border ». Le chef de file du PS L’essentiel de la Nupes ne se
qui y pose des conditions. « Il faut comme variable d’ajustement du estime qu’« il faut des règles ». hasarde pas à se prononcer sur
que ce soit en accord avec le pays système capitaliste, facteur de Surtout dans la mesure où d’éventuelles restrictions qu’il fau­

UN CAFÉ ET
d’origine pour éviter la fuite des pression à la baisse sur les salai­ l’Ocean­Viking n’est qu’un début drait mener. « Il n’y a pas plus d’im­
cerveaux, et les partenaires res, un raisonnement qui avait été au regard du changement clima­ migration maintenant que ces der­
sociaux, pour éviter l’exploita­ celui de La France insoumise, à tique, qui poussera selon lui, nières décennies », estime le dé­

tion. » Requise par un patronat en
quête de main­d’œuvre pas chère,
la proposition gêne les autres
formations politiques : « La ques­
l’approche des élections euro­
péennes de 2019, et qui avait valu
au groupe des différends avec le
reste de la gauche écologiste et
« d’ici dix ou quinze ans, des dizai­
nes de millions de personnes » à
franchir les frontières. « Notre
responsabilité, c’est de s’y prépa­
L’APPLICATION
puté (Génération.s) des Yvelines
Benjamin Lucas. « Nous ne parta­
geons pas l’image d’une Europe as­
saillie », abonde la présidente du
©Aline Bureau, © Quentin Faucompré - LGM&co

En cas de dissolution, le PS voudrait plus de sièges face à LFI S’IL VOUS

à ce stade, c’est un bruit de couloir, un
sujet abordé par la gauche avec des pincet­
tes : en cas de dissolution de l’Assemblée na­
tionale, que ferait la Nouvelle Union popu­
laire écologique et sociale (Nupes) ? Pour le
moment, rares sont ceux qui croient à cette
menace brandie par Emmanuel Macron.
Non, elle s’adresserait plutôt à la droite, aux
Républicains (LR), et à ses propres forces, qui
menacent de lui échapper, théorisent­ils.
Pourtant, la question commence à être
posée. Et chacun dans la Nupes apporte sa
réponse, avec des nuances. Du côté de La
France insoumise (LFI), c’est clair, l’union de
gauche est appelée à se remobiliser sur peu
ou prou le même format, avec le même mot
d’ordre, « Jean­Luc Mélenchon premier
ministre ». « C’est une stratégie couronnée de
succès, défend le député LFI des Bouches­
du­Rhône Manuel Bompard. Une stratégie
qui nous a permis de gagner, je ne vois pas
pourquoi on la remettrait en cause. » Mais
certains réfléchissent déjà à amender ce for­
mat, jugé trop favorable à LFI, et ne tenant,
selon eux, pas suffisamment compte des
équilibres locaux dans les circonscriptions.
Au Parti socialiste (PS), c’est acté. En cas de
dissolution, pas question de reconduire
l’accord de la Nupes tel qu’il a été signé au
printemps. « On ne peut pas figer le rapport
de force à la dernière présidentielle. Il a
changé », fait valoir le secrétaire national,
Olivier Faure, qui considère que le PS est en
meilleure forme qu’il y a six mois. « Nous ne
sommes pas dans la même dynamique
propulsive, complète le député de l’Essonne
Jérôme Guedj. Cela paraîtrait incongru, hors
sol, de reproduire le même dispositif humain
et programmatique, de conserver les mêmes
investitures. » Ce dernier souhaiterait qu’un
« retour d’expérience » des législatives de
juin soit établi au sein de la Nupes. Au PS,
on fait remarquer qu’un candidat socialiste
investi sur deux a été élu, alors que le taux
de réussite des candidats LFI (72 élus sur
329 candidats) est bien moins élevé.
« Ajustements » à la marge
Evidemment, au sein de LFI, on ne partage
pas les mêmes analyses. Soulignant ne « pas
avoir vu de différences de résultats » aux lé­
gislatives « selon que le candidat Nupes était
écolo, LFI, PS ou PC [Parti communiste] »,
M. Bompard ne veut pas « tout changer »
mais se montre pas complètement fermé à
des « ajustements » à la marge.
PLAÎT !
Malgré les discussions sur l’opportunité
de reconduire M. Mélenchon à la tête de la
coalition et les réflexions sur les circons­
criptions, l’alliance de gauche traverse
surtout une période où chacun s’occupe de
son congrès et se tourne vers son organisa­
tion interne. Ce qui a pour effet de geler les
rapports de force au sein de la Nupes.
Avec l’application La Matinale, démarrez la journée
D’autres élus, pourtant, ont de grandes avec une sélection de 20 articles, à lire ou à écouter
ambitions en cas de future dissolution. Le chaque jour dès 7h.
député PS de l’Eure Philippe Brun juge par
exemple nécessaire de réfléchir dès main­
tenant à la composition d’un gouverne­
ment alternatif, en cas d’élections antici­
pées. Il cite en exemple la campagne des
législatives de Lionel Jospin en 1997, et la
victoire de la gauche plurielle, faisant
entrer communistes et écologistes au
gouvernement aux côtés des socialistes.
Une époque révolue, où les socialistes
menaient le jeu. p
j. ca. et sa. c.

14 | france
Après le Sénat, l’Assemblée étudie Le négationniste
Vincent Reynouard
la loi « sécurité » de Darmanin interpellé en Ecosse
Seule la gauche conteste ce texte, dont l’examen devait débuter lundi
Q
uinze milliards d’eu­
ros supplémentaires
sur cinq ans pour les
policiers et les gen­
darmes. En mettant
sur la table pareil montant, le mi­
nistre de l’intérieur, Gérald Dar­
manin, ne s’est pas seulement at­
taché le soutien quasi indéfectible
des syndicats de policiers, particu­
lièrement sensibles au langage
des chiffres. Il a aussi sécurisé le
vote de sa loi d’orientation et de
programmation du ministère de
l’intérieur (Lopmi), dont l’Assem­
blée nationale entame l’examen
lundi 14 novembre.
Cette opération de neutralisa­
tion des oppositions par la force
de l’argument budgétaire se
double d’une subtilité tactique : le
texte a été resserré autour de
16 articles, au lieu des 32 déposés
sur le bureau de l’Assemblée
nationale au mois de mars, avant
que l’examen de la loi ne soit
reporté pour cause d’élection
présidentielle. Dépouillé de l’es­
sentiel des dispositions relatives
à l’immigration, il offre ainsi
moins de prise à la contestation,
même si ses dispositions font
l’objet de près de 1 200 amende­
ments des députés, car elles enga­
gent pour des années le fond de
la question sécuritaire : générali­
sation des amendes forfaitaires
délictuelles, qui permettent de
sanctionner des délits sans pro­
cédure judiciaire, équipements
« augmentés » de la police, créa­
tion de 200 brigades de gendar­
merie, de 11 unités supplémentai­
res de forces mobiles, accroisse­
ment des capacités d’enquête en
matière numérique…
Mais alors que l’institution poli­
cière traverse une énième crise
sur fond de fronde contre la ré­
forme de la police judiciaire (PJ) et
de hausse du nombre des suicides,
alors que les enjeux à venir – Jeux
olympiques et paralympiques de
2024, accroissement de la menace
cyber – imposent de moderniser
Retraites: le Sénat vote le report de l’âge légal
à 64ans et met la pression sur l’exécutif
S’il rejoint les « objectifs » de LR, le gouvernement veut laisser le temps à la concertation
S ur les retraites, l’exécutif et
la droite n’arrivent pas
encore à s’entendre, malgré
leurs nombreuses idées commu­
nes à propos de ce dossier.
Samedi 12 novembre, lors de l’exa­
men du projet de loi de finance­
ment de la Sécurité sociale
(PLFSS) pour 2023, les sénateurs
des groupes Les Républicains (LR)
et Union centriste (UC) ont
adopté un amendement permet­
tant de repousser de 62 ans à
64 ans l’âge d’ouverture des droits
à une pension. La mesure a été
votée contre l’avis du gouverne­
ment, bien qu’elle ressemble
beaucoup à celle défendue par
Emmanuel Macron, dans le cadre
d’une réforme qui doit être
présentée début 2023, normale­
ment. L’hypothèse d’une alliance,
conclue ultérieurement, reste
cependant ouverte, les protago­
nistes ayant envoyé des signaux
de bonne volonté.
La disposition approuvée
samedi était portée par René­
Paul Savary, sénateur LR de la
Marne. Elle se présente comme
un mécanisme à double détente.
Dans un premier temps, une
« convention nationale » réuni­
rait des personnalités aux profils
variés (partenaires sociaux, re­
les moyens d’une administration
régalienne par nature, qui pren­
drait le risque de voter contre une
loi aussi richement dotée ?
Personne ou presque, comme l’a
illustré son examen en première
lecture devant le Sénat, avant une
adoption, le 18 octobre, en forme
de quasi­plébiscite : 307 voix
pour, 27 contre. Même les séna­
teurs socialistes ont voté en
faveur de la « loi Darmanin », sans
chercher à dissimuler les ressorts
de leur motivation : « La demande
de sécurité exprimée par nos conci­
toyens (…) nous a convaincus de
voter en faveur de ce texte et des
moyens supplémentaires qu’il
alloue à nos forces de l’ordre »,
avait alors déclaré le socialiste
Jérôme Durain (Saône­et­Loire).
« Forêt d’imprécisions »
Une telle position n’a pas
manqué d’étonner, pour ne pas
dire davantage, leurs collègues de
l’Assemblée nationale. « C’est une
loi très peu proche des préoccu­
pations concrètes de nos conci­
toyens », estime le député socia­
liste du Nord Roger Vicot, jugeant
que ce texte « ne dit rien des rela­
tions entre la police et la popula­
tion, du rôle des élus, avec une
vague resucée de la police de
proximité, une véritable forêt
d’imprécisions ». Au Palais­Bour­
bon, les socialistes ne devraient
pas pour autant voter contre
la Lopmi. « Nous nous dirigeons
« Rien n’est clair
dans la ventilation
budgétaire,
on ignore
complètement
où va aller tout
cet argent »
UGO BERNALICIS
député LFI du Nord
présentants de l’Etat, des associa­
tions familiales et de retraités, ex­
perts). A charge pour elles de trou­
ver des solutions en faveur de
l‘emploi des seniors et du rééqui­
librage financier de la branche
vieillesse à l’horizon 2033.
Si cette convention ne parvenait
pas un compromis, plusieurs
changements de paramètres
interviendraient à partir du
1er janvier 2024. L’âge légal de dé­
part à la retraite passerait donc
progressivement de 62 ans à
64 ans. De plus, la loi de
janvier 2014, dite « loi Touraine »,
serait mise en application plus
vite que prévu : ainsi, la durée de
cotisation requise pour le taux
plein serait fixée à quarante­trois
ans dès la génération 1967 (au lieu
de la génération 1973).
« Eléments de convergence »
Cette démarche traduit une
forme de constance chez les
sénateurs LR et UC, majoritaires
au Palais du Luxembourg. Au
cours des quatre dernières
années, à l’occasion des débats
consacrés aux PLFSS, ils ont
approuvé des amendements al­
lant dans le même sens. Sans
succès, puisque les mesures en
question n’ont pas été mainte­
plutôt vers une abstention », ad­
met l’un d’eux, en précisant que
cette position ferait l’objet d’une
explication « très argumentée ».
Si la position de la majorité ne
fait pas débat, Les Républicains
(LR) et le Rassemblement natio­
nal (RN) devraient également
s’entendre sur un soutien au
texte, avec le bénéfice espéré de
quelques concessions supplé­
mentaires. Devant la commission
des lois, les députés RN se sont
bornés à mollement critiquer une
loi « incomplète et insuffisante ».
Le député LR des Alpes­Maritimes
Eric Ciotti y a quant à lui poussé
ses feux en obtenant de passer à
5 000 places en centres de réten­
tion administrative pour les
étrangers en situation irrégulière,
contre 1 859 effectives (en métro­
pole) aujourd’hui. Tout en déplo­
rant le « caractère tardif de cette
loi » et l’absence d’un copieux
volet sur l’immigration et la
réponse pénale, l’élu se félicite
d’un texte « globalement satisfai­
sant sur ce qu’il contient, beau­
coup moins sur ce qu’il ne contient
pas », et souhaite voir encore
étendu le périmètre des amendes
forfaitaires délictuelles.
Seule la Nouvelle Union Popu­
laire écologique et sociale (Nupes)
– amputée des voix socialistes –
devrait voter contre la Lopmi, qui
consacre à ses yeux une « véri­
table surenchère sécuritaire ».
« Quinze milliards pour faire une
police dont on ne veut pas, ça fait
beaucoup, analyse Ugo Bernalicis,
le M. sécurité de La France insou­
mise (LFI). Mais pour les autres, on
dirait que cette carotte suffit. »
Selon le député du Nord, particu­
lièrement actif devant la commis­
sion des lois, « rien n’est clair
dans la ventilation budgétaire, on
ignore complètement où va aller
tout cet argent » – une critique
partagée à droite.
De manière paradoxale, les
débats les plus âpres pourraient
bien concerner la réforme de la
nues dans la version définitive
des textes de loi.
Mais, cette fois­ci, le contexte
est différent, comme l’a rappelé,
samedi, Jean­Christophe Combe,
le ministre des solidarités, qui
représentait le gouvernement
dans l’Hémicycle. « Nous nous re­
joignons sur les objectifs et sur les
thèmes qui figurent dans votre
proposition », a­t­il affirmé, en
citant notamment la volonté de
« travailler plus longtemps pour
assurer l’équilibre de notre
système de retraite. » Le pouvoir
en place « partage de nombreux
constats avec la majorité sénato­
riale et notamment la nécessité de
réformer rapidement notre régime
de [pensions] », a­t­il ajouté.
Mais il serait prématuré de légi­
férer dès à présent, aux yeux de
M. Combe, car les services de
l’Etat ont engagé une concerta­
tion sur la transformation du
système de retraites avec les
syndicats, le patronat et les forces
politiques. Dès lors, « nous ne
pouvons préempter les décisions
sans avoir conduit ces discus­
sions », a indiqué le ministre des
solidarités. Celui­ci a également
plaidé pour ne pas anticiper sur
les débats qui auront lieu au pre­
mier trimestre 2023, en principe,
police judiciaire, un thème théo­
riquement exclu de la loi mais au
sujet duquel M. Ciotti a déposé un
amendement visant à faire acter,
dans le « rapport annexe » présen­
tant la Lopmi, le maintien de l’or­
ganisation actuelle : une PJ
dépendant seulement de sa
propre direction centrale, et non
fusionnée avec les services d’en­
quête des commissariats.
« Vision effrayante du métier »
Reste que « Darmanin a ma­
nœuvré habilement et joue
désormais sur du velours », estime
un député de droite. Deux ans
presque jour pour jour avant
l’examen de la Lopmi, la loi « sé­
curité globale » avait suscité de
violentes manifestations, avant
d’être en partie censurée par le
Conseil d’Etat. Ce revers n’a pas
désarmé le ministre de l’inté­
rieur. Après avoir labouré le ter­
rain syndical au cours du proces­
sus de concertation du Beauvau
de la sécurité en 2021, Gérald Dar­
manin sait que son texte, techni­
que et complexe, ne devrait pas
mobiliser une opinion désormais
préoccupée par la question du
pouvoir d’achat et inquiète de la
situation internationale.
Seul l’Observatoire des libertés
et du numérique, qui rassemble
notamment la Quadrature du
Net, le Syndicat des avocats de
France et le Syndicat de la magis­
trature, s’est élevé contre le rap­
port annexé à la loi de program­
mation, un document sans véri­
table portée normative mais qui
définit l’esprit de la Lopmi. « Qu’il
s’agisse de délire sécuritaire ou de
calcul électoraliste, le rapport livre
une vision inquiétante du numéri­
que et de la notion de sécurité [et]
fait la promotion d’une vision
fantasmée et effrayante du métier
de policier », ont estimé les orga­
nisations signataires dans un
communiqué publié le 28 octo­
bre. Sans grand écho jusqu’ici. p
antoine albertini
lorsque la réforme sera soumise
aux deux chambres du Parle­
ment. C’est la raison pour laquelle
il a demandé un retrait de l’amen­
dement, en soulignant que les
« éléments de convergence » entre
l’exécutif et la majorité sénato­
riale « me semblent plus impor­
tants que les éléments de diver­
gence », ces derniers tenant sur­
tout à des questions de méthode.
La recommandation de
M. Combe n’ayant, sans surprise,
pas été suivie, il y a donc eu un
vote, qui s’est soldé par 195 voix
pour l’amendement de M. Savary
et 130 contre. Le dispositif
imaginé par le sénateur de la
Marne ne devrait toutefois pas
être conservé dans la mouture
finale de la loi. Il permet cepen­
dant d’adresser un « message poli­
tique pour dire clairement où nous
voulons aller et pourquoi nous
voulons le faire, comme l’a expli­
qué Philippe Mouiller, sénateur
LR des Deux­Sèvres. A partir de
notre position, nous sommes prêts
à discuter », a­t­il précisé. Déclara­
tion qui suggère que le dialogue
entre les deux camps pourra être
renoué lorsque le projet de l’exé­
cutif passera au Sénat, en début
d’année prochaine. p
bertrand bissuel
Condamné plusieurs fois, il a été placé en
détention avant une éventuelle extradition
C’ est une figure de l’ul­
tradroite que les auto­
rités britanniques ont
interpellée, jeudi 10 novembre
en Ecosse, au cours d’une opéra­
tion menée dans la plus grande
discrétion et à l’initiative de la
justice française. Vincent Rey­
nouard, 53 ans, condamné à de
multiples reprises pour ses thè­
ses négationnistes, a été présenté
à un juge d’Edimbourg avant de
refuser son extradition et d’être
emprisonné en attendant que les
autorités judiciaires britanni­
ques statuent sur son sort.
L’enquête a commencé par la dé­
couverte, vendredi 21 août 2020,
de tags sur la façade du Centre de
la mémoire d’Oradour­sur­Glane,
une localité de la Haute­Vienne
dont 643 habitants ont été assas­
sinés par une unité de la division
SS Das Reich alors en pleine re­
traite, le 10 juin 1944. Le terme de
« village martyr » figurant sur le
bâtiment avait été barré à la
bombe de peinture et les formu­
les « menteur » ou « à quand la vé­
rité » avaient également été ta­
guées. Parmi les inscriptions, les
enquêteurs avaient notamment
relevé une référence très directe
au négationniste interpellé en
Ecosse : « Reynouard a raison. »
Un important travail de fond
est alors mené par la section de
recherches de Limoges, qui mul­
tiplie les investigations : analyse
de la peinture, minutieuse en­
quête sur la téléphonie… Mais, en
l’absence d’éléments détermi­
nants, l’enquête va se focaliser
sur la référence opérée par les
tags : Vincent Reynouard.
Buste d’Adolf Hitler
Cet ingénieur de formation, qui
se revendique du national­socia­
lisme, fut en son temps le pre­
mier enseignant révoqué pour
négationnisme. Proche de la
mouvance catholique intégriste
et, parallèlement, des cercles
néonazis européens, il a été
condamné à plusieurs reprises,
tant en France qu’en Belgique, où
il s’était expatrié, pour « apologie
de crimes de guerre et contesta­
tion de crimes contre l’huma­
nité ». « Sa négation des faits his­
toriques, selon le site Conspiracy
Watch, ne se focalise pas unique­
ment sur le génocide des juifs. Elle
intègre également d’autres évé­
nements de la seconde guerre
mondiale comme le massacre
d’Oradour­sur­Glane. »
« Réfugié », selon ses proches,
au Royaume­Uni en 2015, il y pos­
tait sur les réseaux sociaux des
vidéos exposant son quotidien
de précepteur – sans oublier d’y
développer ses thèses – et s’est
distingué dans cet exil par un
tweet posté le 19 février 2019 à
l’occasion de son anniversaire,
exhibant fièrement un buste
S ANTÉ
Les laboratoires
de biologie en grève
à partir de lundi
Après un mois de bras de fer
avec le gouvernement autour
du budget de la Sécurité so­
ciale pour 2023, les syndicats
de biologistes ont franchi,
lundi 14 novembre, une nou­
velle étape en appelant à une
« grève illimitée » des labora­
toires d’analyses médicales. Ils
s’opposent au « coup de ra­
bot » de 250 millions d’euros
qui leur est demandé. Le
mouvement, qui devrait du­
rer au moins trois jours, est
porté par les grands groupes
de laboratoires privés, les bio­
logistes indépendants et plu­
sieurs syndicats. – (AFP.)
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
d’Adolf Hitler offert par « des
amis venus de France ».
Si les délits liés au négation­
nisme sont soumis en Grande­
Bretagne à une législation bien
plus souple qu’en France, l’obsta­
cle à l’ouverture d’une enquête
par les autorités locales a toute­
fois pu être levé grâce à une sub­
tilité juridique : les autorités bri­
tanniques autorisent l’extradi­
tion de ressortissants étrangers
lorsqu’ils ont fait, dans leur pays
d’origine, l’objet d’une condam­
nation à un an de prison.
Or, le 17 juin 2015, la cour d’ap­
pel de Caen a prononcé cette
peine à l’encontre de M. Rey­
nouard après la diffusion d’une
énième vidéo, remontant à 2014,
dans laquelle il entendait « dé­
monter les mécanismes, les res­
sorts et les mensonges de la pro­
pagande imposée aux jeunes gé­
nérations au nom du devoir de
mémoire » à l’occasion du 70e an­
niversaire du débarquement du
6 juin 1944.
« Coopération internationale »
Localisé une première fois dans
le Kent en 2021, il avait réussi à
échapper à la police pour se
fondre, une nouvelle fois, dans la
nature. M. Reynouard a finale­
ment été repéré en Ecosse après
un travail de fourmi mené de
concert par l’Office central de
lutte contre les crimes contre
l’humanité et les crimes de haine
(OCLCH) et la section SO15 de la
Metropolitan Police de Londres,
une unité à la fois spécialisée
dans le contre­terrorisme et la
lutte contre l’extrémisme.
« C’est un exemple abouti de
coopération internationale, avec
un investissement très fort de la
police britannique, se félicite le
général Jean­Philippe Reiland,
chef de l’OCLCH, et un message
adressé à tous ceux qui pensent
qu’une fuite à l’étranger les met à
l’abri des poursuites en France ou
de la prison. Cela prend le temps
qu’il faut, mais, à la fin, ils répon­
dent de leurs actes. »
L’événement d’Oradour avait
suscité l’indignation de l’ensem­
ble de la classe politique, jus­
qu’au plus haut sommet de l’Etat.
« Les inscriptions négationnistes
à Oradour­sur­Glane sont un
crachat sur la mémoire de nos
martyrs », avait réagi, à l’époque,
le ministre de l’intérieur, Gérald
Darmanin, sur son compte Twit­
ter, tandis qu’Emmanuel Macron
avait promis que tous les moyens
seraient mis en œuvre pour que
« les auteurs de cet acte soient tra­
duits en justice ».
L’arrestation de Vincent Rey­
nouard marque peut­être une
première étape d’importance
pour la réalisation de cette pro­
messe. p
a. al.
FAIT DIVERS
Une femme tuée dans le
Gard, son conjoint, mort
peu après, soupçonné
Une femme a été retrouvée
morte au domicile conjugal,
où son compagnon est dé­
cédé peu après, près d’Uzès
(Gard), a indiqué, dimanche
13 novembre, la procureure
de Nîmes, qui a ouvert une
enquête pour « homicide vo­
lontaire sur conjoint suivi
d’un suicide ». La trentenaire
est « décédée des suites
de blessures par arme à feu
et par arme blanche », a indi­
qué la procureure, Cécile
Gensac, dans un communi­
qué. Un de leurs en­
fants avait donné l’alerte
auprès d’une voisine. – (AFP.)
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
Les maths de nouveau obligatoires en classe de 1re
Le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, revient sur une mesure emblématique de l’ère Blanquer
L’
option de une heure et
demie de mathémati­
ques, ajoutée à la hâte
en septembre dans le
tronc commun de la classe de 1re et
boudée par une grande partie des
élèves, a vécu. A la rentrée 2023,
cette option deviendra un ensei­
gnement obligatoire pour ceux
qui ne choisiront pas l’enseigne­
ment de spécialité, a annoncé le
ministre de l’éducation nationale,
dimanche 13 novembre. « Il est né­
cessaire de réconcilier les élèves fâ­
chés avec cette discipline, en propo­
sant un programme spécifique qui
permet une remise à niveau », af­
firme Pap Ndiaye dans un entre­
tien aux Echos.
La communauté scientifique
alerte depuis des mois sur les
conséquences de la réforme du
Hugo Duminil-
Copin, ambassadeur
embarrassé
« Hugo Duminil-Copin sera notre
ambassadeur pour porter ces
transformations. » Les propos
de Pap Ndiaye au sujet du rôle
d’ambassadeur du récent
médaillé Fields dans son entre-
tien aux Echos – ainsi que dans
le communiqué de presse de
présentation de sa stratégie
pour les mathématiques – ont
étonné dans la communauté
scientifique. Contacté par
Le Monde, Hugo Duminil-Copin
tient à lever toute ambiguïté :
« Je ne me positionne pas sur la
réforme du lycée. Ce n’est pas ma
place, je veux rester neutre. Je
n’ai aucun rôle à avoir dans ce
domaine », fait-il savoir. Le cher-
cheur souhaite s’impliquer uni-
quement dans « la promotion des
mathématiques, dans la beauté
de cette discipline, qui n’a rien
d’élitiste ». « Aujourd’hui, certains
enseignants font beaucoup,
en créant des clubs ou des sites
Internet, et ces gens méritent
d’être soutenus et mis en avant. »
Pap Ndiaye et Hugo
Duminil-Copin doivent discuter
de cette mission ce lundi.
Interrogations après l’effondrement de
deux immeubles en plein centre de Lille
Dans la nuit de dimanche, une personne a été retrouvée morte dans les décombres. Les
causes de la catastrophe restent inconnues. Une enquête a été ouverte par le parquet
lille ­ correspondant
C omment deux immeubles
bourgeois, datant certes
du XVIIIe siècle mais d’ap­
parence parfaitement entretenue,
ont­ils pu s’écrouler d’un coup, à
moins de 100 mètres de la Grand­
Place de Lille ? Au surlendemain de
la catastrophe, qui a fait un mort,
retrouvé dans les décombres, la
question continuait d’inquiéter de
nombreux Lillois. Pour en savoir
davantage, ils devront attendre les
conclusions de l’enquête diligen­
tée par la procureure de la Républi­
que de Lille, Carole Etienne, pour
« mise en danger de la vie d’autrui
et homicide involontaire ».
Il est 3 heures du matin dans
la nuit du samedi 12 novembre
quand Thibault Lemay, un
étudiant de 22 ans, s’étonne en
rentrant chez lui de la courbure
inhabituelle formée par le mur de
son immeuble. Aux étages supé­
rieurs, il entend des gravats tom­
ber. Il alerte aussitôt les pompiers,
qui, une fois sur place, prennent
la décision d’évacuer en pleine
nuit les occupants de l’habitation.
Quelques heures plus tard, à
9 h 15, le bâtiment et l’immeuble
mitoyen s’effondrent. Ensevelis­
Le CNRS alerte
sur le fait que
la discipline
est « vitale
pour préserver
la souveraineté
économique
de la France »
lycée, voulue par Jean­Michel
Blanquer, sur les choix d’orienta­
tion des lycéens. Depuis 2019, la
discipline avait disparu du tronc
commun pour devenir un ensei­
gnement de spécialité, à choisir
parmi douze autres. Résultat : un
élève sur trois décide depuis d’ar­
rêter les maths dès la fin de la
classe de 2de générale. Ce chiffre
éloquent a obligé Emmanuel
Macron à se positionner durant
la campagne présidentielle et à
proposer un retour des mathé­
matiques dans le tronc commun
de la classe de 1re, d’abord sous
forme optionnelle.
Pap Ndiaye entérine ainsi le
rétropédalage amorcé il y a quel­
ques mois. Le ministre veut
également corriger les inégalités
de genre causées par la réforme.
La spécialité mathématiques est
aujourd’hui majoritairement
suivie par des garçons (58 %). Le
ministre affiche l’objectif
d’atteindre, d’ici à la fin du
quinquennat, la parité filles­gar­
çons dans cette spécialité,
sans pour autant mettre en
place des quotas.
Cette nouvelle formule suscite
bien des doutes dans la commu­
nauté éducative. Sophie Vénéti­
tay, responsable du SNES­FSU,
estime que le ministère « bri­
cole » et s’interroge sur « les an­
gles morts de ces annonces » :
« Quel programme en 2de ? Quelle
articulation avec la terminale ? »,
se demande­t­elle. « Cette mesure
fait courir le risque de consolider
une image de “mathématiques
punitives” », craint pour sa part le
SE­UNSA. Pour Mélanie Guenais,
sant, dans un nuage de poussière,
une partie de la rue Pierre­Mau­
roy, très commerçante, qui étran­
gement n’avait pas été interdite à
la circulation. Par miracle, aucun
passant ne se trouve alors sur
place. « J’ai senti mon apparte­
ment vibrer, comme si un énorme
camion roulait sur des rails »,
raconte alors Hélène, qui habite à
20 mètres de l’accident.
Huit immeubles évacués
Très vite, les inquiétudes se
portent sur le bâtiment mitoyen
qui n’avait pas été évacué… dont
les occupants s’avèrent être
absents. Soulagement de courte
durée. A 11 h 30, l’un des habitants
de l’immeuble appelle la police : il
a prêté son appartement lillois à
un ami psychiatre.
La voiture de ce médecin calai­
sien est rapidement localisée à
proximité. Son portable borne
sur les lieux de l’accident. A cet
instant, les pompiers ne cachent
pas leur pessimisme. Ils retrouve­
ront son corps sous les gravats
dimanche, à 1 h 30 du matin.
Alexandre Klein, âgé de 45 ans,
psychiatre, chef du pôle santé
mentale et addictologie à l’hôpi­
tal de Calais (Pas­de­Calais), était
coordinatrice du collectif Maths
et Sciences, non seulement les
mesures annoncées peuvent être
« contreproductives » pour les
élèves les plus fragiles, mais elles
ne permettent pas d’attirer da­
vantage de lycéens vers les scien­
ces alors qu’il est « absolument
nécessaire d’élargir le vivier rapi­
dement ».
Désamour
Le timing de ces annonces n’a
rien d’anodin. Lundi 14 novem­
bre s’ouvrent les assises des ma­
thématiques pendant lesquelles
le CNRS veut interpeller les politi­
ques sur le désintérêt pour la dis­
cipline, alors qu’« elles sont vita­
les pour préserver la souveraineté
économique de la France », mar­
venu à Lille pour une réunion.
Pourquoi ne pas avoir évacué les
immeubles voisins ? Pourquoi ne
pas avoir sécurisé cette rue
commerçante d’ordinaire bondée
de monde le samedi ? L’enquête
officielle devrait apporter des
éléments de réponse, mais de
toute évidence, la soudaineté de
l’effondrement semble avoir pris
les pompiers et les policiers
municipaux de court.
Dimanche dans la journée, des
experts judiciaires, accompagnés
des services de la ville, ont visité
les constructions avoisinantes.
Huit immeubles et un hôtel ont
été évacués et le secteur reste
bouclé à l’heure actuelle. « Aucun
désordre sur les bâtiments en­
« Il n’y avait
pas d’alerte
particulière sur
cet immeuble qui
n’était pas frappé
d’insalubrité »
OLIVIER KLEIN
ministre délégué au logement
france | 15
tèlent les organisateurs. Selon Face à ce constat, Pap Ndiaye, Reste que la mise en œuvre de
leur enquête, réalisée en amont qui fait de 2023 « l’année de la pro­ ce plan se heurte à une diffi­
de l’événement, pas moins de motion des mathématiques à culté majeure : la pénurie d’en­
3,3 millions d’emplois salariés l’école », complète son plan par seignants de mathémati­
ont une activité principale en un renforcement de cette ques. Seule la moitié des postes
lien avec la discipline, et ce chif­ matière dans les classes charniè­ ont été pourvus au Capes
fre est appelé à croître. res de 2de et de 6e. Un « module de externe de mathématiques
Si le lycée concentre les atten­ réconciliation » de une heure et en 2022. Quelque 550 nou­
tions, le désamour des élèves demie doit être créé en classe de veaux enseignants certifiés et
français pour les mathématiques 2à la rentrée 2023 pour les élèves près de 340 nouveaux agré­
commence bien avant. La perfor­ les plus fragiles, dans tous les ly­ gés ont fait leur rentrée en sep­
mance des écoliers sur le cal­ cées généraux, technologiques tembre. Or, Pap Ndiaye éva­
cul en fin de CM2 diminue de­ et professionnels. En 6e, un mo­ lue, pour le seul retour des ma­
puis 1987, et la France se classe dule de une heure et demie sera thématiques obligatoires en 1re,
avant­dernière des pays de mis en place, de consolida­ les besoins à « 400 à 425 postes,
l’Union européenne sur la per­ tion pour les élèves les plus fragi­ en équivalent temps plein ». Il se
formance des élèves de CM1 et de les, et d’approfondissement pour veut confiant pour couvrir ce
4e, d’après la dernière étude in­ les élèves les plus avancés. Le ni­ volume d’heures, les représen­
ternationale Timms (pour veau atteint par chaque élève tants des enseignants sont plus
Trends in International Mathe­ fera l’objet d’une certification en dubitatifs. p
matics and Science Study). fin de 3e. sylvie lecherbonnier
LISEZ
vironnants n’a été constaté pour
LE JOURNAL
l’instant », a déclaré au Monde
la maire socialiste de Lille, Mar­
©Aline Bureau, © Quentin Faucompré - LGM&co
tine Aubry, passablement agacée
par les reproches adressés aux
LES YEUX
services de secours sur la non­an­
ticipation d’une chute aussi ra­
pide des deux immeubles. « On
devrait plutôt remercier les
pompiers et la police municipale
FERMÉS
d’avoir réagi si vite. On a évité le
pire », estime­t­elle.
Le ministre délégué au loge­
ment, Olivier Klein, devait se
rendre à Lille, lundi matin. « Il n’y
avait pas d’alerte particulière sur
cet immeuble qui n’était pas
frappé d’insalubrité, a affirmé le
ministre. Nous allons lancer les
enquêtes nécessaires et essayer,
Avec l’application La Matinale, informez-vous (aussi)
avec la maire et le préfet, d’être
sans écran avec une sélection quotidienne
utiles et de comprendre ce qui
de 20 articles à écouter.
s’est passé pour éviter qu’un tel
drame ne se reproduise. »
D’après un expert interrogé
par La Voix du Nord, la forme
en « V » des gravats tombés par la
partie centrale plaide pour l’ef­
fondrement d’un mur porteur
unique soutenant les deux bâti­
ments. Reste à comprendre, en
l’absence de travaux intérieurs, ce
qui a bien pu fragiliser ce mur. p
alexandre lenoir
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16 | france MARDI 15 NOVEMBRE 2022

I M M I G R AT I O N

Les secours
mis en cause
dans la mort
de 27 migrants
Les investigations sur
les conditions du naufrage d’un
« small boat » dans la Manche,
le 24 novembre 2021, révèlent
de nombreux appels à l’aide et les
réponses alors faites. Aucun moyen
de sauvetage n’a été envoyé
Enterrement de l’une des victimes du naufrage dans la Manche, à Rania (Irak), le 26 décembre 2021. HAWRE KHALID/GETTY IMAGES VIA AFP

ENQUÊTE entre le Cross et l’embarcation

naufragée et révèlent que les
C’EST LE NAUFRAGE  pas moins de quinze fois entre
2 h 43 et 4 h 22. En vain. Alors qu’à
est la couleur du bateau ? »,
demande l’opérateur. La conversa­ COMME D’AUTRES, LE CHEF 

