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GMCC 207 0005
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ritaire. Puis nous le confronterons au déroulement des cérémonies, à leur
chronologie, leurs programmes et réalisations. Nous comprendrons alors,
grâce aux incidents qui s’y produisirent9, les réactions populaires aux
choix du pouvoir. Ainsi se dessinera la complexité du vecteur propagan-
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diste que furent les fêtes de 1940 à 1944, et leur instrumentalisation par le
pouvoir comme par les Français. Ces pratiques mettront en évidence
l’ambivalence du régime et les hésitations d’une société bouleversée dans
ses références idéologiques, mais qui parvint à s’exprimer dans l’espace
clos des fêtes. L’ensemble constitua un héritage contrasté, dont les traces
subsistent encore aujourd’hui, malgré les errements de la mémoire10 de
cette période.
6. Voir F. Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin, Paris, Le Seuil, 1996, notamment p. 135-151.
7. À l’exception d’A. Ben Amos, La commémoration sous le régime de Vichy : les limites de la
maîtrise du passé, La France démocratique, Mélanges Maurice Agulhon, C. Charles, J. Lalouette,
M. Pigenet et A.-M. Sohn (éd.), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 397-408.
8. Les fêtes vues appartiennent aux deux tiers à la zone occupée, le reste à la zone libre jus-
qu’en 1942.
9. Par incidents, nous entendrons des événements politiques ou symboliques qui remontèrent
jusqu’au pouvoir central et influèrent sur le déroulement des cérémonies.
10. Voir H. Rousso, Le syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990, et E. Conan
et H. Rousso, Vichy, un passé qui ne passe pas, Paris, Fayard, 1994.
11. C. Levy et D. Veillon, Propagande et modelage des esprits, J.-P. Azéma et F. Bedarida (éd.),
Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 184.
12. Voir D. Pechanski, Encadrer et contrôler, La propagande sous Vichy..., op. cit., p. 10-31.
La propagande festive de Vichy 7
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monies nationales occasionnelles (enterrements, centenaires), véritables
liturgies civiles qui devinrent, « avec l’armée et l’école, l’un des vecteurs
privilégiés de l’idée républicaine »13. Pour Vichy, ces célébrations avaient
été les pourvoyeuses des fameux « mensonges qui vous ont fait tant de
mal ». Cependant, puisqu’il fallait ne rien « épargner, ni les activités col-
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13. C. Amalvi, Du dies irae à jour de fête, p. 422, dans P. Nora, Les lieux de mémoire, t. I, Paris,
Gallimard, 1984.
14. R. O. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Paris, Le Seuil, « Points », 1973, p. 214.
15. C. Levy et D. Veillon, dans leur article « Propagande et modelage des esprits », op. cit., par-
lent de crédits qui passèrent de 45 à 76 millions de francs entre 1942 et 1943.
16. Voir les innombrables propositions de lois sur les fêtes publiques de la période 1789-1814,
dans J.-P. Bois, Histoire des 14 juillet, 1789-1919, Rennes, Ouest-France, 1991. Pour la suite, nous
avons relevé 351 textes régissant les fêtes de 1815 à 1939 dans R. Dalisson, De la Saint-Louis..., op. cit.
17. Voir P. Ory, La politique culturelle sous Vichy : ruptures et continuités, dans Pratiques et
politiques culturelles dans la France de Vichy, J.-P. Rioux (éd.), Cahiers d’histoire du temps présent, n° 8,
Paris, CNRS, 1988.
18. Instructions sur les fêtes, Feldkommandant de Rouen et Caen au préfet, 27 juillet 1940, AD
Seine-Maritime (AD S-M), 51 W 0176.
8 Rémi Dalisson
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interdits »20 en zone occupée. Seules les réunions, les jours de fêtes, de
corporations de droit public n’étaient pas soumises à une telle déclaration.
Des arrangements restèrent cependant possibles et pas seulement dans
la zone libre. En zone occupée, la réalité fut contrastée. Ainsi à Rouen, le
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festive pour gérer les traces du passé. Chaque cérémonie généra donc,
entre le possible et le souhaitable, ses propres codes pour expliciter ses
références.
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de neuf fêtes nationales, cinq régulières et quatre occasionnelles, total
impressionnant en quatre ans24. Quatre des cérémonies régulières étaient
des héritages de la IIIe République, seule la cinquième, la « Fête du tra-
vail et de la concorde nationale », étant une création. Il s’agit, à travers
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ces quatre occasions, d’instrumentaliser des legs bien ancrés dans les
mentalités.
