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2021/1 N° 1 | pages 15 à 27
ISSN 0035-1733
ISBN 9782995521012
DOI 10.3917/rsc.2101.0015
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-de-science-criminelle-et-de-droit-penal-
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La conformité anti-blanchiment
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face aux crypto-actifs
15
Solène Clément
Avocate, présidente de l’Observatoire de la lutte anti blanchiment et contre le financement du
terrorisme (OLAB)
Juliette Lelieur 1
Professeure de droit pénal à l’Université de Strasbourg, UMR DRES (7354)
(1) Les auteures remercient Alexandre Ultré pour ses explications techniques relatives à la technologie de la
blockchain et ses rapports avec l’anonymat (v. en particulier la troisième partie de l’article).
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organisation de type étatique 3. intermédiaire 6. Quant aux nombreuses
autres cryptomonnaies (ether, ripple,
Simultanément, un nouveau terreau litecoin, IOTA, dash, dogecoin, peer-
16 pour le blanchiment de capitaux voit coin, monero, etc.) 7, leur caractère plus
le jour 4. Réputées pour leur capacité ou moins opaque suscite d’importants
à garantir l’anonymat de leurs utilisa- doutes quant à l’honnêteté des échanges
teurs, les cryptomonnaies acquièrent qu’elles véhiculent. Dans le même
rapidement une renommée sulfureuse. temps, ces cryptomonnaies suscitent
De facto, elles supportent de nombreux la convoitise et constituent également
échanges illicites : trafic de stupéfiants la cible d’appropriation frauduleuse par
et d’armes, transactions liées à la cyber- des tiers au moyen de cryptojacking 8 ou
(2) Depuis l’Ord. no 2016-520 du 28 avr. 2016, l’art. L. 223-12 du code monétaire et financier (ci-après C. mon.
fin.) évoque la blockchain en tant que « dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authen-
tification [d’] opérations ». Pour une analyse approfondie de la blockchain, v. Ph. Rodriguez, La Révolution
Blockchain. Algorithmes ou institutions, à qui donnerez-vous votre confiance ?, Dunod, 2017 ; Primavera
de Filippi, Blockchains et cryptomonnaies, Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », no 4141, 2018. F. Marmoz (dir.),
Blockchain et droit, Paris, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2019.
(3) En 2018 toutefois, les premières cryptomonnaies étatiques sont créées (par les Iles Marshall et le Venezuela).
(4) Comme le souligne Y. Muller-Lagarde, La dimension criminelle des cryptomonnaies est quasi concomitante à leur
apparition, in Cryptomonnaies et LCB-FT : état des lieux, Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique
des Affaires no 1, févr. 2020. Étude 37 ; v. égal. A. Elkahwagy, La délinquance économique à l’heure du numé-
rique : Bitcoin, blanchiment et autres observations, Arch. Polit. Crim. 2017, no 39, p. 55-66.
(5) Le bitcoin a été créé en janvier 2009. En moins de dix ans, il est devenu une monnaie d’échange mondiale avant
que son cours, qui a prodigieusement augmenté jusqu’en déc. 2017, s’effondre précipitamment. Loin d’être
réservé aux activités criminelles, le bitcoin est apprécié des jeunes générations comme instrument de placement
financier. Il sert d’instrument courant de paiement au Japon (où il a cours légal) et en Corée du Sud. Pour une
étude approfondie, v. A. Takkal Bataille et J. Favier, Bitcoin : la monnaie acéphale, CNRS Éditions, 2017.
(6) V. égal. Bitcoin et darknet, les nouveaux outils des dealers européens, Euraktiv.fr, 1er déc. 2017
https://www.euractiv.fr/section/economie/news/bitcoin-et-darknet-les-nouveaux-outils-des-dealers-europeens/
(7) Qu’on appelle encore altcoin (alternatives au bitcoin). On compterait près de 1 600 cryptomonnaies dans le
monde. (https://masterthecrypto.com/breakdown-of-cryptocurrency-market/?lang=fr)
(8) « Utilisation clandestine de la puissance de calcul d’un ordinateur afin de “miner” des crypto-actifs au bénéfice
exclusif du cybercriminel », définition par J. Martinon, Crypto-actifs : la justice pénale à l’épreuve des crypto-
monnaies, Dalloz IP/IT 2019. 531 ; v. aussi W. O’Rorke, La mise en œuvre des obligations de LCB-FT par l’industrie
« crypto », Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des Affaires, févr. 2020. Étude 39.