E LE PLUS GRAVE 
uh, on vient de passer à occupants du bateau ont appelé à 3 h 30 un passager explique qu’il tion coupe soudainement.
côté de, euh, des de très nombreuses reprises les est littéralement « dans l’eau », le Les enquêteurs relèvent qu’au
DE QUART MATTHIEU L. 
migrants, euh enfin, des secours français en l’espace d’en­ SURVENU DEPUIS QUE  Cross s’entête à lui rétorquer : même moment un navire, le FAIT VALOIR QUE, 
cadavres. Ils sont morts. viron trois heures. Les secours « Oui, mais vous êtes dans les eaux Concerto, a signalé au Cross « voir
– D’accord monsieur, donc les britanniques ont également été DES MIGRANTS  anglaises. » Au moment où l’opé­ une embarcation arrêtée, [et] de­ « SOUVENT », LES 
migrants sont dans une embarca­ contactés, bien que le compte ENTREPRENNENT DE  ratrice tente de transférer l’appel mand[é] la conduite à tenir. L’opé­
MIGRANTS « APPELLENT ET 
tion ? Ils vous semblent delta char­ rendu de leurs activités n’ait pas à Douvres, la communication rateur du Cross lui dit de continuer
lie delta [décédés] ? encore été joint à l’enquête. TRAVERSER LA MANCHE coupe et on l’entend alors sa route, le Flamant [un CRIENT AU DANGER ALORS 
– Non non non. Ils sont dans A ce stade, il apparaît qu’aucun commenter, en aparté : « Ah bah patrouilleur français] va venir ».
l’eau, ils sont dans l’eau mais, euh, moyen de sauvetage n’a été t’entends pas, tu seras pas sauvé. A 4 h 23 pourtant, sur What­ QU’ILS N’ONT RIEN »
ils sont morts. » envoyé au secours de l’embarca­ mande d’envoyer par la message­ J’ai les pieds dans l’eau, bah… je t’ai sApp, le Cross continue d’enjoin­
Il est 13 h 49, le 24 novem­ tion. A aucun moment, le Cross rie WhatsApp sa géolocalisation. pas demandé de partir. » dre aux passagers d’appeler le
bre 2021, quand le patron pêcheur ne semble avoir pris la mesure du A 1 h 51, la personne téléphone A 3 h 49, le SAMU – qui reçoit des 999 parce qu’ils se trouvent dans Interrogés par les enquêteurs
du bateau Saint­Jacques 2 danger qu’encourraient les passa­ au SAMU du Pas­de­Calais, qui appels – signale au Cross que le les eaux anglaises. sur l’absence de secours porté à
prévient par radio le centre régio­ gers du canot, en dépit de leurs transfère son appel au Cross. « Ap­ canot « est en panne et prend l’eau. Au même moment, le Flamant l’embarcation, plusieurs militai­
nal opérationnel de surveillance multiples alertes. Au contraire, paremment leur bateau, il n’y a L’opérateur du Cross dit qu’ils informe le Cross qu’un res du Cross se retranchent
et de sauvetage maritimes (Cross) dans un contexte d’économies de plus rien qui va dessus », prévient appellent sans relâche depuis quel­ patrouilleur de la « border force » derrière l’arrivée du canot dans
Gris­Nez (Pas­de­Calais), composé moyens face à des traversées l’opérateur du SAMU. La commu­ que temps, qu’ils sont plus ou anglaise, le Valiant, se dirige vers les eaux anglaises. « Après, nous
de militaires et sous l’autorité du nombreuses, et compte tenu de la nication dure près de quatorze moins dans les eaux anglaises ». une embarcation, sans que l’on n’avons plus vérifié car il ne s’agis­
préfet maritime de la Manche et trajectoire du bateau qui appro­ minutes. « S’il vous plaît, s’il vous Deux minutes plus tard, nouvel sache s’il s’agit bien de celle qui sait plus de notre zone », justifie
de la mer du Nord. Alors qu’il pê­ chait les eaux britanniques, le plaît ! (…) On a besoin d’aide, s’il appel au secours : « On entend des est en détresse. C’est ce que pour­ Fanny R. Sondés sur la façon
chait dans le détroit du Pas­de­Ca­ Cross a privilégié un passage de vous plaît. Aidez­nous s’il vous cris, rapportent les enquêteurs. rait néanmoins avoir été tenté de d’évaluer le niveau de détresse
lais, dans les eaux françaises mais relais aux Anglais. plaît », implore­t­il. « Si je n’ai pas L’opératrice lui dit que les secours conclure le Cross. Dans un tableau d’un small boat, plusieurs mem­
à proximité immédiate des eaux Le 24 novembre s’annonçait votre position je ne peux pas vous seront là dans vingt minutes. » récapitulatif des embarcations bres du Cross, à l’image du chef de
anglaises, il a découvert une quin­ comme « une grosse nuit de aider », répète l’opératrice du Mais ils n’arrivent pas. signalées cette nuit­là, il note : quart Matthieu L., font valoir que
zaine de corps disséminés sur migrants », se souvient Clé­ Cross, Fanny R. A bord, les passa­ « Conversation coupée suite arri­ « souvent », les migrants « appel­
quelques centaines de mètres, ment G., chef de quart au Cross, gers paniquent. Ils crient et pleu­ « Il fait froid » vée du Valiant (pas de certitude). » lent et crient au danger alors qu’ils
gisant à la surface de l’eau. A côté lors de son audition par les rent. « Envoyez­moi votre position A 4 h 09, un passager implore : Peu après 5 heures, l’événement n’ont rien ». Fanny R. distingue
d’eux, un bateau devenu inutilisa­ enquêteurs de la section de re­ maintenant et je vous envoie un « Venez vite s’il vous plaît. » « Le est clos sous la mention « Se­ pour sa part l’urgence « vitale » de
ble, un « boudin » dégonflé. cherche de la gendarmerie mari­ bateau de secours dès que possi­ canot de sauvetage arrive dans couru ». Les gendarmes enquê­ l’« urgence de confort ». « Ils nous
Ce jour­là, vingt­sept corps time de Cherbourg (Manche). ble », répète Fanny R. La localisa­ quelques minutes », lui assure le teurs, déconcertés, relèvent un appellent tous, même s’ils ne sont
seront repêchés, dont ceux de six Cette nuit­là, une vingtaine tion du bateau est communiquée Cross. A 4 h 16, la même personne engagement des moyens « peu pas en difficulté, corrobore Nico­
femmes et d’une fillette ; seuls d’embarcations ont appelé. « Les à 2 h 05 et 2 h 06 au Cross. rappelle pour dire « que c’est fini, lisibles », ne permettant pas las H., le chef du service opéra­
deux survivants seront secourus. contacts sont multipliés par dix relatent les enquêteurs. [L’opéra­ « d’identifier formellement les tion. Il est très délicat de prioriser
C’est le naufrage le plus grave en fonction du nombre d’appels « Je t’ai pas demandé de partir » trice] lui répète de lui envoyer un embarcations secourues et celles correctement. » A propos de l’em­
survenu depuis que des migrants émanant de la même embarca­ Celui­ci ne va pourtant pas message [de localisation], elle lui qui restent à l’eau ». Quoi qu’il en barcation naufragée, Pauline M.
entreprennent de rejoindre l’An­ tion », précise aux gendarmes envoyer un moyen de sauvetage redonne son numéro de téléphone. soit, écrivent­ils, les navires fran­ reconnaît que « nous n’avions pas
gleterre à bord de canots pneu­ l’officier Frédéric J. Une embarca­ mais saisit le centre de coordina­ L’opératrice dit en aparté “je vais lui çais et anglais « n’ont pas repéré » d’inquiétude [la] concernant ».
matiques de fortune. A l’époque, tion en particulier « n’a pas arrêté tion des secours anglais, à sortir la phrase magique, pas de po­ l’embarcation. Tous mettent en cause le
cette catastrophe avait suscité de nous appeler cette nuit­là », Douvres. « J’ai un canot à côté de sition pas de bateau de secours” ». manque de moyens dont ils pâtis­
beaucoup d’émotion. Malgré les rapporte aux enquêteurs la votre secteur, les informe l’opéra­ Au même moment, un appel est « Ils nous appellent tous » sent. « Le dispositif mis en place
drames, le phénomène des cheffe de quart Pauline M. C’est trice. Je vous donnerai sa position passé au Cross par un autre occu­ On sait encore peu de choses des par l’Etat est le suivant : deux
traversées de la Manche conti­ cette embarcation qui fera car c’est à 0,6 mile nautique [des pant du small boat : « Nous moyens engagés par les Britanni­ moyens nautiques et un moyen
nue d’aller croissant. Depuis le naufrage. Lors de leurs auditions, eaux anglaises]. » sommes dans l’eau. Fini. Fini. ques cette nuit­là. Un courriel du aérien, alors qu’il y a parfois trente
début de l’année 2022, les deux survivants ont rapporté A 2 h 10, l’embarcation signale Aidez­nous s’il vous plaît. Aidez­ centre de secours de Douvres à cinquante embarcations à l’eau,
40 000 personnes ont rejoint que le bateau avait commencé à de nouveau sa localisation par nous. (…) Nous sommes en train de adressé au Cross à 1 h 44 indique et donc c’est largement insuffi­
l’Angleterre en small boat. se dégonfler et à couler quelques WhatsApp, qui la situe toujours mourir. Nous sommes dans la mer, simplement qu’en essayant de sant », résume Nicolas H. « Je
heures après leur départ d’une en eaux françaises. Les personnes dedans, dedans (…) il fait froid. » rappeler une des personnes à pense que le travail a été bien fait
« Une grosse nuit de migrants » plage aux alentours de Dunker­ à bord continuent d’appeler. Lors Mais l’opérateur du Cross s’en­ bord de l’embarcation naufragée, avec les moyens dont on dispose. Je
Un an après l’ouverture de l’infor­ que (Nord). d’un de ces appels, à 2 h 15, alors tête à demander : « Vous êtes partis la « tonalité » semblait indiquer pense que ces pauvres gens n’ont
mation judiciaire visant à faire la Il est 1 h 48 quand les premiers que des cris et des pleurs se font d’où en France ? (…) Nous ne voyons une localisation dans les eaux pas eu de chance », explique à son
lumière sur le drame du 24 no­ échanges ont lieu entre l’embar­ entendre, l’opératrice du Cross pas où vous vous trouvez. » Au télé­ françaises. Lors de son audition tour aux enquêteurs Clément G.
vembre 2021, Le Monde a pris cation et le Cross. En anglais, l’un « leur dit de garder leur calme et phone, le passager explique qu’il en garde à vue, un des survivants, « Ça fait deux ans que nous
connaissance des investigations des occupants explique qu’ils que le bateau des secours arrive », n’a pas Internet et supplie qu’on le jeune Irakien Ahmad Shexa, a demandons des moyens supplé­
menées sur les circonstances du sont trente­trois à bord d’un notent les enquêteurs. En réalité, envoie un hélicoptère. La conver­ rapporté que les secours anglais mentaires, ajoute son collègue
naufrage. Celles­ci restituent l’en­ bateau « cassé ». Selon la procé­ à 2 h 28, alors que le Cross a actua­ sation dure dix­sept minutes. On leur avaient indiqué que « le Luc B. On savait malheureuse­
semble des communications dure usuelle, l’opératrice lui de­ lisé la localisation du bateau, il entend des cris de femmes, temps qu’ils arrivent sur place, les ment qu’un jour cela arriverait. »
rappelle les Anglais. « Ils sont d’hommes et d’enfants, comme vagues nous auraient menés dans Zana Mamand Mohamad es­
actuellement dans votre zone. » s’ils tentaient de héler quelqu’un. les eaux territoriales françaises, et père, lui, qu’un drame « ne se
Record de traversées dans la Manche Malgré cela, le canot à la dérive
continue d’appeler à l’aide mais le
« On voit un grand bateau », dit à ce
moment­là la personne. « Quelle
donc ils ne sont pas venus ».
Sollicité dimanche 13 novembre,
reproduira pas ». Son frère Twana
a disparu le 24 novembre 2021. Les
Le nombre de migrants ayant effectué la traversée de la Manche Cross considère qu’il ne relève la porte­parole de la préfecture deux hommes, des Kurdes d’Irak,
à bord d’embarcations de fortune pour rejoindre le Royaume-Uni plus de sa responsabilité. Alors maritime, Véronique Magnin, avaient été en contact par télé­
a dépassé, dimanche 13 novembre, la barre des 40 000, a indiqué que le SAMU essaye de transférer indique au Monde qu’« aucun élé­ phone pendant une partie de la
le ministère britannique de la défense. Il s’agit d’un record. un nouvel appel, l’opératrice du LES PASSAGERS VONT  ment ne nous permet de penser traversée. Zana Mamand Moha­
La France et le Royaume-Uni ont, par ailleurs, signé lundi Cross fait valoir que « de toute qu’il n’y a pas eu de coordination mad attend de la justice française
un nouvel accord pour lutter contre les traversées de migrants façon, maintenant, ils sont dans CONTINUER D’APPELER  entre les deux centres opération­ qu’elle traduise « les responsables
dans le détroit maritime. Cet accord prévoit notamment les eaux anglaises et que s’il nels ». « A notre niveau, ajoute­t­ de cette tragédie devant la justice,
que les Britanniques versent 72,2 millions d’euros en 2022-2023 rappelle il faut lui dire de contacter LES FRANÇAIS, PAS MOINS  elle, nous n’avons pas eu de retour que ce soit les passeurs ou les gar­
à la France qui, en contrepartie, augmentera de 40 % ses forces le 999 [les secours anglais] ». DE QUINZE FOIS ENTRE  d’enquête pour faire le lien entre les des­côtes des deux pays ». Le corps
de sécurité (350 policiers et gendarmes supplémentaires, dont Les passagers vont malgré cela échanges de cette nuit­là et l’em­ de Twana n’a pas été retrouvé. p
des réservistes) sur ses plages, d’où partent les migrants. – (AFP.) continuer d’appeler les Français, 2 H 43 ET 4 H 22, EN VAIN barcation naufragée. » julia pascual
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
A Hyères, les attentes
des rescapés secourus
par l’« Ocean­Viking »
Placés dans un centre fermé, ils attendent
de savoir s’ils pourront demander l’asile
hyères (var) ­ envoyée spéciale
E n France, on ne voudra pas
me couper le truc. » Aissata
(elle souhaite rester ano­
nyme comme les autres person­
nes citées par leur seul prénom)
s’est penchée en avant et parle à
voix basse. Elle explique ce qui l’a
poussée à quitter le Mali. Elle évo­
que son mari, qui l’a répudiée il y
a trois ans, parce qu’elle lui avait
donné quatre filles – dont des tri­
plées – et aucun garçon, et parce
qu’elle ne voulait pas se faire
« couper le truc », répète­t­elle, à
propos de l’excision à laquelle elle
a refusé de se soumettre.
Dépourvue de moyen de subsis­
tance, Aissata dit avoir confié ses
triplées de 10 ans aux soins de sa
tante et pris la route de l’exil avec
sa plus jeune fille de 6 ans. En
Libye, elle a travaillé six mois
comme femme de ménage dans
une famille de Tripoli qui l’a aidée
à payer sa traversée. C’est comme
ça qu’elle s’est retrouvée secourue
en Méditerranée centrale par le
navire humanitaire Ocean­Vi­
king, qui a ensuite accosté dans le
port de Toulon le 11 novembre.
Depuis, la jeune femme se
trouve dans la zone d’attente in­
ternationale créée ad hoc par les
autorités dans un centre de vacan­
ces de la presqu’île de Giens, à une
vingtaine de kilomètres de Tou­
lon. En dehors des mineurs, pris
en charge par l’aide sociale à l’en­
fance sur un autre site, tous les res­
capés du bateau que l’Italie avait
refusé d’accueillir s’y trouvent.
Ils sont aujourd’hui 189, dont
24 femmes et 13 enfants, héber­
gés dans les petits appartements
de crépis jaunes que Le Monde
a pu découvrir dimanche 13 no­
vembre en profitant du droit
de visite exercé par les sénateurs
des Bouches­du­Rhône Marie­Ar­
lette Carlotti (socialiste) et Guy
Benarroche (Europe Ecologie­
Les Verts). Le site est entouré
de lauriers­roses et gardés par
des CRS en faction.
Les rescapés secourus par
l’Ocean­Viking font en effet l’objet
d’une procédure d’urgence, dite
d’« asile à la frontière », dans le ca­
dre de laquelle l’Office français de
protection des réfugiés et apatri­
des (Ofpra) doit déterminer, après
un bref entretien, s’ils sont éli­
gibles à déposer une demande
d’asile ou si leur démarche est
manifestement infondée. Di­
manche, la représentante de
l’Ofpra sur le site, Madeline
Brocchetto, assurait qu’une tren­
taine d’entretiens avaient déjà été
programmés pour la matinée.
Selon les décisions prises, sous
quarante­huit heures, soit les per­
sonnes seront amenées à déposer
une demande d’asile en France ou
dans l’un des onze pays qui a ac­
cepté de participer à leur relocali­
sation en Europe, soit, dans le cas
contraire, une procédure de re­
conduite à la frontière devrait être
mise en route à leur encontre.
Aissata veut vivre en France.
Même si elle n’a aucune attache
HANE, UN SYRIEN, VEUT  aux frontières pour les étrangers.
UNE « VIE NORMALE »  policier. Certains ne comprennent
DANS « UN ENDROIT EN  pas où ils sont ni la procédure qui
SÉCURITÉ », QUE SA FILLE  14 novembre, le juge de la liberté
AILLE À L’ÉCOLE ET QUE  noncer sur les éventuelles pre­
SA FEMME PUISSE FAIRE  mières prolongations de main­
DES ÉTUDES D’INFIRMIÈRE
dans le pays, la jeune femme,
francophone, se souvient que
« quand [elle] étai[t] petite, [sa]
mère [lui] disait qu’[elles]
viendr[aient] vivre ici ». Pour le
moment, elle essaye surtout de
capter une connexion Inter­
net avec son téléphone pour
prendre des nouvelles de ses
filles restées au Mali.
Sur le site, ce jour­là, la plupart
des rescapés s’affairent à établir
une communication avec leurs
proches. Des équipes de la Croix­
Rouge leur fournissent l’accès à
un réseau Wi­Fi instable ou à
quelques minutes de communi­
cation téléphonique. « La moitié
des gens n’ont pas de portable et
on n’a toujours pas pu leur dis­
tribuer de cartes SIM », relate Na­
dia Shabander, de l’association.
Hane voudrait appeler son
oncle en Angleterre et son cousin
en Allemagne. Ce Syrien de 34 ans
se trouve dans le centre avec sa
femme et sa fille de 4 ans, après
avoir vécu une année en Libye.
Avant d’être secouru par l’Ocean­
Viking, il raconte avoir tenté une
fois déjà la traversée de la Médi­
terranée centrale. « Les gardes­cô­
tes libyens nous avaient arrêtés,
battus, insultés, menacés avec des
armes », dit­il, en désignant la ci­
catrice que lui ont laissée sur le
haut du crâne des coups de barre
de fer. Aujourd’hui, Hane veut
une « vie normale » dans « un en­
droit en sécurité ». Il aimerait que
sa fille Sarah aille à l’école, que sa
femme puisse faire des études
d’infirmière. Il voudrait s’établir
là où il a des attaches en Europe.
« Avoir des explications »
Joseph Aguek n’a, lui, aucun pa­
rent nulle part. Avant d’être se­
couru en mer par le navire huma­
nitaire de SOS Méditerranée, il
rapporte avoir déjà tenté trois fois
la traversée. Quand on interroge
ce jeune homme de 19 ans, origi­
naire du Soudan du Sud, sur ses
projets, il confie qu’il aimerait
« jouer au basket en France », fai­
sant valoir sa taille « d’environ
1,90 mètre, je crois ».
Jamaelden Joma n’en est pas
encore à se projeter. « On n’a pas
tout compris, on nous a parlé de
procédure mais pour l’instant on
est là. Certains sont appelés pour
des entretiens. On a déjà relevé nos
empreintes à la descente du ba­
teau. J’aimerais avoir des explica­
tions », s’impatiente ce Soudanais
de 24 ans, inquiet. La confusion
est palpable dans l’esprit des res­
capés. Un petit groupe de Bangla­
dais ressort justement d’une série
d’entretiens avec la police. Ils
tiennent entre leur main quel­
ques feuilles de papiers officiels
qui expliquent, en français, le ca­
dre dans lequel leur demande
d’asile va être examinée. Mais
ils n’ont manifestement pas com­
pris de quoi il retourne.
« Nous sommes très inquiets des
conditions des entretiens faits par
l’Ofpra, dans une tente, avec un
interprète joint par téléphone, et
de la prise en compte de la vulné­
rabilité des personnes, prévient
Laure Palun, directrice de l’Asso­
ciation nationale d’assistance
On les enferme dans un cadre
leur était applicable. » Lundi
et de la détention devait se pro­
tien en zone d’attente. p
julia pascual
Un prêtre mis en examen pour
viol, sa paroisse sous le choc
L’archevêque de Rennes a célébré lui­même une messe, dimanche,
à Montfort­sur­Meu, en Bretagne, où officie ce curé interpellé à Paris
montfort­sur­meu
(ille­et­vilaine), rennes ­
envoyée spéciale, correspondance
S
i ça se trouve, il a fait ça
plusieurs fois. » Gwenaëlle
Delacroix regarde son fils
de 10 ans prononcer ces
mots à la sortie de la messe
de Montfort­sur­Meu (Ille­et­Vi­
laine), dimanche 13 novembre.
« Il », c’est Yannick Poligné, le prê­
tre de la paroisse, qui vient d’être
mis en examen à Paris pour « viol
aggravé sur mineur » par l’admi­
nistration d’une drogue à l’insu
de la victime, « mise en danger de
la vie d’autrui », « usage de stupé­
fiants » et « provocation de mi­
neur à l’usage de stupéfiants ».
Le curé de 52 ans a été interpellé
à Paris dans la nuit du 3 au 4 no­
vembre. Un adolescent de 15 ans
venait d’appeler des amis au se­
cours alors qu’il se réveillait dans
un hôtel, vaseux. Un homme ren­
contré sur Grindr, une application
de rencontres homosexuelles,
l’aurait drogué et violé. Yannick
Poligné est interpellé rapidement
au sein même de l’hôtel parisien
et placé en garde à vue.
Aux enquêteurs, le prêtre ra­
conte être habitué des rendez­
vous sur Grindr. Pour le reste, « il a
dit tout et son contraire », selon
une source proche du dossier. Il
aurait notamment admis une re­
lation sexuelle mais, selon lui,
consentie, et assuré qu’il pensait
l’adolescent majeur. Yannick
Poligné aurait pris lui­même et
donné à la victime des drogues, de
la 3­MMC, proche de la MDMA, et
du GBL, un dérivé du GHB. Porteur
du VIH, il n’aurait utilisé aucune
protection avec l’adolescent, d’où
sa mise en examen pour « mise en
danger de la vie d’autrui ».
Alors évidemment, devant
l’église de Montfort­sur­Meu,
Gwenaëlle Delacroix se pose des
questions. L’agricultrice de 45 ans
a trois enfants, qui ont tous fait
leur communion ici. Lorsqu’elle a
« appris », elle leur en a parlé im­
médiatement. Ici, tout le monde
ne parle que de ça, de toute façon.
Même le collège a envoyé un mail
aux parents d’élèves, tendant la
main à ceux, adultes comme
enfants, qui en auraient besoin.
« Il venait à mon école », précise le
petit de Gwenaëlle, scolarisé dans
un établissement privé catholi­
que. Une dame grisonnante les
salue en sortant, les yeux rougis.
Elle n’y a pas cru au début, répé­
tant que « ça ne pouvait pas être le
père Yannick ». C’était bien lui.
Comme elle, de nombreux fidè­
les se disent « en colère », « cho­
qués », « trahis ». « C’était impor­
tant de mettre des mots dessus
aujourd’hui », glisse dans l’assis­
tance Anne­Elisabeth (elle sou­
haite rester anonyme, comme les
autres personnes citées par leur
seul prénom), 20 ans. Pour faire
face au « drame », l’archevêque de
Rennes, Pierre d’Ornellas, a fait
lui­même le déplacement pour la
messe dominicale, dans la ville de
6 500 habitants. Dans une tenue
de couleur violette, « symbole de
la pénitence, l’attente et le deuil »,
précise le directeur de la commu­
nication du diocèse.
« Alors que votre curé devait être
l’homme du pardon et de la paix
de Dieu, il a été violent au point
de commettre une action crimi­
nelle », a déclaré l’archevêque à la
communauté, demandant « au
nom de l’Eglise (…), pardon pour les
souffrances et les défiances que
cela engendre ». Dans son homé­
lie, il a également appelé à prier
pour la victime, « abusé violem­
ment », et rappelé l’obligation de
« lutter avec détermination contre
ce fléau des abus sexuels ».
« Révolté contre l’institution ca­
france | 17
groupe bioéthique au sein de la dale à un autre. Quand l’Eglise va­
Porteur du VIH,
Conférence des évêques de t­elle prendre conscience des pro­
le prêtre n’aurait France, l’avait convié à poursuivre blèmes et avoir le courage de les
ses études théologiques au sein embrasser à bras­le­corps ? »
utilisé aucune
de l’Institut jésuite de Bruxelles, Persuadé que « la misère affec­
protection notamment sur les questions tive » éprouvée par certains curés
bioéthiques. Depuis son retour les pousse à commettre des cri­
avec sa victime,
un mineur
tholique », Daniel est venu de
en 2016, il officiait au sein de la pa­
roisse de Montfort­sur­Meu.
Ici comme ailleurs dans le dépar­
tement, la plupart des fidèles et
hommes d’Eglise interrogés di­
mes, Jean­Eudes Fresneau plaide
pour des avancées « rationnelles »
sur le célibat des prêtres, le tabou
de l’homosexualité au sein de
l’Eglise, la culture du secret… Et il
Rennes, à trente minutes de là, sent « tomber des nues » en décou­ assume : « Je devrais demander
pour entendre précisément quels vrant l’affaire, et certains osent po­ l’autorisation pour m’expri­
mots le prélat choisirait. « Il n’a pas ser une question sous le couvert mer ainsi, mais l’actualité me
tourné autour du pot. Il fallait. » Le de l’anonymat : « Qui savait quoi ? » pousse à prendre ma liberté de pa­
retraité rennais préfère ne pas Dans le diocèse voisin de role. Acculée par les médias et les
donner son nom de famille pour Vannes (Morbihan), on observe victimes, l’Eglise tente de traiter
ne pas être associé à « tout ça ». l’affaire avec stupéfaction. Curé les conséquences des affaires.
D’ailleurs, il ne se dit plus catho­ de la paroisse de Sarzeau, Jean­ Le pape et les évêques doivent
lique, « juste chrétien, ça suffit ». Eudes Fresneau a fréquenté avoir le courage d’être proactifs.
Critique à l’égard des hommes Yannick Poligné. Le premier était N’ayons pas peur d’affronter la
d’Eglise qui ont « la tête au ciel, au séminaire de Vannes lorsque réalité, la vérité et les victimes. »
mais pas les pieds sur terre », du l’autre étudiait à Rennes. Les A Montfort­sur­Meu, une sil­
trop­plein de « non­dits », du céli­ deux hommes se sont rencontrés houette sort de l’église le pas
bat qui les enferme dans des men­ à l’occasion de stages avant de se pressé, téléphone rivé à l’oreille.
songes, Daniel attend maintenant retrouver en qualité de prêtres Brigitte n’a pas attendu la fin de la
que tous soient « à la hauteur au presque voisins. « Jamais, je messe menée par l’archevêque.
quotidien ». D’autant que le dio­ n’aurais pu imaginer tout ce que je Pour elle, « c’est du pipeau tout
cèse, comme l’Eglise tout entière, lis », souffle le père Fresneau. ça ». Elle a grandi dans une famille
n’en est pas à sa première affaire. Habitué à exprimer des posi­ très pratiquante, impliquée dans
En 2019, un ancien prêtre du sud tions divergentes comme sur le la paroisse. Elle raconte sa colère,
du département, Gaël Carissan, a secret de la confession que le curé la confiance rompue depuis long­
été condamné à cinq ans de pri­ morbihannais affirme pouvoir temps déjà. Et la crainte, chaque
son, dont deux ans ferme, pour rompre en cas d’agression jour, de découvrir une nouvelle
agression sexuelle sur mineur sexuelle sur un enfant, il pour­ affaire. De nouvelles victimes
pour des faits commis entre 2004 suit : « Nous passons d’un scan­ autour d’elle.
et 2006. Ce curé avait été Lucie, elle, peine à trouver les
écarté en 2008 de la paroisse de mots. Cette mère de famille a bien
Redon – confiée ensuite à Yannick connu Yannick Poligné : il a même
Poligné – pour rejoindre la com­ Yannick Poligné célébré son mariage. Elle grimace
munauté de l’Arche, en région pa­ en se demandant ce que vaut dé­
risienne. La réaction de Pierre
était un curé en sormais une telle union religieuse.
d’Ornellas avait été critiquée par la vue localement « Je ne suis pas une victime », tient­
défense de la victime. A l’audience, elle à préciser, mais elle se sent
en 2019, l’évêque avait admis ne
et affichait « salie » après avoir donné « toute
pas avoir « fait tout ce qu’il fallait » une proximité sa confiance » au prêtre
lors de son audition comme té­ aujourd’hui placé en détention
moin. Une « autre époque », insiste
intellectuelle provisoire. Sa foi « ébranlée », elle
la communication du diocèse. avec en vient à se demander : « Pour­
quoi continuer à aller à l’église ? » p
« Tomber des nues »
l’archevêque benjamin keltz
Originaire de Bais, commune de de Rennes et lucie soullier
la campagne de Vitré (Ille­et­Vi­
laine), Yannick Poligné est un
homme du cru. A 18 ans, il avait in­
tégré le séminaire de Rennes
avant d’être ordonné prêtre dans
la capitale bretonne en 1999. Offi­
ciant par la suite dans différentes
paroisses du département, il a
souvent eu une attention particu­
lière aux activités pastorales, no­
tamment en direction des jeunes.
En 2000, il avait, par exemple, par­
LE MONDE
ticipé à l’organisation et l’encadre­
ment du voyage de paroissiens du
diocèse à Rome aux Journées
APPARTIENT
mondiales de la jeunesse (JMJ).
Au fil des années, le prêtre était
devenu une des figures de la
« nouvelle génération » de curés
©Aline Bureau, © Quentin Faucompré - LGM&co
À CEUX QUI
du diocèse. L’évêque de Rennes
avait encouragé leur avè­
nement en leur confiant des pa­
roisses stratégiques. Ce fut le cas
L’ÉCOUTENT
pour Yannick Poligné, mis­
sionné notamment à Redon et
Montfort­sur­Meu.
TÔT
Les choix de Pierre d’Ornellas
ont pu faire grincer des dents, no­
tamment chez les prêtres les plus
aguerris reprochant à la nouvelle
génération son conservatisme
derrière une pratique moderne.
Ces « jeunes » curés, désormais
quinquagénaires, utilisent les ré­
seaux sociaux, portent un col ro­
main au quotidien et aiment par­
Avec l’application La Matinale, réveillez-vous
fois user du latin. Surtout, ils as­
avec une sélection de 20 articles, à lire
sument des positions tranchées
ou à écouter chaque jour dès 7h.
sur la fin de vie ou sur l’union ho­
mosexuelle, et ont été au cœur de
la mobilisation bretonne contre
le mariage pour tous.
Si Yannick Poligné évitait, lui, les
réseaux sociaux, il était l’un des
curés en vue localement et affi­
chait une proximité intellectuelle
avec l’archevêque de Rennes.
En 2014, le père Poligné expliquait
ainsi que Pierre d’Ornellas,
aujourd’hui responsable du
18 | sports 0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022

Polémiques à géographie variable sur le Qatar
Très présentes en Europe, les critiques à l’encontre du pays hôte du Mondial ont moins d’écho ailleurs

abidjan, berlin, buenos aires,

dakar, malmö (suède),
londres, sydney, tokyo,
tunis ­ correspondants

D
e la tenue des Jeux
olympiques d’hiver à
Pékin à l’exclusion des
athlètes russes et bié­
lorusses des compétitions inter­
nationales dans le sillage de l’in­
vasion de l’Ukraine, le 24 février,
l’année 2022 serait un cas d’école
s’il fallait démontrer le caractère
éminemment politique du sport.
Un événement pourtant cristal­
lise les débats les plus vifs : la
Coupe du monde de football, or­
ganisée du 20 novembre au 18 dé­
cembre au Qatar. Les griefs sont
légion à l’encontre du pays ac­
cueillant l’un des rendez­vous
sportifs les plus suivis à l’échelle
de la planète : soupçons de
corruption dans le processus d’at­
tribution, négation des droits
humains, désastre écologique…
Depuis plusieurs semaines, en
France, une question anime les
conversations : faut­il renoncer à
regarder ce Mondial pour expri­
mer sa désapprobation ? Alors que
les Bleus défendent leur titre dans
l’émirat, la plupart des grandes
villes métropolitaines, comme
Paris, Lille ou encore Marseille, ont
renoncé à diffuser les matchs en
public sur des écrans géants. Une
décision prise aussi par de nom­
breuses communes outre­Rhin,
dont Berlin, mais aussi plusieurs
bars et autres restaurants du pays,
avec le hashtag #keinkatarinmei­
nerkneipe (« Pas de Qatar dans Un manifestant pendant le match entre le FC Copenhague et le Borussia Dortmund, le 2 novembre, dans la capitale danoise. MARVIN IBO GUENGOER - GES SPORTF/GETTY IMAGES
mon bar ») en guise de cri de rallie­
ment sur les réseaux sociaux.
Le voisin danois, non plus, ne té­ nous aidant à développer des as­ engagement ou rendez­vous im­ milliers d’ouvriers morts sur le à s’attaquer aux graves problèmes
moignera pas du même soutien
L’équipementier pects qui devaient l’être », a admis, portant ne peuvent être pris pen­ sable de Doha. de droits humains au lieu de les
qu’à l’accoutumée. Entre 600 et de l’équipe le 25 octobre, devant le conseil lé­ dant la reine des compétitions. A Au Japon, les questions des at­ balayer sous le tapis », a immédia­
800 billets « seulement » sur les gislatif à Doha, le cheikh Tamim fortiori quand il s’agit probable­ teintes à l’environnement, de la tement réagi l’ONG Amnesty In­
5 000 alloués par match aux
du Danemark Ben Hamad Al Thani, l’émir du ment de la dernière de Lionel corruption ou des violations des ternational par la voix de son
supporteurs des Danish Dyna­ a imaginé un Qatar. Mais il a ensuite estimé Messi, 35 ans, l’un des meilleurs droits humains dans la nation responsable de la justice écono­
mite ont trouvé preneurs, tandis que, ces derniers temps, les « ca­ joueurs de l’histoire du football organisatrice se limitent aussi à mique et sociale. L’organisation
que la fédération (DBU) a fait part
troisième maillot, lomnies » et le « deux poids deux toutes générations confondues. quelques courts articles évoquant avait déjà fait part de sa décision
de sa volonté de minimiser sa pré­ noir, « la couleur mesures » avaient pris le relais Pour beaucoup d’Argentins, ce les débats et boycotts au Dane­ de ne pas boycotter la Coupe du
sence dans l’émirat pour protester dans le discours des détracteurs. Mondial est aussi l’occasion de mark, en Australie ou encore en monde, mais, au contraire, de s’en
contre son bilan en matière de
du deuil » L’affaire a même provoqué une mettre entre parenthèses l’incer­ France. Une quasi­absence que le servir pour « braquer les projec­
droits de l’homme. « Nous ne vou­ mini­crise diplomatique avec Ber­ titude quotidienne d’une écono­ journaliste et écrivain Akira teurs » sur les sujets qui fâchent.
lons pas contribuer à créer du profit aller jusqu’à sept ans de prison. lin, après les déclarations de la mi­ mie chahutée par l’inflation Nishimura regrettait dans une
pour le Qatar », résumait, le 4 oc­ Les capitaines de plusieurs na­ nistre allemande de l’intérieur, – plus de 80 % en un an. Alors, tribune publiée début novembre L’exclusion de l’Iran discutée
tobre, au journal Ekstra Bladet le tions européennes, dont l’Angle­ Nancy Faeser, fin octobre, sur la même dans ce pays pionnier de la sur le site Shueisha Shinshou : Une position à laquelle adhère
responsable de la communication terre, la France, le Danemark et chaîne ARD : « Nous pensons que défense des droits LGBTQ+, le fait « Les fans japonais ignorent que Mahdi Jafargholizadeh, ancien
de la DBU. Dans cette optique, l’Allemagne, porteront d’ailleurs l’attribution des grands événe­ que l’homosexualité soit un délit ces problèmes font depuis long­ champion de karaté iranien, qui
aucun proche des joueurs ne sera pendant la Coupe du monde des ments sportifs doit prendre en au Qatar ou que les voyageurs temps débat dans le monde en­ vit en exil depuis plusieurs an­
d’ailleurs du voyage dans le Golfe. brassards aux couleurs arc­en­ciel compte des critères tels que le res­ présentant un document d’iden­ tier » ou, pire, « ne se sentent pas nées. Dans la République islami­
ornés du message « One Love ». pect des droits humains et du déve­ tité non binaire – mis en place de­ concernés ». que, le Qatar ne fait pas en lui­
Brassards arc-en-ciel A l’approche du coup d’envoi de loppement durable. Pour cette rai­ puis 2021 en Argentine – pour­ Constat similaire en Corée du même l’objet de critiques. La par­
Hummel, l’équipementier histo­ la compétition, l’attitude d’un des son, il y a des pays qu’il faudrait évi­ raient rencontrer des obstacles à Sud. La principale préoccupation ticipation de l’équipe nationale à
rique de la sélection, a même un défenseurs les plus ardents des ter. » En déplacement dans l’émirat l’entrée dans l’émirat ne fait pas du moment des supporteurs lo­ la Coupe du monde si. Les appels
temps envisagé de boycotter la droits LGBTQ+ au Royaume­Uni quelques jours plus tard – une vi­ débat. Ici, les controverses que caux est de savoir si le joueur de se sont multipliés pour exclure
compétition, arguant qu’il « ne est d’ailleurs scrutée avec atten­ site prévue de longue date –, l’inté­ peut susciter la compétition Tottenham et capitaine des la Tim­e melli de la compétition.
souhait[ait] pas être visible pen­ tion : celle du prince William. ressée avait tenté de rectifier le tir. ailleurs dans le monde restent Guerriers Taegeuk, Son Heung­ Fin octobre, la Fédération ukrai­
dant un tournoi qui a coûté la vie à L’héritier de la couronne britan­ Mais dans un entretien à la confidentielles : rien ne doit venir min, sera remis à temps de son nienne de football avait soumis
des milliers de personnes » – allu­ nique, mordu du ballon rond et Frankfurter Allgemeine Zeitung, le amoindrir la joie attendue. opération subie après un choc en une demande en ce sens à la FIFA,
sion aux morts sur les chantiers président de la fédération an­ 7 novembre, le chef de la diploma­ phase de groupe de Ligue des mettant l’accent sur l’appui de Té­
qataris, une estimation vivement glaise, fera­t­il le voyage dans le tie qatarie, Mohammed Ben Ab­ Des Japonais « pas concernés » champions contre l’Olympique héran à la campagne militaire
contestée par Doha. La marque a Golfe pour l’événement ? Officiel­ derrahmane Al Thani, s’était agacé Les Ghanéens, eux, piaffent d’im­ de Marseille, le 1er novembre. Le russe sur son territoire.
finalement opté pour une appro­ lement, l’intéressé n’en a pas le de « l’hypocrisie » des dirigeants patience à l’idée d’une revanche Sénégal, lui, retenait surtout son Une partie des Iraniens y sont
che plus symbolique, avec des « projet », la faute à un agenda déjà allemands. « D’un côté, la popula­ sur l’Uruguay, le 2 décembre, souffle alors que l’incertitude eux­mêmes favorables, pour dé­
maillots officiels où le logo de la bien chargé, explique­t­on au tion est mal informée [sur notre douze ans après la main de Luis planait sur la présence de sa star noncer le sort réservé aux fem­
fédération ainsi que celui de la palais de Kensington. Pas de boy­ pays] par le gouvernement, mais Suarez et leur élimination trau­ Sadio Mané, blessé avec son club, mes, longtemps interdites de
marque sont estompés : en plus cott ou de posture de principe, de l’autre, ce même gouvernement matisante aux tirs au but. Pour le le Bayern Munich, mais il sera stade malgré les récriminations
des deux traditionnelles tuniques donc. Une venue du fils de Char­ n’a aucun problème avec nous lors­ reste, les officiels, les Black Stars bien du voyage au Qatar. Si le prix de l’instance internationale. Pour
rouges et blanches, une troi­ les III dans l’émirat n’est pas com­ qu’il s’agit de nouer des partena­ ou encore la presse nationale se des maillots officiels des Lions de dénoncer, aussi, la brutalité du ré­
sième, noire, « la couleur du plètement exclue si les Three riats sur l’énergie ou de faire des in­ gardent bien d’évoquer le bilan la Téranga provoque quelques gime et les violations récurrentes
deuil », a été imaginée – qui ne Lions réalisaient une belle perfor­ vestissements », a­t­il dénoncé. Un humain et écologique catastro­ remous, rien en revanche sur la des droits humains dans la Répu­
sera cependant pas portée au mance dans le tournoi… De quoi mois auparavant, le fonds d’Etat phique du tournoi. Et quand le mi­ nation hôte. blique islamique, dans un con­
Qatar, le règlement n’autorisant nourrir un peu plus l’ambiguïté. qatari (QIA) annonçait un investis­ nistre des sports, Mustapha Ussif, Pas plus d’ailleurs qu’en Tunisie, texte de colère attisée par la mort
que deux tenues par équipe. A l’instar de ses têtes couron­ sement de 2,4 milliards d’euros évoquait dans un discours de sou­ où, en dépit des critiques interna­ de Mahsa Amini, arrêtée mi­sep­
Une sobriété dont a aussi fait nées, le Royaume­Uni hésite sur dans le grand énergéticien alle­ tien à l’équipe nationale son tionales sur les conditions de tembre par la police des mœurs
preuve l’un des adversaires du l’attitude à adopter face à un mand RWE, devenant du même souhait de disputer une « Coupe travail dans l’émirat, de nom­ pour avoir mal ajusté son foulard.
Danemark dans le groupe D, l’Aus­ Mondial à l’odeur de soufre. Gary coup son premier actionnaire. du monde sans controverse », il fai­ breux Tunisiens ont choisi de ve­ « Le football est le meilleur
tralie, dont la fédération et une Lineker, présentateur star de la A mesure que le début du tour­ sait allusion aux scandales de cor­ nir grossir les rangs des établisse­ moyen de faire entendre nos voix,
partie des joueurs ont été les pre­ BBC, lui­même ancien buteur de noi approche, l’euphorie qui rè­ ruption qui avaient éclaboussé le ments de service qataris à a plaidé auprès de l’agence de
miers acteurs directs du monde la sélection nationale dans les an­ gne dans certains Etats est en re­ Ghana au Brésil en 2014, non aux l’occasion de la Coupe du presse Reuters Mahdi Jafargholi­
du football à critiquer ouverte­ nées 1980, promet qu’il évoquera vanche d’une telle ampleur qu’il monde… allant jusqu’à créer une zadeh. L’une des raisons importan­
ment le pays organisateur. Dans tous les sujets qui fâchent à l’an­ est difficile, voire impossible, hémorragie de personnel dans le tes pour lesquelles la FIFA doit
une vidéo en noir et blanc diffu­ tenne. « Aucune ligne rouge » sur pour ceux qui critiquent le Mon­ En Argentine, secteur hôtelier du pays. interdire cette équipe est que tout
sée le 27 octobre, seize Socceroos, ce qu’il pourra dire ou non ne lui a dial au Qatar de faire entendre Vendredi 4 novembre, la chaîne le monde se demandera alors :
plan serré et visage grave, sont re­ été imposée, assure­t­il dans le leur voix. C’est le cas en Argentine
les controverses d’information britannique Sky “Qu’est­il arrivé à l’Iran ?” » p
venus ainsi tour à tour sur le bilan podcast « The News Agent ». notamment, où depuis des se­ restent News révélait que les dirigeants aude lasjaunias avec
du Qatar en matière de droits hu­ Du côté de la nation hôte, le maines la phrase suivante est ré­ de la Fédération internationale de éric albert, lilia blaise,
mains, qu’il s’agisse du sort des concert de critiques fait grincer pétée à l’envi, d’un air entendu :
confidentielles, football (FIFA) avaient adressé isabelle dellerba, flora
travailleurs migrants, mais aussi des dents. « Au départ, nous avons « Au mois de novembre, impossi­ rien ne doit venir une lettre aux trente­deux sélec­ genoux, ghazal golshiri,
de celui des personnes LGBTQ+ traité ce sujet en toute bonne foi, et ble, c’est la Coupe du monde. » tions participant au Mondial, les anne­françoise hivert, marine
dans un Etat où l’homosexualité nous avons même considéré que Dans une nation où le ballon rond
amoindrir la joie invitant à « se concentrer sur le jeannin, philippe mesmer, théa
est passible d’une peine pouvant certaines étaient positives et utiles, est élevé au rang de culte, aucun attendue football ». « Que la FIFA commence ollivier et thomas wieder
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022 sports | 19

