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LES VOYAGES D'ALI-BEY El. ABBASSI EN AFRIQUE ET EN ASIE. OSPECTUS. 1 Les Voyages d’li-Bey el Abbasi en Afrique et en Asie, dont la partic historique descriptive va étre publiée, ex- citent depuis long-temps la curiosité publique, comme ils ont déja mérité et obtenu Pintérét des premiers savants Europe. Ce voyageur, reconnu en Afrique et en Asie comme fils du prince Othman-Bey el Abbassi, a été clevé dans les écoles @Europe; il réunit Passemblage des caracteres les plus singuliers qu’on puisse rencontrer et méme desirer pour une entreprise de cette espece, puisque les Musul- mans, qui seuls ont Ja liberté de pénéwer dans les lieux défendus & tour homme qui n’est pa 1 religion, wont pas assez d'instruction et de philosophic pour trans mettre des descriptions exactes; et que les Chrétiens, qui possedent les comnoissances névessaires, n’ont pu, jusqu’a cette époque, vainere lopposition des Orientaus. Ali-Bey, professant lIsiamisme, cut entiere libevté de pénétrer par-tout, et de tout observer : philosophe par caractere, instruit dans les écoles d'Europe, il eut tous les moyens de dgerire exactement, de vansmettre ses obser vations, ct les sentiments que ka nouveauté des objets de~ voit produive dans Phomme élevé en Europe des Page le plus tendre. L’histoire des voyages de cet homme remar= de (2) gnable va bientdt paroitre; elle est éerite par ce méme voyageur; et nous sommes persuadés qu’elle sera accucillie comme doit Pétre une production aussi intéressante. Pour donner une idée de ces Voyages, nous copicrons Particle inséré dans le Moniteur universel du 3 avril der nier. VARIETES. Sur les Foyages @AU-Bey (*) en Afrique et en Asie. Dans le mois de novembre dernier, on commaniqua aux treis classes de linstitut (la premiere, la woisieme, et la quatrieme classe) un extrait des Voyages en Afrique et en Asie, faits par Aly-Bey. Les découvertes, les observations qu'a faites ce voyageur célebre, intéressent également les savants, les érudits, les artistes. Cet exwrait a excité au plus haut degré Vintérét du premier des corps 8; Cest ce qui nous engage & en donner une esquisse dans cet ¢, dont le principal objet est de rendre compte des reo , ain yue des progres de esprit sav. ouvrage périodiqu avavattx et productions Sittin Jumain dans les pays étrangers. Ali-Bey s‘adonna de bonue henre A Pétude des sciences de 'Eu- rope. Aprés avoir voyagé en France et en Angleterre, il résolut de passer & Tanger, dans Ie royaume de Maroc, et de faire son péleri- nage & Ja Mecque. I fat reconna comme fils du prince Othman- Bey el Abbassi, et aujourd’bui on ne fe connoit en Orient que sous ee nom, Warriva & Tanger le 23 j in 1803. Le nom qu’ portoit, ses con- noissancez, lui mériterent hientit la vénération des Musulmans, et par sa conduite il sen fit aimer; en sorte que, peu de jours aprés son arvivée & Tanger, on le vit déja jouir des plus grands honneurs, et acquérix dans le pays une grande influence. Comme i avoit fait dudes en Europe, et qu'il pratiquoit Fastonomie, il prédit & any Uekipge de soleil, qui eut liew peu de temps aprés son ‘Ueddiné et expliqué davance toutes les civconstances nent a Tanger. Dés-lors, Alix Jes Musulmans. de eélebrive eur avec eous-la, € de plus ow m © voy prise ne sera 1 saus incouvénients L’empereur de Maroc, Maley-Soliman, vint, pew de temps api & Tanger; il se prit amitié pour Ali-Bey, qu'il invita a le suivre & Mikines et Fas. LA, i observa devx grandes éclipses de soleil et de June. Le sultan partit ensuite pour Maroc, ait, bientét apres, Ali-Bey Vint le trouver. Le sultan lui fit une donation de biens considérables, etordonna qu’on lui rendit de grands honneurs publics. Ali-Bey visita ‘Mogador, et revint a Maroc, oi if fut auteint Pane maladie grave. Le sultan, qui étoit allé & Fés, revint aussi & Maroc; et Ali-Bey Ini annonca son prochain départ pour la Mecque. Le sultan anvait voula parvenir, il lui fit Jes offres les plus brillant ne se mbi- congé du sultan, retourna & Fés, et en nt. La révolution survenue & Alger, ier dans le désert d’Angad. UL i par les plaisirs, p partit bientdt aprés pour Te Lev dans ce tempsla, le forca de 8 esta campé ph s de deux mois, entouré de wibvs arabes qui se fa soient la guerre; mais Femperenr lui enyeya un corps de troupes qui Fescorterent jusqu’a Ja sortie du désert, et il passa & Laraiseh, oi il Sembarqua sur une frégute tripolitaine, te 15 octobre 1805, pour ‘Tripoly de Barbarie, Ali-Bey, dans tous ses voyages, et pendant sa résidence dans tes villes, faisoit des obcervatians asirnnomuques avec des instraments excellents, construits sous ses yeux par Jes meilleurs artistes do Londres, et ill prenoit des informations sur les licux quill ne con noissoit pas, en sorte qu'il donnera une carte précicuse du royaume de Maroc, formée sur neuf canes routicres. Il faisoit aussi des obser= vations météorologiques, et examinoit en méme temps le pays en Ie plan de la ville de Maroc, et y joindra d’au- que des descriptions en tout genre. le tres import in, il acquit Ja certitnde de existence Pune mer intérieur PAfrique, semblable a la mer Caspienne d’Asie: ce quia été confirné, cing ans aprés, par M. Jackson, consul anglais, & Mogador. Hl eroit que Pancienne ile Atlantide n'est autre que la chaine des monts Atlas, entourée de la mer; ce qu'il démontre antant qu le bypo- these pent étre démontrée. Dans la waversée de Lovaisch & Tripoly, te bitiment d'Ali-Rey se trouva enveloppé d'un météore singulier , quiil attribuc & Pélecwicité; et, pen de jours aprés, r fut exposé & pririe par une donrrasqne affreuse, A Tripoly, il acquit tamitié du pacha Youssouf, ct il y fit le Rama. dan, Il observa dans ceue ville une grande éclipse de lune. Il y des ne par eure voyay sina le plan ct le profil de la grande mosquée, et recueillit beaucoup objets histoire naturelle, et des médailles. Le 26 janvier 1806, il Yembarqua, pour Alexandric, sur un gros }itiment ture; mais les hourrasques le forcerent Caborder, premié~ rement A Modon, sur la céte de la Morée, dont il dessina une vue, et ensuite dans File de Chypre, oit il séjourna deux mois : il visita les ieux elassiques de Cythere, Idalie, Paphos, et Amathonte, en fix les positions géographiques, fit des observations et des collections en tout genre: if nous en donnera des descriptions intéressantes et des dessing. C'est 1A quil se Tia damitié avec Parchevéque grec Chrysan thos, prince de Chypre. Séant vembarqué sur un brigantin grec, il passa A Alexandrie, of il arriva le 12 mai 1806, ct resta cing mois et demi, vivant dans I'in- timité du capitan-pacha de la Porte Ottomane et de Moussa-Pacha. 11 y fit quelgnes observations et dessins, entre lesquels il y a une vue générale @Alexandrie trés complete, et continua de former des col leetions tris considérables en tout genre. Ala fin d'octobre, it partit pour le Caire. Il s'y rendit en remon- tant le Nil, ctl y fit son Ramadan, jonissant de la considération par- ticuliere de Mchomed-Ali-Pacha du Caire, et des grands de la ville. Le 15 décembre, il partit pour Suor avoo uno gramle caravane. A Suez, il sembarqua pour Gedda, sur un bitiment arabe de la ner Rouge, le 26 décembre 1806, La singuliere construction de ces hatiments, ot la maniere de naviguer sur cette mer conte semée dé cueils, seront décrites par note voyageur avec une extréme préci- sion, Comme ces hatiments vont tonjours tres prés de Ia cote d’Ara~ bie, et que Yon jette Vancre tous les soirs, it profita de ces circon- stances pour continuer ses observations, et enrichir ses collections de nouveaux objets, La nuit du 5 au 6 janvier 1803, une tempéte tervible cassa tous les les des ancres; fe batiment frappoit des coups horribles sur un rocher, Ali-Bey, avec quatorze hommes, sauta dans la chaloupe, et Asbarqua sur un tlot désert, nommé ELOkadi; mais le bitiment ayant &é secouru par un autre, Ali-Bey put se rembarquer, et conti- tna sa ronte poor Gedda, oit il arriva le 13 janvier. Apris avoir fixé la position géagraphicue de Godda, ot fait d'antre observations curicuses, Ali it pour Ia Meeque, et il entra dans eotte eapitale de Vslamisme dans Ia nuit du 2% au 93 janvier 1807. AMi-Dey resta & la Mecque trente-huit jour Jo position géographiqu pendant lesquels il fixa dle ectte ville: par de nombreuses observa tions astonomiques, Hen fit te plan et eclui du temple, ainsi que son Coy profil: il peignit anssi, de grandcur naturelle, la fameuse pievre noire appelée hhageraelassuad, qui attire la vénération des fideles dans El-Kaaba, ov maison de Dieu; il dessina les lieux sacrés, Saffa, ‘Méroua, et la montagne Aarafat. Tous ces dessins et beaucoup dar tres seront accompagnis de descriptions. AliBey, pendant sa résidence & la Mecque, fut dans une relati intime avec Ie sultan shérif Ghaleb, Ali-Bey, avec le sultan shérif, Java et parfuma Vintéricur de El-Kaaha, qui est toujours ferm qu’on ouvre une fois dans fannée, pour cette eérémonie, avant que du pélerinage. Déslors, il put porter le titre de Hhaddem Beit Allah el Haram, serviteur de ison dle Dicu la defendue. Crest pour obtenir ce titre que tout nouveau sultan de Constantinople en- voie Ie pacha de Damas, qui balaie en son nom. Pendant la résidence d’Ali-Rey & la Mecqne, le sultan de Wehha- bis, Saaoud, avec ses deux fils, et une armée de quarante-cing mille hommes, prit définitvement possession de la ville, en méme temps qv'avee une armée plus considérable sur les frontieres de la Syrie il empéchoitle pacha de Damas de venir en péleinage avec sa grande caravane de Turquie, Ali-Boy donne des renseignements sur ces véfor- mateurs, ot le détail des eérémonies du pélerinage. La ville de Ia Mecque ect grande et belles mais située dans un dé- sert, sans une goutte dean, si Yon excepte Feau que fournissent des puits extrémement profonds, laquelle est chaude et saumétre, La Mecque n’existeroit pas sans la superstition, qui, en ayant fait le centre des pélerinages méme avant Mohamed, la rendit encore Pen- trepdt d’un commercé immense, sans compter qu'elle recoit bean- coup en donations pieuses. Cette partie du voyage d’Ali-Rey sera vévitablement du plus grand térét. pour nous, parceque, jusqu’ici, aucun Chrétien n'avoit pu pénétrer dans ces eux, conformément A une défense expresse du prophete, et que les Mustlimans qui y sont admis ne sont pas en état de nons en transmettre des informations exactes. C'est done pour nous une espece de mystere qu’Ali-Bey nous dévoilera en homme instrnit, Trois ans aprés, te savant allemand M, Seotzen, stant