a / Images viriles et militaires : le 14 Juillet et les 1er-11 Novembre
Chronologiquement, la plus ancienne des célébrations fut le 14 Juillet
rebaptisé Cérémonie en l’honneur des Français morts pour la Patrie. Il fut pris
en charge, pour la zone Nord, par la « délégation générale du gouverne-
ment dans les territoires occupés », en liaison avec les Allemands du
« gouvernement militaire d’occupation » et, pour la zone Sud, par le
ministère de l’Intérieur. C’est pourquoi, dès le 10 juillet, une circulaire de
Pétain, encore président du conseil, précisait que : « Le gouvernement a
décidé que le 14 Juillet, fête nationale, devait être marqué cette année du
signe de deuil et du recueillement. C’est vers les glorieux morts de la der-
nière campagne, dignes par leur héroïsme, parfois désespéré, de leurs vic-
torieux devanciers de la guerre de 1914-1918 que doivent monter nos
pensées »25. En zone Nord, si la cérémonie, comme toutes les manifesta-
tions et les pavoisements, était interdite, elle restait fête légale chômée et
la loi de 1880 n’était pas abrogée. En zone Sud, la fête devait être orga-
nisée en cérémonies aux monuments aux morts, avec drapeau en berne,
minute de silence, sonnerie aux morts, cérémonie religieuse et défilé mili-
taire en présence des autorités. Cette fête embarrassait le pouvoir qui, ne
pouvant se résoudre à supprimer une occasion aussi fédératrice, choisit de
lui donner un double sens.
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Dès l’année suivante, ce sens fut complété. Si le 14 Juillet fut
conservé, à la grande fureur des collaborationnistes, notamment Je suis par-
tout26, il ne devait plus être marqué par aucune fête, hormis les messes et
palmes aux monuments aux morts en raison du « deuil de la Patrie »
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(F. Darlan). On ne parlait plus de fête nationale, mais d’une fête légale ou
chômée qui devint, surtout en zone Sud, « l’anniversaire du jour qui a vu
le maréchal Pétain prendre le titre de chef de l’État français ». Associer le
14 Juillet au 11 contribuait au culte de la personnalité du Maréchal et à
celui de la Révolution nationale. En même temps, les protestations
« spontanées » contre son maintien étaient encouragées. À Marseille, un
particulier se plaignait que « le 14 Juillet ne peut demeurer un symbole et
un idéal pour la France nouvelle »27 et demandait son rattachement à la
fête de Jeanne d’Arc qui elle seule « peut encore réaliser l’unanimité des
Français ». À Rennes, un ancien militaire écrivait, en citant Funck-
Brentano, que le 14 Juillet devait disparaître car « il n’avait été qu’un
hideux jour de soulèvement de gens sans cœur, en grande partie des ban-
dits [...] et beaucoup d’étrangers ».
Le second anniversaire prêta moins à contestation puisqu’il s’agissait
du 11 Novembre. Le pouvoir ne pouvait renier le souvenir de la Grande
Guerre, élément essentiel de la mythologie pétainiste et cérémonie struc-
turante de la mémoire de guerre28. Mais il ne fallait pas trop heurter les
Allemands qui, en masquant le monument aux morts de Rethondes,
avaient montré leur souci de gommer le passé cérémoniel du conflit. Le
régime maintint donc la loi d’octobre 1922 tout en modifiant l’intitulé de
la fête. Si elle garda le titre de « commémoration nationale » dans les ins-
tructions du Maréchal du 23 octobre 1940, elle ne fut plus ni chômée ni
pavoisée. Seuls des services religieux, des minutes de silence et des gerbes
aux monuments en rappelaient l’origine en zone Sud. Au nord, le délégué
du gouvernement français dans les territoires occupés estimait « que cet
26. Le numéro du 14 juillet 1941 fustigeait l’anniversaire d’un jour « déshonoré par les
émeutes ».
27. Lettre au maréchal Pétain, préfecture des Bouches-du-Rhône, 17 février 1941, AN,
F60/476.
28. Voir R. Dalisson, Le 11 Novembre ou l’enjeu de la célébration de la mémoire combattante
dans l’entre-deux-guerres, Guerres mondiales et conflits contemporains, n° 192/1998, p. 5-23.
La propagande festive de Vichy 11
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mort inutile des fils tombés à cause de la République et du Front popu-
laire. Les valeureux soldats de 1914 pouvaient alors s’entendre avec
l’ennemi d’hier puisqu’ils avaient été trahis par ceux qui les avaient
menés au combat. Un pont était jeté entre les héroïsmes passés et pré-
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sents et le Maréchal, qui avait sauvé ceux de 1914, devait sauver une
nouvelle fois ceux de 1940. Le seul sentiment à exprimer ce jour-là était
donc la douleur, le deuil et... la discrétion. Les minutes de silence furent
dédiées aux « victimes des deux guerres » comme à Vichy en 1941, tan-
dis que les cérémonies, en zone libre, devaient « rappeler les principes du
redressement national, les mots “travail, famille, patrie” »30 et rester « une
journée de recueillement réfléchi selon les principes du chef de l’État »31
pour méditer sur les funestes effets de l’ « esprit de jouissance ». Le pilier
de la fête fut donc l’Union nationale des combattants (UNC), grand vivier
de cadres maréchalistes et incarnation d’un dolorisme autoritaire qui
convenait bien au régime.
Tout cela sentait encore beaucoup la mort et les funestes souvenirs.
Mais le système festif républicain offrait d’autres occasions festives plus
positives.
b / Images maternelles, féminines et héroïques
La famille, cellule de base de la société future, fut un des piliers de la
propagande et de l’imaginaire du régime. Deux fêtes, d’origine républi-
caine, permirent de propager ses valeurs tout en bénéficiant des infrastruc-
tures passées.