Les petits pas du plan 1 000 dojos solidaires

Ce programme de financement de petites infrastructures de proximité d’ici à 2024 avance très lentement

JO 2024 L’idée est

I
l faut se faufiler entre les
tours délabrées du quartier
du Chêne­Pointu pour trou­
ver l’entrée du « dojo soli­
daire » de Clichy­sous­Bois (Seine­
Saint­Denis). Au pied des blocs, pas
de complexe sportif en vue, mais
un centre commercial vétuste où
de vieilles publicités témoignent
d’un dynamisme qui n’a plus
cours. Coiffeur, restauration ra­
pide, café… Seuls sont restés les
néons grésillants et les vitrines
émaillées. Un local flambant neuf
détonne : au milieu du centre
commercial s’est installé un dojo.
Le lieu a été inauguré par le pré­
sident de la République en per­
sonne, en juin. Il faut dire que ce
dojo a été construit dans le cadre
du « plan Macron » de finance­
ment de 5 000 équipements
sportifs de proximité, lancé en
octobre 2021 : il s’agit de créer,
d’ici à 2024, des petites infras­
tructures – dont 1 000 dojos –
pour renforcer et faciliter l’accès
à la pratique du sport par les
Français, la perspective d’ac­
cueillir les Jeux olympiques et pa­
ralympiques de Paris ayant rap­
pelé que les inégalités sont fortes
dans le pays en la matière.
Le dojo balbutie encore
L’idée est de pouvoir installer les
dojos solidaires,dans des rez­de­
chaussée d’immeuble ou dans
d’anciens locaux commerciaux,
et de les animer tout au long de la
journée en lien avec les acteurs
sociaux locaux. « J’habite ici de­
puis des années. Quand on m’a dit
que j’allais faire du sport au Chê­
ne­Pointu, je n’y croyais pas ! »,
s’anime Laadj Tallaa, dans le dojo
de Clichy­sous­Bois. La retraitée
participe, ce lundi matin, à un
cours de gymnastique douce.
« C’est à côté de chez moi, et ça me
maintient en forme. Avant, j’allais
à la piscine, mais le burkini y est
interdit, alors j’ai préféré arrêter. »
Dans la salle, douze seniors de
la maison sport santé Maurice­
Audin s’activent sous les conseils
du coach Romain Belotti : « Ce
sont des personnes éloignées de la
pratique physique, parfois en si­
tuation de handicap. On leur pro­
pose une pratique adaptée. » A
côté des retraités, Saida Hamma
et David Mario Tolis ont enfilé
leurs kimonos. « Je forme ma
Cours de judo dans le dojo solidaire de Clichy­sous­Bois, le 7 novembre. CAMILLE MILLERAND/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
compagne afin qu’elle puisse don­
ner des cours de self­défense, ex­
plique ce dernier. Ce sera un
cours adapté pour les femmes vic­
times de violences. » Ici, pas de
clubs résidents, mais des cré­
neaux confiés aux associations
pour permettre aux habitants
d’accéder au sport et à la culture.
« C’est un lieu à vocation sociale
où les activités sont axées sur la
santé et l’insertion. Les seniors y
font de la gym, les petits du judo,
les parents sont formés au numé­
rique », expose Jacques Favre, an­
cien directeur des sports de la
ville de Clichy­sous­Bois, qui a
longtemps porté le projet.
Impossible, pour les curieux
amassés devant la vitre, d’entrer
et de pratiquer en toquant à la
porte. Les activités sont unique­
ment accessibles sur inscription,
auprès des associations. « Quand
des mères viennent en pensant
pouvoir inscrire leur enfant, nous
les renvoyons vers le club. Le pro­
fesseur de judo ne vient ici que
pour les scolaires », explique Bou­
bou Diallo, éducateur sportif
de la ville, qui abaisse le volet
métallique. Sur le tatami,
Shanna, 5 ans, sautille joyeuse­
ment avant de saisir son cama­
rade au sol. « Les maternelles ado­
rent le judo, et ça leur apprend le
respect des consignes, la camara­
derie, la confrontation », explique
Sophie Pires, maîtresse des gran­
des sections à l’école Paul­Lange­
vin. « Leurs parents sont souvent
éloignés du milieu associatif.
Quelques garçons sont inscrits au
foot, mais peu de filles vont au
sport. Nous allons donc inviter
les parents pour les encourager
à inscrire leur enfant », ajoute
l’enseignante.
Le dojo solidaire balbutie en­
core. A l’heure du repas, un
groupe manque à l’appel :
« L’école qui devait venir en pause
cartable n’avait pas assez d’ani­
mateurs pour accompagner les
enfants », soupire M. Diallo.
« Nous sommes dans la phase de
développement, reconnaît Sté­
phane Zaidi, directeur adjoint
des sports de la ville. Il n’y a pas
encore d’activité entre 16 heures et
19 heures, car aucune association
ne s’est positionnée. Les ateliers
numériques ne sont, quant à eux,
pas encore lancés, car le centre
commercial n’a pas de raccorde­
ment au réseau. » Cinq mois
après l’inauguration, seules 65 %
des activités sont en place.
Questions sur l’après-JO
Si les habitants du Chêne­Pointu
saluent l’initiative, beaucoup s’in­
terrogent sur la durabilité du pro­
jet. Le centre commercial doit être
détruit d’ici à cinq ans, et les aides
du « plan Macron » courent jus­
qu’à 2024. Que se passera­t­il
après les Jeux ? « Si ça marche bien,
nous trouverons dans les futurs
immeubles un lieu où reproduire le
dojo solidaire », assure Olivier
Klein, le maire (ex­socialiste
aujourd’hui divers gauche) de la
ville – et ministre délégué chargé
de la ville et du logement. Les mê­
mes questionnements se posent
à Nanterre (Hauts­de­Seine), où
un dojo solidaire a également été
créé. « Nous avons ouvert le dojo il
y a un an, et, pour le moment, c’est
encore un peu compliqué. Dans la
mise en œuvre, il y a des manque­
ments : qui ouvre le dojo ? Qui as­
sure le ménage ? Qui paye les édu­
cateurs ? », souligne Elsa Garel,
présidente du club l’Entente spor­
tive Nanterre judo.
A l’heure actuelle, les dojos soli­
daires de Clichy­sous­Bois et de
Nanterre sont les seuls à avoir vu
le jour. Loin des 300 prévus pour
2021­2022 par la Fédération fran­
çaise de judo (FFJDA), partenaire
de ce projet.
Au sein de cette dernière, on
met en avant la dimension hu­
maine pour expliquer en partie
le retard à l’allumage du pro­
gramme. « Contrairement à un
city stade [“terrain multisport”],
où il ne faut que du foncier, le judo
anime un équipement. La valida­
d’animer
ces dojos tout
au long de la
journée en lien
avec les acteurs
sociaux locaux
tion du dossier, la requalification
de l’espace, la formation des enca­
drants, les liens avec les associa­
tions… tout cela prend du temps »,
énumère Arnaud Seguin, res­
ponsable du programme notam­
ment pour l’Ile­de­France.
La FFJDA, qui voit dans ce projet
une aubaine pour toucher de
possibles futurs licenciés alors
qu’elle a perdu 900 clubs entre
2012 et 2022, se dit persuadée
que la cadence des ouvertures va
s’accélérer. Elle fait valoir que
250 conventions sont signées et
estime que 50 nouvelles inaugu­
rations devraient avoir lieu d’ici à
mars 2023.
Maintenir le cap
L’élargissement du « plan Ma­
cron » devrait également faciliter
le déploiement : le 6 octobre,
l’Agence nationale du sport
(ANS), qui coordonne la mise en
œuvre de ce projet, a ouvert le
dispositif « à l’ensemble des terri­
toires » et non plus uniquement
aux territoires dits « carencés »
(quartiers prioritaires de la politi­
que de la ville, zones de revitalisa­
tion rurale). « Nous ne savons pas
si nous allons réaliser 1 000 dojos
d’ici à 2024 », reconnaît ainsi Sé­
bastien Nolesini, le directeur gé­
néral de la FFJDA. « Mais si nous
en avons déjà 200 qui fonction­
nent bien, nous serons contents »,
assure­t­il. L’ANS maintient, de
son côté, le cap des 1 000 structu­
res. « L’ingénierie est certes plus
complexe, mais ça ne remet pas en
cause le calendrier initial ni l’am­
bition de livrer 5 000 terrains de
sport d’ici à 2024 », explique­t­on
au ministère des sports et des
Jeux olympiques et paralympi­
ques, tout en rappelant que 2 100
équipements de proximité ont
déjà été financés, moyennant un
financement public de 85 mil­
lions d’euros. p
louise le borgne

Un paquet fiscal sur mesure pour l’organisation des Jeux

Entre les diverses exonérations prévues, l’Etat anticipe un manque à gagner de plusieurs millions d’euros sur ses recettes fiscales

L’ impact sur les finances

publiques de l’organisa­
tion des Jeux olympiques
et paralympiques (JOP) en France
à l’été 2024 (du 26 juillet au 11 août
et du 28 août au 9 septembre) fait
l’objet de beaucoup d’attentions,
les précédents pays organisateurs
ayant presque tous déploré d’im­
portants déficits.
Mais, au­delà du fait qu’un bud­
get non équilibré de l’événement
pourrait conduire l’Etat à combler
le déficit et la dépense publique à
dépasser la somme de 1,7 milliard
d’euros actuellement prévue
(2,1 milliards d’euros en réalité, si
on prend en compte tous les en­
gagements), il est un coût pour les
comptes nationaux qui n’est que
peu évoqué : celui qui sera engen­
dré par les exonérations fiscales.
Plus que d’un coût, il s’agira en
réalité d’un manque à gagner pour
l’Etat et les collectivités. Car,
comme les autres grands événe­
ments sportifs internationaux
ayant lieu en France, l’organisa­
tion des Jeux bénéficiera de déro­
gations fiscales en vertu de la loi
de finances rectificative pour 2014.
Les sommes en jeu n’atteindront
Une dérogation
introduite dans
la loi de finances
pour 2020
bénéficiera
à l’horloger
suisse Omega
certes pas des milliards d’euros,
mais elles se chiffreront en mil­
lions d’euros, comme le décrit le
rapport relatif à l’effort financier
public dans le domaine du sport,
publié en annexe du projet de loi
de finances pour 2023.
Pertes de recettes fiscales
Ce document – également appelé
« jaune budgétaire » – ne trace ce­
pendant pas encore de perspective
de bilan global entre les moindres
recettes fiscales attendues et les
autres rentrées fiscales que pourra
générer l’événement. A titre indi­
catif, l’Euro de football 2016 avait
conduit à un manque à gagner fis­
cal estimé à 65,1 millions d’euros.
Les pertes de recettes concerne­
ront pour une bonne part les
collectivités locales, au titre des
exonérations de la cotisation sur
la valeur ajoutée des entreprises
(CVAE), de la contribution supplé­
mentaire à l’apprentissage, de la
cotisation foncière des entreprises
et de la taxe de balayage
C’est la CVAE qui constituera « la
principale source de perte en ma­
tière fiscale », selon le rapport, qui
ajoute que, s’« il est encore préma­
turé d’estimer de manière précise
les autres charges éventuelles », les
montants en jeu seront « moins si­
gnificatifs » que pour la CVAE. Le
rapport assure toutefois que « les
moins­values liées aux exonéra­
tions seront d’un ordre de grandeur
nettement inférieur » aux supplé­
ments de recettes générées par les
Jeux (recettes de TVA additionnel­
les sur la billetterie sportive, les re­
cettes d’hospitalité ou encore les
dépenses d’hôtellerie), qui, elles,
« pourraient être comprises entre
400 millions et 600 millions
d’euros ». Pour le Comité d’organi­
sation des Jeux olympiques et pa­
ralympiques (Cojop), il ne devrait
pas y avoir en revanche d’exonéra­
tion sur l’impôt sur les sociétés, ni
sur les impôts et taxes liés aux ré­
munérations versées à ses salariés.
A cela deux explications : la
structure n’envisage pas de déga­
positions du code des impôts :
l’exonération des royalties per­
çues par le Comité international
olympique (CIO) sur les partena­
riats du Cojop et les exonérations
royalties est évalué à 65 mil­
lions d’euros.
Sur la base d’une exonération de
la retenue à la source fixée au
taux de 5 % par la convention in­
ger de bénéfices et ne sera pas im­ en faveur du… chronométreur of­ ternationale franco­suisse (le CIO
posable (« les organisateurs ta­ ficiel des Jeux. étant établi en Suisse), cela
blent sur un résultat à l’équilibre conduirait à un manque à gagner
au terme de la livraison des événe­ Engagements auprès du CIO fiscal de 3,25 millions d’euros.
ments », souligne le jaune budgé­ Les royalties versées par le Cojop A cette somme s’ajouteront
taire) ; et comme elle est « sou­ au CIO (assimilé aux organi­ « environ 4 millions d’euros » de
mise aux impôts commerciaux », sateurs) sur la base des revenus moins­values fiscales dues au fait
elle n’est « pas redevable » de la issus de son programme marke­ que « l’organisme désigné comme
taxe sur les salaires. ting « sont exonérées de retenue fournisseur officiel des services de
Le manque à gagner fiscal pro­ à la source », souligne le jaune chronométrage et de pointage
viendra aussi de deux autres dis­ budgétaire. Le montant de ces n’est pas redevable des impositions
au titre des rémunérations perçues
du comité d’organisation des Jeux
Un bonnet phrygien pour mascotte olympiques et paralympiques ».
C’est un article de la loi de fi­
Le Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques nances pour 2020 qui a introduit
a dévoilé, lundi 14 novembre, la mascotte de Paris 2024. Ou plu- dans le code général des impôts
tôt les mascottes, car elles seront deux. Baptisées les « Phryges », cette dérogation dont bénéfi­
en référence au bonnet phrygien, elles arborent une robe rouge ciera l’horloger suisse Omega.
et une cocarde tricolore, l’une ayant une prothèse et une basket Cela « permet à la France de res­
rouge quand l’autre est chaussée de deux baskets blanches. pecter ses engagements auprès
Les Phryges (26 euros le modèle de 24 cm, plusieurs tailles étant du CIO découlant de la lettre de
disponibles, jusqu’à 80 cm) seront déclinées sur des tee-shirts, garantie adressée par le premier
sweats à capuche, porte-clés, pin’s. Elles seront disponibles dès ministre au président du CIO
le 15 novembre chez Carrefour, partenaire de Paris 2024, dans le 3 août 2016 », relève le jaune
les principaux magasins de jouets, ainsi que dans la première budgétaire. p
boutique Paris 2024 qui ouvre le 14 novembre, aux Halles à Paris. philippe le coeur
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
20 |
Au ski, la saison de la flambée des prix
Les stations tentent de réduire leur facture d’énergie et augmentent leurs tarifs, ce qui ne décourage pas les skieurs
J
ean­Luc Boch en a marre.
Le président de l’Associa­
tion nationale des maires
des stations de montagne
(ANMSM) semble fatigué de
devoir défendre sans cesse son
modèle, qu’il sent de plus en plus
« attaqué ». « Le ski n’est pas mort !
Il est bien présent, et on va conti­
nuer de le développer », marte­
lait­il, lors de la conférence de lan­
cement de la saison d’hiver, orga­
nisée par France Montagnes,
jeudi 10 novembre, à Paris.
A quelques semaines de la mise
en route des télésièges, les sta­
tions sont pourtant rassurées : el­
les enregistrent une hausse de 7 %
des réservations par rapport à
l’année dernière à la même épo­
que. Malgré l’inflation, la petite
minorité de Français qui prati­
quent le ski (8 %) est au rendez­
vous. Et les skieurs britanniques,
échaudés fin 2021 par les restric­
tions sanitaires mises en œuvre
dans leur pays, seront de retour.
Pourtant, les prix flambent. A
Val Thorens, le coût du forfait sera
en hausse de 9 % par rapport à
l’année dernière : un adulte devra
débourser 72 euros pour une jour­
née sur les pentes des Trois Val­
lées. Chez Sunweb, importante
agence spécialisée dans la monta­
gne, le coût des packages, qui
comprennent aussi l’héberge­
ment et la location de matériel, a
pris 8 % en un an. « Mais les clients
sont là. Nous avons 11 % de réserva­
tions en plus par rapport à l’année
dernière à la même date », assure
Cécile Revol, de Sunweb. Les
skieurs ont­ils pris les devants,
craignant d’éventuelles hausses
de prix dans les semaines qui
viennent ? C’est l’une des hypo­
thèses. L’explication la plus pro­
bable est que le ski est pratiqué
avant tout par des personnes peu
sensibles à la hausse des prix.
Coup de bambou
Si les tarifs augmentent, c’est no­
tamment parce que les factures
énergétiques des stations s’envo­
lent. Cette année, la moitié d’entre
elles ont renouvelé leur contrat
avec leur fournisseur, selon les
dernières estimations de Domai­
nes skiables de France (DSF), le syn­
dicat des exploitants de stations
de ski. Pour elles, c’est le coup de
bambou. « C’est simple, je multiplie
ma facture d’électricité par quatre
par rapport à l’année dernière. Et
encore, j’ai signé en mai. Ceux qui
ont attendu septembre, c’est pire »,
décrit Alexandre Maulin, qui gère
le domaine des Sybelles (Savoie), et
qui est aussi le président de DSF.
Les petites stations sont les plus
ébranlées. « Or, elles sont essentiel­
les, car c’est là que les enfants ap­
prennent, ce sont nos skieurs de de­
main », s’inquiète Jean­Luc Boch.
La petite filière des granulés de bois en surchauffe
Face à la forte demande, due à la flambée des prix de l’énergie et aux politiques de transition énergétique, le secteur a accru ses importations
D es clients qui passent
commande sur Internet
et ne sont jamais livrés.
Des entreprises qui envoient de la
marchandise et se voient en
échange gratifiées de chèques en
bois. Ces derniers mois, les granu­
lés de bois n’auront pas dérogé à la
règle de tout secteur en proie à un
mouvement de panique : des es­
crocs en ont profité pour échafau­
der une pléthore d’arnaques.
Voulant se prémunir contre la
flambée des prix du gaz et de l’élec­
tricité, nombre de Français se sont
rués sur ces pellets pour se chauf­
fer cet hiver, occasionnant surs­
tockage et flambée des prix. En oc­
tobre, en l’espace d’une année, le
Un employé
travaille sur
un chantier de
démantèlement
de remontée
mécanique,
à Saint­Firmin
(Hautes­Alpes),
dans le massif
des Ecrins,
le 29 octobre.
OLIVIER CHASSIGNOLE/AFP
Dans les Pyrénées, Eric Matzner
sait que sa facture d’électricité va
augmenter de « 300 % aux heures
de pointe ». « C’est un gros stress »,
confie cet universitaire, qui s’est
lancé, en 2021, dans un projet un
peu fou : celui de reprendre, avec
cinq copains d’enfance de Mont­
pellier, la gestion de Puigmal, ses
20 kilomètres de pistes et ses es­
paces de freeride. La station re­
vient de loin : criblée de dettes,
elle avait fait faillite en 2013 et fut
abandonnée pendant huit ans.
L’hiver dernier, la réouverture en
grande pompe a été plombée par
la panne du télésiège principal –
deux semaines de fermeture, et
une campagne de pub stoppée en
catastrophe. « L’enfer », confie Eric
Matzner, qui, dans son autre vie,
enseigne les maths à l’Ensae, la
grande école de statistiques.
Cette année, c’est le bond de la
facture énergétique qui menace
la fragile entreprise, qui opère en
délégation de service public pour
la commune d’Err (Pyrénées­
Orientales). Au point que la bande
des six investisseurs a pris une
décision radicale : hors vacances
scolaires, les remontées seront
fermées les lundis et les mardis.
sac de granulés de 15 kilos avait
ainsi vu son prix passer de 6 à
10 euros environ. Celui des bûches
de bois s’est apprécié de l’ordre de
20 % depuis juillet.
Des prix multipliés par deux
« Les clients ont fait leurs emplettes
de quatre à six mois à l’avance par
rapport à d’habitude. Chacun a de­
mandé sa tonne de pellets, ce qui a
représenté des volumes monstres »,
raconte Eric Vial, délégué général
de l’association consacrée au sec­
teur Propellet France, basée à
Chambéry. « Les distributeurs rece­
vaient de 200 à 300 coups de fil par
jour, pour certains de personnes hy­
peragressives. ». Ces comporte­
A Val Thorens,
le coût du forfait
sera en hausse de
9 % par rapport à
l’an passé, soit
72 euros par jour
pour un adulte
Avant la crise, l’énergie repré­
sentait 5 % des dépenses d’un ex­
ploitant de domaine, selon DSF.
Cette année, tout l’équilibre sera
revu. « On va pouvoir éponger
pour une saison. Mais, sur le long
terme, ce sera compliqué », expli­
que Benjamin Mugnier, directeur
commercial de la société qui ex­
ploite Les Gets, en Haute­Savoie –
une station de taille moyenne qui
s’attend à voir sa facture d’énergie
annuelle passer de 500 000 euros
à 1,6 million d’euros. « Chaque
année, on dégage à peine
500 000 euros de résultat sur no­
tre chiffre d’affaires, donc, là, clai­
rement, il y aura des pertes », ex­
plique­t­il. Face à cette situation,
DSF tente de négocier des aides
ments anxieux ont aggravé une
inflation déjà bien engagée.
Entre la fin 2021 et l’été 2022, les
prix des granulés de bois avaient
été multipliés par deux en raison
d’une envolée des coûts de pro­
duction (augmentation des tarifs
de l’électricité, du gaz, du trans­
port, et de la matière première).
Une tension exacerbée par le re­
cul, depuis quatre mois, du mar­
ché de la construction, qui, par ri­
cochet, engendre un ralentisse­
ment du sciage du bois et donc de
la production de ces copeaux
verts. Parallèlement, la demande
s’est accélérée sous l’effet des poli­
tiques gouvernementales qui ont
encouragé les Français à rempla­
pour les stations, grâce à un accès
plus large à un tarif d’électricité
réglementé, ou pour leur faire bé­
néficier de dispositifs réservés
aux sociétés électro­intensives.
« Surtout, on attend beaucoup du
découplage des tarifs énergie­gaz,
discuté au niveau européen », af­
firme Alexandre Maulin.
Toutefois, les difficultés ne se li­
mitent pas au coût de l’énergie.
« On se prend l’inflation de partout.
La compagnie de bus qui achemine
tous les jours nos saisonniers de la
vallée vers la station, cette année,
c’est 100 % d’augmentation. Sur les
remontées, on est à + 45 % pour les
pièces détachées », énumère Jé­
rôme Grellet, président de la so­
ciété qui gère Val Thorens.
Pour les maires et les exploi­
tants de domaines, ces contrain­
tes sont, en tout cas, une bonne
raison d’accélérer la baisse de leur
consommation d’énergie, dans
laquelle tous se sont engagés. Ré­
duction de la vitesse des remon­
tées mécaniques, limitation des
horaires d’ouverture à certaines
périodes, optimisation de l’utili­
sation des canons à neige, baisse
de la température dans les pisci­
nes… « On va aussi couper le filet
cer leurs installations au fioul ou
au gaz par des poêles ou des chau­
dières à bois.
En 2021, selon l’Observatoire des
énergies renouvelables, les ventes
de ces appareils ont bondi de plus
de 34 % par rapport à 2020. Résul­
tat, « le rythme d’installation est su­
périeur à la capacité d’approvision­
nement », dit Frédéric Plan, délé­
gué général de la Fédération des
combustibles, carburants et
chauffage. « Cet écart devrait rester
de l’ordre de 5 % si tout va bien, et
s’accroître de 15 % si l’hiver est dur ».
Face à la demande, la filière a ac­
cru ses importations, de l’ordre de
25 % à 30 % en 2022 par rapport à
l’année précédente. Ces achats se
de chauffage dans les gares de re­
montées mécaniques, faire atten­
tion à bien fermer les portes des ca­
banes », énumère Benjamin Mu­
gnier, aux Gets. « On avait des ha­
bitudes de luxe, mais c’est fini »,
poursuit Jean­Marie Martin, di­
recteur du domaine de Valloire,
une station familiale de Savoie.
Les positions se crispent
Mais pas question non plus d’al­
ler trop loin. Tétanisés par l’idée
que ces mesures pourraient ef­
frayer les skieurs, tous martèlent
qu’il n’y aura « pas de dégradation
du service rendu ». Bref, que les va­
canciers n’y verront rien.
Le ski alpin, qui a fait dans ces ré­
gions la richesse de plusieurs gé­
nérations, ils y tiennent dur
comme fer. Et ce, malgré des pré­
visions climatiques qui, avec la di­
minution du niveau d’enneige­
ment, compromettent le modèle
du tout­ski adopté par de nom­
breuses stations, en particulier en
basse et moyenne altitude. Le pré­
sident de l’ANMSM, Jean­Luc Boch,
est pourtant persuadé que « le mo­
dèle marche et fonctionnera en­
core dans vingt ou trente ans ».
Tout en ne cachant pas son éner­
font auprès de la Belgique, de l’Es­
pagne, des pays baltes ou du Ca­
nada. Depuis le 10 juillet, du fait
des sanctions dans le cadre de la
guerre en Ukraine, il n’est plus
possible de faire venir ces granulés
de Russie et de Biélorussie. Avec
l’Ukraine, ces pays n’approvision­
naient que marginalement la
France. Mais d’autres, comme
l’Italie, qui y avaient recours, se
sont reportés sur le marché euro­
péen, notamment français.
De quoi occasionner une plus
grande compétition pour cette
ressource, qui s’esquissait déjà, en­
tre différents secteurs d’activité.
Avec, par exemple, celui de la cons­
truction, où l’entrée en vigueur
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
vement pour ce qu’il appelle « le
battage sur l’environnement ».
Sur les sommets, alors que la
pression de la société civile se fait
de plus en plus forte pour stopper
les projets de développement, les
positions se crispent. Pourtant,
rares sont les maires qui assu­
ment une vraie transition. A Mé­
tabief, petite station du Jura, la
voie a été tracée : le ski, ce sera fini
d’ici dix à quinze ans. La station
n’a plus les moyens de poursuivre
ses investissements dans des re­
montées ou dans des canons à
neige, à mesure que l’enneige­
ment diminue. Elle assure la
maintenance jusque­là, tout en
préparant sa sortie, avec un mo­
dèle touristique moins fondé sur
la neige, étalé sur l’année. L’infla­
tion de cet hiver conforte le maire
dans son choix. « La facture d’élec­
tricité pourrait monter à 1 million
d’euros, cinq fois plus que l’année
dernière, se désole Olivier Erard.
Notre chiffre d’affaires, il est de
4 millions… On va quand même
ouvrir cet hiver, mais ça va nous
faire accélérer notre transition. On
va devoir être plus radicaux que ce
qu’on imaginait. » p
jessica gourdon
d’une nouvelle réglementation en
janvier encourage le recours au
bois en vue d’une décarbonation
du secteur. Ou celui du meuble :
David Soulard, directeur général
de Gautier, fabricant vendéen, qui
incorpore aussi des pellets dans
ses fabrications, en témoigne.
« Depuis la rentrée, certains de
nos fournisseurs disent ne pas avoir
assez de matière car des acheteurs
allemands leur proposent des prix
plus élevés », s’inquiète­t­il, surpris
de voir arriver pour la première
fois ces acteurs aussi loin de leurs
frontières. Les prix de ces cylin­
dres de bois compressés devraient
donc rester sous tension. p
marjorie cessac
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
Amazon voit
son avenir
dans les robots
Le leader de l’e­commerce a déjà
déployé 520 000 robots dans ses
entrepôts et accélère sa conversion
boston (massachusetts) ­
envoyé spécial
U
n grand bras jaune en
métal plonge dans un
casier en plastique
rempli d’objets et en
extrait une bouteille de jus de
fruit. Grâce à sept petites extrémi­
tés capables d’aspirer, il la soulève
puis la déplace sur sa droite vers
un des quatre casiers placés de­
vant lui. Il y dépose l’objet. Puis il
recommence l’opération avec un
paquet de croquettes pour chat… A
gauche, sur un écran, on découvre
un des secrets de ce robot : grâce à
plusieurs caméras et capteurs,
ainsi qu’à des logiciels d’intelli­
gence artificielle, il « voit » le con­
tenu du casier, identifie le contour
et la nature des objets.
« Quand il les pose, il les range
même de façon à minimiser la
place perdue », s’enthousiasme Ja­
son Messinger, responsable tech­
nique de la branche robotique
d’Amazon, qui, jeudi 10 novembre,
a présenté ce nouveau robot, bap­
tisé « Sparrow », dans son centre
d’innovation de Boston, au Massa­
chusetts. « Ce robot réussit des tâ­
ches d’une complexité infiniment
plus grande que tous ses prédéces­
seurs : il peut déjà manipuler 65 %
de la centaine de millions d’articles
proposés à la vente sur Amazon »,
insiste M. Messinger.
La version précédente, « Robin »,
ne savait saisir que la quinzaine
d’emballages en carton utilisés
par le leader mondial de la vente
en ligne. Déployés depuis dix­
huit mois, 1 000 Robin déplacent
Le va­tout du Japon pour rester
dans la course aux semi­conducteurs
Dépassé dans ce secteur stratégique, Tokyo a annoncé la création d’un champion national
C’
tokyo ­ correspondance
est l’opération de la
« dernière chance » pour
le Japon dans la guerre
des semi­conducteurs. L’Archipel
a annoncé, vendredi 11 novembre,
la création d’un champion natio­
nal pouvant rivaliser avec les
géants taïwanais et sud­coréens.
Pour le gouvernement comme
pour les huit industriels impli­
qués, la nouvelle entité baptisée
« Rapidus » doit replacer le pays à
la pointe du secteur et sécuriser
un approvisionnement très dé­
pendant de Taïwan, aujourd’hui
soumis à d’importants risques
géopolitiques.
Rapidus se concentrera sur les
semi­conducteurs pour les trans­
ports, les smart cities et l’intelli­
gence artificielle, en lançant dès
2027 la production de puces gra­
vées en 2 nanomètres (Nm). Le
numéro un mondial taïwanais,
TSMC, et le sud­coréen Samsung
Electronics ont commencé
en 2022 la production de puces en
3 Nm et doivent passer aux modè­
les à 2 Nm en 2025.
« Dans cinq ans, nous aurons des
opérations de fonderie de pointe
au Japon », a déclaré Atsuyoshi
Koike. L’ex­dirigeant du fabricant
de puces mémoire Western Digi­
tal Japan est à la tête du projet avec
Tetsuro Higashi, l’ancien prési­
déjà des colis dans des entrepôts
Amazon. Une version plus élabo­
rée, baptisée « Cardinal », sera dé­
ployée à partir de fin 2022. Spar­
row, actuellement en test au Texas,
devrait, lui, arriver dans les entre­
pôts en 2024. Le rythme de cette
robotisation peut sembler lent.
Mais il dépasse déjà les prophéties
de Jeff Bezos : en 2019, le fondateur
d’Amazon avait prédit que le défi
très ardu de saisir des objets avec
un bras robotique serait surmonté
« d’ici une dizaine d’années ».
« Les jobs vont changer »
Le dévoilement de Sparrow, jeudi,
s’inscrivait dans le cadre d’une dé­
monstration de la grandeur des
ambitions d’Amazon dans la robo­
tique. C’est à Boston, dans le nord­
est des Etats­Unis – et pas au siège
de Seattle, sur la Côte ouest –,
qu’est installée sa filiale Amazon
Robotics. Les robots sont conçus
et produits sur place, dans le cen­
tre flambant neuf de Westbo­
rough, à l’ouest de la ville, et dans
une autre usine, à North Reading,
au nord. Cette dernière était le
siège de Kiva, le fabricant qu’Ama­
zon a racheté en 2012 pour démar­
rer son incursion dans le domaine.
Amazon est déjà connu pour
avoir déployé dans ses entrepôts le
robot­phare de sa filiale : « Her­
cule », un petit carré à roulettes ca­
pable de passer sous des armoi­
res d’articles pour les déplacer
dans l’entrepôt. L’entreprise af­
firme avoir déjà 520 000 robots ac­
tifs dans ses sites, dont ceux, en
France, de Brétigny­sur­Orge (Es­
sonne) et de Metz. Sur les 3 mil­
dent du fournisseur de matériel
électronique Tokyo Electron.
Toyota, Sony, NEC ou encore
NTT font partie des huit groupes
mobilisés dans le projet Rapidus.
Dans un premier temps, ils vont
débloquer 7,3 milliards de yens
(51 millions d’euros) pour lancer
l’activité, auxquels s’ajouteront
70 milliards de yens de subven­
tions publiques. Rapidus devrait
par la suite bénéficier de
5 000 milliards de yens d’investis­
sements sur dix ans.
Pari est ambitieux
Parallèlement, le gouvernement
va créer avant la fin 2022 un « cen­
tre de technologie des semi­con­
ducteurs de pointe » (LSTC, « Lea­
ding Edge Semiconductor Tech­
nology Center »). Il hébergera des
activités de recherche et de déve­
loppement pour les semi­con­
ducteurs de la prochaine généra­
tion, menées en coopération avec
des groupes étrangers comme
l’américain IBM. « Nous souhai­
tons ainsi renforcer l’industrie ja­
ponaise des semi­conducteurs et
sa compétitivité », a expliqué Ya­
sutoshi Nishimura, ministre de
l’économie, du commerce et de
l’industrie.
Le pari est ambitieux pour la
troisième économie mondiale,
dont les industriels dominaient le
marché jusqu’au début du
Un robot Sparrow dans le centre d’innovation d’Amazon, à Westborough, dans le Massachusetts. AMAZON
« La pénibilité
s’est déplacée,
le travail est très
répétitif et la
cadence a
augmenté »
CISERANE MATHIEU
responsable syndical SUD
liards de colis expédiés par la pla­
te­forme chaque année, 75 %
auraient été gérés avec l’aide d’une
de ces machines. L’entreprise se
considère aussi comme « le pre­
mier fabricant de robots indus­
triels », capable de produire jusqu’à
300 000 exemplaires par an.
Son dernier modèle est le « Pro­
teus », une version d’Hercule capa­
ble de se déplacer sans repères
marqués au sol. Quand il croise un
humain ou un obstacle, ses cap­
teurs et un laser vert lui permet­
XXIe siècle. Fruit d’un projet gou­
vernemental des années 1970,
l’industrie japonaise des semi­
conducteurs a donné naissance à
des groupes compétitifs au ni­
veau mondial, comme Hitachi et
NEC. A la fin des années 1980, les
entreprises japonaises déte­
naient plus de la moitié du mar­
ché mondial.
Les progrès rapides des fabri­
cants sud­coréens et taïwanais et
les difficultés financières des
groupes nippons ont fini par éro­
der leur compétitivité et leurs ca­
pacités d’investissements. Pour
enrayer le déclin, le gouverne­
ment a entrepris des projets
comme celui d’une nouvelle fon­
derie, lancé en 2006 avec Toshiba,
Hitachi et Renesas Technology.
Mais le trio n’a pas réussi à s’en­
tendre. Par la suite, Elpida Me­
mory, qui regroupait les activités
de semi­conducteurs d’Hitachi,
NEC et Mitsubishi Electric, a fait
faillite en 2012.
Distancé dans la course à la mi­
niaturisation, l’Archipel a accu­
mulé un retard estimé par
M. Koike à « dix ou vingt ans ».
Pour le dirigeant, le projet Rapi­
dus est l’initiative de la « dernière
chance » pour relancer l’activité
semi­conducteurs au Japon. Il est
le fruit d’une réflexion amorcée
en mai 2021, quand le Parti libé­
ral­démocrate (au pouvoir) a créé
économie & entreprise | 21
tent de le contourner. Proteus est
donc capable de déplacer des cha­
riots en métal jusqu’aux zones fré­
quentées d’arrivée et de départ des
articles dans l’entrepôt. Amazon
teste des robots pour soulever des
grands objets ou pour empaque­
ter et a investi dans des start­up de
robots remplisseurs d’étagères ou
de bipèdes transporteurs…
Cette ruée vers les machines
pose de nombreuses questions.
Amazon n’est­il pas en train de
« supprimer l’existence de tous les
bons emplois en les automati­
sant », comme l’avait dénoncé, en
2019, le syndicat nord­américain
de la distribution ? « Nous ne visons
pas des entrepôts sans employés.
Pour nous, la question n’est pas
d’avoir les robots ou les salariés,
mais les robots avec les salariés »,
assure Tye Brady, le responsable
technologique d’Amazon Robo­
tics. Depuis 2012, le groupe a créé
1 million d’emplois, et en compte
1,6 million, ajoute­t­il. La robotisa­
tion a aussi créé « 700 nouveaux ty­
une commission parlementaire
chargée d’étudier les stratégies
pour ce secteur clef de la sécurité
économique japonaise.
Tensions croissantes
Le ministère de l’économie, du
commerce et de l’industrie a éla­
boré une stratégie dévoilée en
juin, axée notamment sur la coo­
pération avec les Etats­Unis. Les
réflexions ont aussi débouché sur
le projet d’une usine TSMC au Ja­
pon. Ces évolutions interviennent
dans un contexte de tensions
croissantes entre les Etats­Unis et
la Chine, autour notamment de
Taïwan, qui assure près de 90 % de
la fabrication mondiale des semi­
conducteurs de moins de 10 Nm.
Les tensions actuelles condui­
sent Washington à réduire les ex­
portations vers la Chine de maté­
riel de pointe du secteur de l’élec­
tronique. Les Américains ont
aussi lancé des discussions
autour d’une alliance « Chip 4 »
réunissant la Corée du Sud, le Ja­
pon, Taïwan et les Etats­Unis, avec
pour objectif d’assurer un appro­
visionnement stable en semi­
conducteurs. Commencés en sep­
tembre, les pourparlers sont tou­
tefois difficiles, Taïwanais et Sud­
Coréens ne voulant pas s’aliéner
la Chine, leur premier partenaire
commercial. p
philippe mesmer
pes de postes », affirme­t­il. Recon­
naissant des destructions de pos­
tes, M. Brady assure que « les jobs
vont changer », et met en avant la
formation interne aux métiers de
la robotique (maintenance…), sui­
vie par 1 400 employés depuis 2020.
Un chiffre faible à l’échelle d’Ama­
zon ; et la direction ne communi­
que pas de solde net d’emplois
créés et détruits. Un autre débat
porte sur les conditions de travail.
Selon Amazon, les robots les
améliorent en supprimant des tâ­
ches pénibles, répétitives, voire
dangereuses : grâce à Hercule, les
salariés du stock n’ont ainsi plus à
parcourir 10 ou 15 kilomètres par
jour dans les allées. « Mais la péni­
bilité s’est déplacée, le travail est
très répétitif et la cadence a aug­
menté », dit Ciserane Mathieu, res­
ponsable du syndicat SUD à l’en­
trepôt de Brétigny­sur­Orge, souli­
gnant des risques psychologiques
et musculo­squelettiques. Au stock,
les employés voient arriver à leurs
postes les armoires portées par les
Maladie de Charcot : un
traitement expérimental
Un défi sur les réseaux sociaux a permis
de collecter des fonds pour la recherche
Q ui se souvient du Ice Buc­
ket Challenge ? Au cours
de l’été 2014, ce défi, qui
consistait à recevoir un
seau d’eau glacée sur la tête et à en
publier la vidéo, était devenu viral
sur les réseaux sociaux. Popula­
risé par des anonymes atteints de
sclérose latérale amyotrophique
(SLA), le phénomène s’était alors
transformé en une gigantesque
campagne de collecte de fonds en
faveur de la recherche sur la mala­
die de Charcot.
Huit ans plus tard, cette pluie
d’eau glacée, bien qu’éphémère,
continue d’irriguer la recherche
pour lutter contre cette maladie
incurable. Fin septembre, la Food
and Drug Administration (FDA),
l’agence américaine des médica­
ments, a approuvé, non sans une
certaine réserve, la commerciali­
sation du Relyvrio, un nouveau
traitement expérimental contre
la SLA qui permettrait d’en ralen­
tir sa progression.
« Résultats prometteurs »
Développé par Amylyx, ce traite­
ment, qui combine deux molécu­
les déjà connues, le taurursodiol et
le phénylbutyrate de sodium, a
profité d’une petite partie des
115 millions de dollars (111,3 mil­
lions d’euros) de dons récoltés
grâce au Ice Bucket Challenge par
l’ALS Association, la principale or­
robots, dans lesquelles ils placent
ou retirent des articles, souvent en
moins de cinq secondes. « Ce sont
les nouveaux Temps modernes, il y
a peu de réflexion », juge Olivier
Champetier, secrétaire général de
la CGT Essonne. Les discussions
sur les bienfaits et les dangers de
la robotisation n’empêchent pas
Amazon d’avancer à grande vitesse.
Le groupe se positionne en paral­
lèle sur le marché grand public : dé­
veloppement du robot de maison
Astro, rachat en 2022 des aspira­
teurs autonomes Roomba… Sa pro­
chaine frontière est le « dernier kilo­
mètre » jusqu’au client : le groupe a
annoncé, le 10 novembre, relancer
ses efforts de livraisons par drones
en moins d’une heure. Ses engins
maison commenceront à servir des
clients à la fin de l’année dans deux
villes, en Californie et au Texas.
Amazon assure viser « 500 millions
de colis livrés chaque année par
drone dans des grandes aggloméra­
tions à la fin de la décennie ». p
alexandre piquard
ganisation consacrée à la lutte
contre cette maladie aux Etats­
Unis, qui lui a alloué 2,2 millions de
dollars pour ces essais cliniques.
Si l’approbation de la FDA divise
la communauté scientifique, des
spécialistes jugeant celle­ci préma­
turée en l’absence de données de
phase 3, elle suscite un nouvel es­
poir chez les patients. « Ce n’est pas
un traitement révolutionnaire, il ne
va pas guérir la maladie. Mais il a
des résultats prometteurs », ob­
serve le neurologue Gwendal Le
Masson, responsable du centre
SLA du CHU de Bordeaux.
Avec environ 1 800 nouveaux
cas diagnostiqués chaque année
en France, la maladie de Charcot a
un pronostic sombre. Les patients
en décèdent en moyenne dans les
trois à cinq ans après le diagnostic.
« Ce médicament ayant été auto­
risé aux Etats­Unis et au Canada, il
est compréhensible que les person­
nes malades réclament d’y avoir
également accès en France. Pour­
quoi ne pas leur donner ? Le traite­
ment ne présente pas de toxicité, et
ses données de phase 2 sont encou­
rageantes, même s’il faudra atten­
dre les résultats de phase 3 pour
jauger réellement son efficacité »,
souligne le neurologue Claude
Desnuelle, vice­président de l’AR­
SLA, la principale association de
lutte contre la SLA en France. p
zeliha chaffin
 0123
22 | économie & entreprise MARDI 15 NOVEMBRE 2022