fait Musulinan, a rempli le devoir du pélerinage & la Mecque, et on a publié déja quelques extraits de son voyage; mais malheureusement 8 aVONS remarqué que presyne tous les noms arabes sont dé rés ou trongnés, ce qui ne donne pas une idée favorable de Pouvrage. Au reste, il pourroit se faire que la couse de ce défaut vint de ce que M. Sectzen se sora toujours advessé aus Tures, qui parlent un arabe detestable, et qui sont encore moins instruits en tout genre que les Avabes, On a aussi publié une petite brochure, sous lo nom de ja ma yatut- Poyage & la Meeque; mais clle cst absolument inslgnifiante, puis- qu’on n'y dit presque rien de cette ville. Enfin, les descriptions que nous comnoissons sont fondées sur Jes relations des pélerins tures , extrémement imparfaites, et méme erranéee. Ali-Bey partit de la Mecque pour Gedda, Je 2 mars 1807, et cont~ nna son voyage & Lienboa. Les Wehhabis, ayant prohibé tout acte de vénération au prophete, ont défends: aux pélerins daller Médine visiter le tombean. Ali-Bey, malgré la prohibition, voulut aller & Médine; mais il fut fai prison nier par ses réformateurs, & Gideida , dans le désert de Mé ‘ne. Tl fut ensuite renvoyé, ainsi que les chefs et employés tures, du teraple de Médine ; ils ne lui permettoient point de séjour dans Je territoire sacré, A ce sujet, Ali-Bey remarqne que le prophete n’a jamais eu de tombeau proprement dit, puisqwil fut enseveli simplement dans ta terre; que le temple de Médine n’a jamais été un lieu de pélerinage, mais seulement de dévotion , de laquelle se dispensoient le plus grand nombre des pélerins. Les licux de pélerinage ont été Ia Mecque et Jérusalem. Brant revenn A Menboa, Ali-Bey partit avec une nombreuse flote de bitiments arabes pour Sner, Les détails de cette waverste mari time sont trés curieux; mais aprés un mois de wavigution, dans Jaquelle on éprouva toutes sortes de désastres, il débarqua & Ga hia: Cest une rade de Ja céte d'Arabic, a dix lieues sud-ouest du mont Sinai , doit il est venu par fe désert El-Ssaddor & Suez: pendant ta route, ib observa une éclipse lunaire & Wadi-Corondel. Dans toutes ees traversées, Ali-Bey faisoit continnellement des ob- servations et des collections intéressantes, $a carte gographique de PArabie et de la mer Rouge, faite sur ses propres observations astro- nomiques, est du plus grand intérét, ainsi que ses observations sur les pétrifications, et sur la différence du niveau de la méme mer. Aprés une reliche de vingt jours & Suez, Ali-Boy, se réunissant a une grande earavane, vevint au Caire, oit il fut recu en tiomphe par Jes grands de ta ville: il y fit son entrée publique le 14 juin 1807. Le 3 juillet, Ali-Bey partit du Caire avec ane caravane qui traver= soit le désert pour Gaza, oi il Inissa la caravane. Il passa & Jérusa- Jem, oi il fut ctonné de ta magnificence du temple que tes Musul- ‘mans ont élevé sur les restes de ancien temple de Salomon. Il fit le pian et le profil de ce temple. Ce sera encore pour nous un résultat important des travaux de notre voyagenr. En effet, ce temple n'a jamais 616 va par aucun Chrétien, et les Musulmans n’en ont donné presque aucune description; aussi cette partic du voyage a-t-elle cité Fadmiration des savants d'Europe & qui clle a été communiquée, ee On appelle le temple Beit el Mokkades ¢ Scherif, ou maison sainte principale; et c'est un ticu de pélerinage pour les Musulmans, qui eroient quiil a été pour tous les prophetes dés Vorigine du monde, Ali-Bey visita tous les saints Jieux des Chrétiens, lieux qui sont aussi révérés par les Musulnans. Tout prés de Béiléem, il vit en plein re lumineux de la plus grande heauté, Il visita les sé puleres Abraham et de sa famille, et celui de David; il vit le sépul- core de Jésus-Christ, que les Musulmans ne réverent pas, parceque Je Goran dit que Sésus-Christ ne mourut pas. Ali-Bey passa & Saint-Jean-d’Aere, ct y dessina le mont Carmel, De la, il vint & Nazareth; et, continuant sa route entre le mont Tabor et la mer de Gaililée, il taversa le Jourdain par le pont de Jacob, qu’il dessina, et entra A Damas le 23 aoitt. Le grand commerce et les fabriques de Damas fiserent attention de nowe voyager. U1 passa ensuite dans le voisinage de Patmire, par la ville de Homs, et par celle de Hama sur le rivage de POronte, dans Vintérieur de la Syrie, Geute contrée est trés peupléc et trés riche, Le 5 sepiembre, Ali-Bey arriva 4 Alep; et, continuant sa route avec des Tartares, il franchit la chaine du mont Taurus, et toute PA- sie mineure par son centre. En traversant aussi Ix chaine de YO- Iympe et le Rospharn, il areiva 4 Constantinople le 21 octubre 1807. La carte routierc d’Ali-bey, depuis le Caire & Constantinople, et plu- sicurs dessins et observations intéressantes,, sont les fruits de ceue traversée, Ali-Bey fit, & Constantinole, le plan du temple ou mosquée d'Eyub, oii se fait une grande cérémonie dont Pobjet est de ceindre le sabre au nouveau sultan, ce qui équivaut au couronnement des monarques «Europe. Jamais aucun Chrétien n'a pu pénctrer dans Penceinte oit elle sexécute; aussi n’en connoissons-nous qu'une description incom plete, donnée par M, Ohsson dans son grand Tableau de l’Empire Ouoman. Le 7 décembre, AliBey partit de Constantinople; et, traversant le mont Hiemns et le Danube, il arsiva & Bukarest, dans la Valachie, te 13 décembre 1807. LA se termine la relation de notre voyageur, Cette relation offriva Je plus grand intérét, tant par les deserip= tions qu'elle contient que par les nombreux dessins, les plans, les cartes géogeaphiques qui Paccompagneront, Gest une espece d’Odys- sée, tant & cause des relations continuelles du voyagenr avec les s verains, ou les princes des pays qu’il a visités, que ys ements singuliers qui y sont racoutés, ct qui paroitroient incvoyables vils nféiwient attestés par lesagents et négociants européens dans ces pay: eve (8) On va publier la partie historique descriptive des Voyages @? Alix Bey, en 3 volumes in-8°, et un atlas; et quand les circonstances per- mettront de réunit ses nombreuses collections, on publiera la partie scientifique, qui sera assez étendue, et dans laquelle on trouvera aussi le dépouillement de ses observations astronomiques et météoro- logiques. Cet extrait fait voir assez le grand intérét que doit pro~ duire cet ouvrage, qu’on a taché de rendre plus agréable aux lecteurs en convertissant en poids, mesures, et mon- noies de France, les poids, mesures, et monnoies étran- geres, dont Pauteur fait mention, ef. en rapportant au méridien de lobservatoire de Paris ses observations astro- nomiques, comme aussi en écrivant en orthographe fran= caise tous les mots arabes, afin qu’on puisse, autant que possible, les lire de la maniere dont ils sont prononcés par les naturels. C’est & Vimprimeric de M. P. Dinor 1/aint’ que se fait Védition des Voyages d’dii-Bey; en faut-il davantage pour faire Véloge de la partie typographique? M. Apam, gra- veur, est chargé de toute la partie relative A son art; le bel atlas du Voyage de lord Vulentia, et quelques autres productions classiques de cot artiste, sont les meilleurs ga- rants de la perfection qu’on peut attendre sous ce rapport. Quant a la rédaction, nous nous sommes strictement conformés aux récits de Pauteur, et ne nous sommes per- mis que des corrections Iégeres. Nous n’avons pas voulu énerver le style, et, comme dans la plupart des ouvrages de ce genre, ajouter des descriptions qui font des récits des voyageurs autant de romans: c’est Ali-Bey qui parle, c'est sa maniere de voir, de sentir, d’examiner} c'est au public a le juger. Paris, le promier juillet 1814. VOYAGES DALI BEY EN AFRIQUE ET EN ASIE. TOME PREMIER. ABBAS VE RY ah VOYAGES D’ALI BEY EL ABBASSI EN AFRIQUE ET EN ASIE LES ANNES 1803, 1804, 1805, 1806 RT 1805. TOME PREMIER. A PARIS, DE WIMPRIMENE DE P. DIDOT LAINE, ernIMeUR DU Ror M DACCXIV. AU ROL Sire, L’ Europe sembloit naguére marcher é grands pas vers la catastrophe qui menacoit de la re- plonger dans la barbarie: les arts, les sciences et la civilisation qui en est le fruit, étoient peut-étre sur le point de disparottre de nos contrées, lorsque la Providence, touchée enfin des maux de Uhumanité, a ramené Votre Majesté au tréne de S. Louis et de Henri 1V, comme pour apprendre aux nations que le . a Ml plus beau présent que le ciel puisse faire & la terre est celui d'un Roi éclairé et vertueux. Daignez, Sinz, me permetire de placer ce té- moignage de mes sentiments et le tribut par- ticulier de ma reconnoissance @ la téte d'un ouvrage dont la publication est due & votre munificence royale et & votre amour pour les lettres. Je suis, avec le plus profond respect et le plus inviolable dévouement, SIRE, DE VOTRE MAJESTE, Lewis humble, tis obeissant et tres fidéle sujer, LEpinea B. AVIS DE LEDITEUR. Liusrorn des voyages @Ali Bey pent étre consi« dérée comme Fintwoduction de plusicurs autres ou- vrages que nous publierons successivement, si les cir= constances nous permettent de pouvoir réunir tous les riches matériaux qui sont encore épars en diffé= rentes contrées. Résultat des travaux et des recherches @'ATi Bey, ces matérianx deviendroient inutiles sils tomboient en d'autres mains que les nétres. A T'avan tage de posséder une grande partic des papiers de Tauteur nous joignons celui de le connoitre person- nellement, et d'étre initié dans les plus petits détails de ses voyages, de ses travaux et de ses découvertes. Indépeadamment de ces considérations, cet ouvrage nous a para si intéressant et si instructif, que nous avons présumé qu'il ne pourroit manquer d’obtenir Yapprobation du public, puisque Nanteué avoit déja obtenu celle des savants de Europe, de V’Asie et de VAfrique, auxquels il avoit communiqué quelques unes de ses découvertes. Les papiers publics ont fait mention, a diveeses viij AVIS époques, de plusieurs individus qui ont porté ou qui portent le nom d'Ali Bey. On doit distinguer parmi eux Ali Bey, célébre chef des mameloucks, qui a gou- verné I'Egypte ; Ali Bey, fils un pacha du Caire; Ali Bey, Arnaute, gouverneur de Rosette, homme pervers; et plusieurs autres qui ont acquis plas ou moins de célébrité, tels qu'un Abbassi qui se rendit & Alexan~ drie en méme temps que notre voyageur. La confu- sion qui a résulté de cette identité de noms nous en- gage a donner les renseignements suivants: Aut Bey eb Anpsssi est reconnu, en Asie et en Afrique, comme fils d’Othman Bey, prince des Ab- bassides. Dévoré du be dispositions heureuses, des sa plus tendre enfance il in d'apprendre, et doué