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plus large que celle de monnaie cryp- « Tendances et analyses des risques de
tographique ou virtuelle 12, soient assu- blanchiments de capitaux et de finance-
jettis à la législation sur la lutte contre ment du terrorisme en 2017 et 2018 »,
le blanchiment et le financement du la cellule de renseignement financier 17
terrorisme (ci-après « LAB/FT »), qu’ils TRACFIN choisit le terme « crypto-ac-
soient agréés ou enregistrés, ainsi que tifs » et développe les risques LAB-FT
soumis à des systèmes efficaces de suivi associés. Puis les règles françaises sont
et de mise en conformité avec les pré- révisées au regard de la Recomman-
conisations des Recommandations du dation no 15 du GAFI, notamment pour
GAFI. Enfin, sont publiées en juin 2019 introduire la notion de crypto-actif. La
des lignes directrices relatives à l’ap- loi no 2019-486 du 22 mai 2019 relative à
proche par les risques appliquée aux la croissance et à la transformation des
« actifs virtuels et les prestataires de entreprises, plus connue sous le nom
service sur actif virtuel » 13, les « mon- de « loi PACTE », procède ainsi à un
naies virtuelles » de 2014 faisant doré- certain nombre d’ajustements, qui sont
navant place aux « actifs virtuels ». complétés par des dispositions décré-
(9) J. Martinon, Phénomènes criminels célèbres ou exotiques dans le champ des crypto-actifs, Dalloz IP/IT 2019. 534.
(10) FATF Report, Virtual Currencies. Key Definitions and Potential AML/CFT Risks, June 2014, http://www.fatf-gafi.
org/media/fatf/documents/reports/Virtual-currency-key-definitions-and-potential-aml-cft-risks.pdf
(11) Guidance for a risk-based approach. Virtual Currencies, https://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/reports/
Guidance-RBA-Virtual-Currencies.pdf
(12) V. le glossaire du GAFI, qui s’est vu complété des définitions des termes virtual asset (actif virtuel) et virtual asset
service provider (prestataire de service d’actif virtuel).
(13) Guidance for a Risk-Based Approach to Virtual Assets and Virtual Asset Service Providers, June 2019, http://www.
fatf-gafi.org/publications/fatfrecommendations/documents/guidance-rba-virtual-assets.html
(14) L’art. 1er pt 2 d) de la directive définit les cryptomonnaies comme des « représentations numériques d’une
valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui ne sont pas
nécessairement liées non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de
monnaie ou d’argent, mais qui sont acceptées comme moyen d’échange par des personnes physiques ou morales
et qui peuvent être transférées, stockées et échangées par voie électronique ».
(15) Ordonnance renforçant le dispositif français de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Hélène Lefebvre, Simon Polrot et Charles Abitbol, Blockchain : premier(s) pas vers la réglementation des « cryp-
tomonnaies » et autres actifs numériques, JCP E 2017, no 19, 1255.
(16) C. mon. fin., ancien art. L. 561-2, 7° bis.
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Si le GAFI et le législateur français ont (1). Si l’utilisation de jetons numériques
préféré le terme de crypto-actif à celui requiert une étape supplémentaire dans
de cryptomonnaie, c’est que les modes le processus de blanchiment, elle reste
18 opératoires pour blanchir des fonds à largement accessible d’un point de vue
partir de la technologie de la cryptogra- technique et peu contraignante d’un
phie dépassent l’utilisation des crypto- point de vue pratique (2).
monnaies (A). Comme ces modes opé-
ratoires répondent dans leur ensemble
à la définition juridique du blanchiment 1 - Exemple de blanchiment
de capitaux, ils justifient l’extension du à partir d’une cryptomonnaie
dispositif de prévention à tous les cryp-
to-actifs (B).
