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LA PROPAGANDE FESTIVE DE VICHY

Mythes fondateurs, relecture nationaliste et contestation en france de 1940 à 1944


Rémi Dalisson

Presses Universitaires de France | « Guerres mondiales et conflits contemporains »

2002/3 n° 207 | pages 5 à 35


ISSN 0984-2292

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Pour citer cet article :


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Rémi Dalisson, « La propagande festive de Vichy. Mythes fondateurs, relecture
nationaliste et contestation en france de 1940 à 1944 », Guerres mondiales et
conflits contemporains 2002/3 (n° 207), p. 5-35.
DOI 10.3917/gmcc.207.0005
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LA PROPAGANDE FESTIVE DE VICHY
Mythes fondateurs,
relecture nationaliste et contestation
en France de 1940 à 1944

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Si l’attitude des Français sous l’occupation fait l’objet de nombreuses


études, les vecteurs quotidiens de l’idéologie vichyste n’ont pas encore tous
été recensés. En effet, s’il n’est guère contestable qu’à Vichy « la sauve-
garde, mais aussi l’utilisation du moral furent les soucis prioritaires des gou-
vernants et [que] la propagande devint [...] une arme de choix »1, les ques-
tions de la perception des choix gouvernementaux par les Français et des
réactions aux tentatives d’encadrement social restent posées. Il est donc
pertinent, pour mieux comprendre la réalité du régime, de croiser l’étude
des relais2 idéologiques du pouvoir dans la vie quotidienne (l’école, la
légion, l’armée, les corporations...) avec celle des supports de propagande
d’un régime autoritaire comme les affiches, la presse, la radio ou le cinéma.
Or, depuis longtemps, une pratique sociale et culturelle rassemblait ces
indicateurs : les fêtes publiques. Elles formaient en effet depuis toujours, et
plus encore depuis 17893, un espace de sociabilité éloquent et populaire,
malléable selon les choix idéologiques des gouvernements.
C’est pourquoi les cérémonies publiques4, essentiellement nationales5,
devinrent vite l’un des éléments clés de la propagande de Vichy. Par leurs
références, par leurs organisations et leurs programmes, elles incarnèrent
son idéologie et leur scénographie révéla la modernité et les ambiguïtés de
la nouvelle vulgate officielle. Mais elles furent aussi des moments d’ex-

1. J.-P. Azema et O. Wieviorka, Vichy, 1940-1944, Paris, Perrin, 1997, p. 110.


2. Nous empruntons ici le titre du second chapitre de La propagande sous Vichy, 1940-1944,
L. Gervereau et D. Pechanski (éd.), Nanterre, BDIC, 1990.
3. Voir R. Dalisson, De la Saint-Louis au cent-cinquantenaire de la révolution, thèse, 1997, Paris I,
Presses du Septentrion, 1999, et O. Ihl, La fête républicaine, Paris, Gallimard, 1995. Pour les époques
précédentes, J. Jacquot, La fête princière, Histoire des spectacles, G. Dumur (éd.), Paris, Gallimard,
1965, ou Y.-M. Bercé, Fêtes et révoltes, Paris, Hachette, 1973.
4. Par publiques, nous entendrons définies et organisées par l’État, même s’il est évident que le
retour en grâce de l’Église en faisait un partenaire du pouvoir et un acteur privilégié des fêtes.
5. Nous nous limiterons aux fêtes nationales. Les fêtes locales furent nombreuses sous Vichy,
organisées soit par des association, soit par des municipalités. Elles méritent à elles seules un traitement
particulier que nous faisons pour notre Habilitation à diriger des recherches (HDR).
Guerres mondiales et conflits contemporains, no 207/2002
6 Rémi Dalisson

pression populaire où les Français témoignèrent de leurs préoccupations et


de leur perception des politiques centrales. Les cérémonies publiques
furent donc une synthèse entre les volontés du pouvoir et la réalité, un
espace de sociabilité entre les gouvernants et les citoyens qui en disait long
sur le rapport qu’entretinrent les Français avec la Révolution nationale. Si
certaines fêtes sont bien connues, comme la fête des mères6, il n’y a pas
d’étude générale, théorique et pratique, sur ce sujet7 qui fasse ressortir les
différences entre les projets festifs et leur réalité.
Nous tenterons donc, à travers l’étude de plus de 300 cérémonies
réparties sur l’ensemble du territoire8 entre 1940 et 1944, de définir le sys-
tème festif du régime, pivot d’une nouvelle didactique nationale et auto-

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ritaire. Puis nous le confronterons au déroulement des cérémonies, à leur
chronologie, leurs programmes et réalisations. Nous comprendrons alors,
grâce aux incidents qui s’y produisirent9, les réactions populaires aux
choix du pouvoir. Ainsi se dessinera la complexité du vecteur propagan-
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diste que furent les fêtes de 1940 à 1944, et leur instrumentalisation par le
pouvoir comme par les Français. Ces pratiques mettront en évidence
l’ambivalence du régime et les hésitations d’une société bouleversée dans
ses références idéologiques, mais qui parvint à s’exprimer dans l’espace
clos des fêtes. L’ensemble constitua un héritage contrasté, dont les traces
subsistent encore aujourd’hui, malgré les errements de la mémoire10 de
cette période.

I. LE SYSTÈME FESTIF DE VICHY : RÉNOVATION ET SYNCRÉTISME

Très tôt, « pour imposer la diffusion des principes de la Révolution


nationale qui remodèlerait la société française pervertie par le régime
défunt, la propagande devint un instrument de gouvernement indispen-
sable »11. Dès le 16 juin 1940, le Maréchal en avait fait un objectif prio-
ritaire12 en contrôlant l’information par un « haut commissariat à la Pro-
pagande ». Sa transformation en octobre en « secrétariat général à
l’Information », puis les événements du 13 décembre qui ouvrirent la voie
à la « tentative d’encadrement total de la société » (D. Pechanski) de

6. Voir F. Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Paris, Le Seuil, 1996, notamment p. 135-151.
7. À l’exception d’A. Ben Amos, La commémoration sous le régime de Vichy : les limites de la
maîtrise du passé, La France démocratique, Mélanges Maurice Agulhon, C. Charles, J. Lalouette,
M. Pigenet et A.-M. Sohn (éd.), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 397-408.
8. Les fêtes vues appartiennent aux deux tiers à la zone occupée, le reste à la zone libre jus-
qu’en 1942.
9. Par incidents, nous entendrons des événements politiques ou symboliques qui remontèrent
jusqu’au pouvoir central et influèrent sur le déroulement des cérémonies.
10. Voir H. Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990, et E. Conan
et H. Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, 1994.
11. C. Levy et D. Veillon, Propagande et modelage des esprits, J.-P. Azéma et F. Bedarida (éd.),
Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 184.
12. Voir D. Pechanski, Encadrer et contrôler, La propagande sous Vichy..., op. cit., p. 10-31.
La propagande festive de Vichy 7

P. Marion achevèrent le processus en 1941. Les moyens administratifs et


techniques d’une propagande de masse étant en place, il restait à leur
trouver d’efficaces relais dans la société. Les fêtes jouèrent alors le rôle de
passerelle entre les anciens acquis didactiques et l’idéologie nouvelle.

1. Un cadre législatif souple et ambigu


Le pouvoir eut à gérer, dans ce domaine comme en beaucoup
d’autres, l’héritage républicain. La République avait en effet institution-
nalisé les didactiques festives et civiques à travers le 14 juillet et les céré-

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monies nationales occasionnelles (enterrements, centenaires), véritables
liturgies civiles qui devinrent, « avec l’armée et l’école, l’un des vecteurs
privilégiés de l’idée républicaine »13. Pour Vichy, ces célébrations avaient
été les pourvoyeuses des fameux « mensonges qui vous ont fait tant de
mal ». Cependant, puisqu’il fallait ne rien « épargner, ni les activités col-
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lectives, ni les cérémonies pour s’attirer les faveurs de la population »14, on


ne pouvait tirer un trait sur des habitudes festives apprises dans les écoles
et les casernes. Le régime choisit donc de conserver quelques principes
républicains pour les ré-interpréter et en faire les supports de sa propa-
gande. Il légiférera donc d’abord pour encadrer des cérémonies qui
n’obéissaient qu’à des textes républicains.
Légiférer ne posa pas de problèmes à un pouvoir atteint de « bou-
limie » législative et qui accrut considérablement les crédits consacrés aux
services de propagande, notamment ceux destinés aux fêtes nouvelles15.
Mais, contrairement aux régimes précédents issus de 178916, il n’y eut pas
de grand texte fondateur sur les fêtes. Il est vrai qu’on touchait là aux
domaines culturels et éducatifs pour lesquels le régime poursuivit, plus ou
moins explicitement, les politiques antérieures, y compris celle du Front
populaire17. Cependant, quelques précautions étaient nécessaires. Dès la
mi-juillet 1940, les autorités d’occupation définirent, en concertation
avec Vichy, le cadre des manifestations publiques et festives autorisées.
Bien entendu, dans la zone occupée, « toutes les manifestations publiques
et rassemblements, les réunions de partis ou sociétés politiques restent
interdits »18. En zone libre, les règlements relevaient directement de

13. C. Amalvi, Du dies irae à jour de fête, p. 422, dans P. Nora, Les lieux de mémoire, t. I, Paris,
Gallimard, 1984.
14. R. O. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Paris, Le Seuil, « Points », 1973, p. 214.
15. C. Levy et D. Veillon, dans leur article « Propagande et modelage des esprits », op. cit., par-
lent de crédits qui passèrent de 45 à 76 millions de francs entre 1942 et 1943.
16. Voir les innombrables propositions de lois sur les fêtes publiques de la période 1789-1814,
dans J.-P. Bois, Histoire des 14 juillet, 1789-1919, Rennes, Ouest-France, 1991. Pour la suite, nous
avons relevé 351 textes régissant les fêtes de 1815 à 1939 dans R. Dalisson, De la Saint-Louis..., op. cit.
17. Voir P. Ory, La politique culturelle sous Vichy : ruptures et continuités, dans Pratiques et
politiques culturelles dans la France de Vichy, J.-P. Rioux (éd.), Cahiers d’histoire du temps présent, n° 8,
Paris, CNRS, 1988.
18. Instructions sur les fêtes, Feldkommandant de Rouen et Caen au préfet, 27 juillet 1940, AD
Seine-Maritime (AD S-M), 51 W 0176.
8 Rémi Dalisson

Vichy, par l’intermédiaire du préfet, de la police et des services de propa-


gande, à condition de ne pas donner prétexte à des manifestations poli-
tiques et anti-allemandes.
Par manifestations publiques, l’occupant entendait « cortèges, défilés,
réunions et autres manifestations sur la voie publique »19. Les autres mani-
festations, notamment les réunions fermées ou privées de sociétés, ami-
cales et unions, étaient soumises à autorisation de l’occupant (de la police
de sûreté plus précisément) et de l’administration française. De même les
sociétés, piliers des fêtes, dépendaient du bon vouloir de la Feldkomman-
dantur. Enfin, une ordonnance allemande du 28 août 1940 précisait : « Les
réunions, cortèges et défilés, ainsi que le pavoisement des immeubles sont