de vint faire ses études en Europe, et y acquit bientét des connoissances étendues en mathématiques et en philosophie, qu'il appliqua ensuite a la pratique de Vastronomie, de la géographie, de la physique et de Thistoire naturelle. La somme des connoissances d’ Ali Bey ne fit que s'accroitre par les relations qu'il entre~ tint avec Jes savants d'Europe, dont il avoit fréquenté Jes écoles. Il joignit a son instruction Pétude du latin, du francois, de Vitalien, de espagnol et de Vanglois. DE VEDITEUR. ix Got avantage de pouvoir corvespondre et de lire dans tontes les langues de Europe Ya mis au niveau de Pétat actuel des sciences, et en état de produire des ouvrages utiles. Pendant son séjour en Europe il en avoit adopté les nsages, et, lorsqu’il se rendit en Afrique (en 1803), il éprouva les mémes sensations que ressentiroit un Européen qui se tronveroit dans le méme cas, et qui ne seroit jamais sorti de son pays. Cette circonstance rend les descriptions faites par Ali Bey tres intéres- santes; il transmet les objets de la méme maniére qu Vetit fait un Européen; et, quane’ la partie morale, il joint le précienx avantage de les présenter dépouillés du voile impénétrable qui cache Je musulman & tout homme qui n'est pas né dans U'islamisme. Ecrivant dans des contrées ot cette religion est suivie, Ali Bey s'est vu forcé de se laisser quelquefois entrainer par le torrent des préjugés: un musulman doit toujours écrire comme musulman. Mais, malgré ce léger désavantage, Yon apergoit souvent, au miliew des circonstances les plus délicates, des traits et des coups de pinceau qui laissent entrevoir la véritable physionomie du musulman philosophe. Si la haute naissance d’Ali Bey, qui, chez les Orien- AVIS taux, est reconnu comme schérif descendant d’Aboal- abbas, oncle du prophéte, dont la dynastie a occupé Je tone du califct pendant Vespace de sept sitcles, lui atiiva Ta vénération, sa conduite et ses connois- sances le firen? simer par Tes habitants des pays ¢ ser éblouir parcoureit, ‘Trop philosophe pour se | par cos marques éclatantes de Vestime publique, Ali Boy se déroba fréquemment & Vempressement que $s, mettoient a lui les pouples, et méme les sonve rendre des bonnewrs, a le combler de biens et de préseuts, qu'il acceptoit rarement, quoique pendant Je méme temps il exercdt sa générosité envers ses amis, ses domestiques, et envers les malheuroux qui Vimploroient. Malgré tant davantages, il est arrivé quelquefois, parcequil est impossible qu'un homme puisse plaire & tons, que des personnes, se trouvant contrariées dans leurs intrigues par la droiture des intentions d’Ali Bey, et ne pouvant Vattaquer sur sa conduite, ont voulu fa wre naitre des sonpcons ou élever des doutes sur son origine. Ces ligers nuages, que le moindre vent a dissipés, n'ont pu obscurcir Ia hante réputation ae ce voyageur, qui cut toujours un profond mépris pour ces intrigues et pour leurs auteurs: mépris éga~ DE VEDITEUR. yj Jement professé par les sages de toutes les teligio Je séjour d'Ali Bey & Fez et A Ouschda, par suite de Ia révolution d’Alger qui Fempécha de continner son voyage dans le Levant, apres qu'il eut pris congé de Veompereur de Maroc, fournita ses ennemis les moyens de Je noircir auprés de ce prince, le repentir du sul- tan, les marques d’estime dont il donna des preuves sans nombre & notre voyageur, ont dii le satisfaire enti rement; ct la maniére flattense avec laquelle a té recu par le pacha de Ti poli, par le capitar pacha de Ja cour ottomane, par Mussa, pacha eaima- kam on lieutenant du grand-visir, par Mehemed Ali, pacha du Caire, par les grands de cette ville, par le sultan schévif de la Mecque, par Soliman, pacha Acre par tous les gouvernenrs tures ow arabes, ot Jes cheicks ou chefs des wibus bédouines, est une preuve non équivoque de la haute opinion qu'on avoit de son mérite et de ses connoissances. Dans le cours de ses voyages, Ali Boy faisoit des observations en tous genres, ct les consignoit dans ses journauy; il rassembloit et formoit aussi des col lections de plantes, d’objets histoire natuvelle ct @antiquités. Connoissant non seulement le caract2ve encore celui des xij AVIS habitants des pays qu'il visitoit, Ali Bey se voyoit sou- vent contraint de sa rifier aux circonstances son pen= chant pour les sciences, et son amour pour les re- cherches. ‘Malgré cette lacune, qui ne ponrra étre remplie qque par les travaux successifs d'un grand nombre de yoyageurs pendant une longue série d’années , on. trouve dans les voyages d'Ali Bey une foule d'objets qui présentent le plus grand intérét. Ses nombreuses observations astronomiques, que nous publicrons dans un autre ouvrage, ont été faites avee les meil- Jewrs instruments que jamais aucun voyageur ait pos sédés, Ses cartes de "empire de Maroc, de I'ile de Chypre, d’une par de VArabie jusqu’a la Meeque , de la Syrie et de V'Asie mineure, sont dressées par Iui-méme, d'apres ses observations astronomiques, Festime géodésique des routes, et les renseignements qu sont des monuments si préciewx pour la géographie, que, si Ali Bey ne nous eft offert aucm autre produit prenoit sur les points collatéraux. Ges cartes de ses travaux, il ettt fait assez pour mériter lestime et la recomnoissance des savants de l'Europe. Les chupitres qu'on doit particuligrement remar- quer, et qu’on doit considérer comme la partie clas- DE EDITEUR. siij sique des voyages d’Ali Bey, sont les descriptions de la Mecque, de son temple, et de celui que les musul- mans ont a Jérusalem. Chacun sait que le prophéte, en parlant de ces temples, a dit: Jamais te pied de udu, Clest homme qui Vinfidele ne souillera le territoire dé pourquoi il n'a jamais été possible a n’étoit pas musulman, de pénétrer dans ce pays, appelé la terre défendue. I existoit cependant des descriptions et des vues de la Meeque et de son temple, parmi lesquelles on doit distingner celles que M. Mouradja d’Osson a publiées dans son Ze Bleau de PEmpire ottoman. Les travaux de ce sa~ vant sont d'autant plus estimables, qu'ils doivent etre regardés comme le nee plus ultre de ce quiil est possible de faire pour Aécrire des lieux qu'on n'a pas vus, et quion ne connoit que par les rapports des pélerins, on d’aprés des dessins faits par les Arabes de Ia Meeque. Ges dessins sont tellement grossiers, qu'il est presque impossible de pouvoir les comprendre et de reconnottre les objets qu'on a voulu représenter. Ali Bey, ayant au contraire douné le plan de fa ville de la Mecque, les plans, éévations, coupes et profils de son temple et de celui de Jérusalem, a donc envi- chi Vhistoire des beaux arts d'une description g) xiv AVIS phique et fidele de ces monuments, qu'on peut juste- ment appeler classique, surtout celle d'une ville qui a joué un si grand réle dans les temps anciens comme dans les temps modernes. Jamais aucun chrétien n’avoit péndtré dans tes lieux oit lon révére les tombeaux d'Al aham ct de sa famille a Hébron,, ni dans le temple d’Eyub & Cons- tantinople, oit l'on ceint le sabre aux nouveaux sul- tans: eérémonie qui répond au conronnement des monarques européens, Les plans que notre voyageur en donne ne peuvent done manqner de satisfaire la curiosité publiqne et de présenter le plus grand inté- rét. Une circonstance encore qui ajoute au mérite des récits et des descriptions d’Ali Bey, c'est qu'il se trou- voit sur les lieux précisément a Vépoque (en février 1807) oit les Wekhabis s'emparérent de la Mecque, et quiil a eu toutes les facilités possibles pour nous donner des notions exactes et cert: es sur la géolo- gic, les usages, les mecurs d'un pays presque inconnu aux Européens, et sur les cérémonies du fameux pé~ lerinage des musulmans, dont nous n'avions encore qu'unc idéc bien fausse ou trés imparfaite. Tes dessins qui composent Vatlas ont été faits sur liewx avec toute Vexactitude que pouvoit y metro DE VEDITEDR. xv Yauteur, obligé de ménager, antant que possible, les préjngés des habitants. Ces dessins sont rendus fid lement, de méme que Jes cartes géographiques, les plans, coupes, élévations et profils des temples. On anroit bien pu les enrichir de toutes les beantés de Yart mais on n'a pas voulu faire des tableaux dima- gination. Ali Boy a dessiné d’aprés nature, et nous ne faisons que vendre fidolement ses dessins. histoire personnelle d’Mli Bey pendant le temps qu’ont duré ses voyages forme une sorte de poéme héroique, par les relations continuelles qu'il avoit avec les souverains on chefs de différentes contrées , qui se trouvent presque toujours en scéne. Ce rap~ prochement donne liew & des faits qui paroitroicnt incroyables, s'ils n'avoient été publics ct sls ne s'¢ toient passés en présence des peuples, des consuls et des négociants des diverses nations européennes, qui résident dans les contrées deécrites. A Ja faveur de leurs témoignages, nons pouvons répondre non seu- Tement de la vérité des récits de notre voyageur, mais encore de Vexactitude des plus petites eixconstances qui se trouvent dans ses relations. Lautcur entre souvent dans des détails qui, aw premier apercu, pourroient paroitre insigniliauts xvj AVIS ct méme ennuyeux, mais qui seront appréciés par Thomme instruit, qui y puisera des connoissances nouvelless il trouyera peutétre que Vauteur ne s'est pas assez, étendu sur quelques points. Qu'il nous soit permis de faire observer & cet égard que cet onvrage ne contient que la partie historique descriptive des voyages d'Ali Bey, et que iel objet, qui n'occupe ici que peu de lignes, scva le sujet d'un mémoire dans la partie scientifique, que nous publierons le plus tt possible. On trouvera dans cotte partic de Pouvrage des discussions sur astronomie, la botanique, la géo- logic, et sur Vhistoire, avec des tables et des gravures en tout genre; on y joindra les analyses des ouvrages de quelques voyageurs qui ont précédé ou suivi Ali Bey dans les mémes contrées qu’ a visitées. Si Yon eit vouln réunir tous ces éléments, Vonvrage auroit été hors de la portée de la plus grande partie des lec- tours, qui ne trouvent d'intérét que dans la partie his- torique descriptive d'un voyage; la partie scientifique doit done étre réservée pour les savants en général. Quant au style de Vouvrage, on voudra bien ne pas oublier que c'est Ali Bey qui parle, Si l'antour de cette relation edt été un Francois, it Ini efit suns doute donné une autre tournure 5 le discours eft 66 embelli DE VEDITEUR. xvij par la pureté de la diction et par les graces du lan- gage. Nous nous sommes done fait un devoir, en cor- rigeant le texte