Pub : une mue contre-nature

En France, le marché de la publicité a retrouvé son niveau d’avant la pandémie de Covid-19 de président de la commission du
développement durable à l’AACC,

31
Gildas Bonnel reconnaît : « Nous
Top 10 des secteurs du marché publicitaire Estimation de la répartition des investissements publicitaires sommes à un moment critique,
en 2021, en % des investissements nets par moyen de communication en 2020, en milliards d’euros face à un virage d’une ampleur
aussi importante que celui de la ré­
milliards Distribution 17,9 volution digitale, où la société de
d’euros 13 milliards 6 consommation est de plus en plus
C’est le montant du marché
Services 8,3
Autres : affichage, démarches Prospectus 25 % du papier remise en cause, affirme­t­il. La
de la publicité en France, Banque, téléphoniques, radio, consommé en France publicité, qui est sa devanture, l’est
assurance 8
en 2021 presse... est destiné d’autant plus. »
aux prospectus
Mode 7,8 La dernière édition du « Guide
Investissements publicitaires nets publicitaires de la communication responsa­
sans nom ni adresse
31
mensuels, en milliards d’euros Automobile 6,9 ble » de l’Agence de l’environne­
ment et de la maîtrise de l’énergie
3 Alimentation 6,1 milliards 4 enfonce le clou en affirmant dès
2
d’euros Télévision les premières pages : « Le modèle
Télécoms 5,8 linéaire soutenu par le marketing
Tourisme, et la publicité, qui nous bombar­
1 restauration 5,1 dent de messages, proposent une
Culture, idée trompeuse du bonheur et pro­
0 loisirs 4,9
Janvier Janvier Janvier Déc. 4 4 meuvent des modèles de vie con­
2019 2020 2021 2021
Beauté 4,7 Promotion Publicité en ligne
traires à la transition écologique,
est en bout de course. »
Le rapport Big Corpo rédigé par
plusieurs ONG – dont Résistance à
Le « greenwashing » représente 73 % des plaintes visant les publicités l’agression publicitaire et Les
Amis de la Terre – s’intéresse à la
Nombre de plaintes fondées ou partiellement fondées auprès de l’Autorité de régulation Nombre de plaintes fondées ou partiellement fondées auprès de l’ARPP « consommation additionnelle »
professionnelle de la publicité (ARPP), selon le motif concernant le développement durable, par secteur d’activité, en 2022 des secteurs soumis à une forte
pression publicitaire. Il conclut
que la publicité « constitue le fac­
Une seule publicité de la Fédération nationale
Entre 2008 et 2016 En 2022 16 de l’aviation a fait l’objet de 11 plaintes 16 teur direct d’une hausse de 6,9 %
en février 2022 du niveau global de consomma­
tion du pays ». Soit à la fois peu… et
Image et respect Développement Développement beaucoup. Or le rapport, qui s’ap­
de la personne* durable durable 11 puie sur une étude de référence
publiée en 2018, précise que,
206 81 56 « lorsque les chiffres portent sur
des économies puissantes comme
6 celles des pays du G20, chaque
8 Non respect 4 dixième de point du niveau de con­
du code de la route
3 sommation se traduit immédiate­
121 Autres motifs ment par l’extraction de tonnes de
7
6 Image et respect
ressources naturelles additionnel­
les, par des millions de conteneurs
de la personne* Aéronautique Agro- Services Mode Automobile Autres en plus arrivant par bateau et des
Autres motifs alimentaire de transport millions de déchets de plus à retrai­
ter ».
* Principalement des publicités sexistes
LE CADRE DE LA LOI CLIMAT
Infographie Le Monde : Eugénie Dumas, Benjamin Martinez Sources : Baromètre unifié du marché de la publicité et de la communication en 2021, Kantar ; Big Corpo ; ARPP
Depuis les années 1960 et la
grande époque des publicitaires
tels que décrits dans la série Mad
Men, le rôle des agences consis­
tait à rendre désirable un produit
DOSSIER A l’heure des interrogations sur les excès de la société de pour déclencher l’acte d’achat.
« L’enjeu était de vendre à plus de
consommation, les procès en « greenwashing » se multiplient consommateurs, plus cher, plus

S
ur l’affiche, le modèle, souvent, dans des espaces de dis­
une jeune femme
blonde aux cheveux
à l’encontre des publicités. Les agences tentent de s’adapter tribution de plus en plus mul­
tiples », résume d’un trait Henri­
dénoués, pose en Christian Schroeder, spécia­
maillot deux pièces lisé dans les fusions­acquisitions
noir et sobre, avec, en dans le secteur de la communica­
arrière­plan une plage déserte et proportionnée dès lors, d’une part, semble », note Stéphane Martin, « LE MODÈLE  syndicat des acteurs de la com­ tion. Mais le monde a changé et
l’océan à perte de vue. En bas du que le maillot de bain promu n’est directeur général de l’ARPP. Elles munication –, Bertille Toledano les agences sont désormais som­
visuel, une simple mention sur ni composé entièrement de maté­ supplantent désormais celles rela­ DU MARKETING  décrypte : « Alors que le chômage a mées de démontrer leur utilité
fond blanc, comme une épure : riaux biosourcés ni recyclable et, tives à « l’image et au respect de la longtemps été la première source dans un contexte de sobriété
« Maillot écoresponsable ». Cette d’autre part, que sa fabrication au personne » (15 %), et en particulier ET DE LA PUBLICITÉ,  d’angoisse des Français, il est re­ obligée… à l’extrême opposé de
campagne diffusée en affichage Bangladesh et sa distribution com­ à « l’image de la femme », qui sus­ QUI NOUS PROPOSENT  passé au dixième plan. En revan­ leur mission historique.
pour la marque de lingerie Etam, portent nécessairement des consé­ citaient jusqu’ici une abondante che, selon l’étude Ipsos­Sopra Ste­ Le questionnement sur leur légi­
s’est fait sèchement retoquer le quences négatives significatives jurisprudence. Un coup d’œil sur UNE IDÉE TROMPEUSE  ria [Fractures françaises, 2022], timité se pose avec d’autant plus
9 septembre 2022 par l’Autorité sur l’environnement ». l’ensemble de ces plaintes révèle l’environnement figure désormais d’acuité que les investissements
de régulation professionnelle de qu’elles concernent, pour l’essen­ DU BONHEUR, EST  à la deuxième place, à 34 %. » D’où publicitaires sont loin d’être neu­
la publicité (ARPP). Le Jury de JUSTIFIER SON UTILITÉ tiel, les constructeurs automobi­ le bond du nombre de publicités tres, notamment pour les grands
déontologie publicitaire avait été L’affaire est révélatrice d’un chan­ les, les grands acteurs de l’énergie,
EN BOUT DE COURSE » sur le thème de « l’engage­ médias, dont ils assurent l’équi­
saisi le 29 mai d’une plainte issue gement de sensibilité des con­ les producteurs agroalimentaires LE « GUIDE DE LA COMMUNICATION ment environnemental », qui a at­ libre économique : l’automobile
d’un particulier. sommateurs et des associations : et le secteur de la mode. RESPONSABLE » DE L’ADEME teint 5 697 campagnes en 2020 et (4,3 milliards d’euros), l’aérien
Tout avait l’air parfait, naturel… depuis 2020, l’accusation de Présidente du groupe BETC 2021, selon le groupe de commu­ (126,9 millions) et le secteur des
en un mot, écologique. Mais le « greenwashing » figure en tête France (Havas) et coprésidente de nication WNP. Ecartelé entre sa énergies fossiles (668,1 millions)
jury a estimé que la mention des « plaintes déposées auprès de l’Association des agences­conseils casquette de président de l’agence représentaient encore, en 2020,
« écoresponsable » « apparaît dis­ l’ARPP, pour atteindre 30 % de l’en­ en communication (AACC) – le de communication Sidièse et celle un total de 5,1 milliards d’euros
bruts d’investissements publici­
taires, selon Kantar­Ad Express,
Vers une « loi Evin climat » ? Retour sur un texte historique au bilan mitigé sur un marché publicitaire de
34 milliards d’euros.
De plus en plus mis sous ten­
le 10 janvier 1991, la loi Evin porte un trée de jeu, à la communication. « Il relevait, en 2021, le président de l’Al­ Trente et un ans après l’adoption de la sion, les acteurs s’efforcent de re­
coup fatal au très viril cow­boy Marlboro, n’était pas question de continuer à rendre liance contre le tabac, Loïc Josseran, dans loi, le bilan est mitigé. Selon le baromè­ prendre la main. Certains ont
inventé par l’agence Leo Burnett, qui en a attractifs des produits aux effets délétè­ son article « Bilan de la loi Evin, 30 ans tre de Santé publique France, l’usage (oc­ peut­être gardé le souvenir de la
fait la marque la plus vendue au monde res », poursuit­il. Toute publicité sur le après » pour l’Institut Droit et santé. casionnel ou régulier) de tabac parmi les campagne de l’ex­agence Euro
pendant des décennies. La loi du minis­ tabac est interdite, tandis que son texte Encore fallait­il réussir à faire adopter le 18­75 ans est tombé de 42 % en 1974 à RSCG pour la Citroën Visa GTI
tre de la santé de l’époque renvoie ce sté­ encadre – sans la prohiber – la commu­ texte. Au sein du gouvernement, le « volet 32 % en 2018. Mais, alors qu’il est en (1988) faisant la course avec un
réotype aux oubliettes. A tel point que les nication sur l’alcool, la concentrant es­ tabac » fait tousser certains, dont Michel chute libre chez les hommes (59 %, con­ Rafale sur le porte­avions Cle­
écologistes rêvent maintenant d’une « loi sentiellement sur l’origine, historique Charasse, ministre délégué au budget, qui tre 35,3 %), il a augmenté légèrement menceau, s’élançant dans la mer,
Evin climat » interdisant les publicités ou territoriale, du produit. avait la tutelle de la Société d’exploitation chez les femmes (28 %, contre 28,9 %). plongeant… et réapparaissant
faisant la promotion de produits néfastes industrielle des tabacs et allumettes et ac­ Sur le volet alcool, un Français consom­ sur le toit d’un sous­marin. Tout
pour l’environnement, comme l’aérien, « Dénaturée » cueillait les professionnels de la santé le mait en moyenne 200 litres d’alcool (!) le monde avait applaudi la créati­
l’automobile ou les énergies fossiles. Mais Claude Evin entreprend aussi de ré­ cigare à la bouche, se souvient Claude par an dans les années 1960… contre vité d’un spot qui finirait aujour­
Considéré par beaucoup comme une guler les pratiques sociales qui entou­ Evin. Ce dernier ajoute qu’« au Parlement, 80 litres en 2021. Mais, si la partie tabac a d’hui sa vie dans le bac de recy­
loi historique, le texte n’a pourtant pas rent la consommation de tabac et d’al­ c’est sur le “volet alcool” que le débat a été tenu et que des mesures supplémen­ clage dès le premier coup de
été adopté facilement. Une première cool. Il est désormais interdit de fumer le plus compliqué, en particulier auprès des taires sont venues la conforter (interdic­ crayon. D’autres comporte­
tentative d’encadrement de la publicité dans les lieux publics, de vendre de l’al­ sénateurs élus dans des régions viticoles ». tion de fumer dans tous les lieux clos ments et normes sociales se sont
sur le tabac avait déjà été posée avec la loi cool dans les stades, et il faut avoir 18 ans De leur côté, les secteurs de la communi­ et couverts accueillant du public, paquet imposés : près des trois quarts
Veil de 1976, « mais personne ne respec­ pour acheter alcool et cigarettes. Enfin, cation et des médias renâclent. Il est vrai neutre…), « la partie alcool a été, elle, des publicités automobiles con­
tait les limites définies. Il fallait aller plus le prix du tabac sort de l’indice des prix, qu’en 1992 les revenus de la publicité pour terriblement dénaturée en trente ans, cernent les véhicules hybrides et
loin », retrace aujourd’hui Claude Evin. « même s’il faudra attendre 2017 pour le tabac s’élèvent pour la presse à avec une multitude de dérogations », re­ électriques, qui trustent 20,1 %
De fait, son projet de loi durcit considé­ qu’enfin le prix augmente de façon effi­ 255,3 millions de francs de l’époque (l’équi­ grette Claude Evin. p de part de marché en 2022, con­
rablement le dispositif et s’attaque, d’en­ cace et significative (paquet à 10 euros) », valent de 60 millions d’euros actuels). v. ri. tre 18,3 % en 2021, d’après les
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022 économie & entreprise | 23

chiffres de l’ARPP.
En outre, les publicitaires
voient désormais leur action en­
cadrée par la loi Climat et rési­
lience du 22 août 2021, qui s’en­
gage à respecter l’objectif fixé en
avril 2021 par l’Union euro­
péenne et donne une liste très
précise de mesures qui seront ap­
pliquées étape par étape, de 2022
à 2050, date à laquelle doit être
atteinte la neutralité carbone.
Ainsi, parmi les décisions les
plus symboliques de 2022, figu­
rent : l’interdiction, le
1er juillet 2022, de communiquer
sur les énergies fossiles (essence,
fioul, charbon) ; le pouvoir oc­
troyé au maire d’encadrer les
écrans publicitaires dans les vitri­
nes ; la création d’écoscores (ces
étiquettes environnementales
pour les biens et les services) ; le
« Oui pub » affiché sur les boîtes
aux lettres qui se substitue au
« Stop pub » pour contrer les
prospectus publicitaires « sans
adresse » (un marché annuel de
près de 2,3 milliards d’euros
en 2021) ; la fermeture des lignes
aériennes s’il existe une alterna­
tive en train en moins de deux
heures trente minutes ; les pre­
miers affichages environnemen­
taux sur les publicités de voitures
et d’électroménager. Enfin,
en 2028, toute publicité sera in­
terdite sur les véhicules les plus
polluants.

« PAPIER PEINT »
En outre, le 15 juillet, ont été lan­
cés les premiers « contrats cli­
mat » qui se présentent comme
un code de bonne conduite « for­
malisant les engagements pris par
l’entreprise pour des publici­
tés plus vertueuses sur le plan du
climat et de l’environnement », se­
lon ses termes. De plus, les fabri­
cants ou distributeurs « à impact
environnemental » (automobile,
maritime, énergies fossiles, ha­
billement, etc.) dépassant
100 000 euros net annuels en pu­
blicité doivent mesurer l’em­
preinte carbone de leur commu­
nication publicitaire.
Une occasion, pour les acteurs
du secteur, de manifester leur vo­
lonté d’agir. Publicis a lancé son
programme « No Impact for Big
Impact », qui permet d’analyser le
cycle de vie de ses campagnes. De
son côté, Havas Group a souscrit
un contrat climat en juillet 2022 :
« La démarche recouvre trois en­
gagements autour d’un calcula­
teur carbone, de la formation des
collaborateurs et du bilan car­
bone du groupe, avec un rappel de
ses engagements antérieurs », ex­
plique­t­on en interne.
L’ARPP n’est pas demeurée en
reste. Dans les publicités concer­
nant la vente ou la location de vé­
hicules de tourisme (dont les
deux­roues), le gendarme de la
publicité impose, depuis le
1er mars 2022, la diffusion de trois
messages alternatifs obligatoires
visant à promouvoir la mobilité
active, partagée ou en transports
en commun.
Enfin, l’Union des marques
s’est lancée dans la bagarre. Le
17 octobre, son directeur général,
Jean­Luc Chetrit, a pris l’avion
pour New York, afin de rencon­
trer les membres de la Fédéra­
tion mondiale des annonceurs,
qui regroupe les 140 marques les
plus importantes de la planète.
« Les grands annonceurs ont en­
trepris de revoir le cœur de leur
modèle dès l’amont et la composi­
tion de leurs produits pour ga­
gner en efficacité et donc en so­
briété », précise­t­il.
Un ensemble de démarches res­
ponsables suffisantes ? « Certaine­
ment pas ! », s’exclament la plu­
part des ONG. La majorité d’entre
elles l’affirment haut et fort : en­
gagées dans une course contre la
montre, les agences et les mar­
ques sur lesquelles elles commu­
niquent doivent passer à la vitesse
supérieure. « La loi Climat et rési­
lience reprend à peine 10 % des 149
mesures proposées par la Conven­
tion citoyenne pour le climat [CCC].
Quant à la publicité interdite sur
les énergies fossiles, le décret an­
noncé pour août n’a jamais été pu­
blié », tacle Clara Gonzales, juriste
chez Greenpeace. Il y a, par
Des manifestants de la marche pour le climat, le 9 mai 2021 à Paris, affichent une publicité dénonçant les investissements des banques. LUCIEN LUNG/RIVA-PRESS
ailleurs, une responsabilité éthique céder l’intégralité de ses parts CCC, le projet revient à intervalles la plupart des cas ? Inversement,
et possiblement juridique des ainsi que celles de sa famille à une réguliers dans les rangs des ONG, comment assumer un discours
agences de communication qui association pour la protection de qui demandent la suspension des enjoignant aux Français qui
aident les entreprises à fabriquer l’environnement. » campagnes de communication composent leur chariot à 1 euro
du mensonge. » La bombe à retardement d’une sur un ensemble de pro­ près de déconsommer, en leur
Mensonge, c’est parfois un fait. interdiction pure et simple n’est duits polluants tels que les SUV vantant les bienfaits de la « so­
Mais la plupart du temps, c’est cependant pas sur le point d’ex­ thermiques, les compagnies aé­ briété joyeuse »… sans frôler une
presque pis : les publicités envi­ ploser. Loin d’exiger la suppres­ riennes low cost, les produits à forme d’obscénité ?
ronnementales sont des « wall­ sion de la publicité, le rapport base de plastique ou à usage uni­ Pour continuer d’être crédibles
print », selon l’expression imagée Big Corpo se contente de deman­ que, la fast­fashion, les lingettes… et capter l’attention des Français,
des publicitaires américains. En der « la régulation des activités « IL FAUT PARVENIR  Ces dernières semaines, les agences doivent franchir un
clair, elles n’accrochent pas plus publicitaires comme un moyen À GÉNÉRER  d’autres urgences se sont invi­ autre palier : « Nous devons avoir
le regard qu’un simple papier indispensable pour s’attaquer tées dans le débat public, comme un rôle de conseil et de stratégie
peint. L’étude Sustainable Brands aux enjeux climatiques et envi­ DES IMAGINAIRES  la flambée du coût de l’électri­ pour orienter les entreprises vers
2022 révèle que 70 % des Français ronnementaux, contenir le ni­ cité, le retour de l’inflation à des projets accélérateurs de transi­
ne parviennent pas à citer spon­ veau d’extraction des ressources POSITIFS AUTOUR DE LA  + 6,2 % en octobre et la question tion écologique comme l’utilisa­
tanément une marque responsa­ naturelles et réduire notre pro­ du pouvoir d’achat. « La vraie tion de matériaux biosourcés, es­
ble (c’est 6 points de plus duction de déchets ».
TRANSITION ÉCOLOGIQUE,  question, c’est : “Peut­on accepter time Bertille Toledano. Mais il y a
qu’en 2020). Tandis que le son­ DE L’INJONCTION “MOINS  qu’un grand nombre de person­ également un enjeu de création. Il
dage Harris Interactive 2022 pour SOBRIÉTÉ ET OBSCÉNITÉ nes ne puissent accéder qu’à des faut parvenir à générer des imagi­
Mouvement Impact France indi­ Elisabeth Laville, fondatrice de MAIS MIEUX” » produits peu chers, car ne naires positifs autour de la transi­
que que 75 % des Français sont l’agence conseil en environne­ BERTILLE TOLEDANO
respectant pas les normes socia­ tion écologique, de l’injonction
méfiants à l’encontre des engage­ ment Utopies, énonce à voix coprésidente de l’Association les et environnementales ?” », “moins mais mieux”… pour que la
ments sociaux et environnemen­ haute la demande de beaucoup des agences-conseils souligne Frédéric Amiel, de sobriété ne soit pas simplement
taux des entreprises. d’associations : « Il faut prendre en communication l’ONG Les Amis de la Terre. synonyme de grelotter chez soi.
« La faute en incombe à la no­ des mesures plus difficiles : à cha­ L’interrogation prend tout son Enfin, il est impératif de militer
vlangue, aux discours creux que nouvelle réglementation, on sens dans une France déjà « ar­ pour la relocalisation de la pro­
comme “Make the world a better assiste à une modification des nor­ chipélisée », fragmentée, où les duction en France. »
place” [“rendre le monde mes sociales et c’est ainsi qu’on fait inégalités n’ont jamais été aussi Déjà sévèrement bousculées
meilleur”] mais aussi au manque bouger les choses. On devra passer fortes. Ainsi, à quelle frange de la par le numérique, les agences de
de créativité de ces campagnes, par une loi Evin pour le climat. » population sont censés s’adres­ publicité sont soumises à un
analyse Eric Delannoy, vice­prési­ « Loi Evin climat », l’idée est lâ­ ser le « nouveau » discours publi­ nouvel enjeu : retravailler leur
dent exécutif du groupe de com­ chée, allusion à la loi de 1991 qui a citaire centré sur les voitures hy­ modèle pour le rendre compati­
munication WNP. Rien ne vaut les interdit la publicité pour le tabac brides et électriques, la diabolisa­ ble avec la transition climati­
actions concrètes comme celles et sévèrement encadré celle pour tion des compagnies low cost et que. Il est cette fois existentiel
d’Yvon Chouinard, le patron de l’alcool. Ecarté en 2020 en dépit l’injonction de voyager « respon­ pour le secteur tout entier. p
Patagonia, qui a annoncé vouloir des demandes exprimées par la sable », c’est­à­dire plus cher dans véronique richebois
« Avant celui des agences, c’est le modèle des annonceurs qu’il faut réformer »
tant qu’elles lieront leur prospérité modèle de consommation – et de la s’agit là d’un point particulièrement mouvoir d’autres voies de bien­être in­
à leurs volumes de ventes, les entrepri­ sensibilisation des consommateurs problématique quand la complexité du dividuel que le « toujours plus » dans la
ses continueront de mobiliser les agen­ aux bons choix et aux bons gestes. monde couplée au déficit de clés de lec­ consommation.
ces publicitaires pour inciter à acheter ture et de perspectives utopiques heu­
toujours plus, estime l’économiste Le consommateur n’est­il pas censé reuses est source d’anxiété. Les ONG, mais aussi certains
Philippe Moati, professeur à l’univer­ disposer d’un esprit critique publicitaires, estiment que, pour
sité Paris­Cité. qui, en principe, devrait lui Mais avec la reprise de l’inflation accélérer le changement des
permettre d’arbitrer au milieu et la baisse du pouvoir d’achat, comportements, une loi « Evin sur
La mission de la publicité est de publicités tentatrices ? ou encore la très grande nervosité le climat » est nécessaire plutôt que
de rendre un produit désirable Certes, mais le numérique (entre big qu’a provoquée la pénurie de de s’en remettre à l’autorégulation…
pour déclencher un acte d’achat. data, algorithmes prédictifs et recours carburant, quel est l’avenir de notre Instituer une loi Evin si on juge qu’il y
Dans un contexte d’exigence de aux influenceurs) permet au marketing société de « surconsommation » ? a des activités nuisibles, peut constituer
sobriété, quelle est sa légitimité ? d’être de plus en plus précis et efficace On touche là la contradiction fonda­ un levier, comme imaginer des quotas
C’est un vieux débat chez les écono­ dans l’activation du désir. En outre, ce mentale que nous allons devoir sur­ sur certaines pratiques. La charge des
mistes : le rôle de la publicité est­il d’in­ regard critique est dépendant du capital monter si on veut tenter d’éviter la contraintes sur les publicités doit être
former les consommateurs ou de sti­ culturel dont dispose l’individu et qui dimension catastrophique de la crise accrue. Même si la communication elle­
muler leur désir de consommer ? Les contribue à définir la place laissée à la écologique. Dans notre société d’hyper­ même a déjà évolué : le montant des in­
publicités comparatives, qui aident à consommation dans sa vie, voire dans consommation, l’intensification des vestissements publicitaires sur les cam­
bien consommer, sont relativement la construction de son identité. La con­ tensions sur le pouvoir d’achat et pagnes ayant une dimension environ­
rares. La plupart des campagnes obéis­ sommation a rempli le vide laissé par le l’entrée dans un régime de consomma­ nementale est passé de 500 millions
sent à une logique de séduction pour recul des supports traditionnels de la tion sous contrainte sont sources de d’euros en 2015 à 1,7 milliard d’euros
aider les marques à se différencier et à construction de soi comme les idéolo­ frustrations croissantes. Comment en 2020 selon l’institut Kantar. Mais,
vendre leurs produits. Elles véhiculent gies, la religion, la conscience de classe, faire tenir une société devenue experte plus fondamentalement, c’est le mo­
généralement une promesse hédoni­ le travail… Les personnes ne disposant dans la capacité à attiser le désir de dèle économique des annonceurs qu’il
que et de bonheur à travers les plaisirs pas du capital social et culturel suffi­ consommer mais qui n’en donne plus convient de réformer. Tant que leur
de la consommation. Mais le savoir­ sant sont particulièrement perméables les moyens ? La crise des « gilets prospérité dépendra des quantités ven­
faire des agences peut également être à la consommation et aux industries du jaunes » a été à cet égard un avertisse­ dues, les publicitaires seront mobilisés
mis au service du changement culturel divertissement, ainsi qu’aux valeurs et ment. Il y a donc urgence à accélérer le pour les aider à vendre plus. p
– requis par l’exigence de mutation du aux modèles qu’elles véhiculent. Il changement culturel en cours et à pro­ propos recueillis par v. ri.

24 | économie & entreprise
Le parcours du combattant
des Hongkongais pour aller en Chine
Les conditions d’accès au pays restent compliquées voire ubuesques
hongkong ­ correspondance
N’
oublie pas de pren­
dre draps, oreiller,
serviettes de toi­
lette, bouilloire élec­
trique (très important), des réserves
(chocolat, thé, snacks…), et du frais
pour les premiers jours », avait­on
conseillé à Paul H., un homme
d’affaires occidental qui n’a pas
souhaité être identifié, installé à
Hongkong depuis vingt ans. Très
familier des voyages en Chine, plu­
tôt dans les meilleurs hôtels inter­
nationaux des principales villes, il
n’y était pas retourné depuis pres­
que trois ans, et avait été ainsi con­
seillé par un ami qui en revenait.
Car, depuis que « la Chine a rou­
vert », ceux qui y vont, pleins d’en­
thousiasme à l’idée de pouvoir
« enfin revoir leurs équipes », re­
viennent sous le choc des par­
cours d’obstacles que sont deve­
nus les voyages en Chine conti­
nentale. L’époque pré­Covid­19
des « sauts de puce », où, à partir de
Hongkong, on enchaînait en qua­
rante­huit heures réunions, visites
d’usines et soirées avec les clients
dans plusieurs villes, est un loin­
tain souvenir. Comme les allers­
retours Hongkong­Shanghaï, qui
pouvaient se faire sur la journée,
ou les visites à Shenzhen, qu’un
train rapide relie à Hongkong en
dix­neuf minutes depuis 2018…
Dix­neuf minutes de train, c’est
rapide, sauf qu’il faut désormais
ajouter à ce temps de transport
plusieurs semaines d’attente
pour gagner à la loterie qui donne
le droit de traverser la frontière, et
dix jours de quarantaine pour les
visiteurs non­résidents… Alec L.,
qui travaille dans une grande en­
treprise d’électronique, s’était ins­
crit sur l’application en ligne pré­
vue pour le tirage au sort des pas­
sages à Shenzhen, la ville fron­
tière avec Hongkong. Il a enfin eu
son jour de chance fin octobre.
Mais, en arrivant à la frontière, il
lui manquait le certificat écrit de
l’un de ses tests anti­Covid.
« On ne sait pas où l’on va »
Retour à la case départ. « Je retente
ma chance tous les jours. Ma valise
est prête depuis deux mois main­
tenant, car les résultats tombent à
20 heures chaque jour, et l’autori­
sation peut être donnée pour le
lendemain », raconte Alec.
Si l’accès par avion ne requiert
pas de loterie, les billets sont très
rares. Et, pour Pékin, outre la four­
niture des tests « habituels », il fal­
lait aussi, jusqu’aux annonces
d’assouplissement de vendredi
11 novembre, se tester dans les
sept heures avant le décollage. Ce
qui impliquait, pour les vols du
matin, de passer la nuit à l’aéro­
port. Un seul test pré­voyage est
désormais requis.
A l’atterrissage, le périple se
corse. Car toute arrivée en Chine
commence par un minimum de
Toute arrivée en
Chine commence
par un minimum
de sept jours
en isolement
complet
sept jours en isolement complet,
dans un lieu désigné par les auto­
rités et attribué de manière aléa­
toire à la descente de l’avion. Au
bout de sept jours, les personnes,
Chinois ou résidents étrangers,
qui ont un logement local attitré
peuvent rentrer chez elles pour
les trois jours supplémentaires
d’isolement, sous réserve d’avoir
obtenu l’accord de la copropriété,
ce qui est loin d’être automatique.
Mais les autres, en voyage d’affai­
res, voient leur quarantaine pro­
longée de trois jours. Depuis ven­
dredi, ce modèle 7+3 a été rem­
placé par « 5+3 », un allègement
bienvenu qui ne lève pas pour
autant nombre de risques et de
désagréments.
Après des formalités bien ro­
dées, qui se font essentiellement
de manière électronique, et une
désinfection scrupuleuse des ba­
gages, tous les passagers sont pris
en charge. « On monte dans des
bus sans savoir où l’on va, raconte
une femme qui travaille dans la fi­
nance. On découvre à l’arrivée un
immeuble neuf, à peine fini. On
vous annonce alors trois tarifs, en­
tre 35 et 60 euros par nuit. Mais les
numéros de chambre sont ensuite
distribués sans aucune prise en
compte du prix payé par chacun. »
Lors de son récent voyage à Pé­
kin, elle s’est ainsi retrouvée dans
un deux­pièces avec vue sur la
grande muraille, un surclasse­
ment inattendu et bienvenu,
deux mois après une première
quarantaine à Shanghaï « nette­
ment plus pénible ».
Parmi les différents témoigna­
ges recueillis par Le Monde, un
voyageur à Shanghaï mentionne
des réveils répétés à 4 heures du
matin par un tambourinage sur
sa porte en vue du test quotidien,
ainsi qu’une visite soudaine par
des personnes en « combinaisons
Hazmat intégrales, dont on ne
croise même pas le regard », pour
des prélèvements sur toutes les
parois de la chambre.
« Je conseille à ceux qui partent
d’emporter des somnifères, des vi­
tamines et des antidépresseurs »,
affirme un « revenant » de Chine.
Depuis sa chambre de 10 m2, au
18e étage d’un immeuble neuf, si­
tué dans la grande banlieue de Pé­
kin, Paul H. affirme pour sa part
qu’il lui est impossible de faire le
moindre exercice, faute d’espace
pour bouger. Dans la petite salle
d’eau, la douche est au­dessus des
toilettes et il faut débarrasser l’or­
dinateur de la minuscule table
L’avenir de Salto, le Netflix
à la française, bientôt scellé
TF1, M6 et France Télévisions doivent, dans les prochains jours,
décider du sort de leur plate­forme de vidéo à la demande payante
D eux petits tours et puis
s’en va ? Deux ans après
son apparition, Salto vit
des heures cruciales. Le sort de la
plate­forme de vidéo à la de­
mande payante commune à
France Télévisions, à TF1 et à M6
pourrait en effet être scellé avant
la fin du mois. Ses actionnaires
doivent se réunir dans les pro­
chains jours pour prendre une dé­
cision : remettre au pot, ou arrêter
les frais.
Officiellement, « aucune déci­
sion n’est prise » à TF1, après que La
Lettre A a affirmé, il y a une di­
zaine de jours, que son nouveau
directeur général, Rodolphe Bel­
mer, souhaitait en sortir. « Nous
n’avons pas de stratégie prééta­
blie », prétend­on prudemment à
M6. Quant à France Télévisions,
c’est le scepticisme qui domine.
Auditionnée en commission
des affaires culturelles, le 26 octo­
bre, à l’Assemblée nationale, Del­
phine Ernotte a expliqué aux dé­
putés qu’elle était à la recherche
de 45 millions d’euros pour bou­
cler le budget 2023 du groupe
qu’elle dirige. Par un hasard
comptable, c’est exactement la
somme qu’elle était censée obte­
nir de ses partenaires en échange
de la part de France Télévisions
dans Salto quand, anticipant la fu­
sion de TF1 et de M6, elle avait an­
noncé, il y a un an, qu’elle s’en reti­
rerait. Ce désir d’émancipation
n’a probablement pas disparu
avec l’échec du mariage entre les
deux groupes privés, mais les
conditions de sa réalisation, elles,
sont radicalement différentes.
« Il y a trois possibilités, explique
un acteur du dossier. Soit aucun
des trois actionnaires ne remet
d’argent, et il faut liquider, soit ils
s’entendent pour renforcer la pla­
quand arrive le plateau­repas, ou
manger sur ses genoux.
Et cela, pendant dix jours, si tout
va bien… Alors que toutes ses vali­
ses étaient prêtes, lundi 7 novem­
bre, Paul a eu une mauvaise sur­
prise : un cas potentiel avait été
identifié dans une chambre si­
tuée au­dessus ou en dessous de
la sienne, partageant des tuyaute­
ries d’eau ou d’air conditionné. Il
était donc considéré « cas contact
potentiel » et ne pouvait plus sor­
tir. Son séjour n’a finalement été
prolongé « que » de deux jours.
Tout le monde n’est pas traité de
la même façon, selon son
« Guanxi », son réseau de rela­
tions. Les dirigeants dans les sec­
teurs jugés stratégiques (électro­
nique, alimentaire…) font partie
des nantis à qui les plus gros désa­
gréments sont épargnés.
Même une fois sur le terrain, le
stress continue. « A tout moment,
on peut être identifié cas contact,
et là, on ne maîtrise plus », dit un
homme d’affaires. Lui­même a
reçu un appel pendant une réu­
nion, lui indiquant qu’il avait
« sans doute croisé un cas contact
dans le lobby de son hôtel ». « Par
chance, je filais vers une autre pro­
vince. Mais en arrivant à l’étape
suivante, j’ai été contacté par les
autorités locales… Quand on sent
que l’étau se resserre, le mieux est
de quitter la Chine au plus vite »,
conclut­il. p
florence de changy
te­forme – mais ce n’est pas le scé­
nario le plus probable –, soit l’un
des partenaires ou un acteur exté­
rieur, tel qu’un producteur, rachète
les parts des autres. Mais alors, il
devra avoir les reins solides. »
A ce stade, Salto ne manque pas
complètement d’attraits, mais il
n’a rien d’une aubaine non plus.
Avec son offre de programmes
populaires et ses tarifs relative­
ment bon marché (de 6,99 euros à
12,99 euros), la plate­forme pour­
rait atteindre le million d’abon­
nés à la fin de l’année, selon cer­
taines sources. Bien loin des
dix millions d’abonnés français à
Netflix, par exemple, mais le chif­
fre n’est pas si déshonorant pour
un service récent.
Pas du tout rentable
« C’est quasiment miraculeux, in­
siste­t­on chez l’un des groupes
concernés, quand on sait que les
fournisseurs d’accès à Internet ont
fait de l’antijeu en refusant de dis­
tribuer Salto » – SFR, Free, Orange,
mais pas Bouygues, qui la distri­
bue depuis le début, ni Amazon,
qui le fait depuis juin. Ses utilisa­
teurs lui sont plutôt fidèles : lors­
qu’ils viennent sur la plate­
forme, tous les deux jours envi­
ron, ils y restent entre deux heu­
res dix et deux heures trente.
« 60 % des abonnés à Salto ont
moins de 35 ans, alors que seule­
ment 10 % des téléspectateurs ont
moins de 35 ans, ce qui prouve la
complémentarité entre cette offre
et la télévision classique », met en
avant Thomas Follin, son direc­
teur général.
Des atouts potentiellement
monnayables, mais auprès de qui ?
France Télévisions n’a pas les
moyens de prendre les comman­
des. Plutôt que Salto, Rodolphe
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
C HINE
Pékin vole au secours de
son secteur immobilier
La Chine a pris des mesures
pour relancer l’immobilier,
un secteur crucial pour sa
croissance, mais rendu exsan­
gue par un durcissement des
règles de financement et par
la pandémie de Covid­19, qui
ont précipité nombre de pro­
moteurs au bord de la faillite.
Ces mesures, établies ven­
dredi 11 novembre, n’ont pas
été publiées, mais les grandes
lignes en ont été dévoilées,
lundi 14 novembre, par la
presse économique chinoise.
Elles comprennent en parti­
culier un soutien au crédit
pour aider les promoteurs cri­
blés de dettes et pour achever
des chantiers en cours. – (AFP.)
C RYPTO MONNAIES
La police des Bahamas
enquête sur FTX
La police des Bahamas, para­
dis fiscal qui abrite le siège de
FTX, plate­forme d’échange
de cryptomonnaies en
faillite, a déclaré, dimanche
13 novembre, enquêter pour
déterminer si des faits de na­
ture criminelle ont eu lieu, en
lien avec le régulateur bour­
sier et financier de l’archipel.
FTX s’est placé, vendredi
11 novembre, sous la protec­
tion du chapitre 11 de la loi
américaine sur les faillites.
Son fondateur, Sam Bank­
man­Fried, surnommé
« SBF », 30 ans, avait démis­
sionné le même jour. Samedi
12 novembre, des responsa­
bles de l’entreprise ont révélé
que des transactions non
autorisées avaient eu lieu,
qui pourraient se solder par
la disparition de centaines
de millions de dollars (autant
d’euros). – (AFP.)
Belmer est réputé être davantage
partisan de l’offre de streaming
gratuite de TF1, tout en nouant des
partenariats avec les plates­for­
mes comme Netflix. Le groupe
qu’il dirige dispose par ailleurs
d’une offre payante, MyTF1 Max,
sur laquelle on trouve actuelle­
ment le live de « Star Academy »,
diffusé sur TF1. Idem pour M6, à la
tête de 6Play max, la version
payante de son offre de replay gra­
tuit 6Play.
« Tant qu’ils n’ont pas d’acheteurs,
aucun d’eux ne peut sortir », lâche,
lapidaire, un acteur de l’audiovi­
suel. Quel qu’il soit, tout nouvel
entrant devrait commencer par
sécuriser pléthore de droits s’il
souhaite conserver l’offre de pro­
grammes telle que ses abonnés la
connaissent, mais aussi assumer
d’investir à fonds perdus. Salto,
dont le budget exact n’est pas pu­
blic, n’est pas du tout rentable. « La
rentabilisation de ces modèles est
longue, souligne Thomas Follin,
sans préciser le montant des per­
tes. Spotify a seize ans, et ils ne sont
toujours pas bénéficiaires non
plus. » Le dirigeant préfère mettre
l’accent sur son utilité dans « les
enjeux de souveraineté culturelle
de la France » : en échange de ses
fenêtres d’exploitation, Salto in­
vestit en effet dans la fiction, sou­
tenant ainsi la création française.
En outre, rappelle­t­il, TF1, M6 et
France Télévisions ne perdent pas
complètement à soutenir Salto,
puisque celui­ci leur verse des
droits d’acquisition de l’ordre de
plusieurs dizaines de millions
d’euros annuels, une manne cer­
tes insuffisante, mais qui contri­
bue à l’amortissement de leurs
propres dépenses. Périlleux, l’ave­
nir de Salto l’est à plus d’un titre. p
aude dassonville
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022 horizons | 25