La plus importante fut la fête des mères rebaptisée Journée des mères de
famille françaises. Célébrée entre les 20 et 30 mai, elle restait régie par la loi
d’avril 1926 dont le contenu convenait à un régime nataliste soucieux de
protection de la « race ». En effet, créée à l’instigation du « Conseil supé-
rieur de la natalité et des ligues de défense des familles nombreuses » et
objet, à l’époque, d’un large consensus après les hécatombes de la Grande
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effrénée comme la circulaire de Carcopino distribuée aux enseignants à
700 000 exemplaires en 1941 ou les innombrables affiches vantant
l’éternel féminin de Vichy35. Toutes les circulaires mentionnaient les tracts
ou affiches de propagande diffusées par le « commissariat général à la
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Mieux, elle résumait l’époque puisque « la France de 1942 se trouve dans
une situation qui rappelle singulièrement celle que Jeanne a connue »40.
Son historicité en fit le pendant religieux du 14 Juillet, et acheva de faire
du mois de mai le mois cérémoniel du régime (1er mai ou Saint-Philippe,
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les fêtes de printemps, la fête du travail, celle de Jeanne d’Arc, des mères,
et d’innombrables fêtes sportives). En outre, cette fête avait l’avantage
d’être relayée par des cérémonies locales, à Reims, Orléans ou Rouen.
C’était le gage d’un succès qui se prolongea jusqu’en 1944 quand les Alle-
mands et le ministère de l’Intérieur s’accordaient encore pour organiser
partout la fête par des « dépôts de gerbes et cérémonies religieuses en pré-
sence des autorités »41.
Mais le nouveau régime ne se contenta pas de réécrire le patrimoine
festif de la IIIe République. Il créa des cérémonies pour inscrire, dans les
calendriers et les mémoires, ses nouveaux principes.
38. Voir, à ce sujet, R. Sanson, La fête de Jeanne d’Arc en 1894, Revue historique, 1975, et
R. Dalisson, De la Saint-Louis..., op. cit., t. II, p. 485-492.
39. Voir le célèbre discours du maréchal Pétain pour la 1re fête Jeanne d’Arc, mai 1941.
40. Discours de G. Lamirand, secrétaire d’État à la Jeunesse, 10 mai 1942, AD S-M, 2 Z 596.
41. Télégramme de l’Intérieur et des Allemands aux préfets, 6 mai 1944. AD S-M, 51 W 0307.
42. Nous aurions pu en retenir d’autres (funérailles, hommages personnels) qui existèrent (au
général Hutzinger, à Guynemer) mais furent soit trop parisiens, soit trop peu célébrés pour être
représentatifs.
14 Rémi Dalisson
IIIe République ayant toujours refusé de faire du 1er Mai une fête offi-
cielle, son officialisation par les lois d’avril 1941 fut une douce revanche
pour le régime qui tenait là « ses promesses, même celles des autres »
comme le rappelait l’une de ses célèbres affiches. De plus, honorer le tra-
vail, y compris manuel, était une façon d’élargir l’audience de la Révo-
lution nationale et de concurrencer les communistes, tout en renouant
avec le discours ouvriériste d’une frange des collaborateurs parisiens et
de Vichy.
Plus encore que la fête des mères, le 1er Mai fut une occasion de pro-
pagande. Baptisé Fête du travail et de la concorde sociale, on lui adjoignit sou-
vent le nom du saint du jour, la Saint-Philippe ou « Fête du Maréchal »,
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manière de montrer la place centrale du chef et de contribuer à son culte.
Il fut la cérémonie qui bénéficia du plus fort support propagandiste, à
l’image de ses trois types d’affiches et des portraits géants du Maréchal à
placer « toujours au centre des réjouissances »43. Le gouvernement créa des
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qu’elle mourut. L’évocation se prolongeait par celle de la tradition
ouvrière du « jour de l’églantine, notre vieille églantine rouge du sang des
ouvriers [...] où les travailleurs clamaient leur soif de justice [...] où se
réveillaient les hommes ». On faisait référence aux « cahiers du proléta-
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riat » amenés dans les mairies le 1er mai 1890 et que les « cahiers corpora-
tifs » prolongeaient dans un cadre épuré. On rappelait le rôle du congrès
socialiste de Paris dans la fixation de la fête, avant de vanter les luttes pour
les conquêtes ouvrières « acquises en 1919 grâce à la ténacité de la classe
laborieuse à laquelle la technique a plus profité que les agitateurs [...],
mauvais bergers qui ont souvent égaré son action ». On arrivait à l’apo-
théose de 1940 et à un 1er mai devenu « jour de fête nationale du tra-
vail [...] où tous les Français unis sauront fêter à la fois le réveil des choses
et des hommes, la Révolution nationale et le printemps ». Il était dédié au
« travail des Français, ressource suprême de la Patrie qui doit être sacrée »,
notamment le travail ouvrier. C’est à eux que Pétain déclara, à Saint-
Étienne, haut lieu de la conscience ouvrière : « Ouvriers mes amis [...]
n’écoutez plus les démagogues, ils vous ont fait trop de mal. Ils vous ont
nourri d’illusions [...]. Souvenez-vous de leur formule : le pain, la paix, la
liberté, vous avez eu la misère, la guerre et la défaite ». Ce discours devint
le credo du jour en appelant à la fin de la lutte des classes par la disparition
de la « condition prolétarienne, injustice qui empêche la paix sociale ».