original, de conserver dans cette es- péce de manslation le style mile de Pauteur. Nous n’avons point cherché a Je dénaturer par des additions ou par des réformes qui auroient transformé cet ou- ité et vyrage en oman bien écrit, et dans lequel la ¥ é1é altérée. Nous avons traduit les mots arabes avee Vortho- graphe Francoise, pour rendre, autant que possible, le véritable son des mots, tels qu'ils sont prononcés par les naturels, c'est-i-dire, en aspirant toujours le 4, comme le fota des Espagnols, ou comme le ch des Allemands, et en conservant le son de Ti avant Ja lettre n, comme dans la langue latine, Cependant, pour nous conformer aux indications de quelques savants, nous écrivons certains noms dé} connus en Europe avec la vicieuse orthographe qu'on y aadoptée; nous écrirons, par exemple, Coran, Fez, Mequines, aulien de Kour-ann, Fes, Mikines, etc., quia sic voluerunt priores. Les longitudes observées par Ali Boy ont été rap- portées & VObservatoive de Paris, de méme que tes poids ct mesures dont il fait mention ont éte véduit~ xviij AVIS en poids et mesures de France. Nous avons cru ces réductions nécessaires a Vintelligence de Vouvrage. Ali Bey marque les journées de voyage parles signes des planétes, a la maniére d'autres voyageurs. Nous conservons ces signes, qui correspondent aux jours de la semaine de la maniéve suivante : Dimanche, Lundi. Mardi. Mercredi. Jeudi. Fendredi. Samedi. FIO RAARO Nous ne dirons rien de la partie typographiques elie est confiée aux talents de M. Pierre Didot lainé, dont le nom seul est un éloge, Le texte a éé revu par M. de Roquefort, & qui la littérature est redevable de plusieurs ouvrages importants, M. Adam, habile gx: yeur, connu par plusieurs travaux considérables, a hien voulu se ch yer de la gravure des planches ; 1a fidélité avec Jaquelle son burin rend les objets qui sont confids & ses soing est un garant de lcxactitude dans I'exécution de Vatlas. DE VEDITEUR. xix ‘Malgré la réunion des circonstances qui concourent arendre cet ouvrage utile, ageéable, et sur-tout ins tructif, laridité de quelques uns des pays parcourus par Ali Bey, et qui par conséquent ne puuvoient pro- duire que des descriptions stches et par conséquent peu intéressantes; Texactitnde du voyageur dans ses journaux de route, ce qui oblige A des répétitions fréquentes, attireront peut-¢tre sur lautcur ou sur Féditeur des critiques bien ou mat fondées. En ren- dant justice aux premitres, nous les accueillerons et nous en profiterons dans Ja publication des autres onvrages d’Ali Bey; nous déclarons en ce moment que nous abandonnerons les secondes au jugement de la partie éclairée des lecteurs, qui savent combien il est plus facile de critiquer que de produire un ou~ vrage dans lequel on trouve une foule d'observations neues et intsressantes, Le 8 juillet 1814 VOYAGES D’ALI BEY EN AFRIQUE ET EN ASIE. INTRODUCTION. | AOLfe pi gel stoless sou 28! Linge, gMhtBagtl Ji de fle clas¥ [fe cl silat Pires XoVia Sen phytase! GyDoeBdIQ Sf, s0Vi glcll gS do ply pol bl cpl ort colle gh de Us - pl eh i cum « Louange soit donnée a Dieu, lui qui est le trés haut immense; Iui qui nous enseigne *On abi 1 I 2 VOYAGES « par Pusage de la plume, qui apprend aux «hommes a sortir de Pignorance! Louange & «Dieu, lui qui nous guida ala véritable foi de «T'slam, jusqu’au terme du pélerinage, et jus- « qu’a la terre Sainte. « Ce livre est du religieux, prince, docteur, «savant, schérif, pélerin, 4li Bey, fils d’Oth- «man prince des Abbassides, serviteur de la « Maison de Dieu la prohibée. » Apris tant d’années passées dans les états des chrétiens, & étudier dans leurs écoles les sciences de Ja nature et les arts utiles 8 homme dans Pétat de société, quel que soit le culte ou la religion de son cceur, je pris enfin la résolution de me rendre dans les pays musnlmans, et, tout en remplissant Je devoir sacré du péleri- nage a la Mecque, d’observer les meeurs, les usages, ct la nature des contrécs qui se trouve- roient sur mon passage, afin de mettre & profit les travaux d’unc aussi longue traversée, et de les rendre utiles & mes concitoyens dans le pays qu’en dernier ressort je choisirai pour ma pa- trie. D’ALI BEY. 3 CHAPITRE I. Arrivée & Tanger. — Interrogatoire. --- Présentation au gouverncur. — Etablissement d’Ali Bey dans sa maison, — Préparatifs pour aller & la mosquée. — Féte de Ja naissance du prophite. ~ Marabout. — Visite au kadi. — Gongé de son introducteur. En conséquence de ma résolution, étant revenu en Espagne au mois @avril 1803, je m’em- barquai & Tariffa dans un trés petit bateau; aprés avoir traversé le détroit de Gibraltar en quatre heures, j'entrai dans le port de Tanja ou Tanger, & dix heures du matin, le 29 juin de la méme année, mereredi 9 du mois rabiul- aoual de Yan 1218 Wel-hogera ou de Ph La sensation qu’éprouve homie qui fait pour la premitre fois ce court trajet ne peut étre comparée qu’a V'effet Cun songe. Passant, dans un aussi petit iutewalle de temps, davs un monde absolument nouveau, et qui n'a pas la plus petite resemblance avee celui eit il sort, il se trouve réellement consme s'il avuit 6é transporté dans une autre plandte. Dans toutes les conuées du monde, les habi- ire. 4 VOYAGES tants des pays limitrophes, plus ou moins unis par des relations réciproques, amalgament en quelque sorte et confondent leurs langues, leurs usages, leurs costumes, en sorte qu’on passe des uns aux autres par des gradations presque insensibles; mais cette loi constante de la na- ture n’existe pas pour les habitants des deux rives du détroit de Gibraltar, qui, malgré leur voisinage, sont aussi étrangers les uns aux au- tres qu’un Frangois le seroit 4 un Chinois. Dans nos contrées du Levant, si nous observons suc- cessivement Phabitant dArabie, de Syrie, de Turquie, de Valachie, et d’Allemagne, une lon- gue série de transitions nous marque en quel~ que sorte tous les degrés qui séparent Vhomme barbare de Phomme civilisé: mais ici Pobser- yateur touche, dans une méme matinée, aux deux extrémités de la chaine de la civilisation ; et dans la petite distance de deux lieues et deux tiers, qui est la plus courte entre les deux c6- tes (1), iktrouve la différence de vingt siécles. A notre arrivée prés de terre, quelques Mau- res se présentérent & nous. L’un centre eux, qu’on me dit éwre le capitaine du port, affablé (1) Ali Bey parle tonjowrs delieues de vingtau degeé du suéridien, (Vote de t’ Editeur.) D’ALT BEY. 5 un bournous, espice de sac grossier, avec un capuchon, les jambes et les pieds nus, un grand roseau & Ja main, entra dans Peau en deman- dant le certificat de santé que mon patron lui donna; se dirigeant ensuite vers moi, il m’a- dressa les questions suivantes Caritawe,. — D’oit venez-vous? Aut Bey. — De Londres, par Cadix. — Ne parlez-vous pas moresque? (1) . Non. . — D’out étes-vous done? . — De Hhaleb (Alep). — Et ot est Hhaleb? — Dans le Scham (la Syrie). — Quel pays est Scham ? A. — West au levant, prés de la Turquie. C. — Vous étes done Ture? A. — Je ne suis pas Ture; mais mon pays est sous la domination du Padischah (du grand- fs) erpopoar seigneur). C. — Mais vous étes musulman? A. — Oui. C. — Aver-vous des passe-ports? A. — Oui, jen ai un de Cadix. Tees ine parloit Ja langue mogrébine, (Note de 0 Editeur.) 6 VOYAGES C. —Et pourquoi n’est-il pas de Londres? A. — Parceque le gouverncur de Cadix m’a pris celui de Londres, ct Pa remplacé par celui-ei. C. Donnez-le-moi. Je le remis au capitaine, qui, donnant Pordre ¢ ne laisser déharquer persone, partit pour a montrer mon passe-port au £aid ou gouverneur. Celui-ci Penvoya an consul ¢’Espagne pour le reconnoitve ; et le consul, Fayant approuvé conime authentique, me le renvoya par son vicr-conail, qui se rendit & mon hateau avec un Ture appelé Sid Mohamed, chef des eanon- niers dela place, envoyé par le gouverneur pour ainterroger de nouveau. Ils m’adressérent les mémes questions que le capitaine du port; et, aprés m’avoir rendu mon passe-port, ils partirent pour faire leur rapport au kaid. Pen de temps apris, le capitaine du port re- vint avec Fordre du gouverneur pour mon dé- barquement. Je descendis a terre sur-le-champ, et me fis conduire chez |e kuid, appayé sur deux Maures, parceque, ayant vers¢ dans ma voiture cn traversant PEspagne, j'avois été assez grié- yement bless¢ a la jambe. Le kaid me recut trés bien. Il me réitéra & peu prés les mémes questions qui m’ayoient été D’ALI BEY. : déja faites, puis donna Pordre de me préparor une maison, ct me congédia avec beaucoup de compliments et offres 4: service. Aprés avoir fait mes remerciements an kaid, je sortis accompagné des mémes personaes, et Yon me conduisit dansla boutique ’un barbier. “Le Ture qui m’ayoit interrogé dans le bateau, alla et revint plusieurs fois sans pouvoir se pro- curer la clef de la -aison qui m’étoit destinée, et dont le propriétaire étoit & la campagne. La nuit étant survenue, mon Ture m’apporta du poisson pour manger avec Iwi; et lorsqu’apres un léger repas je me préparois A me coucher sur une espece de bois de lit, quelques soldats de la garde du kaid entrerent brusquement avec Yordre de me ramener chez le kaid. Je me levai et me laissai conduire une se- conde fois chez le kaid; il m’attendoit impa- tiermment & quelques pas hors de sa porte, et me fit monter dans une chambre ott étoient sou secrétaire et son £iéhia ou lieutenant-gouver- neur. Apres s'étre excusé de ne m’avoir pas re- temu Je matin, il ajouta avec beaucoup de poli- tesse qu'il vouloit me donner Phospitalité jus- qu’a ce que ma maison fitt préte, On nous servit du café sans sucre : les demandes ct les réponses sur ce qui me concernoit, furent répétées; et 8 VOYAGES aprés.un souper abondant, auquel je pris une Légere part, je me couchai enfin comme les autres sur le méme tapis. Dans Paprés-midi du méme jour, jfavois dé& barqné le petit porte-manteau qui composoit tout mon équipage. Pen présentai la clef a le douane; mais on ne voulut ni le visiter ni rece~ voir aucune gratification. Ce porte-manteau mPaccompagna toujours, jusqu’a ce que je fusse établi dans ma maison. Le lendemain matin, aprés le déjeaner, le patron du bateau vine me prier de demander pour lui au kaid la permission de charger que- ques vivres: ce que je refusai, ne croyant pas étre déja devena assez intime avec le gouver~ neur pour hasarder des sollicitations. Nous di- names & midi: je demandois toujours des nou- velles de ma maison, et on ne me répondoit que par oui, oui; enfin, vers le soir, on m’annonga quelle étoit préte. Je pris alors