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interdits »20 en zone occupée. Seules les réunions, les jours de fêtes, de
corporations de droit public n’étaient pas soumises à une telle déclaration.
Des arrangements restèrent cependant possibles et pas seulement dans
la zone libre. En zone occupée, la réalité fut contrastée. Ainsi à Rouen, le
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« commissariat général à la Famille » rappela, à propos la fête des mères


de 1942, que : « Si les manifestations publiques ne sont réalisables que
dans les grandes agglomérations, les démonstrations plus intimes sont pos-
sibles partout »21. Les autres points de la réglementation des fêtes étaient
renvoyés à chacune des différentes dates retenues, à la seule condition de
respecter les nouveaux usages en matière de préséance et symbolique. Si
l’ordre des défilés ne changea guère par rapport aux lois de 1907 et de
messidor an XII, hormis pour les sociétés non conformes, la politique des
emblèmes autorisés dut évoluer.
Avant même les premières cérémonies, les préfets de la zone occupée
réclamèrent en effet avec insistance « le drapeau tricolore sur les édifices
publics occupés [car il] aurait une bonne influence sur l’état d’esprit de
l’opinion »22, d’autant que leurs collègues de zone libre pouvaient en dis-
poser librement. Embarrassé, le pouvoir dut louvoyer entre la popularité
des symboles républicains, les exigences de l’occupant et celles de la
Révolution nationale. La loi de juin 1941, dans son article sur les emblè-
mes nationaux, les hymnes et les sonneries aux morts aux fêtes publiques,
répondit en partie à ces demandes en autorisant les trois couleurs et le
garde-à-vous, sur autorisation préfectorale, dans les deux zones du pays.
On adjoignait à ces signes républicains le salut vichyste, bras tendu, pour
les légionnaires et groupes de jeunesse. Pour le reste, toute latitude était
laissée aux autorités locales et préfectorales en matière de symbolique

19. Préfet de Seine-Inférieure à la gendarmerie et à la police, 26 mai 1942, à propos de la fête


des mères, AD S-M, 2 Z 596.
20. Rapport de la délégation générale du gouvernement français dans les territoires occupés au
maréchal Pétain, à propos du 11 novembre, 21 octobre 1940, Archives nationales (AN),
série F60/476.
21. Lettre du commissariat général à la Famille aux préfets, sur la fête des mères, 15 mai 1942,
AD S-M, 2 Z 596, et AD Gironde.
22. Lettre du chef du gouvernement au secrétariat d’État, délégué général du gouvernement
français en territoires occupés, mars 1941, AN, F60/476.
La propagande festive de Vichy 9

festive pour gérer les traces du passé. Chaque cérémonie généra donc,
entre le possible et le souhaitable, ses propres codes pour expliciter ses
références.

2. Relecture et instrumentalisation des fêtes républicaines


Le gouvernement agit rapidement puisque, trois jours après le vote
des pleins pouvoirs, venait le symbole détesté du 14 juillet. Dans un pays
qu’il fallait remodeler, le pouvoir choisit de conserver les principales fêtes
nationales pour les revisiter. Puis, avec le temps, d’autres célébrations
originales vinrent les compléter23. Le nouveau système festif se composa

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de neuf fêtes nationales, cinq régulières et quatre occasionnelles, total
impressionnant en quatre ans24. Quatre des cérémonies régulières étaient
des héritages de la IIIe République, seule la cinquième, la « Fête du tra-
vail et de la concorde nationale », étant une création. Il s’agit, à travers
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ces quatre occasions, d’instrumentaliser des legs bien ancrés dans les
mentalités.
a / Images viriles et militaires : le 14 Juillet et les 1er-11 Novembre
Chronologiquement, la plus ancienne des célébrations fut le 14 Juillet
rebaptisé Cérémonie en l’honneur des Français morts pour la Patrie. Il fut pris
en charge, pour la zone Nord, par la « délégation générale du gouverne-
ment dans les territoires occupés », en liaison avec les Allemands du
« gouvernement militaire d’occupation » et, pour la zone Sud, par le
ministère de l’Intérieur. C’est pourquoi, dès le 10 juillet, une circulaire de
Pétain, encore président du conseil, précisait que : « Le gouvernement a
décidé que le 14 Juillet, fête nationale, devait être marqué cette année du
signe de deuil et du recueillement. C’est vers les glorieux morts de la der-
nière campagne, dignes par leur héroïsme, parfois désespéré, de leurs vic-
torieux devanciers de la guerre de 1914-1918 que doivent monter nos
pensées »25. En zone Nord, si la cérémonie, comme toutes les manifesta-
tions et les pavoisements, était interdite, elle restait fête légale chômée et
la loi de 1880 n’était pas abrogée. En zone Sud, la fête devait être orga-
nisée en cérémonies aux monuments aux morts, avec drapeau en berne,
minute de silence, sonnerie aux morts, cérémonie religieuse et défilé mili-
taire en présence des autorités. Cette fête embarrassait le pouvoir qui, ne
pouvant se résoudre à supprimer une occasion aussi fédératrice, choisit de
lui donner un double sens.

23. Voir annexe 1.


24. À titre de comparaison, il y eut trois fêtes nationales régulières pour la IIIe République,
une pour le second Empire, deux pour la IIe République, deux pour la monarchie de Juillet et deux
pour la Restauration (voir R. Dalisson, op. cit.). Les régimes courts comme la IIe République et
Vichy furent les plus prolixes en célébrations pour rendre le changement politique et symbolique
irréversible.
25. Circulaire aux préfets, sous-secrétaire d’État à la présidence du conseil R. Alibert, 10 juil-
let 1940, AN, F60/476.
10 Rémi Dalisson

D’abord celui d’une cérémonie expiatoire, conservée à titre de souve-


nir des erreurs du passé. Ce jour-là, on devait réécrire l’histoire, selon la
grille des historiens nationalistes, tout en laissant s’exprimer dans la presse
les critiques les plus vives. Surtout, il fallait exalter le sacrifice des Français,
fourvoyés dans une « drôle de guerre » voulue par la République, héri-
tière de celle de 1792. En honorant les morts de 1940 avec ceux de la
Grande Guerre, on éludait le sens républicain du 14 Juillet pour ne retenir
que celui de la douleur et de l’héroïsme qui transcendait les clivages. Ce
culte des morts complétait celui rendu à la terre des ancêtres et permettait
de louer la force. La religion y fut donc privilégiée, en une sorte de
réponse spirituelle à la laïcité funeste de la République.

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Dès l’année suivante, ce sens fut complété. Si le 14 Juillet fut
conservé, à la grande fureur des collaborationnistes, notamment Je suis par-
tout26, il ne devait plus être marqué par aucune fête, hormis les messes et
palmes aux monuments aux morts en raison du « deuil de la Patrie »
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(F. Darlan). On ne parlait plus de fête nationale, mais d’une fête légale ou
chômée qui devint, surtout en zone Sud, « l’anniversaire du jour qui a vu
le maréchal Pétain prendre le titre de chef de l’État français ». Associer le
14 Juillet au 11 contribuait au culte de la personnalité du Maréchal et à
celui de la Révolution nationale. En même temps, les protestations
« spontanées » contre son maintien étaient encouragées. À Marseille, un
particulier se plaignait que « le 14 Juillet ne peut demeurer un symbole et
un idéal pour la France nouvelle »27 et demandait son rattachement à la
fête de Jeanne d’Arc qui elle seule « peut encore réaliser l’unanimité des
Français ». À Rennes, un ancien militaire écrivait, en citant Funck-
Brentano, que le 14 Juillet devait disparaître car « il n’avait été qu’un
hideux jour de soulèvement de gens sans cœur, en grande partie des ban-
dits [...] et beaucoup d’étrangers ».
Le second anniversaire prêta moins à contestation puisqu’il s’agissait
du 11 Novembre. Le pouvoir ne pouvait renier le souvenir de la Grande
Guerre, élément essentiel de la mythologie pétainiste et cérémonie struc-
turante de la mémoire de guerre28. Mais il ne fallait pas trop heurter les
Allemands qui, en masquant le monument aux morts de Rethondes,
avaient montré leur souci de gommer le passé cérémoniel du conflit. Le
régime maintint donc la loi d’octobre 1922 tout en modifiant l’intitulé de
la fête. Si elle garda le titre de « commémoration nationale » dans les ins-
tructions du Maréchal du 23 octobre 1940, elle ne fut plus ni chômée ni
pavoisée. Seuls des services religieux, des minutes de silence et des gerbes
aux monuments en rappelaient l’origine en zone Sud. Au nord, le délégué
du gouvernement français dans les territoires occupés estimait « que cet

26. Le numéro du 14 juillet 1941 fustigeait l’anniversaire d’un jour « déshonoré par les
émeutes ».
27. Lettre au maréchal Pétain, préfecture des Bouches-du-Rhône, 17 février 1941, AN,
F60/476.
28. Voir R. Dalisson, Le 11 Novembre ou l’enjeu de la célébration de la mémoire combattante
dans l’entre-deux-guerres, Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 192/1998, p. 5-23.
La propagande festive de Vichy 11

anniversaire doit être commémoré par un hommage aux morts de 1914-


18 [...] conservant les caractères de simplicité et de discrétion qu’imposent
les circonstances »29.
Sur le terrain, il fut concurrencé par le 1er novembre qui fit office de
célébration politico-religieuse appelée « Cérémonie en souvenir des
morts », au point de remplacer le 11 Novembre à Toulouse, Évreux ou
Rouen en 1940. Il prit donc un nouveau nom et devint, dès 1941, la
Cérémonie en l’honneur des morts de 1914-18 et 1939-40 fixée entre le 1er
et 11 novembre. En rassemblant les morts de la Grande Guerre guidés
par Pétain et ceux de la campagne de France, et en les plaçant sous
l’égide de la Toussaint, il magnifiait le sacrifice des pères et soulignait la

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mort inutile des fils tombés à cause de la République et du Front popu-
laire. Les valeureux soldats de 1914 pouvaient alors s’entendre avec
l’ennemi d’hier puisqu’ils avaient été trahis par ceux qui les avaient
menés au combat. Un pont était jeté entre les héroïsmes passés et pré-
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sents et le Maréchal, qui avait sauvé ceux de 1914, devait sauver une
nouvelle fois ceux de 1940. Le seul sentiment à exprimer ce jour-là était
donc la douleur, le deuil et... la discrétion. Les minutes de silence furent
dédiées aux « victimes des deux guerres » comme à Vichy en 1941, tan-
dis que les cérémonies, en zone libre, devaient « rappeler les principes du
redressement national, les mots “travail, famille, patrie” »30 et rester « une
journée de recueillement réfléchi selon les principes du chef de l’État »31
pour méditer sur les funestes effets de l’ « esprit de jouissance ». Le pilier
de la fête fut donc l’Union nationale des combattants (UNC), grand vivier
de cadres maréchalistes et incarnation d’un dolorisme autoritaire qui
convenait bien au régime.
Tout cela sentait encore beaucoup la mort et les funestes souvenirs.
Mais le système festif républicain offrait d’autres occasions festives plus
positives.
b / Images maternelles, féminines et héroïques
La famille, cellule de base de la société future, fut un des piliers de la
propagande et de l’imaginaire du régime. Deux fêtes, d’origine républi-
caine, permirent de propager ses valeurs tout en bénéficiant des infrastruc-
tures passées.
La plus importante fut la fête des mères rebaptisée Journée des mères de
famille françaises. Célébrée entre les 20 et 30 mai, elle restait régie par la loi
d’avril 1926 dont le contenu convenait à un régime nataliste soucieux de
protection de la « race ». En effet, créée à l’instigation du « Conseil supé-
rieur de la natalité et des ligues de défense des familles nombreuses » et
objet, à l’époque, d’un large consensus après les hécatombes de la Grande

29. Lettre au maréchal Pétain, le 21 octobre 1940, AN, F60/476.


30. Lettre de Carcopino aux recteurs, 7 novembre 1940, AN, F60/476.
31. Lettre de Tixier-Vignancourt, chef des services cinéma et radio à la flotte française,
24 octobre 1940, idem.
12 Rémi Dalisson

Guerre, elle semblait fédératrice. La médaille créée en 1926 pour récom-


penser les mères modestes d’au moins cinq enfants le prouvait. Politique
sociale, patriotisme et fécondité correspondant aux volontés nouvelles,
l’occasion fut vite annexée. Son faible succès dans l’entre-deux-guerres32
permettait en outre d’accuser une nouvelle fois la République de tous les
maux. Cette cérémonie, « propagande de grande envergure, pénétrant
dans les campagnes les plus reculées »33 placée sous le patronage de Pétain,
résumait les ambitions de la Révolution nationale. Il s’agissait d’aider (par
des bons, des subsides et des diplômes) les seules mères bien françaises34,
notamment les épouses de prisonniers, selon les canons eugénistes et
natalistes alors en vigueur. Elle fut mise en scène par une propagande

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effrénée comme la circulaire de Carcopino distribuée aux enseignants à
700 000 exemplaires en 1941 ou les innombrables affiches vantant
l’éternel féminin de Vichy35. Toutes les circulaires mentionnaient les tracts
ou affiches de propagande diffusées par le « commissariat général à la
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Famille » par l’intermédiaire des maires, préfets et associations.