Une illustration classique est celle d’un
trafiquant de stupéfiants en possession
A - Les modes opératoires d’une somme importante d’argent de
de blanchiment à partir source délictueuse, qu’il veut investir
dans l’économie légale. Par exemple,
de la cryptographie il souhaite s’acheter un immeuble dans
une capitale européenne, Paris.
Par une opération de blanchiment, un
agent entend dissimuler l’origine de Afin de blanchir les fonds en cause,
fonds provenant d’une activité crimi- le trafiquant achète des valeurs dans
nelle pour leur donner une apparence une ou plusieurs cryptomonnaie(s) de
légale, afin de pouvoir les utiliser sans son choix, à partir d’une plateforme
attirer l’attention des autorités. Blan- d’échange hébergée dans n’importe quel
chir de l’argent à partir d’une cryp- État du monde. L’achat se fait par le
tomonnaie est techniquement simple biais d’un virement bancaire, en utilisant
pour qui manipule aisément internet un compte sur lequel auront été dépo-
sés les fonds provenant des activités blockchain fictive, ou subtiles telles des
délictueuses. Par précaution, ce compte opérations de manipulation de cours ou
ne laisse pas apparaître le nom du tra- des escroqueries de type Ponzi. C’est
fiquant mais se rattache à une socié- pourquoi TRACFIN conclut qu’« en ce
té-écran ou un prête-nom. La somme sens, les blockchains ne créent pas
investie en cryptomonnaie est ensuite véritablement de nouvelles méthodes
reconvertie en euros et transférée sur le d’escroquerie mais offrent un nouveau
compte bancaire d’une société française champ d’application pour les méthodes
qui ne présente aucun signe de recon- éprouvées » 17.
naissance par rapport au précédent
compte. Derrière la société française,
on trouve comme actionnaire principal B - L’application du dispositif
le trafiquant en tant que personne phy- anti-blanchiment à l’ensemble
sique ou une personne morale, qui a
elle-même comme actionnaire principal
des crypto-actifs
le trafiquant ou un prête-nom.
La définition juridique du blanchiment
Ainsi, le simple fait de convertir une d’argent est donnée par l’article 324-1
devise en cryptomonnaie(s) puis de du code pénal. Selon l’alinéa 1er de cette
reconvertir les valeurs cryptographiques disposition, « le blanchiment est le fait
dans la monnaie valant cours dans le de faciliter, par tout moyen, la justifica-
pays choisi pour l’investissement final tion mensongère de l’origine des biens
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est très efficace pour dissimuler l’ori- ou des revenus de l’auteur d’un crime
gine illégale des fonds. ou d’un délit ayant procuré à celui-ci
un profit direct ou indirect ». Selon
son 2e alinéa, « constitue également 19
2 - Exemple de blanchiment un blanchiment le fait d’apporter un
à partir d’un crypto-actif concours à une opération de placement,
non monétaire de dissimulation ou de conversion du
produit direct ou indirect d’un crime ou
d’un délit ». Le code pénal ne se réfère
S’agissant des levées de fonds en cryp- ni à la notion de monnaie, ni à la notion
to-actifs (Initial coin offering ou « ICO »), d’actif. Les termes employés sont ceux
l’accession à la qualité d’investisseur de biens, de revenus et de produit (d’un
permet à ce dernier de devenir porteur crime ou d’un délit). Il est donc néces-
de jetons. Une fois l’opération d’investis- saire de vérifier si les cryptomonnaies
sement effectivement réalisée, la justifi- et, plus généralement, les crypto-actifs,
cation de l’origine des fonds se rapporte entrent dans ces catégories juridiques
à cet investissement heureux dans un permettant de qualifier une opération de
projet financé par la levée de fonds. blanchiment.
(17) Rapport « Tendance et Analyse des risques de blanchiments de capitaux et de financement du terrorisme en
2016 », p. 63.
(18) C. mon. fin., art. L. 54-10-1, 2° : « Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie
par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie
ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des per-
sonnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée
électroniquement ». Cette définition découle de l’art. 1er pt 2 d) de la directive 2018/843 du 30 mai 2018.