congé du kaid qui me répéta ses offres de service, et je fus conduit dans mon nouveau domicile. En y entrant, je trouvai qu’on avoit employé la journée a blanchir les murs et & couvrir Je plancher de toutes les chambres d’une couche de deus & wois pouces de platre, qui n’étoit pas encore hien sec. Je remerciai beaucoup du soin DALL BEY. qu’on ayoit pris Vembellir ma demeure; et en méme temps jadmirai la rare simplicité de meurs Pun peuple qui se contente de sembla~ bles habitations, et qui méme paroit ne pas connottre Pusage des fenétres dans la construc tion des maisons: de sorte que Jes chambres ne et Ja lumiére que par la porte regoivent Pai Wun corridor qui donne sur une cour. Malgré ces graves inconvénients, tel étoit mon desir, je dirai méme mon besoin extréme, de me trouver enfin seul ct & mon aise, que je recus le loge- ment comme une faveur, et que je m’y renfer- mai sur-le-champ. Je couchai cette nuit sur une natte avec une couverture de laine, ayant mon parte-manteau pour orciller. Le lendcmain vendredi 1° juillet, on acheta tes meubles de mon ménage, qui fut composé de quelques aattes pour couvrir le sol ct une partie des murs, de quelques tapis, d’un ma- telas, des coussins, et des ustensiles de premidre nécessité. Le costume des Maroquins est trés peu connu en Earope, parceque, lorsqu’ils y viennent, ils prennent ordinairement le costume harha- vesque des Turcs des Régences. Ie Maroquin ne couvre jamais ses jambes; sa chaussure est composée de pantoufles jaunes tres grossidres , 10 VOYAGES quil porte sans y faire entrer le talon; la piece principale de son habillement est une espace de grand drap blanc tissu en Jaine, qu’il appelle hhaik, avec lequel il senveloppe de la téte aux pieds. En conséquence , desirant sm’habiller comme les autres, je sactifiai mes bas et mes jolies pantoutles turques, et je m’affublai d'un immense hhaik, laissant au grand air mes jam- hes et mes picds, cxcepté la pointe, qui entroit dans mes énormes et lourdes babouches. Comme e’étoit vendredi, et que nous devions aller a la mosquée faire la pritre de midi, le rit des Maroquins étant un peu différent de celui des Tures, qui étoit le mien, mon Ture m’en- seigna les cérémonies du pays. Mais il falloit encore autres préparatifs :le premier fut deme raser la téte, quoique peu de jours auparavant clle et été rasée a Cadix. Cette opération me fat encore faite par le méme Ture, dont la main impitoyable me rendit la téte toute rouge, a Yex- ception de !2 touffe de cheveux réservée au mi- lieu, Aprés la téte, il semit A me raser toutes les autres parties du corps, de manicre a n’y pas laisser trace de ce que notre saint prophéte a proscrit dans sa loi comme une horrible impu- reté. Il me mena ensuite au bain public, oit DALI BEY. 1 nous fimes notre ablution légale. Pen parlerai dans un autre endroit, ainsi que des cérémonies de la priére & la mosquée oi1 nous allames & midi; ce qui termina pour ce jour notre saint ouvrage. Le lendemain samedi commenga la féte @'EU Mouloud, ou naissance de notre saint prophete, qui est célébrée pendant huit jours, C’est & cette époque que se fait la civeoncision des enfants; tous les jours, matin et soir, on exé- cute des espaces de concerts devant la porte du kald: cette musique est composée d’un grossicr tambour et de denx musettes plus grossiéres encore, et tres discordantes. Pendant ccs jours de féte, nous allimes faire nos dévotions dans un hermitage ou lieu con- sacré situé a deux cents toises de la ville, et dans lequel on révére la dépouille mortelled’un saint. Ul sert en méme temps @habitation Aun autre saint vivant, frére du défunt, et qui regoit les offrandes pour tous deux. C'est de ce cdté de Ia ville qu’on voit le cimetigre des musulmans. Le sépulcre du saint, placé au milieu de la chapelle, étoit couvert de différents morceaux une toile tissue en soie, coton, or, et ar gent, tres usée. Dans un coin étoient quelques 7 VOYAGES Maures chantant en cheeur des versets du Kow- ann (1). Aprés avoir fait nos dévotions au sépulere, nous allimes rendre visite au saint vivant, que nous trouvames dans le jardin a peu de distance le la chapelle, accompagné Vautres Maures. Tl nous recut trés bien. Nous étant assis, mon ‘Ture lui raconta mon histoire: le saint rendit graces a Dieu pour tout, et principalement pour ce quill m’avoit enfin ramené dans la terre des fideles croyants, It me prit la main, et marmura dessus une priére; puis il mit sa main sur ma poitrine, ct récita une autre priere, aprés la- quelle nous nous sépartimes. Le costume de cet homme est le méme que celui des autres habi- tants. Nous visitémes aussi le fasih Sidi- Abder- rahinan-Mfarrasch, qui est le chef des autres fakihs ou docteurs de Ja loi, émam ou chef de la principale mosquée de Tanger, et faci ow juge civil du canton. Ce vieillard vénérable est respecté dans tout le pays, et méme par le roi de Maroc. Il entendit avec intérét mon histoire (2) Cest le véritable nom du Coran, tel quiil est pro- noneé par les Arabes, (Note de UEditeur.) DALE BEY. 13 racontée par mon Ture, et il me témoigna beau- coup affection. Ges premiers pas faits pour mon établisse ment, je desirois commencer & m’occuper de mes affaires ; Véternelle compagnie de mon Turc, qui ne me quittoit pas un moment jour et nuit, me génoit infiniment, et ne me per- mettoit de me livrer & aucun travail. II falloit done Péloigner un pens mais la chose étoit Adlicate, parcequ’il étoit possible qu'il ett Ja commission du kaid de me surveiller de pres comme étranger, et alors ma démarche powvoit avoir des suites ficheuses. Cependant, comme se chargeoit journellement de mes petites af- faires, et qu’il géroit ma maison, non sans quel- que profit pour lui, il me fut facile de trouver des prétextes ou de véritables motifs de mécon- tentement; et, m’étant assuré qu'il n’étoit pas soutenu, comme je le soupconnois, je Péloignai définitivement: mais ce fut aprés lui avoir fait un bon présent, afin de ne pas exciter son ani- madversion, et parcequ’enfin i! m’avoit bien servi les premiers jours. Dés ce moment je me trouvai en pleine liber- 16, et je commencai de travailler A mon aise. 14 VOYAGES CHAPITRE IT. ion. — Description de Tanger. — Fo cations. — Ser — Population. — Caractéve des habitants. — Cos- tues. ice miiiti — Gourse de chevaux. Sear dit que cest 8 a Fete du Mouloud que les Maures font circoncire leurs enfants : cette opé ration, qui se fait publiquement hors de la ville dans la chapelle dont j'ai parlé, est une féte pour la famille du néophyte. Pour se rendre au lieu du sacrifice, on réunit un certain nombre de gargons qui portent des mouchoirs, des cein- tures, et méme des haillons suspendus a des batons ou des roseaux, en maniere de drapeaux. Derriére ce groupe vient une musique composée de deux musettes qui jouent a Punisson, et qui nen sont pas moins discordantes, et de deux ow plusicurs tambours d’un son rauque? orchestre bien désagréable pour toute oreille habimnée & la mrsique européenne, comme, par maiheur, Goit la mienne. Le pere ou le plus proche pa rent suit, avec les personnes invitérs qui entou= reut Penfant monté sur un cheval dont la selle D’ALI BEY. 15 est couverte d’un drap rouge. Si enfant est trop petit, il est porté dans les bras d’un homme & cheval ; tous les autres sont & pied. Le néophyte est ordinairement revétu d’ung espéce de man- teau de toile blanche; par-dessns il en porte un autre de couleur rouge, orné de différents ru= bans, et une bandeiette de soie entoure sa tére. De chaque cété du cheval se tient un homme portant a Ia main un mouchoir de soie, avec Jequel i] écarte les mouches de Penfant et de sa monture. La marche est fermée par quelques femmes envcloppées dans leurs énormes hhaiks ou bournous. Quoiqu’il y ait des circoncisions tous les jours dela fete du Mouloud, j'attendis le dernier, par- cequ’on m’avoit assuré qu’il y en auroit un plus grand nombre; en effet, ce jourla, toutes les rues étoient pleines de peuple qui alloit et ve~ noit en foule, et de soldats avec leurs fusils. A dix heures du matin je sortis de chez moi, et, traversant la foule pour me diriger vers la chapelle, jerencontraisurle chemin des cortéges de trois, de quatre, et méme de plusieurs enfants que Yon menoit ensemble a la circoncision. La campagne étoit couyerte de chevausx, de soldats, Whabitants, d’Arabes, et de groupes de femmes entiérement couvertes, assises & Pombre de 16 VOYAGES quelques arbres ou dans Jes creux du terrain. Ces feinmes, quand les enfants passoicnt devant elles, poussoient des cris extrémement aigus; ce qui est toujours de leur part un signe d’alé- gresse et d’encouragement. Arrivé a Phermitage, je traversai la cour au milicu d’une foule innombrable, et j’entrai dans la chapelle, ott je trouvai ce que joserai appeler une veritable boucherie. A coté de sépulcre du saint étoient placés cing hommes, vétus seulement d’une chemise et Pun calegon, et ayant les manches retrous~ sées jusqu’aux épanles, Quatre.de ces hommes étoient assis en face de la porte de la chapelles le cinquiéme éioit debout a cdté de la porte, pour recevoir les victimes. Deux de ceux qui étoient assis portoient Jes instruments du sacri- fice; les deux autres avoient chacun une bourse ou petit sac rempli d’une poudre astringente. Derriére ces quatre ministres se trouvoit un groupe d’une vingtaine d’enfants de tout age et de toutes les couleurs, qui jousient aussi leur réle, comme nous Je verrous bientét; et, a quelques pas de distance, un orchestre comme celui dont j'ai parlé exécatoit des airs discor- Quand il arrivoit un néophyte, son pére ou DALI BEY. 17 Ja personne qui lui en tenoit lieu, le devangoit: il entroit dans la chapelie, baisoit la téte du ministre coupeur, et iui faisoit quelques com= pliments. Ensuite on amenoit l'enfant. Dans le méme moment il étoit saisi par Fhomme vigou- reux chargé de le recevoir, et qui, aprés lui avoir retroussé la robe, le présentoitau coupeur pour le sacrifice. En méme temps la musique se faisoit entendre avec fracas; les enfants qui étoient assis derritre les ministres se levoient a+ Ja-fois en poussant de grands cris, ct attiroient Pattention de la victime vers le toit de la cha- pelle en Pindiquant avec le doigt. Etourdi par ce bruit, Penfant levoit la téte, et dans ce mo- ment le ministre, saisissant la peau du prépuce, tiroit fortement, ct la conpoit @’un coup de ci- seaux. A Vinstant méme un autre jetoit de la poudre astringente sur Ja plaic, et un troisiéme Tenveloppoit de charpie maintenue paruneban- delete ; puis on emportoit enfant sur les bras. Toute Popération ne duroit pas une demi-mi- nute, quoiqu’elle se fit tres grossiérement. Le tapage des enfants ct de la musique m’empé- choit d’entendre les cris des victimes, méme & leur coté ; mais leurs gestes faisoient assez con- noitre leur douleur. On mettoit ensuite chaque enfant sur le dos d’une femme, qui le ramenoit 1 2 1B VOYAGES chez lui couvert de son hhaik ou bournous, et accompagné du méme cortége qu’é son arri- vée. : Avee, les néophytes de la campagne je vis beaucoup de soldats ct des Bédouins, qui me surprirent par le manége de leurs trés longs fu.’ sils, qu'ils tiroient les uns entre les jambes des" autres, comme une démonstration damitié. Pai entendu dire aux chrétiens que quelques uns d’entre eux, ayant visité les pays musulmans, y avoient voyagé avec sécurité, & la faveur du cos- tume des habitants ; mais je regarde cela comme impossible s’ils ne s’étoient soumis @avance a la civconcision, parceque c'est la premiere chose dont ils s’informent en voyant des étrangers: en sorte qu’a mon arrivée 4 Tanger ils le deman~ doient A mes gens, et quelquefois & moi-meme. La ville de Tanger, du coté de la mer, pré- sente un aspect assez régulicr. Sa situation en amphithéatre; les maisons blanchies; celles des consuls, d’une fabrique réguliéve; les murs qui entourent la ville; ? 