Sur le fond, on confortait le pilier familial du triptyque des valeurs
maréchalistes pour préparer « la France de demain [...], en un acte de foi
nécessaire »36. On n’oubliait donc pas d’y associer, selon les mots du préfet
de Gironde en 1942, les « jeunes mères et les jeunes enfants ». Son col-
lègue de Seine-Inférieure rappelait qu’il ne fallait pas « oublier les paroles
du Maréchal [...] : la famille est la cellule essentielle et l’assise même de
l’édifice social, c’est sur elle qu’il faut bâtir »37. Pour ce culte maternel,
toute la société fut mobilisée, l’école publique (les recteurs et inspecteurs,
les enseignants) mais aussi l’école privée et, bien sûr, l’Église, garante de la
conformité de l’image féminine et de la vertu des procréations. À côté, on
retrouvait la nébuleuse des associations familiales comme le « Secours
national » ou les « Œuvres de protection de la maternité et de l’enfance »,
souvent d’origine républicaine. La femme au foyer, la femme reproduc-
trice et aimante, la femme ne travaillant pas mais pouvant, par sa robuste
tendresse, s’engager au sein de la Révolution nationale, étaient aussi des
symboles qui ne déplaisaient pas à l’occupant. Cette fête politico-
religieuse, aux modalités souples (on pouvait la célébrer partout, dans les
classes ou les entreprises) fut donc bien célébrée et tolérée en zone Nord
comme Sud, jusqu’en 1944.
Ce fut aussi le cas de la Fête de Jeanne d’Arc, autre récupération répu-
blicaine, dont l’anglophobie arrangeait les occupants. Le problème sem-
blait pourtant plus compliqué, puisque sous la IIIe République, la sainte
était revendiquée à la fois par la droite et, sinon par la gauche, du moins

32. Voir F. Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel..., op. cit., p. 137-138.


33. Lettre du commissariat général à la Famille aux préfets, 25 avril 1942, AD S-M, 2 Z 596 (R).
34. Voir, plus loin, le développement sur les incidents.
35. Reproduites dans La propagande sous Vichy..., op. cit., et F. Muel-Dreyfus, op. cit.
36. Lettre du commissariat général à la Famille aux préfets, 26 avril 1943, AM Bordeaux,
8070 Q1-5.
37. Lettre du préfet aux maires, 21 avril 1942, AD S-M, idem.
La propagande festive de Vichy 13

par les républicains38. Cependant, dans l’historiographie et l’imaginaire


nationaliste ou ligueur, notamment celui de l’Action française, elle avait
pris une place difficilement contestable. Elle fut donc conservée (loi de
juillet 1920, année de sa canonisation), mais non plus fériée, célébrée le
8 Mai, et placée sous la seule égide religieuse. L’Église devait synthétiser
l’ensemble de ses vertus reconnues par le régime. D’abord sainte, Jeanne
d’Arc appartenait à la sphère religieuse, comme le confirmaient ses voix.
Elle était surtout conforme aux canons vichystes39. Femme, mais soumise
à l’autorité dynastique, patriote d’origine populaire, opposée aux Anglais,
combattante et héroïque, elle incarnait l’idéal féminin de Vichy. Elle
complétait ainsi la fête des mères avec un programme assez semblable.

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Mieux, elle résumait l’époque puisque « la France de 1942 se trouve dans
une situation qui rappelle singulièrement celle que Jeanne a connue »40.
Son historicité en fit le pendant religieux du 14 Juillet, et acheva de faire
du mois de mai le mois cérémoniel du régime (1er mai ou Saint-Philippe,
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les fêtes de printemps, la fête du travail, celle de Jeanne d’Arc, des mères,
et d’innombrables fêtes sportives). En outre, cette fête avait l’avantage
d’être relayée par des cérémonies locales, à Reims, Orléans ou Rouen.
C’était le gage d’un succès qui se prolongea jusqu’en 1944 quand les Alle-
mands et le ministère de l’Intérieur s’accordaient encore pour organiser
partout la fête par des « dépôts de gerbes et cérémonies religieuses en pré-
sence des autorités »41.
Mais le nouveau régime ne se contenta pas de réécrire le patrimoine
festif de la IIIe République. Il créa des cérémonies pour inscrire, dans les
calendriers et les mémoires, ses nouveaux principes.

3. Créations festives et valeurs nouvelles


Nous avons regroupé cinq célébrations42, dont quatre occasionnelles,
créées au gré des événements et de l’idéologie du pouvoir. Dans cet
ensemble, une fête régulière se détacha, le 1er Mai, héritier des années pas-
sées, création originale et synthèse de la Révolution nationale.
a / La « Fête du travail et de la concorde sociale »,
a / étendard de la Révolution nationale
Elle fut emblématique du régime, tant par ses moyens que par son
message. Sa création, sous l’égide du ministère du Travail et de la Solida-
rité, fut une revanche sur la République et le Front populaire. En effet, la

38. Voir, à ce sujet, R. Sanson, La fête de Jeanne d’Arc en 1894, Revue historique, 1975, et
R. Dalisson, De la Saint-Louis..., op. cit., t. II, p. 485-492.
39. Voir le célèbre discours du maréchal Pétain pour la 1re fête Jeanne d’Arc, mai 1941.
40. Discours de G. Lamirand, secrétaire d’État à la Jeunesse, 10 mai 1942, AD S-M, 2 Z 596.
41. Télégramme de l’Intérieur et des Allemands aux préfets, 6 mai 1944. AD S-M, 51 W 0307.
42. Nous aurions pu en retenir d’autres (funérailles, hommages personnels) qui existèrent (au
général Hutzinger, à Guynemer) mais furent soit trop parisiens, soit trop peu célébrés pour être
représentatifs.
14 Rémi Dalisson

IIIe République ayant toujours refusé de faire du 1er Mai une fête offi-
cielle, son officialisation par les lois d’avril 1941 fut une douce revanche
pour le régime qui tenait là « ses promesses, même celles des autres »
comme le rappelait l’une de ses célèbres affiches. De plus, honorer le tra-
vail, y compris manuel, était une façon d’élargir l’audience de la Révo-
lution nationale et de concurrencer les communistes, tout en renouant
avec le discours ouvriériste d’une frange des collaborateurs parisiens et
de Vichy.
Plus encore que la fête des mères, le 1er Mai fut une occasion de pro-
pagande. Baptisé Fête du travail et de la concorde sociale, on lui adjoignit sou-
vent le nom du saint du jour, la Saint-Philippe ou « Fête du Maréchal »,

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manière de montrer la place centrale du chef et de contribuer à son culte.
Il fut la cérémonie qui bénéficia du plus fort support propagandiste, à
l’image de ses trois types d’affiches et des portraits géants du Maréchal à
placer « toujours au centre des réjouissances »43. Le gouvernement créa des
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« centres de propagande » pour « préparer et orienter les esprits vers cette


journée »44. Ils collectaient des « cahiers de vœux corporatifs », diffusaient
des brochures, remettaient des médailles d’honneur du travail, des diplô-
mes aux ouvriers méritants, des colis à offrir aux prisonniers ou des pro-
motions dans l’ « Ordre national du travail ». Il fallait aussi organiser des
goûters aux enfants de prisonniers, montrer des films, des tracts et des pla-
quettes, comme celle de 1941 qui contenait les thèmes de discours et les
références à utiliser, vanter en 1942 la Charte du travail, retransmettre les
discours comme celui du Maréchal à Saint-Étienne en 1941 et distribuer
des résumés aux maires. Le gouvernement conseilla donc aux comités,
souvent débordés, de travailler avec la Légion, organisation emblématique
de la Révolution nationale, puis en 1943, avec les délégués à l’infor-
mation et les « services centraux de propagande ouvrière » dépendant du
secrétariat général à la Propagande. L’ensemble formait des « comités
départementaux d’organisation de la célébration de la fête du travail »
composés d’élus locaux, de maires, de représentants patronaux et ouvriers,
de fonctionnaires de l’éducation, de délégués à la jeunesse et aux sports et
de la presse locale. Chaque temps fort de la cérémonie recevait une appel-
lation édifiante : le matin du 1er mai 1942 fut baptisé « le travail est à
l’honneur » et l’après-midi « le travail est en fête ». Le 1er mai 1943 fut, en
plein retournement du sort des armes, appelé « le travail à l’épreuve ».
Bien entendu, références ouvrières et sociales obligeant, cette fête fut la
plus surveillée du régime. Les cérémonies devaient être organisées « dans
des enceintes ou stades permettant de contrôler les participants »45 et les
instructions policières étaient draconiennes. En zone Nord, tout cortège
sur la voie publique et réunion publique étaient interdits, interdiction
étendue à l’ensemble du territoire pour le 1er mai 1943.

43. Préfet de Seine-Inférieure aux maires, 30 avril 1941, AD, 51 W 0307.


44. Circulaire de Darlan du 12 avril 1941 sur le 1er Mai aux préfets, AN, F60/476.
45. Circulaire de Darlan, idem.
La propagande festive de Vichy 15

La symbolique de la fête devait rétablir une continuité historique élu-


dant 1789 de l’histoire de France. La brochure intitulée Et vive le 1er Mai,
éditée par le secrétariat général à l’Information et les services centraux de
propagande pour 1941, fut exemplaire. Elle retraçait l’histoire de la fête, à
partir du Moyen-Âge, en vantant la joie prérévolutionnaire des « fêtes de
la nature » et de la jeunesse, en expliquant les traditions folkloriques des
arbres de mai pour gommer les plantations de 1789, 1830 et 1848. Puis,
mai étant le mois de Marie à qui l’on offrait le « Mai verdoyant », venait
l’allusion à la religion. Ce fut, en effet, le 30 mai « qu’une jeune ber-
gère entendit la voix mystérieuse [...] qui lui annonçait sa lumineuse
aventure »46, ce fut en mai 1429 qu’elle sauva la France et en mai 1431

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qu’elle mourut. L’évocation se prolongeait par celle de la tradition
ouvrière du « jour de l’églantine, notre vieille églantine rouge du sang des
ouvriers [...] où les travailleurs clamaient leur soif de justice [...] où se
réveillaient les hommes ». On faisait référence aux « cahiers du proléta-
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riat » amenés dans les mairies le 1er mai 1890 et que les « cahiers corpora-
tifs » prolongeaient dans un cadre épuré. On rappelait le rôle du congrès
socialiste de Paris dans la fixation de la fête, avant de vanter les luttes pour
les conquêtes ouvrières « acquises en 1919 grâce à la ténacité de la classe
laborieuse à laquelle la technique a plus profité que les agitateurs [...],
mauvais bergers qui ont souvent égaré son action ». On arrivait à l’apo-
théose de 1940 et à un 1er mai devenu « jour de fête nationale du tra-
vail [...] où tous les Français unis sauront fêter à la fois le réveil des choses
et des hommes, la Révolution nationale et le printemps ». Il était dédié au
« travail des Français, ressource suprême de la Patrie qui doit être sacrée »,
notamment le travail ouvrier. C’est à eux que Pétain déclara, à Saint-
Étienne, haut lieu de la conscience ouvrière : « Ouvriers mes amis [...]
n’écoutez plus les démagogues, ils vous ont fait trop de mal. Ils vous ont
nourri d’illusions [...]. Souvenez-vous de leur formule : le pain, la paix, la
liberté, vous avez eu la misère, la guerre et la défaite ». Ce discours devint
le credo du jour en appelant à la fin de la lutte des classes par la disparition
de la « condition prolétarienne, injustice qui empêche la paix sociale ».
On retrouvait les grandes lignes du programme social et philosophique du
régime. Rien ne manquait depuis l’obsession du terroir jusqu’à la néga-
tion de la lutte des classes en passant par les errements républicains et
l’appel à la jeunesse. Le régime se posait comme le garant d’une politique
sociale avantageuse pour les ouvriers et les paysans, pour qui « la loi de
corporation agricole montre que la vigilance de l’État ne se limite pas aux
travailleurs des villes »47.
La journée était chômée et payée et les heures effectuées récupérées.
Initialement48, les salariés devaient reverser la moitié de leur salaire (ou
indemnité compensatrice) au Secours national au titre d’une souscription