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II - Le champ d’application de la réglementation LAB-FT
20
Historiquement créée pour les profes- Succédant à une première ébauche d’as-
sions financières, la réglementation sujettissement des professionnels des
LAB-FT impulsée par le GAFI n’a cessé cryptomonnaies par l’ordonnance du
d’étendre son champ d’application à 1er décembre 2016, la loi du 22 mai 2019
de nouveaux secteurs professionnels. prend en compte la nature des acteurs de
Sont ainsi concernés, outre le secteur l’écosystème blockchain pour créer deux
bancaire, financier ou des assurances, régimes distincts d’assujettissement (A)
de nombreuses professions « non et mobilise des institutions différentes
financières » telles les professions pour le contrôle et la sanction (B).
juridiques (notaires, avocats, etc.), le
secteur de l’immobilier, les casinos,
les bijoutiers, les professionnels de A - La dichotomie des régimes
l’art ou encore les agents sportifs. d’assujettissement
Aujourd’hui, la liste des profession-
nels assujettis est longue de dix-neuf
catégories de professions recensées à La réglementation LAB-FT innove à
l’article L. 561-2 du code monétaire et propos des professionnels du secteur
financier. des crypto-actifs en ce qu’elle prévoit
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7° ter et 7° quater 23, tous trois relatifs numériques, le cas échéant sous la
aux « prestataires de service sur actifs forme de clés cryptographiques privées,
numériques » (PSAN). Le périmètre de en vue de détenir, stocker et transférer
l’alinéa 7° bis a été étendu par l’or- des actifs numériques ». Se posait alors 21
donnance du 9 décembre 2020, qui lui la question de savoir si les entités qui ne
ajoute deux catégories de prestataires 24. fournissent qu’une technologie permet-
Il en résulte que sont désormais obli- tant de stocker des actifs ou des clés,
gatoirement assujettis les prestataires mais sans les contrôler elles-mêmes,
de quatre catégories de services : le étaient assujetties. Dans l’affirmative,
service de conservation, pour le compte cela revenait « à imposer des règles de
de tiers, d’actifs numériques ou d’accès lutte contre le blanchiment à un fabri-
à des actifs numériques, le cas échéant cant de porte-monnaie au motif que les
sous la forme de clés cryptographiques porte-monnaie permettent d’utiliser des
privées, […] ; le service d’achat d’ac- pièces » 26. Le décret no 2019-1213 du
tifs numériques à partir d’une monnaie 21 novembre 2019 a cependant défini
fiduciaire, ou de revente de ces actifs chaque service à l’article D. 54-10-1 du
contre une telle monnaie ; le service code monétaire et financier. La rédac-
d’échange d’actifs numériques contre tion du premier alinéa réintègre, sans
d’autres actifs numériques, encore toutefois la nommer expressément, la
appelé échange « crypto-to-crypto » ; notion de « portefeuille » en assujet-
enfin, l’exploitation d’une plateforme de tissant les entités proposant le service
négociation d’actifs numériques. d’accès, pour le compte de tiers, actifs
(23) L’art. L. 561-2, 7° bis du C. mon. fin. vise « les prestataires des services mentionnés aux 1° et 2° de l’article
L. 54-10-2 ». L’art. L. 561-2, 7° ter concerne « les émetteurs de jetons ayant obtenu le visa mentionné à l’article
L. 552-4 dans le cadre de l’offre ayant fait l’objet du visa et dans la limite des transactions avec les souscripteurs
prenant part à cette offre ». L’art. L. 561-2, 7° quater est relatif aux « prestataires agréés au titre de l’article
L. 54-10-5, à l’exception des prestataires mentionnés au 7° bis du présent article ».
(24) Il s’agit des alinéas 3° et 4° de l’art. L. 54-10-2 du C. mon. fin.
(25) Ce sont les auteures qui soulignent.
(26) Député Person, Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transforma-
tion des entreprises, 6 mars 2019, séance de 22 heures, Compte rendu no 30.