On retrouvait les grandes lignes du programme social et philosophique du
régime. Rien ne manquait depuis l’obsession du terroir jusqu’à la néga-
tion de la lutte des classes en passant par les errements républicains et
l’appel à la jeunesse. Le régime se posait comme le garant d’une politique
sociale avantageuse pour les ouvriers et les paysans, pour qui « la loi de
corporation agricole montre que la vigilance de l’État ne se limite pas aux
travailleurs des villes »47.
La journée était chômée et payée et les heures effectuées récupérées.
Initialement48, les salariés devaient reverser la moitié de leur salaire (ou
indemnité compensatrice) au Secours national au titre d’une souscription
46. Toutes ces citations sont extraites de l’opuscule Et vive le 1er Mai, AN, F60/476.
47. Circulaire du vice-président du Conseil aux préfets, 12 avril 1941, AN, F60/476.
48. Devant le tollé général, cette mesure de la loi du 12 avril fut annulée le 26 avril 1941.
16 Rémi Dalisson
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corporatives locales chargées de « mettre en valeur l’aspect régional » de la
fête selon le préfet de l’Hérault. Les entreprises finançaient des colis
envoyés aux prisonniers tout en offrant des spectacles édifiants aux
enfants.
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49. Circulaire du vice-président du Conseil aux préfets, 12 avril 1941, AN, F60/476.
50. Amiral Darlan, idem.
51. Discours du préfet régional de Seine-Inférieure, 1er mai 1943, AD S-M, 51 W 0118.
52. Circulaire de Laval aux préfets, 16 avril 1943, AD S-M, 51 W 0118.
53. Lettre de Déat aux préfets, 4 avril 1944, AD S-M, 51 W 0307.
La propagande festive de Vichy 17
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rappelaient que les souffrances des Français étaient le prix à payer pour le
redressement national et le fruit d’alliances erronées. La Garde républi-
caine, convoquée en grande pompe, achevait de montrer la continuité du
pouvoir dans un pays rassemblé dans la douleur. Ailleurs, le cérémonial
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la gloire et non le profit »61.
La journée débutait donc par des démonstrations d’athlétisme, de
gymnastique et des mouvements d’ensemble. Le clou de la fête restait,
après le salut aux couleurs, la prestation de serment, prononcée bras
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58. Voir J.-L. Gay-Lescot, Sport et éducation physique sous Vichy, Lyon, PUL, 1991.
59. Instructions préfectorales, 20 mai 1943, AD S-M, 51 W 346.
60. Commissariat général à l’EGS aux directeurs régionaux, mars 1942, AD S-M, 51 W 0327.
61. Texte de la plaquette officielle du « Serment de l’athlète », idem.
62. Sous-préfet de S-M au président de la « Ligue maritime », 5 mai 1942, AD S-M, 51 W 0918.
La propagande festive de Vichy 19
haute saison sportive, elle plaçait les célébrations à venir sous l’égide spor-
tive et régénératrice. Ces manifestations sportives furent insérées dans la
promotion des terroirs identitaires, « de la terre, qui elle ne ment pas » des
« petites patries » (J.-F. Chanet) qui devaient former à présent, comme
sous l’Ancien Régime, le socle de la Nation. Les danses folkloriques et
autres activités artisanales traditionnelles furent d’ailleurs promues dans
près d’un tiers des fêtes de notre échantillon63. À Bayonne, pour le
1er mai 1943, une grande fête sportive et identitaire doubla la fête du tra-
vail. Après une cérémonie au monument basque, un match de rugby fut
organisé, au son des orchestres et danses traditionnelles. Il opposa l’équipe
de l’Aviron bayonnais aux ouvriers des forges du Boucau, et se solda, bien
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entendu, par la victoire de l’équipe ouvrière. La journée se termina en
apothéose, avec danses, concours de chants basques et démonstrations
d’activités manuelles et agricoles, valeurs devant, selon le préfet, montrer
la place « de l’effort, de la solidarité et des sportifs, relevés par les vertus
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63. Voir C. Faure, Le projet culturel de Vichy, folklore et révolution nationale, Lyon, PUL, 1989.
64. Lettre au chef du gouvernement, 3 mai 1943, AN, F 60/476.
65. Préfet de région au maire, 1er juillet 1942, Rouen, Bordeaux, AD S-M, 51 W 0175, AM,
8 070 Q.
66. Journal de Rouen, 12 juillet 1942, AD S-M, 51 W 0918 (JPL3).
20 Rémi Dalisson
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II. FÊTES, PROPAGANDE ET CONTESTATION :
II. LA PERMANENCE D’UN ESPACE DE SOCIABILITÉ
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République, cantonné aux actualités ou pièces comiques après la Grande
Guerre, il avait gagné ses lettres de noblesses festives lors des années 1930,
avec le cent-cinquantenaire de la Révolution et les films de Jean Renoir.