46. Toutes ces citations sont extraites de l’opuscule Et vive le 1er Mai, AN, F60/476.
47. Circulaire du vice-président du Conseil aux préfets, 12 avril 1941, AN, F60/476.
48. Devant le tollé général, cette mesure de la loi du 12 avril fut annulée le 26 avril 1941.
16 Rémi Dalisson

ouvrière, véritable épargne forcée qui rappelait d’autres régimes autoritai-


res. La parole du Maréchal devait descendre, par radio, dans toutes les
entreprises. Puis, encadrés par toutes les organisations corporatistes et pro-
fessionnelles, les travailleurs devaient rédiger les fameux « cahiers de vœux
coopératifs », à partir des observations des ouvriers, patrons et employés
de maîtrise puisque « le Maréchal a voulu rénover le 1er Mai, lui enlever
son caractère de lutte des classes et le transformer en journée de la paix
sociale [...], figure de l’État nouveau »49. Parmi les organisations de la
journée, on trouvait en bonne place les syndicats patronaux et ouvriers,
les organisations de jeunesse, car il fallait « glorifier le travail des jeunes »50,
le sport (surtout corporatif), les services de propagande et les organisations

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corporatives locales chargées de « mettre en valeur l’aspect régional » de la
fête selon le préfet de l’Hérault. Les entreprises finançaient des colis
envoyés aux prisonniers tout en offrant des spectacles édifiants aux
enfants.
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À partir de 1942, la base de la fête fut la Charte du travail grâce à


laquelle « les intérêts de classe ne sont plus dominants [...] la collaboration
est la loi nouvelle qui exige la confiance et l’estime réciproque, par le biais
des comités sociaux [...]. La paix sociale est donc le but suprême de la
Charte »51. L’année suivante, un an après la Relève et trois mois après
l’instauration du STO, la fête fut dédiée au redressement du pays en deve-
nant une « manifestation d’entraide et de solidarité nationale »52. En 1944,
sous l’égide de Déat, elle devint « la fête des masses laborieuses [qui] doit
montrer l’importance du travail français et de la reconstruction de
l’Europe »53. Les orateurs y furent directement désignés par Déat, désireux
de reprendre la fête en main pour relancer la Révolution nationale. Mais
la réalité modifia le sens de la journée qui reprit son caractère subversif.
Ce fut à cette fête que la jeunesse et le sport jouèrent un rôle clé, sur-
tout à partir de 1942, au point de devenir le support quasi exclusif de
quatre nouvelles fêtes.
b / Sport, santé et expiation, les fêtes du tournant de 1942
Hormis le 1er mai, cinq cérémonies occasionnelles furent des créations.
Elles furent marquées par les circonstances et par l’idéologie du régime.
La première fut l’Hommage aux victimes des bombardements de mars 1942.
Décidé dans la précipitation après une nuit de bombardements particuliè-
rement virulents le 3 mars, notamment dans la banlieue parisienne, il élar-
git à l’ensemble du territoire des pratiques commémoratives locales dédiées
aux victimes pour répondre aux doutes de la population. Pris en charge par
le ministère du Travail et de la Solidarité, il réaffirma les valeurs nouvelles
et la haine des Anglais, à la grande satisfaction des occupants.

49. Circulaire du vice-président du Conseil aux préfets, 12 avril 1941, AN, F60/476.
50. Amiral Darlan, idem.
51. Discours du préfet régional de Seine-Inférieure, 1er mai 1943, AD S-M, 51 W 0118.
52. Circulaire de Laval aux préfets, 16 avril 1943, AD S-M, 51 W 0118.
53. Lettre de Déat aux préfets, 4 avril 1944, AD S-M, 51 W 0307.
La propagande festive de Vichy 17

Les samedi ou dimanche 7-8 mars, décrétés « jour de deuil national »,


toutes les grandes villes, dans les deux zones, organisèrent des cérémonies
pour exprimer leur compassion envers les victimes et expier l’ancienne
alliance franco-anglaise. Après accord de la Feldkommandantur au nord, son
épicentre fut parisien. Une grandiose cérémonie fut organisée autour de
Notre-Dame, ornée d’un cénotaphe tricolore géant. Toutes les autorités
civiles, religieuses et militaires furent conviées, avec des organisations
maréchalistes comme « les Jeunes du Maréchal » pour rendre hommage
aux victimes « innocentes de la barbarie de nos prétendus alliés »54. Des
quêtes et souscriptions incarnaient la solidarité du pays avec les victimes,
tandis que des discours du Maréchal et du cardinal archevêque de Paris

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rappelaient que les souffrances des Français étaient le prix à payer pour le
redressement national et le fruit d’alliances erronées. La Garde républi-
caine, convoquée en grande pompe, achevait de montrer la continuité du
pouvoir dans un pays rassemblé dans la douleur. Ailleurs, le cérémonial
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fut réduit à l’expression de la compassion avec les sonneries « aux


champs » et « aux morts ». La cérémonie fut minutieusement réglée
puisque les obsèques devaient être célébrées dans toutes les communes à la
même heure. Les drapeaux étaient en berne, chaque préfecture devait
organiser un hommage grandiose et émouvant (Lyon, Marseille, Aix,
Rouen, Rennes...), tandis que les autres communes se contentaient de
simples messes. Le message rassemblait le pays dans l’expiation du crime
d’anglophilie et dans un dolorisme rejoignant ceux des 14 Juillet et
1er.11 Novembre. Mais ce registre ne suffisait pas pour diffuser de
l’idéologie vichyste. Il fallait rassembler les énergies, notamment juvéniles.
Ce fut l’apanage des fêtes sportives, toutes créées en 1942. Le sport, et
plus largement l’ « éducation nouvelle », devait être la base du redresse-
ment national obéré par un système éducatif républicain « qui n’avait pas su
préparer suffisamment de chefs et d’hommes d’action »55. Il s’agissait de
modeler les jeunes, garants de l’avenir, par une éducation nouvelle et une
propagande destinée à « faire des hommes forts d’âme et de corps »56. Trois
célébrations devaient permettre d’atteindre cet objectif en vantant la jeu-
nesse, la force, la femme nouvelle, l’hygiène et l’altruisme. Célébrées peu
avant ou après l’invasion de la zone Sud, elles illustraient l’alignement idéo-
logique du pays sur les autres régimes totalitaires, mais aussi la fuite en avant
d’un régime sur la défensive. En effet, depuis la mi-avril 1942, six mois
avant l’invasion de la zone Sud, le sort des armes hésitait, obligeant « la jeu-
nesse [à] chercher la mort sur les champs de bataille, [...]. Nous n’avons
donc pas le droit de renoncer [...] à viriliser le sport et accepter le risque »57.
La Fête du serment de l’athlète, organisée le 17 mai 1943 (et parfois
1944) dans les chefs-lieux d’académie, reprit le modèle des célébrations

54. Journal de Rouen, 10 mars 1942, AD S-M, 1 Mi 1735.


55. Pétain, dans la Revue des Deux-Mondes, 15 août 1940.
56. Circulaire du 15 novembre 1940, secrétariat général à l’Instruction publique.
57. Cl. J. Pascot, Politique et doctrine sportive, Paris, Lavauzelle, 1944, p. 13.
18 Rémi Dalisson

coloniales et de la prestation du serment du 29 avril 1941 dans l’Empire,


lors des fêtes organisées pendant le voyage du J. Borotra, commissaire
général à l’éducation gymnique et sportive, dans l’Empire58. Ce fut une
« manifestation de foi et d’union »59 qui devait revêtir « un caractère gran-
diose et rassembler le plus grand nombre possible de sportifs et d’athlètes
représentant toutes les activités sportives [...] en France et l’Empire »60.
Cette grande parade, ces défilés d’enfants devant les autorités religieuses,
politiques et militaires montraient la force de la jeunesse et des organisa-
tions physiques. Le serment faisait la synthèse entre l’homme nouveau, à
« l’esprit de discipline, qui a manqué aux citoyens de ce pays au cours de
la dernière décade » et l’idée « d’amateurisme qui y est exprimée [...] pour

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la gloire et non le profit »61.
La journée débutait donc par des démonstrations d’athlétisme, de
gymnastique et des mouvements d’ensemble. Le clou de la fête restait,
après le salut aux couleurs, la prestation de serment, prononcée bras
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tendu, selon le rituel olympique qui avait prêté à controverse en 1936. Le


texte du serment, « je promets, sur l’honneur, de pratiquer le sport avec
désintéressement, discipline et loyauté, pour devenir meilleur et servir ma
Patrie » résumait l’idéologie virile et nationaliste de Vichy. Il était souli-
gné par la présence des sociétés sportives qui défilaient derrière leurs ban-
nières pour exprimer le succès du sport dans tous les milieux. À Rouen,
sur les 31 sociétés qui participèrent à la fête, les deux tiers étaient d’origine
républicaine. On rencontra même des Amicales laïques (Neufchatel,
Déville), acquis républicains conservés pour soutenir la logistique festive
nouvelle. Tous les sports furent représentés, surtout du football, sport
populaire, et de l’athlétisme, sport bourgeois, réunis en une allégorie
fédératrice de la France nouvelle.
On trouvait l’Empire colonial avec la Quinzaine impériale (en mai-
juin 1942) qui fut, elle aussi, une « manifestation de grande propagande
impériale et nationale »62. Elle se résuma souvent à du cinéma ou, comme
à Vichy, à des revues des athlètes de l’Empire. Ce recours à l’Empire, sous
sa seule forme sportive, confinait les colonisés à leurs uniques fonctions
athlétiques, conformément à la vision raciale du pouvoir. Avec ses sol-
dats-sportifs musclés, le régime vantait son ultime carte, l’Empire colonial.
Le train de l’exposition, qui circula de ville en ville à l’été 1942, projeta
des images des défilés (à Rouen, à Nantes) ou des pièces de théâtre
comme La force de l’Empire. Ces spectacles qui devaient selon le ministère
de l’Éducation nationale, « susciter des vocations coloniales dans l’élite de
notre jeunesse » par le sport, la compétition et le culte de la force, com-
plétaient les réjouissances locales. De plus, en marquant le début de la

58. Voir J.-L. Gay-Lescot, Sport et éducation physique sous Vichy, Lyon, PUL, 1991.
59. Instructions préfectorales, 20 mai 1943, AD S-M, 51 W 346.
60. Commissariat général à l’EGS aux directeurs régionaux, mars 1942, AD S-M, 51 W 0327.
61. Texte de la plaquette officielle du « Serment de l’athlète », idem.
62. Sous-préfet de S-M au président de la « Ligue maritime », 5 mai 1942, AD S-M, 51 W 0918.
La propagande festive de Vichy 19

haute saison sportive, elle plaçait les célébrations à venir sous l’égide spor-
tive et régénératrice. Ces manifestations sportives furent insérées dans la
promotion des terroirs identitaires, « de la terre, qui elle ne ment pas » des
« petites patries » (J.-F. Chanet) qui devaient former à présent, comme
sous l’Ancien Régime, le socle de la Nation. Les danses folkloriques et
autres activités artisanales traditionnelles furent d’ailleurs promues dans
près d’un tiers des fêtes de notre échantillon63. À Bayonne, pour le
1er mai 1943, une grande fête sportive et identitaire doubla la fête du tra-
vail. Après une cérémonie au monument basque, un match de rugby fut
organisé, au son des orchestres et danses traditionnelles. Il opposa l’équipe
de l’Aviron bayonnais aux ouvriers des forges du Boucau, et se solda, bien

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entendu, par la victoire de l’équipe ouvrière. La journée se termina en
apothéose, avec danses, concours de chants basques et démonstrations
d’activités manuelles et agricoles, valeurs devant, selon le préfet, montrer
la place « de l’effort, de la solidarité et des sportifs, relevés par les vertus
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des ouvriers du Boucau »64.