4/cassaba ou chateau, bati sur une hauteur (voye planche I***), etla baie, qui cst assez grande ét entourée de collines, for- ment un ensemble assez beau: mais, du moment qu’on met le pied dans l’intérieur de la ville, le prestige cesse, ,et on se trouve entouré de D’ALI BEY. ig tout ce qui caractérise la plus rebutante misére. Exceptéla rue principale, qui est un peu large, et qui de la porte de la mer traverse irréguligre- ment la ville du leyant au couchant, toutes les autres rues sont tellement étroites et tortueuses qu’a peine trois personnes peuvent y passer de front. Les maisons sont si basses, qu’avec la main on peut atteindre le toit de la plupart. Ces toits sont tous plats, et couverts de platre. Test peu de maisons qui aient un haut étage. Les maisons des consuls ont de bonnes croisées; mais a celles des habitants on ne voit que quel- ques petites fenétres qui ont a peine un pied carré, ou des créneaux d’un pouce ou deux de large, et dun pied de hauteur. Dans quelques endroits, la rue principale est mal pavée; le reste est abandonné a la simple nature avec @énormes rochers, qu’on n’a pas méme pris la peine @aplanir. Les murailles qui entourent la ville, se trou~ vent dans un état absolu de rvine. Elles ont des tours rondes et des tours carrées; du edté de terre elles sont entourées d'un grand fossé éga- lement en ruine, qui est planté (arbres et bor- dé de jardins potagers. Sur la droite de la porte de Ia mer sont deux batteries; Pune basse, de quinze pieces de canon, 20 VOYAGES etPautre, plus élevée, de onze. La batterie haute hat lamer en face; elle aun petit flanc avec deux pices qui défendent Pembarcadaire et la porte de la mer: la batterie basse bat également en front la rivede la mer. Hy a encore douze pieces placées dans une situation trés élevée sur la mu- raille. Les canons sont de différents calibres, et des fabriques d’Europe; mais les affiits sont du pays, et si mal-adroitement construits, que ceux des calibres de 24 & 12 ne pourroient pas soute- nirle feu pendant un quart d’heure. Deux trones informes avec trois ou quatre traverses, un foi- ble essieu, et deux roues formées de grosses planches presque sans ferrures, composeist la machine : le tout est pcint en noir, et je le crois de bois de chéne. Sur la partie orientale de la baie sont trois autres batteries. Les plus grands hatiments que j’aic vus entrer dans le port, sont de 250 tonneaux : mais, quoi~ que la baie soit un pen découverte aux vents de Pest, sa situation est assez belle; et je pense qu’on pourroit y construire un bon port & pew de frais. La place de Tanger, du cdté de terre, n’a d’autre défense que le mur et le fossé ruinés , mais sans batteries. Du coté du nord, Penceinte de la ville se réunit au mur du vieux chateau D’ALI BEY. at ou Alcassaba, situé sur une hauteur, et dans Je- quel se trouyent un faubourg et une mosquée. Comme les Maures ignorent absolument le service militaire, leurs batteries sont ordinaire- ment sans garde. A la porte du kaid est une pe- tite garde, et auprés de la porte de Ja mer est une sorte de plancher ou destrade, sur laquelle on voit un certain nombre de fusils, représentant un poste militaire qui n’existe pas, ou qui se réduit & deux ou trois hommes. Tous les jours, le soir, tandis que le kaid fait sa promenade et s‘assied sur le rivage de la mer, quelques soldats font la eérémonic de relever la garde; ce qui cst une simple parade, puisque ensuite chacun se retire et rentre chez so: Un coup de fusil, tiré dans la grande place a dix heures du soir, donne le signal de la re- traite; on établit alors un poste au méme en- droit, avec un factionnaire qui, toutes les cing minutes, passe la parole & une autre sentinelle placée & Ja porte de la mer, en lui criant as- sassa, et Yautre répond alabala, Les Maures font leur faction étant toujours assis, et tres communément sans aucune arme: ce qui est fort commode. ~ Dans les guerres «Afrique Phomme a pied n'est compté presque pour rien, ct les princes 22 VOYAGES m’évaluent leurs forces que par le nombre de leurs cheyaux. D’aprés ce principe, les Maures tachent d’acquérir toute Ja dextérité possible dans 'équitation. 4 Tanger ils s’exercent sur la rivede la mer, en faisant des courses de chevaux sur le sable humide de la basse marée. Ces exer- cices continuels les rendent trés habiles cavaliers. La selle dont ils se servent est fort lourde, et les arcons extrémement hauts. Deux sangles forte- ment serrées passent, T'une sous les cétes, et Vautre obliquement par les flanes sous le bas- ventre du cheval. Ils montent avec des étriers trés courts, et leurs éperons sont formés de deux pointes de fer de huit pouces de longueur. Avec cet équipage et un mors extrémement dur, ils martyrisent les pauvres chevaux de manicre qwon voit trés fréquemment ruisseler le sang de leurs flancs et de leur bouche. Une seule manceuvre forme ces exercices militaires : trois ou quatre cavaliers, ou un plus grand nombre, partent ensemble en pous~ sant de grands cris, et vers le terme de la course ils tirent leur coup de fusil sans ensemble et en désordre, Dautres fois, Yun court derrire Fautre, toujours avec de grands cris, et au mo- ment de Patteindre il lui lache son coup entre les jambes du cheval. DALI BEY. 23 Non seulement ils traitent fort durement leurs chevaux, mais ils ne lear donnent méme pas un toit pour abri, Us les tiennent ordi- nairement en pleine campagne, ou dans une cour découverte, les pieds de devant assujettis a une corde fixée horizontalement entre deux piquets, sans tétiére ou sans licou. On leur jette la paille & terre, et on leur présente Porge dans un petit sac qu’on suspend a leur tate. Ordinairement on donne de la paille deux ov trois fois dans la journée & un cheval, et Forge seulement une fois sur le soir. Quand ils sont en marche, ils font le chemin tout d'une traite chaque jour, et ne mangent que pendant la nuit. Ils sovtiennent également bien et le plus ardent soleil de P’été, et les plus grandes pluies de Vhiver. Malgré ce régime, ils se conservent encore gras, forts et sains : ce qui, au fond, me feroit croire cette méthode préférable & Ja mé- thode européenne, qui rend les chevaux si déli- cats et si embarrassants dans les grands mouve- ments militaires; mais on doit considérer aussi Ja différence des climats. On voit & Tanger beaucoup de chevaux , quelques mules , et trés peu d’anes; ceux-ci ct Jes mules sont généralement. petits; quant aux chevaux, ily en a de toutes grandeurs, mais 24 VOYAGES ils ne sont pas trés hauts; ils ont du fea et @excellentes dispositions , mais point d’école , parceque les cavaliers ignorent Tart de les dresser. La plus grande partie sont blancs ou cendrés, et ce sont les plus forts; ceux de couleur bai-brun et alezan sont ordinairement les plus beaux. On porte la population de Tanger & dix mille ames. La plus grande partie sont des sol- dats, des petits marchands en détail, des ar tisans tres grossiers , peu de personnes aisées , et des Juifs. Le caractére distinctif de ces gens est la fainéantise : A toutes les heures du jour on les voit assis ou couchés tout de leur long dans les rues ct dans Jes autres endroits publics. Ils sont Wéternels causeurs et visiteurs; en sorte qu’au commencement il m’en codtoit beaucoup pour me délivrer d’cux: mais aprés, comme ils me respectoient, ils se retiroient au premier signe ; ce qui me laissoit le temps de travailler. Le costume des habitants est la chemise avee des manches extrémement larges, un énorme calegon de toile blanche, un gilet de laine, ou une petite jaquette de drap, le bonnet rouge et pointu; la plupart ont une toile ou mous— seline blanche autour du bonuet formant le D’ALT BEY. 25 turban; le hhaik les enveloppe enti¢rement, et couvre leur téte la maniére d'un capuchon; quelquefois la capotte ou Ie bournous blanc avec son capuchon au-dessus du hhaik,, et les babouches ou pantoufles jaunes. Quelques uns aussi, au lieu de la petite jaquette , portent un caftan, ou robe longue boutonnée par devant de haut en bas avec des manches tras larges, mais pas aussi longues que celles des caftans tures. Tous portent une ceinture en laine on en soie. Les femmes sortent toujours si complétement enveloppées, qu’on apercoit difficilement un cil au fond d'un énorme pli de leur hhaik; leur chaussure consiste en d’énormes babou- ches ronyes, mais elles sont aussi sans bas comme les hommes. Quand elles portent un enfant ou un fardeau, e’cst toujours sur le dos ; de ma- niére qu’on ne peut leur voir les mains. Vhabit des enfants consiste en une simple tunigue avec une ceinture. Le bournous sur le hhaik est Phabit de céré- monic pour les éalbes ou gens de lettres, les imams ou chefs des mosquées, et les fakihs ou docteurs de la loi. 26 VOYAGES CHAPITRE Ill. Audiences du gouverneur. —Celles du kadi.