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1.

LE RÈGNE DE HASAN II (1961-1999)


Hasan II
Devenu roi en mars 1961, après la mort de son père Muhammad V, Hasan II avait déjà été associé, en tant
que prince héritier, aux affaires du royaume. Il a pour premier souci d'asseoir son pouvoir sur des bases
fermes, notamment en nivelant les partis dits du Mouvement national (l'Istiqlal et l'UNFP), dont
l'importance est encore en mesure de lui disputer une partie des prérogatives qu'il estime vitales. Il inscrit
celles-ci dans une première Constitution, adoptée par référendum le 7 décembre 1962, et qui fonde une
culture politique axée sur la prééminence royale – tous les pouvoirs, constitutionnels, politiques, militaires,
judiciaires, diplomatiques, sont concentrés et hiérarchisés autour du roi –, un rapport de force inégal et une
négociation permanente, dans un système où les règles du jeu sont très sévèrement et très étroitement
contrôlées. Dès lors, le partage du pouvoir entre le roi et les partis et entre l'exécutif et le législatif domine
la vie politique marocaine. Il faudra, en 35 ans, pas moins de 5 moutures de la Constitution et autant de
trains d'élections pour modifier, sans le changer fondamentalement, le rapport des forces et apaiser les
contentieux.
En septembre 1996, la cinquième Constitution, élargissant enfin les pouvoirs du gouvernement et du
Premier ministre, est adoptée à l'unanimité de toutes les forces politiques, y compris celles de l'opposition.
Le processus donne naissance, en mars 1998, à un gouvernement d'alternance, dirigé par Abd al-Rahman
Yusufi, secrétaire général de l'Union socialiste des forces populaires (USFP).
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Entre-temps, et dès 1961, le roi gouverne avec des partis issus de sa propre mouvance et souvent dirigés par
ses proches : successivement, le Front de défense des institutions constitutionnelles (FDIC, 1963), le
Rassemblement national des indépendants (RNI, 1977), l'Union constitutionnelle (UC, 1983). Ce sont ces
formations qui gagneront les élections communales et les élections législatives de 1963, celles de 1976-
1977, et celles de 1983-1984, tandis que les voix en faveur de l'opposition passeront de 75 % (communales
de mai 1960) à 25 %. La légère remontée de celle-ci en 1993 suscite une offre d'alternance de la part du
pouvoir royal, refusée par l'opposition, groupée dans un front, le Bloc démocratique, dont l'avancée au
premier tour du scrutin n'est pas confirmée au second tour. Le schéma de mai (communales) et celui de
novembre (législatives) 1997 ne sont pourtant pas fondamentalement différents, dans un bicaméralisme
reconstitué, mais, vu la situation politique (usure du pouvoir, éparpillement des partis après de nombreuses
scissions), l'alternance a néanmoins lieu.
Cette longue lutte politique s'est déroulée en plusieurs périodes et dans un environnement régional très
tendu : les différends entre l'Algérie et le Maroc ont constamment jalonné la vie politique de la région
depuis les indépendances respectives des deux pays.