L
a boutique s’appelle Yoyo, elle est
installée à Conches­en­Ouche,
dans l’Eure. Vingt ans que sa
vitrine promet : « Masculin fémi­
nin, chaussures et accessoires ».
Trois clients patientent à la caisse.
Curieusement, rien dans leurs bras, mais leur
téléphone serré dans la main. La vendeuse
disparaît dans l’arrière­boutique. Elle revient
chargée de cartons et de paquets tous mous,
des colis. Une fringue d’occasion achetée sur
Vinted ? Des vêtements achetés pas cher sur
un site chinois ? Nulle part mieux que dans
ces points relais peut­on observer d’aussi près
le destin de ces petits commerçants, tenus
pour survivre de porter les paquets de ceux
qui les enterrent. Dans le monde de l’e­com­
merce, on appelle ça le problème du « dernier
kilomètre ». Vous pouvez avoir la plate­forme
en ligne la plus sophistiquée du monde, avec
algorithmes malins et entrepôts pilotés par
des robots, s’il n’y a personne pour récupérer
votre colis, ces prouesses ne servent à rien.
Partout en France, des pressings, des opti­
ciens, des magasins de chaussures se sont
doucement transformés en bureaux de poste,
et c’est une spécialité française. En Allemagne,
on récupère son colis à la consigne ; aux Etats­
Unis, chez son voisin. En France, on va chez le
caviste ou chez le réparateur de smartphones,
parfois même chez celui qui fabrique, vend
ou répare ce que les paquets contiennent.
On s’est récemment habitués à voir des
cartons envahir des étagères dans un coin du
pressing ou à l’épicerie. Mais pour nombre
de commerçants, ça ne date pas d’hier. La sta­
tion­service Avia de Fleurance (Gers) gère des
colis depuis une vingtaine d’années. A l’épo­
que, c’étaient ceux des 3 Suisses. Il en arrivait Réception de colis dans l’arrière­boutique de l’animalerie Gladys, dans le 10e arrondissement de Paris, le 10 novembre. NICOLAS KRIEF POUR « LE MONDE »
une dizaine par jour et les clients avaient les
cheveux blancs. Aujourd’hui, Annie en récep­
tionne une centaine quotidiennement, trois

Les points relais

fois plus en période de fêtes, et ça fait défiler
une clientèle plus jeune, des gens qui ne
savaient pas forcément qu’elle faisait aussi
épicerie ou montage des pneus.
Lorsque les 3Suisses et La Redoute ont déve­
loppé leurs filiales logistiques, au début des
années 1980, c’était pour échapper aux grè­

ves de La Poste. Sogep­Relais Colis devint
alors une filiale de La Redoute et promit des
quarante­huit – puis vingt­quatre – heures
« chrono », tandis que Mondial Relay se déve­
loppa pour les 3Suisses. Depuis, l’habitude de
la vente par correspondance s’est installée :
Mondial Relay compte 11 000 points relais,
contre 6 500 pour Relais Colis et 16 000 pour
Pickup, le réseau de La Poste.
« ON VA OÙ ? »
Rien n’est laissé au hasard. Mondial Relay,
par exemple, a découpé la France en carrés
de 200 mètres de côté et attribué à chacun
d’eux un score en fonction de l’opportunité
d’y ouvrir un nouveau point relais. Parmi les
critères, l’espace pour le stockage et les horai­
res d’ouverture. Rien qu’à Senonches (Eure­
et­Loir), les 3 000 habitants ont trois sites à
leur disposition. Le Café des Halles distribue
les paquets de Mondial Relay, le tabac­mai­
son de la presse accueille Relais Colis (ainsi
que la location d’aubes de communion) et la
supérette Proxi se charge des paquets du ré­
seau Pickup (et du couscous le vendredi).
Dans ces boutiques, les avancées du com­
merce en ligne se mesurent à l’œil nu. Chez
Gladys, dans le 10e arrondissement de Paris, ce
sont des étagères installées aux côtés des cro­
quettes et autres produits pour animaux. Au
Méga Souffle de L’Aigle (Orne), c’est un rideau
qui vient scinder en deux les 40 mètres carrés
du commerce de cigarettes électroniques
pour dissimuler les caisses où le propriétaire
range les paquets. A la Botte d’or, magasin de
chaussures au cœur de Chartres, des colis
attendent d’être triés sur la banquette qui sert
encore parfois à l’essayage des chaussures. A la
boutique de produits au cannabis proche de la
cathédrale, on a déjà vu une cliente ouvrir un
paquet sur place pour essayer ses chaussures.
Est­on là dans un bureau de poste de der­
nière génération ou chez un commerçant ? La
question se pose, quand plusieurs personnes
débarquent en même temps. « Le problème,
c’est quand ceux qui viennent chercher des co­
lis ne comprennent pas que ceux qui font leurs
courses ont la priorité », souligne la caissière
du Spar de Châteauneuf­en­Thymerais (Eure­
et­Loir). A la station­service Avia de Fleu­
rance, Annie a décidé de traiter tout le monde
de la même manière, par ordre d’arrivée, qu’il
s’agisse d’un colis Vinted qui lui rapportera
30 centimes ou d’un plein de carburant
à 100 euros. Elle aussi s’y est mise, à Vinted,
pour revendre les vêtements de sa fille. Au
Méga Souffle, le vendeur profite lui aussi des
temps morts pour acheter en ligne. Un panta­
lon de sport pour sa fille vendu 40 euros
au magasin de sport de L’Aigle, il le trouve
à 8 euros. Pareil pour les articles de pêche,
il achète tout d’occasion, sauf les asticots.
On ne mesure pas seulement la part des
achats sur Internet dans un magasin relais,
mettent le paquet
Une station­service, un bureau de tabac, une animalerie, une épicerie…
La logistique du dernier kilomètre a envahi tous les recoins de France
et dessine les contours d’une nouvelle économie de la débrouille
mais aussi la place grandissante de la revente
dans le commerce français. On y croise la
France de la débrouille. Giovanni Brugnetti,
39 ans, n’achète plus ses vêtements en maga­
sin. Au Coccimarket de Breteuil­sur­Iton
(Eure), il rapporte un pantalon acheté en ligne
– pas à sa taille – et en profite pour expédier
un livre. Sa fille l’a vraiment bien vendu, in­
siste­t­il, 7 euros. Il a pris l’habitude de bien
manger à midi – il travaille à la restauration
municipale de la ville – pour ne dîner qu’un
soir sur deux. Ce régime, avec les achats et la
revente, fait partie de sa nouvelle économie.
La chute des tarifs d’expédition a provoqué
l’explosion de l’achat et de la vente d’articles
d’occasion, explique Quentin Benault, le nou­
veau directeur général de Mondial Relay. « Si
Vinted n’avait pas baissé le prix du colis à
2,50 euros, ne s’y serait vendus que des articles
au­dessus d’une vingtaine d’euros », assure­t­il.
La France, pays des points relais, est aussi le
plus gros marché de Vinted.
A Rugles (Eure), c’est le tabac qui reçoit les
colis. Quand Mondial Relay le « désactive »
avant ses congés, le commerçant conseille
parfois à un client de déposer son paquet à
L’Aigle, à 9 kilomètres de là. Parfois, il entend :
« Pour un truc que je vends 3 euros, ça vaut pas
l’essence. » A côté de la presse et des livres, ses
passions, il fait tabac, car « il n’y a plus que le
tabac qui paie ». Il s’interroge sur les habitu­
des de ses clients : « On va où ? Si on ne veut
pas d’une société ultralibérale, il ne faut pas
être ultralibéral soi­même… » « Nous sommes
tous devenus des spécialistes de l’e­commerce,
logisticiens, vendeurs, clients », observe la so­
ciologue Leslie Belton­Chevallier. Spécialiste
de la logistique ordinaire des ménages, elle
voit poindre une « semi­professionnalisa­
tion » dans la manière dont chacun choisit
son point relais en fonction de ses itinéraires
et des horaires d’ouverture, dans la façon
dont de plus en plus de gens conservent chez
eux un stock d’emballages potentiels.
S’il y a un endroit où ces habitués de l’e­
commerce ne semblent plus jamais mettre
les pieds, c’est le bureau de poste. « Qui va en­
core acheter des timbres là­bas ? », s’interroge
le propriétaire de la supérette Rapid Market, à
L’Aigle. Il y a dix ans, 2 millions de personnes
franchissaient chaque jour les murs d’un
« point de contact postal », ils sont à peine
900 000 aujourd’hui, constate Marie­Frédé­
rique Naud, directrice générale de la branche
grand public et numérique de La Poste. « Avec
le Covid­19, tout a explosé, les livraisons à do­
micile et hors domicile. Ce boom­là est allé
cinq ans plus vite qu’escompté. »
RAPPORT DE FORCE
Le phénomène mine François, un ancien de
La Poste. « On avait un brassage social encore
important dans les bureaux de poste il y a
quelques années. » Il ne peut s’empêcher de
noter que dans les points relais, le cahier des
charges n’est pas respecté : vérification de la
« NOUS SOMMES  pièce d’identité optionnelle, colis exposés à
tout­va, sans parler des emballages, si éloi­
TOUS DEVENUS  gnés de la « boîte en carton rectangulaire ou
carrée » réglementaire imposée par La Poste.
DES SPÉCIALISTES  « Des sacs­poubelle, des boîtes de biscottes, j’ai
DE L’E­COMMERCE,  tout vu », résume Brigitte de la mercerie Bri­
gitte Couture, à Chartres. Le patron de Mon­
LOGISTICIENS,  dial Relay appelle ça le syndrome « du tee­
shirt dans la boîte de Frosties ». Et pourtant,
VENDEURS,  « Vous êtes mieux qu’à la poste » est l’une des
phrases que Leila préfère entendre dans son
CLIENTS » magasin d’articles pour animaux Gladys, à
LESLIE Paris. A Noël, elle reçoit même des gâteaux
BELTON-CHEVALLIER et des chocolats, un peu comme un facteur.
sociologue Pendant les fêtes, elle enregistre jusqu’à
450 colis par jour. En prévision du pic des
envois, Mondial Relay a réduit de quatorze à
huit jours la période de stockage des colis
dans ses boutiques partenaires, afin de lutter
contre « les gens qui utilisent le point relais
comme la hotte du Père Noël pour que les
enfants ne voient pas les colis ». Quand la
société a demandé à Leila si son magasin
pouvait traiter plus de colis, elle a dit banco.
« Plus besoin de budget publicitaire. »
« Trouvez­moi un autre moyen de faire
entrer 100 personnes par jour dans mon
magasin ! », soupire un client à la boutique
Yoyo, à Conches­en­Ouche. Réfugié du Ben­
gladesh, Barva Rana vient d’ouvrir une bou­
tique de réparation de smartphones à Char­
tres. Quand il a vu les prix des loyers des
rues commerçantes, il s’est trouvé un petit
local dans une rue adjacente, puis il a con­
tacté Mondial Relay pour que les paquets gé­
nèrent du passage dans sa boutique. Les co­
lis sont aussi devenus un argument pour les
boutiques de CBD, les produits infusés au
cannabis, qui ont trouvé là un moyen de
faire passer la porte à des gens qui
n’auraient jamais osé la franchir.
Pourtant, ce n’est pas si fréquent de tomber
sur des clients qui viennent chercher autre
chose qu’un colis. Ce contraste, Cyrille
Genre­Grandpierre, professeur de géo­
graphie à l’université d’Avignon, l’a rencontré
sur le terrain. Avec ses étudiants, il a conduit
une grande étude : dans les points relais du
bassin d’Avignon , huit commerçants sur dix
disent avoir gagné des clients, mais la très
large majorité de ceux qui venaient acheter
des paquets ont, eux, assuré ne rien acheter
dans le magasin. Qui dit vrai ?
« Nous, ce qu’on vend, c’est du trafic », fait
valoir Quentin Benault, chez Mondial Relay.
Une phrase révélatrice du rapport de force : les
commerçants ont besoin de lui, pas l’inverse.
Même lui semble pourtant considérer que
la rémunération des colis est secondaire. A
30 centimes environ le colis, les points relais
savent que c’est ridicule. « De l’escroquerie »,
proteste le gérant d’une boutique d’infor­
matique. Et pourtant, les commerçants sont
toujours plus nombreux à y recourir, même si
une majorité d’entre eux en tirent moins de
500 euros de recettes mensuelles, selon
l’étude conduite à Avignon.
En 2022, Mondial Relay a enregistré un
millier de points d’accueil supplémentaires,
soit 11 000 au total. Mais cette augmentation
cache 3 000 ouvertures pour 2000 ferme­
tures, un taux d’attrition qui préoccupe les
dirigeants du réseau. « Peut­être qu’ils nous
appellent pour devenir point relais parce que
ça va déjà mal et qu’ils ont un besoin déses­
péré de revenus de complément », s’interroge
Quentin Benault, le directeur général. p
guillemette faure
 CULTURE
26 |
Giacometti aura son musée au cœur de Paris
La Fondation s’installera sur 6 000 mètres carrés, dans l’ancien terminal d’Air France, en 2026
D
ifférée durant plus
d’un an, la nouvelle est
enfin rendue publi­
que : Alberto Gia­
cometti (1901­1966) aura son
grand musée au centre de Paris.
L’ouverture prévue est annoncée
pour 2026. L’artiste suisse avait
déjà un musée, depuis 2018, l’Ins­
titut Giacometti, créé dans
le 14e arrondissement de Paris par
la Fondation Alberto et Annette
Giacometti. Celle­ci détient
une collection d’une exception­
nelle abondance : 95 peintures,
260 bronzes, 550 plâtres, des mil­
liers de dessins et de gravures,
des archives aussi considérables
et une grande partie de la biblio­
thèque de l’artiste. Mais, juste­
ment, pour les montrer, les 350 m2
situés rue Victor­Schœlcher, dans
un hôtel particulier de style
Art déco à Montparnasse, se sont
révélés exigus, en raison même
du succès des expositions mon­
tées par la Fondation, à Paris et un
peu partout dans le monde, et de
la notoriété en croissance cons­
tante de l’artiste.
Directrice de l’Institut depuis
2014, Catherine Grenier a très tôt
compris qu’il lui fallait un nouvel
espace, plus vaste. Ce seront
6 000 m2 de ce qui fut d’abord une
gare, devenue le terminal d’Air
France, à l’angle de l’esplanade
des Invalides et du quai d’Orsay.
Dans un premier temps, un autre
emplacement avait été choisi,
plus près de l’Institut actuel : celui
de l’ancien hôpital Saint­Vincent­
de­Paul, situé dans le 14e arrondis­
sement, et dont les activités
médicales ont cessé en 2012.
La Fondation s’était associée à un
promoteur immobilier pour par­
ticiper au concours alors ouvert.
Mais, fin 2019, le projet n’est fina­
lement pas retenu.
« Un grand espace magnifique »
« Nous ne pouvions pas rester sur
cet échec, dû à une erreur du pro­
moteur, dont la proposition n’était
pas conforme aux exigences
du concours, raconte Catherine
Grenier. La Ville, qui voyait notre
projet d’un bon œil, était assez
marrie de ce revers et a proposé
de nous aider à trouver un lieu
pour que nous restions à Paris. »
Il n’aurait en effet pas été difficile
pour l’établissement de trouver
où déménager, y compris hors de
France. « Nous n’y avons pas vrai­
ment songé, mais d’autres y ont
beaucoup pensé pour nous, ajoute
Catherine Grenier. Ce n’était pas
dans notre intention. Annette Gia­
cometti voulait que la collection
reste à Paris. Mais si on n’avait pas
trouvé de lieu, serions­nous restés
indéfiniment ? Ce n’est pas cer­
tain. » Ce fiasco convainc aussi
Le mystère du vol de quinze toiles de maîtres à Bagnols­sur­Cèze
Dérobées il y a cinquante ans, des œuvres notamment de Cézanne, Renoir et Monet n’ont jamais réapparu, l’enquête judiciaire n’a rien donné
L a liste des artistes donne la
mesure du vol : Bonnard,
Boudin, Cézanne, Dufy,
Luce, Marquet, Matisse, Monet,
Morisot, Pissarro, Renoir et
Vuillard. Dans la nuit du 12 au
13 novembre 1972, quinze toiles
de peintres impressionnistes
étaient dérobées dans une salle
du musée de Bagnols­sur­Cèze,
installé au deuxième étage de la
mairie de la petite ville du
Gard. Le vol a eu lieu de nuit sans
déclencher d’alarme. Cinquante
ans plus tard, ces Renoir, Monet et
Matisse figurent toujours dans
l’inventaire des œuvres d’art
volées tenu à jour par Interpol :
l’enquête, confiée au SRPJ de
Montpellier, n’a rien donné. Et
rares sont ceux qui pensent en­
core à ce cambriolage.
Vue de l’Institut Giacometti, à Paris (14e), le 22 février. RICCARDO MILANI/HANS LUCAS VIA AFP
la direction de changer de modèle
économique. « A Saint­Vincent­de­
Paul, nous dépendions du promo­
teur immobilier, qui réalisait des
appartements et les vendait, ce qui
finançait l’essentiel de nos tra­
vaux. Nous ne voulions plus nous
inscrire dans un tel modèle. »
Commence alors la quête d’un
mécène. Ce sera Xavier Niel (ac­
tionnaire à titre individuel
du Monde). A la sollicitation de
Catherine Grenier, il répond : « Je
peux vous proposer un lieu. Je suis
engagé dans une opération de re­
qualification d’un espace et nous
n’avons pas encore de projet cultu­
rel défini. » Cet espace, c’est donc
Cette nuit­là, les voleurs arri­
vent par les toits des maisons voi­
sines, vides la nuit puisque ce
sont une perception et une école.
Une fois dans les combles, ils per­
cent le plafond de la salle dite des
Impressionnistes et déroulent
une échelle de corde. Après avoir
décadré et roulé les toiles de la
collection André, ils tentent de
pénétrer dans les salles Besson,
sans y parvenir. Ils ressortent
avec leur précieux butin sans en­
combre. Le vol n’est découvert
qu’à 14 heures le lendemain,
quand l’unique gardien du musée
vient l’ouvrir.
Le petit musée détenait ces ta­
bleaux après avoir reçu deux do­
nations importantes. La première
est celle du peintre Albert André
(1869­1954), proche des impres­
l’ex­terminal d’Air France. L’opé­
ration est conduite par le finan­
cier en partenariat avec les grou­
pes Emerige et Nexity.
Le bâtiment a été construit pour
l’Exposition universelle de 1900.
Il y a ce qui se voit de l’extérieur,
mais aussi une cour, en contre­
bas, et un prolongement très
vaste sous l’esplanade, où sont
abrités, pour le moment, diffé­
rents services de la Ville. On dirait
une immense serre, très haute,
avec de grandes fenêtres et une
verrière. « Nous en aurons la moi­
tié : un vrai grand espace, magnifi­
que. Nous aurons ainsi assez de
place pour présenter la collection
Circonstance
aggravante : les
toiles ne sont tout
simplement pas
assurées. Ce qui
en dit long sur la
gestion du musée
sionnistes et en particulier de Re­
noir, conservateur du musée de
1917 à sa mort. C’est sa collection
qui disparaît cette nuit­là. Mais
c’est un second legs, en 1972, qui
attire l’attention sur le musée : 78
œuvres ayant appartenu au criti­
que et éditeur Georges Besson
(1882­1971), ami de Bonnard et de
des Giacometti, réaliser simulta­
nément des expositions temporai­
res et notre projet d’école artisti­
que. » La métamorphose sera me­
née par l’équipe déjà constituée
pour le projet de Saint­Vincent­
de­Paul : Dominique Perrault
pour l’architecture, Louis Benech
pour les jardins, Adrien Gardère
pour la muséographie. Air France
ayant quitté les lieux en juillet,
les travaux pourront commencer
assez vite, mais seront contraints
de s’interrompre le temps des
Jeux olympiques, en 2024. Des
épreuves devraient avoir lieu sur
l’esplanade des Invalides. D’où la
date d’ouverture tardive.
Matisse. L’ensemble considérable
qu’il a réuni avec son épouse,
Adèle est exposé au Louvre
en 1965, peu après que le couple a
décidé de le partager entre le
Musée des beaux­arts de Besan­
çon et celui de Bagnols­sur­Cèze,
en mémoire d’Albert André.
Connaissance des lieux
Adèle meurt en 1964 et Georges le
9 décembre 1971. Leur legs est
donc déposé l’année suivante.
Gauguin, Luce, Maillol, Marquet,
Vallotton et Van Dongen entrent
alors dans le petit musée gardois.
Leur arrivée est abondamment
annoncée par la presse. Est­ce
alors que le projet du vol est
conçu ? Peut­être, mais des tenta­
tives de cambriolage ont eu lieu
précédemment, sans succès.
Les grandes lignes du projet
étaient déjà définies en septem­
bre 2021. L’annonce ayant été ge­
lée plus d’un an, en partie, semble­
t­il, en raison de la campagne de
la maire de Paris, Anne Hidalgo,
à l’élection présidentielle, ce délai
forcé a permis d’avancer sur de
nombreux points. L’espace d’ex­
position permanente s’étendra
sur 1 000 m2 et deux espaces d’ex­
positions temporaires permet­
tront de présenter sur 800 m2
d’autres artistes et des expositions
thématiques et pluridisciplinai­
res, « comme l’était l’œuvre de Gia­
cometti et comme nous le faisons
depuis le début à l’Institut », précise
Catherine Grenier, qui indique
avoir soumis à l’architecte des re­
quêtes répondant aux dimen­
sions – rarement grandes – des
œuvres de Giacometti, de leur be­
soin de lumière naturelle, de la cir­
culation entre elles. « Les espaces
d’expositions temporaires seront
des plans libres, sans cloison, ce qui
permettra une scénographie spéci­
fique pour chacune. L’espace Gia­
cometti sera plus stable et ne sera
changé que tous les deux ans, tout
ou partie », explique­t­elle.
Emplacement idéal
Si le montant des travaux, finan­
cés par Xaviel Niel, n’est pas
communiqué, le budget annuel
de fonctionnement est estimé
entre 10 millions et 12 millions
d’euros. « Il sera porté à 100 % par
la Fondation, sans aucune contri­
bution de l’Etat, de la région ni de
la Ville. Nous nous sommes ap­
puyés sur l’expertise du Boston
Consulting Group et sur celle
de musées qui nous accompa­
Celle qui réussit a lieu peu de
temps après que le conseil muni­
cipal a voté les 25 000 francs né­
cessaires à la modernisation de la
sécurité, mais alors que les tra­
vaux n’ont pas encore commencé.
Seules les serrures sont reliées à
une alarme, poussant les voleurs
à passer par le toit. Aucune effrac­
tion n’a été en effet tentée sur les
serrures, ce qui indique que les vi­
siteurs nocturnes ont une con­
naissance précise des lieux. Le
maire de l’époque, Pierre Boulot,
tente de se défendre en déclarant
avec un singulier fatalisme que
« quel que soit le système de sécu­
rité le plus perfectionné que nous
ayons pu prévoir, qu’il ait été ou
non en place, le chemin suivi par
les voleurs n’avait pas été prévu ».
Circonstance aggravante : les toi­
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
Le terminal d’Air France,
en septembre 2021,
sur l’esplanade
des Invalides, à Paris.
LUC CASTEL
« Nous pourrons
présenter
les Giacometti,
des expositions
temporaires
et réaliser notre
projet d’école
artistique »
CATHERINE GRENIER
directrice de
l’Institut Giacometti
gnent dans cette aventure. C’est
un budget soutenable. »
La billetterie sera cependant es­
sentielle. Le musée espère attein­
dre rapidement le million d’en­
trées par an. « Un million d’en­
trées, c’est que ce que réalise le Mu­
sée de l’Orangerie. Il a Monet, nous
avons Giacometti », souligne la di­
rectrice, qui estime que l’établis­
sement aura aussi un emplace­
ment idéal : au centre de l’arai­
gnée des musées parisiens avec
Orsay, l’Orangerie, le Grand Palais,
le Petit, Rodin, les Invalides, la col­
line de Chaillot et le Musée du
Quai Branly, pas loin.
Au musée devrait être associée
une école des pratiques artisti­
ques, « toutes les pratiques », af­
firme Mme Grenier : « Il manque
des lieux de formation pour
les arts visuels dans Paris : il suffit
de comparer aux conservatoires
de musique et de théâtre pour me­
surer le déficit. » Et d’avouer :
« L’ambition affichée est donc de
devenir un modèle. » p
philippe dagen
les ne sont tout simplement pas
assurées. Ce qui en dit long sur la
gestion du musée.
Que sont devenues ces œuvres
majeures ? Les cambrioleurs ont­
ils agi pour leur compte ou pour
un ou des commanditaires ? Ils ne
pouvaient ignorer que tenter de
revendre ces Renoir ou Monet vo­
lés serait le meilleur moyen d’être
repérés. D’où une hypothèse, très
vite avancée dans les semaines
qui suivent le cambriolage, d’un
« amateur » qui aurait fait appel à
des professionnels pour se consti­
tuer un bel ensemble de tableaux.
Signe supplémentaire : cinquante
ans plus tard, aucun n’a réapparu
et aucun indice n’a jamais relancé
l’enquête. Et il reste peu d’espoir
de les retrouver. p
ph. d.
PUBLICITÉ

DÉCARBONER
L’ I N D U S T R I E D U C A F É :
N O US D E VO N S AC C É L É R E R.
L’année dernière, lors de la COP26, entreprises et gouvernements ont à nouveau pris d’importants engagements
pour faire face aux changements climatiques. Dans le contexte de la COP27, la nécessité de combler le fossé qui sépare
les paroles et les actes n’a jamais été aussi urgente. À notre niveau la question se pose avec force : comment
Nespresso peut-il aller plus loin dans la protection de la planète et dans la pérennité de la filière café ?

Les producteurs de café subissent de plein fouet les effets alarmants du changement climatique. Ils sont le cœur
battant de la filière et leur existence même est menacée : les experts estiment que 50 % des terres utilisées
pour la culture du café pourraient ne plus être viables d’ici 2050 1 .

Chez Nespresso, nous sommes engagés depuis de nombreuses années dans la réduction de nos émissions
de gaz à effet de serre et sur une trajectoire vers le net zéro carbone afin de respecter l’Accord de Paris,
et ce en agissant sur l’ensemble de notre chaîne de valeur (y compris le scope 3). Nous avons ainsi réduit
de 24 % nos émissions par tasse de café entre 2009 et 2020.

Près de la moitié de nos émissions provient de la production de grains de café verts. Nous avons donc accéléré
notre transition vers une agriculture régénératrice - en aidant les caféiculteurs à utiliser des pratiques qui préservent
les écosystèmes et la biodiversité dans les régions de culture du café. Nous agissons concrètement et avons planté
près de 6 millions d’arbres depuis 2014 dans et autour des fermes de nos caféiculteurs partenaires
afin de séquestrer nos émissions dans notre propre chaîne de valeur.

Notre priorité est la réduction partout où cela est possible de nos émissions pour atteindre le net zéro carbone
selon l’Accord de Paris, en continuant d’accompagner les caféiculteurs partenaires. En parallèle de ces efforts
de réduction, nous avons investi dans des programmes de compensation carbone pour nos émissions résiduelles
et sélectionné des initiatives certifiées parmi les plus hauts standards 2. Chez Nespresso, nous considérons
que la compensation carbone est une réponse complémentaire, qui va de pair avec nos investissements
dans la décarbonation de l’ensemble de notre chaîne de valeur.

Il faut bien sûr agir sur l’ensemble des étapes du cycle de vie de la tasse de café, notamment la production
et la fin de vie des capsules. Nous avons ainsi été les premiers à lancer des capsules faites à partir d’au moins
80 % d’aluminium recyclé et avons initié en 2008 la filière de recyclage des petits aluminiums en France.
Contrairement aux idées reçues, en utilisant précisément la bonne quantité de café, d’énergie et d’eau, une tasse
de café Nespresso obtient une empreinte carbone 24 % inférieure à celle d’une tasse de café en grains par exemple 3.

La lutte contre le changement climatique doit être partagée par tous, et l’un des moyens clés d’y contribuer
est de suivre la trajectoire du net zéro carbone. Nous devrons, avec toutes les autres entreprises et parties
prenantes engagées sur ce chemin, agir avec détermination, être à l’écoute des experts et scientifiques, et s’ouvrir
aux approches et technologies nouvelles et émergentes.

ENSEMBLE, RELEVONS CET IMMENSE DÉFI !

En savoir plus : #NespressoAgit

1
Expected global suitability of coffee, cashew and avocado due to climate change: Roman Grüter, Tim Trachsel, Patrick Laube,
Isabel Jaisli, 2Verified Carbon Standard (VCS) ou Gold Standard, 3Etude Quantis sur une tasse de café Lungo de 110 ml en 2020.
NESPRESSO France SAS - SIREN 382 597 821 - RCS PARIS 27 rue du Colonel Pierre Avia, 75015 Paris

28 | culture
Misère et grandeur
d’une fille
sur les routes
Catherine Hiegel est magnifique en meneuse
de revue dans « Music­hall », de Lagarce,
présenté au Petit Saint­Martin, à Paris
SCÈNES
D
ouble bonheur au
Théâtre du Petit Saint­
Martin, à Paris : Cathe­
rine Hiegel joue deux
pièces de Jean­Luc Lagarce (1957­
1995). La première, Les Règles
du savoir­vivre dans la société
moderne, a été créée la saison der­
nière. Elle est reprise, avec une
nouvelle création, Music­hall, elle
aussi mise en scène par Marcial Di
Fonzo Bo, le directeur de la Comé­
die de Caen. Après leur présenta­
tion à Paris, en alternance, jusqu’à
mi­janvier, les spectacles parti­
ront en tournée. Ils seront alors
présentés dans la même soirée.
Les deux sont courts, autour
d’une heure, et aussi réussis l’un
que l’autre, chacun dans son re­
gistre. On en sort heureux
comme on peut l’être en écou­
tant les mots de Jean­Luc Lagarce
joués par l’une de nos plus gran­
des comédiennes, une Jacqueline
Maillan qui aurait passé qua­
rante ans à la Comédie­Française,
comme l’est Catherine Hiegel.
Son art fait merveille, soit qu’elle
joue une baronne dictant,
au tournant du XXe siècle, les
règles du savoir­vivre, de la nais­
sance à la mort, soit qu’elle
interprète une femme intem­
porelle d’aujourd’hui jouant
La « Racine » un peu trop au carré de Wajdi
Mouawad, au Théâtre de la Colline, à Paris
La nouvelle création du metteur en scène libano­québécois, machine théâtrale d’une
efficacité indiscutable, fait un triomphe. Il lui manque cependant l’émotion
L
THÉÂTRE
a critique est un exercice
solitaire. On le ressent plus
que jamais quand une
œuvre rencontre un public
enthousiaste mais vous laisse, en
tant que journaliste, totalement
sur le bas­côté de la route, inca­
pable de vous agglomérer à
l’élan collectif.
Ainsi en a­t­il été, pour nous,
avec Racine carrée du verbe être,
la nouvelle création de Wajdi
Mouawad, le directeur du Théâtre
de la Colline, à Paris. Le spectacle
dure six heures, à voir en version
intégrale, le week­end, ou en
deux parties, en semaine. Et il
triomphe, avec un public qui se
lève comme un seul homme à
l’issue des représentations.
Avec cette pièce fleuve, l’auteur
libano­québécois revient aux
racines de sa vie et de son œuvre :
le Liban, la guerre, l’exil, la ques­
tion de la filiation et celle de
l’identité. Tout part de sa propre
histoire, lui qui a dû quitter le Li­
ban à l’âge de 9 ans, en 1978, avec
sa famille, pour venir vivre en
France d’abord, puis au Québec.
A partir de là, Wajdi Mouawad
s’invente une série d’avatars, avec
pour matrice métaphorique cette
constante mathématique qui fait
de la racine carrée de 2 un nom­
bre irrationnel, possédant un
nombre infini de chiffres après
la virgule.
De ces infinis possibles, il ex­
trait cinq projections de lui­
même, de ce qu’il aurait pu deve­
sa vie dans des music­halls de
seconde zone.
Jean­Luc Lagarce a écrit ces piè­
ces en 1988 et 1994. Ce ne sont pas
celles qui lui ont valu la plus
grande reconnaissance, comme
Juste la fin du monde ou Derniers
remords avant l’oubli. Mais ce sont
des pépites, très souvent jouées
autour du monde. Music­hall est
bercée par les paroles qui introdui­
sent De temps en temps, la chan­
son d’André Hornez et Paul Mis­
raki chantée par Joséphine Baker :
« Ne me dis pas que tu m’adores/
Embrasse­moi, de temps en temps/
Un mot d’amour, c’est incolore/
Mais un baiser, c’est éloquent. »
L’illusion et ses mirages
Ce qui est éloquent, dans la pièce,
c’est la répétition mélancolique
d’un désir : entrer en scène, d’une
démarche « lente et désinvolte »,
prendre place sur un tabouret,
et chanter en racontant des anec­
dotes, en compagnie de deux
hommes. Il y a des lustres que
la femme, qui n’a d’autre nom
que « La Fille », le fait, avec deux
« Boys », dont les premiers ont été
son mari et son amant. D’autres
ont suivi qui, eux aussi, sont par­
tis, sans crier gare, lassés par cette
vie que La Fille aurait rêvé mener
d’avions en transatlantiques, et
qui l’a conduite à Montargis, dans
nir, au gré des grains semés par
le hasard. Son premier double est
un neurochirurgien italien,
homme détestable qui a aban­
donné ses enfants et passe sa vie
dans des hôtels de luxe avec de
jeunes prostituées. Le deuxième,
un chauffeur de taxi parisien, qui
se retrouve à accompagner un bo­
taniste à la Gilles Clément et de
jeunes activistes écologiques
dans leur combat. Le troisième a
les traits d’un plasticien québé­
cois, homosexuel et misan­
thrope, confronté à une polémi­
que sur l’une de ses œuvres. Le
quatrième, qui a une boutique de
vêtements à Beyrouth, se re­
trouve pris dans le chaos de l’ex­
plosion du 4 août 2020 dans la ca­
pitale libanaise. Le cinquième,
enfin, attend son exécution dans
le couloir de la mort d’une prison
texane, après avoir assassiné un
couple vingt ans auparavant.
Rhétorique du pardon
On voit par là que Wajdi
Mouawad embrasse bien des su­
jets de ce qui fait notre monde. La
construction de sa pièce est tout à
fait virtuose, l’exercice mathéma­
tique parfaitement exécuté, avec
ces cinq histoires en parallèle qui
finissent par se mêler et se déve­
lopper de manière rhizomateuse.
Idem pour la mise en scène qui,
aidée par la scénographie mobile
d’Emmanuel Clolus, passe d’un
univers à l’autre avec fluidité.
Le problème, c’est ce que les per­
sonnages, auxquels on n’a pas le
temps de s’attacher par ailleurs,
Raoul Fernandez,
Catherine Hiegel
et Pascal
Ternisien, dans
« Music­hall »,
au Théâtre
du Petit Saint­
Martin, à Paris,
le 22 septembre.
JEAN-LOUIS FERNANDEZ
le Loiret, « le trou du cul du cul de
la fin du monde », quand ce n’est
pas sur des chemins caillouteux,
valise à la main.
Mais cette vie, c’est la sienne,
et La Fille s’y accroche comme
à son tabouret, accessoire indis­
pensable de son « art ». Elle serait
misérable si Jean­Luc Lagarce
ne faisait passer sa tendresse pour
les petites tournées, qu’il a lui­
Le trait
est souvent
un peu gros,
dans ce spectacle
qui n’évite pas
les clichés
et les situations nous disent. Et là,
de même que sur la direction
d’acteurs, Wajdi Mouawad ne fait
pas toujours dans la dentelle.
Le trait est souvent un peu gros,
dans ce spectacle qui n’évite
pas les clichés.
Ainsi les mères ont tendance
à être forcément hystériques,
les sœurs forcément dévouées
− c’est leur rôle, n’est­ce pas ? −,
les artistes forcément torturés, et
les enfants dont les parents ont
été massacrés forcément remplis
d’empathie pour leurs meur­
triers. La rhétorique du pardon
développée dans le spectacle,
provenant d’un substrat chrétien
sans doute, apparaît bien naïve
au regard de la réflexion autre­
ment plus complexe sur la justice
traditionnellement proposée par
la tragédie depuis les Grecs.
Que dire aussi de la représen­
tation − toujours délicate au théâ­
tre − hyperréaliste et appuyée des
scènes de sexe, de l’insistance un
peu gênante dans la manière de
montrer la violence à l’égard des
femmes ? Que dire, encore, du
« viol » (le mot ici est­il bien em­
ployé ?) d’un père par sa fille, tel
même beaucoup pratiquées à ses
débuts à Besançon, dans le Doubs,
avec ses amis de sa compagnie,
La Roulotte. Marcial Di Fonzo Bo,
lui, a une tendresse pour le music­
hall, ce monde où les paillettes
masquent la rudesse. Il signe une
très jolie mise en scène, juste, qui
rend l’illusion et ses mirages, et
met très bien en valeur les trois
acteurs de Music­hall. L’un des
qu’il est mis en scène ? Wajdi
Mouawad semble avoir oublié
l’existence de la métaphore et du
mystère, qu’il maniait si bien
dans sa trilogie composée de
Littoral, Incendies et Forêts.
La dimension métaphorique
est prise en charge par les mathé­
matiques, mais, au­delà de cet af­
fichage brandi en étendard, elle
apparaît comme assez gratuite,
un habillage chic, une caution in­
tellectuelle. Du côté des acteurs,
on est également partagé tant
certains d’entre eux surlignent
leur jeu. Jérôme Kircher, qui
partage l’incarnation de ses ava­
tars avec Wajdi Mouawad lui­
même, et Norah Krief sont formi­
dables. Et dans la jeune garde
éclatent les talents de Jade Forti­
neau, Jérémie Galiana, Julie Julien
et Maxime Le Gac Olanié.
Racine carrée finit par apparaî­
tre comme une machine théâ­
trale d’une efficacité indiscuta­
ble, mais où, malgré les qualités
de la pièce, l’émotion, à force
d’être convoquée comme si elle
était une obligation, peut déci­
der d’aller se faire voir ailleurs,
dans des biotopes où on l’aura
laissée s’épanouir avec plus de
délicatesse. p
fabienne darge
Racine carrée du verbe être,
de et par Wajdi Mouawad.
Théâtre national de la Colline,
15, rue Malte­Brun, Paris 20e.
Tél. : 01­44­62­52­52.
En version intégrale ou en deux
parties, jusqu’au 30 décembre.
deux Boys, Pascal Ternisien, est
grand, et il a un petit air désinvolte
à la Philippe Noiret. L’autre, Raoul
Fernandez, est plus petit, et il maî­
trise l’abattage des meneurs de re­
vue. Tous les deux sont en frac,
avec des visages blancs, des lèvres
rouges et des plumeaux s’il le faut.
Ils entourent avec une ironie dé­
sabusée La Fille, Catherine Hiegel,
donc, moulée dans une longue
La vie de famille selon
Antonia de Rendinger
L’humoriste dépeint, avec causticité et
tendresse, les décalages entre générations
HUMOUR
I l serait injuste de résumer la
scène humoristique actuelle
au stand­up. Il suffit d’assister
au nouveau spectacle d’Antonia
de Rendinger pour mesurer que le
bon vieux sketch a encore de
beaux jours devant lui. Encore
faut­il trouver des personnages si­
gnificatifs, des histoires originales
et avoir un talent d’interprétation.
Trois prérequis que cette comé­
dienne remplit parfaitement dans
son nouveau spectacle, Scènes de
corps et d’esprit.
Quinze ans déjà qu’elle foule les
planches en cultivant sa diffé­
rence, scénarisant la vie des autres
plutôt que la sienne. A 47 ans, avec
ce quatrième spectacle, elle arrive
au sommet de son art. Le seul re­
proche qu’on pourrait faire à son
nouveau one­woman­show est ce
petit passage où elle se sent obli­
gée de justifier sa volonté de ne
pas casser le quatrième mur. Pour
le reste, les tranches de vie racon­
tées par cette Alsacienne, formée à
l’improvisation, sont d’une re­
doutable truculence.
Belle profondeur
Tout commence par un résumé de
la vie en une minute. De l’enfance
à l’Ehpad, Antonia fait défiler une
existence dans un tourbillon bluf­
fant de variations verbales et de
postures. C’est la force de cette hu­
moriste : elle peut tout incarner,
tous les âges, tous les milieux, tou­
tes les voix, tous les accents. De la
petite fille aussi démoniaque que
son chat à la grand­mère convertie
à l’amour libre, en passant par la
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
Le metteur en
scène Marcial
Di Fonzo Bo
a une tendresse
pour ce monde
où les paillettes
masquent
la rudesse
robe noire ouverte jusqu’au haut
de la cuisse, qui a été dessinée par
une légende des costumes, Mine
Vergès, autrice, entre autres, de
robes pour Joséphine Baker. Evi­
demment, le visage de Catherine
Hiegel est maquillé à outrance,
des paillettes d’argent cernent ses
yeux, ses cheveux sont crantés.
Mais son regard, lui, ne triche pas.
Il tranche dans le vif, comme
sa manière d’être.
Catherine Hiegel ne joue pas
la coquette, elle balance ses gestes
et ses mots en femme qui en
connaît un rayon sur la vie. Elle
en devient dure, mais dans cette
dureté passe l’éclat du défi : vous
ne m’aurez pas avec votre com­
passion ou votre mépris, semble­
t­elle dire, parce que, quoi que
vous en pensiez, je fais ce qui
me plaît, et c’est moi qui entre
en scène et chante « Ne me dis pas
que tu m’adores ». En play­back,
mais peu importe. Jouée par
Catherine Hiegel, cette vie de
Music­hall ne l’est pas, en play­
back. Elle vous regarde droit dans
les yeux. Magnifique. p
brigitte salino
Music­hall (jusqu’au 8 janvier)
et Les Règles du savoir­vivre
dans la société moderne
(du 26 novembre au 18 janvier),
de Jean­Luc Lagarce. Mise en
scène de Marcial Di Fonzo Bo.
Théâtre du Petit Saint­Martin,
17, rue René­Boulanger, Paris 10e.
De 15 € à 27 €. Petitstmartin.com ;
dates de tournée sur
Comediedecaen.com
mère à l’accent chti déconcertée et
« emmerdée » par son écolo de
fille, les sketchs défilent et nous
plongent dans des face­à­face par­
faitement maîtrisés.
Antonia de Rendinger aime et
tient ses personnages, sans carica­
ture outrageuse, sans chercher le
rire mais en faisant confiance au
texte (excellent) et à la situation.
Comme quand cette mère, à la ma­
nière d’une tragédienne, échange
avec son adolescente de 15 ans sur
l’impossibilité d’accorder leur vo­
cabulaire, ou quand cette autre
mère, qui se veut parfaite mais a lu
le journal intime de sa fille, livre
son désarroi à son époux dont le
pragmatisme la déstabilise. Deux
moments hilarants.
Sur la forme, ce spectacle, avec
ses noirs entre chaque sketch, est
on ne peut plus classique et man­
que d’audace sur la mise en scène.
Mais, sur le fond, il tisse quelques
fils rouges, abordant avec une
belle profondeur le décalage entre
générations, la question de la
transmission et les relations fami­
liales. L’humour déployé tout au
long de ce généreux seule­en­
scène mêle ironie, causticité et
tendresse. Et puis il y a cet extrava­
gant rappel : une histoire québé­
coise, en trois versions, celle d’Adé­
laïde et la petite vache. Irraconta­
ble mais mémorable. Une perfor­
mance à saluer. p
sandrine blanchard
Scènes de corps et d’esprit, de et
avec Antonia de Rendinger, mise
en scène Caroline Duffau, au
Théâtre du Palais des Glaces
(Paris 10e), jusqu’au 21 décembre.
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022 culture | 29