— Vivres. — Mariages. — Enterrements. — Bain pul Le kaid ou gonverneur donne ses audiences au public tous les jours, et il rend Ia justice presque toujours par des jugements verbaux. Quelquefois les deux parties se présentent en- semble, mais quelquefois aussi il ne se pré- sente que la partie plaignante; alors le kaid Pautorise & amener son adversaire: ce qu’il fait sans trouver Wopposition, parceque la plus petite résistance seroit sévérement punie. Le kaid, couché sur un tapis et sur quelques cousins, entend les deux parties placées et accroupies prés de la porte de la salle, et la discussion commence. Quelquefois le kaid et Jes plaideurs se mettent & parler ou plutét & crier & la fois pendant un quart @heure, et sans pouvoir s’entendre, jusqu’a ce que les sol- dats, qui sont toujours debout derriére les parties , frappent celles-ci & grands coups de poing pour les ramener au silence; alors le kaid prononce , et au méme instant les parties sont D’ALL BEY. 27 mises hors de cour a coups redoublés par les soldats , et la sentence est exécutée irrémissi blement. C’est une circonstance notable, que tous ceux qui se présentent devant le kaid pour éure jugés doivent, aprés le jugement, étre renvoyés de cette maniére par les soldats qui leur crient, a plusieurs reprises, sérr, sir, cours, cours. Quelquefois le kaid donne ses audiences sur a porte de sa maison; il est alors assis sur une chaise, et }a foule se presse autour de Ini. Dans les premiers jours de mon arrivée, je me suis trouvé a une de ces audiences. Un jeune garcon se présenta au kaid avec une trés petite égratignure au visage, et rendit plainte; on amena son adversaire, qui fut condamné & trente-un coups; immédiatement apres, qua- tre soldats le couchévent par terre ; on apporta un baton avec un noeud coulant dans lequel on fit passer les pieds du patient, et un sol- dat lui donna sur Ja plante trente-un_ coups fortement assénés avec une double corde gou- dronnée; operation finie, on mit aussi le plai- gant & la porte & coups redoublés. Je desi rois vivement demander grace pour le con- damné; mais je m’en abstins, ne sachant pas comment ma demande seroit reque. Jappris 28 VOYAGES ensuite que, dans tous les cas semblables, je pourrois intercéder en faveur du patient apres dix ou douze coups requs. A chaque coup, le pa- tient s’écrie ordinairement: dl/ah! Dieu ; mais quelques uns, au lieu de crier Allah , comptent fidrement les coups Pun apres Vautre. ‘Tres rarement présente-t-on au kaid quelque requéte de quatre ou six lignes. Ea consé- quence, tout Vattirail de son secrétaire se ré- duit & une petite écritoire de corne avec une plume de roseau,.ct quelques morceaux de papier trés petits, pliés par le miliew, et pré- parés pour recevoir quelque ordre: ce qui est encore trés rare. Ce scerétaire n’a ni bureau ni archives; en sorte que les papiers qui lui sont remis, sont bientot aprés anéantis, car il ne conserve pas le plus petit registre des ordres qui sont transmis. Le kaid, pour juger, n’a dautre rdgle que son bon ou mauvais sens, et tout au plus quel- ques préceptes du Coran. Dans des cas tras rares, il consulte les fakihs , ou bien il renvoie les parties par devant le Aadé ou juge civil. Le gouverneurde Tanger s’appelle Sid Abdér- rahman Aschasch ; il a été simple muletier ; i ne sait absolument ni lire ni écrire , pas méme signer son nom ; mais il a quelque talent na- DALI BEY. 29 turel , et une sorte de vivacité hardie. Hl n’est pas méme en état de connoitre combien lins- truction est utile & Phomme , en sorte qu’il la refuse par systéme a ses enfants, qui ne sayent non plus ni lire ni éerire. Hl est actuellement possesseur dune grande fortune & Tetouan, ville qui cst aussi sous son commandement, et oit réside sa famille ; if se partage entre Pune et Pautre résidence , ayant un lieutenant & Tan- ger et un autre & Tetouan, pour gouyerner pen~ dant son absence. Les jugements du kadi sont an peu moins tumultueux que ceux du kaid; mais ils se ren- dent & peu prés dans les mémes formes. Lee Aécisions sont prises dans les préceptes du Coran etde la tradition, tant que cela n’est pas con- traire aux volontés du souverain, Apres qu'une affaire a été jugée parle kaid ou parle kadi, il ne reste aux parties autre recours que Je sultan lui-méme, parcequ’il n’existe point de tribu- naux intermédiaires. Les denrées sont abondantes & Tanger, et & un prix trés bas; surtout la viande, qui est fort grasse. On y fabrique du trés bon pain, et méme e plus ordinaire n’y est pas mauvais. Teau est bonne, quoique les conduits soient mal soi- gnés. Il n’y a aucune tayerne publique pour la 30 VOYAGES vente du vin : Jes consuls en font venir d’Europe pour leur service. Les fruits sont excellents, et principalement les figues, les melons, les raisins et les oranges ..de Tetouan. ee a La principale nourriture des habitants de tout le royaume de Maroc est le couscoussou, pate simplement composée de farine avec le Peau, qu’on pétrit de maniére a la rendre assez dure; on Ia divise ensuite en morceaux cylindriques gros comme le doigt, puis on la réduit en grains en amincissant successivement ces mor- ceaux, et en les divisant fort adroitement avec les mains. On fait enfin durcir cette pate ainsi divisée, en l'exposant sur des serviettes soit au soleil, soit simplement au grand air. Pour cuire Je couscoussou, on le met avec du beurre dans une espece de pot, dont le fond est percé de petits trous ; ce pot se place sur un autre plus grand, dans lequel les pauvres ne mettent que de l'eau, mais ott les gens aisés ajoutent de la viande et de la volaille. Le double pot étant placé, devant le feu, la vapeur qui monte du pot inférieur entre par les trous, et cuit le couscoussou qui est dessus. Sil ya de la viande dans le pot inférieur, on la sert dans un plat, entourée et couverte de couscoussou: ce qui DALI BEY. 34 forme ainsi une espéce de pyramide sans sauce ni houillon. Les grains du couscoussou sont libres et sans adhérence ; on en fabrique de tous les genres, depuis le plus fin, qui est comme Te gruau, jusqu’an plus gros, qui resemble & des grains de riz. Je regarde cet aliment comme le meilleur possible pour le peuple, parcequ’a Vavantage d’étre facile a obtenir et & transpor- ter, il joint celui d’étre extrémement nuwitif, sain et agréable. : Tout musulman mange avec les doigts de la main droite et sans fourchette ni couteau, par la raison que le prophéte mangeoit ainsi. Cette coutume , qui choque tant les chrétiens ,n’a ce- pendant rien de dégotiant ni d’incommode. Aprés toutes les ablutions légales que le mu- sulman fait pendant la journée, et dans les- quelles il lave ses mains comme nous le verrons bientét, il les lave encore toutes les fois qu’il se met table , et aprés avoir mangé, en sorte qu’elles sont toujours propres; puis Pusage de prendre de la viande avec les doigts est trés commode. Quant au couscoussou, on est dans Phabitude de le prendre en le réunissant en boules que Yon porte & la bouche. Il y a aussi & Maroc des cuisiniers qui enten- dent assez bien leur métier, et qui font un assez 3a VOYAGES grand nombre de ragoits avec les différentes viandes, Ia volaille, le gibier, le poisson, les Iégumes et les herhages. Cependant, comme la loi ne permet pas de manger le sang, on doit user de circonspection. Quant au gibier et au poisson, on ne les mange qu’aprés avoir eule soin de les égorger encore vivants, en sorte que tout le sang sorte du comps. Les habitants aisés ont ordinairement des esclaves négresses pour cuisinieres, et il y en a de fort habiles. Pour manger, on met le plat sur une petite table ronde, sans pieds, de vingt A trente ponces de diamétre , avec un bord élevé de cing & six pouces; cette table est recouverte d’une espice de panier conique en osier ou en feuilles de palmier qui sont quelquefois de différentes couleurs. Les plats, & Maroc, ont tous Ja forme Wun cone renversé et tronqué, cn sorte que la base du plat est extrémement étroite. Quel- quefois on met sur Ja table, autour du plat, un certain nombre de petits pains tres ten- dres, et chacum prend par pincées le pain qu'il a devant soi. Ghaque plat est servi sur une table particuligre toujours couverte, en sorte quill y a autant de wbles que de plats. D’au- tres fois on sert séparément une grande tase ou bol rempli de lait aigre, avec beaucoup D’ALI BEY. 33 de cuillers de bois trés grossiéres, longues et profondes , et les convives premnent de temps én temps, ouméme & chaque bouchée de viande cu de couscoussou,, une cuillerée de ce lait. Us sont assis & terre ou sur un tapis autour de Ja table, et prennent tous dans le méme plat. Quand il y a un grand nombre de convives, on sert plusieurs tables & la fois; et autour de chaque table se mettent quatre ou six per- sonnes assises, les jambes croisdes. Chaque fois que les musulmans se mettent & table, ils commencent par invoquer la Divinité ‘en disant Bism-Illah, au nom de Dieu; ils ter~ minent le repas en rendant graces et en se ser= vant de expression 4/hamdo-Lillahi, louange soit donnée & Dieu! Ces mémes invocations sont faites avant de boire et aprés qu’on a bu: on Jes répéte toutes les fois qu’on entreprend quel- que affaire. Mais, si le nom de Dieu est toujours & la bouche, le respect pour la Divinité n’est pas toujours dans le coeur de ceux qui Finvo~ quent. En sortant de table, on se lave non seu- Jement les mains, mais encore Vintérieur de la Douche ct la barhe. Pour ces lotions, il se pré~ sente un domestique ou un esclave portant une jatte de cuivre ou de faience & la main gauche, une urne ou jarre a 1a main droite, et une ser- L 3 34 VOYAGES viette sur épaule gauche. Cedomestique se pré- sente successivement devant chaque convive ; celui-ci avance les mains au-dessus de la jatte, sans la toucher; le domestique lui verse de Peau ; il se lave les mains, et avec la droite prend de l’eau pour se laver l’intéricur de la bouche et la barbe. On finit par s’essuyer avec la serviette portée par Pesclave. Chez les per sennes riches un domestique présente Peau, et un autre Ja serviette. I y a tres peu de musul- mans qui fassent usage de linge pour s’essuyer dans les repas. L’usage exige qu’on termine tou- jours le diner par une tasse de café. A Maroc on faisoit anciennement un tes grand usage de café; on en prenoit & toutes les heures du jour, comme au Levant: mais, les Anglois ayant fait des présents de thé aux sul- tans, ceux-ci en offrirent aux personnes de leur cour, et bientdt l'usage de cette boisson se ré- pandit de proche en proche jusqu’aux dernieres classes de la société: en sorte que proportion- nellement on prend aujourd’hui plus de thé & Maroc qu’cn Angleterre, et il n'y a pas de mu- sulman tant soit peu aisé qui n’ait chez Jui du thé & offrir & toutes les heures du jour aux per- sonnes qui viennent le visiter. Le thé se prend trés fort, rarement avec du lait; et le sucre se D’ALI BEY. 35 