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termédiation consistant à recevoir des un « souci d’allègement de la procédure
fonds de l’acheteur de bitcoins pour » 31, à comprendre par l’accélération des
les transférer au vendeur de bitcoins délais pour l’enregistrement.
22 [relevait] de la fourniture de services de
paiement », qu’ainsi elle « [impliquait]
de disposer d’un agrément ». Cet agré- 2 - L’assujettissement optionnel
ment était délivré à certaines conditions,
notamment celle de mettre en place « À côté de l’assujettissement de plein
un dispositif de contrôle interne et des droit, les alinéas 7°ter et 7°quater de
mesures de vigilance en matière de lutte l’article L. 561-2 du code monétaire et
contre le blanchiment et le financement financier proposent un régime d’assujet-
du terrorisme » 27. La loi PACTE a enté- tissement volontaire pour les émetteurs
riné cette position en opérant un simple de jetons 32 et les autres prestataires
changement sémantique puisqu’elle de service sur actifs numériques 33.
prévoit l’« enregistrement » des assu- En d’autres termes, les émetteurs de
jettis de plein droit « avant d’exercer jetons et ces « autres » prestataires de
leur activité » 28. L’article D. 54-10 issu services ne sont assujettis à la régle-
du décret du 21 novembre 2019 renvoie mentation LAB-FT que s’ils en font la
au règlement général de l’Autorité des demande. L’assujettissement option-
marchés financiers « pour de ce qui est nel concerne l’ensemble des services
des documents à renseigner par les assimilables à des services financiers
demandeurs ». Faisant bon usage de en rapport avec des crypto-actifs, tels
(27) Position 2014-P-01 de l’ACPR relative aux opérations sur bitcoin en France, 29 janv. 2014.
(28) C. mon. fin., art. L. 54-10-3.
(29) Instruction AMF-DOC-201-9-23.
(30) C. mon. fin., art. L. 54-10-3 al. 4.
(31) Rapp. au président de la République accompagnant l’ord. no 2020-1544.
(32) C. mon. fin., art. L. 552-4 : « Préalablement à toute offre au public de jetons, les émetteurs peuvent solliciter
un visa de l’Autorité des marchés financiers ».
(33) C. mon. fin., art. L. 54-10-5 : « Pour la fourniture à titre de profession habituelle d’un ou plusieurs services men-
tionnés à l’article L. 54-10-2, les prestataires établis en France peuvent solliciter un agrément auprès de l’Autorité
des marchés financiers, dans des conditions prévues par décret ».
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contrainte 35. partage ou une concurrence entre les
autorités concernées ?
La dichotomie de régimes d’assujet-
tissement et ses conséquences sur la En ce qui concerne le contenu et les 23
compétence des autorités de contrôle modalités de contrôle et de sanction, la
et de sanction poseront la question loi PACTE n’apporte pas de nouveauté.
de la qualification des services offerts Elle ne fait qu’assujettir de nouveaux
par les prestataires. La lettre de la professionnels au dispositif de contrôle
loi opère une distinction nette entre et de sanction existant. Ainsi, est d’abord
les services, mais la pratique ne s’ac- prévue une phase de contrôle, sur pièce
commode pas toujours des catégo- et sur place, au cours de laquelle l’auto-
ries préétablies. Par exemple, une rité de contrôle peut se faire communi-
plateforme de négociation permettant quer tout document par l’entité contrô-
aux traders d’acheter et de vendre lée, ordonner la conservation de toute
des crypto-actifs pourrait tout à fait information, recueillir des explications
parallèlement développer, de manière auprès des personnes agissant pour
directe ou indirecte, des services de le compte ou sous l’autorité de l’entité
conseil financier. Il reviendra à la contrôlée et vérifier auprès de tiers les
jurisprudence de trancher la question informations obtenues. Elle peut enfin
de qualification définitive et d’en tirer accéder aux locaux professionnels.
les conséquences pour le régime d’as- Plus concrètement, il s’agit d’examiner
sujettissement. l’existence et le contenu des documents
(34) S. Polrot, La régulation LCB-FT face à l’émergence des cryptomonnaies, Revue Internationale de la Compliance et
de l’Éthique des Affaires, févr. 2020. Étude 38. En faveur de « l’optionnalité », v. W. O’Rorke, La mise en œuvre
des obligations de LCB-FT par l’industrie « crypto », Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des
Affaires, févr. 2020. Étude 39.