1.1. LE RÉGIME AUTORITAIRE ET LA CRISE DU SAHARA OCCIDENTAL


La première période, de 1961 à 1973, est dramatique : arrestations, en juillet 1963, des dirigeants et des
militants de l'UNFP, suivies de grands procès (octobre-novembre 1963), guerre dite « des sables » avec
l'Algérie sur une question de délimitation de frontière (octobre 1963), condamnation à mort par contumace
de certains dirigeants de l'opposition de gauche, dont Mehdi Ben Barka, en exil, émeutes de Casablanca
(mars 1965), état d'exception, en juin de la même année, pour 5 ans, enlèvement et disparition de Ben
Barka à Paris (octobre 1965), autres procès en 1970-1971, deux coups d'État militaires, le 10 juillet 1971
(cadets de l'École militaire au palais de Skirat) et le 16 août 1972 (attaque du Boeing royal par l'armée de
l'air), mort du ministre de l'Intérieur, le général Oufkir, compromis dans l'attentat contre le roi. La relative
ouverture politique offerte par le roi en 1971 (deuxième Constitution) et en 1972 (troisième Constitution) se
referme dans une atmosphère de complots (1973) et de nouveaux procès politiques.
À partir de 1974, l'émergence du problème du Sahara occidental (dont la Cour internationale de
justice de La Haye est saisie en septembre), que l'Espagne décide de décoloniser, provoque un large
consensus autour du trône, hormis une fraction de l'extrême gauche (Ila Atnane), dont l'UNFP (devenu
l'USFP en 1976), qui, malgré l'assassinat d'un de ses dirigeants à Casablanca en décembre 1975, amorce un
virage politique en abandonnant toute velléité de renverser le régime par la force. Un nouveau souffle est
donc donné à Hasan II. La mobilisation patriotique populaire autour de la question du Sahara
occidental (la Massirah, « Marche verte », novembre 1975), la montée de la tension avec l'Algérie (bataille
d'Amgala en janvier et rupture des relations en mars 1976) font que tous les partis, y compris ceux de
l'opposition, sont progressivement associés au pouvoir dans un Conseil national de sécurité (1979).
En août 1979, après le retrait de la Mauritanie du Tiris el-Gharbia, dans le Sahara occidental, le Maroc, qui
en occupait concomitamment les trois cinquièmes (la Saguía El Hamra), en prend immédiatement
possession. Un nouvel homme fort, le général Dlimi, lance, à partir de 1981, la politique des «  murs de
défense » contre les attaques du Front Polisario, mouvement de libération nationale du peuple sahraoui,
créé en 1973. Au sommet de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) à Nairobi, en
1981, Hasan II accepte le principe d'un référendum d'autodétermination au Sahara occidental. Ce sommet,
qui avait été précédé de sanglantes émeutes à Casablanca (juin), suscite les protestations de l'USFP, ce qui
entraîne l'arrestation de trois de ses principaux dirigeants pendant huit mois.
La République arabe sahraouie démocratique (RASD) proclamée par le Front Polisario en février 1976,
soutenu par l'Algérie et la Libye, devient membre de l'OUA en février 1982. Rendue officielle au sommet
d'Addis-Abeba en novembre 1984, son admission provoque le retrait du Maroc de cette instance africaine.
Les relations maghrébines sont restées très tendues, en dépit de la rencontre d'Oujda entre Hasan  II
et Chadli Ben Djedid en février 1983.
Pour en savoir plus, voir l'article Sahara occidental.
Après le sommet arabe de Fès (septembre 1982), le roi s'implique de plus en plus dans la politique du
Proche-Orient et favorise des négociations entre l'Égypte et Israël. Pour contrebalancer le front maghrébin
qui lui est opposé, le Maroc signe un traité d'union avec la Libye, approuvé par référendum en août 1984,
mais l'alliance est rompue en août 1986 à la suite de la visite de Shimon Peres au palais d'Ifrane. De
nouvelles émeutes populaires éclatent en 1983 et en 1984 dans le sud (Marrakech) et dans le nord
(Tétouan) du pays. En novembre 1985, le général Dlimi disparaît à Marrakech dans des conditions restées
mystérieuses.

1.2. LES DIFFICULTÉS DE LA TRANSITION


Une nouvelle période s'ouvre en mai 1987 : le rapprochement avec l'Algérie, suivi de la reprise des
relations diplomatiques (mai 1988), va permettre la création de l'Union du Maghreb arabe (UMA) en
février 1989, également facilitée par l'acceptation du plan de paix proposé par l'ONU.pour le Sahara
occidental (notamment un référendum d'autodétermination), adopté en août 1988, et la réception
par Hasan II des représentants du Front Polisario à Marrakech en janvier 1989. En revanche, la
prolongation de la législature, motivée par le conflit du Sahara, provoque une vive tension avec
l'opposition, attisée par les problèmes économiques et sociaux nés d'une politique d'ajustement structurel
qui va durer plus de dix ans. Celle-ci entraîne une suite de grèves et de troubles sociaux et estudiantins (liés
aussi à la montée du mouvement islamiste dans les universités depuis les années 1970) et génère des
déficits structurels et sectoriels. Le Maroc reçoit l'aide de la Banque mondiale et du Fonds monétaire
international (FMI). Ses alliés européens, en particulier la France, lui accordent une aide financière
importante. En application de la politique décidée par les organismes internationaux, une privatisation de
118 sociétés d'État est lancée.
À partir de 1990, le régime se trouve dans une difficile phase de transition : la modernisation économique
est amorcée et prend effet dans certains secteurs, mais elle n'est pas accompagnée d'une modernisation
politique, et les partenaires internationaux du Maroc, réclamant davantage d'ouverture et de transparence,
posent de plus en plus ouvertement la question du respect des droits de l'homme.
Une grave crise politique s'ouvre notamment avec la France, suite à la publication d'un livre de
G. Perrault, Notre ami le roi, et à la dénonciation par la presse du trafic de drogue dans le Rif, à la
construction, par souscription, de la grande mosquée Hasan II à Casablanca, à la censure et à des
falsifications électorales. De plus, lors de la guerre du Golfe (janvier-février 1991), le Maroc envoie des
militaires appuyer la coalition américano-saoudienne, tandis que l'opinion publique est très favorable
à Saddam Husayn.
Le pays connaît un relatif et progressif déverrouillage politique et un début de renouvellement des élites sur
la base de la timide émergence d'une société civile (associations, y compris de femmes et de droits de
l'homme), tandis qu'un cessez-le-feu apaise l'affaire du Sahara occidental (septembre 1991). Les prisonniers
politiques sont progressivement libérés entre 1989 et 1994, une amnistie permet le retour des exilés
politiques, un centre consultatif des droits de l'homme est créé (mai 1990), le chômage des jeunes est pris
en compte, les lois sur les femmes et celles sur la famille, légèrement modifiées (août 1993). L'opposition,
sollicitée face à la gravité de la crise économique, demande et obtient une nouvelle réforme de la
Constitution (1992), qu'elle estime cependant insuffisante. De plus, en dépit des promesses, les élections de
1992-1993 n'offrent pas la possibilité d'un virage politique, que le roi déclare souhaiter. La situation est
donc une nouvelle fois bloquée, même si la tension est beaucoup moins vive entre le pouvoir et
l'opposition.