S’il ne fut présent que dans 12 % des programmes, il agrémenta un tiers
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des fêtes sportives et des 1er mai, soit les cérémonies les plus novatrices du
régime. Deux types de films furent présentés. Les moins nombreux furent
des films de pure propagande totalitaire, inspirés des idéaux nazis et uti-
lisés par les collaborateurs les plus durs, comme Le Juif Süss présenté par
le Rassemblement national populaire (RNP) à Caen lors du 1er novem-
bre 1943, des films allemands comme Pages immortelles le 1er mai 1942
à Rouen ou des projections organisées par les armées d’occupation (Puis-
sances mystérieuses) pour compléter les fêtes en zone Nord. Plus fréquents
furent les films vantant l’idéologie pétainiste, notamment le sport avec
L’appel du stade projeté à Rouen, Caen, Lyon ou Rennes en mai 1942
pour la Quinzaine impériale ou La force du stade projeté à Creil le
1er mai 1943. Entre ces catégories, on trouvait des films plus neutres
comme Le briseur de chaînes le 1er mai 1942 à Barentin avec Pierre Fresnay.
La radio-diffusion compléta ce média en retransmettant les grands dis-
cours du Maréchal lors de ses fêtes emblématiques. Ainsi en 1941, le dis-
cours de Pétain qui rappelait que, « depuis dix mois je convie les Français
à s’arracher au mirage d’une civilisation matérialiste [...]. Un pays stérile
est un pays mortellement atteint dans son existence. [...] Mères, vous êtes
les inspiratrices de notre civilisation chrétienne »74 fut retransmis dans les
trois départements normands lors de la fête des mères. Celui prononcé à
Thiers le 1er mai 1942 pour vanter « le corporatisme, l’artisanat, éléments
essentiels de notre politique de demain »75 fut tout aussi bien retransmis
que celui de Saint-Étienne qui annonçait la promulgation de la Charte du
travail l’année précédente. La parole du Maréchal était alors sacralisée,
renforçant encore le culte de la personnalité que ses portraits incarnaient.
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nord). Les sociétés qui défilaient avec les étendards des métiers ou des
activités traditionnelles soulignaient alors, avec le soutien des « Syndicats
communaux des corporations », notamment paysanne, l’enracinement
local face au centralisme républicain honni. La JOC, mais aussi de nom-
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breuses Amicales laïques furent abondamment utilisées aux 1er Mai, tout
comme les remises de médailles aux ouvriers ou artisans méritants.
b / Pédagogie et symbolique de valeurs nouvelles
À côté de cette propagande de masse, des actes symboliques qui confor-
taient le cours nouveau, exprimèrent la solidarité de la Nation envers les
prisonniers et les combattants pour expier les péchés passés. Il est à cet
égard significatif que l’acte le plus fréquent des programmes (70 %) ait été
la remise de médailles, de gerbes ou de diplômes aux mères de familles
nombreuses, aux familles de prisonniers, aux enfants de prisonniers, aux
orphelins, aux soldats, aux travailleurs, bref à tout ce qui constituait le
pays souffrant. Tout faisait sens : les primes aux ouvriers étaient données
dans les usines par des patrons réconciliés avec les prolétaires, les quêtes
étaient réservées aux victimes de bombardements, les diplômes aux mères
de famille méritantes, les médailles (à l’effigie du Maréchal) aux travail-
leurs et aux combattants, les friandises aux enfants, espoirs du régime et les
« colis du Maréchal » (des vêtements souvent) aux prisonniers, fleurons de
la Relève et exemple de sacrifices vertueux. En outre, ces actions pou-
vaient s’organiser à l’intérieur des bâtiments officiels (écoles, ministères,
préfectures) et ménager les susceptibilités des occupants. Cette symbo-
lique s’adressait souvent aux soldats et Anciens Combattants, à travers les
cérémonies aux monuments aux morts qui rehaussaient les 14 Juillet, les
1er-11 Novembre et la fête de Jeanne d’Arc. On retrouvait là la mise en
scène héritée du 11 novembre, la minute de silence, la sonnerie aux morts
et La Marseillaise, surtout en zone Sud avant 1943, et la messe. La
« mémoire de guerre » restait intacte pour une génération éduquée dans le
76. Les autres références furent La Fontaine, Molière et Sully Prud’homme ( « Je tiens de ma
patrie un cœur qui la déborde, et plus je suis Français, plus je me sens Français » ), et, le 1er Mai,
Proudhon (pour son analyse de la condition ouvrière, son antisémitisme et ses attaques contre la
République).