(35) C. Le Moign, ICO Françaises : un nouveau mode de financement, AMF, nov. 2018, p. 23.
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la charge des professionnels assujettis effet, une raison pouvant inciter un
à la réglementation LAB-FT peuvent délinquant à blanchir de l’argent par le
être regroupées en quatre ensembles. biais des crypto-actifs est l’anonymat
24 Le premier consiste en l’identifica- que semble lui conférer ce procédé. En
tion, l’évaluation et la classification des particulier, pour acheter des valeurs en
risques de blanchiment auxquels est cryptomonnaies, nul besoin de rencon-
exposé le professionnel en raison du trer le professionnel (comme on ren-
service qu’il propose 36. Le deuxième contre un agent immobilier) ni de lui
se rapporte à l’obligation d’identifica- communiquer son nom et son prénom
tion du client, acteur potentiel d’une (comme on se présente à son banquier).
opération de blanchiment. Cette obliga- L’achat se fait en ligne, à partir d’une
tion est couramment appelée know your adresse e-mail dont le libellé est entiè-
customer (KYC). Le professionnel doit rement choisi par l’utilisateur et d’un
en troisième lieu analyser l’objet et la compte bancaire qui ne porte pas néces-
nature de la relation d’affaires avec son sairement le nom de cet utilisateur. Le
client afin d’être en mesure de détecter recours aux crypto-actifs paraît donc
d’éventuelles transactions anormales. propice à la disparition des traces du
Enfin, quatrièmement, le professionnel délinquant.
qui n’a pu écarter les doutes qu’il s’est
forgés en remplissant ses obligations Le dispositif légal de prévention du
précédentes, quant à l’existence d’une blanchiment tente de remédier à cette
opération suspecte, doit procéder à situation en imposant aux profession-
une déclaration de soupçons auprès de nels assujettis d’identifier leur client
la cellule de renseignement financier (A). Il reste que les professionnels non
TRACFIN. assujettis du secteur des crypto-actifs
échappent à cette réglementation et que
Au regard de la technologie blockchain, des situations spécifiques, propres à
l’obligation d’identification du client la technologie blockchain et à d’autres
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le professionnel doit se procurer les blockchain n’est autre qu’un gigantesque
statuts de la personne morale afin de registre informatique, infalsifiable et
rechercher les bénéficiaires effectifs des indestructible. Chaque utilisateur dis-
transactions réalisées pour le compte de pose d’une copie identique du registre 25
la personne morale. entier et peut, par la preuve cryptée
irréfutable de l’ensemble des transac-
Les professionnels du secteur des cryp- tions réalisées sur la blockchain depuis
to-actifs assujettis sont tenus de res- l’origine, reconstruire l’historique com-
pecter l’article L. 561-5 du code moné- plet des transactions d’un portefeuille
taire et financier. En particulier, les donné. Il en résulte que la traçabilité des
plateformes d’échange permettant de transactions effectuée est totale. Certes,
se procurer des cryptomonnaies à partir une transaction en cryptomonnaie se fait
d’une monnaie fiduciaire doivent iden- à partir d’un portefeuille numérique dont
tifier leurs clients avant de leur vendre l’identifiant est un numéro. Le porte-
ou de leur acheter des cryptomonnaies. feuille n’est donc pas directement relié
La création d’un portefeuille de crypto- à une personne mais son numéro ren-
monnaies nécessite donc, selon la loi, voie à un nom, qui peut encore être un
de rompre avec l’anonymat –l’interdic- pseudonyme. Plutôt que d’anonymat, il
tion de l’anonymat de l’article L. 561-14 est plus correct d’évoquer le « pseudo-
est du reste étendue aux prestataires nymat ». L’énigme peut généralement
de services d’actifs numériques obli- être levée du fait que l’utilisateur du
gatoirement assujettis depuis l’ordon- pseudonyme opère à partir d’un ordina-
nance du 9 décembre 2020. Cependant, teur qui est connecté à internet par le
un assouplissement traditionnel de la biais d’une adresse IP. Or l’adresse IP
réglementation LAB-FT est prévu à l’ar- renvoie nécessairement au nom d’une
ticle R. 561-10 du code monétaire et personne. Si le chemin est long, il mène
financier pour les clients occasionnels, in fine à l’identification d’une personne.