La Fête nationale de la sportive, organisée les 4-11 juillet 1942 dans 15 vil-
les de France, fut plus originale. Elle fut consacrée « au développement de
la jeunesse féminine, selon les principes de l’éducation générale »65. Elle
devait « montrer que la femme française [...] sera forte dans son corps et son
caractère [...] car l’avenir de la race dépendra avant tout d’elle. C’est pour-
quoi, dans la formation de la jeunesse [...] base de notre redressement, elle
ne doit pas être oubliée »66. Elle fut l’ultime occasion de vanter les mérites
des méthodes de formation française d’éducation rationnelle. Deux mille
femmes furent conviées à Rouen, autant à Bordeaux avec les enfants des
écoles, pour montrer les préoccupations éducatives et émancipatrices d’un
régime qui voulait unifier les classes et les âges.
Le premier jour fut consacré aux démonstrations des « sports de base
comme l’athlétisme » (J.-L. Gay-Lescot). Ils étaient accompagnés de dan-
ses folkloriques, de feux de camps évoquant la ruralité et les Chantiers de
jeunesse, sous des portraits du Maréchal rappelant, selon la presse locale,
que « la pensée du sauveur de la France est toujours présente ». Le second
jour incarna la « doctrine nationale de l’Éducation physique », avec de la
gymnastique rythmique et de la culture physique. Puis venaient des mou-
vements d’ensemble, incarnés à Rouen par la « corbeille », illustration de
la solidarité et la fécondité. Ainsi se bâtit un ensemble cohérent, dans la
lignée des théoriciens de l’époque et de l’instrumentalisation des métho-
des naturelles hébertistes. La journée se terminait par des sempiternelles
danses folkloriques tandis que les chorales locales et scolaires entonnaient
les habituels Maréchal nous voilà et Marseillaise.

63. Voir C. Faure, Le projet culturel de Vichy, folklore et révolution nationale, Lyon, PUL, 1989.
64. Lettre au chef du gouvernement, 3 mai 1943, AN, F 60/476.
65. Préfet de région au maire, 1er juillet 1942, Rouen, Bordeaux, AD S-M, 51 W 0175, AM,
8 070 Q.
66. Journal de Rouen, 12 juillet 1942, AD S-M, 51 W 0918 (JPL3).
20 Rémi Dalisson

Ces trois fêtes originales mirent en pratique les idées sportives et


physiques de l’époque. Rôle de la nature, amateurisme, « promotion-
minoration » des femmes, recours au folklore ethnicisant, mouvements
d’ensemble, solidarité et force, exhibition des corps, réécriture de l’his-
toire, vision ethnique du monde, sélection d’une élite par la méthode
naturelle, le sport devait modeler les corps comme les esprits en une vraie
propagande utilitaire. Il restait à comprendre comment, à partir des élé-
ments proposés dans les programmes, les Français interprétèrent ces céré-
monies pour répondre aux sollicitations du pouvoir.

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II. FÊTES, PROPAGANDE ET CONTESTATION :
II. LA PERMANENCE D’UN ESPACE DE SOCIABILITÉ

Si les fêtes furent un moyen de propagande de premier ordre pour


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Vichy, leurs références et leur souplesse en firent un espace de sociabilité


permettant une confrontation entre le pouvoir et les Français. Les réac-
tions populaires au projet festif du Maréchal dépendirent largement des
programmes. C’est pourquoi il faut d’abord se représenter ce qu’ils furent
avec leurs pratiques ludiques et didactiques.

1. Les pratiques festives : entre tradition et rupture


L’étude de 214 programmes de fêtes confirma que les cérémonies
vichystes s’inscrivaient dans une double démarche : instrumentaliser les
pratiques cérémonielles républicaines et en faire des vecteurs des idéaux
nouveaux. Si l’essentiel des 26 composantes des programmes67 étaient déjà
utilisées pour les fêtes républicaines68, quelques créations complétèrent les
relectures, notamment religieuses, des programmes classiques.
a / Propagande et modernité des fêtes vichystes
Le premier objectif des programmes était la diffusion de l’idéologie.
Les discours, prononcés dans plus de la moitié des fêtes par les préfets, pré-
fets de région, maires, prêtres et responsables d’organisations maréchalistes
devaient édifier. Ils furent plus nombreux que sous la pourtant très didac-
tique IIIe République69. Dès le mois de mai 1941, le maire d’Elbeuf expli-
qua dans son discours que « la fête du travail consacrera, aux yeux du pays,
la notion de ruralisation du travail, et plus particulièrement du travail
manuel »70. Deux ans après, celui du Calvados se fit l’écho des paroles du
chef de l’État en rappelant que « le Maréchal met en garde contre les
menaces de guerre civile qui détruiraient tout ce que la guerre étrangère

67. Voir annexe 2.


68. Voir R. Dalisson, De la Saint-Louis..., op. cit., et O. Ihl, La fête républicaine..., op. cit.
69. Dans notre thèse, les discours aux fêtes s’élevaient, en moyenne sous ce régime, à 25 %
des cas.
70. Journal de Rouen, AD S-M, JPL3, 2 mai 1941.
La propagande festive de Vichy 21

nous a épargné. Il faut donc le suivre sur la route du devoir et de


l’honneur, avec fidélité, loyauté et légitimité »71. Chaque célébration s’ar-
ticulait autour de tels discours explicatifs, comme celui d’A. Bonnard à
Vichy qui vanta, en 1942, « Jeanne, cette fille de notre race, de notre
terre »72 ou celui du maire de Rouen qui expliqua, en mai 1942, que les
« mères bien françaises perpétuent notre race »73. On retrouvait ces mots
aux repas et vins d’honneur offerts aux associations phares des cérémonies
(les mères, les Anciens Combattants, les corporations...) avec des discours
ou toasts au Maréchal, à la France ou à la rénovation.
Plus nouveaux furent les moyens de propagande de masse utilisés aux
fêtes. Parmi eux, le cinéma tint une place de choix. Balbutiant sous la

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République, cantonné aux actualités ou pièces comiques après la Grande
Guerre, il avait gagné ses lettres de noblesses festives lors des années 1930,
avec le cent-cinquantenaire de la Révolution et les films de Jean Renoir.
S’il ne fut présent que dans 12 % des programmes, il agrémenta un tiers
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des fêtes sportives et des 1er mai, soit les cérémonies les plus novatrices du
régime. Deux types de films furent présentés. Les moins nombreux furent
des films de pure propagande totalitaire, inspirés des idéaux nazis et uti-
lisés par les collaborateurs les plus durs, comme Le Juif Süss présenté par
le Rassemblement national populaire (RNP) à Caen lors du 1er novem-
bre 1943, des films allemands comme Pages immortelles le 1er mai 1942
à Rouen ou des projections organisées par les armées d’occupation (Puis-
sances mystérieuses) pour compléter les fêtes en zone Nord. Plus fréquents
furent les films vantant l’idéologie pétainiste, notamment le sport avec
L’appel du stade projeté à Rouen, Caen, Lyon ou Rennes en mai 1942
pour la Quinzaine impériale ou La force du stade projeté à Creil le
1er mai 1943. Entre ces catégories, on trouvait des films plus neutres
comme Le briseur de chaînes le 1er mai 1942 à Barentin avec Pierre Fresnay.
La radio-diffusion compléta ce média en retransmettant les grands dis-
cours du Maréchal lors de ses fêtes emblématiques. Ainsi en 1941, le dis-
cours de Pétain qui rappelait que, « depuis dix mois je convie les Français
à s’arracher au mirage d’une civilisation matérialiste [...]. Un pays stérile
est un pays mortellement atteint dans son existence. [...] Mères, vous êtes
les inspiratrices de notre civilisation chrétienne »74 fut retransmis dans les
trois départements normands lors de la fête des mères. Celui prononcé à
Thiers le 1er mai 1942 pour vanter « le corporatisme, l’artisanat, éléments
essentiels de notre politique de demain »75 fut tout aussi bien retransmis
que celui de Saint-Étienne qui annonçait la promulgation de la Charte du
travail l’année précédente. La parole du Maréchal était alors sacralisée,
renforçant encore le culte de la personnalité que ses portraits incarnaient.

71. Discours du préfet, 1er mai 1943, AD S-M, 51 W 0307.


72. Cité par le Journal de Rouen, 13 mai 1942, AD S-M, JPL3, 2 mai 1941.
73. Idem, 25 mai 1942.
74. Cité par le Journal de Rouen, AD S-M, JPL3, 25 mai 1941.
75. Idem, 4 mai 1942.
22 Rémi Dalisson

Les nombreux chants et spectacles (40 % chacun, soit le sixième total


des programmes) devaient promouvoir le terroir et les valeurs régionales,
socle du nouveau régime. Ils étaient complétés par des déclamations de
grands textes, notamment de Péguy76, habile récupération d’un mythe
républicain, chrétien et combattant mort en 1914 et à ce titre populaire.
Chaque région organisa des spectacles traditionnels aux fêtes, pour vanter
le travail manuel (les menuisiers le 1er mai 1941 à Paris), donner ses danses
locales (des costumes bourbonnais le 1er mai 1942 à Montluçon, des
tenues provençales à Marseille pour la fête des mères en 1942-1943), ses
chants (les chœurs basques à Bayonne, la musique celtique à Rennes), son
artisanat, voire ses pratiques sportives (le rugby au sud, le football au

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nord). Les sociétés qui défilaient avec les étendards des métiers ou des
activités traditionnelles soulignaient alors, avec le soutien des « Syndicats
communaux des corporations », notamment paysanne, l’enracinement
local face au centralisme républicain honni. La JOC, mais aussi de nom-
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breuses Amicales laïques furent abondamment utilisées aux 1er Mai, tout
comme les remises de médailles aux ouvriers ou artisans méritants.
b / Pédagogie et symbolique de valeurs nouvelles
À côté de cette propagande de masse, des actes symboliques qui confor-
taient le cours nouveau, exprimèrent la solidarité de la Nation envers les
prisonniers et les combattants pour expier les péchés passés. Il est à cet
égard significatif que l’acte le plus fréquent des programmes (70 %) ait été
la remise de médailles, de gerbes ou de diplômes aux mères de familles
nombreuses, aux familles de prisonniers, aux enfants de prisonniers, aux
orphelins, aux soldats, aux travailleurs, bref à tout ce qui constituait le
pays souffrant. Tout faisait sens : les primes aux ouvriers étaient données
dans les usines par des patrons réconciliés avec les prolétaires, les quêtes
étaient réservées aux victimes de bombardements, les diplômes aux mères
de famille méritantes, les médailles (à l’effigie du Maréchal) aux travail-
leurs et aux combattants, les friandises aux enfants, espoirs du régime et les
« colis du Maréchal » (des vêtements souvent) aux prisonniers, fleurons de
la Relève et exemple de sacrifices vertueux. En outre, ces actions pou-
vaient s’organiser à l’intérieur des bâtiments officiels (écoles, ministères,
préfectures) et ménager les susceptibilités des occupants. Cette symbo-
lique s’adressait souvent aux soldats et Anciens Combattants, à travers les
cérémonies aux monuments aux morts qui rehaussaient les 14 Juillet, les
1er-11 Novembre et la fête de Jeanne d’Arc. On retrouvait là la mise en
scène héritée du 11 novembre, la minute de silence, la sonnerie aux morts
et La Marseillaise, surtout en zone Sud avant 1943, et la messe. La
« mémoire de guerre » restait intacte pour une génération éduquée dans le