La propagande festive de Vichy 23
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Compiègne78. Cette reconquête passait aussi par des actes symboliques
comme la remise de « pain béni » par les enfants aux mères lors de leur
fête ou les « bénédictions collectives » aux fêtes de Jeanne d’Arc. Les ser-
mons prirent un tour plus politique comme celui du curé de Dieppe qui
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préconisait « une plus grande union entre tous les Français comme le
souhaite le Maréchal »79 pour relayer l’État à chacune des cérémonies. Des
messes spéciales, comme les messes dialoguées pour « les travailleurs, en
français et en allemand » à Déville-les-Rouen en mai 1943 ou les messes
des mères françaises (Lyon, Rouen, Nantes) confirmaient l’adhésion
d’une Église, trop heureuse de retrouver son rôle d’encadrement social.
Enfin, ces fêtes virent le retour d’organisations catholiques (Dames de
charité, Ligue féminine d’action catholique) appelées à relayer l’État et à
remplacer les organisations laïques.
Église et État se retrouvaient dans la promotion de la jeunesse, de la
force et du renouveau, valeurs présentes dans la moitié des activités des pro-
grammes. Le triptyque écoles (défilé, lectures, spectacles), goûters (réser-
vés aux écoles ou enfants de prisonniers) et sports (souvent scolaires) attei-
gnit en moyenne 30 % des programmes, soit un peu plus que sous la
IIIe République. Et, si l’on ajoutait la participation des enfants aux exposi-
tions, tombolas, défilés, kermesses, chants (les chorales municipales et sco-
laires), cinéma (les séances réservées) et quêtes, on a une idée de l’im-
portance de la jeunesse pour le régime. Il s’agissait de substituer une image
de l’école religieuse et sélective à celle de Jules Ferry, tout en vantant
la force et le renouveau. Toutes les instructions officielles des fêtes men-
tionnaient la jeunesse et ses organisations scolaires ou parascolaires, offi-
cielles ou associatives. Ainsi, la circulaire du secrétaire d’État à l’Éducation
nationale fit de la fête de Jeanne d’Arc de 1942 la fête des jeunes car « il
est nécessaire de rendre le sens de l’ordre, de l’harmonie, de la discipline,
des manifestations collectives aux jeunes [...] pour mieux pénétrer la
masse des jeunes isolés »80. Le maire de Laigneville, dans l’Oise, expliquait
77. R. Dalisson, Le 11 Novembre..., op. cit., A. Becker, La guerre et la foi, Paris, A. Colin, 1995.
78. Le curé y fit un sermon sur « la concorde sociale et les espérances du Maréchal » à la fête du
travail de 1942, AN, F60/476.
79. Sermon à la fête Jeanne d’Arc, 8 mai 1941, AD S-M, JPL3.
80. Secrétariat d’État à l’Éducation aux préfets, 30 avril 1942, AN, F60/476.
24 Rémi Dalisson
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myriade d’associations spécialisées (le « Comité d’entraide pour les familles
de prisonniers », l’ « Œuvre du colis aux prisonniers », les « Centres de
jeunesse », les « Cœurs vaillants ») qui renforçaient le maillage idéologique
du pays nécessaire à la réussite de l’entreprise de propagande entamée en
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juillet 1940.
Les programmes des fêtes furent bien une mise en pratique des thémati-
ques nouvelles, plaquées sur des habitudes anciennes et républicaines. En
alternant méthodes de conditionnement modernes et traditions religieuses,
en refusant de bannir des symboles populaires (les trois couleurs, les monu-
ments aux morts), en vantant des valeurs parfois ambiguës et récupérables
par les résistants (la jeunesse, la patrie), le pouvoir laissa place à une contes-
tation qui fit de ces lieux un espace de sociabilité contestataire.
de 1940, soit près de deux fois plus que la moyenne de la période. À ces
deux fêtes, les curés et desservants multiplièrent les sermons (dans 35 %
des cas), qui accompagnaient les nombreux discours (dans un tiers des cas)
officiels. Le 14 Juillet, ils présentaient les raisons de la défaite et les thèmes
du changement avec déjà la régénération par le sport (dans 20 % des cas).
Puis, les 1er-11 Novembre, ils appelaient à l’union et à la compassion avec
des quêtes dans 40 % des cas. Dans l’atmosphère de début de règne, ces
deux cérémonies, qui avaient l’avantage de se référer à des traditions fes-
tives anciennes, furent peu contestées puisque nous n’y avons relevé
qu’un incident mineur.
Dès l’année suivante, les cérémonies triplèrent, à mesure que s’appli-
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quait la nouvelle politique et que se mettait en place l’encadrement de la
société. Leur nombre fut stable, augmentant même en 1943 au moment
du raidissement du pouvoir et de sa plus forte contestation festive, avant
de s’effondrer lors de l’année tronquée 1944. La répartition des fêtes célé-
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des mères. À cette date, le pouvoir relégua les fêtes de traditions républi-
caines (14 Juillet et le 11 Novembre), transférant leur légitimité (expia-
toire, juvénile) à celles de Jeanne d’Arc, des bombardements et du sport.