(37) Y. Burnichon, De quelques facettes de la mission d’enquêteur financier face aux fraudes numériques, AJ pénal
2014. 62.
(38) S. Polrot, op. cit.
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à tous les ressortissants et résidents pour acquérir des cryptomonnaies par
français 40. Dans ce même sens, le GAFI minage. Au fil des opérations, qui sont
a publié le 6 mars 2020 des Lignes certes longues, l’argent provenant du
26 directrices sur l’identité numérique. Il crime se transforme en cryptomonnaie.
poursuit l’idée que, correctement utili- Cependant, la loi n’impose nullement
sée, l’identité numérique a le potentiel aux mineurs de s’identifier avant d’opé-
de réduire les risques LAB-FT 41. rer sur la blockchain. Une faille apparaît
ici dans le dispositif de prévention du
blanchiment.
B - Les situations d’absence
d’identification du client
2 - Les techniques numériques
d’organisation de l’anonymat
Le monde numérique possède ses
retranchements. L’identification du client
est parfois tenue en échec en raison Bien conscients des aptitudes à la traça-
de la technologie employée pour créer bilité de la blockchain, les utilisateurs de
les monnaies cryptographiques (1) ou cryptomonnaies désirant bénéficier d’un
des systèmes sophistiqués spécialement réel anonymat peuvent recourir à des
conçus pour organiser l’anonymat (2). technologies spécialement développées
pour reconquérir cet anonymat dans le
monde numérique.
1 - Le blanchiment par minage
La première d’entre elles consiste à
De manière anecdotique, évoquons une masquer l’accès de l’utilisateur à la
façon peu commune de se procurer blockchain, en plaçant un outil inter-
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à l’autre en application d’un algorithme sont pas en mesure de le vérifier, mais
faisant un important usage du hasard. ils sont en contrepartie assurés que leur
Chaque utilisateur endosse le rôle d’ex- portefeuille Monero ne pourra pas être
péditeur pour le suivant, si bien que relié à leur identité. 27
nul ne peut savoir qui est l’expéditeur
réel des données. Pour aller plus loin Enfin, on peut échapper à la traçabilité
encore, un dernier outil a été développé, de la blockchain en s’attaquant au cœur
l’I2P (Invisible Internet Project). Le fonc- du problème, c’est-à-dire en anéantis-
tionnement ressemble beaucoup à celui sant l’enregistrement systématique des
de TOR, avec une différence notable : les transactions. Pour cela, certaines cryp-
connexions des utilisateurs sont grou- tomonnaies fonctionnent à partir d’une
pées de façon à mieux se noyer dans la preuve de calcul qui s’abstient d’enre-
masse. gistrer l’historique des transactions. La
création d’une unité monétaire se pro-
Une autre technique est celle du dépôt duit alors sans laisser de trace. On parle
fiduciaire auprès d’un tiers. Elle était de preuve de calcul sans divulgation de
utilisée par Silkroad. Lors d’une tran- connaissance (Zero-Knowledge-Proof ou
saction, la somme devait d’abord être ZKP). La blockchain est toujours là, mais
déposée auprès d’un tiers de confiance sans mémoire. Les unités monétaires
– ici Silkroad – qui ne la reversait au ont un historique vierge. Ces cryptomon-
vendeur qu’une fois que la marchandise naies véritablement anonymes existent
avait été reçue par l’acheteur. Pour l’ex- bel et bien, par exemple Zcash (ZEC),
péditeur de la somme, l’intérêt d’éviter Pivx (PIVX), Komodo et Zcoin (XZC).