76. Les autres références furent La Fontaine, Molière et Sully Prud’homme ( « Je tiens de ma
patrie un cœur qui la déborde, et plus je suis Français, plus je me sens Français » ), et, le 1er Mai,
Proudhon (pour son analyse de la condition ouvrière, son antisémitisme et ses attaques contre la
République).
La propagande festive de Vichy 23

culte des victimes de 1914-1918, tout en rappelant le rôle de Pétain dans


le conflit, élément essentiel de sa popularité et gage de succès.
L’Église était appelée en renfort, comme elle l’avait été pour les
11 novembre et la Grande Guerre77. Pilier du régime elle discourait (plus
d’un discours sur trois), célébrait des messes (dans 47 % des programmes),
organisait des cérémonies religieuses, notamment à Vichy et Paris et se
voyait promue au rang de co-organisatrice des fêtes, au même titre
que l’État, notamment pour les fêtes des mères et de Jeanne d’Arc. Elle
tenait sa revanche et profitait des fêtes pour vanter son action sociale (à
travers la JOC), sa compassion (les envois de colis et les prières collectives),
sa fidélité à la doctrine du Maréchal dans ses discours comme celui de

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Compiègne78. Cette reconquête passait aussi par des actes symboliques
comme la remise de « pain béni » par les enfants aux mères lors de leur
fête ou les « bénédictions collectives » aux fêtes de Jeanne d’Arc. Les ser-
mons prirent un tour plus politique comme celui du curé de Dieppe qui
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préconisait « une plus grande union entre tous les Français comme le
souhaite le Maréchal »79 pour relayer l’État à chacune des cérémonies. Des
messes spéciales, comme les messes dialoguées pour « les travailleurs, en
français et en allemand » à Déville-les-Rouen en mai 1943 ou les messes
des mères françaises (Lyon, Rouen, Nantes) confirmaient l’adhésion
d’une Église, trop heureuse de retrouver son rôle d’encadrement social.
Enfin, ces fêtes virent le retour d’organisations catholiques (Dames de
charité, Ligue féminine d’action catholique) appelées à relayer l’État et à
remplacer les organisations laïques.
Église et État se retrouvaient dans la promotion de la jeunesse, de la
force et du renouveau, valeurs présentes dans la moitié des activités des pro-
grammes. Le triptyque écoles (défilé, lectures, spectacles), goûters (réser-
vés aux écoles ou enfants de prisonniers) et sports (souvent scolaires) attei-
gnit en moyenne 30 % des programmes, soit un peu plus que sous la
IIIe République. Et, si l’on ajoutait la participation des enfants aux exposi-
tions, tombolas, défilés, kermesses, chants (les chorales municipales et sco-
laires), cinéma (les séances réservées) et quêtes, on a une idée de l’im-
portance de la jeunesse pour le régime. Il s’agissait de substituer une image
de l’école religieuse et sélective à celle de Jules Ferry, tout en vantant
la force et le renouveau. Toutes les instructions officielles des fêtes men-
tionnaient la jeunesse et ses organisations scolaires ou parascolaires, offi-
cielles ou associatives. Ainsi, la circulaire du secrétaire d’État à l’Éducation
nationale fit de la fête de Jeanne d’Arc de 1942 la fête des jeunes car « il
est nécessaire de rendre le sens de l’ordre, de l’harmonie, de la discipline,
des manifestations collectives aux jeunes [...] pour mieux pénétrer la
masse des jeunes isolés »80. Le maire de Laigneville, dans l’Oise, expliquait

77. R. Dalisson, Le 11 Novembre..., op. cit., A. Becker, La guerre et la foi, Paris, A. Colin, 1995.
78. Le curé y fit un sermon sur « la concorde sociale et les espérances du Maréchal » à la fête du
travail de 1942, AN, F60/476.
79. Sermon à la fête Jeanne d’Arc, 8 mai 1941, AD S-M, JPL3.
80. Secrétariat d’État à l’Éducation aux préfets, 30 avril 1942, AN, F60/476.
24 Rémi Dalisson

« à la jeunesse de France, aux jeunes de la France de demain la significa-


tion de la fête du travail »81 tandis que son collègue de Pont-Sainte-
Maxence invitait 1 000 jeunes à un goûter géant pour la même fête. Par-
tout les jeunes étaient les piliers des fêtes sportives et des mères pour
vanter l’exercice, la foi dans l’avenir et une santé morale et physique,
gages de redressement national. À Avignon, les scouts, les Chantiers de
jeunesse, les Compagnons de France et autres organisations de jeunesse
eurent les honneurs de la presse et des autorités. Le sport et les serments
de fidélité au Maréchal, les défilés bras levé, les « garde-à-vous » au son de
Maréchal nous voilà ou de La Marseillaise, les chants virils et les spectacles
édifiants incarnaient la fête nouvelle. Tout cela créa ou relança une

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myriade d’associations spécialisées (le « Comité d’entraide pour les familles
de prisonniers », l’ « Œuvre du colis aux prisonniers », les « Centres de
jeunesse », les « Cœurs vaillants ») qui renforçaient le maillage idéologique
du pays nécessaire à la réussite de l’entreprise de propagande entamée en
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juillet 1940.
Les programmes des fêtes furent bien une mise en pratique des thémati-
ques nouvelles, plaquées sur des habitudes anciennes et républicaines. En
alternant méthodes de conditionnement modernes et traditions religieuses,
en refusant de bannir des symboles populaires (les trois couleurs, les monu-
ments aux morts), en vantant des valeurs parfois ambiguës et récupérables
par les résistants (la jeunesse, la patrie), le pouvoir laissa place à une contes-
tation qui fit de ces lieux un espace de sociabilité contestataire.

2. Histoire et géographie de la fête, contestation et vitalité sociétale


Entre 1940 et 1944, le déroulement des fêtes dépendit de l’évolution
du régime, de la situation locale et de celle du front. Dans ce cadre, les
célébrations dégénérèrent parfois permettant aux citoyens de s’emparer de
ce vecteur de sociabilité pour exprimer souvent un rejet de la thématique
vichyste. Ces incidents, ces instrumentalisations précoces prouvèrent la
vitalité d’une sociabilité que l’occupation n’avait pu anéantir.
a / Évolution et répartition d’une pratique signifiante
La chronologie des célébrations82 montre la précocité de la politique fes-
tive vichyste puisque les six derniers mois de 1940 regroupèrent près d’un
dixième des fêtes du régime, avec une moyenne mensuelle de célébra-
tions identique à celles des trois années suivantes. La politique festive
entrait bien dans les actes de propagande prévus de longue date. Le Maré-
chal, en choisissant de célébrer le 14 Juillet immédiatement après sa prise
de fonction et, quatre mois plus tard, les 1er-11 Novembre, plaçait son
action sous le signe de la religiosité et de la rédemption. Il y eut en effet
des messes et cérémonies religieuses dans 80 % de ces deux cérémonies

81. Discours du maire, 8 mai 1942, idem.


82. Voir annexe 3 a.
La propagande festive de Vichy 25

de 1940, soit près de deux fois plus que la moyenne de la période. À ces
deux fêtes, les curés et desservants multiplièrent les sermons (dans 35 %
des cas), qui accompagnaient les nombreux discours (dans un tiers des cas)
officiels. Le 14 Juillet, ils présentaient les raisons de la défaite et les thèmes
du changement avec déjà la régénération par le sport (dans 20 % des cas).
Puis, les 1er-11 Novembre, ils appelaient à l’union et à la compassion avec
des quêtes dans 40 % des cas. Dans l’atmosphère de début de règne, ces
deux cérémonies, qui avaient l’avantage de se référer à des traditions fes-
tives anciennes, furent peu contestées puisque nous n’y avons relevé
qu’un incident mineur.
Dès l’année suivante, les cérémonies triplèrent, à mesure que s’appli-

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quait la nouvelle politique et que se mettait en place l’encadrement de la
société. Leur nombre fut stable, augmentant même en 1943 au moment
du raidissement du pouvoir et de sa plus forte contestation festive, avant
de s’effondrer lors de l’année tronquée 1944. La répartition des fêtes célé-
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brées pendant la période 1941-1944 fut claire. Si les cérémonies se didac-


tisaient toujours plus avec l’augmentation des discours jusqu’en 1942 et
leur sursaut de 194483, si elles faisaient toujours la part belle aux valeurs
viriles (surtout en 1942-1943 avec le sport présent dans 40 % des fêtes),
aux idées autoritaires (les défilés d’organisations maréchalistes), militaires
(la permanence des cérémonies aux monuments aux morts après le pic
de 1940)84 et religieuses (les messes), on ne fêtait pas la même chose selon
les années.
En 1941, le 14 Juillet d’ « expiation » et de reprise en main fut le plus
célébré (un tiers des fêtes de l’année) pour prolonger les efforts de 1940.
Associé au sort des armes et à la célébration des morts des deux guerres
mondiales, il remplaçait le 11 Novembre (7 % des fêtes). Les drapeaux tri-
colores, tolérés aux seules cérémonies aux monuments aux morts, étaient
en berne et, surtout, la religion omniprésente puisque « le 14 Juillet étant
jour férié, les familles auront toute latitude pour envoyer leurs enfants aux
services religieux organisés ce jour-là »85. Mais les fêtes, expliquant les
bases de la nouvelle société (les mères et Jeanne d’Arc) sur un habitus
républicain encore populaire, augmentèrent régulièrement au point de
représenter chacune 15 % des célébrations.
Dès 1942 les choses changèrent avec le 1er Mai, emblème du régime,
dont la célébration (26 %) doubla pour se retrouver au niveau de la fête

83. Les discours passèrent de 30 % des cérémonies en 1940 à 55 % en 1941, puis à 70 %


en 1942, avant de redescendre à 45 % en 1943, au moment de la montée de la contestation festive
après le retournement du sort des armes, l’invasion de la zone Sud, le retour de Laval et le raidisse-
ment anti-sémite du pouvoir. Les 83 % de discours pour l’année 1944 apparaissent alors comme un
dérisoire effort de reprise en main d’un pays échappant à ses maîtres.
84. La proportion de cérémonies aux monuments aux morts diminua cependant régulièrement
après le record de 80 % en 1940 pour expier la défaite. Elle passa de 56 % à 34 % puis 20 % en 1943,
par crainte, au dire du préfet de Seine-Inférieure en 1943 des « débordements terroristes lors des céré-
monies d’hommages à nos soldats » (AD S-M).
85. Circulaire du secrétaire général à l’Instruction aux préfets et recteurs, 1er juillet 1941, AD
S.M, 51 W 0726.
26 Rémi Dalisson

des mères. À cette date, le pouvoir relégua les fêtes de traditions républi-
caines (14 Juillet et le 11 Novembre), transférant leur légitimité (expia-
toire, juvénile) à celles de Jeanne d’Arc, des bombardements et du sport.
Les années 1943 et 1944 furent différentes. Le triomphe du 1er Mai
(60 % des célébrations de 1943 et 75 % de celles de l’année tronquée
1944) marqua à la fois les derniers soubresauts du régime et la reprise en
main des fêtes par une population qui les instrumentalisait à son tour. En
faisant la part belle au monde du travail, en évoquant un passé de luttes, le
1er Mai ouvrait la voie aux contestataires, notamment les communistes,
qui en firent un outil de contre-propagande. En 1943, la seconde place de
la fête des mères (15 % des célébrations) renvoyait à la popularité du