Les années 1943 et 1944 furent différentes. Le triomphe du 1er Mai
(60 % des célébrations de 1943 et 75 % de celles de l’année tronquée
1944) marqua à la fois les derniers soubresauts du régime et la reprise en
main des fêtes par une population qui les instrumentalisait à son tour. En
faisant la part belle au monde du travail, en évoquant un passé de luttes, le
1er Mai ouvrait la voie aux contestataires, notamment les communistes,
qui en firent un outil de contre-propagande. En 1943, la seconde place de
la fête des mères (15 % des célébrations) renvoyait à la popularité du
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thème nataliste, considéré comme moins compromettant à l’heure où la
victoire alliée se dessinait. De même, le retour au premier plan des
1er.11 Novembre illustrait le repli du régime sur ses mythes fondateurs (la
douleur et 1914-1918) peu contestables.
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86. Les 14 Juillet et 1er-11 Novembre rassemblèrent 45 % des messes, auxquelles il faut ajouter
les 13 % à la fête de Jeanne d’Arc.
La propagande festive de Vichy 27
après 1942 par les ouvriers des chantiers navals (Saint-Nazaire) ou par les
maquisards du Sud-Ouest. Derrière ce thème utilitaire, on trouvait, large
écho de la France rurale et méridionale, les fêtes de guerre et des mères.
Les premières justifiaient l’effort du 1er Mai et les secondes le complétaient
pour incarner le relèvement d’une France purifiée.
Pour le reste, trois sous-ensembles se dégageaient, la région parisienne
dont la vedette fut la fête Jeanne d’Arc, dans le sillage de la récupération
de la Sainte par les ligues, la région de Vichy qui la célébra (avec le
1er Mai) avec ardeur pour résumer de la vulgate maréchaliste et le Massif
central, zone rurale vouée aux traditionnelles fêtes des mères et du
14 Juillet.
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Cette corrélation entre géographie politique et fête se retrouva dans
l’étude de 115 fêtes en Seine-Inférieure. Nous y avons constaté la pré-
sence des fêtes emblématiques du régime (bombardements, 1er Mai,
Jeanne d’Arc, fêtes sportives, mères) dans les aires urbaines et péri-
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87. Certains incidents ne furent pas évoqués dans les archives par peur de représailles ou de
disgrâce.
88. C’était deux fois plus qu’aux fêtes du XIXe siècle en Seine-et-Marne et 20 % de plus qu’aux
fêtes de la IIIe République dans le même département. Voir R. Dalisson, De la Saint-Louis..., op. cit.
89. Préfet de Haute-Savoie, cité par le ministère de l’Intérieur, septembre 1940, AN, F60/476.
28 Rémi Dalisson
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notamment), en parfaite adéquation avec le sort des armes et la situation
intérieure. Le nombre d’incidents augmenta de 50 % entre 1942 et 1943,
pour connaître son apogée à l’été de cette année-là, surtout lors du
1er mai, juste après l’assassinat du premier milicien par la Résistance et
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fiés de « radio-dissidente » par le préfet de la Seine-Inférieure. Le reste fut
le fait des Alliés (20 %) (les « Anglo-Américains » et leurs tracts demandant
d’évacuer les zones bombardées les jours de fête). On trouva même,
fin 1943, des membres du clergé (8 %) qui « tournèrent les réglementa-
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tions sur les sociétés pour le 1er Mai95 » pour protester contre le raidisse-
ment du pouvoir et, enfin, des « éléments subversifs » non identifiés.
Si, avant 1942, la contestation fut non communiste, à partir du
14 juillet de cette année-là, le préfet de Seine-Inférieure évoqua « une
recrudescence des distributions de tracts communistes [...]. Durant ce
mois de juillet, sa propagande s’est manifestée surtout en une seule occa-
sion, la commémoration de la fête nationale du 14 Juillet »96. Les commu-
nistes prirent en main la contestation festive, au point d’être impliqués
dans les deux tiers des incidents festifs de 1943, avant d’être rejoints par les
gaullistes. Si les premiers furent actifs dans les zones ouvrières tradition-
nelles (vallées industrielles, Nord), on les retrouvait aussi dans les zones
rurales radicales comme le Sud-Ouest alors que les manifestations gaul-
listes furent plus éparses.
Les modes de contestations ressemblèrent à ceux de la IIIe République97,
trois représentant les deux tiers des incidents. L’utilisation des drapeaux
interdits ou modifiés représenta 30 % des expressions contestataires. La
plupart du temps, le drapeau tricolore (ou la cocarde) fut arboré en signe de
protestation le 14 Juillet, notamment en zone Nord, mais on trouva aussi
des petits drapeaux anglais, voire américains. Les cocardes étaient ornées de
noir, collées sur les murs, voire sur les bâtiments des services allemands (à
Petit-Quevilly), sur les monuments aux morts ou portées à la boutonnière
comme à Rouen ou Caen où « les promeneurs arboraient de nombreuses
cocardes tricolores [...]. Par là, la population manifeste son ardent patrio-
tisme d’une façon discrète »98. Le second mode de protestation fut le graffiti
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citations de Robespierre ( « Quand un gouvernement viole les droits de
la Nation, l’insurrection est le plus sacré des droits » ) ou La Fayette
( « Pour que les Nations soient libres, il suffit qu’elles le veuillent » ) et
de références aux armées de 1792-1793, à Valmy et à l’Armée rouge.