Galactic, gardiens du funk de La Nouvelle­Orléans

Le sextette a donné un rare concert en France, samedi 12 novembre, au Musée du quai Branly­Jacques­Chirac

MUSIQUE ce ragoûtant plat créole. En une

dizaine d’albums, le groupe a
phone et trompette). Venu du Ma­
ryland, un Etat du nord­est des
Le groupe Pour Mardi gras, Stanton Moore
défile avec Monk Boudreaux, de
Professor Longhair (1918­1980).
Ouvert en 1977 à proximité du

F
allait­il les attirer avec
l’exposition « Black In­
dians de La Nouvelle­Or­
léans » pour que Galactic
revienne enfin jouer en France,
huit ans après un passage au Nice
Jazz Festival ? Et pour une date
unique en Europe ? Le Théâtre
Claude­Lévi­Strauss du Musée du
quai Branly­Jacques­Chirac était
comble, samedi 12 novembre,
pour le concert du sextette instru­
mental de la ville louisianaise,
augmenté de la chanteuse Anje­
lika « Jelly » Joseph, en scintillante
cape argentée assortie à ses plat­
form boots. Dès le cinquième titre,
le groove produit son effet : public
debout, danseurs devant la scène.
Fondé en 1994, Galactic est de­
venu le gardien du funk local, un
trésor menacé par les ravages de
l’ouragan Katrina en 2005. Par
funk, il faut entendre l’influence
du Géorgien James Brown, mais
accommodée comme un gombo,
agrémenté sa recette de saveurs
électroniques ou hip­hop (From
the Corner to the Block, en 2007),
sans jamais se départir du respect
dû aux anciens. Ils ont pu jouer
avec le grand Allen Toussaint
avant sa mort en 2015 et conti­
nuent de le faire avec Irma Tho­
mas, « toujours aussi vive et éner­
gique à 81 ans », constate le bas­
siste Robert Mercurio. Douze ans
après la chanson Heart of Steel,
Galactic prépare, pour la fin de
2023, un album complet avec la
« Soul Queen of New Orleans ».
Robert Mercurio forme avec le
batteur Stanton Moore, qui a pro­
fité de cette étape parisienne
pour se produire deux soirs avec
son trio au club de jazz Le Duc des
Lombards, la section rythmique
de Galactic. Autrement dit le
noyau du réacteur qu’alimentent
licks de guitare, souffle d’un or­
gue Hammond, rugissements et
envolées de deux cuivres (saxo­
Etats­Unis, comme le guitariste
Jeff Raines, Robert Mercurio, alors
étudiant, est descendu à La Nou­
velle­Orléans pour tomber dans
la marmite du rhythm and blues.
Stanton Moore baignait dedans
depuis son enfance puisqu’il est
originaire du quartier de Metai­
rie, participant année après an­
née aux parades du Mardi gras.
Explosivité et subtilité
A l’entendre, le secret de son jeu,
qui combine explosivité et subti­
lité, remonte bien au­delà des mo­
dèles que sont The Meters ou The
Gaturs, ambassadeurs du funk
néo­orléanais à la fin des années
1960 : « Tout chez moi commence
avec les tambours de Congo
Square, le seul endroit aux Etats­
Unis qui permettait aux Afro­Amé­
ricains de s’exprimer dans un mé­
lange de musique, de religion et de
danse », cette bamboula qui a été
détournée en injure raciste. Sur la
a agrémenté
sa recette
d’électro ou
de hip-hop,
sans se départir
du respect dû
aux anciens
place, située dans le parc Louis­
Armstrong, dans le quartier de
Tremé, sont nées les fanfares avec
leurs « second lines » et la coutume
carnavalesque des Black Indians,
un hommage à l’aide apportée
aux esclaves en fuite par un autre
peuple opprimé, les Amérindiens.
Avec les pièces de son kit, le bat­
teur a « travaillé pendant des an­
nées à restituer ces tapisseries po­
lyrythmiques de groupe, tissées
avec des tambourins, des toms bas
et des claves ».
la tribu des Golden Eagles, pré­
sent, comme Galactic, dans la sé­
rie Treme, de David Simon et Eric
Ellis Overmyer, diffusée de 2010 à
2013. Le chef Black Indian parti­
cipa aux enregistrements des
Wild Magnolias, « les premiers à
avoir mêlé les chants indiens au
funk du début des années 1970,
leur album They Call Us Wild,
en 1975, étant une pierre angulaire
pour nous ». Leur grand digni­
taire, Bo Dollis, mort en 2015, fut
invité d’honneur de l’album Ya­
Ka­May (2010), avant que Galactic
ne célèbre avec Carnivale Electri­
cos (2012) la tradition du Mardi
gras, en conviant cette fois Juan
Pardo des Golden Comanche.
Extrait de ce disque de fête, le
bouillant Hey Na Na transforme
le Théâtre Claude­Lévi­Strauss en
annexe de Tipitina’s, un des plus
fameux clubs de La Nouvelle­Or­
léans, baptisé en l’honneur de la
chanson du légendaire pianiste
fleuve Mississippi, dans un bâti­
ment qui servit de maison de
jeux puis d’hôtel de passe, le lieu
aura accueilli les célébrités de la
ville, The Radiators, The Neville
Brothers ou Dr. John. Galactic l’a
racheté en 2018 pour pérenniser
l’héritage. « C’était déjà notre mai­
son avant que nous ne la repre­
nions, affirme Stanton Moore.
Nous avons dû y jouer une cen­
taine de fois auparavant. Si l’on de­
mande à chacun de nous quelle est
sa salle préférée dans le monde, il
répondra Tipitina’s sans hésita­
tion. Pour le son, l’énergie dans la
salle et ce balcon qui vous en­
toure. » C’est aussi l’endroit le plus
sûr pour entendre cette attraction
live qu’est Galactic.
bruno lesprit
« Black Indians de La Nouvelle­
Orléans ». Musée du quai Branly­
Jacques­Chirac, Paris 7e. Jusqu’au
15 janvier 2023.

Avec le groupe Okean

Elzy, la guerre en Ukraine
UN HORS-SÉRIE
au Zénith de Paris
Le chanteur et homme politique Sviatoslav
Vakartchouk s’y produisait le 12 novembre

Q uand j’avais 20 ans, ja­

mais je n’aurais pensé
que je serais un jour sol­
dat », confie Sviatoslav
Vakartchouk de la même voix
chaude et éraillée avec laquelle il
chante sur scène : « Un jour, la
guerre prendra fin. Je m’y suis
perdu, J’en ai vu les abysses. Serre­
moi dans tes bras, serre­moi, serre­
moi. Si doucement, et ne me laisse
pas partir. Serre­moi. Que ton prin­
temps revienne. »
Le leader d’Okean Elzy, le groupe
qui, depuis un quart de siècle, bat
en Ukraine des records de popula­
rité, avait, lorsqu’il était encore
étudiant, fait sa formation mili­
taire dans la branche Combat psy­
chologique. Depuis le début de la
guerre, c’est ce qu’il fait : à 47 ans, il
parcourt la ligne de front pour re­
monter le moral des troupes. Plus
de 150 concerts seul, chantant
dans les tranchées, dans des forêts,
devant des groupes de soldats…
Comme aujourd’hui, il parcourt
le monde avec son groupe pour
une tournée dont les fonds doi­
vent servir à aider son pays. Sa­
medi 12 novembre, Okean Elzy
jouait, au Zénith de Paris, devant
quatre mille personnes. Vestales
drapées du drapeau bleu et jaune,
diaspora chauffée à blanc. Quel­
que part entre le concert de pop
rock et le meeting politique.
« Slava Ukraïny ! », crie un
homme. « Heroïam sláva ! », ré­
pond la foule selon un gimmick :
Gloire à l’Ukraine, gloire aux héros.
« Réunir et inspirer »
Logique, tant le chanteur est pro­
phète en son pays. Ses chansons
ont été la bande­son de la « révolu­
tion orange » et de Maïdan. Svia­
toslav Vakartchouk lui­même a
été élu député à deux reprises. La
première fois, en 2007, avant de
renoncer par impuissance. La
deuxième fois en 2019. Après un
cycle d’études en sciences politi­
ques à Stanford aux Etats­Unis, il
avait créé à Kiev un parti, Holos
(« la voix »), et on le disait dans les
starting­blocks pour la présiden­
tielle. Certains sondages le
voyaient même vainqueur mais il
avait finalement renoncé. Alors
que Volodymyr Zelensky était élu,
lui et son parti avaient raflé une
vingtaine de sièges.
Trente ans plus tôt, son père,
Ivan Vakartchouk, physicien de
premier plan, élu député en 1989,
avait « fait partie du Parlement qui
a dissous l’Union soviétique ». Le
père sera même, de 2007 à 2010,
ministre de l’éducation de
l’Ukraine indépendante. « Il m’a
montré qu’on pouvait faire changer
les choses », soupire celui qui a fi­
nalement cédé sa place sur la
scène politique : « Moi, ma plus
grande qualité politique, c’est de
réunir les gens et de les inspirer… »
Un jour, en 2005, le chanteur à
succès a été invité à participer à la
version ukrainienne de l’émission
Qui veut gagner des millions ? Bête
à concours, il a gagné le gros lot :
200 000 dollars (271 280 euros au
1er janvier 2005), tous investis dans
la reconstruction d’un orphelinat
pour enfants atteints du sida.
« L’ironie dramatique de l’histoire,
c’est [que cet orphelinat] était dans
l’oblast de Donetsk, un territoire
occupé depuis 2014 par la Russie. Je
ne sais pas ce qu’il est devenu. »
On sent son corps crispé, ses
yeux noirs qui brillent. Il aimerait
mieux parler d’Apollinaire ou des
« poètes symbolistes français »,
mais la guerre toujours le rattrape.
« La guerre est noir et blanc. Tu es
ennemi ou ami. Dire simplement
que tu veux la paix, c’est ambigu.
Poutine lui­même dit qu’il veut la
paix. Les Ukrainiens sont tués, vio­
lés, détruits. Alors, oui, il y a une co­
lère dans ce pays. La génération sui­
vante, elle, pourra analyser les con­
séquences. Je ne sais pas si l’anec­
dote est vraie, mais on raconte
qu’au moment de la guerre du Viet­
nam, Henry Kissinger et Zhou Enlai L’histoire fabuleuse de ce groupe mythique
se rencontrent. Ils ne savent pas
trop quoi dire. Le secrétaire d’Etat Un hors-série collector de 128 pages
américain demande alors au diri­
geant chinois ce qu’il pense de la ré­ avec des photos et des interviews inédites.
volution française de 1789. “Trop
tôt pour en tirer des conclusions”,
répond Zhou Enlai. »
Il rit. Comme il doit rire dans les CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
tranchées avec les soldats, ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE
comme il rit sur la scène du Zé­
nith alors qu’il s’apprête à enta­
mer, sa nouvelle chanson sur Ma­
rioupol. Peut­être parce que le rire
est un remède à la mort ? Dans la
fosse, la foule scande « ZSU, ZSU… »
L’acronyme des forces armées
ukrainiennes. p
laurent carpentier
30 | disparitions
Gal Costa
Chanteuse brésilienne
M
eu nome é Gal » (« je
m’appelle Gal »),
chantait­elle. GAL,
trois lettres, à pro­
noncer avec suavité, en s’en délec­
tant, parce que Gal Costa, c’était la
beauté d’un pays métis, et l’affir­
mation du droit des femmes à
exister comme elles le désirent,
sages ou délirantes, insoumises
bien sûr. Beauté tropicale, ventre
dénudé, longs cheveux afro,
lèvres peintes au rouge « bâton » :
Gal Costa fut l’élément féminin
de la révolution tropicaliste – la
révolution musicale brésilienne
des années 1960 –, qu’elle mena
en guerrière hippie et rock’n’roll
aux côtés de ses camarades bahia­
nais Gilberto Gil, Caetano Veloso,
Tom Zé. Ses armes : une guitare,
dont elle jouait fort bien, une voix
sensuelle, à caractère cristallin,
qu’elle pouvait pousser très haut,
et une absence totale de préjugés
ou de cadres moralisateurs.
Interprète chérie des Brésiliens,
elle fut le fils­fille qui se sépare
inéluctablement de sa mère dans
Mamae, coragem – « Je veux, je
peux, j’ai voulu, je l’ai fait ». Elle fut
la femme blessée de Sua estupi­
dez, chanson d’amour rageuse
écrite par les yéyés Roberto Carlos
et Erasmo Carlos en 1971. Elle fut
cette Tigresa, beauté aux ongles
noirs, qui, « effleurant mon corps
de sa peau d’or marron, me dit que
le mal est bon et le bien cruel »,
chanson composée par Caetano
Veloso en 1977.
En cinquante­sept ans de car­
rière, Gal Costa a opéré son art et
son charme sur bien des « petites
musiques » qu’elle a transformées
en or. Née à Barra, un quartier de
Salvador da Bahia, le 26 septembre
1945, Maria da Graça Costa Penna
Burgos est morte à Sao Paulo le
9 novembre, d’une embolie pul­
monaire. Elle était âgée de 77 ans.
Fille d’une mère veuve passion­
née de musique classique, elle
veut chanter dès l’enfance. Pour
affiner sa voix, elle avait, disait­
elle, ses méthodes. Iconoclastes.
Par exemple : prendre une mar­
mite qui servait à la cuisson de la
feijoada, s’enfiler la tête à l’inté­
Bao Tong
Ancien secrétaire du Parti communiste chinois
J
e me demande si je verrai une
Chine démocratique de mon
vivant. » C’est ainsi que s’ex­
primait Bao Tong, lorsque
nous l’avions rencontré à Pé­
kin, en novembre 2018. Il avait
alors 86 ans, et Xi Jinping venait de
supprimer la limite de deux man­
dats présidentiels, quelques mois
plus tôt. Bao Tong est mort à
90 ans, à Pékin, le 9 novembre. Il
n’aura non seulement pas vu la dé­
mocratie en Chine, mais il aura
vécu assez longtemps pour voir le
« Grand Bond en arrière » mis en
œuvre par le président chinois.
Cet ancien dirigeant commu­
niste qui ne manquait pas d’hu­
mour ajoutait : « Je suis très heu­
reux depuis que j’ai été exclu du
parti, car je ne suis pas corrompu,
alors que, lorsque j’étais en fonc­
tion, on m’offrait des cigarettes, de
l’alcool. De plus, je peux dire ce que
je pense. Autrefois, je devais respec­
ter la discipline, et je n’osais même
pas penser contre le parti. » Pour
nous rejoindre, il avait, comme
chaque jour depuis vingt­deux
ans, été suivi par des « anges gar­
diens » de la sécurité : un à moto,
un à pied et un en voiture. « Quand
on pense à ce que cela coûte à l’Etat
et au peuple de me faire surveiller
rieur, contrôler la respiration et
saisir les nuances du timbre.
Suivant son destin, « Gracinha »,
pas encore Gal, travaille chez un
disquaire, Roni Discos. Puis se lie
d’amitié avec ses voisines, les
sœurs Sandra et Andréa Gadelha,
futures épouses de Gilberto Gil et
Caetano Veloso.
Famille tropicaliste
A l’époque, la jeune fille a les che­
veux courts et elle est sous em­
prise – celle de la voix de Joao Gil­
berto, guitariste, chanteur qui
vient d’inventer la bossa­nova
avec l’album Chega de saudade
(1958). Présentée en 1963 à Cae­
tano Veloso par ses amies, elle fait
ses premiers pas sur scène en
août 1964, au Théâtre Vila Velha,
symbole du bouillonnement
culturel de Salvador de Bahia à la
veille du coup d’Etat militaire de
1964. A ses côtés se déploie ce qui
deviendra bientôt la bande des
tropicalistes – Gilberto Gil, Cae­
tano Veloso et sa sœur Maria
Bethânia, Tom Zé. Voici donc sa
famille recomposée, qu’elle suit
bientôt à Rio de Janeiro.
En 1965, elle enregistre son pre­
mier titre, Sol negro, en duo avec
Maria Bethânia, puis Eu vim da
Bahia, de Gilberto Gil, affirma­
tion de la richesse de la culture
nordestine et afro­brésilienne, te­
nue jusqu’alors pour « arriérée ».
En 1967, Gal et Caetano enregis­
trent ensemble un 33­tours, Do­
mingo, un pur exercice de bossa­
nova, où apparaît un titre iconi­
que signé Caetano Veloso, Cora­
çao vagabundo.
La révolution arrive en 1968,
avec le disque Tropicalia ou Panis
et circensis, « du pain et des jeux »
en latin, un manifeste. Gour­
mands, les jeunes tropicalistes
ont commencé par combattre le
père (Joao Gilberto, très collet
monté) à coups de guitares électri­
ques, et les bien­pensants avec des
excès de cheveux longs, de sexua­
lité affichée. Décomplexés, « can­
nibales », ils empruntent alors
aux musiques du terroir (le baiao,
le xote, etc.), à la samba, au rock
anglais, aux crooners… Dans ce
vingt­quatre heures sur vingt­qua­
tre par au moins trois personnes ! »
Bao Tong est né en 1932, à Hai­
ning, au Zhejiang. Il a poursuivi
ses études secondaires à Shanghaï.
Au lycée, il a rencontré Jiang Zong­
cao, une militante communiste
qui allait devenir son épouse. En­
tré au Parti communiste [chinois,
PCC] le 12 avril 1949, il a mené,
dans les années 1950, une vie de
cadre ordinaire du PCC : secrétaire
du comité du parti de son lycée,
puis cadre du département de l’or­
ganisation. Envoyé à la campagne
au cours de la Révolution cultu­
relle, il est rentré en ville en 1975 ;
après la mort de Mao, il est devenu
vice­président du comité d’Etat
pour les sciences et les techniques.
Dans les coulisses du pouvoir
C’est en 1980 que Zhao Ziyang,
alors premier ministre, en fait son
secrétaire politique et son con­
seiller. Il est nommé vice­prési­
dent du comité d’Etat pour la ré­
forme du système économique
qui prépare la transition vers l’éco­
nomie de marché. Dès 1986, il est
le responsable du bureau pour la
réforme du système politique com­
posé de fonctionnaires du parti et
d’intellectuels audacieux. Bao a
jeu, Gal est plus qu’une interprète,
elle est une partie du tout. « J’étais
spontanément libre. Je vois de l’élé­
gance et de la pureté dans ces ima­
ges », disait­elle à El Pais, en 2021.
En 1968, le gouvernement mili­
taire impose l’AI­5, l’« acte institu­
tionnel numéro cinq », muselant
toute opposition. Gal et ses amis
introduisent des métaphores so­
ciales dans leur rock démembré,
dont ils confient les arrangements
à Rogério Duprat, musicien arran­
geur, élève de Stockhausen. Gal
écoute Janis Joplin, se coiffe
« afro », elle porte des habits bro­
dés, des colliers, des déshabillés.
Individuellement, elle explose
en 1969 avec Divino Maravilhoso,
de Caetano Veloso, inclus dans son
troisième album, Gal Costa.
En 1970, après avoir rendu visite
à ses camarades Caetano et Gil en
exil à Londres, elle reprend en
douceur le flambeau tropicaliste,
publiant les albums Gal (1969) et
LeGal (1970), avec le guitariste
Lanny Gordin et le compositeur
Jards Macalé. Créé en octobre 1971,
le spectacle ­Fa­Tal­ (Gal a todo
vapor) est gravé dans un double
album, portrait le plus abouti de
Gal comme voix de la résistance,
réalisé sous la houlette du poète
et metteur en scène Waly Salo­
mao. Les garçons, Gil et Caetano,
rentrent au bercail en 1972. Avec
l’album India (1973), Gal clôt ce
cycle de débauche, malgré une
pochette provocante – son bikini
rouge photographié en gros plan
de manière suggestive.
Caméléon
Elle change, enregistre Cantar
en 1974, que produit Caetano
Veloso. Son chant y est adouci
grâce aux apports stylistiques de
Joao Donato, musicien, arrangeur
et compositeur. Et parce qu’elle
est caméléon et qu’elle explore
tous les champs du possible, la
voici en 1975 au générique de Ga­
briela, feuilleton à succès de la
chaîne de télévision Globo, chan­
tant Modinha para Gabriela, du
compositeur bahianais Dorival
Caymmi. Ce succès la conduit à
enregistrer, l’année suivante, Gal
une réputation de libéral et s’attire
les critiques des conservateurs.
En 1987, il organise d’innombra­
bles réunions avec les représen­
tants des diverses couches de la
société : ouvriers, intellectuels,
étudiants… C’est lui qui rédige le
rapport de Zhao au 13e congrès,
qui affirme la nécessité d’établir
un dialogue avec la société et, sur­
tout, qui prône la séparation du
parti et de l’Etat. Bao Tong expli­
que : « On a alors décidé de suppri­
mer les cellules du parti en dehors
des organes gouvernementaux,
mais Deng [Xiaoping, au pouvoir
de 1978 à 1989] s’y est opposé, et
nous nous sommes soumis. Toute­
fois, dès avant le congrès, Zhao
avait accepté que le parti n’inter­
vienne pas dans les domaines de
la presse, du cinéma, du judi­
ciaire… Deng ne le savait pas, mais
c’était comme ça. Nous ne faisions
pas ce que Deng avait expressé­
ment interdit, mais pour le reste…
Le but était de construire une
Chine démocratique. »
En 1987, Bao Tong entre au co­
mité central, tandis qu’un idéolo­
gue conservateur, Deng Liqun, en
est exclu à la suite d’une élection
plus démocratique qu’habituelle­
ment. Un symbole de l’atmos­
En avril 1978. CHRISTIAN ROSE/FASTIMAGE
canta Caymmi, un format auquel
elle reviendra en 1980 pour un al­
bum, Aquarela do Brasil, entière­
ment consacré au compositeur
Ary Barroso.
Plus consensuelle, Gal Costa
tisse des liens intimes avec un pu­
blic brésilien toujours séduit par
une sorte de simplicité talen­
tueuse. Le double album Fantasia,
paru en 1981, abrite ainsi son plus
grand succès commercial, Festa
do interior, un frevo dansant de
Moraes Moreira et Abel Silva. L’in­
terprète alterne ensuite des al­
bums à tendance pop, jazzy ou
bossa­nova. De 1981 à 1993, elle
publie huit disques, avant d’opé­
rer un nouveau virage esthétique
avec O Sorriso do gato de Alice,
avec le guitariste new­yorkais
Arto Lindsay. Puis Gal revient à
phère qui règne à l’époque. Après
le déclenchement du mouvement
démocratique d’avril 1989, il joue
un rôle important dans les coulis­
ses. Il compose notamment le dis­
cours que Zhao prononce devant
la Banque asiatique de développe­
ment, le 4 mai 1989, dans lequel il
affirme que les étudiants ne sont
pas opposés au parti et soutien­
nent les réformes. Deng Xiaoping
le prend comme un désaveu de sa
politique. Lorsque Deng décide
d’imposer la loi martiale, Zhao de­
mande à Bao Tong d’écrire sa let­
tre de démission, sans toutefois
l’informer de la décision du pa­
triarche. Zhao est mis à l’écart, et
Bao Tong est arrêté, le 28 mai.
En 1992, il est condamné à sept
ans de prison pour divulgation de
secrets d’Etat, parce qu’il aurait in­
formé des collègues de la mise en
œuvre de la loi martiale avant sa
proclamation. Or, Bao Tong af­
firme avoir appris cette décision à
la télévision.
Pour lui, le mouvement de 1989 a
pris une telle ampleur par la vo­
lonté de Deng Xiaoping : alors que
les étudiants étaient déjà rentrés
dans les universités après la céré­
monie d’adieu à l’ancien secré­
taire général du PCC Hu Yaobang
Tom Jobim dans Mina d’agua do
meu canto (1995), produit par Ja­
ques Morelenbaum.
L’abondante discographie de
Gal Costa (au rythme d’un album
par an environ) trouve sa fin
en 2021, avec Nenhuma Dor, paru
chez Biscoito Fino, le label indé­
pendant qu’elle a intégré en 2017,
épaulée par les voix de Seu Jorge,
Criolo, Tim Bernardes, Rodrigo
Amarante… Gal Costa était repar­
tie en tournée, elle aimait la scène,
et détestait la vulgarité du prési­
dent Jair Bolsonaro, qui, disait­
elle, n’avait pas su défendre les
siens, ni contre le Covid­19, ni con­
tre la faim ou la violence, et qui
renvoyait le Brésil à des démons
qu’elle avait voulu exorciser dès
son entrée en chanson, en 1965. p
véronique mortaigne
(mort le 15 avril 1989), il aurait déli­
bérément jeté de l’huile sur le feu
en faisant publier l’éditorial du
26 avril qui qualifiait le mouve­
ment de chaos. C’est ce qui aurait
provoqué les grandes manifesta­
tions du 27 avril et celles qui ont
suivi. Cette provocation visait à
mettre Zhao Ziyang, alors secré­
taire général du PCC, dans l’embar­
ras et à l’éliminer. Selon lui, Li Peng
– premier ministre depuis 1987,
surnommé « le boucher de Tia­
nanmen » – n’a été qu’un instru­
ment au service du patriarche.
Un militant démocrate
Dans les années qui ont suivi sa
« libération » en 1998, Bao Tong,
toujours en résidence surveillée et
longtemps privé d’Internet, n’a
cessé de demander la réhabilita­
tion du mouvement de 1989. Il
s’est ainsi rapproché des Mères de
Tiananmen, qui exigent que le
gouvernement fasse la lumière
sur le massacre, et s’est lié d’amitié
avec l’écrivain et dissident Liu
Xiaobo. En 2008, il a signé la
Charte 08, qui réclamait la démo­
cratisation de la Chine et, en 2009,
la pétition protestant contre la
condamnation de Liu à onze ans
de prison. En 2010, il s’est félicité
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
26 SEPTEMBRE 1945 Nais-
sance à Salvador de Bahia
1969 Album « Gal Costa »
(Philips)
1980 Album « Aquarela
do Brasil » (Philips)
2011 Latin Grammy Award
pour l’ensemble de
sa carrière
2021 Album « Nenhuma
Dor » (Biscoito Fino)
9 NOVEMBRE 2022 Mort
à Sao Paulo
5 NOVEMBRE 1932 Nais-
sance à Haining (Chine)
1980 Secrétaire politique
et conseiller du premier
ministre Zhao Ziyang
1992 Condamné à sept ans
de prison
9 NOVEMBRE 2022 Mort
à Pékin
publiquement que celui­ci ait ob­
tenu le prix Nobel de la paix. Il n’a
cessé de fréquenter son épouse,
Liu Xia, elle­même en résidence
surveillée jusqu’à son départ de
Chine, en 2018. Dans des inter­
views pour la presse étrangère,
Bao a poursuivi son soutien au
mouvement pour la démocratie
de Hongkong et dénoncé le renfor­
cement du pouvoir de Xi Jinping.
Jusqu’au bout, il aura affirmé son
bonheur de pouvoir dire la vérité
et se félicitera d’être revenu à son
combat pour une Chine démocra­
tique, tout en regrettant de s’être
comporté comme un bureau­
crate pendant les premières dé­
cennies du régime.
Lors de son 90e anniversaire, il
avait dit à ses enfants : « Que j’aie
ou non 90 ans n’a aucune impor­
tance. L’important, c’est l’avenir, le
présent pour lequel nous devons
nous battre. Il faut faire aujour­
d’hui ce que l’on peut, ce que l’on
doit, et il faut bien le faire. »
jean­philippe béja (directeur
de recherche émérite au cnrs,
ceri­sciences­po)
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022 carnet | 31
Huisseau-sur-Cosson (Loir-et-Cher). Carole Frazier, Le docteur Christiane Warter,
Jagoda BUIC sa fille, son épouse, Communication diverse
Cécile Badaire, (14 mars 1930-17 octobre 2022). Léo Chenuaud, Ses enfants
son épouse, son petit-fils, Et petits-enfants,
Les familles Badaire et Bessonie, Suzanne, Flore, Monique,
Le Carnet Une grande artiste à la personnalité
exceptionnelle nous a quittés. ses sœurs,
ont la tristesse d’annoncer la
ont la tristesse de faire part du décès disparition du
leurs conjoints et leurs enfants,
de Sa famille
La Fondation du docteur Hans professeur
Vous pouvez nous faire Wuttke, Et ses amis, André Ladislas WARTER,
Jean-Gilles BADAIRE,
parvenir vos textes peintre,
Docteur Nikolaus Hensel,
ont la grande tristesse de faire part survenue le 7 novembre 2022,
le président, Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
Docteur Daniel Schuetze, du décès de à Fort-de-France.
soit par e-mail : survenu le 8 novembre 2022,
le vice-président.
à l’âge de soixante et onze ans. La cérémonie aura lieu le mardi Les bénévoles de SOS Amitié
carnet@mpublicite.fr Raymonde FRAZIER, écoutent
née NOVODORSQUI, 15 novembre, en l’Église réformée
(en précisant impérativement La cérémonie de l’adieu se Les obsèques auront lieu le
officier
du Chablais, à Évian-les-Bains (Haute- par téléphone et/ou par internet
déroulera dans l’intimité le vendredi 19 novembre 2022, à 11 h 30, à Savoie). ceux qui souffrent de solitude,
votre numéro de téléphone dans l’ordre des Palmes académiques,
18 novembre, à 14 heures, au Dubrovnik. de mal-être et peuvent avoir
et votre éventuel numéro crématorium de Blois.
survenu le 2 novembre 2022, Hommage des pensées suicidaires.
d’abonné ou de membre Un hommage sera rendu à l’œuvre
à l’âge de quatre-vingt-treize ans.
c-badaire@orange.fr de Jagoda Buic, en janvier 2023, à La directrice de la rédaction,
de la SDL) Nous recherchons des écoutants
Zagreb. Le comité de rédaction et de bénévoles
La cérémonie d’adieu aura lieu le lecture de la revue Incidence,
Anne Crété,
soit sur le site : son épouse, Contact : Ivana Culjak (curatrice),
mardi 15 novembre, à 10 h 30, en la sur toute la France.
salle de la Coupole, du cimetière du ont appris avec une profonde L’écoute peut sauver des vies
https://carnet.lemonde.fr Les familles Crété, Charly et Bühler, culjak@wuttkefoundation.ch
Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux, douleur la disparition de et enrichir la vôtre !
ont le profond chagrin de faire part Paris 20e, suivie de l’inhumation, à Choix des heures d’écoute,
L’équipe du Carnet du décès de
Michel Durand-Dessert, 12 h 30, au cimetière de Montmartre, Patrick LACOSTE, formation assurée.
son époux, psychiatre et psychanalyste.
reviendra vers vous Sa famille,
Paris 18e.
Michel BÜHLER, En IdF RDV sur
dans les meilleurs délais chanteur, écrivain, poète, Ses amis et amies, moniquenovodorsqui@gmail.com Membre essentiel de la revue
www.sosamitieidf.asso.fr
depuis ses origines, fondateur par sa
pour vous confirmer présence active et la densité de sa En région RDV sur
survenu subitement au CHUV de ont le chagrin de faire part du décès Stéphanie, Johana et Natan Katz, www.sos-amitie.com
la parution. Lausanne, le 7 novembre 2022, dans de
réflexion, Patrick Lacoste incarnait
Aimée Dupré, Esther Katz et Anne un rapport vivant à la pensée et à la
sa soixante-dix-huitième année. Rousselet, psychanalyse. L’œuvre qu’il nous
Liliane DURAND-DESSERT, lègue témoigne d’un refus de tout Colloque
carnet@mpublicite.fr 25 mars 1944 - 6 novembre 2022,
Une cérémonie aura lieu dans son ont la tristesse d’annoncer le départ dogmatisme dans l’attachement à la
https://carnet.lemonde.fr village de Sainte-Croix, canton de maître-assistante théorie freudienne et d’un opiniâtre
de leur père et grand-père,
Vaud (Suisse), le mardi 15 novembre, à l’université de Nancy, souci de réévaluation de la
à 14 heures. auteure de l’ouvrage conceptualisation. Le vide ouvert par
Gilles KATZ. son absence a la profondeur de
AU CARNET DU «MONDE» La Guerre Sainte,
l’empreinte qu’il laisse.
Meuzac (Chavagnac). Lautréamont et Isidore Ducasse, Un hommage lui sera rendu le jeudi
Naissance lecture des Chants de Maldoror, 17 novembre 2022, à 16 heures, au
M Andrée Cruveillier,
me
codirectrice de la galerie cimetière du Père-Lachaise, Paris 20e. Formations
Déjà trois mois. son épouse, Durand-Dessert,
Catherine, Françoise, Laurent, grande donatrice La famille L’Institut Pierre Mendès France
Lucien ses enfants auprès des Musées de France.
et leurs familles, de organise à l’occasion du
40e anniversaire de sa disparition,
est né à Marseille le 12 août 2022 Une cérémonie religieuse se tiendra Jeannine LAPOUGE, un colloque, à l’Assemblée nationale,
ont la douleur de faire part du décès
le 22 novembre, à 14 h 30, en l’église le lundi 28 novembre 2022,
de de 9 heures à 18 heures, sur le thème :
et fait la joie de ses parents, Saint-Joseph des Nations, 161 bis, rue a la douleur d’annoncer son décès,
Saint-Maur, Paris 11e, suivie à 16 heures, « Pierre Mendès France,
Pierre et Coralie. Marcel Raymond survenu à Marseille, le 5 novembre Politique étrangère un parlementaire au cœur
CRUVEILLIER, au crématorium du cimetière du 2022. et de sécurité de l’Ukraine. de trois Républiques ».
Ses grands-parents, fondateur et président d’honneur Père-Lachaise, Paris 20e. Formation de 12 heures
Michelle et Michel. de l’Association française Une célébration religieuse a eu lieu à l’Inalco, Paris 13e. Ouvert par la présidente
d’arachnologie, Cet avis tient lieu de faire-part et le samedi 12 novembre, à 9 heures, Du 18 novembre au 9 décembre 2022. de l’Assemblée nationale
ancien président du Conservatoire de remerciements. en l’église de Sainte-Anne, Marseille 8e, Informations et inscriptions : Mme Yaël Braun-Pivet,
Décès des espaces naturels du Limousin, Animé par Sabine Jansen,
suivie de l’inhumation à 12 heures, anne.gehant@inalco.fr
Louis Arlot, proviseur de lycée honoraire, Vindelle, Tonne (Charente). à Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute- Robert Frank, Jean Louis Bourlanges,
chevalier de la Légion d’honneur, Provence). Jean Garrigues, Frédéric Potier,
Les familles Norlain et Arlot, avec Didier Maus,
officier Danièle Alpers Ecochard,
dans l’ordre des Palmes académiques, Françoise Chapron,
ont l’immense douleur de faire part son épouse, Paris. Pierre Emmanuel Guigo,
croix du combattant volontaire
du décès de Sa famille Michel Margairaz, Gérard Bossuat
d’Indochine,
Ses amis, Philippe Rabut, et des témoins de la vie
médaille d’Outre-Mer
Mme Françoise ARLOT NORLAIN, Christophe Rabut, parlementaire de
d’Extrême-Orient, Pierre Mendès France.
ancienne professeure font part du décès de Mathilde Rabut,
au lycée Théodore Aubanel survenu le 7 novembre 2022, François et Hong Rabut, Entreprendre au Vietnam.
ses frères et ses belles-sœurs, Programme et inscription
à Avignon, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Marc ECOCHARD, Formation de 2 jours à l’Inalco, (obligatoire avant le 22 novembre)
musicien, Ses neveux et ses nièces,
Paris 13e. sur le site :
Les obsèques auront lieu ce mardi facteur de hautbois, Ses amis et ses amies, www.mendes-france.fr
survenu à l’âge de quatre-vingt- Les 26 novembre et 10 décembre 2022.
quatorze ans, le 9 novembre 2022. 15 novembre, à 14 heures, en l’église IPMF,
de Meuzac (Chavagnac). survenu le 8 novembre 2022. ont la tristesse de faire part du décès Informations et inscriptions : 60, rue des Francs Bourgeois,
de anne.gehant@inalco.fr 75003 Paris.
Les obsèques religieuses auront
La famille remercie par avance Des dons peuvent être adressés à
lieu le mardi 15 novembre, à 10 h 30,
toutes les personnes qui prendront l’association ARSLA : don.arsla.org Marie Elisabeth RABUT,
en l’église d’Aureille, suivies de part à sa peine. chevalier de la Légion d’honneur,
l’inhumation au cimetière de la inspecteur général La famille et les proches de
commune. Des dons au Conservatoire Marguerite Joder,
à la direction des Patrimoines
d’espaces naturels de Nouvelle- son épouse,
du ministère de la Culture, Rémi MORTIER,
Roc Eclerc Arles. Aquitaine et les condoléances sur Elsa et Julien Huen,
ambassadeur,
Tél. : 04 90 93 66 71. www.dansnoscoeurs.fr Mélanie Joder et Joseph Lieber, survenu le 5 novembre 2022, représentant Permanent de Monaco
ses enfants et leurs conjoints dans sa soixante-quinzième année. auprès du Conseil de l’Europe
Ainsi que ses petits-enfants,
Société éditrice du « Monde » SA
Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus La cérémonie aura lieu le jeudi
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio ont la tristesse de faire part du décès 17 novembre, à 14 h 30, en l’église et le Gouvernement de la Principauté de Monaco,
Directrice de la rédaction Caroline Monnot
de Sainte-Jeanne-de-Chantal, 96, boulevard re 2022,
ont la douleur d’annoncer son décès, survenu le 6 novemb
Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard,
Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Harold Thibault Murat, Paris 16e, suivie de l’inhumation,
Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann à Strasbourg.
Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo Fernand JODER, au cimetière ancien de Neuilly-sur-
s
Vos messages de condoléances peuvent être adressé
Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote ancien administrateur adjoint
Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Michel Guerrin, Nicolas Jimenez (photo-
Seine (Hauts-de-Seine).
graphie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition), Christian Massol, Franck Nouchi (Débats et Idées) des finances publiques, à l’adresse suivante :
de l’Europe
Directrice du design Mélina Zerbib
Cet avis tient lieu de faire-part. Représentation Permanente de Monaco auprès du Conseil
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
Infographie Delphine Papin survenu le 9 novembre 2022, 9, rue des Arquebusiers 67000 Strasbourg.
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte à Strasbourg, rpcde@diplomatie.gouv.mc
Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
30, rue Claude-Lorrain,
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Sébastien Carganico, vice-président à l’âge de soixante-treize ans. 75016 Paris.