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thème nataliste, considéré comme moins compromettant à l’heure où la
victoire alliée se dessinait. De même, le retour au premier plan des
1er.11 Novembre illustrait le repli du régime sur ses mythes fondateurs (la
douleur et 1914-1918) peu contestables.
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L’esquisse de géographie des fêtes que notre échantillon permet de bâtir


confirma ce rôle. Quelques tendances se dégagèrent à partir de l’étude des
célébrations les plus fréquentes par région. La France se divisait en trois
zones comportant parfois des sous-ensembles individualisés. Tout d’abord
une vaste zone est du pays, s’étendant du Pas-de-Calais à l’arrière-pays
niçois et limitée par les contreforts du Massif central à l’ouest. Ce fut l’aire
du 1er Mai dominant, au nord (dans les zones interdites et réservées) pour
occuper le terrain hostile du monde ouvrier par une fête à visée sociale,
surtout entre 1941 et 1942. Le sud de cette zone fut la région du 1er Mai
contesté par les résistants communistes puis gaullistes à partir de 1943,
dans leurs fiefs de la vallée du Rhône et des vallées alpines. La fête
s’adaptait aux opinions dominantes, pour séduire les opinions comme
pour contester le pouvoir.
À l’opposé, le Grand-Ouest pouvait être qualifié de « zone légaliste »
fêtant surtout les 14 Juillet et 1er-11 Novembre, fêtes reines de la Répu-
blique et fortement inscrites dans les mentalités. Célébrations des victimes
de guerre, dont l’Ouest avait fourni de nombreux bataillons, elles étaient
aussi des manifestations d’adhésion d’une région fortement pratiquante à
un régime clérical, puisque ces deux cérémonies étaient celles des plus
nombreuses messes et cérémonies religieuses86. À l’inverse, le relatif échec
du 1er Mai s’expliquait par la ruralité d’une région préférant célébrer la
chrétienne Jeanne d’Arc plutôt que le monde industriel « corrompu ». Le
grand Sud - Sud-Ouest fut la zone de la fête du travail et des fêtes de
guerre, les plus populaires en milieu rural. La glorification du travail était
un thème obligé pour une région restée libre pendant deux ans et qui
devait, à ce titre, être le fer de lance de la rénovation du pays. La glorifica-
tion du travail allait aussi de soi sur la zone où l’on édifiait le mur de
l’Atlantique. Ce fut aussi là que les 1er Mai furent souvent détournés

86. Les 14 Juillet et 1er-11 Novembre rassemblèrent 45 % des messes, auxquelles il faut ajouter
les 13 % à la fête de Jeanne d’Arc.
La propagande festive de Vichy 27

après 1942 par les ouvriers des chantiers navals (Saint-Nazaire) ou par les
maquisards du Sud-Ouest. Derrière ce thème utilitaire, on trouvait, large
écho de la France rurale et méridionale, les fêtes de guerre et des mères.
Les premières justifiaient l’effort du 1er Mai et les secondes le complétaient
pour incarner le relèvement d’une France purifiée.
Pour le reste, trois sous-ensembles se dégageaient, la région parisienne
dont la vedette fut la fête Jeanne d’Arc, dans le sillage de la récupération
de la Sainte par les ligues, la région de Vichy qui la célébra (avec le
1er Mai) avec ardeur pour résumer de la vulgate maréchaliste et le Massif
central, zone rurale vouée aux traditionnelles fêtes des mères et du
14 Juillet.

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Cette corrélation entre géographie politique et fête se retrouva dans
l’étude de 115 fêtes en Seine-Inférieure. Nous y avons constaté la pré-
sence des fêtes emblématiques du régime (bombardements, 1er Mai,
Jeanne d’Arc, fêtes sportives, mères) dans les aires urbaines et péri-
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urbaines, notamment rouennaise et havraise, et le long des axes de com-


munications, la Seine et l’axe Rouen-Dieppe. L’intérieur plus rural se
contenta des 14 Juillet et 1er-11 Novembre et, plus rarement, des mères.
En descendant au niveau communal, les communes de gauche, commu-
nistes ou SFIO, notamment la banlieue sud-rouennaise et les noyaux
industriels (Bolbec, Le Havre), célébrèrent le 1er Mai, ouvriériste puis
contesté à partir de 1943, mais aussi le 14 Juillet, vestige républicain qui
vit fleurir le tricolore interdit. Les communes plus conservatrices (Bihorel,
Saint-Adresse) préféraient le 11 Novembre et les mères, fêtes moins nova-
trices qui incarnaient des valeurs classiques populaires dans cette famille
politique. Enfin, les communes rurales (pays de Caux) se cantonnèrent
aux mères et au 14 Juillet qui permettaient de se confiner dans un atten-
tisme prudent tout en célébrant la femme au foyer sans déroger aux tradi-
tions festives.
Si les fêtes reflétaient la diversité des sentiments nationaux, si elles se
trouvaient au croisement de la volonté propagandiste centrale et des réac-
tions populaires, il était normal qu’elle soient contestées.
b / Contestation festive et vitalité sociale
Il y eut 32 incidents aux fêtes87 soit dans 10,5 % des cérémonies88. Ces
incidents furent redoutés dès le début d’un régime habitué aux contesta-
tions festives de la République et inquiet de s’attaquer à des habitudes
populaires. Dès 1940, les rapports évoquèrent avec soulagement le dérou-
lement du 14 Juillet « qui n’a donné lieu à aucune manifestation ni inci-
dent digne d’être noté »89 et expliquaient, à l’instar du commissaire de
Caudebec-les-Elbeuf que « comme l’an passé, dès le 12 [...] j’ai pris mes

87. Certains incidents ne furent pas évoqués dans les archives par peur de représailles ou de
disgrâce.
88. C’était deux fois plus qu’aux fêtes du XIXe siècle en Seine-et-Marne et 20 % de plus qu’aux
fêtes de la IIIe République dans le même département. Voir R. Dalisson, De la Saint-Louis..., op. cit.
89. Préfet de Haute-Savoie, cité par le ministère de l’Intérieur, septembre 1940, AN, F60/476.
28 Rémi Dalisson

dispositions et donné mes consignes en vue du maintien de l’ordre [...].


Le 14, des patrouilles d’agents cyclistes ont parcouru les rues »90.
Les incidents commencèrent dès 1940 prouvant la prégnance des sym-
boles républicains et la force du refus de la défaite. Certes, cette année fut
peu contestée et par des groupes minoritaires (lycéens et étudiants), mais
l’existence même de résistances symboliques dans le contexte de la
débâcle et de l’installation de la nouvelle administration montrait la néces-
sité pour le pouvoir de renforcer sa propagande face à une société non
encore domestiquée. Par la suite, leur progression régulière91, à mesure
que le nombre des cérémonies se stabilisait, révéla et accompagna les sou-
bresauts de la vie de la nation. La grande césure fut 1942 (le 14 juillet

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notamment), en parfaite adéquation avec le sort des armes et la situation
intérieure. Le nombre d’incidents augmenta de 50 % entre 1942 et 1943,
pour connaître son apogée à l’été de cette année-là, surtout lors du
1er mai, juste après l’assassinat du premier milicien par la Résistance et
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avant les tentatives de radicalisation des ultras de la collaboration. Le bras


de fer perdu par Pétain face à Hitler à l’automne et l’alignement sur les
conditions allemandes relancèrent les incidents des 1er-11 novembre 1943.
Ils devinrent une constante des fêtes de guerre et, si leur nombre s’ef-
fondra en 1944, c’est que les cérémonies furent rares, qu’elles s’interrom-
pirent en juin et furent plus surveillées, rendant la contestation plus diffi-
cile. Il n’en reste pas moins que la contestation par les incidents festifs ne
disparut jamais et qu’elle augmenta au point de devenir l’expression d’une
véritable contre-propagande révélatrice de la vitalité d’une sociabilité
contestataire en temps de guerre et de dictature.
Les trois quarts des incidents furent urbains, avec une surreprésenta-
tion des régions industrielles, notamment l’axe de la Seine et celui du
Rhône/Isère. On peut penser que les incidents ruraux furent minorés,
puisque les Allemands et Vichy étaient obsédés par la surveillance des
foyers de protestations ouvriers, communistes et urbains, espaces qui
mêlaient les classes sociales et les « cosmopolites ». En outre, les fêtes rura-
les étant, nous l’avons dit, les fêtes les plus consensuelles, elles prêtaient
moins à contestation que le 1er Mai. La nature des fêtes les plus contestées92
le confirma. L’écrasante domination de la fête du travail (50 % des occa-
sions d’incidents) tenait autant à son rôle d’étendard du régime qu’à sa tra-
dition ouvrière et contestatrice, particulièrement appréciée par le parti
communiste, notamment (mais pas exclusivement) dans les zones urbai-
nes. Le 14 Juillet (37 % des contestations) bénéficia de sa tradition répu-
blicaine, de son poids dans le monde rural et du sens que la République
lui avait donné. Représentant les droits de l’homme, la laïcité et la démo-

90. Rapport au préfet de Seine-Inférieure, juillet 1941, AD S-M, 51 W 0726. Le commissaire de


Fécamp, en collaboration avec la Kommandantur, prit des mesures draconiennes, fermant la plage et la
promenade au public en cette « journée [...] victime certaine animation en ville », AD S-M.
91. Voir annexe 3 a.
92. Voir annexe 3 b.
La propagande festive de Vichy 29

cratie, sa transformation en fête expiatoire des combattants fut parfois mal


comprise, créant des incidents alors qu’elle n’était plus perçue par les
autorités que comme « une solution d’attente, indécise [...] propre à
l’équivoque »93. Les contestations des 1er-11 Novembre relevèrent du
même poids des symboliques républicaines, tandis que l’incident de la fête
des mères de Bordeaux en 1942 révéla une xénophobie ancienne94.
Les responsables d’incidents se manifestèrent très tôt et si, en 1940, on
ne les identifiait guère (on parlait de « fauteurs de troubles » ou éléments
« antinationaux »), les choses changèrent l’année suivante. Sur l’ensemble
de notre échantillon, les deux groupes les plus actifs les jours de fête furent
les communistes (35 % des incidents) et les gaullistes (30 %), parfois quali-

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fiés de « radio-dissidente » par le préfet de la Seine-Inférieure. Le reste fut
le fait des Alliés (20 %) (les « Anglo-Américains » et leurs tracts demandant
d’évacuer les zones bombardées les jours de fête). On trouva même,
fin 1943, des membres du clergé (8 %) qui « tournèrent les réglementa-
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tions sur les sociétés pour le 1er Mai95 » pour protester contre le raidisse-
ment du pouvoir et, enfin, des « éléments subversifs » non identifiés.
Si, avant 1942, la contestation fut non communiste, à partir du
14 juillet de cette année-là, le préfet de Seine-Inférieure évoqua « une
recrudescence des distributions de tracts communistes [...]. Durant ce
mois de juillet, sa propagande s’est manifestée surtout en une seule occa-
sion, la commémoration de la fête nationale du 14 Juillet »96. Les commu-
nistes prirent en main la contestation festive, au point d’être impliqués
dans les deux tiers des incidents festifs de 1943, avant d’être rejoints par les
gaullistes. Si les premiers furent actifs dans les zones ouvrières tradition-
nelles (vallées industrielles, Nord), on les retrouvait aussi dans les zones
rurales radicales comme le Sud-Ouest alors que les manifestations gaul-
listes furent plus éparses.
Les modes de contestations ressemblèrent à ceux de la IIIe République97,
trois représentant les deux tiers des incidents. L’utilisation des drapeaux
interdits ou modifiés représenta 30 % des expressions contestataires. La
plupart du temps, le drapeau tricolore (ou la cocarde) fut arboré en signe de
protestation le 14 Juillet, notamment en zone Nord, mais on trouva aussi
des petits drapeaux anglais, voire américains. Les cocardes étaient ornées de
noir, collées sur les murs, voire sur les bâtiments des services allemands (à
Petit-Quevilly), sur les monuments aux morts ou portées à la boutonnière
comme à Rouen ou Caen où « les promeneurs arboraient de nombreuses
cocardes tricolores [...]. Par là, la population manifeste son ardent patrio-
tisme d’une façon discrète »98. Le second mode de protestation fut le graffiti