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Les fêtes furent bien, dès juillet 1940, un élément clé de la propa-
gande de Vichy. Solidement encadrées par les autorités allemandes en
zone Nord, légèrement plus libres en zone Sud, mais partout soumises
au discours nouveau, elles devaient expliquer la Révolution nationale.
En choisissant, avant même de créer des fêtes originales, d’instrumen-
taliser le cadre festif de la IIIe République, Vichy surestima sans doute le
rejet des valeurs républicaines qu’il confondit avec celui du personnel
républicain. À l’inverse, la continuité festive confirma le poids des
valeurs et pulsions morbides (exclusion, culte de la force brute) de la
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de droite, résumé de la nouvelle philosophie du pouvoir, fut capitale. Elle
résuma le poids de la fête et les ambiguïtés d’un régime aussi didactique
que son ancêtre républicain. Son encadrement, sa fréquence et son dérou-
lement en firent l’étendard du régime au point d’en devenir le premier
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pouvoir qui fit de l’encadrement des masses son cheval de bataille. Enfin,
la continuité entre la IIIe République et Vichy mériterait d’être prolongée
par une étude des pratique festives sous la IVe République qui reprit une
grande part des héritages vichystes, non seulement dans une administra-
tion peu expurgée, mais aussi dans des traditions culturelles, festives et
contestataires qui perdurèrent100.
Rémi DALISSON,
IUFM de Rouen.
100. Voir les polémiques sur le centenaire de 1848 et la position communiste en pleine guerre
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froide. Sa célébration le 22 mai, et non en février, démontra la volonté d’en gommer, un an après le
départ des ministres communistes du gouvernement, le caractère révolutionnaire et subversif.
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Annexe 1
Nombre et caractéristiques des fêtes vichystes (1940-1944)
Nombre Incidents
Fête Type Date Textes de référence Tutelle de fêtes Nombre (%)
Fête du travail et de la FNR 1er mai Loi 12 avril 1941, modifiée Ministère du Travail, de la Solidarité nationale 98 Nb : 16
concorde sociale 26 avril 1941 Ministère de l’Intérieur % : 6,5
Fête des mères de FNR 20-28 mai Décret du 26 avril 1920 Commissariat général à la Famille. Ligue des familles 58 Nb : 1
famille françaises Circulaire du 2 mai 1941 nombreuses % : 1,8
Fête du souvenir des FNR 1er-11 no- Loi du 24 octobre 1922 Délégation générale du gouvernement français dans 42 Nb : 3
morts de 1914- vembre Circulaire du 23 octo- les territoires occupés
1918 et 1939-1940 bre 1940 Ministères : Intérieur, Anciens Combattants. UNC %:7
Journée légale du FNR 14 juillet Loi du 6 juillet 1880 Délégation générale du gouvernement français dans les 50 Nb : 12
14 juillet Loi du 10 juillet 1940 territoires occupés
Loi du 23 juin 1941 Ministère de l’Intérieur % : 24
Fête de Jeanne d’Arc FNR 8-10 mai Loi du 10 juillet 1920 Commissariat général à la Famille. 33 Nb : 0
Circulaire du 9 mai 1941 Ministère du Travail et de la Solidarité %:–
Hommage aux victimes FNO 7 mars 1942 Circulaire du 2 mars 1942 Délégation générale du gouvernement français dans 12 Nb : 0
des bombardements du les territoires occupés
3 mars 1942 Ministère du Travail
Ministère de l’Intérieur
Fête nationale de FNO 4-11 juil- Circulaire du 6 mars 1942 Commissariat général à l’Éducation et aux Sports (EGS) 3 Nb : 0
La sportive let 1942
Quinzaine impériale FNO 17 mai - Circulaire du Secrétariat d’État aux colonies, Ligue maritime 3 Nb : 0
1er juin 18 février 1942 Commissariat à l’EGS
Fête du serment de l’athlète FNO 27 juin Circulaire du 27 février 1942 Commissariat à l’EGS 5 Nb : 0
Total % incidents/
304 total fêtes
FNR = Fête nationale régulière. 10,5
FNO = Fête nationale occasionnelle.
RÉCAPITULATIF
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Annexe 2
Composition des programmes des fêtes vichystes
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repas 2,5
exposition 3,6
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concert 28,5
kermesse/tombola 19,6
prime 7,5
messe 46,5
chants 40
spectacles 39
vin d’honneur 5
cinéma 11,5
sport 20,5
goûter d’enfants 31
quêtes 19
remise méd./gerbes/diplômes 70
discours 55
0 10 20 30 40 50 60 70
La propagande festive de Vichy 35
Annexe 3
Nombre de fêtes, proportion et caractéristiques
des incidents aux cérémonies (1940-1944)
Annexe 3 a
Nombre de fêtes et pourcentages d’incidents
Nombre de fêtes Pourcentages
90
80
70
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60
50
40
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30
20
10
0
1940 1941 1942 1943 1944
Annexe 3 b
Répartition des incidents par type de fête
3%
9,5%
50%
37,5%
er
Fête du travail 14 juillet 1 -11 novembre Fête des mères