met dans la théiére. Ce sont les Anglois qui fournissent ces deux denrées aux Maroquins, qui en apportent aussi une grande quantité de Gibraltar. La loi permet quatre femmes Idgitimes aux musubnans, et autant de concubines qu’ils peu- vent en nourrir: ces dernires doivent étre ache- tées, ou prises & la guerre, ou recues en présent. Les autres sont engagées par un contrat fait entre le prétendant ou ses parents et les parents de la prétendue devant le kadi et des témoins: Punionse fait sans aucune cérémonie religicuse, en sorte que le mariage est purement civil. Mais il est & remarquer que, malgré le manque de sanction religicuse donnée & ce neeud par d’au- tres religionnaires, les lois de la chasteté conju- gale et la paix domestique se trouvent beaucoup mieux observées dans les ménages musulmans que parmi ceux des autres religions. La loi du divorce est un grand frein pour les femmes; et la polygamie, en méme temps qu’clle satisfait la nature dans des climats aussi chauds, laisse sans excuse Vhomme qui voudroit satisfaire un eaprice déréglé. Aprés la signature du contrat, la famille du prétendant envoie ordinairement des présents ala maison de la fiancée; ils sont portés pen- 36 VOYAGES dant la nuit en cérémonie avec un grand nome bre de lampes, de bougies et de flambeaux, au milieu une bande de ces mauvais musiciens dont j'ai parlé, et Pune autre bande de femmes aux cris aigus. La fiancée est conduite chez son époux en cérémonic, avec un cortége semblable a celui des enfants qui vont étre circoncis. C’étoit & six heures du matin que je vis pour Ia premiere fois ce spectacle & Tanger. La nouvelle mariée Git portée sur les épaules de quatre hommes dans une espéce de panier cylindrique doublé en dehors avec de la toile blanche, ct sur mnonté d’an couvercle de forme conique, peint de différentes couleurs, comme ceux dont on couvre les tables & manger: le tout étoit si pe- tit, qu'il paroissoit impossible d’y pouvoir pla- cer une femme, et ce panier avoit absolument Pair d’un plata manger qu’on envoyoit au nou- veau marié. Celui-ci, en le recevant, levoit le couvercle, et voyoit sa future pour la premiere fois. Lorsqu’un musulman vient & décéder, on le met sur un brancard; on Je couvre avec son hnhaik, ct quelquefois avec des branches dar bres; il est porté sur les épanles de quatre hom- mes, ct accompagné de nombre de personnes DALI BEY. 37 quine gardent entre clles aucun ordre, qui n’ont aucun signe de deuil, et qui marchent & pas précipités. Le cortége se dirige vers Ja porte Wune mosquée a Pheure de la pritre de midi: aussitot qu’elle est terminée, l’imam annonce quil y a un défunta la porte; tout le monde se léve pour faire une courte pritre en commun pour le repos de Pame du fidéle croyant: mais Je corps n’entre pas dans la mosquée. La priére acheyée, le convoi seremeten route, et le cortége marche toujours a pas précipités, parceque ange de la mort attend Vindividu dans le sépulere pour lui faire subir un inter- rogatoire, et pour rendre le jugement qui doit décider de son sort : & chaque moment les por- teurs se relaient, parceque tous desirent partici- per & cette ceuyre de miséricorde. Pendant le chemin, ils chantent tous des versets du Coran sur Pair 7é, ut, ré, ut. Arvivé au cimetiére (voy. pl. 11), et apres une courte pridre, le corps est mis dans la fosse, sans caisse, et couché sur la terre un peu de été, regardant vers la Mecque; la main droite est appliquéea Poreilleduméme cété, et comme couchée sur elle: puis, ayant jeté de la terre sur le corps, le cortége revient dans la maison du défunt pour y faire ses compliments & la 38 VOYAGES famille. Pendant ce temps, comme des le mo- ment du décés, et pendant huit jours de suite, Jes femmes de la famille se réunissent pour faire des cris horribles qui durent presque tout le jour. Le bain public & Tanger est trés laid et Cur: aspect misérable. On y entre par une petite porte; on descend ensuite par un escalier étroit , et sur la droite se trouve un puits, d’ou Pon tire Peau nécessaire au service de Pétablissement; sur la gauche est une espace de vestibule, a coté du- quel est une petite chambre. C'est dans ces deux pieces que l'on quitte et qu’on remet ses véte~ ments. Sur la droite du vestibule se trouve une chambre, ou plutot une cave, qui regoit si pew de clarté que, lorsqu’on y entre, elle paroit com- plétement obscure: le sol de cette charabre, qui est couvert (ean, est trés glissant. Le plus grand nombre y prennent leur bain avec un seau d’eau chaude et un deau froide, quils tempérent & volonté, et qu’ils se jettent pardessus le corps peu A pen avec les mains aprés avoir fait les cérémonies de Vablution. Geux qui veulent prendre le bain de vapeur, vont dans une chambre placce sur la gauche; elle est pavée en carreaux de marbre blanc et noir, rangés en échiquier: le toit voité, con~ DALI BEY. 39 tient trois lucarnes circulaires qui ont pres de trois pouces de diamétre, et qui sont bouchées par des morceaux de verre de différentes cou- leurs ; ce qui produit un assez hon effet pour la lumiere. La porte de cette chambre est toujours fermée, et vis-a-vis est un petit bassin qui re- goit Peau chaude par un conduit; eau froide est dans les seaux. Du moment qu’on entre dans cette chambre, on sent une atmosphere suffo- cante qui fatigue la respiration, et en moins @une minute le corps se trouve couvert eau qui, se réunissant en grosses gouttes, ruisselle surla peau, et une sueur abondante yous couvre dela téte aux pieds. On s'assied sur les carreaux, qui sont tellement échauffés, qu’ils produisent une chaleur insupportable @abord, mais qui se dissipe bient6t; on reste assis dans cette cham= bre autant de temps qu’on le juge & propos; on fait ensuite son ablution; on se lave ou Yon se haigne le corps: mais la sortie pour s’ha+ biller est trés incommode, parcequ’il n’y a point de chambre intermédiaire pour se tempérer avant de prendre le grand air. La premiére fois que j’entrai dans ce bain, j'éprouvai une véritable fatigue, A cause de la température élevée qu’on y entretient ; mais bientot je commengai & m’y habitver, ct jen fo VOYAGES reconnus la salubrité: cependant j’aurois desiré plus de commodité et moins de chaleur. Toutes les fois que jy suis retourné, j’y ai trouvé huit, dix personnes, et plus, entigrement nues; ce qui n'est pas trop décent. Le prix de ces bains est @’une mouzouna, que les Européens du pays appellent Blanguille, et qui peut étre évaluée & peu prés & deux sous en monnoie de France. Pourentretenirla chaleur etla vapeur chaude du bain, il y aun four aw-dessous de la chambre qui chauffe le pavé; puis une chaudiere, de la- quelle vient Peaa au moyen d’un tuyau qui Souvre et se ferme & volonté par une griffe: il y @ encore un autre tuyau qui apporte conti- nuellement la vapeur de Peau de la chaudiére. Cette vapeur s'augmente bien autrement lors- qu’on verse de Peau sur le pavé chaud, laquelle, réduite aussi en vapeurs, charge de plvs en plus Yatmosphére de son humidité, et produit sur les personnes qui entrent les effets déja énoncés- D’ALI BEY. 4t CHAPITRE IV. Architecture. — Mosquée. — Musique. — Arause- des femmes. — Sciences. — Saints. ments. — Lisncnrrecrore arabe mogrébine on occiden- tale actuelle ne ressemble en rien & V'architec- ture orientale ancienne ou moderne. Loin de trouver dans architecture actuelle mogréhine Télégance et la hardiesse de Pancienne architec- ture arabe, tous ses ouvrages portent le carac~ tare de ignorance la plus grossiére. Les édifices sont construits sans aucun plan, et comme au hasard, avec une telle ignorance des premiéres rogles de Part, que, dans quelques maisons con- sidévables, j’ai trouvé Vescalier sans le plus petit rayon de lumiere; en sorte qu'il falloit toujours avoir des lampes allumées. En général, les ve tibules ow portails, et les escaliers, sont extré- mement mesquins, quoique la maison soit de Ja plus grande étendue. La forme des maisons consiste toujours dans une cour carrée, dont deux, trois, et méme Jes quatre cdtés présentent un corridor. Une chambre trés étroite, de toute la longueur de 4a VOYAGES ce corridor, lui est paralléle; mais ces chambres sont ordinairement sans autre ouverture ou fe- nétre que la porte du milieu qui donne sur le corridor ; de Ia vient que les habitations sont mal aérées. Les toits sont plats et couverts d'une couche de platre de méme que le sol ou le plan- cher des chambres. On construit les murs avec de la chaux, du platre et des pierres, mais plus communément avec de Ia terre grasse hattue avec de Peau. Pour batir de cette maniére , on met une plan- che perpendiculaire de chaque coté pour assu- jettir les deux surfaces du mur; on jette au milieu la terre pétrie avec de Peau, & laquelle on donne la consistance de la pate; deux hommes la present avec une massue chacun. Tandis qu’ils font cette esptce de travail, ils chantent ordinairement au bruit de leur ins- trument. Comme il est difficile de se procurer de grandes poutres, on est obligé de faire les chambres étroites afin de pouvoir construire la couverture avec le petit bois du pays. Sar cette charpente on place Vabord une couche de roseaux, puis un pied d’épaisseur de terre couverte de platre : cette lourde toiture écrase le batiment et dure tres peu de temps. Les portes sont trés grossitrement faites. D’ALI BEY. 43 A Tanger, la plus grande partie des serrures sont en bois; j’en donnerai une description dé- taillée dans le mémoire que je prépare sur cet objet. L’usage des lieux d’aisance et des fosses est presque inconnu ; on fait ses besoins dans une basse-cour ou dans un vase. Larchitecture des mosquées est aussi lourde que celle des majsons: la principale est com- posée d’une cour entourée arcades; du cdté opposé ala porte, il y a quelques lignes d’ar- cades paralléles, comme on le voit dans la planche III. La facade est entiérement unie (voyez pl. IV), et la tour ou le minaret est placé dans le coin & gauche. Les arcs et le toit sont trés bas; la charpente, qui est tres grossigre, reste & découvert. En général, la construction totale de cet édifice est és mes- quine. Ayant remarqué que dans la mosquée il n’y avoit point @eau pour boire, je fis éta- blir, & coté de la porte, une grande jarre soli- dement attachée au mur par une magonnerie, et un vase pour boire; enfin je dotai Pétablis- sement pour sa subsistance et pour Pentretien de la fontaine. Dans une chambre placée au-dessus de la mosquée est établi un fils du kadi, qui prent

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