1.3. PERSISTANCE DES PROBLÈMES ET ASSOUPLISSEMENT DU RÉGIME


Les relations internationales restent difficiles : le Sahara, où le plan de l'ONU est sans cesse retardé,
provoque le gel de l'UMA et une nouvelle tension avec l'Algérie. Cette tension est également liée à un
attentat perpétré à Marrakech en août 1994, dans lequel Rabat soupçonne Alger d'avoir une part de
responsabilité, ainsi qu'aux conséquences de la guerre civile algérienne.
Le Maroc apporte son soutien au processus de paix au Proche-Orient, qui aboutit en septembre 1993
aux accords d'Oslo. Il accueille une conférence sur le Maghreb et le Proche-Orient destinée à instaurer une
coopération économique dans cette région et ouvre un bureau des intérêts israéliens. Mais cette politique
d'ouverture est gênée par les obstacles que rencontre le processus de paix israélo-palestinien.
En dépit de l'aide constante des bailleurs de fonds du Maroc et de ses principaux partenaires
– essentiellement la France (plus d'un milliard de francs par an depuis 1995) –, la crise économique reste
prégnante : la Banque mondiale juge très sévèrement l'Administration et les politiques économiques et
d'éducation, critiques que le roi déclare reprendre à son compte. Néanmoins, dans un contexte de troubles
sociaux graves (grèves générales, arrestation du secrétaire général de la Confédération démocratique du
travail en 1992-1993, émeutes à Fès en 1990 et à Tanger en 1996) et d'interrogations sur la succession de
Hasan II lors de sa maladie (1995), les initiatives visant à renouveler la classe dirigeante et à désamorcer la
contestation sont poursuivies.
Elles aboutissent, après la crise de 1990-1995, à une phase d'intenses négociations pour modifier les lois
– listes et codes électoraux – et à la promulgation consensuelle de la cinquième Constitution (septembre
1996), précédée par la mise en place d'une politique de dialogue social (août 1996) et par une tentative
avortée d'assainissement des entreprises (début 1996).
Finalement, Abd al-Rahman Yusufi est nommé Premier ministre en février 1998. Le responsable de
l'opposition de gauche constitue, le 14 mars, un gouvernement de 41 membres formant une coalition de
6 partis : l'USFP (14 ministres), l'Istiqlal (6 ministres), plusieurs petits partis de gauche et 2 partis de
l'ancienne majorité, le RNI et le Mouvement national populaire (MNP). Les responsables de quatre
ministères, dits de souveraineté, sont désignés par le roi : Intérieur, Affaires étrangères, Justice, Biens
religieux.
Ce rapprochement progressif entre le régime et son opposition bénéficie d'un large consensus populaire et
d'un bon accueil à l'extérieur, en comparaison de la situation des autres pays du Maghreb. Mais il suscite
des attentes énormes au niveau social, et sa marge de manœuvre est réduite tant au plan politique qu'au plan
économique, par l'absence de réelles ressources et l'ampleur des déficits dus, notamment, à la charge de la
fonction publique et à l'ampleur de la dette de l'État.
La nouvelle équipe promet le changement dans la continuité et une transformation sociale par
l'accumulation de réformes qui ont longtemps été retardées : mise à niveau de l'économie, relance de
l'investissement, modernisation des structures économiques, profondes réformes de l'enseignement, de
l'administration et de la justice, totalement obsolètes, résolution des problèmes sociaux les plus urgents
(niveau de vie, chômage, analphabétisme, marginalisation du monde rural).
Mais la mise en œuvre des promesses tarde, comme le montre la loi de finances pour 1998-1999, peu
novatrice par rapport aux lois précédentes. La présence au ministère de l'Intérieur d'un fidèle du roi, Driss
Basri, montre toute l'ambiguïté de ce gouvernement.
Depuis l'automne 1998, la libération de plusieurs dizaines de prisonniers politiques, la reconnaissance par
l'État de la mort en détention de plus d'une centaine d'opposants politiques portés disparus entre les années
1960 et 1980, et la promesse d'indemnisations à une grande partie des familles constituent les premières
manifestations de l'évolution du régime marocain. Hasan II meurt brutalement en juillet 1999.

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