93. Ministre de l’Intérieur au vice-président du conseil, septembre 1941, AN, F60/407.


94. On y cria contre les « mères étrangères » qui réclamaient les mêmes cadeaux que les
Françaises.
95. Préfet de région au gouvernement, mai 1943, AD S-M, 51 W 0176.
96. Préfet au gouvernement, 31 août 1942, AD S-M, 51 W 0523.
97. Voir notre thèse, op. cit., t. II, chap. III et annexe.
98. Préfet au ministre de l’Intérieur, 15 juillet 1941, AD S-M, 51 W 0726.
30 Rémi Dalisson

(20 %) essentiellement des croix de Lorraine ou des inscriptions comme


« Vive la RAF », « mort aux Allemands » ou « mort à Hitler ». En 1942 et
surtout 1943, le slogan « Vive les communistes » et les faucilles et marteaux
apparurent.
Ces deux techniques représentèrent l’essentiel des protestations festi-
ves avant 1943, avant d’être rejointes par des distributions de tracts
(18 % des protestations). Ceux du 1er mai 1943 à Chambéry, Ugine,
Saint-Jean de Maurienne furent distribués par le « Mouvement ouvrier
savoyard » et appelaient à la désertion, tandis que ceux du PCF (Le
Havre, Saint-Nazaire) appelaient à la grève générale. La même année, au
14 juillet, les communistes normands distribuèrent des vignettes faites de

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citations de Robespierre ( « Quand un gouvernement viole les droits de
la Nation, l’insurrection est le plus sacré des droits » ) ou La Fayette
( « Pour que les Nations soient libres, il suffit qu’elles le veuillent » ) et
de références aux armées de 1792-1793, à Valmy et à l’Armée rouge.
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Ailleurs, ils s’attaquaient à la police au nom du Front national et du


Front national de la jeunesse. On trouva aussi, le 1er mai, des feuilles
communistes comme La vérité. Contrairement aux années 1940-1941,
les distributeurs ne furent pas arrêtés, et les tracts de mai 1943 portant
l’inscription « dernier 1er mai avant la Libération » (Calvados, Eure,
Alpes) se multiplièrent. Les contestations s’amplifièrent comme à Pont-
Audemer où tous les ouvriers de la ville osèrent débrayer de dix minutes
à une heure lors des 1er-11 novembre 1943, sans intervention de la gen-
darmerie. Les attentats, les déraillements et destructions de voies ferrées
(9 % des protestations) augmentèrent alors à Sotteville-les-Rouen ou
Villeneuve-Saint-Georges.
Finalement, les incidents se multiplièrent au point de provoquer
l’abandon des célébrations comme à Amiens où le maire choisit d’annuler
le 1er mai 1943 « pour éviter un échec qui n’aurait pas manqué d’avoir
une répercussion psychologique et sociale fâcheuse »99. Les célébrations du
1er mai 1944 diminuèrent donc malgré les efforts des services de propa-
gande qui ne purent jamais empêcher ces incidents prouvant le réveil de
la société et la persistance d’une contestation populaire.

Les fêtes furent bien, dès juillet 1940, un élément clé de la propa-
gande de Vichy. Solidement encadrées par les autorités allemandes en
zone Nord, légèrement plus libres en zone Sud, mais partout soumises
au discours nouveau, elles devaient expliquer la Révolution nationale.
En choisissant, avant même de créer des fêtes originales, d’instrumen-
taliser le cadre festif de la IIIe République, Vichy surestima sans doute le
rejet des valeurs républicaines qu’il confondit avec celui du personnel
républicain. À l’inverse, la continuité festive confirma le poids des
valeurs et pulsions morbides (exclusion, culte de la force brute) de la

99. Maire au préfet, 30 avril 1943, AN, F60/476.


La propagande festive de Vichy 31

société française, pulsions que l’encadrement social de la IIIe République


avait longtemps refoulées. Mais la relecture nationaliste (Jeanne d’Arc),
expiatoire et doloriste (le 14 Juillet, les 1er-11 Novembre), xénophobe,
voire eugéniste (les mères et Jeanne d’Arc) et toujours autoritaire (le
culte du chef) des mythes nationaux ne pouvait suffire à assurer la péren-
nité du régime.
C’est pourquoi la création de fêtes nouvelles, centrées sur le corps, la
force, le terroir, la virilité et le sport fut essentielle pour modifier le regard
sur la jeunesse et faire de la sélection naturelle l’une des bases philosophi-
ques du régime, à la place de la démocratie. De même, la célébration du
1er Mai, véritable synthèse de l’histoire de France revue par les extrémistes

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de droite, résumé de la nouvelle philosophie du pouvoir, fut capitale. Elle
résuma le poids de la fête et les ambiguïtés d’un régime aussi didactique
que son ancêtre républicain. Son encadrement, sa fréquence et son dérou-
lement en firent l’étendard du régime au point d’en devenir le premier
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ferment de contestation festive. Le déroulement des fêtes, fait d’emprunts


républicains (la minute de silence, les trois couleurs) et de renversement
de priorités (l’église à la place de l’école), leur géographie (l’Ouest légaliste
au 14 Juillet, le Sud plus frondeur avec le 1er Mai) confirmèrent l’impor-
tance propagandiste de ce vecteur d’émotions populaires et politiques,
mais aussi de la profondeur de la politisation, y compris rurale, de la
société française. Le mélange des traditions (Église, mortification), remises
au goût du jour, et des moyens de conditionnement des masses les plus
modernes (cinéma, graphisme, sport, radio) offrit le spectacle d’un régime
syncrétique dont l’ambiguïté fut l’une des causes de son succès et de son
poids, encore tabou, dans la société actuelle.
Surtout, les incidents, par leur précocité, leur fréquence, leur aug-
mentation et leur variété, montrèrent la vitalité de la société sous la dic-
tature et l’occupation tout comme la survivance d’une « sociabilité fes-
tive » contestataire et finalement démocratique. Jamais fêtes ne furent
aussi contestées et jamais les opinions exprimées ne furent aussi tran-
chées. Elles témoignaient de la variété des opinions, depuis l’adhésion au
régime (les incidents xénophobes de la fête des mères) jusqu’au commu-
nisme (les tracts à la gloire de l’Armée rouge) en passant par le simple
rejet épidermique de l’occupant (le 11 Novembre, les graffitis) ou un
gaullisme plus ambigu et fédérateur. Face à un tel phénomène, la répres-
sion fut vite inopérante et l’attitude des autorités françaises, relativement
tolérantes à partir de 1943, révéla la versatilité d’une administration qui
avait senti la situation tourner. Elle révéla aussi l’échec de la relecture
vichyste de mythes nationaux solidement ancrés dans la population par
l’action civique de « la plus longue des Républiques » (J. Georges et
J..Y. Mollier).
Il reste que cette étude est incomplète et que seule la consultation
exhaustive des archives départementales, que nous avons entreprise, per-
mettra de comprendre la force de cette « sociabilité festive » vichyste et de
mieux appréhender les raisons de l’échec de la propagande festive d’un
32 Rémi Dalisson

pouvoir qui fit de l’encadrement des masses son cheval de bataille. Enfin,
la continuité entre la IIIe République et Vichy mériterait d’être prolongée
par une étude des pratique festives sous la IVe République qui reprit une
grande part des héritages vichystes, non seulement dans une administra-
tion peu expurgée, mais aussi dans des traditions culturelles, festives et
contestataires qui perdurèrent100.
Rémi DALISSON,
IUFM de Rouen.

100. Voir les polémiques sur le centenaire de 1848 et la position communiste en pleine guerre

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froide. Sa célébration le 22 mai, et non en février, démontra la volonté d’en gommer, un an après le
départ des ministres communistes du gouvernement, le caractère révolutionnaire et subversif.
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Annexe 1
Nombre et caractéristiques des fêtes vichystes (1940-1944)
Nombre Incidents
Fête Type Date Textes de référence Tutelle de fêtes Nombre (%)

Fête du travail et de la FNR 1er mai Loi 12 avril 1941, modifiée Ministère du Travail, de la Solidarité nationale 98 Nb : 16
concorde sociale 26 avril 1941 Ministère de l’Intérieur % : 6,5
Fête des mères de FNR 20-28 mai Décret du 26 avril 1920 Commissariat général à la Famille. Ligue des familles 58 Nb : 1
famille françaises Circulaire du 2 mai 1941 nombreuses % : 1,8
Fête du souvenir des FNR 1er-11 no- Loi du 24 octobre 1922 Délégation générale du gouvernement français dans 42 Nb : 3
morts de 1914- vembre Circulaire du 23 octo- les territoires occupés
1918 et 1939-1940 bre 1940 Ministères : Intérieur, Anciens Combattants. UNC %:7
Journée légale du FNR 14 juillet Loi du 6 juillet 1880 Délégation générale du gouvernement français dans les 50 Nb : 12
14 juillet Loi du 10 juillet 1940 territoires occupés
Loi du 23 juin 1941 Ministère de l’Intérieur % : 24
Fête de Jeanne d’Arc FNR 8-10 mai Loi du 10 juillet 1920 Commissariat général à la Famille. 33 Nb : 0
Circulaire du 9 mai 1941 Ministère du Travail et de la Solidarité %:–
Hommage aux victimes FNO 7 mars 1942 Circulaire du 2 mars 1942 Délégation générale du gouvernement français dans 12 Nb : 0
des bombardements du les territoires occupés
3 mars 1942 Ministère du Travail
Ministère de l’Intérieur
Fête nationale de FNO 4-11 juil- Circulaire du 6 mars 1942 Commissariat général à l’Éducation et aux Sports (EGS) 3 Nb : 0
La sportive let 1942
Quinzaine impériale FNO 17 mai - Circulaire du Secrétariat d’État aux colonies, Ligue maritime 3 Nb : 0
1er juin 18 février 1942 Commissariat à l’EGS
Fête du serment de l’athlète FNO 27 juin Circulaire du 27 février 1942 Commissariat à l’EGS 5 Nb : 0
Total % incidents/
304 total fêtes
FNR = Fête nationale régulière. 10,5
FNO = Fête nationale occasionnelle.

RÉCAPITULATIF

Nombre et types de fêtes Types de fêtes étudiées Chronologie des fêtes

FNO :4 FNO : 10 % 1940 30


1941 83
FNR :5 FNR : 90 % 1942 81
1943 87
1944 23

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Annexe 2
Composition des programmes des fêtes vichystes

rôle des écoles 25

sonnerie aux morts 3

Marseillaise officielle 45,5

défilé militaire 1,5

minute de silence 11,5

défilé de sociétés 13,5

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repas 2,5

exposition 3,6
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concert 28,5

céré. monuments aux morts 41,5

rôle actif du curé 23

kermesse/tombola 19,6

prime 7,5

cérémonie religieuse 24,5

messe 46,5

chants 40

spectacles 39

vin d’honneur 5

cinéma 11,5

sport 20,5

goûter d’enfants 31

cadeaux aux ouvriers/mères 16,5

quêtes 19

colis aux prisonniers 9,5

remise méd./gerbes/diplômes 70

discours 55

0 10 20 30 40 50 60 70
La propagande festive de Vichy 35

Annexe 3
Nombre de fêtes, proportion et caractéristiques
des incidents aux cérémonies (1940-1944)
Annexe 3 a
Nombre de fêtes et pourcentages d’incidents
Nombre de fêtes Pourcentages
90

80

70

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60

50

40
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30

20

10

0
1940 1941 1942 1943 1944

Nombre de fêtes Pourcentages d’incidents par fêtes

Annexe 3 b
Répartition des incidents par type de fête

3%
9,5%

50%

37,5%

er
Fête du travail 14 juillet 1 -11 novembre Fête des mères

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