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32 | télévision
Querelle des anciens et des modernes en salle d’écriture
Une mise en abyme comique raconte les coulisses de la suite d’une sitcom culte, fictive, des années 2000
DISNEY+
À LA DEMANDE
SÉRIE
O
n dit souvent que
le comique français
se moque des autres,
tandis que le comique
américain se moque de lui­
même. Ce dernier choix est judi­
cieux, si l’on part du principe que
l’on se fait toujours moins mal
à soi­même. Dans un geste très
américain, la plate­forme Star
(division « adulte » de Disney+)
s’amuse à mettre en scène une
version fictionnelle de la plate­
forme Hulu (également propriété
de Disney) dans une production
originale développée par Steven
Levitan. Le cocréateur de Modern
Family (2009­2020), objet à mi­
chemin entre la série et le faux
documentaire, réaffirme avec
Reboot son goût pour les mises
en abyme comiques en racontant
les coulisses de la suite d’une sit­
com culte (fictive) du début des
années 2000, Step Right Up.
Choc culturel
Ce reboot qui se veut « imperti­
nent » (toutes les suggestions de
traduction pour « edgy » sont les
bienvenues) est porté par Hannah
(Rachel Bloom), une jeune scéna­
riste en vogue mais énervée : son
père, Gordon (Paul Reiser, mécon­
naissable près de vingt­cinq ans
Cyril Dion part à la recherche d’« un monde nouveau »
Le réalisateur et militant écologiste propose un plan en trois étapes pour affronter la crise climatique : « Résister », « S’adapter », « Régénérer »
ARTE
MARDI 15 - 20 H 55
SÉRIE DOCUMENTAIRE
U ne bonne partie de la
planète pourrait devenir
inhabitable à la fin du
siècle », déplore le réalisateur et
militant Cyril Dion dans l’intro­
duction qui le met en scène, péda­
lant dans un parc. Or, les gens
semblent toujours insouciants…
Ce n’est pas faute de s’investir.
« Depuis quinze ans, j’essaye de
faire de mon mieux, dit­il, films
[Demain, en 2015], livres, conven­
GRILLE N° 22 - 265
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I 9
II
III
IV
V 6
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 22 - 264
HORIZONTALEMENT I. Alternateurs. II. Mauvaises. Ao. III. Outarde. Sein.
IV. UDR. Issue. Ln. V. Rails. Ola. VI. Etc. Saucerai. VII. Trépignent. VIII. Ti.
OM. Erte. IX. Ecopée. Aride. X. Semestriel.
VERTICALEMENT 1. Amourettes. 2. Laudatrice. 3. Tutrice. Om. 4. Eva.
Pope. 5. Rarissimes. 6. Nids. AG. Et. 7. Ases. Une. 8. Té. Ulcérai. 9. Esse.
Entre. 10. Orteil. 11. Railla. 12. Sonnailler.
Reed (Keegan­Michael Key). HULU
après la fin de Dingue de toi), est
le créateur de la série originale,
inspirée de la famille qu’il a fondée
après avoir quitté la mère d’Han­
nah. Epaulée par trois coscénaris­
tes au profil très woke, la jeune
femme se voit forcée par les cadres
de la plate­forme de collaborer
avec ce père qui ne l’a pas élevée,
alors qu’il s’est lui­même adjoint
les services de trois vieux bris­
tion citoyenne. » Et summum :
« J’ai même participé à attaquer
l’Etat en justice ! » Mais rien n’y fait,
les Français continuent de jeter
leurs gobelets au sol. Alors Cyril
Dion aussi continue. Une semaine
après avoir participé à l’émission
« Aux arbres citoyens ! » (2 mil­
lions d’euros récoltés), il présente
une trilogie documentaire très
dense et très personnelle, Un
monde nouveau, en trois volets :
Résister, S’adapter, Régénérer.
Résister ? Pour Cyril Dion (égale­
ment au commentaire), l’idée
est venue notamment en lisant
7 8 9 10 11 12
cards du scénario. L’entreprise est
compliquée par le retour sur le pla­
teau de tournage de la distribution
originale de Step Right Up – quatre
acteurs plus ou moins ratés, qui
entendent bien profiter du fait que
les séries soient devenues ten­
dance pour se refaire une carrière.
Le récit du choc culturel entre
anciens et modernes de la salle
d’écriture (de loin la partie la plus
La Terre inhabitable (2019), de Da­
vid Wallace­Wells qui débute par :
« La situation est bien pire que
vous ne l’imaginez. » Aussi se
devait­il d’interviewer l’auteur
(en visio, à cause du Covid­19). La
situation « bien pire » se confirme
à bord du Marion­Dufresne, dans
l’océan Austral, alors que « cent
entreprises sont responsables de
70 % des émissions de gaz à effet
de serre », ce qui justifie à ses yeux
de recourir à la manière forte.
Il part à la rencontre de militants
tels le Suédois Andreas Malm,
auteur de Comment saboter un pi­
HORIZONTALEMENT
I. Fait entrer la scie dans l’idiotie.
II. Son palais a abrité papes et
conciles. Fournisseur de labdanum.
III. Fait bouger à l’intérieur. Ses parti-
cipants sont à la fête. Donne bonne
mine. IV. Compositeur américain
venu de France. Le temple d’Horus
vous y attend. V. Impératrice byzan-
tine. Un très grand chez les lourds.
Lettres du Népal. VI. Négation. Sans
voile ni mensonge. VII. Le feu dans les
organes. Renvoient vers le système
central. VIII. Son nom est trompeur,
mieux vaut ne pas en abuser. Pourra
être approuvée. IX. Le propre de
l’homme chez Rabelais. Conjonction.
Bon conducteur. X. Pousser très loin
le culte de sa personne.
VERTICALEMENT
1. La nurserie avant les grands cours.
2. On l’imagine toujours bon. 3. Met
à l’abri des rayons. Facilite les dé-
penses communautaires. 4. Ren-
voient dans les yeux. Dix points à la
belote. 5. Epreuve pour le petit loup.
Descend du plateau de Langres.
6. Naturel. Fait partie de la famille.
7. Puissance de pénétration.
8. Pousse à fond. 9. Ralentira la
chauffe. Le chlore. 10. En piste. Socio-
logue français. 11. Empereur romain
successeur de Galba. Piégé. 12. Fait la
pluie, même quand il fait beau.
intéressante de la série) se double
ainsi d’un développement plus
classique sur le thème des retrou­
vailles : celles des anciens amants
Reed (Keegan­Michael Key) et
Bree (Judy Greer) – l’un est en cou­
ple et heureux, l’autre vient de
divorcer –, celles de l’enfant­star
Zach (Calum Worthy) avec ses pa­
rents de télévision, et celle de Clay
(Johnny Knoxville), tombé dans
peline (La Fabrique éditions, 2020),
la Britannique Gail Bradbrook, co­
fondatrice d’Extinction Rebellion,
aux abords de la mine de lignite de
Garzweiler, au large de Mayotte,
à Millau, à Sao Paulo… Sur les di­
zaines de rencontres tournées à
travers la planète, 25 % l’ont été par
des équipes locales, afin de réduire
le bilan carbone de la production.
Solutions et expérimentations
S’adapter ? Les solutions sont au
cœur du deuxième volet. En com­
mençant par celles qui préparent
à l’effondrement, défendues par
SUDOKU
N°22­265
7 3
5 2
2 Complétez
8 5
2 3 7 9
6 9 4 5 1 par
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
HORS -SÉRIE
RÉPARER
LPOAURM ER
SAUVER
L’HOMME
HISTO IRE - GÉOP
OLITI QUE - ENVI
la drogue et le mauvais stand­up,
avec Hollywood. Ces enjeux, mo­
destes mais efficaces, sont pré­
sentés avec humour dans un pre­
mier épisode brillant, mais dont
les suites se révéleront inégales.
Surproduction de programmes,
manque d’inspiration, tyrannie
des audiences et cancel culture…
la série tape juste lorsqu’elle bro­
carde les travers de l’industrie
du divertissement, dans une
sorte d’auto­examen dont on
sent qu’il n’est pas complètement
feint. Sa force est aussi de le faire
à travers une galerie de personna­
ges très aimables, dont aucun
n’est ni tout à fait bon ni tout à fait
mauvais, mais simplement pri­
sonnier de son époque.
Sa faiblesse est sa morale
consensuelle et feel­good – on
peut être jeune et ringard, vieux
et inspiré –, qui vient étouffer des
saillies plus mordantes sur
le show­business et la célébrité.
A moins que l’on considère que
ces bons sentiments fassent par­
tie intégrante du « package » de la
sitcom, y compris dans sa version
moderne, inclusive et sans rires
enregistrés, et qu’il n’y a donc pas
de raison de s’en priver. p
audrey fournier
Reboot, série créée par Steven
Levitan. Avec Keegan­Michael
Key, Johnny Knoxville, Rachel
Bloom (EU, 2022, 8 × 30 min).
des collapsologues. Nous leur
avons préféré le reportage au Cap,
en Afrique du Sud, où les 4,5 mil­
lions d’habitants ont réduit leur
consommation d’eau de 60 %.
Même exemplarité à Cuba, dont
les 400 000 mini­fermes urbai­
nes fournissent l’essentiel de l’ali­
mentation, ou, en Uruguay, avec
« Pepe » Mujica, président de 2010
à 2015, redevenu agriculteur.
Toujours en images et en ren­
contres, le dernier opus inventorie
les expérimentations pour « régé­
nérer » les coraux, la mangrove, les
sols, les forêts. Jusqu’à ce que Cyril
5 3 7 2 8 6 4 1
6 4 8 9 7 1 2 5
1 9 2 3 5 4 6 7
7 6 9 5 4 7 3 8 1 6
7 6 1 4 2 9 8 3
3 9 8 2 3 1 6 5 9 4
2 7 9 6 1 3 5 8
3 8 6 5 4 2 7 9
4 4 1 5 8 9 7 3 2 6
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0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
NOTRE
SÉLECTION
MAR DI 15 NOVE MBRE
Canal+
Maigret
21.10 Gérard Depardieu dans le rôle
sur mesure d’un commissaire
vieillissant, confronté à une affaire
qui réveille le souvenir de la perte
de sa fille. Une adaptation très libre,
par Patrice Leconte, de Maigret
et la jeune morte (1954), de Simenon.
TMC
Renaissance.
Une décennie bleue
21.25 Grégoire Margotton revient
sur le parcours de l’équipe de France.
Du naufrage de 2010 en Afrique du
Sud au triomphe en Russie en 2018,
Didier Deschamps, son adjoint
et vingt joueurs témoignent.
RMC Story
La Face cachée des…
suprémacistes blancs aux USA
22.35 Rachid M’Barki relate l’histoire
de deux hommes et une femme
qui ont infiltré des groupuscules
d’activistes antigouvernementaux et
racistes pour les démanteler, en vain.
France 2
Affaires sensibles :
Kim Kardashian
et le gang des braqueurs
23.25 Fabrice Drouelle revient
sur cette nuit d’octobre 2016 où la
star fut séquestrée, à Paris, par des
hommes déguisés en policiers qui
volèrent 9 millions d’euros de bijoux.
Dion ait l’excellente idée d’abor­
der le secteur industriel, souvent
oublié dans ce type d’émission. En
particulier l’« économie symbioti­
que », présentée par l’ingénieure
Isabelle Delannoy, qui s’appuie
sur la mutualisation, la réduction
du nombre de pièces et l’implica­
tion des usagers. Depuis son ap­
partement parisien, un « monde
nouveau » s’ébauche. p
catherine pacary
Un monde nouveau,
de Cyril Dion et Thierry Robert
(Fr., 2022, 3 × 52 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
9
3 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
8 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
2 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
5 Par courrier électronique :
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7
Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
4
1 Courrier des lecteurs
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Laurence
Bonicalzi Bridier
75013 PARIS
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79, rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Montpellier (« Midi Libre »)
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
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MARDI 15 NOVEMBRE 2022
DESIGN
roubaix (nord)
O
n connaît du Britannique
William Morris ses papiers
peints aux entrelacs de
fleurs, de fruits ou
d’oiseaux, toujours à la mode un siècle
et demi plus tard. Mais l’exposition qui
lui est consacrée à Roubaix (Nord) – jus­
qu’au 8 janvier 2023 au musée La Pis­
cine – donne à voir un talent protéi­
forme qui a posé les bases du mouve­
ment Arts & Crafts, et inspiré des géné­
rations de designers. « William Morris a
vécu sous le règne de la reine Victoria,
née vingt ans avant lui, et morte
cinq ans après. Dans l’Angleterre victo­
rienne de la fin du XIXe, il va s’élever à la
fois contre la laideur d’un certain goût
bourgeois, et contre l’industrialisation
qui sacrifie l’esthétique et le bien­être des
ouvriers. Parallèlement, en cette époque
de l’empire anglais où l’argent coule à
flots, il va pouvoir faire vivre son artisa­
nat d’excellence en le proposant à des
clients fortunés, des particuliers ou des
églises », résume la commissaire de l’ex­
position Sylvette Botella­Gaudichon.
Avec une centaine de pièces (papiers
peints, tentures, mobilier, peintures,
esquisses et livres), déployées sur près
de 600 mètres carrés, elle orchestre là
la première monographie en France de
cette figure­clé de la scène artistique
britannique, à laquelle la National Por­
trait Gallery consacrait, en 2014­2015,
une exposition (« Anarchy & Beauty.
William Morris & His Legacy, 1860­
« Il exprimait, déjà de son temps, la nécessité de dépasser les frontières »
que sont devenus les enseigne­
ments de William Morris ? C’est la
question à laquelle a répondu Cloé Pi­
tiot, conservatrice au Musée des arts
décoratifs de Paris et passionnée de cet
artiste protéiforme, citée dans le cata­
logue de l’exposition qui lui est consa­
crée à Roubaix : « William Morris (1834­
1896). L’art dans tout ». Où il apparaît
que cette figure historique britannique
est d’une criante modernité.
Le style particulier qu’a insufflé
William Morris aux textiles et pa­
piers peints a traversé les époques.
Comment expliquez­vous cette
intemporalité ?
Ce rapport engagé au décoratif, à l’or­
nement, à la flore en particulier, attire
aujourd’hui toute une nouvelle géné­
ration de créateurs, soucieuse d’un
monde qui redonne pouvoir au vivant.
Ils combinent création et prise de cons­
cience environnementale, à l’instar de
William Morris, ardent défenseur de
l’écologie avant l’heure.
William Morris,
artiste hors catégorie
Créateur des papiers peints des maisons victoriennes,
éditeur de mobilier ou de vitraux, militant socialiste
et écrivain, cette figure britannique du XIXe siècle est
célébrée à La Piscine, musée de Roubaix. Première
monographie en France, à voir jusqu’en janvier
1960 »), après la rétrospective, en 1995­
1996, du Victoria and Albert Museum
de Londres. Une chose est sûre : dessi­
nateur et peintre, imprimeur et édi­
teur, écrivain et poète, designer textile
et imprimeur, entrepreneur et militant
socialiste (cofondateur de la Socialist
League en décembre 1884), William
Morris ne se laisse enfermer dans
aucune catégorie.
Défenseur de l’artisanat
Né à l’aube de la société industrielle
dans une famille aisée établie dans la
campagne à l’est de Londres, ce jeune
bourgeois se tourne vers le Moyen Age
à la recherche éperdue du « paradis
perdu », une passion suscitée en bonne
part par ses lectures du critique victo­
rien John Ruskin (1819­1900). Etudiant
Les designers contemporains trou­
vent en ce maître une source créative
inépuisable, lui qui travaille avec la
nature à toutes ses échelles pour en
extraire des formes organiques tout
autant que géométriques, pour ses pa­
piers peints, tapis, tapisseries et objets.
La gamme chromatique de Morris, ti­
rée de pigments naturels, entre aussi
en résonance avec notre époque,
soucieuse de revenir à des matériaux
plus vertueux.
En quoi les designers d’aujourd’hui
sont­ils, selon vous, les héritiers
de William Morris ?
Le XIXe et le XXe siècle furent le ter­
rain de multiples querelles philosophi­
ques entre les arts majeurs et les arts
mineurs, soit les arts décoratifs. Si
l’œuvre de William Morris résonne
aujourd’hui de manière si singulière,
c’est qu’il exprimait, déjà de son temps,
la nécessité de dépasser les frontières
et de valoriser, sans distinction, tous
les arts. Aujourd’hui, près d’un siècle et
en théologie, puis en architecture et
peinture, il se lie d’amitié avec les pré­
raphaélites, dont les peintres Edward
Burne­Jones et Dante Gabriel Rossetti,
soucieux d’une authenticité de l’art
qu’ils situent dans des styles antérieurs
à la Renaissance classique. Avec le pre­
mier, William Morris entreprend
une tournée en France et en Belgique
à la découverte des primitifs flamands
tels Hans Memling et Jan van Eyck,
ainsi que des cathédrales gothiques
d’Amiens, de Chartres et de Rouen.
De retour au Royaume­Uni, il milite
pour hisser les arts décoratifs au rang
des beaux­arts et réinvente les guildes,
s’entourant des meilleurs artisans de
son temps : imprimeurs, liciers, bro­
deurs et céramistes. Dans l’entreprise
de décoration Morris, Marshall, Faulk­
demi plus tard, il est essentiel de com­
prendre combien cet artiste britanni­
que était précurseur dans son appro­
che des arts décoratifs, au point que
les designers contemporains s’accor­
dent sur sa vision de la création tour­
née vers un monde plus proche de
l’homme et de la nature, plus proche
de la trace de la main que de celle de la
machine. Ainsi aujourd’hui, à rebours
de la création industrielle, le créateur
français Pierre Marie, qui se revendi­
que ornementiste, conçoit, dessine et
fait fabriquer par des artisans d’art,
tapisseries, vitraux, tentures, papiers
peints, objets, meubles, luminaires,
qu’il vend dans sa galerie, à Paris. Il
réexplore, à l’instar de Morris, des
techniques oubliées, rouvre des pans
de l’histoire et de l’histoire de l’art.
Vous allez jusqu’à donner à William
Morris une forme de paternité
du « social design ». Pourquoi ?
Depuis la révolution industrielle et
l’avènement de la modernité, rende­
styles | 33
Dans l’exposition
« William Morris (1834­1896).
L’art dans tout », à La Piscine
de Roubaix. ALAIN LEPRINCE
Avec son souci
de maîtriser toutes
les étapes
de la conception
d’un objet, William
Morris va influencer
l’architecte Walter
Gropius, fondateur
du Bauhaus
ment, profit, rentabilité, accélération
ont dévoré le monde, ce que dénonçait
William Morris, ardent défenseur du
socialisme et d’une « révolution par le
bonheur ». Déjà à l’époque, il parlait de
gaspillages de travail, de savoir­faire,
d’intelligence et… de vies humaines. Il
défendait le beau et l’utile se fondant
en un seul et même objet. Il souhaitait
l’artisan heureux de son travail,
comme l’utilisateur heureux de possé­
der cet objet. Ses pensées, engagées
au service du confort et du bien­être
de l’artisan comme du créateur, sont
aujourd’hui un terreau fertile pour une
nouvelle génération de designers en
prise avec les problématiques sociéta­
les et environnementales du XXIe siè­
cle, tels Alvaro Catalan de Ocon, Fer­
nando Laposse ou Sarmite Polakova. Ils
aspirent, comme Morris au XIXe siècle,
à différentes métamorphoses sociales,
économiques et écologiques, cher­
chant à implanter des modèles inno­
vants comme de nouvelles pratiques.
propos recueillis par v. l.
ner & Co. qu’il fonde en 1861 avec ses
amis, il produira, jusqu’en 1894, ses pa­
piers peints et divers objets d’art. Ce
travail de qualité est onéreux, mais
William Morris, humaniste et vision­
naire pour l’époque, entend que l’on
rémunère le génie de la main et que
l’on abolisse la distinction entre arti­
sans et artistes. « Il testait lui­même les
techniques de fabrication – notamment
la broderie qu’il pratiquait ou l’impri­
merie, en éditant soixante­six volumes
en huit ans –, estimant qu’on ne peut
pas exiger une œuvre de qualité de quel­
qu’un si on ne sait rien de son métier »,
précise Sylvette Botella­Gaudichon.
William Morris ne s’essayera pas à fa­
briquer de la vaisselle, trouvant les as­
siettes paysannes parfaites. Les chai­
ses en bois noirci tourné et paille,
qui feront le succès de son entreprise
(« Sussex » vers 1865, chaises présen­
tées dans l’exposition), lui sont insuf­
flées par des sièges de la campagne,
dont il orne le dossier d’un jeu de tra­
verses formant une croix centrale.
Avec son souci de maîtriser toutes les
étapes de la conception d’un objet,
combinant art et techniques, William
Morris va influencer l’architecte Wal­
ter Gropius, fondateur du Bauhaus.
Inventeur de trois polices d’écriture
Fervent défenseur de l’artisanat, il réin­
troduit des recettes de teintures végé­
tales datant du Moyen Age. La calligra­
phie et l’enluminure aiguillonnent son
travail d’éditeur, tandis qu’il invente
trois polices d’écriture Golden, Troy et
Chaucer. Avec ses dessins, peintures,
cartons ou vitraux, il exalte les lignes
féminines et végétales de l’Art nou­
veau : son épouse Jane Burden, artiste,
muse et modèle, apparaît dans nombre
des créations de l’atelier, sous les traits
d’Iseut ou même d’hommes rois,
comme sur cette extraordinaire tapis­
serie de haute lisse, l’Adoration des ma­
ges, couvrant tout un mur du musée
roubaisien.
Avec la construction entre Londres et
Canterbury de sa résidence, la Red
House en 1859, William Morris signe
une « utopie réaliste », dixit la commis­
saire : il en dessine le plan avec l’archi­
tecte Philip Webb, les briques sont cui­
tes et les clous forgés au pied du chan­
tier. Pour les meubles, vitraux, textiles,
papiers peints et fresques, une tren­
taine d’artisans et une dizaine d’artis­
tes (Edward Burne­Jones, Dante Gabriel
Rossetti, John Everett Millais) sont à
l’œuvre. Elle est considérée comme
la première maison Arts & Crafts dans
le monde, ayant inspiré notamment
Frank Lloyd Wright pour sa demeure de
Chicago. Le National Trust, qui l’a ac­
quise en 2003 et la restaure depuis, en­
tend en faire un lieu de visite en 2023.
William Morris n’a jamais connu
« de période d’oubli, comme ce fut le cas
de la plupart des protagonistes de l’Art
nouveau en Europe continentale », sou­
ligne Elise Dubreuil au Musée d’Orsay,
à Paris, qui a prêté nombre d’œuvres
à Roubaix. Ses dessins romantiques
continuent d’être commercialisés
aujourd’hui (Morris & Co.). Le vision­
naire, en revanche, prônant un retour à
un mode de production plus respec­
tueux de la planète et des hommes aura
« attendu le XXIe siècle pour que ses aspi­
rations soient enfin reconnues, respec­
tées et exhortées », écrit­elle dans le pas­
sionnant catalogue de l’exposition. p
véronique lorelle
William Morris (1834­1896).
L’art dans tout, La Piscine,
23, rue de l’Espérance, 59100 Roubaix,
jusqu’au 8 janvier 2023 (Catalogue,
Editions Snoeck, 208 pages, 35 euros).
 IDÉES
0123
34 | MARDI 15 NOVEMBRE 2022

Stéphanie Balme L’unité transatlantique

ne doit pas servir à isoler davantage la Chine
Alors que se déroulera les 15 et 16 novembre un sommet du G20 en Indonésie, la spécialiste de la Chine analyse les replis symétriques
des Etats­Unis et de la Chine. Et invite l’Europe à définir une politique propre à servir ses intérêts dans le domaine technologique

A
vant chaque réunion du
G20, une plaisanterie as­
tucieuse circule en Chine
pour qualifier le groupe
des économies les plus riches.
Sous le manteau, on parle du « G
2+0 ». Cette projection mentale
d’un monde conçu à partir de
deux cercles concentriques – au
centre, Pékin et Washington, en
périphérie, le reste du monde –
est l’une des rares représenta­
tions politiques communes aux
deux superpuissances que sont la
République populaire de Chine et
les Etats­Unis d’Amérique.
Des termes plus ou moins con­
ventionnels existent pour dési­
gner cette vision du globe
bicéphale, symbiotique : « Chi­
merica » par exemple. L’humour
étant affaire sérieuse, les Euro­
péens devront rapidement clari­
fier leur position face à la dé­
mondialisation en cours du fait
des rivalités sino­américaines.
L’Europe doit­elle prendre part à
l’isolement de la Chine ou, plus
stratégiquement, affirmer une
action indépendante vis­à­vis
des Etats­Unis et ainsi contri­
buer à une vision « G3 » de l’or­
dre mondial ?
Le récent congrès du Parti com­
muniste chinois a entériné une
ligne marxiste orthodoxe qui
laisse entrevoir que la fermeture
de la Chine postpandémie ne
sera pas qu’une parenthèse his­
torique. La Chine s’enferre ainsi
dans une posture de cloning (la
dictature du parti et un confor­
misme absolu) et closing (la fer­
meture du pays), selon la formule
anglo­saxonne du moment. Le
risque pays d’ordre macroéco­
nomique, institutionnel, juridi­
que et social est jugé très élevé.
Aux Etats­Unis, les élections de
mi­mandat se sont déroulées
dans un climat d’incertitude ab­
solu. Mais démocrates et républi­
cains s’entendent désormais sur
les doctrines d’unilatéralisme et
de protectionnisme qui consis­
tent à préserver compétitivité et
intérêts américains avant tout,
America first !
Intérêts divergents
La relation Union européenne­
Chine est, à bien des égards, de­
venue aussi complexe que la re­
lation sino­américaine. A la suite
des crises relatives aux droits de
l’homme (Xinjiang et Hon­
gkong), la pandémie de Covid­19
et le partenariat stratégique Chi­
ne­Russie renforcé malgré la
guerre en Ukraine, l’Union euro­
péenne a progressé vers une
stratégie de plus en plus asser­
tive à l’égard de Pékin. Si l’on
ajoute à cela la mobilisation
croissante des parlementaires
européens vis­à­vis de Taïwan, la
seule grande différence de la re­
lation Europe­Chine, avec celle
des Etats­Unis, est que Bruxelles
n’est pas engagé dans une politi­
que d’isolement systématique
de la puissance chinoise. A tout
moment, le triptyque européen
retenu, « partenaire, concurrent
commercial et rival systémique
avec la Chine », soumis aux inté­
rêts divergents des Vingt­Sept,
demeure fragile. La visite éclair
et fortement décriée, jusqu’à
Washington, du chancelier alle­
mand, Olaf Scholz, à Pékin, le
4 novembre, en constitue une il­
lustration parfaite. De son côté,
l’unité transatlantique, très abî­
mée sous le mandat de Donald
Trump, a reçu un nouveau souf­
fle dans le contexte de la guerre
en Ukraine dans laquelle les
Etats­Unis jouent un rôle central.
LA RELATION ENTRE
L’UNION
EUROPÉENNE
ET LA CHINE EST,
À BIEN DES ÉGARDS,
DEVENUE AUSSI
COMPLEXE QUE
LA RELATION
SINO-AMÉRICAINE
La Chine restant la priorité stra­
tégique et sécuritaire des Etats­
Unis, celle­ci pourrait devenir
une source de division, plus ou
moins vive selon les sujets, entre
Bruxelles et Washington.
Le 5 décembre se tiendra aux
Etats­Unis le 3e Conseil du com­
merce et de la technologie (CCT)
entre l’Union européenne et les
Etats­Unis. La représentante du
commerce de l’administration
Biden, Katherine Tai, dit haut et
fort son désir de travailler avec
les Européens pour renforcer la
chaîne de valeur des semi­con­
ducteurs et s’attaquer aux prati­
ques commerciales déloyales de
l’Etat­parti chinois. Le CCT sera la
première réunion après l’adop­
tion du Chips and Science Act
américain, qui programme le dé­
couplage américain, décidé uni­
latéralement, de l’écosystème hi­
gh­tech chinois. Le texte vise à
sécuriser les approvisionne­
ments de semi­conducteurs en
encourageant la construction de
nouvelles mega­fabs (« unités de
fabrication ») aux Etats­Unis. Le
département du commerce
américain a annoncé soumettre
désormais à licence l’exporta­
tion de cette catégorie de semi­
conducteurs ainsi que les équi­
pements et logiciels permettant
leur conception et leur fabrica­
tion. Ce principe s’appliquera
aux entreprises basées aux
Etats­Unis comme à celles des
pays partenaires. En interdisant
à la Chine le droit d’importer et,
indirectement, celui de fabriquer
les semi­conducteurs les plus
performants, cet embargo est
préjudiciable non seulement
aux industries de défense chi­
noises qui sont explicitement vi­
sées mais aussi à toutes les filiè­
res high­tech, qu’il s’agisse des
data centers, de l’intelligence ar­
tificielle, de la robotique, des té­
lécoms ou du secteur des drones.
Politique indépendante
Pour l’Europe, en raison de son
positionnement actuel dans la
chaîne de valeur des semi­con­
ducteurs, les conséquences éco­
nomiques du Chips and Science
Act seront limitées. Pour rappel,
dans le domaine, les Etats­Unis
et la Chine excellent de manière
exactement opposée : les pre­
miers se situent en amont de la
chaîne de production, soit au ni­
veau du design, les seconds en
aval, soit au niveau de l’assem­
blage. L’Europe est présente le
long de la chaîne de création de
valeur mais comme acteur faible
derrière les Etats­Unis, l’Asie de
l’Est (Taïwan, Corée du Sud et Ja­
pon) et la Chine. Nos meilleures
performances sont dans le de­
sign, les circuits spéciaux et la fa­
brication des wafers [plaque très
fine de matériau semi­conduc­
teur utilisé dans la microélectro­
nique]. En revanche, l’Europe dis­
pose de sérieux atouts dont no­
tamment une recherche et des
filières de formation de pointe,
16 du top 25 des économies les
plus innovantes dans le monde
sont européennes. Elle vient éga­
lement d’adopter un plan d’ac­
tion financé : le EU Chips Act,
grâce auquel l’Europe ambi­
tionne de redevenir leader dans
le domaine. Enfin, elle s’appuie
sur un modèle de gouvernance
des data qui se veut éthique (le
programme Trustworthy AI) et
au service de la démocratie.
Tout cela plaide pour l’affirma­
tion d’une politique européenne
indépendante, fondée sur la con­
solidation de nos intérêts et le
respect de nos valeurs. L’unité
transatlantique doit servir non
pas à isoler une Chine, déjà cla­
quemurée, mais à faire pression
pour établir de meilleurs stan­
dards internationaux de con­
trôle qualité, éthiques, juridiques
et climatiques… p
Stéphanie Balme est
doyenne du Collège
universitaire et directrice de
recherche au CERI/Sciences Po,
elle s’intéresse aux conséquen-
ces géopolitiques de l’essor de
la Chine en tant que puissance
scientifique et technologique

Lucy Hornby Ceux qui espèrent prendre la succession

de Xi se disputeront ses marques de faveur publiques
La journaliste spécialiste de la Chine analyse de sa vie, Xi sera clairement l’homme le
l’éviction de l’ancien président chinois Hu Jintao du plus puissant du monde politique chi­
nois. A mesure qu’il vieillira, ses poten­
congrès du Parti communiste. Cet incident présage tiels successeurs consacreront de plus
du décryptage qu’il faudra opérer à l’avenir afin de en plus d’énergie à préserver l’image
d’un homme fort et en bonne santé. Car
comprendre le théâtre politique à Pékin. s’il s’affaiblit, son successeur lui aussi
aura l’air faible. Voyez le changement
brutal de l’image mondiale des protégés
tre. Aujourd’hui, c’est indéniablement
Xi qui mène la danse en Chine. Mais, le
temps passant, les observateurs et les ci­
toyens du monde en reviendront aux
bonnes vieilles méthodes d’une époque
révolue de la kremlinologie – regarder
qui apparaît à côté du leader, et combien
de fois – pour savoir qui détient le véri­
table pouvoir.
les installer dans des appartements
neufs construits par le gouvernement).
Au fil des cinq, dix, voire vingt
prochaines années, ce joyeux théâtre
politique ne sera pas sans risque. Alors
que la Chine se montre jusqu’à présent
prudente sur la scène internationale,
sur certains terrains sensibles, comme
la mer de Chine méridionale ou Taïwan,

E
n général, les événements politi­
ques chinois sont des événe­
ments très figés, dont le scénario
a été préparé dans le moindre dé­
tail. Aussi, le spectacle inattendu, pres­
que shakespearien, de l’ancien prési­
dent, Hu Jintao, 79 ans, se faisant expul­
ser de la tribune du palais de
l’Assemblée du peuple le 22 octobre en­
voie un message clair : lors de ce
20e congrès du Parti communiste chi­
nois, Xi Jinping fait place nette. Ses
hommes occupent la scène ; Hu et les
siens en sortent.
A la vue de ce spectacle, qui s’est joué
devant les caméras de télévision du
monde entier, les spectateurs se sont
transformés en pékinologues amateurs.
La sortie de Hu était­elle préméditée,
était­il le pantin d’une cruelle pièce de
théâtre ? Ou bien était­il souffrant,
comme l’affirment les médias d’Etat
chinois ? Pour ajouter à la confusion,
son éviction a été censurée dans les mé­
dias chinois, qui continuent de le traiter
avec le respect dû à un ancien président.
Des extraits plus longs de vidéos tour­
nées par les caméras de télévision étran­
gères apportent de la lumière sur ce qui
s’est passé. Hu, qui avait un comporte­
ment confus, a essayé à plusieurs repri­
ses de prendre des papiers posés sur la
table devant lui tandis que son voisin de
tribune faisait son possible pour qu’il se
tienne calme. Puis, manifestement à
bout de patience, Xi a donné l’ordre
qu’on le fasse sortir. Ce n’était donc pas
un camouflet prémédité – même si l’af­
faire a vraisemblablement été humi­
liante pour ce vieillard désorienté.
Mortifiante sortie du palais
Lire ainsi dans les feuilles de thé, un
exercice auquel le monde entier s’est li­
vré pour tenter de décrypter la politique
chinoise, nous apprend surtout qu’il y
aura d’autres instants de ce genre. « Pré­
sident de tout », Xi aura 70 ans en
juin 2023, et il a déjà fait savoir qu’il
comptait bien rester au pouvoir au­delà
du mandat de cinq ans qui commence.
Pour l’instant, il n’a pas désigné de suc­
cesseur. S’il reste en bonne santé, on
peut imaginer un moment où, dans dix
ans ou plus, il faudra se pencher sur le
théâtre entourant ce président vieillis­
sant pour savoir ce qu’il se passe vrai­
ment en Chine.
Dans la culture politique chinoise, il
est essentiel pour un responsable politi­
que de bénéficier de l’appui d’un patron
puissant et vénérable. Or, jusqu’à la fin
de Hu, sitôt que la fragilité mentale et
physique de leur patron est apparue au
grand jour lors de cette mortifiante sor­
tie du palais de l’Assemblée du peuple.
Au fil des ans, les hommes qui
espèrent prendre la succession de Xi
Jinping se disputeront ses marques de
faveur publiques. Ce qui demandera
beaucoup de mises en scène de leur
part, et autant de conjectures de la nô­
DANS LA CULTURE
POLITIQUE CHINOISE,
IL EST ESSENTIEL POUR
UN RESPONSABLE
POLITIQUE
DE BÉNÉFICIER
DE L’APPUI D’UN
PATRON PUISSANT
ET VÉNÉRABLE
Les hommes qui recherchent les fa­
veurs du numéro un chinois devront lui
montrer qu’ils sont à même de préser­
ver son héritage et de poursuivre son
programme. Ils déploieront un certain
sens du spectacle – anticipant ses sou­
haits avec suffisamment d’originalité
pour se faire remarquer. Et leur rivalité
accélérera sans doute les politiques par­
ticulièrement chères à Xi : l’ingérence
du Parti communiste dans la vie quoti­
dienne des citoyens, le renforcement de
l’appareil de sécurité dans le pays, ou
l’agressivité envers Taïwan, le Japon et
d’autres voisins asiatiques.
Nouvelle ère
Aux échelons intermédiaires de la
bureaucratie chinoise, les carrières des
fonctionnaires qui mettent en œuvre la
pensée du président avec perspicacité et
originalité sont favorisées. Les « loups
combattants », ces diplomates aux comp­
tes Twitter racoleurs et provocateurs,
sont promus. Les cadres sont récompen­
sés lorsqu’ils organisent des concours de
copie de la Constitution chinoise à la
main ou qu’ils multiplient les efforts ab­
surdes pour répondre aux objectifs arbi­
traires de la campagne xiiste d’éradica­
tion de la pauvreté (par exemple en dé­
molissant les maisons de villageois pour
cette incitation à rivaliser d’audace, sans
réfléchir, pour satisfaire aux désirs
supposés du leader Xi Jinping pourrait
provoquer des heurts et une escalade
des tensions.
La scène de ce vieil homme expulsé du
congrès, fin octobre, avec les dynami­
ques de pouvoir qu’elle dévoile, marque
le début d’une nouvelle ère dans la poli­
tique chinoise. Et, à mesure que Xi
Jinping prendra de l’âge, il ne faudra
plus chercher les indices de ce qui se
passe en Chine dans les indicateurs éco­
nomiques ou les reportages de médias
indépendants, mais dans les détails
d’événements orchestrés avec soin. Des
événements mis en scène dont nous,
public, ne pourrons qu’essayer de devi­
ner la signification. p
Traduit de l’anglais par
Valentine Morizot
Lucy Hornby a couvert la Chine pour
le « Financial Times » (2013-2019)
et Reuters (2004-2013). Elle est
actuellement chercheuse invitée
au Centre Fairbank pour les études
chinoises à Harvard
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022 idées | 35

Bernard Barbier, Jean-Louis Gergorin, Edouard Guillaud

Traitons le cybercrime organisé à l’instar du terrorisme
Le projet de loi d’orientation et de programmation occidentales ont longtemps ignoré ce ca­
ractère hybride des cyberattaques et ont
(Lopmi) débattu au Parlement aura l’effet paradoxal réagi uniquement par des efforts de dé­
d’inciter les cybercriminels à frapper la France, fense et de résilience [faire face à l’atta­
que et assurer la continuité de l’activité] et
déplorent les trois spécialistes du renseignement par les mécanismes classiques policiers
et judiciaires, qui sont inefficaces face à
des Etats abritant les groupes de cyber­
criminels. L’attaque paralysant Colonial
criminalité que par une politique fondée
principalement sur la résilience. Cette
stratégie annoncée par le président Ma­
cron le 18 février 2021, alors que deux hô­
pitaux venaient d’être durement frappés
par des attaques par rançongiciels, est
mise en œuvre efficacement. Cependant
elle ne supprime en rien l’incitation des
cybercriminels à frapper des cibles euro­
créer une incitation fiscale afin de per­
mettre aux PME­ETI d’investir dans la
cybersécurité, et d’autre part, défen­
dre sa propre souveraineté numérique
en infligeant des dégâts et des coûts
significatifs aux entités qui la violent
constamment en lançant des attaques
par rançongiciels.
Traitons le cybercrime organisé à l’ins­

L
e 21 août, le centre hospitalier de
Corbeil­Essonnes (Essonne) a subi
une cyberattaque par rançongiciel
bloquant son système informati­
que. Le groupe criminel russe Lockbit l’a
revendiquée le 12 septembre, en récla­
mant une rançon de 10 millions de dol­
lars (10 millions d’euros) pour obtenir
une clé de déblocage et éviter la publica­
tion des données dérobées. En l’absence
de paiement, des documents médicaux
personnels ont été rendus publics sur le
dark Net [l’Internet clandestin, non indexé
par les moteurs de recherche, accessible
avec des navigateurs spécifiques].
Le processus technique de cette cybe­
rattaque réussie utilise des failles techni­
ques classiques au sein du système d’in­
formation de l’hôpital. Son directeur gé­
néral a annoncé que le coût pour contrer
la cyberattaque s’élève déjà à plus de
2 millions d’euros et que la reconstruc­
tion pour sécuriser le système d’informa­
tion coûtera plus de 5 millions d’euros.
Ces cyberattaques s’inscrivent dans une
longue suite d’agressions d’hôpitaux par
rançongiciel, de l’attaque initiale du CHU
de Rouen en novembre 2020 à celle de la
maternité des Bluets par le groupe russo­
phone Vice Society le 9 octobre.
Cette multiplication des attaques con­
tre le système de santé intrigue, car les
entités publiques ne paient jamais de
rançon. La même observation s’applique
aux attaques contre les collectivités loca­
les. Pour élucider ce mystère, il suffit de
rappeler ce qu’est l’écosystème des ran­
çongiciels. Les entités faîtières de cet éco­
système sont des groupes criminels mus
par le gain, très majoritairement établis
dans des pays autoritaires (principale­
ment Russie, Chine, Corée du Nord, Iran)
et donc soumis à une tutelle de fait des
services de sécurité de ces pays. Ces grou­
pes d’une part conçoivent et maintien­
nent les « maliciels » [programmes mal­
veillants] de pénétration et de blocage
des systèmes d’information ciblés et les
outils de collecte et de blanchiment des
rançons payées en cryptomonnaies, et
d’autre part supervisent des affiliés.
Confrontation hybride
Depuis environ cinq ans, les groupes rus­
ses, qui jusqu’alors protégeaient leur
identité, sont apparus publiquement de
plus en plus souvent : REvil, Conti, et dé­
sormais Lockbit ont pris l’habitude de si­
gner leurs méfaits. Cela s’explique par le
contexte géopolitique. Les dirigeants
russes considèrent que depuis la révolu­
tion ukrainienne de Maïdan en 2014, at­
tribuée par eux aux manipulations des
Etats­Unis, la Russie est confrontée à une
tentative occidentale de déstabiliser son
régime. Depuis lors, elle se considère
comme opposée à « l’Occident global »
dans une confrontation hybride qui se
caractérise par un mélange d’opérations
militaires et d’actions déstabilisatrices
non directement létales : cyberattaques
et guerre informationnelle, sabotages
d’infrastructures critiques de communi­
cation ou énergétiques. Les démocraties
Pipeline, un des plus grands opérateurs
de gazoducs américains, en mai 2021 a
servi de révélateur pour les Etats­Unis.
Désormais, les attaques par rançongi­
ciels sont considérées comme une me­
nace contre la sécurité nationale améri­
caine et légitiment des ripostes précoces
contre les agresseurs : l’ensemble des in­
frastructures numériques du groupe
russe REvil a ainsi été mis à bas en octo­
bre 2021 par une opération officieuse­
ment confirmée par le CyberCom du
Pentagone. Le Royaume­Uni rejoint cette
ligne en décembre 2021, en mettant les
groupes criminels transnationaux
parmi les cibles possibles des ripostes de
la National Cyber Force.
La France, comme ses partenaires de
l’UE, continue de ne répondre à la cyber­
LE PROJET LÉGITIME
LE REMBOURSEMENT
PAR LES ASSURANCES
DES RANÇONS PAYÉES
À LA CONDITION
DE DÉCLARER
L’ATTAQUE DANS
UN COURT DÉLAI
péennes résultant de l’absence du risque
de riposte dure.
Le projet de loi d’orientation et de pro­
grammation du ministère de l’intérieur
(Lopmi), actuellement soumis au Parle­
ment, ajoute une deuxième incitation à
frapper la France. Il légitime le rembour­
sement par les assurances des rançons
payées, à la condition de déclarer l’atta­
que et de porter plainte dans un court
délai. Cette disposition non seulement
n’aura aucun effet sur les attaques de
type guerre hybride, mais enverra un si­
gnal désastreux aux hackeurs : pourquoi
se priveraient­ils d’attaquer de nouveau,
puisque le marché est inépuisable ?
Défendre la souveraineté numérique
La motivation de cette disposition est
évidemment de protéger les entreprises
de taille intermédiaire (ETI) et les petites
et moyennes entreprises (PME), dont la
survie est mise en danger par un blocage
prolongé de leur système informatique.
Ce risque est une réalité. Mais la dispo­
sition de la Lopmi, qui ne prévoit aucune
limitation de taille pour les bénéficiaires,
peut par son mécanisme retarder les
nécessaires investissements de durcis­
sement de la protection numérique des
entreprises. Elle devrait au minimum
limiter son champ d’application aux
PME et ETI et imposer à l’entreprise qui
profite de ces dispositions un plan d’ac­
tion volontariste pour en durcir [sécuri­
ser] le système d’information et prévoir
régulièrement des audits de sécurité.
Au niveau de l’Etat, il faudrait d’une part,
tar du terrorisme : à la fois dans le cadre
pénal et par des instruments spécifiques
de sécurité nationale et de défense, en
appliquant l’article L2321­2 du code de la
défense qui autorise l’attaque contre les
infrastructures des groupes de cybercri­
minels. Le gouvernement français doit
profiter de la prochaine loi de program­
mation militaire pour annoncer publi­
quement qu’il se réserve la possibilité de
neutraliser les systèmes d’information
qui s’attaquent à des services publics ou
des entreprises critiques. A cette fin, il est
fondamental d’investir massivement
dans une capacité souveraine et auto­
nome d’attribution des cyberattaques.
En l’absence d’une telle volonté, non
seulement les cybercorsaires attaquant
actuellement la France accentueront
leurs raids, mais ils seront rejoints par
ceux d’autres pays autoritaires souhai­
tant l’affaiblir. p
Bernard Barbier est ancien directeur
technique de la DGSE, ancien directeur
du Laboratoire d’électronique et de
technologies de l’information (LETI)
et membre de l’Académie des
technologies ; Jean-Louis Gergorin
est chargé de cours à Sciences Po,
ancien chef du centre d’analyse et
de prévision du Quai d’Orsay ;
Edouard Guillaud est amiral et
ancien chef d’état-major des armées

Marc André L’accès aux

samment mineur pour voir son prise en 2015, n’a aucunement ex­ viduel sur l’ensemble d’un fonds
dossier soustrait de la déroga­ clu de son périmètre les résis­ permettait de consulter sereine­
tion générale. tants et collaborateurs âgés de ment tous les dossiers, aujour­

documents liés à la guerre

Cette gestion bureaucratique 18 à 21 ans, sans que cela ait posé d’hui le manque de cohérence et
conduit à ignorer la réalité d’une de problème depuis. de lisibilité conduit les cher­
guerre menée par des jeunes. Si l’on ajoute les autres alinéas cheurs à découvrir au gré de leur
Cela est vrai tant dans l’immigra­ du décret relatifs aux documents recherche que tel ou tel dossier

d’Algérie reste toujours

tion algérienne en France que
dans les maquis, les réseaux ur­
bains et les prisons où les indé­
pendantistes, leurs soutiens, les
réfractaires, les appelés avaient
pouvant porter atteinte à la sé­
curité de personnes impliquées
dans des activités de renseigne­
ment ou à l’intimité de la vie
sexuelle des personnes, la majo­
n’est pas communicable.
L’incertitude prévaut
Quant aux familles, elles ne sa­
vent pas à l’avance si elles auront

aussi difficile
pour nombre d’entre eux autour
de 20 ans lors de leur engage­
ment. Une distinction entre en­
fants (moins de 18 ans) et jeunes
adultes (18 à 21 ans) éviterait qu’à
L’historien explique que, par méconnaissance de la guerre d’Algérie rebours des discours politiques,
et de ses archives, ces dernières sont trop souvent inaccessibles un grand nombre de dossiers de
police ou de justice restent sou­
aux demandeurs. Emmanuel Macron s’était pourtant engagé mis à examen et demandes de
à en faciliter la consultation dérogation individuelle.
Marges d’interprétation
rité des dossiers se referme.
Car, là aussi, la méconnaissance
de la guerre d’Algérie et de ses ar­
chives est manifeste : la logi­
que répressive étant fondée sur
le renseignement, les enquêtes
fourmillent d’indicateurs ou
d’informateurs ; et la vie sexuelle
est autant scrutée par les poli­
ciers ou experts psychiatres que
les violences sexuelles consta­
tées mais non reconnues au
accès au document souhaité. En­
suite, et surtout, l’application
du décret est susceptible d’inter­
prétations différentes selon les
dépôts d’archives. L’incertitude
prévaut.
Si un historien habitué des ar­
chives arrivera à avancer dans ce
labyrinthe, il n’en est pas de
même des citoyens ordinaires,
premiers destinataires de ce dé­
cret. Et la question des personnes

H
uit mois après l’annonce
de l’ouverture à tous « des
archives publiques pro­
duites dans le cadre d’af­
faires relatives à des faits commis
en relation avec la guerre d’Algé­
rie » (un décret du 22 décem­
bre 2021), le président de la Répu­
blique, Emmanuel Macron, affir­
mait le 25 août la nécessité de
donner aux historiens « un accès
complet aux archives de la guerre
d’Algérie ».
Cette insistance témoigne de
l’instrumentalisation politique
de la question des archives. Car,
malgré l’intention réitérée
d’« ouvrir », « simplifier » ou « fa­
ciliter » l’accès aux documents
liés à cette guerre, en pratique
cela reste difficile tant pour les fa­
milles que pour les historiens.
Entre les discours qui accompa­
gnent l’action politique et les réa­
lités du terrain, le décalage est tel
que l’on se demande même si le
décret dit de « dérogation géné­
rale » n’a pas été rédigé au croise­
ment de deux méconnaissances :
celle de la guerre d’Algérie et celle
de ses archives. De multiples con­
tradictions surgissent, à l’origine
de pratiques administratives res­
trictives aux conséquences socia­
les, scientifiques et politiques
contre­productives.
Gestion bureaucratique
Citons le cas d’une fille de con­
damné à mort algérien qui dé­
cide il y a un mois de se rendre
aux Archives nationales pour
consulter le dossier d’enquête re­
constituant le réseau de son père
et celui de son recours en grâce,
tous deux théoriquement acces­
sibles. L’accès lui est refusé parce
que ce père, jugé en 1960 à l’âge
de 20 ans et 6 mois, était mineur
(il avait moins de 21 ans) au mo­
ment des faits. La fille d’un autre
condamné à mort s’est vu quant
à elle refuser également en octo­
bre l’accès aux archives non parce
que son père était mineur au mo­
ment de son arrestation, mais
parce que ses compagnons de
lutte l’étaient. Certes, le décret
prévoit que les documents rela­
tifs aux mineurs demeurent sou­
mis à un délai de communicabi­
lité de cent ans (vingt­cinq ans en
cas de décès), mais cela soulève
plusieurs problèmes.
En reprenant la majorité légale
de l’époque, la méconnaissance
historique redouble symbolique­
ment la violence contre un « mi­
neur » qui, comme bien d’autres
de son âge, n’a pas été jugé
par un tribunal pour enfants
mais a comparu devant un tribu­
nal militaire : suffisamment ma­
jeur à l’époque pour avoir la tête
tranchée, il est aujourd’hui suffi­
Par ailleurs, alors que parmi les
revendications des historiens sur
l’ouverture souhaitée des archi­
ves figurait la volonté de traiter
de la même manière seconde
guerre mondiale et guerre d’Algé­
rie, on constate que la dérogation
générale dans le premier cas,
LE MANQUE
DE COHÉRENCE
CONDUIT À
DÉCOUVRIR AU GRÉ
DES RECHERCHES
QUE TEL OU TEL
DOSSIER N’EST PAS
COMMUNICABLE
terme des procédures.
A la question de ces restrictions
s’ajoute celle des marges d’inter­
prétation. Entre l’esprit du décret,
qui proclame l’ouverture des ar­
chives à tous, et son application à
la lettre, qui tend vers la ferme­
ture, le hiatus est tel qu’il peut
conduire à des contradictions
d’affichage et de catalogage pro­
blématiques : il a été possible
pendant des mois de comman­
der un carton entier contenant
plusieurs dossiers d’enquêtes,
quand la demande individuelle
de l’un d’eux rendait son accès
impossible. Ainsi, certains des
dossiers qui étaient inaccessibles
aux familles pouvaient pourtant
être consultés par d’autres.
L’examen au cas par cas, ou par
« extraits » selon le jargon, a une
double conséquence. D’abord, il
ralentit l’accès aux documents.
Alors qu’avant le décret, une dé­
rogation demandée à titre indi­
« intéressées » (descendants, etc.)
reste posée, sans même parler
de leur accompagnement face à
des documents qui peuvent être
troublants.
En l’état, la dérogation dite « gé­
nérale » apparaît pour ce qu’elle
est : une initiative politique ren­
dant illisibles les conditions d’ac­
cès aux archives de la guerre d’Al­
gérie et freinant, tout à la fois,
le travail de la mémoire et celui
de l’histoire. p
Marc André est historien,
maître de conférences
à l’université de Rouen-
Normandie. II vient de faire
paraître « Une prison pour
mémoire. Montluc, de 1944
à nos jours » (ENS éditions,
572 pages, 24 euros)
 0123
36 | idées MARDI 15 NOVEMBRE 2022

Delphine Chedaleux
« Le soap a été investi
d’une dimension sociale »
Ce genre de feuilleton a, très tôt, pris au sérieux des problèmes traditionnellement
connotés comme féminins, explique l’historienne des médias

ENTRETIEN conseils moraux et pratiques, à

LE LIVRE
« Du savon et des
larmes. Le soap opera,
une subculture
féminine »
En rythmant les après-midi de généra-
tions de spectatrices, et de specta-
teurs, les feuilletons télévisés tels
qu’Amour, gloire et beauté, Dallas ou
Les Feux de l’amour se sont fait une
place dans nos imaginaires. Méprisé,
ce qui étonne peu s’agissant d’un for-
mat à la fois féminin et populaire, le
genre s’inscrit pourtant dans la lignée
des romans-feuilletons du XIXe siècle.
Soucieuse d’éclairer les mécanismes
à l’œuvre dans ces productions, l’histo-
rienne Delphine Chedaleux propose
avec Du savon et des larmes. Le soap
opera, une subculture féminine (Ams-
terdam, 250 p., 18 €) une introduction
aux différentes études sur le sujet.
L’histoire du soap incarne à merveille
le mariage entre médias et industriels
au XXe siècle. Il a constitué un labora-
toire de techniques dans lequel les sé-
ries modernes se sont allégrement ser-
vies. Et le monde que les soaps
dessinent en creux – un monde où la
conversation est le mode principal de
résolution des conflits, et l’objet de vé-
ritables savoirs et savoir-faire –, s’il a
pu renforcer des stéréotypes de genre
en confinant le féminin à la sphère
domestique et sentimentale, comporte
aussi sa part de contestation des nor-
mes sociales.
D
ans Du savon et des larmes. Le
soap opera, une subculture
féminine (Amsterdam, 250 pa­
ges, 18 euros), l’historienne
des médias Delphine Chedaleux, spé­
cialiste des cultures médiatiques fé­
minines, invite les lecteurs à prendre
au sérieux ce genre déprécié en pré­
sentant une synthèse des travaux pa­
rus sur le sujet.
Que signifie l’expression soap
opera ? Et que désigne­t­elle ?
Le terme s’impose dans la presse
américaine en 1939 à la place de « day­
time dramatic serials ». La formule est
ironique : le fait d’associer un produit
industriel – le savon fait référence aux
entreprises de cosmétiques qui spon­
sorisent les feuilletons – au plus légi­
time des arts dramatiques crée un
oxymore qui signifie d’emblée la tri­
vialité de ces récits radiophoniques
destinés aux femmes au foyer. Bien
que le format ait évolué, il sert tou­
jours à désigner un type particulier de
feuilletons sans fin (ou presque), qui
mettent en scène une communauté
importante de personnages évoluant
principalement au sein de la sphère
domestique, et développent des intri­
gues tournant quasi exclusivement
autour des relations sentimentales,
familiales et interpersonnelles.
Comment le genre s’est­il
constitué ? Quels étaient ses
objectifs premiers ?
Lorsqu’ils apparaissent au tour­
nant des années 1930, ces feuilletons
radiophoniques sont conçus comme
des instruments publicitaires. Spon­
sorisés par des fabricants de pro­
duits d’hygiène et d’entretien, tels
que Procter & Gamble, ils entendent
transformer l’auditrice en consom­
matrice tout en la divertissant. Les
premiers soaps mettent en scène
une Mère Courage, souvent veuve,
qui délivre à son entourage de sages
grand renfort de produits manufac­
turés dont les mérites sont vantés
aux auditrices.
Vous parlez du soap comme d’une
« subculture féminine ». Qu’est­ce
qui fait sa spécificité par rapport à
des subcultures masculines ?
A l’origine, cette notion s’applique à
la culture « midinette » chère aux ado­
lescentes. On la doit aux universitai­
res Angela McRobbie et Jenny Garber,
qui entendent visibiliser les filles au
sein d’un champ de la sociologie bri­
tannique – les cultural studies – où le
concept de subculture sert à désigner
les cultures urbaines des jeunes
hommes de la classe ouvrière britan­
nique, envisagées comme des formes
de résistance esthétique et morale à
la domination sociale. En apparence
moins créatives et plus directement
façonnées par les industries culturel­
les, les subcultures féminines per­
mettent aux femmes et aux jeunes
filles de créer des espaces de liberté
et d’expressivité qui, parce qu’ils sont
circonscrits à la sphère domestique,
sont compatibles avec les assigna­
tions qui pèsent spécifiquement sur
elles. Les enquêtes menées auprès de
spectatrices dans les années 1980 ont
montré que la culture orale et les so­
ciabilités féminines auxquelles le
soap a donné lieu ont pu constituer
une source d’autonomie culturelle et
affective. Voire un levier de prise de
conscience de soi hors de portée du
regard et du contrôle masculins.
Le soap opera s’est­il doté
d’objectifs autres que publici­
taires ou commerciaux ?
Ils ont été investis très tôt d’une
dimension sociale : des scénaristes
influentes comme Irna Phillips ou
Agnes Nixon les ont utilisés pour
éduquer les spectatrices et diffuser
certaines transformations sociales
au sein des foyers américains. Les
histoires de grossesses non désirées,
YANN LEGENDRE
Dans les années 1970, les chercheu­
« LES SOCIABILITÉS  ses féministes l’envisagent comme
FÉMININES  un artefact au service de l’aliénation
domestique des femmes. Certaines
AUXQUELLES LE  en entrevoient pourtant les ambiguï­
tés : la famille y est par exemple cons­
SOAP A DONNÉ LIEU  truite à la fois comme le seul lieu pos­
sible d’épanouissement individuel, et
ONT PU CONSTITUER  comme un lieu de souffrances et de
UN LEVIER DE PRISE  malheurs perpétuels (la célèbre Sue
Ellen, de Dallas, l’illustre bien).
DE CONSCIENCE » Le soap n’est évidemment pas une
forme féministe, mais il a la particu­
larité de prendre au sérieux les pro­
d’avortements, de viols, de maladie blèmes traditionnellement connotés
mentale, d’alcoolisme… côtoient comme féminins et de ne jamais
ainsi les problèmes de cœur des per­ condamner ses personnages : une
sonnages et les rivalités familiales. « mauvaise mère » agissant de façon
Bien sûr, les soaps reformulent ces inadaptée avec ses enfants – figure
questions sous un angle individuel, indigne par excellence – a par exem­
mais ils sont parfois plus progressis­ ple souvent de « bonnes » raisons de
tes que d’autres formats parce qu’ils l’être. Pour la chercheuse britannique
n’apportent que très rarement de Christine Geraghty, c’est l’une des
solution unilatérale aux problèmes principales clés de compréhension
moraux qu’ils posent ; ce sont des de leur succès : parce qu’ils se situent
textes « ouverts » sur les plans narra­ « au milieu des femmes » et qu’ils
tif et idéologique – ce qu’on voit très prennent en considération les com­
bien dans les soaps français tels que pétences comme les tourments
Plus belle la vie ou Ici tout commence. émotionnels, les soaps offrent aux
spectatrices le « plaisir de la recon­
Les premières analyses féministes naissance ». p
des soap operas ont été très propos recueillis par
sévères : pour quelles raisons ? marion dupont

Indexation des salaires : favoriser la créativité plutôt que l’idéologie

ANALYSE le gouvernement socialiste de Pierre Mauroy
a supprimé le mécanisme qui avait ainsi dé­
n’est pas, sur ce point, comparable à celle qui
prévalait durant le choc pétrolier. L’inflation,
Chelini, professeur d’histoire économique à
l’université d’Artois. Sur le plan économique

F
in octobre, l’inflation avait atteint
6,2 % en France, sur douze mois. Dans
le même temps, les salaires n’ont pro­
gressé que de 3 % environ. La simple
exigence de justice sociale, la nécessité de ne
pas ajouter de la crise à la crise, imposeraient
de parer à cette dégradation du pouvoir
d’achat. Pour la Nupes, LFI ou la CGT, la solu­
MOINS DE  tion est simple : il faut indexer les salaires sur
POUVOIR D’ACHAT,  l’inflation. Emmanuel Macron, dans son in­
terview télévisée du 26 octobre, a estimé
C’EST MOINS  qu’une telle décision conduirait à « détruire
des centaines de milliers d’emplois », en créant
DE KÉROSÈNE POUR  « une boucle qui ne s’arrête plus ».
La création d’une spirale prix­salaires, les
CE MOTEUR DE LA  uns alimentant les seconds qui font augmen­
CROISSANCE QU’EST  ter à nouveau les premiers, c’est la grande
peur des pourfendeurs de l’indexation des sa­
LA CONSOMMATION laires sur les prix. Ce mécanisme, mis en place
en 1952 en France alors que l’inflation frôlait
20 %, n’a pas laissé que de bons souvenirs.
Lors du choc pétrolier, à partir de 1973, l’in­
dexation a enclenché la spirale tant redoutée,
les entreprises relevant leurs prix de vente
pour financer l’augmentation de la masse sa­
lariale. Cet enchaînement s’est traduit par une
accélération de l’inflation (13 % en 1980), une
dégradation de la compétitivité et, finale­
ment, l’explosion du chômage. D’autres éco­
nomies développées ont connu peu ou prou,
à cette période, le même scénario. Contraint
de négocier le tournant de la rigueur, en 1983,
montré de manière éclatante ses dangers, ne
maintenant que l’indexation du smic.
C’est d’ailleurs grâce à cela que le salaire mi­
nimum a pu progresser de 8 % sur les douze
derniers mois, avec un effet à double tran­
chant. Si les smicards ont vu leur pouvoir
d’achat augmenter légèrement, les catégories
juste au­dessus de ce niveau de rémunération
peuvent nourrir le sentiment d’être laissés­
pour­compte. Pour autant, l’argument d’un
risque d’emballement de la machine « ne tient
pas », affirme Jonathan Marie, membre des
Economistes atterrés, dans un billet de blog.
Parce que l’inflation actuelle n’est pas provo­
quée par la hausse des salaires, mais par celle
de l’énergie et des matières premières. Et
parce que le mécanisme d’indexation est ré­
troactif : il aligne les salaires sur les prix pas­
sés, non à venir. « L’inflation ne va augmenter
à nouveau à la suite d’une hausse des salaires
nominaux déclenchée par l’indexation qu’à
condition que les firmes augmentent à nou­
veau leurs prix », explique­t­il. Pour éviter cela,
il suffirait, selon lui, de mettre en place, par
exemple, des mécanismes de contrôle des
prix – qui posent d’autres difficultés – ou la
taxation des superprofits, un sujet politique­
ment clivant en France.
Autre argument utilisé par les adversaires
de l’indexation, celui du risque de perte de
compétitivité, qui a conduit à la dévaluation
du franc en 1986. Mais la situation de 2022
grâce aux boucliers énergétiques mis en
place par l’Etat, est plus faible en France
qu’ailleurs, et les salaires ont moins pro­
gressé. Indexer les salaires en France ne con­
duirait pas à dégrader la compétitivité des en­
treprises hexagonales, au moins sur le plan
des coûts de production. D’ailleurs, les éco­
nomistes, qui scrutent attentivement la for­
mation d’une boucle prix­salaires, y compris
dans les pays de la zone euro où les hausses
sont plus fortes qu’en France, n’ont rien vu
venir jusqu’à présent.
Ensemble complexe de rigidités
Et si on regardait aussi l’autre côté du miroir,
le risque qu’il y aura à ne pas indexer les salai­
res ? Moins de pouvoir d’achat, c’est moins de
kérosène pour ce moteur de la croissance
qu’est, en France, la consommation, qui re­
présente plus de la moitié du produit inté­
rieur brut (PIB). De quoi accentuer le ma­
rasme économique et l’impact récessif des
politiques monétaires. Accroître la précarité
et la pauvreté a un coût, social, politique et
économique. Tout cela ne signifie pas qu’il
faille revenir à une indexation pure et simple,
qui n’existe d’ailleurs quasiment plus nulle
part – à l’exception de la Belgique, de Malte ou
de Chypre. « Par son caractère automatique et
universel, l’indexation crée un ensemble com­
plexe de rigidités dont l’utilité est inférieure
aux effets négatifs », rappelle Michel­Pierre
comme sur le plan social, quelle justification
y aurait­il en effet à indexer aujourd’hui les
plus hautes rémunérations, alors que l’infla­
tion, qui touche surtout l’énergie et l’alimen­
tation, frappe en premier lieu les plus modes­
tes ? L’indexation automatique présente un
autre inconvénient : elle doit en théorie fonc­
tionner dans les deux sens, y compris lors­
que l’inflation est faible. « Si les salaires
avaient été indexés sur les prix depuis vingt
ans, ils seraient beaucoup plus bas qu’ils ne le
sont aujourd’hui », fait observer l’économiste
Thomas Piketty.
La question réclame donc de la créativité,
plus que des postures idéologiques. L’exem­
ple de 1983 et du maintien de l’indexation du
smic, même s’il crée des insatisfactions
comme on l’a vu, montre qu’il est possible de
trouver une voie médiane. Par exemple, en
n’indexant que les rémunérations des caté­
gories modestes avec le risque de créer de
nouveaux effets de seuil. « Aujourd’hui, des
éléments d’indexation pourraient assurer,
dans les formes très différentes qu’a prises le
travail, sa juste rémunération, comme sa ca­
pacité à faire vivre dignement les salariés et
leurs familles », note Pierre­Cyrille Hautcœur,
économiste et professeur à la Paris School of
Economics. Du grain à moudre pour l’exécu­
tif, qui renvoie le sujet des hausses de salaires
à la négociation ? p
béatrice madeline (service économie)
0123
MARDI 15 NOVEMBRE 2022
ÉCONOMIE | CHRONIQUE
par st éphane l au e r
Renault : du
losange au pentagone
P
ourquoi faire simple
quand on peut faire
compliqué ? La question
se pose au lendemain de
la présentation de la nouvelle
organisation de Renault, dévoilée
mardi 8 novembre. La « révolu­
tion » annoncée depuis deux ans
par son directeur général, Luca de
Meo, est bien au rendez­vous.
Mais, comme toujours dans les
premiers jours d’une révolution,
c’est la confusion qui domine.
Le losange se mue en pentagone
doté de cinq filiales distinctes. La
nouvelle physionomie est si dé­
routante qu’il faudra sans doute
plusieurs années avant de savoir
s’il s’agit de l’amorce d’un retour
en grâce ou bien d’un chant du cy­
gne. Les objectifs financiers sont
ambitieux, mais les échéances
sont si lointaines que les boule­
versements que connaîtra le sec­
teur d’ici là les rendent incertains.
En revanche, la nouvelle organisa­
tion pourrait marquer une étape
supplémentaire dans le délite­
ment des liens avec Nissan à
l’œuvre depuis plusieurs années.
Il y a quelques semaines, le pré­
sident de Renault, Jean­Domini­
que Senard, nous avait confié que
l’objectif de cette réorganisation
visait à « être compris et valorisé
normalement » par les marchés fi­
nanciers. Au regard de la varia­
tion erratique du cours de Bourse,
le but reste à atteindre.
Des choux et des carottes
Il est vrai que l’hétérogénéité des
cinq entités créées a de quoi désar­
çonner. L’une sera focalisée sur le
véhicule électrique ; une autre sur
les moteurs et boîtes de vitesses
pour voitures thermiques ; une
troisième sera spécialisée sur le
recyclage ; une quatrième sera
constituée par la marque Alpine ;
et une dernière chapeautera les
solutions de mobilité et de finan­
cement. Bref, des choux et des ca­
rottes. Quand les unes sont déte­
nues en propre, d’autres font
appel à des partenaires (Google,
Qualcomm), certaines à des ac­
tionnaires extérieurs qui seront
en cocontrôle (le chinois Geely). Le
pilotage de cet archipel en matière
de gouvernance, de flux finan­
ciers et de ressources humaines
s’annonce sportif.
Cette stratégie est d’autant plus
déroutante qu’elle fait l’impasse
sur le principal actif de Renault :
une participation de 43 % au capi­
tal de Nissan, qui est censée
concrétiser une alliance indus­
trielle avec le japonais. Or, le
constructeur japonais est devenu
l’éléphant dans la pièce, le pro­
blème incontournable que tout le
monde feint d’ignorer.
Au moment où Renault fait sa
révolution, Nissan se tient à
l’écart de l’agitation. La priorité à
Tokyo se résume à la baisse
substantielle et rapide de la parti­
cipation de la firme au losange au
capital du constructeur japonais.
Lors de la présentation de sa nou­
velle stratégie, Luca de Meo a re­
fusé de parler de l’avenir de l’al­
liance, comme si celui­ci n’était
pas déterminant pour le futur de
Renault. Comme le glisse un vété­
ran du groupe : « Le rapproche­
ment avec Geely donne le senti­
ment qu’il y a un glissement vers
un nouveau partenaire sans dire
que l’on s’éloigne de l’actuel. »
À TOKYO, LA PRIORITÉ  « La situation de l’alliance me
SE RÉSUME  aurait connu des désaccords, mais
À LA BAISSE  au sein duquel il y a toujours des
SUBSTANTIELLE  parcouru ensemble », déclarait
ET RAPIDE DE LA PART  peu après son arrivée à la tête de
DE RENAULT DANS LE  Renault. Le moment est sans
CAPITAL DE NISSAN
0123 | 37
KHERSON, 
TOURNANT 
taire et politique que constitue pour la Rus­ le moment celle de négociations ouvertes.
DE LA GUERRE 
EN UKRAINE
sie de Vladimir Poutine le retrait forcé de
cette ville, seule capitale d’une région
(oblast) prise par Moscou en mars. Résultat
Alors qu’aux Etats­Unis commençaient à
se multiplier des voix critiquant le coût du
soutien militaire à l’Ukraine et appelant
de la pression exercée par les forces ukrai­
niennes, cette défaite militaire est si fla­
grante qu’elle a contraint le chef du Kremlin
Kiev à modérer ses revendications, les
avancées ukrainiennes sur le terrain souli­
gnent au contraire la nécessité impérieuse
à adopter son attitude des jours de mauvai­ d’une poursuite du soutien décisif des
L’HÉTÉROGÉNÉITÉ  ses nouvelles : le silence total. Le temps Etats occidentaux. Le maintien d’une ma­
semble loin où M. Poutine menaçait de re­ jorité démocrate au Sénat américain au
DES CINQ ENTITÉS  présailles nucléaires en cas d’avancée ukrai­ lendemain des élections de mi­mandat et
nienne sur des territoires qu’il tient pour l’hommage, par la Maison Blanche, à l’« ex­
CRÉÉES PAR LE  russes. Kiev reconquiert son territoire sans traordinaire victoire » de Kherson vont
tenir compte des intimidations et la parole dans ce sens.
CONSTRUCTEUR A DE  du président russe se trouve affaiblie. Si l’on considère que le destin de Vladimir
QUOI DÉSARÇONNER
Dans ce contexte, difficile d’élu­
der certaines questions.
I mages de joie intense au milieu d’une
guerre qui a déjà causé des dizaines de
milliers de morts et des destructions
massives, les scènes de liesse, les fleurs of­
fertes par les habitants de Kherson aux sol­
Décisive, la libération de Kherson change
la physionomie du conflit : la Crimée, an­
nexée par Moscou en 2014 et longtemps
perçue comme difficile à reprendre, rede­
vient exposée à la contre­offensive des
Poutine est lié au sort des armes en
Ukraine après qu’il a fermé toute issue di­
plomatique, les événements de Kherson
peuvent constituer aussi un « tournant »
politique en Russie. A cet égard, la décision
La première porte sur Ampère, dats ukrainiens qui ont libéré la ville, ven­ Ukrainiens. Le canal qui alimente la pénin­ d’Evgueni Prigojine, chef des mercenaires
la filiale spécialisée sur le véhicule dredi 11 novembre, après presque neuf sule en eau n’est plus qu’à 5 kilomètres de Wagner et proche du président russe, de
électrique, qui doit entrer en mois d’occupation russe, ont de quoi ré­ leurs canons, tout comme la ligne de che­ permettre la mise en scène, par une vidéo
Bourse en 2023. Renault souhaite jouir. Non seulement parce que le retrait min de fer qui approvisionne les forces diffusée sur Internet, de l’atroce exécution
que Nissan soit partie prenante de russe a été opéré sans chaos ni pertes civi­ russes. L’hiver approchant est certes une d’un de ses hommes, accusé de désertion
cette nouvelle activité. Mais quel les, mais aussi parce que la chute de Kher­ lourde perspective pour les soldats de en Ukraine, souligne le risque d’une spirale
serait l’intérêt du constructeur ja­ son constitue un tournant dans la guerre Kiev, mais elle l’est plus encore pour les de la sauvagerie dans le conflit. L’odieuse
ponais, alors que l’entité sera es­ d’agression lancée, le 24 février, par Vladi­ Russes, qui disposent d’armes moins pré­ exploitation de ce crime de guerre, l’un des
sentiellement tournée vers le mir Poutine contre son voisin. cises et dont les approvisionnements sont nombreux déjà commis sur le terrain
marché européen ? Le groupe Rappeler que, le 30 septembre, le prési­ plus aléatoires. ukrainien, ne fait que renforcer la nécessité
veut se concentrer sur la Chine, le dent russe proclamait Kherson « russe pour La retraite russe à Kherson rend de moins d’une mobilisation de toutes les armes du
Japon et les Etats­Unis, qui n’ont toujours » lors de son annexion illégale en moins hypothétique la perspective droit international pour se préparer à en ju­
pas les mêmes contraintes régle­ donne la mesure de l’immense revers mili­ d’une défaite russe et semble éloigner pour ger les auteurs. p
mentaires et commerciales. Il faut
aussi convaincre Nissan de céder
la propriété intellectuelle sur de
nombreux brevets liés à la tech­
nologie électrique. Les discus­
sions promettent d’être animées.
Seconde interrogation : Horse,
l’entité spécialisée dans le déve­
loppement de moteurs thermi­
ques et hybrides, qui sera copilo­
tée par Geely. Renault mise sur
cette coopération pour gagner en
compétitivité en augmentant les
volumes de fabrication et en élar­
gissant ses marchés à la Chine et
aux Etats­Unis. En somme, ce que
son alliance avec Nissan devait
concrétiser. Dans ces conditions,
quel est l’avantage de se lier à un
groupe chinois, qui a par ailleurs
de grandes ambitions en Europe ?
Au sein du ministère japonais
de l’économie, la question de la
compatibilité des deux partena­
riats se pose. Il y a quelques mois,
LE SALON DES MBA ET
Renault avait déjà pris la décision
d’assembler dans son usine sud­ EXECUTIVE MASTERS
coréenne des modèles conçus par
Geely destinés au marché améri­
cain, en concurrence frontale avec
ceux de Nissan. L’affaire avait
contrarié Tokyo. L’annonce d’une
nouvelle coopération entre Re­
nault et Geely risque de tendre da­
SAMEDI 26 NOVEMBRE
vantage les relations avec Nissan.
Celles­ci sont minées par les
non­dits. Comme vient de le révé­ 10H30 - 17H
ler la presse japonaise, Nissan
avait tenté en septembre 2019
d’échapper au contrôle de Renault
en appelant à l’aide le conglomé­
rat Mitsubishi. L’opération avait PALAIS BRONGNIART • PARIS 2e
échoué, mais c’est un précieux in­
dicateur sur l’état des relations en­
tre Français et Japonais, qui pei­ Conférences avec les journalistes du Monde
nent à travailler ensemble. Les dé­
clarations apaisantes de la direc­
Rencontres avec les établissements les plus reconnus
tion de Nissan distillées il y a
quelques jours à la presse ne doi­
DIRIGEZ VOTRE CARRIÈRE !
vent pas faire illusion. Les Japo­
nais détestent les portes qui cla­
quent et ne disent jamais non
frontalement. La priorité n’en est
pas moins claire : réduire par tous
les moyens l’influence de Renault.
En marge du Salon de l’automo­
bile, le 18 octobre, le ministre de
l’économie, Bruno Le Maire, avait
insisté pour que l’alliance avec
Nissan soit à tout prix préservée.
Trois semaines plus tard, la parti­
cipation de la firme au losange
dans Nissan pourrait tomber de
43 % à 15 %, tandis que le cons­
tructeur français annonce une as­
sociation avec un groupe chinois
INFO & INSCRIPTION GRATUITE
au sein d’une filiale basée à Lon­
dres. Le discours sur la souverai­
neté martelé par l’Etat action­
naire est fragilisé. MBA-FAIR.GROUPELEMONDE.FR
fait penser à un vieux couple qui
sentiments liés au long chemin
Luca de Meo, en septembre 2020,
doute venu de clarifier la nature
exacte de ces sentiments. p
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